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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

PATRICK

OLLIER

1. Délits non intentionnels. - Discussion d'une proposition de loi adoptée par le Sénat (p. 3122).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. René Dosière, rapporteur de la commission des lois.

2. Modification de l'ordre du jour prioritaire (p. 3128).

3. Délits non intentionnels. - Reprise de la discussion d'une proposition de loi adoptée par le Sénat (p. 3128).

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 3128)

MM. Gilbert Meyer, Jean Vila, Jean-Antoine Leonetti, Philippe Houillon, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges,

M.

Jacques Fleury.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION

DES ARTICLES (p. 3139)

Article 1er (p. 3139)

Amendement no 9 rectifié de la commission des lois : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux, M. Jean-Antoine Leonetti. - Adoption.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Les amendements nos 34 et 1 de M. Meyer ont été retirés ; l'amendement no 25 de M. Leonetti n'a plus d'objet.

Après l'article 1er (p. 3141)

Amendement no 10 de la commission : M. le rapporteur.

Amendement no 11 de la commission : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. - Adoption des amendements nos 10 et 11.

Articles 2 et 3. - Adoption (p. 3142)

Article 3 bis (p. 3142)

Amendement de suppression no 12 de la commission : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. - Adoption.

L'article 3 bis est supprimé.

Article 3 ter (p. 3143)

Amendement de suppression no 13 de la commission. Adoption.

L'article 3 ter est supprimé.

Articles 4 et 5. - Adoption (p. 3143)

Article 6 (p. 3143)

M. François Guillaume.

Amendement no 14 de la commission : M. le rapporteur,

Mme la garde des sceaux. - Adoption.

L'article 6 est ainsi rédigé.

Les amendements nos 26 de M. Leonetti, 3 et 2 de M. Meyer ont été retirés.

Après l'article 6 (p. 3144)

Les amendements nos 4 et 6 de M. Meyer ont été retirés.

Amendement no 20 de M. Guillaume : MM. François Guillaume, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. Rejet.

Amendement no 21 de M. Guillaume : M. le rapporteur,

Mme la garde des sceaux. - Rejet.

L'amendement no 5 de M. Meyer a été retiré.

Article 7. - Adoption (p. 3145)

Article 7 bis (p. 3145)

Amendement de suppression no 15 de la commission : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. - Adoption.

L'article 7 bis est supprimé.

Article 7 ter (p. 3145)

Amendement no 16 de la commission, avec le sousamendement no 27 corrigé du Gouvernement : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. - Adoption du sousamendement no 27 corrigé et de l'amendement no 16 modifié.

L'article 7 ter est ainsi rédigé.

Article 7 quater (p. 3146)

Amendement no 17 de la commission : M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux. - Adoption de l'amendement no 17 rectifié.

L'article 7 quater est ainsi rédigé.

Article 7 quinquies (p. 3147)

Amendement no 18 de la commission : M. le rapporteur,

Mme la garde des sceaux. - Adoption.

L'article 7 quinquies est ainsi rédigé.

Après l'article 7 quinquies (p. 3147)

Amendement no 19 de la commission : M. le rapporteur,

Mme la garde des sceaux. - Adoption.

Article 8. - Adoption (p. 3147)

EXPLICATIONS DE

VOTE (p. 3147)

MM. Jean-Louis Debré, Gérard Gouzes, Jean-Antoine Leonetti, Jean Vila, Philippe Houillon.

Mme la garde des sceaux, M. Jean-Louis Debré.


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VOTE

SUR L'ENSEMBLE (p. 3150)

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

4. Dépôt d'un projet de loi (p. 3150).

5. Dépôt de rapports (p. 3150).

6. Dépôt d'un rapport d'information (p. 3150).

7. Dépôt d'un projet de loi modifié par le Sénat (p. 3150).

8. Ordre du jour des prochaines séances (p. 3150).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

1 DÉLITS NON INTENTIONNELS Discussion d'une proposition de loi adoptée par le Sénat

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (nos 2121, 2266).

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous discutons ce soir d'une proposition de loi que le Gouvernement a accepté d'examiner. Elle a pour objet de mieux définir les délits non intentionnels, afin que le droit pénal remplisse pleinement sa fonction, et sa seule fonction : punir ce qui doit être puni, dans les limites fixées par le code, c'est-à-dire les violations des valeurs fondamentales de notre société.

A cet égard, les délits non intentionnels posent une question particulière : jusqu'où et comment doit-on les sanctionner ? Pour traiter ce problème, nous devons faire face à trois i nterrogations. Comment faire pour que l'activité humaine ne soit pas paralysée au détriment de tous les bénéficiaires par le risque de condamnation pénale ? Comment faire pour que les victimes puissent provoquer la recherche de la vérité et obtenir non seulement réparation mais aussi condamnation, quand elle est nécessaire ? Comment faire pour que les faits les plus graves restent condamnables ? Les citoyens ont tendance à imaginer qu'une société très élaborée comme la nôtre a tous les moyens de prévenir tous les accidents et toutes les catastrophes. A la limite, il n'y a plus ni accident ni catastrophe naturelle puisque, tout étant prévisible, tout pourrait être empêché.

Une société parfaitement organisée produirait un risque zéro. Par conséquent, si quelque tragédie survient, il faudrait en rechercher les auteurs, les responsables, voire les coupables, qui doivent assumer les conséquences tragiques des événements.

Ce point de vue, qui est essentiellement celui des victimes, est - je le dis très nettement -, absolument légitime. Il a d'ailleurs contribué à renforcer considérablement la sécurité de nos concitoyens. Il est évident qu'une société comme la nôtre, qui prend des risques, doit réparer les dommages qu'elle engendre. Mais doit-elle pour autant pénaliser les comportements non intentionnels qui ont généré des préjudices ? C'est bien là la question qui nous réunit ce soir.

La question des infractions pénales non intentionnelles a toujours été très délicate. Par principe, le droit pénal ne réprime que les comportements les plus graves, les plus blâmables, ce qui est le cas des infractions intentionnelles, celles dont on peut dire qu'elles sont faites de mauvaise foi, ou exprès.

Le nouveau code pénal résultant de la commission de révision présidée par Robert Badinter a très clairement posé le problème, en spécifiant dans son article 121-3 que les crimes et délits étaient en principe des infractions intentionnelles. Il demeure que ce même article a aussitôt apporté une exception à ce principe en rappelant que, lorsque la loi le prévoit, des délits pouvaient être constitués par une faute d'imprudence ou de négligence. Car lorsque sont en cause des valeurs primordiales, comme la vie ou l'intégrité physique des personnes, les comportements, même commis de bonne foi, qui portent atteinte à ces valeurs, doivent dans certaines circonstances être sanctionnés pénalement.

Comme je l'ai fait observer devant le Sénat, il me semble alors que le droit pénal s'enrichit d'une fonction nouvelle. Il n'est plus seulement là pour sanctionner des intentions subjectives coupables, mais pour prévenir objectivement des comportements qui peuvent porter atteinte à la vie et à l'intégrité physique. Cette évolution du droit pénal doit être approuvée, notamment - et nous savons ce que cela a apporté - dans les domaines du droit du travail, du droit de la santé, du droit de l'environnement, du droit de la sécurité routière, domaines dans lesquels, bien évidemment, nul ne songe que la répression puisse faiblir.

M. Michel Hunault.

C'est bien de le rappeler.

Mme la garde des sceaux.

Merci, monsieur Hunault.

Si, dans leur principe, les dispositions de notre droit pénal paraissent justifiées, leur application pratique a cependant soulevé d'importantes difficultés, et ce pour au moins deux raisons, que votre rapporteur, René Dosière, a très bien mises en évidence.

En premier lieu, les textes réprimant les infractions non intentionnelles, et notamment les articles 221-6 et 222-19 du code pénal sur les homicides et les blessures involontaires, n'ont pas précisé la nature du lien de causalité entre la faute et le dommage. Il en est résulté une conception large.

Dès lors que la faute a causé le dommage, même indirectement, et même si d'autres fautes plus graves ont concouru au dommage, l'infraction peut être reprochée à chacune des personnes dont le comportement a été jugé fautif. C'est la fameuse théorie de l'équivalence des conditions, qui s'oppose à la théorie de la causalité adéquate.

Elle a été retenue par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation depuis des décennies.


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En second lieu, la nature même de la faute a été définie très largement par le code pénal, puisqu'elle vise l'imprudence, la négligence, la maladresse, l'inattention ou encore le manquement à une obligation de prudence et de sécurité prévue par la loi ou les règlements. La jurisprudence a estimé, au vu de ces formulations, très proches de celle de l'article 1383 du code civil, qu'il y avait identité entre la faute civile et la faute pénale. C'està-dire que toutes les fautes, même les plus légères, peuvent caractériser une infraction. L'arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 1912 n'a jamais été remis en question sur ce point.

Il résulte de ces deux principes - équivalence des conditions, d'une part, identité des fautes civile et pénale, d'autre part - que la répression des délits non intentionnels présente une particulière sévérité, notamment lorsqu'elle concerne les personnes qui n'ont pas causé directement le dommage, mais dont le comportement a pu créer les circonstances qui ont permis ou facilité la réalisation du dommage.

Tel est en particulier le cas de ceux qui, parmi les diverses responsabilités qui leur incombent, ont pour mission de prévenir, grâce aux actes qu'ils sont susceptibles de prendre ou à la réglementation qu'ils peuvent édicter, des atteintes à la sécurité des personnes ou des biens.

Nous sommes là face à une situation qui n'est pas nouvelle. Depuis longtemps, la doctrine et les responsables politiques ou administratifs critiquent la sévérité excessive des textes et de la jurisprudence, mais, à vrai dire, sans proposer un dispositif alternatif plus précis qui évite l'excès de pénalisation tout en garantissant les droits des victimes.

Déjà en 1995, le Sénat avait consacré un rapport à la responsabilité pénale des élus, qui avait mis en évidence que la pénalisation des élus locaux, notamment pour des faits involontaires, comportait des risques certains pour la démocratie locale. Ces travaux, vous le savez, ont débouché sur la loi du 13 mai 1996, qui a imposé au juge d'apprécier in concreto les infractions non intentionnelles, compte tenu des moyens et des compétences dont disposait l'auteur de la faute.

J'ai moi-même apporté une réponse le 28 avril dernier, à une question du sénateur Haenel, aux termes de laquelle je m'étais engagée à ce qu'il soit procédé à une mise à plat de l'ensemble des phénomènes, afin de dresser un état des lieux complet et objectif et de formuler des propositions concrètes.

Vous savez que, à la suite de cet engagement, ce travail a été mené par un groupe d'études présidé par M. le conseiller d'Etat Jean Massot et composé de magistrats, d'agents publics et d'élus. Il m'a remis son rapport le 15 décembre dernier.

Enfin, M. le sénateur Fauchon a déposé une proposition de loi, dont les principes convergaient, ou à peu près, avec ceux retenus par le rapport de M. Massot.

C'est cette proposition de loi qui vient aujourd'hui en discussion devant vous. Elle a fait l'objet d'un travail remarquable de votre rapporteur, M. Dosière, qui s'est attaché à en préciser les objectifs et les termes.

La proposition de loi de M. le sénateur Fauchon, rectifée avant d'être adoptée par le Sénat dans sa séance du 27 janvier 2000, essaie de trouver des solutions aux problèmes difficiles dont je viens de parler.

Je veux tout d'abord saluer deux postulats explicites de cette proposition de loi, postulats que votre commission a approuvés.

Le premier, c'est qu'il n'est question, dans cette proposition, que des délits non intentionnels et non des autres infractions, qu'il convient, bien entendu, de réprimer sans faiblesse si l'on veut que l'entreprise de transparence de la vie publique continue de produire ses effets.

Le deuxième, c'est l'égalité de tous les justiciables devant la loi pénale. L'approche suggérée par le Sénat, et sur laquelle je vais revenir, ne la remet pas en cause. C'est évidemment un principe que le Gouvernement, par la voix même du Premier ministre, a tenu à mettre en évidence dès les premiers débats sur cette question. Comme le fait remarquer votre rapporteur, « toute autre approche serait contraire à l'évolution générale de notre droit et serait perçue comme un retour en arrière, lorsque les agents publics ne pouvaient pas faire l'objet d'une poursuite devant le juge pénal sans une autorisation du Conseil d'Etat ».

Aussi me suis-je opposée, dans des débats antérieurs, à tout amendement qui tendrait à revenir à une situation instituant un privilège au bénéfice des décideurs publics.

Au-delà de ces deux postulats, la proposition de loi entend redéfinir le champ des délits non intentionnels.

La nouvelle définition des délits non intentionnels fait l'objet de l'article premier, et essentiel, de la proposition de loi. En réécrivant le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, elle intervient tant sur la faute que sur le lien de causalité qui l'unit au dommage.

En premier lieu, il faut remarquer que la nouvelle définition des délits non intentionnels ne s'applique qu'aux personnes physiques et non aux personnes morales. Restreindre ainsi les effets de la réforme permet de sauvegarder les droits des victimes.

Celles-ci pourront toujours mettre en cause la responsabilité de la personne morale, que le lien de causalité soit direct ou indirect, ou que la faute soit caractérisée ou non.

En deuxième lieu, le lien de causalité entre la faute et le dommage est évidemment essentiel pour qualifier le délit non intentionnel. Sur ce point, la jurisprudence est particulièrement extensive et n'a jamais exigé que ce liens oit direct, immédiat, déterminant ou exclusif. Par conséquent, tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont concouru au dommage peuvent être tenus pour responsables pénalement.

Le Sénat propose donc de distinguer, en matière de délits non intentionnels, la cause directe et la cause indirecte du dommage, de manière à caractériser de façon différente, dans un cas et dans l'autre, la faute pénale non intentionnelle.

Selon la proposition de loi de M. Fauchon, si la cause est directe, une poussière de fautes demeurera suffisante, c omme la jurisprudence l'établissait jusqu'ici. En revanche, lorsque la cause est indirecte, le Sénat, comme d'ailleurs votre commission des lois, propose que les personnes physiques ne soient tenues pour responsables qu'en cas de faute caractérisée.

Par conséquent, et en troisième lieu, pour caractériser cette faute, le Sénat ajoute à la notion de causalité indirecte la notion de « violation manifestement délibérée d'une règle de prudence ou de sécurité ». Cela revient à exiger une faute assez grave dans le cas d'une cause indirecte et à mettre fin à la théorie de l'équivalence des conditions. Cela veut dire aussi que certaines fautes non caractérisées, ou d'une insuffisante gravité, ne seront pas de nature à entraîner une responsabilité pénale. En somme, certaines fautes susceptibles d'entraîner un préjudice pourront faire l'objet d'une réparation sur le plan


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civil, mais ne permettront pas d'entrer dans la voie d'une condamnation pénale. Il est dès lors mis fin à l'identité de la faute civile et de la faute pénale dont je vous parlais pour commencer.

Je l'ai dit devant le Sénat, les orientations de la proposition de loi de M. Fauchon vont dans le bon sens. Mais j'ai souligné aussi qu'elles pouvaient générer un certain nombre de difficultés,...

M. René Dosière, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

... auxquelles votre commission a été sensible, elle aussi. Votre rapporteur, me semble-t-il, a trouvé les bonnes réponses précisément aux questions que nous nous posons.

J'en viens précisément aux choix faits par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Votre commission a cherché à améliorer le texte du Sénat sur deux plans ; d'une part, en précisant ce qu'il fallait entendre par lien direct ou indirect : d'une part, en apportant un très important complément à la caractérisation de la faute.

D'abord, l'idée de lien indirect. Comme l'explique votre rapporteur, qui a beaucoup contribué à éclaircir des débats très complexes, s'il est vrai que la distinction entre causalité directe et causalité indirecte peut a priori sembler très claire, il sera parfois très difficile, en pratique, de tracer une frontière nette entre les deux types de situation.

Et s'il arrivait que les tribunaux qualifient de direct ce que certains auraient plutôt qualifié d'indirect, la loi pénale demeurerait trop imprécise pour assurer la sécurité juridique que nous recherchons tous.

Votre rapporteur écrit ainsi qu'il est « significatif que, dans un jugement rendu le 2 novembre 1999, le tribunal correctionnel de Brest ait considéré que le fait, de la part d'un maire, de n'avoir pas apposé de panneaux aux abords d'une falaise de laquelle un enfant a fait une chute mortelle, à vélo, au cours d'une sortie scolaire - nous avons tous cet exemple en mémoire -, constituait "une omission coupable en relation directe avec l'accident dans la mesure où un affichage des dangers aurait manifestement dissuadé les enseignants d'emprunter un tel itinéraire" ».

Votre commission et son rapporteur ont préféré, à la notion peut-être un peu vague de cause directe ou indirecte, l'idée plus précise d'auteur indirect, c'est-à-dire celui qui n'a pas heurté ou frappé lui-même la victime mais qui a commis une faute ayant créé la situation à l'origine du dommage. On trouve également cette formule dans le rapport du Conseil d'Etat de 1996 qui avait été consacré à la responsabilité pénale des agents public s. Par exemple, est auteur indirect d'un dommage l'automobiliste qui a garé son véhicule sur le trottoir, obligeant un piéton à descendre sur la chaussée où il est renversé.

Est également auteur indirect d'un accident le gérant d'une SCI qui, faisant visiter un immeuble en cours de construction sans s'être assuré que le chantier est correctement protégé, cause indirectement la mort d'une personne qui fait une chute dans la cage d'ascenseur.

A cette idée qu'on peut avoir contribué à créer la situation à l'origine du dommage, la commission des lois a voulu en ajouter une autre.

En effet, une personne peut ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher la survenance d'un dommage. La jurisprudence appelle cette personne auteur médiat d'un dommage. Par exemple, un maire qui n'aurait pas fait respecter la réglementation relative à la protection contre les risques d'incendie ou de panique dans les établissements recevant du public, ou qui n'aurait pas ordonné la fermeture d'une piste de ski avant qu'une avalanche prévisible ne finisse par ensevelir deux skieurs.

Cette volonté de préciser le texte conduit ainsi votre assemblée, par la voix de votre rapporteur, à parler « des personnes physiques qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter ».

Je pense, comme votre rapporteur, qu'une telle formulation est plus claire que celle retenue par le Sénat, tout en poursuivant, bien entendu, un objectif équivalent.

Je préférerais cependant que l'on parle des personnes qui n'ont pas causé « directement » le dommage plutôt que des personnes qui n'ont pas causé « elles-mêmes » le dommage - c'est une petite nuance mais qui a son importance - car sinon elles ne seraient plus du tout responsables pénalement. La formule « les personnes qui n'ont pas directement causé elles-mêmes le dommage » me paraît refléter plus exactement ce que nous voulons faire.

J'en viens à la qualification de la faute.

La deuxième amélioration de la commission des lois concerne la définition de la faute caractérisée en cas de causalité indirecte. Le rapport Massot propose de recourir au concept de « faute grave ».

Le Sénat a préféré retenir le concept de mise en danger délibérée, ou, pour reprendre précisément les termes de la proposition de M. Fauchon, la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ».

J'ai dit devant la Haute Assemblée que ce concept présentait plusieurs avantages.

En premier lieu, il existe déjà dans notre droit pénal depuis 1994, puisqu'il est utilisé dans la définition du délit de risque causé à autrui prévu par l'article 223-1 du code pénal et comme circonstance aggravante des délits d'homicide et de blessures involontaires.

En second lieu, il s'agit d'un critère objectif, qui suppose la démonstration d'une imprudence consciente de la personne.

C'est parce que la personne aura été personnellement alertée - en pratique par une autorité supérieure, par un subordonné, par un usager ou par les circonstances particulières de l'affaire - de l'existence d'un risque déterminé et de la nécessité de prendre certaines précautions pour en éviter la réalisation, que sa responsabilité pénale pourra être engagée.

Par exemple, le maire d'une commune qui a été personnellement alerté du danger qu'il y aurait à laisser ouvert un établissement accueillant du public alors que des travaux sont en cours pourrait être jugé responsable.

Cela dit, je m'étais interrogée devant le Sénat sur le fait de savoir si ce critère n'était pas trop réducteur.

En effet, il faut se rappeler que la nouvelle définition du délit non intentionnel s'appliquera dans les domaines sensibles que sont la sécurité routière, le droit de l'environnement, le droit du travail et la santé publique. Certains comportements, même non délibérés, peuvent être la cause indirecte d'un dommage et présenter un caractère particulièrement grave qui justifierait une condamnation pénale.


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Le droit du travail offre de nombreux exemples de fautes d'une exceptionnelle gravité et qui ne sont pas pour autant délibérées : Par exemple, dans une usine papetière, un ouvrier se tue en changeant les rouleaux alors que la presse qu'ils a limentent tourne encore au ralenti. Les juges condamnent le chef d'entreprise parce « qu'il n'existait ni dispositif de protection, ni panneaux signalant la zone dangereuse, ni dispositif d'éclairage permanent, ni bouton d'arrêt d'urgence ».

M. Gérard Gouzes.

C'est la faute inexcusable !

Mme la garde des sceaux.

Exact.

M. Michel Hunault.

C'est l'avocat qui parle !

Mme la garde des sceaux.

Par exemple, un chirurgien négligent qui omet de prévenir les membres d'une équipe soignante des risques de complication, ce qui conduit ceux-ci à commettre des erreurs, commet une faute d'une exceptionnelle gravité. Il en va de même du chasseur qui abandonne son fusil chargé près d'une école. Un enfant s'en saisit et tue un de ses camarades. Le chasseur sera poursuivi pour avoir commis une faute d'une exceptionnelle gravité.

Je l'ai dit devant le Sénat, la solution pourrait consister à retenir alternativement les deux critères, la « faute manifestement délibérée » ou la « faute d'une particulière gravité ». Cela permettrait d'engager la responsabilité pénale de la personne physique en cas de faute inadmissible ou intolérable, alors même qu'elle ne présente pas un caractère délibéré.

Votre commission est ainsi convenue qu'il fallait ajouter à la notion de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité « la faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles - les personnes - ne pouvaient ignorer ».

Je précise - et ce point est très important pour les débats parlementaires qui seront lus avec beaucoup d'attention par les praticiens - que cette rédaction permettra également de condamner les auteurs d'imprudences délibérées ne portant pas sur une obligation de sécurité prévue par la loi ou par le règlement au sens strict et juridique du terme.

En effet, s'agissant de la première proposition de l'alternative, la faute de mise en danger délibérée, le texte de votre commission exige que soit concernée une obligation de sécurité « prévue par la loi ou le règlement », ce que ne faisait pas le texte du Sénat.

Les obligations de sécurité qui ne sont pas prévues par un décret ou un arrêté mais par exemple par une circulaire - ainsi une circulaire du ministère de l'éducation nationale réglementant les sorties scolaires -, comme les obligations de simple bon sens qui ne sont prévues par aucun texte, pourront toujours, si leur violation constitue une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'on ne pouvait ignorer, donner lieu à condamnation.

M. René Dosière, rapporteur.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Cette expression, qui reprend la définition jurisprudentielle de la faute inexcusable, mérite d'être approuvée.

Enfin, il faut renforcer les droits des victimes.

Votre commission a souhaité compléter le texte de la proposition de loi pour y ajouter un article 4-1 au code de procédure pénale de façon à indiquer très clairement aux victimes que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de faute pénale, en cas de causalité indirecte ou d'absence de faute caractérisée, qu'elles ne peuvent pas obtenir réparation sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. Un tel ajout me semble essentiel puisque précisément le texte met fin à l'équivalence de la faute civile et de la faute pénale.

Il convient donc d'écrire noir sur blanc que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de faute pénale qu'il n'y a pas de faute civile. Cela va dans le sens de ce que j'ai toujours soutenu sur la nécessité de mieux distinguer dans le contentieux de la responsabilité, ce qui est pénal, ce qui est civil et ce qui est administratif.

Quant à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales, votre commission n'a pas souhaité suivre la démarche du Sénat qui visait à étendre la responsabilité pénale des collectivités locales en cas de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence à des activités qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une délégation de service public.

J'ai moi-même fait valoir devant le Sénat toutes les objections auxquelles me semblait se heurter cette extension. L'extension de la responsabilité pénale des personnes morales pourrait être comprise comme une fuite des élus devant leurs responsabilités.

M. Gérard Gouzes.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

En tout état de cause, la représentation de la personne morale lors de la procédure judiciaire serait le plus souvent assurée par le responsable de l'exécutif de la collectivité, ce qui ne modifierait pas véritablement le traumatisme de la mise en examen. De surcroît, la plupart des sanctions du droit pénal ne sont guère adaptées aux personnes morales.

Enfin, et surtout, la possibilité d'engager plus largement la responsabilité pénale des collectivités locales conduirait inévitablement à un accroissement de la pénalisation de la vie publique. Je ne crois pas que ce soit ce que nous recherchions. La décision de prendre telle ou telle réglementation, de choisir de réparer d'abord la salle polyvalente plutôt que de réaliser tout de suite une station d'épuration aux nouvelles normes, devrait-elle faire l'objet d'une évaluation par le juge pénal ? Le juge pénal ne deviendrait-il pas alors celui de l'opportunité des décisions des collectivités publiques ?

M. René Dosière, rapporteur.

Très juste !

Mme la garde des sceaux.

Et, par là, ne serait-il pas conduit à remettre en cause le principe fondamental de la séparation des autorités administratives et judiciaires...

M. Gérard Gouzes.

Eh, oui !

Mme la garde des sceaux.

... du moins lorsque les premières exercent des prérogatives de puissance publique ?

M. René Dosière, rapporteur.

Préservons-le de la tentation.

M. Gérard Gouzes.

Absolument !

Mme la garde des sceaux.

Pour toutes ces raisons, j'approuve votre commission qui a décidé de ne pas suivre la Haute Assemblée sur le terrain de la pénalisation accrue des personnes morales.

Il faut être tout à fait clair. Cette proposition de loi s'applique à l'ensemble des citoyens et non pas à certaines catégories d'entre eux. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Gérard Gouzes.

Très juste !

M. Gilbert Meyer.

Il faut en effet le rappeler.

Mme la garde des sceaux.

Je réaffirme à cette occasion, d'une part, que ce texte ne supprime nullement les délits non intentionnels, d'autre part, qu'il ne cherche en


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aucune façon à exonérer une catégorie particulière de justiciable, ni les élus locaux, ni les décideurs publics, ni les décideurs privés.

M. Gilbert Meyer et M. Michel Hunault.

Très juste !

Mme la garde des sceaux.

Ce texte a pour but de rechercher concrètement, et avec le souci constant de l'égalité de tous devant la loi pénale, la responsabilité des uns et des autres en précisant la notion d'auteur direct et d'auteur indirect d'une faute. Cette précision est même une exigence fondamentale de la loi pénale.

L'auteur indirect d'une faute n'échappe pas à sa responsabilité pénale lorsqu'il y a violation manifestement délibérée d'une règle de prudence ou de sécurité ou lorsqu'une faute d'une exceptionnelle gravité a été commise sans pour autant qu'elle soit manifestement délibérée.

Ainsi, il serait erroné de dire que le texte supprime le délit non intentionnel en cas de faute indirecte. Ce texte a, au contraire, pour vocation de préciser dans quel cas on peut poursuivre pénalement quelqu'un alors qu'il n'avait pas l'intention de commettre un délit ! Enfin, la question de la pénalisation de la vie publique comporte beaucoup d'autres dimensions qu'il ne faudrait pas négliger.

Le texte dont nous débattons aujourd'hui n'est ni un début - il s'inscrit dans une réflexion qui a commencé voilà quelques années - ni une fin, puisque certaines propositions du rapport Massot devront faire encore l'objet d'une mise en oeuvre soit législative, soit réglementaire.

M. Gérard Gouzes.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Je suis notamment convaincue que les voies civile et administrative doivent être développées pour devenir des moyens efficaces d'obtenir réparation des dommages causés involontairement sans intention de nuire. A cet égard, nous continuerons, demain, la discussion entamée sur le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives. Cet important projet témoigne de la volonté du Gouvernement de renforcer l'efficacité de la justice administrative de façon à la rendre plus rapide et plus contraignante à l'égard des administrations fautives.

Par ailleurs, le projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes - n'oublions pas le titre II ! - contient de nombreuses dispositions qui ne sont pas sans lien avec le problème de la pénalisation de notre vie publique : amende civile en cas de constitution de partie civile ou de citation directe abusive, indemnisation des détentions provisoires et des frais engagés pour les personnes qui obtiennent un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, élargissement du statut de témoin assisté, conjugué avec l'exigence d'indices graves ou concordants pour la mise en examen.

Cet après-midi, le Sénat a voté à l'unanimité moins une voix en deuxième lecture ce projet de loi, amendé, il est vrai, mais la commission mixte paritaire s'efforcera de rapprocher les points de vue sur les articles qui font encore l'objet de désaccords.

Je crois enfin, et je l'ai dit à plusieurs reprises, qu'il convient de « mieux armer juridiquement les décideurs publics », pour reprendre le titre du chapitre VIII du rapport de M. Massot. Il faut certainement améliorer la formation des élus et des agents publics. Il faut, à ce sujet, poser la question de l'intercommunalité, développer les capacités d'expertise juridique des collectivités locales et renforcer le contrôle de légalité.

M. René Dosière, rapporteur.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Ces quelques réflexions que nous devons approfondir peuvent être menées indépendamment de la proposition de loi que nous examinons ce soir.

Pour terminer, je veux remercier votre commission des lois et son rapporteur du travail très important qu'ils ont réalisé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. René Dosière, rapporteur.

Merci.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. René Dosière, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration g énérale de la République.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le texte dont nous discutons ce soir, par delà son caractère technique et ardu, pose un véritable problème de fond, à savoir la pénalisation croissante de notre société, qui, par son caractère excessif, peut compromettre le fonctionnement de la démocratie.

Les causes de cette pénalisation sont diverses et multiples : refus par l'opinion publique de la fatalité, recherche déterminée d'un responsable, qui dans certains cas s'apparente à la désignation d'un bouc émissaire - attitude qui, dans notre société judéo-chrétienne, repose sur un fonds culturel ancien. On ne saurait exonérer le législat eur et le pouvoir réglementaire : entre 1984 et septembre 1999, 278 lois et 665 décrets ont prévu de nouvelles sanctions pénales. Enfin, le fonctionnement de la justice elle-même incite à privilégier la voie pénale, quand bien même la réparation serait à rechercher auprès de la justice civile ou administrative. En effet, la lenteur de cette dernière et le coût de la voie civile constituent autant de motifs conduisant les avocats à orienter leurs clients vers la justice pénale. On peut se demander si ce mouvement, que votre rapporteur ne considère pas comme irréversible, ne conduit pas à faire perdre au droit pénal, comme le rappelait notre collègue Fauchon dans son rapport au Sénat, « sa signification profonde qui est la protection de la société dans son ensemble et non la réparation de tous les dommages causés aux personnes ».

Il est un domaine où cette évolution est préoccupante, celui des délits non intentionnels. Le caractère de gravité des délits non intentionnels est extrêmement variable. Il existe une gradation des fautes qui ne doit pas être occultée. C'est pourquoi le texte qui vous est soumis ne modifie pas la pénalisation des délits non intentionnels les plus graves. Il s'attache plus particulièrement aux fautes légères, parfaitement involontaires qui ont, avec le dommage physique ou matériel, un lien éloigné. Qui concerne-t-il ? Tous les citoyens sans distinction, vous l'avez rappelé, madame la garde des sceaux, mais je le répète car certains ont le sentiment qu'il ne concerne que les élus locaux. Bien sûr, ces derniers sont concernés, mais au même titre que les enseignants, les fonctionnaires, les chefs d'entreprise, les chirurgiens, les responsables d'associations, bref, tous ceux qui, du fait de leurs fonctions, de leurs responsabilités, sont plus exposés que le citoyen de base.

Sans doute ces mises en cause, et surtout les condamnations, sont-elles peu nombreuses. En quatre ans quarante-huit élus locaux ont été mis en cause pour des infractions non intentionnelles, dont quatorze ont été condamnés sur un effectif potentiel de 50 000, pour s'en tenir aux exécutifs. En dix ans, de 1985 à 1995, quarante-cinq fonctionnaires de l'éducation nationale ont été


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mis en cause, dont seize ont été condamnés, alors qu'il existe plus de 7 000 établissements du second degré.

S'agissant des préfets, si le nombre des mises en cause est également faible - vingt et un selon le ministère de l'intérieur -, la proportion est plus élevée, puisque l'effectif potentiel des postes en situation s'élève à 150 environ.

Mais on relèvera qu'aucune condamnation n'a été prononcée.

Le décalage entre la réalité des chiffres, encore que l'on puisse regretter leur insuffisance, et le sentiment d'insécurité qui existe chez les décideurs publics ne manque pas d'être inquiétant. Il est le signe d'un malaise profond que le législateur se doit de traiter. La médiatisation accordée à la mise en examen d'un décideur public - préfet, maire, proviseur - est plus redoutable que l'instruction et le jugement, comme le rappelle notre collègue Albertini. On peut souhaiter, comme le prévoit le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, dont la discussion se poursuit devant le Parlement, comme vous venez de nous le rappeler, madame la garde des sceaux, que la mise en examen soit, demain, moins systématique.

Cette insécurité juridique connaît, parmi les élus locaux, une ampleur telle qu'apparaissent le découragement et la démobilisation de nombreux maires. Il est vrai que l'accroissement des responsabilités locales consécutives aux lois de décentralisation et la liberté accrue de décision résultant de la suppression de la tutelle préfectorale, ainsi que la multiplication des normes, quelle qu'en soit l'origine - Paris ou Bruxelles -, contribuent à rendre plus complexe et plus lourde la fonction de maire. Notre démocratie locale repose sur les 36 500 maires qui, jusque dans le village le plus petit, représentent l'Etat républicain. L'opinion publique ne s'y trompe pas d'ailleurs, qui leur accorde la cote de sympathie la plus élevée de tous les responsables politiques. Elle sous-estime cependant le poids des responsabilités et l'ampleur du dévouement qui constituent le lot quotidien des maires.

Beaucoup ignorent les sacrifices - professionnels parfois, familiaux toujours - que consentent ces milliers d'élus qui se dévouent pour leurs concitoyens. Il est absurde et surtout injuste qu'un maire soit mis en cause parce que, pendant qu'il dormait, un enfant ne sachant pas lire et ayant échappé au contrôle de ses parents s'est noyé dans la rivière malgré la présence d'un panneau, qui signalait l'endroit dangereux, mais qui n'était pas éclairé.

Voilà à quel type de situation nous devons remédier.

Dès lors que le Premier ministre a refusé, à juste titre, une loi particulière pour les élus, dès lors que, s'agissant des fonctionnaires, toute l'évolution du droit pénal tend à supprimer leur régime juridique spécifique, le législateur était conduit à modifier le code pénal qui, je le rappelle, concerne tous les citoyens.

Ce faisant, l'exercice était particulièrement difficile et délicat. En effet, dans la mesure où le code pénal s'adresse à tous, il convient d'éviter que toute réduction du champ des délits non intentionnels ne se traduise par une atténuation de la répression dans des domaines aussi sensibles que le droit du travail, de l'environnement, de la santé publique ou de la sécurité routière. Il convient d'être particulièrement attentif à l'avertissement que vous aviez lancé au Sénat, madame la garde des sceaux : « Il ne faut toucher à la loi pénale que d'une main tremblante ».

En outre, on ne saurait ignorer le souci légitime des victimes et de leurs proches de rechercher la vérité sur le drame qui les frappe, d'identifier les responsables de leurs dommages, de les faire sanctionner et d'obtenir réparation. Voilà dans quel état d'esprit votre rapporteur a examiné la proposition de loi de M. Pierre Fauchon, adoptée par le Sénat le 27 janvier dernier. Cette proposition de loi repose sur un certain nombre de postulats qui ont été salués.

En premier lieu, il n'est question que des délits non intentionnels.

En deuxième lieu, le fait d'exiger la preuve, pour les délits non intentionnels, qu'une faute aggravée a été commise, en cas de lien indirect avec le dommage, est effectivement la bonne manière d'aborder le problème.

Enfin, il ne s'agit en aucun cas de priver les victimes de leur droit légitime à la réparation des dommages qu'elles ont subies. Le souhait du législateur est de réorienter leurs demandes vers la justice civile, qui est compétente pour accorder des dommages et intérêts quand une faute a bien été commise mais qu'elle est à la fois involontaire, indirecte et légère. Au demeurant, la définition des délits non intentionnels n'est pas modifiée pour les personnes morales dont la responsabilité pénale continuera à pouvoir être engagée dans les mêmes conditions qu'auparavant.

La commission des lois a approuvé l'esprit général de ce texte, tout en lui apportant quelques correctifs.

En ce qui concerne la nouvelle définition générale des délits non intentionnels - article 1er - la commission a conservé les deux apports essentiels proposés par le Sénat que sont la distinction entre la faute directe et la faute indirecte, d'une part, et l'exigence d'une faute caractérisée dans cette seconde hypothèse, d'autre part. Toutefois, elle a souhaité préciser la portée de ce dispositif. En premier lieu, l'exigence d'une faute caractérisée pour que la responsabilité pénale d'une personne physique puisse être engagée prévaudrait en cas de lien soit « indirect », soit

« médiat », par rapport au dommage. Le sens exact de ces deux notions serait précisé dans la loi elle-même.

Pour ce qui est de la définition de cette faute caractérisée, la commission a considéré que la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence » était à la fois trop vague et trop restrictive. Elle propose que ne soient visées que les obligations « prévues par la loi ou le règlement », mais que la responsabilité pénale de la personne physique puisse également être engagée en cas de « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elle ne pouvait ignorer ». Cet ajout supprime le risque de

« dépénalisation » excessif que comportait le texte sénatorial. Il permet de maintenir la responsabilité pénale dans de nombreux domaines où des fautes graves ne sont pas pour autant « manifestement délibérées ». De nombreux exemples figurent aux pages 43 et 44 de mon rapport écrit.

Cette nouvelle définition s'appliquant à l'ensemble des délits non intentionnels, la commission a estimé qu'il n'était pas fondé de décliner ces dispositions, de surcroît de façon non exhaustive, au niveau des différents délits non intentionnels, en particulier pour des délits matériels qui sont infiniment moins graves et moins poursuivis que l'homicide ou les blessures involontaires. Elle a donc supprimé les articles 3 bis et 3 ter modifiant le code rural. En revanche, elle a jugé utile d'établir clairement, dans un article additionnel, qu'en toute hypothèse, les victimes d'un dommage ont toujours la possibilité d'obtenir réparation devant les juridictions civiles.

S'agissant des personnes morales, la commission n'a pas souhaité suivre la démarche engagée par le Sénat, tendant à étendre la responsabilité pénale des collectivités locales, en cas de manquement non délibéré à une obliga-


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tion de sécurité ou de prudence, à des activités qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une convention de délégation de service public. Elle a considéré que cette mesure n'aurait qu'une incidence très relative pour les personnes physiques, dont la responsabilité continuera à pouvoir être engagée en même temps que celle de la personne morale. Par ailleurs, elle a observé qu'une telle disposition pourrait contribuer à accroître la pénalisation de notre vie publique et à porter atteinte à la nécessaire séparation des autorités administratives et judiciaires, ce qui irait à l'encontre des objectifs recherchés par le législateur.

La commission a également souhaité, comme le propose le Sénat, que les collectivités locales puissent assurer la protection de leurs élus lorsqu'ils sont poursuivis sur le plan pénal pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable, sous réserve qu'il s'agisse d'une obligation et non d'une faculté.

En revanche, elle a supprimé les dispositions adoptées par le Sénat relatives aux marchés publics, en considérant que les textes actuels permettaient déjà de répondre aux situations évoquées. La commission vous propose donc un texte sensiblement remanié et complété qui, s'il avait été lu, aurait évité bien des polémiques superflues.

Les critiques qui se multiplient à la veille de notre débat, suscitant une attention médiatique, sont inexactes et injustes. Elles sont inexactes quand elles prétendent que le texte est examiné en catimini vous l'avez démontré, madame la ministre, je n'y reviens pas. Elles sont inexactes quand elles laissent entendre que ce texte ne concerne que les élus locaux alors même que le Premier ministre a refusé qu'ils bénéficient d'un traitement particulier.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles de la législation et de l'administration générale de la République.

Très bien !

M. René Dosière, rapporteur.

Elles sont inexactes, surtout, quand elles précisent que ce texte a pour objet de supprimer les sanctions pénales à l'égard des décideurs.

Elles sont même choquantes quand elles nous reprochent de vouloir mettre un terme aux poursuites dans l'affaire du sang contaminé. Et si je reste modéré dans mes propos, c'est par considération envers les victimes et leur famille dont je comprends toute la douleur.

Dans une société complexe, chacun doit assumer ses responsabilités. Le devoir de vigilance s'impose en particulier aux décideurs publics. Pour autant, on doit encourager l'esprit d'initiative, la prise de responsabilités avec tous les risques qu'elle comporte, car si le risque zéro n'existe pas, la fatalité, elle, existe. Quand je vois, en matière de sécurité alimentaire, la multiplicité et la complexité des normes édictées pour effacer tout risque, je pense à ce mot de Péguy à propos des adeptes de Kant : « Ils ont les mains pures, mais ils n'ont pas de mains. » Pour ma part, j'ai choisi d'avoir des mains.

Mme Nicole Feidt et Mme Christine Lazerges.

Très bien !

M. Gérard Gouzes.

Excellent rapporteur !

M. René Dosière, rapporteur.

Mes chers collègues, la commission des lois a adopté ce texte à l'unanimité, car il a été élaboré en étroite concertation avec vos services, madame la ministre, et avec le Sénat. Je vous propose donc, de confirmer ce soir le vote de la commission.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

PRIORITAIRE

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement la lettre suivante :

« Paris, le 5 avril 2000

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en application de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement fixe comme suit l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale :

« Jeudi 6 avril, l'après-midi et, éventuellement, le soir :

« seconde lecture du projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives ;

« projet de loi portant organisation de la consultation de la population de Mayotte ;

« seconde lecture de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de ma haute considération. »

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

J'attire votre attention sur le fait que, à la suite de cette modification, la séance de demain matin se trouve supprimée.

3 DÉLITS NON INTENTIONNELS (suite) Reprise de la discussion d'une proposition de loi

M. le président.

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

Mes chers collègues, je pense que si chacun ne dépasse pas son temps de parole, et je veillerai à ce qu'il en soit ainsi, nous pourrons terminer l'examen de ce texte cette nuit, avant la limite réglementaire d'une heure du matin.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Meyer, premier orateur inscrit.

M. Gilbert Meyer.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, selon plusieurs sources concordantes, il y aurait actuellement en France près d'un millier de procédures pénales engagées contre des élus et des fonctionnaires territoriaux. Si en euxmêmes, les chiffres peuvent ne pas effrayer, ils traduisent néanmoins une dérive malsaine. En effet, tout contentieux laisse progressivement la place à une incrimination pénale.


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Le contentieux traditionnel, qu'il soit administratif ou civil, souffre réellement de nombreux maux : procédures trop longues, manque de moyens humains, etc. Il est donc apparu plus facile d'aller vers le contentieux pénal : le procès est gratuit et le recours à un avocat n'est pas obligatoire. En outre, l'enquête, s'il y a lieu, est faite par des services de police ou par un juge d'instruction. La procédure pénale apparaît de ce fait plus adaptée, plus rapide, moins coûteuse, avec de surcroît un effet médiatique assuré.

L'excès de pénalisation suscite incontestablement émotion et sentiment d'incompréhension dès lors que les décideurs publics sont de plus en plus exposés dans l'exercice de leur mandat. Quel maire ne s'est pas demandé si tel dossier, tel chantier autorisé sur le territoire de sa commune ou simplement telle décision n'allait pas le conduire un jour dans un contentieux pénal ? Cette dérive incontestable pour des délits non intentionnels doit impérativement être freinée.

Jusqu'à présent, des tentatives ont été faites dans ce but, mais elles sont toutes restées sans effet. Le premier essai a été tenté avec la loi du 13 mai 1996, que vous avez bien voulu rappeler, madame la ministre. Celle-ci impose aux magistrats d'examiner, en fonction des circonstances particulières du moment, le comportement du prévenu. Mais cette tentative n'a pas produit l'effet escompté. Tout au plus les magistrats ont-ils fait un effort de rédaction et de motivation pour apprécier les circonstances particulières. Mais cela n'a pas empêché le prononcé de condamnations pour des fautes non intentionnelles, pourtant sans lien direct avec le dommage causé. Il faut donc constater que c'est aujourd'hui la poursuite pénale qui devient le contentieux normal. Il faut mettre un terme à cette situation.

La commission présidée par M. Massot a déposé un rapport. Pour autant, le texte actuellement en discussion n'est pas très satisfaisant. Il est en effet prévu dans le cas de la faute non intentionnelle, de n'engager la poursuite que s'il existe un lien direct entre la faute non intentionnelle commise et le dommage qui est subi. En l'absence de ce lien direct, seule une faute grave pourrait entraîner la mise en jeu de la responsabilité. Ce serait par exemple le cas d'un maire qui, malgré les avertissements de ses services techniques avant un match, n'aurait pas fait réparer un panneau de basket qui serait tombé sur un élève. Dans cette hypothèse, il ferait l'objet de poursuites, mais tel ne serait pas le cas s'il n'avait pas été averti auparavant.

Le Premier ministre avait déjà indiqué son souhait que la responsabilité pénale des élus pour des fautes non intentionnelles ne soit engagée que si le lien entre la faute et le dommage est direct ou, en cas de lien indirect, si la faute est particulièrement grave. Cette nouvelle définition doit bénéficier à tous les citoyens. Mais, pour l'essentiel, la réforme devrait porter sur deux éléments importants et distincts.

Le secret de l'instruction, tout d'abord. Tout le monde est d'accord pour constater que le secret de l'instruction n'existe plus. Il n'est pourtant pas imaginable de porter atteinte à la liberté de la presse et toute décision tendant à restreindre cette liberté apparaîtrait totalement vaine.

Cela est encore plus vrai depuis que les informations peuvent circuler par d'autres moyens, ne serait-ce que par l'intermédiaire d'Internet. Il faut donc en tirer la conséquence, à savoir supprimer la mise en examen. Cette suppression permettrait au juge d'instruction de se borner à entendre les témoins, lesquels, bien entendu, auraient accès au dossier.

Si le magistrat instructeur avait l'intention de procéder à une incarcération ou avait décidé d'un contrôle judiciaire, il pourrait bien entendu le faire, mais après un débat contradictoire. Nous supprimerions ainsi la présomption de culpabilité, dès la mise en examen. En effet, aux yeux de l'opinion, une mire en examen est déjà une condamnation.

Deuxième élément : la responsabilité pénale des collectivités territoriales devrait être instaurée. Je sais, madame la garde des sceaux, que vous êtes farouchement opposée à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales. Vous avez d'ailleurs rallié à votre position les membres de la commission des lois.

M. René Dosière, rapporteur.

Nous avons cheminé parallèlement !

M. Gilbert Meyer.

Dès lors, cette dernière a supprimé toutes les dispositions du texte qui visaient une telle extension.

Je rappelle qu'en matière de délits financiers la responsabilité pénale des sociétés commerciales est prévue par les textes. Je n'entrerai donc pas dans un débat que je sais clos par avance. Sachez cependant que je ne partage pas ce point de vue. En effet, une extension de la responsabilité pénale des personnes morales aurait permis d'éviter la condamnation de personnes physiques n'ayant commis aucune faute, tout en garantissant les victimes. Il m'apparaît, dans ces conditions, qu'il faudrait en rester à la positions prise par le Sénat le 27 janvier 2000.

Personnellement, je plaide depuis plusieurs années pour que le législateur se penche sur la faute non intentionnelle et ses conséquences. Je suis particulièrement heureux que le débat soit enfin ouvert sur ce point.

Là encore, la proposition de loi adoptée par le Sénat est à retenir lorsqu'elle redéfinit le délit non intentionnel.

Je suis tout à fait d'accord pour considérer qu'il ne saurait être question de soustraire les élus à leurs responsabilités ni de créer d'immunité ou de privilège à leur profit.

Comme l'a souligné très justement le rapporteur, « la banalisation du régime de responsabilité des décideurs publics et l'élargissement du champ de la sanction pénale constituent des progrès de l'Etat de droit. » Nous devons

dès lors rendre hommage au sénateur Pierre Fauchon, lequel s'appuie sur les conclusions du rapport Massot.

La nouvelle rédaction de la proposition de loi vise la distinction entre les infractions intentionnelles et les délits non intentionnels.

Outre la suppression du pluriel pour le « règlement » et une précision bienvenue concernant la charge de la preuve, la proposition distingue le fait de causer directement ou indirectement le dommage.

Lorsque le lien de causalité est direct, l'auteur se trouvera dans une situation comparable à la situation actuelle.

Lorsque la faute n'a été que la cause indirecte du dommage, il appartiendra au juge d'établir une « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ».

Cette rédaction soulève deux problèmes.

Le premier tient à l'appréciation de l'existence d'un lien de causalité par le juge répressif.

Le second à l'interprétation de l'expression « violation manifestement délibérée d'une obligation particulère de sécurité ou de prudence ».


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Il entre effectivement dans la mission du juge d'apprécier l'existence d'un lien de causalité. Il lui appartient par ailleurs d'apprécier s'il y a, ou non, violation manifeste et délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence.

La commission a considéré, à juste titre, que la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence » était à la fois trop vague et trop restrictive. C'est pourquoi elle a proposé que ne soient visées que les obligations « prévues par la loi ou le règlement ». Elle a également souhaité que la responsabilité pénale d'une personne physique puisse être engagée en cas de « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elle ne pouvait ignorer ».

Aux termes des améliorations apportées par la commission, un délit serait donc constitué en cas de faute non intentionnelle si le prévenu, n'ayant pas causé directement le dommage, a créé la situation ou n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter : soit en violant délibérément une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; soit en commettant une faute d'une exceptionnelle gravité, exposant ainsi autrui à un danger qu'il ne pouvait ignorer.

La distinction rédactionnelle opérée par la commission constitue à mon sens une redondance affaiblissant le texte. Cette faiblesse permettra à la jurisprudence de revenir ou de tenter de revenir à la situation antérieure.

Si quelqu'un viole délibérément une obligation particulière de sécurité ou de prudence, il commet une faute grave pour avoir exposé sciemment autrui à un danger.

Mais inversement, comment pourrait-on mettre autrui face à un danger que l'on connaît sans violer une obligation de sécurité ou de prudence ? La commission a également souhaité préciser que même en l'absence d'une condamnation pénale, une action en réparation devant les juridictions civiles reste possible, sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil, si l'existence d'une faute prévue par la disposition légale est établie. Cette précision me semble effectivement indispensable.

En ce qui concerne l'examen d'un lien de causalité, une fois supposée établie la preuve de la faute au sens du texte, il ne me semble pas que la nouvelle rédaction de l'article 121-3 permettrait d'empêcher une condamnation en présence d'une faute indirecte non caractérisée.

Qualifier la cause n'a pas été jusqu'à présent une des préoccupations majeures du juge. Il lui suffit que la causalité soit certaine, peu importe qu'elle soit directe ou indirecte. Rien d'étonnant donc à ce que des décisions pénales soient muettes sur le lien de causalité ou ne donnent que de vagues indications. L'examen des décisions dans lesquelles est recherchée la responsabilité d'un décideur public est en effet très révélateur de l'interpréta tion particulièrement extensive que les juges font de la notion de lien direct.

Je prends un exemple. Lors d'un match de football se déroulant sur un terrain communal, le gardien d'une des équipes est grièvement blessé par la chute de la cage de but qui n'était pas fixée au sol. La fixation des buts est prévue par différents textes. Il se trouve que le maire de la commune avait assisté à une réunion provoquée par l'organisateur de la rencontre, précisément à propos du danger que présentait l'absence de fixation. Il avait alors été décidé d'arrimer les buts amovibles. Mais cette décision n'avait pas été suivie d'effet. La cour d'appel de Toulouse, dans son arrêt du 31 octobre 1996, a approuvé le magistrat du tribunal correctionnel d'Albi qui avait considéré que « chacun des prévenus » - donc le maire -

« conscient du danger encouru, a concouru directement par sa faute personnelle à la réalisation de l'accident. »

Le juge aurait pu admettre la théorie de la causalité adéquate, comme le fait le juge administratif : l'action incriminée est considérée comme la cause du dommage si ce dernier en est la conséquence normale. Mais en l'espèce, le magistrat a considéré qu'il existait un lien de causalité direct avec le dommage.

La jurisprudence fourmille d'exemples similaires. Il serait dès lors illusoire de fonder nos espoirs de parvenir à éviter la multiplication des condamnations sur la seule exigence du lien causal direct ! Un texte reposant sur ce principe aurait, comme la loi de 1996, pour seul effet une modification ou une précision accrue dans la rédaction de la décision de justice rendue par le juge.

Ainsi, tant sur le problème de l'examen de la faute que sur le problème du lien de causalité, nous restons dans l'incertitude la plus absolue. Comment prouver en effet le caractère manifestement délibéré d'une violation ? Comment prouver que le lien de causalité est direct ou ne l'est pas ? Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, vous aurez compris que, dans l'état actuel de sa rédaction, le premier volet de la proposition de loi n'est guère satisfaisant.

Il cumule les imprécisions, notamment sur les deux questions importantes que je viens de rappeler.

Ce texte ouvrira à nouveau la voie à différentes interprétations jurisprudentielles. Or il n'est de secret pour personne que les tribunaux interprètent les textes d'une manière toujours extrêmement large.

M. René Dosière, rapporteur.

Qu'y pouvons-nous, monsieur Meyer ?

M. Gilbert Meyer.

En outre, la prolifération des textes

« étouffe » littéralement les responsables des collectivités en leur imposant toujours plus de règles ; vous l'avez répété tout à l'heure, monsieur le rapporteur. Or ils ne sont pas tous des professionnels du droit ou des techniciens généralistes. Ils sont soumis par ailleurs à une certaine pression, d'autant qu'ils ne bénéficient pas toujours de services compétents pour les aider dans leurs arbitrages. Madame la ministre, vous avez parlé de séances de formation. Cela s'impose.

M. René Dosière, rapporteur.

Heureusement que certains ont de très bons collaborateurs !

M. Gilbert Meyer.

Je peux vous faire part de mon expérience de maire d'une ville de 70 000 habitants. J'ai sous ma responsabilité directe 42 établissements scolaires - 27 écoles maternelles et 15 écoles primaires. Croyezvous vraiment qu'il me soit possible de m'assurer personnellement que, dans chacune de ces écoles, toutes les précautions sont prises et que toutes les normes sont scrupuleusement respectées pour garantir la sécurité des enfants ? Non, bien entendu !

M. René Dosière, rapporteur.

En plus, vous avez des pots de fleurs partout dans votre ville !

M. Gilbert Meyer.

Je suis obligé de faire confiance aux services municipaux. Mais si un drame devait survenir, faisant apparaître une défaillance quelconque dans le système, c'est la responsabilité pénale du maire qui serait engagée.


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J'aurais toutefois tendance à nuancer mon sentiment pessimiste au regard des modifications qui ont été apportées au texte sénatorial lors de son examen en commission des lois. Vous voyez que je reste logique dans mon propos...

La commission a en effet sensiblement amélioré les dispositions du premier volet de la proposition de loi, d'une part, en déclinant sans ambiguïté la notion de causalité entre la faute commise et le dommage subi ; d'autre part, en définissant plus précisément et plus clairement la notion de faute non intentionnelle.

Mais le texte pourrait être amélioré au prix d'un peu d'audace. En effet, selon le principe inscrit dans la loi « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Ce principe, pourtant fondamental, n'a jamais été tant mis en défaut, surtout depuis la réforme du code pénal en 1994 et le toilettage de 1996 n'y a rien changé.

J'ai relevé au début de mon intervention que les victimes d'un dommage diligentent des poursuites pénales qui ne sont pas toujours justifiées. Bien souvent, elles le font, encouragées par les avocats, mais aussi par ignorance des réparations auxquelles elles pourraient prétendre par voie civile. En améliorant le texte voté par le Sénat, notamment la rédaction de l'article 1er , et en rappelant l'opportunité des procédures civiles, la commission a fait preuve de clairvoyance.

A la lecture des dispositions actuelles, je reste cependant sceptique. Aujourd'hui, est-il encore possible d'avancer davantage, pour gommer les imperfections ? Est-il possible d'avancer davantage en cherchant à mieux circonscrire les délits non intentionnels ? Pour différentes raisons, j'en doute. En effet, même si on le voulait, toute nouvelle proposition entraînerait une série d'appréhensions. Toute suggestion complémentaire risquerait de laisser croire à une tentative d'installer un régime particulier pour les décideurs publics, ce que nous ne voulons pas.

Alors, comment faire ? Madame la garde des sceaux, je vous soumettrai une proposition.

Nous avons pu mesurer la faible marge dont nous disposons. Nous savons aussi combien cette question pose problème aux décideurs publics. Nous connaissons le risque que tout dérapage vers la pénalisation peut provoquer, au détriment de la démocratie. Enfin, nous avons fait l'expérience des dispositions instaurées en 1996 et de la déception résultant de leur application jurisprudentielle.

Alors, faisons pour le mieux en étant le plus précis possible. Mais ayons le courage de faire ensemble le point d'ici à trois ou quatre années, et de tirer, si besoin en était, les enseignements de la pratique, en mettant en oeuvre les modifications législatives qui s'imposeraient alors.

Pour terminer, nous avons pu constater que ce texte suscite des interrogations dont certaines associations se sont fait l'écho. Elles craignent des incidences qui n'avaient pas été entrevues à ce jour, et notamment que les dispositions n'aboutissent à interdire la mise en cause des décideurs publics. Nous savons tous que tel n'est pas le cas. D'ailleurs, le groupe du RPR s'y opposerait, car nous ne voulons pas, et vous l'avez indiqué également, d'un régime préférentiel pour les élus locaux. Néanmoins, il serait opportun, madame la ministre, que vous rassuriez celles et ceux qui redoutent la portée des dispositions de ce texte.

M. René Dosière, rapporteur.

Elle l'a fait, monsieur Meyer !

M. Gilbert Meyer.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce sont là nos observations. Elles appellent de votre part, madame la ministre, des précisions. Il faudra apporter des garanties à ceux qui ont des craintes sur la portée de cette modification législative. Le groupe du Rassemblement pour la République souhaite que vous puissiez répondre aux questions qu'il a posées. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocraite libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Vila.

M. Jean Vila.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'objet de cette proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels est, sans aucune ambiguïté, de réfléchir et de trouver une solution à la situation difficile et souvent incompréhensible à laquelle peuvent se trouver confrontés des élus locaux, parce que se sera produit dans leur commune un accident qu'on leur reprochera de ne pas avoir prévu.

Il est de fait que la responsabilité pénale des élus tend à se développer et que pas un élu local, en particulier un maire, n'est aujourd'hui assuré de ne pas coucher en prison le lendemain.

M. Jacques Fleury.

C'est vrai.

M. Jean Vila.

La caricature est extrême, certes, mais il s'agit de bien réfléchir au problème et de ne pas légiférer à la va-vite. C'est la démocratie locale qui est en jeu.

La question n'est pas nouvelle. Vous avez d'ailleurs rappelé, madame la ministre, l'aboutissement de certains travaux, notamment législatifs, en la matière. Même si nous ne pouvons que déplorer la médiatisation qui en est faite, le problème est néanmoins réel.

Si les chiffres connus laissent apparaître que seulement cinquante-quatre cas de mise en examen ont été enregistrés depuis 1995, nous ne devons cependant pas sousestimer le sentiment d'insécurité juridique ressenti légitimement par les décideurs publics.

En même temps, pouvons-nous isoler et dissocier ce problème du constat plus général de pénalisation accrue des rapports sociaux dans notre pays ? Nous ne le pensons pas. Nous savons bien en effet que depuis plus de vingt-cinq ans, la crise du système social se répercute fortement sur celle de la justice. Dans cette situation, la complexification des relations humaines, l'évolution des moeurs, les bouleversements démocratiques, économiques et culturels, l'évolution des tensions provoquées par certaines pratiques, certaines remises en cause des droits compromettant la vie quotidienne en collectivité ont provoqué toutes sortes de conflits.

Nous pouvons faire le constat d'une justice sollicitée par défaut, d'une généralisation du recours moraliste et salvateur au justicier, suscitant un mouvement de judiciarisation de la société comme si la justice pouvait sauvegarder ou restituer un sens ébranlé ou perdu.

Aujourd'hui, nos concitoyens font de plus en plus appel au pénal pour régler les faits dont ils se sentent victimes. Peut-être les démarches sont-elles plus faciles et plus rapidement satisfaites que devant les juridictions administratives ou civiles ? En tout cas, la recherche systématique d'une solution pénale, parfois même pour régler des conflits ne relevant pas du pénal, se généralise et n'épargne pas les problèmes posés au plan local.


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Il nous faut donc en quelque sorte corriger cette dérive à « l'américaine » pour répondre à l'attente de nos compatriotes qui aspirent à une autre justice. Ils veulent une justice proche de leurs préoccupations et résolue à traiter également tous les justiciables, sans exception. Ils veulent une justice irréprochable, rapide, plus accessible, plus simple, à l'écoute de toutes les parties.

C'est à cela que vous vous êtes attaquée, madame la garde des sceaux, en remettant en chantier l'organisation de la justice et c'est en cela que nous soutenons votre démarche. Cette réforme doit être poursuivie et menée à bien dans les meilleurs délais pour accélérer l'indépendance de la justice et garantir la présomption d'innocence.

Comment les 500 000 élus locaux pourraient-ils ne pas ressentir de malaise dans l'exercice de leur fonction alors que leurs nouvelles et importantes responsabilités dans des domaines très diversifiés sont à la source de la judiciarisation de la vie politique locale ? A l'évidence, la complexité de la gestion locale, la prolifération des réglementations, l'éparpillement des textes, les défis auxquels sont confrontées quotidiennement les collectivités locales en matière de logement, de chômage, de santé, d'éducation, la multiplication des incivilités, tout concourt à l'inflation des responsabilités des élus locaux. Or celles-ci n'ont pas été compensées par des moyens financiers, techniques, humains, professionnels et en nombre suffisant pour répondre aux besoins des habitants.

M. Jacques Fleury.

Très bien !

M. Jean Vila.

Ces situations sont d'autant plus difficiles à assumer que les élus, les maires en particulier, qui restent les interlocuteurs privilégiés de la population, sont souvent perçus comme les responsables des maux de la société.

M. Gérard Gouzes.

De tout !

M. Jean Vila.

En ce sens, il nous semble urgent de prendre des mesures tendant à favoriser la démocratie locale et à renforcer les moyens dont disposent les communes et leurs élus pour y contribuer.

Bien évidemment, pour éviter le risque d'une professionnalisation de la fonction de maire et d'élus, il est également nécessaire d'évoquer l'indispensable réforme du statut de l'élu local qui trouve naturellement son lien avec la responsabilité pénale des décideurs publics. Face à l'insécurité juridique dont ils sont l'objet, il convient d'apporter des réponses appropriées.

Certes, la loi du 13 mai 1996 a renforcé la protection juridique des élus locaux. Le juge doit ainsi tenir compte de la situation particulière de l'élu dont la responsabilité pénale est mise en cause.

Il lui faut établir que l'accusé n'a pas « accompli les diligences normales, compte tenu [...] de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Cette modification de l'article 121-3 du code pénal est très importante. Mais si l'on se reporte aux différents témoignages ou aux événements placés sous les feux de l'actualité, on se rend compte qu'il est très difficile de mettre en place un régime qui respecte les droits des victimes et protège l'élu contre les abus de la pénalisation sans profiter à ceux qui ne le méritent pas.

Nous sommes tentés de rejoindre les conclusions du rapport Massot qui laissent apparaître que, pour enrayer le phénomène de pénalisation, il faut certainement dépasser le simple cadre de la définition du délit non intentionnel. Mais les réponses à apporter ne sont ni simples, ni évidentes.

Cela étant, nous considérons que la démarche du sénateur Pierre Fauchon, auteur de la présente proposition de loi, traduit une volonté de remédier partiellement à une situation qui devient préoccupante pour la vie publique.

Respectant le principe de valeur constitutionnelle de l'égalité des citoyens devant la loi et excluant toute idée d'accorder une immunité spécifique aux élus, la proposition de loi redéfinit, en effet, le champ des délits non intentionnels et étend la responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes morales.

S'agissant de la suggestion de reporter, dans certains cas, la responsabilité pénale sur les collectivités locales, nous devons nous interroger sur les conséquences et les limites d'une telle disposition.

S'il est aisé d'imaginer ce que peut être la responsabilité civile d'une collectivité, comment matérialiser la condamnation pénale d'une collectivité ? S'agira-t-il d'une peine d'amende supportée par le contribuable ? D'une interdiction d'exercer ? A des fins punitives ou pour l'exemple ? Qu'en sera-t-il de la tutelle a posteriori du contrôle de la légalité ? Doit-on se laisser enfermer dans la logique d'une option répressive qui n'a d'autre ambition que de remplacer une solution pénale par une autre ? Est-ce ainsi que l'on s'attaquera au problème réel de la généralisation de la pénalisation de la vie publique ? Le système français ne donne-t-il pas compétence au juge administratif dans le domaine de l'administration ? Tout le problème vient du fait que la voie pénale est plus efficace que la mise en cause de la responsabilité administrative ou civile pour l'obtention de la réparation.

Madame la garde des sceaux, nous souhaitons que les efforts engagés par votre ministère pour améliorer le fonctionnement des juridictions administratives, s'agissant notamment de l'extension du référé administratif, permettront une solution certaine à la réparation du préjudice subi.

Mais ne doit-on pas revenir à une application plus stricte des principes de base concernant la responsabilité administrative, civile, pénale ? Tous les acteurs de la vie publique sont aujourd'hui convaincus de la nécessité d'une réforme d'ensemble tant les problèmes posés par l'abus d'une pénalisation de la vie publique attentent à la démocratie locale.

Nous ne pensons pas que l'extension de la responsabilité pénale aux collectivités locales soit de nature à résoudre de manière efficace le problème auquel se heurtent les élus locaux. Nous voterons donc l'amendement de la commission concernant le second objet de la proposition de loi qui tend à préciser la définition des délits non intentionnels en intervenant à la fois sur la définition de la faute et sur le lien de causalité.

Ces dispositions n'appellent pas de remarques particulières de notre part. Nous considérons simplement, et nous rejoignons-là votre souci exprimé au Sénat, madame la garde des sceaux, qu'il faut veiller à ne pas affaiblir l'efficacité de la loi pénale dans des domaines aussi sensibles que le droit du travail, de la santé publique, de l'environnement, de la sécurité routière, l'article 121-3 du code pénal que nous allons modifier étant un texte général. C'est pourquoi nous souscrivons aux propositions de la commission qui semblent lever toute ambiguïté.

En conclusion, les députés communistes espèrent que la navette parlementaire permettra d'améliorer ce texte.


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De même, mais ils connaissent votre détermination, madame la garde ses sceaux, ils attendent la poursuite de la réforme de la justice, notamment en ce qui concerne l'indépendance de l'institution, la protection de la présomption d'innocence et le droit des victimes.

Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements de la commission, le groupe communiste votera cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mesdames, messieurs, Xerxès fit fouetter la mer pour la punir d'avoir englouti sa flotte après une tempête. En ces temps anciens, le roi des Perses jugeait que les éléments étaient moralement responsables de cette catastrophe. De nos jours, alors que ce comportement peut apparaître dérisoire, certains juges mettaient en examen le constructeur de la flotte, le capitaine, l'amiral, voire le roi lui-même, considérant que Dieu ou la justice reconnaîtra les siens.

(Sourires.)

Comme quoi le refus de la fatalité ne date pas d'aujourd'hui ! A l'époque, il fallait rechercher un coupable, fût-il aussi naturel que la mer ! La présente proposition de loi vise à faire en sorte que les auteurs de fautes, par définition non volontaires et qui n'ont qu'un lien éloigné avec les dommages causés, ne subissent pas des sanctions disproportionnées ou infamantes. Le problème n'est pas simple - vous l'avez remarquablement montré, madame la garde des sceaux. Il s'agit en effet de trouver un juste équilibre entre une législation hyper-protectrice, qui conférerait l'impunité aux auteurs de ces délits - certains parlent même d'une autoamnistie destinée aux seuls élus -, et une législation actuelle dont nous savons qu'elle favorise une dérive fragilisant les décideurs en les plaçant dans une situation d'insécurité juridique permanente, laquelle nuit, bien sûr, au bon fonctionnement de notre démocratie.

La législation de 1996 avait déjà tenté de « civiliser » ce type de délit, et donc de favoriser le recours aux juridictions civiles. Malheureusement, ce louable objectif n'a pas été atteint. Le droit pénal stipule bien qu'il n'y a pas de délit sans la volonté de le commettre. Néanmoins, nous débattons aujourd'hui des délits non intentionnels. En effet, notre société recherche systématiquement un coupable à punir, lorsqu'un dommage survient. Bien sûr, cette situation fragilise les décideurs publics, qu'il s'agisse d'élus locaux, de directeurs d'école ou d'hôpital, de médecins, de présidents d'association ou de chefs d'entreprise.

Même si les condamnations de ce type sont rares, elles sont suffisamment symboliques et médiatisées pour frapp er l'opinion publique, décourager les vocations et induire des excès de précautions confinant, dans certains cas, à l'inaction.

M. Gilbert Meyer. Très juste !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Aujourd'hui, de nombreux directeurs d'école ou enseignants expliquent au maire de leur commune qu'ils hésitent à franchir les murs de leur école, ne serait-ce que pour faire une simple promenade, par crainte qu'un enfant se blesse - le risque zéro n'existe pas - et que l'accident leur soit imputé. Est-il normal qu'un maire soit rendu responsable d'un accident de vélo en haut d'une colline, sous prétexte qu'il n'y avait pas de panneau ? Ou qu'il se retrouve mis en examen parce qu'un jeune homme a été assassiné dans un quartier malfamé de sa ville et qu'il était censé en assurer la tranquillité et la sécurité ? Est-il normal qu'une enseignante soit tenue pour responsable d'un accident qu'elle ne pouvait éviter dans la cour de récréation ? Ces situations, scandaleusement médiatisées, font naître un sentiment d'insécurité chez toutes les personnes qui en ont d'autres en charge.

Pour autant, ces dispositions ne doivent pas remettre en cause la législation afférente au code de la route, au code du travail, à la santé publique ou à l'environnement.

Elles ne doivent pas non plus aboutir, peu ou prou, à conférer l'impunité à tout décideur et a fortiori aux élus, frustrant les victimes ou leurs ayants droit de la recherche de la responsabilité et, par là même, de la vérité si complexe soit-elle. Le risque serait alors de remplacer le bouc-émissaire par le lampiste et d'instaurer en règle que l'on peut être « responsable mais pas coupable », ce qui n'est pas notre philosophie.

A cet égard, certains se demandent ce qu'il serait advenu de l'affaire du sang contaminé ou du tunnel du Mont-Blanc si les présentes dispositions avaient d'ores et déjà été en vigueur. J'ai le sentiment, quant à moi, que si l'on affirme que les deux cas concernés ne correspondent pas à une faute exceptionnellement grave et ne tombent pas sous le coup de la loi dont nous débattons, alors il nous faudra redéfinir les notions de « gravité » et de

« caractère exceptionnel ».

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française.

Tout à fait !

M. Jean-Antoine Leonetti.

La volonté d'éviter ce double écueil doit se traduire dans la loi par la recherche quasiment obsessionnelle - et je remercie M. le rapporteur du travail considérable qu'il a accompli dans ce domaine - de mots pesés, précis, qui évitent l'ambiguïté, tout en laissant au juge la liberté d'appréciation indispensable à toute décision de justice.

Certains estiment cette proposition de loi trop laxiste et la considèrent comme un second coup d'épée dans l 'eau après la première tentative avortée de 1996.

D'autres, en revanche, y voient une volonté des élus de se créer une carapace immunitaire qui les placerait hors des juridictions pénales pour des fautes non intentionnelles.

La recherche de la vérité doit se situer entre ces deux options pour aboutir à une loi juste, qui s'applique à tous et qui permette à la démocratie de continuer à évoluer, mais également aux victimes de rechercher la responsabilité de la faute.

Cela implique bien entendu de définir la faute, son caractère direct ou indirect, sa gravité. La faute non intentionnelle ne peut alors être retenue que lorsqu'il s'agit d'une négligence, d'une imprudence ou d'une ignorance des règles élémentaires de sécurité. L'imprudence pour autant ne doit-elle pas être sanctionnée ? Elle ne doit l'être qu'à condition d'être consciente et donc délibérée, résultat d'un manquement volontaire à des règles de sécurité que l'on connaît ou que l'on devrait connaître puisque personne n'est censé ignorer la loi. Un délit involontaire peut-il être commis de manière délibérée ? Peut-on volontairement être coupable d'un délit involontaire ? Le terme « délibéré », comme celui de « volontaire », n'est probablement pas le mieux adapté. Peut-être eût-il suffi de rappeler qu'il existe une règle - vous avez soul igné son importance en matière pénale et l'enrichissement dont elle a été l'objet au cours des quinze dernières années - à laquelle on a dérogé pour trouver la faute. Mais suffit-il qu'il n'y ait pas de règles écrites pour


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qu'il n'y ait pas de faute ? Certainement non. Lorsqu'un accident survient, il est quelquefois facile d'identifier la cause et par là-même de trouver l'éventuel coupable.

Le plus souvent, les causes sont multiples et c'est leur addition, dans des circonstances particulières, qui entraîne l'accident.

Un arroseur automatique défectueux, au lieu d'arroser la pelouse, inonde la chaussée. L'incident se produit en hiver. Il gèle et, au petit matin, un véhicule dérape provoquant un accident grave. Qui est responsable ? Le fabricant de l'arroseur ? Le jardinier ? Le chef de service de la mairie ou le maire lui-même ? Le conducteur imprudent en roulant de manière inconsidérée de nuit ? Ainsi, certaines causes ne peuvent être que partiellement ou indirectement responsables des effets engendrés.

Lorsque la faute est non exclusive, donc partielle et non dominante, son auteur ne peut être tenu pour responsable des dommages entraînés. Les mots « direct » et

« indirect » traduisant mal l'aspect dominant ou non de la causalité éventuelle, le juge aura une large marge d'interprétation.

On confond souvent la gravité de la faute et la gravité de ses conséquences. Or il convient de définir la gravité de la faute elle-même. Telle erreur bénigne pourrait avoir des conséquences graves dans des circonstances particulières ou associées à d'autres causes. C'est le hasard qui fait la gravité du dommage et non la cause elle-même.

L'anecdote de l'arroseur automatique qui fuit est, à cet égard, révélatrice : une défectuosité minime peut, à la suite d'un enchaînement de circonstances malheureuses, aboutir à un accident mortel ! Mais notre société accepte-t-elle encore le hasard ou la fatalité ? C'est au prix de telles précisions que le texte éclairera suffisamment les juges afin de leur permettre de distinguer le civil du pénal et l'erreur de la faute.

On a souligné que ce texte n'était pas exclusivement destiné aux élus, mais on ne peut pas non plus les exclure de son champ d'action. Il est donc nécessaire que le pénal sanctionne de manière claire les élus indélicats, corrompus ou irresponsables, mais pas le maire d'une ville dans laquelle un jeune joueur a été blessé par un panneau de basket défectueux.

M. René Dosière, rapporteur.

Tout à fait !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Le droit, vis-à-vis de la victime ou des ayants droit, doit punir le coupable et réparer le dommage. C'est le double aspect de la démarche pénale et civile qui a souvent prêté à confusion dans la jurisprudence actuelle.

Il n'est, certes, plus obligatoire de punir pour réparer.

Mais dès l'instant où la réparation est acquise, la punition pour une faute non intentionnelle ou minime n'a-t-elle pas pour objet de présenter aux victimes, aux ayants droit ou peut-être aux médias, un coupable afin d'assouvir une vengeance, voire faciliter un travail de deuil ? Cela dit, il existe une valeur pédagogique et morale de la sanction que nous ne pouvons pas ignorer car elle est nécessaire.

La récente condamnation de l'Etat dans l'affaire Grégory montre qu'un tribunal administratif peut aussi punir pour faute lourde un ensemble de décideurs, sans pour autant traîner devant le tribunal pénal le préfet, le gendarme, le juge d'instruction ou tout autre personne. Mais le tribunal administratif, cela a déjà été souligné, est len t, et qui plus est, discret. Il ne donne pas aux victimes la satisfaction morale que leur procure la désignation d'un coupable. Il manque à la fois de rapidité et de solennité.

C'est peut-être là une voie à explorer pour qu'à l'avenir, les victimes ne se sentent pas frustrées lorsque le pénal ne s'occupe pas directement et exclusivement de l'affaire en cours.

Nous approuvons les grandes orientations de ce texte.

D'autant que certains amendements que nous avons proposés se sont retrouvés dans les propositions du rapporteur. La nouvelle définition des délits non intentionnels nous paraît désormais plus précise, mais trop restrictive.

Nous ne nous opposerons pas à cette proposition de loi, mais nous espérons qu'elle s'enrichisse au Sénat et, en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale. Elle doit préciser que les règles de sécurité ne sont pas forcément « élémentaires » ; que la gravité n'a pas besoin d'être « exceptionnelle », mais, comme vous l'avez souligné, madame la garde des sceaux, qu'elle soit « notable » ; et que l'ignorance des règles de sécurité ne doit pas nécessairement être « manifestement délibérée » pour entraîner une procédure pénale.

Il faudra encore travailler à ce texte afin qu'il parvienne à un équilibre entre la culpabilité du « lampiste » et la condamnation d'un bouc émissaire, gage d'une société de responsabilité, à la fois individuelle et collective. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici amenés à examiner en première lecture une proposition de loi adoptée par le Sénat, et qui tend à préciser le périmètre de la responsabilité pénale encourue pour des fautes non intentionnelles, c'est-à-dire dans les situations où ce n'est pas l'intention qui compte mais le résultat.

Je veux commencer par saluer la qualité du travail de notre rapporteur et son souci de précision, qui, indiscutablement, ont contribué à améliorer le texte de la proposition...

M. René Dosière, rapporteur.

Merci, monsieur Houillon !

M. Philippe Houillon.

... même s'il reste sur ce sujet difficile et technique des points d'interrogation, mais j'y viendrai dans un instant.

Le texte issu de la commission des lois modifie le droit de la responsabilité pénale pour faute involontaire, en excluant dorénavant de son champ d'application la responsabilité des « personnes physiques qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine, ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter », et encore dans les seuls cas où, elles n'auraient pas violé une obligation particulière de sécurité ou de prudence, ni commis une faute d'une exceptionnelle gravité, exposant autrui à un danger qu'elles ne pouvaient ignorer.

En d'autres termes, le droit des comportements non intentionnels qui sont la cause directe d'un dommage n'est pas modifié non plus que le droit de la responsabilité civile, issu notamment de l'article 1383 du code civil.

En réalité, la frange de comportement qui manifestement procède de la seule responsabilité civile a été englobée dans le champ de la responsabilité pénale sans intention, notamment à la suite de la jurisprudence de la Cour de cassation consacrant l'identité des fautes civiles et pénales d'imprudence.

Cette situation qui a sans doute contribué - d'autres orateurs l'on dit avant moi - à la surpénalisation de notre société, est depuis un certain temps sérieusement remise


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en cause non seulement par la doctrine, par les professionnels du droit, par les décideurs, bien sûr, par les élus, mais aussi par les fonctionnaires, comme d'une manière plus générale, par toute personne - parents, enseignants ou salariés d'entreprises - qui, à un moment donné, exercent volontairement ou non une responsabilité quelconque de quelque nature que ce soit.

D'ailleurs, le 5 février dernier, à Saintes, l'un des plus hauts magistrats de France, le procureur général près la Cour de cassation, déclarait qu'il demanderait à l'assemblée plénière de la Cour de cassation appelée à statuer sur un pourvoi dans la malheureuse affaire du Drac, de revenir sur la jurisprudence de l'identité des fautes civiles et pénales d'imprudence.

Mais un important effort pédagogique reste à faire à la fois en direction des décideurs, de ceux qui sont amenés à exercer une responsabilité, d'une part, et en direction des victimes, d'autre part.

Ceux que l'on appelle les décideurs, mais en vérité la matière concerne ceux, quels qu'ils soient, qui à un moment donné se trouvent dans une situation susceptible de leur faire encourir une responsabilité pénale pour des comportements non intentionnels, vivent dans la psychose d'une poursuite pénale qu'ils estiment pouvoir leur échoir à tout moment pour des raisons qu'ils ne maîtrisent pas et avec son lot de suspicion qu'ils vivent avec un sentiment d'injustice, voire de révolte, d'autant plus vif qu'ils ont de bonne foi l'impression de n'y être absolument pour rien. Et cette psychose aboutit à un refus des responsabilités, quelquefois au détriment de l'intérêt général.

Je ne peux pas résister à l'envie de vous lire une lettre que des parents d'élèves, éberlués, ont reçue du proviseur du lycée dans lequel leurs enfants étaient scolarisés :

« Après information du conseil d'administration du 2 mars 2000, le lycée ne prend désormais plus en charge les titres de transport donnés aux élèves lors des déplacements vers les installations sportives. Cette mesure est indispensable pour dégager la responsabilité pénale du proviseur et des enseignants d'éducation physique et sportive, en cas d'incident ou d'accident lors de l'utilisation des transports urbains. »

Comme vous le notez, dans votre rapport, monsieur le rapporteur, les poursuites ne sont pas si nombreuses mais leur médiatisation donne sans doute une plus grande ampleur à l'affaire et jette le trouble dans les esprits.

Il est donc nécessaire de clarifier les règles du jeu à une époque où, au-delà de l'obtention plus efficace d'une réparation pécuniaire, le droit pénal répond au besoin d'obtenir une réparation morale et, accessoirement, de désigner un coupable.

De droit protecteur des intérêts fondamentaux de la société, le droit pénal est devenu en quelque sorte un droit instrumental.

Du côté des victimes, et à en juger par certaines réactions récentes, il y aurait le sentiment d'un recul de la responsabilité. Pour ce qui me concerne, il me paraît évident, pour ne prendre que cet exemple, que le nonrespect avéré du principe de précaution constitue une faute grave...

M. Bernard Accoyer.

Tout à fait.

M. Philippe Houillon.

... exposant autrui à un danger qui ne peut être ignoré et donc, comme tel, susceptible d'engager la responsabilité pénale de son auteur. Mais le texte que nous examinons ne le dit pas précisément.

En fait, le souhait exprimé dans cette proposition comme cela avait déjà été le cas en 1996, est celui de l'appréciation in concreto des fautes. Le texte d'aujourd'hui encadre toutefois avec plus de précision cette appréciation dans les cas de responsabilité indirecte. Mais c'est peut-être, à cet encadrement là, monsieur le rapporteur, qu'il faut réfléchir plus avant pour ne pas aller audelà de l'objectif souhaité.

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Philippe Houillon.

Je le disais à l'instant, je voudrais être sûr que le non-respect du principe de précaution exposant autrui à un danger n'est pas exonéré. Je constate aussi que l'emploi de certains qualificatifs pourrait aller dans le sens de trop d'exonération. Est-ce cela qui est souhaité ? Il est question, par exemple, « de violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence », ou encore « d'une faute d'une exceptionnelle gravité ». « Une faute grave » ne serait-elle pas suffisante ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Très bien !

M. Philippe Houillon.

Par ailleurs, et j'en avais fait l'observation en commission, l'hypothèse du concours des causes du dommage n'est pas envisagée dans l'amendement que vous proposez : « ...les personnes physiques qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine... ». Cette rédaction

laisse à penser que lorsqu'elles ont seulement concouru à créer la situation - ce que j'appelle le concours des causes -, il n'y aurait pas de responsabilité. En tout cas, la question mérite d'être étudiée et précisée puisqu'en l'éta t actuel, le texte n'y répond pas tout à fait.

Autre point, la rétroactivité. Il s'agit d'un principe général du droit pénal, à savoir que la loi pénale plus douce s'applique immédiatement y compris aux affaires en cours.

M. Bernard Accoyer.

C'est tout le problème !

M. Christian Cabal.

Tout à fait.

M. Philippe Houillon.

Il faut le dire et réfléchir aux conséquences. Ecrire le contraire serait, de mon point de vue, radicalement inconstitutionnel.

Sur un autre plan, je partage, monsieur le rapporteur, votre avis sur l'inutilité d'étendre la responsabilité pénale aux collectivités locales, ce qui serait de pure circonstance, alors qu'il convient sans doute, les uns et les autres l'ont dit, d'amorcer un processus de dépénalisation de notre droit.

M. René Dosière, rapporteur.

Vous avez raison !

M. Philippe Houillon.

Au total, ce texte, sans modifier substantiellement les données de notre droit positif, tend vers un peu plus d'équilibre en réduisant les cas où pourra être mise en jeu la responsabilité pénale de personnes qui n'ont, à l'évidence, pas pesé sur le cours des choses. Il reste toutefois des points qui ne sont pas neutres et qui méritent d'être éclaircis, voire retravaillés.

De même, il faut faire aussi un peu de pédagogie car ce texte doit être aussi consensuel que possible. Je souhaite donc que nous mettions à profit la procédure parlementaire pour que ce travail sur les points importants, du moins ceux que je crois tels, soit accompli. Notre abstention sera donc une abstention positive en attendant de pouvoir voter le texte en seconde lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)


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M. le président.

La parole est à M. Gérard Gouzes.

M. Gérard Gouzes.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce n'est un secret pour personne, tous les décideurs publics ou privés, les responsables d'associations les fonctionnaires d'autorité, les directeurs d'école notamment, les élus nourrissent un profond sentiment d'inquiétude justifié par ce que l'on appelle la pénalisation accrue de notre société. Je m'interroge comme vous-mêmes, mes chers collègues : est-ce l'exemple américain ? Est-ce la déliquescence d'une certaine responsabilité individuelle au profit d'une responsabilité diluée, collective ? Est-ce l'idée même de socialisation du risque qui provoque ces effets pervers ? Une chose est certaine : plus personne ne se considère responsable de lui-même. Il faut toujours trouver des boucs émissaires ! C'est toujours la faute de l'autre ! Ainsi, on a pu observer, de l'incendie du Cinq-Sept en passant par l'effondrement des tribunes du stade de Furiani, une extension progressive de la jurisprudence sur la responsabilité des décideurs publics. Ceux-ci, et singulièrement les élus, ont été, sinon toujours condamnés, du moins mis en examen pour des faits non intentionnels.

Les maires ont le sentiment d'être responsables de tout ce qui peut arriver sur le territoire de leur commune - du moins on le leur fait comprendre -, même lorsque les fautes qui leur sont reprochées ont un lien extrêmement ténu, pour ne pas dire insignifiant, voire inexistant avec le dommage qui leur est imputé et lorsqu'ils n'ont pas les moyens d'assumer cette responsabilité. Chacun peut comprendre le drame que vivent, non seulement les victimes, mais également ces élus. Les maires, mais pas seulement eux, les directeurs d'écoles - plus de 10 000 postes de directeurs seraient vacants parce qu'un certain nombre d'enseignants ne veulent pas assumer la responsabilité d'une telle fonction -, les présidents d'association sportive qui assurent souvent bénévolement leurs fonctions, ont le sentiment de ne pas avoir démérité et d'être - comme notre collègue Meyer l'a dit - injustement poursuivis et condamnés.

L'Association des maires de France a publié ses orientations, lors de son dernier congrès, le 25 novembre 1999.

Pour tous les faits ne mettant pas en cause l'honnêteté des élus et pouvant constituer des délits non intentionnels, elle a souhaité, tout en améliorant l'information des victimes et leur indemnisation, mieux définir la notion de faute non intentionnelle.

La loi du 13 mai 1996 déjà votée à l'initiative du Sénat et qui souhaitait que la situation du décideur incriminé soit examinée non plus dans un contexte normal, in abstracto , mais dans une situation concrète, in concreto semble être, il faut le reconnaître madame la garde des sceaux, un échec, au moins dans son application.

M. Fauchon et les sénateurs ont estimé qu'il fallait se remettre à l'ouvrage et c'est ce qu'ils ont fait.

Le sujet est délicat, mais si le législateur ne parle pas, la jurisprudence, petit à petit, parle à sa place.

Je m'interroge : le tribunal correctionnel de Rennes 30 novembre 1996 - pouvait-il sincèrement soutenir que la référence à un texte spécial n'était pas juridiquement indispensable à partir du moment où l'article 121-3 du code pénal avait une portée générale et s'appliquait à l'ensemble des citoyens ? Sans se soucier des difficultés pratiques de la mise en oeuvre des prérogatives d'un décideur - ce qui, me semble-t-il, était bien la volonté affichée par le législateur de 1992 -, la Cour de cassation pouvait-elle conserver une approche abstraite de la responsabilité des décideurs ? Le tribunal correctionnel de Toulouse, par une décision du 19 février 1997, pouvait-il, sans que cela constitue une provocation, déclarer que, face à la puissance économique d'un établissement thermal, premier employeur et premier contribuable de sa commune, un maire pouvait encore démissionner, c'est-à-dire utiliser la dernière de ses prérogatives ? Toute personne sensée ne peut manquer de remarquer ces dérapages.

A l'inverse, le juge administratif, utilisant la théorie de la cause adéquate, a bien fait la distinction entre ce que l'on appelle la faute de service et la faute détachable du service.

Le Premier ministre était lui aussi sensibilisé à cette question, puisque, tout en ne voulant pas, avec raison, faire de l'élu ou du décideur un privilégié bénéficiant, sinon de droit, du moins de fait, d'une nouvelle immunité, il a désigné M. Jean Massot pour diriger un groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics.

Le rapport issu de ces travaux, qui est une importante contribution à la solution du problème soulevé et qui comprend de nombreuses dispositions dont il faudra reparler, a été remis le 16 décembre 1999. C'est dire que cette question nous habite et nous fait réfléchir depuis longtemps, qu'elle n'est pas traitée à la sauvette à l'occasion de la proposition de loi de M. Fauchon.

Sans reprendre l'ensemble des suggestions du rapport Massot, la proposition de loi du sénateur Fauchon a le mérite de nous inviter à réexaminer les notions d'homicide et de coups et blessures involontaires, afin d'éviter que les décideurs publics - au sens générique, les préfets, les élus locaux, les directeurs, les responsables d'associations - puissent être « appelés à répondre pénalement de toutes sortes de dommages, y compris les moins prévisibles », sans pour autant créer un statut pénal particulier pour les élus locaux.

Cette situation serait donc plutôt défavorable aux élus locaux, aux décideurs publics, si nous ne mettions pas un peu la main à la pâte.

Les élus ont fait le choix de la politique. Dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, ils doivent prendre leurs responsabilités, toutes leurs responsabilités, mais rien que leurs responsabilités.

Fallait-il, dans le même esprit, élargir la notion de responsabilité aux personnes morales, c'est-à-dire aux collectivités locales, aux associations ? La commission des lois, M. le rapporteur l'a expliqué tout à l'heure, ne l'a pas souhaité : cette solution aurait peut-être été confortable pour les victimes, mais elle aurait aggravé l'affaiblissement de la notion de responsabilité individuelle, en la renvoyant à la société.

Pour lever toute ambiguïté, le groupe socialiste s'est donc efforcé de définir la notion de faute indirecte et, surtout, de faute inexcusable mieux encore que ne l'avait fait le Sénat. Une simple mise en examen est en effet très certainement désagréable, voire infamante, pour un élu qui a le sentiment de n'avoir violé ni loi, ni règlement, ni obligation de sécurité. Souvent, il s'est placé au service des autres, a exercé une sorte de sacerdoce municipal ou associatif, parfois de manière bénévole ou quasi bénévole et il ne peut que mal supporter de se retrouver tout d'un coup au ban de la société.

C'est vrai, il y a les honneurs.

M. René Dosière, rapporteur.

Oh, les honneurs...

M. Gérard Gouzes.

Mais, chers collègues, les honneurs durent peu de temps ; l'opprobre peut durer toute une vie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

Ne nous étonnons pas si les candidats manquent pour exercer telle ou telle responsabilité, comme c'est le cas, dit-on, pour les prochaines élections municipales, ou, pis encore, si l'on constate parfois la médiocrité croissante des acteurs de la vie politique.

M. René Dosière, rapporteur.

Vous êtes sévère !

M. Gérard Gouzes.

Vous me permettrez de faire un peu de philosophie. Dans sa Métaphysique des moeurs, le célèbre philosophe Kant qui, je crois, a nourri nos études secondaires, affirme que la raison d'un châtiment doit impérativement se trouver dans le crime ou le délit. C'est là une réponse de bons sens à la question de la responsabilité. Mais, aujourd'hui, l'extension de la notion de responsabilité pénale ne trouve plus sa justification dans la commission d'un délit. Le système, tel qu'il est prévu à l'article 121-3 du code pénal et tel qu'il est interprété par les victimes et par les magistrats, enfreint violemment l'exigence éthique, parce qu'il ne fait pas de la responsabilité morale de l'agent - surtout lorsqu'il s'agit d'un maire ou d'un décideur public -, la condition nécessaire et suffisante de la légitimation de la peine.

Ainsi que le décrit très bien M. Hugues Moutouh, professeur à l'université de Caen, dans un article paru dans La Gazette du Palais sous le titre très significatif « La logique sacrificielle du bouc émissaire », ici, la peine n'a plus qu'une « fonction sociale » : la condamnation d'un maire ou d'un président de club sportif à la suite de la chute d'un panneau de basket, par exemple, ne répond pas au simple et légitime besoin de réparation qu'éprouve la victime. Celle-ci exige de se voir attribuer un vrai statut de victime, mais elle veut surtout exprimer pleinement ses sentiments revendicatifs à l'égard de la société.

Dans une société où le bonheur matériel est à la portée de chacun, l'accident ne peut être vécu que comme une malchance, non comme le résultat de notre propre responsabilité. Or, qui, mieux que la société, et par conséquent celui qui la représente, le décideur, pourrait être tenu pour responsable de cette malchance ? La pénalisation systématique de notre société, que certains voudraient voir se développer toujours plus forte, toujours plus loin et toujours plus haute, correspond ayons le courage de le dire - à une illusion profonde, celle d'une société sans risque, sans accident, sans aléa, mais aussi une société où la sécurité serait totale, mais aussi une société sans responsabilité, sans autres coupables que ceux qui ont été élus par tous, choisis pour organiser et diriger la société, pour la symboliser au premier degré.

Est-ce là la démocratie que nous voulons ? D'un côté, des responsables qu'il faut punir, parce qu'ils n'auront pas su ou pas pu empêcher le destin funeste des victimes, et, de l'autre, des irresponsables toujours innocents, garantis contre tout aléa, à la recherche du bouc émissaire à sacrifier pour effacer le dommage.

Si c'est ce que souhaite le professeur Claude Got, auteur d'un article à sensation paru dans un quotidien national, lorsqu'il appelle la clarification morale des causalités et des responsabilités en matière de délits non intentionnels une « amnistie anticipée », alors on peut craindre le pire. Craignons en effet cette dérive qui n'est qu'un recul de l'histoire vers les pratiques les plus anciennes et les plus primaires, qui commandaient un sacrifice humain pour conjurer le mauvais sort. Craignons que l'individualisme et le consumérisme ne détruisent à plus ou moins long terme le citoyen, l'esprit républicain, en un mot, la démocratie.

En fin de compte, nous ne sommes guère éloignés ici d'une logique juridique primitive que les anthropologues connaissent bien, où l'on offre, en substitution de la d estruction opérée par le délit institutionnalisé, la destruction du symbole que représente le décideur.

Contre cette regrettable dérive du droit pénal dans notre société, les législateurs que nous sommes doivent rappeler - je le dis solennellement - que « l'homme ne doit jamais être un moyen au service d'autrui ». Il serait bon, je crois, que les médias, dont la logique n'épouse pas toujours les chemins de la pédagogie sociale, rappellent ce principe fondamental de notre civilisation humaniste. Hors de ce rappel, je pense qu'il est inutile de parler de morale ou de responsabilité.

Notre rôle, aujourd'hui plus modeste, consiste, comme le suggère la commission Massot, à redéfinir la notion d'homicide et de blessures involontaires et à réduire le champ des délits non intentionnels exagérément élargi par une demande sociale de plus en plus forte, injuste et dangereuse pour la démocratie, car elle porte directement atteinte à la séparation des pouvoirs, et suppose notre démission collective face à un certain terrorisme intellectuel.

Nul doute que cette redéfinition légale permettra aux maires, aux élus, à tous les décideurs, publics, privés, associatifs, de ne plus se retrouver condamnés pour des faits qui ne peuvent sérieusement leur être imputés et dont ils ne sont pas fautifs.

Nul doute que les fautifs doivent être poursuivis. Qui le nie ? Je vous renvoie à la citation de Kant que j'ai faite plus haut. Nous sommes d'accord pour que les responsables, élus ou pas, soient partout punis.

Nul doute que les élus doivent comprendre que les fonctions que le peuple leur a confiées ont une face qui fait la noblesse de l'élection au suffrage universel, qu'elles sont difficiles, exigent davantage de sérieux, de vigilance et de responsabilité - de responsabilité politique.

La morale et le droit ne doivent pas être découplés.

Aussi difficile que cela paraisse, il est de notre devoir de faire passer ce message dans notre société de consommation, car il est indispensable d'arrêter les dérives actuelles, sans pour autant que nous relâchions notre vigilance dans les domaines de la circulation automobile - M. le rapporteur l'a dit -, des accidents du travail, des accidents thérapeutiques ou médicaux.

Le texte adopté par la commission des lois a été longuement travaillé et mérite aujourd'hui d'être accepté par l'ensemble des groupes de notre assemblée. J'encourage ceux qui veulent s'abstenir de façon positive à aller plus loin, jusqu'au fond de leur pensée, et à voter positivement. Un vote à l'unanimité donnerait au texte la force nécessaire à une application juste et équilibrée. Ce serait là une décision politique qui honorerait tout le monde et garantirait aussi le droit des victimes à réparation, en ne punissant que les fautifs, intentionnels ou non intentionnels - car il y aura aussi des fautifs non intentionnels.

Tout cela pourra, à terme, réconcilier les hommes politiques et la population qui ne peut comprendre que ce que lui livrent les médias. Voilà pourquoi je suis persuadé que, ce soir, nous pouvons réconcilier aussi la morale et le droit.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Remarquable !

M. Jean-Antoine Leonetti.

N'exagérez pas, il va vous croire !

M. le président.

La parole est à Mme Christine Lazerges.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

M me Christine Lazerges.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui vient aujourd'hui devant notre assemblée constitue une nouvelle étape dans une évolution attendue et largement consensuelle. Ce texte, beaucoup l'ont dit avant moi ce soir, précise mieux la notion de faute non intentionnelle tout en s'inscrivant dans le respect du principe d'égalité devant la loi. Il n'est pas question ici de légiférer pour certains et pas pour d'autres. C'est le code pénal que nous modifions dans l'un de ses articles, et nous le modifions pour tous.

La gradation des fautes non intentionnelles est clarifiée.

La responsabilité pénale pourra toujours être engagée en cas de faute d'une exceptionnelle gravité ou de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité, et il importe peu, dans ce cas, que le lien de causalité ne soit pas direct.

Je souhaiterais m'attarder sur l'article 4-1 de la proposition de loi introduit par notre commission des lois, et qui a pour objet de revenir sur une vieille jurisprudence quasi unaniment critiquée.

Un jour de décembre 1912, la première chambre civile de la Cour de cassation a bien imprudemment décidé que la faute pénale d'imprudence justifiant des poursuites pénales était de même nature que la faute civile d'imprudence justifiant des poursuites civiles devant les juridictions civiles et l'indemnisation de la victime. Voilà que, brutalement, responsabilité pénale et responsabilité civile venaient à être confondues, ce qui n'était pas du tout le cas avant le mois de décembre 1912 - confondues, évidemment, dans l'hypothèse où la faute retenue était une faute non intentionnelle résultant d'une imprudence ou d'une négligence.

Or, que l'on doive indemniser sa victime lorsque l'on commet un dommage à autrui est incontestable. Ce quie st contestable, c'est que l'on doive nécessairement répondre devant les juridictions pénales d'un dommage causé même s'il n'y a qu'une poussière de faute.

A une époque où la multiplication des interdits assortis de sanctions pénales est telle que le législateur a lui-même reconnu, en 1992, qu'il fallait introduire dans notre code pénale l'erreur de droit comme cause d'irresponsabilité, comment justifier que toute faute puisse conduire à ces milliers d'infractions pénales ? Comment justifier que, sans lien de causalité direct, n'importe quelle imprudence puisse conduire celui qui l'a commise à être traîné et condamné par les juridictions pénales ? Les comportements non intentionnels peuvent justifier la sanction pénale, mais ne la justifient pas toujours. De surcroît, lorsque la faute civile d'imprudence et la faute pénale d'imprudence sont confondues, et que l'action a été intentée devant les juridictions pénales, si celui qui est poursuivi est relaxé au pénal, il n'a plus guère la possibilité d'obtenir indemnisation devant les juges civils ; il ne peut plus s'appuyer sur l'article 1383 du code civil, et doit se reporter à d'autres textes, moins faciles à faire jouer.

L'article 4-1 du texte que nous examinons ce soir a pour objet de freiner cet engouement irraisonné pour la voie pénale, stigmatisante pour celui qui est poursuivi, qui n'apporte pas d'avantage considérable pour la partie civile, qui ne présente pas toujours plus d'intérêt que la voie civile.

Les victimes doivent bien évidemment être écoutées, entendues, aidées ; des explications doivent leur être données. Le projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes s'attache à mieux les protéger. Cette proposition de loi, aussi, s'attache à mieux protéger les victimes en dissociant précisément faute pénale et faute civile d'imprudence.

En 1980, déjà, cette dissociation avait été entamée, sans être achevée. Déjà, on sentait bien que l'identité des fautes comportait de multiples inconvénients, que la voie civile et la voie pénale ne devaient pas être interchangeables. C'est alors que l'on distingua les délais de prescription de l'action civile et de l'action pénale. Le législateur admit cette distinction, mais n'alla pas jusqu'au bout de sa démarche, n'osa pas revenir à la situation antérieure à 1912.

Contrairement à ce que certains pourraient croire, revenir à la situation antérieure à 1912 ne constitue pas un recul, mais, au contraire, une avancée considérable. Il ne s'agit en aucun cas de privilégier telle ou telle catégorie de citoyens, mais d'affirmer que toutes les fautes ne sont pas identiques, qu'il existe une gradation, que les choses ne sont pas simples, mais compliquées et que, pour ce qui est des fautes non intentionnelles, des critères devaient être précisés pour définir ce qui incombe au civil et ce qui relève du pénal. Mes collègues sont intervenus à plusieurs reprises dans ce débat pour commenter ces critères que nous avons cru judicieux d'introduire.

Voilà pourquoi nous modifions l'article 121-3 du code pénal.

Cette réforme a pour objet de sortir du brouillard, c'est-à-dire de sortir de la confusion des genres, de la confusion, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, entre responsabilité civile et responsabilité pénale. Si la seconde entraîne automatiquement la première, la première ne doit plus entraîner forcément la seconde. L'infraction pénale ne doit pas être banalisée, d'autres l'ont dit avant moi ce soir. Il y a une symbolique du droit pénal. On ne peut l'utiliser à tort et à travers.

On saura gré à ce parlement d'avoir permis de sortir de la confusion, et d'avoir redéfini ce qu'est une faute n on intentionnelle justifiant des poursuites pénales.

L'exercice était très difficile. Il est très difficile. Chaque mot du texte que nous vous soumettons a été pesé, réfléchi, afin qu'aucun préjudice - bien au contraire - n'en résulte pour les victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Fleury.

M. Jacques Fleury.

Monsieur le président, mesdames, messieurs, mes chers collègues, la polémique qui s'est engagée ces derniers jours montre que, dans le domaine des délits non intentionnels, nous entrons très rapidement dans l'irrationnel. Elle montre également qu'il est nécessaire de faire un effort de pédagogie en direction des victimes : le texte dont nous débattons, travaillé de façon très précise par la commission des lois, qui s'est attachée à résoudre les problèmes d'équilibre - même si, il est vrai, cet équilibre est difficile à obtenir - ne met nullement en cause le droit des victimes mais il s'efforce de limiter la dérive de pénalisation qui provoque, chez les élus, les fonctionnaires, les présidents d'associations, une véritable psychose.

Le directeur d'école, le préfet, le président du conseil général, le maire se demandent, chaque matin, quelle tuile imprévisible pourrait leur tomber sur la tête.

Est-il vraiment du rôle du directeur d'école de vérifier si le car qu'il a loué pour un déplacement de ses élèves est passé au contrôle des mines ? Le président du conseil général doit-il vérifier chaque matin si, à tel point de la voirie départementale, une couche de graviers n'a pas été


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correctement balayée ? Le maire doit-il se rendre chaque matin au terrain de sport pour vérifier que les derniers utilisateurs n'ont pas démonté les buts ? Dois-je monter moi-même, chaque matin, en haut de mon beffroi pour vérifier que l'entreprise chargée de l'entretien de l'horloge est bien passée et a bien tout vérifié pour éviter l'accident qui est survenu dans ma commune, l'aiguille étant tombée et s'étant plantée dans le jardin public ?

M. Bernard Accoyer.

Il suffit de regarder l'horloge !

M. René Dosière, rapporteur.

On a une très belle vue de Roye du haut du beffroi. (Sourires.)

M. Jacques Fleury.

C'est très juste.

Les fonctionnaires, les élus le voudraient-ils qu'ils ne pourraient pas tout faire, tout contrôler. La question se pose tout particulièrement pour les élus qui ne peuvent être à la fois des urbanistes, des financiers, des juristes, des spécialistes de l'environnement, que sais-je encore ? Sauf à exiger des examens de passage qui seraient contraires à l'esprit de notre démocratie.

M. René Dosière, rapporteur.

Personne ne les réussirait.

M. Jacques Fleury.

S'entoureraient-ils de tous les c onseils juridiques ou techniques, aux avis souvent controversés, qu'ils ne seraient toujours pas assurés d'éviter une mise en examen, ce qui équivaut, malheureusement, chacun le sait, dans notre société actuelle à une p résomption de culpabilité au point que certains demandent maintenant la démission des mis en examen.

C'est un fait. Nos concitoyens refusent dorénavant tout risque inhérent à une activité humaine. A l'occasion d'un accident, d'une catastrophe, ils exigent un responsable à qui demander des comptes. Ils pourraient saisir les juridictions civiles, mais la notion de responsabilité qui, dans notre droit, peut être civile ou pénale, tend à ne devenir que pénale. Responsable, donc coupable ! Nos concitoyens préfèrent dorénavant saisir le juge pénal. Pour de bonnes raisons : le procès pénal, on l'a dit, est gratuit ; la charge de la preuve ne pèse pas sur la victime ; la justice y est plus rapide. Mais aussi pour des raisons moins nobles : le procès pénal garantit le retentissement médiatique. Le bouc émissaire le plus intéressant, c'est celui qui est le plus fragile médiatiquement parlant : le haut fonctionnaire, l'élu, celui dont la condamnation pourrait au mieux satisfaire le désir de vengeance.

L'application très large de la notion de délit non intentionnel a permis cette pénalisation croissante. Le délit non intentionnel qui peut heurter le bon sens populaire - peut-on être coupable sans avoir l'intention de nuire ? est entré dans la loi parce que, à l'évidence, il fallait que soient sanctionnés certains comportements relevant de la négligence, de l'imprudence ou de l'ignorance des règles en vigueur, comportements qui dénotent une conduite à ce point irresponsable qu'elle en devient coupable.

Cependant la notion de délit non intentionnel, justement parce qu'elle va à l'encontre du principe de base selon lequel il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre, ne saurait être acceptée de façon extensive comme une sorte de facilité pour les juges.

Le texte soumis à notre discussion vise simplement à établir un équilibre et à mettre en place une règle du jeu.

Ni les fonctionnaires ni les élus ne cherchent à s'exonérer de leurs responsabilités lorsqu'ils sont réellement responsables. Ils souhaitent cependant qu'il soit tenu compte des conditions réelles de leur activité, et des moyens financiers, matériels et humains dont ils disposent.

Je ne sais si ce texte dont nous discutons atteindra son objectif - je l'espère - mais je connais les conséquences préjudiciables pour la bonne marche de notre société que le processus de pénalisation croissante entraîne : refus d'initiative, immobilisme, démobilisation des acteurs, coût sans cesse croissant des mesures de sécurité, accumulation des règlements sourcilleux ! Que fera le maire qui apprend que son collègue a été condamné parce qu'un enfant s'est blessé un glissant la tête la première d'un toboggan ? Il supprimera les jeux ! Que fera l'enseignant qui apprend qu'un directeur d'école a été condamné pour ne pas avoir vérifié l'éta t du véhicule de transport ? Il supprimera les sorties ! Chacun ouvrira, comme on dit, les parapluies ! En voulez-vous un exemple ? Dans ma commune, un fonctionnaire de la DRIRE est en train d'instruire la construction d'un dépôt d'archives comme s'il s'agissait de matériaux explosifs !

M. Bernard Accoyer.

Ça arrive !

M. Jacques Fleury.

Il refuse toute construction à moins de cent mètres, gelant plusieurs hectares de ma zone industrielle ! Les règlements se multiplient pour que les ministères soient couverts ! Ils s'accumulent sur le bureau des élus locaux qui n'en peuvent mais : ils n'ont pas les moyens humains ou financiers de les appliquer mais ils seront néanmoins tenus pour responsables ! Chacune de ces dispositions a un coût et j'enrage quand je dois consacrer un important budget pour changer les vitres d'une école afin d'éviter que l'envoi d'un ballon n'égratigne un enfant, lorsque je sais que certains de ces élèves viennent en classe la faim au ventre et que je n'ai plus les moyens financiers d'y remédier. Mais, là, c'est vrai, personne n'est pénalement responsable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Cabal.

Très bien !

M. le président.

La discussion générale est close.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte du Sénat.

Article 1er

M. le président.

« Art.1er Le troisième alinéa de l'article121-3 du code pénal est ainsi rédigé :

« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute a été la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont responsables pénalement qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence. »

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 9 rectifié, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 1er :

« Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Il y a également délit, lorsque la loi prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de


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sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

« Toutefois, dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles ne pouvaient ignorer. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

L'article 1er , de par les modifications proposées, constitue le noyau dur de ce texte. Il consiste en une réécriture de l'article 121-3 du code pénal. C'est la raison pour laquelle je me permettrai de le présenter de manière précise. Mais ce sera le seul article que je traiterai un peu longuement.

Deux orientations ont inspiré les travaux du Sénat et ceux de la commission des lois à propos de cet article : en premier lieu, préciser le lien de causalité entre la faute et le dommage et, en second lieu, exiger une faute caractérisée.

L'existence d'un lien de causalité certain entre la faute et le dommage est un principe important pour la qualification des délits non intentionnels. Cependant, les juridictions pénales ayant une conception extensive de ce lien, selon la théorie dite de l'équivalence des conditions, qui veut que tous les événements qui ont causé le dommage soient équivalents, il nous a paru nécessaire de distinguer causalité directe et causalité indirecte.

Pour éviter de possibles hésitations jurisprudentielles, l'Assemblée a préféré définir la notion d'auteur indirect, à savoir celui qui n'a pas causé directement le dommage mais qui a créé la situation qui en est à l'origine. Dans mon rapport écrit, je cite, à la page 39, de nombreux exemples.

Cette distinction nouvelle devrait conduire les juridictions, sous le contrôle de la Cour de cassation, à apprécier de façon beaucoup plus précise le lien entre la faute et le dommage.

Pour être plus complet, la commission des lois a considéré qu'il convenait, en outre, de préciser la notion d'auteur médiat qui complète celle d'auteur indirect. En effet, l'auteur médiat est, selon la définition du Conseil d'Etat,

« celui qui aurait pu et dû empêcher la survenance du dommage qu'il n'a pas réalisé lui-même, mais qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'éviter. » Or c'est princi-

palement en qualité d'auteur médiat que sont mis en cause les élus et les fonctionnaires d'autorité en matière de délit non intentionnel.

L'auteur médiat est souvent l'auteur indirect mais, pour éviter toute ambiguïté, votre commission a jugé utile de préciser les deux notions en ajoutant « ou qui n'a pas pris les mesures permettant d'éviter le dommage ».

Seconde orientation. Dans le cas du lien indirect et médiat, et dans ce cas seulement, la responsabilité n'interviendra qu'en cas de faute caractérisée. Le Sénat a en effet précisé qu'il fallait pour cela une « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence », reprenant une définition que l'on trouve déjà dans le code pénal à l'article 223-1 et qui a donc déjà donné lieu à une large jurisprudence.

Cette obligation de sécurité ou de prudence méconnue doit être particulière et non générale, ce qui signifie qu'elle doit être définie avec précision. Par exemple, rester maître de sa vitesse et la régler en fonction de la circulation constituent une obligation générale. Par contre, respecter la limitation de vitesse qui est fixée est une obligation particulière L'Assemblée a tenu à ajouter que cette obligation particulière doit être prévue par la loi et le règlement, conformément d'ailleurs à la formule de l'article 223-1.

L'absence de cette précision dans le texte du Sénat renvoyait à une règle de bon sens, compréhensible par n'importe qui, comme vous l'aviez exposé, madame la garde des sceaux. Mais je pense qu'il est préférable que l'Assemblée définisse elle-même ce bon sens car la loi doit être précise et, en l'occurrence, seul doit pouvoir être sanctionné le non-respect d'obligations clairement identifiées, c'est-à-dire prévues par la loi ou le règlement, et non les règlements, le singulier couvrant les actes des seules autorités qui détiennent le pouvoir de prendre ces règlements - Président de la République, Premier ministre, ministres, préfets ou exécutifs locaux - et non tout ce qui figure dans les documents dépourvus de valeur réglementaire, comme les instructions et les circulaires.

Cette violation doit être « manifestement délibérée », c'est-à-dire reposer sur des indices objectifs, comme, par exemple, effectuer à grande vitesse une queue de poisson.

L'adjectif « manifestement » impose au juge de faire preuve d'une rigueur particulière quant à l'existence de l'élément moral du délit.

Cependant, comme le code pénal s'applique à tous les domaines et, en particulier, à la sécurité routière, l'environnement, le droit du travail et la santé publique, il faut éviter tout risque de dépénalisation excessif. C'est pourquoi, au texte du Sénat, votre commission a ajouté l'exigence conjointe d'une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger que son auteur ne pouvait ignorer.

En retenant cette rédaction, l'Assemblée entend que la notion d'exceptionnelle gravité soit appréciée non pas au regard des dommages causés, mais bien par rapport à la faute lui-même, dont la qualification se rapproche de la faute inexcusable, qui est bien connue en matière d'accident du travail.

Ce qualificatif étant nouveau en droit pénal, l'Assemblée indique clairement le sens qu'elle entend lui conférer en reprenant ces éléments constitutifs essentiels.

Cette nouvelle définition des délits non intentionnels limitera les possibilités de mise en cause pénale des personnes dont la responsabilité n'est qu'indirecte et la faute secondaire, tout en maintenant les sanctions pour les violations graves et porteuses de risque des règles de sécurité, sans que leur auteur puisse s'abriter derrière le fait qu'il n'avait pas eu personnellement connaissance du problème.

Une dernière précision s'impose. La nouvelle rédaction proposée par le Sénat et acceptée par notre commission prévoit que le délit non intentionnel n'existe que « s'il est établi que l'auteur n'a pas accompli les diligences normales » alors qu'aujourd'hui le code pénal précise qu'il y a délit « sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales ». Cette modification pourrait donner à penser que la charge de la preuve est inversée. En réalité, la Cour de cassation considère dès à présent que la charge


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

de la preuve revient à la partie poursuivante. On soulignera néanmoins la portée esthétique de cette nouvelle rédaction.

La nouvelle rédaction du code pénal concernant les délits non intentionnels met donc un terme, comme l'a rappelé Mme Lazerges, à l'identité des fautes civiles et pénales d'imprudence telles qu'elles résultaient d'un arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 1912 jamais remis en cause depuis.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis tout à fait favorable à cet amendement pour les raisons que j'ai longuement expliquées dans mon discours introductif.

Tout en reprenant les distinctions proposées par le rapport Massot et le texte adopté par le Sénat, cet amendement propose une rédaction de l'article 121-3 du code pénal à la fois plus explicite et plus complète.

Je me félicite par ailleurs que l'expression « les personnes physiques qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage » ait été remplacée par l'expression « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage », ce qui me paraît plus exact.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Nous sommes là au coeur du problème et l'effort de précision fait par le rapporteur et la commission me conduit à faire plusieurs commentaires.

Le Sénat s'était fié au bon sens qui, selon Descartes, est la chose au monde la mieux partagée. Vous avez considéré qu'il valait mieux préciser que l'infraction devait être prévue dans un texte. Ce louable souci de précision peut cependant conduire à restreindre le champ de la pénalisation.

Autre élément : la faute dite inexcusable se traduit dans le texte par « la faute d'une exceptionnelle gravité ». Je m'interroge sur l'adjectif « exceptionnel ». Il est clair qu'une faute vénielle, banale ou peu importante ne peut pas mettre en cause pénalement la personne qui l'a commise de manière non intentionnelle. Mais, si l'on supprimait le caractère exceptionnel et que l'on ne conserve, comme l'a dit Mme la garde des sceaux, que le caractère de gravité de la faute, cela ne serait-il pas suffisamment explicite vis-à-vis du juge, sans aller au-delà de ce qu'il est légitime d'envisager ? Avec la rédaction proposée par la commission, n'allons-nous pas nous retrouver dans une situation où une faute ou un délit non intentionnel dans lequel il n'y aurait pas de violation manifestement délibérée de règles de sécurité connues et écri tes mais qui référerait à une faute seulement grave devrait être exonérée de la pénalisation ? C'est ce qu'il en ressort implicitement.

Nous pensons que le caractère exceptionnel de la gravité de la faute n'apporte rien de plus au juge et n'est pas un élément à verser au dossier. Il peut, par contre, apparaître à l'opinion comme une protection excessive des décideurs parce qu'atténuant leur responsabilité dans le cas de délits non intentionnels.

M. Bernard Accoyer.

Très bien ! Quant aux mots « manifestement délibérée », je m'en suis expliqué dans le débat général. Je sais bien qu'on les retrouve ailleurs, et que ce n'est que la reproduction d'un texte qui dit « en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence », mais apportent-ils vraiment quelque chose ? N'est-ce pas un élément de protection superfétatoire et excessif ? Parler de la violation d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence est suffisamment explicite en français et éclairerait le juge de manière équitable sans introduire une protection excessive.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 9 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Les amendements nos 24 et 1 de M. Meyer ont été retirés.

L'amendement no 25 de M. Leonetti n'a plus d'objet.

Après l'article 1er

M. le président.

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 10, ainsi libellé :

« Après l'article 1er , insérer l'article suivant :

« Après l'article 4 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 4-1 L'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparat ion d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie. »

La parole est à M le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

Cet amendement prend acte de la dissociation de la faute pénale non intentionnelle et de la faute civile et établit clairement qu'en toute hypothèse, les victimes d'un dommage ont toujours la possibilité d'obtenir réparation devant les juridictions civiles. On a bien vu, en effet, que l'une des conséquences de ce texte et de la nouvelle rédaction du code pénal serait sans doute le fait que l'on recourra plus souvent à la voie civile.

Cela dit, il ne faut pas oublier les difficultés de fonctionnement de la justice civile, ainsi que son coût. C'est pourquoi, madame la ministre, nous devrons nous attacher à en améliorer le fonctionnement. Faute de quoi nous n'obtiendrions pas le résultat que nous souhaitons.

M. le président.

Monsieur le rapporteur, pourriez-vous présenter l'amendement no 11 en même temps ?

M. René Dosière, rapporteur.

Volontiers, monsieur le président.

M. le président.

L'amendement no 11, présenté par M. Dosière, rapporteur, est ainsi rédigé :

« Après l'article 1er , insérer l'article suivant :

« Dans le premier alinéa de l'article 470-1 du code de procédure pénale, les mots : "au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article 121-3 du code pénal", sont remplacés par les mots : "au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 121-3 du code pénal". »

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

C'est un amendement de coordination.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?


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Mme la garde des sceaux.

Je suis d'accord sur l'amendement no 10, qui améliore le texte du Sénat sur un point important, l'abandon du principe de l'identité des fautes civiles et pénales en cas de lien de causalité indirect.

Cet amendement propose en effet d'expliciter expressément les conséquences de ce lien en insérant dans le code de procédure pénale un nouvel article 4-1 précisant que l'absence de faute pénale d'imprudence n'interdit pas nécessairement à la victime d'obtenir réparation sur le fondement de la faute civile d'imprudence prévue par l'article 1383 du code civil.

Cette conséquence est logique, mais il était opportun de l'énoncer, ne serait-ce que pour inciter les victimes à choisir la voie de la réparation civile de leur préjudice devant les juridictions civiles plutôt que la voie des poursuites pénales. Je suis donc tout à fait favorable à cet amendement.

Je crois utile aussi de préciser, car cela figurera dans le compte rendu des débats, que cette disposition ne remet évidemment pas en cause la répartition des compétences entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires et ne signifie pas que la victime d'un dommage causé par la faute de service d'un agent public pourra en demander réparation devant les juridictions civiles qui ne sont pas compétentes dans une telle hypothèse.

Quant à l'amélioration du fonctionnement des juridictions civiles, auxquelles votre rapporteur faisait allusion il y a un instant, je rappelle que ce gouvernement a créé plus de postes de magistrats en trois ans qu'il n'en a été créé pendant les dix ans qui ont précédé 1997. Nous avons également, par les lois que vous avez votées ou par des décrets que j'ai publiés, simplifié les procédures pénales et les procédures civiles pour faire en sorte que les juridictions puissent oeuvrer avec plus de rapidité.

Je suis favorable également à l'amendement no

11.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

10. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

11. (L'amendement est adopté.)

Articles 2 et 3

M. le président.

« Art.

2. - L'article 221-6 du même code est ainsi modifié :

« 1o Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3" ;

« 2o Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par les mots : "ou le règlement" ;

« 3o Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »

Je mets aux voix l'article

2. (L'article 2 est adopté.)

« Art.

3. - L'article 222-19 du même code est ainsi modifié :

« 1o Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à autrui" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3" ;

« 2o Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par les mots : "ou le règlement" ;

« 3o Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »

(Adopté.)

Article 3 bis

M. le président.

« Art.

3 bis - Au début de l'article L.

232-2 du code rural, après les mots : "Quiconque a", sont insérés les mots : ", dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal," ».

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 12, ainsi rédigé :

« Supprimer l'article 3 bis »

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

L'explication sera la même pour l'amendement no 13 à l'article 3 ter

La nouvelle définition des délits non intentionnels proposée par l'article 1er de cette proposition de loi s'applique à l'ensemble des délits non intentionnels. Il n'est donc pas utile de décliner ces nouvelles dispositions au niveau des différents délits non intentionnels, en particulier lorsque cette démarche n'est pas exhaustive et qu'elle porte sur des délits matériels qui sont infiniment moins graves et moins poursuivis que l'homicide ou les blessures involontaires.

Cela ne veut naturellement pas dire que nous sommes hostiles à l'esprit qui animait ces deux articles, mais il ne nous paraît pas utile de les maintenir.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements no 12 et 13 ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis favorable à ces deux amendements. Il n'est en effet pas juridiquement néces-s aire de rappeler les dispositions générales de l'article 121-3 du code pénal dans la définition des infractions non intentionnelles, et notamment dans certains délits prévus par le code rural.

Le fait que ces dispositions soient rappelées dans les articles du code pénal réprimant les délits d'homicide et de blessures involontaires s'explique simplement par des considérations d'opportunité, eu égard au fait que ces incriminations sont très fréquemment appliquées par les juridictions.

Il ne faut évidemment pas faire une interprétation a contrario de ces dispositions et considérer que les nouvelles règles de l'article 121-3 ne s'appliqueraient que pour les délits d'homicide et de blessures involontaires.

Ces règles ont une portée générale comme d'ailleurs toutes les règles figurant dans le livre Ier du code pénal.

Les amendements de suppression de la commission sont donc l'occasion de le rappeler.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

12. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 3 bis est supprimé.


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Article 3 ter

M. le président.

« Art. 3 ter Au début du deuxième alinéa de l'article 331 du code rural, après les mots : "Quiconque aura involontairement", sont insérés les mots : ", dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal,". »

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 13, ainsi rédigé :

« Supprimer l'article 3 ter »

Cet amendement a été défendu et le Gouvernement a donné son avis.

Je mets aux voix l'amendement no

13. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 3 ter est supprimé.

Articles 4 et 5

M. le président.

« Art. 4. Au début de l'article 222-20 du code pénal, les mots : "Le fait de causer à autrui, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »

Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

« Art. 5. L'article 322-5 du même code est ainsi modifié :

« 1o Dans le premier alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par les mots : "ou le règlement" ;

« 2o Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : " En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement". » (

Adopté.

)

Article 6

M. le président.

« Art. 6. Les deux derniers alinéas de l'article 121-2 du même code sont ainsi rédigés :

« Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public sauf s'il s'agit d'une infraction constituée par un manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

« La responsabilité pénale des personnes morales n'exc lut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article 121-3. »

La parole est à M. François Guillaume, inscrit sur l'article.

M. François Guillaume.

Madame la garde des sceaux, les cas de plus en plus fréquents de mise en cause pénale des maires sont à l'origine d'une crise des vocations au sein des décideurs publics dont nous pourrions connaître une forte expression à l'occasion des prochaines élections municipales. C'est ce que chacun s'est attaché à rappeler ici.

Un sondage récent signalait en effet que 40 % des maires qui renonceraient à se représenter l'avaient décidé par crainte d'une mise en cause trop systématique de leur responsabilité personnelle. C'est surtout vrai dans les petites communes, où le maire ne dispose pas toujours, en temps utile, des conseils juridiques et techniques lui permettant de prendre des décisions à bon escient. Aussi se fie-t-il souvent à son bon sens, faute de connaître le détail de la loi, le plus souvent mal explicitée par les commentaires qu'il en reçoit, notamment de l'administration.

Cette menace est aggravée par le penchant procédurier de nos concitoyens, dont la motivation des recours devant les tribunaux n'est pas toujours d'obtenir réparation du préjudice subi mais, au-delà, de requérir une sanction pénale à l'encontre de l'élu pour des raisons de ressentiment personnel ou d'opposition politique. La hausse constante du nombre d'incriminations en est la conséquence.

Le recours systématique au juge pénal s'explique aussi par une hésitation sur le choix entre trois juridictions : répressive, administrative ou civile. La procédure administrative est réputée trop lente et son exécution aléatoire.

La procédure civile est jugée trop onéreuse par les plaignants à cause de l'obligation de constituer avocat. Par contre, le pénal a l'avantage, au moins apparent, d'être plus expéditif et d'autoriser la constitution de partie civile qui rend obligatoire la poursuite de la procédure, assure la réparation du préjudice subi et délivre des sanctions censées aussi prévenir le renouvellement des infractions.

Qu'on le veuille ou non, pour un élu, la citation au pénal a un caractère traumatisant qu'accroît une médiatisation des procès souvent outrancière. Pour les maires, c'est une épée de Damoclès, qui en incite un certain nombre à renoncer à leur mandat d'élu.

Conscient du danger que représente pour la démocratie locale cette désaffection pour la cause publique, le Sénat a donc pris l'initiative d'un texte tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. En distinguant la faute détachable, qui continuerait à relever de la procédure judiciaire classique applicable à tout citoyen, de la faute de service, accomplie dans l'exercice de la fonction, le Sénat y voyait l'avantage d'une justice qui, sans apparaître comme un traitement de faveur des élus, prenait néanmoins en compte leur juste protection dans l'exercice délicat de leurs responsabilités.

Cette proposition est un aveu, celui que les modifications apportées au code pénal en 1996 pour déjà répondre aux préoccupations qui sont encore les nôtres aujourd'hui se sont révélées notoirement insuffisantes.

Pourtant, le problème avait pris à l'époque un caractère dramatique à l'annonce qu'un maire de ma circonscription était décédé subitement au lendemain d'un premier débat à l'Assemblée nationale sur la responsabilité pénale des élus.

Poursuivi par une société de pêche pour avoir dérangé une frayère naturelle piscicole en effectuant des travaux urgents sur les berges d'une rivière dans l'intention de sauvegarder un bâtiment public miné par les eaux, ce maire, père de famille et chef d'entreprise, dont la probité était unanimement reconnue, n'avait pu supporter d'être condamné en correctionnelle pour une décision d'urgence et de bon sens destinée à protéger les intérêts de sa commune et à éviter de plus grands dommages.


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Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut redouter aujourd'hui que les nouveaux aménagements à la loi proposés restent en deçà des nécessités. C'est pourquoi, dans deux amendements, je reprends, en les complétant, mes propositions faites en 1996.

Le premier prévoit que le juge d'instruction saisi de faits mettant en cause à titre personnel un élu local doit surseoir à statuer pour permettre au juge administratif de se prononcer sur sa compétence judiciaire. Sa décision prise à titre préjudiciel lierait le juge pénal.

Le second confie au tribunal des conflits le soin de trancher les différends de compétences, s'il en est, entre la juridiction pénale et la juridiction administrative.

C es propositions, qui crédibiliseraient un certain nombre de dispositions qui viennent d'être arrêtées par amendement, ont l'avantage de ne pas porter atteinte à la plénitude de la juridiction du juge répressif, de ne pas non plus instituer un régime dérogatoire pour les élus et agents publics qui serait mal perçu par l'opinion, mais d'orienter en toute connaissance de cause les recours par une démarche préjudicielle vers les juridictions les mieux adaptées à la nature du délit. Ce faisant, en évitant la banalisation des actions pénales exercées à l'encontre des élus locaux, et je crois que chacun s'est exprimé en ce sens au cours du débat, nous répondrions, madame la garde des sceaux, à l'attente d'hommes et de femmes qui acceptent encore de se dévouer à la cause publique.

M. le président.

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 14, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 6 :

« Le dernier alinéa de l'article 121-2 du même code est ainsi rédigé :

« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

Cet amendement supprime l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales que proposait le Sénat. L'Assemblée n'a pas souhaité étendre la responsabilité pénale à l'ensemble des compétences. Je rappelle qu'elle est actuellement limitée aux compétences susceptibles d'être déléguées au secteur privé, comme l'eau, l'assainissement, les ordures ménagères ou les pompes funèbres.

Quatre motifs principaux s'opposent à cette extension.

D'abord, il convient d'éviter la pénalisation accrue de la vie publique, ce qui se produirait si on étendait la responsabilité pénale des collectivités locales.

Deuxièmement, il convient de maintenir la séparation des pouvoirs entre les autorités administratives et judiciaires, ce qui constitue d'ailleurs une spécificité française que nous devons préserver. Cette séparation explique d'ailleurs la méconnaissance par le juge judiciaire du fonctionnement des collectivités territoriales.

Troisièmement, il ne faut pas ouvrir la porte conduisant à mettre en cause pénalement l'Etat, ce qui ne manquerait pas de se produire si l'on étendait la responsabilité des collectivités locales. Or il est tout de même difficile d'envisager que l'Etat, qui représente la société tout entière, puisse être à la fois auteur du dommage, victime, censeur et juge.

Enfin, les peines pénales prévues par le code pénal à l'encontre des personnes morales seraient inadaptées aux collectivités locales : dissolution va-t-on dissoudre une collectivité ? -, interdiction d'exercice qu'est-ce que ça veut dire pour une collectivité locale ? -, placement sous surveillance judiciaire, confiscation de l'objet, fermeture de l'établissement.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à cette extension.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis tout à fait favorable à cet amendement. Je m'en suis expliqué longuement dans mon discours introductif. J'avais indiqué d'ailleurs au Sénat que je n'étais pas favorable à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

14. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 6 est ainsi rédigé.

Les amendements nos 26 de M. Leonetti, 3 et 2 de M. Meyer ont été retirés.

Après l'article 6

M. le président.

Les amendements nos 4 et 6 de M. Meyer ont été retirés.

M. Guillaume a présenté un amendement, no 20, ainsi libellé :

« Après l'article 6, insérer l'article suivant :

« Après le premier alinéa de l'article 80-1 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le juge d'instruction, saisi de tels faits mettant en cause une personne physique ayant la qualité d'élu local ou d'agent public doit surseoir à statuer sur leur mise en examen, afin de permettre la saisine du juge administratif. Ce dernier sera amené à se prononcer, dans le mois de sa saisine, sur la nature des faits incriminés, leur caractère détachable ou rattachable du service et leur degré de gravité. Cette décision, rendue à titre préjudiciel par la juridiction administrative, lie le juge pénal. »

Vous l'avez déjà défendu monsieur Guillaume ?

M. François Guillaume.

Oui, monsieur le président.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. René Dosière, rapporteur.

Défavorable parce que cette saisine du juge administratif risque d'allonger la durée des procédures alors que nous cherchons par ailleurs à la réduire. Elles créerait d'ailleurs un système tout à fait particulier et spécifique pour les élus, ce que nous voulons justement éviter.

De plus, elle n'a pas de sens, compte tenu de la nouvelle rédaction de l'article L.

121-3 car le juge administratif ne se prononcera jamais sur la violation délibérée de l'obligation de sécurité ou sur la gravité de la faute.

Par conséquent, cet amendement nous paraît sans objet.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis opposée à cet amendement pour différentes raisons.

D'abord, il institue des règles de procédure pénale spécifiques aux décideurs publics, qui heurtent le principe d'égalité.

Ensuite, il entrave l'action du juge pénal puisque la décision du juge administratif lie le juge pénal.


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Il n'est pas justifié sur le fond car, même si le juge administratif estime qu'il y a une faute de service, le juge pénal reste compétent pour statuer sur l'action publique.

Enfin, les nouvelles règles sur les conditions de forme et de fond de la mise en examen prévues par le projet de loi sur la présomption d'innocence constituent avec la présente proposition de loi la réponse aux inquiétudes qui sont à l'origine de cet amendement.

M. le président.

La parole est à M. François Guillaume.

M. François Guillaume.

J'ai l'impression que l'on n'a pas très bien compris l'amendement.

Il s'agit simplement de permettre au juge d'instruction de surseoir à la mise en examen en attendant, avec un délai d'un mois, que le juge administratif puisse se prononcer, à partir de la nature des faits, sur la bonne juridiction.

Si l'on veut éviter, comme je l'ai entendu tout à l'heure, que les recours aillent systématiquement au pénal, il faut une procédure de type préjudiciel qui permette d'envoyer vers le tribunal administratif, par exemple, un certain nombre de faits, notamment ceux qui sont rattachables au service.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

20. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

M. Guillaume a présenté en amendement, no 21, ainsi libellé :

« Après l'article 6, insérer l'article suivant :

« Après le premier alinéa de l'article 80-1 du code de procédure pénale, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :

« Tout élu ou agent public, mis en cause pour des faits encourant sa responsabilité, peut saisir le juge administratif dès qu'il a connaissance de ces faits, afin d'entendre statuer sur le caractère détachable du service des faits incriminés.

« Au cas où la juridiction administrative et la juridiction pénale s'estimeraient concurremment compétentes, il appartient au tribunal des conflits de statuer sur la compétence. »

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l'avis de la commission ?

M. René Dosière, rapporteur.

Même argumentation que pour le précédent.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Défavorable !

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

21. (L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

L'amendement no 5 de M. Meyer a été retiré.

L'amendement no 23 de M. Adevah-Poeuf n'est pas défendu.

Article 7

M. le président.

« Art.

7. La troisième phrase du premier alinéa de l'article 706-43 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :

« Toutefois, lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l'encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d'un mandataire de justice pour représenter la personne morale. »

Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7 bis

M. le président.

« Art.

7 bis Après l'article 1er du code des marchés publics, il est inséré un article 1er -1 ainsi rédigé :

« Art. 1er -1 Les dispositions du présent code ne sont pas applicables, en ce qui concerne les règles et les seuils de mise en concurrence, aux marchés conclus en urgence en vue de faire cesser un péril imminent ou de mettre un terme à une situation de danger mettant en cause la sécurité des biens et des personnes.

« Les marchés de toute nature conclus en urgence à l'occasion des catastrophes naturelles survenues au dernier trimestre de l'année 1999 et répondant aux conditions prévues à l'alinéa précédent sont réputés valables lé galement au regard des dispositions du présent code. Il en est de même en ce qui concerne les marchés conclus postérieurement aux catastrophes susvisées et visant à rétablir le fonctionnement normal des services publics, notamment en ce qui concerne la reconstruction ou les travaux de sécurité en matière d'équipements publics, spécialement ceux qui, comme les établissements scolaires et sportifs, reçoivent du public. »

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 15, ainsi rédigé :

« Supprimer l'article 7 bis »

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

Le Sénat avait voté des dispositions concernant les marchés publics qui n'ont pas leur place dans ce texte.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis tout à fait favorable à cet amendement. J'avais indiqué au Sénat que je n'étais pas du tout d'accord sur cette disposition de la proposition de loi Fauchon.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

15. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 7 bis est supprimé.

Après l'article 7 bis

M. le président.

L'amendement no 22 de M. Adevah-Poeuf n'est pas défendu.

Article 7 ter

M. le président.

« Art. 7 ter. L'article L.

2123-34 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La commune a la faculté d'assurer la défense du maire ou d'un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

M. René Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 16, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 7 ter :

« I. Le début de l'article L.

2123-34 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :

« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits... »

(Le reste sans changement.)

« II. - Ce même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La commune est tenue d'accorder sa protection au maire, à l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. »

Sur cet amendement, le Gouvernement a présenté un sous-amendement, no 27 corrigé, ainsi rédigé :

« Compléter le II de l'amendement no 16 par l'alinéa suivant :

« Lorsque le maire, ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, agit en qualité d'agent de l'Etat, il bénéficie, de la part de l'Etat, de la protection prévue par l'article 11 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. »

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement no

16.

M. René Dosière.

Monsieur le président, l'explication que je vais donner sera valable aussi pour les amendements nos 17 et 18. Celui-ci concerne la commune, les autres concerneront le département et la région.

Il s'agit simplement de rendre obligatoire pour la collectivité le fait d'accorder une protection aux élus, qui peuvent être mis en cause dès lors qu'ils font l'objet de poursuites pénales portant sur des faits non détachables de l'exercice des fonctions.

En fait, nous étendons aux maires la protection qui est actuellement due aux fonctionnaires par leur administration.

Le sous-amendement présenté par le Gouvernement apporte une précision utile, et la commission l'a d'ailleurs adopté, puisqu'il précise que, lorsque le maire agit en tant qu'agent de l'Etat, ce n'est pas la collectivité qui prend en charge sa protection, mais l'Etat.

M. Gilbert Meyer.

C'est logique !

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement no 16 et présenter le sous-amendement no 27 corrigé.

Mme la garde des sceaux.

Je suis favorable à l'amendement no 16 présenté par M. Dosière.

Quant au sous-amendement no 27 corrigé, il reprend une disposition discutée par le Sénat dans le projet de loi renforçant la présomption d'innocence. Il est en effet opportun de distinguer selon que le maire a agi en tant que représentant de la commune ou en tant qu'agent de l'Etat. Dans ce second cas, il convient de préciser que c'est l'Etat, et non la commune, qui doit lui accorder sa protection, conformément aux dispositions de l'article 11 de la loi de 1983 portant statut des fonctionnaires. A défaut, évidemment, il en résulterait des charges indues pour les collectivités territoriales.

M. René Dosière, rapporteur.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Je remercie le rapporteur de la commission des lois d'avoir apporté son appui à ce sous-amendement du Gouvernement.

M. René Dosière, rapporteur.

En doutiez-vous, madame la ministre ? (Sourires).

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 27 corrigé.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 16, modifié par le sous-amendement no 27 corrigé.

(L'amendement, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 7 ter ainsi rédigé.

Article 7 quater

M. le président.

« Art. 7 quater. - L'article L. 3123-28 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le département a la faculté d'assurer la défense du président du conseil général ou d'un vice-président ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus, ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 17, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 7 quater :

« I. Le début de l'article L. 3123-28 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :

« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le président du conseil général ou un conseiller général le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits... » (le reste sans changement).

« II. Ce même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le département est tenu d'accorder sa protection au président du conseil général, au conseiller général le suppléant ou ayant reçu délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. »

A vrai dire, vous avez déjà soutenu cet amendement, monsieur le rapporteur ?

M. René Dosière, rapporteur.

En effet, monsieur le président. J'ajouterai simplement une précision. Dans le dernier alinéa, il faut bien lire : « ou ayant reçu une délégation ». Le mot : « une » a été omis.

M. le président.

L'amendement no 17 est ainsi rectifié.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 17 rectifié.

(L'amendement est adopté.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

M. le président.

En conséquence, l'article 7 quater est ainsi rédigé.

Article 7 quinquies

M. le président.

« Art. 7 quinquies. - L'article L. 4135-28 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La région a la faculté d'assurer la défense du président du conseil régional ou d'un vice-président ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 18, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi l'article 7 quinquies :

« I. Le début de l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :

« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le président du conseil régional ou un conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits... » (le reste sans chan-

gement).

« II. Ce même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La région est tenue d'accorder sa protection au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

Cet amendement concerne les régions. Même argumentation que précédemment.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

18. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

En conséquence, l'article 7 quinquies est ainsi rédigé.

Après l'article 7 quinquies

M. le président.

M. Dosière, rapporteur, a présenté un amendement, no 19, ainsi libellé :

« Après l'article 7 quinquies, insérer l'article suivant :

« I. Le début de l'article 11 bis A de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi rédigé :

« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits... » (le

reste sans changement).

« II. Le début de l'article 16-1 de la loi no 72662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires est ainsi rédigé :

« Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les militaires ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits... » (le

reste sans changement). »

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Dosière, rapporteur.

Coordination avec la nouvelle rédaction de l'article 121-3 du code pénal proposée à l'article 1er

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Favorable.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

19. (L'amendement est adopté.)

M. le président.

L'amendement no 8 de M. Buillard n'est pas défendu.

Article 8

M. le président.

« Art. 8. - La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »

L'amendement no 7 de M. Buillard n'est pas défendu.

Je mets aux voix l'article 8.

(L'article 8 est adopté.)

Explications de vote

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Louis Debré, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Jean-Louis Debré.

Madame la garde des sceaux, chers collègues, vous savez combien nous souhaitons trouver un équilibre entre punition et réparation en cas de délit non intentionnel. Nos collègues, au cours de cette soirée, notamment Gilbert Meyer, Jean-Antoine Leonetti, Philippe Houillon, ou encore François Guillaume, ont donné des exemples précis et concrets, montrant la nécessité de modifier notre législation en ce domaine. Nos collègues socialistes, notamment Gérard Gouzes, ont également mis en lumière les anomalies de la législation actuelle et les dérives auxquelles elle a pu donner lieu.

En l'état actuel de la procédure législative - nous sommes en première lecture -, et compte tenu des interrogations qui apparaissent sur les conséquences que pourrait avoir cette loi, le groupe RPR a décidé de s'abstenir.

Nous demandons au Gouvernement de bien vouloir rassurer publiquement les représentants des associations et les victimes, qui ont fait part de leur inquiétude légitime à ce sujet, ainsi que de leurs souffrances.

Vous comprendrez, tout le monde ici comprendra, que notre position répond à un triple souci : un souci d'humanité, un souci de précaution et un souci de clarté.

Sur un sujet aussi difficile, aussi douloureux, aussi délicat pour un grand nombre de nos concitoyens, nous ne pouvons légiférer que dans la sérénité et le consensus. Au début de la procédure législative et pour les raisons que je viens d'évoquer, le groupe RPR, en cette première


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

lecture, s'abstiendra, attendant que le Gouvernement rassure l'ensemble des personnes qui ont fait part de leur inquiétude. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Gouzes, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Gouzes.

Le groupe socialiste a travaillé avec beaucoup de scrupules sur ce texte émanant d'un sénateur de l'opposition. C'est depuis de nombreuses années que nous nous efforçons de trouver une solution à tous les problèmes qui ont été soulevés ici.

Quelques principes élémentaires qui fondent notre démocratie ont été bien rappelés. D'abord, il a été dit que la loi pénale doit être la même pour tous les citoyens. Nous nous en réjouissons, et nous avons pur emarquer que le rapporteur, l'Assemblée dans son ensemble et le Gouvernement ont tous travaillé dans ce sens. Ensuite, nous constatons que cette loi n'amnistie personne, ni par anticipation, ni en catimini, ni pour le passé, ni pour l'avenir. Enfin, elle conforte un principe essentiel du code pénal, selon lequel il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

M. Meyer l'a excellement rappelé tout à l'heure. La proposition de loi précise bien qu'il peut y avoir délit en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, mais, dans tous les cas, cette imprudence, cette négligence, ce manquement doivent être fautifs. Je crois que chacun peut comprendre cela. Je note d'ailleurs, sans vouloir en faire un élément de polémique, que M. Guillaume comme M. Meyer voulaient aller plus loin. Plus loin que le rapporteur, plus loin que les membres du groupe socialiste. C'est pourquoi je m'étonne de la position d'abstention que M. Debré a adoptée.

Qu'y a-t-il d'illégitime, et ce que je dis là rassurera peut-être M. Debré, à préciser qu'une imprudence non fautive ne justifie pas la qualification de faute pénale ? Même si cette proposition de loi émane de l'opposition, certains peuvent se demander si elle n'aurait pas pour conséquence de mettre fin aux poursuites contre des fonctionnaires ou des conseillers de ministres. Il faut avoir le courage d'aborder cette question, d'autant qu'elle a été posée, publiquement, par différentes victimes, dans différentes affaires, notamment celle du sang contaminé.

J e m'excuse, mais pourquoi ces fonctionnaires, ces conseillers de ministres ne seraient-ils pas poursuivis si leur négligence était reconnue comme fautive ? Pourquoi ne seraient-ils pas condamnés s'ils ont manifestement violé une loi ou un règlement, ou s'ils ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence ? Cette proposition de loi ne change rien à ce niveau-là. Je crois qu'il faut avoir aussi l'honnêteté intellectuelle de le dire. Mais à l'inverse, si ces critères n'étaient pas retenus contre eux, pourquoi ces fonctionnaires, pourquoi ces conseillers devraient-ils être condamnés ? Pour participer à un sacrifice ? J'ai déjà dit tout à l'heure que telle n'était pas notre conception de la justice.

M. Debré a dit tout à l'heure, et je le dirai après lui : dans tous les accidents qui se produisent dans notre société, la douleur des victimes est respectable. Oui, elle est respectable. Elle peut aussi aveugler ceux qui la subissent. Mais elle ne doit pas, ici, nous égarer.

Monsieur le président, mes chers collègues, il faut avoir le courage de dire que cette proposition de loi que nous allons adopter n'exonérera pas les coupables. Ni dans le domaine médical, ni dans celui de la route, ni dans celui des accidents du travail, ni dans celui de la responsabilité des élus, et j'en passe. Cette proposition de loi évitera tout simplement qu'aux injustices de la vie s'ajoutent des injustices judiciaires.

Et c'est la raison pour laquelle je souhaiterais que nous ayons tous ici le courage de voter ce texte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, est-il utile de préciser que nous approuvons l'orientation globale de ce texte ? La recherche de la vérité n'est ni de droite, ni de gauche, comme on l'a constaté aussi bien à l'Assemblée et au Sénat. Ce qui est en jeu, c'est la recherche de cet équilibre dont parlait tout à l'heure Jean-Louis Debré, équilibre qui est nécessaire pour le respect de la démocratie et le fonctionnement normal de nos institutions. D'un côté, les victimes ont le droit d'exiger que l'on recherche la vérité et que l'on détermine les responsabilités, y compris au plan pénal. De l'autre, il importe que les décideurs puissent agir en ayant pour objectif l'intérêt général et non pas l'ouverture permanente des parapluies.

Comme cela a été dit, il faut se garder de cette démarche quelque peu tribale et archaïque qui consiste à vouloir désigner des boucs émissaires. Il faut aussi éviter que cette loi crée une situation où ce serait les derniers de la chaîne, ceux qui ont le moins de pouvoir, qui seraient l'objet de poursuites pénales parce qu'ils sont le plus près de l'action. Autrement dit, s'il ne faut pas rechercher des boucs émissaires, il ne faut pas non plus faire payer des lampistes.

Entre le Sénat et l'Assemblée nationale, des modifications sont intervenues, qui sont allées dans le sens de la précision. Et cette précision a été introduite par des mots qui ont aussi une valeur symbolique. Ce matin, en commission des lois, on évoquait le caractère normatif de la loi, mais aussi son caractère symbolique. Or, y a-t-il dans cet hémicycle un seul élu qui puisse avoir intérêt à ce que ne serait-ce qu'une partie de l'opinion publique puisse considérer - même si c'est parce qu'elle est blessée, et que sa douleur peut l'aveugler - que nous essayons, par le biais d'une loi générale, de protéger un petit groupe d'individus auquel nous appartenons ? Je crois qu'il y a dans ce texte des mots, des adjectifs importants qui ne sont pas indispensables. Nous évoquions tout à l'heure les règles de sécurité « élémentaires ». Ce mot apporte-t-il quelque chose de plus au projet de loi ? La gravité a-t-elle besoin d'être « exceptionnelle » pour être sanctionnée ? La gravité d'une faute non intentionnelle n'est-elle pas suffisante ? Car si l'on ajoute que la gravité doit être exceptionnelle, cela veut dire que la simple gravité d'une faute non intentionnelle ne sera pas sanctionné. Comment peut-on envisager qu'une imprudence grave, même non intentionnelle, ne soit pas sanctionnée ? Enfin, le caractère « manifestement délibéré » d'une infraction, c'est presque son caractère volontaire. Peut-on parler du caractère volontaire d'une infraction involontaire ? Nous sommes là en pleine ambiguïté. Avec ces adjectifs très probablement inutiles, cette loi, qui est bonne et qui a été modifiée par notre Assem-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

blée et son rapporteur de façon précise et dans un but louable, risque d'apparaître, sur le plan symbolique, comme une loi qui protège certains plus que comme une loi qui réfléchit en équité.

C'est la raison pour laquelle j'incite le Gouvernement à travailler encore, avec le rapporteur et avec l'ensemble des groupes, afin que nous puissions aboutir à une loi qui soit non seulement une loi d'équité, permettant à nos institutions républicaines de fonctionner, mais aussi une loi symbolique, respectant bien l'équilibre entre le droit des victimes et la nécessité de lutter contre l'excès de pénalisation de notre vie publique. Par conséquent, je ne doute pas que l'opposition, et le groupe UDF en particulier, votera en deuxième lecture cette proposition de loi ainsi remaniée et rééquilibrée. Mais dans l'immédiat, nous nous abstiendrons.

M. le président.

La parole est à M. Jean Vila, pour le groupe communiste.

M. Jean Vila.

Monsieur le président, madame la ministre, j'ai dit, dans la discussion générale, que le groupe communiste voterait cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption des amendements de la commission.

L'Assemblée les a adoptés. Donc, je confirme le vote positif du groupe communiste, en souhaitant toutefois que, lors de la navette parlementaire, ce texte puisse être encore amélioré.

M. le président.

Merci de votre concision, monsieur Vila.

La parole est à M. Philippe Houillon, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Philippe Houillon.

Je ne dirai que quelques mots, monsieur le président, puisque j'ai eu l'occasion tout à l'heure de m'expliquer sur le vote de mon groupe.

Bien sûr, ce texte répond à une nécessité, et j'ai eu l'impression que tout le monde, sur tous les bancs, était d'accord pour le dire. Mais, en même temps, j'ai l'impression que, pour être bien sûr de remplir l'objectif, on a mis le curseur un peu trop loin. Je crois que le problème est là. En tout cas des questions se posent à ce sujet, comme nous avons eu, les uns et les autres, l'occasion de le dire tout à l'heure.

Notre collègue Leonetti parlait à l'instant de la valeur symbolique des mots. J'évoquerai, pour ma part, leur valeur juridique. Car lorsque la responsabilité pénale est mise en cause devant une juridiction, c'est évidemment en se référant aux mots inscrits dans la loi que celle-ci dira s'il y a ou non responsabilité. C'est la raison pour laquelle je dis que le curseur a peut-être été mis un peu trop loin. C'est vrai pour ce qui est du principe de précaution. C'est vrai aussi pour les qualificatifs qui ont été choisis, comme l'a souligné notre collègue Leonetti. Pourquoi faut-il que la gravité soit une « exceptionnelle gravité ». Pourquoi faut-il qu'une violation délibérée soit

« manifestement délibérée » ? Il y a aussi la question du concours des causes, question un peu plus technique mais ô combien importante dans les débats qui ont lieu dans des enceintes judiciaires. Mais j'ai eu, là aussi, l'occasion d'en parler tout à l'heure.

Comme nos collègues des autres groupes de l'opposition, nous souhaitons poursuivre le travail entamé de manière consensuelle au sein de nos instances parlementaires pour parvenir, en deuxième lecture, à un texte que nous pourrions voter. En attendant, le groupe Démocratie libérale s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Je ne pensais pas reprendre la parole, mais, M. Debré ayant jugé bon d'interpeller le Gouvernement, je souhaite lui répondre.

M. Jean-Louis Debré.

Aimablement !

Mme la garde des sceaux.

Comme toujours, monsieur Debré, surtout en ce qui vous concerne. (Sourires.)

D'abord, je m'étonne de cette interpellation. Il est vrai que M. Debré n'était pas présent lors de mon discours introductif. J'ai en effet donné des indications extrêmement précises quant à la position du Gouvernement. J'ai notamment souligné que de nombreuses questions restaient en suspens après l'examen par le Sénat de la proposition de loi Fauchon, ardemment soutenue dans la Haute Assemblée par vos amis, monsieur le président du groupe du Rassemblement pour la République. J'ai dit en quoi je pensais que la proposition de loi Fauchon allait trop loin dans le sens de la diminution de la responsabilité des décideurs.

Ensuite, la feuille jaune, qui indique le déroulement de la séance, fait état d'amendements de M. Meyer, orateur par ailleurs éloquent du groupe du Rassemblement pour la République. Ces amendements ont été défendus par M. Meyer ce matin en commission des lois, avant d'être repoussés. Ils ont été ensuite retirés à la dernière minu te. Mais je note que leur adoption, notamment celle de l'amendement no 24, aurait permis aux auteurs de violations très graves et porteuses de risques d'une règle de sécurité de s'exonérer de toute responsabilité en s'abritant derrière le fait qu'ils n'auraient pas eu personnellement connaissance du problème.

M. Gilbert Meyer.

C'est pour cette raison qu'ils n'ont pas été soutenus, madame.

Mme la garde des sceaux.

Quant à l'amendement présenté par M. Guillaume à l'instant, son adoption aurait abouti à créer un système spécifique pour les décideurs.

M. François Guillaume.

Pas du tout ! Vous n'avez rien compris.

Mme la garde des sceaux.

Nous n'en voulons pas. Je me suis d'ailleurs insurgée dès le début au Sénat, au nom du Gouvernement, contre cette idée.

M. Gérard Gouzes.

Très bien.

Mme la garde des sceaux.

Face à de telles prises de position émanant de deux éminents membres du groupe du Rassemblement pour la République, je ne peux que m'étonner de la façon dont M. Debré interprète l'attitude du Gouvernement.

Monsieur Debré, je vous suggère d'aller vous-même expliquer vos propres positions aux représentants des victimes parce que je ne parlerai certainement ni en votre nom, ni au nom des représentants de votre groupe.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Compte tenu du caractère exceptionnel de l'intervention du Gouvernement avant le vote, je donne la parole à M. Debré.

M. Jean-Louis Debré.

Madame la garde des sceaux, je regrette le ton quelque peu polémique de votre dernière intervention.

M. René Dosière, rapporteur.

Si peu !

M. Gérard Gouzes.

C'était mérité !

M. Jean-Louis Debré.

Il y a les discours et il y a les dispositions votées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

Mes collègues ont expliqué en quoi les dispositions adoptées ne correspondaient pas tout à fait à ce que nous souhaitions et ne répondaient pas à une angoisse exprimée par certains.

Nous avons le souci de parfaire la législation. Le constituant a admis qu'une proposition ou qu'un projet de loi pouvait donner lieu à plusieurs lectures afin d'être amélioré. Je sais que vous ne souhaitez pas que la procédure se déroule normalement. Nous considérons, nous, que la procédure législative doit se dérouler jusqu'au bout pour aboutir en seconde lecture à un texte plus satisfaisant.

Enfin, je ne vous ai jamais demandé, madame, de parler au nom de l'opposition. Il est déjà très difficile de parler au nom de la majorité plurielle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), celle-ci n'éprouvant pas toujours les mêmes sentiments ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

D'ailleurs, ce soir, ils ne sont pas tous d'accord.

M me Yvette Benayoun-Nakache.

C'est la grosse artillerie.

M. le président.

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)

4 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

M. le président.

J'ai reçu, le 5 avril 2000, de M. le Premier ministre un projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.

Ce projet de loi, no 2322, est renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

5 DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président.

J'ai reçu, le 5 avril 2000, de Mme Christiane Taubira-Delannon un rapport, no 2320, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (no 2277).

J'ai reçu, le 5 avril 2000, de M. André Aschieri un rapport, no 2321, fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur les propositions de loi : de M. André Aschieri tendant à la création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale (no 2279) ; de M. Jean-Pierre Brard relative à la création d'une agence santé-environnement (no 2315) ; de M. Daniel Chevallier portant création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale (no 1054).

6 DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président.

J'ai reçu, le 5 avril 2000, de M. Jean Le Garrec, un rapport d'information, no 2323, déposé, en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur la démocratie sociale.

7 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

MODIFIÉ PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 5 avril 2000, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par le Sénat en deuxième lecture, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Ce projet de loi, no 2324, est renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

8

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique : Nomination d'un secrétaire du bureau de l'Assemblée nationale ; Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, no 2186, relatif au référé devant les juridictions administratives : M. François Colcombet, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2302).

(Procédure d'examen simplifiée, art. 106 du règlement.) Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, no 2276, organisant une consultation de la population de Mayotte : M. Jacques Floch, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2304).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 5 AVRIL 2000

Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, no 2277, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité : Mme Christiane Taubira-Delannon, rapporteur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la l égislation et de l'administration générale de la République (rapport no 2320).

Eventuellement, à vingt et une heures, deuxième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 6 avril 2000, à zéro heure vingt-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

COMPOSITION DES GROUPES (Journal officiel, Lois et Décrets, du 6 avril 2000)

GROUPE RADICAL, CITOYEN ET VERT Président du groupe Substituer au nom de M. Roger-Gérard Schwartzenberg celui de M. Bernard Charles.