page 03948page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 3949).

PROCÉDURE BUDGÉTAIRE (p. 3949)

M M. Michel Herbillon, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

FORCE DE RÉACTION RAPIDE DE L'ONU (p. 3950)

MM. Paul Quilès, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

OTAGES RETENUS AUX PHILIPPINES (p. 3951)

MM. Armand Jung, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

MARCHÉ DE LA POMME (p. 3951)

MM. Jean-Claude Bianco, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

MARCHÉS PUBLICS ET SOLIDARITÉ SOCIALE (p. 3952)

MM. Gérard Revol, Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.

EXCÉDENTS DE l'UNEDIC (p. 3953)

M. Pierre Goldberg, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

ACCORD RENAULT-VOLVO (p. 3953)

MM. André Gerin, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

LICENCES DE TÉLÉPHONE (p. 3954)

MM. François Fillon, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

MISE EN EXAMEN DE M. TRICHET (p. 3955)

M M. Patrick Devedjian, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

IMMIGRATION CLANDESTINE (p. 3956)

M

M. Jean-Claude Mignon, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE (p. 3957)

M. Jean-Pierre Michel, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

CONVOYEURS DE FONDS (p. 3957)

MM. Christian Martin, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Suspension et reprise de la séance (p. 3958)

PRÉSIDENCE

DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER

2. Loi d'orientation pour l'outre-mer - Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 3958).

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jérôme Lambert, rapporteur de la commission des lois.

M. Michel Tamaya, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.

M. Daniel Marsin, rapporteur pour avis de la commission de la production.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 3972)

Exception d'irrecevabilité de M. Philippe Douste-Blazy : MM. Henri Plagnol, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, E lie Hoarau, Louis Mermaz, Dominique Bussereau, Jacques Brunhes, Emile Blessig. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 3979).


page précédente page 03949page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

PROCÉDURE BUDGÉTAIRE

M. le président.

La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon.

Monsieur le président, mes chers collègues, ma question, posée au nom des trois groupes de l'opposition (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Décidément, monsieur le ministre, l'affaire de la cagnotte n'en finit pas de faire parler d'elle. Le rapport de la Cour des comptes de la semaine dernière a donné raison à l'opposition, qui, depuis des mois, répétait que le Gouvernement avait l'an dernier sciemment camouflé aux Français la situation exacte des dépenses et des recettes de l'Etat. L'exécution du budget 1999 a bel et bien été entachée d'erreurs volontaires. De tels faits, s'ils étaient commis par une entreprise, seraient lourdement sanctionnés.

M. Gilbert Gantier.

Eh oui !

M. Michel Herbillon.

La Cour des comptes a par ailleurs souligné le manque de rigueur de la gestion de 1999. Le Gouvernement a laissé filer les dépenses, non de 1 % comme il le prétendait, mais de 2,8 %. Le jugement des magistrats de la Cour des comptes est sans appel sur les risques de cette dérive des finances publiques. Manque de sincérité, manque de transparence et mauvaise gestion, telles sont les caractéristiques du budget 1999.

Le gouvernement Jospin I, monsieur le ministre, ne vous a pas épargné en vous laissant un tel héritage.

(Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Face au flou et à l'opacité qui prédominent dans les comptes publics, les Français savent désormais qu'on leur a caché la vérité et ont de bonnes raisons de douter de leur gouvernement.

Après le coup de la baisse supposée des impôts qui se transforme pour eux en des augmentations bien réelles, ces nouveaux tours de passe-passe ne renforcent pas la crédibilité de la parole publique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. André Gerin.

La question !

M. Michel Herbillon.

Dans un article publié dans Les Echos, le 7 mars dernier, soit vingt jours à peine avant votre nomination, vous aviez, vous-même, monsieur le ministre, ferment condamné le manque de sincérité des comptes publics et souhaité qu'ils soient désormais authentifiés par une institution indépendante de l'administration qui les établit.

En tant que président de l'Assemblée nationale, vous avez aussi, à maintes reprises, dénoncé l'archaïsme de la gestion budgétaire. Vous avez même présidé un groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire. J'ai ici le rapport. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Dans ce rapport, vous faites une série de propositions.

M. le président.

Monsieur Herbillon !

M. Michel Herbillon.

Je termine, monsieur le président, rassurez-vous !

M. le président.

Si vous voulez une réponse, il faudrait conclure.

M. Michel Herbillon.

Je ne doute pas, monsieur le président, que vous allez m'appliquer la même jurisprudence qu'à mon éminent collègue Valéry Giscard d'Estaing, hier après-midi. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Prétentieux !

M. le président.

Nous ne sommes pas dans le même cadre, monsieur Herbillon !

M. Michel Herbillon.

Je suis étonné, monsieur le président, que le seul fait d'évoquer la transparence des finances publiques entraîne de telles vociférations sur les bancs de mes collègues de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce rapport présenté par Laurent Fabius contient tout une série de propositions. Je ne vais pas les citer...

M. le président.

Non !

M. Michel Herbillon.

... pour répondre à votre demande de faire court, monsieur le président.

Monsieur le ministre, vous demandez en fait la refonte de l'ordonnance de 1959 qui fixe les règles de la procédure budgétaire au Parlement. Je n'ai pas de raison de douter que le ministre de l'économie et des finances que vous êtes se sentira comptable des propositions qu'il a faites et des engagements qu'il a pris en tant que président de l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Michel.

Arrêtez-le !

M. Michel Herbillon.

Dès lors, ma question est la suivante. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe c ommuniste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


page précédente page 03950page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si nous aurons la possibilité de voir ces réformes que vous préconisez appliquées dès cette année, lors de l'examen du prochain projet de budget, et aurez-vous la possibilité, au sein du Gouvernement, de les mettre en oeuvre ?

M. Jean-Pierre Michel.

Arrêtez-le !

M. le président.

Merci, monsieur Herbillon.

M. Michel Herbillon.

La représentation nationale (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et, au-delà d'elle, les Français, seront très attentifs à votre réponse, car cette question n'est pas une simple affaire de technique budgétaire et comptable. Au coeur de ce débat sur la transparence des finances publiques (Exclamations sur les mêmes bancs) ,...

M. le président.

Monsieur Herbillon, je vous en prie, veuillez conclure !

M. Michel Herbillon.

... il s'agit de donner tout son sens à la transparence sur les comptes.

Merci, monsieur le ministre, de votre réponse. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Monsieur Herbillon, permettez-moi de vous faire remarquer que vous ne servez ni vos intérêts ni ceux du Parlement tout entier, puisque, normalement, le Gouvernement ne dispose plus de temps pour vous répondre.

M. François Loncle.

C'est scandaleux !

M. le président.

La parole est néanmoins à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En fait, monsieur le député, vous me posez, d'une façon circonstanciée, deux questions. D'une part, est-ce que, en tant que ministre de l'économie et des finances, je reprendrai les propositions que j'ai été amené à faire en qualité de président de l'Assemblée nationale pour développer la transparence ? D'autre part, en aurai-je la possibilité au sein du Gouvernement ? La réponse est « oui » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe socialiste.

FORCE DE RÉACTION RAPIDE DE L'ONU

M. le président.

La parole est à M. Paul Quilès.

M. Paul Quilès.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, je voudrais vous faire part de ma réaction de colère, qui est probablement aussi celle de la plupart de nos collègues, devant les événements en Sierra Leone.

L'ONU, qui est, ne l'oublions pas, l'émanation, l'expression des Etats membres, n'est pas loin de se ridiculiser. Que voit-on en effet en Sierra Leone ? On y voit un fort contingent de soldats sous-équipés, mal préparés, incapables de remplir leur mission et manquant de munitions, des chars volés, des Casques bleus pris en otage.

Dans le même temps, les massacres les plus odieux continuent sans que l'interposition entre belligérants ait la moindre chance de réussir. Pourtant, le drame qui se déroule en Sierra Leone était prévisible et a d'ailleurs été prévu.

Tant que l'ONU, en particulier son Conseil de sécurité, ne se réformera pas, des épisodes calamiteux comme ceux de la Sierra Leone aujourd'hui, du Rwanda hier et peut-être de la République démocratique du Congo demain, se reproduiront.

Avec plusieurs députés français, j'ai proposé l'an dernier que soit créée une force de réaction rapide de l'ONU, composée de contingents préidentifiés, entraînés à ce genre de situation et disposant d'une chaîne efficace de commandement.

Je rappelle que les rédacteurs de la charte des Nations unies avaient déjà prévu des dispositions analogues. Malheureusement, elles ne sont jamais entrées en vigueur en raison du blocage opéré par les Etats membres, notamment les Etats-Unis et les membres permanents du Conseil de sécurité.

Monsieur le ministre, puisque la France est l'un des membres permanents du Conseil de sécurité, j'aimerais connaître votre sentiment sur cette proposition qui apparaît indispensable au maintien de la sécurité internationale et qui serait, en tout cas, conforme aux valeurs de paix que défend notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, je ne peux que juger intéressante la proposition en question quand on voit le type de situation auquel l'ONU est confrontée aujourd'hui. Mais, en même temps, je crois qu'il faut être honnête et juste par rapport à l'organisation des Nations unies : on ne peut pas vivre dans l'idée que c'est une sorte de pouvoir mondial qui détient les moyens d'intervenir absolument n'importe où dans n'importe quelle condition et de ramener le type de paix qui règne, par exemple, dans nos régions.

Nous avons affaire à un problème extraordinairement compliqué, qui consiste en une sorte de guerre ethnicoéconomique mettant en cause des forces non seulement au coeur de la Sierra Leone mais aussi dans toute la région. Et cela fait plusieurs années que cela dure.

Aucune solution militaire n'a pu être apportée heureusement, en quelque sorte et les solutions politiques se heurtent au fait que l'accord politique n'en est pas un, puisqu'il a été signé par des protagonistes qui veulent continuer à se battre, notamment pour le contrôle des diamants. Et ils se battent de façon particulièrement atroce.

Dans ce genre de situation, il ne sert à rien d'incriminer l'ONU en tant que telle. Il y a des situations qui dépassent la bonne volonté de tous les pays additionnés.

Il faut avoir le courage de le dire à certains moments.

Quant à réfléchir à la création d'une force d'intervention rapide, pourquoi pas ? C'est une bonne idée. Mais puisque vous êtes un spécialiste de cette question, vous savez que, même au sein de l'Union européenne, avec quinze pays très proches ayant des objectifs communs, il s'agit d'un travail qui prend des années et des années et nous l'avons déjà entrepris. Bien entendu, au niveau des Nations unies, cela pose toute une série d'autres questions.

Sous ces réserves, j'accueille avec intérêt le rappel de cette proposition que nous avons d'ailleurs soutenue. Et puisque nous sommes favorables, pour d'autres raisons, à


page précédente page 03951page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

la réforme du Conseil de sécurité lequel n'est pas en cause dans l'affaire de la Sierra Leone -, nous proposerons à nos partenaires de réfléchir aussi à cette proposition. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) OTAGES RETENUS AUX PHILIPPINES

M. le président.

La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, depuis le 23 avril, vingt et une personnes, dont deux ressortissants français, sont retenues en otage aux Philippines par un groupe de rebelles musulmans.

L'un des otages français est Sonia Wendling, originaire de Drusenheim, commune du nord du Bas-Rhin où résident sa famille et ses amis.

L'inquiétude est vive. L'atmosphère est pesante en Alsace et dans l'ensemble du pays. D'autant que le climat d'insécurité, d'instabilité et de violence quotidienne quir ègne actuellement aux Philippines suscite les plus grandes craintes quant à une libération prochaine des otages. D'autant également que la détermination des ravisseurs est forte.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des informations plus précises et plus complètes sur la localisation actuelle des otages et sur leur état de santé physique et morale ? E tes-vous en mesure d'apporter des informations réconfortantes aux familles ? Où en sont les efforts diplomatiques déployés par la France et l'Union européenne ? Comment faut-il interpréter l'arrivée sur place et le retour précipité des nouveaux émissaires libyens et musulmans ? A utant de questions qui traduisent l'angoisse de l'ensemble de la représentation nationale et qui suscitent une forte attente auprès de nos concitoyens.

Monsieur le ministre, la France doit tout faire nons eulement pour sauvegarder l'intégrité physique des otages, mais également afin que ces derniers retrouvent la liberté au plus vite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, nous faisons exactement ce que vous venez de demander que nous fassions, et nous le faisons depuis la première minute, comme chaque fois qu'il y a une prise d'otages. Je peux vous dire que, comme l'ensemble des services spécialisés, une direction de mon ministère est très concentrée sur ce sujet. Elle est composée de personnes qui oeuvrent avec un dévouement et une constance professionnels que je tiens à saluer.

En général, légitimement, sous le coût de l'émotion et de l'inquiétude, que je comprends et que nous partageons, on met plutôt l'accent sur l'attente, sur les préocc upations. En fait, il y a des gens qui oeuvrent constamment, tous les jours, qui sont en relation avec les familles ; vous le savez d'ailleurs, puisque vous êtes en contact avec la famille de cette jeune femme.

Je peux vous dire que, récemment, une doctoresse philippine a remis au compagnon de cette dernière les médicaments dont il avait besoin.

Nous savons que le Gouvernement philippin ne veut pas de médiation internationale et qu'il préfère utiliser des médiateurs philippins choisis en fonction de leur capacité à dialoguer avec les différents groupes de ravisseurs.

Tout le monde sait ici, car nous disposons des mêmes informations, à quel point la région en question est incontrôlée, notamment par le pouvoir central, puisqu'il y a une rébellion contre celui-ci.

Vous savez aussi que Javier Solana, le « Monsieur

PESC », a demandé instamment aux Philippins, au nom des Finlandais, des Allemands et de nous-mêmes de ne rien tenter qui puisse mettre en péril la vie des otages.

Nous allons continuer à tout faire, heure par heure, minute par minute, pour parvenir au meilleur dénouement possible. Croyez bien que c'est exactement notre souci. Nous agissons dans cette affaire comme dans toutes les autres. Aidez-nous à le dire aux familles, avec qui nous sommes en contact direct. Qu'elles sachent que leur préoccupation est la nôtre et que nous faisons vraiment tout notre possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

MARCHÉ DE LA POMME

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Bianco.

M. Jean-Louis Bianco.

Monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, le secteur de la pomme connaît actuellement une crise particulièrement grave, due, entre autres, au boycott anglais, à une production importante et à des reports de stocks de pommes provenant de Nouvelle-Zélande et de Russie. (Brouhaha sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mes chers collègues, c'est une question sérieuse : il en va de l'emploi dans de nombreux départements.

D ans les Alpes-de-Haute-Provence, cette situation entraîne des problèmes financiers pour les exploitants. La perte de chiffre d'affaires, par exemple, qui est proche de la perte nette des exploitations, se situe à 45 millions de francs, pour environ 50 000 tonnes commercialisées depuis octobre.

Dans ce département comme dans d'autres - et j'associe à ma question M. Robert Honde, élu dans l'autre circonscription du département -, les producteurs ont consenti, sans doute très tard, mais avec beaucoup de sacrifices, les efforts nécessaires à la mise en place d'une organisation commune de marché. Il serait particulièrement malheureux que la crise actuelle vienne contrarier ces efforts, qui ont permis de mieux maîtriser et de mieux régulariser la production, et surtout d'en assurer la qualité, que chacun reconnaît aujourd'hui.

Monsieur le ministre, quelles mesures urgentes le Gouvernement entend-il prendre, au-delà de celles déjà annoncées, pour faire face à cette situation ? Je rappelle que dans un département comme le mien, c'est le tiers de la production agricole qui est en jeu. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Franchement, je suis très étonné que, lorsqu'on parle de pommes, un côté de l'hémicycle ne manifeste pas plus d'attention. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)


page précédente page 03952page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, il est vrai que le secteur de la pomme a connu, l'été dernier, une crise particulièrement grave. S'inscrivant dans la crise profonde qui a touché les fruits d'été, elle a été aggravée par le fait qu'une quantit é inhabituelle de pommes en provenance de l'hémisphère sud est restée sur le marché, pesant sur les cours, ainsi q ue par le boycott organisé par les acheteurs du Royaume-Uni comme mesure de rétorsion après notre décision de maintenir l'embargo sur le boeuf britannique.

Nous avons pris une série de mesures à la fin de l'été, d'abord en faveur de l'ensemble des fruits d'été, puis plus spécifiquement destinées à la pomme. Près de 164 millions de francs ont été affectés à ce secteur entre la fin de l'été et le début de l'automne, dont, je crois, environ 4 millions de francs, pour votre département. Ces mesures ne semblent pas avoir suffi, puisque la crise a perduré, entraînant les mouvements que nous avons connus ces derniers jours, jusqu'aux manifestations d'hier.

Depuis hier, nous sommes en négociation avec les professionnels. Nous recherchons une issue, en concertation avec ces derniers et avec les autres ministères. J'ai bon espoir que nous puissions annoncer des mesures nouvelles dans les jours qui viennent.

Au-delà, je voudrais livrer trois réflexions. La première est que nous devrons saisir l'occasion que constitue la présidence française de l'Union européenne pour réformer l'organisation commune du marché des fruits et légumes.

Nous avons d'ores et déjà reçu une proposition de la présidence actuelle, et les Portugais sont très attachés à la faire avancer. Je souhaite vivement que, sous la présidence française - ce sera en tout cas une de nos priorités -, nous puissions avancer sur ce dossier.

Deuxièmement, je pense qu'il faut encourager tous les producteurs de fruits et légumes à signer des contrats territoriaux d'exploitation. (Exclamations sur les bancs dun groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Une enveloppe prioritaire est affectée à ce secteur, car il est aménageur du territoire et créateur d'emplois.

M. François Goulard.

Hors sujet !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Troisièmement, à l'issue de cette crise, nous devrons aussi réfléchir tranquillement avec les professionnels. En effet, les crises de marché successives doivent nous conduire à nous interroger sur la restructuration du verger français, de telle sorte que nous n'allions pas de règlement de crise en règlement de crise, mais que nous programmions l'avenir de celui-ci à moyen et à long terme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

MARCHÉS PUBLICS ET SOLIDARITÉ SOCIALE

M. le président.

La parole est à M. Gérard Revol.

M. Gérard Revol.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. (« Ah ! » sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis plus de vingt ans, le secteur de l'économie sociale et solidaire se développe.

Aujourd'hui, il salarie plus de 1 700 000 personnes, soit 7,7 % de la population active, et les régies de quartier connaissent un succès certain. Ces régies contribuent à la dynamisation de la vie de la cité et au renforcement du lien social. Les élus locaux sont nombreux à souhaiter encourager leur développement. Ils veulent notamment pouvoir prendre en compte, lors de la passation de marchés publics, la spécificité de leurs activités et de leurs missions.

Comme vous le savez, les critères de choix dans l'attribution des marchés publics sont limitativement énoncés par les articles 97 et 300 du code des marchés publics. Le critère social ne peut être inséré dans les appels d'offres que sous la forme d'une mention additionnelle qui ne constitue qu'une simple déclaration d'intention.

Bien sûr, les règles de la libre concurrence doivent être respectées, car elles contribuent à la vivacité et à l'efficacité de nos marchés. Pour autant, à force de dérogations, le secteur de l'économie sociale ne doit pas se trouver en état de dépendance dans ses rapports avec les pouvoirs publics.

Le cadre juridique doit autoriser les élus locaux à prendre en compte, lors de la passation des marchés publics, l'approche sociale de l'activité économique des régies de quartier qui représentent un formidable potentiel du traitement social et qu'il faut encourager.

Des rencontres régionales sont organisées sur ce thème et le Printemps des régies de quartier s'est déroulé récemment.

Vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d'Etat, que le secteur de l'économie sociale pouvait encore générer plusieurs centaines de milliers d'emplois. J'en suis persuadé.

Ma question sera simple, monsieur le secrétaire d'Etat, quelle disposition envisagez-vous de proposer pour que le critère social puisse être pris en compte dans la passation des marchés publics ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.

M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.

Monsieur le député, l'économie solidaire induit, dans le c hamp de l'économie traditionnelle, de nouveaux comportements et de nouveaux partenariats et fait émerger toute une série d'activités et de services. Avec la loi créant les emplois-jeunes, Mme Aubry a favorisé justement l'émergence de ce secteur. Aujourd'hui, il faut s'interroger sur la pérennisation de ces emplois, les conditions de leur installation et de leur solvabilisation.

La question que vous posez concerne l'innovation sociale. Il s'agit de faire naître des activités qui favorisent l'insertion de personnes, ce qui suppose un accès préférentiel, ou tout au moins plus facile, aux marchés publics par la clause du mieux-disant social.

Le premier réflexe est évidemment de se conformer au droit européen et de chercher une voie qui soit compatible avec les règles telles qu'elles semblent se redessiner.

La Commission européenne, à travers plusieurs directives, a fixé des seuils et établi deux recommandations essentielles : au-dessus des seuils, il conviendrait de se préoccuper de faciliter l'accès des PME aux marchés publics au même titre que celui des grandes entreprises ; au-dessus des seuils, la Commission ne s'oppose pas à l'existence d'une préférence, mais à condition que les règles soient totalement transparentes.


page précédente page 03953page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Il est donc possible de parvenir juridiquement à éclaircir les règles du jeu pour en finir avec les incertitudes dans lesquelles les régies de quartier notamment, mais aussi d'autres acteurs de l'insertion sans doute, vivent aujourd'hui.

Vous pouvez compter sur moi pour travailler en ce sens et chercher un nouvel équilibre. (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Nous en venons au groupe communiste.

EXCÉDENTS DE L'UNEDIC

M. le président.

La parole est à M. Pierre Goldberg.

M. Pierre Goldberg.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Le retour, du moins le début du retour de la croissance, et les efforts du Gouvernement, notamment avec la réduction du temps de travail et les mesures en faveur des jeunes, ont fait baisser le chômage. (« Faux ! » sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Néanmoins 6 à 7 millions de personnes, parmi lesquelles beaucoup de jeunes, sont encore plus ou moins directement concernées par le chômage, et ces efforts doivent être poursuivis pour être plus durables et plus efficaces.

Cette situation crée des excédents à l'UNEDIC, on nous annonce 6 milliards de francs pour l'an 2000 et 14 milliards pour l'an 2001. La justice sociale doit passer, car on ne peut pas admettre de tels excédents alors que seulement 40 % des femmes, des hommes, des jeunes sont indemnisés, 60 % d'entre eux n'ont rien. Je n'oublie pas que l'UNEDIC est géré par les partenaires sociaux, mais je trouve cette situation insupportable et inadmissible. Les excédents doivent bénéficier aux chômeurs, à tous les chômeurs.

M. Jean-Pierre Michel.

Très bien !

M. Pierre Goldberg.

Personne ne comprendrait qu'il en soit autrement. Sera-t-il dit qu'un gouvernement et une majorité de gauche plurielle, même si, je le répète, l'UNEDIC est gérée par les partenaires sociaux, laissant perdurer cet état de fait qui soulève le coeur ? Je souhaiterais connaître la position du Gouvernement.

Quel message peut-il faire passer pour que cette situation cesse et qu'on améliore de façon très sensible la vie des chômeurs et de leurs familles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, vous l'avez dit, le redressement spectaculaire du marché du travail entraîne aujourd'hui des excédents à l'UNEDIC. Selon les prévisions de cet organisme, nous aurions un excédent de 6,4 milliards cette année, de 14 milliards l'année prochaine et je crois pouvoir dire que les réserves aujourd'hui sont de l'ordre de 20 milliards de francs.

M. Yves Nicolin.

Rendez l'argent !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il faut que la négociation interprofessionnelle entre les organisations patronales et syndicales, dont je me réjouis qu'elle ait commencé, permette de répondre à plusieurs questions.

La première, vous l'avez abordée, concerne le nombre de chômeurs indemnisés, qui est passé, depuis dix ans, de 52 % à 42 %. A titre d'exemple, seul un tiers des jeunes au chômage touchent aujourd'hui une indemnité.

Vous le savez, j'ai été amenée à plusieurs reprises à demander aux partenaires de l'UNEDIC de réfléchir à une meilleure indemnisation notamment des personnes employées à des travaux précaires, à temps partiel, et particulièrement les jeunes. Ce sujet est à l'ordre du jour, et j'espère vivement, comme vous, que des résultats positifs sortiront de cette négociation car personne ne comprendrait, compte tenu de l'amélioration de la situation des finances de l'UNEDIC, qu'il en soit autrement.

La deuxième question porte sur le versement opéré par l'Etat entre 1993 et 1999 en direction de l'UNEDIC dont la situation n'était pas bonne du fait du marché de l'emploi. Avec les 30 milliards ainsi versés à l'UNEDIC, je m'en souviens, étant ministre du travail en 1993, nous avons permis à l'UNEDIC de continuer à payer les chômeurs.

Maintenant que la situation s'améliore, il faut clarifier les relations entre l'Etat et l'UNEDIC. Je souhaite qu'un accord global puisse être trouvé. Est-il normal par exemple que les cotisations pour les retraites complémentaires des chômeurs soient payées par l'UNEDIC, alors que les cotisations des retraites de base sont payées par la solidarité nationale ? Voilà un des sujets dont nous discutons actuellement avec les partenaires sociaux.

Enfin, j'entends dire, et je m'en réjouis, que de nombreuses propositions pourraient être faites pour aider les chômeurs à retrouver un emploi. S'il s'agit de proposer des bilans de compétence, une insertion, une formation, alors le service public de l'emploi sera à côté de l'UNEDIC pour aider, comme il le fait actuellement avec les chômeurs de longue durée, à cette entrée sur le marché du travail. Mais il faut que ce soit bien là l'objectif de la négociation. Le Gouvernement y sera extrêmement attentif, et la majorité aussi, je le sais. C'est dans cet esprit que nous suivons ces négociations.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

ACCORD RENAULT-VOLVO

M. le président.

La parole est à M. André Gerin.

M. André Gerin.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Renault a lâché l'industrie du poids lourd, RVI-Mack, USA. Les propos rassurants de Louis Schweitzer ne doivent tromper personne, il manipule et est pris en flagrant délit de mensonge.

(Exclamations sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En vingt ans, on aura supprimé 75 % des effectifs, 100 000 emplois directs et indirects dans des PME-PMI sinistrées. Les forges ont été fermées, les fonderies devraient suivre et l'usine de Vénissieux est menacée à court terme. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


page précédente page 03954page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

M. Patrick Devedjian.

Et les diligences ?

M. André Gerin.

Volvo annonce la couleur, avec la création d'un groupe mondial regroupant Mitsubishi, Scania et peut-être Nissan Diesel. Pour Volvo, c'est clair :

« Cette transaction boursière est faite pour créer une valeur ajoutée pour les actionnaires. »

Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a le pouvoir de dire non au conseil d'administration de la régie Renault, de dire non pour endiguer ce pétainisme industriel (Murmures sur divers bancs), pour arrêter de sacrifier la politique industrielle de la France.

Les trois priorités énoncées par le Premier ministre pour la présidence européenne, croissance, progrès social, citoyenneté, sont au coeur du sujet.

Oui, on peut faire autrement et je ferai trois propositions.

Engageons, à l'initiative du Gouvernement, un projet industriel audacieux et d'envergure en créant un consortium européen du poids lourd, avec une coopération mutuellement avantageuse, un consortium type Airbus, où chaque pays et chaque entreprise préserverait son identité ; cela pourrait être vrai pour RVI-Volvo.

Deuxièmement, ouvrons un débat national sur l'ambition industrielle de la France.

Troisièmement, lançons une consultation sans délai avec les syndicats, les élus, les salariés, les cadres en particulier, qui, leurrés, amers, désabusés, ont le sentiment d'avoir été trahis ces vingt dernières années. (« C'est long ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Monsieur Gerin, pouvez-vous conclure ?

M. André Gerin.

Monsieur le secrétaire d'Etat, ces trois propositions appellent de la part du Gouvernement un volontarisme politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Jean-Louis Debré.

Combien de temps a-t-il parlé ?

M. le président.

Deux minutes quarante-sept, monsieur Debré.

M. Michel Herbillon.

Quand c'est la majorité, il n'y a pas de problème !

M. François Vannson.

Deux poids, deux mesures !

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, nous ne pouvons en effet nous satisfaire de propos rassurants, quels qu'ils soient, et les actionnaires ne sont pas les seuls à devoir être rassurés. L'opération Renault-Volvo ne doit pas se faire, c'est l'intime conviction du Gouvernement, au détriment de l'emploi et de l'identité industrielle française.

Renault a garanti que l'emploi serait maintenu et qu'il n'y aurait pas de changement de statut des salariés chez RVI. Mais, vous avez raison, il faut s'en assurer avec soin.

Par ailleurs, Volvo et Renault Véhicules Industriels doivent conserver leur identité, leur marque, leurs sites de montage respectifs. Le Gouvernement sera très exigeant quant au respect de ces engagements.

M. Yves Nicolin.

Baratin !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il est en effet indispensable, pour que le projet de rapprochement se réalise, qu'il n'ait aucun effet négatif sur l'emploi et sur le devenir des sites français.

Comme vous le souhaitez, ce projet doit impérativement donner lieu à un débat approfondi, transparent, prospectif et loyal, entre la direction, les organisations syndicales et les salariés.

M. Yves Nicolin.

Baratin !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Je demande à Renault de mener ce débat, dans les meilleurs délais, dans le cadre des instances représentatives du personnel.

M. François Loncle.

Il est grand temps !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Nous serons également vigilants sur le bon déroulement de cette phase de concertation et c'est dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, que l'on pourra se féliciter, si elle se fait, de la constitution, riche de complémentarités, du deuxième constructeur mondial de camions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Nicolin.

Baratin !

M. le président.

J'indique que l'intervention de M. Gerin n'a duré que deux minutes quarante-sept contre cinq minutes pour M. Herbillon. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Sans doute, des questions paraissent longues à entendre (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. François Goulard.

Tout à fait, monsieur le président !

M. le président.

... à certains - je n'exprime évidemment pas une opinion personnelle - mais le chronomètre est un juge impartial.

Nous en venons au groupe du Rassemblement pour la République.

LICENCES DE TÉLÉPHONE

M. le président.

La parole est à M. François Fillon.

M. François Fillon.

La semaine dernière, mon collègue José Rossi a interrogé M. le Premier ministre sur l'attribution des licences de téléphonie mobile de troisième génération et le moins que l'on puisse dire est que sa réponse a été plutôt elliptique. Cette affaire est pourtant très importante, elle mérite d'être traitée dans la transparence et avec un vrai souci de politique industrielle.

C'est d'abord une affaire importante pour les finances de l'Etat. Même si nous ne sommes pas la GrandeBretagne, même si notre territoire est plus vaste, la densité de notre population plus faible et la durée des concessions plus courte, on peut estimer à 15 ou 20 milliards le ticket d'entrée dans les réseaux de troisième génération. Cela permettrait à l'Etat d'espérer une recette de l'ordre de 80 à 100 milliards de francs. Savoir, si vous choisissez cette méthode, ce que vous ferez de cette vraie cagnotte est une question que l'on ne manquera pas de vous poser dans un second temps.

Mais c'est aussi une affaire très importante au regard de l'organisation de la concurrence dans le secteur des télécommunications et de votre rôle de principal actionnaire de France Télécom.

Là encore, nous ne sommes pas la Grande-Bretagne.

Notre réseau a été ouvert à la concurrence plus tardivement et nos opérateurs, à l'exception de France Télécom,


page précédente page 03955page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

sont moins solides. On sait aujourd'hui qu'au moins un des trois opérateurs détenteurs de licences de téléphonie mobile, peut-être deux, ne sont pas à même de payer un ticket d'entrée au niveau que j'évoquais.

Ma première question est la suivante : êtes-vous résigné à ce que les choses se passent autrement que par l'absorption des opérateurs privés français par des groupes étrangers ? Ma deuxième question est liée à votre rôle d'actionnaire de France Télécom. France Télécom a de plus en plus de mal à acquérir à l'étranger les licences de téléphonie mobile. Etes-vous prêt à accepter que, pour ces acquisitions à l'étranger, France Télécom puisse payer en actions, en échange d'actions ?

M. Maxime Gremetz.

Non !

M. François Fillon.

Tous les discours fondateurs sur la société de l'information sont vides de sens si la concurrence ne permet pas de baisser les prix et d'augmenter les débits. Comment la majorité plurielle, et en particulier le groupe socialiste qui a combattu avec la plus grande énergie l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications...

M. Maxime Gremetz.

Il avait raison !

M. François Fillon.

... et qui menaçait même il y a quelques années de renationaliser France Télécom, va-telle gérer idéologiquement la mise aux enchères du domaine public ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, il existe en effet deux méthodes qui doivent concilier trois catégories d'intérêts et respecter un impératif.

Les deux méthodes, vous les avez rappelées : la soumission comparative d'une part, les enchères d'autre part.

L'une et l'autre doivent respecter la justesse économique du processus et de la situation des entreprises et la transparence totale de ce processus.

Trois intérêts sont à concilier.

Premièrement, l'intérêt de l'Etat. Les fréquences sont des biens rares du domaine public, leur valeur est donc naturellement élevée.

Deuxièmement, l'accessibilité à partir de fin 2002 à la nouvelle norme UMTS non seulement des grandes entreprises mais aussi des PME, non seulement des personnes aisées mais aussi de toutes les personnes vivant sur notre territoire et l'accessibilité progressive maximum sur les territoires concernés par ce progrès technologique.

Troisième intérêt à concilier avec la méthode qui sera choisie, les opérateurs européens, et en particulier les opérateurs français, doivent disposer des moyens de présenter une offre dans de bonnes conditions d'équilibre pour ces entreprises.

M. Marc-Philippe Daubresse.

Et concrètement ?

M. Maurice Leroy.

Concrètement, que fait-on ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Naturellement, nous y sommes attentifs.

Il faudra respecter un impératif absolu, celui de l'intérêt national.

M. Yves Nicolin.

Au fait !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Les décisions, comme l'a annoncé ici même M. Fabius la semaine dernière, seront prises dans les toutes prochaines semaines sur la base de critères objectifs. Et l'intérêt national, dans le cadre européen, sera garanti.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Monsieur Pierret, répondez à la question !

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il le sera si nous savons rapidement promouvoir la modernité de cette technologie de l'information et de la communication, si nous nous assurons que l'investissement est au coeur de la décision que nous prenons et si, enfin, les emplois créés par l'application de cette norme dans l'ensemble des régions françaises sont suffisamment importants pour que ce progrès technologique bénéficie à tous.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste. - Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

MISE EN EXAMEN DE M. TRICHET

M. le président.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Ma question ne s'adresse pas à M. le Premier ministre. Elle ne s'adresse pas à M. Laurent Fabius qui, la semaine dernière, a volé au secours de M. Sapin, interpellé par notre collègue de Courson.

Comme si M. Sapin avait déjà besoin d'un avocat...

(Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le président, j'attends la démonstration de l'impartialité que vous venez de revendiquer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Monsieur Devedjian, votre propos pouvait prêter à ambiguïté. C'est une image que vous avez utilisée, j'imagine ?

M. Patrick Devedjian.

Naturellement, monsieur le président, et vous êtes bien placé pour le savoir.

M. le président.

Comme avocat, bien entendu,...

M. Patrick Devedjian.

Bien sûr !

M. le président.

... au même titre que vous.

M. Patrick Devedjian.

D'ailleurs, je dois dire que

M. Fabius a été un excellent avocat de M. Sapin.

M. Jean-Louis Debré.

Et la cause était difficile !

M. Patrick Devedjian.

M. Trichet a été mis en examen pour dissimulation de la vérité des comptes du Crédit lyonnais.

(« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Fabius nous a dit la semaine dernière, et je partage entièrement son point de vue, que M. Trichet bénéficiait d'une réputation exceptionnelle, et qu'il n'était pas dans l'intérêt de notre


page précédente page 03956page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

pays que cette réputation fût mise en cause. M. Fabius parle d'or. Mais il y a un moyen tout à fait simple de protéger la réputation de M. Trichet : c'est que M. Sapin prenne ses responsabilités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Trichet, entendu par la commission d'enquête sur le Crédit lyonnais, a dit que c'était le Gouvernement qui commandait. Et à cette occasion, M. Sapin a dit que lorsque tel membre de l'administration était attaqué, il était toujours choqué, ajoutant : « que l'on attaque le ministre de tutelle de l'époque ! » Monsieur Sapin, je crois donc que vous êtes disposé à prendre vos responsabilités politiques dans cette affaire. Si M. Trichet a agi, c'est sur les instructions du ministre de tutelle que vous étiez. Ma question est simple : pour protéger la réputation de ce grand fonctionnaire, allez-vous prendre vos responsabilités politiques ? (Applaudisssementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Du calme, s'il vous plaît !

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, dans ces matières comme dans les autres, il faut essayer de ne pas biaiser.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani.

Il faut avoir du courage ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Si vous voulez mener un combat politique frontal contre la majorité plurielle et en particulier contre un des ses ministres, n'employez pas d'arguties, ne vous référez pas au droit, ne parlez pas de M. Trichet, attaquez directement M. Sapin.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe pour l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Si, en revanche, vous demandez au Gouvernement si l'Etat assurera la protection de ses fonctionnaires attaqués, la réponse est : oui, l'Etat défendra M. Trichet ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huéess ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

IMMIGRATION CLANDESTINE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Mignon.

M. Jean-Claude Mignon.

Monsieur Fabius, ma question ne s'adresse pas à vous. Elle s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Selon les chiffres de la police nationale, la pression migratoire illégale aux frontières nationales croît nettement.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Nicolas Anelka veut rentrer en France !

M. Jean-Claude Mignon.

Or vous avez décidé, monsieur le ministre, lors du conseil de sécurité intérieure du 6 décembre, de fermer d'importants postes frontières tenus par la police de l'air et des frontières. Ainsi, 400 fonctionnaires devraient quitter la surveillance des frontières pour être redéployés sur l'ensemble du territoire français.

Vous déshabillez Paul pour habiller Pierre et prenez ainsi le risque de voir se multiplier le nombre de clandestins, avec tous les problèmes que cela pose. C'est ce qu'a illustré un hallucinant reportage diffusé ce week-end sur l'une de nos grandes chaînes de télévision, montrant à quel point il est facile de tromper une police de l'air et des frontières dotée de si faibles moyens. Et ce reportage était corroboré par un syndicaliste fonctionnaire de la police de l'air et des frontières, outré, comme l'ensemble des téléspectateurs, par tant de laxisme.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre ? Allezvous procéder d'ici quelque temps à une nouvelle régularisation en masse des clandestins ?

M. Thierry Mariani.

Comme d'habitude !

M. Jean-Claude Mignon.

La recrudescence de ce mouvement fonde-t-elle votre soutien démagogique à la proposition de loi sur le droit de vote des étrangers ? Allezvous enfin vous décider à donner à la police les moyens de son action ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, vous abordez un sujet qui se prête à toutes les démagogies.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Thierry Mariani.

C'est un spécialiste qui parle !

M. Bernard Accoyer.

Il serait donc interdit d'en parler ?

M. le ministre de l'intérieur.

Votre question porte plus particulièrement sur les demandes d'asile à la frontière, qui sont effectivement en recrudescence, notamment à l'aéroport de Roissy - en un an, elles y ont doublé. Pour remédier à l'insuffisance de nos capacités en zone d'attente, nous allons d'ailleurs créer, dès le mois de juin, 70 places supplémentaires au centre du Mesnil-Amelot ; et, au début de l'année prochaine, une nouvelle zone d'attente sera ouverte au Tremblay-en-France.

Cette pression existe donc bien, mais pas seulement en France. J'étais en Grande-Bretagne il y a quelques semaines : en un an, le nombre des demandes d'asile à la frontière est passé de 41 000 à 71 000. Et, en Allemagne, il atteint 100 000. En France, nous n'en sommes pas là, puisque le chiffre de l'an dernier était de 31 000. Pour autant, la loi RESEDA se révèle un outil efficace et souple.

M. Thierry Mariani.

C'est faux ! M. le ministre de l'intérieur. Elle nous a permis d'accueillir, en 1998, 155 000 primo-arrivants - desquels il faudrait, d'ailleurs, déduire 50 000 à 60 000 personnes régularisées au titre de la circulaire du 24 juin 1997. Il y avait plus d'étudiants, plus de chercheurs, plus d'enseignants, plus de scientifiques, grâce aux nouveaux titres de séjour prévus à cet effet.


page précédente page 03957page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

M. Pierre Lellouche.

Il n'y a jamais eu aussi peu d'étudiants étrangers en France !

M. le ministre de l'intérieur.

Certes, des points noirs demeurent au niveau des frontières espagnoles ou italiennes ; mais le phénomène est lié aux modifications de législation dans ces pays.

Si le taux de reconduite à la frontière avait pu fléchir l'an passé, les chiffres dont je dispose montrent que la loi s'applique, à nouveau, avec une certaine efficacité.

M. Bernard Accoyer.

Quelle modestie !

M. Thierry Mariani.

C'est faux !

M. le ministre de l'intérieur.

Je tiens ces chiffres à votre disposition...

Les préfets ont reçu des instructions. Je rends hommage au travail de la police aux frontières, effectivement redéployée, conformément à l'esprit des accords de Schengen.

Ce sujet se prête, comme je le disais, à toutes les démagogies, à l'angélique comme à la catastrophiste, c'est-à-dire à la vôtre, qui, au nom d'une immigration zéro, méconnaît les données du monde dans lequel nous vivons.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe pour l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous disposons d'un outil qui nous permet d'accueillir à proportion de nos facultés. 100 000 personnes accueillies par an, c'est à mon sens tout à fait raisonnable.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel.

La semaine dernière, nous avons finalement adopté la possibilité, pour les étrangers, de voter aux élections municipales et d'être élus. Il est vrai que c'est un des moyens pour faciliter l'intégration de celles et de ceux qui le désirent. Toutefois, cette mesure présente deux inconvénients : d'une part, elle ne sera pas applicable dans des délais prévisibles et, en tout cas, pas pour les prochaines élections municipales ; d'autre part, elle découple la nationalité de la citoyenneté.

Aussi, avec les députés du Mouvement des citoyens, j'ai déposé une proposition de loi, no 2153, tendant à faciliter l'accès à la nationalité française...

M. Jacques Desallangre.

Très bien !

M. Jean-Pierre Michel.

... pour les étrangers qui le souhaitent, qui vivent depuis dix ans en France et qui pourront devenir français par simple déclaration auprès du tribunal d'instance (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Claude Lenoir.

Ben voyons !

M. Jean-Pierre Michel.

Ainsi, ils acquerront, à la suite d'une procédure moins lourde et plus transparente que celle que nous connaissons aujourd'hui, l'intégralité de la citoyenneté.

Le Gouvernement compte-t-il, comme cela me paraît hautement souhaitable, inscrire très rapidement cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, vous attachez une très grande importance à l'acquisition de la nationalité française ; moi aussi, et vous le savez.

Je tiens à rappeler que la loi sur la nationalité a été la première loi votée sur ma proposition par cette assemblée le 16 mars 1998. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Cette loi a rendu aux jeunes, nés de parents étrangers sur le sol français, la possibilité de devenir automatiquement français, sans démarche administrative, à l'âge de dix-huit ans. Mais, dès l'âge de seize ans, ceux qui sont nés chez nous et qui ont été élevés dans nos écoles peuvent effectuer une démarche volontaire en ce sens. Quant à ceux de plus de treize ans, si leurs parents en sont d'accord, ils peuvent demander l'acquisition de la nationalité française.

Au premier semestre 1999, cette loi avait déjà permis à 14 000 jeunes âgés de seize à dix-huit ans d'acquérir la nationalité française. Par ailleurs, elle a rendu plus transparente et plus facile la naturalisation - près de 60 000 cas en 1998.

Monsieur le député, les cas auxquels vous faites référence sont ceux d'étrangers qui, sans être nés en France, y vivent depuis plusieurs années. Ceux-là peuvent justement acquérir la nationalité française par natursalisation.

Quant à la proposition de loi votée la semaine dernière sur proposition de l'ensemble des groupes de la majorité et qui tend à accorder le droit de vote aux étrangers vivant dans notre pays depuis un certain temps, je crois qu'elle répond à votre préoccupation : permettre à des étrangers de participer à la vie locale tout en gardant un lien avec leur pays d'origine.

Lorsque la proposition de loi sera définitivement votée, nous aurons mis en place un dispositif permettant de répondre à l'éventail des situations. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

CONVOYEURS DE FONDS

M. le président.

La parole est à M. Christian Martin.

M. Christian Martin.

Monsieur le Premier ministre, tout au long de vos discours, vous n'avez cessé d'afficher votre fibre sociale et, au rang de vos priorités, la sécurité de nos concitoyens.

Les Français aimeraient bien que vous illustriez vos propos par des actions concrètes. Le mouvement de protestation des convoyeurs de fonds, qui se sont fortement mobilisés en province comme dans la capitale pour dénoncer le caractère devenu insupportable de leurs conditions de travail, vous en avait donné l'occasion. Or


page précédente page 03958page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

la seule réponse sûre qu'il a été jugé utile de leur apporter concerne l'interdiction du travail de nuit entre vingtdeux heures et cinq heures du matin ! Autant dire que nombre de leurs revendications, pourtant toutes légitimes, marquées au coin du bon sens et loin d'être budgétivores, n'ont pas été entendues ni même sans doute écoutées.

Ils réclamaient : le classement de leur profession dans les professions à risques ; l'obligation du gilet pare-balles ; un véritable statut ; des horaires aléatoires de tournées ; la sécurisation des sites et la limitation des trajets à pied.

Votre conception du dialogue social et de la sécurité ne laisse à ces gens qui exercent une profession difficile, qui acceptent d'assumer des risques qu'ils paient parfois très cher - jusqu'à y perdre la vie -, d'autre choix que de prolonger leur grève afin de se faire entendre.

Monsieur le Premier ministre, nous aimerions que votre fibre sociale et votre préoccupation de sécurité se traduisent dans les faits. Vous en aviez l'occasion ; vous l'avez laissé passer. Comptez-vous y remédier ? Si oui, de quelle manière et dans quel délai ? Car il y a urgence ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur le député, vous semblez ignorer que le transport de fond est un secteur économique très concentré, avec peu de grandes entreprises, comme la Brink's ou Ardial. Le problème que vous soulevez est crucial, vous avez tout à fait raison de le souligner. Il intéresse des organisations de salariés qui ont été reçues hier au ministère de l'intérieur ainsi que des organisations de transporteurs - des organisations patronales - qui y sont reçues en ce moment même.

Il est évident que le métier de convoyeur de fonds est risqué. Mais vous devez savoir que le statut de métier à risque n'existe pas dans le code du travail. Néanmoins, on peut reconnaître que cette profession comporte des risques sérieux et qu'il appartient aux employeurs d'en prendre la juste mesure.

M. Christian Bataille.

Exact !

M. le ministre de l'intérieur.

Le ministère de l'intérieur a reçu les organisations représentatives en janvier 1999 ; une commission a été mise sur pied, qui s'est réunie quinze fois ; le décret du 30 avril 1998, qui prévoit toutes les normes de sécurité que vous venez d'évoquer en matière de blindage, de gilet pare-balles, de moyens d'alerte et de communication.

Le ministère est prêt à aller plus loin. Hier, nous avons fait connaître en effet que nous étions favorables à l'interdiction du travail de nuit. Nous pouvons également envisager un aménagement des installations des donneurs d'ordre en favorisant la mise en place de trappons, c'està-dire de sas permettant de limiter les trajets à découvert.

C'est d'ailleurs l'objet du projet de loi concernant la sécurité privée que je dois présenter en conseil des ministres le 17 mai prochain et dont deux articles pourraient être disjoints afin d'être votés plus rapidement.

Dès maintenant, j'ai donné instruction aux préfets que soit réunie la commission départementale de la sécurité des transporteurs de fonds. Cette commission, créée par le décret du 28 avril 2000, se réunira avant la fin du mois de mai. Elle fera l'inventaire des mesures à prendre, prévoira les aménagements de locaux qui peuvent être d emandés aux donneurs d'ordre - notamment aux banques ou aux très grandes surfaces - et fixera, le cas échéant, des horaires ou des circuits aléatoires. J'ai par ailleurs donné des instructions à la direction générale de la police nationale que le concours des forces de police et de gendarmerie soit accordé ponctuellement à certains transports de fonds sensibles.

L'action de la police nationale, notamment de l'Office central de répression du banditisme de la police judiciaire, de la préfecture de police et des SRPJ de Bordeaux et de Marseille, a déjà porté ses fruits : 21 interpellations ont été réalisées dans les milieux du grand banditisme liés à l'agression qui a eu lieu à Nanterre et à celle qui s'est déroulée à Bordeaux en janvier 1999 contre la Brink's, causant la mort d'un convoyeur de fonds.

C'est un métier dangereux et difficile. Tâchons de nous unir pour apporter des solutions répondant réellement à la demande de sécurité de ces travailleurs courageux.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Pierre-André Wiltzer.)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE-ANDRÉ WILTZER,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

2

LOI D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer (nos 2322, 2359).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le 23 octobre 1998, à l'occasion de la discussion du budget de mon département ministériel, l'ensemble des députés de l'outre-mer avaient souhaité que s'ouvre un grand débat sur l'avenir de l'outre-mer français. Ce débat avait permis au Gouvernement de confirmer sa volonté d'engager, sur la durée de la législature, un vaste chantier der éformes qui concerneraient toutes les collectivités d'outre-mer. A cette occasion, je vous avais annoncé que le Gouvernement déposerait un projet de loi d'orientation pour les départements d'outre-mer.

Ce projet de loi, qui vous est aujourd'hui soumis, est, vous le savez, le fruit d'une réflexion et d'une concertation qui ont été menées pendant plusieurs mois avec les


page précédente page 03959page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

élus, les responsables socio-économiques et toutes les forces vives des sociétés d'outre-mer. Plusieurs rapports, en particulier celui de M. Claude Lise, sénateur de la Martinique, et de M. Michel Tamaya, député de la Réunion, rédigé dans le cadre d'une mission parlementaire confiée par le Premier ministre, ont permis l'élaboration d'un document-cadre qui a lui-même fait l'objet de la plus large consultation et qui a suscité de nombreuses remarques et propositions. Le Gouvernement en a tenu le plus grand compte.

L'ampleur de cette concertation a souligné les attentes nombreuses et parfois contradictoires qui se faisaient jour, non seulement entre les départements d'outre-mer mais aussi à l'intérieur de chacun d'entre eux.

L'objectif d'une loi d'orientation n'est pourtant pas de résoudre l'ensemble des problèmes qui se posent. Le projet qui vous est soumis n'échappe pas à cette règle. D'ailleurs, et s'agissant des seuls départements d'outre-mer, le Gouvernement a pris trente-huit ordonnances depuis la loi d'habilitation de mars 1998. Il a également fortement augmenté les crédits consacrés par l'Etat au contrat de plan. Il a aussi obtenu de l'Union européenne le doublement des fonds structurels et, en concertation aves les assemblées locales, il a soumis aux instances communautaires le mémorandum de la France tirant toutes les conséquences du nouvel article 299-2 du traité instituant la Communauté européenne.

La concertation sur la loi d'orientation a provoqué des débats passionnels et parfois irréductibles, surtout, à vrai dire, à propos des questions institutionnelles ou purement administratives. En revanche, sur les sujets économiques, sociaux et culturels, l'essentiel des propositions ont reçu, certes à chaque fois sous réserve de certaines améliorations, un accueil favorable, et je ne doute pas que le débat parlementaire qui va s'ouvrir en apportera la confirmation. Je m'en réjouis d'autant plus que le dernier de mes prédécesseurs à avoir légiféré pour les départemen ts d'outre-mer, en 1994, avait vu ses propositions rejetées par six assemblées sur huit, alors même que seul le domaine économique et social était concerné.

S'agissant des questions institutionnelles, le Gouvernement a pu constater que le débat méritait d'être ouvert et qu'il était loin de pouvoir être refermé, compte tenu notamment de la diversité des positions. J'y reviendrai.

Ce projet de loi d'orientation, qui sera complété par d es amendements parlementaires examinés par vos commissions et par les amendements gouvernementaux, marquera, à n'en pas douter, une étape essentielle pour les départements d'outre-mer s'agissant tant de leur développement économique et social que de l'évolution de leurs institutions au sein de la République.

Je souhaite que nos débats contribuent donc à enrichir son contenu, qui s'articule autour de huit grands axes : développer l'activité et la compétitivité des entreprises des départements d'outre-mer, afin de tenir compte des handicaps qui nuisent gravement à leur développement ; donner à chaque jeune d'outre-mer la possibilité d'occuper un véritable emploi ; mettre en oeuvre un plan volontariste de lutte contre l'exclusion en renforçant considérablement les dispositifs de retour à l'activité ; reprendre le chemin de l'égalité sociale ; permettre aux départements d'outre-mer de développer leur identité propre ; franchir une nouvelle étape de la décentralisation en attribuant des responsabilités et des ressources nouvelles aux collectivités locales ; permettre à chaque département d'outre-mer de définir sa propre voie d'évolution au sein de la République ; enfin, étendre, en les adaptant, certains des dispositifs proposés à Saint-Pierre-et-Miquelon, tout en rénovant les mécanismes de la démocratie locale dans cette collectivité.

Mesdames, messieurs les députés, ces axes s'inscrivent, comme le souligne l'article 1er du projet, dans une priorité qui concerne la nation tout entière. Il y aurait en effet une vision réductrice à ne considérer cette loi qu'au regard des problèmes propres à l'outre-mer. C'est en réalité la dimension même de notre pacte républicain qui est en cause, ou, pour reprendre les termes d'Aimé Césaire concluant, le 12 mars 1986, son rapport à la tribune de cette Assemblée sur le projet de départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane, l'exercice de « cette fraternité agissante aux termes de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse ».

Mesdames, messieurs les députés, les dispositions qui vous sont soumises visent en premier lieu à accroître fortement la compétitivité des entreprises dans les départements d'outre-mer.

Les départements d'outre-mer sont en effet confrontés à des handicaps structurels, comme l'éloignement ou l'exiguïté de leur marché intérieur, qui ont été reconnus par l'article 299-2 du traité instituant la Communauté européenne. A ce titre, ces départements sont aujourd'hui les seules régions françaises qui bénéficieront des fonds structurels de l'objectif 1 et, pour la période 2000-2006, de 23 milliards de francs.

Les arbitrages rendus par le Premier ministre permettront également aux quatre départements d'outre-mer de bénéficier de crédits d'Etat dans le cadre des contrats de plan Etat-région, en augmentation de plus de 46 %, soit 5,6 milliards de francs.

A ces crédits communautaires et d'Etat s'ajouteront ceux des collectivités locales, de l'ordre de 9 milliards de francs. Au total, pour les sept ans à venir, l'économie des quatre départements d'outre-mer bénéficiera donc de 37 milliards de francs qui se comparent aux 19,7 milliards de la période précédente.

Considérable, cet effort est nécessaire pour fonder les bases d'un développement durable où le niveau de la c ommande publique attesté par ces investissements publics sera, dans les années à venir, une variable clé.

L'intégration économique des départements d'outremer à la métropole et à l'Union européenne est évidemment un formidable atout et j'observe qu'aujourd'hui cette réalité n'est plus contestée par personne. Encore faut-il, tout en respectant les principes communautaires et notamment celui de la libre-concurrence, permettre aux entreprises des départements d'outre-mer de lutter à armes égales non seulement sur leur propre marché mais aussi sur les marchés extérieurs.

Je voudrais tout de suite aborder un volet qui ne figure pas dans le projet de loi, mais qui vous préoccupe légitimement. C'est le soutien aux investissements économiques. Le dispositif de défiscalisation actuel, avec les modifications successives qui sont intervenues, approche de sa fin, prévue en 2002. Il a suscité des excès et des effets pervers, certes, mais il a aussi favorisé l'investissement productif outre-mer, ce qui est positif.

Le Gouvernement estime donc qu'un nouveau dispositif de soutien à l'investissement est indispensable, car c'est un pilier du développement économique outre-mer. Il faut regarder l'ensemble des conditions de financement des investissements et des entreprises, et favoriser l'investissement sur place des capitaux disponibles outre-mer tout autant que des capitaux extérieurs.


page précédente page 03960page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Le Premier ministre s'est engagé à ce que ce nouveau dispositif soit défini d'ici à la fin de cette année, et un groupe de travail a été créé à cet effet, qui rassemble des représentants des ministères, des forces économiques des quatre départements et de la Fédération des entreprises d'outre-mer.

Afin qu'il n'y ait ni d'ambiguïté ni faux débat, je renouvelle ici cet engagement : le nouveau dispositif sera mis en place d'ici à la fin de l'année soit par voie d'amendement à la présente loi, soit dans la loi de finances pour 2001, en fonction de la date où il sera prêt. C'est un élément essentiel que je tenais à vous indiquer dès à présent.

M. Henri Plagnol.

A quoi sert-il alors de voter aujourd'hui ?

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Le deuxième aspect de la compétitivité des entreprises concerne leurs coûts d'exploitation, et particulièrement le coût du travail.

Un dispositif d'exonérations de cotisations de sécurité sociale en faveur des secteurs dits « exposés » avait été introduit par la loi du 25 juillet 1994 proposée par M. Perben. L'article 2 du projet de loi dépasse et englobe l'ancien pour en faire un dispositif structurel de développement économique et de l'emploi, sous réserve des observations qui pourront être formulées par les instances communautaires qui ont été saisies. Je peux vous dire dès à présent que les propositions gouvernementales semblent recueillir un avis favorable de Bruxelles.

Le projet que je vous présente vise à tenir compte de l'expérience acquise et des résultats. Ainsi, il répond à quatre types de limites, majeures, du dispositif actuel.

D'abord, la durée du dispositif, qui était limitée à cinq ans, ne permettait pas aux entreprises de faire des projets de développement à moyen terme ; ensuite, la condition d'être à jour de ses cotisations, ou d'avoir signé un plan d'apurement, a éliminé un tiers des entreprises représentant 20 % des salariés concernés ; en outre, l'énoncé trop restrictif des secteurs exonérés, par exemple dans le domaine du tourisme où seule l'hôtellerie-restauration était concernée ; enfin, le niveau de l'exonération, limité au SMIC, était trop faible, en particulier pour tous les secteurs qui ont besoin de main-d'oeuvre qualifiée.

Les résultats obtenus sont effectifs, mais modestes. Lese xonérations ont généré une partie des créations d'emplois dans les secteurs concernés, au nombre de 3 000 par an environ. Nous devons faire beaucoup mieux.

Le Gouvernement a donc repensé le nouveau dispositif de façon beaucoup plus large, pour un coût annuel de l'ordre de 3,5 milliards de francs, soit quatre fois le coût du dispositif actuel, je dis bien quatre fois, pour que l'on mesure l'ampleur de l'effort, notamment lorsqu'il y a débat sur tel ou tel point particulier.

Je veux souligner les aspects novateurs du texte.

Le nouveau dispositif sera permanent, sans limitation dans le temps, afin que les entreprises puissent faire des projets durables de développement. Cela ne dispensera pas pour autant d'effectuer des évaluations périodiques, notamment sur les créations d'emplois, évaluations qui sont d'ailleurs nécessaires vis-à-vis des autorités européennes.

La condition d'être à jour de ses cotisations est supprimée, car elle condamnait des entreprises au motif qu'elles avaient des difficultés. Notre ambition est donc de donner à toutes les entreprises les conditions favorables pour leur développement. Ainsi, le tiers des entreprises qui étaient éliminées jusqu'à présent seront réintégrée s. Le champ d'application des secteurs dits exposés a été par ailleurs revu et élargi. Par exemple, ce sont l'ensemble des entreprises du tourisme qui seront concernées, et non plus simplement celles de l'hôtellerie et de la restauration.

Cela répondra aux souhaits exprimés par les professionnels du secteur lors de plusieurs de mes déplacements.

De même, à la demande des milieux économiques et des élus, il est proposé d'intégrer également le secteur du BTP, avec une exonération partielle. Ce secteur économique essentiel, qui dépend largement de la commande publique, va ainsi bénéficier d'exonérations.

J'ajoute qu'afin de favoriser les technologies d'avenir le Gouvernement déposera un amendement visant à faire bénéficier les secteurs des nouvelles technologies de l'information et de la communication des mêmes exonérations.

Suivant la recommandation du rapport Fragonard, afin d'abaisser le coût du travail dans les entreprises potentiellement créatrices d'emplois et pour lutter contre le travail dissimulé, le projet tend également à étendre les exonérations à toutes les petites entreprises de moins de onze salariés, quels que soient les secteurs d'activité.

Le Gouvernement propose aussi de très importants allégements de cotisations et une grande simplification, pour les employeurs et travailleurs indépendants.

C'est donc une réponse adaptée à la réalité du tissu économique des départements d'outre-mer, où 95 % des entreprises ont moins de onze salariés, avec un effectif moyen d'à peine deux salariés, ce qui relativise les débats sur les effets de seuil. En fait, si chacune des entreprises concernées créait ou régularisait un emploi, cela représenterait quelque 80 000 emplois. Voilà l'enjeu.

Au total, 115 000 salariés environ seront concernés par les exonérations, contre 44 000 dans la loi de 1994, auxquels vont s'ajouter les travailleurs indépendants, soit 55 000 personnes qui bénéficieront d'allégements substantiels de charges.

Je voudrais également souligner le relèvement de 20 à 40 hectares pondérés de la limite pour les exonérations des exploitations agricoles. Cette modification du seuil permettra à un nombre supplémentaire d'exploitants de bénéficier de ces mesures incitatives.

Telle est donc, à travers ces différents dispositifs d'exonérations, la dimension « emploi » du projet de loi. C'est la priorité pour les départements d'outre-mer. C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les députés, si le G ouvernement n'a pas voulu mettre de conditions bureaucratiques de contrôle en face des exonérations, il a jugé nécessaire de prévoir une incitation supplémentaire, qui sera fixée par décret à 9 000 francs par an et par salarié, pour toutes les entreprises qui auront conclu un accord de réduction du temps de travail selon les dispositions de la loi du 19 janvier 2000.

La quatrième limite levée par le projet de loi concerne le niveau de l'exonération, qui sera fixé à 1,3 fois le SMIC, au lieu d'une fois le SMIC actuellement. Ce relèvement permettra un abaissement plus important du coût du travail, qui renforcera la compétitivité des entreprises et favorisera l'embauche de personnel qualifié.

Le financement de ces mesures repose sur la solidarité nationale, ce qui tranche avec la loi de 1994. Le gouvernement de l'époque avait voulu faire payer ces dispositions par une sorte de « TVA sociale ». A l'inverse, nous


page précédente page 03961page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

avons, quant à nous, choisi de réduire, le 1er avril dernier, le taux de TVA d'un point, dans les DOM comme en métropole.

Au-delà du dispositif d'exonérations de cotisations de sécurité sociale, le Gouvernement veut également favoriser la création d'emplois et le développement des entreprises qui diversifient leurs débouchés commerciaux dans leur environnement régional. Le précédent dispositif réglementaire était si restrictif qu'il n'a concerné qu'une dizaine d'entreprises, même s'il a eu des effets positifs, par exemple à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le Gouvernement, s'appuyant sur le rapport Thiel, veut aller beaucoup plus loin, en donnant valeur législative à un dispositif d'aide à la création d'emplois pour ces entreprises, dispositif qui a été notifié à Bruxelles. Le niveau des primes sera fortement revalorisé, et le seuil d'entrée dans le dispositif sera abaissé de 70 à 20 %. Ces dispositions nouvelles sont donc fortes. Encore faut-il apurer le passé pour permettre à toutes les entreprises d'aller de l'avant, alors que, trop souvent, leur endettement fiscal et social les empêchent d'investir, d'accéder aux crédits bancaires ou encore aux marchés publics.

Les articles 5 et 6 tirent les conséquences de cette situation en prévoyant, pour toutes les entreprises de bonne foi, et ce dès l'entrée en vigueur de la loi, la possibilité de demander et d'obtenir de plein droit un moratoire de six mois sur le paiement de leurs dettes antérieures au 1er janvier 2000, période au cours de laquelle un plan d'apurement pourra être signé avec les administrations compétentes, les procédures de recouvrement étant suspendues pendant la période d'élaboration du plan. Nous préciserons les modalités de ce dispositif lors de l'examen des articles du projet de loi.

Mesdames, messieurs les députés, cet effort sans précédent est destiné à lutter contre le chômage. Certes, dans les derniers mois, une stabilisation et parfois un léger recul ont pu être enregistrés au niveau du nombre de demandeurs d'emploi. Cette situation du chômage, outre-mer comme en métropole, mais tout particulièrement outre-mer, n'en demeure pas moins inacceptable.

Alors que le taux de chômage en métropole est sur le point de repasser en dessous de la barre des 10 %, les départements d'outre-mer continuent de connaître des taux de chômage de 26 % en Guyane, de l'ordre de 30 % aux Antilles et même de 37 % à la Réunion.

La principale cause du chômage dans les départements d'outre-mer réside, bien sûr, dans leur structure démographique, notamment à la Réunion, où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est de plus de 61 %. On le sait, 35 % des habitants des départements d'outre-mer ont moins de vingt ans, proportion de dix points supérieure à celle de la métropole.

Cette situation justifiait une application forte du dispositif des emplois-jeunes institué par la loi du 16 octobre 1997. Au 31 décembre 1999, en effet, 11 000 emploisjeunes ont aussi été créés dans les départements d'outremer, dont plus de la moitié dans le seul département de la Réunion.

Mais l'ampleur du défi de l'emploi des jeunes appelle des mesures supplémentaires.

Tel est donc l'objet de l'article 9 du projet qui fonde le deuxième axe essentiel de ce texte : offrir à chaque jeune des départements d'outre-mer une chance réelle de s'insérer durablement sur le marché du travail.

Cet article institue dans les départements d'outre-mer le projet initiative-jeune qui prendra la forme d'une aide financière de l'Etat. Son montant sera fixé par décret et pourra atteindre près de 50 000 francs par projet, et elle sera accordée à tous les jeunes âgés de dix-huit à trente ans. Ils devront soit créer ou reprendre une entreprise dans leur département, soit poursuivre à l'extérieur de c elui-ci une formation professionnelle proposée par l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer, l'ANT.

Ce projet initiative-jeune devrait concerner près de dix mille jeunes par an.

En prenant en compte les propositions du rapporteur pour avis de votre commission des affaires sociales, M. Tamaya, et du rapporteur pour avis de votre commission de la production et des échanges, M. Marsin, le Gouvernement souhaite favoriser un mécanisme de solidarité entre les générations permettant, par le départ en préretraite des salariés les plus âgés, une embauche de jeunes.

Très largement inspirée des propositions qui ont été faites à la Réunion, cette disposition sera ouverte à tous les salariés du secteur privé âgés de cinquante-cinq ans et justifiant d'au moins cinq ans d'ancienneté dans l'entreprise et d'au moins dix années de cotisations retraite.

Cette disposition représentera une charge financière importante pour l'Etat. En 1994, ce constat avait conduit le gouvernement de l'époque à refuser cette mesure. Elle n'est donc envisageable que si, comme cela a été proposé à la Réunion, les partenaires locaux, conseils régionaux et généraux, ainsi que les employeurs, apportent eux aussi leur contribution financière.

Surtout, elle n'est envisageable que si elle implique de façon rapide et effective des embauches de jeunes, sans que celles-ci traduisent de simples effets d'aubaine. Seules pourront donc en bénéficier les entreprises qui non seulem ent s'engageront à maintenir leurs effectifs après embauche de jeunes, mais surtout qui seront effectivement passées aux 35 heures.

Telles sont donc les grandes lignes de l'amendement que je déposerai au nom du Premier ministre qui a voulu que soit prise en compte, par un dispositif original, la situation démographique particulière de l'outre-mer. Il faut donc répondre à l'attente de jeunes de mieux en mieux formés et leur offrir la perspective d'un travail pour mieux s'insérer dans la société.

Le troisième volet du projet de loi d'orientation vise à renforcer la lutte contre les exclusions.

On connaît le chiffre élevé d'attributaires du RMI : 126 000 foyers, soit 16 % de la population contre 3,3 % en métropole. Toutefois, la comparaison demande à être nuancée.

A cet égard, l'un des nombreux mérites du rapport rédigé à ma demande par M. Bertrand Fragonard, ancien délégué interministériel au RMI, aura été de démontrer le rôle de substitut aux allocations de chômage que joue, dans les départements d'outre-mer, le revenu minimum d'insertion en l'absence de système de droit commun d'indemnisation du chômage. Il ne faut pas nier non plus l'importance du travail dissimulé, le RMI servant alors de couverture sociale.

Il convient donc tout à la fois de permettre le retour à l'activité des attributaires du RMI, d'encourager le travail déclaré et de lutter plus efficacement contre les fraudes.


page précédente page 03962page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

L'allocation de retour à l'activité a pour objet de favoriser la réinsertion professionnelle de bénéficiaires de minima sociaux. Ceux-ci pourront cumuler pendant deux ans le bénéfice de cette allocation avec une activité rémunérée en entreprise ou chez un particulier.

Le titre de travail simplifié se substituera au chèque emploi-service. Son objet est de simplifier fortement les formalités d'embauche et de déclaration afin d'enrayer le développement des activités informelles.

Favorisant le retour à l'activité, ces dispositions ne produiront cependant leur plein effet que si elles s'acc ompagnent de mesures permettant d'améliorer le contrôle du RMI et de clarifier le rôle des organismes chargés de la politique d'insertion.

Il s'agit de prendre pleinement en compte l'existence des agences d'insertion. La loi de lutte contre les exclusions les a transformées en établissements publics locaux et l'article 12 en tire toutes les conséquences organisationnelles. Il est essentiel que tous ceux qui ont droit au RMI y accèdent, mais uniquement ceux qui y ont droit.

Il faut que l'insertion et, en particulier, le retour à l'activité, fonctionnent efficacement. L'agence d'insertion a un rôle central à jouer, en partenariat avec les communes qui seront membres actifs des plans locaux d'insertion, pour mieux répondre aux besoins des allocataires.

Le quatrième volet du projet de loi porte sur la réalisation de l'égalité sociale.

Cette revendication s'est exprimée avec force à la Réunion, autour de la question de l'alignement du revenu minimum d'insertion. Elle existe aussi dans les autres départements d'outre-mer, même si l'accent y est davantage mis sur la nécessité d'une certaine progressivité.

Le Gouvernement juge légitime la revendication de l'égalité sociale et se refuse à baptiser « assistance » ce qui en métropole est dénommé « solidarité ». Il entend aussi que les mesures de retour à l'emploi, d'insertion et de contrôle prennent leur plein effet. C'est pourquoi il avait initialement proposé de réaliser l'égalité du RMI en cinq ans. Votre commission des lois a envisagé que l'alignement proposé se fasse dès la promulgation de la loi d'orientation, ce qui pourrait contrarier la mise en oeuvre des mesures en faveur de l'emploi et de l'insertion.

Le Gouvernement, soucieux de supprimer les discriminations existantes dans un délai plus rapproché, a choisi de se ranger à la proposition de M. Daniel Marsin, rapporteur pour avis du projet de loi, tendant à ramener à trois ans le calendrier d'alignement du revenu minimum d'insertion. Je déposerai un amendement en ce sens.

Cet alignement se fera en maintenant les crédits au bénéfice du logement social qui étaient inclus dans la créance de proratisation. Le Gouvernement montre ainsi qu'il est conscient de la nécessité de poursuivre l'effort en faveur du logement social compte tenu des retards existants.

Au-delà du financement budgétaire, le Gouvernement a prévu de moderniser la politique du logement dans les départements d'outre-mer. Tel est l'objet du titre III du projet de loi.

Ainsi il est prévu qu'un fonds régional d'aménagement foncier et urbain, un FRAFU, soit créé dans chaque DOM. Il permettra d'accélérer les travaux nécessaires à la réalisation de gros équipements d'adduction d'eau, d'épuration et d'assainissement et à la production de terrains viabilisés, en particulier au bénéfice du logement social.

Par ailleurs, les barèmes de l'allocation logement applicables au secteur locatif seront unifiés d'ici au 1er juillet 2001. Cette mesure renforcera la solvabilité des locataires et facilitera les opérations de réhabilitation des immeubles de logements locatifs sociaux.

Après cette démarche vers l'égalité sociale, le projet de loi propose d'affirmer les identités des départements d'outre-mer, de leur donner toute leur place dans notre pays et de leur permettre de s'inscrire dans leur environnement régional. Tel est l'objet du cinquième axe que je voudrais présenter.

Pour la première fois, un projet de loi affirme que les langues en usage dans les départements d'outre-mer, notamment les créoles et les langues amérindiennes, appartiennent au patrimoine linguistique de la nation. A ce titre, elles bénéficieront d'un soutien accru. Néanmoins, valoriser les cultures des départements d'outremer, dont chacun connaît la vitalité et la contribution au rayonnement de notre pays, suppose également que soient accrus les moyens de leur développement.

A ce titre, trois mesures essentielles vous sont proposées : la réduction progressive des écarts de prix des biens culturels entre la métropole et les départements d'outremer, avec, en particulier, un alignement du prix du livre au 1er janvier 2002 ; le développement d'un dispositif de soutien à la production cinématographique dans les départements d'outre-mer ; la création d'un fonds de promotion des échanges éducatifs, culturels et sportifs.

L'identité des départements d'outre-mer découle aussi d e leur appartenance à un environnement régional comprenant dans la quasi-totalité des cas des Etats indépendants avec lesquels nos départements partagent une histoire et une culture communes. Favoriser leur insertion dans cet environnement régional n'est en aucun cas une remise en cause de leur appartenance à la République ; au contraire cela participe à son rayonnement.

Le projet de loi prévoit une plus grande association des exécutifs locaux à l'action internationale de la France.

Dans les domaines de compétence de l'Etat, ces exécutifs pourront recevoir un pouvoir de négocier et signer des accords au nom de la France. Ils pourront également adresser au Gouvernement des propositions tendant à ce que la France conclut des accords internationaux avec les

Etats de leur environnement. Le véritable enjeu de la coopération régionale pour les d épartements d'outre-mer réside dans leur demande ancienne non seulement d'être associés à l'action internationale de l'Etat dans leur zone géographique, mais aussi de pouvoir coopérer directement et le plus librement possible avec les Etats de cette zone. Cette revendication s'est heurtée jusqu'ici, il faut bien le dire, à une fin de non-recevoir des administrations.

Limiter les relations internationales des départements d'outre-mer dans leur environnement régional au seul champ de la coopération décentralisée, c'est-à-dire entre collectivités de même nature, comme le prévoit le droit commun, se révèle en fait inadapté. C'est avec SainteLucie ou Maurice qu'il s'agit de coopérer, pour la Martinique ou la Réunion, et non avec leurs collectivités locales.

Désormais, les conseils généraux et régionaux des départements d'outre-mer pourront demander que leurs présidents puissent, dans leurs domaines de compétence, n égocier des accords internationaux avec les Etats proches. De même, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion pourront demander à participer


page précédente page 03963page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

a ux organisations régionales existantes en tant que membres associés ou observateurs, dès lors que les statuts de ces organisations le permettront.

Tirant les conséquences de sa volonté d'accroître le rôle et la capacité d'action des départements d'outre-mer dans le domaine international, le Gouvernement propose également de renforcer les moyens de cette coopération, en créant des fonds qui seront cogérés par l'Etat et les assemblées locales. Ils permettront de financer les projets de coopération les plus innovants. Ces fonds viendront se substituer à l'actuel fonds interministériel Caraïbes aux Antilles-Guyane et pallieront une absence s'agissant de la Réunion.

Le Premier ministre avait demandé à M. Lise et à M. Tamaya d'explorer les pistes d'avenir pour la décentralisation outre-mer. S'inspirant de leurs propositions, le projet de loi propose aujourd'hui, dans son sixième axe, de confier de nouvelles responsabilités aux départements d'outre-mer.

En premier lieu, les assemblées locales pourront s'exprimer de manière plus systématique sur les textes qui les concernent, tant pour les actes nationaux - projets de loi, d'ordonnance ou de décret - que pour les projets communautaires. Les modes de consultation seront également harmonisés entre les différentes assemblées.

En second lieu, la spécificité des départements d'outremer rend légitime des transferts de compétences.

Il en est d'abord ainsi des routes nationales. Constatant que, depuis déjà plus de quinze ans, le financement et la maîtrise d'ouvrage sont assurés par les régions, certaines d'entre elles ont souhaité qu'un pas supplémentaire soit franchi. Ce projet de loi donne donc la possibilité aux régions qui le souhaitent d'obtenir que l'ensemble de la voirie classée route nationale leur soit transféré.

La pêche est une ressource économique essentielle, pour laquelle le Gouvernement a également souhaité confier aux régions les compétences qu'il détient, sous réserve du droit communautaire et, bien sûr, des engagements internationaux de la France.

De même, certains départements peuvent fonder des espoirs sur l'exploitation des ressources minières du soussol de la mer. Ce projet de loi confie donc aux régions la compétence en matière d'exploration et d'exploitation des ressources non biologiques du fond de la mer et de son sous-sol. Cette compétence s'exercera en particulier lors d e l'octroi des permis exclusifs et des concessions minières. Là encore, comme pour les routes nationales, les services de l'Etat seront mis à disposition des régions pour l'exercice de cette compétence.

Dans le domaine des énergies renouvelables, les départements d'outre-mer présentent une forte concentration puisque la plupart d'entre eux rassemblent des possibilités en énergie géothermique, éolienne, solaire ou obtenue par valorisation de la biomasse, sans parler de l'énergie hydraulique. Il est donc légitime que les régions interviennent directement dans l'exploitation de ces ressources, en ayant la responsabilité d'élaborer et de mettre en oeuvre des programmes de prospection et de valorisation des ressources locales.

La mise en oeuvre d'une politique de l'eau est un enjeu majeur outre-mer, tant les conflits d'intérêt sur son usage sont potentiellement grands sur des territoires de petite taille, mais à forte densité de population. Le projet de loi prévoit donc, à l'instar des agences financières de bassin existant en métropole, la création, dans chacun des quatre départements d'outre-mer, d'un office de l'eau.

Le Gouvernement a également tenu à répondre favorablement au souhait des élus locaux d'une plus forte association des collectivités à l'élaboration de la politique du logement social. C'est pourquoi les conseils généraux seront consultés sur les orientations générales de la programmation des aides au logement social, et les conseils départementaux de l'habitat seront coprésidés par le préfet et le président du conseil général.

Enfin, en Guadeloupe, la position particulière des communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, du point de vue tant de l'histoire que de la situation géographique, justifie qu'elles puissent bénéficier de responsabilités plus directes.

La situation financière des collectivités d'outre-mer est l'objet de préoccupations et nombre d'entre vous, mesdames, messieurs les députés, m'en ont fait part. En particulier, les départements doivent faire face à la croissance importante des dépenses sociales. Ils devront également absorber l'impact financier de l'alignement du RMI. Il était donc essentiel que ce projet de loi prévoie des dispositions pour améliorer leur situation financière.

En faveur des communes, tout d'abord, le projet prévoit une majoration de 40 millions de francs par an de la dotation globale de fonctionnement.

Quant aux départements, ils pourront désormais fixer les taux des droits de consommation sur les tabacs et ils percevront, ou continueront de percevoir, dans le cas de la Guyane et de la Réunion, le produit de ces droits.

Conforter la décentralisation suppose également que nous soyons attentifs aux réflexions et aux projets qui v isent à adapter les structures administratives aux démarches d'aménagement du territoire et à la nécessité de rapprocher la décision du citoyen.

Ces réflexions ont conduit un grand nombre d'élus de la Réunion à souhaiter qu'un second département soit créé dans leur île, avant la fin de la législature, afin de prendre en compte les retards en matière de développement et d'équipement de sa partie sud. Le Président de la République s'est prononcé à deux reprises en faveur d'une telle réforme. Le Gouvernement a également fait savoir qu'il y était favorable.

Il a cependant constaté que les modalités qu'il avait proposées, sur la base d'une concertation approfondie, avaient donné lieu à un avis défavorable tant du conseil général que du conseil régional. Dans le même temps, cependant, treize maires sur vingt-quatre et sept parlementaires sur les huit que compte la Réunion ont réaffirmé leur choix en faveur de cette bidépartementalisation.

Les discussions qui se sont poursuivies avec les élus de la Réunion ont conduit le Gouvernement à valider le compromis qui a émergé localement sur les limites territoriales des deux futurs départements. Ce nouveau redécoupage figure à l'article 38 du projet de loi.

Le Gouvernement demeure cependant attentif aux propositions qui lui seront présentées par les parlementaires de la Réunion quant à la date et aux modalités qui pourront être retenues pour rendre effective cette réforme.

Dans les trois autres départements d'outre-mer, les débats sur l'évolution institutionnelle sont engagés depuis longtemps. J'en viens ainsi au septième axe de ce projet.

Faut-il envisager, dès à présent, une révision de l'article 73 de la Constitution ? Certains l'ont proposé.

Cet article, chacun le sait, a fait l'objet, en 1982, d'une interprétation restrictive du Conseil constitutionnel, saisi, à l'époque, par une opposition qui n'était guère différente de celle d'aujourd'hui.


page précédente page 03964page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Vous savez que les institutions ont leurs contraintes.

Ainsi, le Président de la République, en déplacement en Guyane, avait déclaré le 23 novembre 1997 : « Il faut exploiter davantage toute la souplesse qu'offre la Constitution et, notamment, son article 73 qui a prévu la possibilité d'adapter aux réalités des départements d'outre-mer, grâce à des mesures particulières, le régime législatif et l'organisation administrative. Cela est possible. »

Le fait que le chef de l'Etat, auquel appartient, sur proposition du Premier ministre - et concurremment avec les membres du Parlement - l'initiative en ce domaine, ait paru ne pas retenir l'hypothèse d'une révision de la Constitution, a conduit le Gouvernement à rechercher d'autres voies.

L'article 73 de la Constitution regroupe dans une même catégorie juridique des entités géographiques, humaines, culturelles, qui, pour partager une histoire proche, confirmée en 1946, connaissent des réalités et nourrissent des aspirations bel et bien différentes. C'est pourquoi, avant même d'envisager une évolution institut ionnelle des départements d'outre-mer, le Premier ministre a rappelé qu'il était nécessaire de rompre avec un traitement uniforme qui aboutit à nier identités et aspirations.

La démarche qui vous est proposée se veut respectueuse de ces différences. Ainsi, le Gouvernement entend prendre en compte le choix unanime des forces politiques et des élus de la Réunion qui ont souhaité ne pas voir modifié, pour leur île, le cadre juridique actuel défini par l'article 73 de la Constitution. Dans les trois départements français d'Amérique, si le débat institutionnel a montré des aspirations différentes, il a également fait apparaître des différences sensibles entre les points de vue.

En effet, les lois de décentralisation ont établi l'existence de deux assemblées locales, conseil général et conseil régional, qui toutes deux considèrent avoir, c'est bien légitime, le droit de débattre des questions statutaires. Je partage ce point de vue. Il faut aussi que les populations soient associées aux évolutions statutaires.

Dans ces départements, un consensus peut s'établir sur deux principes : permettre aux assemblées locales de se saisir de la question statutaire et donc de proposer des réformes pouvant aller au-delà de la simple adaptation des lois et des règlements ; permettre aux populations intéressées de se prononcer sur les orientations qui seraient retenues par le Gouvernement sur la base des propositions qui auront émergé localement.

Si les assemblées locales souhaitent débattre de la question institutionnelle, il est préférable qu'elles commencent par le faire ensemble et non séparément ; d'où la proposition du congrès, qui répond à trois raisons.

La première, c'est qu'on ne peut exclure l'instauration d'une assemblée unique parmi les propositions qui émergeront au plan local. D'ores et déjà, des positions ont été prises ou réaffirmées en ce sens. Le Gouvernement, quinze ans après la mise en oeuvre de l'institution régionale, n'entend pas trancher lui-même entre deux légitimités du suffrage universel. L'orientation vers une assemblée unique aurait toutefois une tout autre résonance si elle avait pour fondement la volonté conjointe des deux assemblées actuelles.

La seconde raison réside dans le fait que les populations locales ne peuvent être consultées sur un projet d'évolution statutaire sans avoir été éclairées par un dé bat local approfondi. C'est pour moi un des éléments essentiels de l'exigence de clarté et de loyauté qui s'attache à toute consultation des populations intéressées.

Enfin, vous en conviendrez, l'évolution statutaire, surtout s'il s'agit d'une révision constitutionnelle, n'est concevable que si elle a pour fondement une volonté locale, un projet qui rassemble le plus grand nombre et qui transcende les clivages politiques traditionnels.

Voilà l'approche du Congrès, dont la mise en oeuvre a du reste déjà commencé dans les départements français d'Amérique. Ce fut le cas en Guyane, en février 1999 ; à la Martinique, les deux exécutifs locaux, par un échange de lettres rendues publiques, sont tombés d'accord pour une réunion conjointe de leurs assemblées afin de débattre ensemble de la question statutaire ; en Guadeloupe enfin, la présidente du conseil régional a proposé à son homologue du conseil général la constitution d'une commission mixte. Cela méritait d'être rappelé.

Le choix du Gouvernement est donc clair : rompre avec une vision uniforme de l'outre-mer ; permettre, dans l'avenir, une évolution statutaire dans chaque département d'outre-mer où cette évolution rencontrerait une aspiration claire et forte de la société ; créer, pour ce faire, un cadre permettant, si tel est le souhait des élus, un débat local démocratique et transparent ; permettre enfin aux populations de choisir.

Mesdames, messieurs les députés, sur la question institutionnelle, je crois qu'il n'y a plus d'opposition, au plan national, entre la gauche et la droite. Les récentes déclarations du Président de la République, que j'accompagnais à la Martinique, le 11 mars dernier, en attestent. S'inscrivant dans la démarche du Gouvernement rappelée par le Premier ministre lors de son déplacement aux Antilles, le chef de l'Etat a en effet déclaré que l'évolution des règles statutaires était « dans la nature des choses » et que

« toutes les propositions, dès lors qu'elles ne mettent pas en cause notre République et ses valeurs fondamentales, sont recevables et légitimes ».

Mais il a aussi affirmé une double conviction. S'agissant de la politique de l'outre-mer, il a indiqué qu'elle ne pouvait plus « être appliquée de façon uniforme ». S'agissant de la nécessité de vérifier l'aspiration des populations, il a souligné qu'il était effectivement nécessaire que

« toute modification statutaire substantielle soit explicitement approuvée par les populations concernées ». Il rejoignait, là encore, le choix du Gouvernement de recueillir, préalablement à tout processus juridique d'évolution, l'assentiment de ces populations.

Le débat que nous aurons sur le titre VII du projet de loi qui vous est soumis n'est pas seulement d'ordre juridique, même si le Gouvernement, fort des avis éclairés qu'il a pu obtenir, s'est évidemment attaché à ce que les dispositions qu'il propose soient compatibles avec nos règles constitutionnelles. Je souhaite recueillir sur ce point un large assentiment de l'Assemblée nationale ; il montrera à nos compatriotes des départements d'outre-mer comment, ensemble, nous voulons qu'il leur appartienne, à eux et à personne d'autre, de tracer leur avenir ; un avenir ne sera dicté d'en haut, ni l'otage de nos querelles partisanes dans l'Hexagone.

Le projet de loi comprend enfin des dispositions particulières à Saint-Pierre-et-Miquelon ; c'est le huitième et dernier axe.

Il vous est en effet proposé de modifier la loi du 11 juin 1985 relative à Saint-Pierre-et-Miquelon afin de permettre la représentation au sein du conseil général des différentes composantes politiques et de confier aux deux communes des compétences de droit commun en matière d'urbanisme et de fiscalité locale. Des amendements du


page précédente page 03965page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Gouvernement permettront en outre de renforcer le système de protection sociale applicable à Saint-Pierre-etMiquelon.

Mesdames, messieurs les députés, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, par l'ampleur des financements qu'il entend mobiliser après ceux, considérables, qui ont été inscrits dans les documents des contrats de plan Etat-région et dans les documents uniques de programmation, par les responsabilités accrues qui seront confiées aux élus, par les possibilités qu'il offre à chaque département d'outre-mer de s'inscrire pleinement dans la République, dans le respect de son identité et de ses aspirations, marquera une étape historique dont chacun ici doit avoir pleinement conscience. Cette étape est celle de la responsabilité, du développement et de l'identité. Ces défis, je ne doute pas que les départements d'outre-mer sauront les relever.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. André Thien Ah Koon.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jérôme Lambert, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis de nombreux mois le Gouvernement a ouvert la discussion parmi tous les acteurs locaux, politiques, socio-économiques, culturels sur sa volonté de donner aux départements d'outre-mer un nouveau cadre législatif global qui leur permettra de mieux répondre aux nombreux problèmes auxquels ils se trouvent confrontés. Ceux-ci, je n'en doute pas, seront largement évoqués tout au long de ce débat par nos collègues d'outre-mer, nombreux sur ces bancs.

Cette concertation tous azimuts a mobilisé de très nombreux interlocuteurs dans tous les départements d'outre-mer. Elle s'est appuyée sur différents travaux d'études et de propositions, tels les rapports Mossé et Fragonard et, bien entendu, le rapport parlementaire de nos collègues Lise, sénateur de la Martinique, et Tamaya, député de la Réunion, que j'ai le plaisir de retrouver à mes côtés au banc des rapporteurs.

Nous avions eu également, dans cette assemblée même, un débat d'orientation sur l'outre-mer en octobre 1998, lors de l'examen du budget pour 1999. Toutes ces initiatives n'avaient d'autre but que d'entamer un vaste processus de préparation du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

Sans doute convenait-il de travailler ainsi, car les clichés et les a priori tiennent trop souvent lieu de réflexion sur la situation des départements d'outre-mer. Pourtant, par leur histoire, leur environnement géographique, leur problématique particulière dans de nombreux domaines, ces collectivités nous interrogent en dehors, bien souvent, du cadre qui est le nôtre en métropole. Un équilibre subtil doit être recherché pour parvenir à respecter leurs spécificités tout en permettant leur insertion dans un ensemble plus vaste, porteur de ses propres valeurs.

Le projet de loi d'orientation s'inscrit résolument dans ces perspectives. Il est l'aboutissement d'une longue concertation, d'une écoute attentive de nombreux acteurs locaux. Il entend mettre en place des outils rénovés favorisant un développement économique et social durable outre-mer, dans un cadre institutionnel adapté.

Pour examiner tous les aspects de ce texte qui comporte pas moins de quarante-deux articles traitant de neuf domaines et de très nombreux sujets, trois commissions de notre assemblée ont été mobilisées dans cette dernière phase : la commission des affaires sociales avec son rapporteur Michel Tamaya, la commission de la production et des échanges avec son rapporteur Daniel Marsin, et la commission des lois pour laquelle je rapporte devant vous.

Le travail de la commission des lois a commencé bien en amont de l'examen des différents articles de ce texte, puisque notre commission, il y a maintenant plusieurs mois, avait conduit deux missions parlementaires, l'une aux Antilles et en Guyane, l'autre à la Réunion et à Mayotte, pour y mesurer les attentes quant aux moyens à mettre en oeuvre dans la future loi d'orientation, au lendemain de la publication du rapport de nos collègues Lise et Tamaya.

Nous avons pu mesurer à quel point bien des problèmes que nous rencontrons également en métropole y sont vécus avec une acuité toute particulière, et nous avons compris la spécificité de nombreux autres. Ainsi les Antilles, la Guyane et la Réunion connaissent le chômage et la précarité, mais dans des proportions particulièrement inquiétantes au regard de nos critères métropolitains, et certaines conditions de vie ne les rendent pas plus faciles à vivre. Nos concitoyens ont de plus en plus le sentiment d'être les parents pauvres de la France et vivent cette situation avec frustration et parfois colère. Ils nous demandent de leur donner les moyens de se développer, de sortir le mieux possible d'une économie qui les tient dépendants de la métropole et de quelques potentats. Ces défis, nous devons les relever avec eux. C'est l'objet des titres premier et II de la loi d'orientation, qui traitent du développement économique et de l'emploi, de l'égalité sociale et de la lutte contre l'exclusion, que mon collègue Michel Tamaya, rapporteur pour avis de la commission d es affaires sociales, aura l'occasion, dans quelques minutes, de présenter plus avant. Mais il a eu aussi le soin d'examiner tout particulièrement, au titre IV, le droit au développement de la culture et des identités ultra-marines, sujet d'importance tant il est vrai que l'on ne peut s'ancrer dans l'avenir qu'avec de profondes racines.

Nos compatriotes d'outre-mer nous demandent également de garantir, dans le cadre de la République, des droits fondamentaux tels que celui du logement. C'est l'objet du titre III qui sera examiné plus précisément par n otre collègue Marsin, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges ; il aura en outre particulièrement travaillé sur des aspects du titre VI, relatif à l'approfondissement de la décentralisation.

J'ai pris beaucoup d'intérêt, je dois le dire, à travailler avec mes deux collègues rapporteurs, avec toutes celles et tous ceux, députés d'outre-mer, mais aussi de métropole, malheureusement jamais assez nombreux, qui auront apporté au cours des travaux préparatoires et apporteront encore durant ce débat tout leur coeur et leurs idées pour s'approprier au mieux ce projet de loi.

Les textes sur l'outre-mer ont ceci de commun qu'ils mobilisent plus que tout autre projet un nombre très important de parlementaires parfaitement au fait des questions soulevées. Alors qu'un texte ordinaire ne réunit généralement que quelques spécialistes, un texte traitant de l'outre-mer rassemble tous les élus de ces régions, une vingtaine, tous désireux de s'investir pleinement dans l'examen et la discussion des dispositions présentées.

Croyez votre rapporteur lorsqu'il vous dit que notre


page précédente page 03966page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

travail en devient beaucoup plus riche ; mais croyez-moi aussi lorsque je vous dis que notre tâche en est parfois rendue plus délicate, car il me faut m'entendre et discuter avec des partenaires particulièrement exigeants et vigilants ! Ainsi que nous le verrons tout au long de l'examen des différents articles et des nombreux amendements - près de cinq cents - déposés et discutés dans les diverses commissions, la participation de très nombreux parlementaires des départements d'outre-mer a incontestablement apporté une grande richesse aux débats. Ayant déjà eu l'occasion d'intervenir, en tant que rapporteur, sur de nombreux textes concernant l'outre-mer, et notamment chaque année sur le budget du secrétariat d'Etat, je crois être préparé à la discussion avec mes collègues d'outremer. Je ne me lasse pas d'être à leur écoute, tant ils nous apportent une vision différente de celle que nous connaissons dans nos propres circonscriptions. Mais il m'arrive aussi, pour faire avancer le débat, de formuler des propositions qui tranchent parfois avec l'opinion de certains, même si je m'efforce de prendre en compte le plus grand nombre d'avis, et le mieux possible. Tous ne s'y retrouvent pas toujours ; j'ai pourtant le sentiment que le débat que nous avons instauré a toujours permis un large et franc dialogue, source d'enrichissement pour nous tous et, je l'espère, pour les textes que nous avons à examiner.

C'est donc dans cet état d'esprit, tout à la fois ouvert et empreint d'une grande exigence quant au résultat que nous devions atteindre, que je me suis attelé à ma tâche de rapporteur. Ainsi que je vous l'ai dit, j'ai encouragé chacune et chacun d'entre vous, parlementaires des départements d'outre-mer, à me faire part de vos préoccupations et des vos remarques afin de les intégrer dans ma réflexion et de vous aider du mieux que je pouvais à enrichir le projet gouvernemental de vos propositions.

Compte tenu de la méthode de travail adoptée par le Gouvernement, qui a multiplié les lieux et les circonstances de dialogue autour des idées contenues dans son projet, il n'était pas toujours aisé d'avancer des idées totalement nouvelles tant le champ de la réflexion était large. Cependant, beaucoup d'entre vous ont cherché à apporter à ce projet des amendements visant à améliorer l'application de la future loi.

Aucune intervention en commission n'a remis en cause les grands principes qui soutiennent ce texte, à savoir la recherche de solutions spécifiques à des problèmes dont la nature l'est tout autant ; nous nous sommes cependant efforcés de rechercher des améliorations dans tous les domaines traités. Les rapporteurs pour avis vous donneront des informations sur les aspects importants qu'ils avaient en charge. Je veux cependant indiquer, sans déflorer ce qu'ils ont à vous dire, que le texte du Gouvernement fait l'objet de nombreux amendements visant à améliorer les dispositifs pour l'emploi et pour l'insertion sociale. Il se peut aussi que bon nombre de nos collègues aient été déçus de constater à quel point la constitution de la Ve République encadrait le travail de notre assemblée au point de rendre quasiment impossible toute proposition parlementaire dès lors qu'entraient en ligne de c ompte des considérations financières. Le fameux article 40 a empêché près de cent amendements de venir en discussion - cinq cents ont été, tout compte fait, retenus.

L'article 40 a provoqué bien des frustrations qu'il nous a fallu assumer tout au long des débats préparatoires ; mais on peut penser que le Gouvernement, toujours tenu informé de l'évolution de nos débats, a su nous entendre.

Vos dernières annonces, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le dispositif de préretraite et le RMI tout au moins, montrent que nous avons été écoutés afin de parvenir à un texte encore meilleur.

P our ce qui concernait tout particulièrement la commission des lois, nous avons eu à examiner, au titre V, plusieurs dispositions relatives à l'action internationale de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion dans leur environnement régional ; au titre VI, des dispositions relevant de l'approfondissement de la décentralistation ; au titre VII, des dispositions relatives à l'évolution des départements d'outre-mer ; au titre VIII, des dispositions spécifiques à Saint-Pierre-et-Miquelon ; au titre IX enfin, des dispositions visant à assurer la transparence et l'évaluation des politiques publiques.

Mais, saisie de l'ensemble du texte, la commission des lois a examiné l'ensemble des amendements qui ont été déposés, sur tous les articles, amendements qui étaient en principe recevables au titre de l'article 40 de la Constitution. D'une façon quasi systématique, elle n'a pas souhaité ouvrir à nouveau les débats qui avaient pu se tenir dans les autres commissions, saisies préalablement pour avis. C'est pourquoi, en tant que rapporteur, j'ai apporté mon soutien de principe à tous les amendements qui avaient été adoptés par les commissions des affaires sociales et de la production, afin qu'il ne puisse y avoir lors des débats en séance, sur quelques questions, des avis quelque peu divergents sur les mêmes questions. Au cours de la séance, il me sera toutefois possible de vous exposer un point de vue personnel sur certaines d'entre elles.

Permettez-moi maintenant d'aborder les dispositions qui ont fait l'objet d'une discussion sur le fond en commission des lois et pour lesquelles un certain nombre d'amendements ont été adoptés.

Au titre V, l'article 22 insère dans le code général des collectivités locales cinq articles portant sur les compétences en matière internationale reconnues aux conseils généraux des départements d'outre-mer. L'intitulé du chapitre n'est pas neutre, puisqu'il ancre les nouvelles compétences reconnues aux départements d'outre-mer dans leur environnement régional. Il ne s'agit donc pas de conférer à ces collectivités un pouvoir général de substitution à l'Etat en matière internationale. L'objectif est de permettre à ces départements de prendre des initiatives, de développer des contacts, d'assister et d'éclairer notre diplomatie dans ces régions, tout en veillant à la prise en compte des intérêts des populations de ces collectivités.

L'ouverture vers l'extérieur est un enjeu majeur de ce projet de loi. La recherche d'un meilleur développement passe par des relations suivies et dynamiques avec leur voisinage. Dans le cadre de l'examen de cet article, la commission des lois a dû rejeter plusieurs amendements qui pouvaient présenter un caractère anticonstitutionnel, mais elle en a adopté plusieurs visant à préciser le cadre dans lequel pourront s'exercer ces nouvelles prérogatives départementales.

Toujours au titre V, l'article 23 insère six nouveaux articles dans le code général des collectivités territoriales.

Les cinq premiers reprennent exactement les dispositions de l'article 22 que je viens d'évoquer, en conférant au c onseil régional les mêmes prérogatives que celles reconnues au conseil général. En revanche, la sixième disposition introduit un dispositif nouveau en instituant trois fonds de coopération régionale, un pour les régions des Antilles, un pour la région Guyane et un pour la région Réunion. Alimentés par des crédits de l'Etat, ces fonds peuvent recevoir des dotations du département, de la région ou de toute autre collectivité ou organisme


page précédente page 03967page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

publics. La commission des lois a adopté ce matin un amendement du Gouvernement, qui avait été préalablement présenté par un parlementaire puis retiré au titre de l'article 40. Il vise à instaurer quatre fonds au lieu des trois initialement prévus, afin que chaque région des Antilles, Guadeloupe et Martinique, puisse disposer du sien.

La commission des lois a adopté un article additionnel à l'article 23, précisant que le Gouvernement devra communiquer chaque année aux conseils généraux et régionaux de chaque région ultrapériphérique française, les conventions fiscales conclues entre l'Etat et les pays de la zone géographique respective de chaque région et département d'outre-mer.

Au titre VI du projet de loi, traitant de l'approfondissement de la décentralisation, la commission des lois a eu à examiner l'article 24 qui introduit un nouveau chapitre composé de trois articles au sein du code général des collectivités territoriales.

Ainsi, un premier article tend à réduire à un mois le délai maximum accordé aux conseils généraux, pour donner un avis au Gouvernement dans le cadre de la procédure de consultation relative à des mesures d'adaptation législatives, telles qu'elles sont prévues à l'article 73 de la Constitution. Il comporte, en outre, une disposition nouvelle qui prévoit qu'en l'absence d'avis dans le délai imparti, l'accord est réputé acquis.

Le deuxième article comble un vide juridique en donnant aux conseils généraux un pouvoir d'initiative jusqu'alors réservé aux seuls conseils régionaux. Il s'agit de permettre aux collectivités concernées de présenter des propositions de modification des dispositions législatives et réglementaires en vigueur et de formuler toutes remarques et suggestions relatives au fonctionnement des services publics de l'Etat dans le département.

Le troisième de ces articles vise à permettre aux conseils généraux des départements d'outre-mer d'être consultés par le ministre chargé des départements d'outremer sur les propositions d'actes communautaires prévus par l'article 299-2 du traité instituant la Communauté européenne, ou de formuler des propositions en la matière.

L'article 24 comporte aussi des dispositions relatives aux régions d'outre-mer, en harmonisant par ailleurs des dispositions applicables aux conseils généraux et aux c onseils régionaux des départements d'outre-mer en matière de consultation et d'initiative.

Enfin, la commission des lois a adopté un article additionnel permettant la consultation des conseils régionaux en matière de concessions portuaires et aéroportuaires.

Ensuite, elle a modifié l'article 33 instituant une majoration de 40 millions de francs de la DGF pour les communes des départements d'outre-mer. Elle propose au Gouvernement de porter cette somme à 250 millions de francs, mais j'aurai l'occasion de revenir sur cette question au cours de la présentation en séance des amendements, pour préciser quelle peut être ma position personnelle sur ce sujet.

Désireux de trouver, pour les collectivités locales, des ressources nouvelles leur permettant de faire face à leurs nombreuses charges, les commissaires aux lois ont ensuite adopté un article additionnel après l'article 33, instaurant, comme cela était proposé dans le rapport de nos collègues Lise et Tamaya, un prélèvement sur le produit des jeux dans les départements d'outre-mer qui ne supporte pas le prélèvement opéré par le FNDS sur les enjeux métropolitains.

L'article 34, traite de l'affectation des ressources du fonds régional pour le développement et l'emploi. Dans le droit en vigueur, les ressources du fonds sont affectés aux seules communes sous la forme de subventions arrêtées par le conseil régional dans le but de faciliter l'installation d'entreprises et de créer des emplois dans le secteur productif. La nouvelle rédaction proposée par le projet de loi vise d'abord à élargir les catégories de bénéficiaires de subventions au titre du fonds financé par l'octroi de mer.

Les établissements publics de coopération intercommunale pourront ainsi être destinataires de sommes prélevées sur ce fonds. Dans le même temps, le texte permet l'attribution de subventions destinées à financer les infrastructures publiques nécessaires au déveleloppement des entreprises.

A la suite de l'examen de l'article 34, la commission a examiné plusieurs amendements. Parmi ceux-ci, elle en a rejeté un obligeant les collectivités territoriales de La Réunion, à prévoir la titularisation, aux mêmes conditions statutaires que leurs collègues de la métropole, de tous les agents non titulaires qu'elles emploient. Nous sommes toutefois convenus que les questions relatives à la fonction publique dans les départements d'outre-mer feraient l'objet de la part de notre commission d'un débat global, avec M. Michel Sapin, ministre chargé de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

L'article 35, adopté par la commission, indique les règles applicables pour la fixation du taux du droit de consommation sur les tabacs. Certains craignent de voir se développer un marché parallèle du tabac alimenté par de trop importantes distorsions sur certains prix, du fait de cette disposition. Sans doute, lors de la discussion des articles, le Gouvernement pourra-t-il nous dire si elle est fondée.

Ensuite, nous avons adopté, dans un article additionnel, la faculté pour les communes concernées de percevoir une redevance communale des mines pour les sites géothermiques. Nous avons aussi, après l'article 37, adopté un amendement permettant aux communes balnéaires de percevoir une taxe sur le transport de passagers par voie maritime.

L'article 36 donne à la commune de Saint-Barthélemy, après délibération de son conseil municipal, la possibilité de percevoir une taxe de séjour sur les nuitées hôtelières, et une seconde qui est une taxe additionnelle sur les certificats d'immatriculation délivrés aux véhicules des résidents de l'île, à l'instar de celle en vigueur dans l'île voisine de Saint-Martin.

A ce stade de mon propos, permettez-moi de vous indiquer que les dispositions relatives à ces deux collectivités me semblent en deçà des réponses que nous pourrions apporter à leurs situations particulières, qui sont d'ailleurs assez différentes l'une de l'autre. Saint-Martin n'occupe qu'une partie du territoire d'une île à moitié hollandaise, mais en fait quasiment indépendante, au regard du statut particulier qui est le sien. On comprend que les questions posées, les problèmes soulevés dans une partie du territoire national sans frontière avec une autre collectivité étrangère sont tout à fait singulières. Pour ma part, je souhaiterais que la réflexion du Gouvernement et des acteurs locaux, de l'île de Saint-Martin et de la région et du département de la Guadeloupe, puisse encore progresser. Il ne faut pas oublier qu'une distance de 200 kilomètres sépare la Guadeloupe et Saint-Martin. Si vous me permettez cette comparaison, qui ne vaut peut-être pas raison, Saint-Martin est somme toute dans la même situation vis-à-vis de sa région de rattachement que la Corse l'est vis-à-vis du continent. Cela mérite réflexion.


page précédente page 03968page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Saint-Barthélemy, ancienne possession suédoise, rétrocédée à la France sur la base d'un traité, qui nous est toujours opposé pour faire valoir des exonérations fiscales, entre autres, est dans un autre contexte qui est, lui aussi, très différent, de celui de la Guadeloupe. Vouloir adapter des mesures propres à la Guadeloupe dans cette petite île à l'économie tout à fait différente peut aussi poser quelques difficultés et risquerait de ne pas répondre aux besoins de développement qui y existent. Sur ce point aussi, je souhaiterais que nous approfondissions notre réflexion commune sur l'avenir de Saint-Barthélemy.

Nous en venons maintenant, toujours au titre VII, portant sur l'évolution des départements d'outre-mer, à l'article 38, créant deux départements à la Réunion. Au cours du débat, je sais que plusieurs de nos collègues s'exprimeront sur la question. Un amendement rejetant cette création a même été déposé par un groupe de l'opposition ; le débat aura donc lieu. Pour sa part, la commission des lois a adopté l'article 38 proposé par le Gouvernement sans lui apporter, en l'état de la discussion, des amendements. Toutefois, au cours du débat, la discussion reprenant, il est possible que je puisse soutenir des propositions d'amendement qui pourraient apporter des précisions au texte du Gouvernement.

Chacun attend sans doute que, après l'article 38, j'évoque l'article 39 du projet de loi. Article attendu, je le pense, dans la mesure où sa discussion au sein de la commission des lois a suscité quelques commentaires. Cet article 39, au titre VIII du projet de loi, traite de l'évolution des départements d'outre-mer, porte sur la création d'un congrès dans les régions monodépartementales d'outre-mer.

L'examen par la commission de cet article a débuté par le rejet d'un amendement visant à supprimer cette disposition très attendue du projet de loi. L'article ayant été maintenu, nous avons donc abordé la discussion des amendements qui tendaient à le modifier. Une trentaine d'amendements de toute nature avaient été déposés. Plusieurs ont été adoptés et d'autres, plus nombreux, ont été rejetés par une majorité des commissaires aux lois présents. Ensuite, conformément à la procédure parlementaire, notre président a mis aux voix l'article ainsi amendé, qui a été repoussé, par quatre voix contre trois.

V oilà les faits. Qu'en conclure ? Manifestement, la commission des lois a rejeté l'article ainsi amendé. Nous débattrons donc en séance publique de l'article initial du Gouvernement.

Plusieurs amendements ont été déposés sur ce texte ; ils ont tous été repoussés, ce matin, par la commission des lois qui les examinait selon les dispositions de l'article 88.

Nous aurons donc l'occasion de revenir sur l'article 39.

Pour ma part, je souhaite un débat sans arrière-pensée, qui puisse opposer, si nécessaire, des arguments sincères.

Ainsi, je ne doute pas que nous adopterons des dispositions très largement attendues par nos compatriotes - y compris par le Président de la République. Ils veulent que le cadre institutionnel des départements d'outre-mer qui en exprimeraient le souhait puisse évoluer à travers des modalités de consultation prévues précisément à cet article 39.

Le titre VIII, relatif à Saint-Pierre-et-Miquelon, prévoit l'application de certaines dispositions du projet de loi à l'archipel et apporte des modifications dans l'organisation politique et administrative ainsi que dans la protection sociale de cette collectivité. Des amendements ont été soumis ce matin à la commission des lois par le Gouvernement, et adoptés.

Enfin, le titre IX institue une commission des comptes économiques et sociaux et de suivi de la présente loi d'orientation auprès du ministre chargé de l'outre-mer.

La commission des lois a adopté un amendement portant sur l'examen particulier des aides à l'emploi.

Plusieurs autres amendements ont été ensuite adoptés, tel celui créant un observatoire des prix à la Réunion ou encore, sujet qui a fait l'objet de beaucoup d'interventions, celui tendant à la suppression de la prime d'éloignement. Nous aurons encore l'occasion de nous exprimer dans le débat qui vient.

Pour conclure cet exposé, que j'ai voulu relativement exhaustif mais qui a forcément dû passer rapidement sur des questions que certains d'entre vous pourraient juger, à juste titre, importantes, je vous dirai que la commission des lois a émis un vote positif sur le projet de loi qu'elle avait amendé. Je souhaite que ce débat important soit l'occasion pour nous tous de nous saisir de tous les problèmes qui se posent, même si certains, tel celui posé par les mesures en faveur de l'investissement outre-mer, devront faire l'objet d'un examen ultérieur.

Je sais les préoccupations de nos collègues d'outre-mer.

Je sais aussi leur esprit de responsabilité, et je me félicite d'avoir à travailler avec eux tous sur ce projet de loi attendu par nos compatriotes de l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Michel Tamaya, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, dans sa déclaration de politique générale, le 17 juin 1997, le Premier ministre proposait aux Français la mise en oeuvre d'un pacte républicain pour un développement durable et solidaire qui s'adressait aux Français de métropole comme à ceux de l'outre-mer.

Après la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, Mayotte, c'est aux départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-etMiquelon que le Gouvernement s'adresse aujourd'hui, et qu'il souhaite inscrire dans ce cadre, en proposant un projet de loi d'orientation dont l'objectif premier est le développement durable et la création d'emplois.

Chers collègues, nous allons pendant deux jours examiner les propositions que le Gouvernement a imaginées face à une situation que tous les députés domiens ont décrite à l'occasion de la loi de finances 2000 comme p articulièrement préoccupante. Ces propositions se veulent ambitieuses, exceptionnelles parfois. Et pourtant, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous entendrez dire sur certains points : « Le compte n'y est pas ! » Cela pourrait heurter certains d'entre vous, si je ne rappelais trois éléments qui font la différence avec une situation générale métropolitaine en constante amélioration depuis 1997, et qui éclaireront, du moins je l'espère, utilement notre discussion.

P remier élément : une démographie soutenue. La population des quatre DOM représentait, en 1999, 2,5 % de la population française, un peu plus de 1 600 000 personnes, dont 41 % à la Réunion, avec un taux d'évolution annuelle de deux à dix fois celui de la métropole.

Deuxième élément : un niveau de chômage et d'exclusion destructeur. Alors qu'en métropole nous assistons, et je m'en félicite, à un recul net du chômage, les prévisions actuelles outre-mer ne prétendent que le stabiliser, à des


page précédente page 03969page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

taux 2,5 à 3,5 fois supérieurs à celui de la métropole : 27 % en Guyane, 29 % en Guadeloupe, 30 % en Martinique et 37 % à la Réunion. Imaginez la France métropolitaine avec un nombre de chômeurs aussi élevé ! A cela s'ajoute une conjonction de retards structurels que reconnaît expressément le traité de l'Union européenne, dans son article 299-2 pour légitimer les mesures spécifiques visant à fixer les conditions d'application du traité d'Amsterdam.

Chers collègues, c'est à la lumière de ces indicateurs préoccupants que notre commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné les titres I, II et IV du présent projet qui lui étaient soumis pour avis.

Elle a d'ailleurs perçu comme un choix politique justifié la priorité donnée à l'examen de ces titres consacrés au développement économique et à l'emploi, à l'égalité sociale et à la lutte contre l'exclusion ainsi qu'au développement de la culture et des identités d'outre-mer.

S'agissant du développement et de l'emploi, je veux dire mon accord avec les deux axes stratégiques qu'a retenus le Gouvernement pour lutter contre le chômage et l'exclusion. Le premier vise à diminuer sensiblement le coût du travail pour trois types d'entreprises : les petites entreprises de moins de onze salariés quel que soit leur secteur d'activité ; les entreprises des secteurs exposés à la concurrence extérieure, quel que soit leur effectif ; et les entreprises, enfin, qui, pour échapper à l'étroitesse des marchés domiens, diversifient leurs débouchés commerciaux à l'extérieur.

Le second axe concerne les publics prioritaires : les jeunes, chez qui, je vous le rappelle, le chômage frappe deux fois plus souvent qu'en métropole et dont le projet veut aider la formation, la mobilité et l'emploi ; les bénéficiaires des trois minima sociaux, RMI, allocation de solidarité spécifique et allocation de parent isolé, dont il s'agit de favoriser le retour à l'activité.

C'est un dispositif novateur qui se concrétise dans ce projet de loi par des mesures exceptionnelles : exonérations de cotisations sociales, plan d'apurement des dettes sociales et fiscales, prime à la création d'emplois dans le secteur « export ». Ces mesures vont concerner neuf entreprises sur dix, et, comme le disait M. le secrétaire d'Etat, 115 000 salariés dans tout l'outre-mer.

En outre, le projet initiative-jeune, l'allocation de retour à l'activité, le titre de travail simplifié pourraient bénéficier à 10 000 jeunes et à 10 000 allocataires de minima sociaux.

Vous pouvez en juger : c'est un dispositif ambitieux que notre commission a examiné, précisant et complétant le dispositif pour qu'il soit, naturellement, le plus efficace possible.

L'examen article par article permettra d'y revenir, mais je souhaiterais dès maintenant attirer votre attention et celle du Gouvernement sur deux points.

Il s'agit, d'abord, de vous proposer un article additionnel qui a été adopté par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et par la commission des lois.

Il tend tout simplement à créer un congé solidarité pour faciliter, simultanément, la cessation d'activité des salariés de plus de 55 ans et le recrutement de nouveaux salariés.

Vous venez de nous le confirmer à cette tribune, monsieur le secrétaire d'Etat, vous déposerez un amendement de Gouvernement sur ce dossier important. Je vous en remercie.

Le second point a trait au soutien à l'investissement.

Là encore, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez fait part de votre souci de progresser sur ce dossier en nous réaffirmant que des mesures significatives allaient être prises très rapidement. Je vous en félicite.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à côté de ce volet emploi, un autre choix politique est clairement affiché dans ce projet de loi, celui de l'égalité sociale pour l'alignement sur la métropole des deux minima sociaux, RMI et API. La relance de l'achèvement du processus d'égalité sociale est une exigence de justice sociale largement partagée par les populations des DOM, et à laquelle il convient d'apporter une réponse positive dans ce projet de loi.

S'agissant du RMI, le Gouvernement prévoit de faire passer le délai de cinq à trois ans. Je m'en félicite, mais, pour nos populations, c'est encore beaucoup trop long.

C'est ce que nous avons dit en commission des affaires sociales, laquelle l'a bien compris puisqu'elle a adopté un amendement instaurant un alignement immédiat.

S'agissant de l'allocation de parent isolé, les mêmes divergences entre le projet du Gouvernement et l'avis des commissions sont apparues, aboutissant à l'adoption d'un avis défavorable sur l'article 14 du projet. C'est une situation dont nous ne pouvons nous satisfaire, et je demande au Gouvernement de faire une nouvelle proposition à l'occasion de ce débat.

Mesdames, messieurs les députés, je voudrais conclure mes propos sur l'emploi et la réinsertion en rapprochant deux éléments d'actualité.

Le premier date d'hier : le Premier ministre, dans sa déclaration sur les priorités de la présidence française de l'Union, a rappelé que son objectif était le plein-emploi au terme de la décennie. C'est un objectif auquel nous souhaiterions pouvoir adhérer dans les DOM.

Le second remonte à quelques semaines déjà : c'est la décision du Premier ministre de nommer notre ancien collègue, Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.

Si je rapproche ces deux éléments, c'est que je pense que la création outre-mer d'un vaste secteur d'économie solidaire, à côté de celui de l'économie marchande, est le complément indispensable du présent projet, complété par notre assemblée pour atteindre sinon le plein-emploi, du moins la pleine activité.

De ce point de vue, je souhaite que le Gouvernement prenne toute la mesure de l'espoir que peut représenter le développement d'un tel secteur dans nos régions, face à leurs niveaux de chômage et d'exclusion.

Ces éléments font que, à juste raison, les DOM pourraient être des régions pilotes de l'économie solidaire et sociale, et j'invite d'ailleurs le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire à venir s'assurer sur place de cette remarquable opportunité.

Je voudrais maintenant aborder le titre IV soumis à l'examen de notre commission, qui concerne le développement de la culture et des identités outre-mer.

Nous avons apprécié à sa juste valeur l'intention du Gouvernement de valoriser les cultures et les identités de chaque DOM.

C'est un principe d'action qui va de pair avec l'aspiration à plus de responsabilité, aspiration qui trouve ses réponses dans les autres titres plus « institutionnels » de ce projet de loi, mais c'est aussi un principe qui n'exclut pas non plus l'aspiration à plus d'égalité dans l'accès à la culture de manière générale.


page précédente page 03970page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

C'est sur la base de cette double réalité que notre commission a précisé et complété le projet de loi, en proposant d'être plus volontariste dans le domaine de l'enseignement.

J'évoquerai la loi Deixonne, dont l'application outremer a été adopté.

De même, la commission a jugé utile que l'égalité d'accès aux biens culturels ne se limite pas au livre, mais s'élargisse à la presse et au premier média qu'est la télévision.

Sur ce dernier point, il faut savoir que, dans les DOM, les citoyens ne disposent pas encore de la possibilité d'accéder à la réception intégrale des chaînes publiques nationales, alors que les études techniques du CSA ont montré que c'était possible.

Ainsi, la commission a adopté un article additionnel pour que le CSA soit chargé d'organiser la continuité territoriale des trois chaînes publiques, suivant des dispositifs pouvant être différenciés, après consultation de chaque conseil régional, sans remettre en cause, bien entendu, l'existence des stations de RFO, comme d'aucuns pourraient le craindre.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'en ai terminé avec les titres du projet de loi examinés par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mais, si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais conclure mon intervention en disant que le coauteur, avec le sénateur Lise, du rapport sur l'approfondissement de la décentralisation dans les DOM tient à exprimer sa satisfaction devant le double principe retenu en la matière par le projet de loi.

Très justement, il a su concilier l'aspiration unanime outre-mer à plus de responsabilité et le respect des identités propres à chaque DOM, tout comme il a su tenir compte de la spécificité de Saint-Pierre-et-Miquelon, et des particularités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

S'agissant plus particulièrement de la Réunion, je voudrais souligner ma satisfaction de voir proposer la création d'un second département, conformément au rapport que j'ai signé avec Claude Lise.

Cette démarche peut étonner dans le contexte habituel de la métropole. Pour la comprendre, il faut la restituer dans son contexte géographique et démographique particulier. Après consultations et débats, la proposition faite aujourd'hui par le Gouvernement apparaît raisonnable et équilibrée.

Je voudrais aussi exprimer un regret, celui que l'on n'ait pu aborder de façon plus approfondie la question des agents communaux non titulaires. C'est un problème important pour l'outre-mer. J'ai noté cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement avait l'intention de présenter un projet de loi de modernisation sociale, dont un volet pourrait être consacré à la lutte contre la précarité dans la fonction publique. M. le président de la commission des lois s'est d'ailleurs déclaré favorable à l'ouverture de discussions sur ce dossier ô combien important. C'est une opportunité que nous devons impérativement saisir pour régler définitivement ce dossier, en concertation avec les communes et les organisations syndicales.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour les populations de la Guyane, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Pierre-et-Miquelon, le projet soumis à notre assemblée constitue un acte majeur de cette législature.

Combinée aux autres actions en cours et à celles que j'ai souhaité voir se mettre en place, cette loi va venir conforter aussi l'action de l'Union européenne dans nos régions.

Cette loi d'orientation, dans ce contexte général, se devait d'être à la hauteur des principes républicains qui guident l'action du Gouvernement. Les travaux parlementaires ne peuvent que conforter cette loi ambitieuse, novatrice et généreuse, j'en suis intimement convaincu.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.

M. Daniel Marsin, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, partiellement soumis pour avis à la commission de la production et des échanges, et sur lequel notre assemblée est appelée à débattre, vise à étendre aux départements de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe l'application et les effets du « nouveau pacte républicain » et du « nouveau pacte de développement et de solidarité » que le Premier ministre a proposés à l'ensemble des Français lors de sa déclaration de politique générale le 19 juin 1997.

En effet, lors des débats au sein de notre assemblée, le 23 octobre 1998, à l'occasion de la journée consacrée à l'examen du budget et de la situation de l'outre-mer, les élus des départements ultra marins n'ont pas manqué de souligner qu'alors que la politique mise en oeuvre par la gauche plurielle produisait des effets largement positifs sur l'économie et l'emploi en France métropolitaine, la situation continuait à se dégrader dans les départements d'outre-mer.

Ainsi, en dépit des avancées considérables enregistrées dans nos départements d'outre-mer depuis la loi d'assimilation de 1946, en dépit de toutes les politiques mises en oeuvre depuis des décennies, les indicateurs économiques et sociaux restaient alarmants. A titre d'exemple, on note que le produit intérieur brut par habitant en Guadeloupe ne représente encore qu'un peu plus de la moitié de celui constaté au niveau national.

En réalité, ces départements d'outre-mer souffrent de l'absence de politiques pertinentes, adaptées au traitement de leurs handicaps structurels reconnus par le nouvel article 299-2 du traité de l'Union.

Les difficultés économique des DOM sont encore renforcées par la concurrence de pays tiers, qui fabriquent souvent les mêmes produits et qui tirent malheureusement de leur faible niveau de revenus et de protection sociale des avantages comparatifs qui pénalisent la décision d'investir et l'écoulement des produits de ces départements d'outre-mer.

Dans un tel contexte, les DOM semblent être dans l'impasse, comme l'illustre la situation qu'ont décrite les collègues qui m'ont précédé à cette tribune. Cette situation, qui vaut pour l'ensemble de l'outre-mer, témoigne d'un mal-développement dont les conséquences, bien entendu, sont très préoccupantes.

On l'a dit, le chômage se développe à grande vitesse en Guadeloupe depuis ces deux dernières décennies, au rythme d'un point par an, pour atteindre 30 %. Si rien n'était fait, ce serait plus de 50 % de la population active qui serait condamnée au chômage en l'an 2000.


page précédente page 03971page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Cette situation n'est pas réjouissante et l'on comprend que les jeunes, qui représentent plus de 40 % de la population, sont particulièrement victimes de cette panne économique et sociale.

Bien entendu, tout cela se traduit par les fléaux que sont la délinquance, la drogue et la violence, qui prospèrent allègrement dans nos contrées et menacent la cohésion et la paix sociales. Et ce ne sont pas des mesures de prévention, aussi pertinentes qu'elles pourraient être, ni des actions de répression qui inverseraient la tendance q uand on sait qu'en Guadeloupe, par exemple, 4 2 000 personnes vivent avec une moyenne de 1 000 francs de revenu minimum d'insertion par mois.

Il ressort donc nettement, pour les responsables politiques que nous sommes, tant élus que membres du Gouvernement, que les différentes formes d'emplois aidés ou les revenus sociaux, tels que le RMI, dont le volet insertion souffre de l'insuffisance des opportunités, ne peuvent plus suffire. Il faut des mesures énergiques qui donnent une vraie bouffée d'oxygène à l'économie et donc à l'emploi dans les DOM.

Mes chers collègues, à l'exclusion par le chômage s'ajoute celle par le logement. Une trop large fraction de nos populations connaît encore des conditions d'habitat indignes de notre temps et de la République.

C'est dire que l'effort des pouvoirs publics, déjà considérable, doit être accentué et, de ce point de vue, les collectivités locales manquent d'instruments financiers à la mesure des enjeux, notamment fonciers et urbains. Le projet de loi apporte d'ailleurs un certain nombre de réponses que nous avons considérées comme particulièrement intéressantes.

C'est cette situation sociale, complexe et fragile, que les élus des DOM ont décrite lors de la journée du 23 octobre 1998. Mes collègues et moi-même avons également mis l'accent sur la crise identitaire dans nos départements français d'Amérique et l'aspiration de plus en plus marquée de nos reponsables politiques et de nos forces vives à assumer notre dignité en allant plus avant dans l'exercice de nos responsabilités, sans pour autant remettre n écessairement en cause notre appartenance à la République française. Quant à nos amis de la Réunion, ils viennent de le dire, ils ont quasi unanimement exprimé le voeu d'un réaménagement de l'organisation administrative de leur département, qui devrait être découpé en deux.

Mes chers collègues, il me plaît de dire que le gouvernement de Lionel Jospin nous a écoutés et, surtout, nous a entendus.

Dès le 23 octobre 1998, le secrétaire d'Etat à l'outremer, M. Jean-Jacques Queyranne, nous a annoncé une grande loi d'orientation qui aurait pour objectif de répondre à nos attentes et d'inverser le cours des choses dans nos sociétés insulaires.

Après un an et demi d'études et de concertation, le Gouvernement nous soumet effectivement aujourd'hui un projet de loi qui nous ouvre des horizons prometteurs, même s'il nous revient, dans le cadre de notre travail parlementaire, de l'enrichir pour en faire une grande loi.

D'ores et déjà, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous félicite d'avoir tenu parole.

Cette loi, en effet, positionne d'abord l'objectif de développement économique, de croissance et d'emploi au coeur d'un vaste dispositif, et, dans ce cadre, les mesures prises pour solvabiliser les petites entreprises, qui ont un fort potentiel de développement et d'emplois, ainsi que celles de secteurs prioritaires, en abaissant le coût du travail et en ouvrant la possibilité d'apurer les dettes sociales et fiscales, sont de nature à relancer l'activité économique et à inverser la courbe du chômage.

Le même effet peut être attendu de la mesure novatrice que constitue le projet initiative-jeunes dans sa dimension formation comme dans son volet incitation à la création d'entreprise. Nous devons tous - Etat, collectivités locales - agir pour que nos jeunes compatriotes s'approprient réellement cette disposition et contribuent effectivement à la création de richesses dans leur région.

Dans ce registre du développement économique et de l'emploi, un pas peut être franchi dans le sens d'une plus grande efficacité. Je pense certes à quelques ajustements dans les modalités d'éligibilité, initiales et futures, aux mesures relatives à l'exonération des charges sociales, notamment pour éviter l'effet de seuil - et j'espère qu'au cours des débats, en première ou en seconde lecture, nous trouverons une solution satisfaisante -, mais surtout à l'opportunité de prendre une mesure forte : la mise en place d'un système attrayant et efficace de préretraite contre embauche. Sur ce point, vous nous avez donné satisfaction, puisque le Gouvernement, alors que nos amendements étaient tombés sous le coup de l'article 40, nous a promis de déposer un amendement en ce sens. Je m'en félicite.

A l'occasion de ce projet de loi, le Gouvernement a aussi voulu, fort justement, réaliser des avancées significatives dans le domaine de l'égalité sociale. Ainsi en est-il pour le revenu minimum d'insertion, l'allocation pour parent isolé et l'allocation logement, qui, jusque-là, étaient versés sur des bases inégalitaires par rapport à la métropole.

Vous mesurez, monsieur le secrétaire d'Etat, à quel point je me réjouis de voir cette égalité se réaliser plus rapidement, puisque vous nous avez annoncé que, conformément à notre souhait, vous alliez déposer un amendement permettant de faire passer le délai de rattrapage de cinq à trois ans s'agissant du RMI. Pour ce qui concerne l'API, il y aura peut-être encore des projets en première ou en seconde lecture.

Je profite de l'occasion pour évoquer une question qui nous a particulièrement mobilisés tout au long de nos travaux, celle des ressources des communes. Nous avons noté l'effort du Gouvernement pour doter la dotation forfaitaire des communes de 40 millions. Pour nous, c'est peu et je souhaite que les propositions que nous avons faites en ce domaine soient considérées, travaillées, et que, d'ici à la fin de l'examen de cette loi, nous puissions trouver un dispositif qui convienne mieux et de façon pérenne à nos communes.

Ce projet de loi prend également en compte notre identité et notre aspiration à plus de responsabilité.

Ainsi, un certain nombre de dispositions nous donnent les moyens de développer et d'assurer le rayonnement de nos cultures tandis que d'autres nous permettent de mieux nous affirmer dans notre environnement régional.

De même, pour les transferts de compétences qui nous sont proposés, le rôle majeur des assemblées locales, dans l'orientation du développement durable et solidaire de nos régions, est consacré sans ambiguïté, et le sera davantage encore après l'adoption des amendements que nous aurons l'occasion de discuter ici.

Enfin, pour une fois, depuis les péripéties du projet de loi présenté par Henri Emmanuelli en 1982, ce projet de loi reconnaît explicitement la possibilité, si les élus et les


page précédente page 03972page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

populations le souhaitent, d'une évolution institutionnelle différenciée pour chacun de nos départements d'outremer.

Dans ce registre aussi, comment ne pas féliciter le Gouvernement pour sa capacité d'écoute et de discernement, mais aussi sa lucidité et son attachement au principe de la démocratie ? J'entends effectivement certains de nos compatriotes dire qu'il s'agit là de procédures dilatoires et qu'on pourrait aller plus vite et gagner du temps. Pour ma part, je ne comprendrais pas une telle précipitation. C'est pourquoi je souscris à la méthode proposée en me disant que les délais dépendront en définitive des élus de chaque département et de leur capacité à construire au plus vite un projet, sinon consensuel, du moins largement majoritaire, apte à recueillir l'assentiment des populations concernées, car il ne peut s'agir du projet d'un groupe politique contre un autre, ni des élus contre la population, ni d'une fraction de la population contre une autre.

En tout état de cause, s'il y a une large majorité, je reste convaincu que les contingences institutionnelles imposées par l'article 72 de la Constitution ne pourraient se mettre en travers d'une volonté localement exprimée.

C'est pour toutes ces raisons, mes chers collègues, que, en introduisant le débat devant la commission de la production et des échanges, j'ai considéré que ce projet de loi allait dans le bon sens et qu'il nous revenait de l'enrichir pour en faire une grande loi.

Concernant plus particulièrement les travaux de la commission, l'avis qui nous était demandé portait, d'une part, sur les articles 15 et 16, relatifs au droit au logement, et, d'autre part, sur les articles 25 à 32, qui concernent les transferts de compétences dans le cadre de l'approfondissement de la décentralisation.

L'article 15 participe du processus de renforcement de l'égalité sociale entre les citoyens des départements d'outre-mer et ceux de la France métropolitaine. Ainsi, cet article prévoit l'élargissement du champ et des barèmes de l'allocation logement, qui seront dorénavant plus justes.

L'égalité passe aussi par une action publique plus effic ace en matière d'aménagement foncier et urbain.

L'article 16, en créant le fonds régional, permet de doter les collectivités locales de l'outil qui leur manque aujourd'hui. Sans doute faudrait-il associer davantage les communes. C'est le sens de l'amendement que nous ne manquerons pas de défendre.

Votre rapporteur se félicite aussi du renforcement très significatif des compétences des départements et régions d'outre-mer. Le conseil régional voit son rôle moteur affirmé en matière d'aménagement du territoire, de promotion de l'activité économique, de protection de l'environnement et de gestion des ressources naturelles. Le conseil général, quant à lui, voit son poids se renforcer en matière d'habitat et de gestion de l'eau. Nos amendements permettront d'attribuer franchement ces responsabilités aux départements et régions : leurs présidents doivent assumer la présidence des organismes concernés.

Les communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy, compte tenu de leur situation particulière au sein de l'archipel, se voient transférer certaines compétences jusqu'à présent exercées par le département ou par la région. C'est ce que prévoit l'article 32.

Votre rapporteur aurait aimé traiter également dans son rapport des dispositions d'ordre purement économique, mais il indique que la commission au nom de laquelle il rapporte s'associe pleinement aux travaux de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et qu'elle soutiendra, en tant que de besoin, les amendements qui seront proposés.

S'agissant du domaine économique, vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, quant à la mise en oeuvre avant la fin de l'année, et, si possible, dans le cadre de cette même loi, d'un dispositif de soutien à l'investissement. En effet, le développement de l'activité économique et de l'emploi outre-mer constitue une priorité absolue.

Enfin, pour ce qui est de la question épineuse des transports dans les départements français d'Amérique, qui n'est pas traitée dans le cadre de ce texte mais qui relèverait incontestablement de la compétence de la commission de la production et des échanges, je souhaite simplement qu'une solution soit trouvée d'ici à la fin de l'année pour que ce problème soit réglé, sur la base, bien sûr, des propositions qu'émettront les groupes de travail locaux, propositions qui ne manqueront pas de mettre en évidence nos particularités insulaires ainsi que les dimensions économique, sociale, technique et financière du problème tel qu'il se révèle concrètement sur le terrain.

Pour conclure, votre rapporteur tient à souligner que la commission de la production et des échanges a donné un avis favorable sur les dispositions dont elle était saisie et qui s'inscrivent dans un projet de loi dont l'outre-mer attend beaucoup.

Ce texte apporte des réponses concrètes aux préoccupations de nos compatriotes en matière de développement, d'égalité sociale, de dignité, d'identité, d'emploi, de responsabilité dans le contexte légal actuel. Il nous ouvre également des perspectives, notamment en matière institutionnelle : à nous de les saisir. Je suis convaincu que nous saurons le faire et que, en tout état de cause, à l'issue de ces débats, nous aurons bâti une grande loi.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Henri Plagnol, pour une durée qui ne peut excéder une heure trente. Mais je suis sûr, mon cher collègue, que vous aurez à coeur de faire en sorte que la séance se termine à l'heure prévue.

M. Henri Plagnol.

Je tiens à vous rassurer sur ce dernier point, monsieur le président.

Monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, je reprendrai à mon tour la belle phrase d'Aimé Césaire sur la

« fraternité agissante de cette France multiple et diverse », car elle résume bien la philosophie originelle qui a présidé à la création des départements d'outre-mer avec la fameuse loi historique de 1946.

Plus de cinquante ans après, la République n'a pas à rougir du bilan de la départementalisation. Bien au contraire, cette dernière a permis l'enracinement dans la République de territoires qui y sont, plus que jamais, attachés. Elle a rendu possible un rattrapage économique et social extraordinaire qui n'était que justice, allant jusqu'à la complète égalité sociale voulue par Jacques Chirac en 1995. Elle a également permis - et c'est une réussite incontestable - l'épanouissement de cultures originales


page précédente page 03973page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

dans ces terres de métissage avec des apports chinois, indiens, africains, hindous, européens. Pensons à l'apport extraordinaire pour notre pays que sont les littératures antillaises et réunionnaises.

Cet effort de rattrapage, conduit sur plus de cinquante ans par tous les gouvernements successifs, est d'autant plus remarquable qu'on ne peut pas méconnaître les handicaps objectifs qui ont été rappelés par les orateurs précédents et qui sont liés à l'éloignement, à l'insularité, à l'étroitesse des marchés locaux et, bien sûr, au fameux déficit de compétitivité par rapport à la concurrence des pays proches de ces territoires qui présentent souvent toutes les caractéristiques du sous-développement, que ce soit dans la Caraïbe ou dans l'océan Indien.

Mais ces succès ne doivent pas dissimuler les graves d ifficultés économiques et sociales que connaissent aujourd'hui les départements d'outre-mer : leur économie reste trop tributaire des revenus de transferts, l'essentiel de leur consommation est encore importé, leurs productions primaires - canne à sucre et banane notamment - sont handicapées par des charges sociales qui sont celles d'une économie développée et surtout leur taux de chômage reste, comme l'ont précisé deux des rapporteurs, très élevé - autour de 30 %, et plus encore à la Réunion - même s'il se stabilise, alors que celui de la métropole a tendance à baisser.

Il est donc certainement nécessaire de redéfinir les voies du développement de ces départements en tenant compte également des aspirations nouvelles exprimées par les populations d'outre-mer et de la nouvelle donne européenne et mondiale.

Les termes du débat ne sont évidemment plus ceux de 1946 qui étaient centrés autour du concept d'assimilation. Aujourd'hui, il nous faut concilier deux aspirations contradictoires : celle de plus d'identité d'un côté ; celle de bénéficier des acquis que permet l'appartenance à la communauté française et plus largement à l'Europe, de l'autre.

M. Henry Jean-Baptiste.

Très juste !

M. Henri Plagnol.

C'est à cette aune, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faut évaluer l'ambition de votre texte, intitulé curieusement « loi d'orientation pour l'outremer », ce qui est une novation. Il ne s'agit donc pas d'une loi-programme. Que signifie le terme « orientation », d'autant que la plupart des dispositions de votre projet de loi sont d'ordre réglementaire et qu'elles constituent un ensemble assez hétéroclite et un peu baroque, dans lequel, bien entendu, chacun peut y trouver son compte ? Cela étant, le groupe UDF n'hésite pas à dire qu'il soutient nombre des dispositions de ce texte, notamment dans le domaine économique.

Mais, dans l'ensemble, en ce début du troisième millénaire, ce texte ne donne pas précisément l'orientation qu'étaient en droit d'attendre les populations d'outre-mer, ce signal fort que vous nous aviez annoncé. Il nous semble que ce texte n'est pas à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et institutionnels.

Je rappelle d'ailleurs que votre texte n'a guère suscité d'enthousiasme : il n'a été approuvé que par deux assemblées sur les huit consultées. Il est pour le moins paradoxal qu'un projet qui prétend notamment renforcer les pouvoirs des assemblées locales soit désapprouvé par la majorité de celles-ci.

M. Henry Jean-Baptiste.

Très juste !

M. Henri Plagnol.

Votre projet se concentre prioritairement sur le volet économique et social. Il comporte des d ispositions intéressantes, notamment celles qui s'inscrivent dans le prolongement de la loi Perben dont l'efficacité en matière de création d'emplois marchands n'est plus contestée par personne. D'ailleurs, nous nous réjouissons que vous repreniez ce volet de la loi Perben à votre compte et que vous l'amplifiiez en l'élargissant à toutes les entreprises de moins de onze salariés ainsi qu'aux entreprises des secteurs exposés à la concurrence.

Il est évident que tout ce qui peut contribuer à alléger le coût du travail, à diminuer le différentiel de compétitivité de ces départements par rapport à leur environnement et qui est le problème majeur de ces économies, va dans le bon sens et doit être encouragé. Vous évoquez un coût de 4 milliards de francs par an ; je ne discuterai pas ce chiffre.

Autres dispositions opportunes : l'allocation de retour d'activité, qui s'inspire largement du RMA pour lequel s'était tout spécialement battu notre ancien collègue Virapoullé ; la création d'un titre de travail simplifié, qui constitue une extension du chèque emploi-service et qui permettra, je l'espère, de légaliser une partie du travail au noir, dont on sait bien qu'il est un des problèmes m ajeurs des départements d'outre-mer ; les mesures regroupées sous l'appellation « projet initiative-jeune » et qui visent à encourager les jeunes qui soit créent ou reprennent une entreprise, soit veulent suivre hors de leur département d'origine une formation professionnelle - ces mesures également de simple bon sens, car tout ce qui peut contribuer à développer l'esprit d'entreprise dans des départements qui ont trop souvent le culte de l'emploi public doit être couragé ; l'incitation au départ à la préretraite dans les entreprises qui créeraient des emploisjeunes - il s'agit d'une des propositions avancées par le Président de la République à la Martinique - est également une bonne mesure car, étant donné l'importance du chômage des jeunes, tout ce qui peut favoriser la relève des générations est un élément positif.

Le groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance se réjouit enfin - mais mon collègue de SaintPierre-et-Miquelon exprimera lui-même sa satisfaction sur ce point - que les dispositions en question soient applicables à la collectivité territoriale.

Mais pour opportunes qu'elles soient, ces mesures ne traduisent pas « un modèle original et ambitieux de développement », selon les termes employés par Jacques Chirac à la Martinique. On peut même craindre certains effets pervers si elles ne s'inscrivent pas dans des politiques globales.

A cet égard, je souhaite réagir à une surenchère trop souvent démagogique qui interdit de dire les vérités.

Ainsi, je considère que l'alignement du RMI versé outremer sur celui de métropole aura, nous le savons, des effets pervers qu'il faudra maîtriser. Je rappelle qu'il y a déjà presque 70 000 RMIstes à la Réunion.

En outre, il serait souhaitable, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'extension de l'allocation de parent isolé qui, comme le RMI, répond à un souci légitime de justice sociale, s'inscrive dans une politique globale de la famille, car une telle mesure risque de déstabiliser la cellule familiale déjà très fragilisée dans les sociétés d'outre-mer.

Surtout, ce projet manque des mesures audacieuses qui permettraient de rendre ces territoires réellement compétitifs par rapport à leur environnement géographique en les faisant passer progressivement d'une logique de développement trop fondée sur l'injection de fonds publics et l'assistance à un dynamisme propre. C'est tout l'enjeu de la rénovation urgente d'un mécanisme de défiscalisation.

En effet, presque quinze ans après son entrée en vigueur,


page précédente page 03974page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

la loi de Bernard Pons, à laquelle il faut rendre hommage car elle a permis un réel dynamisme de l'économie de ces territoires, notamment dans le tourisme, a malheureusement été très largement vidée de son contenu.

A cet égard, la manière dont nous légiférons dénote un manque de respect vis-à-vis de notre assemblée, puisque un dispositif dont vous annoncez, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est essentiel à vos yeux, l'est tellement qu'il ne figure pas dans le projet de loi d'orientation. Il est, pour le moment, prolongé provisoirement par l'effet d'une loi de finances et sera peut-être, à l'issue des travaux d'un groupe de travail, réintroduit dans le présent texte par le biais d'un amendement, ou repris dans une autre loi. Comment peut-on sérieusement passer sous silence dans une loi qui se dit d'orientation un dispositif essentiel à la relance de l'économie de ces territoires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.) De même, on ne peut que regretter votre absence de courage sur la question des primes accordées aux fonctionnaires, dont on sait très bien qu'elles contribuent à l'apparition d'une société à deux vitesses, en faisant en sorte que seule la réussite aux concours de la fonction publique est une réelle aspiration pour les jeunes d'outremer.

Vous ne posez même pas le problème de la prime d'éloignement, alors que certains députés - y compris de votre majorité - ont eu le courage de le poser. Il a pourtant fait l'objet d'innombrables rapports, qui se sont empilés sur le bureau des ministres successifs.

A quand des dispositions qui crédibiliseraient votre discours sur la volonté d'offrir à la jeunesse de ces départements un autre horizon que celui de la fonction publique et de les inciter à prendre en main leur destin dans le cadre de votre projet initiative-jeune ? Il y a là une contradiction qui prive très largement de crédit votre projet de loi.

Mais l'essentiel de mon intervention ne concerne pas le volet économqiue et social. Car après tout, s'il n'y avait eu que ces dispositions - qui ne justifient pas le titre de

« loi d'orientation », et qui auraient pu donner matière à un « projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier », par exemple -, il n'y aurait certainement pas eu motif à déposer une exception d'irrecevabilité. L'essentiel est ailleurs, dans le caractère à la fois lacunaire et incohérent du volet institutionnel, volet qui est extrêmement en retrait, y compris par rapport à vos propres propositions, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, celles qui figuraient dans le rapport Lise-Tamaya. Que reste-t-il, finalement, de l'ambition initiale de refonder le pacte entre la nation et les départements d'outre-mer ? Il ne susbsiste de réellement novateur que les dispositions concernant l'action internationale des départements d'outre-mer : l'article 22 donne aux présidents des conseils généraux et des conseils régionaux la possibilité de négocier et de signer des accords internationaux avec les Etats, territoires ou organismes régionaux de la Caraïbe, d'Amérique du Sud ou de l'océan Indien ; il est complété par l'article 23, qui le complète et crée un fonds de coopération géré par un comité tripartite Etatrégion-département.

Il est évidemment très souhaitable d'encourager le développement de la coopération régionale. Cela répond de toute évidence à une aspiration forte des élus de ces d épartements, quelles que soient leurs tendances politiques. L'outre-mer a en effet vocation à être la vitrine de la coopération française. C'est une des chances de notre pays que d'être présent, grâce à ces départements, dans des terres et des océans lointains.

Dans les domaines de la sécurité civile, des établissements hospitaliers, de la météorologie nationale, de la recherche, de la scolarisation, les réalisations de la France dans ces départements peuvent servir de pierre angulaire à une coopération que le monde entier nous envie.

Je note d'ailleurs que ces dispositions ne font que tirer les leçons du succès remarquable de la commission de l'océan Indien, ou tout récemment, celles du premier sommet des chefs d'Etat et de gouvernements du CARIFORUM, présidé par Jacques Chirac lui-même.

Mais en dehors de ce volet, indispensable, de la coopération régionale, volet sur lequel nous sommes, je crois, à peu près tous d'accord, il ne reste rien de vos ambitions initiales, monsieur le secrétaire d'Etat, en ce qui concerne les évolutions institutionnelles propres aux départements d'outre-mer. Pourtant, les propositions n'ont pas manqué - je pense en particulier à celle des présidents des régions Guadeloupe, Martinique et Guyane de créer une assemblée unique pour ces territoires.

S'agissant de la Guyane, d'ailleurs, je crois savoir qu'une proposition de loi tend à substituer au département et à la région une collectivité unique dotée de c ompétences élargies, appelée : « la collectivité de Guyane ».

On ne peut pas complètement dissocier la réflexion sur l'avenir des départements d'outre-mer, même si elle obéit à d'autres considérations historiques et géographiques, de celle relative aux territoires d'outre-mer. Et nous prenons de plus en plus souvent le train pour Versailles pour adopter des statuts sui generis, qui épousent au mieux les aspirations de ces territoires et de ces populations.

On voit donc bien, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est temps maintenant - et ce serait cela la vocation d'une loi d'orientation pour l'outre-mer - de reposer, en remettant en cause certains principes vieux de plus de cinquante ans, le problème du lien institutionnel entre la métropole et les territoires d'outre-mer.

Il y avait là une occasion exceptionnelle à saisir, en ce début du troisième milliénaire. Malheureusement, vous n'avez pas voulu choisir, vous n'avez voulu mécontenter personne, en tout cas aucun de vos amis. Vous vous êtes contenté de greffer sur un statut déjà très lourd et très rigide, celui de département d'outre-mer, tel qu'il est organisé par l'article 73 de la Constitution, qui permet des adaptations à condition qu'elles ne remettent pas en cause le régime législatif et administratif caractéristique des départements -, des dispositions qui vont encore le complexifier, qui sont au mieux inutiles, au pire dangereuses.

Je veux parler du congrès. Le mot fait évidemment penser à des assemblées prestigieuses, destinées à rebâtir complètement les institutions. Qu'en est-il de votre

« congrès » ? Finalement, ce n'est même pas une troisième assemblée, c'est un conclave qui réunirait de temps en temps - deux fois par an, je crois - les conseillers régionaux et les conseillers généraux de ces départements, qui sont tellement immenses qu'ils n'ont même pas la faculté ou l'esprit d'initiative suffisant pour se réunir eux-mêmes quand ils le jugent bon ! Il leur faudrait une loi pour cela.

Ce conclave aurait la possibilité de faire des propositions dans le domaine institutionnel, lesquelles devraient ensuite donner lieu à un vote des assemblées générale et


page précédente page 03975page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

régionale sans que l'on sache le moins du monde quelles seront les conclusions de ces propositions, et ce qui pourrait se passer si une des deux assemblées avait un avis contradictoire avec l'autre sur ces évolutions.

Que peut-il sortir de ce galimatias, de cette création tout à fait baroque ? J'observe d'ailleurs que vous avez été obligé de retirer à ce congrès son caractère de permanence, le Conseil d'Etat vous ayant rappelé que cette création était évidemment contraire à l'esprit même de l'article 73 de la Constitution. En l'absence d'une révision de la Constitution que vous n'avez pas voulu nous proposer, on voit mal ce qu'il resterait du régime législatif et administratif constitutif de ces départements si on créait, uniquement dans ces départements, cette troisième assemblée qui aurait un pouvoir d'avis institutionnel.

En outre, comment peut-on imaginer, sans être en contradiction avec l'article 72 de la Constitution, une forme de subordination des assemblées départementale et régionale qui, elles, ont une vraie légitimité issue du suffrage universel, à ce conclave, encore une fois extrêmement curieux, que sera votre congrès ? A la suite des objections constitutionnelles soulevées par le Conseil d'Etat, vous avez été obligé, en catastrophe, de reculer. Pour ne pas perdre la face, vous avez tout de même maintenu ce congrès, qui est désormais une coquille vide et qui est si peu crédible qu'en commission des lois l'amendement le supprimant a été voté.

M. Jérôme Lambert, rapporteur.

Mais non !

M. Henri Plagnol.

Je vous invite, monsieur le secrétaire d'Etat, à saisir ce prétexte pour renoncer à cette très mauvaise idée. Prenez acte de la sagesse de la commission des lois dominée par votre majorité.

M. Jacques Brunhes.

C'est un accident !

M. Henri Plagnol.

Il est des accidents qui font l'histoire ! Renoncez à la création de ce congrès et donnez-vous le temps d'une vraie réflexion, en vous inspirant notamment du discours fondateur du Président de la République à la Martinique, pour nous proposer un projet sérieux qui permette de moderniser le pacte entre la métropole et les départements d'outre-mer.

Si l'on admet que votre congrès ne sert à rien, que reste-t-il du volet institutionnel, en dehors des très modestes transferts de compétences que vous avez évoqués et sur lesquels je ne reviens pas car ils sont pour la plupart de simple bon sens ? Il reste une disposition dont on se demande ce qu'elle fait dans un projet qui concerne l'ensemble des départements d'outre-mer, puisqu'elle ne vise qu'un seul département : la bidépartementalisation à la Réunion. Il n'y a ici que des parlementaires de la Réunion appartenant à la majorité qui sont, je le sais parce que le député-maire de Saint-Denis l'a dit, favorables à cette modification.

Ce choix est choquant, autant dans la méthode que dans le fond. Il entache profondément la crédibilité de votre projet de loi.

Il y a d'abord une erreur de méthode, qui confine presque au mépris, pour les élus locaux - je ne parle pas des parlementaires - de la Réunion.

Votre projet de réforme a été rejeté par les deux assemblées locales, le conseil général et le conseil régional. Y a-t-il, monsieur le secrétaire d'Etat, un seul département métropolitain qui accepterait qu'un projet de loi redécoupe son territoire, en adoptant au surplus un calendrier extraordinairement brutal ? C'est la seule disposition de votre texte que vous entendez appliquer, comme par hasard, dès 2002, c'est-à-dire, mes chers collègues, quelques semaines après l'élection pour moitié des conseillers généraux de la Réunion qui aura lieu en mars 2001 comme dans tous les départements français.

Est-il admissible, et n'y a-t-il pas là une marque de mépris, qu'on puisse impunément, à la faveur d'une disposition dans un texte où elle n'a rien à y faire, redécouper le territoire d'un département, et ceci en allant contre l'assemblée départementale elle-même ?

M. Jean-Claude Lefort.

Et le charcutage Pasqua, vous ne vous en souvenez pas ?

M. Dominique Bussereau.

C'était celui de PasquaCharasse.

M. Henri Plagnol.

Peut-on imaginer pareille méthode p our le département des Pyrénées-Atlantiques, par exemple, où s'exprime la revendication d'un département basque ? Pourrait-on procéder à un découpage à la sauvette sans tenir compte de l'avis du conseil général ?

M. Jean-Claude Lefort.

Et que s'est-il passé dans le Val-de-Marne ?

M. Henri Plagnol.

S'agissant du Nord Pas-de-Calais, le t erritoire du Valenciennois justifierait largement un d épartement. La Réunion couvre un territoire de 2 500 kilomètres carrés et regroupe 700 000 habitants.

Qui peut croire sérieusement que la création d'un deuxième département va contribuer efficacement au développement économique ?

M. Claude Hoarau.

Moi !

Mme Huguette Bello.

Nous !

M. Dominique Bussereau.

Vous êtes tout seuls.

M. Henri Plagnol.

Alors que tout le projet consiste à dire qu'il est temps que les départements d'outre-mer se dotent des instruments permettant un développement économique fondé sur la libre entreprise et l'initiative, vous feignez de croire que la création d'une administration de plus va générer le développement attendu par la partie de la Réunion la plus en retard ? Ce n'est pas sérieux. Et je ne résiste pas au plaisir, mes chers collègues, de vous citer un extrait du quotidien du parti communiste réunionnais du 13 août 1981, qui, à l'époque, s'émouvait d'un projet de la droite de créer deux départements à la Réunion. Son titre était : « Une aberration é conomique, une aberration administrative, une manoeuvre politique qu'il faut combattre ». Et, plein de bon sens, l'article poursuivait : « Le projet de la droite de créer deux départements dans notre pays, la Réunion, aura comme résultat concret un renforcement du secteur tertiaire, un développement de la fonction publique avec l es fonctionnaires départementaux, les fonctionnairesr égionaux, plus encore les fonctionnaires d'Etat. »

L'article concluait : « Peut-on sérieusement penser que c'est cela qui permettra un développement de la Réunion ? » Ce qui était vrai en 1981 l'est encore davantage en l'an 2000, mes chers collègues.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

C'est dogmatique !

M. Henri Plagnol.

Pourquoi la Réunion serait-elle le seul territoire français dans lequel on irait contre la logique du développement moderne qui est celle - vous le dites vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat - de la


page précédente page 03976page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

décentralisation, une décentralisation qui aille vers l'octroi de vraies responsabilités et, qui permette, bien entendu, l'évolution de grandes régions dans l'Europe d'aujourd'hui ? La chance de la Réunion, comme celle de tous les départements d'outre-mer, c'est d'être le seul département européen de l'océan Indien. Est-il besoin d'en créer un deuxième ? Le rééquilibrage économique nécessaire à la Réunion ne passe pas par la création d'une administration de plus, il passe par une volonté de l'Etat de privilégier, dans un cadre contractuel, les parties du territoire de la Réunion qui ont le plus besoin d'investissements et de créations d'emplois.

M. Henry Jean-Baptiste.

Tout à fait.

M. Henri Plagnol.

Il est dommage d'avoir manqué l'occasion de refonder le pacte entre la nation et l'outre-mer en dépassant la problématique qui était celle de 1946, c'est-à-dire l'assimilation. Le véritable choix audacieux, monsieur le secrétaire d'Etat, aurait consisté à nous proposer de réécrire le titre XII de la Constitution...

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est exact.

M. Henri Plagnol.

... qui n'offre pas d'autre alternative que les départements d'outre-mer d'un côté, et les territoires d'outre-mer de l'autre.

M. Dominique Bussereau.

Très juste !

M. Henri Plagnol.

Il aurait fallu imaginer un statut ouvert, permettant des évolutions adaptées aux singularités de chacun de ces départements...

M. Henry Jean-Baptiste.

C'est vrai !

M. Henri Plagnol.

... à partir des voeux clairement exprimés par les populations, et qui s'inscrivent dans la nouvelle donne européenne et mondiale.

Aujourd'hui, mes chers collègues, même la France s'inquiète des menaces que la globalisation fait peser sur son identité culturelle. Dans chacune de nos régions, existe, vous le savez, une aspiration très forte à retrouver ses racines, son histoire, son génie propre et sa culture locale.

M. Jean-Claude Lefort.

Même à Saint-Maur-desFossés ?

M. Henri Plagnol.

Absolument, même à Saint-Maurdes-Fossés, à l'abri de la boucle de la Marne !

M. Jean-Claude Lefort.

N'importe quoi !

M. Henri Plagnol.

Cette aspiration à davantage d'identité et de reconnaissance est encore plus sensible dans les départements d'outre-mer. Il faut la prendre en compte, avec deux principes forts, ceux-là même qu'a rappelés J acques Chirac à la Martinique : l'adhésion à la République et à ses valeurs, sans compromis sur l'Etat de droit, qui doit être respecté...

M. André Thien Ah Koon.

Comment pouvez-vous citer M. Chirac alors qu'il est pour la bidépartementalisation et que vous êtes contre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Plagnol.

M. Jacques Chirac a été très prudent sur ce thème. Il a dit très clairement qu'il s'en remettait à l'avis exprimé par les Réunionnais.

M. Claude Hoarau.

C'est un Réunionnais qui s'est exprimé !

M. André Thien Ah Koon.

Faites-vous partie de la majorité présidentielle, ou non ?

M. le président.

Mes chers collègues, n'interrompez pas l'orateur, vous pourrez vous exprimer tout à l'heure.

M. Jacques Brunhes.

Lui sait de quoi il parle, au moins !

M. Dominique Bussereau.

Rappelez-vous, monsieur Thien Ah Koon, vous avez commencé à l'UJP !

M. Henri Plagnol.

Pourquoi ne pas permettre aux départements d'outre-mer qui le souhaitent d'aller vers une assemblée unique ?

M. André Thien Ah Koon.

Vous êtes partisan de l'autonomie ?

M. Henri Plagnol.

Ecoutez-moi, au lieu de m'interrompre.

M. Pierre Méhaignerie.

La démagogie, ça suffit, monsieur Thien Ah Koon !

M. le secrétaire d'Etat d'outre-mer.

Que disiez-vous en 1982, monsieur Plagnol ?

M. Henri Plagnol.

Pourquoi en effet ne pas permettre aux départements qui le souhaitent d'aller vers une assemblée unique, puisqu'il semble que cette aspiration existe au moins aux Antilles et en Guyane ? Pourquoi en tout cas ne pas poser le problème ?

M. Jérôme Lambert, rapporteur.

Votez le projet de loi !

M. Henri Plagnol.

Mais, à la Réunion, qui est très attachée au statut départemental, ne créons pas un deuxième département si ce n'est pas le souhait des Réunionnais.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

M. André Thien Ah Koon.

Nous voulons l'égalité institutionnelle !

M. Henri Plagnol.

Pourquoi ne pas envisager l'attribution de certaines compétences législatives dans le cadre d'un statut organique individuel ? Cela vous éviterait, monsieur le secrétaire d'Etat, la tâche extrêmement difficile de devoir modifier la Constitution au cas par cas chaque fois qu'une évolution est souhaitable.

Enfin, il est essentiel que les Antilles, la Guyane et la Réunion soient la plus étroitement possible arrimées à l'Europe, car c'est la chance de ces territoires de bénéficier pleinement de l'aide européenne. Depuis 1987, les programmes spécifiques destinés à compenser les handicaps des départements d'outre-mer, les POSEIDOM, ont é té considérablement développés. Vous avez évoqué l'accord d'Amsterdam et, en particulier, son article 299, alinéa 2 relatif aux régions ultrapériphériques.

Désormais, de par leur caractère propre de régions ultrapériphériques, les départements d'outre-mer bénéficient d'adaptations permanentes à leur situation économique et sociale. C'est, pour les Martiniquais, les Guadeloupéens, les Guyanais, les Réunionnais, un instrument exceptionnel de développement, qu'il leur appartient de mettre en valeur, nous pouvons tous nous rassembler au moins sur ce point. C'est une des priorités de l'ordre du jour de la présidence française de l'Union européenne.

L'appartenance de ces départements à la France, et plus largement à ce grand ensemble qu'est l'Europe, est le meilleur atout pour leur développement. A nous et à vous, monsieur le secrétaire d'Etat, de saisir le débat qui commence pour leur offrir un statut qui leur permette d'épanouir leur génie propre tout en restant attachés à la France et à l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


page précédente page 03977page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

M. Camille Darsières.

Pourquoi une exception d'irrecevabilité alors ?

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jérôme Lambert, rapporteur.

Nous venons d'assister à un détournement de procédure. L'exception d'irrecevabilité, et ce n'est pas la première fois que nous le disons à l'opposition, a en effet pour objet de démontrer le caractère anticonstitutionnel de certaines dispositions d'un projet de loi. Or M. Plagnol n'a pas fait une telle démonstration. Il a dit beaucoup de choses - certaines complètement fausses d'ailleurs.

Vous avez dit par exemple, monsieur Plagnol, que le congrès se réunirait deux fois par an. Mais ce n'est pas ce qui est écrit dans le projet de loi qui est actuellement soumis à notre examen. Manifestement, nous n'avons pas le même texte sous les yeux, ou vous ne l'avez pas étudié.

M. Henri Plagnol.

J'ai dit que le congrès n'était pas permanent.

M. Jérôme Lambert, rapporteur.

Je citerai un autre exemple, qui montre que vous avez peu suivi nos travaux.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vous avez affirmé que la commission des l ois avait voté un amendement de supression de l'article 39. Pas du tout, il a été rejeté comme je l'ai expliqué tout à l'heure.

Je reste donc sur ma faim et je pense que notre assemblée ne votera pas l'exception d'irrecevabilité, car par aucun de ses arguments, M. Plagnol n'est parvenu à démontrer l'anticonstitutionnalité d'une quelconque disposition de ce texte.

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Monsieur le président, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt la démonstration de M. Plagnol qui avait d'ailleurs déjà défendu une exception d'irrecevabilité à propos du texte relatif à Mayotte. Déjà, il avait tenté de nous faire la même démonstration par l'absurde - c'est le théâtre de l'absurde que l'on aime au groupe UDF ! M. Plagnol nous disait à propos de Mayotte que la consultation ne devait pas avoir lieu maintenant parce qu'elle était inconstitutionnelle. M. Plagnol poursuivait que si une consultation avait été promise aux Mahorais, celle-ci pourrait avoir lieu dans dix ans, mais pas tout de suite.

Le Conseil constitutionnel ne vous a d'ailleurs pas suivi, monsieur Plagnol, puisqu'il a simplement annulé une disposition introduite par vos amis au Sénat, maintenant l'intégralité du texte proposé par le Gouvernement.

Nous sommes ici dans l'univers de Beckett. Je ne sais pas si l'on attend Godot, en tout cas vous auriez pu essayer de trouver d'autres arguments que ceux que vous venez d'exprimer. (Sourires.)

Comme l'a souligné le rapporteur, une exception d'irrecevabilité vise à démontrer l'inconstitutionnalité d'un texte et à fonder éventuellement un recours. Je n'ai rien entendu qui puisse justifier un recours sur le plan de la constitutionnalité. Vous le déposerez peut-être. En tout cas, vous n'avez rien démontré devant cette assemblée.

Vous avez porté un jugement favorable sur plusieurs dispositions, critique sur d'autres. C'est le rôle de l'opposition. Mais, s'agissant des mesures institutionnelles, je constate une conversion foudroyante.

En 1982, j'étais alors parlementaire, un projet de loi p roposait d'établir l'assemblée unique. L'opposition d'alors, qui est la même aujourd'hui, a déféré cette loi devant le Conseil constitutionnel, compromettant la réforme. Je remarque que vous vous y êtes désormais ralliés. Vous allez même jusqu'à dire qu'il faudrait un nouv eau cadre constitutionnel pour l'outre-mer. Quelle audace d'un seul coup ! Quelle transformation ! Mais quand nous vous suggérons de réunir les deux légitimités démocratiques qui existent, le conseil général et le conseil régional, parce que j'estime ne pas avoir le droit de trancher entre ces deux légitimités, quand nous proposons que la révision éventuelle de la constitution soit une émanation de cette institution, vous qualifiez le congrès d'institution baroque ou de coquille vide. Non ! Le congrès sera le lieu d'élaboration outre-mer des projets de réforme en matière institutionnelle. Il faut que la confrontation des idées ait lieu dans une institution qui, justement, le permette.

Enfin, votre critique sur la bidépartementalisation ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Il est bien du pouvoir du Parlement de modifier les limites d'un département existant. Il n'y a pas là motif à justifier une exception d'irrecevabilité.

En fait, monsieur Plagnol, derrière votre argumentation, je relève une certaine pauvreté de projet et de proposition, comme si vous n'aviez plus de doctrine en ce qui concerne l'outre-mer.

Pendant fort longtemps, la droite s'est ralliée à la départementalisation dont les principaux avocats, en 1946, appartenaient à la gauche de cette assemblée : Aimé Césaire, Gaston Monnerville, Raymond Vergès. Voilà la réalité. Relisez les débats de 1946 ! Que la droite ait cheminé vers la départementalisation, c'était positif. Mais aujourd'hui, où en est-elle ? Dans quel « tohu-bohu institutionnel » se trouve-t-elle pour refuser la bidépartementalisation à la Réunion pourtant souhaité par les élus et le président de la République - comme ils l'ont exprimé à plusieurs reprises - tout en disant qu'il faut jeter à bas la Constitution et son article 73 qui régit aujourd'hui les départements d'outre-mer ? Cette exception d'irrecevabilité venant du groupe centriste me paraît pour le moins irréaliste, et en tout cas irrecevable. Je souhaite donc que l'Assemblée nationale la repousse.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux explications de vote d'une durée maximale de cinq minutes.

La parole est à M. Elie Hoarau, au nom du groupe Radical, Citoyen et Vert.

M. Elie Hoarau.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'exception d'irrecevabilité de M. Plagnol vise principalement à contester l'article 38 du projet de loi, qui tend à créer deux départements à la Réunion.

Personne ne peut se tromper sur la signification de cette démarche.

La création de deux départements à la Réunion est une mesure de réorganisation administrative exempte d'ambiguïté, qu'il s'agisse de la procédure à suivre ou de la compétence du législateur. La représentation nationale a d'ailleurs procédé dans un passé récent à de telles réorg anisations - en Ile-de-France et en Corse notamment. En réalité, la motion d'irrecevabilité déposée par notre collègue est une prise de position politique contre l'opportunité de cette réforme. J'entends pour ma part démontrer l'opportunité et la nécessité de cette réforme, souhaitée par les députés de la Réunion unanimes.


page précédente page 03978page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

Pour éclairer nos collègues sur la réalité du débat politique à la Réunion, ils convient de rappeler que, durant les deux dernières années, la totalité des forces politiques à la Réunion, y compris celle à laquelle appartient l'auteur de la question d'irrecevabilité, se sont prononcées pour la création de deux départements à la Réunion.

M. Pierre Méhaignerie.

Mais non !

M. Elie Hoarau.

Ce fait mérite d'être souligné ; il révèle que, lorsque le débat est abordé de façon sereine, loin des considérations politiciennes, la réorganisation administrative de la Réunion en deux départements apparaît comme une mesure de bon sens répondant aux exigences du développement de l'île. Elle a aussi le mérite d'inscrire la Réunion dans le droit commun national des régions pluridépartementales.

Consultés par le Gouvernement sur la réforme administrative, les conseillers généraux de la Réunion, l'honnêteté commande de le dire, se sont exprimés majoritairem ent pour le principe de la création de deux départements. Et s'ils se sont prononcés majoritairement contre l'avant-projet du Gouvernement, c'était pour rejeter les limites des futurs départements. Le Gouvernement en a d'ailleurs tenu compte puisque, dans le projet qui nous est soumis, de nouvelles limites nous sont proposées.

Mais revenons-en au débat. Certaines données doivent être prises en compte. Parmi celles-ci, il y a celles de la démographie. Lors de son classement en département en 1946, la Réunion comptait 250 000 habitants. En 1990, elle en comptait 600 000. Aujourd'hui, elle a franchi le seuil de 700 000. D'ici à vingt-cinq ans, elle atteindra 1 million d'habitants.

Nous avons considéré qu'il fallait adapter les structures administratives de la Réunion à cette évolution démographique. C'est ce qui a semblé étonner notre collègue tout à l'heure, quand il a fait allusion à une position de notre parti datant de plus de vingt ans.

Par ailleurs, la tertiarisation de l'économie de la Réunion, favorisant une concentration des activités dans le nord de l'île, avec, pour corollaire, une progression démographique, a aggravé les déséquilibres de l'aménagement du territoire. Il n'est pas étonnant de constater que le nombre de chômeurs et de RMIstes soit deux fois plus élevé dans le sud que dans le nord de la Réunion et que les revenus des ménages y soient beaucoup plus faibles.

Or nous ne pouvons pas accepter cette situation, qui se traduit par une Réunion « à deux vitesses ».

Si l'on veut corriger les déséquilibres actuels et anticiper les prévisions, la création d'un deuxième département - qui permettra l'émergence de pôles d'activités ailleurs qu'à Saint-Denis - s'impose.

M. Pierre Méhaignerie.

C'est fou d'entendre cela !

M. Claude Hoarau.

Qu'est-ce que vous en savez ?

M. Pierre Méhaignerie.

C'est d'une démagogie !

M. Elie Hoarau.

Ces données vous gênent ?

M. le président.

Il faudrait conclure, mon cher collègue.

M. Elie Hoarau.

En contribuant au rééquilibrage de l'aménagement du territoire, la bidépartementalisation répond aux exigences du développement de la Réunion.

La création d'un deuxième département générera une nouvelle dynamique comparable à celle qui a accompagné la départementalisation en 1946. Ce nouveau souffle interviendra à un moment où la Réunion doit passer à une nouvelle phase de son développement et s'ouvrir sur de nouveaux horizons.

En conclusion, la bidépartementalisation ne signifie pas, comme certains l'ont dit, couper la Réunion en deux ni diviser les Réunionnais. C'est bien plutôt la persistance des déséquilibres actuels, qui provoquent un sentiment d'injustice dans une grande partie de la population de notre île, qui est source de division.

Offrir à toutes et à tous les mêmes chances de développement, n'est-ce pas le meilleur garant de la cohésion, de l'unité et du développement durable et solidaire de la Réunion ! C'est ce défi que la bidépartementalisation permettra de relever, non pas à elle seule, mais accompagnée de toutes les mesures, économiques, sociales et culturelles nécessaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Louis Mermaz, au nom du groupe socialiste.

M. Louis Mermaz.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette exception d'irrecevabilité a eu au moins pour mérite de permettre que le débat s'engage avec une certaine énergie.

Cela étant, on n'a pas encore découvert de raison juridique ou constitutionnelle qui puisse nous conduire à la voter. D'ailleurs, les propos de M. Hoarau sur la bidépartementalisation à la Réunion, qui m'ont semblé partagés par au moins un de ses collègues de l'île, me dispenseront d'en parler davantage.

La politique, au sens le plus noble du terme, doit toujours primer sur les considérations juridiques, aussi respectables puissent-elles être. De nombreuses dispositions de ce projet de loi ont déjà été améliorées par nos diverses commissions ; le Gouvernement y a été sensible, puisqu'il a bien voulu sauter « à pieds joints » au-dessus de l'article 40, au moins à deux occasions. Je vous assure qu'aux Antilles, à la Réunion, l'opinion est tournée vers cette discussion. On nous attend ! Il est donc impensable que le débat s'arrête. D'ailleurs, je suis sûr que M. Plagnol, qui est un esprit distingué, n'y pense pas du tout.

(Sourires.)

Pour toutes ces raisons, nous allons discuter de ce qu'il a dit et de ce qui a déjà été dit. Avec le Gouvernement, nous allons tout faire pour améliorer le texte. Même si la construction du congrès peut sembler un peu « baroque » - après tout, le baroque peut être une belle figure architecturale -, ce qui compte, c'est plus le contenu que le contenant. Et si cela permet de faire enfin évoluer les institutions dans les départements d'outre-mer, tout le monde en sera heureux. Davantage de responsabilité doit permettre davantage de bonheur social, comme disait un révolutionnaire français.

Nous allons être nombreux à voter contre cette exception d'irrecevabilité. Je ne pense pas au demeurant que

M. Plagnol en sera trop marri...

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Dominique Bussereau, au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Dominique Bussereau.

Notre groupe a toujours été fermement opposé à la bidépartementalisation. Nous l'avons indiqué lors du débat d'orientation sur l'avenir de l'outre-mer français et je l'ai dit à plusieurs reprises en commission des lois. Je ne reviendrai donc pas sur les excellents arguments qu'a développés Henri Plagnol. Au cours de la discussion générale, j'indiquerai les raisons de forme et de fond pour lesquelles nous y sommes


page précédente page 03979

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 10 MAI 2000

complètement opposés. Mais ne nous faites pas prendre des vessies pour des lanternes ! Le Gouvernement et certains partis de sa majorité plurielle ont choisi de créer un

« bourg pourri » comme par hasard, à quelques encablures des élections cantonales, législatives et présidentielles.

M. Henri Plagnol.

Exactement !

M. Dominique Bussereau.

Cette manoeuvre administrative se traduira par des créations de postes de fonctionnaires. Aux problèmes économiques et sociaux du sud de la Réunion, on répond de façon politicienne. On cherche à créer quelque chose qui ne s'inscrit pas dans la tradition républicaine. Or on ne touche pas à l'organisation républicaine à l'approche d'une élection ! C'est absolument inadmissible ! C'est la raison pour laquelle nous voterons, b ien évidemment, cette exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes, au nom du groupe communiste.

M. Jacques Brunhes.

Bertolt Brecht disait : « Ainsi va le monde et il ne va pas bien. » On pourrait dire

: « Ainsi vont les DOM-TOM - les DOM surtout - et ils ne vont pas bien. »

Un projet vise à améliorer la situation. Le vote d'une motion de procédure, monsieur Plagnol, entraînerait automatiquement son rejet. J'en conclus que, par fixisme de pensée, par une volonté absolue de freiner toute évolution, vous ne voulez pas d'améliorations dans les DOMTOM, que celles-ci soient sociales, économiques ou institutionnelles.

Je me suis rendu à la Réunion avec la commission des lois. M. Bussereau faisant partie de la délégation, présidée par Mme Tasca. Nous avons alors évoqué ce problème de la bidépartementalisation. Et je suis frappé d'entendre un certain nombre de nos collègues nous annoncer aujourd'hui qu'ils sont contre la bidépartementalisation, alors qu'hier, ils nous avaient annoncé qu'ils étaient pour.

M. Dominique Bussereau.

Mais non !

M. Jacques Brunhes.

Mais si !

M. Dominique Bussereau.

Je n'y ai jamais été favorable !

M. Jacques Brunhes.

Je n'ai pas parlé de vous, monsieur Bussereau.

Un certain nombre de gens ont modifié leur position, je trouve cela assez étonnant. Mais aujourd'hui, contrairement à ceux qui font preuve d'un certain fixisme de pensée, nous allons de l'avant avec un texte nouveau, et c'est cela qui est important.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Emile Blessig, au nom du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.

M. Emile Blessig.

Il y a un point sur lequel tous les représentants de cette assemblée sont d'accord : il faut qu'un dialogue s'instaure sur l'évolution institutionnelle dans les DOM et sur le lien existant entre la nation et les DOM. Reste à savoir si, pour l'introduction de ce dialogue, il faut créer une structure ad hoc, en l'espèce le congrès.

Ce n'est pas du « fixisme de pensée » que d'engager le débat et de soutenir que si les conditions du dialogue sont réunies, s'il y a une volonté d'avancer, il n'est pas besoin de tergiverser sur la forme. Or, en l'espèce, tel qu'il est présenté ici, le congrès n'est qu'une institution de forme. De deux choses l'une : soit on veut progresser sur le fond, et on n'a pas besoin de structure supplémentaire ; soit la structure supplémentaire proposée est un alibi, un moyen de gagner du temps. C'est la première raison pour laquelle le groupe UDF votera cette exception d'irrecevabilité.

S'agissant de la bidépartementalisation, deux problèmes se posent. Certains pensent que le développement économique est modulé par les institutions ; certains autres s'attachent aux conditions de fond. Et aujourd'hui, dans le cadre de cette exception d'irrecevabilité, on peut se demander si, à quelques mois des élections, une loi peut partager un département sans l'accord explicite de ses assemblées délibérantes.

Voilà pourquoi le groupe UDF votera cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 2322, d'orientation pour l'outre-mer :

M. Jérôme Lambert, rapporteur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2359) ; Michel Tamaya, rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 2356) ; Daniel Marsin, rapporteur pour avis, au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 2355).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT