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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 3316).

AVENIR DE LA MUTUALITÉ FRANÇAISE (p. 3316)

M. Jacques Desallangre, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

GRÈVE DES INTERNES EN MÉDECINE (p. 3317)

M. Jean-Claude Sandrier, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RÔLE DU PÔLE FINANCIER PUBLIC (p. 3317)

MM. Daniel Feurtet, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

COMPOSITION DU GOUVERNEMENT (p. 3318)

MM. Philippe Houillon, Lionel Jospin, Premier ministre.

RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN (p. 3319)

MM. François Rochebloine, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE QUOTIDIENNE (p. 3320)

MM. Patrick Delnatte, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

MOUVEMENTS SOCIAUX DANS LES HÔPITAUX (p. 3322)

M. Jean Bardet, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

EFFONDREMENT DE TERRAIN EN GUYANE (p. 3323)

M me Christiane Taubira-Delannon, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

RESSTRUCTURATIONS INDUSTRIELLES DANS LE CALVADOS (p. 3323)

MM. Louis Mexandeau, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

CAMPAGNE D'INFORMATION

SUR LES TOXICOMANIES (p. 3324)

M. Michel Etievant, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

EXCLUSION BANCAIRE (p. 3325)

M. Dominique Baert, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Suspension et reprise de la séance (p. 3326)

PRÉSIDENCE DE MME NICOLE CATALA

2. Egal accès aux mandats électoraux.

Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire (p. 3326).

3. Nouvelles régulations économiques.

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 3326).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 3326)

MM. François d'Aubert, Arnaud Montebourg, Thierry Mariani, Mme Brigitte Douay,

MM. Jean-Michel Ferrand, Alain Rodet, Vincent Peillon.

Clôture de la discussion générale.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 3337)

Avant l'article 1er (p. 3337)

Amendement no 625 de M. Desallangre : MM. Jacques Desallangre, Eric Besson, rapporteur de la commission des finances ; le secrétaire d'Etat, François Goulard, Michel Inchauspé.

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

MM. Georges Sarre, Jean-Jacques Jégou, Jean-Pierre Brard, Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances ; le secrétaire d'Etat. - Rejet de l'amendement no 625.

Article 1er (p. 3342)

M. Christian Estrosi.

Amendements identiques nos 322 de M. Auberger et 495 de M. Goulard : MM. Philippe Auberger, François Goulard, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Amendements identiques nos 323 de M. Auberger, 370 de M. Jégou et 494 de M. Goulard : MM. Philippe Auberger, Jean-Jacques Jégou, François Goulard, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Adoption de l'article 1er

Article 2. - Adoption (p. 3344)

Après l'article 2 (p. 3344)

Amendement no 96 de M. Charié : MM. Jean-Paul Charié, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.

Article 3 (p. 3345)

Amendements nos 97 de M. Charié et 371 de M. Hériaud : M. Jean-Paul Charié. - Retrait de l'amendement no

97. MM. Pierre Hériaud, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean-Paul Charié. - Retrait.

Adoption de l'article 3.

Après l'article 3 (p. 3346)

Amendement no 496 de M. Goulard : MM. François Goulard, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.

Article 4 (p. 3347)

Amendement no 133 de M. Bascou : MM. Yves Cochet, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Amendement no 134 de la commission des finances : MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Amendement no 611 corrigé de M. Gantier : MM. François Goulard, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Amendement no 498 de M. Goulard et amendements identiques nos 135 de la commission des finances, 372 de M. Jégou et 499 de M. Goulard : M. Jean-Jacques Jégou. - Retrait des amendements nos 498, 372 et 499.

MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement no 135.

Amendement no 467 de M. Cuvilliez : MM. Christian Cuvilliez, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean-Jacques Jégou. - Rejet.

Amendement no 395 de M. Suchod : MM. Jacques Desallangre, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Yves Cochet, François Goulard, Philippe Auberger. - Rejet.

Amendements nos 136 rectifié de la commission des finances et 325 de M. Auberger : MM. le rapporteur, Philippe Auberger. - Retrait de l'amendement no 325.

M. le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement no 136 rectifié.

Amendement no 501 de M. Gantier : MM. François Goulard, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean-Pierre Brard. - Rejet.

Amendement no 326 de M. Auberger : MM. Philippe Auberger, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.

Amendements identiques nos 324 de M. Auberger, 373 de M. Jégou et 500 de M. Gantier : MM. Philippe Auberger, Jean-Jacques Jégou, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Jean-Pierre Brard, François Goulard. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Saisine pour avis d'une commission (p. 3354).

5. Désignation d'un candidat à un organisme extraparlementaire (p. 3354).

6. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 3354).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe Radical, Citoyen et Vert.

AVENIR DE LA MUTUALITÉ FRANÇAISE

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, après la sécurité sociale, la mutualité constitue le deuxième intervenant dans la vie sanitaire et sociale des Français. Les mutuelles mettent en pratique la solidarité. Elles n'ont pas d'actionnaires à rémunérer. Or la Commission européenne presse la France de transposer en droit interne deux directives qui tendent à assimiler les mutuelles à des sociétés d'assurance. Voilà une contribution originale à l'édification de l'Europe sociale ! Si ces directives étaient intégralement appliquées, le mouvement mutualiste, ses oeuvres sociales et ses réseaux solidaires seraient à terme (Brouhaha) ...

M. le président.

Mes chers collègues, voulez-vous prendre place, s'il vous plaît et écouter M. Desallangre qui pose une question fort importante.

Poursuivez, monsieur Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Si ces directives étaient intégralement appliquées, disais-je, le mouvement mutualiste, ses oeuvres sociales et ses réseaux solidaires seraient à terme condamnés au profit, à la sélection par l'argent, l'âge ou l'état de santé. Le scandaleux comportement d'AXA à l'égard des familles d'enfants handicapés est encore présent dans nos mémoires. Si le Gouvernement ne prend pas de mesures législatives pour promouvoir la mutualité, les directives européennes « fabriqueront » alors d'autres affaires AXA.

Madame la ministre, le mouvement mutualiste a manifesté récemment son inquiétude quant aux intentions du G ouvernement sur ce dossier. Quelles orientations comptez-vous fixer, et selon quel calendrier, pour assurer l a stabilité et la sécurité juridique nécessaires aux mutuelles afin qu'elles poursuivent leur action au service de la solidarité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, vous avez raison d'insister sur le rôle irremplaçable et tout à fait particulier du mouvement mutualiste dans notre pays. Nous savons tous qu'il rassemble des milliers de militants qui ont décidé de se regrouper pour apporter des réponses aux difficultés que rencontrent nos concitoyens, notamment en matière de santé. Mais nous savons surtout, comme vous l'avez rappelé, que la mutualité est fondée sur les valeurs que sont la solidarité, la responsabilité, la démocratie et la liberté.

A ce jour, plus d'un français sur deux est protégé par les mutuelles, lesquelles gèrent 13 000 établissements sanitaires et sociaux et emploient 58 000 salariés. Il s'agit donc d'une contribution économique et sociale irremplaçable pour notre pays.

Aussi, lorsque la Commission européenne a demandé la transposition dans notre droit interne des directives auxquelles vous avez fait allusion et qui tendent à assimiler le secteur mutualiste aux sociétés d'assurance, il faut bien reconnaître que de nombreuses inquiétudes se sont fait jour, y compris dans nos rangs, pour sauvegarder le coeur des valeurs de la mutualité française et cette idée majeure qu'elle met tous les jours en pratique, à savoir que la santé n'est pas une marchandise.

Le Premier ministre a chargé Michel Roccard de mener une mission de concertation dans le dessein de faire des propositions nous permettant de respecter nos obligations communautaires, tout en garantissant les principes qui fondent l'action du mouvement mutualiste dans notre pays. M. Rocard a rendu son rapport en mai 1999, et le Gouvernement élabore actuellement un texte de loi qui sera déposé rapidement devant le Parlement. Ce projet permettra de dégager les axes d'une transposition qui ne remettra pas en cause les principes mutualistes. De la sorte, et vous avez eu raison d'insister sur ce point, monsieur le député, les mutuelles pourront poursuivre la gestion de leurs oeuvres sanitaires et sociales. Les réalisations du monde mutualiste sont très souvent exemplaires et innovantes. Elles fondent la prévention plus que tout autre. Elles pourront demeurer ainsi.

Etant donné la sensibilité de ce dossier, que nous avons trouvé en suspens en 1997 et qui comportait un risque énorme pour la survie des mutuelles, le Gouvernement a été conduit à préparer un texte pour nous mettre en conformité avec le droit communautaire, mais un texte qui soit aussi un texte d'avenir pour la mutualité, porteur de ses valeurs, mettant en place un véritable statut de l'élu mutualiste et organisant la transparence dans le fonctionnement des mutuelles, conformément à leurs valeurs démocratiques.

Des inquiétudes se sont exprimées. Mais elles relevaient davantage des incompréhensions ou des malentendus. J'ai reçu, avec Guy Hascoët, M. Davant, président de la Fédération nationale de la mutualité française, la FNMF, et je reçois cet après-midi M. Le Scornet de la Fédération des mutuelles de France, la FMF. Le président Davant a très clairement indiqué que les propositions du Gouver-


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nement l'agréaient. Je crois finalement que la transposition de directives européennes va nous donner l'occasion deconstruire un avenir pérenne pour la mutualité et pour les valeurs qui la fondent et auxquelles nous croyons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

GRÈVE DES INTERNES EN MÉDECINE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, la grève des internes entre dans sa deuxième semaine. Leurs revendications portent sur l'augmentation des rémunérations, la reconnaissance de leur statut, l'amélioration de leurs conditions de travail, qui commandent directement la qualité des soins.

Nous partageons leur souci, parce que ce qui est en cause ici, c'est l'intérêt des malades.

Au moment où nous vous faisions remarquer qu'il était nécessaire d'augmenter les moyens des hôpitaux, vous insistiez à juste titre dans vos réponses sur l'effort que consent le Gouvernement en matière de qualité et de sécurité de soins. Le Gouvernement a pris d'ailleurs récemment des mesures positives en ce sens.

Toutefois, compte tenu d'une logique de restriction des moyens des services publics, trop de retards ont été accumulés dans les hôpitaux : par exemple, aujourd'hui, 65 % des services d'urgence sont hors normes. Il serait injuste que ces retards soient utilisés comme arguments pour justifier des fermetures de services.

Tout le monde sait que l'on ne pourra pas assurer le développement des soins dans notre pays à moyens constants. Mais grâce à une croissance retrouvée, les ressources existent pour satisfaire les revendications des internes. Madame la ministre, vous les avez rencontrés hier : pouvez-vous nous préciser où en sont vos discussions et les mesures que vous comptez prendre pour compenser les retards pris depuis de nombreuses années en matière de santé publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, je vous rappelle que, comme ils le disent eux-mêmes, les internes et les résidents sont des médecins en formation, c'est-à-dire des étudiants de troisième cycle qui remplissent à l'hôpital un rôle de praticien, souvent de nuit et très fréquemment à l'occasion des périodes les plus difficiles. C'est ce rôle qu'ils entendent voir reconnu aujourd'hui.

J'ai reçu hier leurs représentants, et nous devons nous retrouver cet après-midi. Il s'agit d'apporter des réponses aux problèmes qu'ils posent dès lors que ce sont effectivement de vrais problèmes.

Cela dit, depuis trois ans, le Gouvernement n'est pas resté sans rien faire. Depuis 1997, il a fait en sorte d'améliorer la situation des internes, en rénovant leur statut, en prévoyant que, sur les onze demi-journées qu'ils doivent à l'hôpital, ils pourront en consacrer deux par semaine à leur formation universitaire, et, enfin, en augmentant de 20 % en moyenne le tarif des gardes des internes l'an dernier.

A ujourd'hui, les internes souhaitent que nous reconnaissions les fonctions qu'ils remplissent. C'est la raison pour laquelle nous leur avons proposé qu'ils puissent bénéficier d'un repos de sécurité qu'ils soient pas obligés de travailler le lendemain d'une nuit de garde.

Ils souhaitent en outre ailleurs que le travail du samedi après-midi ou du dimanche matin soit rémunéré : nous allons en reparler cet après-midi.

Ils souhaitent aussi savoir pourquoi la règle inscrite dorénavant dans leur statut et selon laquelle ils ne doivent pas assurer plus de cinq gardes par mois est si peu respectée. Nous avons décidé avec eux de mettre en place une mission de contrôle, pour que les moyens soient mieux affectés, sachant que, dans certains hôpitaux et CHU, la moyenne des gardes est de trois, trois et demi, par mois, alors qu'elle est de huit dans d'autres établissements, ce qui n'est pas acceptable. Nous devons donc trouver dans les semaines qui viennent le moyen permettant d'éviter les surcharges de travail.

Enfin, et je l'indique très clairement, nous discutons avec les internes de la revalorisation de leurs rémunérations. Je ne souhaite pas en dire plus, puisque nous sommes en pleine négociation. Toutefois je crois pouvoir préciser que les internes ont compris que le Gouvernement souhaitait, comme pour le reste des praticiens hospitaliers et des personnels de l'hôpital, faire en sorte que la fonction qu'ils remplissaient soit reconnue.

Les résidents étaient inquiets sur le contenu de la réforme des études médicales que nous conduisons avec Jack Lang. Nous les avons rassurés : aussi bien l'internat, pour les médecins généralistes, que la réforme du premier et du second cycle sont bien à l'ordre du jour, et nous continuerons la concertation dans les jours à venir.

Dans ce secteur des internes et des résidents, le Gouvernement poursuit avec la même méthode le dialogue, afin de répondre aux problèmes qui sont des vrais problèmes. Or, aujourd'hui, il faut reconnaître que les internes et les résidents sont confrontés à de vrais problèmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe radical, citoyen et vert.)

RÔLE DU PÔLE FINANCIER PUBLIC

M. le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet.

M. Daniel Feurtet.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il y a un peu plus d'un an, notre assemblée était réunie pour discuter d'un projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière tenda nt à mettre résolument le secteur financier au service de la croissance et de l'emploi, secteur souvent timoré à ce sujet.

Ce projet de loi, en plus des avancées obtenues pour conforter les missions des caisses d'épargne au profit de l'économie sociale et de l'épargne populaire, avait été l'occasion de traduire concrètement la notion de pôle financier public, comme s'y était engagé M. Dominique Strauss-Kahn dans un courrier adressé au secrétaire national du parti communiste français, M. Robert Hue.

En ce sens, l'exposé de motifs de la loi votée par le Parlement consacrait la notion de pôle financier public structuré autour de la Caisse des dépôts et comprenant notamment la Caisse nationale de prévoyance, La Poste, la Banque de développement des petites et moyennes entreprises et les caisses d'épargne. Cette structure compétente sur le rôle, la coordination et les modalités d'intervention du secteur financier public dans les domaines du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

financement de l'emploi et de la formation, ainsi que de la lutte contre les exclusions financières, trouvait son expression par la création, au sein du Haut conseil du secteur public, d'un collège des établissements financiers chargé d'une mission d'intérêt général.

Si lors du vote de ce projet de loi, le groupe communiste et apparentés avait apprécié les propos tenus par votre prédécesseur quant à l'ambition donnée à ce pôle, à sa constitution et à son mode d'intervention, il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui il a quelques inquiétudes quant à son action au regard des objectifs affichés.

Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous nous informiez de l'activité du pôle, à l'heure où de nouveaux mouvements spéculatifs sur les marchés financiers montrent, une fois de plus, le risque qu'ils peuvent faire courir au contenu de la croissance, en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe radical, citoyen et vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, je vous répondrai d'emblée que le Gouvernement tiendra intégralement les engagements qu'il a pris, notamment à l'égard de votre groupe, lors de la création du pôle financier public. Que les choses soient très claires entre nous.

En le modernisant et en rendant son fonctionnement plus juste et plus efficace, le Gouvernement inscrit le pôle financier public, qui a été institué à l'initiative de votre groupe, au service de la croissance et de l'emploi. Je n'aurai pas de mal à convaincre lorsque j'aurai rappelé un certain nombre des missions de ce pôle, comme l'aide au renouvellement urbain et aux quartiers défavorisés, le soutien aux fonctions d'intérêt général - je pense aux transports, à l'environnement, à la prévention des risques l'appui aux petites et moyennes entreprises et à la création d'entreprises ou la lutte contre l'exclusion bancaire.

En résumé, je dirai que l'action de ce pôle doit être au service de la solidarité, du développement durable et de l'innovation.

Quand ce Haut conseil du secteur financier public et semi-public sera-t-il mis en place ? Il le sera immédiatement, sous la présidence de M. Dominique Baert, ce qui est la certitude que cette fonction sera bien assumée.

Quand pourra-t-il y avoir un débat sur CDC Finance ?

Compte tenu des discussions approfondies qui ont déjà eu lieu, des amendements et des sous-amendements qui ont été déposés à ce sujet et dont nous avons déjà connaissance, le Gouvernement pense que le plus tôt sera le mieux, car nous sommes évidemment en voie de trouver une solution satisfaisante. Je considère que le cadre de la loi sur les nouvelles régulations économiques serait parfaitement adapté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

COMPOSITION DU GOUVERNEMENT

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Monsieur le Premier ministre, dans votre discours de Strasbourg, vous vous engagiez à moderniser notre démocratie. Le 27 mars dernier, vous avez procédé à un remaniement de votre gouvernement, espérant sans doute ainsi régler certaines difficultés du moment et trouver un second souffle, qui, pour l'instant, décidément, reste encore bien asthmatique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous pouvions penser que ce remaniement serait l'occasion d'apporter une touche de modernité, de manière à ce que la diversité qui caractérise la démocratie soit effective et que le pouvoir ne soit pas exercé par la seule aristocratie de la haute fonction publique ou par des personnalités ayant fait carrière dans les partis.

Or, à un moment où, paradoxalement, le seul débat qui passionne votre majorité est celui des stock-options, un grand hebdomadaire nous rappelle ces jours-ci que l'équipe gouvernementale en place ne compte aucun représentant du secteur privé, situation inédite qui procède de votre choix. C'est l'ENA qui, pour l'essentiel, ordonne le nouvel ordre protocolaire des ministres, et j'ai vainement cherché dans votre gouvernement un agriculteur ou une agricultrice, un commerçant, un artisan, un créateur d'entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance), un ouvrier du secteur privé, un salarié d'entreprise ou un membre d'une profession libérale (Applaudissements sur les mêmes bancs).

Sont-ils tous incompétents, inutiles ou indignes de participer à la conduite des affaires de la France ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Sont-ils là seulem ent pour recevoir d'en haut, à charge de s'en débrouiller, la fiscalité et la réglementation établies par ceux qui n'ont pas à l'appliquer ?

M. Didier Boulaud.

Rendez-nous les Juppettes !

M. Philippe Houillon.

Au total, compte tenu de sa composition et en dépit de la qualité de ses membres, laquelle n'est pas en cause, le Gouvernement apparaît largement déconnecté de la vie du pays. Ses difficultés récurrentes à en appréhender les choix ne viennent-elles pas de là ? Après avoir tenté de régler les problèmes internes à votre majorité, avez-vous, monsieur le Premier ministre, l'intention de procéder, dans les prochaines semaines, à un remaniement pour mieux prendre en compte le pays réel et l'ensemble des acteurs de la vie économique et sociale de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le député, je ne suis pas sûr que ce soit en distinguant

« pays réel » et « pays légal », auquel renvoie la première expression, d'une inspiration plus maurrassienne que républicaine - pardonnez-moi - (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) qu'il faille ici trouver des arguments !

M. Lucien Degauchy.

Sectaire !

M. Charles Ehrmann.

Le peuple, c'est nous !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. le Premier ministre.

Je ne suis pas sûr non plus qu'il soit nécessaire que je m'interroge publiquement devant vous sur l'origine professionnelle des membres du Gouvernement,...

M. Richard Cazenave.

L'histoire réglera le problème, n'est-ce pas ?

M. le Premier ministre.

... même si je pourrais aisément, me tournant vers elles et vers eux, désigner un certain nombre de femmes et d'hommes qui n'appartiennent pas à la fonction publique (« Qui ? », « Oui allez-y ! »,

« Chiche ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Richard Cazenave.

Voilà qui m'étonnerait !

M. le Premier ministre.

Selon vous, M. Juppé, M. Debré et quelques autres seraient-ils donc indignes d'appartenir à la fonction publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Eric Doligé.

Ce n'est pas ce que nous avons dit !

M. le Premier ministre.

Je ne pense pas non plus que les membres de mon gouvernement, pas plus d'ailleurs que vous-mêmes, sur tous les bancs de cette assemblée, tiennent à être définis par un déterminisme professionnel ou sociologique. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Nous sommes, les uns et les autres, bien davantage le fruit d'engagements militants, d'engagements citoyens, d'engagements politiques, d'engagements au service de la nation : et c'est cela qui me détermine dans le choix de mes ministres ! (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. François Goulard.

Baratin !

M. le Premier ministre.

Vous serez rassuré, j'imagine, par la confirmation que la quasi-totalité des femmes et hommes qui composent ce gouvernement viennent de vos rangs ou des rangs de la seconde assemblée et ont donc reçu la légitimité et l'onction du suffrage universel.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Ce qui m'importe, monsieur Houillon... Mais je ne vous vois pas ?...

M. Philippe Houillon.

Je suis ici, monsieur le Premier ministre.

M. le Premier ministre.

Je n'en n'étais pas déstabilisé, mais enfin... L'axe dans lequel je vous vois ne me conduira naturellement pas à vous inviter à entrer dans ce gouvernement, en dépit de votre appel à la diversité, mais cet axe entre nous créé me met plus à l'aise pour vous répondre. (Sourires.)

Moi, ce qui m'importe, c'est que chacun, femme ou homme de ce gouvernement, soit compétent dans le champ de son administration et de sa responsabilité.

(Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) C'est que ce gouvernement soit formé d'une équipe qui, travaillant collectivement, soit animée par un esprit de solidarité. C'est que sa composition traduise un équilibre digne de la société moderne entre les femmes et les hommes - et les femmes sont nombreuses dans ce gouvernement. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est que ce gouvernement, soit capable de régler les problèmes.

M. Jean-Michel Ferrand.

Précisément, il ne l'est pas !

M. le Premier ministre.

Quand je vois la croissance, l'évolution du chômage,...

M. François Goulard.

L'évolution, ce n'est pas grâce à vous !

M. le Premier ministre.

... quand je vois les grandes réformes sociales, quand je vois la modernisation de notre appareil productif,...

M. François Goulard.

La modernisation, ce n'est pas vous !

M. le Premier ministre.

... je n'ai pas spécialement l'impression, monsieur le député, que nous ayons besoin d'un second souffle. En tout cas, dans le débat public, je trouve peu d'oxygène qui vienne de l'opposition, si j'en juge par la raréfaction de ses propositions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Je me suis donc demandé si l'interrogation subite qui vous avait saisi à propos de la composition du Gouvernement ne venait pas du fait que vous aviez du mal à en critiquer l'action, de façon pertinente et convaincante.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Or, soyez sûrs que, pour le Gouvernement comme pour l'opposition, ce n'est pas sur la composition de telle ou telle instance que, le moment venu, nous serons jugés, c'est sur notre capacité d'action.

M. François Vannson.

Les électeurs ne seront pas déçus du voyage.

M. le Premier ministre.

C'est sur notre capacité de proposition.

Aujourd'hui, parce que le peuple l'a voulu ainsi, vous n'êtes pas en situation d'agir, alors, je vous en prie, au moins, faites des propositions, pour nous aider à faire vivre la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN

M. le président.

La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine.

Monsieur le Premier ministre, le 29 mai 1998, notre assemblée adoptait, à l'unanimité, une proposition de loi reconnaissant publiquement le génocide arménien. Près de deux années se sont écoulées. Or le texte n'a toujours pas été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous ne pouvons que déplorer, bien sûr, les refus successifs de la conférence des présidents du Sénat, puis des sénateurs eux-mêmes, d'engager un débat sur ce texte.

Mme Martine David.

Démagogue !

M. François Rochebloine.

Le Gouvernement, de son côté, après s'être contenté d'observer une neutralité bie nveillante, s'est désormais placé dans une logique de refus.

M. Alain Calmat.

C'est la faute du Sénat !

M. François Rochebloine.

Vous ne pouvez vous retrancher derrière le fait que, s'agissant d'une initiative parlementaire,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Mme Martine David.

Des parlementaires socialistes.

M. François Rochebloine.

... vous ne pouvez intervenir.

Pour d'autres textes d'initiative parlementaire, comme le Pacs, pour bien des sujets peu consensuels, vous n'avez pas hésité à demander l'urgence.

M. Christian Bataille.

Demandez à vos copains du Sénat !

M. François Rochebloine.

Dois-je rappeler que vous, et vous seul, monsieur le Premier ministre, êtes maître de l'ordre du jour prioritaire du Parlement ? (Applaudissements de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Alain Calmat.

C'est la droite qui siège au Sénat !

M. François Rochebloine.

Oserai-je vous rappeler que vous vous êtes engagé personnellement, lors de la campagne présidentielle de 1995, à reconnaître le génocide arménien ?

M. Alain Calmat.

On le sait !

M. François Rochebloine.

En outre, les positions soutenues au nom de votre gouvernement par M. Védrine et M. Moscovici ne sont plus celles d'hier. De tels revirements sont inacceptables, tout comme d'ailleurs certaines tentatives de récupération politique.

M. Christian Bataille.

Allez voir au Sénat !

M. François Rochebloine.

La France sera-t-elle la dernière nation à reconnaître le premier génocide du XXe siècle ? Certes, il n'échappe à personne qu'en cette période de cohabitation, les responsabilités du blocage a ctuel sont largement partagées entre Matignon et l'Elysée...

M. le président.

Monsieur Rochebloine, voulez-vous conclure, s'il vous plaît ?

M. François Rochebloine.

J'en termine, monsieur le président. Il n'échappe non plus à personne que la France subit des pressions inadmissibles.

M. Christian Bataille.

Au Sénat !

M. François Rochebloine.

Au lendemain de la commém oration du quatre-vingt-cinquième anniversaire du génocide arménien, la France a donc le devoir de reconnaître au plus vite une évidence historique.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous êtes trop long !

M. François Rochebloine.

Plus largement, elle se doit d'affirmer qu'elle est encore maître de sa politique.

M. le président.

Merci, monsieur Rochebloine.

M. François Rochebloine.

Monsieur le Premier ministre, ma question sera aussi simple que devrait l'être votre réponse : avez-vous, oui ou non, l'intention de faire inscrire cette proposition à l'ordre du jour prioritaire du Sénat ? Si oui, à quelle date ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, je voudrais d'abord vous dire qu'il n'y a pas de différence de sensibilité - pas plus qu'il n'y a pas de différence dans la compassion - entre l'Assemblée et le Gouvernement par rapport à ces abominables massacres...

M. Patrick Devedjian.

Non, à ce génocide !

M. le ministre des affaires étrangères.

... que la grande majorité des historiens, nous le savons tous, considèrent comme un génocide. Ils se sont produits en 1915, entre les Turcs et les Arméniens, à l'époque sujets de l'Empire ottoman. Je ne crois pas qu'il y ait de différence sur le plan humain, et je ne crois pas que qui que ce soit puisse se prévaloir d'une sensibilité plus vive, d'une émotion plus grande. D'ailleurs, les Arméniens installés en France depuis maintenant plusieurs générations savent que la sympathie, l'amitié, la compassion de la France tout entière leur est acquise - depuis le moment de leur arrivée d'ailleurs, et sur plusieurs générations.

M. Patrick Devedjian.

Tartuffe !

M. le ministre des affaires étrangères.

Non, la question n'est pas là.

Sur l'arrière-plan de votre question, sur l'opportunité, l'utilité d'un texte venant d'une autorité française, du Parlement français, le Gouvernement s'est déjà exprimé à différentes reprises. Je rappellerai simplement que c'est en conférence des présidents du Sénat, où vous comptez des amis, je pense, que la décision a été prise.

M. Alain Calmat.

Eh oui !

M. Patrick Devedjian.

A votre demande personnelle !

M. le ministre des affaires étrangères.

Cette décision a été prise indépendamment de toute pression, elle relève d'autres considérations.

M. Patrick Devedjian.

Elle relève du marchandage !

M. le ministre des affaires étrangères.

La décision a été prise de ne pas inscrire ce débat. Il s'agit, je le répè te, d'une décision du Sénat. Ici, à l'Assemblée nationale, puisque vous interpellez le Gouvernement à ce sujet, je ne peux que réaffirmer nos sentiments à l'égard de la communauté arménienne de France. Il n'y a pas de lien à établir avec le débat institutionnel. Telle est la situation aujourd'hui.

La politique de la France dans cette région est, en l'an 2000, une politique de paix. Nous travaillons avec l'Arménie, avec l'Azerbaïdjan, avec la Géorgie, avec la Turquie. Tous ces pays souhaitent que nous restions engagés. Ces peuples ont aujourd'hui besoin de l'aide de la France dans la recherche de la paix.

M. Patrick Devedjian.

Marchandage !

M. le ministre des affaires étrangères.

La France assure la co-présidente du groupe de Minsk. Les questions sont nombreuses, qu'il s'agisse du Haut-Karabakh ou des minorités. Tous ces pays savent que nous nous sommes engagés et nous sont reconnaissants, je crois, de cette politique de paix. Voilà la situation.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE QUOTIDIENNE

M. le président.

La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte.

Monsieur le Premier ministre, je trouve que vous balayez un peu rapidement l'action des parlementaires de l'opposition. Ceux-ci déposent des propositions de loi dans le cadre des niches.

Mme Martine David.

Ah oui ? Lesquelles ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. Patrick Delnatte.

Mais votre gouvernement et la majorité les repoussent, quand ils ne refusent pas de les discuter. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le Premier ministre, dans la nuit du 15 au 16 avril, à l'occasion d'une intervention policière sur un fait de délinquance, un drame s'est produit dans un quartier de Lille, Lille-Sud : la mort du jeune Riad Hamlaoui.

Nous comprenons la douleur de la famille, qui, en perdant un enfant, ou un frère, a vu sa vie brisée, tout comme la famille du policier mis en cause. Il appartiendra à la justice d'apprécier les faits et de juger. Ce drame a provoqué une forte émotion dans la population de ce quartier, qui exprime son incompréhension, son malvivre, sa soif de justice et de considération, mais aussi sa dignité et son sens des responsabilités.

Mais ce drame a aussi suscité une situation de violence et d'émeutes urbaines par des bandes de jeunes, des violences délictuelles qui se sont propagées dans plusieurs quartiers de la métropole lilloise, dont Tourcoing et Marcq-en-Baroeul.

Ces faits nous interpellent tous et, monsieur le Premier ministre, il vous interpellent dans deux domaines de votre politique gouvernementale : la politique de sécurité et la politique de la ville.

La politique gouvernementale de sécurité met en avant la police de proximité. La valorisation des moyens techniques ne doit pas faire oublier que, dans la lutte contre la délinquance au quotidien, l'efficacité de la police passe aussi et d'abord par sa présence physique et permanente sur le terrain et par ses relations de bon voisinage et de confiance avec les populations concernées. Pensez-vous, monsieur le Premier ministre, que les moyens mis en oeuvre par votre gouvernement soient suffisants et adaptés aux besoins d'une véritable police de proximité ?

M. Eric Doligé.

Sûrement pas !

M. Patrick Delnatte.

En quantité d'abord, car l'efficacité nécessite une présence 24 heures sur 24, sept jours sur sept, sur tous les territoires sensibles. Très sincèrement, le recrutement massif d'adjoints de sécurité ne me paraît pas une réponse professionnelle adaptée à ces situations complexes et difficiles. De plus, à vouloir généraliser trop vite vos concepts sans que les moyens et les effectifs suivent, ne courez-vous pas le risque d'un grave échec ? En qualité ensuite. Les professionnels de la police attendent des moyens suffisants en matière non seulement de formation initiale, mais surtout de formation continue, car ils sont confrontés à des situations extrêmement difficiles et très changeantes.

M. le président.

Monsieur Delnatte, pouvez-vous poser votre question, s'il vous plaît ?

M. Patrick Delnatte.

Quant à la politique de la ville, à laquelle le Gouvernement et les collectivités territoriales consacrent de plus en plus de moyens budgétaires, elle n'apporte pas de réponses à deux évolutions négatives et préoccupantes : la banalisation des situations délictuelles et les carences de l'éducation, au sens du bien et du mal.

(« La question ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Face aux problèmes de l'immigration, la politique de la ville laisse se développer - quand elle ne les favorise pas parfois - des solutions de type communautariste, qui créent de nouvelles barrières psychologiques, culturelles et raciales.

Monsieur le Premier ministre, face à ces faits et aux questions qu'ils soulèvent, quelles décisions comptez-vous prendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Monsieur Delnatte, ce n'est pas forcément parce qu'elle est longue qu'une question est bonne ! Vous auriez pu dire la même chose en trois fois moins de temps.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Mes chers collègues, je parle au nom de tous les groupes, y compris du groupe du Rassemblement pour la République, qui ne pourra pas nous faire entendre ses trois intervenants de cet après-midi dans les questions !

M. Jean-Louis Debré.

Ne parlez pas au nom du groupe du Rassemblement pour la République !

M. Franck Borotra.

Pas de jugements qualitatifs, monsieur le président !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, une expérience de police de proximité a été entamée en octobre dernier dans le quartier de Lille-Sud, qui compte 23 000 habitants.

Le fait tragique survenu vers minuit et demi le 16 avril dernier ne doit pas conduire à remettre en question l'effort entrepris. Que ce soit tragique, il faut le dire. Une faute a été commise. Le policier a été suspendu moins de douze heures après. La justice a été saisie. Il lui appartiendra de se prononcer. Y a-t-il eu un élément intentionnel, comme on peut le déduire du chef d'inculpation retenu ? S'agit-il au contraire d'un geste de panique dans la nuit ? Ce policier ne faisait pas partie de la police de proximité, je le rappelle, mais d'une unité d'intervention d'une brigade canine, appelée sur les lieux par Police secours en raison d'une tentative de vol d'un véhicule.

(« C'est déjà ça le problème ! » et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Cette tragédie a été suivie de faits très regrettables, confinant à l'émeute. Plus de 130 interpellations ont été réalisées.

M. Eric Doligé.

Les personnes ont été relâchées.

M. le ministre de l'intérieur.

Vingt-trois personnes ont été déférées à la justice, qui, naturellement, se prononc era en toute impartialité. Je voudrais insister sur le fait que la police de proximité poursuit son travail dans le quartier de Lille-Sud. Tous les policiers ont considéré que ce qu'ils avaient entrepris devait être continué. Et la population le demande également. J'ai vu moi-même le recteur de la mosquée de Lille-Sud, M. Amar Lasfar, à l'occasion d'une réunion de consultation des sensibilités musulmanes présentes dans notre pays, et je rends hommage au rôle d'apaisement qui a été joué par plusieurs représentants de cette communauté pendant ces événements.

Nous devons être capables de rompre le cycle de la violence, cet enchaînement de répression inévitable. C'est là que doit se situer l'effort de tous. C'est en tout cas le sens de la politique du Gouvernement : police de proximité, apprentissage de la déontologie, recrutement à l'image de la population, création d'une commission nationale de déontologie pour la sécurité...

M. Thierry Mariani.

La réponse est longue, monsieur le président.

(Sourires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. le ministre de l'intérieur.

... politique visant à inscrire l'Islam dans le cadre républicain qui régit les rapports des pouvoirs publics avec les cultes, et enfin politique de la ville, pour laquelle les crédits ont été augmentés de 450 millions de francs par le collectif budgétaire qui a été adopté ce matin par le conseil des ministres.

M. Eric Doligé.

Ce n'est pas un problème d'argent, c'est une question de volonté.

M. le ministre de l'intérieur.

En tant que ministre de l'intérieur, je tiens à vous dire que ma détermination à tenir tous ces engagements de pair ne fléchira pas.

M. Thierry Mariani.

C'est long ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le ministre de l'intérieur.

L'efficacité de cette action réside dans la cohérence de ces engagements, leur durée et leur application simultanée. Et je compte sur chacun pour maintenir le cap de cette politique.

(« C'est trop long ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Elle seule est de nature à assurer la sécurité républicaine dans nos quartiers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et communiste.)

MOUVEMENTS SOCIAUX DANS LES HÔPITAUX

M. le président.

La parole est à M. Jean Bardet.

M. Jean Bardet.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, encore une fois, je voudrais poser une question sur la situation hospitalière. Lors de mes précédentes interventions, je n'ai eu le droit qu'à des réponses méprisantes de votre part, du type : « Les hôpitaux sont dans les clous. »

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Sous la pression des syndicats des personnels paramédicaux et médicaux, en particulier des urgentistes, vous avez dû céder et débloquer 10 milliards de francs en trois ans.

Mais, faute de réforme de structure, votre action ne consistant qu'à colmater les brèches les plus visibles, une autre catégorie de personnel hospitalier est maintenant en grève, je veux parler des internes. Cette préoccupation dépasse largement le clivage droite-gauche, puisqu'un de nos collègues du groupe communiste vient de poser une question à ce sujet.

Votre réponse, bien évidemment, ne m'a pas satisfait, pas plus, je pense, qu'elle n'a satisfait les internes, car à ma connaissance, ils sont toujours en grève, et d'après ce que j'ai entendu, ce midi, à la radio, les chefs de clinique sont prêts à s'associer au mouvement.

Mais comme toujours, madame la ministre, pour vous, tout va bien ; c'est la méthode Coué ! Pourtant, malgré leur précédente grève, et alors qu'ils font entendre de légitimes revendications, les internes ont été une fois de plus oubliés dans les mesures que vous avez fini par prendre.

Oublier leur rôle fondamental, c'est oublier que, sans eux, beaucoup d'établissements hospitaliers ne pourraient pas continuer de garantir des soins de haut niveau à tous.

C'est oublier que, statutairement, ils sont praticiens hospitaliers, certes en formation, mais praticiens hospitaliers tout de même. C'est oublier que leur niveau de formation, leur charge de travail font d'eux un maillon essentiel de la mission de soins de l'hôpital public.

M. Bernard Accoyer.

Tout à fait !

M. Jean Bardet.

C'est cette reconnaissance qu'ils attendent légitimement de vous aujourd'hui. Mais leur combat est aussi celui de la sécurité des malades dont ils ont la charge, comme l'atteste leur demande de repos de sécurité.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur le député.

M. Jean Bardet.

C'est donc le malaise global de l'hôpital public qui se traduit dans ce mouvement. C'est parce que vous n'avez ni su l'écouter ni voulu y répondre que le fond persiste.

Entendez-vous enfin, madame la ministre, satisfaire les attentes des internes et répondre à cette question fondamentale : les internes sont-ils des médecins, premier échelon de la hiérarchie hospitalière - je le crois, et ils en ont d'ailleurs la responsabilité pénale -, ou bien sont-ils des

« stagiaires en entreprise », comme vos services les ont qualifiés récemment, serviables et corvéables à merci ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, pour une réponse brève.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

D'autant plus brève que, M. Bardet l'a annoncé, elle ne le satisfera pas. La sollicitude dont vous faites preuve vis-à-vis de l'hôpital, monsieur Bardet, lorsque vous êtes dans l'opposition ne manquera pas de toucher les personnels hospitaliers...

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Entre 1995 et 1997, le budget de l'hôpital n'avait augmenté que de 0,18 % en moyenne, alors qu'il a progressé de près de 2 % depuis que nous sommes au gouvernement, et même de 2,5 % cette année.

(« Répondez à la question ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Richard Cazenave.

C'est maintenant que les internes sont en grève !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous prétendez que nous n'écoutons personne : parallèlement au rétablissement de l'équilibre de la sécurité sociale,...

M. Henri Cuq.

Grâce à la cagnotte ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... nous avons pourtant signé, en début d'année, avec presque toutes les organisations syndicales de personnels médicaux et non médicaux de l'hôpital, deux protocoles lesquels, il est vrai, ne concernaient pas les internes.

Puis-je vous rappeler, monsieur le député, sans esprit de polémique et surtout sans mépris, que, pendant quatre ans, vous n'avez rien fait pour les internes ? (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ah si ! Vous les avez mis dans la rue pendant cinq semaines. Je l'avais oublié, mais le bruit que vous faites me le rappelle ! Nous avons, nous, rénové le statut des internes, je l'ai dit, fait en sorte que la rémunération des gardes soit augmentée de 20 %. Nous leur avons permis de consacrer deux demi-journées sur onze à la poursuite de leur troisième cycle d'études médicales.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Ce sont, je le répète, des médecins de formation. Inutile de polémiquer sur les mots : ils sont médecins parce qu'ils participent à la fonction médicale dans l'hôpital ; ils sont en formation parce qu'ils n'ont pas terminé leurs études médicales.

Il faut en tirer toutes les conséquences. C'est ce que nous allons faire avec le repos de sécurité. C'est ce que nous faisons en discutant avec eux pour faire appliquer le repos après les gardes. Et c'est ce que nous ferons en examinant la revalorisation de leur statut. Je regrette que vous ne vous inquiétiez de toutes ces questions que quand vous êtes dans l'opposition, et pas quand vos amis sont au gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. Charles Cova.

Rassurez-vous. Ils y seront bientôt de nouveau !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

EFFONDREMENT DE TERRAIN EN GUYANE

M. le président.

La parole est à Mme Christiane Taubira-Delannon.

Mme Christiane Taubira-Delannon.

Ma question, qui porte sur l'effondrement d'un flanc de colline survenu en Guyane la semaine dernière, devrait s'adresser à M. le Premier ministre, compte tenu du caractère transversal à la fois du problème et des solutions qu'il appelle.

La population guyanaise a fait preuve d'une dignité et d'une discipline exemplaires. Elle a su traduire, par des actes de solidarité, le chagrin qu'elle partage encore avec les familles éprouvées. Elle a fortement apprécié les messages de soutien du Premier ministre et du Président de la République. Elle demeure attentive à la parole du Gouvernement au lendemain de cette tragédie. Les sapeurs-pompiers de Guyane et les unités de sauveteurs spécialisées venues de métropole ont accompli un travail exemplaire qui force le respect.

Les mesures et les décisions qui devront être prises concernent plusieurs ministères : la justice, l'équipement, le logement et les transports, l'aménagement du territoire et l'environnement. Nous serions rassurés d'entendre que toutes les actions nécessaires seront non seulement engagées mais coordonnées et que leurs conclusions seront rendues publiques.

Ce drame a arraché des êtres chers à une dizaine de familles. Et nul ne peut certifier que les victimes ne sont pas plus nombreuses, parce que des personnes vivant seules ou en situation irrégulière peuvent n'avoir pas été signalées.

Des observations empiriques et des alertes émanant de riverains et d'usagers concordent avec les analyses scientifiques qui avaient classé ce site parmi les zones à risques.

Quelques jours avant le drame, des signes précurseurs s'étaient manifestés, au point d'inciter la DDE à affecter des agents en travaux sur le site ; plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs péri ensevelis.

Une enquête judiciaire est ouverte. Nous en attendons toute la lumière sur les causes naturelles et humaines de ce drame. Je le dis avec toute la mesure qu'exige le respect de la présomption d'innocence à l'endroit de ceux qui assument ou ont assumé des responsabilités. Mais je le dis aussi avec toute la détermination que commandent les égards dus à la souffrance des familles et l'exigence de veiller, en vertu du principe de précaution, à prendre des mesures préventives.

M. Jean Bardet.

Et la question ?

Mme Christiane Taubira-Delannon.

N'y a-t-il pas lieu de créer un observatoire, à l'instar du secrétariat permanent à la prévention des pollutions industrielles, pour recenser et surveiller les sites à risques, éventuellement en interdire l'accès et assurer une information transparente et efficace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Madame la députée, vous m'interrogez sur la catastrophe, l'effondrement de terrain qui a touché la Guyane, provoquant la mort de dix personnes, ensevelies alors qu'elles se trouvaient dans une usine de produits laitiers ou sur la route nationale

3. Nous avons évidemment pris immédiatement les dispositions nécessaires pour les secours et dix personnes ont pu être sauvées. Comme vous l'avez souligné, avec le ministre de l'intérieur, nous avons dépêché, dans la nuit, l'équipe de sécurité de Brignoles, qui est spécialisée dans ce genre de secours - elle est arrivée sur les lieux moins de dix-huit heures après le drame et elle s'est montrée immédiatement opérationnelle.

Le Président de la République comme le Premier ministre ont exprimé leur émotion, leur compassion vis-àvis des familles des victimes. Il restait à prendre des mesures. Elles ont immédiatement été diligentées puisque deux spécialistes du laboratoire des Ponts et Chaussées se sont rendus en Guyane, dès dimanche, pour étudier les dispositions à prendre contre les menaces subsistant dans ce secteur et pour renforcer le plan de prévention des risques.

Les enquêtes administratives sont lancées, en liaison entre le ministère de l'intérieur et le ministère de l'équipement. Et une enquête préliminaire a été ouverte par

Mme la procureur de la République de Cayenne.

Enfin, s'agissant de la solidarité, une réunion s'est tenue hier dans la commune de Remire-Montjoly, sur le territoire de laquelle cette catastrophe a eu lieu. Les dossiers nécessaires pour la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ont été constitués afin de mettre en oeuvre les mesures d'indemnisation.

Mais l'essentiel, comme vous le dites, est de renforcer la prévention et de prendre de nouvelles dispositions dans ce sens. Nous allons nous y employer dans les prochaines semaines. (Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

RESTRUCTURATIONS INDUSTRIELLES DANS LE CALVADOS

M. le président.

La parole est à M. Louis Mexandeau.

M. Louis Mexandeau.

Monsieur le président, je poserai ma question à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, en mon nom personnel mais aussi au nom de mes collègues Laurence Dumont, Philippe Duron et Yvette Roudy, tous concernés.

Après Moulinex, Renault Véhicules Industriels, les projets de réorganisation industrielle n'en finissent pas de préoccuper les milliers d'employés de ces deux groupes dont l'activité s'exerce dans la Basse-Normandie, et plus précisément dans le Calvados et l'agglomération caennaise. Certes, les problèmes et les perspectives des deux


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

groupes, RVI et Moulinex, ne sont pas les mêmes. Mais nous, députés socialistes, la première préoccupation qui nous anime, c'est la défense des emplois, qui est également l'objectif premier du Gouvernement.

Alors, dans chacun de ces deux cas - projet de fusion entre Moulinex et Elfi-Brandt, d'une part, et cession de RVI-Mack au suédois Volvo, d'autre part, sans que, malheureusement, les salariés et leurs représentants aient été informés -, le Gouvernement est-il prêt à agir pour que les rapprochements industriels ne se fassent pas au détriment des emplois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, en effet, vous avez raison de distinguer nettement les deux cas, d'une part Moulinex, d'autre part RVI.

L'appréciation que l'on peut porter sur tous ces mouvements de concentration, de fusion, de rapprochement, n'est pas automatiquement favorable. Le jugement peut être positif s'il s'agit bien d'une stratégie industrielle et non purement financière, si se dégagent des synergies entre les deux entreprises qui se rapprochent, notamment pour les coûts de production, si une complémentarité géographique apparaît et si les conséquences sur l'emploi - c'est essentiel - et sur la croissance des entreprises ne sont pas défavorables. En outre, vous avez eu raison de souligner l'importance de la consultation préalable des organes sociaux des entreprises et aussi l'importance du maintien des pôles de décision en France.

En ce qui concerne RVI et Volvo, il s'agit du rapprochement de deux entreprises européennes qui représenteront à elles deux plus de 25 % des marchés européen et américain du camion. L'objectif est de devenir le d euxième constructeur mondial, tout en conservant l'identité des deux entreprises, les marques, les statuts des personnels, et sans annoncer aujourd'hui aucune restructuration industrielle, qui pourrait notamment être défavorable sur le site de Blainville-sur-Orne, objet de votre préoccupation principale. Renault a annoncé qu'il n'y aurait pas de conséquences dommageables en matière d'emploi. Je crois par conséquent que ce rapprochement est positif, qu'il sera vraiment utile au développement d'un puissant pôle camion européen et notamment français, au niveau mondial.

En ce qui concerne Moulinex, le groupe Elfi s'est engagé à poursuivre l'activité industrielle micro-ondes à l'usine de Cormelles-le-Royal, avec les 800 personnes concernées. Cela suscite beaucoup d'espoir, monsieur le député. Elfi doit être conscient qu'un tel engagement ne saurait être pris à la légère. Et, dans l'esprit de la nouvelle régulation économique, qui fait l'objet en ce moment d'un débat, ici même, le Gouvernement souhaite que les salariés soient tenus informés des négociations et puissent régulièrement faire valoir leur point de vue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) CAMPAGNE D'INFORMATION

SUR LES TOXICOMANIES

M. le président.

La parole est à M. Michel Etievant.

M. Michel Etievant.

Avant de vous poser ma question, madame la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, je voudrais vous remercier et vous féliciter, ainsi que M. le Premier ministre, d'avoir fait réapparaître clairement les personnes handicapées dans vos attributions ministérielles, après deux longues années d'absence. (« Ah oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Vous témoignez ainsi de votre réel souci de mener une politique cohérente en la matière.

J'en viens à ma question. Pour la première fois, une campagne de publicité est lancée par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, à destination d'un large public, et non plus seulement médical. Elle propose de le sensibiliser à l'ensemble des pratiques addictives, c'est-à-dire entraînant des dépendances d'ordre psychique et physique.

Cette campagne, déclinée en quatre spots et relayée par un livre, offre un discours différent. Certaines vérités sont rappelées : par exemple, une société sans drogue n'existe pas. Sans manier la langue de bois, on ne désigne plus le consommateur comme un délinquant ou une victime, mais on propose au contraire un discours responsable et motivé. L'idéal étant la levée des tabous dans le dialogue entre parents et enfants, il me semble que l'enjeu de cette campagne est son accessibilité pour le public le plus large.

Madame la secrétaire d'Etat, quelles sont vos attentes vis-à-vis de cette campagne, quels objectifs poursuivezvous ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Effectivement, monsieur le député, en juin dernier, le Gouvernement a adopté un plan de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances. Ce plan triennal s'inscrit dans notre démarche globale et ambitieuse de lutte contre l'ensemble des exclusions.

La politique développée par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie s'appuie sur les différents travaux remis au Gouvernement depuis 1994. Nous avons en effet lancé, ce matin, la grande campagne nationale d'information qui accompagnera efficacement ce plan.

Adressée au grand public et aux professionnels, ce doit être un élément de réussite du plan, complétant les différentes mesures déjà mises en oeuvre : une meilleure formation des professionnels, des médecins, avec la création d'un diplôme d'étude spéciale en addictologie ; 80 millions de mesures nouvelles, dès cette année, pour renforcer les structures de lutte contre l'alcoolisme et de sevrage tabagique ; le développement de l'expertise scientifique et de la recherche clinique sur les dépendances ainsi que l'amélioration des connaissances sur les modes de consommation et sur les nouveaux produits qui arrivent sur le marché tous les jours.

Cette campagne d'information simple et de bon sens, vous l'avez dit, doit permettre d'élever le niveau de connaissances de nos concitoyens en les interpellant sur leurs certitudes et sur leurs responsabilités. Sans faux débat, avec pragmatisme, nous voulons leur rendre accessible une information claire, scientifique, validée, mais surtout crédible, sur les caractéristiques de chaque substance en circulation, de manière à placer la personne et ses comportements au centre de nos préoccupations et de notre action concertée.

Cette étape - mieux informer, rappeler la loi - est essentielle dans une démarche de prévention et d'éducation pour la santé, encore trop souvent négligée. Elle permettra à chacun de comprendre les conséquences sur sa


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

santé de différents comportements, d'être en position de choisir librement sa vie, d'instaurer un dialogue au sein des familles et, surtout, de mobiliser les jeunes sur les conséquences de certaines conduites à risques qui peuvent entraîner des dépendances graves pour leur équilibre et compromettre ainsi leur avenir.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

EXCLUSION BANCAIRE

M. le président.

La parole est à M. Dominique Baert.

M. Dominique Baert.

Madame la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, les banques françaises fonctionnent sur le principe du « ni-ni » : ni facturation des chèques, ni rémunération des dépôts de leurs clients. Les discussions qu'elles ont conduites depuis plusieurs mois avec les consommateurs pour faire évoluer cette situation sont dans l'impasse et certains en appellent maintenant au Gouvernement. Le groupe socialiste tient à vous faire part de son extrême préoccupation. En effet, une évolution mal maîtrisée de ce dossier peut non seulement être porteuse d'exclusion pour les plus modestes de nos concitoyens, mais aussi créer une charge nouvelle pour ceux qui devraient payer leurs chèques sans bénéficier d'une confortable rémunération de leurs dépôts, parce que leur revenu est faible ou même moyen.

En matière de relations avec les banques, la gauche a toujours défendu une position d'équité et de solidarité.

Rappelons la loi contre le surendettement que nous a présentée Véronique Neiertz. Rappelons l'instauration du droit au compte. Rappelons la loi contre les exclusions que nous a présentée à Martine Aubry.

Aussi vous poserai-je deux questions. Quel dispositif le Gouvernement compte-t-il prendre pour éviter que ne p rogresse l'exclusion bancaire ? Accepteriez-vous de réduire le délai d'interdiction bancaire, aujourd'hui fixé à dix ans ? En effet, ne plus pouvoir signer de chèque pendant dix ans, c'est se voir interdire de vivre normalement.

Cela revient même, pour bon nombre de nos concitoyens, à se voir interdire de vivre, tout simplement.

C'est inacceptable. Porter ce délai à moins de cinq ans nous paraît indispensable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Monsieur le député, vous avez eu raison de me poser cette question en ces termes, parce que les médias évoquent trop souvent le paiement des chèques - un, deux, trois, quatre ou cinq francs -, sans parler du service bancaire. Or je rappelle qu'à la demande du Premier ministre, en 1998, dans le cadre de la loi contre les exclusions, vous-même, avec Véronique Neiertz, Jean Le Garrec et d'autres, avez défendu le droit au compte pour les exclus. Un pas politique fondamental a été accompli ce jour-là.

Le droit au compte existe donc. Mais qu'en est-il du service bancaire ? Il ne faut pas se focaliser sur les chèques, car aujourd'hui le service bancaire est payant. Et certains ont encore droit au carnet de chèques - gratuit, en France depuis 1935 - mais ils n'ont pas droit à d'autres moyens de paiement, comme la carte de crédit, ils doivent payer la connexion téléphonique pour consulter leur compte, ils doivent payer pour avoir droit à plus d'un relevé de compte par mois, ils doivent payer pour régler l'eau ou l'électricité par virement. Bref, le service bancaire de base, aujourd'hui, n'existe pas.

Il faut que le débat aille au-delà du chèque payant. Il faut parler de service bancaire de base et c'est pourquoi nous avons demandé à M. Jolivet, président du comité des usagers de la banque, avec l'ensemble des associations de consommateurs, de tenter ce que nous préférons toujours, à savoir la médiation entre deux parties : la banque, entreprise privée, qui défend ses intérêts, d'une part, et l es consommateurs, qui défendent l'ensemble des citoyens, d'autre part.

Ces négociations ont échoué essentiellement sur un mot, me semble-t-il : faut-il un service de base gratuit pour les plus démunis, pour ceux dont les revenus sont équivalents au RMI ou en tout cas inférieurs au SMIC, ou bien faut-il un service universel de base ? Au vu du rapport Jolivet, le Gouvernement saura tirer les conséquences de tous les arguments avancés et trouver la meilleure solution, avant tout pour les plus défavorisés.

En revanche, vous avez raison, on a oublié de parler des dates de valeur. Cela dit, un pas a été franchi et je pense que nous allons enfin obtenir que la date de valeur coïncide avec la date de dépôt.

Mme Véronique Neiertz.

Très bien ! Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Nous avons aussi oublié de parler des pénalités pour chèque sans provision. Or, il me semble fondamental qu'elles soient revues lorsque de tels chèques sont émis de bonne foi, par exemple le 30 du mois, avant le virement du salaire qui peut avoir lieu cinq jours plus tard.

Mme Véronique Neiertz.

Très bien ! Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Enfin, s'agissant des interdits bancaires, il faut absolument s'adresser à Mme la garde des sceaux, à la chancellerie, parce qu'il ne faudrait pas que, au nom des exclus - deux millions de personnes font aujourd'hui l'objet d'un interdit bancaire, c'est beaucoup ! - puisse s'opérer petit à petit un glissement d'un comportement de bonne foi chez des personnes en grande difficulté qui peuvent revenir à meilleure fortune vers un comportement frauduleux.

M. Jean-Paul Charié.

Très bien ! Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Nous devons faire confiance à notre justice pour élargir la gamme des réponses, notamment en faveur des jeunes qui représentent une part importante des deux millions d'interdits bancaires. En effet, les jeunes de moins de vingt-cinq ans sont souvent concernés par le surendettement en raison de la prolifération des cartes de paiement de magasins ou de structures de vente par correspondance mises à leur disposition. Voilà ce que nous voulons faire, voilà ce que nous ferons ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.


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Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Nicole Catala.)

PRÉSIDENCE DE Mme NICOLE CATALA,

vice-présidente

Mme la présidente.

La séance est reprise.

2 ÉGAL ACCÈS AUX MANDATS ÉLECTORAUX Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :

« Paris, le 26 avril 2000

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'Assemblée de la Polynésie française et de l'Assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. »

Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

3

NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques (nos 2250, 2327).

Discussion générale (suite)

Mme la présidente.

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. François d'Aubert.

M. François d'Aubert.

Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, vous nous présentez au nom du Gouvernement ce texte comme étant à la fois révolutionnaire et fondateur : révolutionnaire car remettant en cause la prétendue suprématie du marché, fondateur car constituant l'acte de naissance d'un nouveau capitalisme. Tout cela est légèrement surestimé.

Votre projet de loi est bien loin des intentions affichées. Déjà minimaliste sur la question du gouvernement d'entreprise, il a été largement amputé par votre décision de ne pas aborder maintenant l'actionnariat salarié et l'épargne salariale, notamment les stock-options, ce qu'avait pourtant promis initialement le Premier ministre.

On comprend évidemment son embarras quand on connaît les positions extrêmes qu'ont prises sur le sujet certains de ses partenaires de la majorité plurielle.

L'examen du texte en commission a été à cet égard tout à fait éloquent. Il a montré un décalage évident entre le Gouvernement, qui s'est contenté de défendre un texte un peu fourre-tout, un peu « salade russe », sans grande logique, et la majorité plurielle qui voyait ici l'occasion de réaffirmer le primat de l'idéologie socialiste sur les réalités économiques. Le rapporteur n'a ainsi pas caché, au nom sans doute d'un colbertisme d'arrièregarde, son souhait de revenir aux grandes heures de la Direction du Trésor qui, à l'époque, administrait l'économie et attirait encore un certain nombre de hauts fonctionnaires de talent.

En fait, le projet de loi discuté aujourd'hui est un véritable fourre-tout, une mosaïque de dispositions visant à renforcer le pouvoir de contrôle de l'Etat sur le marché.

Il est bien loin de garantir un meilleur fonctionnement du capitalisme français, qui en aurait pourtant besoin.

Avec ce texte, vous revenez sur l'héritage des années quatre-vingt, qui avait permis une ouverture des marchés et une diffusion de l'innovation fortement favorable à la croissance économique. Sous couvert de protection de la transparence des marchés, vous confondez contrôle de la régularité, par exemple des opérations boursières, et contrôle de l'opportunité de ces décisions.

Vous confondez aussi régulation et réglementation. La régulation suppose la fixation de règles du jeu minimales pour assurer le fonctionnement correct du marché. Loin d'être un monopole d'Etat, elles peuvent également consister en règles déontologiques établies par des professionnels. Au contraire, vous multipliez les entraves et les procédures contraignantes, avec une inflation des sanctions administratives et des procédures d'agrément. Il n'est à ce sujet pas inutile de rappeler que la France dispose d'un des environnements réglementaires les plus restrictifs. Elle se classe dix-huitième sur vingt et un pays, dans l'ordre du moins restrictif au plus restrictif, d'après un récent classement de l'OCDE. Dans la catégorie

« obstacles à l'activité de l'entreprise et réglementations administratives », la France est sans doute la plus réglementée parmi les pays de l'OCDE.

Par ce projet de loi, vous accentuez la surveillance de l'Etat sur les marchés. Vous prétendez vouloir mener une politique antitrust mais vous ne rechignez pas à laisser en place des monopoles publics - on l'a bien vu avec l'application a minima de la directive « Electricité » que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat - et à favo-


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riser les géants nationaux en alourdissant les procédures de contrôle, en allant parfois même à l'encontre des souhaits de Bruxelles.

Le texte pose ainsi la supériorité de la régulation par l'Etat sur la régulation orchestrée par les acteurs du marché, seuls pourtant à même d'opérer les arbitrages cohérents et efficaces. Il fait passer des considérations d'opportunité et d'ordre politique devant la régulation normale de la concurrence.

Ainsi, sous prétexte de transparence, on peut soupçonner le Gouvernement de vouloir reprendre en main le grand monopoly du capitalisme français. Le déroulement d'une future opération de concentration dans le secteur bancaire, par exemple, relèvera du parcours du combattant : contact obligatoire avec le ministre de l'économie et le gouverneur de la Banque de France, agrément du CMF, intervention de la COB, aval du CECEI. Il faudra de la patience et de l'abnégation à un chef d'établissement bancaire pour organiser la croissance externe de son entreprise ! Il est vrai qu'il ne reste plus beaucoup, dans le paysage bancaire français, de banques susceptibles de se voir appliquer ce genre de dispositif.

Le manque de pragmatisme de votre texte est flagrant, mais ce n'est pas tout. Il en est ainsi de l'obligation, pour l'initiateur de l'offre publique, de se rendre devant le comité d'entreprise de la société cible et d'exposer son projet. Cette mesure, qui existe déjà d'une certaine manière, se révélera certainement inutile, car c'est ignorer que, dans la plupart des cas, les sociétés initiatrices n'ont de cesse de demander à être reçues par les comités d'entreprise des entreprises cibles pour convaincre les salariés de ces dernières du bien-fondé de leur opération. Or ce sont précisément les comités d'entreprise qui ne souhaitent pas recevoir des personnes considérées comme indésirables et hostiles.

On pourrait développer à l'envi les nombreuses incohérences et limites du texte concernant la grande distribution ou la réforme du droit des sociétés. Mais un autre sujet, qui ne fait malheureusement l'objet que de sept articles, doit retenir notre attention. Je veux parler, bien sûr, de la lutte contre le blanchiment de l'argent sale. Ici, bizarrement, vous n'allez pas assez loin. On comprend mal d'ailleurs le décalage entre votre acharnement à vouloir moraliser les activités économiques légales et votre peu d'engagement dans la lutte contre ce fléau.

Les dispositions que vous nous proposez d'adopter dans le texte sur les nouvelles régulations économiques ne vont manifestement pas assez loin. Si, dans son article 20, le projet allège à raison la charge de la preuve qui pèse sur les autorités de contrôle dans le cas d'une infraction à l'obligation de déclaration de soupçon à TRACFIN, il ne va pas au bout de sa logique dans son article 19. Le projet de loi y étend le système de prévention du blanchiment à de nouvelles professions, ce qui est tout à fait louable. Mais deux professions manquent à l'appel : celle des avocats, des experts juridiques ou des conseillers juridiques et des experts-comptables. Il ne s'agit évidemment pas de jeter l'opprobre ou le soupçon sur des professions qui sont parfaitement honorables. Mais il apparaît qu'à l'origine de certains montages juridiques qui traduisent des blanchiments de capitaux provenant, par exemple, de la drogue ou d'autres activités illicites, on trouve effectivement d'importants cabinets de conseillers juridiques, généralement internationaux et ayant des implantations non seulement en France mais aussi dans des paradis fiscaux.

Même si le débat sur le blanchiment, qui a longtemps hésité entre la « simili » négation du phénomène et l'affirmation péremptoire de son existence, est résolu, le problème demeure. A partir de là, toute réflexion sur le sujet implique une volonté politique clairement affirmée des

Etats et une coopération européenne et internationale. Pour cela, n'est-il pas nécessaire sinon indispensable d'identifier l'ennemi, c'est-à-dire de définir enfin le concept de criminalité organisée ? Je l'ai d'ailleurs proposé en commission des finances.

Cette criminalité organisée est responsable du recyclage de milliards de dollars - on parle de 450 à 500 milliards de dollars chaque année - dans les économies développées. Notons que ce concept de criminalité organisée ne doit pas être confondu avec celui de criminalité économique.

Mon propos n'est évidemment pas de minimiser voire d'excuser la criminalité économique aux conséquences morales et pratiques désastreuses pour les économies occidentales. Mais il est indispensable que cessent les confusions. L'ennemi le plus dangereux, mortel pour nos démocraties, qu'il est vital de comprendre, de démasquer et de combattre en priorité, est le crime organisé transfontalier. En effet, dans la plupart des cas, en matière de criminalité économique, les acteurs sont connus. Cela ne signifie pas d'ailleurs qu'il ne soit pas parfois difficile de les poursuivre, et c'est dommage.

Le recours à la violence, par exemple, procède d'une logique structurelle, voire normative, pour le crime organisé ; c'est l'inverse pour la criminalité économique d'où il est, presque par principe et sauf exceptions rares, quasiment exclu.

Enfin, l'illégalité est à l'origine du capital du crime organisé et elle l'accompagne tout au long de sa vie jusqu'au stade du blanchiment. L'illégalité dans la criminalité économique intervient comme une perversion dans un trajet légal puisque, à l'origine, il s'agit d'un capital dont la légalité n'est pas mise en doute. Dans un cas, il s'agit de blanchir ce qui est noir, dans l'autre, de noircir - si l'on peut dire - ce qui est blanc. Si, en aval, au stade des circuits financiers illicites, les procédés opératoires révèlent des mécanismes communs, la priorité doit être accordée à la lutte contre le crime organisé ; cela permettra également, en corollaire, de comprendre les circuits illicites de la criminalité économique.

A ce jour, hélas ! on est loin d'une telle définition - si l'on excepte l'Italie avec son article 416 bis du code pénal et les Etats-Unis avec la loi Rico. Pour mémoire, je rappellerai que le Conseil européen a adopté, le 25 avril 1997, un programme d'action relatif à la criminalité organisée où il invite les Etats membres à évoluer dans ce sens pour répondre à la nuisance que fait peser sur notre société la criminalité organisée.

Poser les règles du jeu, sanctionner les manquements aux règles, tel est le fonctionnement de la démocratie, le cadre de l'Etat de droit. Et c'est, je crois, le but de votre projet de loi. Or, si tout le monde s'accorde pour reconnaître la spécificité et la dangerosité du phénomène mafieux et ses nombreux renouvellements actuels, en particulier avec les mafias russes, les débats ont tendance à s'enliser sur le terrain de sa définition. J'ai pu le constater, en tant que secrétaire d'Etat au budget, à l'occasion de stériles palabres entre les tenants d'une définition énumérative et limitative de la criminalité organisée et ceux qui penchent vers une appréhension globale du phénomène à partir de la notion d'appartenance à une organisation criminelle.


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Les organisations criminelles maîtrisent les techniques du droit des affaires et de la finance, même si leurs investissements ne répondent pas à la logique du marché. En effet, elles utilisent les « exutoires » de l'économie mondiale que sont les paradis fiscaux dont certains sont sur le continent européen, voire font partie de l'Union européenne. Les mafieux se servent du secret bancaire pour pénétrer l'économie du monde développé.

C'est pour toutes ces raisons que me paraît fondamentale la question de l'élaboration d'une codification qui, prenant en compte la spécificité du phénomène mafieux, éviterait les amalgames, sources de confusion, avec la délinquance de droit commun. N'est-il pas temps, enfin, de mettre à la disposition des magistrats, policiers et autres intervenants des outils juridiques adaptés à leur mission, laquelle nécessite, entre autres, une définition légale commune au moins à tous les Etats de l'Union européenne ? Face à des organisations criminelles transnationales par nature, implantées à la fois dans les mégalopoles du sud, les grandes métropoles occidentales depuis les zones grises jusqu'aux cités de banlieue, il ne saurait y avoir de réponse seulement nationale. Or, à ce jour, à l'exception des Etats-Unis et de l'Italie, les systèmes répressifs des

Etats sont pour la plupart inadaptés à la criminalité financière transfrontalière. Ainsi, aujourd'hui, à l'intérieur même de l'Union européenne, les Etats membres tentent péniblement d'organiser une coopération administrative, policière et judiciaire digne de ce nom ; au point qu'il y a peu, quelques magistrats en ont été réduits à lancer l'appel de Genève, véritable cri de détresse face à l'inertie du monde politique.

Il est urgent de dépasser le stade des déclarations d'intentions du troisième pilier du traité de Maastricht ; celles-ci ne doivent pas rester lettre morte face au crime organisé et aux nouvelles formes de grand banditisme financier organisé qui ont démontré depuis longtemps l eurs facultés d'adaptation à l'évolution du monde moderne et à la mondialisation. Le secteur privé, les entreprises européennes ont besoin de défenses efficaces face à l'argent noir brassé par les criminalités organisées et susceptibles de fausser les règles normales de la concurrence.

En matière de blanchiment, sauf à vouloir conserver une législation hypocrite et dénuée d'efficacité, il convient d'introduire dans le droit pénal français, pour lutter contre le blanchiment, la notion de renversement de la charge de la preuve. Les paradis fiscaux continueront, sinon, à être les sanctuaires inviolés où sociétés fiduciaires, trustees et autres avocats « marrons » abritent les fonds de crime organisé. Ce qui se passe pas si loin de chez nous, au Liechtenstein, par exemple, et dans d'autres micro-Etats européens en est la preuve.

Quelle serait donc, très rapidement, cette définition de l'appartenance à une organisation criminelle ? Constituerait donc une organisation criminelle tout groupement ou entente établi qui, par constitution de bande organisée, ou par détention, transport, dépôt d'armes et d'explosifs, ou par toute atteinte aux personnes, aux biens et à la confiance publique, ou par abus, détournement de fonctions électives ou des pouvoirs que confèrent des activités publiques ou professionnelles, a pour but : de commettre des crimes et des délits, ou de réaliser pour soi ou pour autrui des profits et avantages illicites, ou de prendre directement ou indirectement le contrôle de tout ou partie d'activités économiques, financières, commerciales ou civiles, ou de détourner les règles d'attribution des marchés publics, des aides, subventions et allocations publiques, nationales, communautaires et internationales.

Ainsi pourrait-on, mes chers collègues, définir clairement le concept d'appartenance à une organisation criminelle qui, seul, permet d'atteindre véritablement ces organisations ; et ajouter au délit d'association de malfaiteurs celui, plus large et plus spécifique, d'appartenance à une organisation criminelle qui introduit la notion de renversement de la charge de la preuve, seule à même de lutter efficacement et sans hypocrisie contre le blanchiment.

Ainsi, il ressort à l'analyse que ce texte sur les nouvelles régulations économiques, largement insuffisant sur la question du blanchiment, réglemente à l'excès l'économie légale. Votre gouvernement ne rompt pas avec le passéisme socialiste et abuse, malheureusement, du mélange des genres en confondant volontairement ? - règles prudentielles et interventions d'opportunité de l'Etat sur les marchés.

Nous vous l'avons déjà dit plusieurs fois, le groupe Démocratie libérale ne pourra voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République).

Mme la présidente La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous ressentons vivement dans nos circonscriptions, le scepticisme mi-désespéré mi-amusé de nos mandants quant à l'utilité, la pertinence et la force de la volonté politique. Partout, on réclame des règles, des normes, des décisions, des arbitrages effectifs donc sanctionnés, et nulle part nos concitoyens n'ent trouvent assez à la mesure de leurs problèmes. S'exprime alors sans grande limite la force brute, voire brutale des marchés, aujourd'hui présentée comme naturelle, qui n'a envahi l'espace public qu'à raison nous devons le dire - d'une succession progressive de choix politiques passés.

Ce texte doit nous aider à reconquérir le terrain de la confiance perdue dans l'utilité d'une République qui a trop souvent été, pour des millions de nos concitoyens, aux abonnés absents. Quinze années de libéralisation des transactions financières ne se sont pas accompagnées de l'affirmation concomitante de règles du jeu, contreparties que les démocraties de l'euro n'ont pas su imposer à temps. Nous découvrons aujourd'hui, avec une curieuse faiblesse, que le capitalisme financier a laissé s'investir et prospérer en son sein, par les procédures les plus usuelles de la vie des affaires, l'argent issu de crimes et de délits graves, faute de sécurisation des systèmes de paiement.

En l'absence de réaction juridique des Etats, les fonds fiduciaires - qu'on les appelle trust, anstalt ou fiducie qui organisent l'anonymat des ayants droit économiques, sont devenus les outils très prisés, en explosion partout dans le monde, de l'introduction dans les économies saines de l'argent illégal que l'on cherche à recycler.

Nous mesurons aujourd'hui la force de nuisance des paradis financiers, dont parlait M. d'Aubert, qui utilisent la défiscalisation pour attirer les capitaux, le secret bancaire et fiduciaire pour les protéger et le refus de la coopération judiciaire pour les sanctuariser.

Les paradis fiscaux sont progressivement et insensiblement devenus des paradis judiciaires, version désuète mais sémantiquement juste du nouveau « centre off shore » ainsi


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rebaptisé pour les besoins du web marketing de ces micro-

Etats assurant au secret bancaire une protection supérieure, d'essence quasi constitutionnelle et, pour certains d'entre eux, quasi monarchique.

On compare, aujourd'hui impuissants, la vitesse supersonique à laquelle les capitaux circulent de centre off shore en centre off shore aux années nécessaires à la reconstitution judiciaire des preuves par nos juges et tous les juges du monde, européens ou non.

C'est ainsi que la dérégulation financière décidée par de nombreux pays a placé l'ordre public dans un état d'infériorité chronique. L'économie a été globalisée, sans que les standards minima de sécurité et d'ordre public aient été installés et imposés.

Ce sont les juges européens, pour la plupart issus de pays où sévissent mafias, terrorisme et corruption, qui ont hâté cette prise de conscience en 1996, date de leur appel dit de Genève.

S'est alors engagé un mouvement mondial, tendant au démantèlement des centres off shore

L'Organisation mondiale du commerce - c'est un point important - a récemment, et pour la première fois, condamné, sur le plan du respect de la loyauté commerciale internationale, l'utilisation insistante par les entreprises américaines des paradis off shore situés dans la zone d'influence des Etats-Unis.

Le groupe d'action financière vient de dresser la liste des vingt-trois critères des territoires dits non coopératifs qui refusent d'appliquer ses quarante recommandations et devrait publier dans quelques mois la liste des pays délinquants. Cette perspective de sanctions - pensez donc, figurer sur une liste ! - provoque des tremblements dans ces territoires confettis qui ont pourtant bâti leur développement sur une stratégie nationale de protection du secret des avoirs.

Grâce au sommet de Tampere, l'Union européenne a fait entrer dans l'acquis communautaire les exigences du GAFI, au point que, aujourd'hui, nous constatons que certains candidats off shore à l'adhésion proposent l'abandon de leur PNB off shore contre les fonds structurels communautaires ! Les temps changent.

Pendant le temps durant lequel la pression multinationale s'est accentuée, les initiatives bilatérales ou unilatérales des Etats, européens surtout, se sont multipliées.

Les Italiens et les Espagnols ont engagé des démarches au niveau politique, judiciaire et diplomatique à l'égard de Gibraltar, du Liechtenstein ; les Allemands à l'égard de Monaco et du même Liechtenstein ; les Néerlandais et les Belges à l'égard du Luxembourg ; les Britanniques et les Américains à l'égard de Chypre.

La France, outre son travail moteur dans les enceintes internationales, a lancé un travail parlementaire pour mettre en évidence des vérités qui fâchent, mais qui font progresser la cause de ce nouvel ordre public international.

Les mots peuvent-ils suffire si on ne les mesure pas à l'aune d'actes ? La rhétorique de la dénonciation à l'oeuvre depuis des années se fatigue si elle n'est pas suivie de décisions politiques et de mise en place de sanctions.

Les actes, les voici donc ! Ils sont dans le texte que nous examinons depuis hier.

Votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, rattrape en premier lieu le retard pris par la France dans les années quatre-vingt-dix pour lutter contre la délinquance économique et financière et contre le blanchiment.

Les dix dernières années de relative inaction législative et juridique dans la modernisation de notre arsenal judiciaire nécessitaient un rattrapage : élargissement de l'inf raction d'association de malfaiteurs aux infractions économiques et financières - c'est un point important ; allégement de la charge de la preuve dans ces matières ; renforcement des mécanismes de saisie et confiscation.

En matière de modernisation des mécanismes répressifs, les pays européens sont aujourd'hui engagés dans une course à l'armement judiciaire, en raison de l'obsolescence accélérée des mécanismes mis en oeuvre contre la délinq uance dite astucieuse, si difficile à faire reculer.

Déjà, - c'est un point qu'il faut signaler dans nos débats quatre Etats membres de l'Union européenne disposent d'une législation qui prévoit la répression de la simple négligence en matière de blanchiment. C'est le cas du Danemark, de l'Allemagne, de l'Espagne, du RoyaumeUni.

Vous aurez observé que malgré les pas de géant que ce texte fait accomplir à notre pays, nous n'allons toutefois pas jusque-là.

Mais le plus grand mérite de ce projet de loi est lié au caractère radicalement novateur et avant-gardiste - je n'hésite pas à employer cette métaphore picturale - du dispositif de sanction à l'égard des centres off shore.

La France a, dans ce projet de loi, et je veux rendre hommage ici à notre garde des Sceaux, pris la tête du combat européen contre l'argent sale. Elle invoque des modes d'actions, elle fera école et elle fera date. Les déclarations de soupçon systématiques à l'égard des opérations financières en provenance ou à destination des centres off shore ou territoires dits non coopératifs ; les interdictions possibles par décret de tout mouvement financier en provenance ou à destination de ces territoires ; les déclarations de soupçon à l'égard des opérations utilisant des fonds fiduciaire - c'est un amendement de la commission des lois - bref, tout cet arsenal radicalement nouveau dans le paysage européen - l'embargo notamment accroîtra les menaces concrètes - sur les territoires non coopératifs et centres off shore , et les risques que les opérateurs prendront en faisant usage de fiduciaires, de trusts, d'Anstalt et de tout autre bric-à-brac que nous connaissons du monde des affaires.

Comme dans tout exercice de volonté politique, surtout à l'égard de phénomènes qui comme les mouvements de capitaux ne connaissent pas les frontières, il ne suffit pas d'être les premiers, il faut - j'en suis d'accord avec l'opposition parlementaire - surtout ne pas être seul à décider l'instauration de sanctions.

Je voulais donc signaler aux détracteurs de ce texte qui, à droite, stigmatisent l'exercice par le Gouvernement et sa majorité parlementaire d'une grande volonté politique que le Congrès américain examine en ce moment même une loi HR 3886 - c'est son nom - déposée par quatre représentants « relative à la prise de mesures spéciales à l'encontre de territoires off shore ».

Cette loi, que vous pouvez consulter sur le site Internet du Congrès, permet au gouvernement américain d'« exiger des institutions financières ou des établissements de crédit américains l'enregistrement ou l'établissement d'un rapport sur le montant global des transactions ou sur chaque opération, faisant intervenir une entité off shore située dans un territoire suspect de procéder à du blanchiment ».

Ces projets de mesures, en discussion actuellement, ont reçu le 8 mars 2000 le soutien de l'administration Clinton. Le Département des finances et de la justice a pré-


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senté à cet effet un rapport insérant, dans sa « stratégie nationale » de lutte contre le blanchiment, les mêmes mesures coercitives que celles que nous voulons voter et que vous contestez, je le crois, à tort.

Je voudrais répondre aux différents orateurs de l'oppo-s ition parlementaire - M. Auberger, M. Jégou et d'autres - que nous avons entendu reprendre - non sans naïveté quand ce n'était pas de la faiblesse - l'argumentation de l'Association française des banques - pleurnichant sur je ne sais quelle tentation de l'exemplarité.

En vérité, d'isolement, il n'y a point - la Chambre des représentants des Etats-Unis nous le prouve ; l'exemplarité, nous avons trop longtemps attendu après elle, et d'ailleurs après vous.

Monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité parlementaire ne cache pas sa grande satisfaction concernant les mesures historiques sur lesquelles vous sollicitez son appui. Cet appui, vous l'avez avec force et reconnaissance pour ce grand et bel ouvrage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous abordons ce soir un projet de loi important qui vise à corriger l'erreur de communication du Premier ministre qui nous expliquait dans son intervention télévisée du 23 septembre dernier qu'il ne fallait pas tout attendre de l'Etat ou du Gouvernement et que ce n'était pas par la loi et par les textes que l'on allait réguler l'économie. Face au tollé provoqué par ces propos, au sein notamment de la branche communiste de la majorité, le Gouvernement a annoncé le dépôt d'un grand texte visant à réguler les relations économiques de notre pays, n'hésitant pas, par ce geste, à contredire les paroles de bon sens du Premier ministre.

Elu du Vaucluse, je souhaiterais consacrer l'essentiel de mon intervention dans cette discussion générale à la question des fruits et légumes. Si le temps me le permet, je rajouterai un mot sur les produits de montagne, et notamment les AOC, chers au coeur de mon collègue Bernard Accoyer.

Comme vous le savez, le secteur des fruits et légumes connaît dans notre pays depuis maintenant plusieurs années une crise importante, qui met en péril de nombreuses exploitations. Nos producteurs ont dû gérer tout à la fois des conditions météorologiques particulièrement d éfavorables, une concurrence acharnée, et souvent déloyale, des pays du Sud de l'Europe et du Maghreb, ainsi que des relations placées sous le signe du conflit et de la dépendance avec certains représentants de la grande distribution.

C'est sur ce troisième point que je m'attarderai à l'occasion de ce débat.

Il faut reconnaître que l'annonce de votre projet de loi a suscité, monsieur le secrétaire d'Etat, un espoir chez les producteurs. En effet, certaines pratiques commerciales mises en oeuvre par les centrales d'achat, certaines attitudes de la grande distribution ont poussé nos producteurs de fruits et légumes au bord de la faillite et nécessitent une intervention forte et rapide des pouvoirs publics.

Si l'Etat ne doit pas tout réglementer, si nous avons combattu et continuerons de combattre tous les projets visant à contraindre les entreprises, à enfermer le dialogue social dans un cadre étroit et inadapté, à apporter toujours plus d'Etat et d'administration là où la liberté d'entreprendre devrait prévaloir, le législateur doit cependant intervenir quand il le peut pour faire en sorte que des relations commerciales entre partenaires économiques soient fondées sur des pratiques d'équilibre permettant la mise en oeuvre d'une saine concurrence entre les acteurs.

Or, force est de constater que tel n'est pas le cas depuis quelques années en matière de distribution en ce qui concerne les fruits et les légumes.

L'omnipotence des grands groupes de la distribution et la puissance économique des centrales d'achats permettent des pratiques commerciales tout à fait préjudiciables au marché.

Qu'il s'agisse des prix de promotion toujours plus tirés vers le bas jusqu'à ce qu'il ne reste plus de marge pour le producteur, de l'exigence de ristournes sans réelles contreparties commerciales, des pressions pour organiser bien avant la récolte les promotions de l'été à venir ou bien encore du chantage permanent au déréférencement, nous pouvons tous constater et déplorer que la grande distribution use, et je dirais même abuse, d'une position économique dominante face à des producteurs de fruits et légumes de plus en plus fragiles et dépendants.

C'est ainsi que les efforts considérables consentis par nos agriculteurs en termes de qualité et de reconnaissance de la traçabilité du produit ne se retrouvent hélas pas sur les étals de nos marchés et ne sont pas financièrement récompensés comme ils devraient l'être.

Votre projet initial est bien en deçà des légitimes revendications du monde agricole.

Vous prévoyez dans votre texte qu'un accord interprofessionnel puisse interdire les annonces de prix sur catalogue alors qu'il aurait été bien plus efficace de renverser le dispositif en disposant l'interdiction de la publicité comme principe, sauf accord interprofessionnel.

M. Arthur Dehaine.

C'est vrai !

M. Thierry Mariani.

C'est ce que propose la rédaction issue des travaux de la Commission de la production et des échanges, à laquelle, bien sûr, je me rallie.

Votre texte ne prévoyait pas la possibilité de fixer un prix minimum payé aux producteurs en cas de crise. Là encore à l'initiative notamment de l'opposition, un article additionnel après l'article 27 a permis d'avancer.

M. Jean-Paul Charié.

Ça ne sert à rien !

M. Jean-Pierre Brard.

On n'est jamais trahi que par les siens !

M. Thierry Mariani.

Vous en savez quelque chose, monsieur Brard ! Enfin, s'agissant des contrats passés entre les producteurs et la grande distribution, certains garde-fous doivent être posés.

Ces contrats devront obligatoirement comprendre des clauses sur la durée, les volumes, les qualités, les éléments financiers, les éventuelles pondérations en fonction d'un calendrier, les lieux de livraison adaptés à la taille des fournisseurs, les conditions de réapprovisionnement hors contrats, les litiges spécifiques aux qualités des produits ou services, les conditions financières en cas de nonrespect des engagements, les exceptions en cas de force majeure, et enfin les conditions de rupture du contrat.

M. Jean-Paul Charié.

Très bien.

M. Thierry Mariani.

Enfin, je souhaiterais insister sur l'avantage qu'il y aurait à mettre en place un coefficient multiplicateur permettant de réguler les prix des fruits et


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légumes en cas de crise. Il est en effet fréquent de constater que des produits payés à un prix très bas au producteur sont revendus cinq fois plus cher au consommateur.

Mon collègue de Vaucluse, Jean-Michel Ferrand, reviendra sur cette question prépondérante pour les producteurs de ce secteur. L'instauration d'un coefficient pourrait à notre sens moraliser les marges très importantes réalisées par la grande distribution.

Encore une occasion manquée finalement, monsieur le secrétaire d'Etat.

Mme la présidente.

Veuillez conclure, monsieur le député.

M. Thierry Mariani.

La grande distribution s'en tirera une fois de plus. Elle usera habilement de toutes les aides que vous avez imaginées pour accompagner certaines de vos décisions, telles la réduction du temps de travail, tandis que les PME et les producteurs n'auront qu'à subir les conséquences les plus pénalisantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Brigitte Douay.

Mme Brigitte Douay.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le deuxième volet du projet de loi dont nous débattons consacré à la moralisation des relations commerciales et au contrôle des concentrations, en clair les relations entre distributeurs et fournisseurs, suscite de réels espoirs chez nombre de producteurs, de PME, et donc de salariés. Ils ont en effet le sentiment d'être mis en coupe réglée par ce « système de prix prédateurs, de dépendance économique ou de fausse coopération commerciale » dénoncé par la mission parlementaire d'information sur la distribution et dont ils sont en même temps les partenaires et les victimes.

Il est beaucoup question dans ce débat des fruits et légumes, dont les producteurs ont été à l'origine de la revendication. J'ai envie pour ma part de parler aussi des producteurs d'endives, cette perle du Nord, dont 5 à 10 % disparaissent chaque année, quand le kilo leur est acheté deux francs et ne se trouve jamais à moins de dix francs en rayon.

M. Jean-Michel Ferrand et M. Jean-Paul Charié.

Très juste !

Mme Brigitte Douay.

Mais si l'agriculture est la victime la plus visible, la plus médiatisée, de la multiplication des pratiques commerciales déloyales et d'un système déséquilibré, tous les types d'industrie sont touchés.

Elue d'un Cambrésis où le textile représente encore 35 % de l'emploi industriel, je veux ici témoigner de la situation vécue par des industriels, des confectionneurs et des brodeurs qui ne manifestent pas, qui restent silencieux et isolés. La vérité, c'est qu'aucun ne veut être cité par crainte de représailles économiques.

Je pense en effet à ce brodeur humilié par un acheteur en ces termes : « Je vous mettrai à genoux ». Je pense aussi à cette fabricante de rideaux découvrant dans un catalogue un produit identique à celui qu'un « Vépéciste » lui achetait jusqu'alors, sans même avoir été prévenue de ce changement de fournisseur. Ou encore à ce cadre commercial me racontant d'indécentes séances où, mal assis pendant des heures dans des salles surchauffées, les représentants de sociétés en concurrence sont comme mis à nu par des acheteurs formés à « tuer les coûts », selon le terme consacré. Mais voilà, les tueurs de coûts peuvent aussi tuer l'emploi et la dignité.

M. Eric Besson, rapporteur.

Très juste !

M. Jean-Paul Charié.

Très bien.

Mme Brigitte Douay.

Il faut bien mettre des visages derrière les problèmes abordés dans le passionnant rapport de notre collègue Le Déaut, même si c'est dans la discrétion qu'est vécue cette violence quotidienne, cette soumission à des contrats léonins qui fait que, producteur de fruits dans le sud, d'endives dans le Nord, confectionneur, brodeur ou industriel, on peut être quasiment otage d'un acheteur dominateur qui dit - et croit sans doute parler pour le consommateur, mais sert d'abord le profit du propriétaire ou de l'actionnaire.

Un patron de la confection écrit ainsi aux élus après son dépôt de bilan : « Comment faire prendre conscience à nos donneurs d'ordre que leurs stratégies d'achat ont une influence prépondérante sur la vie des entreprises françaises et de leurs salariés ? Mais quelle importance au regard des milliards de profit que l'on peut réaliser en allant chercher toujours plus loin des produits fabriqués par toujours plus miséreux ? Nous sommes devenus au fil du temps tout juste des dépanneurs capables de réaliser des produits impossibles, ou utiles pour fabriquer des articles dont la matière a manqué le container qui partait pour ailleurs... C'est toujours à l'échelon supérieur que la décision de vous faire disparaître est prise sans que l'exécuteur ne soit culpabilisé le moins du monde... Quelles valeurs régissent donc le système ? » Dans sa lettre ouverte d'août 1999, la Fédération nationale des producteurs de légumes ne disait pas autre c hose : « Les crises sont d'abord celles des moeurs commerciales. » Le 3 avril, elle a encore écrit

: « Pratiques commerciales : attention rien n'a changé !... Le terrorisme et le chantage au référencement continuent. »

J'ai sous les yeux la liste des conditions commerciales particulières imposées à un fabricant par le contrat type d'une grande chaîne de distribution. Ecoutez cette litanie de charges : tarifs exceptionnels pour le développement des produits, ristournes quantitatives de fin d'année, remises exceptionnelles pour les nouveaux magasins, participation aux dépenses de publicité et de promotion, commission pour présence des produits dans la gamme du distributeur, frais de non-gestion, paiement pour présence de matériel de démonstration, rémunération pour garantir la présence des produits dans les linéaires, remise pour programmation anticipée de stocks, participation au budget de formation des forces de vente du distributeur, etc.

! Bref, il faut payer pour tout, sans arrêt. C'est vraiment la loi du plus fort. Comme les groupes de distribution deviennent de plus en plus puissants par le jeu des concentrations, les exigences montent toujours et le nombre des fournisseurs référencés diminue dramatiquement.

Parlant de la dernière mégafusion du secteur, un chef d'entreprise du Nord peut ainsi avertir : « Un plus un, ce n'est pas mieux, c'est moins, car nous n'avons plus deux, mais un seul client auquel nous consentons forcément une meilleure ristourne. »

Ainsi, conclut un producteur, « c'est la grande distribution qui nous gouverne. L'homme, dans cette guerre, n'a pas d'importance. C'est la productivité qui dicte sa loi. »

Le rôle des pouvoirs publics est donc de dénoncer les abus - nous l'avons fait -, de mettre de l'ordre dans la loi de la jungle. Les promesses de chartes et de codes de bonnes conduites ont montré leurs limites. Pour un commerce équitable, il faut aujourd'hui une meilleure régulation et davantage de transparence.


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J'ai retenu cette phrase prononcée par le Premier ministre lors des assises de la distribution : « Souvent, les fournisseurs acceptent de subir pour éviter de tout perdre.

Contre cette injustice, l'Etat entend agir au nom de la partie la plus faible ; c'est un véritable civisme commercial qu'il faut développer. »

En effet, derrière le système commercial, il y a des producteurs, des chefs d'entreprises et des salariés, des femmes et des hommes qui attendent que les pouvoirs publics, que leurs élus imposent un certain niveau de devoir à ceux qui ont un grand niveau de pouvoir. Pour que les consommateurs continuent de bénéficier de prix intéressants, pour que les grands distributeurs puissent continuer leur développement sur les marchés étrangers et y promouvoir les produits des fournisseurs, encore faut-il que les fournisseurs français soient en mesure de continuer à produire, à vivre décemment, à créer de l'emploi.

Dans cette voie, le texte qui nous est aujourd'hui proposé est une avancée vers davantage de clarté, d'équilibre et d'équité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arthur Dehaine et de M. Jean-Michel Ferrand.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à M. Jean-Michel Ferrand.

M. Jean-Michel Ferrand.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, certains des orateurs qui m'ont précédé ont rappelé que nous devons, en grande partie, le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques aux événements survenus l'été dernier dans la filière des fruits et légumes.

Il est vrai que ce secteur économique est particulièrement important, comme vient de le rappeler notre collègue Thierry Mariani. Cette filière, actuellement menacée, est essentielle tant d'un point de vue économique que sur le plan social puisqu'elle constitue la principale richesse de certains départements, qu'elle est le premier employeur de main-d'oeuvre dans le monde agricole, et qu'elle représente un secteur d'investissements importants, n otamment pour les serristes. Or, depuis plusieurs années, nous assistons, de façon cyclique, à des crises graves.

Parmi les causes essentielles de cet état de fait, figure le déséquilibre manifeste des relations entre les producteurs et la grande distribution. En effet, il apparaît que les fruits et légumes constituent, pour la grande distribution, un secteur à forte marge et que les prix bas à la production ne sont pas répercutés en faveur du consommateur.

M. Thierry Mariani.

Eh oui !

M. Jean-Michel Ferrand.

Ainsi, il est fréquent de constater que des produits payés à un prix très bas au producteur, souvent au-dessous du coût de revient, sont revendus parfois jusqu'à cinq ou six fois plus cher au consommateur, même en des périodes où l'offre et la demande sont en totale adéquation.

Ces pratiques ne profitent, à l'évidence, qu'à une certaine forme de distribution, puisque le producteur est sous-payé et que le consommateur surpaie le produit par rapport à son prix d'achat.

Bien que conscients du fait que le partage de valeur ajoutée se fait à leurs dépens, les producteurs sont contraints de vendre au prix qui leur est imposé, compte tenu du caractère périssable de leur production.

Face à ce problème, l'été dernier, en pleine crise, le Gouvernement a mis en place le double affichage sur les prix de ces produits. Il s'est agi du type même de décision en trompe-l'oeil, impossible à mettre en application et à contrôler, et, de toute façon, sans aucun effet ni sur le prix versé aux producteurs ni sur celui payé par le consommateur ! Or, monsieur le secrétaire d'Etat, je n'ai pas trouvé, dans ce projet de loi, de disposition permettant d'apporter une solution structurelle à ce problème grave. Les mêmes causes produiront donc les mêmes effets : les crises perdureront, des producteurs s'endetteront, des entreprises agricoles disparaîtront ! La seule mesure efficace pour lutter contre un système qui lèse le producteur et le consommateur est l'instauration d'un coefficient multiplicateur, en période de crise, supérieur lorsqu'il y a vente assistée, afin d'aider les petits détaillants et d'inciter la grande distribution à créer des emplois et à développer la vente assistée pour ces produits fragiles, ce qui lui évitera les pertes dues à leur manipulation par les clients.

Avec un tel système, si la distribution veut dégager une marge convenable, il faudra qu'elle paie correctement le produit et le consommateur ne le surpaiera pas. Et qu'on ne vienne pas me dire que cette mesure équivaudrait à la remise en vigueur d'un contrôle des prix, alors qu'il s'agit d'une moralisation des marges, en période de crise.

D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, l'ordonnance no 86-1243 de 1986 prévoit déjà que le secteur des fruits et légumes peut bénéficier du deuxième alinéa de son article 1er qui dispose qu'un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix, après consultation du conseil de la concurrence.

Je souhaite donc que cette deuxième partie soit ainsi amendée afin de favoriser une meilleure relation commerciale entre production et distribution, en rééquilibrant le partage de la valeur ajoutée et en permettant, en fonction du coefficient multiplicateur retenu par le ministe des finances, après consultation de l'ensemble des acteurs de la filière - mais il devrait être compris entre 1,6 et 2 - de faire bénéficier les clients d'un produit à un prix de toute façon moins élevé que celui qu'ils acquittent aujourd'hui.

Seul, un tel système permettra, en période de crise, à ces produits plus sensibles que d'autres, parce que rapidement périssables, de bénéficier d'une véritable moralisation des pratiques commerciales.

Est-il anormal que celui qui produit veuille vivre du juste revenu de son travail ?

M. Thierry Mariani.

Non !

M. Jean-Michel Ferrand.

Est-il anormal de rechercher un système dans lequel les intérêts des producteurs, des consommateurs et de la distribution seraient équitablement pris en compte ? Votre réponse à cette proposition d'instauration d'un coefficient multiplicateur pour les fruits et légumes en période de crise sera révélatrice de votre réelle volonté de moralisation des pratiques commerciales.

M. Arthur Dehaine.

Très bien !

M. Jean-Pierre Brard.

Vous qui n'avez jamais rien fait, on va voir !

M. Jean-Michel Ferrand.

Nous allons voir ce que vous allez faire lors du vote de l'amendement en cause !

M. Arnaud Montebourg.

Nous surveillons Carpentras !

Mme la présidente.

La parole est à M. Alain Rodet.

M. Alain Rodet.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mon intervention portera sur les articles figurant dans le titre II et concernant la régulation de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

concurrence car ils reflètent et traduisent les préoccupations de nombreux responsables professionnels et syndicaux.

Si l'on veut replacer les impératifs de compétitivité économique dans une vision d'ensemble plus cohérente, moins laxiste, moins résignée aussi vis-à-vis du parti pris idéologique du laisser-faire absolu, il faut essayer de remplacer les rapports de force par des rapports de droit. En effet, chacun a pu constater, car cela n'est pas nouveau, d'autant que des événements nous l'ont rappelé l'été dernier, que la brutalité commerciale générée par le déséqui libre croissant des relations entre supercentrales d'achat et producteurs pose aujourd'hui un problème grave qui a dépassé le cadre économique pour devenir une question de société.

Les assises du commerce et de la distribution, organisées au début de l'année, ont permis de réunir un assez large consensus sur les différentes mesures proposées dans ce domaine par le projet de loi, qui tendent à mieux garantir tout à la fois les intérêts des consommateurs et les perspectives d'activité des producteurs.

Les dispositions figurant dans le projet et relatives à la moralisation des pratiques commerciales devraient permettre des évolutions plus équilibrées, plus équitables, car les textes sont clairs dans leur formulation et, surtout, nous sentons une volonté très nette de publier les décrets d'application dans des délais extrêmement brefs.

A cet égard, il faut d'abord saluer la création d'une commission des pratiques commerciales et des relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs. Elle constituera un instrument intéressant à condition qu'elle ne se borne pas à une simple vocation d'observatoire.

Certes, cela présenterait déjà un certain intérêt, mais le texte lui permet d'aller au-delà en prévoyant un système de saisine, des sanctions et la possibilité d'un recours à la justice. Il s'agit d'avancées importantes, le rapport à présenter au Parlement pouvant également être intéressant s'il s'éloigne du rituel passéiste pour devenir la source d'un véritable système d'alerte et de vigilance.

Pour lutter contre les effets néfastes du mouvement continu de concentration dans la distribution, d'autres mesures sont nécessaires. A ce propos, je salue la panoplie des dispositions prévues aux articles 27 et suivants telles que la systématisation des contrats entre fournisseurs et centrales d'achat, le renforcement du contrôle du respect des clauses, l'encadrement juridique des opérations promotionnelles et la remise en chantier de la question lancinante du crédit fournisseur pour régulariser et moraliser les délais de paiement.

Aujourd'hui, lorsqu'il est question de concurrence, certains font des contresens assez troublants. La fameuse

« main invisible » héritée d'Adam Smith et de Léon Walras dont on nous rebat parfois un peu les oreilles est souvent celle du monopsone ou de l'oligopsone - c'est-àdire un seul acheteur ou peu d'acheteurs - face à une infinité de producteurs. Telle est en effet la réalité : cinq super-centrales d'achats, 70 000 producteurs en PME, 300 000 agriculteurs et 60 millions de consommateurs. Si aucune modification sérieuse n'était envisagée, nous risquerions l'asphyxie.

M. Arnaud Montebourg.

Tout à fait !

M. Alain Rodet.

De ce point de vue, je salue la lucidité et le réalisme de notre collègue Jean-Paul Charié - un peu isolé sur les bancs de l'opposition - qui a eu le mérite de reconnaître que la construction proposée, à condition qu'elle respecte l'ordonnance de 1986 et la loi de 1996, pourrait apporter des éléments intéressants.

M. Philippe Auberger.

Qui a fait la loi de 1986 ?

M. Alain Rodet.

Nous devons désormais élaborer un véritable code de la distribution. Certes, ce projet de loi ne suffira pas à épuiser le sujet, mais il permettra de réaliser des avancées significatives.

Au-delà des secteurs sensibles des fruits et légumes ou des carburants, beaucoup d'autres domaines sont touchés.

Mme Douay a évoqué le textile, mais on pourrait également citer d'autres productions agricoles comme l'élevage.

N'oublions pas, par exemple, que le plus grand vendeur de bijoux, en France, est aujourd'hui une super centrale d'achat dont le siège est situé près de Landerneau.

Si aucune mesure n'était prise, les dangers inhérents au système actuel seraient de plus en plus grands. C'est la raison pour laquelle il faut dépasser le débat politique et les divergences que ce texte suscite pour mettre rapidement en place un code de la distribution sur la base des dispositions du titre II du projet de loi.

Certes, le problème du déséquilibre entre producteurs et distributeurs ne sera pas définitivement réglé pour autant, mais l'on en reviendrait au moins à davantage de bon sens sans que cela constitue un retour à une économie administrée, contrairement aux allégations de certains.

En la matière, nous pouvons avancer rapidement, même si ce texte n'a pas provoqué un enthousiasme délirant. Il est vrai qu'aujourd'hui les consommateurs sont parfois quelque peu myopes. Ainsi ils ne s'offusquent guère quand une marque de chaussures de sport très appréciée tant par les jeunes que par les moins jeunes, amateurs de jogging ou d'autres sports, utilise, pour sa publicité, un très grand joueur de basket américain qui a touché, en royalties, quatre ou cinq fois le salaire des 35 000 ouvriers indonésiens qui fabriquent ces chaussures.

Le chantier est ouvert, car le projet ne mettra sans doute pas définitivement fin aux distorsions de concurrence. Il n'en représente pas moins une ouverture dont il faut saisir l'opportunité pour agir avec toute l'énergie disponible.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Vincent Peillon.

M. Vincent Peillon.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a un peu plus d'un an, le directeur général du FMI, citoyen français audessus de tout soupçon, déclarait que 3 à 5 % du PIB mondial étaient issus de la criminalité organisée, ce qui correspond à un montant supérieur au budget de la France. Or, il ne faut pas oublier que, derrière ces pourcentages se cachent des crimes qui sont à l'origine de cet argent sale qui gangrène nos économies et nos démocrat ies. Qu'il me suffise de citer les trafics d'armes, d'enfants, d'organes, de drogue ou la prostitution.

Si le débat pour ou contre la mondialisation n'a plus beaucoup de sens aujourd'hui, ce simple constat dressé par une personnalité autorisée doit provoquer une vive réaction de ceux qui considèrent que l'économie est un moyen et non une fin et que le développement de la richesse mondiale doit continuer de servir certaines valeurs.

Nul, sur ces bancs, n'a la naïveté de penser que cette préoccupation nouvelle des grands organismes internationaux procède de considérations éthiques ou juridiques, même si, dans son discours introductif, le ministre de l'économie et des finances a fait part de sa


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

fierté de constater que, souvent sous l'impulsion de la France, ces questions étaient désormais évoquées dans les réunions du G7 ou au sein du FMI.

En réalité, cette réaction est née de l'inquiétude provoquée, depuis deux ans, par la multiplication des crises du système financier international, dont certains analystes ont clairement montré qu'elles étaient liées à une absence de régulation. Il n'empêche que nous devons nous servir de ces préoccupations pour promouvoir la lutte contre le crime organisé.

A cet égard, nous devons nous féliciter que, comme l'a rappelé Arnaud Montebourg, au travers des positions prises par Mme la garde des sceaux, qui ont débouché, au sommet de Tampere, sur la construction de l'espace judiciaire européen, au travers des positions défendues au nom du Gouvernement par Dominique Strauss-Kahn au sein du G7 et du FMI, la France a cherché à faire avancer de façon résolue et exemplaire la lutte contre le blanchiment des capitaux. Cela est bien, car il est évident que la France n'est elle-même que quand son action est conforme à son message universel. En la matière, cela est illustré de deux façons.

La première est la manifestation d'une volonté affirmée d'agir dans ce domaine. Certes, on peut toujours considérer qu'il y a presque quelque impudence à vouloir être les premiers à prendre des mesures qui semblent n'avoir aucune chance d'être reprises ailleurs. Cependant, on constate que la communauté internationale s'apprête maintenant, sous notre impulsion, à prendre des dispositions qu'il n'était pas imaginable de voir mises en oeuvre il y a un ou deux ans.

Ainsi sera élaborée cette fameuse liste des territoires délinquants du GAFI si souvent évoquée, ce qui constituera une avancée déterminante. Or, il y a deux ans, nul n'aurait pensé qu'elle pouvait être dressée à si brève échéance et que la simple annonce de son élaboration allait avoir des conséquences dans certains pays qui craignent de figurer sur cette liste.

La deuxième illustration du rôle de la France est l'exemplarité. En effet, depuis des années on attend, dans ce combat, que quelqu'un tire le premier, puisque les problèmes qui sont en cause dépassent le cadre national comme l'a rappelé M. d'Aubert. Chacun attendait donc que d'autres réagissent. Or une telle attitude ne permet pas d'avancer. Ainsi que cela a toujours été le cas dans l'histoire, il faut bien qu'un pays fasse le premier pas.

Du point de vue de la lutte contre le blanchiment qui m'intéresse plus particulièrement, ce texte n'est pas complet. Il mériterait d'être amélioré. A ce propos nous n'avons pas abordé une question, qui devrait pourtant nous préoccuper davantage au niveau national, celle de l'efficacité de TRACFIN. Nous n'avons pas davantage évoqué la question des avocats parce que nous attendons l'aboutissement des discussions sur la révision de la directive de 1991.

N éanmoins, l'article 20 du texte en discussion comporte une mesure essentielle qui ouvre une voie nouvelle dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, donc dans celui de l'organisation du système financier international. Elle donne en effet à l'Etat, audelà de l'exigence que soient déclarées toutes les transactions avec les centres off-shore , la capacité, en ce sens exemplaire, d'intervenir sur les transactions financières.

Le débat parlementaire a permis d'enrichir le texte en étendant les obligations de soupçon à toutes les opérations impliquant des sociétés dont on ne peut connaître les ayants droit économiques. C'est également là un point essentiel. Dans ce combat, chacun comprend, j'en suis convaincu, que l'enjeu va bien au-delà de la simple question du blanchiment ou de la criminalité : c'est le type de société dans lequel nous voulons vivre qui est en question. En ce sens, l'article 20 me paraît indiquer très nettement une orientation : nous ne souhaitons pas vivre dans une société dans laquelle le profit l'emporterait sur la justice, et l'arbitraire sur le droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, après des interventions aussi nombreuses et riches, il me semble nécessaire de repréciser quelque peu, fût-ce brièvement, les termes de notre débat.

Le projet de loi présenté par le Gouvernement s'intitule « projet de loi sur les nouvelles régulations économiques ». Certains d'entre vous, dont M. Gantier, ont parlé de titre trompeur : nous en assumons pourtant tous les termes et M. Peillon vient de le redire excellemment.

La régulation a tout d'abord pour objet d'assurer le fonctionnement correct d'un système complexe. C'est la définition qu'en donne la biologie, c'est le sens que l'on peut retenir en économie : un mode de contrôle qui permet le maintien d'un système chaque fois que sa stabilité est menacée.

La régulation, c'est ce que le système libéral économique a inventé - mais qu'il se garde du reste bien d'instituer - pour corriger ses imperfections, ses manquements et ses abus. Ce n'est donc pas un hasard si le terme de régulation renvoie directement à une longue tradition de la gauche, celle par exemple des démocrates américains - Roosevelt - ou celle, citée hier soir par l'un des orateurs, du travaillisme avec Wilson.

C'est une nouvelle voie qui procède d'une conviction forte. En l'inscrivant au coeur de son action, le Gouvernement récuse l'idée selon laquelle l'économie, les échanges, la finance n'ont aucun lien avec l'histoire et la société, n'ont aucun destin commun avec la vie intellectuelle et les mouvements sociaux, aucune interdépendance avec les hommes et leurs institutions. Penser cela reviendrait précisément à mépriser le commerce et l'industrie, à décourager l'innovation et la capacité d'inventer, à ignorer la nécessité de créer des richesses et, en fin de compte, à en compromettre le partage même : tout le contraire de ce que nous, Gouvernement et majorité, voulons, tout le contraire de ce que nous faisons. Nous sommes bien loin de ce que vous qualifiiez, monsieur Goulard, de « socialisme honteux » : ni honteux ni arrogant, bien déterminé au contraire à défendre nos valeurs.

M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Même si elle ne veut surtout pas que l'Etat « administre » l'économie elle l'a prouvé en ne cessant de la moderniser et de l'affranchir des tutelles et des carcans du passé -, la majorité ne croit pas davantage que le marché, indispensable pour qu'une offre et une demande fassent apparaître un prix, une activité, un emploi, puisse se passer de morale, de la justice et du droit.

L'impératif marchand n'est pas un impératif catégorique. Stimulante et en cela nécessaire, la compétition ne doit pas se traduire par la seule application de la loi du


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plus fort. L'exemple des fruits et légumes, cher à votre rapporteur et à M. Mariani, en attestent. L'éloquente intervention de Mme Brigitte Douay en a donné d'autres exemples fort pertinents. Elle ne doit pas non plus se traduire par une loi d'exception pour ceux qui entreprennent, qui créent, qui commercent, si ce n'est pour les soutenir, les aider, les accompagner, mais pas davantage par l'impunité de l'illégalité ou par l'oubli du droit. Il en va de l'intérêt de tous, des chefs d'entreprise comme des salariés, des consommateurs comme des entrepreneurs.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué le contenu du texte.

Dans les critiques entendues sur les bancs de l'opposition, je relève une certaine contradiction à dénoncer, pour les uns - dont M. Auberger hier soir - un texte fourre-tout, pour les autres - M. Carrez - un texte vide. Entre ces deux critiques, il faut choisir ; elle ne peuvent cohabiter.

Le premier axe fort, mesdames, messieurs les députés, c'est qu'il s'agit d'un texte de transparence. Il fait bel et bien entrer notre économie dans l'ère de la transparence.

Mais peut-être la lutte contre le blanchiment des capitaux semble-t-elle à l'opposition une atteinte intolérable ou excessive à la liberté d'entreprendre et de commercer ? Je n'ose l'imaginer. La qualité des interventions entendues dans la majorité comme dans l'opposition - MM. Peillon, Montebourg et d'Aubert - montre que nous partageons tous le même diagnostic à cet égard. La discussion article par article permettra à chacun de s'exprimer sur les mesures techniques adéquates.

Je crois pour ma part que la transparence, notamment vis-à-vis des salariés et des actionnaires minoritaires d'une entreprise, est l'une des conditions de la performance. On parle souvent dans les pays anglo-saxons - que certains ici chérissent tant - de corporate governance. Vous ne pouvez condamner de ce côté-ci de la Manche et de l'Atlantique ce que vous adorez au-delà ! Ce texte est également un texte d'équilibre. Il renouvelle le jeu, aujourd'hui trop inégal, entre sociétés géantes et PME, entre producteurs et distributeurs, entre actionnaires et salariés, entre minoritaires et majoritaires, entre entreprises et consommateurs. Je remercie M. Le Déaut et M. Charié d'avoir relevé quelle évolution ce projet marquait au regard des pratiques qui caractérisaient jusqu'alors les rapports entre producteurs et consommateurs.

Tout comme M. Rodet, je souhaite l'adoption rapide d'un code du commerce plus lisible et équilibré - du reste actuellement en préparation.

Ce texte propose une mondialisation, certes, mais une mondialisation humanisée. La régulation, c'est en effet la voie d'une mondialisation humanisée, d'une économie qui ne perd pas en efficacité ce qu'elle gagne en normes.

C'est la voie que suit le Gouvernement en présentant cette loi à la représentation nationale. Accepter la mondialisation ne signifie pas que l'on renonce à changer l'ordre des choses ou que l'on s'en satisfasse. Laurent Fabius l'a d'ailleurs très bien indiqué hier : il y a, d'une part, le fait de la mondialisation, reconnu d'ailleurs par l'ensemble des orateurs, et, d'autre part, les effets de la mondialisation.

Le Gouvernement et sa majorité, le Parlement ne peuvent rien changer au fait que, par exemple, deux nano-secondes suffisent aujourd'hui à transférer des capitaux par milliards de Paris à Shanghaï quand il fallait plusieurs jours voilà seulement quelques années.

A l'inverse, il incombe au Gouvernement, à sa majorité et au Parlement de lutter contre les dangers d'une économie globale qui passerait par profits et pertes le partage de la croissance et des richesses technologiques, le principe de diversité culturelle, la recherche d'un progrès maîtrisé - je pense aux récentes crises sanitaires et écologiques auxquelles le pays a été confronté. Il incombe é galement au Gouvernement, comme l'ont souligné M. Fuchs et M. Rigal, de lutter contre la mondialisation du crime organisé.

Il n'y a pas non plus, contrairement à ce qu'ont prétendu, plusieurs orateurs de l'opposition, d'oubli de l'Europe. Ce texte n'ignore nullement notre agenda européen. Il est gouverné par trois considérations essentielles.

Renforcer le rôle des autorités de régulation des marchés : nous plaidons avec patience et détermination auprès de nos collègues européens pour une plus grande homogénéité des règles applicables dans les différentes places au profit de l'épargnant.

Lutter plus efficacement contre les centres off shore : ainsi que vous le savez, un projet de directive européenne est en cours de discussion, tandis que d'autres travaux se déroulent notamment au sein du GAFI. Ce projet de loi s'inscrit pleinement dans cette logique et va même jusqu'à l'anticiper, ce qui ne manquera pas de satisfaire plu-s ieurs orateurs, y compris dans l'opposition, tel

M. d'Aubert.

Faire converger enfin les pratiques en matière de délais de paiement : comme l'a remarqué M. Le Déaut, c'est la France qui a posé le débat devant les quinze et qui a fait de l'édiction d'une directive communautaire sur ce thème une priorité. Ma collègue Mme Lebranchu reviendra certainement sur cet aspect de notre action gouvernementale lors de la discussion des articles.

C'est enfin un texte volontariste, conforme avec nos convictions sur la place et le rôle de l'Etat. L'orientation est claire, et c'est sans doute là que l'on trouve un critère discriminant entre la majorité qui soutient le Gouvernement et les oppositions.

M. Gaillard nous dit d'arrêter de légiférer. Face à l'unique logique des marchés, nous avons une autre conviction : il y a une place pour l'Etat régulateur et il s'agit par ce texte de renforcer cette place et cette fonction. L'Etat doit être un arbitre et un garant. L'Etat régulateur établit les règles du jeu, restaure les équilibres afin que chacun des acteurs de l'économie - les très grandes entreprises comme les petites, les producteurs comme les distributeurs, les actionnaires comme les salariés, les entreprises comme les consommateurs - voie sa contribution à la croissance reconnue à sa juste valeur et en tire profit, allais-je dire, non dans une logique d'affrontement, mais à travers une relation partenariale et transparente.

L'Etat est aussi le seul, plusieurs orateurs du groupe socialiste l'ont souligné, qui puisse faire prendre en compte le temps long, celui des projets et des jours, celui des considérations d'intérêt général, auquel le marché ne répond pas spontanément, car ce n'est pas sa fonction.

C'est enfin un texte de démocratie. Il propose en effet une véritable démocratie au sein de l'entreprise, à laquelle, tout comme M. Cuvilliez, Laurent Fabius, moimême et l'ensemble du Gouvernement sommes très attachés. Il donne également à la représentation nationale l'occasion de se prononcer sur des sujets qui, sinon, seraient réglés par décision d'autorités administratives indépendantes. Je pense notamment à la question du dégroupage, dont je dirai quelques mots dans un instant.

Mais je veux revenir sur les fameuses stock-options, les options de souscription d'actions, sur lesquelles le débat a été ouvert à l'initiative de votre commission des finances.

Nous aurons l'occasion d'en reparler largement demain.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Sur ce dossier, le Gouvernement et sa majorité poursuivent un triple objectif : transparence d'abord, grâce aux a mendements déjà adoptés par la commission des finances - interdiction de la distribution sur une filiale non cotée, information nominative sur les plus gros attributaires et saisine plus fréquente de l'assemblée générale des actionnaires ; justice ensuite, grâce à un régime fiscal plus équilibré et plus équitable ; efficacité enfin, grâce à l'extension et à la pérennisation définitive des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise que nous avons introduites dans notre droit positif fiscal voilà deux ans et améliorées lors de la discussion de la dernière loi de finances.

J'en viens à un sujet central pour l'avenir de la société de l'information : le dégroupage de la boucle locale. Le Gouvernement a entendu les objections qui lui ont été faites. Certes, le dégroupage aurait pu relever d'un autre vecteur législatif, davantage en rapport avec les télécommunications.

M. François Goulard.

C'est le moins que l'on puisse dire !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

De même, sur un sujet techniquement et économiquement si complexe, une concertation plus approfondie aurait certainement été nécessaire. Mais ni le Gouvernement ni celui qui s'adresse à vous à cet instant ne sont maîtres du calendrier que fixent les autorités chargées de la surveillance de la concurrence et de la régulation des télécommunications.

Mon objectif était, comme y faisait justement référence M. Baert, de placer le Gouvernement et le Parlement en situation de reprendre la main et de fixer le cadre dans lequel le dégroupage devrait intervenir afin de placer tous les opérateurs, dont France Télécom, dans une situation équitable au regard des investissements engagés sur la boucle locale et sur la technologie ADSL. Il s'agissait également mais cela n'a pas échapé à votre sagacité de placer l'innovation et l'investissement, donc l'emploi, au centre de nos préoccupations, comme m'y a si justement invité M. Billard dans son intervention.

M. François Goulard.

Ce n'est pas à cela qu'il vous a invité !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Innovation, car la France est en avance dans le domaine de l'ADSL, grâce à son industrie - faut-il citer quelques-unes des entreprises qui font notre fierté, Sagem, Matra, Alcatel, entre autres ? - qui en maîtrise la technologie et grâce aux équipes de l'opérateur historique France Télécom,...

M. Jean-Pierre Brard.

Qui deviendra seulement historique, si l'on n'y prend garde !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... qui la mettent en oeuvre avec professionnalisme.

Investissement, car le dégroupage, s'il est bien conçu, représente la solution technique qui permet tout à la fois l'arrivée d'une concurrence que nous souhaitons maîtrisée, tout en la forçant à investir elle aussi dans cette technologie.

Le Gouvernement était prêt à évoquer, dans la même veine, certains sous-amendements destinés à rééquilibrer l a procédure d'homologation des tarifs de France Télécom et à favoriser l'accès de tous à Internet, notamment des plus démunis de nos concitoyens.

M. François Goulard.

Grâce à la concurrence !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Situation paradoxale : en retirant l'amendement du Gouvernement sur l e dégroupage de la boucle locale, comme me le demandent certains groupes de la majorité, le réalisme me porte à craindre que je n'ouvre plus grande encore - et là est le paradoxe - une porte que beaucoup d'entre vous ne souhaitaient qu'entrebâiller, voire, pour certains, refermer.

M. François Goulard.

Le paradoxe nous échappe !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

J'explique ce paradoxe.

L'initiative appartient désormais à la Commission européenne qui vient d'en délibérer aujourd'hui, et aux autorités administratives indépendantes, l'autorité de régulat ion des télécommunications et le Conseil de la concurrence, pour définir à la place du Parlement et selon la logique qui est propre à ces institutions, logique qui peut - cela est d'ailleurs bien normal - n'être pas exactement la nôtre ou pas exactement la vôtre, un dégroupage tel qu'il est souhaité par les concurrents de France Télécom.

M. François Goulard.

C'est une parade !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je regrette donc, que collectivement, nous n'ayons pu ou voulu définir le cadre dans lequel un service aussi essentiel que les télécommunications doit évoluer avec les technologies les plus modernes.

Il ne s'agit, à mes yeux, que d'un renvoi de ce dossier à une autre discussion, par exemple dans le cadre de la loi sur la société de l'information, que j'espère la plus proche possible et non, mesdames et messieurs les députés, d'un retrait qui signifierait que les représentants de la souveraineté nationale ont renoncé - ce que vous ne souhaitez pas, naturellement - à définir le cadre dans lequel les télécommunications doivent évoluer.

M. François Goulard.

C'est un propos anti-européen !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Avec le développement du haut débit par Internet, ce sont les capacités de la France à prendre, dès 2000 - cette précision ne vous échappera pas -, le virage, d'ailleurs déjà amorcé, de la société de l'information qui est en jeu. Le Gouvernement en est conscient et il assumera ses responsabilités en ce sens le plus vite possible.

Au total, et pour conclure, je vois dans ce texte une grande cohérence. Il traite, dans un même esprit, de trois domaines essentiels pour notre économie : le secteur financier, la régulation de la concurrence et la régulation du pouvoir au sein des entreprises, vers une démocratie économique plus ouverte. Il me semble qu'en touchant ces trois domaines, « la loi embrasse large mais étreint bien » !

M. Jean-Jacques Jégou.

Qui trop embrasse, mal étreint !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Certes, ce texte n'épuise pas le sujet et plusieurs d'entre vous ont relevé, notamment M. Baert, qu'il s'agissait d'une première étape, qui sera bientôt complétée par le projet de loi sur l'épargne salariale, annoncé par Laurent Fabius ici même pour être discuté dès le mois d'octobre, ou encore la loi sur la société de l'information que je présenterai, cette année, au conseil des ministres.

M. Jean-Claude Daniel.

Il faut faire vite !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Mais c'est bien un texte programme qui inscrit pour la première fois, avec cette solennité, la notion de régulation dans notre droit positif.

La régulation a tout à perdre à être réduite à un simple mécanisme ou à la seule application du droit à la concurrence. Elle a tout à gagner - notre économie et notre


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emploi avec elle - à définir des normes spécifiques à respecter dans certains secteurs jugés essentiels, sous la surveillance d'une autorité dédiée. La loi qui vous est présentée est technique, mais son inspiration est sociale et généreuse. La régulation est une passerelle qui rapproche l'individuel et le collectif, le public et le privé, l'étatique et le sociétal. Elle sera, demain, un trait d'union pour réconcilier l'ancienne et la nouvelle économie - comme on dit aujourd'hui - et les faire fusionner au service d'une croissance robuste, durable, équilibrée, du progrès solidaire et de l'emploi retrouvé. Nul doute que ce texte inspirera bientôt d'autres textes chez nos partenaires de l'Union européenne.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Discussion des articles

Mme la présidente.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Avant l'article 1er

Mme la présidente.

Je donne lecture de l'intitulé de la première partie :

«

PREMIÈRE PARTIE

« RÉGULATION FINANCIÈRE » Avant l'article 1er MM. Desallangre, Sarre, Carassus, Mme Marin-Moskovitz, MM. Jean-Pierre Michel et Saumade, ont présenté un amendement, no 625, ainsi libellé :

« Avant le titre Ier , insérer l'article suivant :

« Après l'article 985 du code général des impôts, il est inséré un article 985 bis ainsi rédigé :

« Art. 985 bis. - Il est institué une taxe spéciale sur les opérations, au comptant ou à terme, portant sur les devises, dont le taux est fixé à 0,05 %.

« Sont exonérées de cette taxe les opérations afférentes :

« - aux acquisitions ou livraisons intracommunautaires ;

« - aux exportations ou importations de biens et services ;

« - aux investissements directs au sens du décret no 89-938 du 29 décembre 1989 modifié réglementant les relations financières avec l'étranger ;

« - aux opérations de change réalisées par les personnes physiques et dont le montant est inférieur à 300 000 francs.

« La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les services mentionnés à l'article 8 de la loi no 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, les entreprises d'investissement visées à l'article 7 de la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières et par les personnes physiques ou morales visées à l'article 25 de la loi no 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants.

« La taxe spéciale est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A.

« Elle est due pour les opérations effectuées à compter du 1er juillet 2000.

« Un décret fixe les modalités d'application du présent article. »

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Cet amendement a pour objet d'instituer une taxe spéciale sur les opérations, au comptant ou à terme, portant sur les devises. Son taux serait fixé à 0,05 %. Il s'agit en fait de la célèbre taxe Tobin.

Il prévoit, en outre, des exonérations qui permettent de répondre au souhait de réduire le champ de manoeuvre de la spéculation sur les monnaies et de limiter la nuisance de certains mouvements financiers sans gêner l'économie réelle.

Inutile d'en dire plus : tout le monde connaît la taxe Tobin. Elle a su recueillir l'avis favorable de nombreuses personnes ; elle gagne en audience chaque jour, dans notre pays et ailleurs. Ne dit-on pas que même certains sénateurs américains s'y intéressent ? C'est tout dire ! Notre amendement permettra également que nous nous interrogions sur la faisabilité. Certaines voix autorisées se demandant si elle présentait vraiment des difficultés insurmontables laissaient entendre que non.

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement no 625.

M. Eric Besson, rapporteur.

Cet amendement de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan suscite la sympathie de beaucoup d'entre nous. La commission des finances l'a néanmoins repoussé pour une raison très simple, c'est que nous avons demandé au Gouvernement, lors de la dernière loi de finances, un rapport sur cette question, rapport qui nous sera remis avant la fin du mois de juin. Par ailleurs, deux de nos collègues, M. Gérard Fuchs et M. Daniel Feurtet, préparent un rapport sur le même thème.

Je vous suggère donc, monsieur Desallangre, de retirer cet amendement, dont nous comprenons la philosophie et que nous sommes un certain nombre à souhaiter pour l'avenir mais qui, en l'état, n'est pas recevable.

Mme la présidente.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, le Gouvernement partage la préoccupation de maîtriser les comportements spéculatifs sur les marchés de capitaux. Il ne ménage d'ailleurs pas ses efforts à cet égard. Il a notamment agi dans toutes les instances, le G7, le FMI, le GAFI, pour que cet objectif soit pris en compte par la communauté internationale.

Voici quelques exemples de notre action dans ce domaine.

L'imposition de contraintes de transparence aux entités non régulées telles que les Hedge Funds - le forum de stabilité financière, créé par le G7, doit d'ailleurs faire des propositions en ce sens dans les semaines qui viennent, en tout cas au printemps 2000.

La mise en place de normes internationales de régulation prudentielle et de lutte contre le blanchiment - on a beaucoup évoqué à cette tribune, hier soir et cet après-


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midi, le GAFI, le Groupe d'action financière internationale, et le forum de stabilité financière, deux organismes qui travaillent à l'édiction de normes internationales utiles dans ce domaine.

Troisième exemple, le soutien aux pays émergents dans leur choix d'un régime de change.

Quatrième exemple, la création de mesures de régulation prudentielle des mouvements de capitaux telles que celles utilisées par le Chili.

Enfin, la réorientation du rôle du FMI, pour laquelle le ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius, vient de plaider avec beaucoup de véhémence, vers la prévention des crises spéculatives et une autre conception du rôle de la Banque mondiale.

L'ensemble constitue une vision cohérente qui va dans le sens de l'amendement proposé par M. Desallangre,

M. Sarre et ses collègues.

Comme le Gouvernement doit remettre au Parlement, dans les toutes prochaines semaines - le rapporteur vient de l'indiquer - un rapport sur ce sujet, conformément à l'article 89 de la loi de finances initiale pour 2000, je crois sage, monsieur Desallangre que, tenant compte de nos efforts et de notre volonté d'en débattre avec le Parlement le moment venu, conformément à la loi, et pourvu de ces assurances, vous retiriez votre amendement.

Mme la présidente.

Avant de donner droit à plusieurs demandes d'interventions, je demande à M. Desallangre s'il retire ou s'il maintient son amendement.

M. Jacques Desallangre.

Pour permettre la discussion, je ne le retire pas, madame la présidente. Nous verrons tout à l'heure.

Mme la présidente.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Ce premier amendement a au moins le mérite de nous faire commencer par un vaste sujet. Merci, donc, à ceux de nos collègues qui nous en fournissent l'occasion. Il présente, en outre, l'avantage d'ouvrir une véritable discussion, qui nous permettra peut-être d'exposer nos conceptions respectives de la régulation économique. Il s'agit d'un vrai sujet, et non pas de « mesurettes », comme il y en a trop dans ce texte, mais nous aurons l'occasion d'y revenir.

L'idée de l'instauration de la taxe Tobin reçoit le soutien d'hommes politiques - pas seulement - dans tous les partis ou presque, à gauche, mais aussi un petit peu à droite.

M. Jean-Pierre Brard.

Modérément !

M. Christian Cuvilliez.

A dose homéopathique !

M. François Goulard.

Un peu tout de même ! Pour simplifier, parce que le temps m'est compté, je dirai que cette question revêt deux aspects. Le premier est mythologique, le second technique.

Je vais commencer par la mythologie. La mythologie, c'est la menace que les marchés financiers feraient peser sur l'équilibre du monde et sur l'ensemble de nos concitoyens. En réalité, ils ne menacent personne. Leur bon fonctionnement tend, au contraire, à réduire les crises spéculatives. Peu de nos collègues, et encore moins de nos concitoyens le savent : le développement des marchés financiers et des instruments techniques, l'ampleur des échanges au niveau international font que les risques de déséquilibre se réduisent.

M. Yves Cochet.

C'est totalement faux !

M. François Goulard.

Permettez que je m'exprime, vous pourrez défendre d'autres opinions, avec de très bons arguments, je n'en doute pas ! Les outils techniques échangés, dont beaucoup sont des outils de couverture, l'étendue des échanges font que les risques de déséquilibre sont beaucoup moins nombreux.

Par conséquent, vouloir restreindre les échanges sur les marchés financiers, c'est accroître les risques de crise.

Deuxième considération, qui échappe à beaucoup : les i nstruments échangés sur les marchés financiers concernent tout le monde. Ainsi, quand un particulier achète une SICAV à un guichet de La Poste, il y a de fortes chances pour que la construction de cette SICAV, qu'il a payé 10 000 à 15 000 francs, fasse appel à des instruments financiers qui ont été échangés sur ces marchés tant décriés. Très souvent, il s'agit de garantir le placement, de l'améliorer techniquement, bref de faire en sorte que l'épargnant coure moins de risques que s'il achetait directement des actions sur les marchés.

Enfin, on dit souvent que les gains réalisés sur les marchés financiers le sont au détriment de ceux qui n'y le sont pas. C'est faux ! Sur les marchés financiers, il y a grosso modo les gagnants et les perdants, mais les uns et les autres sont les acteurs de ces marchés financiers.

Donc, c'est un jeu à somme nulle qui se fait entre acteurs, entre établissements financiers agissant sur ces marchés.

Voilà pour l'aspect mythologique. La peur de ce qu'on ne comprend pas - et l'on est d'autant plus lyrique qu'on est ignorant - est artificielle. Elle est entretenue, et ce pour les plus conscients des zélateurs de la taxe Tobin, dans le but de faire avancer une certaine idéologie mais, en tout cas, certainement pas d'améliorer la compréhension des phénomènes économiques.

Sous l'angle technique, la taxe Tobin est tout simplement une imbécillité.

M. Yves Cochet.

M. Tobin est tout de même prix Nobel !

M. François Goulard.

Elle est fixée à un niveau généralement très faible. On nous propose ici 0,05 %. Même à ce niveau, elle empêche beaucoup de mouvements financiers pour la simple raison que ceux-ci, qui portent sur des montants considérables, sont motivés par des écarts de cours ou de taux extrêmement faibles. Le taux de 0,05 % que vous nous proposez serait donc pénalisant à un point tel qu'il empêcherait un très grand nombre de ces mouvements.

En revanche, le jour où survient une crise financière, où s'effectuent ce que vous appelez des spéculations critiquables, alors qu'elles sont utiles à l'économie, les écarts de taux ou de valeur et, avec eux, les perspectives de gain sont tels que ce taux de 0,05 % est totalement inopérant.

Il n'existe pas de bon niveau pour la taxe Tobin : ou bien son taux est totalement insignifiant pour ne pas gêner les mouvements, auquel cas il est évident qu'elle n'a aucun impact quand il s'agit de lutter contre une crise ; ou bien il est fixé à un niveau nettement plus élevé que celui qui est proposé, et elle empêche, en pratique, tout mouvement sur les marchés financiers.

C'est pourquoi, tant au point de vue de cette grande illusion qu'est la menace des marchés financiers que du point de vue strictement technique, cette taxe est totalement infondée.

Mme la présidente.

J'invite les orateurs à respecter leur temps de parole.

La parole est à M. Michel Inchauspé.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. Michel Inchauspé.

Je ne comptais pas intervenir sur la taxe Tobin, mais la fin de l'intervention de M. le secrétaire d'Etat Christian Pierret m'incite à le faire car, à mon avis, il a ouvert la voie à une solution que je vais essayer d'expliquer rapidement.

La taxe Tobin est peut-être une imbécillité, mais

M. Tobin n'est pas un imbécile.

M. François Goulard.

Je n'ai pas dit cela !

M. Jean-Pierre Brard.

Reconnaissez en tout cas que ce n'est pas un gauchiste !

M. Michel Inchauspé.

Lorsque la commission des finances s'est interrogée sur la nécessité de réaliser un rapport parlementaire - qui est en cours - sur cette taxe, au mois de mai dernier, peut-être M. le rapporteur général s'en souvient-il, l'ancien ministre des finances, M. Dominique Strauss-Kahn, avait déclaré qu'une telle mesure était utopique.

Quelle est la définition de l'utopie ? C'est un projet qui paraît irréalisable. Surtout, en l'occurrence, si l'on considère que cette taxe a été détournée de son objectif initial. James Tobin en parle pour la première fois en 1972 - vous voyez que ce n'est pas tout à fait nouveau -, alors que le système monétaire international est en pleine déliquescence du fait de la suspension de la convertibilité or du dollar et que l'on passe au système de changes flottants. Il envisage l'institution d'une taxe d'un dixième sur toutes les opérations de change privées, afin de restaurer une marge de manoeuvre suffisante dans le domaine de la politique monétaire pour chacun des pays membres du SMI. Il ne pensait pas l'appliquer à l'ensemble des transactions financières et ce démocrate, qui est un libéral, s'étonne quelque peu que sa thèse ait eu une résonance d'une telle ampleur dans la gauche française. Il est exact que quelques membres éminents de la droite ont abondé aussi dans le même sens.

Aujourd'hui, une taxe sur la spéculation financière ne peut se concevoir que dans un environnement fiscal harmonisé à l'échelle internationale, M. Goulard l'a dit.

Comment convaincre, alors, les paradis fiscaux, dont nous parlons tant, de se rallier à cette cause et, par là même, de perdre leur raison d'être ? Il faudrait déjà pouvoir établir une fiscalité européenne commune - que nous n'avons pas, voyez le Luxembourg - avant de donner des leçons sur le plan mondial.

Par ailleurs, un prélèvement du même ordre de grandeur que la taxe Tobin existe déjà mais n'empêche pas pour autant les mouvements de spéculation, il faut le rappeler. En effet, sur les marchés de contrats à terme, où sévissent les spéculateurs, la majeure partie des contrats est soumise à une réglementation très stricte mise en place par des organisations agréées comme le MATIF.

Des intermédiaires ont pour mission de réaliser et de contrôler ces opérations, ce qui représente un coût d'intermédiation variant suivant les volumes et dont la fourchette s'établit entre 0,1 % et 0,5 % du montant des transactions. Cette taxe, proche de celle de M. Tobin, n'a pas empêché « la bulle financière spéculative » de se former et les crises boursières se produire.

De plus, la taxe Tobin, on l'a dit, est trop faible pour arrêter des spéculateurs comme M. Soros ou encore les Hedge Funds , qui sont des fonds d'investissements spéculatifs. En réalité, cette taxe ne va s'attaquer qu'aux petits spéculateurs ou arbitragistes, qui se paient en jouant sur les miniscules écarts de cours. Mais ces manipulations sont très délicates et ces derniers gagnent aussi souvent qu'ils perdent. En revanche, elle ne peut pas décourager des stratégies spéculatives établies sur plusieurs jours ou plusieurs mois et déployées par des fonds qui, en un seul aller-retour sur le marché, provoquent une variation non négligeable des cours. N'oublions pas qu'en 1992 M. Soros a complètement déstabilisé le système monétaire européen et provoqué la sortie de la livre sterling de celui-ci, par le biais du Quantum Fund ! Ainsi la mise en place d'une taxe Tobin serait-elle contreproductive car elle freinerait les mouvements de capitaux internationaux. Les spéculateurs ne sont pas néfastes pour le marché, dans la mesure où leurs opérations en assurent la liquidité. Par ailleurs, grâce à leur présence, les entreprises vont avoir à leur disposition les instruments pour se couvrir contre les risques de change. Elles peuvent donc se préserver des variations de taux de change sur les contrats négociés à l'international.

De plus, il existe d'autres moyens pour stabiliser le système. Par exemple, la politique menée par M. Alan Greenspan, à la tête de la Réserve fédérale américaine, e st un modèle de stabilisation. En effet, en jouant sur les variations de taux d'intérêts directeurs, il parvient à maintenir une croissance très soutenue.

Ainsi, la taxe Tobin, sans doute noble dans son fondement, reste une utopie qu'il ne faudrait ne pas trop « attiser » car elle est contre-productive. En fait, ce qui est recherché par ce moyen, c'est d'éviter les mouvements erratiques de capitaux importants qui peuvent déstabiliser un pays puis, compte tenu de la théorie des dominos, une zone tout entière.

Mme la présidente.

Pouvez-vous conclure, monsieur Inchauspé ?

M. Michel Inchauspé.

Je termine, madame la présidente.

Il existe un remède à ces mouvements erratiques de capitaux, c'est celui qu'a utilisé le Chili avec succès. Ce pays a imposé à tout investisseur étranger voulant placer des capitaux au Chili de les y maintenir durant un certain temps, donc sans possibilité de les retirer du jour au lendemain. La solution ne doit pas être mauvaise, puisque le Chili, dont personne n'osera prétendre que ce n'est pas aujourd'hui une nation libérale, connaît le plus fort développement économique et financier d'Amérique latine.

Ne serait-ce pas là la bonne solution à ce vrai problème ?

Mme la présidente.

Mon invite à respecter la durée de cinq minutes prévue par le règlement n'a pas été respectée encore une fois. J'espère que M. Georges Sarre, va, lui, respecter la règle.

Vous avez la parole, monsieur Sarre.

M. Georges Sarre.

Tout à l'heure, en conclusion de la discussion générale, vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d'Etat : « Aujourd'hui, en une seconde, des millions, des milliards sont transférés. »

M. Dominique Baert.

En deux nanosecondes !

M. Georges Sarre.

C'est encore mieux ! Vous avez parfaitement raison, monsieur le secrétaire d'Etat, et personne ne peut s'opposer à cela. Personne, d'ailleurs, n'en a la moindre volonté.

Les capitaux sont libres. Eh oui ! Mais c'est là que réside le problème. Oui à la liberté des capitaux, mais encore faut-il que celle-ci soit maîtrisée, sinon il s'agit de spéculation. Or le drame de la situation que nous connaissons aujourd'hui dans notre pays - pour ne parler que du nôtre, car cela vaut évidemment pour toute


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

l'Union européenne - tient au fait que les capitaux ont une liberté totale de mouvement et qu'aucune taxe ne permet de freiner ces mouvements.

(M. Pierre-André Wiltzer remplace Mme Nicole Catala au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

vice-président

M. Georges Sarre.

Nous partons d'un constat simple : plus de 80 % des 1 500 milliards de dollars qui sont échangés sur les marchés financiers mondiaux le sont dans une optique spéculative. Le capital est de loin le facteur de production le plus fluide et, aujourd'hui, il ne connaît aucun obstacle. Par voie de conséquence, la mondialisation des marchés financiers fait planer une menace constante de déstabilisation des économies.

Il faut véritablement un optimisme d'acier, comme celui de notre collègue Goulard, pour ne pas voir que, en Asie, en Amérique ou ailleurs, les menaces sont réelles et que ce fléau a parfois des effets destructeurs et dévastateurs. Je ne referai pas l'histoire de la spéculation de ces deux dernières années, mais M. Goulard est sans doute le seul dans cet hémicycle à ne pas s'être aperçu de ce phénomène. Il a dû en surprendre plus d'un.

C e que nous demandons, monsieur le secrétaire d'Etat - même si nous savons que la mise en oeuvre de la mesure est difficile -, c'est que le Gouvernement, profitant de la présidence française à la tête de l'Union et fort du soutien de l'Assemblée nationale qui a « envoyé les couleurs », invite les autres membres de l'Union à aller dans cette direction. Car plus l'Europe, s'élargira, plus il est vraisemblable qu'il y aura des fragilités.

Et si l'on ne souhaite pas que la spéculation planifie, gère, décide et gouverne, il me semble indispensable que les décisions qui seront prises tiennent compte de l'aménagement du territoire et des effectifs des entreprises. En effet, actuellement, les licenciements sont la seule variable d'ajustement qu'utilisent les entrepreneurs quand ils estiment que les actionnaires ne bénéficient pas de retombés suffisantes.

Proposons-nous une mesure révolutionnaire ? Diantre non ! M. Tobin, qui a reçu le prix Nobel, est un homme tout à fait respectable et qui n'appartient sans doute pas à ma famille de pensée. Mais quand sont annoncées, d'un côté ou de l'autre, des propositions fortes et intelligentes permettant de traiter véritablement un problème, pourquoi ne pas les retenir ? Le pire, ce serait sans doute de nous dire que le moment n'est pas venu.

On nous explique que c'est sans doute une bonne idée - et j'ai apprécié l'intervention du rapporteur -, mais on nous demande de retirer notre amendement. Eh bien, je réponds « non » !

M. le président.

Mon cher collègue, pouvez-vous conclure ?

M. Georges Sarre.

Je conclus, monsieur le président.

Nous ne voulons pas retirer notre amendement pour une raison simple : nous faisons un travail pédagogique, un travail politique. Nous voulons, en effet, que de plus en plus de députés, de sénateurs et de citoyens de ce pays et d'autres pays aussi d'ailleurs - comprennent qu'il s'agit d'un fléau mondial qui touche aussi bien l'Afrique que l'Asie ou l'Europe, comprennent que nous sommes tous à la merci de mouvements de capitaux que personne ne maîtrise, ne contrôle. Peut-on accepter que cette situation dure ? Non ! Aujourd'hui, il est nécessaire de marquer un point contre ce fléau. C'est ce que nous tentons de faire.

M. le président.

La prole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Je ne peux pas laisser certains de vos propos sans réponse, monsieur Sarre.

Je ne reprendrai pas tous les excellents arguments avancés par François Goulard ni et rappellerai, comme l'a dit Michel Inchauspé, que l'origine de la proposition Tobin remonte tout de même à 1972 : mais je vous signalerai malgré tout que vous entrez dans la mondialisation à reculons. En effet, depuis 1972, des produits financiers nouveaux sont apparus - les produits dérivés - et l'ingénierie financière s'est sophistiquée. Nous ne pouvons pas refuser ce qui relève de la fluidité des capitaux. Il n'est pas possible de pratiquer l'amalgame entre fluidité et spéculation, entre fluidité et blanchiment.

Quant au groupe ATTAC, qui comprend une centaine de députés, il devrait, sur un sujet aussi sérieux, écouter le Gouvernement qu'il soutient plutôt que de s'abandonner à des excès. Nous ne pouvons nous retrouver isolés dans un monde où la fluidité des capitaux est nécessaire ! Pourquoi serions-nous les seuls redresseurs de tort ? Nous sommes d'accord pour que des régulations soient opérées. Nous sommes d'accord pour discuter d'un certain nombre d'évolutions. Mais nous ne pouvons pas agir seuls.

Enfin, je rappelle que, quand M. Tobin a proposé de créer la taxe en question, c'était surtout pour venir en aide à certains pays sous-développés.

Cela étant, tout cela doit être vu au niveau de l'union européenne mais aussi au niveau mondial.

M. Le secrétaire d'Etat propose de clore pour l'instant la discussion sur ce sujet. Mais nous aurons certainement l'occasion - je vous fais confiance pour cela, monsieur Sarre - de revenir, au détour de l'examen d'autres textes, sur cette utopie dont parlait Michel Inchauspé.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

L'utopie, monsieur Jégou, c'est ce qui permet de préparer l'avenir. Si ceux qui, le 17 juin 1789, s'exprimant pas très loin d'ici - et nous devrions être conscients que nous assumons l'héritage de ces genslà -, n'avaient pas fait preuve d'utopie, nous serions encore sous l'Ancien Régime ! L'utopie est utile dans la mesure où elle permet d'anticiper des innovations fortes.

J'en reviens au sujet qui nous intéresse et sur lequel nous avons entendu tout et son contraire.

M. Philippe Auberger.

Dans votre cas, absolument !

M. Jean-Pierre Brard.

Si M. Inchauspé sait de quoi il parle, M. Goulard, lui, se livre à de la propagande pour protéger les intérêts dont il est réel mandataire, tout en veillant à ce que ses électeurs ne sachent tout de même pas trop de quoi il parle. C'est pourquoi il nous a servi une bouillie technocratique qui n'avait pas pour vocation de clarifier le débat, mais de faire en sorte qu'il s'enlise (Sourires.)

Pour autant, ce bon monsieur Goulard, avec ses méthodes patelines, a bien montré de quoi il s'agissait pour lui. Il a évoqué M. Soros...

M. François Goulard.

Non, ce n'est pas moi !

M. Dominique Baert.

C'est M. Inchauspé qui en a parlé, mais M. Goulard aurait pu le faire ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

En effet, M. Goulard aurait pu le faire !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Quand vous dites, monsieur Goulard, que les fluctuations des marchés financiers peuvent avoir des conséquences néfastes pour certains, vous oubliez sans aucun doute ce qui s'est passé récemment chez Michelin.

M. François Goulard.

Ce n'était pas la conséquence des marchés financiers !

M. Jean-Pierre Brard.

Pour vous, il est évident que les fluctuations des marchés financiers ne peuvent pas avoir de conséquences pour ceux qui ont les mains dans le cambouis. Pourtant, cela en a, surtout pour ceux-là, en particulier quand ils se retrouvent à pointer à l'ANPE alors que d'autres recomptent les billets pour vérifier si la liasse a épaissi. Mais de cela, monsieur Goulard, vous ne voulez pas nous parler clairement ; d'ailleurs vous n'êtes pas là pour cela ! Selon vous, une taxe sur les mouvements spéculatifs restreindrait les échanges et provoquerait des risques de crise. Mais, bien entendu, vous ne pouvez pas en apporter le début d'une démonstration. Il s'agit seulement d'affirmations qui visent à faire cesser le débat, tout au moins à ne surtout pas le faire progresser.

Que constatons-nous depuis que nous débattons de ce problème ? On peut toujours prétendre, comme M. Goulard, que la taxe Tobin est une imbécillité. Soit, une telle affirmation permet de clore le débat rapidement. Mais on peut aussi, comme M. Inchauspé, qui sait de quoi il parle,...

Un député du groupe socialiste ... lui !

M. Jean-Pierre Brard.

... lui (Sourires) ,...

M. François Goulard.

Je me méfierais de l'éloge !

M. Jean-Pierre Brard.

... souligner les dysfonctionnements qu'entraînent les mouvements de capitaux erratiques. Et ce n'est pas un hasard si M. Soros lui-même considérait qu'il était nécessaire de réguler les marchés de capitaux internationaux.

En fin de compte M. Inchauspé a souligné une chose extrêmement importante, à savoir qu'il ne peut pas y avoir qu'une seule mesure mais que l'amendement de M. Desallangre présente l'intérêt de nous permettre de faire progresser la réflexion collective pour définir des dispositions destinées a mieux maîtriser les mouvements erratiques du capital à l'échelle internationale. Au reste, M. Inchauspé a souligné un certain nombre de points qui méritent certainement de faire notre pain commun pour que nous puissions avancer dans cette voie et empêcher ces mouvements erratiques.

Il a été question d'harmonisation fiscale. Bien sûr, qu'elle est nécessaire. Mais qui a fait échouer le sommet d'Helsinki à l'occasion duquel avait été envisagée une retenue à la source de 20 % sur les revenus du capital ? Les Luxembourgeois et les Britanniques ! Il faut donc continuer à se battre sur ce sujet. D'ailleurs, chers collègues de droite, nous ne vous avons pas beaucoup entendus soutenir la France dans son opposition à la présence de deux paradis fiscaux au sein de l'Union européenne.

Du reste, s'agissant des paradis fiscaux, il ne suffit pas de déplorer leur existence, encore faut-il les combattre, y compris au sein de l'Union, voire sur notre propre territoire - je pense à Saint-Barthélemy.

Cela dit, des mesures sont prises. Ainsi, le Gouvernement français - et c'est tout à son honneur - a poussé, en particulier au sein de l'OCDE, à l'établissement de ces f ameuses listes qu'ont évoquées Vincent Peillon et Arnaud Montebourg et qui sont très utiles.

Quant à M. Jégou, il a tenté de recoller les morceaux quand il a constaté à quel point les propos de M. François Goulard et de M. Michel Inchauspé étaient divergents.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dressé une sorte de liste de points qui devaient être traités, et l'on ne peut qu'être d'accord avec vous. Toutefois, je tiens à vous rappeler que, lors de la discussion de la loi de finances, le Gouvernement s'est engagé à se servir de la présidence de l'Union par la France pour que les préoccupations que vous avez rappelées d'une façon précise soient prises en compte par nos partenaires au sein de l'Union, considérant que cette dernière constituait un espace pertinent pour mettre en place des moyens permettant de réguler les mouvements erratiques du capital.

M. Jacques Desallangre.

Voilà !

M. Jean-Pierre Brard.

Je suis sûr que des personnes de tous bords - n'est-ce pas, monsieur Inchauspé - pourraient adhérer à une telle ligne de conduite et apporter leur soutien à des dispositions tendant à moraliser et à assainir les mouvements internationaux de capitaux.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Didier Migaud rapporteur général.

Cet amendement était utile en ce qu'il a permis à chacun de préciser ses positions et de montrer que, sur ce sujet, il existe dans cette assemblée un clivage entre la majorité et l'opposition.

Mais je tiens à rappeler, après le rapporteur Eric Besson, que, à l'occasion de l'examen de la loi de finances initiale, nous avons adopté un amendement - qui était le fruit d'un accord au sein de la majorité plurielle - pour demander au Gouvernement qu'il dépose devant le Parlement, d'ici à la fin du mois de juin, un rapport précisant comment il comptait faire de ce sujet une des priorités de la présidence française pour le second semestre de cette année.

Parallèlement, nous avons demandé à nos collègues Gérard Fuchs et Daniel Feurtet, de nous présenter également un rapport et celui-ci est en cours d'élaboration.

Dès lors que nous sommes d'une certaine façon d'accord sur la démarche à suivre, qu'il ne semble pas y avoir de divergence sur le fond, il y aurait un certain paradoxe à contraindre notre assemblée à voter contre cet amendement. Mais comment pouvons-nous nous prononcer aujourd'hui sur ce sujet, alors que nous avons nousmêmes demandé des rapports sur celui-ci ? J'invite donc nos collègues à répondre à l'invitation du rapporteur et à retirer leur amendement, dans l'attente des discussions que nous ne devrions pas manquer d'avoir sur ce sujet avant la fin de ce semestre et qui devraient nous permettre d'envisager les initiatives à prendre au cours du second semestre.

M. le président.

Je me tourne vers les auteurs de l'amendement no 625, pour leur demander s'ils cèdent à l'invite du rapporteur général de retirer l'amendement.

M. Georges Sarre.

Non, nous maintenons l'amendement !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ah ! voilà qui est intéressant !

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je regrette que M. Sarre ne se soit pas rangé aux arguments de bons sens qui viennent d'être évoqués par M. le rapporteur général ni à ceux que j'ai avancés au nom du Gouvernement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Dans ces conditions, je demande à l'Assemblée nationale de bien vouloir, à titre conservatoire, repousser cet amendement, sans préjudice, bien entendu, de ce que j'en pense au fond.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 625.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 1er

M. le président.

Je donne lecture de l'article 1er :

TITRE Ier DÉROULEMENT DES OFFRES

PUBLIQUES D'ACHAT OU D'ÉCHANGE

« Art. 1er . - L'article 356-1-4 de la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales est ainsi rédigé :

« Art. 356-1-4 . - Toute clause d'une convention prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions admises aux négociations sur un marché réglementé et portant sur au moins 0,5 % du capital ou des droits de vote de la société qui a émis ces actions doit être transmise dans un délai fixé par décret au Conseil des marchés financiers qui en assure la publicité.

A défaut de transmission, les effets de cette clause sont suspendus, et les parties déliées de leurs engagements, en période d'offre publique.

« Le conseil doit également être informé de la date à laquelle la clause prend fin. Il assure la publicité de cette information.

« Les clauses des conventions conclues avant la date de publication de la loi no du relative aux nouvelles régulations économiques qui n'ont pas été transmises au Conseil des marchés financiers à cette date doivent lui être transmises, dans les mêmes conditions et avec les mêmes effets que ceux mentionnés au premier alinéa, dans un délai de six mois. »

La parole est à M. Christian Estrosi, inscrit sur l'article.

M. Christian Estrosi.

Comme à son habitude, le Gouvernement nous présente un texte fourre-tout, dont l'unique et véritable objet consiste à accentuer encore l'interventionnisme de l'Etat dans l'économie.

Alors que nos voisins européens, prétendument socialistes, mènent une politique volontariste de libéralisation de leur économie...

M. Jean-Pierre Brard.

De qui parlez-vous ?

M. Christian Estrosi.

... et que notre pays profite pleinement de la croissance internationale, ce texte, une nouvelle fois, marque la force de vos archaïsmes.

Il ne résout pas, en effet, les vrais problèmes, mais représente plutôt la mise en oeuvre de votre idéologie, inadaptée au contexte français, européen et international.

Sous prétexte de transparence, vous aggravez encore les contraintes pesant sur nos entreprises. Vous semblez découvrir les mécanismes économiques comme les offres publiques d'achat ou d'échange, comme les stock-options, à propos desquels votre majorité s'empêtre dans ses contradictions.

Il ne s'agit plus désormais pour vous que de brider notre économie, de contrôler, de réglementer, d'amenuiser le libre jeu des acteurs économiques, et non de réguler.

Comment être cohérent d'ailleurs lorsqu'un même texte aborde des sujets aussi complexes que le déroulement des opérations financières, la moralisation des pratiques commerciales ou encore le blanchiment des capitaux ? Je souhaiterais développer ce dernier point.

Si l'on peut se réjouir de l'internationalisation des échanges qui profite largement à notre économie, à nos entreprises et donc aux Français -, il faut également constater qu'elle s'accompagne généralement de mouvements de capitaux provenant de la drogue, du proxénétisme et plus généralement de toutes activités criminelles à l'échelle internationale.

Si, depuis 1980, à l'initiative de l'Europe et sous l'impulsion de la France, les réglementations se sont renforcées, force est de constater qu'elles sont pour la plupart inapplicables, du moins quant aux résultats.

Certes, le nombre de déclarations de soupçon a largement progressé en dix ans -, de plus de 900 %. Néanmoins, seulement 425 dossiers ont été transmis à la justice et seulement 300 enquêtes ont eu lieu. Mais combien de condamnations ? Très peu, en regard du nombre de déclarations, ont sanctionné ces pratiques.

Ces chiffres démontrent les progrès de notre législation grâce au renforcement de la coopération internationale et au sérieux des organismes tels que TRACFIN ou le GAFI. Hélas, ils démontrent aussi les insuffisances de notre sytème ! Or votre projet ne vient en rien régler ces défaillances.

Si nous sommes d'accord sur les objectifs, nous le sommes moins quant aux moyens mis en oeuvre.

D'abord, parce que, comme à votre habitude, vous avez rejeté la majeure partie de nos amendements qui tendaient à renforcer ce dispositif, comme ceux tendant à élargir l'obligation de déclaration de soupçon, ou encore à permettre à TRACFIN de communiquer aux officiers de police judiciaire ou aux services des douanes les informations reçues en provenance des administrations publiques.

Ensuite, parce que ce texte ne prend pas en considération les nouveaux procédés de blanchiment telle l'utilisation des nouvelles technologies de paiement, plus rapide, anonyme, sans territoire défini -, alors même que le GAFI, dont vous vous réclamez, y fait expressément référence.

Votre projet ne tient pas compte non plus des nouvelles organisations criminelles. En effet, depuis la fin de la guerre froide, s'est développé, ici et là, un système mafieux qui touche tous les pans de notre économie et beaucoup de régions.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ce que vous dites n'a aucun lien avec l'article, mon cher collègue ! Vous faites une intervention générale !

M. Christian Estrosi.

Votre approche est globale. Elle ne tient aucunement compte des particularismes qui peuvent caractériser ces nouveaux types de mafia.

Elles ne sont pas toutes taillées sur le même modèle : les mafias italiennes ne ressemblent pas aux mafias asiatiques, les mafias russes ne ressemblent pas au cartel colombien, ni dans la forme, ni dans l'envergure, ni même dans la spécialisation.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Cela n'a rien à voir avec l'article !

M. Jean-Pierre Brard.

Mais il y a tout l'échantillon à Nice !

M. Christian Estrosi.

C'est la raison pour laquelle j'avais proposé la création d'une commission d'enquête relative à la pénétration des mafias des pays de l'Est en


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

France. Je regrette que la majorité, monsieur Brard, ait rejeté cette proposition. Vous semblez ignorer l'importance de ce phénomène, pourtant repris largement par la presse et pour lequel la commission d'enquête sur le blanchiment des capitaux n'a guère l'air de se soucier.

Je vous rappelle pourtant que le GAFI est favorable à une connaissance régionale et sectorisée de ces phénomènes, qui touchent notre pays. Il semble en effet important de connaître l'implantation locale d'une mafia et ses modes opératoires, afin de pouvoir les combattre efficacement.

Enfin et surtout, le TRACFIN ne peut faire face à l'affluence des déclarations de soupçon : seule une trentaine d'agents est affectée à ce service, pour un budget de 3 millions de francs. Il semble également que rien ne soit prévu en termes de formation pour lesdits agents, qui ont à faire face à des situations de blanchiment de plus en plus complexes. Un renforcement des forces de sécurité ne serait pas un mal quand on sait que, sur Nice - pour ne citer que cette ville -, la brigade des moeurs ne compte que cinq agents.

M. Dominique Baert.

Il y a du travail là-bas !

M. Christian Estrosi.

C'est décidément devenu une véritable habitude que de proposer des mesures sans y consacrer les moyens, ...

M. Jean-Pierre Brard.

Mais vous voulez réduire le nombre de fonctionnaires !

M. Christian Estrosi.

... alors que vous n'hésitez pas à sacrifier des pans de notre économie, à grever le budget de l'Etat et des Français pour la mise en place de politiques au service de votre idéologie.

M. le président.

Mon cher collègue, votre temps de parole est épuisé.

M. Christian Estrosi.

C'est une nouvelle fois une occasion manquée, qui ne répond en rien aux enjeux très graves de la situation actuelle en termes de blanchiment de capitaux.

Monsieur le ministre, il faut en la matière agir plus vite et plus fortement. La crédibilité de notre pays est en jeu mais aussi la sécurité de nos concitoyens.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Cette intervention n'avait rien à voir avec l'article !

M. le président.

Nous nous sommes en effet un peu éloignés de l'article 1er , monsieur Estrosi, si vous me permettez cette réflexion.

M. François Goulard.

C'est le premier article, monsieur le président.

M. Christian Estrosi.

C'est avec l'article 1er que s'ouvre la discussion des articles.

M. le président.

Je suis saisi de deux amendements identiques nos 322 et 495.

L'amendement no 322 est présenté par M. Auberger et M. Chabert ; l'amendement no 495 par MM. Goulard, Gantier et Laffineur.

Ces amendements sont ainsi rédigés :

« Dans le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 356-1-4 de la loi du 24 juillet 1966, après le mot : "conventions", insérer les mots : "visées au premier alinéa et". »

La parole est à M. Philippe Auberger, pour soutenir l'amendement no 322.

M. Philippe Auberger.

L'article 1er prévoit l'obligation de publicité de certaines conventions qui peuvent être passées entre des entreprises au sujet de cessions préférentielles d'actions.

Nous sommes favorables à cette disposition, même s'il nous semble qu'elle ne relève pas vraiment du domaine législatif et qu'un règlement approprié du comité des marchés financiers aurait suffi à régler le problème. Peu importe, puisque le Gouvernement a décidé d'afficher des mesures nouvelles, nous acceptons.

Il nous a paru cependant que le dernier alinéa de l'article n'était pas très clair quant à la nature des conventions visées. Nous proposons donc de préciser que les conventions visées sont celles qui sont énumérées dans le premier alinéa.

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour soutenir l'amendement no 495.

M. François Goulard.

Une disposition de cette nature existe dans le droit des marchés financiers d'autres pays.

Pour ma part, je n'y suis pas hostile, même si le seuil de 0,5 % du capital pour obliger à la publication des pactes d'actionnaires me paraît trop faible. La loi que l'on nous propose me paraît particulièrement rigoureuse.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

La commission a repoussé les amendements. Vous avez raison, monsieur Goulard, cet article se veut extrêmement rigoureux. Nous souhaitons instaurer une totale transparence et donc n'autoriser aucune exception pour ce qui des pactes d'actionnaires.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Même avis.

M. le président.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 322 et 495.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président.

Je suis saisi de trois amendements identiques nos 323, 370 et 494.

L'amendement no 323 est présenté par M. Auberger et

M. Chabert ; l'amendement no 370 par M. Jégou ; l'amendement no 494 par MM. Goulard, Gantier et Laffineur.

Ces amendements sont ainsi rédigés :

« Dans le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 356-1-4 de la loi du 24 juillet 1966, substituer aux mots : "avant la date de publication de la loi no ... du ... relative aux nouvelles régulations économiques", les mots : "depuis le 1er janvier 1995". »

La parole est à M. Philippe Auberger, pour soutenir l'amendement no 323.

M. Philippe Auberger.

Si l'amendement précédent était de pure forme, celui-ci nous paraît davantage substantiel.

En effet, exiger la transmission au conseil des marchés financiers et la publication de tous les pactes d'actionnaires, dont certains peuvent être extrêmement anciens, nous semble difficile. L'amendement no 323 tend donc à limiter cette obligation dans le temps en proposant que seuls les pactes conclus depuis le 1er janvier 1995 soient concernés par la publication. Il nous paraît inutile d'exiger la transmission de pactes plus anciens qui peuvent être considérés comme caducs, sachant que pour les pactes qui se révéleraient effectifs, il conviendra de les transmettre et d'en faire la publicité.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, pour soutenir l'amendement no 370.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. Jean-Jacques Jégou.

Souvenez-vous de la saga de l'été dernier avec la BNP, Paribas et la Société Générale

Elle nous a montré que, quelquefois, on avait intérêt à ne pas revenir trop loin, des pactes anciens pouvant être oubliés par certains des protagonistes. Nous souhaitons donc, comme nos collègues, limiter au 1er janvier 1995, pour ne pas remonter trop loin, l'obligation prévue dans cet article.

M. le président.

La parole est à M. François Goulard, pour défendre l'amendement no 494.

M. François Goulard.

Amendement défendu.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Je ne comprends pas vraiment les arguments de M. Auberger et de M. Jégou. Ce qu'il a appelé « la saga de l'été dernier » montre au contraire l'intérêt des mesures préconisées dans cet article.

Il peut exister des conventions secrètes ; des entreprises peuvent même découvrir au moment d'une OPA ou d'une OPE qu'elles sont liées par des pactes d'actionnaires anciens qui retrouvent une vertu. Il n'y a pas de raison de prévoir une limite dans le temps. Avis défavorable aux amendements.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Aux arguments développés excellement par M. le rapporteur, j'ajoute que lors des opérations boursières de l'année dernière, qui viennent d'être évoquées, certaines personnes ont tenté de se prévaloir d'un pacte d'actionnaire conclu entre une compagnie d'assurance et une banque plus de quinze ans auparavant. Il faut que la loi établisse une transparence.

Le Gouvernement souhaite donc le rejet des amendements proposés.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Qu'on ne se méprenne pas sur nos intentions. La date que nous proposons est logique. La vie des sociétés évolue. Des changements stratégiques peuvent s'opérer à l'occasion des mouvements d'actionnaires. Parfois, des décisions pourraient être prises avec d'autres responsables. Il faut limiter l'effectivité des accords dans le temps. C'est dans cet esprit-là que nous souhaitons que les accords antérieurs au 1er janvier 1995 puissent être considérés comme caducs.

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Il semble que notre amendement n'ait pas été compris. Pourtant, il est de bon sens.

Nous sommes d'accord avec le premier alinéa, selon lequel tout pacte qui ne serait pas transmis au conseil des marchés financiers ne pourrait avoir d'effet. Si nous demandons qu'il n'y ait pas de transmission systématique des pactes antérieurs, c'est parce que certains ne veulent plus rien dire. Dans l'affaire de l'année dernière, il s'agissait d'un accord passé par l'UAP qui, ayant été absorbée par AXA se trouvait en charge d'un pacte d'actionnaires qu'elle n'avait pas dénoncé puisqu'elle n'en avait pas eu connaissance à l'époque. Il faut éviter tous ces problèmes d'antériorité. On ne va pas faire l'historique de tous les accords passés entre les entreprises dès lors que celles-ci ont disparu, en tout cas dans leur forme actuelle. Notre souci est donc un souci de simplification, qui ne met pas du tout en cause l'objectif de transparence du Gouvernement que nous partageons pleinement, je l'ai dit.

M. Jean-Jacques Jégou.

Tout à fait !

M. le président.

Les avis de la commission et du Gouvernement en sont-ils modifiés ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Pour être bref, car il nous reste 654 amendements à examiner, je me contenterai de confirmer l'avis défavorable de la commission.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je confirme l'avis défavorable du Gouvernement.

M. le président.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 323, 370 et 494.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 1er

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président.

« Art. 2. - L'article 34 de la loi no 96597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. 34 . - Les transactions sur instruments financiers faisant l'objet d'une offre publique ne peuvent être réalisées que sur un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou sur un marché reconnu en application de l'article 18 de la loi du 28 mars 1885 précitée, sur lequel ces instruments financiers sont admis aux négociations. Sans préjudice de la sanction prévue à l'article 45 de la présente loi, les détenteurs d'instruments financiers acquis en violation des dispositions précédentes sont privés du droit de vote pour toute assemblée d'actionnaires qui se tiendrait avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de l'acquisition. »

Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Après l'article 2

M. le président.

M. Charié a présenté un amendement, no 96, ainsi libellé :

« Après l'article 2, insérer l'article suivant :

« Le deuxième alinéa de l'article 3 de l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 est ainsi rédigé :

« Elle vérifie que les informations fournies aux actionnaires, ou publiées par lesdites sociétés correspondent aux dispositions législatives ou réglementaires et à ses recommandations ».

La parole est à M. Jean-Paul Charié.

M. Jean-Paul Charié.

Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 96 et 97, pour gagner du temps.

M. le président.

Je vous en remercie.

M. Jean-Paul Charié.

Avec l'article 3, nous abordons l'organisation et le contrôle de la régularité des informations financières. Monsieur le rapporteur, je n'ai malheureusement pas pu défendre cet amendement en commission des finances mais il me semble qu'il va tout à fait dans le sens voulu par le Gouvernement.

Pour éviter la publicité mensongère, on aurait pu supprimer l'autorisation de publicité financière avant l'autorisation de la COB mais le risque était de voir les professionnels de la finance être seuls informés aux dépens des petits actionnaires qui ne l'auraient été que par la presse.

C'est pourquoi des ordonnances ont été prises en 1967.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Aujourd'hui, il nous est proposé de légiférer. Mais il demeure un risque d'insécurité juridique. Je citerai un exemple parmi tant d'autres : lorsque la publicité financière s'appuie de bonne foi sur la valeur d'une action et que dans les jours ou les heures qui suivent la publicité financière, l'action ou le cours s'effondre, il y a quelque part une insécurité juridique sur l'information financière.

Mes deux amendements proposent que la commission des opérations de bourse crée une espèce de code de bonne conduite et publie ses recommandations. Le but est, dans la perspective des législateurs de 1967 et du projet de loi, d'essayer de réguler et de supprimer l'insécurité juridique qui peut naître de ces louables recommandations.

M. le président.

Monsieur Charié, l'inspiration de vos amendements nos 96 et 97 est en effet la même mais les dispositions juridiques ne sont pas identiques. J'appellerai donc les deux amendements séparément.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement no 96 ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Monsieur Charié, j'aurais aimé donner un avis favorable à votre amendement, ayant apprécié votre discours hier. Malheureusement, ce n'est pas possible, pour une raison très simple : sauf erreur de ma part, l'amendement no 96 est déjà satisfait par la loi du 2 juillet 1996 que M. Jégou connaît bien puisqu'il en fut le rapporteur. La loi dispose, en effet, que les instructions et les recommandations sont publiées dans un délai de quinze jours suivant la date de la transmission au ministre de l'économie.

M. Jean-Jacques Jégou.

Tout à fait.

M. Eric Besson, rapporteur.

Vos préoccupations légitimes sont donc satisfaites, monsieur Charié.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le Gouvernement apprécie l'intention de M. Charié de soutenir les objectifs du Gouvernement. Mais, très sincèrement, je ne vois pas en quoi son amendement apporterait une précision au droit positif existant et irait dans le sens de la transparence. La COB inscrit toujours ses décisions dans le cadre que vous souhaitez lui assigner, c'est-à-dire que les informations fournies aux actionnaires ou publiées par les sociétés doivent correspondre aux dispositions législatives ou réglementaires et aux recommandations de la COB. Je ne vois pas où est la novation.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Paul Charié.

M. Jean-Paul Charié.

Nous ne sommes pas dans le cadre de l'ordonnance de 1967 sur les publicités pour appel public à l'épargne, mais dans le cadre des informations financières.

Si ce que vous me dites, monsieur le secrétaire d'Etat et monsieur le rapporteur, est exact, je suis prêt à retirer mon amendement, car votre réponse valide mon intention. Je souhaite que les informations fournies aux actionnaires ou publiées par lesdites sociétés soient vérifiées. I l faut s'appuyer sur les recommandations de la COB préalables et non postérieures à l'information financière.

Si vous m'assurez que l'esprit de la loi est bien conforme à l'objet de mes deux amendements, que les sociétés publiant des informations financières pourront s'appuyer sur des recommandations antérieures, je retirerai mon amendement.

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur Charié, ayant interrogé la COB sur ce point, je vous confirme que cette interprétation est la bonne. La COB opère déjà de la sorte dans les deux cas de figure évoquée par l'ordonnance de 1967.

M. Jean-Paul Charié.

Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. le président.

L'amendement no 96 est retiré.

Article 3

M. le président.

« Art. 3. - A l'article 3 de l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une Commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse :

« 1o Il est ajouté au troisième alinéa la phrase suivante :

« Faute pour les sociétés intéressées de déférer à cette injonction, la commission peut procéder elle-même à ces publications rectificatives » ;

« 2o Il est ajouté un cinquième alinéa ainsi rédigé :

« Les frais occasionnés par les publications mentionnées aux deux alinéas précédents sont à la charge des sociétés intéressées. »

Je suis saisi de deux amendements, pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement no 97, présenté par M. Charié, est ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le début de l'article 3 :

« L'article 3 de l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse est ainsi modifié :

« I. Le deuxième alinéa est complété par la phrase suivante : "A cette fin, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi no ... du ..., elle prend un règlement qui précise les critères sur lesquels elle se fonde pour déterminer les inexactitudes susceptibles d'être contenues dans ces informations". »

« II. Il est ajouté un cinquième alinéa ainsi rédigé... (le reste sans changement). »

L'amendement no 371, présenté par MM. Hériaud, Morin et Jégou, est ainsi rédigé :

« Compléter le troisième alinéa de l'article 3 par la phrase suivante : "A cette fin, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi no ... du ..., elle prend un règlement qui précise les critères sur lesquels elle se fonde pour déterminer les inexactitudes susceptibles d'être contenues dans ces informations." »

M onsieur Charié, voudriez-vous également retirez l'amendement no 97, que vous aviez défendu par anticipation ?

M. Jean-Paul Charié.

Oui, monsieur le président.

M. le président.

L'amendement no 97 est donc retiré.

La parole est à M. Pierre Hériaud, pour soutenir l'amendement no 371.

M. Pierre Hériaud.

Cet amendement a pour but d'introduire un peu de clarté, de transparence, en établissant des règles du jeu, avant l'intervention des opérateurs, pour les éclairer.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

Dans les trois mois suivant la publication de la présente loi, il s'agit d'élaborer un règlement précisant les critères sur lesquels se fondera la Commission des opérations de bourse pour déterminer les inexactitudes.

Mieux vaut prévoir et prévenir que guérir.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Cet amendement part d'une bonne intention, d'une bonne idée, qu'on peut comprendre.

Toutefois, l'expérience prouve que l'imagination des publicitaires peut difficilement être au préalable codifiée, - souvenez-vous du duel de l'année dernière entre la BNP et la Société générale. Par conséquent, l'adoption de cet amendement se retournerait contre nous.

Je préférerais donc que M. Hériaud retire son amendement, comme vient de le faire M. Charié. Sinon, je serais obligé d'appeler à voter contre.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'information diffusée par les sociétés cotées, monsieur Hériaud, est déjà régie par deux textes : le règlement 98-01 relatif à l'information à diffuser lors de l'admission sur un marché réglementé, et le règlement 98-07 relatif à l'obligation permanente d'information du public. Il me semble donc que vous avez d'ores et déjà satisfaction, et vous pourriez peut-être retirer votre amendement.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Paul Charié.

M. Jean-Paul Charié.

Nous sommes tous d'accord pour limiter le plus possible la publicité mensongère. Et nous le sommes également pour admettre, monsieur le rapporteur, que la Commission des opérations de bourse, dans ses recommandations préalables, ne pourra jamais prévoir tous les cas de figure que des gens malhonnêtes sont susceptibles d'imaginer.

Mais l'idée est de garantir au maximum, par ces recommandations, la sécurité juridique des opérateurs et des communicateurs honnêtes. Soyons bien clairs : outre les deux points que vous avez évoqués, monsieur le secrétaire d'Etat, pour le cas spécifique de l'information financière, la COB pourra-t-elle bien émettre des recommandations, qui, sans couvrir tous les cas de figure, en balaieront le plus grand nombre ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La réponse est oui.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Eric Besson, rapporteur.

Je confirme à M. Charié que nous partageons son point de vue. Et cet article nous paraît bien rédigé, justement parce qu'il va donner à la COB la marge de manoeuvre nécessaire pour tenir compte des préoccupations qu'il vient d'exprimer. J'ai donc franchement le sentiment que celles-ci sont satisfaites.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Hériaud.

M. Pierre Hériaud.

Compte tenu des précisions qui viennent d'être apportées, et en dépit d'un petit pincement au coeur, je retire mon amendement.

M. le président.

L'amendement no 371 est retiré.

Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Après l'article 3

M. le président.

MM. Goulard, Gantier et Laffineur ont présenté un amendement, no 496, ainsi libellé :

« Après l'article 3, insérer l'article suivant :

« Le dernier alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse est ainsi rédigé :

« Un cercle restreint d'investisseurs est composé soit de personnes, autres que des investisseurs qualifiés, dont le nombre est inférieur à un seuil fixé par décret, soit de personnes, autres que des investisseurs qualifiés, liés aux dirigeants de l'émetteur par des relations personnelles à caractère professionnel ou familial. »

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Cet amendement propose de préciser la notion de « cercle restreint d'investisseurs ». Il tient compte d'un souhait émis par de nombreux professionnels de la place de Paris, considérant qu'un flou juridique existe autour de cette notion.

Vous me permettrez d'ajouter, à propos des discussions qui ont émaillé l'article précédent, qu'il faut bien prendre garde à ne pas supprimer l'un des intérêts de l'existence d'une autorité de régulation en réglementant excessivement. L'une des qualités d'une autorité indépendante comme la COB, c'est qu'elle apprécie au cas par cas, en fonction de grandes règles qui sont posées par le législateur. C'est éviter une précision réglementaire pénalisante et très lourde.

En outre, il ne faut pas non plus charger excessivement la barque, s'agissant du plan de charge de la COB.

La COB, aujourd'hui, est confrontée à de nombreuses introductions en bourse, en particulier du fait du développement de ce que l'on appelle « la nouvelle économie ».

M. Jean-Paul Charié.

Il faudrait lui donner des moyens supplémentaires.

M. François Goulard.

Les praticiens le savent, nous assistons à une saturation de ses moyens : elle a du mal à satisfaire la demande qui émane des entreprises. Il faut avoir cette réalité à l'esprit quand on entend ajouter des obligations nouvelles en trop grand nombre, car loin d'améliorer le fonctionnement de cet organisme, on le contraint d'avance.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Monsieur Goulard, je ne réagirai qu'à vos propos relatifs à l'amendement no 496, pour ne pas revenir sur l'article précédent.

L'exposé sommaire de votre amendement commence par les mots : « La place de Paris souhaite ». Cette formule m'a surpris. En effet, entre les auditions et les courriers, nous avons recueilli beaucoup de sollicitations pour modifier la législation, mais aucune n'allait dans le sens que vous indiquez. Ce n'est pas une remise en cause, mais un simple constat.

Au demeurant, sur le fond, la législation actuelle me paraît satisfaisante. Elle garantit un minimum de sécurité en exigeant des cercles d'investisseurs un certain lien avec les professionnels. Ce serait affaiblir ce lien que de lui substituer des relations personnelles, éventuellement à


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caractère familial, qui pourraient, dans le pire des cas, ouvrir la voie à des opérations douteuses. Je ne dis pas que c'est là l'intention de l'amendement, mais je vous signale simplement le risque.

Avis défavorable à l'amendement.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

On s'en souvient, c'est en 1998 que les règles de l'appel public à l'épargne ont été modifiées, afin de concilier la souplesse nécessaire et le bon déroulement des opérations. Les règles actuelles régissant le placement privé apparaissent suffisantes au Gouvernement. Vous pourriez utilement en convenir, monsieur Goulard, et retirer votre amendement.

M. le président.

Monsieur Goulard, le retirez-vous ?

M. François Goulard.

Oui, pour être agréable à M. le secrétaire d'Etat.

M. Philippe Auberger.

Pas au nom de « la place de Paris » ? (Sourires.)

M. le président.

L'amendement no 496 est retiré.

Article 4

M. le président.

« Art. 4. - I. - Le quatrième alinéa de l'article L. 432-1 du code du travail est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« En cas d'annonce d'offre publique d'achat ou d'offre publique d'échange portant sur une entreprise, le chef de cette entreprise réunit immédiatement le comité d'entreprise pour l'en informer. Au cours de cette réunion, le comité décide s'il souhaite entendre l'auteur de l'offre. Le chef de l'entreprise auteur de l'offre adresse au comité de l'entreprise qui en fait l'objet, dans les trois jours suivant sa publication, la note d'information mentionnée au troisième alinéa de l'article 7 de l'ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une Commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse. Dans les dix jours suivant la publication de cette note, le comité d'entreprise est réuni pour procéder à son examen et, le cas échéant, à l'audition de l'auteur de l'offre. Dans ce cas, la date de la réunion est communiquée à ce dernier au moins trois jours à l'avance. Le comité d'entreprise peut faire part à l'auteur de l'offre de toutes les observations qu'il estime utiles.

« La société ayant déposé une offre et dont le chef d'entreprise, ou le représentant qu'il désigne parmi les mandataires sociaux ou les salariés de l'entreprise, ne se rend pas à la réunion du comité d'entreprise à laquelle il a été invité dans les conditions prévues à l'alinéa pré cédent ne peut exercer les droits de vote attachés aux titres de la société faisant l'objet de l'offre qu'elle détient ou viendrait à détenir. Cette interdiction s'étend aux sociétés qui la contrôlent ou qu'elle contrôle au sens de l'article 357-1 de la loi no 66-837 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. La sanction est levée le lendemain du jour où le chef d'entreprise de la société ayant déposé l'offre a été entendu par le comité d'entreprise de la société faisant l'objet de l'offre. La sanction est également levée si le chef d'entreprise n'est pas convoqué à une nouvelle réunion du comité d'entreprise dans les quinze jours qui suivent la réunion à laquelle il avait été préalablement convoqué. »

« II. Le quatrième alinéa de l'article L. 439-2 du code du travail est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« En cas d'annonce d'offre publique d'achat ou d'offre publique d'échange portant sur l'entreprise dominante d'un groupe, le chef de cette entreprise en informe immédiatement le comité de groupe. Il est alors fait application au niveau du comité de groupe des dispositions prévues aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 432-1 pour le comité d'entreprise.

« Le respect des dispositions de l'alinéa précédent dispense des obligations définies à l'article L. 432-1 pour les comités d'entreprise des sociétés appartenant au groupe. »

L'amendement no 497 n'est pas défendu.

MM. Bascou, Dray, Gaïa, Galut, François, Lamy, Launay, Mme Génisson et Mme Picard, ont présenté un amendement, no 133, ainsi rédigé :

« Avant le I de l'article 4, insérer le paragraphe suivant :

« I. A. Dans le dernier alinéa de l'article L. 122-12 du code du travail, après les mots : "mise en société", sont insérés les mots : " offre publique d'achat ou offre publique d'échange" ».

Cet amendement est-il défendu ?

M. Yves Cochet.

Il est défendu, monsieur le président.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

J'aurais eu des questions à poser aux auteurs de l'amendement, car je ne suis pas sûr de l'avoir bien compris. Mais comme il est simplement défendu, je me contenterai d'exprimer un avis défavorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le Gouvernement n'est pas favorable non plus à cet amendement, qui vise à garantir le maintien des contrats de travail des salariés dont la société fait l'objet d'une offre publique. Cela appelle quelques explications.

E n premier lieu, la rédaction actuelle de l'article L. 122-12 du code du travail est suffisamment large pour prendre en compte tous les cas dans lesquels la situation juridique de l'employeur est modifiée, y compris ceux invoqués par l'amendement.

En second lieu, l'offre publique, en elle-même, n'entraîne aucune modification de la situation juridique de la société visée par l'opération. En effet, la réussite de l'offre, et donc la prise de contrôle de la société, correspond juridiquement à une vente, situation expressément prévue par l'article L. 122-12 du code du travail.

Dans ces conditions, mentionner expressément les OPA et les OPE à l'article L. 122-12 du code du travail serait contre-productif, voire dangereux, par rapport aux objectifs poursuivis par les auteurs de l'amendement. Raisonnons a contrario : on pourrait soutenir que les transferts de propriété par cession de titres sans offre publique d'achat ou d'échange ne sont pas visés. La portée de l'article L. 122-12 serait par conséquent affaiblie.

En application de cet article, en cas de transfert de propriété par cession de titres, une offre publique n'a jamais posé de difficulté concrète aux salariés concernés.

C'est pourquoi il ne faut pas affaiblir l'article L. 122-12, mais lui conserver toute sa portée. L'amendement no 133 pourrait utilement être retiré.

M. le président.

Il faudrait qu'un de ses auteurs soit présent. Nous ne pouvons pas nous substituer à eux...

Je mets aux voix l'amendement no 133.

(L'amendement n'est pas adopté.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. le président.

M. Eric Besson, rapporteur, a présenté un amendement, no 134, ainsi rédigé :

« Dans la première phrase du deuxième alinéa du I de l'article 4, substituer aux mots : "d'annonce", les mots : "de dépôt d'une" ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Eric Besson, rapporteur.

Il s'agit d'un amendement de précision. L'« annonce » d'une offre publique est entourée d'un flou juridique - ce peut être une conférence de presse ou même des rumeurs - tandis que la notion de « dépôt » est très précise. Le dépôt de l'offre publique devant le conseil des marchés financiers est un acte juridique facilement identifiable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Exactement le même avis que M. le rapporteur.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 134.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

M. Gantier et M. Laffineur ont présenté un amendement, no 611 corrigé, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi la quatrième phrase du deuxième alinéa du I de l'article 4 :

« Dans les quinze jours suivant la publication de cette note ou vingt et un jours s'il s'agit d'un comité de groupe, le comité d'entreprise est réuni pour procécer à son examen et, le cas échéant, à l'audition de l'auteur de l'offre ou de son représentant. »

Cet amendement est-il défendu ?

M. François Goulard.

Il est défendu.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Avis défavorable. Nous souhaitons absolument que ce soit un représentant de la direction qui se rende devant les salariés.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je propose le rejet de cet amendement.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 611 corrigé.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je suis saisi de quatre amendements, nos 498, 135, 372 et 499, pouvant être soumis à une discussion commune.

L'amendement no 498, présenté par MM. Goulard, Gantier et Laffineur est ainsi rédigé :

« Dans la quatrième phrase du deuxième alinéa du I de l'article 4, substituer au nombre : "dix", le nombre : "vingt". »

Les amendements nos 135, 372 et 499 sont identiques.

L'amendement no 135 est présenté par M. Eric Besson, rapporteur, MM. Gantier, Hériaud, Jégou, Laffineur et Méhaignerie ; l'amendement no 372 par MM. Jégou, Hériaud et Méhaignerie ; l'amendement no 499 par MM. Goulard, Gantier et Laffineur.

Ces amendements sont ainsi rédigés :

« Dans la quatrième phrase du deuxième alinéa du I de l'article 4, substituer au nombre : "dix", le nombre : "quinze".

Vous voulez intervenir avant la discussion de ces amendements, monsieur Jégou ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Oui, monsieur le président, car nous pouvons gagner du temps.

M. le président.

Je vous en prie, monsieur Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Puisque nous avions déjà eu une discussion sur ce point et que nous nous étions tous mis d'accord, y compris M. Gantier, sur un amendement commun, celui de la commission des finances - vous l'aviez d'ailleurs fait remarquer avec beaucoup d'à-prop os -, accordons-nous donc sur une durée de quinze jours.

M. le président.

Votre proposition est intéressante. Si les auteurs en sont d'accord, nous pouvons considérer que trois amendements sont retirés et soumettre à la discussion l'amendement no 135 de la commission.

M. François Goulard.

Je suis d'accord.

M. le président.

Les amendements nos 498, 372 et 499 sont retirés.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement no 135.

M. Eric Besson, rapporteur.

Je confirme vos propos, monsieur Jégou. Après discussion en commission des finances, avec vous, ainsi qu'avec MM. Gantier, Hériaud, Laffineur et Méhaignerie, nous sommes tombés d'accord pour modifier le délai de convocation du comité d'entreprise, pour le faire passer de dix à quinze jours.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

On pouvait hésiter, en effet, entre dix et vingt jours. Un délai de vingt jours risque d'allonger excessivement l'offre. Un délai de dix jours peut paraître trop court pour le comité d'entreprise. Le terme moyen de quinze jours semble sage. Je suis donc favorable à l'amendement défendu par

M. le rapporteur.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 135.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

MM. Cuvilliez, Feurtet et les membres du groupe communiste ont présenté un amendement, no 467, ainsi rédigé :

« Substituer à la dernière phrase du deuxième alinéa du I de l'article 4 les trois alinéas suivants :

« L'auteur de l'offre est tenu de communiquer l'ensemble des données permettant au comité d'entreprise d'évaluer les conséquences économiques et en particulier s'agissant de l'emploi qui résulterait de la concrétisation de cette offre, le comité d'entreprise peut faire part à l'auteur de l'offre de toutes les observations qu'il estime utile et émet un avis sur cette offre.

« Le comité d'entreprise dispose d'un délai d'expertise et d'examen de l'offre de trois semaines lorsqu'il estime que les éléments fournis par l'auteur de l'offre font demeurer des incertitudes s'agissant des conséquences sur l'évolution des effectifs de l'entreprise.

« Il peut demander lors d'une nouvelle réunion convoquée au plus tard à l'issue de ce délai àe ntendre à nouveau l'auteur de l'offre avant d'émettre son avis sur cette offre. »

La parole est à M. Christian Cuvilliez.

M. Christian Cuvilliez.

A la différence de l'amendement no 133, qui n'a été ni soutenu ni retiré, parce qu'aucun de ses auteurs n'était présent, nous nous proposons d'in-


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téresser le personnel par la voix du comité d'entreprise, non pas dans le cadre du code du travail mais dans le cadre de cette loi, et de faire en sorte que toute offre publique d'achat ou offre publique d'échange fasse l'objet non seulement d'une information, comme le texte du Gouvernement l'envisage, mais d'une consultation, ce qui est bien différent.

Le comité d'entreprise aurait la possibilité d'évaluer les conséquences économiques de l'offre publique. Comme le disait M. le secrétaire d'Etat, il se peut que le statut juridique d'une entreprise faisant l'objet d'une offre de fusion ou de concentration ne soit pas modifié par l'offre elle-même ; cependant, celle-ci conduit évidemment à modifier la structure juridique de l'entreprise, mais surtout la structure de fonctionnement, et elle pèse sur l'emploi, ce qui intéresse évidemment au premier chef les travailleurs et leurs représentants.

Nous proposons donc que le comité d'entreprise soit interrogé, qu'il rencontre les auteurs de l'offre et qu'il dispose d'un délai de trois semaines pour pouvoir l'expertiser. Lorsqu'il estimera que les éléments fournis par l'auteur de l'offre seront insuffisants pour lever les incertitudes sur l'évolution des effectifs, il pourra demander une autre réunion. Lorsque l'offre sera acceptée par tout le monde, elle aura vraiment le caractère d'une garantie, y compris dans le domaine social.

Notre proposition s'inspire à bien des égards de réflexions menées par des parlementaires, notamment dans le groupe ATTAC, réflexions que nous allons retrouver à travers un autre amendement, présenté collectivement, qui suggérera que les organisations syndicales représentatives soient également consultées en cas d'offre publique d'achat ou d'offre publique d'échange.

Nous avons là l'occasion de donner un éclairage tout à fait original à une loi sur les nouvelles règles économiques. J'ai déjà souligné hier, dans la discussion générale, combien ce texte ignorait superbement le lien consubstantiel, dans le processus de production, entre le capital et le travail. En somme, donner à ceux qui incarnent le travail la possibilité d'intervenir dans les changements de structure de l'entreprise et sur leur propre avenir, cela me paraît être un moyen de rééquilibrer positivement le texte.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

La commission des finances a rejeté cet amendement, même si, sur le fond, nous le jugeons intéressant - nous avons déjà eu l'occasion de le dire.

Première raison, l'émetteur de l'offre ne dispose pas forcément de toutes les informations sur l'entreprise qu'il souhaite racheter. Il connaît certes son bilan, qui est public, mais il en maîtrise rarement les processus de gestion. Et au stade d'une offre, surtout s'il s'agit d'une offre hostile, l'émetteur n'a pas obligatoirement de projets précis en ce qui concerne l'emploi. On ne peut donc lui demander des engagements, alors qu'il ne dirige pas encore effectivement l'entreprise.

En second lieu, les effets de l'amendement paraissent inopérants. L'amendement prévoit un « avis » du comité d'entreprise, mais celui-ci n'aura aucun effet sur la procédure d'offre publique. Du coup, on en voit mal l'utilité pour les salariés eux-mêmes.

Enfin, le dialogue que notre collègue Cuvilliez souhaite instaurer nous paraît favorisé par l'article 4 lui-même. Et il sait aussi que je vais proposer dans quelques instants, au nom de la commission, un amendement qui satisfait au moins partiellement ses préoccupations en matière d'emploi. Je souhaite donc que M. Cuvilliez retire cet amendement. A défaut, je serai obligé d'en demander le rejet.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

J'ai exactement le même avis que la commission.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

M. Cuvilliez est certes animé de bonnes intentions, mais il n'a pas dû lire complètement l'article 4. Pour ma part, je me rallie à ce que vient de dire le rapporteur. Cela dit en entendant M. Cuvilliez, on comprend mieux cet amendement qui vise en fait à retarder ces opérations, y compris lorsqu'elles sont amicales !

M. le président.

Monsieur Cuvilliez, maintenez-vous votre amendement ?

M. Christian Cuvilliez.

Oui, monsieur le président, je le maintiens. En effet, chacun le sait, une offre publique d'achat ou une offre publique d'échange peut être hostile, inamicale à l'égard du personnel. Certaines entreprises opèrent des fusions pour augmenter leurs parts de marché sans se soucier de ce qu'il adviendra ensuite du personnel.

Indépendamment des autres mesures qui peuvent être envisagées, et dont nous allons discuter tout à l'heure, il serait donc juste que le comité d'entreprise, statutairement fondé à se prononcer sur tout ce qui concerne le f onctionnement ordinaire d'un établissement, qu'il s'agisse d'un simple changement de voilure ou d'un changement de stratégie, puisse être consulté, interrogé et même que son avis puisse être pris en compte au cas où i l serait défavorable à une offre publique d'achat.

M. Jégou a parfaitement compris mon intention.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 467.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

MM. Suchod, Carassus, Desallangre, Mme Marin-Moskovitz, MM. Jean-Pierre Michel, Sarre et Saumade ont présenté un amendement, no 395, ainsi rédigé :

« Compléter la dernière phrase du deuxième alinéa du I de l'article 4 par les mots : "et se prononce sur le caractère amical ou hostile de l'offre". »

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

Cet amendement est défendu.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

La commission des finances a repousé cet amendement. Il est en effet de plus en plus difficile de définir le caractère d'une OPA. En outre, tout le monde peut le constater, il n'y a plus aujourd'hui d'OPA « hostiles ». Elles sont toutes « amicales non sollicitées ».

M. Christian Cuvilliez.

Mais jamais désintéressées !

M. Eric Besson, rapporteur.

Je le dis en plaisantant car, bien évidemment, il en reste de foncièrement hostiles, mais l'honnêteté oblige à reconnaître que certaines, hostiles au départ, deviennent, de plus ou moins bon gré, amicales à la fin. De plus, je ne suis pas sûr que laisser au comité d'entreprise le soin de définir le caractère amical ou hostile d'une offre soit le meilleur service à lui rendre.

Je crois qu'il a mieux à faire. Cela ne me paraît pas devoir être sa préoccupation principale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le comité d'entreprise peut, après avoir pris connaissance du contenu de la note d'information et entendu l'auteur de l'offre, se prononcer sur la qualité de celle-ci. Il peut faire part de ses observations, de ses oppositions, de son avis sur l'offre.

C'est le droit. Il est très difficile d'aller au-delà et de qualifier en termes affectifs - amitié ou hostilité - une offre publique d'achat, qui est avant tout une opération économique et financière. Distinguer entre l'hostilité et l'amitié relève du domaine du commentaire journalistique, au demeurant utile,...

M. Christian Cuvilliez.

Au bout du compte, ce n'est jamais de la philanthropie !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... - merci, monsieur le député, de me souffler ce mot -, mais serait peu opérant en termes économiques ou financiers.

M. Christian Cuvilliez.

En termes de communication, si !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

C'est pourquoi je demande à l'Assemblée nationale de repousser cet amendement.

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Je suis favorable à cet amendement car tout le monde ne refuse pas toute pertinence à la différence entre OPA hostile et OPA amicale. Dans un article paru dans La Revue d'économie financière, no 31 - hiver 1999 -, pages 119-158, Stephen Prowse a dressé les statistiques concernant justement ces OPA. Il a parfaitement défini ces deux catégories et a établi qu'il existait, en la matière, une grande différence entre les pays du capitalisme rhénan et ceux du capitalisme angloaméricain. En effet - je vous livre quelques-unes de ses conclusions - en Grande-Bretagne, de 1970 à 1994, donc pendant vingt-quatre ans, un quart des OPA réalisées peuvent être considérées comme hostiles, ce qui est considérable. Aux Etats-Unis, de 1980 à 1994, 10 % du capital des 500 plus grosses entreprises ont été acquis à la suite d'OPA hostiles, toujours selon la catégorisation de M. Prowse, tandis qu'en Allemagne, de 1945 à nos jours, c'est-à-dire pendant plus de cinquante-cinq ans, on a comptabilisé seulement quatre OPA hostiles, et la situation est identique au Japon. Au vu de ces considérations, il me semble donc justifié de prévoir que le comité d'entreprise puisse se prononcer sur le caractère amical ou hostile de l'offre, comme le proposent les auteurs de l'amendement.

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

C'est un débat intéressant. J'ai d'ailleurs récemment constaté que le dirigeant d'une grande banque française, autrefois publique, s'était livré à des réflexions sur cette notion d'OPA amicales ou hostiles et il est allé assez loin puisqu'il propose que des modalités particulières soient retenues quand l'OPA est hostile.

Je tiens quant à moi à souligner qu'il importe de préciser à l'égard de qui l'OPA est amicale ou hostile. En effet, contrairement à ce que pense M. Cuvilliez, une telle opération ne vise pas l'ensemble des salariés de l'entreprise.

M. Bernard Outin.

On voit tous les jours des exemples qui démontrent l'inverse !

M. François Goulard.

Elle est amicale ou hostile à l'égard du management de l'entreprise. Ce n'est pas la même chose !

M. Christian Cuvilliez.

C'est une amitié très particulière !

M. François Goulard.

Il peut d'ailleurs être souhaitable pour les salariés qu'une OPA hostile intervienne pour écarter un mauvais management d'une entreprise.

M. Christian Cuvilliez.

Je demande à voir !

M. Bernard Outin.

Allons, allons, monsieur Goulard !

M. François Goulard.

Votre amendement devrait donc être plus précis, mes chers collègues, et cerner la notion d'hostilité. Vous faites un contresens en confondant l'intérêt de la direction ou des actionnaires de l'entreprise avec celui de ses employés.

M. Jean-Pierre Brard.

La réflexion sur le sexe des anges progresse !

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Comme je l'ai dit hier, cette distinction entre le caractère amical et le caractère hostile est subjective alors que le droit doit être objectif. En l'état actuel des choses, en l'absence d'une définition claire de l'hostilité ou du caractère amical, la disposition qui nous est proposée serait totalement inopérante.

M. Christian Cuvilliez.

Ce sont des abus de langage !

M. Philippe Auberger.

M. Cochet tire argument de statistiques, mais il oublie de dire que, jusqu'à présent, en Allemagne et au Japon, les OPA hostiles n'avaient aucune chance d'aboutir, et il le sait bien. Le fait qu'il n'y ait que des OPA amicales dans ces pays ne prouve donc rien.

C'est un phénomène qui tient à l'organisation du capitalisme dans ces Etats et aux contre-feux qui peuvent être allumés, notamment dans les liaisons banque-industrie.

M. Christian Cuvilliez.

C'est quand même intéressant !

M. Philippe Auberger.

Oui, mais on ne pourra régler le problème à la faveur de cet amendement. C'est pourquoi je propose de le repousser.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Eric Besson, rapporteur.

J'ajouterai qu'une OPA amicale n'est pas nécessairement bonne pour les entreprises concernées ou, de façon générale, pour l'économie du pays. Prenons le cas du secteur bancaire. Connaissant la faiblesse structurelle des grandes banques françaises, on p eut imaginer qu'une entreprise étrangère arrive à convaincre l'équipe dirigeante d'une grande banque franç aise d'accueillir favorablement une OPA amicale.

Celle-ci ne serait pas hostile, mais elle ne serait pas pour autant conforme à l'intérêt général.

M. Christian Cuvilliez.

Le Crédit commercial de France !

M. Eric Besson, rapporteur.

La question s'est effectivement posée dans ce cas précis. Tout manichéisme mis à part, il apparaît donc bien difficile de retenir ces notions.

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie et M. Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 395.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je suis saisi de deux amendements, nos 136 rectifié et 325, pouvant être soumis à une discussion commune.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

L'amendement no 136 rectifié, présenté par M. Eric Besson, rapporteur, et M. Auberger, est ainsi rédigé :

« Compléter le deuxième alinéa du I de l'article 4 par la phrase suivante :

« Il peut se faire assister préalablement et lors de la réunion d'un expert de son choix dans les conditions prévues aux septième et huitième alinéas de l'article L. 434-6 du code du travail. »

L'amendement no 325, présenté par M. Auberger, est ainsi rédigé :

« Compléter le deuxième alinéa du I de l'article 4 par la phrase suivante : "Il peut se faire assister préalablement et lors de la réunion d'un conseil ou d'un expert de son choix". »

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement no 136 rectifié.

M. Eric Besson, rapporteur.

M. Auberger est à l'origine de cet amendement qui a été adopté à l'unanimité par la commission des finances parce qu'il répond à une préoccupation commune à toutes les sensibilités représentées dans cet hémicycle. Il s'agit de permettre au comité d'entreprise de se faire assiter par un expert pour lever toute ambiguïté juridique et de donner toute légitimité à l'intervention de cet expert.

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger, pour soutenir l'amendement no 325.

M. Philippe Auberger.

Je le retire au profit de l'amendement no 136 rectifié, monsieur le président.

Il est de tradition que le comité d'entreprise se fasse assister d'un expert sur certains sujets qui lui sont soumis par la direction de l'entreprise. Mais, en l'espèce, le contexte est différent puisque nous sommes dans le cadre d'une réunion extraordinaire à l'occasion d'une OPA ou d'une OPE. Il m'a donc paru souhaitable que la possibilité de se faire assister d'un expert soit légalement reconnue. C'est d'autant plus souhaitable que cela répond à un véritable besoin. Quand on pense, par exemple, aux promesses faites par la BNP lorsqu'elle s'est attaquée à Paribas et à la Société générale, affirmant notamment qu'elle maintiendrait l'emploi, il est clair qu'une telle situation exige une expertise approfondie, pour expliciter les choix stratégiques de l'entreprise attaquante en cas de réussite de l'OPA ou de l'OPE pour pouvoir juger de la réalité de ses promesses et en suivre l'exécution. Il me semble donc tout à fait justifié de prévoir la présence d'un expert confirmé pour aider le comité d'entreprise dans son appréciation.

M. le président.

L'amendement no 325 est retiré.

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement no 136 rectifié ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le Gouvernement doit exprimer un regret à l'occasion de cet amendement,... celui de ne pas avoir été à l'origine de cet ajout, qui me paraît très décisif ! (Sourires.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 136 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président.

M. Gantier et M. Laffineur ont présenté un amendement, no 501, ainsi rédigé :

« Supprimer le dernier alinéa du I de l'article 4. »

La parole est à M. François Goulard, pour soutenir cet amendement.

M. François Goulard.

Il s'agit de supprimer la sanction prévue en cas non-respect de l'obligation, pour le dirigeant de la société émettrice de l'offre, de comparaître devant le comité d'entreprise. Les auteurs de l'amendement considèrent, en effet, et je suis de leur avis, que cette sanction, à savoir la privation des droits de vote liés aux titres acquis lors de l'offre publique, n'est pas appropriée dans la mesure où elle relève du droit des sociétés, alors que nous sommes dans le domaine du droit du travail puisqu'il s'agit du fonctionnement du comité d'entreprise. La sanction est donc mal choisie pour le cas, bien improbable, où le chef d'une entreprise acheteuse déclinerait l'invitation qui lui serait faite par le comité d'entreprise de l'entreprise achetée de se rendre devant lui.

Je voudrais d'ailleurs répéter à cette occasion que si peu d'acheteurs d'entreprise refusent de rencontrer leurs futurs partenaires sociaux, il n'est pas rare, en revanche, que les partenaires sociaux refusent, et c'est leur droit le plus strict, de rencontrer l'entreprise acheteuse en ces circonstances parfois dramatiques. La disposition introduite par l'article 4 n'aura donc pas une portée considérable, mais la sanction nous paraît disproportionnée.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Autant le précédent amendement était « amical », autant celui-ci nous paraît « hostile ».

(Sourires.)

En supprimant la sanction, on ôterait tout intérêt à l'article. Cela aboutirait à dénier aux salar iés le droit d'être informés d'une offre publique. Ce serait totalement contraire à l'esprit de cet article. Avis défavorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il fallait prévoir une sanction en cas de non-respect de l'obligation en question. Une sanction pénale accroîtrait les difficultés personnelles. Une amende serait insuffisante et inadaptée.

La privation des droits de vote reste donc la seule solution pragmatique, et qui tient compte du fait que l'opération peut se réaliser.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Le seul fait que cet amendement soit présenté justifie l'alinéa qu'il vise à supprimer et dont M. Goulard ne veut pas. En effet, comme le disait le vieux révolutionnaire, August Bebel : « Quand mes adversaires me félicitent, je me demande quelle bêtise j'ai pu commettre. »

M. Jacques Desallangre.

Jacques Duclos le disait aussi !

M. Jean-Pierre Brard.

J'occupe son siège ici et je m'en honore !

M. le président.

Ne nous égarons pas !

M. Jean-Pierre Brard.

M. Goulard fait partie de ces gens qui considèrent qu'un salarié n'est plus un citoyen.

Ceux au nom desquels il s'exprime ici considèrent les salariés comme des objets et non comme des sujets. Or l'intérêt du texte proposé est précisément de reconnaître un véritable droit aux salariés, qui sont considérés non plus comme des appendices de la machine économique, mais comme ayant leur mot à dire et un avis à formuler.

L'opposition de MM. Goulard, Laffineur et Gantier prouve la pertinence de la mesure.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 501.

(L'amendement n'est pas adopté.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. le président.

M. Auberger a présenté un amendement, no 326, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le dernier alinéa du I de l'article 4 :

« Si le chef d'entreprise de la société ayant déposé l'offre ou le représentant qu'il désigne parmi les mandataires sociaux ou les salariés de l'entreprise ne se rend pas à la réunion du comité d'entreprise à laquelle il a été invité dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, cette carence peut être rendue publique à l'initiative du comité d'entreprise. De même celui-ci peut faire connaître les questions qu'il a souhaité poser aux dirigeants de la société ayant déposé l'offre et auxquelles il n'a pas été répondu précisément. »

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Tout à l'heure, M. le secrétaire d'Etat a bien voulu dire que j'avais apporté une contribution qui allait dans son sens. Je voudrais en apporter une seconde.

Je comprends son souci de sanctionner - cas à mon avis extrêmement rare - un attaquant qui négligerait de se rendre devant le comité d'entreprise ou de répondre correctement à ses questions. Toutefois, la proposition du Gouvernement est à mon avis inconstitutionnelle. En effet, le droit de vote est attaché au droit de propriété des actions.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est un droit censitaire !

M. Philippe Auberger.

Vouloir « casser » ce droit de propriété parce qu'on ne s'est pas rendu à une réunion n'est pas approprié. Si le texte est soumis au Conseil constitutionnel, il y a de fortes chances pour que cette disposition soit repoussée.

Je pense donc qu'il convient d'envisager une autre sanction. Je propose de rendre public le fait que l'attaquant ne s'est pas rendu à la réunion à laquelle on lui a demandé de participer ou, s'il s'y est rendu, qu'il a refusé de répondre de façon précise à certaines questions.

L'hostilité du comité d'entreprise, même si celle-ci n'est pas affichée, rendra l'opération plus difficile et les succès de l'entreprise aléatoires, une fois l'OPA réalisée.

Le dispositif que nous suggérons est simple. La sanction est maintenue. On reste dans le même esprit sans pour autant s'en prendre au droit de propriété.

M. Jean-Pierre Brard.

La photo au tableau de déshonneur !

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

Cet amendement s'inscrit dans l'exacte philosophie du précédent. Nous avons expliqué les raisons pour lesquelles nous étions hostiles à une atténuation de la sanction. Avis défavorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Même avis.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 326.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je suis saisi de trois amendements identiques no s 324, 373 et 500.

L'amendement no 324 est présenté par M. Auberger ; l'amendement no 373 est présenté par MM. Jégou, Hériaud et Méhaignerie ; l'amendement no 500 est présenté par M. Gantier et M. Laffineur.

Ces amendements sont ainsi rédigés :

« Dans la première phrase du dernier alinéa du I de l'article 4, substituer aux mots : "le représentant qu'il désigne parmi les mandataires sociaux ou les salariés de l'entreprise", les mots : "son représentant". ».

La parole est à M. Philippe Auberger, pour soutenir l'amendement no 324.

M. Philippe Auberger.

La rédaction de l'article 4 concernant le représentant éventuel de l'entreprise attaquante nous a paru trop précise. Il est normal que l'entreprise désigne le représentant qui ira devant le comité d'entreprise. Prenons le cas d'une entreprise étrangère. Celle-ci peut souhaiter se faire représenter par un expert financier ou par un avocat plutôt que par des mandataires sociaux ou des salariés d'entreprise qui, par exemple, ne maîtrisent pas la langue française et auraient donc des difficultés à s'expliquer correctement.

M. Jean-Pierre Brard.

Ils peuvent venir avec un interprète !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, pour soutenir l'amendement no 373.

M. Jean-Jacques Jégou.

Cet amendement, identique au précédent, a déjà été parfaitement défendu par mon ami Philippe Auberger. Je ne suis pas sûr que les rédacteurs du texte aient souhaité, même si notre excellent rapporteur, M. Besson, nous a expliqué que c'était la volonté du législateur, faire en sorte que seul le patron de l'entreprise, intuitu personae , « planche » devant le comité d'entreprise ou les salariés de l'entreprise cible.

M. Bernard Outin.

C'est la moindre des politesses !

M. Jean-Jacques Jégou.

Il se peut que ce patron, qui avait été disponible lors d'une première réunion, ait besoin de collaborateurs ou soit indisponible, par exemple pour des raisons de santé, au cas où la négociation se prolongerait. Lui refuser d'envoyer son représentant me paraît particulièrement restrictif.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Eric Besson, rapporteur.

La commission a rejeté cet amendement. C'est une question de fond. En effet, le texte prévoit que ce n'est pas nécessairement le présidentdirecteur général, mais que ce peut être l'un des mandataires sociaux qui se rendra dans l'entreprise cible. Pour nous, c'est très important. D'ailleurs, dans la présentation détaillée des articles, il est fait référence au fait que

« l'attaquant » pourrait être localisé à l'étranger.

C'est l'une de nos préoccupations : une fois, une fois seulement peut-être, celui qui prétend acheter une entreprise doit mettre les pieds dans l'entreprise qu'il achète...

M. Bernard Outin.

Absolument !

M. Eric Besson, rapporteur.

... et rencontrer, au moins une fois dans sa vie, les salariés qu'il prétend diriger.

En ne se limitant pas au seul « numéro un » et en permettant de choisir parmi les mandataires sociaux la personne qui aura à se rendre à la réunion du comité d'entreprise, on laisse déjà une marge de manoeuvre, sans compter que le dirigeant, ou l'un des dirigeants, peut être assisté.

Nous refusons en revanche la représentation que ces amendements veulent introduire. Car cela signifierait qu'un avocat d'affaires, un représentant d'une banque d'affaires ou un grand cabinet d'audit viendrait acheter et se présenter devant les salariés. C'est ce que nous ne voulons pas.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

M. Bernard Outin.

Tout à fait !

M. Eric Besson, rapporteur.

Je confirme donc l'avis défavorable de la commission.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

A l'excellente argumentation de M. le rapporteur, j'ajouterai que dans le droit des affaires, en droit commercial, la relation humaine au sein de l'entreprise et entre les entreprises est essentielle.

Ce que l'on appelle l' affectio societatis doit pouvoir réunir les dirigeants, les mandataires sociaux ou les salariés de l'entreprise qui a lancé l'offre, d'une part, et la société qui est « visée » - et le terme est neutre - par l'offre, d'autre part. Elle ne peut se nouer à partir de relations impersonnelles, extérieures à l'entreprise. Elle doit constituer un véritable lien pour que le comité d'entreprise et les salariés de l'entreprise puissent déterminer les objectifs réels de ceux qui ont lancé l'offre.

N'allons donc pas dans le sens des auteurs de ces amendements. Il faut maintenir un caractère vivant et concret à la relation entre l'entreprise, objet de l'offre, et l'entreprise qui l'a lancée.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Je n'avais pas pensé à l' affectio societatis ! (Sourires.)

J'avoue que c'est une notion un peu nouvelle pour moi. Mais, si je n'ai pas fait de latin, je sens qu'il y a là, quelque part, de l'affect...

En tant que maire, ainsi que nombre de nos collègues sur ces bancs, je me suis souvent trouvé au côté des salariés pour défendre l'emploi, face à des « prédateurs » qui commençaient par fuir le débat...

Il est extrêmement important de faire progresser la démocratie sociale, et je pense que notre collègue Philippe Auberger se moque un peu de nous quand il nous dit que le « prédateur » concerné ne parlera peut-être pas français et qu'on ne peut pas l'obliger à comparaître devant une assemblée qui ne comprendrait pas ses propos. Je suis sûr que, dans un tel cas, le comité d'entreprise prendra sur sa cassette pour lui fournir un interprète. L'argument n'est pas très sérieux ! Il faut obliger ceux qui ont l'ambition de reprendre une entreprise à venir exposer leurs objectifs. Une véritable confrontation doit avoir lieu entre les représentants des salariés et ceux qui sont candidats à la reprise, pour que s'esquissent peu à peu les contours d'une nouvelle démocratie sociale. Dans des cas comme cela, il faut de vrais projets industriels, sur lesquels les salariés aient leur mot à dire. Après tout, il s'agit de leur propre destin.

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Nous parlons d'un point relativement mineur, il faut bien en convenir.

M. Jean-Pierre Brard.

Toujours patelin ! (Sourires.)

M. François Goulard.

Savoir si c'est un mandataire social, le dirigeant lui-même, un de ses salariés ou un de ses représentants mandatés - par exemple un avocat d'affaires, comme vous le disiez -, qui se rendra devant le comité d'entreprise ne changera pas la face des choses.

Pour autant, ce débat révèle la vision préconçue que vous avez du déroulement des OPA. Pour vous, il y a une entreprise, avec son chef, qui en achète une autre, avec son chef. Mais je suis désolé de vous dire que ce n'est pas toujours exactement comme cela que ça se passe. L'entreprise attaquante peut être une filiale, une sous-filiale d'un groupe important qui est officiellement, juridiquement, l'auteur de l'offre. Et le chef de cette entreprise, au sens juridique du terme, peut très bien ne pas être, demain, le responsable de l'avenir de l'entreprise qui sera achetée. Ce sont des choses qui se produisent tous les jours dans la vie des affaires.

Vous vous polarisez sur certaines notions, mais cela ne correspond en rien aux réalités. Ce souci de précision, qui vous honore, car vos intentions sont louables, est totalement inopérant - pour reprendre les propos du rapporteur.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Le secrétaire d'Etat et le rapporteur ont mal saisi nos intentions. Je comprends bien le côté affectif...

M. Jean-Pierre Brard.

Affectueux ? (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Pourquoi pas, cher collègue...

M. Bernard Outin.

Ce n'est qu'une question de politesse !

M. Jean-Jacques Jégou.

Non, c'est plus que de la politesse. Il y a bien, en l'occurrence, et je suis d'accord avec le secrétaire d'Etat, une relation affective, un feeling comme on dit dans la langue de Shakespeare. Mais nous avons peur que la rédaction proposée soit par trop rigide.

Nous ne contestons pas qu'il faille que ce soient des responsables qui se rendent à la réunion du comité d'entreprise. Le texte vise aussi bien le chef d'entreprise qu'un représentant qu'il désigne parmi les mandataires sociaux ou les salariés.

A mon avis, il faut que ce soit un mandataire social, voire le responsable de l'entreprise, bien que notre collègue Goulard vienne de nous expliquer que ce pouvait être, en réalité, des gens différents du manager lui-même.

M. Bernard Outin.

On le sait...

M. Jean-Jacques Jégou.

Nous craignons simplement que le texte ne soit trop rigide et que le lien qui doit se nouer entre l'acheteur et l'entreprise ciblée ne soit trop faible.

M. le président.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 324, 373 et 500.

(Ces amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président.

Les amendements suivants vont soulever quelques questions de fond qui nécessiteront un peu de temps. Or il est dix-neuf heures trente. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de nous en tenir là.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 26 AVRIL 2000

4 SAISINE

POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le président.

J'informe l'Assemblée que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a décidé de se saisir pour avis des titres Ier , II et IV du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer (no 2322).

5 DÉSIGNATION D'UN CANDIDAT À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président.

J'ai reçu de M. le Premier ministre une demande de remplacement d'un membre de l'Assemblée nationale au sein du Conseil national des services publics départementaux et communaux.

Conformément aux précédentes décisions, le soin de présenter un candidat a été confié à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La candidature devra être remise à la présidence avant le mardi 2 mai à dix-sept heures.

6

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique : Suite à la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi no 2250, relatif aux nouvelles régulations économiques : M. Eric Besson, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 2327) ; M. André Vallini, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et d e l'administration générale de la République (avis no 2309) ; M. Jean-Yves Le Déaut, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 2319).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT