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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

1. Déontologie de la sécurité. - Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi (p. 1245).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 1248)

MM. Gilbert Gantier, Christophe Caresche, Jean-Antoine Leonetti, Jean-Pierre Blazy, Jean-Luc Warsmann, Patrice Carvalho.

M. le ministre.

M. le rapporteur.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 1255)

Article 1er (p. 1255)

A mendement de suppression no 6 de M. Gantier : MM. Gilbert Gantier, le rapporteur, le ministre. - Rejet.

Amendement no 1 de la commission des lois : MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Adoption de l'article 1er modifié.

Article 2 (p. 1257)

Amendement no 7 du Gouvernement : MM. le ministre, le rapporteur, Jean-Marc Warsmann. - Rejet.

Adoption de l'article 2.

Article 4. - Adoption (p. 1257)

Article 5 (p. 1258)

Amendement no 8 de la commission : MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 2 de la commission : MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Adoption de l'article 5 modifié.

Article 6 (p. 1258)

Amendement no 3 de la commission : MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Luc Warsmann, Jean-Antoine Leonetti. Adoption.

L'article 6 est ainsi rédigé.

Article 7 (p. 1259)

Amendement no 9 de la commission : MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Adoption de l'article 7 modifié.

Article 8 (p. 1260)

Amendements nos 4 et 5 de la commission : MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Adoption de l'article 8 modifié.

Articles 9, 9 bis, 13 bis et 14. - Adoption (p. 1260)

EXPLICATIONS DE VOTE (p. 1260)

MM. Jean-Antoine Leonetti, Jean-Luc Warsmann.

VOTE SUR L'ENSEMBLE (p. 1261)

Adoption de l'ensemble du projet de loi.

2. Gens du voyage. - Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi (p. 1261).

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 1264)

MM. Patrick Braouezec, Charles Cova, Roger-Gérard Schwartzenberg, François Goulard, Daniel Vachez, Jean-Jacques Weber, Jean-Pierre Blazy, Patrice Martin-Lalande, Yves Bur.

Clôture de la discussion générale.

Renvoi de la suite de la discussion du projet de loi à la prochaine séance.

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 1277).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1 DÉONTOLOGIE DE LA SÉCURITÉ Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité (nos 2139, 2193).

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité revient devant vous après son adoption par le Sénat, le 3 février dernier, en première lecture.

Pour apprécier l'état dans lequel ce projet vous est soumis, deux considérations méritent d'être développées.

Tout d'abord, le Sénat a confirmé les orientations du projet que l'Assemblée nationale avait adopté lors de l'examen du texte en première lecture. Par ailleurs, il a apporté des modificiations qui ont semblé au Gouvernement utiles et pertinentes pour certaines d'entre elles, d'autres appelant au contraire des réserves de sa part.

En fait, le Sénat a, pour l'essentiel, confirmé les orientations du projet. Il a du reste adopté ce texte à l'unanimité des groupes parlementaires représentés - cela mérite d'être souligné - en donnant son adhésion au travail fourni par la commission des lois et son rapporteur, qui avaient au préalable procédé à de nombreuses consultations.

Quelles sont les composantes de ce consensus, qui traduit le souci partagé par l'ensemble des parlementaires de voir les règles déontologiques mises en oeuvre par les services et les personnes concourant à la sécurité sur le territoire de la République ? Je rappellerai ici les principales orientations du texte en discussion.

Il s'agit de créer une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de déontologie de la sécurité - dénomination due à votre assemblée -, dont la compétence s'étend aux personnes chargées de la sécurité, que celles-ci soient privées ou publiques, que ces activités soient exercées à titre permanent ou occasionnel, y compris lorsqu'elles ont un caractère bénévole. Le Parlement a fait sienne cette idée d'une compétence large et a même, semble-t-il, la volonté de l'élargir encore. Nous y reviendrons.

La nature de cet organe et son mode d'intervention sont l'autre caractère essentiel du présent projet. Doté dès l'origine d'une incontestable légitimité en tant qu'autorité indépendante, la Commission devrait, pour une meilleure efficacité, comprendre un nombre limité de membres : huit dans l'état actuel du texte.

Dans l'esprit du Gouvernement, l'intervention des parlementaires dans la saisine de la Commission est bien un gage supplémentaire de l'autorité qui sera reconnue à celle-ci. C'est aussi un gage d'efficacité dans la mesure où l'importance en la matière d'une sorte de tri quant à la recevabilité des plaintes n'échappe à personne. Destinataires initiaux de la réclamation et appréciant s'il y a lieu de saisir la Commission, les parlementaires participeront ainsi activement au contrôle de la déontologie.

En ce qui concerne enfin les attributions et prérogatives de la Commission nationale, je soulignerai simplement que celle-ci n'a pas de pouvoir de décision. Instance c onsultative, la Commission émettra des avis ou recommandations, destinés aux autorités publiques ou aux personnes privées concernées. Elle pourra également indiquer au Gouvernement les modifications de législation ou de réglementation souhaitables dans le domaine de la déontologie. Pour autant, la Commission dispose de prérogatives importantes lui permettant d'assurer avec efficacité l'instruction des réclamations qui lui seront transmises par les parlementaires. Elle bénéficie, en effet, d'un droit de communication, d'un droit d'audition et peut opérer des vérifications sur place.

Les assemblées parlementaires ont d'ailleurs souhaité fortifier l'exercice de ces prérogatives en créant un délit d'entrave à l'encontre de ceux qui s'opposeraient aux investigations menées par la Commission nationale.

En définitive, le Gouvernement s'est proposé de créer une institution équilibrée, dont l'indépendance est assurée et dont l'intervention ne compromet pas le fonctionnement de la justice ni des instances disciplinaires. Cette démarche a été approuvée en première lecture à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, ce qui est une bonne chose pour cette institution.

En effet, les modifications apportées lors de l'examen du projet au Sénat n'entraînent pas une dénaturation des orientations précédemment rappelées. Au contraire, elles constituent des améliorations du texte, au moins pour partie d'entre elles. Ces modifications portent sur trois domaines : le champ d'application de la loi, la composition de la Commission nationale et l'exercice de ses prérogatives.

S'agissant du champ d'application de la loi, le Sénat a modifié l'article 1er du projet dans le souci de clarifier la compétence de la Commission, qu'il s'agisse d'agents des collectivités territoriales exerçant une mission de sécurité ou de l'exercice bénévole d'activités de sécurité. Je crois que ces éclaircissements méritent d'être retenus sous réserve de ce que je dirai ci-après quant au fond.


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Le Sénat a également modifié la composition de la Commission pour favoriser la continuité de son action. Il a ainsi prévu un renouvellement par moitié pour assurer une certaine permanence de ses membres, sans revenir sur le caractère non renouvelable du mandat de chacun de ceux-ci. C'est ce qui explique qu'il ait porté à huit l'effectif de la Commission. Cette modification, qui entraîne notamment une augmentation du nombre des membres de la Commission, me semble, toute réflexion faite, bienvenue et ne devrait pas poser de problèmes particuliers.

Enfin, le Sénat a renforcé les garanties de procédure qui entourent l'exercice des prérogatives dont dispose la Commission nationale. Il en est ainsi de l'obligation de motivation des demandes de communication adressées par la commission aux autorités publiques ou aux personnes privées. Il en est ainsi également de l'obligation de préavis avant l'accomplissement d'une vérification sur place. Sur ce dernier point, l'Assemblée nationale avait souhaité la disparition du préavis. Je pense que des considérations juridiques - il n'est pas raisonnable de s'exposer à la censure éventuelle du juge constitutionnel - autant que pratiques - il n'y a que des avantages sur le plan matériel à assurer le bon déroulement d'une vérification sur place - justifient son maintien.

Le Sénat a, en outre, entendu rendre systématique l'information du parlementaire auteur de la saisine, quelle que soit la suite réservée par la commission à cette saisine.

L'analyse des amendements adoptés par le Sénat, sur proposition, dans la quasi-totalité des cas, de la commission des lois, montre que la nature et la portée du projet de loi ont été parfaitement comprises.

Deux modifications seulement appellent une réserve du Gouvernement.

Une modification sensible a tout d'abord été introduite en ce qui concerne le champ d'application de la loi. Dans son projet initial, le Gouvernement avait prévu que les personnels de l'administration pénitentiaire ne seraient pas soumis au contrôle de la Commission nationale de déontologie. Cela va de soi, il ne s'agissait pas de soustraire ces personnels à un tel contrôle. Celui-ci donne lieu du reste à un projet de code de déontologie élaboré par les services du garde des sceaux qui sera pris par décret.

Mais le Gouvernement était sensible à l'idée que, la mission de ces agents consistant à assurer l'exécution des décisions rendues par le juge et notamment les juridictions pénales, ceux-ci ne constituaient pas une force contribuant à assurer la sécurité générale, notion justifian t la compétence de la Commission.

Cependant, les idées cheminent. Je crois comprendre que votre commission des lois s'est montrée favorable à une extension du champ de compétence. Le Gouvernement abordera dans un esprit ouvert le débat qui ne manquera pas d'avoir lieu sur ce point, en particulier avec

M. le rapporteur dont je salue le travail.

L'autre modification sur laquelle le Gouvernement propose de revenir a trait aux règles d'incompatibilités applicables aux membres de la Commission. Le Sénat, en modifiant l'article 2 du projet, a entendu assouplir le régime d'incompatibilités que vous aviez approuvé en première lecture. Ainsi que je l'ai déjà dit - mais l'avis de votre rapporteur m'importera au plus haut point -, il serait dangereux qu'un membre de cette instance puisse être suspecté en raison des activités ou des fonctions qui l'amèneraient à intervenir lui-même dans un des domaines de la sécurité.

Dans la perspective du Sénat, il s'agit en réalité de faciliter la tâche des parlementaires qui, en qualité de maire ou d'adjoint ayant délégation pour la sécurité publique, dirigeraient la police municipale ou les agents de la commune assurant des missions de sécurité. On peut toutefois se demander si une telle confusion, même portant sur un espace réduit, assurerait totalement l'indépendance de la Commission. C'est pourquoi le Gouvernement vous proposera de rétablir le texte initial, sauf si, les esprits cheminant, M. le rapporteur m'indiquait que tel n'était plus l'avis de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Au total, il m'apparaît que l'examen de ce projet par l'Assemblée nationale ne devrait guère soulever de difficulté. Je forme à cet égard le voeu que les députés renouvellent le consensus qui s'est déjà dégagé au Sénat. Cela donnera encore plus de force à ce texte.

Je suis satisfait de constater que le projet du Gouvernement a reçu un accueil très favorable de la représentation nationale. Le strict respect de la déontologie, non seulement par la police nationale, mais par l'ensemble des agents de sécurité opérant sur le territoire national est une affaire qui intéresse au plus haut point la représentation nationale et le ministère de l'intérieur lui-même.

C'est un objectif essentiel pour le Gouvernement. Je suis persuadé que les élus de l'Assemblée nationale apporteront une fois encore leur soutien à ce texte et y mettront leur patte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bruno Le Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Bruno Le Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les aléas de la vie parlementaire avaient par deux fois provoqué le retrait de l'ordre du jour de ce projet. L'encombrement des assemblées lié au nombre et surtout à la qualité des textes à examiner a conduit de la même façon à retarder son examen au Sénat. Aujourd'hui, il nous revient enfin en seconde lecture. A cet égard, je note, monsieur le ministre, qu'en matière de sécurité, vous êtes en quelque sorte venu à bout de deux serpents de mer. (Sourires.)

En effet, le texte sur les polices municipales a été adopté et celui sur la déontologie, dont on parle depuis des années, est en passe de l'être. Tous deux viendront compléter la politique de sécurité conduite par le Gouvernement.

Je suis donc heureux de reprendre aujourd'hui l'examen de ce projet de loi portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité, d'autant que je constate avec satisfaction que le Sénat en a accepté l'économie générale et a proposé des amendements fort judicieux pour la plupart. Je tiens ici, d'ailleurs, à saluer le travail de mon collègue Henri de Richemont, rapporteur au nom de la commission des lois au Sénat. Il a en effet contribué à enrichir le texte sans le dénaturer, ce qui doit nous inciter aujourd'hui à une seconde lecture constructive. En tout cas, la commission des lois a, hier, largement entériné les propositions adoptées par le Sénat et seuls quelques points restent en discussion.

Ce projet que nous examinons correspond à un engagement pris par le Premier ministre lors de son discours de politique générale du 17 juin 1997. La création d'une instance indépendante chargée de contrôler le respect des règles déontologiques par l'ensemble des acteurs de la


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sécurité apparaît ainsi depuis le début de la législature comme un élément important dans la politique de sécurité de proximité impulsée par le Gouvernement.

Celle-ci s'appuie sur une perception renouvelée de la sécurité entendue et surtout mise en oeuvre, enfin, comme un droit du citoyen en même temps qu'elle est un devoir de l'Etat.

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce sont des mots !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

La réunion du conseil de sécurité intérieure, la poursuite et l'affermissement de la mise en place des contrats locaux de sécurité, mais aussi le long processus de réforme de la justice, en sont les traductions. Le texte qui vient aujourd'hui devant nous en seconde lecture est une des pierres de l'édifice de la sécurité de proximité définie par le Gouvernement.

La création d'une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie de la sécurité semble être une réponse adaptée. J'ai été sen sible à la préoccupation exprimée d'abord par notre assemblée puis par le Sénat de voir se multiplier ces nouvelles autorités placées en dehors de l'administration mais dépourvues de personnalité morale. Hier, en commission des lois, elle a, à nouveau, été confirmée. Et, ainsi que je viens de le dire, j'y suis sensible.

Néanmoins, j'essaierai de vous démontrer brièvement que, dans le domaine de la sécurité, qui fait actuellement une part quasiment identique au secteur privé et au secteur public, la pertinence de cette instance s'explique par l'organisation même du secteur de la sécurité dans notre pays.

Cette nouvelle institution concerne le secteur public et le secteur privé et cela seul justifierait le recours à une instance extérieure aux administrations centrales. En effet, la formule de l'autorité administrative indépendante assure par définition - la pratique d'autres instances en témoigne - l'indépendance par rapport aux professions concernées et aux pouvoirs publics. Si certains en doutaient encore, l'objectif de retour de la confiance ou de l'affermissement de la confiance entre le citoyen et ceux qui sont chargés de sa sécurité passe assurément par la médiation d'une instance détachée de l'administration.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Elle existe déjà.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Je ne citerai ni la COB, ni la CNIL, ni d'autres instances auxquelles on pourrait faire référence mais je m'attacherai à celle du médiateur de la République, qui semble le plus se rapprocher de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Pas du tout.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

On connaît le succès et l'efficacité de la formule du médiateur de la République.

Or la Commission nationale de déontologie de la sécurité que nous allons mettre en place, sorte de médiateur spécialisé de la sécurité, est bien de nature à connaître le même succès. En effet, parce qu'elle n'est pas l'administration, le citoyen aura moins d'appréhension à se tourner vers elle et le sentiment d'impuissance, réel ou supposé, face à la « machine-Etat » sera dépassé.

Rappelons enfin que l'ensemble des partenaires de la sécurité, publics ou privés, syndicats de policiers ou syndicats de l'administration pénitentiaire, mais aussi syndicats des professions de la sécurité privée, que nous avons auditionnés, tous étaient demandeurs d'une telle instance.

C'est un signe qui ne doit pas tromper. Les acteurs de la sécurité demandent aussi au Gouvernement et au législateur de poser les bornes de cette profession et de participer avec eux à l'édification de normes de déontologie. Le secteur de la sécurité, en plein développement aujourd'hui, continuera à bouger sous l'effet de l'évolution des techniques et de l'ouverture des frontières, mais aussi selon la façon dont l'Etat et les collectivités locales bâtiront leur action et dont le secteur privé s'investira dans ce domaine. Parce que les citoyens et les syndicats professionnels, que ce soit du secteur privé ou du secteur public, le demandent, nous mettrons en place le plus rapidement possible la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Les garanties d'indépendance et d'impartialité attendues de la part de telles institutions sont immenses. Ces exigences, tout à fait légitimes, sont encore plus grandes en matière de déontologie de la sécurité. Or, puisque l'Etat accepte, sous certaines conditions, de partager l'exercice de sa mission de sécurité entre les intervenants multiples - collectivités locales, établissements publics mais aussi secteur privé -, il importe, je le répète, qu'il mette en place des moyens de contrôle efficaces et unifiés, et un socle commun de règles de comportement.

La création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité répond à cette exigence démocratique. Le Sénat a d'ailleurs clairement dit qu'il était urgent d'édifier un socle commun de règles dans le secteur de la sécurité.

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'est pas le sujet.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

En chaque circonstance, le citoyen est en droit d'attendre les mêmes garanties et la soumission au respect de règles communes, contrôlées par une instance unique : c'est un gage de rapprochement entre la population et ceux qui sont en charge de la sécurité.

Monsieur le ministre, vous venez de nous exposer l'économie générale du projet que nous examinons aujourd'hui. Si notre commission a largement entériné les propositions du Sénat, permettez-moi de m'arrêter sur deux points qui me paraissent essentiels à l'efficience de l'activité de la future Commission nationale.

L'article 1er du projet de loi détermine le champ de compétence de la nouvelle autorité. En première lecture, les échanges sur ce point avaient été les plus longs et les hésitations les plus grandes. La position de la commission est aujourd'hui très claire. Si l'on établit une liste ainsi que le projet initial et le Sénat le proposent, les risques d'oublis sont importants, parce que ce secteur va bouger et que les techniques vont évoluer. Cela ne semble donc pas satisfaisant en matière de protection des libertés individuelles. Si au contraire on décide, comme vous l'avez souhaité, que la compétence s'appuie exclusivement sur le critère matériel, l'exercice d'une mission de sécurité, alors ce risque est écarté. Celui de l'élargissement sans limite l'est aussi puisque le recours à la Commission se fera toujours sous le contrôle du juge administratif.

C'est la raison pour laquelle la commission des lois tient à ce que la compétence de la Commission soit déterminée par un critère matériel : celui de l'exercice d'une mission de sécurité.

A l'article 5, l'Assemblée nationale avait, en première lecture, complété le projet du Gouvernement sur le respect de certains secrets. Le Sénat a étendu cette protection de façon si large que les pouvoirs de contrôle de la n ouvelle institution pourraient être vidés de leur substance. Notre commission vous proposera de revenir à sa position de première lecture, qui nous semble la seule garantie de l'efficacité de la nouvelle instance.


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En conclusion, monsieur le ministre, je voudrais une nouvelle fois insister sur le fait que la création de cette instance est un élément indispensable à la traduction de l'objectif de proximité qui anime votre politique de sécurité. C'est la liaison entre une approche globale tous les acteurs de la sécurité sont concernés - et une approche de proximité qui place le citoyen au centre du dispositif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, un projet de loi visant à créer une Commission nationale de déontologie de la sécurité.

D'emblée, j'ai envie de m'écrier : une nouvelle autorité administrative, encore une ! Ce projet de loi me semble en effet emblématique de notre manie devenue tout à fait systématique, pour ne pas dire obsessionnelle, de créer des autorités administratives indépendantes à tout va. Un proverbe dit qu'il n'existe pas de problème sans solution. Version année 2000, cela donne : à chaque problème, son autorité administrative.

Les exemples sont innombrables. Je ne peux m'empêcher de vous en livrer un échantillon. Un échantillon seulement car je ne voudrais pas vous empêcher de mener un débat de qualité sur un texte aussi fondamental que celui-ci.

Mais je commencerai par les plus connus : l'incontournable Commission des opérations de bourse, plus connue sous le nom de COB, la non moins incontournable Commission nationale de l'informatique et des libertés, mais aussi le Conseil de la concurrence, le Conseil supérieur de l'audiovisuel...

On saisit la quasi-frénésie dans la création de ces autorités administratives indépendantes à l'évocation par exemple de la Commission des sondages, de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, de la Commission de contrôle des assurances ou de l'Autorité de régulation des télécommunications -, j'en passe et des meilleures ! Cette énumération, loin d'être exhaustive, a de quoi donner le tournis ! Lorsque je mesure la difficulté que nous, parlementaires, dont c'est en quelque sorte, permettez-moi de le dire, le métier, avons à tenter d'identifier ces autorités, je me demande comment le simple citoyen peut se reconnaître au milieu de tout cela ! Je n'aurais rien à redire à la multiplication des autorités administratives indépendantes si celles-ci permettaient effectivement de traiter de manière plus efficace un problème donné. Malheureusement, leur création est plus généralement révélatrice de la carence de l'Etat ou du moins de sa volonté de se débarrasser d'une question dont il ne sait comment se dépêtrer.

Mais les autorités administratives en question, loin d'apporter un regard neuf sur les problèmes dont elles sont chargées, se caractérisent par la même opacité que celle que l'on peut reprocher à l'Etat. Logique puisqu'elles en constituent autant de démembrements.

Faut-il rappeler que ces autorités ne sont pas dotées de la personnalité morale ? Elles appartiennent à l'administration de l'Etat mais échappent à tout contrôle hiérarchique.

Il y a plus grave, mes chers collègues : l'inflation des autorités administratives indépendantes témoigne en fait d'un manque de volonté politique, d'un manque d'imagination et d'un manque de propositions pour régler ces problèmes. Ces autorités représentent donc une solution de facilité, car on estime la plupart du temps que la question est réglée du fait de leur simple création.

J'oserai rappeler qu'un de nos éminents prédécesseurs, président de l'Assemblée nationale, plusieurs fois président du Conseil, un nombre innombrable de fois ministre, disait : « Lorsque je ne sais pas quoi faire, je crée une commission. » Vous aurez tous reconnu Edgar

Faure ! (Sourires.)

Certains corps constitués possèdent des codes de déontologie, ou du moins sont soumis, comme les gendarmes ou les douaniers, à un ensemble de règles déterminées, supposées connues des agents. Ces règles ne sont cependant pas uniformes et le secteur privé y échappe entièrement. Comme l'a souligné le Sénat, l'exercice des activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds, pour ne prendre que ces exemples, n'est soumis qu'à un agrément préfectoral. Cet agrément est simplement conditionné par l'absence de certaines condamnations disciplinaires ou pénales.

N'y aurait-il pas, mes chers collègues, quelque chose d'ubuesque à voir la Commission nationale saisie de réclamations de particuliers pour des manquements à des règles déontologiques qui sont, en fait, non définies ? Dans ces conditions, je doute fort, pour ma part, de l'utilité de ce type de commission. Ce doute est conforté si l'on considère que la violation de règles déontologiques entraîne le plus souvent des poursuites disciplinaires internes, voire des poursuites pénales. L'intervention de la Commission de déontologie ne peut revêtir alors qu'un aspect tout à fait symbolique.

Inutilité encore parce que cette commission n'est, au plus, qu'une autorité vaguement morale. Le projet de loi ne lui confère en effet - je l'ai lu attentivement - aucun p ouvoir de sanction. Elle ne peut qu'émettre des recommandations qui, si elles ne sont pas suivies d'effet, peuvent donner lieu à un rapport publié au Journal officiel.

Autant dire, mes chers collègues, que l'impact sera limité.

A ce stade de mon exposé, si je résume, nous avons affaire à une nouvelle autorité administrative : premièrement dont le caractère complémentaire aux pouvoirs disciplinaire et judiciaire n'est pas démontré ; deuxièmement à une autorité dont les règles qu'elle est supposée faire respecter ne sont même pas clairement définies ; troisièmement à une autorité qui n'a aucun pouvoir de sanction et qui est une simple autorité morale, encore que ce terme, qui a beaucoup de valeur à mes yeux, soit en l'occurrence assez galvaudé.

A l'évidence, l'utilité de la Commission nationale de déontologie de la sécurité semble donc à ce stade du débat plus qu'incertaine et je ne peux m'empêcher de penser que nous sommes en train d'assister à la création d'un nouveau tigre de papier.

La création d'un organisme dont on sait à l'avance qu'il ne servira à rien n'est jamais bonne. Mais c'est encore plus vrai s'il a pour seul résultat de jeter la suspicion sur des professions qui, par nature et plus que toutes autres, ont besoin de reconnaissance.

M. Jean-Luc Warsmann. Tout à fait ! M. Gilbert Gantier. Je tiens, par ailleurs, à vous faire remarquer la disproportion qu'il y a entre les pouvoirs reconnus à cette nouvelle commission, qui accroîtra


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encore un peu la paperasserie et la lourdeur administrative de notre pays, et les suites qui y seront données. La montagne accouche d'une souris. Et je m'inquiète à ce titre des risques de paralysie d'activités entières, le temps de l'enquête, pour des résultats réduits à une portion plus que congrue.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette commission, me semble-t-il, n'apportera aucune garantie d'un meilleur respect des règles de déontologie et entretiendra, au contraire, un savant mélange des genres en se surajoutant aux poursuites disciplinaires et judiciaires. De plus, en mettant à l'index les professions de sécurité sur des critères qui ne sont même pas définis, elle risque fort de créer une atmosphère de malaise, résultat inverse au but recherché.

Dans ces conditions, mes chers collègues, et pour toutes les raisons que je viens d'exposer, le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera contre ce texte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec beaucoup de statisfaction que nous voyons aujourd'hui revenir ce texte en deuxième lecture.

En effet, c'est un texte important et autant on peut s'interroger parfois sur la multiplication d'autorités indépendantes - encore que les exemples qui ont été cités, la COB notamment, ne me semblent pas démontrer l'inutilité de ces commissions - autant, dans ce cas précis, la création d'une telle commission est particulièrement pertinente.

D'ailleurs, il est contradictoire de dire que ces commissions, d'une part, déposséderont ou accapareront les compétences des administrations et de l'Etat, et, d'autre part, qu'elles ne servent à rien. Il faut choisir entre les deux termes de l'alternative.

En tout état de cause, nous considérons que cette Commission chargée de veiller au respect de la déontologie sera un progrès de la démocratie. Nous avons tous connu, dans le passé, des situations dans lesquelles l'institution d'un tel mécanisme de recours pour les citoyens aurait été particulièrement utile.

L'édiction et l'application de règles déontologiques doivent en effet permettre de garantir le respect des personnes...

M. Jean-Luc Warsmann.

Elles existent !

M. Christophe Caresche.

... et ce faisant de consolider la relation de confiance entre le citoyen et ceux qui ont en charge sa sécurité.

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'est pas en semant le doute, qu'on établit la confiance !

M. Christophe Caresche.

Sans cette relation de confiance, il n'est pas d'action de sécurité performante.

La Commission nationale de déontologie permettra de garantir de façon incontestable et impartiale le respect de ces règles.

Je note que le Sénat a, sur ce principe, manifesté son accord. Je note aussi l'adhésion de nombreux professionnels de la sécurité à la création de cette commission, notamment les syndicats de police.

Je note enfin que dans beaucoup de pays, notamment européens, il existe des dispositifs similaires qui donnent satisfaction.

Pour toutes ces raisons, nous approuverons évidemment ce texte.

En conclusion, je voudrais vous dire, monsieur le ministre, que la solution retenue par la commission des lois, à savoir donner au champ d'application de cette commission une définition générique est une solution satisfaisante.

Bruno Le Roux a rappelé que ce domaine d'activité est extrêmement évolutif et le fait de fixer une liste présenterait l'inconvénient d'oublier un certain nombre d'institutions ou d'organismes qui pourraient être concernés.

Aussi, l'amendement retenu par la commission des lois me semble répondre de façon satisfaisante à la question qui a été posée. Sous réserve de son adoption, le groupe socialiste s'associera pleinement à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, monsieur le rapporteur, nous sommes amenés aujourd'hui à examiner en deuxième lecture - il s'est d'ailleurs passé du temps depuis la première lecture - un projet de loi portant création d'une Commission nationale de déontologie de sécurité.

Personne ne conteste que la déontologie, qui est la science des devoirs, ne puisse et ne doive s'appliquer au domaine de la sécurité et, dans toute démocratie, il est nécessaire de rechercher l'équilibre entre la force indispensable pour assurer le respect de la loi et le respect de la personne humaine, même si cette personne a commis un crime ou un délit.

Le texte que vous nous proposez aujourd'hui, même amendé par le Sénat, présente cependant à nos yeux un certain nombre de défauts majeurs.

Le premier - cela a déjà été souligné en commission des lois, auquel le rapporteur est devenu sensible, et j'en suis très heureux -, c'est la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante - une de plus -, chargée de veiller au respect de la déontologie.

Nous sommes nombreux à manifester notre inquiétude face à la multiplication d'autorités qui n'ont aucune légitimité populaire, aucune base d'implantation locale par le relais des élus et qui apparaissent souvent comme un moyen de contourner une difficulté, bref, comme un manque de courage des politiques.

Cette situation écarte des décisions ou des propositions les représentants du peuple qui, dans le système républicain, sont les seuls à pouvoir faire des propositions et légiférer. Je note au passage que la constitution de cette commission ne comporte que deux élus dont un seul élu du suffrage universel direct et que le choix des personnalités ne préjuge pas obligatoirement d'une compétence particulière sur le sujet concerné. Nous évoluons insensiblement vers une république des experts sans lien direct avec les réalités ou la représentation populaire.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est vrai !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Le parlementaire, vous l'avez souligné, est le filtre et la courroie de transmission, mais est-il seulement une boîte aux lettres ou un facteur qui apporte la réclamation à la Commission ? Si le filtre est trop serré, il sera accusé de complaisance vis-à-vis des


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forces de l'ordre ; si le filtre est trop lâche, celui-ci sera inutile et le parlementaire participera d'une certaine manière aux plaintes abusives.

Le deuxième reproche réside dans la difficulté de définir la place de la Commission à côté du pouvoir hiérarchique, qui s'impose au moins pour les services de l'Etat, et de l'autorité judiciaire, qui s'impose à tous les citoyens.

Si cette commission avait procédé vis-à-vis des forces de sécurité de la même façon que la Cour des comptes vis-àvis de l'administration ou des collectivités territoriales, elle aurait pu, en effet, avec l'aide de la profession - car les règles de déontologie doivent d'abord être élaborées par la profession elle-même - contrôler sur le terrain la situation, proposer des règles de déontologie applicables à t ous, effectuer un rapport annuel et édicter des recommandations.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué l'idée d'un médiateur spécialisé de la sécurité. Si le projet de loi cor respondait à cet état d'esprit, nous y adhérerions volontiers. Mais il ne nous semble pas que, dans l'état actuel de la proposition, ce soit cet équilibre de médiation qui soit proposé.

En effet, la Commission apparaît malheureusement dans votre texte souvent comme un système judiciaire bis qui ne va pas jusqu'au bout de sa logique : elle enquête, auditionne, vérifie, voire perquisitionne, mais elle est contrainte de s'écarter sans s'effacer complètement lorsque la justice est saisie et fonctionne alors en parallèle.

Elle a l'apparence de la justice, sans - bien sûr et heureusement ! - le pouvoir de la justice. Elle concurrence la justice sans la remplacer.

Sa véritable mission étant ainsi mal définie, on peut craindre qu'elle soit totalement dépourvue de pouvoir en dehors du pouvoir médiatique d'avoir été l'objet d'une loi et d'apaiser la bonne conscience de certains à peu de frais.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que le Premier ministre avait pris l'engagement de créer cette commission. Dans le même ordre d'idée et la même envolée lyrique, il avait envisagé de supprimer les renseignements généraux, qualifiés de police politique.

Je constate que le pragmatisme de l'exercice du pouvoir a fait renoncer à un certain nombre de promesses de l'époque. Mais puisque M. le ministre a dit que les esprits cheminent, peut-être faudrait-il travailler à ce que ce respect de la déontologie se fasse dans un cadre moins lyrique et plus pragmatique.

M. Jean-Luc Warsmann.

Remarque pertinente !

M. Jean-Antoine Leonetti.

A cette imprécision s'ajoute le fait que le domaine de compétence de la Commission regroupe des secteurs très disparates. La police, la gendarmerie bénéficient déjà de contrôles. Ils possèdent une histoire, une hiérarchie structurée, une culture républicaine des droits et des devoirs.

Les services de sécurité privés, en revanche, qui se sont considérablement développés ces dernières années - et une cause est peut-être justement l'impossibilité de l'Etat d'assurer la sécurité des citoyens - évoluent dans un cadre législatif qui mériterait d'être précisé. Or, les textes, vo us le savez, monsieur le ministre, datent de 1963. Ils sont largement obsolètes et laissent à ces services de sécurité privés un champ d'action qui dépasse le cadre qui devrait être le leur conformément à la déontologie et à l'esprit républicain.

De manière peu compréhensible, l'administration pénitentiaire était restée, en première lecture, en dehors du champ de la compétence de la commission. En 1998, nous avions évoqué devant vous le risque de voir les droits de l'homme ne pas être totalement respectés dans les prisons françaises, compte tenu des mauvaises conditions de détention. Ce débat, à l'époque, avait été jugé irrecevable. L'actualité nous a rattrapés. Nous savons aujourd'hui que le débat que vous n'avez pas voulu aborder à l'époque était nécessaire et j'espère que le champ d'action de la commission pourra s'étendre à ce domaine dans lequel le respect de l'homme est remis en cause dans notre démocratie.

Enfin, troisième reproche, le débat sur le projet de loi reste pour certains membres de la majorité un moyen de suspecter illégitimement les forces de l'ordre de la République et de jeter le discrédit sur celles-ci.

M. Jean-Pierre Blazy.

Certainement pas !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Où avez-vous entendu dire cela ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Je vais vous donner des citations.

On peut légitimement s'interroger sur la médiatisation dont font l'objet tous ces problèmes.

Lors de la première lecture, il a été dit que la Commission était censée « percer les secrets des commissariats ».

Ces propos ont été tenus ici-même et figurent au Journal officiel

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est une citation exacte !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Il a également été dit que la Commission était censée mettre fin à la « faiblesse congénitale du pouvoir judiciaire vis-à-vis des forces de sécurité ». Ces propos ont été tenus en commission des lois et versés également au Journal officiel

M. Jean-Luc Warsmann.

Oui !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Hier, en commission des lois, c'est le Sénat qui, à son tour, était devenu suspect d'avoir fait traîner volontairement le texte jusqu'à ce jour pour protéger la police ou la gendarmerie, et en retarder l'échéance fatale.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est honteux !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Personne n'a jamais dit ça !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Peu importe, d'ailleurs, finalement, pour les élus de la majorité qui ont tenu ces propos, que le texte soit efficace ou pas, républicain ou pas. L'important, c'est surtout d'afficher une loi en laissant entendre que, au fond, il y a des choses que l'on ne sait pas, des secrets inavoués, des « bavures » inconnues, protégés par la loi du silence.

Vous avez, monsieur le ministre, à juste titre, fortement et maintes fois souligné combien le travail des forces de l'ordre est difficile : il demande du sang-froid, du courage. Et nous savons - d'ailleurs vous l'avez affirmé devant l'Assemblée nationale - que vous avez donné des instructions pour que les règles de déontologie soient respectées.

Les forces de l'ordre subissent provocations et violences. Elles répliquent par le rappel de la loi républicaine et en n'utilisant que la force nécessaire pour la faire respecter. Les manquements à ces règles sont rares et, lorsqu'ils existent, sanctionnés, et les policiers et les gendarmes savent que la loi s'applique à eux comme à tous et même plus strictement qu'aux autres. Le débat qui est entretenu par certains autour de ce texte est susceptible d'accréditer l'idée que ce n'est pas le cas.


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Entre la tyrannie de la force sans la justice et l'impuissance de la justice sans la force, comme l'écrit Pascal, que vous aimez à citer, monsieur le ministre, il faut trouver l'équilibre dans le respect de la loi républicaine. L'esprit de ce texte ne respecte pas aujourd'hui cet équilibre.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que le groupe UDF ne votera pas ce projet de loi en l'état.

M ais, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, les idées cheminent. Ce qui, il y a deux ans, était iconoclaste devient aujourd'hui envisageable, et M. le rapporteur a dit qu'il était sensible à un certain nombre de nos arguments.

Vous avez souhaité vous-même, monsieur le ministre, que la patte de l'Assemblée nationale modèle ce texte. Si nous pouvons y ajouter la griffe de l'opposition de l'Assemblée nationale, peut-être un jour trouverons-nous, sur ce sujet sensible et important, un texte consensuel.

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Mais vous n'avez déposé aucun amendement...

!

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité sera un élément essentiel de la politique de sécurité du Gouvernement. Le Sénat, semble-t-il, l'a bien compris puisqu'il convient de l'intérêt de la création de cette instance.

Encore récemment, à l'occasion du Conseil de sécurité intérieure du 6 décembre dernier, le Premier ministre rappelait que la sécurité est un droit et l'insécurité une inégalité sociale.

L'action du Gouvernement est tournée vers la recherche d'une sécurité égale pour tous les citoyens sur l'ensemble du territoire. Cela ressortit à la responsabilité régalienne de l'Etat et à la mise en oeuvre d'un principe républicain fondamental.

Cependant, l'offre de sécurité connaît depuis plusieurs a nnées de profonds bouleversements. Nous parlons aujourd'hui de coproduction de la sécurité : sécurité publique, d'une part ; sécurité privée, d'autre part. Et les effectifs de cette dernière sont considérables. Il est donc indispensable de réguler au niveau des principes déontologiques - c'est-à-dire des devoirs auxquels sont astreints les agents de sécurité, qu'ils soient publics ou privés cette diversité et cette diversification de l'offre de sécurité.

Le texte qui nous parvient en deuxième lecture, deux ans après la première lecture - c'est, hélas ! un peu trop long, monsieur le ministre - fait partie d'un triptyque législatif concernant la production de sécurité avec la loi sur les polices municipales et la future loi sur la sécurité privée.

J'ouvre un instant une parenthèse pour vous poser deux questions à ce sujet, monsieur le ministre.

On attend avec impatience sur le terrain la parution des textes d'application qui devraient permettre la mise en oeuvre de la loi sur les polices municipales,...

M. Jean-Antoine Leonetti.

Très juste !

M. Jean-Pierre Blazy...

à savoir les nouvelles compétences, la convention de coordination mairie-préfet-procureur et, précisément, le code de déontologie des agents de police municipale. Quand comptez-vous publier ces textes ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Les décrets devaient paraître en décembre dernier !

M. Jean-Pierre Blazy.

Par ailleurs, il serait souhaitable que le projet de loi sur la sécurité privée puisse être présenté devant notre assemblée dans les meilleurs délais.

Pouvez-vous nous en indiquer, monsieur le ministre, l'état d'avancement ? Je ferme la parenthèse.

L'autorité administrative indépendante que nous voulons créer aura donc pour mission de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République sans préjudice des prérogatives que la loi attribue, notamment en matière de direction et de contrôle de la police judiciaire, à l'autorité judiciaire.

Certains peuvent considérer qu'il s'agit d'une énième autorité indépendante, qu'il ne convient pas de déposséder l'administration de l'exercice de ses prérogatives, et donc de sa capacité à se contrôler elle-même, en particulier sur le plan déontologique, voire d'exonérer les politiques de leurs responsabilités. Je ne le crois pas.

Force est de constater que la France est trop régulièrement encore condamnée pour des faits graves par la Cour européenne des droits de l'homme ! Il ne s'agit pas, monsieur Leonetti, de suspecter les institutions chargées de la sécurité. Mais force aussi est de constater que nos concitoyens, tout en aspirant à vivre en sécurité, ont encore trop souvent une image négative des forces de sécurité.

En effet, si l'un des exutoires essentiels au sentiment d'insécurité réside dans la confiance qu'inspirent les forces de sécurité, la sécurité elle-même est déterminée par le respect voué à ses représentants.

Si la mise en place de la police de proximité est essentielle à cet égard, parce qu'elle permet de rapprocher la police des citoyens, la Commission de la déontologie permettra à chaque citoyen d'avoir, par l'intermédiaire d'un parlementaire, un interlocuteur indépendant et reconnu qui garantira le respect de ses droits.

On ne peut que souhaiter, qu'au bout du compte, il soit possible de briser l'image trop souvent répandue, notamment dans les banlieues, du policier raciste bénéficiant de l'impunité ou de l'agent de sécurité d'une grande surface par trop irrespectueux et violent.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Si vous n'entreteniez pas cette idée...

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est une image. Je n'ai pas dit que c'était la réalité.

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est une image que vous entretenez ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Blazy.

Absolument pas ! En tout cas, certainement pas pour ce qui me concerne.

M. Jean-Antoine Leonetti.

La preuve !

M. Jean-Pierre Blazy.

La Commission nationale de déontologie constituera donc une garantie supplémentaire apportée au bon fonctionnement de notre Etat de droit.

Et c'est cela qui est important. Elle devrait permettre aussi de conforter la politique du Gouvernement en matière de droit des victimes, ce qui est aussi essentiel.

Après la « non-réforme » qu'a constituée en 1993 la création du Haut Conseil de la police nationale, le présent texte doit contribuer sur la question essentielle du droit à la sûreté et à la liberté, à la mise en place d'u n nouveau pacte républicain, dont nous avons tant besoin, en permettant à chaque citoyen de devenir acteur de la sécurité,...


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M. Jean-Luc Warsmann.

Ce sont des mots !

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est l'autodéfense !

M. Jean-Pierre Blazy.

... car, comme l'affirmait le Premier ministre lors du colloque de Villepinte, la sécurité

« dépend pour une large part des relations de confiance établies entre les services en charge de la sécurité et la population ».

Munie des moyens nécessaires et d'un champ de compétences élargi à tous les aspects de la sécurité, elle sera un instrument incontournable garante du respect des droits de l'homme dans notre pays.

Le Gouvernement s'est emparé de la question de la sécurité de manière responsable et approfondie, refusant tout à la fois le discours sécuritaire qui prône le tout répressif, et l'angélisme qui tend à exonérer la personne de ses responsabilités individuelles.

Ce texte, monsieur le ministre, mes chers collègues, réaffirme une nouvelle fois l'engagement du Gouvernement à faire du respect du droit à la sécurité une priorité nationale.

Je souhaite que nous trouvions ici comme au Sénat le consensus nécessaire pour aboutir rapidement et définitivement sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd'hui à examiner en deuxième lecture le projet de loi portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Lors de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, les membres de l'opposition avaient exprimé les réserves que leur inspirait le projet. Je tiens à les renouveler aujourd'hui.

Bien sûr, nous sommes tous, sur tous les bancs de cet hémicycle, sensibles à l'exigence de déontologie, laquelle d'ailleurs n'a cessé de se renforcer au fil des années. Mais examinons successivement les questions que pose ce texte.

Première question : existe-t-il aujourd'hui des principes de déontologie formalisés et applicables ? A écouter certains orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, on aurait pu croire que ce texte fondateur - il est bizarre d'ailleurs que, pour un texte fondateur, on laisse passer deux ans entre la première et la deuxième lecture ! - allait créer des principes de déontologie. Mais ceux-ci existent depuis longtemps. Ils ont été formalisés à de multiples reprises.

Entre la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, et l'arrêté du 22 juillet 1996 portant règlement général de l'emploi de la police nationale, de nombreux textes ont été adoptés sur de nombreuses matières : je pense aux textes particuliers s'appliquant à l'armée et à la gendarmerie ou encore à la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds.

Un corpus de principes déontologiques existe déjà. Il n'y a rien à inventer.

Deuxième question : que se passe-t-il aujourd'hui lorsque la déontologie est bafouée ? Deux situations se présentent. S'il s'agit d'une faute disciplinaire, la hiérarchie et l'inspection générale des services sont saisies. S'il s'agit d'une infraction, le procureur de la République est saisi et la machine judiciaire se met en marche.

Comme plusieurs collègues l'ont dit avant moi, la création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité apparaît de manière incontestable comme un désaveu, comme un constat d'échec ou, plutôt, d'inefficacité, pour les deux procédures que je viens de citer et les différents corps chargés aujourd'hui de faire respecter la déontologie, qu'il s'agisse de la voie hiérarchique ou de la voie judiciaire.

Ce désaveu, ce constat d'échec, je ne peux l'approuver.

Si les procureurs de la République ne traitent pas avec suffisamment d'attention les plaintes pour non-respect de la déontologie, que le ministre de la justice ne donne-t-il une directive de politique générale ! Que le ministère de la justice n'exerce-t-il enfin pleinement la politique p énale, comme nous l'y convions depuis plusieurs années ! Ce trouble, qui conduit à la création d'une commission nationale intermédiaire entre le pouvoir hiérarchique et le pouvoir judiciaire, on le retrouve tout au long du texte. J'en donnerai plusieurs exemples.

Premier exemple : comment définir le pouvoir de cette commission ? On voit, à la lecture de l'article 6, que vous essayez de construire un pouvoir d'investigation, une pâle copie d'un pouvoir d'instruction, une sorte de droit de visite, mais ce pouvoir, ce droit, ne peut qu'être limité.

Le droit de visite ne peut s'exercer que dans les lieux p ublics ou professionnels, et encore sous certaines réserves, parce que, si vous l'étendiez, vous seriez tout simplement frappés d'inconstitutionnalité.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

C'est la raison pour laquelle nous ne l'étendons pas !

M. Jean-Luc Warsmann.

Le Conseil constitutionnel ar appelé en 1984 que toutes mesures d'instruction requièrent la présence de magistrats pour les contrôler ou les ordonner. J'ai d'ailleurs lu dans le Journal officiel - ce qui est significatif - qu'un orateur de la majorité avait dit que la Commission avait un rôle à la limite du droit pénal. Cela montre bien la difficulté qu'il y a à définir son rôle.

L'article 8 du projet qui nous est présenté est à cet égard édifiant. Il a pour objet d'essayer de traiter les problèmes de concurrence entre la nouvelle commission et la justice.

Au premier alinéa, il est précisé que « la Commission ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction » et qu'« elle ne peut remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle ».

M. Jean-Antoine Leonetti.

Cela vaut mieux !

M. Jean-Luc Warsmann.

Heureusement qu'il en est ainsi ! Mais le trouble est tel qu'on a jugé indispensable, la commission se trouvant à la limite du judiciaire et du hiérarchique, de le rappeler.

Il est ensuite proposé une solution pour éviter toutes plaintes infondées : le filtre des parlementaires. C'est une illusion, mes chers collègues ! Quel filtre les parlementaires exercent-ils actuellement lorsque des citoyens leur demandent de saisir le médiateur de la République ? Aucun ! Ne disposant d'aucuns moyens d'investigation, ils ne donnent aucun avis sur la réclamation et la transmettent directement au médiateur, estimant de leur devoir de donner à tout citoyen l'occasion de faire jouer cette possibilité de recours.

Dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, cela risque d'être la même chose, d'autant que si un parlementaire refuse de transmettre, celui d'une circonscription voisine le fera.

Il s'ensuivra, comme cela a été fort bien dit en première lecture, que toute plainte, quelle que soit sa nature, et même si elle est injurieuse ou diffamatoire, sera trans-


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mise, au sein d'un dispositif où les possibilités de défense des personnnes mises en cause seront extrêmement légères.

Mes chers collègues, il existe dans notre pays des dysfonctionnements dans les services de police ou de justice.

Et nous sommes nombreux, sur tous les bancs de cette assemblée, à les dénoncer.

Oui, certains locaux de garde à vue ne sont pas convenables. Mais nous n'avons pas besoin de voter ce texte pour qu'il y soit remédié. Nous avons devant nous le ministre de l'intérieur qui a tous pouvoirs pour décider d'un programme de remise en état de ces locaux.

Oui, l'état des prisons n'est pas digne d'une démocratie à l'aube du

XXIe siècle. Mais nous n'avons pas besoin de ce texte pour autant.

Pis, on ne veut pas appliquer ce texte dans les prisons, là où, chacun le sait, les difficultés sont les plus importantes.

En conclusion, mes chers collègues, la création d'une autorité dite administrative indépendante ressemble fort à la fois à un constat d'échec, à un désaveu des autorités chargées aujourd'hui de contrôler la déontologie, et à une volonté de se débarrasser d'un problème difficile. Pour nous, ce texte traduit un manque de confiance à l'égard des forces de l'ordre, de police, de gendarmerie, ou à l'égard des magistrats ou des procureurs de la République. Vu les difficultés actuelles pour lutter contre la délinquance, nous ne pouvons pas partager un tel constat.

Les orateurs de la majorité ont avancé un argument pour que nous votions tous ce texte : le Sénat l'a voté à l'unanimité.

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est vrai !

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais pas plus tard qu'il y a deux jours, mes chers collègues de la majorité, mardi matin, le fait que le Sénat ait voté à l'unanimité une proposition de loi ne vous a pas empêchés de voter contre.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann.

Laissez donc chaque groupe parlementaire, chaque assemblée se prononcer en âme et conscience et, au stade actuel de la rédaction de ce texte, le groupe RPR à l'Assemblée nationale ne pourra pas l'approuver. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est vraiment dommage !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Encore un petit effort, monsieur le rapporteur !

M. le président.

La parole est à M. Patrice Carvalho, dernier orateur inscrit.

M. Patrice Carvalho.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, sans nul doute, l'application des dispositions du projet de loi que nous allons adopter portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité devrait apporter un certain nombre de garanties à nos concitoyens.

L'insécurité est un problème de société que l'activité de la Commission nationale devrait permettre de mieux traiter si on la replace dans la perspective du colloque de Villepinte de 1997, qui tendait à fixer les bases d'une police de proximité associant l'ensemble des acteurs de la vie sociale.

Mais, vous l'avez dit, monsieur le ministre, cet objectif n'a de sens et de portée que s'il repose sur une relation de confiance effective entre les citoyens et tous ceux qui apportent une contribution à leur sécurité.

Cette relation est aujourd'hui mal ressentie tant le sentiment d'insécurité, alimenté par la multiplication des i ncivilités, les mille petites agressions quotidiennes viennent troubler la vie.

Ce n'est pas ce que vous faites, mais je crois devoir rappeler que nous ne pouvons aborder la question de la sécurité de manière étroite.

La montée en puissance de la violence, qui trouve ses racines dans la tension, la souffrance, la colère, les problèmes de l'emploi, de l'école, de la famille, nécessite à l'évidence la mobilisation de tous si l'on veut rétablir le droit, garant de la cohésion sociale et du vivre ensemble.

Redéfinir la place de l'Etat et des politiques publiques, restaurer les valeurs de la République et de la laïcité recouvrent une dimension prioritaire quand il y a urgence à recomposer le tissu social, à créer des liens civils et civiques, à faire vivre un principe de responsabilité et de citoyenneté. Quiconque vit en société a besoin d'avoir confiance dans les institutions de son pays.

C'est dans cette démarche que nous situons ce projet de loi, qui constitue à nos yeux une avancée réelle en matière de liberté. En effet, les règles déontologiques qui encadrent toute profession mettant en jeu les droits natu-r els et imprescriptibles de l'individu doivent être incontestables.

La déontologie de la sécurité n'échappe pas à ce principe en ce sens qu'elle recouvre une part essentielle des libertés individuelles et collectives. A travers celles-ci, sont concernés, dans le vécu quotidien, la liberté d'aller et venir, l'intégrité, la dignité de la personne humaine, le respect de la vie privée et du domicile, ainsi que des libertés collectives, comme le droit de manifester ou le droit de réunion.

La mise en place d'une autorité indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie en matière de sécurité, donc de garantir le respect par les acteurs de la sûreté des règles de leur mission, répond non seulement aux aspirations de nos concitoyens mais aussi à celles des personnels concernés, qui déplorent souvent certaines attitudes sans pouvoir protester ni saisir leur hiérarchie.

Savoir que la Commission pourra être saisie recèle en soi une certaine vertu de prévention.

Certes, l'idée n'est pas nouvelle. Qu'il s'agisse du code de la déontologie de la police, élaboré en 1986, du Conseil supérieur de l'activité de la police, chargé des questions relatives au fonctionnement de la police nationale, créé en 1993, ou encore de la transformation de ce dernier, sous l'égide de M. Pasqua, en Haut Conseil de la déontologie de la police nationale, chargé de donner des avis sur la déontologie policière, tout confirme que la transparence sur l'action des personnes chargées d'assurer la sécurité n'est pas superflue.

L'on pourrait s'interroger aujourd'hui sur l'opportunité de créer une nouvelle instance...

M. Jean-Antoine Leonetti.

On pourrait !

M. Patrice Carvalho.

... chargée de veiller au respect des règles de bonne conduite applicables à l'ensemble des intervenants dans le domaine de la sécurité.

S'agit-il là d'un signe de défiance à l'égard des personnes concernées ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Oui !


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M. Patrice Carvalho.

Nous ne le pensons pas et considérons au contraire que le champ d'application et l'ensemble des prérogatives assignés à cette nouvelle autorité donnent à leur action un cadre transparent qui répond à la volonté de tous.

La grande originalité de ce projet de loi, c'est de donner compétence à la Commission pour apprécier tout manquement déontologique, quel que soit le statut de la personne qui l'a commis, dès lors que celle-ci « concourt à une activité de sécurité ». Qu'il s'agisse d'un officier de police judiciaire, d'un agent de police municipale ou d'un salarié d'une société privée de gardiennage, ces personnes sont tenues au respect des mêmes valeurs.

Cet élargissement du champ de compétence de la Commission pour exercer son contrôle répond à l'idée que l'activité de sécurité doit être entendue au sens large.

Il s'agit à l'évidence de ce qui peut se passer dans la rue, dans un commissariat, un centre de rétention, mais également dans les entreprises, où d'aucuns peuvent être tentés d'exercer, par l'intermédiaire de leur service de sécurité, des pressions illégales, par exemple sur l'action syndicale.

Le champ d'investigation de la Commission concerne aussi les rapports entre les grandes surfaces et leurs usagers, comme d'ailleurs les services d'ordre bénévoles qui sont mis en place à l'occasion d'une réunion publique ou d'une manifestation.

Ces dispositions confirment que la sécurité n'est pas aujourd'hui le seul fait de l'administration. Elle peut être l'oeuvre de personnes privées, qui, on doit bien l'admettre, sont soumises à des contrôles plus restreints, et encore, quand ils existent.

La force du projet de loi que nous examinons est précisément de fédérer au sein d'une même instance des principes déontologiques dès lors que l'intervention des différents acteurs de sécurité les place dans un rapport d'autorité vis-à-vis du citoyen.

Vous l'aurez compris, la création de cette autorité administrative indépendante emporte l'assentiment des députés communistes.

L'un des points sur lesquels il y a légitimement débat concerne l'extension des compétences de la Commission nationale à l'administration pénitentiaire.

En mars 1998, lors de l'examen de ce texte en première lecture, les députés communistes, conscients que l'administration pénitentiaire ne pouvait être assimilée à une force de sécurité publique, avaient néanmoins déposé un amendement intégrant les établissements pénitentiaires dans le champ d'investigation de la Commission nationale tant ils souhaitaient que la clarté soit faite sur les graves problèmes qui se posaient dans les prisons.

Les explications que le Gouvernement a données à l'époque pour exclure les agents de l'administration pénitentiaire étaient guidées par un souci d'efficacité. Nous les avions entendues. En effet, et comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, un code de déontologie de l'administration pénitentiaire est en cours d'élaboration.

En même temps, il est clair que l'attente des personnels de surveillance est trop forte pour que nous réagissions aujourd'hui uniquement sous le coup de l'émotion suscitée par la publication du livre du docteur Vasseur.

M. Jean-Antoine Leonetti.

On était au courant avant la publication du livre !

M. Patrice Carvalho.

Nous savons que les conclusions de la commission présidée par M. Canivet devraient être connues rapidement. Nous savons aussi qu'une commission d'enquête parlementaire sur le fonctionnement des prisons françaises devrait entreprendre ses travaux sans attendre, mais force est de constater que de nombreuses précisions méritent d'être apportées aux interrogations qui se sont posées tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, qui, pour sa part, a intégré l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la Commission.

Sans remettre en cause l'approbation des députés communistes sur la philosophie générale de ce projet de loi, nous attendons des éclaircissements sur ce dernier point, qui constitue pour nous une des questions d'importance.

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l'intérieur.

Je regrette que les députés de l'opposition n'aient pas vu l'intérêt de créer cette autorité administrative indépendante, qui est de donner plus de transparence, de crédibilité et d'autorité à un certain nombre d'avis très importants du point de vue du strict respect de la déontologie de sécurité. J'y suis très attaché , s'agissant de la police nationale, bien que je m'efforce d'éviter les mises en cause injustes qui peuvent se produire dans la culture du temps, mais c'est une chose essentielle bien au-delà de la police nationale. Aujourd'hui, en effet, les activités de sécurité sont également exercées non seulement par la gendarmerie nationale, mais aussi par les polices municipales et par des sociétés privées de sécurité.

On a évoqué sur ces bancs l'administration pénitentiaire. C'est un cas très particulier, mais je souhaite qu'à l'occasion de la discussion des amendements, nous puissions aller plus avant et nous expliquer.

Je sens que plusieurs d'entre vous sont assez près de reconnaître le bien-fondé de ce projet de loi, qui a d'ailleurs été approuvé par toutes les sensibilités du Sénat, je vous le rappelle, d'autant plus que M. Leonetti a terminé son intervention par le souhait qu'il puisse y avoir un accord, mais il faudrait savoir à quelles conditions.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Il y a eu un bon cheminement depuis le début de l'examen du texte !

M. le ministre de l'intérieur.

Qu'est-ce qui nous sépare alors d'un consensus ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Je vous l'ai dit tout à l'heure !

M. le ministre de l'intérieur.

Enfin, je remercie les parlementaires de la majorité du soutien constant qu'ils ont apporté à ce texte. Il est vrai qu'il a cheminé avec un peu d e lenteur, mais cela est dû essentiellement à l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire. Nous approchons maintenant de la conclusion, et cette autorité administrative indépendante va pouvoir être mise sur pied.

Je conçois tout à fait les inquiétudes qui ont pu s'exprimer ici.

M. Carvalho a évoqué le problème de l'administration pénitentiaire. Nous allons y revenir.

M. Blazy m'a posé une question sur l'application de la loi sur les polices municipales et m'a demandé si nous entendions bientôt présenter au Parlement la loi sur les activités de sécurité privée.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Préalable indispensable !

M. le ministre de l'intérieur.

S'agissant des polices municipales, neuf décrets statutaires ont été publiés à ce jour au Journal officiel , trois décrets, portant respectivement sur l'armement, les conventions de coordination entre la police nationale et les polices municipales...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est ça l'important !

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est l'essentiel !

M. le ministre de l'intérieur.

... et les infractions au code de la route, qui sont de la compétence des policiers m unicipaux, sont actuellement au contreseing des ministres, et seront publiés dans les tout prochains jours.

M. Jean-Pierre Blazy.

Très bien !

M. le ministre de l'intérieur.

Les préfets auront donc le devoir, dans les six mois, de faire en sorte que les conventions de coordination soient signées.

Enfin, il reste un décret sur la commission consultative des polices municipales. Il est soumis aujourd'hui au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale.

Nous sommes, en effet, obligés de prendre l'avis d'un certain nombre d'instances et tout cela n'accélère pas le processus. Ce décret, le dernier, sera ensuite soumis au Conseil d'Etat, puis sera publié.

Vous m'avez également posé une question sur les activités privées de sécurité. Le projet de loi renforçant la législation actuelle, qui date de 1983, est en cours d'examen au Conseil d'Etat. Il sera donc très rapidement présenté au conseil des ministres, dès le mois d'avril, je p ense, et viendra ensuite en discussion devant le Parlement dès que l'ordre du jour parlementaire le permettra.

Je tiens encore une fois à remercier M. Le Roux, le rapporteur de la commission des lois, qui a trouvé une formule qui dit bien ce qu'elle veut dire : cette Commission nationale de la déontologie de sécurité sera un médiateur spécialisé dans la sécurité. C'est effectivement ce que l'on peut attendre de cette instance qui sera un recours supplémentaire utile, une autorité transparente, incontestable, qui ne s'opposera nullement, monsieur Warsmann, au pouvoir hiérarchique ou au pouvoir judiciaire, mais qui contribuera en quelque sorte à mieux faire respecter la déontologie de sécurité dans notre pays.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il n'est pas de la responsabilité du rapporteur de reprendre tous les points sur lesquels nous divergeons mais je ne voudrais pas laisser planer un doute et laisser croire que ce texte serait dû à une quelconque suspicion envers l'action des agents, notamment de l'Etat, chargés de sécurité.

Je ne détaillerai pas les mesures adoptées depuis le début de la législature pour requalifier - je n'hésite pas à employer ce mot - le métier d'agent de sécurité publique, de policier, de gendarme dans notre pays : moyens supplémentaires budget après budget, mise en place d'une police de proximité.

Nous avons entendu les principaux syndicats de la police nationale : l'Alliance, l'UNSA, le syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale. J'ai entendu aussi le syndicat général de la police et les syndicats de la pénitentiaire. Personne n'a laissé entendre que ce texte pourrait traduire une quelconque défiance par rapport à leur action. Tous ont souhaité que cette Commission nationale de déontologie soit mise en place le plus rapidement possible et, à aucun moment dans les débats, que ce soit en commission ou dans cet hémicycle, on n'a parlé de défiance.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est faux !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Lisez bien le Journal officiel

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il n'empêche pas que vous avez connaissance, comme moi, d'un certain nombre de comportements, qui sont d'ailleurs pris en charge par l'administration, par des contrôles internes. Ce texte apporte une dimension supplémentaire en matière de déontologie et, en aucun cas, il n'est vécu par ceux qui travaillent dans les professions de sécurité, notamment publiques, comme un signe de défiance.

Dernier point, pour souligner le cheminement de l'opposition. En première lecture, vous vous opposiez en défendant des amendements. En deuxième lecture, vous vous opposez sans en présenter.

M. Jean-Luc Warsmann.

Vous les refusez tous ! Arrêtez de polémiquer ! Vous êtes rapporteur !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Jamais un amendement n'a été accepté !

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'est pas à la hauteur du débat !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Je remarque simplement que vous prétendez faire un cheminement et que le seul amendement de l'opposition tend à supprimer purement et simplement le texte. Vous disiez tout à l'heure des mots à la tribune. On a là une volonté qui n'est pas étayée par le travail réalisé, notamment en commission des lois.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est faux !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Compte tenu du chemin que vous avez fait entre la première et la deuxième lecture, on peut espérer que vous reviendrez à la raison en troisième lecture !

M. le président.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président.

En application de l'article 91, alinéa 9, du règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, les articles du projet de loi sur lesquels les deux Assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Article 1er

M. le président.

« Art. 1er La Commission nationale de déontologie de la sécurité, autorité administrative indépendante, est chargée, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue notamment en matière de direction et de contrôle de la police judiciaire, à l'autorité judiciaire, de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République.

« Sont concernés, à ce titre, lorsqu'ils concourent à une activité de sécurité, les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la douane et de l'administration pénitentiaire ainsi que les gardes forestiers, les agents des collectivités territoriales et des établissements publics. Sont également concernées toutes personnes physiques et morales de droit privé assurant, à titre permanent ou occasionnel, à titre principal ou accessoire, y compris bénévolement, des activités de sécurité. »

M. Gantier a présenté un amendement, no 6, ainsi rédigé :

« Supprimer l'article 1er »

La parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier.

Il s'agit simplement de rendre ce texte inapplicable. J'ai expliqué très clairement tout à l'heure les raisons pour lesquelles il me paraît non seulement inutile mais même nocif de créer une Commission nationale de déontologie de la sécurité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

Demandez à l'homme de la rue à quoi servira cette nouvelle commission. Il ne saura pas vous répondre ! Si l'on veut créer des commissions, on peut en créer sur la sécurité alimentaire, et ce serait parfaitement opportun en ce moment, les violences à l'école, les banlieues difficiles, les fusions d'entreprises et je ne sais trop quoi encore. Il n'y aura plus qu'à fermer le Parlement car il sera remplacé par des commissions administratives.

C'est aux élus de prendre leurs responsabilités, ce n'est le rôle de commissions administratives irresponsables.

Notre arsenal juridique comprend une Constitution, qui est notre loi suprême, ce que le Conseil d'Etat appelle les principes généraux du droit, des lois et des règlements auxquels, par exemple, la police est soumise.

Cette commission créera des lourdeurs administratives multiples sans résoudre aucun problème. Je ne me fais aucune illusion car je sais que la majorité plurielle votera ce texte comme un seul homme. Je tiens tout de même, à ce stade du débat, à rappeler au ministre et au rapporteur que l'Assemblée nationale n'est pas tenue de suivre les avis du Sénat. Le Sénat est une assemblée complètement indépendante et l'Assemblée nationale l'est également.

M. Jean-Luc Warsmann.

Il y a un mois, la majorité voulait supprimer le Sénat ; aujourd'hui, elle l'écoute ! Cela change !

M. Gilbert Gantier.

Pour ma part, je ne me sens pas tenu par les votes du Sénat.

Voilà pourquoi je présente cet amendement de suppression de l'article 1er , afin d'amputer le texte de son dispositif essentiel, et, ainsi, de le rendre inutile, comme je le souhaite.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Je ferai remarquer à l'Assemblée que cet amendement n'avait même pas été déposé en première lecture, c'est-à-dire que, à l'époque, personne n'avait envisagé de proposer la suppression de cette nouvelle instance.

M. Jean-Luc Warsmann.

Si le rapporteur pouvait cesser de polémiquer !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Non, je ne polémique pas. D'ailleurs, si je voulais le faire, il me suffirait de dire que nous avons retenu un grand nombre des amendements déposés au Sénat par la droite.

Vous vous doutez bien que nous souhaitons que ce texte soit adopté. Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l'intérieur.

Défavorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

6. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

M. Le Roux, rapporteur, a présenté un amendement, no 1, ainsi rédigé :

« Supprimer le dernier alinéa de l'article 1er »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il s'agit d'un amendement qui vise à supprimer la liste - forcément limitative puisque c'est une liste - des personnes relevant de la compétence de la nouvelle autorité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les techniques et les champs d'intervention peuvent évoluer, le champ de la sécurité n'est pas aujourd'hui celui qu'il était il y a quinze ou vingt ans. La commission des lois propose donc de définir la compétence organique de la nouvelle autorité en se fondant sur le seul critère matériel : seront concernées toutes les personnes morales ou physiques exerçant une activité de sécurité sur le territoire de la République. Bien entendu, cela risque de donner lieu à des interprétations, mais c'est la façon la plus exhaustive possible de prendre en compte toutes les personnes qui concourent à une activité de sécurité sur le territoire national.

M. Jean-Luc Warsmann. Cela concerne-t-il aussi ceux qui concourent à la sécurité alimentaire ?

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement ?

M. le ministre de l'intérieur.

Tout en comprenant l'intention du rapporteur et de la commission des lois, je me demande si la suppression du dernier alinéa de l'article 1er ne comporte pas un certain nombre d'inconvénients.

D'ailleurs, M. le rapporteur ne vient-il pas de dire que la suppression de cet alinéa, qui énumère les différentes institutions auxquelles s'appliquerait la compétence de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, donnerait lieu à interprétations ? En tant que ministre chargé de présenter le texte au Parlement, je considère qu'il y a là un problème. Selon moi, il ne serait pas bon que le Parlement vote un texte qui ne puisse pas être interprété clairement.

Je sais que les esprits cheminent. L'argument que je viens d'avancer a sa force, mais je reconnais que le souci d'une stricte déontologie de la sécurité est un souci partagé. Se pose évidemment le problème de l'administration pénitentiaire, puisque c'est de cela qu'il s'agit.

Je crois donc qu'il vaudrait mieux dire - et je le dis pour que cela figure au Journal officiel - que la Commis-s ion aura compétence pour connaître, lorsqu'ils concourent à une activité de sécurité, des manquements à la déontologie des agents et personnes suivants : Premièrement, les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes ; Deuxièmement, les agents de l'administration pénitentiaire ; Troisièmement, les gardes forestiers ; Quatrièmement, les agents des collectivités territoriales et des établissements publics ; Cinquièmement, les personnes physiques ou morales de droit privé assurant, à titre permanent ou occasionnel, à titre principal ou accessoire, y compris bénévolement, des activités de sécurité.

Je pense que ce qui va sans dire va encore mieux en le disant : c'est la raison pour laquelle je l'ai dit.

M. le président.

Dois-je comprendre que le Gouvernement est plutôt défavorable à l'amendement no 1 ?

M. le ministre de l'intérieur.

Non. Il y est favorable, sous réserve que les choses soient clairement explicitées.

M. le président.

S'agit-il alors d'une sorte de sousamendement ?

M. le ministre de l'intérieur.

C'est une explication du Gouvernement destinée à éclairer l'interprétation qui pourra être donnée de ce texte, lequel a l'avantage d'être ramassé, mais qui pourrait être source de contestations.

Dès lors que le Gouvernement a fourni une explication qui agrée au rapporteur et, semble-t-il, à la commission des lois, je pense qu'il peut émettre un avis favorable.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

L'explication donnée par M. le ministre permet de préciser le champ de compétence de la Commission nationale et d'éviter ainsi l'écueil d'une énumération limitative. De la sorte, d'autres fonctions pourront ultérieurement relever de la compétence de cette autorité. Donc, pour ma part, je trouve qu'il s'agit d'une bonne précision.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

1. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 1er , modifié par l'amendement no

1. (L'article 1er , ainsi modifié, est adopté.)

Article 2

M. le président.

« Art. 2. La Commission nationale de déontologie de la sécurité est composée de huit membres, nommés pour une durée de six ans non renouvelable :

« le président, nommé par décret du Président de la République ;

« un sénateur, désigné par le président du Sénat ;

« un député, désigné par le président de l'Assemblée nationale ;

« un conseiller d'Etat, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat ;

« un magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation, désigné conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près ladite Cour ;

« un conseiller-maître, désigné par le premier président de la Cour des comptes ;

« deux personnalités qualifiées désignées par les autres membres de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

« La commission est renouvelée par moitié tous les trois ans.

« La qualité de membre de la commission est incompatible avec l'exercice, à titre principal, d'activités dans le domaine de la sécurité.

« Les parlementaires membres de la commission cessent d'y exercer leurs fonctions lorsqu'ils cessent d'appartenir à l'assemblée au titre de laquelle ils ont été désignés.

« Si, en cours de mandat, un membre de la commission cesse d'exercer ses fonctions, le mandat de son successeur est limité à la période restant à courir. Par déroga tion au premier alinéa, le mandat de ce dernier est renouvelable lorsqu'il a commencé moins de deux ans avant son échéance normale.

« Lors de la première constitution de la Commission nationale de déontologie de la sécurité suivant l'entrée en vigueur de la présente loi, sont désignés par tirage au sort quatre membres, à l'exclusion du président, dont les mandats prendront fin à l'issue d'un délai de trois ans. »

Le Gouvernement a présenté un amendement, no 7, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le dixième alinéa de l'article 2 :

« La qualité de membre de la Commission est incompatible avec l'exercice de fonctions ou d'activités dans le domaine de la sécurité ou de la protection. »

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l'intérieur.

Le Sénat a modifié le texte voté par votre assemblée en première lecture en restreignant le champ des incompatibilités aux seules personnes exerçant une activité de sécurité à titre principal.

Or, pour le Gouvernement, le champ des incompatibilités prévu par le texte initial paraît un gage d'indépendance de la Commission. Concrètement, la disposition initiale interdit que soient désignées comme membres de la Commission des personnes qui seraient en même temps maires ou adjoints ayant délégation pour la sécurité publique, comme elle écarte les dirigeants d'une entreprise de surveillance ou de gardiennage, par exemple.

Le maintien de cette incompatibilité - qui, dans les faits, ne devrait guère avoir à s'exercer - reste cependant, aux yeux du Gouvernement, un gage de crédibilité de la nouvelle instance.

Tel est l'objet de l'amendement no

7.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

La commission des lois a trouvé la formulation du Sénat judicieuse. La Commission de déontologie va exercer ses prérogatives non seulement sur ceux qui font profession de sécurité, mais aussi sur ceux qui peuvent l'exercer à titre bénévole. Il nous semble donc que la formulation retenue par le Sénat et qui fait référence au seul exercice à titre principal d'activités dans le domaine de la sécurité a une certaine pertinence. Elle permettra à des élus de communes ayant des polices municipales ou des gardes champêtres d'être nommés membres de la Commission. De la même façon, un conseiller d'Etat qui exerce bénévolement des activités liées à la sécurité dans le club de football de son fils pourra être désigné comme membre de cette instance, ce qui n'était pas possible avec la rédaction initiale.

C'est pourquoi la commission a émis un avis dévorable sur cet amendement, sans pour autant faire de ce point une pierre d'achoppement. Elle a également émis cet avis négatif dans le souci de voir aboutir rapidement la seconde lecture au Sénat.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

J'interviens contre l'amendement, car il montre bien les limites de la constitution de telles autorités. La philosophie de cet amendement peut se résumer ainsi : surtout veillons à nommer dans cette commission des personnes qui ne connaissent rien au secteur particulier sur lequel elles vont travailler. En effet, cet amendement empêcherait à un maire ou à un adjoint ayant délégation pour la sécurité publique, c'est-à-dire des élus qui ont eu à connaître tout particulièrement des problèmes liés à la sécurité, d'être nommés membres de la Commission. Nous atteignons l'absurdité absolue ! Naturellement, je voterai contre cet amendement.

M. le président.

Je crois que l'Assemblée est désormais informée.

Je mets aux voix l'amendement no

7. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 4

M. le président.

« Art. 4. Toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu'ils constituent un manquement aux règles de la déontologie,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

commis par une ou plusieurs des personnes mentionnées à l'article 1er peut, par réclamation individuelle, demander que ces faits soient portés à la connaissance de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Ce droit appartient également aux ayants droit des victimes.

Pour être recevable, la réclamation doit être transmise à la commission dans l'année qui suit les faits.

« La réclamation est adressée à un député ou à un sénateur. Celui-ci la transmet à la commission si elle lui paraît entrer dans la compétence de cette instance et mériter l'intervention de cette dernière.

« La commission adresse au parlementaire auteur de la saisine un accusé de réception.

« Le Premier ministre et les membres du Parlement peuvent, en outre, saisir de leur propre chef la commission de faits mentionnés au premier alinéa.

« La commission ne peut être saisie par les parlementaires qui en sont membres.

« Une réclamation portée devant la Commission nationale de déontologie de la sécurité n'interrompt pas les délais relatifs à la prescription des actions en matière civile et pénale et aux recours administratifs et contentieux. »

Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 5

M. le président.

« Art. 5. La commission recueille sur les faits portés à sa connaissance toute information utile.

« Les autorités publiques doivent prendre toutes mesures pour faciliter la tâche de la commission. Elles communiquent à celle-ci, sur sa demande motivée, toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission telle qu'elle est définie à l'article 1er

« La commission peut demander dans les mêmes conditions aux ministres compétents de saisir les corps de contrôle en vue de faire des études, des vérifications ou des enquêtes relevant de leurs attributions. Les ministres informent la commission des suites données à ces demandes.

« Les personnes privées mentionnées à l'article 1er et leurs préposés communiquent à la commission, sur sa demande motivée, toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission.

« Les agents publics ainsi que les dirigeants des personnes mentionnées au précédent alinéa et leurs préposés sont tenus de déférer aux convocations de la commission et de répondre à ses questions. Les convocations doivent mentionner l'objet de l'audition.

« Les personnes convoquées par application de l'alinéa précédent peuvent se faire assister du conseil de leur choix. Un procès-verbal contradictoire de l'audition est dressé à la suite de celle-ci et remis à l'intéressé.

« La commission peut consulter toute personne dont le concours lui paraît utile.

« Le caractère secret des informations et pièces dont elle demande communication ne peut lui être opposé, sauf en matière de secrets protégés par la loi. »

M. Bruno Le Roux, rapporteur, a présenté un amendement, no 8, ainsi rédigé :

« Dans le quatrième alinéa de l'article 5, substituer aux mots : "mentionnées à l'article 1er ", les mots : "exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il s'agit d'un amendement de coordination.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? M. le ministre de l'intérieur. Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

8. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

M. Le Roux, rapporteur, a présenté un amendement, no 2, ainsi rédigé :

« A la fin du dernier alinéa de l'article 5, substituer aux mots : "secrets protégés par la loi", les mots : "secret concernant la défense nationale, la sûreté de l'Etat ou la politique extérieure". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il s'agit, par cet amendement, de revenir au texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. La disposition proposée s'inspire d u dispositif en vigueur pour le médiateur de la République. Je tiens à souligner que la Commission nationale est elle-même soumise au secret et qu'une défin ition trop extensive des secrets opposables à ses demandes viderait de leur substance ses pouvoirs d'investigation. Nous sommes donc absolument opposés au texte adopté par le Sénat et nous proposons le rétablissement du texte voté par l'Assemblée en première lecture.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l'intérieur.

Défavorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

2.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Contre ! (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 5, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 5, ainsi modifié, est adopté.)

Article 6

M. le président.

« Art. 6. - La Commission peut charger un ou plusieurs de ses membres de procéder à des vérifications dans les lieux où se sont déroulés les faits ayant fait l'objet de la saisine de la Commission.

« Ces vérifications ne peuvent s'exercer que dans les lieux publics et les locaux professionnels, après un préavis adressé aux agents intéressés et aux personnes ayant autorité sur eux, ou pour le compte desquelles l'activité de sécurité en cause était exercée, afin de leur permettre d'être présents. »

M. Le Roux, rapporteur, a présenté un amendement, no 3, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 6 :

« La commission peut charger un ou plusieurs de ses membres de procéder à des vérifications sur place. Ces vérifications ne peuvent s'exercer que dans les lieux publics et les locaux professionnels. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il s'agit, par cet amendement, de rétablir le texte adopté par l'Assemblée en première lecture.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l'intérieur.

Je regrette, quelque désir que j'en aie, de ne pouvoir non plus donner un avis favorable à cet amendement. En effet, affranchir la Commis-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

sion d'un préavis systématique en cas de vérification sur place ne permettra pas forcément de parvenir à l'objectif que l'on souhaite atteindre. Le préavis permet d'être certain de la présence des autorités hiérarchiques ou de l'employeur et d'entendre éventuellement leurs observations. A défaut de préavis, ces opérations de vérification sur place courent le risque d'être inutiles et de rendre vaines les investigations de la Commission.

On peut aussi s'interroger sur la portée juridique des pouvoirs donnés à la Commission lorsqu'elle se rend sans préavis dans des locaux professionnels, donc privés.

Tels sont les arguments qui font que je ne peux pas, à mon grand regret, émettre un avis favorable.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Il me semble que certains conçoivent cette commission comme une institution judiciaire supplémentaire. Or il existe des règles protectrices du domicile et des libertés individuelles qui font que le droit de faire des visites sur place - visiblement, certains assimilent les vérifications sur place à des perquisitions relève d'un magistrat, car c'est lui le protecteur des libertés. Par conséquent, je ne suis absolument pas d'accord avec la démarche qui est suivie. Votre dispositif semble s'inspirer des séries américaines dans lesquelles l'enquêteur se présente à 6 heures du matin et peut entrer n'importe où. L'amendement proposé n'est pas juridiquement protecteur des libertés.

M. Charles Cova.

Leur politique a pour fondement les émissions de la télévision. C'est bien connu !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Cet exemple montre bien à quel point il existe une confusion dans l'esprit des députés de la majorité concernant l'utilité de cette commission de déontologie et l'utilisation qui en est faite.

Nous approuvons totalement les propos de M. le ministre de l'intérieur. Nous voyons vers quelle dérive ce texte nous amène : il crée une sorte de justice bis. Les députés de la majorité ont la volonté de créer une instance ayant un pouvoir, non de médiation ou de proposition, mais d'inquisition. Ils veulent se faire plaisir en créant une instance qui entrera en concurrence avec la justice. Mais ils doivent savoir que, dès lors qu'il y aura concurrence avec cette dernière, la Commission sera obligée de s'effacer.

La majorité éprouve le fantasme obsessionnel de vouloir créer une commission totalement indépendante, qui pourrait perquisitionner sur place à toute heure. En vérité, nous savons que cela aboutira à rendre ladite commission inutile et inefficace.

Cet amendement prouve bien à quel point les réticences que nous avions exprimées en première lecture étaient fondées.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Je suis curieux de savoir ce que serait un pouvoir inquisitoire exercé par un président nommé par le Président de la République, un sénateur, un député, un conseiller d'Etat, un magistrat hors hiérarchie, un conseiller-maître désigné par le premier président de la Cour des comptes !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Voyez ce qui s'est produit avec les tribunaux de commerce !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

C'est vrai. C'est d'ailleurs ce qui a permis de secouer un peu le cocotier. Et il y en avait bien besoin ! S'agissant du préavis, nous disons seulement qu'il n'est pas systématique en cas de vérification sur place.

Pour le reste, il n'y a pas de pouvoir de perquisition, il y a seulement un pouvoir de visite. Il n'y pas de confusion sur ce point.

M. Jean-Antoine Leonetti.

J'ai parlé de « fantasme » !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Quant au dispositif prévu par le texte, il ne fait, ni plus ni moins, que s'inspirer de celui qu'applique la CNIL et qui a été jugé constitutionnel. Bien entendu, la visite des domiciles privés n'est pas autorisée.

Cet amendement n'a rien d'anticonstitutionnel. Il reprend un dispositif mis en place par la CNIL et qui fonctionne très bien. Il peut y avoir préavis, mais le texte n'interdit pas qu'il n'y en ait pas. Cela dit, je pense que, dans la majorité des cas, il devra y avoir préavis. Toutefois, dans un certain nombre de cas, la Commission pourra estimer que le préavis n'est pas nécessaire.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est de la série B américaine !

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

3. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 6 est ainsi rédigé.

Article 7

M. le président.

« Art. 7. - La commission adresse aux autorités publiques et aux dirigeants des personnes privées m entionnées à l'article 1er intéressés tout avis ou recommandation visant à remédier aux manquements constatés ou à en prévenir le renouvellement.

« Les mêmes autorités ou personnes concernées sont tenues, dans un délai fixé par la commission, de rendre compte à celle-ci de la suite donnée à ces avis ou recommandations.

« En l'absence d'un tel compte rendu ou si elle estime, au vu du compte rendu qui lui est communiqué, que son avis ou sa recommandation n'a pas été suivi d'effet, la commission peut établir un rapport spécial qui est publié au Journal officiel de la République française. »

M. Le Roux, rapporteur, a présenté un amendement, no 9, ainsi rédigé :

« Dans le premier alinéa de l'article 7, substituer aux mots : "mentionnées à l'article 1er intéressés", les mots : "intéressés exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

Il s'agit d'un amendement de coordination.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre de l'intérieur.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

9. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 7, modifié par l'amendement no

9. (L'article 7, ainsi modifié, est adopté.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

Article 8

M. le président.

« Art. 8. - La commission ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction. Elle ne peut remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle.

« Lorsque la commission est saisie de faits donnant lieu à une enquête judiciaire ou pour lesquels une information judiciaire est ouverte ou des poursuites judiciaires sont en cours, elle doit recueillir l'accord préalable des juridictions saisies ou du procureur de la République, selon le cas, pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article 5 relatives à la communication de pièces et des dispositions de l'article 6 relatives à l'accès aux lieux des faits.

« Si la commission estime que les faits mentionnés dans la saisine laissent présumer l'existence d'une infraction pénale, elle les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale.

« L'article 226-10 du code pénal relatif aux dénonciations calomnieuses est applicable aux réclamations portées devant la Commission. Si celle-ci estime qu'une réclamation constitue une telle dénonciation, elle en donne avis sans délai au procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale. Les parlementaires ne peuvent être poursuivis pour dénonciation calomnieuse ou complicité de dénonciation calomnieuse du fait des transmissions effectuées par eux à la Commission en application du deuxième alinéa de l'article 4 de la présente loi.

« Le procureur de la République informe la Commission de la suite donnée aux transmissions faites en application des deux alinéas précédents. »

Sur cet article, M. Le Roux, rapporteur, a présenté deux amendements, nos 4 et 5, qui peuvent faire l'objet d'une présentation commune.

L'amendement no 4 est ainsi rédigé :

« Supprimer l'avant-dernier alinéa de l'article 8. »

L'amendement no 5 est ainsi rédigé :

« A la fin du dernier alinéa de l'article 8, substituer aux mots : "des deux alinéas précédents", les mots : "de l'alinéa précédent". »

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

L'amendement no 8 tend à supprimer la disposition introduite par le Sénat en matière de dénonciation calomnieuse, car celle-ci est déjà satisfaite, notamment par l'article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation, en cas de connaissance d'un délit, d'en informer le procureur. Il nous semble redondant de réécrire ce qui est déjà dans la loi.

M. Jean-Luc Warsmann.

Cette remarque met le projet par terre !

M. Bruno Le Roux, rapporteur.

L'amendement no 9 est de coordination.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?

M. le ministre de l'intérieur.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

4. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

5. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 8, modifié par les amendements adoptés.

(L'article 8, ainsi modifié, est adopté.)

Articles 9, 9 bis, 13 bis et 14

M. le président.

« Art. 9. - Sans préjudice des dispositions des articles 7 et 8, la commision porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires. Ces autorités ou personnes informent la commission, dans le délai fixé par elle, de la suite donnée aux transmissions effectuées en application du présent article. »

Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 est adopté.)

« Art. 9 bis. - La commission tient informé le parlementaire auteur de la saisine des suites données à celle-ci en application des articles 7 à 9. » -

(Adopté.)

« Art. 13 bis . - Est puni d'une amende de 50 000 F le fait de ne pas communiquer à la commission, dans les conditions prévues à l'article 5, les informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission ou de ne pas déférer, dans les conditions prévues au même article, à ses convocations ou d'empêcher les membres de la commission d'accéder, dans les conditions prévues à l'article 6, aux locaux professionnels.

« Les personnes physiques encourent également les peines complémentaires suivantes :

« 1o L'interdiction des droits civils, civiques et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal ;

« 2o L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal.

« Les personnes morales peuvent être déclarées respon-s ables pénalement, dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal, du délit défini au premier alinéa. Les peines encourues par les personnes morales sont :

« 1o L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du code pénal ;

« 2o L'exclusion des marchés publics, suivant les modalités prévues par le 5o de l'article 131-39 du code pénal ;

« 3o L'affichage ou la diffusion de la décision prononc ée, suivant les modalités prévues par le 9o de l'article 131-39 du code pénal. » -

(Adopté.)

« Art. 14. - La présente loi est applicable en NouvelleCalédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, dans les Terres australes et antarctiques françaises et à Mayotte. Elle ne s'applique pas aux agents de la Polynésie française, du territoire des îles Wallis-et-Futuna, de la Nouvelle-Calédonie et des provinces de NouvelleCalédonie. » -

(Adopté.)

Explications de vote

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Mon explication de vote sera brève et elle vise à expliquer pourquoi l'opposition n'a déposé qu'un seul amendement en deuxième lecture.

Lors de la première lecture du texte devant l'Assemblée, l'opposition avait déposé de nombreux amendements, mais aucun d'entre eux n'avait été retenu. Or, au Sénat, des amendements de même type déposés par la majorité sénatoriale ont été adoptés. Si bien que je constate, avec une certaine tristesse, sinon avec une cer-


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taine amertume, que la majorité écoute plus facilement la m ajorité sénatoriale - entre majorités, on s'entend mieux - qu'elle n'écoute l'opposition nationale à l'Assemblée, alors que l'une et l'autre avancent les mêmes arguments.

Je rappelle que le groupe UDF est attaché aussi bien au respect des libertés et de la personne humaine qu'au respect du droit et de la loi. C'est dire que le respect de la déontologie nous paraît indispensable. Par conséquent, la création de cette commission de déontologie aurait été bienvenue si elle avait lieu dans un climat plus serein, si cette commission avait été mieux structurée, si elle avait répondu à une définition plus stricte, et si cette création avait été précédée par la publication des décrets d'appli cation sur le statut de la police municipale et par un toilettage de la loi sur la sécurité privée.

Je suis sûr que si la majorité avait bien voulu consentir ici le même effort que celui qu'elle a fait au Sénat, nous aurions pu parvenir à élaborer un texte qui à la fois respecte les droits et les devoirs de citoyens et soit suffisamment fort pour permettre de faire respecter les lois de la République.

Malheureusement, du fait de la surdité ou du mutisme qui touche parfois l'hémicycle sur tous les bancs, nous ne parvenons pas toujours - mais, hier, nous avons adopté un texte à l'unanimité - à nous entendre sur les problèmes de la sécurité.

Dans l'état actuel du texte, le groupe UDF votera contre. Si le Sénat adopte des amendements positifs de notre point de vue et qui trouvent grâce à vos yeux, peut-être l'opposition jugera-t-elle, demain, le texte satisfaisant, parce que ayant atteint l'équilibre nécessaire entre la tyrannie et l'impuissance que définissait Pascal.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Je regrette, une nouvelle fois, le constat d'échec, la démission des autorités, et, notamment, du pouvoir exécutif, que représente, pour nous, ce texte. Cela me rappelle la commission des recours que nous propose Mme Guigou, ministre de la justice, pour traiter le courrier qu'elle reçoit concernant les plaintes contre les magistrats.

Ce matin, l'Etat considère qu'il n'arrive plus à assumer les pouvoirs régaliens qui sont les siens, le pouvoir exécutif, le pouvoir hiérarchique, et qu'il faut inventer quelque chose, l'autorité judiciaire ne faisant pas correctement son travail. Une telle démarche n'est pas positive.

S'agissant du contrôle des activités des prisons, sujet dont nous parlons depuis des mois, je déplore la manière extrêmement chaotique avec laquelle nous arrivons à faire avancer les choses.

Tandis qu'une commission, une de plus, a été mise en place par le ministère de la justice, la commission Canivet, le ministère de la justice freine des deux pieds chaque fois qu'une proposition lui est faite. Alors, ce sont les parlementaires - là le Sénat en étendant la compétence de la commission aux prisons, sur la présomption d'innocence l'Assemblée - qui essaient de faire bouger les mentalités. Le dispositif général de ce texte suscite chez moi de nombreuses réserves, mais s'il permet un meilleur contrôle dans les établissements pénitentiaires, j'estime que c'est déjà un moindre mal.

Pour le reste, le groupe RPR maintient sa position de réserve générale et votera contre ce projet de loi en l'état actuel.

Vote sur l'ensemble

M. le président.

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

M. Jean-Luc Warsmann.

A la prochaine !

M. Jean-Antoine Leonetti.

A dans deux ans ! 2

GENS DU VOYAGE Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (nos 2140, 2188).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au logement.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'Assemblée doit examiner, en deuxième lecture, un texte dont l'objectif est d'apporter des réponses efficaces et équilibrées à des problèmes dont l'acuité n'est plus à démontrer.

Les tensions liées à l'accueil des gens du voyage, qu'ils soient itinérants toute l'année ou quelques mois par an seulement, sont en effet nombreuses et parfois vives.

Vous les connaissez comme moi, nous en avons déjà débattu. Cette situation donne tout son sens à la volonté du Gouvernement de permettre une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la population. Il faut pour cela permettre aux gens du voyage d'être accueillis dans des conditions dignes.

Ceci implique d'enrichir, dans une démarche d'équilibre et d'efficacité, le cadre législatif actuel, constitué par l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, issu, je le rappelle, d'un amendement parlementaire et qui institue un schéma départemental d'accueil des gens du voyage, crée l'obligation pour toute commune de plus de 5 000 habitants d'aménager une aire d'accueil, permet au maire d'une commune ayant réalisé une aire d'interdire par arrêté le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal.

Cet article 28 a permis des avancées, en particulier l'adoption d'un certain nombre de schémas départementaux et la réalisation de quelques milliers de places dans des aires d'accueil. Pour autant, ces avancées ne doivent pas dissimuler les importantes limites de la mise en oeuvre de ce cadre législatif.

En effet, un tiers seulement des départements ont un schéma approuvé par le préfet et le président du conseil général, un quart seulement des 1 800 communes de plus de 5 000 habitants sont pourvus d'une aire. En conséquence, alors qu'il faudrait environ 30 000 places de caravanes, seules 10 000 existent, dont à peine un peu plus de 5 000 sont conformes aux normes. Il manque donc 25 000 places pour répondre aux besoins.

Le projet de loi, tel que le Gouvernement l'a présenté au Parlement et tel que vous l'aviez adopté en juin dernier, tient compte de ces enseignements. Il repose sur un


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

équilibre des droits et devoirs de chacun des acteurs concernés : les collectivités locales, qui participent à l'accueil des gens du voyage selon les termes de l'article 1er ; les gens du voyage, qui doivent respecter les règles collectives ; l'Etat, qui doit être le garant de cet équilibre et exprimer la solidarité nationale.

Le projet dont vous allez débattre privilégie, d'abord et avant tout, le partenariat et les incitations, notamment financières.

Le schéma départemental sera le pivot de l'analyse partagée des besoins d'accueil des gens du voyage et des réponses à apporter.

Une bonne concertation, en particulier au sein de la commission consultative départementale, sera décisive : elle permettra des réponses adaptées et cohérentes au sein d'un territoire. Le schéma prévoira les communes où les aires doivent être réalisées, leur capacité ainsi que leur destination en fonction notamment des durées de séjour.

Le schéma, pour offrir des réponses adaptées, devra se fonder sur une réflexion large et tenir compte de l'évolution, depuis une dizaine d'années, des aspirations et des besoins des gens du voyage. Ainsi, nous savons, d'expérience, que, pour certains d'entre eux qui ont vu leur situation économique se dégrader, leur demande porte sur des durées de séjour plus longues qu'auparavant. De même, les gens du voyage sont de plus en plus nombreux à circuler en France par grands ensembles de caravanes, 100, voire 200 caravanes.

Les textes d'application de la loi et les schémas révisés prendront en compte ces demandes et pratiques nouvelles. Certains schémas ont commencé à le faire, et certaines modalités de gestion des aires s'inscrivent déjà dans cette logique. De même, une circulaire d'octobre 1999 en a déjà tenu compte, en créant une aide à la mobilisation temporaire de grands terrains sommairement aménagés pour l'accueil des grands groupes de caravanes.

Le projet favorise les réponses intercommunales, pour la réalisation et la gestion des aires. L'accord entre communes pour répondre aux besoins est, à mes yeux, la meilleure solution et celle qu'il faut privilégier.

P our accompagner l'effort d'équipement des communes, l'Etat assume pleinement ses responsabilités sur le plan financier et fait un effort qui - en la matière n'a pas de précédent : les subventions de l'Etat aux communes pour l'investissement doubleront pendant la durée de mise en oeuvre du schéma.

M. Charles Cova.

C'est la seule chose de bien, dans ce projet !

M. le secrétaire d'Etat au logement.

Elles s'élèveront à 70 % des dépenses, dans la limite d'un plafond, contre 35 % auparavant. Cela se traduira, pour l'Etat, par un effort financier estimé à 1,750 milliard de francs en quatre ans.

En outre, une aide à la gestion des aires sera créée.

C'est une avancée tout à fait significative. Elle représentera environ la moitié du coût annuel estimé de gestion d'une place et coûtera à terme environ 300 millions de francs par an pour les 30 000 places.

Autre aspect crucial de l'équilibre de ce texte, des moyens nouveaux pour faire face aux stationnements illicites seront donnés aux maires des communes qui auront rempli leurs obligations de création et de gestion d'une ou plusieurs aires. Et à ces maires seulement. Ce point est décisif, vous le savez. Les élus concernés ont besoin de moyens juridiques plus efficaces, même si la résorption des difficultés doit surtout venir, à terme, de l'existence de réponses adpatées à l'accueil des gens du voyage.

Enfin, avec les « terrains familiaux », le texte crée un outil nouveau pour favoriser, avec d'autres solutions de droit commun, la sédentarisation des gens du voyage qui le souhaitent.

Il faut revenir à un texte efficace et équilibré. Ce sont les principes que je viens de passer brièvement en revue qui ont guidé l'élaboration du projet de loi. Or des orientations importantes qui étaient présentes dans le texte que le Gouvernement vous avait soumis et dans celui que vous aviez voté en juin 1999 sont absentes - ou présentes mais vidées de leur substance - du texte que le Sénat a adopté le 4 février dernier et qui vous est aujourd'hui soumis. Cela change parfois, ou limite sérieusement, la portée du projet de loi.

Pour l'analyse des besoins, la concertation des acteurs et la définition des solutions à apporter, le niveau départemental est le bon niveau. Un schéma national, certes pour les seuls grands rassemblements, ne me semble pas pertinent, car trop éloigné du terrain, des acteurs locaux et des solutions nécessairement locales à apporter. Ils emble préférable que les schémas départementaux concernés prévoient les terrains à mobiliser temporairement pour les grands rassemblements.

Par ailleurs, l'ensemble du dispositif vise à répondre aux besoins : à cet effet, les réponses intercommunales sont à privilégier. Mais, si un accord intercommunal n'est pas trouvé, il importe d'être sûr que des aires seront réalisées. Dans ce cadre, il est nécessaire de continuer à faire reposer une obligation spécifique sur toutes les communes de plus de 5 000 habitants.

Il importe en outre de bien tirer les enseignements des difficultés rencontrées par la mise en oeuvre de l'article 28 de la loi de 1990. Les schémas doivent être adoptés et les communes doivent aménager les aires dans des délais réalistes mais cependant précis et communs à tous les acteurs. Et l'Etat doit pouvoir jouer son rôle de garant.

C'est pourquoi l'élaboration du schéma doit exclure d es dispositifs de coordination qui seraient trop complexes et consommateurs de temps, par exemple entre départements. Le préfet doit pouvoir adopter le schéma seul si, au bout de dix-huit mois, l'approbation conjointe par le préfet et le président du conseil général n'a pas été obtenue. Pour ne pas pénaliser les communes exemplaires dans le respect de la loi, le délai de deux ans pour la réalisation des aires doit s'imposer à toutes les communes concernées, et le préfet doit pouvoir se substituer, en leur nom et pour leur compte, à celles qui ne l'auront pas respecté, même si, bien entendu, nous souhaitons que cette disposition soit mise en oeuvre le moins souvent possible, voire jamais. Je rappelle que la loi du 31 mai 1990 a institué une possibilité d'approbation du plan départemental d'action pour le logement des défavorisés même en cas d'absence d'accord du président de conseil général, et tous les plans ont été cosignés dans le délai qu'avait prévu la loi.

Ces derniers points sont incontournables, vous le savez, pour la cohérence et la crédibilité du texte de loi : seul un effort massif et effectué dans un délai relativement court est à même de répondre aux difficultés que nous connaissons.

Enfin, le projet accroît significativement les pouvoirs, face aux stationnements illicites, des maires dont les communes auront réalisé des aires, notamment en matière d'expulsion. Il est cependant décisif, pour le Gouvernement, que ces pouvoirs accrus respectent les libertés indi-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

viduelles et les principes de base de notre justice : ainsi, les décisions d'expulsion doivent être des décisions de justice. Le recours au juge est incontournable.

Le Gouvernement souhaite que soient redonnés au texte qui vous est soumis la logique et la force, mais aussi l'équilibre, qui étaient les siens lorsqu'il a été présenté au Parlement, et lorsque vous l'avez adopté en première lecture.

Le Gouvernement compte sur votre sagesse pour revenir à un texte plus efficace et plus équilibré, afin de mieux répondre aux besoins de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova.

Rien n'est moins sûr !

M. le président.

La parole est à Mme Raymonde Le Texier, rapportrice de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Charles Cova et M. Bernard Schreiner.

« Mme la rapporteuse », monsieur le président.

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 3 février dernier, le Sénat a adopté, en le modifiant profondément, le projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage que nous avions voté le 24 juin 1999.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement avait choisi une démarche pragmatique, capable de répondre à une attente forte de tous les acteurs concernés et particulièrement des élus locaux.

L'enjeu principal du texte était de répondre à une question préalable dans une problématique plus générale liée aux gens du voyage : la question du stationnement.

Ce préalable avait été souligné, dès 1990, par le préfet Delamon dans son rapport au Premier ministre sur « la situation des gens du voyage et les mesures proposées pour l'améliorer ».

A cette fin, le texte proposait un dispositif cohérent et efficace incitant à la réalisation de nombreuses aires de stationnement en un délai rapide.

Vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, faute d'un dispositif assez contraignant, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 n'a pas permis la réalisation de ces aires en nombre suffisant. A ce jour, alors que seulement un quart des villes de plus de 5 000 habitants a réalisé une aire, ce sont environ 30 000 caravanes qui, en France, tentent en vain de stationner sur à peu près 5 000 emplacements.

Du fait de ce déficit, les maires qui ont fait l'effort de réaliser des aires de stationnement continuent à subir les stationnements illicites.

L'accueil des gens du voyage est donc un problème récurrent. Pour la première fois, un gouvernement se donne véritablement les moyens de répondre efficacement à cette problématique.

Le Sénat, qui, depuis longtemps, appelait de ses voeux une amélioration du dispositif existant, a adopté une attitude pour le moins surprenante en supprimant tous les moyens proposés par ce projet de loi qui rendaient possible une rapide mise en oeuvre des mesures capables de répondre aux attentes des élus.

Nous avions voté le 24 juin un dispositif dans lequel chaque département, selon les données existantes et en fonction des besoins constatés, avait dix-huit mois pour établir un schéma départemental. Les communes inscrites au schéma avaient deux ans pour appliquer ces prescriptions. L'Etat prenait toute sa part de responsabilité en finançant largement la réalisation des aires et leur fonctionnement. Les pouvoirs des maires contre les stationnements illicites étaient renforcés, autant que le permet le cadre constitutionnel, à partir du moment où ils se conformaient au schéma. En contrepartie, le préfet pouvait contraindre les communes récalcitrantes à la réalisation des terrains d'accueil prévus par le schéma.

Malgré un discours mesuré du rapporteur au Sénat, qui travaille sur cette question depuis longtemps, ce dispositif a en grande partie été dénaturé par la majorité sénatoriale.

Sous prétexte que cette question relèverait uniquement de la responsabilité de l'Etat, elle a voulu joindre aux schémas départementaux, un schéma national, sans pour autant proposer quelque coordination entre les deux.

Alors que le projet de loi permettrait la réalisation rapide des aires, répondant ainsi à la volonté des élus locaux, le Sénat a supprimé tous les moyens susceptibles de la garantir. C'est ainsi que la majorité sénatoriale a supprimé ou dilué les délais de validation des schémas départementaux ainsi que le délai de réalisation par les communes des aires inscrites aux schémas. Dans le même temps, elle a retiré au préfet le pouvoir de signer seul les schémas dès lors qu'aucun accord n'était possible dans les d élais fixés. Les moyens susceptibles d'obliger les communes à réaliser les aires prévues par les schémas départementaux ont également été supprimés.

En résumé, la majorité sénatoriale s'est enfermée dans un étrange paradoxe : tout en exigeant du Gouvernement qu'il prenne ses responsabilités sur la question du stationnement des gens du voyage, elle le prive de toutes les mesures répondant à cette exigence.

Ainsi modifié, ce texte rejoint ni plus ni moins le dispositif de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, les moyens financiers de l'Etat en plus.

M. Charles Cova.

La participation de l'Etat, c'est bien le seul point positif du texte.

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse.

Le message du Sénat est clair : on prend l'argent, mais on ne veut pas des obligations. Une telle logique revient à ne pas vouloir avancer sur ce dossier. A terme, elle ne ferait qu'accroître les difficultés que nous rencontrons déjà dans nos communes.

Notre commission des lois n'a pu que revenir au texte équilibré que nous avions voté en première lecture. Elle rétablit par conséquent les dispositions que l'Assemblée avait adoptées et qui permettaient la réalisation rapide des aires dans un cadre départemental, le seul susceptible de répondre correctement à la réalité des besoins constatés.

En outre, elle a essayé de clarifier la notion de seuil.

Dans la logique du Gouvernement, nous réaffirmons que toutes les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Ainsi, nous affichons la cible prioritaire des schémas départementaux - les communes de plus de 5 000 habitants - tout en n'excluant pas la possibilité pour les communes de moins de 5 000 habitants d'intégrer ces schémas. Cette rédaction répond clairement à l'exigence inscrite dans la loi selon laquelle chaque département établit un schéma répondant aux spécificités locales en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage.

Notre commission a également veillé à ce que les communes qui contribueront à l'accueil des gens du voyage soient davantage aidées et, à ce titre, bénéficient d'une mesure financière prenant mieux en compte leurs efforts.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

J'ajoute, pour ne parler que des modifications les plus importantes, que la commission a proposé de revenir à l'unification des compétences au profit du juge civil en matière d'expulsion en cas de stationnement illicite. Le Sénat a supprimé cette unification qui avait pourtant été adoptée à l'unanimité par les députés en première lecture

Si nous devions réintroduire la compétence partagée entre juge civil et juge administratif, il nous faudrait ne pas oublier celle du tribunal de police. En omettant cette juridiction, le Sénat a de facto opéré une unification au profit du juge administratif en le rendant compétent sur le domaine public, y compris en matière de contravention de voirie.

Si nous devions revenir à une compétence partagée, un élu local devrait s'adresser aux trois juges selon que les gens du voyage se trouvent sur un parking attenant à la voirie, de la compétence du tribunal de police, sur un stade municipal, de la compétence du juge administratif, ou sur un terrain privé de droit privé, relevant du tribunal de grande instance. Qu'adviendrait-il si un même campement stationnait sur ces trois types de terrains à la fois ? Une telle complexité devait nous interpeller. Un maire est suffisamment préoccupé lorsque des gens du voyage s'installent illicitement sur sa commune pour que le législateur n'alourdisse pas davantage les difficultés auxquelles il doit faire face.

M. Jean-Pierre Blazy.

Très juste !

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse.

C'est essentiellement cette motivation qui a poussé notre commission à revenir sur l'unification des compétences au profit de la juridiction la plus souvent sollicitée, en se fondant d'ailleurs sur la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 relative au Conseil de la concurrence.

Dans le même article, la commission est évidemment revenue à l'obligation préalable d'une décision de justice pour toute expulsion, obligation que la majorité sénatoriale avait refusée pour les terrains à usage économique, et cela malgré la position du rapporteur, précisant qu'en ce domaine et en raison de nos principes constitutionnels l'intervention du juge était nécessaire.

En ce qui concerne le domaine public, les compétences des préfets sont clairement établies et ne nécessitent pas de nouvelles précisions législatives. Néanmoins, consciente des difficultés, la commission a validé l'introduction du référé heure à heure, votée par le Sénat et soutenue par le Gouvernement.

Contrairement aux intentions que nous prête la majorité sénatoriale, ce texte n'est pas le reflet d'une vision laxiste ou angélique de la population des gens du voyage.

M. Charles Cova.

Mais si !

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse.

C'est parce que beaucoup d'entre nous, dans leurs fonctions d'élus locaux, ont été maintes fois confrontés aux difficultés engendrées par le stationnement des gens du voyage que nous croyons à ce texte, qui prévoit un dispositif pragmatique qui devrait résoudre une grande partie des problèmes si tous les maires concernés jouent le jeu.

Le texte adopté par notre commission rend au projet de loi la dimension qui était la sienne avant son passage au Sénat. Ainsi revu, il devra permettre la réalisation rapide des aires que nous appelons de nos voeux.

D ans le même temps, en coordination avec la Commission nationale consultative des gens du voyage, qui vient d'être réactivée, il pourra favoriser la relance du dialogue entre gens du voyage et sédentaires. C'est là une condition nécessaire pour une meilleure approche globale des spécificités des conditions de vie des gens du voyage dans un environnement pensé pour et par la majorité sédentaire.

Reconnaissant les droits des gens du voyage à leur mode de vie tout en précisant les règles qui doivent être respectées par tous, ce texte propose un juste équilibre entre efforts demandés aux maires, contribution financière tout à fait conséquente de l'Etat et répression accrue en cas de stationnement illicite. Les dispositions qu'il contient devront contribuer à apaiser les tensions et à normaliser les rapports entre les sédentaires, les gens du voyage et les élus locaux. Il en va de la cohésion nationale et de l'égalité entre les citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs, trouver une solution efficace à l'accueil des gens du voyage relève de l'urgence et personne ne le conteste. Il suffit pour s'en convaincre de se référer aux discours entendus tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat comme d'interroger les maires et les populations.

Dès lors, on pouvait raisonnablement penser que la philosophie du projet de loi gouvernemental, qui organise globalement et durablement l'accueil des gens du voyage dans un souci de respect et de préservation des intérêts des uns et des autres, recueillerait l'assentiment unanime des parlementaires.

Force est de constater qu'il ne suffit pas de répéter comme un leitmotiv son attachement aux libertés fondamentales, au respect des principes essentiels de la citoyenneté, au droit de choisir son mode de vie, à la liberté de circulation : encore faut-il confirmer cette volonté politique en se donnant les moyens législatifs nécessaires, comme nous y invite le projet de loi.

Le texte que nous avions voté ici en première lecture apportait des réponses fortes aux questions posées tout en respectant un certain équilibre. En effet, il permettait par des mesures contraignantes,...

M. Charles Cova.

Pour les maires !

M. Patrick Braouezec.

... de réaliser un nombre suffisant de places d'accueil dans l'ensemble des départements.

Il prévoyait ainsi que le schéma départemental devait être élaboré en dix-huit mois et qu'à défaut d'accord le préfet,s e substituant aux communes défaillantes, pouvait prendre seul la décision de réaliser les aires.

Ces dispositions, auxquelles nos débats d'aujourd'hui doivent permettre de revenir, conduisent à rompre avec l'inefficacité de la loi de 1990, que l'on a déplorée sur tous les bancs.

Le bilan comptable de l'application de son article 28 est particulièrement éloquent : seul un tiers des départem ents ont un schéma approuvé et un quart des 1 800 communes de plus de 5 000 habitants seulement se sont dotées d'une aire d'accueil. Au total, il n'existe que 5 000 places de caravanes correspondant aux normes, alors que le besoin peut être estimé à 30 000 ! Nous sommes donc loin du compte.

Le statu quo est impossible, et tout le monde le reconnaît. Cela n'a pas empêché la majorité sénatoriale de tenir deux discours contradictoires qui consistaient, d'une


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part, à dénoncer l'inefficacité de la loi de 1990 et, d'autre part, à refuser les moyens qui peuvent la rendre efficace, en reprenant les préjugés anciens pour stigmatiser les gens du voyage.

M. François Goulard.

C'est totalement faux !

M. Patrick Braouezec.

Au-delà des débats qui pouvaient paraître sereins, à l'exception de quelques caricatures discriminatoires que certains n'ont pu retenir, le texte qui nous revient de la Haute assemblée fait plus qu'affadir le projet gouvernemental : il sape le dispositif tout en augmentant considérablement les pouvoirs des maires. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Ce dernier point, qui constituait dans le projet de loi une contrepartie à l'obligation de réaliser des aires d'accueil, est devenu l'élément essentiel, limitant ainsi la question des gens du voyage aux seuls problèmes de stationnement illégal sans améliorer les conditions de leur accueil.

Les dispositions retenues par la majorité sénatoriale ne constituent en effet, à l'image de la loi de 1990, qu'une incitation pour les communes sans que l'Etat ait la possibilité de se substituer à celles qui seront défaillantes. Il n'y a dans ces conditions aucune chance pour que l'application de ces mesures soit plus efficace que celle de l'article 28 ! Mais je pense que c'était bien l'objectif recherché par la droite sénatoriale.

Les jugements négatifs à l'égard des personnes itinérantes ont la peau dure et il serait grave de laisser perdurer, en refusant de les reconnaître, les discriminations que ces populations vivent au quotidien.

Mes chers collègues, comment exiger des individus qu'ils se comportent comme des citoyens si nous ne les considérons pas comme tels ? Suffit-il de clamer sa volonté d'accueillir dans la dignité les gens du voyage pour se donner bonne conscience ? Avec le projet de loi initial, l'Etat est parfaitement dans son rôle de définition de l'intérêt général. Les mesures proposées sont de nature à permettre la réalisation rapide d'un nombre suffisant d'aires d'accueil pour sortir de la paralysie nombre de communes qui se refusent à réaliser une aire de crainte de la voir dégradée et suroccupée du fait de la pénurie générale.

M. Charles Cova.

Mais c'est bien cela, la réalité !

M. Patrick Braouezec.

L'insuffisance des aires d'accueil explique en effet en partie la surpopulation et les dégradations que connaissent les aires existantes. Cette pénurie se traduit par une très forte pression sur les communes qui ont fait l'effort de se doter d'un équipement, dissuadant par là même encore davantage les communes récalcitrantes. Cette difficulté concerne des communes de tout bord, ce qui aurait dû conduire à un accord unanime au sein de nos assemblées. Or la majorité sénatoriale n'a préféré aborder la question que sous le seul angle des problèmes répétitifs soulevés par l'accueil des gens du voyage dans nos communes. Il ne faut donc pas s'étonner que les mentalités rétrogrades perdurent, suscitant par là même incompréhension, rejet et climat de tension.

Cette vision unilatérale aurait des conséquences graves sur les décisions que nous avons à prendre. Des efforts louables ont, certes, été réalisés dans le bon sens, mais nous sommes majoritairement convaincus qu'ils ne suffisent pas. Une évolution législative est plus que nécessaire : elle est urgente. En effet, qui pourrait se satisfaire de la situation profondément inégalitaire faite aux gens du voyage, à cet ensemble d'hommes, de femmes et d'enfants membres de notre société ? Ils vivent en liberté surveillée. Trop de témoignages attestent malheureusement de discriminations, de brimades et de contrôles abusifs, qui se teintent le plus souvent d'un caractère raciste, dont les nomades, qui sont des citoyens français à 95 %, font l'objet.

Mettre en oeuvre une politique d'ensemble respectant la liberté de circulation, le droit à la différence, un mode de vie ancestral et intégrant la totalité des éléments économiques, sociologiques, juridiques, sociaux, culturels et éducatifs, devrait permettre, même si nous sommes conscients que ce n'est pas facile, de résoudre dans les communes les problèmes de passage et de stationnement des gens du voyage.

Cela renvoie à un autre débat. Mais nous sommes convaincus que l'adoption du présent projet ne restera pas sans suite en matière éducative et socio-économique n otamment. Comment pourrions-nous en rester là puisque les dispositions initiales du projet, que la majorité de l'Assemblée ne manquera pas de rétablir, visent précisément à une cohabitation harmonieuse de toutes les catégories de la population sur l'ensemble du territoire national ?

M. Charles Cova.

C'est de l'utopie !

M. Bernard Schreiner.

C'est du rêve !

M. Patrick Braouezec.

En préalable, et c'est sans doute tout son intérêt, le texte tend à créer les conditions d'un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et venir, l'aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d'autre part, le souci légitime des élus locaux d'éviter les installations sauvages qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés. Il s'agit de la dignité des personnes concernées comme de celle des habitants et riverains des communes de passage ou de séjour.

Cet équilibre entre droits et devoirs est de la responsabilité de l'Etat, en partenariat avec les collectivités locales, les gens du voyage et les populations sédentaires concernées. L'incitation à ce nouveau dialogue, à cette inédite concertation devrait permettre de lever nombre de difficultés.

Globalement, ce projet de loi, au regard des objectifs qu'il s'assigne, des compétences qu'il prévoit et des instruments financiers qu'il propose, est un projet d'intérêt général au sens juridique du terme, engageant la solidarité nationale. Telle est l'appréciation que nous portions en première lecture et que nous réitérons aujourd'hui.

Bien sûr, les observations que nous avions formulées au mois de juin 1999, notamment en ce qui concerne les dispositions financières, restent entières. Nous espérons que la navette parlementaire permettra de lever l'inquiétude légitime des élus, notamment des maires, suscitée par la contribution financière importante des communes et des départements, outre l'effort financier substantiel de l'Etat.

L'impulsion que le projet de loi devrait donner à la réalisation d'aires d'accueil en nombre suffisant est de nature à instaurer un dialogue et une concertation plus actifs avec les gens du voyage sur les autres questions, en particulier scolaires et sociales. Il importe en effet de concilier le respect du mode de vie et des traditions de la communauté des gens du voyage tout en permettant aux individus qui la composent, notamment aux enfants, d'avoir la liberté du choix de perpétuer ou non pour euxmêmes ce mode de vie à l'âge adulte. C'est pourquoi, m onsieur le secrétaire d'Etat, nous souhaiterions


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connaître les projets du Gouvernement en matière éducative et socio-économique, au-delà de la réalisation des aires d'accueil.

Sous le bénéfice de ces observations, les députés communistes soutiendront le projet de loi dans ses orientations initiales, qui permettent de concilier le droit à un habitat adapté à la libre circulation des personnes dans un rapport équilibré entre les droits et les devoirs de chacun.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au mois de juin dernier, l'Assemblée nationale avait adopté le projet de loi proposé par le Gouvernement relatif à l'accueil des gens du voyage. Le groupe du RPR de notre assemblée n'avait pas souhaité approuver ce texte, qu'il jugeait peu satisfaisant. En effet, il imposait, à nos yeux, des contraintes aux seuls maires et ne rappelait pas assez les obligations devant incomber aux gens du voyage.

A titre personnel, j'avais déjà exprimé le sentiment d'une occasion manquée. Discuter du stationnement des gens du voyage, c'est aller au-delà du simple constat. Proposer une législation sur ce sujet, c'est garantir avant tout le droit de propriété, droit naturel et imprescriptible ; c'est imposer l'autorité de l'Etat et mieux faire respecter celle des décisions de justice. Mais ce n'était pas le cas du texte initial.

Nous restons persuadés que si nous n'offrons pas aux élus locaux, aux magistrats, aux préfets, les moyens d'agir de manière rapide et efficace, ce texte, monsieur le secrétaire d'Etat, sera aussi peu incitatif que le précédent.

Il est regrettable de constater qu'à chaque fois que le Gouvernement présente au Parlement un texte sur un sujet sensible, il se sente obligé de le qualifier d'équilibré, justement parce qu'il n'apporte aucune solution.

Il en est ainsi, par exemple, en matière d'immigration et, cette semaine encore, à propos de la chasse, comme il y a quelques mois sur le projet de loi initial dont nous discutons.

Vous qualifiez le texte d'équilibré, comme s'il s'agissait pour le Gouvernement de convaincre ses parlementaires et l'opinion publique, comme si, surtout, vous vouliez vous convaincre vous-même de sa pertinence.

M. François Goulard et M. Bernard Schreiner.

Très juste !

M. Charles Cova.

Je vous le dis très sincèrement, et cela ne vous surprendra pas, le texte modifié par le Sénat nous paraît nettement plus équilibré que le projet de loi initial.

M. Didier Quentin.

C'est vrai !

M. Charles Cova.

La loi a pour objet, il est vrai, de fixer un cadre général et impersonnel. C'est certainement pour cette raison qu'à de nombreux amendements proposés ici par l'opposition vous avez répondu que le schéma départemental prévoira les conditions d'accueil des gens du voyage.

Pour notre part, nous pensons qu'il est nécessaire de souligner notre attachement sans concession à la loi républicaine. Nous exigeons que des prescriptions claires sur les obligations des gens du voyage figurent expressément dans la loi. Cette exigence s'impose à cette catégorie de la population ; son droit de circuler et sa liberté d'aller et venir devant dans le même temps être garantis.

En contrepartie, ces gens peuvent et doivent - c'est un minimum, et nos concitoyens comprendraient mal qu'il en soit autrement - respecter la règle de droit, comme les biens et la propriété des particuliers ou de la collectivité.

A cet égard, la future loi se doit d'être particulièrement explicite et contraignante. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Nous savons qu'il est possible d'utiliser des instruments juridiques efficaces pour imposer aux gens du voyage un minimum d'obligations et en premier lieu celle de stationner sur les terrains prévus à cet effet. Toute infraction à cette règle pourrait par exemple conduire, dans l'attente de la décision du juge, à l'immobilisation non pas de la caravane, qui est considérée comme un domicile, mais à celle du véhicule qui les tracte. Il arrive bien aux forces de police d'immobiliser le véhicule d'un particulier ou de le transporter à la fourrière en cas de stationnement irrégulier sur la voie publique. Pourquoi les nomades ne seraient-ils pas soumis à un régime identique ? M. François Goulard, M. Didier Quentin et M. Bernard Schreiner.

Bonne question !

M. Charles Cova.

Pourquoi bénéficieraient-ils d'un statut spécifique ? Une autre initiative nous paraît souhaitable : l'instauration d'une caution exigible par les gestionnaires des aires d'accueil et déposée par les gens du voyage. Il pourrait s'agir d'un système de caution fidèle au régime de droit commun des dépôts de garantie en matière locative.

Certains pourraient faire valoir le caractère dissuasif d'une telle mesure. En effet, les nomades pourraient être incités, comme cela nous a été dit, à s'installer sur d'autres terrains que ceux aménagés et soumis à caution.

Si l'on devait retenir un tel argument, à mon avis infondé, cela signifierait que la procédure d'expulsion des gens du voyage stationnant hors des aires d'accueil serait, elle aussi, peu efficace.

M. Jean-Jacques Weber.

Et même impossible ! M. Charles Cova. C'est là, et uniquement là, que réside l'équilibre entre le droit de stationner et les sanctions pouvant être infligées pour non-respect de la loi. Nous ne pouvons pas exiger des maires qu'ils participent à l'élaboration d'un schéma départemental et à la création d'aires d'accueil si, en contrepartie, ils ne disposent pas des moyens juridiques suffisants pour faire respecter les arrêtés municipaux et recourir, le cas échéant, à des procédures d'expulsion.

L'article 9 du projet de loi est, dans ce domaine, fondamental. Il est, à nos yeux, la clef de voûte du dispositif à mettre en place. Il convient alors de faciliter l'accès au juge, mais surtout de faire en sorte que le juge, judiciaire ou administratif, se prononce même en la forme des référés, dans les plus brefs délais. C'est pourquoi il ne nous semble pas superflu d'essayer d'enfermer ce référé dans un délai de quarante-huit heures, voire de vingt-quatre heures. De la sorte, nous entendons démontrer aux propriétaires du terrain occupé que nous avons compris l'urgence qui caractérise cette situation. De la sorte, enfin, nous renforçons l'autorité de notre justice.

Je ne vous cache pas que nous sommes nombreux, sur tous les bancs de cette assemblée, ne vous en déplaise, à penser que serait encore plus efficace le recours direct à la force publique sollicité par le maire et exécuté par le préfet,...

M. Jean-Jacques Weber. Tout à fait !


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M. Charles Cova. ... à condition, bien entendu, que ce recours soit légitimement entouré des garanties constitutionnelles préservant la liberté individuelle. (« Très bien ! »s ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pour réussir, nous devons tout mettre en oeuvre pour venir en aide aux maires trop souvent confrontés au stationnement anarchique des gens du voyage. Le recours direct à la force publique se justifie en cas d'urgence. Le Sénat a même souhaité le proposer dans le cas où la présence des résidences mobiles serait de nature à porter atteinte à l'activité économique d'un bien. Là aussi, nous sommes nombreux à penser qu'il pourrait être étendu à l'ensemble des stationnements irréguliers. Il est clair, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'adoption d'une telle mesure révélerait un réel courage politique. L'avez-vous vraiment ? Si nous insistons sur le nécessaire renforcement des pouvoirs de police et sur celui de l'autorité des décisions de justice, c'est parce qu'il nous apparaît essentiel de consolider le contrat de confiance qui doit lier l'Etat et les responsables locaux. L'Etat ne peut pas exiger que soient réalisées des aires d'accueil sans assumer toutes ses responsabilités en protégeant de toute intrusion sur le reste du territoire communal. L'Etat ne doit pas abandonner les élus locaux une fois qu'ils ont satisfait à leurs obligations légales. L'Etat, à son tour, doit respecter son engagement moral. Là réside le pacte de confiance auquel nous tenons.

Trop souvent, l'incompréhension demeure chez nos concitoyens à l'égard des gens du voyage qui ont apparemment un niveau de vie élevé parce que circulant au volant de grosses berlines et bénéficiant, qui plus est, de revenus sociaux. Certains de nos collègues sénateurs ont proposé, à juste titre, que soit facilité, voire exigé, l'accès des gens du voyage à des comptes bancaires sur lesquels seraient versées leurs indemnités. Une telle pratique, dont les modalités restent à définir, permettrait de mieux suivre et comprendre les déplacements des nomades, de contrôler fiscalement leurs sources de revenus et de s'assurer du bon emploi des indemnités à caractère social qu'ils perçoivent, que la France leur verse et que nos concitoyens règlent.

M. Daniel Vachez. Eux aussi sont des citoyens !

M. Charles Cova.

Vous devriez, là aussi, faire preuve de courage politique. Mais le voulez-vous vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat ? Avant de conclure, permettez-moi d'insister sur un point que j'ai déjà évoqué, mais qui me paraît suffisamment important pour être rappelé et consacré par le législateur. Nous en avons, ici, une fois de plus l'occasion. De la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ressortent particulièrement trois droits fondamentaux : la liberté individuelle, l'égalité des citoyens, le droit de propriété.

Nous avons là des principes juridiques à valeur équivalente et suprême. Il serait donc appréciable que la majorité cesse d'opposer à nos propositions d'amendement tel ou tel principe, s'estimant seule investie de l'autorité et surtout de la compétence du juge constitutionnel. Soyez certains, mes chers collègues, que nos arguments sont juridiquement aussi fondés que les vôtres ! En outre, nous ne sommes pas là pour dire qui a tort, qui a raison. Nous sommes ici pour confronter nos idées et pour tenter d'apporter de véritables solutions à un problème pénible et malheureusement récurrent. Nous avons déjà dit, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un texte sur un tel sujet pourrait aisément emporter la conviction d'une large majorité de notre assemblée, y compris sur nos bancs, à condition toutefois que ce projet préserve de manière effective le droit de propriété.

Avec le problème des gens du voyage, nous nous situons au carrefour de l'ordre et de la liberté. A votre gouvernement, qui ne cesse d'afficher son souci de rétablir l'état de droit, il convient de rappeler que notre société ne peut connaître un tel état de droit que si les rapports entre ses membres sont organisés selon des règles qui définissent les droits de chacun et assurent les garanties nécessaires au respect de ces droits, parmi lesquels figure le droit de propriété. Si vous n'insérez pas dans ce projet de loi les instruments utiles pour en garantir le respect, vous ne contiendrez pas l'exaspération croissante des Français qui ont le sentiment que les familles de nomades sont au-dessus des lois.

M. Didier Quentin.

Très juste !

M. Charles Cova.

Votre responsabilité, monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que celle du Gouvernement auquel vous appartenez, est loin d'être négligeable dans le contexte à venir, un contexte lié à l'élargissement de l'Union européenne à des pays où se trouve déjà un grand nombre de gens du voyage qui n'hésiteront pas à venir s'installer sur notre territoire.

M. le président.

Veuillez conclure, je vous prie, monsieur Cova !

M. Charles Cova.

Nous devons prendre garde à ce phénomène et nous montrer d'autant plus exigeants pour faire respecter le droit de propriété. C'est dans ces circonstances que je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de tenir compte des observations et modifications apportées par le Sénat. Elles sont précieuses. Ne rejetez pas systématiquement ce qui est proposé par la Haute Assemblée, comme vous l'avez fait en commission des lois ! Essayons ensemble de trouver un compromis qui soit un réel gage d'efficacité ! Ne vous reposez pas sur le fait que la Constitution laisse le dernier mot à l'Assemblée ! Ne soyez pas convaincus que c'est forcément le dernier qui prend la parole qui a raison. Sur le terrain, confrontés aux gens du voyage, l'avenir pourrait bien vous donner tort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sur ce problème difficile, il convient de prendre en compte deux séries de considérations également légitimes.

En premier lieu, la liberté constitutionnelle d'aller et de venir et le droit de chacun de choisir son mode de vie, conformément à sa tradition et à sa culture, bref, de vivre autrement. Il est nécessaire que ce débat échappe à toute connotation raciste ou xénophobe s'agissant d'une population qui, d'une part, a été victime de persécutions au cours des années 1940-1945 et, d'autre part, est composée à 95 % de citoyens français.

En second lieu, le droit de propriété, le droit de chacun de vivre dans la tranquillité et le devoir de tous de respecter les règles collectives et la loi républicaine. Si les droits des gens du voyage doivent être respectés, ceux des


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habitants sédentaires doivent l'être tout autant. S'il n'en est pas ainsi, si les stationnements illicites se produisent et se prolongent, cela provoque des situations de forte tension entre les gens du voyage et les populations locales, celles-ci ayant le sentiment d'une incapacité à faire respecter la loi. Les élus locaux sont souvent confrontés à cette question, sans disposer des moyens juridiques réellement appropriés et vraiment efficaces, ce qui pose problème dans un Etat de droit. Il est donc indispensable d'adapter la législation existante, comme vous le faites, monsieur le secrétaire d'Etat.

Votre projet de loi vise à trouver un point d'équilibre fondé sur le respect des droits et des devoirs de chaque partie.

I l comprend l'élaboration, après consultation des communes, par le préfet et le président du conseil général, d'un schéma départemental qui prévoit les communes où des aires d'accueil des gens du voyage doivent être réalisées. Cela ne signifie nullement que chaque commune devra créer une aire d'accueil sur son propre territoire.

Par ailleurs, l'Etat prend en charge les investissements nécessaires à l'aménagement et à la réhabilitation de ces aires à hauteur de 70 %, la région, le département et les caisses d'allocations familiales pouvant apporter des subventions complémentaires. L'Etat compense également les charges de fonctionnement induites par ces aires d'accueil en versant une aide forfaitaire aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui gèrent des aires d'accueil.

En contrepartie, dès lors qu'une commune respecte les obligations qui lui incombent en application du schéma départemental, les pouvoirs des autorités administrativese t juridictionnelles seront sensiblement renforcés à l'encontre des stationnements illicites de caravanes. M'exprimant comme député de plusieurs communes, dont V illeneuve-Saint-Georges, Boissy-Saint-Léger ou Villecresnes, souvent concernées par les stationnements illicites de caravanes, je juge en effet indispensable que l'arsenal juridique dont disposent les élus soit renforcé pour qu'un terme rapide puisse être mis à toute occupation illégale de terrains privés ou du domaine public.

Certes, la solution, apparemment la plus simple, serait que les maires puissent saisir directement le préfet, l'autorité administrative sans devoir recourir au juge, pour lui demander de faire évacuer les caravanes installées irrégulièrement. Mais une telle disposition serait sans doute censurée par le Conseil constitutionnel qui, se fondant sur l'article 66 de la Constitution selon lequel « L'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle », a souvent rappelé le principe du recours obligatoire au juge chaque fois qu'une liberté individuelle est en jeu.

Tout en tenant compte de cette jurisprudence du Conseil constitutionnel, votre projet de loi apporte cependant d'importants progrès. Ainsi, le maire peut, par arrêté, interdire le stationnement sur le territoire de sa commune en dehors des aires d'accueil aménagées.

En cas de stationnement effectué sur un terrain n'appartenant pas au domaine public, le maire peut, par voie d'assignation délivrée aux occupants ainsi qu'au propriétaire du terrain, saisir le président du tribunal de grande instance pour faire ordonner l'évacuation forcée des caravanes. Le juge peut, en outre, prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée, à défaut de quitter le territoire communal, et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction.

Le juge statue en la forme des référés. Sa décision est exécutoire à titre provisoire. En cas de nécessité, il peut ordonner que l'exécution aura lieu au seul vu de la minute, ce qui, évitant la notification à personne, rendra la décision de justice plus rapidement applicable.

Les maires pourront donc se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion. En outre, le juge aura un pouvoir d'injonction, éventuellement assorti d'astreintes, qui évitera aux maires d'engager de nouvelles procédures dès lors qu'une décision de justice aura été obtenue à l'encontre des gens du voyage en infraction sur le territoire de leur commune. Cette disposition évitera au maire d'avoir à renouveler la procédure en cas de déplacement d'un groupe sur le territoire de la commune. Enfin, afin d'accélérer l'exécution des décisions de justice, la signification aux intéressés deviendra facultative, le jugement pouvant être exécuté au seul vu de sa minute. Tout cela aura pour effet positif de limiter le nombre de procédures d'expulsion engagées et de réduire les délais d'exécution.

Par ailleurs, en cas de stationnement effectué sur un terrain appartenant au domaine public, le juge administratif peut prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée, à défaut de quitter le territoire communal, et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction. Là aussi, le juge statue en la forme des référés. Pour simplifier l'action des élus locaux lors des procédures d'expulsion, il serait sans doute préférable de renoncer à cette dualité de compétence juridictionnelle le tribunal de grande instance pour les terrains privés d'un côté, et le juge administratif pour le domaine public, de l'autre - et d'unifier le contentieux au profit du seul juge judiciaire, donc du tribunal de grande instance pour l'essentiel.

Ce texte comporte donc des progrès très notables. Mais il peut sans doute être encore amélioré pour accélérer davantage la prise des décisions juridictionnelles en la matière, pour gagner du temps en réduisant encore plus les délais.

D'une part, comme vous l'aviez évoqué vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, en première lecture, il serait souhaitable que Mme la garde des sceaux adresse une directive générale de politique pénale aux parquets pour insister sur l'urgence qu'il y a à traiter ces situations.

MM. Dominique Bussereau et François Goulard.

En effet !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

D'autre part, il importe de raccourcir le délai d'obtention du référé, qui doit être, par définition, une procédure d'urgence, mais qui ne l'est pas toujours dans la pratique.

M. François Goulard.

Tout à fait !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Le Gouvernement a très bien fait de proposer devant le Sénat un amendement permettant de recourir à la procédure du référé d'heure à heure quand le cas requiert célérité. Cette procédure, prévue par le second alinéa de l'article 485 du code de procédure civile, permet la délivrance d'une ordonnance de référé le jour même de la demande.

Par ailleurs, quand cette procédure de l'article 485 du code de procédure civile ne peut être utilisée, il paraît nécessaire de poser en règle que le référé doit être obte nu dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures.

Les gens du voyage doivent voir leurs droits respectés : droit de circuler librement et droit de stationner légalement. Mais les habitants sédentaires ont, eux aussi, le


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droit d'être respectés et d'être protégés contre les stationnements illicites de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques.

M. Bernard Schreiner.

Exactement !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

La loi républicaine doit s'imposer à tous et partout et le texte que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, est par essence une loi républicaine.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est un principe qui nous réunit : nous reconnaissons à chacun le droit de choisir son mode de vie, quel qu'il soit, mais dans le respect des lois.

De ce principe universellement admis découle un double objectif s'agissant des gens du voyage : d'une part, accroître l'offre de places pour le passage et le séjour ; d'autre part - c'est le pendant du premier point -, faire reculer les stationnements illégaux sur les terrains privés ou publics. Ces stationnements illégaux s'accompagnent en effet d'un cortège de nuisances auxquelles tous les élus l ocaux et tous les riverains sont malheureusement confrontés sans qu'ils puissent trouver de solutions.

Face à ce double objectif, un constat s'impose : les législations successives n'ont pas été suffisamment efficaces. Il faut le dire. Le nombre d'occupations illégales des domaines privé et public est aujourd'hui incroyablement élevé et il génère le mécontentement tant des populations que des élus locaux. Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, le nombre de places disponibles est insuffisant. Le chiffre que j'ai pu recueillir est un peu plus optimiste que le vôtre ; toujours est-il qu'il devrait être au moins deux fois plus élevé pour satisfaire les besoins.

Face à cette situation que faut-il faire ? Vous proposez des solutions dans votre projet de loi, mais je n'y adhère pas pour une raison extrêmement simple. Je suis fondamentalement convaincu que l'on ne pourra contraindre les communes à réaliser des aires d'accueil comme vous le croyez en raison de l'existence du principe de libre administration des collectivités locales, auquel les députés du groupe Démocratie libérale et Indépendants sont particulièrement attachés.

M. Jean-Jacques Weber.

Principe largement foulé aux pieds !

M. François Goulard.

Il est vrai que des tendances jacobines se font jour et s'expriment au sein du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Weber.

Eh oui !

M. François Goulard.

Mais, au-delà du principe, je suis convaincu que la contrainte ne sera pas efficace en la matière. Ce n'est pas ainsi que vous obtiendrez des communes qu'elles créent des terrains d'accueil. C'est pourquoi nous sommes opposés au pouvoir que vous proposez de donner au préfet d'arrêter, en dernier ressort, le schéma départemental. C'est pourquoi nous sommes farouchement opposés à ce qu'on lui donne un pouvoir de substitution quand une commune n'aura pas réalisé les aires d'accueil prévues au schéma départemental.

D'ailleurs, soyons sérieux, monsieur le secrétaire d'Etat ! Imaginez-vous une seconde la mise en oeuvre de ce pouvoir de substitution ? Imaginez-vous une seconde un préfet décréter qu'une aire d'accueil doit être réalisée sur tel terrain, dans telle commune, et passer à l'acte, la faisant réaliser sous sa propre autorité contre l'opinion du maire et, certainement, contre celle de la population ? C'est inimaginable ! Vous vous heurterez à une révolte locale et il est assez facile d'imaginer que les populations concernées feront manger sa casquette au préfet, si vous me permettez l'expression.

De telles solutions autoritaires n'ont pas cours. Il faut que les collectivités locales soient volontaires pour réaliser les aires d'accueil. Je suis à cet égard contre l'opposabilité introduite en première lecture, dont on ne sait d'ailleurs pas très bien quelle est la portée dans le texte adopté par notre assemblée. Il est, à mon avis, inconcevable que l'on puisse opposer le schéma départemental au plan d'occupation des sols des communes.

Les conditions de la réussite sont extrêmement simples.

D'abord, il faut une neutralité financière. Certes, vous faites un progrès considérable en la matière, il faut le reconnaître,...

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est bien de le reconnaître !

M. François Goulard.

... mais qui n'est pas suffisant. Il ne faut pas que les aires d'accueil coûtent de l'argent aux communes et que le stationnement des gens du voyage soit générateur de charges nouvelles non compensées pour les collectivités locales. La neutralité financière est l'une des conditions élémentaires de la réussite qu'il importe de remplir. C'est le réalisme qui l'impose.

Ensuite, la réalisation d'une aire d'accueil doit ouvrir des moyens juridiques efficaces de réprimer l'occupation illégale. C'est d'ailleurs votre point de vue, mais vous n'allez pas jusqu'au bout. Il faut renforcer l'arsenal de telle sorte qu'une commune réalisant une aire d'accueil ait la certitude qu'elle disposera de moyens juridiques efficaces pour s'opposer avec succès à l'occupation illégale, tant des terrains privés que du domaine public.

La proposition sénatoriale, adoptée en novembre 1997, il y a plus de deux ans, était, à notre avis, bien meilleure que votre texte. Sur nombre de points, elle était beaucoup plus réaliste.

Par exemple, elle supprimait le seuil des 5 000 habitants. Ce n'est pas parce qu'une commune a plus de 5 000 habitants qu'elle est plus à même de réaliser une aire d'accueil.

Elle était plus réaliste en matière de délais. Ceux que vous fixez ne sont pas suffisants. Et nous le savons, parce que nous nous occupons couramment d'affaires qui touchent au droit du sol.

Elle était plus réaliste s'agissant des grands rassemblements. Ceux-ci doivent être intégrés à un schéma national, car les dépenses qu'ils entraînent dépassent à l'évidence les possibilités matérielles des collectivités locales.

Le texte sénatorial est également plus efficace s'agissant de l'arsenal juridique. Je suis assez d'accord avec les propos de notre collègue Schwartzenberg, du moins sur ce point-là.

La France fait coexister la juridiction administrative et la juridiction judiciaire. Il faut vivre avec. Mais je reconnais qu'il est assez difficile d'expliquer que, pour une partie du terrain occupé, il faut s'adresser au juge administratif et, pour l'autre, au juge judiciaire. Au demeurant, les techniques mises en oeuvre devant l'ordre judiciaire sont probablement plus adaptées aux actions dont il s'agit. Je suis pour ma part favorable à l'unification du contentieux au profit du juge judiciaire...

M. Jean-Pierre Blazy.

Nous sommes au moins d'accord sur un point !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

M. François Goulard.

... tout en reconnaissant que ce serait enfreindre gravement le principe de séparation des ordres de juridiction.

Il y a des réformes qui sont d'ordre législatif, il y en a d'autres qui sont d'ordre pratique. En l'occurrence, il faut absolument que les référés puissent être obtenus dans des délais extrêmement rapides, ce qui relève d'instructions du garde des sceaux. En tant qu'élus locaux nous constatons que, dès que l'autorité judiciaire a rendu une décision, les occupations irrégulières cessent généralement très vite, car les personnes concernées ne souhaitent pas avoir maille à partir avec l'autorité judiciaire. Le Gouvernement doit donc faire en sorte que nous obtenions des référés dans des délais extrêmement rapides.

En conclusion, nous estimons que ce projet de loi n'est pas de nature à résoudre les problèmes. Nous ne croyons pas que l'intervention autoritaire du préfet soit une bonne réponse à l'inaction des collectivités locales, sans l'accord, l'assentiment et la coopération desquelles nous n'arriverons à rien.

Cette coopération s'obtiendra au prix d'une participation plus élevée de la collectivité à leurs charges et au prix d'un arsenal juridique plus efficace.

Vous comprendrez que, dans ces conditions, notre groupe ne puisse pas voter votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Charles Cova.

D'excellentes choses ont été dites.

Enfin !

M. le président.

La parole est à M. Daniel Vachez.

M. Daniel Vachez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, madame la rapporteuse, mes chers collègues, au moment où nous débutons l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, je crois utile de rappeler les grands principes qui ont guidé la position des députés socialistes sur ce texte. Nous sommes confrontés, dans nos circonscriptions respectives, à des situations de plus en plus tendues, qui menacent presque quotidiennement la cohésion et la paix civile de nos communes...

M. Charles Cova.

Voilà !

M. Daniel Vachez.

... ainsi que la coexistence en bonne intelligence des populations sédentaires et itinérantes.

Nous souhaitions, depuis très longtemps, une amélioration substantielle de la législation existante afin d'apporter aux maires concernés, qui se trouvent trop souvent désemparés, des solutions adaptées.

Jusqu'à présent, la législation en matière d'accueil des gens du voyage se résume à un seul article, inséré dans la loi de 1990 sur le logement des plus défavorisés. Cet article, adopté à l'initiative de parlementaires de la majorité de gauche de l'époque, se voulait d'abord un signe lancé au Gouvernement et aux élus locaux sur l'urgence qu'il y avait à agir en la matière. Il ne visait évidemment pas à régler l'ensemble des problèmes que suscitent l'accueil et le stationnement des gens du voyage, mais il devait constituer l'amorce d'une réflexion plus globale sur la question. Il aura fallu, en définitive, près de dix ans pour que cette réflexion aboutisse à la présentation d'un projet de loi spécifiquement consacré aux conditions d'accueil et d'habitat des populations itinérantes. Dix ans au cours desquels, sous l'effet conjugué d'éléments tels que la raréfaction des lieux de stationnement disponibles ou la montée des difficultés économiques, les situations sur le terrain se sont détériorées. Dix ans au cours desquels nous avons eu tout le loisir de constater les insuffisances de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990.

M. Charles Cova.

En effet...

M. Daniel Vachez.

Entre 1993 et 1997, monsieur Cova, le Gouvernement était de votre bord, et il n'a rien fait !

M. Jean-Jacques Weber.

Arrêtez ! Cela fait vingt ans que vous êtes au pouvoir !

M. Charles Cova.

Alors, ne racontez pas d'histoires !

M. Daniel Vachez.

C'est une réalité ! Ces insuffisances peuvent être rapidement résumées.

Faute de délai et de pouvoir de sanction inscrits dans la loi, les obligations qui incombent aux départements et aux communes n'ont été que très partiellement respectées.

Les communes qui ont consenti à réaliser une aire, en application de l'article 28, ont dû seules faire face à une charge financière très lourde, liée aux dépenses de fonctionnement.

Enfin, les communes qui avaient rempli leurs obligations ne se sont pas trouvées en situation de faire cesser plus rapidement ou plus simplement les stationnements sauvages sur leur territoire. Pire, elles ont souvent été confrontées à un afflux supplémentaire de gens du voyage, la réalisation d'une aire constituant en quelque sorte un « appel d'air » (Sourires) dans le contexte d'une pénurie durable et avérée en places de stationnement.

M. Yves Bur.

Et votre projet n'y changera rien !

M. Daniel Vachez.

Ce constat sur les insuffisances de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, chacun a eu l'occasion de le faire sur les communes de sa circonscription. Il devrait donc être approuvé sur l'ensemble des bancs de notre assemblée.

Tirant les conséquences de ces insuffisances, les députés du groupe socialiste ont soutenu une approche qui s'articule autour de trois axes.

D'abord, préciser les obligations qui incombent aux collectivités locales afin que chaque département se dote effectivement d'un schéma d'accueil des gens du voyage et que chaque commune inscrite au schéma remplisse ses obligations dans un délai limité.

Ensuite, instaurer une solidarité financière vis-à-vis des communes qui aménagent des aires, notamment pour faire face aux frais de fonctionnement, mais également pour compenser, au moins partiellement, les dépenses indirectes engagées par la commune au profit des populations itinérantes.

Enfin, instaurer un traitement différencié entre les communes qui ont rempli leurs obligations et celles qui n'ont pas aménagé d'aires, s'agissant de l'expulsion des c aravanes qui stationnent de façon irrégulière. Les communes dotées d'une aire doivent pouvoir obtenir plus facilement et plus rapidement un jugement d'expulsion.

Sur toutes ces questions, le projet de loi qui a été présenté par le Gouvernement apporte des réponses sérieuses, cohérentes et souvent courageuses,...

M. Charles Cova.

Et insuffisantes ! M. Daniel Vachez. ... qui constituent autant d'avancées extrêmement significatives.

M. Yves Bur. Je ne suis pas sûr que les maires socialistes approuveront !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

M. Daniel Vachez. Autant d'avancées qui ont justifié le soutien que le groupe socialiste a apporté à ce texte lors de la première lecture.

Le travail mené par le Sénat a malheureusement consisté, pour l'essentiel, à vider de sa substance le texte qui lui avait été transmis par notre assemblée.

M. Charles Cova. Oh non ! M. Daniel Vachez. Toutes les dispositions qui tendaient à permettre la publication rapide des schémas départementaux et la réalisation effective des aires d'accueil par les communes ont ainsi été supprimées : supprimée la possibilité offerte au préfet de signer seul le schéma départemental à l'issue d'un délai de dix-huit mois ; supprimé le caractère opposable du schéma à la suite de l'adoption d'un amendement émanant d'un collègue de l'opposition,...

M. Jean-Jacques Weber. C'est vrai ! M. Daniel Vachez. ... supprimé également le pouvoir de substitution du préfet en cas de non-respect par la commune des prescriptions du schéma départemental.

De fait, le dispositif retenu par le Sénat aboutit à un quasi-retour aux dispositions et donc aux insuffisances de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990.

On peine d'ailleurs à trouver une cohérence dans la démarche du Sénat. D'une part, il sollicite un recours accru à l'intervention de l'Etat, appelé, via un schéma national, à prendre en charge la gestion des grands déplacements ou à participer de façon plus forte encore au financement des aires de stationnement. Mais, d'autre part, il refuse cette même intervention de l'Etat lorsqu'il s'agit de s'assurer de la réalisation effective des obligations qui incombent aux départements et aux communes.

Il est clair que l'on ne peut pas suivre le Sénat sur cette voie. Si l'Etat doit soutenir de façon plus affirmée les communes qui s'engagent dans l'aménagement d'aires d'accueil, il doit être également en mesure de faire pression efficacement sur les communes récalcitrantes, car, malheureusement, il y en a. Ces dix dernières années ont hélas ! prouvé que l'on ne pouvait s'en remettre à la seule bonne volonté des communes, comme semble le croire la majorité sénatoriale.

Il va de soi que le groupe socialiste soutiendra tous les amendements de la rapporteuse qui vont dans le sens d'un retour à l'économie générale du projet de loi, gage de sa réussite et de son efficacité.

Notre propos n'est pas de conférer de nouveaux droits à une catégorie de population, qui doit d'ailleurs faire partie intégrante de notre communauté nationale. Il est d'apporter des solutions réalistes, pragmatiques, justes et humaines à des situations devenues intenables.

M. Charles Cova.

On va s'en rendre compte à brève échéance !

M. Daniel Vachez.

Je regrette à cet égard que les discours tenus par les orateurs de droite lors de l'examen du texte par le Sénat aient été plus souvent dictés par des considérations idéologiques ou électoralistes que par la recherche de solutions concrètes.

(Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Schreiner.

C'est de la démagogie !

M. Charles Cova.

Vous faites en sorte que cela tombe avant les élections ! Plus électoraliste que vous, on meurt !

M. Daniel Vachez.

J'ai suivi les débats du Sénat. Les propos qui ont été tenus m'ont effaré !

M. Bernard Schreiner.

Vos collègues maires sauront vous répondre !

M. Daniel Vachez.

Exhorter ou agir, il faut choisir ! Or, si nous suivions la voie que la majorité du Sénat n ous propose, les problèmes que nous connaissons aujourd'hui ne feraient que subsister.

Ceux qui dénoncent aujourd'hui l'inertie de l'Etat, ceux-là mêmes qui souvent refusent d'assumer leurs responsabilités, pourraient alors légitimement continuer à protester.

Est-ce à dire que ce projet de loi, une fois définitivement voté, réglera tous les problèmes ? Certes non. J'ai déjà dit, au cours de la première lecture, que la réussite de la loi, à laquelle nous avons collectivement intérêt pour sortir des tensions auxquelles nous sommes actuellement confrontés, nécessiterait la mobilisation et la responsabilisation de chacun. Mais les conditions essentielles de la réussite de la loi viendront aussi, et surtout, de l'usage que le Gouvernement, et en particulier les représentants de l'Etat dans les départements, feront des facultés qui leur sont ouvertes par le présent texte.

Le projet de loi que nous examinons est fondé sur un équilibre réel entre droits et devoirs de chacun : d'une part, entre l'obligation d'aménager des aires qui pèse sur les communes et le soutien financier important qui leur est octroyé en contrepartie ; d'autre part, entre le droit des gens du voyage d'accéder à des aires aménagées qui leur assurent de bonnes conditions de stationnement et le devoir qui est le leur de ne pas stationner en dehors de ces aires. Il faut reconnaître que cet équilibre est fragile.

Observant la situation présente et passée, les élus locaux sont souvent sceptiques sur la capacité du préfet de faire usage de son pouvoir de substitution pour réaliser une aire en lieu et place d'une commune récalcitrante, ou pour octroyer rapidement le recours à la force publique afin de faire exécuter une décision de justice visant à l'évacuation forcée de caravanes qui stationnent irrégulièrement dans une commune dotée d'une aire aménagée.

Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que, sur ces deux points fondamentaux, vous assuriez à nouveau clairement la représentation nationale et, partant, l'ensemble des élus locaux, de la volonté du Gouvernement d'exercer pleinement ses prérogatives.

Il est essentiel que nous soyons assurés, d'une part, qu'aucune commune ne sera en mesure de se défausser durablement de ses responsabilités et, d'autre part, que les communes qui ont satisfait à l'obligation d'aménager une aire obtiendront plus facilement et plus rapidement l'évacuation des caravanes qui stationnent en dehors de ces aires. C'est là que se joue, de toute évidence, la crédibilité du texte que nous examinons aujourd'hui.

Dans cette perspective, je voudrais redire l'attachement du groupe socialiste à la rédaction de l'article 9 du projet de loi, telle qu'elle résulte de la première lecture de notre assemblée.

Dans le cadre de la procédure qu'un maire est amené à engager en cas de stationnement illicite, un amendement de la rapporteuse, adopté à l'unanimité en séance, prévoyait d'unifier le contentieux au profit du seul juge civil.

Le Sénat, pour des raisons dont je comprends mal le fondement, a cru bon de revenir sur cette disposition et de rétablir la compétence du juge administratif lorsque le stationnement illicite a lieu sur le domaine public.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

Le groupe socialiste souhaite que nous revenions au texte adopté en première lecture, qui avait le double mérite de simplifier et d'améliorer l'efficacité des procédures.

La procédure est simplifiée puisqu'en cas de stationnement illicite, le maire saisit un seul et même juge, quand bien même ce stationnement jouxte des terrains dont la nature juridique est différente ; l'efficacité de la procédure est également très sensiblement améliorée, puisque la décision rendue par le juge aura une validité dans l'espace et dans le temps, c'est-à-dire qu'elle sera valable pour un même groupe de voyageurs sur tout le territoire communal et sur une période donnée.

La réussite de la loi résultera également du soutien financier que l'Etat octroie aux communes qui réalisent une aire d'accueil. Il ne serait en effet pas juste que les communes qui aménagement une aire aient à faire face seules aux très lourdes charges que cet aménagement induit. La solidarité nationale doit s'exercer. Il faut, à ce propos, souligner l'avancée considérable que réalise ce projet de loi.

Tout d'abord, le texte porte la subvention à l'investissement de 35 à 70 %. Comme je l'avais demandé lors de la première lecture, le Gouvernement a décidé d'anticiper l'application de cette mesure pour ne pas retarder les projets de construction en cours. Celle-ci est donc d'ores et déjà à l'oeuvre depuis septembre dernier, ce dont je me réjouis.

Ensuite, la création d'une allocation logement versée directement au gestionnaire de l'aire, pour un montant forfaitaire de 10 000 francs par an et par place, permet enfin de répondre, pour une large part, au problème déterminant du coût de fonctionnement des aires, qui constitue une lourde charge pour les communes concernées. Cumulée à la participation des conseils généraux et à celle des gens du voyage eux-mêmes, elle devrait permettre de couvrir l'essentiel des sommes correspondantes, de sorte que la charge restant à la commune soit considérablement réduite.

M ais il est d'autres charges qui pèsent sur les communes sur lesquelles est située une aire et qui nécessitent une compensation financière de l'Etat ; ce sont toutes les dépenses indirectes, notamment d'intervention sociale, engagées par la commune où stationnent les voyageurs. Le Gouvernement a reconnu la légitimité d'une participation à ces charges en prévoyant un abondement de la DGF versée aux communes sur lesquelles est implantée une aire.

La discussion ouverte dès la première lecture a porté sur le niveau de cette participation. Il faut reconnaître que la situation n'est pas simple, notamment du fait de la nature de la DGF, qui constitue une « enveloppe fermée ». Le groupe socialiste est attaché à ce que les communes supports d'une aire d'accueil bénéficient d'un soutien particulier qui correspond aux charges qu'elles devront seules assumer. Mais il n'est pas indifférent non plus au souci du Gouvernement de ne pas déstabiliser le système de la DGF et en particulier de ne pas pénaliser, du fait d'une répartition différente de cette dotation, les communes qui bénéficient de la DSU ou de la DSR bourg-centre. Au cours de la première lecture, j'avais demandé au Gouvernement de nous faire des propositions susceptibles de concilier ces deux objectifs. Une concertation s'est engagée à ce sujet, qui devrait nous permettre d'aboutir à un compromis acceptable par le Gouvernement comme par la majorité de notre assemblée.

Nous y reviendrons au moment de la discussion sur l'article concerné.

Il reste que les gens du voyage sont confrontés à toute une série d'autres difficultés - scolarisation, accès aux soins, insertion économique, statut - qui nuisent à leur bonne intégration dans la société française. Autant de difficultés, et donc de points de tension, auxquels ne répond pas ce texte puisqu'il s'est, à juste titre, limité aux conditions de stationnement et d'habitat. Tous ces sujets devront être abordés, avec toutes les parties concernées, au sein de la Commission nationale des gens du voyage.

En juin dernier, j'avais demandé que celle-ci soit rapidement reconstituée. C'est désormais chose faite, puisque l'ensemble de ses membres a été désigné et qu'un président a été nommé à sa tête. La commission est donc

« en état de marche ». Je souhaite que le Gouvernement provoque sa réunion sans tarder, afin d'engager le dialogue suivi et approfondi, qui a fait souvent défaut entre les gens du voyage, les élus et les services de l'Etat.

C'est que le temps presse. Chacun, quelle que soit son appartenance politique, s'accorde à reconnaître qu'il est urgent d'agir.

S'agissant du processus législatif, il appartient au Gouvernement et aux deux assemblées de faire preuve de responsabilité et de célérité. L'Assemblée nationale à dé montré sa volonté d'aboutir rapidement en inscrivant le texte en deuxième lecture tout juste trois semaines après qu'il lui a pas été transmis par le Sénat. J'ose espérer que celui-ci procédera à son tour sans tarder à une seconde lecture afin que nous puissions achever l'examen de ce texte au plus tard avant la fin de cette session.

Il faut également que, sans attendre la promulgation de la loi, les départements s'engagent dans l'élaboration ou, le cas échéant, dans la révision de leur schéma d'accueil.

Tel est le cas dans le département de Seine-et-Marne que j'ai l'honneur de représenter. Il est à ce propos souhaitable que le Gouvernement donne des instructions claires aux préfets pour généraliser ce mouvement à l'ensemble des départements.

Pour conclure, je voudrais revenir sur ce qui constitue en quelque sorte le leitmotiv de ce projet de loi : permettre la réalisation d'un maximum d'aires en un minimum de temps pour sortir de la situation de pénurie qui explique l'essentiel des tensions auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés. Je le répète, il s'agit, non pas d'accorder je ne sais quel droit exorbitant à une catégorie particulière de la population, mais de tenter de régler de façon réaliste et pragmatique un problème qui n'a que trop duré. Nous voulons sortir de l'impasse dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Une telle situation ne peut que provoquer violences et incompréhensions mutuelles.

De toute évidence, la majorité du Sénat a préféré s'enfer rer dans une logique purement politicienne et idéologique...

M. Jean-Jacques Weber et M. Charles Cova.

Mais non ! M. Didier Quentin. Un peu de mesure !

M. Daniel Vachez.

... en échafaudant un dispositif incohérent et dont il sait qu'il s'avérera inefficace. Le groupe socialiste, quant à lui, assumant ses responsabilités, mettra tout en oeuvre pour que ce projet de loi aboutisse rapidement et qu'il constitue une réussite sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova.

Vous pouvez toujours rêver !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Weber.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

M. Jean-Jacques Weber. Le débat en première lecture sur ce projet de loi avait déjà révélé la limite de votre démarche et surtout, monsieur le secrétaire d'Etat, son décalage avec la réalité vécue sur le terrain et les attentes des maires.

Nous cherchions, en accord sur ce point avec la plupart des associations les représentant, à définir des règles permettant aux gens du voyage et à leurs enfants de bénéficier d'une vie meilleure dans notre pays. Il s'agissait d'atténuer les craintes et l'hostilité, dont ils font l'objet, et d'éviter les conflits et excès de toutes sortes quio pposent si souvent, trop souvent, les populations migrantes aux sédentaires et à leurs élus. Nous voulions un ordre républicain fait de respect et d'ouverture. Mais votre texte, quoi qu'en progrès par rapport à celui de 1990, ne répondait pas à cette attente ; d'où notre refus de le voter le 24 juin dernier.

Inspiré par le même souci humaniste et républicain, le Sénat a apporté, les 2 et 3 février derniers, un certain nombre de retouches à votre texte pour le rendre plus opérationnel. Comme je l'avais proposé moi-même, la Haute Assemblée a estimé nécessaire la mise en place d'un schéma national pour le meilleur accueil des grands rassemblements et la canalisation planifiée des flots massifs, impossible au seul plan départemental, voire régional.

Le Sénat a également tenté, par une série de mesures appropriées, d'offrir aux maires, confrontés au problème des arrivées surprises et des occupations illégales de terrain, une sorte de boîte à outils pratique, d'un usage simple et rapide.

L e texte ainsi modifié instaurait un partenariat constructif entre les maires et le préfet et rééquilibrait un peu le projet initial, qui avait en fait abouti à creuser un fossé entre les devoirs importants et parfois difficiles à mettre en oeuvre imposés aux communes, et l'absence de toute contrepartie véritable pour les gens du voyage récalcitrants.

M. Bernard Schreiner. C'est vrai !

M. Jean-Jacques Weber.

Or, et vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, les communes qui avaient accepté de mettre en place des aires de stationnement éprouvent souvent les pires difficultés pour obtenir une décision de justice en cas de stationnement illicite ailleurs que sur ces aires...

M. Yves Bur.

Oh oui !

M. Jean-Jacques Weber.

... et que le tout premier souci des maires est de pouvoir mettre fin rapidement - enfin ! - aux excès qu'ils constatent.

Du reste, j'ai noté que des élus socialistes de renom, tel M. Michel Charasse, ont de ce problème une vision réaliste. Je vous renvoie à son intervention publiée dans le Journal officiel du 3 février. Il identifie deux points non réglés qui rendent inopérants les moyens offerts aux élus par votre loi. Il a bien vu d'abord le problème de l'identité, qui rend nécessaire d'obtenir des juges des mesures collectives visant toutes les caravanes en station illégale sur le même terrain.

M. Charles Cova.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Weber.

Il a relevé aussi l'illusion de l'astreinte.

M. Charles Cova.

C'est une vue de l'esprit !

M. Jean-Jacques Weber.

Si l'on n'a pas l'identité du contrevenant, comment appliquer une astreinte quelconque ?

M. Charles Cova.

Bien sûr !

M. Jean-Jacques Weber.

Enfin, l'ancien ministre du budget, rejoignant notre analyse sur la responsabilité d'un maire en matière d'expulsion des récalcitrants, estime que si le préfet ne fournit pas le concours de la force publique, la responsabilité civile et pénale du maire doit être transférée automatiquement au préfet.

M. Patrice Martin-Lalande et M. Charles Cova.

Il a raison !

M. Jean-Jacques Weber.

D'ailleurs, je ne résiste pas au plaisir de vous lire un extrait de l'intervention de M. Charasse :

« Premièrement, quelles que soient, mes chers collègues, les procédures envisagées, qu'on saisisse le juge judiciaire ou le juge administratif par la voie du référé, il faut savoir que, dans la plupart des cas, il est très difficile d'obtenir une décision du juge, d'abord dans des délais rapides et même, de façon générale, pour la raison très simple que les identités des intéressés ne sont pas connues, parce que les deux ou trois gendarmes du coin ont généralement peur de pénétrer dans un campement de gens du voyage sur leurs gardes, voire hostiles,...

M. Bernard Schreiner.

Voilà la réalité !

M. Jean-Jacques Weber.

... pour aller relever les identités et que, de toute façon, s'ils le font, on leur dit que telle caravane est fermée, que telle autre appartient à on ne sait qui, etc. »

M. Charles Cova.

C'est la réalité et c'est un socialiste qui l'a décrite !

Mme Raymonde Le Texier, rapporteuse.

Ce n'est pas parce que M. Charasse est socialiste qu'il a raison !

M. Jean-Jacques Weber.

Monsieur le secrétaire d'Etat, comme n'importe quelle liberté, celle d'aller et de venir a une contrepartie : respecter le choix de vie et la liberté d'autrui. Aussi, avec plusieurs collègues particulièrement sensibles aux problèmes des populations migrantes et des élus, j'ai déposé une série d'amendements qui se veulent réalistes. Je crains cependant que votre objectif aujourd'hui ne se borne à rétablir le texte tel qu'il avait été adopté par notre assemblée en juin dernier.

M. Patrice Martin-Lalande.

Texte pourtant très insuffisant !

M. Jean-Jacques Weber.

Cela montre bien que votre souci n'est pas d'abord d'aider les maires et de faire en sorte que l'ordre républicain règne. Pour vous, la seule solution aux problèmes actuels consiste à accroître le nombre de places de stationnement. Certes, c'est nécessaire. Mais ce n'est vraiment pas suffisant. Du reste, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas accroître le potentiel des places. Je n'ai jamais critiqué ce texte qui vise à inciter les communes de plus de 5 000 habitants et leurs structures intercommunales à mettre en place des structures d'accueil. Mais on ne peut pas tout résumer à cela sous peine de rester bien en deçà des attentes des uns et des autres.

Les gens du voyage français, qui bien souvent, quoi qu'on en dise, ont peu de ressources, ont le droit d'être traités en citoyens comme les autres.

M. Patrice Martin-Lalande.

Tout à fait !

M. Jean-Jacques Weber.

Ainsi, et comme d'autres intervenants, j'attendais des mesures décisives, comme la suppression des carnets de voyage, indignes de notre esprit humaniste, la création de domiciles de secours, la mise en place d'assistantes sociales spécialisées, le ren-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 FÉVRIER 2000

forcement du contrôle scolaire, la lutte contre l'usure à l'intérieur des clans, ou encore l'amélioration du contrôle des ressources. Ce texte aurait dû être l'occasion d'aborder ce grand chantier. Je crains malheureusement que nous ne loupions ce rendez-vous du fait de cette sorte d'angélisme qui vous fait refuser les solutions propres à rétablir le nécessaire équilibre entre droits et devoirs.

Pourquoi refuser, par exemple, ma proposition qui permettrait de sanctionner les récalcitrants, ceux qui refusent les règles fixées, par des retraits de points du permis de conduire ? La gendarmerie pourrait s'en charger. Ce moyen, au demeurant très simple, serait d'autant plus dissuasif qu'il permettrait, en même temps, de savoir si le contrevenant est réellement titulaire du permis et si sa voiture est assurée. Ce serait simplement le début d'une remise en ordre que tous les élus de terrain appellent de leurs voeux. Mais recherchez-vous vraiment cela ou faudra-t-il attendre d'autres jours et la nécessaire loi cadre qui associerait dans le même travail les ministres de l'intérieur, des affaires sociales, et des affaires européennes, car les déplacements, chacun le sait, se font même au-delà des limites de l'Europe actuelle ? Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis de ceux qui, dans cette enceinte, demandent le respect des minorités et de leur droit à la différence. Je souhaite qu'à cet égard, les traditions françaises d'hospitalité et d'accueil soient cultivées et élargies pour tous les étrangers, et, ce dans le respect des règles de notre République. Alors, fixons-les en fonction de ces principes et dans le respect de nos concitoyens sédentaires, de leurs biens et de leurs propres règles de vie. Voilà ce que nous demandons. Mais il est clair, à présent, que c'est là un autre débat que vous ne souhaitez manifestement pas aborder. Pourtant, monsieur le secrétaire d'Etat, votre texte initial n'est conforme ni à ce que les gens du voyage peuvent attendre d'une République humaniste en l'an 2000, ni aux besoins des communes, de leurs élus, de leur population. Pourquoi tenez-vous tant à le rétablir ?

M. Charles Cova.

C'est un projet de loi électoraliste !

M. Jean-Jacques Weber.

Il n'est ni efficace ni équilibré, et c'est bien dommage. Par nos très nombreux amendements, nous vous offrons la possibilité de parvenir à l'équilibre et à l'efficacité que vous déclarez souhaiter.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat a largement bouleversé le texte voté par notre assemblée en première lecture. Nous avions voulu à la fois contraindre et inciter pour favoriser dans un délai raisonnable, mais le plus court possible, la réalisation des nombreuses aires d'accueil des gens du voyage nécessaires.

Ce projet de loi est attendu car il s'agit de remédier à une situation sur le terrain de plus en plus insupportable pour nos concitoyens comme pour les élus. Le respect républicain indispensable à l'exigence nécessaire de réciprocité, réciprocité entre le devoir d'accueil pour les uns et le devoir citoyen pour les autres, n'est pas garanti. En effet, le dispositif issu de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 n'a pu être mis en oeuvre de façon satisfaisante.

Le fait qu'aujourd'hui trop peu d'aires d'accueil aient été construites conduit à une situation inextricable. Les communes ayant eu le courage et la possibilité de mettre en oeuvre les dispositions de la loi de 1990 sont celles qui sont confrontées aux problèmes les plus aigus du fait d'une présence continue de gens du voyage souvent en surnombre par rapport aux capacités des aires existantes.

Par ailleurs, les communes qui sont confrontées à une présence massive et désordonnée de gens du voyage ne peuvent légitimer, au regard d'une population souvent exaspérée et révoltée contre l'immunité réelle dont ceuxci disposent, la construction d'une aire d'accueil synonyme de problèmes supplémentaires au regard des expériences déjà vécues.

Cette réalité est aujourd'hui particulièrement insupportable dans la région parisienne. Maire d'une commune de la grande couronne, je vis trop régulièrement cette situation. Mes concitoyens et nombre d'entreprises ont à subir les nombreuses intrusions des gens du voyage. Non seulem ent certaines entreprises menacent de quitter la commune...

M. Charles Cova.

Eh oui !

M. Jean-Pierre Blazy.

... mais ce sont les contribuables qui doivent supporter le coût des procédures incessantes car trop souvent déjouées. Il suffit en effet que les gens du voyage se déplacent de quelques centaines de mètres pour contraindre ainsi le maire ou le propriétaire privé à engager une nouvelle procédure.

M. Patrice Martin-Lalande.

Exactement !

M. Didier Quentin et M. Bernard Schreiner.

Il a raison !

M. Jean-Pierre Blazy.

La volonté d'équilibre manifestée par le Gouvernement et par notre Assemblée entre droit et devoir est essentielle à la réussite de la mise en oeuvre de ce projet de loi.

M. Patrice Martin-Lalande.

Mais pas suffisante !

M. Jean-Pierre Blazy.

En effet, si la réalisation d'aires d'accueil est indispensable, celle-ci doit s'accompagner d'un contrat clair qui suppose le respect et l'application de la loi de la République.

M. Charles Cova.

C'est vrai !

M. Didier Quentin.

Il a raison !

M. Patrice Martin-Lalande.

Nous sommes d'accord sur ce point !

M. Jean-Pierre Blazy.

Je voudrais insister essentiellement sur ce point et donc sur la force de l'article 9. Si nos citoyens refusent a priori la mise en place des aires d'accueil des gens du voyage, ce n'est pas par racisme ou refus de la différence mais bien parce qu'ils ont le sentiment que les gens du voyage bénéficient d'une impunité.

M. Didier Quentin et M. Charles Cova.

Très juste !

M. Jean-Pierre Blazy.

Beaucoup ont le sentiment aujourd'hui que les groupements de gens du voyage constituent des zones de non-droits ambulantes en raison de la multiplication de faits délictueux caractérisés, et trop souvent impunis, qui provoquent une révolte profonde des habitants et s'accompagnent d'un mouvement massif de rejet et d'un sentiment d'impuissance des élus.

M. Patrice Martin-Lalande.

Hélas ! C'est la réalité !

M. Jean-Pierre Blazy.

Il est incontestable qu'une part minoritaire des gens du voyage ont su profiter de la gêne historique qui a été celle des pouvoirs publics face au phénomène du nomadisme. Ce projet de loi a le mérite de réaffirmer que les gens du voyage sont des citoyens


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ordinaires, qu'ils méritent le respect de leurs choix de vies ociale pour autant qu'ils respectent la loi de la République, qui s'applique à chacun.

M. Patrice Martin-Lalande.

Nous sommes d'accord !

M. Jean-Pierre Blazy.

L'article 9 se devait d'être amélioré. Le Sénat l'a fait.

M. Patrice Martin-Lalande.

Tout à fait !

M. Jean-Pierre Blazy.

Et nous le prenons en compte aujourd'hui - cela a été dit par Mme Le Texier - avec la possibilité offerte d'user de la procédure d'heure à heure, procédure prévue par le code civil, qui permettra effectivement la délivrance d'une ordonnance de référé le jour même de la demande. Cette mesure, soutenue par le Gouvernement au Sénat et ici aujourd'hui, permettra d'agir efficacement et avec célérité ce qui donnera une lisibilité plus grande pour les populations comme d'ailleurs pour les gens du voyage qui auront accepté d'utiliser les aires mises à leur disposition.

Par contre, il semble indispensable de rétablir la disposition permettant l'unification des compétences au profit du tribunal de grande instance, ce qui permettra la simplification de la procédure d'expulsion.

Il faut prendre conscience que le succès de ce projet de loi repose sur l'équilibre entre devoirs et droits et que l'intégration des gens de voyage dans la communauté nationale passe par la prise de conscience de leur part qu'ils sont des citoyens ordinaires, soumis aux lois de la République, ce qui implique aussi le respect de la propriété publique ou de la propriété d'autrui.

M. Bernard Schreiner et M. Jean-Jacques Weber.

Exactement !

M. Jean-Pierre Blazy.

Ainsi, les dispositions de l'article 9 rendent crédible le dispositif global que nous voulons mettre en place. La faculté donnée aux maires de se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion des gens du voyage en situation d'infraction, la capacité donnée aux maires des communes ayant participé à une aire à caractère intercommunal de prendre des arrêtés d'interdiction de séjour des gens du voyage sur le territoire, sont des avancées importantes qui doivent être le pendant de la réalisation rapide des aires d'accueil.

Monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet de loi constituera une avancée importante si tous les acteurs concernés sont réellement et rapidement mobilisés : l'Etat, bien évidemment, les institutions de l'Etat, les préfets en premier lieu mais également l'institution judiciaire, les collectivités locales, et les gens du voyage et leurs associations. Il faut commencer par réaliser les aires d'accueil aménagées et pour cela inciter d'abord, puis contraindre, si nécessaire, les communes et les départements. Mais il faudra également contraindre et inciter les gens du voyage à respecter la loi républicaine. C'est seulement dans ces conditions que ce texte pourra permettre un changement dans la perception que nos concitoyens ont généralement des gens du voyage. C'est seulement dans ces conditions que les gens du voyage changeront certains de leurs comportements et de leurs pratiques.

Il sera sans doute indispensable que la Commission nationale des gens du voyage, qui a été heureusement réactivée récemment, puisse évaluer régulièrement la mise en oeuvre de la loi.

Monsieur le secrétaire d'Etat, les élus attendent beaucoup. Les élus socialistes vous soutiennent. Ils seront aussi vigilants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Schreiner et M. Jean-Jacques Weber.

Très bien !

M. Charles Cova.

Pour le constat que vous avez fait, je vous applaudis !

M. le président.

La parole est à M. Patrice MartinLalande.

M. Patrice Martin-Lalande.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme tous les maires de France, nous devons nous inquiéter de ce face-à-face trop souvent soupçonneux, et malheureusement quelquefois haineux, entre les gens du voyage et le reste de la population. Ce qui est ressenti comme le laxisme de l'Etat et l'impuissance des maires nourrit, en effet, un climat exécrable, lequel est le meilleur terreau du racisme et de l'exclusion. Pour en finir avec ce face-à-face désespérant, il faut rétablir l'équilibre républicain entre droits et devoirs de chacun.

Comme pour la première lecture, j'ai organisé une réunion de concertation avec des maires, adjoints et riverains directement concernés par le stationnement des gens du voyage dans ma circonscription, en Loir-et-Cher. Et ce qui me semble le plus important à exprimer ici, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est le profond sentiment de scepticisme et d'inquiétude des élus et des riverains.

Oui, notre mission est de concilier durablement le respect d'un mode de vie spécifique avec le respect des lois de la République, et notamment le droit de chacun des riverains à la salubrité, à la sécurité et à la tranquill ité publique. Oui, il ne nous faut pas oublier le droit des gens du voyage à une existence décente.

Mais faisons attention à ne pas oublier que des riverains de stationnements sauvages vivent dans l'angoisse pour eux-mêmes et pour leurs biens, souvent modestes, surtout si on les compare avec beaucoup de caravanes puissamment tractées. Faisons attention aussi à ne pas oublier que des élus, les maires en tête, vivent plusieurs fois par an, sinon par mois, le scénario de l'inacceptable,...

M. Charles Cova.

Ils sont menacés physiquement !

M. Patrice Martin-Lalande.

... l'invasion sans préavis, la négociation sous la menace physique, l'impuissance à faire respecter par la justice un minimum de règles imposées à tous les autres citoyens, la solitude de l'élu de terrain ou du gendarme obligés de « se débrouiller » dans une zone de non-droit.

La loi que nous examinons aujourd'hui corrige très insuffisamment, monsieur le secrétaire d'Etat, je le dis très franchement, le déséquilibre entre les comportements délictueux et les moyens de les empêcher. Malgré quelques avancées, force restera, non pas à la loi mais à l'impunité de fait, au non-droit itinérant.

M. Charles Cova.

Ce n'est pas peu dire !

M. Patrice Martin-Lalande.

Malheureusement, le texte tel qu'il ressort des travaux de la commission des lois, non seulement ne réduit pas ce déséquilibre, mais, au contraire, l'aggrave, en remettant en cause les apports tout à fait intéressants du Sénat et en refusant presque tous les amendements de l'opposition.

Il nous faut aujourd'hui : Rééquilibrer le texte pour permettre aux communes d'assurer dans les meilleures conditions l'accueil des gens de voyage ; Consulter l'ensemble des communes du département car toutes sont concernées par le schéma, et pas seulement celles qui recevront un terrain ;


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Réaliser une enquête publique dans les communes prévues pour accueillir une aire de stationnement, afin que l'ensemble de la population prenne la mesure des problèmes et adhère à cette démarche ; Mettre en oeuvre un schéma national pour maîtriser les problèmes d'accueil des grands rassemblements que l'on ne peut pas résoudre au niveau départemental, en mobilisant les moyens fonciers de l'Etat, par exemple, les terrains militaires désaffectés, et en protégeant tout particulièrement les sites naturels classés, qui sont quelque fois menacés.

Il faut aussi faire cofinancer par l'Etat non seulement le premier équipement mais aussi les trop nombreuses réparations ou remplacements ultérieurs de ces installations, comme nous le constatons, les uns et les autres, dans nos terrains déjà aménagés.

Nous devons ensuite rééquilibrer le texte pour permettre un véritable respect de la loi : En permettant aux maires de constater les infractions sans avoir recours à un huissier ; En obtenant du juge une décision en vingtquatre heures pour sortir de l'impunité de fait résultant des délais actuels de plusieurs jours ; En limitant à vingt-quatre heures le « passage » dans les communes alors que la jurisprudence fixe actuellement ce temps à quarante-huit heures minimum : les moyens prévus par le schéma départemental permettent en effet de réduire le temps du droit de passage actuellement imposé par la jurisprudence ; En permettant la mise en fourrière d'un véhicule tracteur, dissociable du domicile, mais cause d'un stationnement illégal, comme c'est le cas pour tous les autres Français ; En rendant plus systématiques les contrôles des titres de séjour pour maîtriser l'arrivée de nombreux étrangers parmi les gens du voyage ; En rendant plus transparente la situation professionnelle et fiscale source de soupçons et d'incompréhension ; En faisant respecter, comme pour tous les jeunes, l'obligation de scolarisation, qui est la meilleure chance d'insertion.

Il nous faut, monsieur le secrétaire d'Etat, sortir du face-à-face stérile et dangereux entre une partie des gens du voyage et le reste de la population française. Le texte présenté est très insuffisant, mais il nous revient aujourd'hui, chers collègues, de l'améliorer en retenant l'essentiel des apports du Sénat et ceux que nous pourrions contribuer à insérer dans la loi grâce aux amendements que nous vous proposerons. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis d'accord avec vous sur deux points.

Tout d'abord, l'accueil des gens du voyage constitue un réel problème dont la résolution ne peut être évacuée plus longtemps car l'absence d'un véritable dispositif d'accueil partagé et réparti sur l'ensemble du territoire est source de difficultés et de conflits.

Ensuite, l'application de la loi de 1990, dont vous étiez le promoteur, est un échec, en raison de la réticence à accueillir la population du voyage ; réticence évidemment liée au mode de vie et de comportements différents,...

M. Charles Cova.

Tout à fait.

M. Yves Bur ... réticence liée aussi à l'impuissance des maires à faire respecter les arrêtés d'interdiction de stationnement sauvage quand bien même les communes se sont mises en conformité avec la loi en créant des aires d'accueil.

Le projet de loi que votre majorité a voté en première lecture introduit une obligation d'accueil et de réalisation d'un schéma départemental opposable, mais aussi la contrainte pour toute commune de plus de 5 000 habitants de mettre une aire d'accueil à disposition dans les deux années qui suivent la publication du schéma départemental.

Malheureusement, les moyens législatifs mis à la disposition des maires pour lutter contre le stationnement sauvage restent en deçà des attentes et des besoins pour tenir compte de la réalité des problèmes rencontrés sur le terrain.

Les dispositions de l'article 9 de votre projet n'améliorent en effet que très peu les conditions d'exercice de l'autorité du maire en rendant particulièrement aléatoires son respect par les gens du voyage, qui exploitent bien souvent les faiblesses de notre dispositif législatif et réglementaire, et les lenteurs qui le caractérisent.

En tant que maire d'une commune de la banlieue de Strasbourg, j'ai pu, comme beaucoup de mes collègues, vérifier les difficultés pour obtenir de la justice, malgré la conformité de la commune aux obligations de la loi de 1990, une décision d'expulsion, le tribunal imposant parfois un délai de trois semaines pour obtenir le concours de la force publique.

Votre projet n'améliore en rien la situation existante, car, au nom du droit à la différence, vous restez au fond persuadé qu'il faut donner aux gens du voyage plus de droits que de devoirs envers notre société.

Si je m'associe à votre souhait de faire partager l'effort d'accueil par toutes les communes de plus de 5 000 habitants - encore que ce seuil soit discutable -, je regrette que la contrainte l'emporte sur les incitations positives qui permettraient d'enclencher une véritable dynamique.

Comme l'a souligné notre collègue Goulard tout à l'heure, je n'imagine pas le préfet se substituer au maire pour aménager d'autorité un terrain qu'il aura choisi luimême de dédier à la fonction d'accueil.

En revanche, les dispositions de l'article 9 adoptées par le Sénat me paraissaient plus réalistes et plus précises pour lutter contre les stationnements sauvages, qui suscitent chez tous nos concitoyens un ras-le-bol justifié par les désagréments qu'ils causent.

Il est donc essentiel de mettre fin à ces situations en renforçant les pouvoirs du maire et en assurant à ses décisions la célérité nécessaire. Par contre, si vous faites le choix de revenir à la rédaction adoptée en première lecture, vous indiquerez clairement aux maires et à la population que vous ne souhaitez pas réellement lutter contre les abus inacceptables que constitue le stationnement sauvage illicite.

M. Charles Cova.

Très juste.

M. Yves Bur.

Ce faisant, vous risquez de perpétuer le climat de tension actuel et la réticence pour accepter le mode de vie différent de la population du voyage.

M. Charles Cova.

C'est bien ce que le Gouvernement compte faire.

M. Yves Bur.

Même si l'accueil des gens du voyage constitue une priorité, je reste persuadé qu'il faudra aborder d'autres questions les concernant : la scolarisation des


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enfants, les exigences d'insertion liées à la perception pour certains du RMI, les difficultés liées à la sédentarisation de certains groupes.

Enfin, il paraît nécessaire d'établir une plus grande transparence sur l'origine de leurs ressources et sur leur situation au regard de l'impôt, car les Français peuvent avoir le sentiment que ce sont des questions taboues que vous refusez d'aborder.

M. Charles Cova.

Exactement.

M. Yves Bur.

Si notre société doit faire preuve vis-à-vis des populations du voyage de plus de tolérance et leur garantir le droit à la dignité dans le respect de leur différence,...

M. Patrice Martin-Lalande.

Tout à fait !

M. Yves Bur.

... elle est aussi en droit d'exiger le respect de la loi dans un équilibre qui s'impose à tous entre droits et devoirs. Je ne suis pas certain que vos propositions, qui manquent de réalisme, faciliteront cet équilibre indispensable à l'objectif d'intégration.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, no 2140, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage : Mme Raymonde Le Texier, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2188).

Eventuellement, à vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT