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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 3877).

EXTRADITION DE SID AHMED REZALA (p. 3877)

M. Rudy Salles, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

CHÔMEURS ÂGÉS EN FIN DE DROITS (p. 3878)

M. Yves Cochet, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN MARTINIQUE (p. 3879)

MM. Alfred Marie-Jeanne, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

EXÉCUTION DES LOIS DE FINANCES POUR 1999 (p. 3879)

M. Philippe Auberger, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

GRÈVE DES INFIRMIERS ANESTHÉSISTES-RÉANIMATEURS (p. 3880)

Mmes Jacqueline Mathieu-Obadia, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

LÉGISLATION SUR LES ANIMAUX DANGEREUX (p. 3881)

MM. Pierre Morange, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

ÉPARGNE SALARIALE (p. 3881)

M M. Jean-Pierre Brard, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

BAISSE DE L'EURO (p. 3882)

MM. Didier Boulaud, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

PROTECTION SOCIALE DES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER (p. 3883)

MM. Robert Gaïa, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

INSÉCURITÉ ROUTIÈRE (p. 3884)

Mme Brigitte Douay, M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

SITUATION AU SUD-LIBAN (p. 3884)

MM. Gérard Bapt, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

DÉLINQUANCE DES MINEURS (p. 3885)

MM. Pierre Cardo, le président, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

COORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES EUROPÉENNES (p. 3886)

MM. Jacques Barrot, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Suspension et reprise de la séance (p. 3887)

2. Orientations de la présidence française de l'Union européenne. Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration (p. 3887).

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

MM. Valéry Giscard d'Estaing, Robert Hue.

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET

MM. Alain Madelin, Georges Sarre.

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

MM. Alain Juppé, Gérard Fuchs.

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 3911).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

La séance est ouverte à quinze heures.

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

EXTRADITION DE SID AHMED REZALA

M. le président.

La parole est à M. Rudy Salles.

M. Rudy Salles.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Depuis plusieurs mois, la France suit avec horreur et consternation l'affaire Sid Ahmed Rezala. Les Français ont tout d'abord été choqués par la barbarie des crimes dont est fortement suspecté cet homme de vingt ans.

Deux jeunes étudiantes, Isabelle Peake et Emilie Bazin, une mère de famille, Corinne Caillaux, ont été, en effet, sauvagement tuées.

Dois-je rappeler le parcours de ce fugitif ? Plus d'un mois de cavale, une arrestation le 13 novembre 1999 à Pontarlier, suivie d'une remise en liberté alors qu'il était porteur de cannabis, d'un couteau et d'une bombe lacrymogène. Le franchissement de la frontière espagnole, ensuite, et une possible arrestation suivie d'une brève incarcération à Madrid. Puis l'entrée au Portugal suivie, in extremis , d'une arrestation alors que Rezala allait encore fuir vers les Canaries et le Maghreb. Autant d'événements qui ont révélé de surprenants dysfonctionnements dans la coordination de nos forces de police, mais également dans la coopération policière et judiciaire européenne.

Dès son arrestation au Portugal, les autorités judiciaires françaises ont déposé une demande d'extradition. Le 11 janvier dernier, le garde des sceaux, se félicitant de cette arrestation, annonçait une extradition probable dans les quarante-huit heures. Quelques jours après, ce délai était porté à vingt jours, voire un mois. Alors que cette demande justifiée paraissait n'être qu'une formalité, on vient d'apprendre que les autorités judiciaires portugaises pourraient décider de libérer Rezala, voire de lui donner le choix de son pays d'extradition. Le motif est qu'en pareille situation le droit portugais peut refuser l'extradition d'un individu qui pourrait être condamné dans le pays émetteur de la demande d'une peine de trente ans de prison. Et cette décision devrait être prise par les autorités judiciaires du Portugal dans un délai très proche.

Monsieur le Premier ministre, l'opinion publique française est sous le choc. Et que dire des sentiments ressentis par les familles des victimes en pareille circonstance ? C'est pourquoi je souhaite vous poser deux questions.

Tout d'abord, quelles initiatives avez-vous prises à l'égard des autorités portugaises pour empêcher que l'inacceptable ne soit commis ? Par ailleurs, en ce 9 mai 2000, jour du cinquantième anniversaire de la déclaration Schuman, acte fondateur de l'Europe, cette affaire montre qu'il y a, non pas trop d'Europe, mais pas assez d'Europe, au contraire.

L'UDF prêche en faveur d'une Europe politique, avec des compétences plus étendues. Cette sinistre affaire nous apporte la démonstration qu'une justice européenne est indispensable si l'on veut éviter que des affaires Rezala ne se reproduisent.

Mme Martine David.

La question !

M. Rudy Salles.

Si l'on commet un crime ou un délit dans un des Etats des Quinze, l'extradition d'un pays à l'autre doit devenir automatique, pour que le criminel ou le délinquant puisse répondre de ses actes devant la justice du pays où l'acte répréhensible a été commis.

M. le président.

Monsieur Salles, pouvez-vous conclure, s'il vous plaît ?

M. Rudy Salles.

C'est pourquoi, dans le cadre de la présidence française de l'Union, qui commence le 1er juillet, puis dans celui du sommet européen de Nice qui se déroulera en septembre, nous demandons que soit inscrite la création d'un espace judiciaire européen à l'ordre du jour de nos travaux. Avez-vous l'intention de le proposer à nos partenaires européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, je crois que l'Assemblée nationale tout entière partage le sentiment que vous venez d'exprimer devant l'horreur des crimes commis contre Isabel Peake, Emilie Bazin et Corinne Caillaux.

S'agissant de la demande d'extradition de Sid Ahmed Rezala, je voudrais rappeler les deux principes qui s'imposent à nous, en la matière. Le premier est la suprématie du droit international. Les actes des autorités françaises requérantes comme d'ailleurs ceux des autorités portugaises requises sont régis par la convention européenne d'extradition de 1957. C'est ce cadre juridique qui s'impose à toutes les autorités politiques, administratives ou judiciaires. Le second est l'indépendance des autorités judiciaires. Ce sont elles qui donnent leur avis en matière d'extradition, et on doit respecter leur indépendance tout au long de la procédure.

Dans le cas d'espèce, la France a demandé au Portugal, le 14 janvier 2000, la remise de Sid Ahmed Rezala sur la base de trois mandats d'arrêt décernés par les juges d'instruction d'Amiens, de Châteauroux et de Dijon, pour les


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trois homicides volontaires dont est soupçonné Sid Ahmed Rezala. La France a indiqué au Portugal que la qualification pénale d'homicide volontaire, choisie par les juges d'instruction - eux seuls peuvent déterminer une qualification pénale - est applicable aux faits en raison desquels Sid Ahmed Rezala est mis en cause, et que l'homicide volontaire et puni en France d'une peine maximum de trente ans. Ce point est essentiel puisque la Constitution portugaise n'autorise pas de peine supérieure à trente ans.

Les juges d'instruction ont donc fait leurs réquisitions sur cette base et nous avons confirmé que c'était bien entendu dans cette optique respectueuse de la convention européenne d'extradition que nous agirions.

Le 9 mars 2000, le tribunal compétent au premier degré de Lisbonne a donné un avis favorable à l'extradition de Sid Ahmed Rezala. Il a relevé, dans sa décision, que la France avait fourni toutes les assurances que la peine encourue par Sid Ahmed Rezala ne serait pas supérieure à la peine maximale autorisée par la Constitution portugaise, c'est-à-dire trente ans, du fait des qualifications d'homicide volontaire retenues. La défense de Sid Ahmed Rezala a fait appel et le tribunal suprême de justice au Portugal délibère en ce moment même.

Dans ces conditions, vous comprendez qu'il ne soit ni opportun, ni utile d'intervenir ou d'interférer davantage.

Cette cour suprême connaît, bien entendu, les assurances qui ont été données par les autorités françaises.

S'agissant de la diffusion des mandats d'arrêt, le processus est habituel. Les mandats d'arrêt ont été diffusés dès le lendemain de la saisine des juges d'instruction « au cas où » Sid Ahmed Rezala s'échapperait ou serait libéré.

Des vérifications sont faites périodiquement. Cela a donné lieu à des supputations de libération de M. Rezala, qui sont, comme chacun le voit, totalement infondées.

Cela étant, je remarque, comme vous, que cet exemple montre qu'il faut absolument approfondir l'Europe de la coopération judiciaire, les délinquants et les criminels essayant, bien entendu, de profiter des frontières pour déjouer l'action répressive des Etats. Toute l'action que nous avons engagée et que nous continuerons de mener - le Premier ministre s'exprimera plus longuement sur ce point tout à l'heure - vise précisément à faire en sorte que les pays de l'Union européenne sachent dépasser les obstacles dus aux frontières nationales pour construire un espace judiciaire européen qui évite les inconvénients que vous avez soulignés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Mes chers collègues, la question et la réponse ayant été longues, le temps de parole de l'UDF est épuisé.

(Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Nous entendrons encore une question de ce groupe s'il nous reste du temps.

Nous en venons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

CHÔMEURS ÂGÉS EN FIN DE DROITS

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, et concerne les chômeurs relativement âgés en fin de droits. De quelles prestations ces derniers peuvent-ils bénéficier ? S'ils ont travaillé cinq ans pendant les dix dernières années, ils peuvent prétendre à l'ASS, l'allocation spécifique de solidarité. Ils peuvent également avoir droit à l'ACA, l'allocation de chômeur âgé, à condition d'avoir cotisé quarante ans. Il en va de même pour être bénéficiaire de l'ASA.

Or beaucoup de chômeurs et de chômeuses ne remplissent pas ces conditions. Ainsi, de nombreuses femmes qui ont travaillé longtemps à temps partiel ne peuvent justifier du nombre d'annuités requis. Certes, toutes ces p ersonnes peuvent alors bénéficier du RMI. Mais, contrairement au chômeur pris en charge par l'assurance chômage qui se voit attribuer des points retraite par les ASSEDIC, le RMIste ne cotise pas. Par conséquent, sa retraite sera très faible.

Madame la ministre, comptez-vous mettre fin à cette injustice en ouvrant le droit à l'assurance vieillesse aux bénéficiaires du RMI ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, vous posez le problème des personnes au RMI qui, arrivées à un certain âge, n'ont pas une pension de retraite suffisante. Je vous le rappelle, notre système de retraite repose sur un principe contributif : on cotise lorsqu'on travaille. C'est la raison pour laquelle les droits sont acquis par le salaire pour les salariés et par le revenu d'activité pour les non-salariés.

S'agissant des chômeurs, on considère que le nontravail est une privation non seulement involontaire, mais temporaire de travail.

M. Pierre Lellouche.

Merci de le rappeler !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est pourquoi ceux qui bénéficient du régime de solidarité chômage voient leurs points de retraite validés par la solidarité nationale. Je vous rappelle d'ailleurs que ce n'était pas le cas pour les retraites complémentaires depuis 1996 et que, voilà quelques jours, nous avons signé avec l'AGIRC et l'ARRCO un accord permettant de valider tous les points de retraite.

Pour les chômeurs relevant du régime d'assurance chômage, la retraite complémentaire est prise en charge par l'UNEDIC et la retraite de base par l'Etat. On pourrait du reste se demander si ce n'est pas à l'UNEDIC que devrait revenir la prise en charge des cotisations de base des chômeurs.

C'est à partir de cette logique des droits contributifs appuyés sur le travail qu'aucune validation gratuite n'a été prévue lorsque a été créé le revenu minimum d'inse rtion. En revanche, le RMI peut être versé jusqu'à soixante-cinq ans. Après cette date, les personnes ne disposant pas de revenus suffisants peuvent toucher le minimum vieillesse qui, je le rappelle, est de 3 600 francs pour une personne isolée et de 6 400 francs pour un couple. Ainsi, 900 000 personnes dans notre pays perçoivent le minimum vieillesse dont le Gouvernement a revalorisé le pouvoir d'achat de 2 % depuis son arrivée.

Cela étant et comme vous l'avez relevé, il est vrai que, suite à l'évolution du marché du travail, de nombreuses personnes se retrouvent au RMI parce qu'elles n'ont pas suffisamment travaillé. C'est le cas notamment de celles qui ont exercé des emplois précaires. Je me réjouis donc qu'après avoir écrit plusieurs fois aux partenaires sociaux ce sujet soit à l'ordre du jour des négociations de l'UNEDIC. Il est enfin envisagé de verser des indemnités de


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chômage à des personnes ayant des durées de cotisations moins élevées. C'est l'un des moyens de répondre à la question que vous avez soulevée.

La meilleure solution consiste encore, et c'est ce que nous faisons depuis maintenant deux ans et demi, à retrouver un travail aux personnes qui sont au minimum social. Voilà la vraie réponse à la question que vous posez. Mais je suis bien placée pour savoir que cela ne se fait pas sans quelques difficultés.

(Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste.)

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN MARTINIQUE

M. le président.

La parole est à M. Alfred MarieJeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.

Face à l'ampleur des importations de produits alimentaires, la Martinique est concernée par les exigences de précautions et de traçabilité. En 1999, la direction des services vétérinaires a répertorié une ou deux alertes sanitaires par semaine. Les affaires de dioxine de 1999, de listéria au début 2000 et de salmonellose, chaque année, en attestent.

En septembre 1998, le rapport Balland sur l'évaluation des risques liés à l'emploi des produits phytosanitaires, signale pour la Martinique une proportion d'usage par hectare de surface agricole utilisée de trois à quatre fois supérieure à celle de la métropole. Devant le bilan constaté - prise en compte tardive de la problématique, importations illicites, manque de structures analytiques sur place et besoins en contrôle des productions -, il est souhaitable d'optimiser la vérification au titre du respect de la réglementation, d'approfondir substantiellement la législation sur la sécurité alimentaire et d'instaurer un laboratoire d'analyse techniquement performant afin de réaliser un maximum de contrôles sur place et de remédier à la faiblesse des données épidémiologiques.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre dans l'intérêt des consommateurs martiniquais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, je ne vous apprendrai rien en vous disant que la sécurité au sens large est une priorité de l'action de ce gouvernement, sécurité des biens et des personnes, sécurité sociale et sécurité alimentaire, bien entendu. Nous essayons de faire en sorte que cette priorité gouvernementale devienne aussi une priorité européenne. Ce sera l'un des objets du débat de tout à l'heure.

Je voudrais vous préciser que, bien entendu, la réglementation sanitaire nationale s'applique dans les DOMTOM comme sur l'ensemble du territoire métropolitain.

Et nous renforçons les moyens de veiller au quotidien à l'application des règles en matière de sécurité alimentaire.

S'agissant du laboratoire d'analyses départemental auquel vous avez fait allusion, j'ai fait savoir à la collectivité territoriale qu'un audit permettrait de définir les investissements nécessaires. J'ajoute que nous étudions avec mon collègue et ami Jean-Jack Queyranne les moyens de coordonner les activités des laboratoires afin d'optimiser les structures analytiques dans les DOM.

Soyez certain, monsieur le député, que nous continuerons à agir en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

EXÉCUTION DES LOIS DE FINANCES POUR 1999

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le président, mes chers collègues, M. le premier président de la Cour des comptes est venu jeudi dernier devant la commission des finances de notre assemblée présenter son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances pour 1999.

M. Michel Herbillon.

Il est édifiant !

M. Philippe Auberger.

Ce rapport est accablant pour le Gouvernement et sa gestion budgétaire (Eh oui ! sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Il confirme non seulement les graves erreurs commises l'année dernière en matière de prévisions de recettes fiscales sur au moins 30 milliards de francs, mais aussi l'absence de maîtrise réelle des dépenses publiques.

M. Christian Bataille.

Et avec vous, il n'y avait jamais d'erreur ?

M. Philippe Auberger.

Ces dépenses ont en effet augmenté de 3,2 % et non de 1,6 %, comme l'affirmait le Gouvernement.

En outre, il a mis à jour différentes manipulations qui entachent sérieusement les résultats affichés pour 1999.

Ainsi, 18 milliards de recettes non fiscales auraient dû être rattachés à cet exercice, et 9 milliards de recettes fiscales ont été mis en attente alors qu'ils auraient dû également être rattachés à 1999.

Enfin, des dépenses par anticipation ont été imputées sur cette même année.

Le rapport, dans un langage d'ailleurs inimitable, indique : « Le traditionnel pilotage du solde budgétaire pendant les derniers jours a donné lieu à une activité très intense à la fin du mois de janvier 2000. » C'est dire que

le résultat obtenu à l'issue de ces manipulations est un vrai-faux résultat.

M. Christian Bataille.

C'est digne de Balladur !

M. Philippe Auberger.

Ainsi, nous allons débattre la semaine prochaine du collectif budgétaire pour l'an 2000, collectif que le Gouvernement a été contraint de déposer en raison de la gestion calamiteuse du résultat obtenu en 1999. Mais que valent les 50 milliards de recettes supplémentaires par rapport aux prévisions, alors que la Cour des comptes estime qu'il faudrait majorer de 15 milliards au moins ce montant de recettes supplémentaires ? Allons-nous débattre sur des chiffres manifestement sousestimés ? P ourquoi, mes chers collègues, le Gouvernement n'adopte-t-il pas, en matière budgétaire, une gestion plus rigoureuse et plus transparente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat au budget.

(Exclamations sur les mêmes bancs.

- Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le député, vous feignez de découvrir qu'il y a plusieurs manières de calculer l'évolution des dépenses de


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l'Etat. C'est ce que la Cour des comptes rappelle. C'est ce que le rapport de votre commission des finances, établi par Didier Migaud et présenté voilà quelques semaines à votre commission, rappelait également.

Ce qui importe c'est que le Gouvernement ne modifie pas les règles de calcul entre le moment où il annonce un objectif d'évolution des dépenses dans la discussion du projet de loi de finances, et le moment où il constate la réalité de ces dépenses.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Bianco.

Très bien !

Mme la secrétaire d'Etat au budget.

En cette matière, le Gouvernement ne change pas ces conventions. Il fait ce qu'il dit. Il dit ce qu'il fait.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.- Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

La Cour des comptes conteste, pour 1999, le caractère exceptionnel de certaines dépenses, notamment le chèque de 10 milliards à l'UNEDIC. Or qui pourrait soutenir aujourd'hui que cette dépense n'a pas un caractère exceptionnel ? Enfin, la Cour des comptes a incité le Gouvernement à réintégrer au sein du budget de l'Etat des dépenses qui n'y figuraient pas, et ce au nom du nécessaire exercice du contrôle parlementaire sur ces dépenses.

Le Gouvernement a entendu ces demandes, et au nom de la transparence, il a réintégré plusieurs dizaines de milliards de francs dans le budget de l'Etat. Peut-être est-ce cette transparence qu'aujourd'hui vous nous reprochez ? Nous, nous l'assumons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

GRÈVE DES INFIRMIERS ANESTHÉSISTES-RÉANIMATEURS

M. le président.

La parole est à Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

M me Jacqueline Mathieu-Obadia.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Après les mouvements sociaux des personnels soignants cet hiver, puis ceux des internes et résidents en avril, ce sont maintenant les infirmiers anesthésistes-réanimateurs qui, oubliés qu'ils sont, en dépit de leurs rappels réguliers, se mettent en grève. Rappelons qu'ils forment un corps de plus de 6 000 personnes et qu'ils jouent un rôle essentiel aux côtés des médecins anesthésistes lors des huit millions d'anesthésies qui se pratiquent chaque année.

Leur compétence est reconnue, appuyée sur cinq à six ans d'études après le baccalauréat, soit deux ans de plus que les autre élèves infirmiers.

En grève depuis une semaine maintenant, ils ont décidé, eu égard à l'absence d'écoute de la part du Gouvernement, de poursuivre leur mouvement. Inutile de vous décrire leur impatience, leur déception, leur colère, face à la déshérence que connaît l'hôpital et cela uniquement parce que le Gouvernement, votre gouvernement, refuse de prendre en considération leurs problèmes.

Leurs axes de revendication rejoignent ceux des agents précédemment en grève. Ils sont un maillon dans une longue chaîne d'agents qui se mettent en grève les uns après les autres. Afin de répondre à une charge de travail qui ne cesse d'augmenter, et dont vous êtes consciente, ils demandent une meilleure reconnaissance de leur profession, une grille revalorisée.

Nous prenons le risque d'une baisse de la qualité de l'offre de soins et d'une insuffisante sécurité des patients anesthésiés. Que disait M. Lionel Jospin lorsqu'il était en campagne pour les élections présidentielles, en avril 1995 ? (« La question ? », sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia.

S'adressant au président de la coordination nationale des infirmiers anesthésistes, il lui paraissait alors justifié d'offrir à cette profession de meilleures perspectives d'évolution de carrière. Il était temps, ajoutait-il, que s'ouvrent des négociations sur la grille indiciaire spécifique.

Q u'avez-vous fait, madame la ministre ? Quand comptez-vous répondre aux infirmiers anesthésistes-réanimateurs et prendre la mesure de l'ampleur des problèmes qui secouent l'hôpital tout entier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance et groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés...

M. le président.

Attention au micro, madame la ministre.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le micro revient en boomerang ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - « Lui aussi ? » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce n'est pas la faute de l'opposition, je le reconnais ! C'est un problème technique.

Madame la députée, je suis heureuse de constater qu'une fois de plus, l'opposition se préoccupe de l'hôpital. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Combien j'aimerais qu'elle le fasse lorsque nous votons la loi de financement de la sécurité sociale ! Les infirmiers anesthésistes diplômés d'Etat, collaborateurs directs des médecins anesthésistes, assument, c'est exact, une fonction irremplaçable dans l'hôpital. Ils nous interrogent sur deux problèmes : d'une part, leur statut, et je vais vous répondre, d'autre part, leurs actes tels qu'ils sont aujourd'hui reconnus dans la nomenclature hospitalière.

En ce qui concerne les actes, le décret de compétence des infirmiers est à la révision. Celle-ci arrive à son terme dans quelques jours. Nous y travaillons depuis plus d'un an avec l'ensemble des catégories représentant les infirmiers. Le décret répondra à l'attente des infirmiers anesthésistes, reconnaissant et valorisant les actes qui relèvent de leur compétence.

Quant au statut, ils souhaitent que leur spécialité soit reconnue de façon pleine et entière au sein d'une grille indiciaire spécifique. Je réaffirme, puisque vous avez eu l'air d'en douter, qu'ils ont aujourd'hui, dans la grille, une position spécifique : ils bénéficient d'une bonification d'ancienneté de trente-six mois, d'un déroulement de carrière plus rapide que les autres infirmiers...

M. René André.

Très insuffisant !


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Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et de 41 points de nouvelles bonifications indiciaires sur l'ensemble de leur carrière. Ainsi, ils perçoivent en moyenne environ 1 000 francs de plus que les infirmiers de soins généraux.

Nous sommes convenus, le 14 mars, en négociant avec les représentants syndicaux des personnels médicaux, que nous allions revoir les statuts des personnels administratifs, techniques et ouvriers. C'est dans le cadre de ce calendrier, défini en commun avec les négociateurs, que nous réexaminerons le statut des infirmiers anesthésistes.

Voilà ce que nous leur expliquons aujourd'hui. Nous avons signé un accord global et nous avons déterminé un calendrier qui est maintenant en place : leurs actes vont être revalorisés dans les jours qui viennent, leur statut dans les mois à venir. Nous poursuivons ainsi la remise à niveau de l'hôpital et de beaucoup de catégories qui n'avaient pas été traitées depuis des années. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

LÉGISLATION SUR LES ANIMAUX DANGEREUX

M. le président.

La parole est à M. Pierre Morange.

M. Pierre Morange.

Monsieur le ministre de l'intérieur, ce week-end, un pit-bull a sauvagement attaqué un petit garçon de quatre ans qui, s'il est aujourd'hui hors de danger, gardera toute sa vie les séquelles de ce terrible drame.

Or ce chien d'attaque n'était ni déclaré, ni vacciné, ni stérilisé, ni muselé, comme l'exige pourtant la loi sur les chiens dangereux. Cet accident témoigne en fait du caractère inefficace de la loi de 1999. Les pit-bulls, sont en effet loin d'être neutralisés. Les éleveurs s'organisent, et les prix flambent au marché noir.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour éviter que ces chiens, dressés à l'attaque afin d'être utilisés comme des armes, ne mettent en danger nos concitoyens ? Votre concept de « police de proximité », que vous nous vantez tant, ne devrait-il pas s'exercer ici ? D'ailleurs, les moyens qui lui sont attribués sont-ils suffisants ? Comment comptez-vous remédier aux insuffisances évidentes de la loi sur les chiens dangereux, notamment vis-à-vis des propriétaires délinquants qui se déclarent insolvables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, vous venez d'évoquer l'attaque d'un jeune enfant par un pit-bull, dans des conditions qui auraient pu entraîner la mort de l'enfant. (« Oui, c'est ça ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je tiens à vous faire remarquer qu'une loi a été votée, et qu'elle l'a été par cette majorité (« Non, à l'unanimité ! » sur les mêmes bancs), le 6 janvier 1999. (« Oui, notre collègue l'a fait remarquer ! » sur les mêmes bancs.)

Cette loi relative aux animaux dangereux et errants impose un certain nombre de sujétions aux propriétaires de ces animaux. (« Ça aussi, il vient de le dire ! » sur les mêmes bancs.)

La loi distingue entre les chiens d'attaque et les chiens de défense. Elle prévoit tout un dispositif concernant le certificat d'identification du chien, le certificat de vaccination antirabique, l'attestation d'assurance. (« Non, mais ça c'est la question ! » sur les mêmes bancs.) Elle prévoit aussi que le défaut de ces attestations est sanctionné.

(« Exactement, ça c'est la loi ! Et alors ? » sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Paul Charié.

On vient de le dire !

M. le ministre de l'intérieur.

Le cas que vous évoquez relève à l'évidence d'un manquement à la loi. (« Tout à fait ! » Et alors ? » sur les mêmes bancs.) Par conséquent, il appartient de veiller à ce que les collectivités locales et la police nationale appliquent cette loi. (« C'est ce qui vous est demandé ! ». - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) C'est ce à quoi nous nous attachons. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.) Toute une série de mesures ont été prises par le ministère de l'agriculture et par le ministère de l'intérieur pour y parvenir.

Permettez-moi, toutefois, de vous faire remarquer qu'avant, il n'y avait rien (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), alors qu'aujourd'hui, il existe un dispositif législatif et réglementaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) qu'il convient, maintenant, de faire appliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

ÉPARGNE SALARIALE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le ministre, vous avez fait remettre, la semaine dernière, aux organisations syndicales un document présentant vos options avant la discussion du projet de loi sur l'épargne salariale. Que les organisations syndicales soient associées à la réflexion, c'est excellent. Cependant, la commission des finances aurait apprécié d'être aussi destinataire du document. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Jean-Pierre Brard.

De quoi s'agit-il ? Avec l'épargne salariale, il s'agit, pour nous, de discuter de l'extension des droits des salariés dans l'entreprise et de leur participation en particulier aux choix qui déterminent son modèle de développement. Or, si j'en crois ce qui a été écrit dans les journaux, dans le document que vous avez remis figure un élément nouveau qui ne manque pas de provoquer notre inquiétude. Vous imaginez, semble-t-il, la possibilité de sortir en rente du système de l'épargne salariale, c'est-à-dire, pour parler autrement qu'en langue de bois, de réintroduire les fonds de pension d'une autre manière. (Applaudissements et exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Edouard Landrain.

Très bien ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

Si nous posons aujourd'hui cette question, c'est tout simplement pour éclairer les termes du débat. Vous savez à quel point nous sommes attachés


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

à ne pas mêler épargne salariale et retraites ! En ce qui nous concerne, nous en restons, pour les retraites, aux engagements pris par le Premier ministre, M. Jospin, (« Lesquels ? » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française) de préserver notre système par répartition, ce qui est tout à fait fondamental (Applaudissements sur quelques bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) de préférence à un système à l'anglo-saxonne, où les salariés jouent leur retraite à la loterie et n'ont plus, dans certains cas, que leurs yeux pour pleurer, on l'a vu en GrandeBretagne, lorsque sonne l'heure de la retraite. (Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Monsieur le ministre, quelles sont vos intentions concernant l'épargne salariale ? Excluez-vous clairement les fonds de pension, et ce quelque dénomination qu'ils prennent dans le vocabulaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, s'agissant de la méthode, il est tout à fait exact que j'ai adressé, voilà quelques jours, un avant-projet aux partenaires sociaux.

J'ai pensé, appliquant en cela les indications du Premier ministre, qu'il était excellent de les associer à la réflexion sur un tel sujet. J'ai commencé ce matin même les consultations, que je poursuivrai cet après-midi pour les terminer la semaine prochaine. Cela nous permettra de connaître les réactions des partenaires sociaux. Nous élaborerons ensemble un projet qui sera déposé sur le bureau de cette assemblée, de sorte que vous pourrez ainsi y apporter toutes les modifications que vous souhaiterez.

(« Ah ? » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Enfin, au début de la session d'automne nous aborde-r ons la discussion proprement dite. Voilà pour la méthode.

Sur le fond, il ne s'agit nullement, contrairement à ce que je lis dans certains journaux - même si je vois l'inverse dans d'autres journaux que vous lisez également (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) - d'établir des fonds de pension. D'ailleurs, Mme Aubry vous proposera d'ici à quelques jours un texte tendant à abroger expressément la loi qui instituait les fonds de pension, dite loi « Thomas ».

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.) Nous considérons, en effet, comme légitime que les salariés, sans qu'il soit en rien porté atteinte à la négociation salariale, puissent bénéficier pleinement de la valori-s ation des richesses dans l'entreprise, valorisation à laquelle ils sont les premiers à contribuer.

M. Pierre Carassus.

Il y a les salaires pour cela ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Aucune raison ne justifie de réserver cet avantage à une catégorie ; cela exclut les petites et moyennes entreprises.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous considérons que la liberté de choix des salariés doit être respectée.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Yves Fromion.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

De ce point de vue, et je pense que de ce côté-ci de l'Assemblée on applaudira moins, il n'est absolument pas question d'établir des fonds de pension.

(Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Premièrement, la loi Thomas prévoyait des cotisations sans limite alors qu'il s'agit, en l'espèce, de contributions plafonnées. Deuxièmement, il n'était possible de sortir qu'en rente, alors qu'il n'en est pas ici question, puisque, troisièmement, cela se faisait au détriment des cotisations sociales !

M. Pierre Lellouche.

C'est une capitulation sans condition !

M. le président.

Un peu de silence ! Monsieur Lellouche, je vous en prie !

M. Pierre Lellouche.

Mais enfin, c'est lamentable ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Enfin, loin de je ne sais quel ralliement ou de je ne sais quelle capitulation, il s'agira d'une avancée concrète pour des millions de salariés en France et d'un projet qui, au surplus, permettra à nos entreprises, singulièrement les petites et moyennes, de disposer de davantage de fonds - des fonds indépendants et non pas décidés je ne sais où mais, en tout cas, ailleurs qu'en France.

Tel est, monsieur le député, le projet qui sera soumis à votre appréciation, à votre discussion et à votre concertation.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

BAISSE DE L'EURO

M. le président.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud.

Ma question s'adresse également à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Alors que la situation économique des pays de la zone euro, la France en particulier, poursuit son fort redressement - diminution régulière du chômage, inflation contenue, commerce extérieur excédentaire, baisse des déficits et de l'endettement public -, la monnaie unique poursuit sa dérive, face au dollar en particulier. Alors que dans un an et demi nos concitoyens auront dans leur porte-monnaie des espèces euros sonnantes et trébuchantes, la confiance en la monnaie demeure un atout indispensable à la réussite de la construction de l'Union européenne et à sa consolidation.

En ce 9 mai, journée consacrée à l'Europe, pouvezvous nous dire, monsieur le ministre, les mesures politiques envisagées par les responsables politiques des onzes pays de la zone euro pour enrayer le mouvement de baisse de l'euro sur les places financières ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne peux m'empêcher de faire remarquer, avant de répondre - et c'est un fait qui touchera


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

chacune et chacun d'entre nous - que le député-maire actuel de Nevers pose une question sur un sujet pour lequel nous devons beaucoup à M. Pierre Bérégovoy.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je dirai d'abord, pour situer la question telle qu'elle se pose, que l'examen auquel vous vous êtes livré - aussi bref fût-il - des résultats de notre pays, en particulier depuis deux ou trois ans, ne peut être séparé de ce qu'a apporté la décision de créer l'euro. Il faut avoir à l'esprit - je parlerai du cours de l'euro dans un instant - que ces résultats n'auraient vraisemblablement pas été ce qu'ils sont, à la fois en France et dans les pays voisins qui font partie de la « zone euro », si nous n'avions pas disposé d'une monnaie unique : celle-ci assure la stabilité monétaire et nous permet de bénéficier de taux d'intérêt qui, s'ils sont jugés trop élevés par certains, sont faibles par rapport à d'autres pays. Avant de parler du futur, je veux donc insister sur le fait que l'euro a d'ores et déjà apporté à la croissance, et donc à la réduction du chômage, un

« plus » incontestable. (Rires sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jacques Myard.

Une dévaluation de 22 %, oui ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Pour ce qui concerne le futur, les ministres des finances de la « zone euro » se sont réunis hier pour fair le point.

M. Pierre Cardo.

A quoi servent-ils ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est la première fois qu'ils se sont exprimés d'une façon aussi nette.

Nous avons dit trois choses.

Premièrement, nous estimons tous - et la totalité des organismes internationaux avec nous - que la situation économique des différents pays de l'euro est la meilleure que nous ayons connue depuis quinze années.

Deuxièmement, nous estimons tous que, par rapport à cette situation, le niveau actuel de l'euro n'est pas ce qu'il devrait être et que nous avons une marge sensible d'appréciation.

Troisièmement, à la question de possibles interventions des banques centrales, nous avons répondu, après nous être concertés entre nous et avec la Banque centrale, que - bien que cela ne se décide pas, fût-ce dans cet hémicycle - cet instrument existait et était à notre disposition et que nous saurions, les uns et les autres, nous en souvenir.

Je pense donc qu'il ne faut pas procéder à un examen trop rapide ni avoir une vision trop courte. Les niveaux aussi bien de l'euro par rapport au dollar que du franc par rapport au dollar peuvent varier. Je rappelle à ceux qui s'émouvraient du fait que le dollar représente actuellement sept francs et quelque que nous l'avons connu à onze francs et aussi à quatre francs.

Sur le fond, je précise, parce que là est l'essentiel, qu'il s'agit d'un choix de politique économique. Certains pensent que le bon équilibre se trouve dans un euro fort avec des taux d'intérêt très faibles. D'autres sont d'avis, même s'ils ne le disent pas, qu'il vaudrait mieux un euro très faible avec des taux d'intérêt élevés. Les ministres des finances des Onze estiment, quant à eux, qu'il faut un euro stable avec des taux d'intérêt bas.

C'est sur cette base que nous nous sommes exprimés et que nous avons fait passer notre conviction aux dirigeants de la Banque centrale européenne.

Monsieur le député, je suis persuadé que, dans les semaines qui viennent, l'euro trouvera un niveau plus en accord avec la réalité économique et la force de l'Europe.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

PROTECTION SOCIALE DES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER

M. le président.

La parole est à M. Robert Gaïa.

M. Robert Gaïa.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, l'Etat se doit de répondre aux situations difficiles dans lesquelles peuvent se trouver nos compatriotes expatriés. Ceux-ci ne sont, en effet, pas tous dans une situation confortable. On assiste en fait à une paupérisation d'une partie de nos concitoyens vivant à l'étranger.

J'appelle, plus particulièrement, votre attention sur la situation de ceux qui, vivant en dehors de l'espace économique européen, dans des pays n'offrant pas de couverture sociale satisfaisante en matière de maladie, ne disposent pas de revenus suffisants pour adhérer à la Caisse des Français de l'étranger. Notre pays se doit de leur assurer une couverture maladie minimale et de leur proposer une aide conforme aux priorités définies dans la loi sur la lutte contre les exclusions.

Les mesures que vous avez annoncées le 12 avril dernier en conseil des ministres doivent répondre à ces objectifs.

Monsieur le ministre, pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur ces mesures et sur les améliorations que le Gouvernement entend apporter aux situations difficiles que rencontrent certains de nos concitoyens vivant à l'étranger ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, je tiens à rappeler toute l'importance que le Gouvernement attache à la solidarité envers nos compatriotes vivant à l'étranger, et je souligne que la France est le seul pays au monde qui fasse autant pour ses ressortissants. Aucune politique d'aucun autre pays n'est comparable. Trois ou quatre pays d'Europe ont bien pris différentes mesures à l'égard de leurs compatriotes vivant à l'étranger mais elles sont sans commune mesure avec notre politique en la matière. Non seulement nous agissons, mais nous perfectionnons notre système.

Votre question porte sur la Caisse des Français à l'étranger, organisme d'assurance maladie qui permet à nos compatriotes de s'assurer individuellement contre le risque maladie. A l'heure actuelle, 82 000 personnes sont couvertes par la Caisse mais il y en a 25 000 environ, à faibles revenus et vivant en général en dehors de l'Union européenne, dans des pays où la couverture maladie n'est pas satisfaisante, qui ne le sont pas. C'est pour répondre à leur attente que le Gouvernement a décidé d'engager une réforme de la Caisse.

Un mécanisme destiné aux cotisants dont les revenus sont les plus faibles et financé par le budget du ministère des affaires étrangères va être créé pour prendre en charge une partie de leurs cotisations, ainsi que le montant des frais de gestion du déficit supplémentaire causé à la Caisse par leur affiliation. L'équilibre de la Caisse sera ainsi préservé. Le coût de cette réforme en année pleine atteindra 95 millions de francs.

Ce sont les consulats qui recenseront les bénéficiaires et qui s'assureront que les candidats à cette aide nouvelle en remplissent bien les conditions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

C'est ainsi que nous améliorons sans cesse notre dispositif de solidarité à l'égard de nos ressortissants à l'étra nger. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

INSÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. le président.

La parole est à Mme Brigitte Douay.

Mme Brigitte Douay.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement mais elle intéresse également tous les membres de l'équipe gouvernementale concernés par les divers aspects du problème de la sécurité routière, ainsi que chacune et chacun d'entre nous et, à travers nous, tous ceux dont nous sommes ici, mes chers collègues, les représentants, car il serait trop facile de reporter sur un ministère ou sur un gouvernement la responsabilité d'une situation qui procède d'une tolérance collective.

Je pense tout particulièrement à la jeune fille qui, arrêtée à un feu rouge, a péri carbonisée il y a quelques jours près de chez moi parce qu'un chauffard ivre qui roulait à tombeau ouvert dans le village est venu percuter sa voit ure. Pompiers, gendarmes, services d'urgences, élus locaux refusent de s'habituer à cette macabre routine.

Nou savons tous qu'il n'y a pas de réponse unique à un ensemble de causes qui donnent à la France le privilège d'un triste record. Nous savons bien qu'il existe un fondement presque culturel à certains comportements sur les routes et dans les rues.

Monsieur le ministre, quel bilan faites-vous et quels enseignements tirez-vous de l'important dispositif de dissuasion et de répression mis en place ces dernières fins de semaine pour remédier à la violence routière ? Au-delà de cette mobilisation ponctuelle et presque rituelle lors des périodes de grande circulation, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement entend prendre des mesures plus profondes et permanentes pour faire respecter, voire renforcer, les réglementations et faire évoluer les attitudes et les comportements pour que le civisme ne s'arrête pas au moment où l'on tourne la clé de contact ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Madame la députée, vous avez eu raison de souligner que l'ensemble du Gouvernement est mobilisé sur la question de la sécurité routière. Le Premier ministre, dans un comité interministériel sur la sécurité routière, a décidé d'en faire une grande cause n ationale pour l'année 2000. Quand je parle de l'ensemble du Gouvernement, j'entends les ministères de la justice, de l'intérieur et de la défense, comme cela a été le cas ce week-end. A la lumière des décisions qui ont été prises lors des précédents comités interministériels pour la sécurité routière, nous allons d'ailleurs faire le point de l'application de l'ensemble des mesures qui ont été prises afin de mettre en évidence les obstacles qui ont pu surgir et déterminer les moyens humains et matériels nécessaires pour les surmonter et poursuivre notre combat contre la violence routière.

Vous avez souhaité connaître le bilan, madame la députée, du dispositif mis en place pour le dernier weekend. Il y a eu, pour ce week-end, une mobilisation exceptionnelle, y compris sur le plan médiatique. Plus de 20 000 gendarmes et policiers ont été déployés sur les routes pour contrôler, jour et nuit, la circulation. Je suis prudent et toujours réticent pour avancer des chiffres précis mais, d'après les éléments qui m'ont été donnés tout à l'heure par la gendarmerie et par la police, nous aurions enregistré une réduction de l'ordre de 15 % du nombre de tués sur les routes durant ce dernier week-end par rapport à celui enregistré le week-end du 1er mai et de 10 % par rapport au week-end de Pâques.

M. Yves Cochet.

Ce n'est pas assez !

M. Eric Doligé.

Ce ne sont pas des références ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Nous enregistrons donc une légère amélioration mais le bilan reste encore très lourd. Permettez-moi à ce sujet de rendre hommage - et je suis sûr que l'Assemblée nationale et le Gouvernement s'y associeront au policier Denis Leterrier, qui a été tué dans l'exercice de ses fonctions en effectuant un contrôle, et d'exprimer ma solidarité à sa famille.

Le bilan reste beaucoup trop élevé. Il faut poursuivre notre effort. Il n'y a pas de fatalité de l'insécurité routière, même si, comme vous l'avez dit à juste titre, madame la députée, des problèmes de comportement et des facteurs culturels entrent en ligne de compte. Il faut nous y attaquer.

J'en ai parlé avec le ministre de l'éducation nationale, M. Jack Lang, qui m'a donné son accord pour que, dès l'école, nous travaillions plus fortement encore à changer les attitudes et les comportements. Mais changer les mentalités demande du temps et l'on ne peut, en attendant, qu'appliquer les mesures destinées à faire respecter la règle et la loi. C'est pourquoi l'application des sanctions et le contrôle des comportements et des conduites dangereuses ne faibliront pas, qu'il s'agisse de la vitesse, de l'alcoolémie ou du refus de respecter les règles.

Telle est la démarche et la volonté du Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

SITUATION AU SUD-LIBAN

M. le président.

La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt.

Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et concerne la situation au Sud-Liban qui, chacun le sait, est, depuis vingt ans, partiellement occupé par Israël.

Le candidat Ehud Barak s'était engagé, dans sa campagne électorale, à l'évacuation par Israël du Sud-Liban en indiquant comme date butoir pour cette évacuation le 7 juillet 2000. Le gouvernement israélien a confirmé cette date mais il s'agira d'un retrait unilatéral non négocié en l'absence d'accord en particulier entre Israël et la Syrie.

Cet accord aurait porté sur le Golan mais chacun sait que l'état de dépendance qui lie le Liban à la Syrie fait que son absence ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur les conditions dans lesquelles le retrait israélien pourrait se produire.

Les événements et les actes de guerre qui se sont à nouveau produits la semaine dernière dans la Bekaa, à Beyrouth, à Tripoli, ont montré que les risques d'une reprise du cycle « provocation-riposte » et de l'escalade militaire dans la région sont bien réels, avec leur cortège de souffrances civiles et de destruction des infrastructures.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Il incombe à la communauté internationale de superviser l'application de la résolution 425 du Conseil de sécurité de l'ONU de sorte que le retrait d'Israël du Liban se déroule de la manière la plus coordonnée et la plus pacifique possible.

Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quels sont les résultats des multiples initiatives diplomatiques prises par la France et par l'Union européenne auprès du Conseil de sécurité et auprès des Etats de la région ? La France a-t-elle l'intent ion de renforcer sa présence, notamment par le contingent français de la FINUL, pour contribuer à ce qu'enfin la frontière israëlo-libanaise soit internationalement reconnue et sûre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Et la Syrie ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, depuis que M. Barak a annoncé son intention ferme de retirer les troupes israéliennes du SudLiban occupé depuis 1978, nous nous sommes préparés à cette perspective. Ce retrait va créer une situation nouvelle conforme à la résolution 425. Celle-ci demande en effet - et ce depuis 1978 - un retrait immédiat des troupes israéliennes pour rétablir l'intégrité et la souveraineté du Liban, ce qui, bien au-delà de l'évacuation du Sud-Liban proprement dit, reste naturellement un de nos objectifs constants.

Nous avons toujours dit que nous préférions que ce retrait s'opère dans le cadre d'un accord d'ensemble entre Israël, le Liban et la Syrie. La situation serait encore plus stable et plus sûre après, et c'est ce que nous recherchons pour les peuples de la région. Mais, même si ce retrait a lieu de façon unilatérale, on ne peut qu'approuver l'application d'une résolution du Conseil de sécurité.

C'est donc dans le cadre de ce Conseil que nous sommes en train d'examiner la situation qui sera créée par ce retrait. M. Kofi Annan a envoyé son émissaire faire le tour des pays de la région pour savoir comment ils se comporteront après celui-ci. C'est d'ailleurs un des éléments d'appréciation que nous aurons à l'esprit pour décider de ce que nous faisons ou non dans le cadre de la FINUL et déterminer quels doivent être la mission, la localisation et le mandat de celle-ci. D'autres éléments seront à prendre en compte, notamment l'engagement, aux côtés de la France - qui est en première ligne compte tenu de ses liens avec le Liban - d'autres membres permanents du Conseil de sécurité. La stabilité et la sécurité du Sud-Liban ressortissent en effet de la responsabilité collective.

Si nous devions conclure qu'il y a une tâche à remplir pour la FINUL dans sa forme actuelle ou sous une forme rénovée, se poseraient évidemment des questions d'organisation et de commandement. Mais, nous n'en sommes pas là. Nous sommes actuellement dans une phase d'évaluation du contexte. Celui-ci établi, nous ferons pour le mieux pour cette région : nous ferons tout pour assurer sa sécurité et donner la possibilité aux différents peuples de cette région de coexister enfin pacifiquement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

DÉLINQUANCE DES MINEURS

M. le président.

La parole est à M. Pierre Cardo.

M. Pierre Cardo.

Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mais, avant de la poser, je voudrais revenir sur la réponse du Gouvernement sur le problème des pit-bulls.

Elle ne m'a pas vraiment satisfait et un certain nombre de mes collègues sont dans le même cas que moi. Je trouve assez surprenant qu'il ait fallu moins de deux mois pour publier le décret d'application sur un texte aussi complexe que le PACS (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et plus de douze mois pour faire paraître le décret d'application sur les pit-bulls et les chiens dangereux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Lemasle.

Pourquoi n'avez-vous pas voté le texte ?

M. Alain Calmat.

Vous avez mis vingt ans pour ne même pas voter le texte !

M. Pierre Cardo.

Cher monsieur, des textes existaient avant. Il suffisait de les appliquer.

(« Très bien » sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Monsieur Calmat, laissez M. Cardo poser la question qu'il souhaite, sans faire de commentaires.

M. Pierre Cardo.

Merci, monsieur le président.

Mme Martine David.

Sans faire de commentaires, c'est difficile !

M. Pierre Cardo.

Ma question porte sur la délinquance des mineurs. Depuis vingt ans, les chiffres ont explosé et le phénomène s'est amplifié. Nous sommes en présence d'une délinquance beaucoup plus forte, beaucoup plus inquiétante, beaucoup plus violente. Depuis plusieurs années, elle s'est fortement rajeunie et est marquée par un phénomène de récidive accru.

Ce phénomène de société qui nous préoccupe tous est régi par un certain nombre de procédures et de textes qui me paraissent un peu dater. L'ordonnance de 1945, par exemple, a été fort peu réformée en cinquante-cinq ans.

Selon cette ordonnance, la responsabilité pénale des mineurs ne commence qu'à treize ans. C'était valable il y a cinquante-cinq ans. Ne devrions-nous pas abaisser cet âge compte tenu de ce que nous observons aujourd'hui quotidiennement ? Cela serait peut-être une première réponse au poblème de société qui se pose à nous.

Deuxièmement, il me semble que nous ne pouvons pas déplorer le rajeunissement de la délinquance sans, à un moment ou à un autre, parler de la responsabilité des parents. Sans vouloir relancer un débat qui a lieu depuis un certain temps, ne serait-il pas souhaitable de s'interroger sur les mesures dont nous disposons aujourd'hui pour mettre en oeuvre cette responsabilité ? Peut-on croire un seul instant que nous réglerons ce problème sans les parents ? Les sanctions prévues dans le code pénal, à savoir deux ans de prison et 100 000 francs d'amende, ne nous paraissent pas adaptées ! Ne faudrait-il pas prévoir des mesures intermédiaires ? Madame la ministre, j'aimerais connaître les propositions qu'envisage, à terme, le Gouvernement dans ce domaine ? Le dernier problème (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) concerne les contrats locaux de sécurité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

M. le président.

Monsieur Cardo, il ne va plus rester de temps pour la réponse !

M. Pierre Cardo.

Tout est lié. Les contrats locaux de sécurité sont des lieux partenariaux pour définir les procédures. Qu'en est-il actuellement ? Est-ce réellement à nous de nous adapter aux procédures de la justice ou à la justice de s'adapter aux réalités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Mon cher collègue, un exposé, c'est toujours très intéressant, mais dans le cadre des questions d'actualité, il faut tout de même laisser le temps au ministre de répondre ! La parole est à Mme la garde des sceaux, pour une brève réponse, malheureusement.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Ma réponse sera d'autant plus brève que, l'année dernière, à peu près à la même époque, monsieur le député, vous m'aviez déjà posé la question de la réforme de l'ordonnance de 1945.

(« Eh oui » ! sur les bancs du groupe socialiste.)

Je le répète, le Gouvernement considère que l'ordonnance de 1945 est une bonne loi...

M. Jacques Myard.

Donc tout va bien ?

Mme la garde des sceaux.

... qu'il faut, sur la base de cette loi - excellente - développer une volonté politique nouvelle et de nouveaux moyens pour mieux lutter contre la délinquance inquiétante, en effet, de jeunes de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes, pour des actes de plus en plus graves.

(Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Qu'a fait le Gouvernement ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il a d'abord défini trois axes pour sa politique, et il s'y tient.

Le premier veut que l'on apporte une réponse systématique, rapide et lisible à chaque acte de délinquance commis par des mineurs.

(« C'est faux ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

A cet effet, j'ai adressé aux parquets deux circulaires, en juillet 1998 et à l'automne 1999. Aujourd'hui, dans leur quasi-totalité, ils traitent la délinquance des mineurs en temps réel.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Deuxième axe, il fallait organiser une coproduction entre l'ensemble des services administratifs de l'Etat et des collectivités locales car la lutte contre la délinquance ne peut être que coordonnée dans des projets territorialisés ; c'est le sens des contrats locaux de sécurité dont plusieurs centaines ont été signés. Le ministre de l'intérieur et moi, nous y sommes très attentifs.

Enfin, le troisième axe consiste à agir sur l'environnement des jeunes : responsabiliser les parents (« Comment ? » sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) qu'il faut aider à assumer ces responsabilités (« Comment ? » sur les mêmes bancs), aider l'école à mieux remplir son rôle de prévention et, bien entendu, améliorer l'accès à l'emploi.

M. Jacques Myard.

C'est du pipeau !

Mme la garde des sceaux.

Quant aux moyens, ce gouvernement a fait des efforts sans précédent. Nous avons créé, en 1998 et 1999, pour la protection judiciaire de la jeunesse, 250 postes, c'est-à-dire plus que pendant les dix années précédentes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Nous avons décidé, pour la période 2000-2002, de créer 1 000 postes d'éducateurs (Applaudissements sur les mêmes bancs) - c'est une décision qu'a prise le Premier ministre en conseil de sécurité intérieure - dont 680 ont été pré vus dans le budget pour 2000.

M. Jacques Myard.

Quels résultats ?

Mme la garde des sceaux.

Nous avons également décidé la création de 50 centres de placement immédiat pour accueillir des jeunes en situation d'urgence et de 100 centres éducatifs renforcés. Enfin, depuis que nous sommes au gouvernement, le nombre des Maisons de la justice et du droit, qui permettent ce traitement rapide, en temps réel, est passé de 17 à 60. Elles seront probablement une centaine l'année prochaine.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous revenons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

COORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES EUROPÉENNES

M. le président.

La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En ce cinquantième anniversaire de la construction européenne, qui est une initiative française, l'affaiblissement de l'euro nous interpelle, monsieur le ministre.

Certes, vous l'avez relativisé, et il convient sans doute de le faire. Nous n'en devinons pas moins, derrière cet affaiblissement, la méfiance des investisseurs...

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Et pour cause !

M. Jacques Barrot.

... et des marchés quant à la solidité de la croissance européenne et à la capacité des gouvernements européens à adopter une démarche économique commune.

Pour y répondre, vous avez d'ailleurs évoqué, avec vos collègues des autres gouvernements de l'Europe, la nécessité d'une meilleure coordination des politiques économiques. Nous nous en réjouissons. Mais, en la matière, le gouvernement de la France peut-il se contenter d'exhortations ? La semaine dernière, la Cour des comptes nous a rappelé que les dépenses publiques, en 1999, avait progressé de 2,8 % en volume au lieu de 1 %. Le déficit public français, qui s'élève à 1,8 % du PIB, nous met à la douzième place de l'Union européenne.

Alors, monsieur le ministre, comment entendez-vous assumer notre part de responsabilité dans cette insuffisante lisibilité des grands choix européens ? Comment donner un signal fort à nos partenaires, si ce n'est en leur m ontrant notre volonté de maîtriser nos dépenses publiques de fonctionnement pour privilégier l'investissement et de réduire des déficits qui mineraient notre croissance en cas de retournement de la conjoncture ? Et si le vrai projet européen doit être celui d'une société de la connaissance, porteuse de développement et de plein emploi à long terme, je vous pose la question :


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(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) pendant la présidence française de l'Union européenne, le Gouvernement entend-il faire cesser cette exception budgétaire française, qui se met peu à peu en place et qui consiste à reculer devant les adaptations structurelles nécessaires, et à manquer de volonté pour limiter les dépenses publiques de fonctionnement au profit des investissements, lesquels pourtant feront l'avenir de la France et de l'Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

En donnant la parole à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je me vois contraint de l'inviter à la concision, compte tenu de l'heure.

M. Jean-Pierre Brard.

Requiem pour M. Barrot !

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est une vaste question que vous posez là, monsieur Barrot, à laquelle il a déjà été répondu en partie mais j'y reviens volontiers à nouveau.

Quand on examine - et vous le faites avec attention les chiffres du budget de la France, on s'aperçoit que, même si, sur certains points - et, après tout, c'est tout à fait normal - il peut exister telle ou telle spécificité, sur l'ensemble, il y a convergence avec les autres politiques économiques et budgétaires européennes. Cela ressort clairement des derniers travaux réalisés par la Commission européenne. Et vous aurez connaissance prochainement - dans quinze jours ou trois semaines - de ce que l'on appelle les grands objectifs de politique économique, dont nous avons discuté encore hier, qui mettent bien en évidence cette convergence.

Au reste, toute position politique mise à part, si la France ne s'y conformait pas, les autres pays se feraient fort - et ils auraient raison - de l'y rappeler très vite.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Ils l'ont fait ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nous plaidons, depuis un certain temps, pour ce que nous appelons un « gouvernement économique ».

La formule est peut-être elliptique, mais elle exprime bien ce que cela veut dire : une harmonisation plus poussée.

Hier encore, nous avons proposé un certain nombre d'initiatives en ce sens et, lors de la présidence française - peut-être M. le Premier ministre y fera-t-il allusion tout à l'heure - nous en proposerons d'autres. Mais nous serions en contradiction avec nous-mêmes si ce credo que nous demandons aux autres de partager, nous ne nous l'appliquions pas à nous-mêmes.

Je suis donc obligé de vous contredire sur quelques points. La France, comme plusieurs autres pays - pas tous ! -, voit bel et bien son déficit budgétaire diminuer.

Même si nous voulons financer nos priorités, la part des dépenses publiques dans la richesse nationale se réduit, comme le montrent indéniablement les chiffres, et le Gouvernement garde la volonté d'assumer les tâches de service public qui profitent à toute la nation. Je ne vois là aucune contradiction.

En revanche, et je ne trahis là aucun secret, la Commission de Bruxelles, et nos voisins, sont à juste titre sévères à l'égard de certains pays et - est-ce un hasard ? la condamnation la plus sévère a été formulée, hier même, à l'encontre de l'Autriche à qui il a été dit, de la façon la plus nette, qu'elle ne pouvait pas, d'un côté, se réclamer de l'Union européenne et, de l'autre, proposer une politique économique et budgétaire qui ne respecte pas les exigences de l'Europe sur ce plan.

Bref, monsieur Barrot, nous sommes désireux de progresser, et nous le ferons encore dans le cadre des débats d'orientation budgétaire, mais la France doit s'inscrire parfaitement dans cette logique européenne tout en défendant, comme c'est normal, les choix spécifiques qui sont les siens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président.

La séance est reprise.

2

ORIENTATIONS DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration

M. le président.

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur les orientations de la présidence française de l'Union européenne et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, au moment où notre pays se prépare à la présidence de l'Union européenne, il est naturel que le Gouvernement présente au Parlement les enjeux, les lignes de force et les priorités de la présidence française. Je le fais aujourd'hui à l'Assemblée nationale au nom du Gouvernement. Ces priorités ont été élaborées collectivement par celui-ci, puis examinées et arrêtées avec le Président de la République.

Il y a cinquante ans, jour pour jour, la France prenait l'initiative de ce qui allait devenir l'Union européenne. La

« déclaration Schuman » que nous commémorons aujourd'hui, le traité de Paris sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier, puis le traité de Rome, l'Acte unique, les traités de Maastricht et d'Amsterdam : autant d'étapes dans la réalisation de l'idéal visionnaire qu'une poignée d'hommes ont voulu, sur les leçons et dans les ruines du fascisme et de la guerre, fonder pour sceller la réconciliation entre l'Allemagne et la France, établir la paix entre les nations d'Europe et bâtir, dans la prospérité, une communauté de destin.

A l'heure où la France s'apprête à assumer, à compter du 1er juillet prochain, la présidence du Conseil de l'Union européenne, nous pouvons mesurer l'oeuvre accomplie en un demi-siècle : l'Europe est libre, l'Europe est en paix, l'Europe est unie. Elle s'est affirmée comme


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un modèle d'intégration sans équivalent dans le monde, un modèle que bien des peuples, bien des pays nous envient, et d'abord les treize pays candidats qui aspirent à nous rejoindre au sein de l'Union.

De cette grande aventure collective, notre pays a été l'un des artisans majeurs. Il a contribué à façonner les traits qui sont aujourd'hui ceux du visage de l'Europe. A l'heure des choix, la France a toujours su faire avancer cette entreprise commune, de façon pragmatique mais résolue.

Le gouvernement que je dirige a apporté sa pierre à l'édifice. Depuis près de trois ans, il a pris une large part des nouvelles orientations qui ont été décidées pour rapprocher l'Europe de ses citoyens, pour en faire un espace de croissance économique mais aussi de cohésion sociale.

La France va exercer la présidence à un moment décisif. Des perspectives historiques s'ouvrent avec la fin de la coupure de l'Europe, qui se concrétiseront par l'élargissement de l'Union. Mais de réelles interrogations se font j our quant au fonctionnement d'un ensemble qui comptera progressivement vingt, vingt-cinq, peut-être trente membres, quant à son avenir en tant qu'organisation politique, quant à sa capacité à peser dans les affaires du monde.

Répondre à ce défi exige qu'avec nos partenaires nous redonnions du sens à la construction européenne, un sens qui paraît parfois s'estomper et que je voudrais à présent affirmer devant vous.

L'Europe est une union de nations, une union librement et pleinement consentie par les peuples. Loin d'être la négation de la nation, elle en est le prolongement et l'approfondissement. Les affaires « européennes » ne sont plus des affaires « étrangères », le débat européen n'est pas une donnée externe au débat national. La France existe pleinement, mais ne peut être séparée de l'Europe.

L'Europe est un modèle de civilisation, une civilisation fondée sur la rencontre de cultures qui, par le dialogue, s'enrichissent et se fécondent, une civilisation où la démocratie, la liberté - les libertés - s'épanouissent.

L'Europe doit être un espace de croissance, une croissance mise au service de l'emploi et de la cohésion sociale. L'Europe doit, dans cette perspective, reconquérir une prééminence technologique, favoriser la créativité, défendre ses intérêts collectifs dans la compétition mondiale, contribuer à une globalisation maîtrisée. L'Europe est, pour nous, un ensemble où les luttes sociales ont fait avancer la conquête de l'égalité et de la justice, et où la performance économique est indissociable du progrès social.

Voilà ce qu'est pour nous l'Europe, notre Europe.

Mesdames et messieurs les députés, la France souhaite conduire une présidence ambitieuse tout en l'inscrivant dans la continuité des travaux de l'Union européenne.

Dans cette perspective, le Gouvernement, comme organe p olitique collégial, et chacun des ministres qui le composent seront pleinement mobilisés pour assurer la responsabilité qui nous est confiée. Ce sera le cas, plus particulièrement, du ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, qui présidera le Conseil, et de Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, qui représentera la France.

Trois axes guideront la présidence française : une Europe au service de la croissance et du plein emploi ; une Europe plus proche des citoyens ; une Europe plus efficace et plus forte.

Premier axe, une Europe au service de la croissance et du plein emploi.

Nous nous y étions engagés devant les Français, nous avons mis ces questions au coeur de l'action européenne : à Amsterdam, avec la résolution sur le pacte de solidarité et de croissance ; à Luxembourg, avec la première réunion du Conseil européen consacrée à l'emploi ;...

M. Guy Teissier.

A Vilvorde !

M. le Premier ministre.

... à Cardiff, en mettant l'accent sur la réforme économique ; à Cologne, enfin, avec l'idée d'un pacte européen pour l'emploi.

D epuis Vilvorde, monsieur le député, il y a 700 000 chômeurs de moins en France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert), 1 million d'emplois créés, ... Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

Vous n'y êtes pour rien !

M. le Premier ministre.

Nous entendons bien, au-delà de tel ou tel accident industriel ou social, continuer dans cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je suis heureux que vous vous en réjouissiez.

C'est dans le même esprit que nous soutenons l'action de la présidence portugaise, dont je tiens à saluer ici l'excellent travail. La conjugaison de nos efforts nous a permis de définir, lors du Conseil européen de Lisbonne, un objectif stratégique qui répond à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à l'horizon de la décennie. Pour y parvenir, une croissance annuelle moyenne de 3 % est devenue une référence commune aux Quinze.

Dans cette perspective, nous allons travailler à la mise en oeuvre des propositions concrètes adoptées à Lisbonne.

Notre première priorité sera l'adoption d'un « agenda social ». La modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen.

S'il faut, certes, satisfaire aux exigences de la compétition économique mondiale, nous n'entendons pas renoncer au modèle de société que nous avons construit depuis un demi-siècle. Une Europe plus forte, plus compétitive, c'est aussi une Europe au service de la justice sociale. Je souhaite donc que le contenu de cet agenda soit ambitieux : une protection sociale élevée, un droit adapté aux évolutions de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des mutations de l'appareil industriel, la lutte contre l'exclusion et contre toutes les formes de discrimination.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le Premier ministre.

A cette fin, nous définirons un programme de travail à l'horizon de cinq ans avec la Commission européenne et tous les acteurs concernés : gouvernements, Parlement européen, partenaires sociaux, milieux associatifs.

Notre deuxième priorité est le renforcement du pôle économique que nous avons contribué à créer, à côté du pôle monétaire représenté par la Banque centrale européenne. Symbole de l'identité européenne, l'euro a contribué fortement à notre stratégie collective de croissance et d'emploi, comme l'a rappelé tout à l'heure, en réponse à une question, le ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

L'euro a, jusqu'à présent, d'autant mieux joué ce rôle qu'il repose sur des fondements solides : la croissance de la zone euro s'accélère, les pressions inflationnistes sont contenues, les transactions courantes sont en excédent, le pouvoir d'achat des citoyens européens est garanti.

M. Pierre Lellouche.

Alors, pourquoi baisse-t-il ?

M. le Premier ministre.

L'euro a joué le rôle de « bouclier » qu'on attendait de lui, mettant ainsi l'Europe a l'abri des désordres monétaires internes.

Au-delà du problème du rapport entre le dollar et l'euro, j'insiste sur ce rôle essentiel de la monnaie européenne, qui, je le rappelle, n'est pas encore la monnaie concrète, en billets et en pièces, de tous les Européens. Je suis d'ailleurs convaincu - c'est plutôt une intuition économique qu'un raisonnement catégorique - qu'une partie de ses difficultés actuelles tient au fait qu'elle n'est pas encore possédée par les centaines de millions d'Européens.

En tout cas, ce rôle de protection contre les spéculations monétaires internes, l'euro l'a déjà joué aujourd'hui.

Au regard de ces atouts majeurs et forts du potentiel de croissance de la zone euro, nous ne pouvons pas être satisfaits de l'évolution actuelle de son cours. Nous devons donc renforcer le rôle de « l'euro 11 » et veiller à la coordination de nos politiques économiques, avec le souci d'assurer une meilleure visibilité de la politique économique de la zone euro et de l'autorité, naturellement politique, la conduisant. Nous y contribuerons sous notre présidence.

Nous nous efforcerons également, en dépit de réticences bien connues, de faire avancer l'harmonisation fiscale nécessaire au bon fonctionnement du marché unique et à la lutte contre la concurrence déloyale. L'Europe doit aussi mettre en oeuvre de nouvelles régulations économiques, et, pour cela, hâter l'organisation de la scène financière internationale, à travers notamment l'adoption de la directive sur le blanchiment des capitaux, en soutien de l'action menée dans le cadre du G7. Nous poursuivrons la lutte contre la criminalité organisée en favorisant le rapprochement des dispositions juridiques relatives au dépistage et à la confiscation d'avoirs d'origine criminelle ou provenant de centres off-shore.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Notre troisième priorité est de placer l'Europe à la pointe de la société de l'information.

Pour nourrir sa croissance et retrouver le plein emploi, l'Europe doit s'affirmer comme le continent de l'innovation. Nous soutiendrons la création d'entreprises innovantes grâce au capital-risque. Au profit de la compétitivité de nos entreprises, nous encouragerons l'Internet de deuxième génération, ainsi que les contenus et les services européens. Nous nous emploierons à faire progresser l'adaptation du cadre réglementaire européen aux exigences de la société de l'information. Dans le même temps, il nous faut préserver la cohésion sociale face à la menace de « fracture numérique ». Nous progresserons vers l'objectif, prévu à Lisbonne, d'un raccordement de toutes les écoles à l'Internet d'ici à la fin 2001.

Notre quatrième priorité sera la construction d'un véritable espace européen de la connaissance. Celle-ci est d'autant plus indispensable que c'est par l'éducation que les jeunes Européens acquerront les références culturelles communes indispensables à l'émergence d'une citoyenneté et d'une Europe politiques. L'Europe, dans sa diversité, est forte de son système éducatif comme de sa recherche fondamentale et appliquée. Elle dispose ainsi d'atouts décisifs dans la compétition économique internationale.

Mais nous devons encore étoffer les échanges et la confrontation des idées, des pratiques et des techniques.

C'est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir une démarche permettant de lever les obstacles qui demeurent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs au sein du continent. L'objectif pourrait être de multiplier par dix, en cinq ans, le nombre d'étudiants en mobilité.

Les priorités que je viens d'évoquer se traduiront par des programmes de travail dont la mise en oeuvre dépassera naturellement le second semestre 2000. Mais elles amplifieront la réorientation de l'Europe vers la croissance et l'emploi que nous avons voulue depuis trois ans.

Le deuxième axe de notre présidence est de construire une Europe plus proche des citoyens, c'est-à-dire une Europe qui réponde à leurs préoccupations.

Au premier rang de celles-ci figurent sans aucun doute la santé publique et la protection des consommateurs.

Nous avons tous à l'esprit, en particulier, le dossier de la

« vache folle ». Je souhaite que nous puissions jeter les fondations d'une « autorité alimentaire européenne indépendante », telle que la Commission européenne, sur notre suggestion, l'a préconisée dans son « Livre blanc sur la sécurité des aliments ».

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le Premier ministre.

La France cherchera aussi à faire progresser la réflexion sur le principe de précaution, en s'appuyant sur les travaux que nous avons menés au plan national. Elle s'attachera à ce que des mesures concrètes soient adoptées pour renforcer l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des filières.

M. Jacques Myard.

C'est le programme socialiste qui a autorisé les OGM !

M. le Premier ministre.

Une autre préoccupation majeure est l'accès de tous à des services publics de qualité, respectant pleinement les impératifs de continuité, de fiabilité et d'égalité.

M. Pierre Lellouche.

Et de prix ?

M. le Premier ministre.

La présidence française sera donc l'occasion d'un travail de réflexion sur l'importance des services d'intérêt général en Europe.

Dans le domaine de l'environnement, la présidence française s'efforcera, lors de la conférence de La Haye de novembre 2000, de faire franchir à l'Europe une étape déterminante dans la mise en oeuvre du protocole de Kyoto visant à lutter contre l'effet de serre. La conférence préparatoire, qui se tiendra à Lyon, la ville de M. le Premier ministre Raymond Barre, en juillet prochain, constituera, à cet égard, une échéance importante. Je suis heureux de rappeler, à cette occasion, que la France a été le premier pays européen à avoir adopté un programme national de lutte contre l'effet de serre.

Pour ce qui concerne la sécurité des transports, je souhaite - comme je l'avais dit immédiatement après le naufrage de l' Erika - que notre présidence permette l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures tendant à l'amélioration de la sécurité du transport maritime. Nous viserons aussi de réelles avancées dans l'harmonisation des temps de travail dans le transport routier.

M. Jacques Fleury.

Bravo !

M. le Premier ministre.

La maîtrise de la politique d'immigration et du droit d'asile intéresse légitimement nos concitoyens. Elle justifie qu'une action concertée soit


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

entreprise à l'échelle européenne. Des orientations importantes ont été décidées en octobre 1999, lors du Conseil européen spécial qui s'est tenu à Tampere, en Finlande.

J'entends que notre présidence en engage la mise en oeuvre pour ce qui concerne, en particulier, la délivrance des titres de séjour de longue durée, l'harmonisation des conditions d'accueil et le renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Quant à la réalisation d'un espace judiciaire européen, qui était également évoqué tout à l'heure, la multiplication de situations souvent dramatiques - par exemple les enfants de couples binationaux divorcés - appelle l'adoption, sous notre présidence, de mesures visant notamment à la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires. Cette reconnaissance mutuelle sera également importante pour nos entreprises. Plus largement, nous devrons aussi progresser vers la création d'un réseau judiciaire européen.

Dans un autre domaine, celui du sport, il faut que le second semestre 2000, qui sera riche en événements - je pense au Tour de France, au championnat d'Europe de football ou aux jeux Olympiques de Sydney...

M. Guy Teissier.

Et les boules ?

M. le Premier ministre.

Vous connaissez des cas de dopage dans les boules, monsieur le député ? J'espère que vous ne pratiquez pas trop ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Le second semestre doit donc être l'occasion de renforcer l'efficacité de l'action européenne contre le dopage.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Au-delà, une déclaration pourrait être adoptée au Conseil européen de Nice pour affirmer, dans le droit communautaire, la spécificité et le rôle social de ce secteur.

Enfin, nous devons préparer les Français et les Européens à la mise en circulation de l'euro.

M. Jacques Myard.

On va rigoler !

M. le Premier ministre.

Certes, le passage pratique à l'euro relève d'abord de la responsabilité des Etats et des gouvernements, et nous y veillerons pour ce qui nous concerne. Néanmoins, nous devons, sans attendre, accorder, au plan communautaire, une attention particulière à la préparation de cette échéance. Nous devons mettre en place un échange plus étroit d'informations et une meilleure coordination entre les Etats membres afin de préparer concrètement l'introduction, en janvier 2002, des billets et des pièces en euro.

Répondre aux préoccupations des citoyens de l'Europe, mesdames, messieurs les députés, c'est aussi veiller à ce que leur sécurité collective à l'échelle du continent européen soit assurée.

Notre présidence sera ainsi l'occasion de confirmer la perspective historique que nous avons ouverte depuis près de deux ans avec l'ébauche d'une Europe de la défense.

On se souvient des débats qui, sur ces mêmes bancs, ont conduit, dans un tout autre contexte historique, à l'échec de la Communauté européenne de défense, en 1954. Je vous invite à mesurer le chemin parcouru depuis cette date. Notre pays a joué depuis quelques mois un rôle essentiel pour donner à la défense européenne des perspectives crédibles.

M. Pierre Lellouche.

Sauf en matière budgétaire !

M. le Premier ministre.

Nous entendons mettre à profit notre présidence pour préparer le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense. Grâce au rapprochement de ses forces armées, il faut que l'Europe, fidèle à son attachement à la paix et au respect du droit international, puisse assurer sa sécurité et participer à la prévention des conflits à travers le monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est un jalon. Il nous faut aller plus loin. C'est à cela que nous travaillons, semaine après semaine, en étroite coordination avec nos partenaires. Si nous y parvenons au cours du second semestre 2000, nous aurons franchi une étape décisive dans la construction d'une Europe politique.

Mesdames et messieurs les députés, pour que nous puissions mener à bien ces priorités, pour que nous puissions faire progresser le modèle européen, pour que l'Europe soit au service de tous ses citoyens et qu'elle soit ressentie comme telle par tous, il est indispensable que l'Union européenne fonctionne mieux. Il s'agira là du troisième axe de notre présidence.

Nous voulons une Europe plus efficace et plus forte.

Si, depuis quinze ans, elle a su franchir des étapes décisives - l'achèvement du marché unique, la création de l'euro -, elle n'a pas, en revanche, échappé à la critique d'être une construction souvent élitiste et tournée avant tout vers l'économie et le commerce en négligeant, du moins jusqu'à une période récente, les questions pourtant essentielles du chômage, de la pauvreté et de l'exclusion.

Par ailleurs, la question de son fonctionnement et de l'efficacité de ses mécanismes de prise de décision a été posée, tout particulièrement dans la perspective de l'élargissement.

L es sentiments de nos concitoyens à l'égard de l'Europe sont mêlés. D'une part, l'adhésion à l'Europe ne se dément pas, elle se renforce, même ; d'autre part, l'incompréhension du fonctionnement et de certaines actions de cette Europe va croissant.

M. Pierre Lellouche.

C'est vrai !

M. Jacques Myard.

Et ça ne va pas s'améliorer !

M. le Premier ministre.

Nous percevons tous cette contradiction. Les citoyens transposent logiquement au niveau européen l'exigence de transparence et d'efficacité dans l'action publique qu'ils formulent à l'égard des gouvernements nationaux. Ils veulent que la construction européenne sorte de l'opacité technocratique qui lui est souvent reprochée.

M. Michel Herbillon.

Ça ne va pas progresser !

M. le Premier ministre.

Les citoyens d'Europe entendent que l'Union se recentre sur ces préoccupations qu'ils expriment en particulier à travers leurs élus au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. Ils veulent aussi que les compétences de l'Union et celles de chacun des Etats soient mieux définies.

M. Alain Madelin.

Très bien !

M. le Premier ministre.

C'est ce que doit permettre une reconnaissance plus grande du principe du subsidiarité. Des avancées novatrices doivent être faites dans cette direction.

M. Pierre Lellouche.

Lesquelles ?

M. le Premier ministre.

Ils veulent surtout connaître et choisir l'avenir où les conduit la construction européenne.

Ils veulent, en un mot, que l'Europe soit effectivement dirigée, gouvernée et contrôlée dans l'esprit et selon les règles des démocraties parlementaires.

Renforcer l'adhésion au projet européen, conforter le sentiment d'appartenance de nos concitoyens à une communauté de destin, une communauté fondée sur des


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

valeurs partagées, régie par des principes démocratiques et conduite par des acteurs responsables devant les peuples, tel sera le cap politique de notre présidence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Une occasion nous sera donnée de consacrer cette communauté de valeurs en faisant aboutir, à la fin de l'année 2000, le projet de Charte européenne des droits fondamentaux.

L e moment venu, c'est-à-dire dans les dernières semaines de notre présidence, nous verrons à quel contenu aboutira l'instance - à laquelle participent le Parlement européen et les parlements nationaux - chargée aujourd'hui de la rédaction de cette Charte. Il sera alors plus aisé de préciser le statut juridique de ce texte. Nous ne convaincrons les citoyens d'Europe de l'intérêt de cette Charte que si nous montrons qu'elle consacre une démarche avant tout politique, visant à rendre les institutions européennes plus sensibles à leurs préoccupations : liberté et justice, croissance et emploi, santé et sécurité, égalité des chances, environnement. La Charte saura alors trouver, sinon nécessairement son intégration dans les traités, du moins sa place dans la conscience politique des européens.

M. Alain Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Mais, pour prendre corps, cet idéal de valeurs partagées doit être porté par des institutions aussi démocratiques, légitimes et efficaces que possible. C'est pourquoi le second semestre de l'année 2000 sera un moment clé pour la réforme des institutions de l'Union européenne.

M. Pierre Lellouche.

Alors, que propose-t-on ?

M. le Premier ministre.

Cette réforme est nécessaire, parce que l'Union européenne d'aujourd'hui ne fonctionne pas bien. Elle est indispensable pour qu'une Europe élargie puisse encore avancer. S'agissant de la réforme des institutions, je ne vais pas entrer ici dans leur détail, ce qui relève d'un débat que le Gouvernement poursuit assidûment avec la représentation nationale, notamment avec votre délégation pour l'Union européenne et avec votre commission des affaires étrangères.

Je rappellerai cependant la nécessité de régler trois questions centrales qui ne l'ont pas été à Amsterdam : rendre à la commission une taille et une organisation susceptibles de lui permettre d'assumer son rôle d'impulsion,...

M. Jacques Myard.

La supprimer !

M. le Premier ministre.

... généraliser - à quelques exceptions près - le champ du vote à la majorité qualifiée, pour éviter la paralysie,...

M. Charles Ehrmann.

Très bien !

M. le Premier ministre.

... rendre plus fidèle aux réalités démographiques le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le conseil de l'Union.

M. Charles Ehrmann.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Je mentionnerai aussi la nécessité de réformes qui, pour ne pas relever des traités, n'en sont pas moins importantes : elles concernent, pour l'essentiel, l'organisation et les méthodes de travail de la Commission et du Conseil.

Il nous faut, en particulier, un Conseil mieux structuré, à même d'exercer une meilleure coordination des activités de l'Union et assumant l'ensemble de ses prérogatives par rapport à celles de la Commission européenne et du Parlement européen.

M. Charles Ehrmann et M. Alain Barrau, président de la délégation.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Nous nous efforcerons donc de conduire à son terme la négociation engagée au début de l'année sous les auspices de la présidence portugaise, et qui concerne les réformes strictement indispensables au fonctionnement de l'Union.

Dans le même temps, afin de faciliter la poursuite du processus d'intégration europénne, nous devons améliorer, pour le rendre plus souple et plus efficace, un dispositif institutionnel qui existe déjà dans l'Union, celui de la coopération renforcée.

M. Pierre Lellouche.

Concrètement ?

M. le Premier ministre.

Cette approche permet à quelques Etats de coopérer ensemble dans tel ou tel domaine, ou d'aller plus vite et plus loin dans l'union. L'Union économique et monétaire en constitue une illustration.

Grâce à ces coopérations renforcées, certains Etats pourront progresser dans l'intégration, en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les rejoindre à leur rythme.

M. Charles Ehrmann.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Cette perspective - nous en sommes tous conscients - est essentielle. Elle le sera encore davantage dans une Union élargie. C'est là, j'en suis convaincu, le moyen de poursuivre - en évitant le sempiternel débat entre modèles fédéral ou confédéral la démarche pragmatique qui a toujours prévalu et qui était celle des « pères fondateurs », démarche seule susceptible de prendre en compte le caractère évolutif de notre famille européenne.

Je sais que des réflexions plus larges sont en cours. Audelà du souci d'éviter la dilution ou la paralysie d'une union très élargie, comment poursuivre le projet européen ? Quelques idées ont été lancées : une réforme profonde des institutions de l'Union, qui redéfinirait les rôles du Conseil, du Parlement ou de la Commission, voire donnerait lieu à la création d'institutions nouvelles ; ou bien la constitution, par une « avant-garde » de quelques pays, d'une fédération d'Etats-nations - un noyau dur caractérisée par un surcroît d'intégration ; ou bien encore l'élaboration d'une Constitution européenne, redéfinissant les compétences et les modes d'action entre l'Union et les

Etats membres.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Ces réflexions, comme le dialogue qu'elles suscitent, sont légitimes et doivent être poursuivies activement. Elles doivent l'être avec un degré suffisant de réalisme pour être partagées et avoir des chances de déboucher. Regarder plus loin, avoir à l'esprit le fonctionnement d'une Union élargie à une trentaine de membres, ne doit pas pour autant conduire à bâcler les réformes que nous devons conduire aujourd'hui et faire avancer concrètement pendant la présidence française.

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Affirmer que ces réformes seront sans doute insuffisantes à long terme n'est pas faux, mais en tirer prétexte pour essayer de bouleverser l'équilibre des institutions ne serait pas, à mon sens et aux yeux de la présidence française, raisonnable.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

M. Jacques Myard.

Immobilisme !

M. Francis Delattre.

C'est conservateur !

M. le Premier ministre.

L'Europe va affirmer son unité. Nous devons y être prêts. Les pays candidats ont façonné l'histoire de notre continent et veulent partager avec nous une communauté de destin. Ils ont vocation à nous rejoindre. Certains parmi eux attendent, partic ulièrement pendant notre présidence, des décisions importantes concernant, sinon le calendrier précis des prochains élargissements, en tout cas des choix clairs de méthode pour la fin des négociations.

M. Jacques Myard.

On cherche encore !

M. le Premier ministre.

Nous devrons répondre à ces attentes, comme je l'ai dit tout récemment à mes interlocuteurs hongrois à Budapest.

Or l'élargissement soulève des questions fortes. Une Union de trente membres peut-elle véritablement fonctionner ? Si oui, comment ? Un ensemble élargi - forcément plus hétérogène - peut-il se doter d'une politique économique et sociale qui soit cohérente et efficace ?

M. Pierre Lellouche.

C'est à vous d'y répondre !

M. le Premier ministre.

Je ne peux, monsieur le député, vous donner aujourd'hui que les indications arrêtées par les autorités publiques françaises.

M. Pierre Lellouche.

Donnez-les-nous !

M. le Premier ministre.

Je pense que cette dimension ne vous a pas échappé et nous continuerons, enrichis par ce débat et par vos propositions,...

M. Pierre Lellouche.

C'est vous qui êtes en charge des affaires !

M. le Premier ministre.

... à nourrir cette présidence.

Donc, les questions que vous me posez s'adressent aux autorités publiques françaises. Je ne doute pas qu'elles les écouteront dans leur ensemble avec attention, monsieur Lellouche.

(Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Comment veiller à ce que l'Union, en s'élargissant, ne se réduise pas à une zone de libre-échange mais reste une véritable communauté ? (« Très bien ! » sur les bancs de groupe socialiste.)

Sur toutes ces questions, auxquelles vous êtes sensible, monsieur Lellouche, la France doit s'exprimer d'une seule voix. Souffrez donc que je n'anticipe pas sur la façon collective dont notre pays élabore sa position durant la présidence française. Sinon vous seriez fondé - et je ne doute pas que vous le feriez - à m'administrer d'autres reproches.

M. Pierre Lellouche.

Ce sont les joies de la cohabitation !

M. le Premier ministre.

Monsieur Lellouche, il ne faut pas jouer sur tous les tableaux. Je sais que c'est votre habitude, mais cela se fait souvent aux dépens de votre cohérence de pensée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Lellouche.

C'est vous qui avez le micro !

M. le Premier ministre.

Il faut bien préparer l'Union, et de façon sérieuse, au bouleversement sans précédent qui représentera l'élargissement. C'est ce que nous avions indiqué, peu après notre arrivée aux responsabilités, puis, avec l'Italie et la Belgique, au moment même de la signature du traité d'Amsterdam. C'est ce que l'Assemblée nationale et le Sénat...

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

Surtout l'Assemblée nationale !

M. le Premier ministre.

... ont solennellement confirmé en autorisant la ratification de ce traité. C'est ce qui a été admis par l'ensemble de nos partenaires. Mais il faut être clair aussi sur le rythme de ces évolutions : s'il n'est pas question de retarder le processus historique de l'élargissement, il n'est pas question non plus de brûler les étapes.

Pour être réussi, le processus d'élargissement doit être maîtriser. C'est notre conviction. Tel sera le sens des réunions de la Conférence européenne qui seront organisées au cours du second semestre 2000, notamment de celle qui se tiendra, en décembre, à Nice, avant le Conseil européen. Ces réunions devront être l'occasion de renforc er encore notre dialogue avec les pays candidats.

Ensemble, nous préfigurerons le cheminement politique qui conduira ces pays dans l'Union, au terme du processus de négociation qui a été engagé.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, donner à l'Europe les moyens institutionnels de sa cohérence et de son rayonnement, lui conférer une volonté politique, contribuer à en faire un espace de croissance et de plein emploi, lui permettre de prendre toute sa place sur la scène internationale : voilà les objectifs auxquels nous voulons, au cours de notre présidence, travailler avec détermination, en étroite association avec vous.

L'Europe nous a apporté beaucoup depuis cinquante ans et reste une vraie promesse pour la grande et vieille nation qu'est la France. Avec l'Europe, notre pays se donne des atouts pour se projeter vers le monde, pour défendre ses intérêts, pour faire vivre les valeurs qui fondent son identité.

La présidence à venir nous offre une grande chance : celle de montrer que notre pays est demeuré fidèle à sa vocation de bâtisseur, à son ambition de contribuer à l'édification d'une Europe plus unie et plus forte. Nous avons su, il y a cinquante ans, ouvrir la voie. Sachons aujourd'hui réunir la famille européenne et lui donner les moyens d'être un des acteurs majeurs du

XXIe siècle, en préservant cette combinaison - véritablement unique - de souverainetés partagées et d'identités respectées qui fait l'originalité et la fécondité de l'aventure européenne.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Mes chers collègues, le débat a été organisé dans le cadre de la conférence des présidents. En outre, certaines exigences me conduisent à demander à chaque orateur de respecter scrupuleusement son temps de parole.

L e premier intervenant est M. Valéry Giscard d'Estaing, qui dispose de quinze minutes.

Vous avez la parole, monsieur Giscard d'Estaing.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chères collègues et mes chers collègues, je ne sais pas qui je dois remercier (« Nous ! », sur les bancs du groupe socialiste), du hasard ou de la finesse de perception de la conférence des présidents, qui a fixé à aujourd'hui, 9 mai 2000, la date du débat sur la contribution de la France au progrès de l'Union européenne. C'est en effet une date particulièrement symbolique !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Un député du groupe socialiste.

Pas autant que le 10 !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Le demi-siècle qui court du 9 mai 1950 au 9 mai 2000 restera dans l'histoire comme celui où les grandes puissances européennes auront mis fin aux cauchemars meurtriers qui ont ensanglanté notre continent depuis la guerre de Trente ans jusqu'au dernier conflit mondial.

Le point de départ de ce processus a été la déclaration de Robert Schuman (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants), le 9 mai 1950, cinq ans seulement après l'arrêt des combats.

N'oublions pas, mes chers collègues, que Robert Schuman était un parlementaire. De 1919 à 1940, puis de 1945 à 1962, il a représenté la Moselle dans notre assemblée.

A nouveau, le hasard nous adresse un signe en inscrivant en tête des intervenants le porte-parole du groupe dans lequel Robert Schuman a siégé pendant toute sa carrière politique et qui reste aujourd'hui fidèle à sa grande inspiration.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mes chers collègues, parlons précisément de l'Europe.

Le rôle de la France est moins de présider pendant six mois le Conseil européen, ce qui est une tâche qui nous revient au titre d'une simple - et d'ailleurs funeste ! rotation de la présidence,...

M. Pierre Lellouche.

Tout à fait !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

... que de clarifier les termes du débat européen, conformément au rôle joué par la France depuis l'origine, et de définir la ligne de conduite de notre pays.

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

On ne progressera pas aussi longtemps qu'on n'aura pas admis que la décision du grand élargissement de l'Europe, prise à Helsinki, a changé la nature du projet européen.

M. Jacques Myard.

Vous avez raison !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Ce projet consistait jusqu'à présent à intégrer un nombre relativement restreint de pays, de six à neuf puis à douze, présentant des caractéristiques voisines, pour leur permettre d'exercer en commun des compétences définies par les traités.

Tout ce projet est contenu dans la dernière phrase de la déclaration de mai 1950 : « Par la mise en commun de production de base et l'institution d'une Haute autorité dont les décisions lieront la France et l'Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d'une fédération européenne, indispensable à la préservation de la paix. » Je crois que la

meilleure manière de commémorer cette déclaration, c'est sans doute de la relire.

Telle a bien été la ligne directrice de la politique suivie pendant le dernier demi-siècle et qui a atteint plusieurs de ses objectifs, que vous avez rappelés, monsieur le Premier ministre : la réconciliation franco-allemande ; l'éradication du risque de guerre entre les puissances européennes ; la mise en place d'institutions communes de c aractère permanent ; l'engagement de politiques communes, depuis le Marché commun et la politique agricole commune jusqu'à la politique monétaire unique, symbolisée par l'euro.

C'est une ligne continue qui a été suivie avec prudence et ténacité, en vue d'atteindre un niveau élevé d'intégration souhaité par les uns, contesté par les autres, mais recherché en fait depuis les années 70 jusqu'aux années 90 par les présidents de la République et les Gouvernements qui se sont succédé à la tête de notre pays.

C'était une sorte de montée en puissance historique de l'Europe.

Le choix du grand élargissement a changé cet objectif.

Vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre, il ne serait pas réaliste de vouloir atteindre à vingt-six ou à trente Etats le même niveau d'intégration qu'on recherchait difficilement à neuf ou à douze dans les traités de Rome et de Maastricht.

L'option prise en faveur de l'espace comporte un renoncement, au moins temporaire, à l'objectif d'intégration poussée, c'est-à-dire à la puissance.

Il faut cesser d'égarer l'opinion en lui faisant croire que nous allons continuer d'avancer dans la même direction, en nous contentant d'être plus nombreux (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République), ou pire, de lui expliquer que nous allons réussir à faire davantage à vingt-six que ce que nous avons été capables de faire à neuf ou à douze !

M. Edouard Landrain.

Très juste !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Cela relève de la fantaisie, ou de l'irresponsabilité.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

L'intégration de vingt-six Etats, présentant des caractéristiques économiques et sociales très éloignées, parlant vingt langues différentes, sans même que l'on reconnaisse la nécessité de langues de travail, avec une population supérieure de moitié à celle des Etats-Unis d'Amérique, n'a guère de possibilité de devenir étroite dans le monde du

XXIe siècle où s'affirment, parfois avec violence, les besoins d'identité et de diversité, ainsi que la poussée des revendications ethniques.

Nous devons donc nous atteler à deux tâches différentes : La première, consiste à organiser de manière efficace et démocratique l'ensemble du continent européen, c'est-àdire l'Union européenne élargie, en visant un niveau d'intégration plus réaliste et en le dotant d'institutions réformées.

M. Charles Ehrmann.

Très bien !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Cette organisation de l'Europe élargie lui permettra, comme l'a dit excellemment Jacques Delors, de tirer parti de la mondialisation, tout en se protégeant de ses excès.

La seconde tâche est de préserver les chances d'une union plus intime entre ceux des Etats européens qui en manifesteront la volonté politique.

Les institutions prévues pour la petite Europe des six sont appelées à devenir celles de l'Europe élargie à vingtsix ou à trente.

Nous avons voté, à l'initiative de la commission des affaires étrangères et avec l'accord du Gouvernement, un texte qui fixe une chronologie : nous présenter d'abord le texte sur la réforme, avant de nous saisir des accords d'élargissement. Nous veillerons au respect de cet engagement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Cette réforme est l'enjeu de la conférence intergouvernementale en cours. On nous laisse espérer une issue favorable d'ici à la fin de l'année. Acceptons-en l'augure, bien que peu de progrès aient été réalisés jusqu'à présent.

M. Hervé de Charette.

Très juste !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Mais ne faisons pas de la date de conclusion l'enjeu essentiel de la négociation ! Et je crois vous avoir entendu, monsieur le Premier ministre, émettre une idée voisine. Ce n'est pas la date qui compte, c'est la qualité de la réforme.

« Une conclusion hâtive, sur de mauvais compromis, serait une erreur. » Je souscris à cette déclaration du

commissaire chargé de la réforme, Michel Barnier.

Or nous entendons avancer, ici ou là, des propositions de mauvais compromis contre lesquels nous souhaiterions vous mettre en garde.

Je prendrai deux exemples. D'abord, celui de la composition de la Commission.

La seule vraie réforme consiste à fixer le nombre des commissaires au niveau de celui des fonctions à exercer : entre douze et quinze, comme la France, l'Italie et la Belgique l'ont proposé ! Quand on nous parle de vingt commissaires, c'est uniquement pour utiliser l'artifice facile consistant à dépouiller les grands Etats membres, dont la France, de leur deuxième commissaire, afin d'attribuer leurs postes aux cinq prochains candidats à l'élargissement ! C'est une réforme en trompe-l'oeil, qui vise à faire croire qu'on maintient le principe d'un commissaire par Etat, tout en affaiblissant la représentativité de la Commission, en dépouillant trois des grands Etats fondateurs !

M. Pierre Lellouche.

Très juste !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Et surtout on n'apporte pas de réponse à la question suivante : que fera-t-on ensuite, quand il faudra passer de vingt à vingt-six ? En fait, il faudra renégocier un nouveau traité car il n'y aura plus de réserve cachée où aller puiser ! A défaut, mieux vaut conserver le système actuel, qui a le mérite d'être plus représentatif que celui qu'on nous propose ! Le second exemple est celui du vote à la majorité qualifiée.

Si l'Union s'agrandit et se diversifie, il deviendra de plus en plus difficile d'imposer des solutions uniformes. Il suffit de penser à la fiscalité et à la législation sociale, et on voit mal comment prétendre imposer, monsieur le Premier ministre, le même modèle social à la Roumanie et à la Suède ! Pour que la minorité accepte de se plier aux décisions de la majorité, il faudrait que celle-ci apparaisse comme massivement représentative. Or on nous suggère de nous en tenir à la constatation d'une majorité simple de la population de l'Union.

Une majorité simple des peuples ne représente pas une majorité qualifiée. Cela signifierait que, dans la moitié de l'Union, les peuples et les Parlements qui les représentent seraient hostiles à la décision prise. Il y a peu de chances qu'ils l'acceptent sans réagir.

Monsieur le président, je vois défiler devant moi votre petit compteur à grains rouges.

(Sourires.)

Je ne sais pas très bien ce que cela signifie, mais je crois que c'est pour m'inciter à une certaine concision.

(Nouveaux sourires.)

M. le président.

C'est très simple, monsieur le Président : lorsque les grains rouges arrivent complètement à droite, votre temps est terminé.

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Si vous pouviez appuyer un peu sur le frein, monsieur le président, vous me rendriez service.

(Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je n'ai aucune pédale de frein à ma disposition, monsieur le Président.

(Sourires.)

M. Valéry Giscard d'Estaing.

En résumé, au niveau de la grande Europe, l'Europe élargie, nous avons besoin de deux avancées : un bon accord, et non un accord en trompe-l'oeil, sur la réforme des institutions, d'une part, et une application effective et garantie du principe de subsidiarité, dont nous avons obtenu l'inscription dans le traité de Maastricht et qui est resté en somnolence depuis, d'autre part.

J'en viens à la deuxième partie de mon propos, que je contracterai quelque peu.

Nous devons aussi préserver les chances d'intégration de ceux des Etats d'Europe qui auront la volonté de bâtir une union plus intégrée, une véritable puissance européenne.

Cette idée ne paraît pas être à la mode. Elle n'est plus portée, à l'heure actuelle, par aucun des dirigeants des grands pays fondateurs, à l'exception de l'Italie. Les Européens convertis ne sont pas toujours devenus des Européens convaincus ! Et pourtant, cette idée reste le seul projet fort, le seul projet à contenu historique pour l'Europe de notre temps, le seul projet qui puisse rassembler la jeunesse de l'Europe ! Comme toutes les idées fortes, celle-ci continuera à cheminer et elle s'imposera, un jour, comme une nécessité ! Nous devons lui laisser toutes les chances de se réaliser. A l'heure actuelle, cette chance s'appelle les coopérations renforcées.

Dans l'état actuel de l'Union, les coopérations renforcées constituent les seules avancées possibles de l'intégration européenne. C'est la raison pour laquelle je souscris à vos propos, mais en voulant les préciser davantage : dans la négociation en cours, il faut lever les obstacles qui limitent la possibilité de ces coopérations renforcées, notamment ceux qui exigent la participation d'une majorité d'Etats membres. Il est vraisemblable qu'un jour ces coopérations rassembleront un nombre d'Etats qu'on retrouvera dans toutes ces structures. C'est de ce groupe que jaillira, le moment venu, une nouvelle initiative de création d'une puissance européenne. Le moment n'est pas encore mûr, mais la nécessité et la vision finiront par l'imposer.

Nous avons toujours été favorables à l'adoption d'une l oi fondamentale, d'une véritable Constitution pour l'Europe. Pour mériter ce nom, cette Constitution devra traiter les grands enjeux de l'organisation politique de l'Europe, ceux qui ont été laissés à l'écart de la conférence intergouvernementale. S'il était vidé de cette substance, ce texte appellerait le jugement sarcastique de Paul Valéry : « Le doute conduit à la forme ! » Je voudrais terminer, puisque j'ai épuisé mon temps de parole, par vous dire un mot sur l'une des coopérations renforcées la plus décisive ; celle de l'euro.

Je suis soucieux pour l'euro.

Je vous demande, monsieur le Premier ministre, de considérer que la présidence française doit inscrire parmi ses priorités la consolidation de l'euro.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Nous avons souhaité que l'euro soit indépendant.

Nous n'avons pas demandé qu'il soit orphelin ! Il a été introduit au taux de 1,17 par rapport au dollar, ce qui était excessif. Mais il est aujourd'hui coté au taux de 0,90, ce qui est trop bas.

Cette dépréciation instille dans l'économie européenne un germe d'inflation, retarde nos efforts de compétitivité et entraîne des hausses de taux d'intérêt qui pénaliseront un jour, peut-être prochain, notre croissance.

Les causes de la dépréciation de l'euro sont relativement aisées à identifier : un tiers de cette dépréciation provient de sa surévaluation initiale, que le marché était appelé à corriger ; un tiers provient de la prévision de l'écart entre le dynamisme de l'économie américaine et celui de l'économie européenne, écart qui appellerait, de notre part, des réformes et des initiatives...

M. Pierre Lellouche.

Qui ne viennent pas !

M. Valéry Giscard d'Estaing.

Pour le dernier tiers, cette faiblesse de l'euro s'explique par son isolement.

L'euro est indépendant d'un gouvernement, certes, mais d'un gouvernement qui n'existe pas ! A monnaie unique, interlocuteur unique ! (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Les tentatives faites en 1998, à l'initiative de Dominique Strauss-Kahn, pour donner de la consistance au Conseil des ministres de la zone euro, n'ont guère eu de suite. Et la bataille qu'ont menée les gouvernements et qu'on a bien oubliée, lors de la négociation de l'accord de Maastricht, pour se réserver la compétence en matière de cours de change extérieur paraît bien dérisoire quand on constate leur mutisme actuel, alors que l'article 211 du traité permet au Conseil de « formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis des monnaies non communautaires ». Une perte de valeur de l'euro d'un quart en dix-sept mois devrait appeler au moins une réflexion commune.

Certains d'entre vous diront que l'euro a, certes, perdu de sa valeur mais que, comme cela a été dit tout à l'heure, le niveau de vie et la consommation restent élevés. Sans doute. Mais l'acquisition des entreprises européennes par les capitaux étrangers est devenue 25 % moins chère. On ne peut pas s'inquiéter de certaines ingérences ou de certaines prises de contrôle sans s'interroger sur la perte du quart de la valeur de notre monnaie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous avons suffisamment accusé les Etats-Unis de négligence bénigne dans la gestion du dollar pour ne pas encourir nous-mêmes le reproche de négligence totale.

(« Très juste ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Monsieur le Premier ministre, il nous faut un Conseil des ministres spécialisé de la zone euro, qui existe mais qui doit faire preuve de beaucoup plus de dynamisme, et une enceinte parlementaire où la Banque centrale puisse débattre de la politique de l'euro et la soumettre à la nécessaire critique. Il y a là matière à une initiative essentielle de la présidence française.

Mes chers collègues, l'ère de la construction européenne que nous allons traverser sera différente de celle du dernier demi-siècle. C'est inévitable et c'est naturel.

Puisse-t-elle seulement se révéler aussi bénéfique pour nos peuples ! Je souhaite que l'agrandissement de l'Union européenne ne se fasse pas au détriment de son rêve d'unité, d'identité et de puissance. Car n'oublions jamais que la puissance, lorsqu'elle est dépourvue de toute velléité impérialiste, est le meilleur garant de l'indépendance et de la paix.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, au-delà de ses dimensions proprement institutionnelles, sur lesquelles j'aurai l'occasion de préciser les positions du parti communiste, la présidence française du Conseil de l'Union européenne doit être l'occasion d'un vaste débat public et citoyen sur le devenir de l'Europe.

C'est en effet de la vie quotidienne des peuples de notre continent qu'il s'agit et de leur capacité à vivre ensemble dans un environnement sécurisé, pour ouvrir les voies du développement et du progrès social. Et je veux voir dans notre débat d'aujourd'hui un appel adressé en ce sens aux Françaises et aux Français.

La présidence française ne réglera pas, en six mois, des problèmes lourds, dont certains, comme la réforme des institutions ou l'élargissement, exigent encore de longues négociations plutôt que la précipitation ou le passage en force. Il ne s'agit pas non plus d'entretenir l'illusion que la France, seule, pourrait imposer ses vues à ses partenaires. Mais il convient qu'elle affirme l'ambition d'imprimer sa marque sur le cours de la politique européenne.

Il convient qu'elle impulse des priorités et fasse avancer, dans les domaines qui lui paraissent cruciaux, des idées et des propositions nouvelles pour l'avenir.

Trois raisons commandent de conforter cette ambition.

La première est que la présidence française va se dérouler sous le regard de l'opinion publique. Il est donc de la responsabilité de toutes celles et de tous ceux qui sont investis dans la vie politique comme dans l'animation de la vie sociale de favoriser dans le pays la discussion des enjeux européens, en relation avec les attentes sociales et les exigences démocratiques qui s'y expriment. Cela est d'autant plus nécessaire que le sentiment grandit - non sans raison - selon lequel l'Europe est coupée des citoyens et de ce qui fait leur vie. L'abstention massive, que nous ne devons pas oublier, aux élections européennes en est un révélateur particulièrement préoccupant.

La deuxième raison, c'est l'intérêt et l'importance que revêt pour beaucoup d'Européens, et bien au-delà, l'originalité de l'expérience de la gauche plurielle en France.

Tous les efforts des communistes visent à contribuer à ce que le Gouvernement engage les grandes réformes de structure susceptibles de répondre aux attentes du pays.

Et c'est avec la même volonté constructive que nous formulons des propositions pour que la France agisse afin que les décisions européennes soient en résonance avec les attentes et les exigences du mouvement social.

Enfin, cette ambition nous est imposée par les difficultés mêmes que rencontre la construction européenne, par la crise qui la frappe et qui affecte son dessein. Les doutes s'affirment publiquement. Cinquante ans après les discours fondateurs et dix ans après la chute du mur de Berlin, la construction européenne poursuit sa trajectoire


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

sans la dynamique d'un projet susceptible de mobiliser les peuples du continent. La construction européenne est, en vérité, frappée d'inertie institutionnelle.

La montée des exigences sociales et citoyennes, la critique grandissante du libéralisme, l'impérieuse nécessité des rapports nouveaux avec les autres pays du continent, bloquent ou font craquer les cadres établis. C'est bien un élan radicalement nouveau qu'il faut à la construction de l'Europe pour lui redonner du sens, pour affronter le défi de l'élargissement, pour peser dans la mondialisation autremement que par la course avec le modèle ultralibéral d'outre-Atlantique.

Ce nouvel élan, l'Europe ne le trouvera qu'en donnant la priorité au social et en faisant de la participation démocratique le critère de la construction institutionnelle et politique.

M. François Vannson.

Vous pouvez parler !

M. Robert Hue.

Je ne me réjouis nullement des graves carences actuelles. Tout au contraire. Ainsi, a contrario de certains propos apaisants, j'estime que la situation de l'euro est particulièrement préoccupante, parce que je sais trop qui paierait, à terme, les effets d'une croissance freinée ou enrayée par les effets de la course aux taux d'intérêt et par les pressions exercées sur les dépenses sociales et le pouvoir d'achat.

Après tant de promesses et de sacrifices demandés au nom de la monnaie unique, il est temps de rediscuter des choix effectués en matière monétaire, ainsi que du rôle et des pouvoirs de la Banque centrale. Il faut reposer avec force la nécessité de substituer à une politique monétaire et de crédit ultra-libérale un pacte faisant de l'investissement dans l'emploi, la formation et les dépenses sociales, de réelles priorités.

A cet égard, je ne partage pas la satisfaction affichée au sommet de Lisbonne, où les vieilles recettes libérales l'ont bien souvent emporté !

M. François Vannson.

Il est ultra-statique !

M. Robert Hue.

Cependant, les questions du plein emploi, de la sécurité d'emploi, de l'investissement dans la formation et les capacités humaines pour répondre aux défis de la révolution informationnelle s'y sont imposées.

L es tensions entre ces exigences du développement humain comme la pression à la précarité généralisée et à la baisse du coût du travail n'en sont que plus révélatrices.

C'est pourquoi j'ai la conviction que la présidence française doit être l'occasion de faire entendre une voix originale dans ce concert néolibéral, une voix en phase avec les attentes des opinions.

Je pense à la question déterminante des services et des entreprises publics. Il s'agit d'opposer aux pressions dérégulatrices de la Commission leur nécessaire développement et leur modernisation. L'opinion et les salariés des secteurs concernés y seront particulièrement attentifs. Et, dans le débat actuel en Europe sur les conséquences de la libéralisation et des privatisations, une position offensive de la France sera comprise et appréciée. Il en est de même en matière de développement du secteur ferroviaire et routier, de sécurité maritime, de santé publique, de sécurité alimentaire, de sport. Il en sera de même encore pour ce que sera la position française face aux projets de dérégulation de La Poste.

Sur un autre plan mais dans le même esprit, l'occasion est favorable pour relancer la proposition d'une taxe Tobin sur les mouvements de capitaux. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. Hervé de Charette.

Ringard !

M. Robert Hue.

Dans notre vision de l'Europe, social et démocratie sont absolument inséparables. A cet égard, la méthode d'élaboration de la charte des droits fondamentaux sera révélatrice de la volonté politique d'associer réellement les citoyens au projet européen. L'Europe étouffe sous l'accumulation des faits accomplis institutionnels, des traités et des directives élaborés sans les peuples. Une telle charte ne peut donc être seulement déclarative : elle doit contenir l'affirmation de valeurs d émocratiques et humanistes communes, les droits sociaux, le refus de toutes les discriminations et des inégalités. Elle n'y prendra que plus de sens face aux ambitions affichées par l'extrême droite dans plusieurs pays de l'Union européenne et en Europe centrale. Je veux à ce propos saluer ici la remarquable mobilisation populaire réalisée en Autriche contre la coalition honteuse conclue entre les conservateurs et le populiste Haider.

La charte ne peut avoir vocation à supplanter les textes fondamentaux de la République. Comme d'autres déclarations fondatrices, elle doit avoir une force morale et politique.

Elle ne sera légitime que si elle intègre les droits nouveaux auxquels aspirent les citoyennes et les citoyens d'Europe.

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

Très bien !

M. Robert Hue.

Transparence, démocratie, souveraineté : tels sont les principes qui doivent régir la réforme des institutions en discussion dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.

Je m'en tiendrai, pour l'heure, à ce que je considère comme essentiel.

Qu'il faille adapter les institutions à un fonctionnement à vingt, vingt-cinq ou trente Etats, et notamment en étendant les votes à la majorité qualifiée, est une évidence dès lors qu'on s'inscrit dans la construction du projet européen. Mais à deux conditions cependant : d'abord que certains domaines, comme la défense et d'autres qui touchent au coeur de la souveraineté, ne soient pas concernés ; ensuite, qu'il soit permis à tout

Etat d'invoquer une clause de sauvegarde s'il juge que ses intérêts essentiels sont mis en cause. Ces conditions sont de principe. Elles sont aussi gage d'efficacité parce qu'elles tiennent compte de la nature spécifique de la construction européenne et de l'indispensable articulation entre réalités nationales et union.

M. Francis Delattre.

Soviet !

M. Robert Hue.

Vous êtes très en retard, cher ami ! Une même approche, progressive et attentive aux réalités, sociales, politiques, historiques, culturelles, devrait animer les démarches qui conduisent à l'élargissement.

Entre inconscience faussement naïve et catastrophisme paralysant, il faut trouver les voies de la construction de l'Europe de l'après-guerre froide. Le statu quo est explosif.

Tous les récents rapports constatent la montée de la pauvreté dans ces pays et l'aggravation des inégalités. La mise à l'écart aussi bien que le passage en force nourrissent les frustrations et la démagogie populiste.

J'en ai l'intime conviction : le destin de l'Europe se joue dans notre capacité et notre courage à redéfinir les règles de l'élargissement, dans un esprit de dialogue entre partenaires égaux. Aux dogmes ultralibéraux des privatisations, de la réduction des dépenses sociales, du sacrifice


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du secteur public, il faut substituer des critères de développement à partir des besoins des populations et de leurs acquis.

La conférence européenne offre un cadre institutionnel pour ce dialogue. La présidence française ne pourrait-elle pas proposer l'organisation d'un sommet réunissant les pays de l'Union européenne et les pays candidats, pour marquer l'esprit nouveau d'un élargissement maîtrisé ensemble ?

M. Alain Bocquet.

Très bien !

M. Robert Hue.

Cet esprit nouveau, contestant les dogmes ultralibéraux et la domination des marchés, devrait animer la relance du dialogue euro-méditerranéen lors du bilan de Barcelone, à l'automne. J'y vois, pour ma part, une priorité avec trois axes : redéfinir des relations qui ne sauraient se réduire à une zone de libre-échange ; poser la perspective de l'annulation de la dette et d'une redéfinition des finalités des crédits et des aides ; associer, de part et d'autre de la Méditerranée, les sociétés civiles au processus engagé à Barcelone. Et au passage je veux réaffirmer, à ce propos, qu'il convient de faire droit à la légitime exigence de tous les étrangers vivant sur notre sol de décider, y compris par leur vote, de l'avenir de la construction européenne.

En avançant de telles propositions, le Parti communiste ne fait qu'appeler à mettre en cohérence des décisions politiques avec les attentes et les espoirs exprimés si fortement par les mouvements sociaux en France et en Europe. Les Français, et particulièrement les jeunes, pensent que l'Europe les expose aux effets de la mondialisation libérale, dont nous savons, après Seattle, après Washington, l'ampleur du rejet qu'elle suscite, au lieu de les en protéger. Beaucoup voient dans l'Europe le moyen de contrebalancer l'influence dominante des Etats-Unis, y compris en matière de sécurité. Mais que d'efforts encore il reste à accomplir ! On est bien loin d'une capacité des Européens à traiter par eux-mêmes de leur sécurité, dans ses dimensions politiques et militaires, sans subir la pesante tutelle des Etats-Unis et de l'OTAN. Il en est de même en ce qui concerne l'exigence universelle de désarmement.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le président, chers collègues, faute de décisions démocratiquement élaborées, l'Europe peut s'enliser dans un marché sans âme, coupé chaque jour davantage des préoccupations de ses peuples. Face aux marchés, il faut donner la priorité au développement humain dans toutes ses dimensions. C'est la seule voie réaliste pour relever les immenses défis de notre époque.

L'Europe traverse aujourd'hui une crise dont les fondements se trouvent dans la fuite en avant néo-libérale ou social-libérale. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Ceux qui voient aujourd'hui dans Tony Blair (Exclamation sur les mêmes bancs) le chantre de l'avenir de l'Europe ne feront, j'en suis certain, que fermer un peu plus les perspectives d'une construction européenne de progrès économique et social, de paix, de codéveloppement, de partage des cultures et des savoirs.

Pour leur part, les communistes ne ménageront pas leurs efforts pour mettre au coeur de leurs initiatives le recul des inégalités et l'intervention d'un mouvement populaire, social et civique,...

M. Francis Delattre.

Il y a encore à faire !

M. Robert Hue.

... dont la dimension européenne est aujourd'hui le facteur décisif d'efficacité et de raison d'espérer au service de la construction européenne.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

(M. Yves Cochet remplace M. Raymond Forni au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES COCHET,

vice-président

M. le président.

La parole est à M. Alain Madelin.

M. Dominique Dord.

Quel contraste !

M. Alain Madelin.

« On ne règle pas les problèmes en les mettant de côté », disait Winston Churchill. Mettre les problèmes de côté, c'est pourtant, hélas ! ce qui a été fait au sommet d'Amsterdam et c'est ce qu'il nous faudra rattraper à Nice.

A vous écouter il y a quelques instants, monsieur le Premier ministre, j'avais l'impression que vous esquiviez l'essentiel. Mais, en tout cas, merci d'avoir organisé ce débat et de nous permettre d'enrichir votre réflexion.

On a choisi de construire la grande Europe et on a eu raison. Au sortir de leur épreuve communiste, on a invité les nouvelles démocraties de l'Est à nous rejoindre, tout en sachant très bien que l'on ne ferait pas entrer la grande Europe dans les institutions de la petite Europe.

Et depuis, on lanterne, on tergiverse dans la réforme de nos institutions.

Alors, monsieur le Premier ministre, allons à l'essentiel ! Dix ans après la chute du mur de Berlin, un an après les décisions du grand élargissement d'Helsinki, la nouvelle conférence intergouvernementale, sous présidence française, est le coup d'envoi attendu de l'Europe de tous les Européens. Il y a cinquante ans, on posait la première pierre de l'Europe sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, autour de la réconciliation francoallemande.

L'enjeu historique aujourd'hui, c'est la réunification de l'Europe et la définition du nouveau cadre constitutionnel et institutionnel de cette grande Europe. Bien sûr, il ne s'agit pas de réinventer l'Europe. La construction européenne est un parcours historique unique, inédit, un acquis fabuleux. Les six, puis les douze ont initié, avec l'abolition progressive de leur frontière interne, une formidable dynamique des libertés économiques. Ils ont aussi réussi à créer une zone de paix et de liberté unique dans l'histoire, peut-être la plus belle réponse aux horreurs de la première et de la seconde guerre mondiale et aux tragédies totalitaires.

M. Charles Ehrmann.

Très bien !

M. Alain Madelin.

La construction européenne, en particulier grâce à l'Acte unique et au traité de Maastricht, a favorisé la concurrence et a sensiblement limité les gouvernements dans leur pouvoir de s'endetter indéfiniment et de gouverner par les facilités de la planche à billets.

Indéniablement l'Europe a permis le progrès économique et a fait reculer le dirigisme en France.

Mais ces succès ne suffisent pas à fonder l'Europe de l'avenir, et l'avenir de l'Europe c'est la grande Europe.

Certes, je sais bien que les socialistes, et encore moins les communistes, n'avaient guerre imaginé ni vraiment voulu cette grande Europe. Souvenons-nous du célèbre « Je dis non à la réunification » de Jacques Delors, au lendemain


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de la chute du mur de Berlin, ou encore de François Mitterrand affirmant, à Prague, que les nouvelles démocraties d'Europe de l'Est devraient attendre « des décennies et des décennies » pour rejoindre l'Union européenne. Sans doute cela explique-t-il que nous ayons alors manqué d'audace et raté le rendez-vous que nous donnait l'Histoire.

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

C'est caricatural !

M. Alain Madelin.

En tous cas, avec la réunification de l'Europe, les Européens ne retrouvent pas seulement leur espace géographique naturel ; ils retrouvent aussi les fondements mêmes d'une Europe qui ne peut avoir de sens - vous parliez de sens, tout à l'heure, monsieur le Premier ministre - que dans un ancrage commun à des valeurs partagées. L'Europe, et c'est un libéral qui le dit, ce n'est pas seulement un marché, une zone de libreéchange.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Alain Madelin.

L'idée de marché commun qui a présidé à la construction de l'Europe s'élargit aujourd'hui a u monde entier et les bienfaits du libre-échange s'étendent au-delà des frontières de l'Europe. Bien sûr, nous avons intérêt au libre-échange notamment en Europe, mais aussi avec d'autres pays - les Etats-Unis, le Canada, la Tunisie, le Maroc - sans que pour autant nous formions avec ces pays le projet de construire une nouvelle Europe.

M. Pascal Clément.

Bien sûr !

M. Alain Madelin.

L'Europe, ce n'est pas non plus une simple addition d'Etats - 6, 10, 12, 15, 20, 26, 27 ou 30 - unis dans une seule logique de puissance. L'Europe, c'est avant tout une idée, un point de vue sur le monde.

Ce qui fonde l'Europe, c'est une certaine conception de l'homme que l'on y a forgée. C'est la proclamation que l'homme a en tant que tel des droits fondamentaux inaliénables, des droits supérieurs et opposables à tout pouvoir politique. C'est l'affirmation de la souvenaineté de la personne et la croyance en la supériorité du droit.

A la dimension économique du projet européen, il nous faut aujourd'hui ajouter une dimension philosophique, morale, culturelle, bref, une dimension politique. Mais l'on ne peut définir un projet politique pour la grande Europe du XXIe siècle sans savoir et sans dire d'abord ce que sont les frontières de l'Europe, quel est l'espace que nous avons à défendre en commun pour donner du sens à l'Europe. De ce point de vue, il y a eu à Helsinki, me semble-t-il, quelque imprudence pour le gouvernement français à dire « oui » à l'entrée de la Turquie en Europe.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) sans débat préalable, sans discussion démocratique, sans consultation des citoyens, à dire « oui » à une option essentielle pour le visage de l'Europe du

XXIe siècle.

Certes, nous savons l'hypocrisie d'une telle décision. Il s'agit pour beaucoup d'inscrire la Turquie sur une liste d'attente aux portes de l'Europe et de l'y laisser longtemps, très longtemps. Mais ce faisant, on se trompe et on trompe l'espoir des démocrates turcs. J'ai bien entendu M. le ministre des affaires européennes nous dire, pour justifier cette décision, que « l'Europe n'était pas un club chrétien ». Bien entendu. Mais ni par la géographie, ni par l'histoire, ni par la culture, la Turquie n'appartient à l'Europe. Que serait une Europe avec un Parlement européen dans lequel les Turcs constitueraient la première nationalité représentée ? L'Europe avec la Turquie, c'est une autre Europe, une Europe dont le Premier ministre turc lui-même a dit qu'elle avait vocation à s'étendre « plus à l'Est vers le Caucase, l'Azerbaïdjan, finalement vers l'Asie centrale puis le reste de l'Asie ». C'est peut-être là une conception turque de l'Europe, je doute que ce soit celle de la majorité des Européens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

C'est pourquoi, à l'évidence, la Turquie n'a pas vocation à entrer dans l'Union européenne.

Bien sûr, on ne peut qu'être sensible à l'option européenne de la Turquie. Mais plutôt qu'une promesse illusoire d'intégration dans l'Union européenne - les EtatsUnis n'ont pas proposé au Mexique de devenir le 51e Etat de l'Union ! - mieux vaudrait offrir dès aujourd'hui à la Turquie un véritable statut d'association, de coopération politique et économique.

Il faut non seulement dire les frontières de la grande Europe, mais aussi définir les nouvelles institutions de la nouvelle Europe. Le monde bouge. L'Europe change de dimension et il nous faut sans doute la penser autrement qu'au travers du modèle esquissé par ses pères fondateurs.

Comme l'a très bien dit le président Valéry Giscard d'Estaing, le projet intégrationniste de la petite Europe d'hier ne peut être celui de la grande Europe de demain.

Notre Europe, notre grande Europe est un ensemble hétérogène que l'on ne peut comparer à l'Allemagne ou aux Etats-Unis. Vouloir unifier toujours davantage, chercher à raboter ces différences qui font la force et le génie de l'Europe conduirait, j'en suis sûr, à créer des tendances centrifuges destructrices de l'Europe elle-même. Voilà sans doute pourquoi il nous faut ajourd'hui imaginer l'Europe autrement que comme un Etat nation agrandi, avec un super-gouvernement, un super-parlement, une super-administration, de super-lois, de super-règlements et de super-impôts. L'époque n'est plus où Jacques Delors pouvait prophétiser que bientôt 80 % des lois applicables aux Français seraient décidées entre Bruxelles et Strasbourg, car on ne saurait imposer les mêmes lois à Dublin, Helsinki, Cracovie, Lisbonne, Athènes, Prague ou Paris.

Je pense ici à la vision de l'Europe de l'un des pères de l'idée fédérale européenne, Denis de Rougemont : « Les diversités européennes doivent être jalousement défendues et maintenues. Il ne s'agit pas d'obtenir une sorte de nation européenne où Latins et Germains, Slaves et Anglo-saxons, Scandinaves et Grecs se verraient soumis aux mêmes lois et coutumes qui ne pourraient satisfaire aucun de ces groupes et qui les brimeraient tous. »

C'est pourquoi l'Europe doit limiter son action à ce qui est essentiel et ne pas prétendre réglementer, encadrer dans le détail, à l'instar de la directive sur la chasse, la vie de chaque nation et de chaque peuple. Limiter et délimiter les pouvoirs de l'Europe, fixer de nouveaux mécanismes de décisions, voilà l'enjeu institutionnel et constit utionnel de la conférence intergouvernementale.

Maintenir la règle de l'unanimité à 26, 27 ou à 30, c'est, à l'évidence, condamner l'Europe à la paralysie.

M. Charles Ehrmann.

Très juste !

M. Alain Madelin.

Je vous invite cependant, monsieur le Premier ministre, à n'engager la France qu'avec beaucoup, beaucoup de prudence, dans la voie de l'extension du nombre de décisions prises à la majorité qualifiée et dans l'abaissement du seuil de calcul de cette majorité.

M. Hervé de Charette.

Très bien !


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M. Alain Madelin.

La conférence intergouvernementale sous présidence française ne saurait déboucher, sans que cela soit un échec pour la France, sur un système de décisions qui, dans des domaines essentiels, conduirait la France à se soumettre à des décisions prises contre son gré. Il faut donc faire preuve de beaucoup de prudence.

Imaginez que, demain, il se trouve une majorité qualifiée de pays et de voix pour décider que la France doit renoncer à son énergie nucléaire ! La proposition de la Commission d'une double majorité - majorité qualifiée des Etats et majorité de la population - n'est pas satisfaisante, 51 % des Européens ne peuvent prétendre dicter leur loi aux 49 % restants.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) S'engager dans cette voie serait prendre le risque de voir se multiplier les décisions inappliquées parce qu'inapplicables, de voir l'Europe rejetée par les peuples. C'est pourquoi, si l'on devait suivre cette voie, il conviendrait que la majorité de la population retenue soit aussi une majorité qualifiée des trois cinquièmes ou plus, comme l'a proposé le président Valéry Giscard d'Estaing.

En tout cas, le problème des mécanismes de décision ne doit être séparé à Nice, lors de la conférence intergouvernementale, ni de la question de la délimitation et de la limitation des pouvoirs de l'Europe, ni de la question, de l'application effective du principe de subsidiarité inscrit dans le traité de Maastricht et selon lequel ne doit remonter au niveau de l'Europe que ce qui n'a pu être traité au niveau inférieur. Il ne s'agit pas seulement de dire comment les décisions seront prises, il s'agit aussi de dire quelles sont les décisions qui devront être prises au niveau européen, en se prémunissant contre tout débordement. Comme l'a reconnu lui-même le président Jacques Delors, « 104 projets de directives soumis au Parlement européen cette année, c'est beaucoup trop et cela montre que la subsidiarité n'est pas respectée ».

M. Pascal Clément.

Ça, c'est vrai !

M. Alain Madelin.

Au surplus, ce qu'on appelle l'acquis communautaire doit être revisité à la lumière du principe de subsidiarité. Comme le dit le président Romano Prodi lui-même, « les politiques communautaires inadéquates doivent être soit radicalement réinventées soit éliminées ».

C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, il faut clarifier le principe de subsidiarité et en assurer le contrôle.

Voilà un objectif pour la France ! Vous sembliez souhaiter dans votre intervention des avancées novatrices. Permettez-moi de vous faire quelques suggestions.

Pour clarifier ce principe de subsidiarité et assurer son contrôle, je propose une procédure de saisine de la Cour européenne de justice par les Etats, par toutes les instances européennes, par le comité des régions et par les régions dont les Etats membres ont des compétences législatives qui peuvent être ménacées par l'Europe.

Monsieur le Premier ministre, construire la grande Europe, renforcer l'Europe politique, c'est aussi, à l'évidence, souhaiter renforcer le rôle du Conseil européen et trouver le moyen de stabiliser sa présidence. Savourez cette présidence française ! Elle n'est pas près de revenir.

Maintenir la présidence tournante actuelle signifierait, dans une Europe à vingt-cinq ou à trente, que la France n'exercerait la présidence que tous les deux septennats ou tous les trois quinquennats - vous choisirez. A moins d'instituer une présidence « kleenex » de trois mois, on ne pourra faire l'économie de cette question à Nice.

Quant à la Commission, il faudra aussi avoir le courage de limiter le nombre de commissaires européens au nombre de fonctions réelles, c'est-à-dire douze ou quinze.

C onstruire une « commission mexicaine » de trente membres ou plus pour faire plaisir à tout le monde serait assurément une erreur. En tout cas, comme l'a dit là encore le président Giscard d'Estaing, le plus mauvais choix serait de maintenir le statu quo, à savoir une Commission à vingt membres.

Monsieur le Premier ministre, si la grande Europe exige une démarche moins intégrationniste et plus respectueuse de la diversité des nations qui la composent, l'élargissement des frontières de l'Europe doit aller de pair avec un des grands objectifs de la construction européenne, celui de donner aux pays qui le souhaitent la possiblité de renforcer leur coopération pour aller plus loin et plus vite ensemble. C'est là aussi un des enjeux forts de Nice.

Faut-il pour autant institutionnaliser au moyen d'un traité dans le traité une sorte de « noyau dur » ou de

« noyau stable » composé d'un petit nombre de nations souhaitant davantage d'intégration ? Cela viendra peutêtre un jour. Mais je ne pense pas que ce soit une solution aujourd'hui.

D'abord parce que je ne crois pas opportun de diviser ainsi l'Europe en deux et qu'au surplus ces coopérations renforcées peuvent être à géométrie variable, comme l'expérience nous l'a montré avec l'euro, la défense européenne ou Schengen, même si un petit nombre de nations, dont la France, a vocation à se retrouver à l'intersection de ces cercles de coopération.

Voici donc le moment venu d'engager la refonte - ce ne sera pas réglé à Nice mais peut-être faut-il fixer le cap - de l'ensemble des traités formant la base de la construction européenne par la rédaction d'un document clair et c oncis présentant les principes constitutionnels sur l esquels sera désormais fondée l'Union européenne, l'union de la grande Europe.

Ce pacte constitutionnel refondateur doit reposer sur une clarification des dispositions existantes dans un texte d'une quarantaine d'articles sélectionnés parmi les 700 que comptent aujourd'hui les traités européens.

Ce pacte constitutionnel doit donner à l'Europe comme base constitutionnelle le respect de l'Etat de droit, des droits et des libertés fondamentales tels qu'il résulte des principes communs des Constitutions des

Etats membres ainsi que de la convention européenne des droits de l'homme. Sur ce point, je partage l'avis de Jacques Delors qui consiste à intégrer cette convention dans nos textes fondamentaux plutôt que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne aujourd'hui en gestation.

Ce pacte constitutionnel, enfin, doit délimiter précisément les pouvoirs dévolus à l'Union européenne en appliquant et en garantissant fermement le principe de subsidiarité, en fixant les principes essentiels de nos politiques communes, l'architecture et les nouvelles règles de fonct ionnement des nouvelles institutions de la grande Europe.

J'ajoute qu'il n'y a pas, qu'il ne peut y avoir de vraie Constitution européenne sans une cour constitutionnelle européenne.

Avec l'élargissement de l'Europe qui nous invite à repenser la composition, le rôle et les règles de fonct ionnement de la Cour européenne de justice des communautés, il conviendrait de renforcer son rôle avec l'idée d'en faire, à terme, une vraie cour constitutionnelle


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en liaison avec la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg. Cela lui permettrait de découvrir progressivement, dans un débat juridique ouvert, les grands principes fondamentaux du droit applicable à tous les Européens, à la manière de notre Conseil constitutionnel qui, décision après décision, a su dégager les grands principes de notre droit.

Voilà, monsieur le Premier ministre, je suis allé à l'essentiel. Je n'ai pas parlé des autres enjeux comme la consolidation de notre politique de sécurité commune, l'agenda social, la sécurité alimentaire, la sécurité maritime, l'environnement, l'immigration, l'espace judiciaire européen et tous les autres sujets que vous avez égrenés dans votre intervention et dont j'avais parfois le désagréable sentiment qu'ils nous faisaient passer à côté de l'essentiel.

A plus forte raison, je n'ai pas parlé des suggestions de la majorité de cette assemblée qui s'inscrivent à contretemps, à contre-courant et contre-sens de l'Europe et qui feront sans doute sourire nos partenaires : programmes de grands travaux, taxe Tobin...

C'est sur notre capacité à répondre aux défis de la construction de la grande Europe que sera jugée la présidence française.

Le président de notre délégation pour l'Union européenne vous invitait ce matin à une présidence « modeste et pragmatique ». Puisque la cohabitation permet à la France de parler d'une seule voix, je souhaite que ce soit d'une voix forte. Je vous invite, pour ma part, non pas à une présidence modeste, mais à une présidence visionnaire de la grande Europe du

XXIe siècle, à une présidence ambitieuse. Voilà ce que je souhaite, pour vous, pour nous et pour la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Monsieur le président, monsieur le p remier ministre, mes chers collègues, à quelques semaines de l'accession de la France à la présidence de l'Union européenne, bien des interrogations se posent sur la nature, la viabilité et l'avenir de la construction européenne.

Les députés du Mouvement des citoyens, qui font passer l'emploi avant la monnaie, ne sont pas catastrophés par l'euro faible. Le principal risque lié à l'actuelle situation de l'euro serait que les autorités monétaires européennes indépendantes en rajoutent dans l'orthodoxie monétaire et étouffent l'actuelle croissance soutenue qui demeure le principal vecteur du recul du chômage.

L'obsession de la monnaie forte ne doit pas conduire au retour des « années de plomb » où se sont combinés monnaie surévaluée, taux d'intérêts assassins, déflation et rigueur salariale. Ces recettes n'effaceront pas la réalité politique : l'euro n'est pas crédible comme monnaie unique parce qu'une monnaie unique doit être le couronnement et non le point de départ d'une identité politique unique. Et toutes les propositions fantasmagoriques qui sont faites, y compris celles que l'ai entendues cet après-midi, sont autant de fuites en avant. Elles se briseront sur la réalité. Tant qu'il n'y aura pas en Europe un peuple, une nation, une langue, toutes les réformes institutionnelles, un président, une Constitution sont des rêves dangereux.

Par contre, il est encore temps, monsieur le Premier ministre, de sortir par le haut de cette contradiction en repoussant l'introduction de l'euro dans les porte-monnaie des citoyens, pour réfléchir à une alternative plus crédible, une monnaie commune préservant les monnaies nationales. L'Europe se doterait d'une identité monétaire vis-à-vis de l'extérieur tout en donnant à chaque nation des marges de manoeuvre intérieure. Je donne rendezvous en 2002 à tous ceux qui pourraient éventuellement sourire ou dédaigner cette proposition.

Malgré les théories du « post-national », malgré les critères de convergence, malgré le pacte de stabilité, les politiques économiques divergent à nouveau au sein de la zone euro. Chaque gouvernement, et c'est légitime, doit assurer le mandat que lui a confié le peuple et mener une politique conforme à ses réalités nationales. La monnaie unique veut tenter de cacher au monde cette réalité. La monnaie commune prendrait acte du fait que l'Europe n'est pas une nation.

Pour parler plus directement du sommet de Lisbonne, je dirai que celui-ci, curieusement, n'a pas eu d'écho extraordinaire chez nous alors même qu'il marque une nouvelle étape, à bien des égards inquiétante, des progrès de la culture ultralibérale. La France a semblé isolée, ne parvenant pas à obtenir de ses partenaires un engagement précis sur des objectifs à atteindre en matière de croissance et d'emploi.

Pourtant, on peut nourrir des craintes pour l'avenir des services publics. Le principe de la libéralisation totale du gaz, de l'électricité, de l'eau, des services postaux et des transports figure dans les conclusions du sommet de Lisbonne, même si le gouvernement français est parvenu à éviter que le Conseil fixe des dates précises. Les marchés des télécommunications doivent être en revanche libéralisés en 2001 et la concurrence des réseaux locaux d'accès, intensifiée avant la fin de l'année.

Monsieur le Premier ministre, que vont devenir nos services publics ?

M. Francis Delattre.

Ils seront privés !

M. Georges Sarre.

Dans le débat entre partisans de gauche du traité de Maastricht et ceux qui avaient défendu un « non de gauche » au référendum, les premiers disposaient en 1992 d'un argument recevable.

Reconnaissant avec les opposants à Maastricht l'orientation trop libérale de la construction européenne, les partisans du « oui » expliquaient cette situation par la présence d'une majorité de gouvernements de droite chez nos principaux partenaires.

L'idée de ne pas casser la dynamique européenne en ratifiant Maastricht et de tabler sur l'arrivée de gouvernements de gauche pour réorienter l'Europe a été défendue par nombre de ceux qui, comme vous, monsieur le Premier ministre, étaient à la fois circonspects sur les mérites du traité et soucieux de poursuivre l'avancée de la construction européenne.

Aujourd'hui, la situation a changé. Les partis de gauche sont majoritairement aux affaires...

M. Francis Delattre.

Dépêchez-vous ! Le temps presse !

M. Georges Sarre.

... mais on tarde à percevoir les effets bénéfiques de ce changement en termes de réorientation de la construction européenne. Ce qui n'a pas changé, en effet, c'est le contenu du traité de Maastricht, aggravé à Amsterdam. Ce qui n'a pas changé, c'est la volonté des institutions européennes de traiter, conformément à l'idée cardinale de Maastricht, tous les domaines de l'activité humaine à partir du dogme de la libre concurrence. Nos concitoyens le perçoivent à travers des dossiers pouvant apparaître sectoriels, mais qui touchent de près beaucoup de Français et qui sont donc très péda-


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gogiques. Je pense par exemple à la marchandisation du sport à travers l'arrêt Bosman de la Cour de justice ou à la marchandisation de la protection sociale à travers les d irectives européennes tendant à livrer les activités mutualistes aux assureurs privés.

Aux yeux des citoyens, l'Union européenne n'apparaît pas comme un outil de lutte contre la mondialisation libérale mais plus sûrement comme le cheval de Troie de cette mondialisation. Le comportement de la Commission pendant les négociations préparant le sommet de l'OMC à Seattle comme les conclusions récentes de Lisbonne en témoignent. Loin de contester l'ordre mondial, les traités et institutions européens le confortent.

Monsieur le Premier ministre, l'échec de M. D'Alema en Italie, les difficultés de l'attelage SPD-Verts en Allemagne, sauvé par la caisse noire de la CDU plus que par les résultats de sa politique, et le cuisant échec électoral de M. Blair doivent interroger sur le rapport de forces qu'il est possible d'instaurer en Europe.

La résurgence de l'extrême droite en Autriche, sa montée en Italie, posent, au-delà d'une riposte morale, la question de la capacité de la gauche européenne à porter les intérêts des plus défavorisés, de ceux, nombreux, que la mondialisation laisse de côté, comme cloués au sol.

L'agenda social européen dont ni M. Prodi ni la présidence portugaise n'ont parlé lors de la conférence de presse finale de Lisbonne doit être pour la France et vous l'avez dit - un dossier prioritaire de sa présidence.

Et il faut vraiment avancer.

Allons-nous vers l'Europe fédérale ? Malgré les incertitudes, les contradictions, les difficultés actuelles, le fédéralisme avance masqué cependant, et sans réel débat démocratique, par simple adhésion des élites.

Le dossier de la charte des droits fondamentaux en constitue un exemple frappant. Présenté à l'origine comme un simple travail de codification à droit constant, qui ne créait pas de principe juridique nouveau, l'orientation donnée par M. Herzog au sein d'une enceinte autoproclamée « Convention » est d'une tout autre nature.

On semble s'orienter vers un texte contraignant traitant d es libertés fondamentales, des droits réservés aux citoyens de l'Union et des droits économiques et sociaux.

Si une telle charte devait être inscrite dans le traité, cela reviendrait, sans le dire, à créer une constitution européenne. L'introduction de la charte au traité donnerait compétence à la Cour de justice européenne pour l'appliquer en concurrence avec la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui créerait un beau désordre dans l'ordre institutionnel européen.

Surtout, ce serait une atteinte majeure et décisive à la souveraineté nationale. C'est l'ordre constitutionnel qui serait mis en cause dès lors que la Cour de justice européenne pourrait interpréter un vaste ensemble de droits et libertés qui, pour une part, recoupe les « principes fondamentaux » reconnus par les lois de la République. Le Parlement national et notre Constitution seraient directement mis hors jeu.

L'adoption de cette charte au terme de la présidence française, si elle devait être intégrée au traité, changerai t fondamentalement la nature de la construction européenne. Une telle évolution nécessiterait que le peuple français se prononce par référendum.

Programmé depuis la chute du mur de Berlin, l'élargissement de l'Union européenne met également à jour les contradictions entre les intérêts nationaux. La réforme de la Commission, la pondération des voix au sein du Conseil, l'extension du vote à la majorité qualifiée, voilà autant de questions que la présidence française aura à traiter mais qui ne seront sans doute pas réglées facilement.

La France doit avoir, et je pense que vous l'avez, monsieur le Premier ministre, le souci de préserver des marges de manoeuvre pour ses intérêts vitaux, comme vous avez su le faire sur le dossier de la vache folle. Elle doit aussi agir pour donner plus de poids au Conseil des ministres européens par rapport à la Commission. Une meilleure association des Parlements nationaux apparaît également nécessaire pour redonner un peu de légitimité démocratique à l'Europe.

Dans le temps qui m'est imparti, il n'est naturellement pas possible d'aborder tous les sujets. Ainsi, j'aurais souhaité dire un mot de l'Europe de la défense inféodée à l'OTAN, qui limite sa capacité à exister par elle-même.

De même, il me semblerait bon de prendre une initiative européenne en faveur de l'Afrique, qui n'est pas prête pour la mondialisation libérale. Ce serait, à mon sens, le seul moyen de l'aider. On ne peut fermer les yeux devant ce continent oublié, sacrifié, livré à la famine, à la maladie, et à la guerre.

Monsieur le Premier ministre, le maintien d'une croissance forte, la baisse du chômage, constituent des éléments favorables qui ne peuvent faire oublier la persistance d'inégalités sociales fortes. La prise de conscience par une partie chaque jour plus nombreuse des citoyens des effets de la mondialisation libérale s'accompagne de l'exigence de voir les responsables politiques reprendre en main les leviers de commande. En théorie, l'Europe pourrait constituer un outil pour y parvenir.

M. Jacques Desallangre.

En théorie !

M. Georges Sarre.

Il reste beaucoup à faire pour que cet outil virtuel devienne réellement opérationnel. Puisse la présidence française y contribuer en réorientant la construction de l'Europe.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Juppé.

(M. Raymond Forni remplace M. Yves Cochet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. Alain Juppé.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de l'Europe est, à certains égards, paradoxale. D'un côté, l'Union européenne accomplit une révolution sans précédent, en menant à bien, malgré quelques turbulences dont on a parlé et dont je reparlerai, la création de sa monnaie unique. Dans le même temps, l'impression se répand que la construction européenne est en panne.

C'est dans ce contexte que la France va assumer la responsabilité de la présidence. Sa tâche ne sera pas facile. Je forme le voeu qu'elle puisse parler, à cette occasion, d'une seule voix, et que la nation se rassemble autour de ses dirigeants pour les aider à réussir cette présidence. C'est en tout cas dans cet esprit que je m'exprime au nom du groupe du Rassemblement pour la République.

Si l'Europe donne l'impression d'être en panne, c'est, dit-on souvent, parce qu'elle n'est pas suffisamment proche des préoccupations de nos concitoyens. Nous partageons cette opinion et nous attendons de la présidence française qu'elle prenne les bonnes initiatives pour réduire


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la distance qui s'est creusée entre les institutions européennes et les Français. Encore ne faut-il pas se tromper de diagnostic.

Dans son discours de Chambéry, jeudi dernier, le Président de la République a bien défini l'enjeu : « L'Europe a une vocation propre qui n'est pas celle des Etats. Elle ne se substitue pas à eux et encore moins aux collectivités publiques les plus proches de nos concitoyens... Ne demandons surtout pas à l'Union de remédier à son éloignement en agissant à notre place. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Je ne vous surprendrai pas en affirmant que les gaullistes, et d'autres, adhèrent pleinement à cette conception de l'Europe. Quelle est donc la bonne manière de faire pour que l'Europe devienne « l'Europe de tous » et comble le déficit démocratique qu'on lui reproche si souvent ? Il faut, selon nous, que l'Union utilise pleinement sa capacité d'influence, je dirai même sa puissance, sur la scène internationale pour essayer de répondre aux inquiétudes et aux aspirations des hommes et des femmes qui la constituent, ou, pour reprendre encore une formule du Président dans son discours déjà cité, qu'elle ait mission

« d'humaniser la mondialisation ».

Le programme de travail qu'elle doit s'assigner pour atteindre cet objectif est tout à fait concret. Je ne citerai que quelques têtes de chapitre : poursuivre la construction de l'Europe sociale au service de tous les Européens et l'adoption d'un agenda social va dans ce sens ; assurer concrètement la protection de nos concitoyens contre les risques de notre temps, par exemple la pollution des mers ; plus largement, être à la pointe du combat pour las auvegarde de l'environnement, y compris dans les grandes négociations internationales - vous en avez cité quelques unes, monsieur le Premier ministre ; définir une politique commune d'immigration et d'asile qui permette de lutter efficacement contre l'immigration clandestine et d'organiser les inévitables mouvements de population auxquels nous serons confrontés. J'ajoute d'ailleurs, dans le même esprit, que l'Union européenne ne pourra pas faire longtemps l'économie d'une réflexion sur la manière de conjurer le suicide démographique qui la menace (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe démocratie libérale et Indépendants) passer aussi à la vitesse supérieure dans le combat contre les trafics de drogue, la criminalité internationale et le blanchiment de l'argent sale, en approfondissant la coopération policière et judiciaire ; convaincre les Européens que l'Union est décidée à « faire prévaloir les impératifs vitaux de sécurité sanitaire sur la libre circulation des marchandises » et, dans ce but, créer « une autorité européenne indépendante de sécurité des aliments ». Un exemple encore, et en un quart d'heure on comprendra que je ne sois pas exhaustif, qui touche à la culture et à l'éducation : il importe que l'Europe agisse pour garantir l'égalité d'accès au savoir et aux technologies nouvelles qui le véhiculent, je pense bien sûr à l'Internet ; tout comme elle doit, dans les négociations internationales et dans ses politiques internes, s'engager à fond dans la promotion de la diversité culturelle et linguistique sans laquelle l'identité et la liberté individuelle sont des mots creux.

Tous ces combats pour « humaniser la mondialisation », l'Union européenne peut les mener plus efficacement que chacun de nos Etats laissé à ses seules forces. Et c'est ainsi qu'elle peut le mieux se rapprocher de ses citoyens : elle leur apparaîtra comme le meilleur artisan des nouvelles régulations qui garantiront leur sécurité, non dans le repliement sur soi ou le refus d'une globalisation en marche depuis la nuit des temps, mais dans l'ouverture au monde et à ses promesses.

M. Hervé de Charette.

Très bien.

M. Alain Juppé.

Si l'Union européenne paraît en panne, c'est aussi parce qu'elle manque d'une vision claire de son propre futur. Périodiquement, les « pères fondateurs » et leurs continuateurs ont fixé à la construction européenne un horizon, parfois lointain, mais toujours assez précis. Ce fut le marché unique, puis la monnaie unique. Et maintenant ? Il me semble qu'un nouveau consensus pourrait se dessiner peu à peu, au moins parmi ceux qui croient que l'union fait la force. Ce que nous attendons de l'Europe désormais, c'est qu'elle devienne politique, c'est-à-dire qu'elle s'affirme comme un acteur à part entière de la vie internationale et, j'ose le mot, comme une puissance mondiale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Comment, en effet, imaginer un monde multipolaire où les puissances s'équilibrent pour garantir à leurs citoyens tout à la fois la paix et la diversité, si l'Union européenne n'a pas toute sa place autour de la table ? L'Europe politique, qu'est-ce, me dira-t-on ? C'est une politique étrangère commune, c'est une sécurité extérieure commune, c'est un projet économique et social commun.

Dans tous ces domaines, la présidence française doit proposer à nos partenaires de franchir des étapes nouvelles.

Je pense notamment à la sécurité extérieure qu'il faut faire avancer en préparant le passage aux structures définitives de l'Europe de la défense et en accélérant la coordination de nos politiques d'armement. En maintenant aussi - je le note au passage et vous n'y verrez pas de polémique - un effort national suffisant sans lequel nous serions disqualifiés par nous adresser à nos partenaires.

M. Hervé de Charette.

En effet !

M. Alain Juppé.

Quant au projet économique et social, nous en serions des promoteurs plus crédibles, comme on l'a vu récemment à Lisbonne, si nos propres choix pouvaient être montrés en exemple.

Mais j'en reviens à l'Europe politique. C'est aussi une organisation. Une organisation capable de mettre en oeuvre efficacement notre projet commun. Or l'organisation actuelle est de moins en moins efficace. Les relations entre le Parlement européen et la Commission dérivent de manière inquiétante.

Quant au Conseil des ministres, nous le savons tous, nous qui l'avons pratiqué, c'est « l'organe malade » de l'Union.

Je reviendrai d'un mot, à ce propos, sur la question de l'euro. Il ne faut certes pas dramatiser ses fluctuations actuelles. Comment d'ailleurs ne pas s'amuser parfois d'entendre dénoncer à grands cris la faiblesse présente de la monnaie unique par ceux-là mêmes qui ont combattu sa création au motif que l'euro serait trop « fort » et que sa parité trop élevée, conjuguée avec des politiques budgétaires très rigoureuses, condamnerait ipso facto les économies européennes à la récession. La prévision n'est pas encore une science exacte, pas plus en économie qu'en météorologie !

M. Charles Ehrmann.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

Ni en politique, exemple : la dissolution !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

M. Alain Juppé.

Il n'en reste pas moins qu'au-delà des facteurs économiques, conjoncturels ou structurels qui peuvent expliquer la faiblesse actuelle de notre monnaie, que le président Giscard d'Estaing a très bien analysés, faiblesse dont les effets ne sont pas tous négatifs, loin de là - on a parlé du risque d'inflation mais il y a aussi l'emploi -, on s'accorde généralement à reconnaître que l'absence d'un projet politique clair, soutenu par une volonté politique forte, est un handicap pour l'euro. Et nous voici confronté à un nouveau défi : il ne suffit pas de créer une monnaie unique pour susciter spontanément l'émergence d'un gouvernement économique et d'un c entre de pouvoir politique. Il faut peut-être, au contraire, un pouvoir politique pour accompagner l'affirmation d'une monnaie unique digne de ses ambitions mondiales.

La question de l'Europe politique prend d'autant plus d'acuité que l'élargissement de l'Union est en marche et qu'il est tout à la fois de notre devoir et de notre intérêt, nous l'avons dit depuis longtemps, de le mener à bien. Il faut cependant en mesurer toutes les conséquences ; l'une des plus immédiates et des plus graves est le risque de paralysie institutionnelle qui menace déjà, à quinze, la mécanique bruxelloise et qui ne peut manquer de s'accentuer à vingt ou trente.

Le traité d'Amsterdam, qui a doté l'Union de nouveaux outils, par exemple pour faire naître une politique étrangère et de sécurité commune, n'a pas abouti, on le sait, aux réformes institutionnelles nécessaires. Nous souhaitons que la présidence française voie la conclusion de la conférence intergouvernementale en cours, et une conclusion qui ne soit pas a minima : la Commission doit rester un organe collégial efficace, ce qui suppose que le nombre de ses membres soit limité ; la repondération des voix au sein du Conseil doit permettre une meilleure prise en compte des équilibres démographiques et politiques de l'Union ; l'extension du champ d'application de la majorité qualifiée, à condition, bien sûr, qu'on le fasse avec précaution et discernements, est souhaitable si l'on veut éviter les blocages et les veto systématiques, et cela va souvent dans l'intérêt même de la France ; enfin, la procédure de coopération renforcée instituée à Amsterdam doit être facilitée. Ces quatre modifications constituent, à nos yeux, le minimum vital de l'adaptation institutionnelle de l'Union aux futurs élargissements.

Cela suffira-t-il ? En fait, le risque de dilution de la constitution européenne n'est pas seulement mécanique, ou institutionnel. Il est fondamentalement politique et tourne autour d'une question simple : les Etats-membres de l'Union ont-ils une vision claire de ce qu'ils veulent faire ensemble ? Et sont-ils décidés à s'en donner les moyens ? Le processus d'élargissement conduit ainsi, inéluctablement, à une forme de refondation de l'Union qui, peutêtre, au-delà du prochain Conseil européen, devrait être notre nouvel horizon.

En quoi pourrait consister cet acte de refondation ? J'avancerai ici deux ou trois idées qui, je le précise, me sont personnelles (Sourires).

D'abord, une charte constitutive qui énonce non seulement les droits des Européens, comme on en parle beaucoup en ce moment, mais peut-être aussi leurs devoirs, et surtout les valeurs qu'ils ont en commun. Il s'agirait, en substance, de répondre à deux questions de fond : qu'est-ce que c'est que l'Europe, et, par voie de conséquence, un Etat membre de l'Union européenne ? S'il est vrai qu'il n'existe pas de définition géographique de l'Europe, ne faut-il pas lui donner des frontières politiques et éthiques ? Qu'est-ce que c'est qu'un Européen ? La construction progressive, au cours de la première décennie du

XXIe , je le dis au risque de choquer, d'une citoyenneté européenne ne peut-elle pas devenir un nouveau rêve européen ? Vient ensuite, la grande interrogation institutionnelle et politique : « Qui fait quoi, dans l'Union ? » Il s'agit ici de fixer les compétences respectives de l'Union et celles des Etats membres, ce qu'aucun traité européen - je parle sous votre contrôle, messieurs les ministres - n'a jamais fait clairement : compétences de droit commun pour les

Etats, compétences exclusives d'attribution pour l'Union, compétences partagées entre l'Union et les Etats. Je sais que l'exercice est très difficile, certains s'y sont essayés. Il y faudra sans doute le travail long et minutieux d'une nouvelle conférence intergouvernementale. Mais si nous ne le tentons pas, à quoi sert de continuer à parler de subsidiarité, si l'on ne se donne pas les moyens de la définir et de la contrôler ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Enfin, une articulation nouvelle, à la fois plus simple et plus efficace, entre les institutions de l'Union qui détiennent le pouvoir de faire des lois, la puissance exécutrice et celle de juger. Nous avons mis en place, aux origines des communautés européennes, un système très spécifique, qui a eu ses mérites. Ne faut-il pas aujourd'hui le rapprocher de modèles plus éprouvés ? Dans ce cadre, l'implication des parlements nationaux dans le contrôle démocratique de l'Union devra être à coup sûr accrue, comme devra être conforté le rôle du Conseil européen et stabilisée sa présidence. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Lellouche.

Absolument.

M. Alain Juppé.

De telles propositions sont-elles de nature à susciter l'adhésion de nos partenaires ? Il est certain que la France ne peut agir seule en la matière. Elle doit rassembler à ses côtés les Etats, grands ou petits, qui ont toujours été les moteurs de la construction européenne. Le couple franco-allemand, dans cette perspective, garde à l'évidence sa vocation historique d'entraînement.

Et puis, chacun devra bien, un jour ou l'autre, prendre ses responsabilités. Le moment ne viendra-t-il pas invévitablement où une crise refondatrice présentera moins de risques qu'une lente dilution de nos ambitions originelles ? C'est aux peuples, en tout cas, qu'il reviendra de choisir en pleine conscience.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Alain Juppé.

La vraie solidarité renforcée ne pourra pas être indéfiniment à géométrie variable. Entre les Etats qui sont décidés à aller plus loin ensemble, elle doit être le socle constitutif de l'Europe politique du

XXIe siècle.

On m'objectera que ce débat n'est pas celui du prochain semestre mais peut-être celui des années qui suivront. Les grands Européens, dont nous commémorons aujourd'hui le cinquantième anniversaire de la déclaration de l'un des premiers d'entre eux, nous ont appris que parfois, demain s'invente aujourd'hui. Il est peut-être temps.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Fuchs.

(Brouhaha.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Personne ne vous oblige à quitter l'hémicycle, mes chers collègues !

M. Gérard Fuchs.

J'oserai dire qu'ils ont tort !

Mme Nicole Bricq.

Ils sont mal élevés !

M. le président.

Mes chers collègues, vous êtes les bienvenus pour écouter notre collègue Gérard Fuchs !

M. Charles Ehrmann.

Il était absent tout à l'heure !

M. le président.

Monsieur le doyen ! Vous avez la parole, monsieur Fuchs.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, pour les socialistes, l'Europe est d'abord un projet politique, un regroupement d'Etats qui doit pouvoir peser sur des marchés que les techniques modernes ont rendus mondiaux, des marchés organisés pour la recherche du seul profit et qu'il nous faut orienter pour la satisfaction des besoins des hommes.

L'Union européenne a pour raison d'être de faire à plusieurs ce que, face à la mondialisation actuelle, la France et ses voisins n'ont plus la capacité de faire seuls.

L'Union européenne n'a donc de sens que si, dotée d'un grand marché intérieur et d'une monnaie unique, elle met ces instruments économiques au service de finalités sociales, au service de la création des conditions matérielles qui permettront de garantir au mieux l'épanouissement de tous et de chacun.

Europe projet politique ? Europe simple zone de libreéchange ? Depuis quarante ans, la Communauté européenne puis l'Union européenne hésitent entre ces deux c hemins. Deux événements extérieurs nous mettent aujourd'hui au pied du mur : nous ne pouvons plus ne pas choisir ! Le premier événement est le renforcement de la pression de la mondialisation financière. La libre circulation des capitaux engendre une pression à la baisse de la fiscalité les concernant. Les inégalités entre revenus du travaile t revenus du capital s'accroissent. Les marges de manoeuvre des Etats nationaux décroissent à l'inverse.

Leurs recettes fiscales sont menacées, mettant à terme en péril leur capacité à fournir à leurs citoyens les services publics fondamentaux nécessaires à une meilleure égalité des chances. Il ne suffit plus de changer de gouvernement pour changer de politique : la conviction des socialistes est qu'il faut aussi élargir au niveau européen la dimension encore aujourd'hui nationale de l'action.

Le deuxième événement, après l'effondrement du système soviétique, est la perspective pressante d'un élargissement à l'Est de l'Union européenne, qui fera passer celle-ci de quinze à bientôt peut-être vingt-sept membres.

Cet élargissement est inscrit dans la géographie, l'histoire, la culture. Les socialistes y sont favorables. Budapest, Prague, Varsovie sont européennes au même titre que Madrid, Paris ou Rome.

Mais l'Union européenne peut-elle rester la même à q uinze et à vingt-sept membres ? N'en déplaise à

M. Madelin, l'élargissement n'est pas une fin en soi.

Comment préserver les acquis de l'Union européenne, comment renforcer sa capacité d'action sans une remise en cause significative de ses mécanismes et de ses institutions actuelles ? La conviction des socialistes est qu'une réforme institutionnelle doit précéder l'élargissement.

Je pourrais poursuivre mon intervention en présentant la liste exhaustive de tout ce que l'Union européenne doit faire, en mieux ou en plus, dans les années qui viennent et que la présidence française doit impulser : il s'agit - le Premier ministre l'a dit - de favoriser davantage la croissance et l'emploi, d'accorder au social une plus grande priorité, de durcir les règles de sécurité maritime afin d'éviter de nouveaux Erika, d'accélérer la constitution d'une politique commune de défense afin d'éviter de nouvelles Bosnie ou de nouveaux Kosovo. Je m'arrête car, plutôt que de présenter cette liste, je préfère insister sur les deux conditions à réunir pour que ces objectifs aient quelque chance d'être atteints : la constitution d'une Union europénne plus efficace et la constitution d'une Union européenne plus démocratique.

Première condition : une Union européenne plus efficace. Encore une fois, si la raison d'être de l'Union est de faire à plusieurs ce qu'aucun de nos pays isolément ne peut plus faire seul, il n'y a pas de sens à transférer une décision de Paris à Bruxelles si, au niveau de l'Union, il n'existe pas une capacité de décision suffisante. Sinon, paralysie pour paralysie, autant rester entre nous. Mais alors, il convient d'être lucide et clair : il faut une capacité de décision satisfaisante, une égale procédure de décision à la majorité. Je n'insisterai jamais assez sur ce point.

J e donnerai un exemple et un contre-exemple.

L'exemple est, dans le domaine social, le projet de directive visant à créer des comités d'entreprise européens dans les entreprises transnationales. Un premier projet a été bloqué pendant dix ans par la règle de l'unanimité - la directive Vreling. Mais, le traité de Maastricht, accompagné de son protocole social à onze, autorisant la Communauté à légiférer sur le sujet à la majorité qualifiée , en dix-huit mois de temps, une nouvelle directive est adoptée et, aujourd'hui, les comités d'entreprise européens se multiplient pour les firmes de plus de mille salariés, accroissant d'autant les droits des salariés concernés.

Le contre-exemple est, dans le domaine fiscal, un projet de directive visant à instaurer, en parallèle à la libre circulation des capitaux en 1990, une taxation minimale des revenus de l'épargne. Lui aussi a été bloqué pendant dix ans par la règle de l'unanimité. Présenté sous une nouvelle mouture il y a deux ans, le projet n'a toujours pas abouti, laissant l'Union européenne désarmée face aux paradis fiscaux et au blanchiment de l'argent sale ! Qu'il me soit permis, enfin, une illustration personnelle que j'aime utiliser dans les réunions publiques, mais que je ne trouve pas indigne de cet hémicycle : essayez, entre quinze amis, de décider à l'unanimité du film que vous irez voir à vingt heures ! Mon pronostic est que vous raterez non seulement cette séance, mais aussi celle de vingt-deux heures ! (Sourires.)

Il convient aujourd'hui d'affiner l'analyse et de la resituer dans l'actualité. Il existe deux façons d'obtenir la majorité. A quinze, c'est l'idéal. A moins, avec ceux qui acceptent, ce sont les fameuses coopérations renforcées.

Encore faut-il, là encore, chers collègues, y parvenir ! Le traité d'Amsterdam suppose, pour cela, un accord du Conseil européen et, donc, l'unanimité. Autant dire que c'est un objectif impossible à atteindre, car l'expérience européenne passée a trop souvent montré que les pays qui ne veulent pas avancer plus vite n'ont pas toujours envie non plus que les autres avancent sans eux.

De ces premiers constats ressortent de premiers enjeux pour la présidence française en matière institutionnelle. Il y a les fameux laissés-pour-compte d'Amsterdam. Là, le mandat est clair : premièrement, avoir la Commission la plus restreinte possible ou, en tout cas, la plus hiérarchisée possible afin qu'elle reste un exécutif capable, deuxièmement, trouver une forme de « repondération » au Conseil qui évite un poids dominant des petits pays.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

A la différence d'autres, je continue à considérer que cela peut passer par un système de double majorité, une majorité d'Etats représentant une majorité de la population, ce qui ne signifie pas forcément 50 %, le mot de majorité qualifiée pouvant être conservé. J'ai toujours défendu que ce dernier système était simple, lisible par les opinions publiques et surtout n'avait pas à être renégocié à chaque élargissement. Mais la repondération en elle-même est plus importante que sa technique.

Troisième objectif du mandat : faire, comme vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre, du vote à la majorité la règle et du vote à l'unanimité l'exception.

Cependant, sur ce dernier point, les considérations que j'ai introduites précédemment conduisent le groupe socialiste à souhaiter un dépassement des seuls laissés-pourcompte d'Amsterdam et à demander à la présidence qui, je crois, est en train de prendre ce chemin- que ces objectifs incluent également un accès simplifié aux coopérations renforcées, pour être clair, qu'il y ait un allègement des règles actuelles de leur utilisation et, pour être encore plus clair, que cette possibilité ne puisse pas être bloquée par ceux qui ne veulent pas s'y associer.

Ce dernier point me paraît essentiel pour un élargissement réussi, qui n'altère pas mais au contraire renforce le caractère politique de la future Union à vingt ou à vingtsept.

La question de la décision à la majorité peut paraître abstraite et éloignée des préoccupations des Français qui attendent surtout de l'Union européenne des garanties d'amélioration de leur vie quotidienne. Mais, encore une fois - et je l'ai illustré par des exemples précis - c'est une question centrale. L'évaluation des résultats de la conférence intergouvernementale à laquelle le Gouvernement et nous-mêmes dans cette assemblée devront procéder le moment venu, dépendra, je crois, largement de ceux obtenus en cette matière.

Cela peut nous conduire, selon moi, à trois scénarios.

Un scénario rose tout d'abord. N'y voyez pas une allusion politique. La coopération entre le Président de la République et le Gouvernement devra être entière pendant notre présidence de l'Union afin que soit défendue au mieux la conception française de l'Europe. Mais, dans ce scénario, les acquis de la CIG sont suffisants en matière de décision à la majorité, y compris dans le domaine fiscal et un nouveau traité européen peut heureusement être signé à Nice sous notre présidence.

On peut imaginer un deuxième scénario plus difficile mais encore jouable où il n'y a pas assez de vote à la majorité à quinze mais où le déblocage de l'accès aux coopérations renforcées permet à ceux qui le souhaitent d'aller plus vite et plus loin. A nouveau, Nice peut permettre de conclure.

On peut concevoir, enfin, un scénario de paralysie que je ne souhaite pas, bien sûr, mais que je ne peux exclure - dont je dirai seulement aujourd'hui qu'il ouvrirait nécessairement une période de réévaluation globale où les candidats potentiels à une refondation de l'Europe autour d'un noyau dur politique devrait se compter.

La seconde condition à la réalisation des objectifs que doit s'efforcer d'atteindre l'Union est d'avoir une Union plus démocratique. Il n'est malheureusement pas possible aujourd'hui d'aborder ce sujet sans parler, pour commencer, de la composition de l'actuel gouvernement autrichien. Nous avons reçu tout à l'heure la visite du président du parti social démocrate. Il n'a pu rester pour écouter notre débat mais il est venu discuter avec nous de ces problèmes.

Je voudrais les aborder à travers quatre affirmations.

P remière affirmation : la présence de ministres d'extrême-droite dans le gouvernement autrichien n'est pas seulement, contrairement à ce qui a été dit sur certains bancs à ma droite, un problème de politique intérieure de ce pays. Nous sommes quinze membres non seulement d'une communauté économique mais également d'une communauté de destin et de valeurs aspirant - c'est en tout cas la position de mon groupe - à fonder une véritable union politique. Il n'est pas imaginable que nos ministres s'asseyent sans réagir à côté de ministres du FDP. C'est le premier message que je souhaite faire passer aujourd'hui.

Deuxième affirmation, il n'y a pas non plus de banalisation progressive possible de la présence de ces ministres.

L'histoire de notre continent nous a appris que tolérer l'ascension de mouvements racistes et xénophobes conduisait nécessairement au drame. J'en veux pour preuve la Seconde Guerre mondiale et, plus récemment, le conflit yougoslave. Nous disons : « Non ! - Les partis d'extrême droite ne sont pas et ne seront jamais des partis comme les autres ! » Troisième affirmation : pour que les deux messages précédents parviennent bien au peuple autrichien, nous devons rester en liaison la plus étroite possible avec les forces démocratiques, qui sont encore heureusement largement majoritaires dans ce pays, chacun de nous devant, selon son appartenance politique, nouer des contacts avec ses plus proches amis. Si certaines mesures prises aujourd'hui se révèlent contreproductives, nous ne devons pas hésiter à les réévaluer. Qu'on ne compte pas sur nous pour autant pour changer notre position sur le fond.

Dernière affirmation, enfin : c'est aux quatorze autres pays de l'Union de définir ensemble, dans l'unité, l'attitude et les mesures à adopter pour que les Autrichiens mesurent bien non seulement que c'est un gouvernement et non un peuple qui est visé, mais aussi que la nature même de l'Union européenne interdit à celle-ci d'accepter un tel gouvernement tel quel. Faut-il ajouter que ce message a, bien sûr, vocation à s'adresser également à tous les candidats à l'élargissement de l'Union.

Ce propos m'oblige à aborder plus brièvement que je n e l'envisageais la démocratisation indispensable de l'Union. Mais le point est également crucial. Si se poursuit trop longtemps la situation actuelle, où les citoyens européens ont, non sans quelque raison, le sentiment de ne pouvoir peser directement, par leur vote, sur les orientations politiques de l'Union, c'est l'existence même de celle-ci qui peut un jour être remise en cause.

Quelles sont les solutions ? Des mécanismes de décision plus transparents ? A coup sûr ! Un mode d'élection du Parlement européen plus satisfaisant, surtout en France ? Certainement ! Je souhaite aussi mentionner, pour conclure, la vieille idée de Jacques Delors qui me p araît d'autant plus mériter à nouveau examen et réflexion qu'elle suppose une modification des pratiques et non celle des traités. Il s'agit de l'hypothèse selon laquelle les listes homologues de candidats au Parlement européen se définiraient non seulement par des programmes mais également par un candidat commun au niveau européen à la future présidence de la Commission.

Une majorité électorale entraînerait alors le choix par le Conseil européen d'un homme ou d'une femme qui proposerait aux gouvernements de l'Union le programme sur lequel il aurait été élu et que, à l'élection suivante, les citoyens pourraient approuver ou rejeter. Nul doute, en tout cas, que le taux de participation dépasserait alors largement 50 %.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'Union européenne se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins : elle peut être une union politique, mettant l'économie au service des hommes, ou une simple zone de libreéchange. Lourde se trouve être, à quelques semaines du 1er juillet, la responsabilité de la présidence française.

Mais je voudrais détendre l'atmosphère : cette présidence ne sera pas la dernière ! Elle sera suivie d'autres négociations et d'autres traités.

Monsieur le Premier ministre, au nom du groupe socialiste, je souhaite vous dire que nous vous faisons confiance et que nous comptons sur vous pour - avec d'autres, nous le savons - contribuer à rendre possible pour l'Europe ce qui nous apparaît aujourd'hui nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

Monsieur le président, monsieur le premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la présidence « tournante », comme l'on dit, est brève, trop brève. C'est pourquoi il convient d'aller à l'essentiel et de ne pas s'attarder aux débats sans fin, tel celui entre la supranationalité et la souveraineté, qui ne sont que l'alibi de l'inaction. Il ne faut pas, vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre, brûler les étapes, ne pas créer l'illusion.

Quelles priorités, quelles ambitions pour la présidence française ? Quel peut être l'apport, la marque de la France, après le Portugal et avant la Suède, du 1er juillet au 31 décembre 2000 ? Je souhaite exprimer quelles sont, selon nous, ces priorités et évoquer plus précisément la question majeure de l'élargissement, la charte des droits fondamentaux et la politique extérieure.

Je souligne l'engagement ferme de la commission des affaires étrangères en faveur de la réforme des institutions européennes, préalable incontournable à tout nouvel élargissement de l'Union, comme l'a souligné tout à l'heure le président Giscard d'Estaing.

La France devra mener à leur conclusion les travaux de la conférence intergouvernementale. Elle devra présenter la charte européenne des droits fondamentaux ; faire progresser les négociations sur l'élargissement ; donner suite aux orientations du conseil de Lisbonne en matière sociale, obtenir des résultats concrets quant à l'espace judiciaire européen ; développer, dans les directions prises à Cologne et à Helsinki, notre politique commune de sécurité et de défense, notre politique extérieure.

Réunifier l'Europe est un devoir historique, mais le chemin est semé d'embûches. Ne vivons pas sur le mythe d'un élargissement unifiant. Il existe déjà trop peu d'intérêt pour la dimension politique de la construction européenne chez certains des nouveaux Etats membres. On trouve a fortiori ce manque d'intérêt parmi ceux qui frappent à la porte.

La diversité, l'hétérogénéité des sociétés europé ennes au centre et à l'est de notre continent sont un véritable défi pour le modèle social européen qui nous tient à coeur.

Ayons donc une approche géopolitique de la question de l'élargissement. La mondialisation appelle un effort de régulation. Une grande Europe à vingt-sept ou plus peut en être le laboratoire. Mais le risque de dilution est grand. C'est pourquoi il me paraît utile d'être attentif à la proposition d'« avant-garde » européenne formulée par Jacques Delors, mais il convient d'abord de donner tout son sens et son efficacité au dispositif de coopération renforcée.

Ayant l'honneur de représenter notre assemblée à la Convention chargée de rédiger la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, je souhaite appeler un instant votre attention sur cette autre ambition de la présidence française : inclure dans le droit européen la dimension éthique de l'Union, renforcer les citoyennetés nationale et européenne, favoriser une plus grande lisibilité, une plus grande visibilité de l'Union vis-à-vis de ses citoyens, contribuer à la définition plus précise du modèle social européen, bref, produire une valeur ajoutée p ar rapport aux instruments juridiques existant en matière de droits de l'homme. Tels me semblent être les objectifs de ce travail de refondation.

Ce texte aura le mérite de mettre en exergue des valeurs et des prinicipes démocratiques communs, ce que l'on ne peut considérer comme superflu, ni aujourd'hui voyez ce qui se passe en Autriche et ce qui se profile peut-être, hélas !, en Italie - ni dans la perspective de l'élargissement. Je me permets d'insister sur la priorité donnée au contenu de cette charte de qualité par rapport à la décision d'intégration ou non dans le Traité et de la valeur contraignante ou non de ce texte, décisions qui seront prises par le Conseil européen.

La présidence française a aussi pour tâche de représenter l'Union sur la scène internationale, et d'apporter sa contribution au règlement des situations conflictuelles.

L'Union devra être particulièrement présente au P roche-Orient. La présidence française débutera au moment du retrait de l'armée israélienne du Sud-Liban, et elle assistera à la proclamation probable d'un Etat palestinien. Le délai imposé par les accords d'Oslo pour l'achèvement des négociations israélo-palestiniennes a été prorogé jusqu'à septembre à la demande de M. Barak.

L'Union doit faire pression sur les parties en présence pour que ce délai soit respecté : toute prolongation nous éloigne de la solution, en renforçant les obstacles au lieu de les aplanir. M. Qurie, président du conseil palestinien, en visite en France la semaine dernière, a appelé l'Union européenne, et la France en particulier dans son rôle de présidente de l'Union, à être présente pour faire aboutir le processus sans autre report.

Dans un contexte où la pression américaine va se relâcher du fait des élections, la présidence française devrait permettre à l'Union de saisir les opportunités de sortir de sa fonction de contributeur net au service du développement de la région, pour jouer un rôle plus actif.

La politique extérieure et de sécurité commune - la PESC - n'a pas, jusqu'à présent, pris son envol, les Quinze se contentant, sur différents problèmes, d'adopter des positions communes finalement peu marquantes.

L'on note cependant un développement réel et très positif de la consultation systématique des partenaires européens.

On regrette évidemment que le consensus ne soit pas plus fréquent sur des prises de position un peu plus dynamiques.

La présidence française pourrait être l'occasion de promouvoir la fonction du Haut représentant pour la PESC.

Il serait très souhaitable de lui permettre de formuler ses propositions, d'introduire les délibérations du Conseil européen et de contribuer à la représentation extérieure de l'Union. Une réflexion devrait également s'ouvrir sur le contrôle démocratique de la PESC, en ce qui concerne tant la place des parlements nationaux que celle du Parle-


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ment européen. Une implication des parlements existait grâce à l'Assemblés de l'Union européenne occidentale, mais rien n'a encore été imaginé pour l'avenir.

Je voudrais, enfin, rappeler que le rejet par les pays en développement de la mondialisation telle qu'elle a eu lieu jusqu'à présent, l'irruption dans les négociations multilatérales des ONG et de la société civile, qui manifestent leur inquiétude quant à l'échec de la régulation internationale et des politiques de développement, appellent l'Union européenne à modifier ses approches : elle doit soutenir mieux encore les préoccupations des pays du Sud, proposer les conditions de la refonte de l'OMC vers un rôle plus régulateur, agir pour une prise en compte des problèmes sociaux par le FMI et la Banque mondiale.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères.

Mes chers collègues, pour répondre à ces défis, il nous faut collectivement une vision, une détermination sans faille, une volonté politique à toute épreuve et, à coup sûr - je le ressens comme tel - une relance de la relation, du couple, du dynamisme francoallemand. Il est fondamental que soit ressoudée mais aussi transcendée cette relation souvent exemplaire dans le passé, indispensable dans la période qui est devant nous.

La relation franco-allemande doit se transformer en laboratoire d'imagination, de création, d'anticipation, d'expérimentation, de solution.

Il revient aux Français et aux Allemands d'inventer ensemble les réponses - qui ne peuvent être étroitement nationales - à apporter aux grands défis de la globalisation et de la construction européenne.

Tirons avantage de nos différences et de nos atouts respectifs. Unissons nos forces. Rassemblons-nous autour de projets fédérateurs.

Les propositions que nous ferons ensemble pourraient constituer le fondement de cette « avant-garde » qui fera grandir le projet européen, et à laquelle pourront se joindre tous les pays qui le souhaiteront.

Le couple franco-allemand doit être le médiateur naturel vers l'Europe orientale, ainsi que vers l'Europe orientale, ainsi que vers les pays de la Méditerranée.

« Etrange, cruelle, belle et forte aventure que celle de ces peuples frères auxquels il aura fallu plus d'un millénaire pour se reconnaître tels qu'ils sont, pour s'admettre, pour s'unir, pour chercher l'un chez l'autre les leçons de la science, de la philosophie, de la politique, pour revenir ensemble à leur propre source. » Cette phrase forte, Fran-

çois Mitterrand la prononçait à Berlin le 8 mai 1995.

Cinq ans plus tard, monsieur le Premier ministre, vous êtes en mesure, j'en suis convaincu, avec le chancelier Gerhard Schrder, de faire en sorte que la prédestination de l'Allemagne et de la France, en raison de leur histoire et de leur géographie, les désigne pour donner le nouveau et puissant signal de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne.

En tant que président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, je voudrais tout d'abord, monsieur le Premier ministre, vous remercier d'avoir accepté notre proposition d'organiser un débat devant cette assemblée sur les priorités de la présidence française de l'Union et d'avoir choisi la date symbolique du 9 mai pour le tenir.

Nous avons, mes collègues et moi-même, au sein de la délégation, préparé cette échéance et formulé des prop ositions sur les principaux sujets en discussion, non pas pour nous substituer à l'exécutif qui va dans quelques semaines présider tant le Conseil européen que le conseil des ministres de l'Union, mais pour poser des questions, suggérer des réponses, essayer de dégager un consensus à partir de notre responsabilité de parlementaires.

C'est la France tout entière qui va être engagée dans quelques semaines dans ce processus, dans cette responsabilité, et je souhaite, quant à moi, que nous puissions poursuivre devant l'opinion publique ce dialogue fructueux pour sensibiliser nos concitoyens à l'importance de cette échéance. Je propose, à cette fin, que nous puissions, durant toute cette période, ouvrir plus largement, en particulier à la presse, les travaux de notre délégation, que les auditions des ministres soient publiques et qu'au cours de la présidence même soient organisés - sans doute sous une forme différente de celui d'aujourd'hui parce que, malgré la qualité des intervenants, le nombre de nos collègues est, à mon sens, trop limité - des débats qui permettent de montrer les avancées de cette présidence. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, d'avoir assisté à cette première partie de la discussion.

Déjà se présente une première difficulté : c'est notre pays, avec toute son histoire, ses particularités, son ambition, qui va assurer dans quelques semaines la présidence.

Mais précisément, assurer la présidence du Conseil - et je m'étonne qu'Alain Madelin l'ait oublié -, cela ne dure que six mois et même moins puisque nous assumerons une présidence de second semestre avec les temps de congés - ils existent partout, même en Europe.

Assurer une présidence, cela consiste également à rechercher les compromis nécessaires pour faire avancer le plus efficacement possible les sujets en discussion. Il vous faudra donc, comme vous l'avez indiqué, concilier ambition et modestie, nouveauté et continuité, souffle et recherche du consensus.

Heureusement, nous avons la chance de succéder à des présidences qui, chacune à sa façon, ont apporté une contribution utile à la construction européenne : nos amis allemands ont à leur actif l'accord très difficile sur l'Agenda 2000 à Berlin ; nos amis finlandais ont marqué par le Conseil européen de Tampere une avancée dans le domaine de l'espace judiciaire européen et par le Conseil européen d'Helsinki une nouvelle stratégie d'élargissement ; enfin, nos amis portugais ont à leur actif, même si on peut encore améliorer cette dimension, et je le souhaite, la relance de la croissance et l'emploi, point très important pour nous.

Rappelons donc, dans le débat de ce soir, cette évidence : nous construisons l'Europe à quinze. Soyons ambitieux mais pas arrogants, gardons notre cap mais sachons que pour avancer il faudra réaliser des compromis. Toute autre attitude serait démagogique et dangereuse pour la France et pour l'Union.

Les priorités que vous venez de nous présenter au nom de l'exécutif, monsieur le Premier ministre, correspondent largement aux propositions que nous avions avancées dans les rapports et les résolutions adoptées par notre délégation, souvent à une large majorité. Je n'y reviendrai donc que rapidement pour insister plus longuement sur les difficultés que nous allons rencontrer.

L'Europe est en crise. Elle touche à de nombreux aspects, peut-être trop nombreux, de la vie quotidienne de nos concitoyens. L'objectif de la génération des pères fondateurs de l'Europe a été atteint : la paix s'est établie


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depuis cinquante ans entre les pays qui composent l'Union. La construction européenne a contribué, voire façonné, la croissance de nos économies. L'euro existe.

Un type de relations sociales différent du système américain tend, malgré des difficultés, à s'instaurer. Des pays européens d'Europe centrale, qui se sont libérés de la tutelle soviétique, souhaitent rejoindre l'Union.

Notre pays, lorsqu'il présidera l'Union ne devra pas se montrer frileux sur ce sujet. Ce n'est pas sous la présidence française que nous aurons à conclure les négociations avec les pays les mieux préparés à l'adhésion, chacun le sait. Mais cela ne nous dispense pas de veiller au bon déroulement du processus engagé à Helsinki, de rappeler aux pays candidats qu'ils vont entrer dans une union économique et politique, et non pas dans une zone de libre-échange, que pour êtres utiles aux uns et aux autres - et je le souhaite - il faut que les adhésions soient préparées par des négociations sérieuses et qu'enfin, précision utile à rappeler, la participation à l'OTAN n'entraîne pas automatiquement la participation à l'Union.

Mais, sous sa présidence, tout en laissant la Commission faire son travail de négociation, la France doit se montrer politiquement déterminée, être un interlocuteur comme vous l'avez été à Budapest, monsieur le Premier ministre, très actif et très fort, pour montrer que cette volonté politique existe dans notre pays et que nous voulons que ces négociations soient sérieuses, mais qu'elles se p assent avec une force et une détermination qui répondent politiquement aux attentes des pays amis de l'Europe centrale.

Depuis Amsterdam, vous l'avez rappelé, la France a clairement indiqué que la réforme des institutions était nécessaire et qu'elle devait précéder tout élargissement.

Cette position est juste, il faut la conserver, mais en soulignant auprès des Etats membres de l'Union et des pays candidats que cette réforme institutionnelle, que nous voulons et pour laquelle nous allons faire de notre mieux, n'est pas dans notre esprit un alibi pour retarder l'élargissement.

L'Union fonctionne déjà de manière insatisfaisante à quinze. Il faut donc la réformer aujourd'hui d'autant plus que nous voulons accueillir de nouveaux pays. Les trois thèmes qui n'ont pu trouver de solution à Amsterdam - extension du champ de la majorité qualifiée, pondération des voix au sein du Conseil des ministres, nombre et répartition des commissaires - sont très difficiles à régler

S'il en avait été autrement, ils auraient déjà été rég lés depuis longtemps. Vous esquissez des propositions dans votre déclaration qui sont de nature à permettre de progresser sur ces sujets. Mais je crois qu'il faut rappeler devant la représentation nationale que la France ne pourra pas régler ces questions en suspens de manière solitaire. Elle devra rechercher des compromis, mais, comme l'a dit à juste titre Pierre Moscovici dans un discours récent, mieux vaut pas d'accord qu'un mauvais accord.

Nous devons également faire avancer l'idée des « coop érations renforcées » afin de permettre aux pays membres de l'Union d'aller plus loin dans le sens de nouvelles actions communes dès lors que l'intérêt national le permet et le justifie. Cette méthode existe déjà. Le Conseil de l'euro est une coopération renforcée à onze dans le domaine monétaire. Les accords de Schengen concernent certains pays membres de l'Union, mais pas tous, et certains autres qui ne le sont pas.

Si nous voulons faire progresser la défense européenne, il faut, bien sûr, que nous puissions avoir recours à cette méthode. La seule condition que je mettrais personnellement à son développement, c'est que tout pays de l'Union qui le souhaite puisse rejoindre ces nouvelles politiques communes sans les affaiblir, quand il se sent prêt.

M ais nous devons déjà réfléchir à l'après-Nice.

D'autres intervenants l'ont déjà fait cet après-midi. Cette conférence intergouvernementale n'est pas la dernière. De nouvelles réflexions institutionnelles seront nécessaires avec le premier élargissement. Je dis ici ma conviction : l'architecture institutionnelle de l'Union doit être repensée pour maintenir la dynamique de la construction européenne. Si c'est la Commission qui a pendant longtemps joué un rôle moteur, je crois que c'est désormais au Conseil européen et au conseil des ministres qu'il revient de modifier cette situation. Il faut franchir un pas supplémentaire dans la voie de l'intégration. C'est donc la réforme du Conseil qui doit constituer notre priorité par la suite, à la fois pour améliorer son mode de fonctionnement et pour prévoir de nouvelles formes de responsabilité.

La France doit donc faire de son mieux pour la réforme institutionnelle de ce semestre et être vigilante vis-à-vis de l'élargissement, mais elle doit surtout marquer sa présidence par une volonté clairement affirmée de consacrer les forces de l'Europe à la lutte pour la croissance et pour l'emploi. Une énergie comparable à celle qui a été déployée pendant des années pour réaliser l'euro doit l'être aujourd'hui pour faire reculer le chômage partout en Europe, et d'autant plus que la croissance réapparaît.

Qu'il s'agisse de l'agenda social, de l'harmonisation fiscale, très difficile à obtenir de nos partenaires, mais qui est un contrepoint nécessaire à la libre circulation, de la lutte contre les mouvements spéculatifs de capitaux ou contre les mécanismes de blanchiment de l'argent, du recours aux capacités d'emprunt de l'Union pour financer les grands travaux dont nos régions ont besoin, ou de la nouvelle économie de l'information, cette politique en faveur de la croissance et de l'emploi doit rester notre priorité absolue.

Cette Union européenne dont nous souhaitons le renforcement et l'approfondissement doit également engager des actions de proximité qui répondent aux préoccupations des citoyens. Nos concitoyens l'ont parfaitement compris : c'est au niveau européen que l'on peut traiter efficacement les grandes menaces, qu'elles soient écologiques, sanitaires ou criminelles.

Notre pays devra donc apporter sa contribution à la mise en place d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice dont le principe a été décidé, je l'ai dit, par le Conseil européen de Tampere. Nous avons besoin d'une loi pénale européenne pour lutter contre les infractions transfrontalières. Il faut aussi que les décisions prises en matière civile, commerciale et pénale dans un Etat membre puissent être exécutées de plein droit dans l'un quelconque des autres Etats membres : dans le cas contraire, subsisteraient des situations de vide juridique au détriment de la sécurité juridique des personnes.

Un autre domaine important sera, pendant la présidence française, la sécurité du transport maritime. Nous devrons la traiter tout de suite, parce que nos concitoyens ne comprendraient pas que l'Europe ne puisse mener, dans ce domaine, une action commune efficace. Elle en a les moyens et la possibilité. Il faut que notre présidence nous fasse aller au-delà des propositions actuelles de la Commission. De même, en matière de sécurité alimentaire, sujet sur lequel je passe rapidement puisque vous l'avez abordé tout à l'heure.


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Comme vous l'avez souligné, monsieur le Premier ministre, dans des questions qui touchent de très près la vie de nos concitoyens comme le sport, la dimension européenne ne doit pas non plus être négligée et la présidence française devra progresser - nous y contribuerons nous-mêmes par des propositions complémentaires - dans la voie de la reconnaissance de l'exception sportive : le sport doit bénéficier d'un statut particulier au regard des règles habituelles de la libre circulation.

J'en viens au dernier thème de la présidence française qui est celui de la présence de l'Union sur la scène internationale. L'Union est un ensemble sans équivalent dans le monde, qui compte 375 millions d'habitants et pèse près de 20 % du PIB mondial ; elle doit à ce titre prendre une part active au dialogue entre ensembles régionaux, que ce soit les pays en développement, ceux de la zone ACP - je veux souligner à quel point il importe que nous poursuivions et modernisions les relations nouées au sein de la convention de Lomé - ou encore pour se créer des alliés dans les relations multilatérales. Il reste quelques mois avant les prochaines conférences ministérielles de l'OMC. Nous sommes en pleine discussion sur la refonte du système monétaire international.

Il faut que nous mettions à profit cette période, en liaison avec le MERCOSUR et l'ASEM, pour faire en sorte que l'Europe, dans cet échange international, conforte sa p osition non pas contre les Etats-Unis mais pour construire un monde multipolaire.

Cela suppose que l'Europe dispose d'une capacité autonome d'intervention qui lui permettre de faire régner la paix et la stabilité dans son environnement régional. Une dynamique a été enclenchée lors du Conseil européen d'Helsinki. Et je ne doute pas que Paul Quilès, président de la commission de la défense, reviendra sur ce sujet tout à l'heure. Je vais donc passer directement à ma conclusion.

La présidence française n'aura atteint ses objectifs que si elle permet de mieux faire comprendre à nos concitoyens le sens et l'utilité profondes de la construction européenne. Il faut politiser, au sens noble du terme, les débats et l'action d'un pays tel que le nôtre au niveau européen. L'Europe est aussi le lieu de l'affirmation des droits fondamentaux des citoyens. Et le modèle social européen, cette caractéristique de la charte qui est en cours de rédaction, dont je souhaite personnellement qu'elle aboutisse à un texte, lisible et facile à faire connaître autour de nous, est un élément important du débat qui s'engage.

De même que les quatorze ont adopté rapidement une position claire et forte lors de la constitution en Autriche d'un gouvernement unissant des forces conservatrices et des forces populistes et d'extrême-droite - ce n'était pas la position de notre seul pays - il faut que nous nous référions à des valeurs communes que, j'en suis sûr, nous sommes nombreux à partager au sein de cet hémicycle si nous voulons donner un nouveau souffle à l'Europe.

L'Europe n'était pas en 1950 qu'une construction technique et strictement économique. Elle avait déjà des objectifs politiques. Cinquante ans après il faut retrouver, et je crois que la présidence française peut y contribuer, l'essentiel, c'est-à-dire redonner un souffle, repolitiser l'Europe et le débat européen.

C'est à mon sens le grand chantier qui attend la présidence française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, au cours de la prochaine présidence française de l'Union européenne, la défense figurera parmi les questions prioritaires sur lesquelles les Quinze auront à se prononcer. On peut se réjouir que, désormais, cette dimension apparaisse comme un fait acquis, alors qu'elle semblait encore, il y a moins de deux ans, relever de la virtualité, voire de l'utopie.

Le sommet de Saint-Malo a marqué un tournant décisif, ainsi que la décision allemande de participer à une défense européenne, mais il est certain que l'expérience de la guerre du Kosovo, où les Européens ont pris la mesure de leur dépendance à l'égard des Etats-Unis, a considérablement accéléré l'évolution des esprits.

Qu'il me soit permis, en tant que président de la commission de la défense, d'évoquer le rapport de notre commission intitulé l'OTAN : quel avenir ? publié en mars 1999. Nous y proposions de donner à l'Union européenne deux possibilités d'intervention militaire, dans le cas où l'OTAN n'interviendrait pas : soit l'utilisation de moyens alliés, soit la mise en oeuvre autonome de capacités propres.

Il y a un an, cette proposition avait reçu un bon accueil de principe, mais avait aussi suscité un grand scepticisme. L'idée d'une capacité d'intervention militaire autonome de l'Union européenne paraissait peu réaliste.

On lui préférait, pour des raisons d'efficacité supposée, les décisions compliquées du Conseil Atlantique de Berlin, qui, sur le papier, donnaient à l'Union européenne la possibilité de recourir aux moyens de l'OTAN par le biais de l'UEO, organisation qui n'avait malheureusement jamais été considérée par nos partenaires comme un lieu de décision et d'action.

Aujourd'hui, les données du problème sont simplifiées.

Le Conseil européen d'Helsinki a décidé, après celui de Cologne, que l'Union européenne disposerait de la capacité de conduire directement, avec des moyens autonomes, les missions dites de Petersberg, allant du maintien de la paix au rétablissement de la paix, y compris par des actes de guerre. Il en a tiré les conséquences pratiques pour la définition des moyens nécessaires et des structures de décision.

Les évolutions du paysage stratégique européen sont donc rapides, et la France aura la tâche délicate, au cours de sa présidence, d'en maintenir le rythme et, surtout, de traduire des décisions de principe en actes concrets dans des domaines par nature extrêmement sensibles, puisqu'ils touchent aux éléments fondamentaux de la souveraineté des Etats.

Il s'agira d'abord de préciser comment la force européenne annoncée à Helsinki pourra être concrètement mise en place.

Si les Etats membres parviennent, au prochain Conseil de Feira, à s'entendre sur les capacités et les forces du corps européen de quinze brigades prévu à Helsinki, il faudra encore établir comment ils contribueront à la constitution de ce corps d'armée à l'horizon 2003.

Il faudra déterminer en commun, de manière détaillée, quelles sont les lacunes à combler, par exemple en matière de commandement, de renseignement, de transport stratégique ou de frappes de précision à distance de sécurité.

Il faudra créer un processus de suivi rigoureux des décisions prises.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Il faudra aussi mettre en place, à titre définitif, les structures politico-militaires de décision de l'Union. Il sera à cet égard essentiel de donner à l'état-major européen un dimensionnement suffisant d'au moins cent officiers, ce qui représente à peine le quart de l'état-major militaire de l'OTAN, mais on écartera ainsi la tentation de sous-traiter la planification stratégique européenne aux structures intégrées de l'OTAN, dominées par les EtatsUnis.

M. Alain Barrau, président de la délégation.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Une deuxième grande question concerne justement les relations à établir avec l'OTAN.

Elle devrait être résolue dans son principe à Feira, mais il est exclu, à mon sens, que l'Union européenne établisse, au cours de la présidence française, des relations formelles, officielles et donc contraignantes avec l'OTAN, dans une période où l'Europe de la défense sera toujours en gestation.

En revanche, la politique européenne de défense, une fois parvenue à maturité, devra évidemment pouvoir être conduite « en bonne intelligence » avec l'OTAN, pour reprendre la formule consacrée de la diplomatie française.

Il n'est pas, en effet, dans notre projet de concurrencer l'OTAN, comme de hauts responsables américains feignent de le croire. Il s'agit plus exactement de répondre à des besoins de sécurité propres à l'Europe, si l'OTAN n'est pas en mesure de le faire : je pense à des situations où les Etats-Unis jugeraient que leurs intérêts ne sont pas fondamentalement mis en cause.

« Bonne intelligence » ne veut cependant pas dire subordination ou subsidiarité. Il faut que les choses soient c laires : les décisions d'interventions militaires européennes ne doivent pas être conditionnés par un refus préalable d'agir de l'OTAN.

M. Pierre Brana.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Les arrangements à mettre en place avec les pays européens membres de l'OTAN mais non membres de l'Union européenne relèvent de la même problématique. Ces pays ont droit à la consultation et à la transparence pour les questions qui touchent à leurs intérêts, mais ils ne peuvent prétendre empiéter sur l'autonomie de décision de l'Union européenne.

Même si la présidence portugaise parvient à faire adopter des déclarations de principe favorables à l'autonomie de l'Union européenne en matière de défense, il ne faut pas s'attendre pour autant à ce que les Etats-Unis abandonnent l'idée qu'ils doivent peser, dès l'origine, sur les processus de décision européens. Pour eux, en effet, c'est l'OTAN qui doit rester le principal lieu d'élaboration des politiques de sécurité en Europe.

La diplomatie américaine a renoncé aux « trois D » qui apparaissaient comme autant de refus - refus du découplage, de la discrimination, de la duplication -, mais elle revient maintenant à la charge, relayée par le secrétaire général de l'OTAN, pour formuler trois exigences désignées en anglais par les « trois I » : l'Union européenne doit améliorer « improve » les capacités européennes de défense, c'est-à-dire respecter les priorités de modernisation de l'OTAN, elle doit « inclure » dans ses décisions les Etats non membres de l'Union, au risque d'y perdre son identité, et reconnaître l'« indivisibilité » des intérêts de sécurité européens et américains, ce qui, en toute rigueur, revient à demander à l'Europe de renoncer à l'affirmation de ses intérêts lorsqu'ils se distinguent de ceux des Etats-Unis.

M. Jean Michel.

Inadmissible !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Jusqu'à présent, ces critiques américaines, qui auraient pu être source de divergences sérieuses entre Européens, n'ont pas empêché l'Europe de la défense de progresser depuis la fin de 1998, d'une manière que l'on peut qualifier de spectaculaire. Ce résultat a été obtenu grâce à une démarche essentiellement pragmatique. Une fois reconnue la nécessité d'une capacité européenne autonome de défense, les décisions concrètes qui en découlaient ont pu être prises avec le souci d'avancer aussi vite que possible, sans s'embarrasser de querelles institutionnelles ou conceptuelles.

Il en a été de même dans le domaine industriel. Les entreprises sont entrées, d'abord pour des raisons d'efficacité, dans un grand processus de regroupement, et les g ouvernements ont accepté l'effort correspondant d'harmonisation, indispensable à l'émergence des nouvelles sociétés transnationales de défense. C'est ce qui a motivé, par exemple, l'élaboration de l'accord dit de la LOI et la mise en place de l'OCCAR.

L'Europe de la défense a pu de la sorte accomplir de grands progrès en s'édifiant pour ainsi dire « par le bas », mais la démarche pragmatique qui a été choisie montre aujourd'hui ses limites. Les questions de principe qu'elle a volontairement laissées en suspens créent des équivoques, qui peuvent à présent empêcher les progrès ultérieurs. Il me semble qu'une clarification devient nécessaire dans au moins deux domaines.

D'abord, les Européens doivent désormais entreprendre de formuler en commun de manière explicite leurs intérêts propres de sécurité. Un livre blanc européen est devenu nécessaire, pour préciser la raison d'être de la politique commune de défense, ne serait-ce que pour montrer concrètement qu'elle n'est pas concurrente mais complémentaire de l'Alliance atlantique. Peut-être s'apercevra-t-on, dans le cours du processus d'élaboration de ce livre blanc européen, que les objectifs de capacités de forces d'Helsinki mériteraient d'être complétés ou adaptés. Il était sans doute indispensable d'annoncer dès le début des travaux le volume du futur corps européen d'intervention, pour marquer une volonté politique et crédibiliser un engagement, mais les efforts, en particulier budgétaires, qu'il nécessitera doivent à présent pouvoir être justifiés et étayés aux yeux des opinions par une formulation explicite des intérêts de sécurité.

En second lieu, la mise en oeuvre des décisions d'Helsinki et les engagements de forces qu'elles impliquent nécessitent une coordination étroite des programmations militaires des différents pays européens. De ce point de vue, on peut craindre que la programmation militaire française n'arrive un peu tôt. Quant à la programmation allemande, elle risque d'être tardive même si, à en croire la presse, les conclusions de la commission Weizsaecker semblent de nature à conforter les ambitions d'Helsinki.

Une fois les intérêts de sécurité communs précisés et les programmations harmonisées, la complémentarité de l'Europe de la Défense avec l'OTAN sera de fait acquise.

Au sein de l'Alliance, la cohérence et l'influence européennes s'en trouveront mécaniquement renforcées. La prédominance américaine ne sera plus sans partage. A la problématique américaine du « partage du fardeau » se substituera celle du partage des responsabilités et des décisions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 9 MAI 2000

Cette évolution a un prix, celui d'une restructuration d'ensemble des politiques de défense, d'abord, chez nos partenaires allemand, italien ou espagnol, pour ne citer que ces trois pays, mais, même en France et en GrandeBretagne, où la réforme des armées est la plus avancée, il faudra aussi persévérer dans les efforts entrepris pour dépenser mieux pour l'équipement, pour la recherche mais également pour les personnels.

Dépenser mieux ne veut pas dire nécessairement dépenser globalement plus, en France en particulier, à condition bien sûr que les budgets affichés en loi de finances initiale soient moins éloignés de leur exécution en loi de règlement, mais, pour d'autres pays, comme l'Allemagne ou l'Italie, le niveau des dépenses d'équipements pose incontestablement problème. La commission Weizsaecker devrait d'ailleurs le souligner prochainement.

Il y a eu un temps, monsieur le Premier ministre, pour une approche essentiellement pragmatique des questions de la défense européenne. Le moment paraît venu d'une formulation claire des objectifs et des intérêts de l'Union européenne en matière de défense et de sécurité. Cela nécessitera que soit engagé un débat public sur ce sujet.

J'espère que les Parlements des Etats membres sauront, dans ce domaine, assumer cette responsabilité fondamentale, puisqu'elle concerne la façon dont nous souhaitons garantir la sécurité de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique : Suite du débat sur la déclaration du Gouvernement sur les orientations de la présidence française de l'Union européenne.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT