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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

RAYMOND

FORNI

1. Questions au Gouvernement (p. 6333).

M. le président.

RENTRÉE

SCOLAIRE ET

UNIVERSITAIRE (p. 6333)

MM. Yves Durand, Jack Lang, ministre de l'éducation nationale.

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE (p. 6334)

M. Gaëtan Gorce, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

ÉLECTIONS EN

YOUGOSLAVIE (p. 6334)

MM. François Loncle, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

AFFRONTEMENTS ISRAÉLO-PALESTINIENS (p. 6335)

MM. René Mangin, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

CRISE EN

SERBIE (p. 6336)

MM. Alain Juppé, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE (p. 6336)

Mmes Nicole Catala, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE (p. 6338)

M. Jacques Barrot, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

ACCORDS DE MATIGNON

SUR LA

CORSE (p. 6339)

MM. Henri Plagnol, Lionel Jospin, Premier ministre.

TRANSACTIONS

FISCALES (p. 6341)

M M. Philippe Houillon, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE (p. 6342)

M. Patrick Malavieille, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

RECHERCHE DE LA PAIX AU

PROCHE-ORIENT (p. 6342)

MM. Michel Vaxès, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

CONSÉQUENCES

OUTRE-MER DE L'AUGMENTATION

DES

PRIX

DES

PRODUITS PÉTROLIERS (p. 6343)

MM. Alfred Marie-Jeanne, Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Suspension et reprise de la séance (p. 6343)

PRÉSIDENCE

DE

M.

PIERRE

LEQUILLER

2. Épargne salariale. - Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 6343).

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur de la commission des finances.

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 6351)

Mme Nicole Bricq,

MM. Jacques Godfrain, Daniel Feurtet, Jean-Jacques Jégou, Yves Cochet, François Goulard, Jérôme Cahuzac, Mme Roselyne Bachelot-Narquin,

MM. Jean-Pierre Brard, Jacques Barrot, Gérard Charasse, Gilles Carrez.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Désignation de candidats à des organismes extraparlementaires (p. 6367).

4. Air France. - Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire (p. 6367).

5. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6368).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Mesdames, messieurs, je suis heureux de vous retrouver.

Et j'ai également le plaisir de souhaiter la bienvenue à notre nouveau collègue, M. François Perrot, qui remplace

M. Christian Paul, nommé membre du Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Je rappelle que notre séance se prolongera jusqu'à seize heures et huit minutes.

Nous commençons par les questions du groupe socialiste.

RENTRÉE SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE

M. le président.

La parole est à M. Yves Durand.

M. Yves Durand.

Monsieur le ministre de l'éducation nationale, depuis maintenant près d'un mois, élèves et enseignants travaillent dans la sérénité.

(Exclamations sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Aujourd'hui, s'effectue la rentrée universitaire dans de bonnes conditions, semble-t-il.

La rentrée scolaire a ainsi eu lieu sans incident, ni dysfonctionnements notoires. Je veux y voir le résultat du travail de réforme engagé par le gouvernement de gauche depuis trois ans, et notamment par vous-même, monsieur le ministre, depuis le mois de mars.

M. Charles Cova.

Et Allègre ?

M. Yves Durand.

L'éducation est redevenue la priorité du Gouvernement et constitue à nouveau le premier budget de la nation. Les Français sont donc en droit d'exiger que leur école soit encore davantage celle de la réussite scolaire et offre à chaque enfant, à chaque jeune les meilleures chances de réussite professionnelle et d'insertion sociale.

Lors de votre conférence de presse de rentrée, vous avez, monsieur le ministre, ouvert quelques pistes pour améliorer encore notre système scolaire. Pourriez-vous préciser devant la représentation nationale les orientations que vous envisagez de suivre pour l'année scolaire et universitaire qui commence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale.

On peut se réjouir sur l'ensemble des bancs de cette Assemblée que la première question posée en ce début de session porte sur un tel sujet.

La réussite dont vous venez de parler, monsieur le député, est l'oeuvre collective des personnels de l'éducation nationale : professeurs, chefs d'établissement, recteurs, inspecteurs, administrateurs et personnels ATOS.

Ce sont eux les premiers artisans de cette réussite et je tiens, en votre nom, à leur rendre à nouveau hommage.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Le Premier ministre m'avait confié la mission de renouer le dialogue et de recréer la confiance. Il m'avait surtout demandé de participer à la rénovation de notre école républicaine. Vous m'interrogez précisément sur les changements en cours et ceux à venir car nous sommes bien décidés à faire avancer les choses. Sachez que les premières réformes entrent dès à présent en application dans l'enseignement scondaire, le lycée, le lycée professionnel - et Jean-Luc Mélanchon y a activement contribué - et le collège. Par ailleurs, les importantes innovations pédagogiques engagées par nos prédécesseurs se concrétisent ; je pense en particulier à l'aide individualisée ou aux travaux pluridisciplinaires.

Mme Christine Lazerges.

Très bien !

M. le ministre de l'éducation nationale.

Pour l'école m aternelle et primaire, le plan annoncé en juin commence à devenir réalité. Ce plan porte sur plusieurs points : la rénovation de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, l'enseignement de deux langues vivantes étrangères, la généralisation de l'expérimentation scientifique, l'éveil culturel et sensible et la maîtrise des nouvelles technologies. Nous espérons ainsi que l'ensemble des écoles de France seront équipées en ordinateurs avant un an.

Pour le futur, c'est-à-dire pour les prochains mois, de nouveaux chantiers de transformation ont été ouverts. Ils portent en particulier sur la transformation du collège, sur la rénovation de la formation des enseignants et sur la refondation des programmes.

M. Yves Fromion.

C'est déjà fait !

M. le ministre de l'éducation nationale.

Des mesures seront annoncées au tout début de l'année prochaine.

Pour permettre la réalisation de ces changements, le P remier ministre a dégagé des moyens nouveaux.

D'abord, grâce au collectif de juin - je le rappelle, c'était le premier collectif de printemps pour l'éducation depuis 1981. Ensuite, le budget de 2001 que vous examinerez dans quelques semaines permettra de donner un nouveau souffle et un élan à l'éducation nationale. Enfin, et c'est l'objet de votre question, monsieur le député, le plan pluriannuel, qui sera arrêté avant la fin du mois d'octobre, annoncé au printemps, ouvrira de nouvelles perspectives et marquera notre volonté de ne pas relâcher l'effort.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Bref, plus que jamais, et sans jamais renoncer à aucune ambition, nous nous efforcerons de construire un service public national de l'éducation fort et créatif.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Si les réponses aux questions pouvaient tenir dans le temps imparti, tout le monde serait satisfait...

M. Jacques Myard.

M. Lang est un mauvais élève ! (Sourires.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE

M. le président.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, depuis plusieurs mois, nous suivons avec attention l'évolution - ou plutôt les évolutions - des négociations sur la réforme de l'assurance chômage dont on ne peut que se réjouir puisqu'il était nécessaire d'améliorer l'articulation entre politique de l'emploi et politique d'indemnisation. Mais si l'on peut se féliciter de la forte implication des partenaires sociaux, et en particulier des organisations syndicales de salariés, on ne peut aussi que regretter que la principale organisation patronale ait souhaité imposer à toute force son point de vue tout au long des discussions.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Là se trouve sans doute la principale des difficultés. Si l'on partage, en effet, les préoccupations exprimées par les signataires - amélioration de la couverture chômage, meilleur accompagnement des chômeurs pour retrouver un emploi, clarification des relations financières entre l'Etat et l'UNEDIC - force est de constater que ces intentions ne se retrouvent malheureusement pas dans le texte qui est ou qui sera soumis à votre agrément.

(Exclamations sur les mêmes bancs.) Loin d'appeler à une nouvelle crispation, ce constat devrait plutôt inciter à prolonger, voire à renforcer la discussion avec l'ensemble des partenaires, y compris avec l'Etat.

L'UNEDIC a connu d'autres périodes difficiles. Mais elles étaient liées, pour l'essentiel, à des difficultés éco nomiques, à la montée du chômage. Il serait aujourd'hui paradoxal que le MEDEF prenne le prétexte d'une amélioration de la situation de l'emploi et des comptes de l'UNEDIC pour refuser aux pouvoirs publics et au Parlement toute capacité d'intervention sur ce sujet, notamment afin d'aider à dégager un consensus.

Madame la ministre, vous avez récemment engagé une concertation avec l'ensemble des partenaires, signataires et non signataires. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale ce que vous attendez de cette discussion ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

M. François Goulard.

Ce sera sa dernière intervention ?

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, il est en effet paradoxal, alors que la situation de l'UNEDIC n'a quasiment jamais été aussi bonne qu'aujourd'hui - il est question de 90 à 100 milliards de francs d'excédent sur les trois années qui viennent - et que le nombre de chômeurs a baissé de 800 000 depuis trois ans, que l'on n'arrive pas à trouver un accord.

M. Franck Dhersin et M. Pierre Lequiller.

A cause de qui ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

D'autant que, comme vous l'avez souligné, les objectifs affichés, qui consistent à mieux couvrir les chômeurs, à mieux les indemniser, mais aussi à mieux les accompagner grâce à des actions d'insertion et de formation, sont partagés par tous.

Il est vrai que, pour la première fois depuis 1958, les organisations signataires ont souhaité intervenir non seulement sur le champ d'indemnisation, qui est de leur responsabilité, mais également dans un domaine qui relève normalement de la loi. Je veux parler de la définition du chômeur, du contrôle du chômage, des rôles respectifs de l'UNEDIC et de l'ANPE. Dès lors, s'il n'est pas illégitime que les partenaires sociaux souhaitent intervenir pour améliorer la loi, il n'est pas illégitime non plus que le Gouvernement, auquel on demande de soumettre des propositions de modification au Parlement, puisse donner son avis. Or il y a effectivement entre les objectifs affichés et le texte présenté des différences qui ne peuvent être acceptées par le Gouvernement.

Comme vous l'avez souligné, le problème majeur porte sur le fait qu'aux termes de l'accord les chômeurs seraient obligés d'accepter tous les emplois qui leur seront proposés après six mois de chômage et non pas - comme c'est le cas aujourd'hui - des emplois correspondant à leur qualification.

M. Maxime Gremetz.

C'est scandaleux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Or, si nous sommes tous d'accord pour faire appliquer la loi de 1992 - c'est moi qui l'ai fait voter - prévoyant des sanctions pour les chômeurs qui refusent des emplois dans leur qualification, nous ne pouvons accepter qu'au détour d'un accord sur l'indemnisation chômage, on demande à quelqu'un licencié et qui se retrouve privé involontairement d'emploi d'être contraint de prendre des emplois qui le déqualifient.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) C'est le coeur du problème.

Cela étant nous l'avons indiqué dès le départ -, et

M. le Premier ministre l'a rappelé récemment encore, nous irons jusqu'au bout des discussions dans la concertation car nous sommes attachés au régime paritaire et nous croyons à la négociation.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En outre, je ne peux pas croire que ceux qui affichent certains objectifs ne soient pas prêts à les traduire dans un texte.

S ur ce sujet comme sur d'autres les Français demandent de la clarté et de la transparence, nous allons leur donner satisfaction.

(Rires et exclamations sur les mêmes bancs.)

Les chômeurs demandent à être mieux protégés, nous y travaillons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) ÉLECTIONS EN YOUGOSLAVIE

M. le président.

La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle.

Mes chers collègues, un grand espoir est né en Yougoslavie et donc dans toute l'Europe, le 24 septembre dernier. Des élections législatives et présidentielles se sont en effet déroulées à cette date. Certes,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Milosevic a refusé le contrôle des témoins de la démocratie - nous avions, quant à nous, désigné parmi eux notre excellent collègue Michel Vauzelle. Mais le peuple a rejeté le régime actuel et a accordé en particulier sa confiance à

M. Vojislav Kostunica.

Pourtant Milosevic s'entête, persiste et signe dans son refus de la démocratie. Monsieur le ministre des affaires étrangères, il faut, me semble-t-il, adresser un signal fort aux Yougoslaves, comme vous l'avez fait avant les élections. Pourquoi, par exemple, ne pas lever les sanctions ? Incontestablement, cela constituerait un « mieux » dans la vie quotidienne du peuple serbe, que nous n'avons jamais confondu avec ses dirigeants. Que peut faire concrètement la France dans les jours qui viennent ? Que doit faire l'Union européenne sous la présidence française pour que les Yougoslaves puissent tourner définitivement la page Milosevic ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M.

le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, lorsque le président Milosevic a annoncé des élections pour la fin septembre, nous avons, au nom de l'Union européenne, engagé une concertation avec l'opposition démocratique en République fédérale de Yougoslavie pour savoir comment elle appréhendait ce qui était a priori une nouvelle tentative de manipulation.

Comme elle a considéré, compte tenu de sa force, qu'elle devait affronter cette échéance, nous avons décidé de la soutenir dans cette difficile entreprise.

(Sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République : « Les Yougoslaves sont sauvés ! ») C'est la raison pour laquelle, dès le début du mois de septembre, nous avons, au nom de l'Union européenne, adressé un message au peuple serbe, à ces hommes et ces femmes dont nous n'avons jamais oublié qu'ils étaient des Européens, pour leur dire que nous leur tendions la main et que la victoire de la démocratie à Belgrade entraînerait une révision radicale de la politique européenne envers la République fédérale de Yougoslavie. M. Kostunica nous a fait savoir que ce message, qui a été traduit en serbocroate et diffusé très largement, avait eu un réel impact sur l'opinion. La position dont nous avions eu l'initiative a été suivie quelques jours plus tard par les Etats-Unis.

Ensuite, vous le savez, le peuple serbe a eu l'immense courage d'aller voter en masse et en faveur de M. Kostunica dont il ne fait aucun doute aujourd'hui qu'il l'a fait gagner dès le premier tour.

Depuis lors, l'opposition se refuse à tomber dans les pièges que lui tend le Président Milosevic, qui n'a même pas osé se déclarer élu ou prétendre être arrivé en tê te à l'issue de ce premier tour. Nous soutenons, quant à nous, l'opposition démocratique, d'abord dans sa demande de vérification des résultats du vote, demande à laquelle se sont finalement associés les Russes, en plus des Européens et des Américains. C'est une demande légitime et démocratique. Cette opposition démocratique montre tous les jours son courage et son sens des responsabilités. Je ne doute pas que la volonté démocratique du peuple serbe l 'emportera finalement, et je l'espère très bientôt.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste ainsi que sur quelques bancs, du groupe de l'Union pour la démocratie française - Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

AFFRONTEMENTS ISRAÉLO-PALESTINIENS

M. le président.

La parole est à M. René Mangin.

M. René Mangin.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, dans une situation déjà fragilisée par le blocage du processus de paix au Proche-Orient, la provocation inacceptable d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, met à nouveau gravement en péril la recherche de la paix dans cette partie du monde. Ce geste, condamné par l'ensemble de la communauté internationale, a déclenché une vague de violence qui est à l'origine de la mort de plus cinquante personnes. Notre émotion est grande et nous sommes indignés.

Monsieur le ministre, devant cette tragédie et alors que la France préside l'Union européenne, quelles actions envisagez-vous pour rétablir le contact entre les différentes parties et redonner aux peuples palestinien et israélien un espoir de paix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, c'est précisément, je le crois, parce que, dans le processus de paix les négociations peuvent encore aboutir, en dépit des difficultés et des étapes, inimaginables à franchir il y a encore quelques mois, c'est parce que cette perspective révulse les extrémistes de tout bord qu'un acte de provocation délibéré a été accompli par M. Sharon. Il l'a fait pour des raisons de politique intérieure israélienne et de compétition à la tête du Likoud. Il faut le savoir, après avoir déploré, autant qu'il est possible, la disproportion entre cet acte et ses conséquences, notamment les très nombreuses morts.

Partant de là, que faire ? Ce que nous faisons déjà, et très activement. Faire retomber la tension. Cela suppose des actes accomplis par des responsables - en l'occurrence, ce ne sont pas les responsables du drame israéliens et palestiniens. Cela suppose que la commission d'enquête demandée par l'opinion soit acceptée. Nous l'avons fait pour l'Union européenne. Le président Clinton a également présenté une proposition qui a été acceptée et que nous soutenons. Cela suppose encore que les autorités israéliennes prennent des décisions quant au positionnement des forces de sécurité car de nombreux incidents graves peuvent renaître à tout instant. Cela suppose que les autorités palestiniennes fassent elles aussi tout ce qu'elles peuvent, en dépit du choc qu'elles ressentent, pour faire tomber la tension.

Tout cela, pour renouer le fil de discussions que nous avons soutenues de tous nos efforts. Nous sommes heureux de constater que Paris inspire confiance à tous les protagonistes de cet affrontement. Dans ce climat de douleur et d'inquiétude, c'est à Paris qu'ils vont tenter, dès demain matin, de renouer les fils du dialogue afin d'aboutir, nous l'espérons, à une solution de fond. Nous continuerons au nom de la France, au nom de l'Union européenne que nous présidons, jusqu'à ce que l'objectif de paix soit atteint. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

CRISE EN SERBIE

M. le président.

La parole est à M. Alain Juppé.

M. Alain Juppé.

Je voudrais interroger M. le ministre des affaires étrangères, comme vient de le faire M. Loncle, sur la situation en Serbie et sur l'action de la France dans la crise qui secoue ce pays.

Ce qui se passe à nos portes, au coeur des Balkans, nous concerne directement. D'abord, pour des raisons historiques et géographiques que chacun a en tête.

Ensuite, parce que la France est, depuis dix ans, en première ligne pour aider à rétablir la paix et la stabilité dans l'ex-Yougoslavie. Et cela, ne l'oublions pas, ne les oublions pas, au prix de la vie de plusieurs dizaines de nos soldats. Enfin, parce ce que ce qui est en cause aujourd'hui, en Serbie, ce sont les valeurs mêmes sur lesquelles nous voulons bâtir notre Union européenne, c'est-à-dire la démocratie, les droits de l'homme et le respect de la personne humaine.

L es faits sont connus : toutes les informations concordent pour établir la victoire électorale, dès le premier tour du scrutin, du candidat de l'opposition, M. Kostunica, face à Milosevic. Ce dernier, qui porte une responsabilité écrasante dans les malheurs de son peuple, refuse le verdict des urnes. D'où mes questions auxquelles vous avez - c'est la règle du jeu dans les questions d'actualité - déjà en partie répondu, monsieur le ministre. Le gouvernement français est-il déterminé à combattre cette violation caractérisée des règles démocratiques les plus fondamentales ? La présidence française est-elle parvenue à dégager sur cette question une position commune de l'Union européenne ? Quels contacts avons-nous avec les Etats-Unis d'Amérique et la Russie dont la diplomatie, nous le savons, est très active pour chercher une solution à la crise ? Enfin, comment pouvons-nous encourager le peuple serbe à résister à l'oppression ? Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la levée des sanctions internationales. Je voudrais évoquer le sommet entre l'Union européenne et les pays des Balkans occidentaux que le Président de la République française a convié à se réunir à Zagreb le 24 novembre prochain. Comment comptez-vous profiter de cette réunion pour lancer un message fort au peuple serbe qui se bat, avec courage et mesure, et lui donner l'espérance d'une réintégration pleine et rapide dans la communauté internationale et européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, mesdames, messieurs les députés, toute l'action que la France mène en son nom propre et au nom de l'Union européenne vise à atteindre l'objectif final qui est d'établir la démocratie en République fédérale de Yougoslavie et de permettre à ce pays de retrouver le chemin de l'Europe puisqu'il s'agit bien d'un pays de l'Europe. A l'intérieur de la politique générale qui vise à européaniser les Balkans, il est clair qu'il y a une place pour la République fédérale de Yougoslavie et pour la Serbie.

Dans cette crise particulière, nous avons agi au nom de la France en établissant assez facilement et assez rapidement un consensus des Quinze, sur la politique de la main tendue et sur la promesse qui a été faite depuis le début de septembre de lever, dès que la démocratie l'emporterait à Belgrade, l'embargo qui touche le peuple serbe. Ce serait déjà le cas si nous étions face à un régime qui accepte la réalité démocratique. Nous avons donc une ligne de force, et c'est celle-ci que les Etats-Unis ont soutenue.

Nous sommes toujours dans cette cohérence et dans cette action. Nous sommes, avec les Russes, dans une sorte de convergence générale. En réalité, les Russes n'ont aucune complaisance à l'égard du régime de M. Milosevic - je peux le confirmer ici, j'étais à Moscou jeudi et vendredi - et je sais qu'ils n'ont qu'une idée eux aussi : que la démocratie s'installe en Serbie. Je crois même pouvoir dire que la situation actuelle est un handicap pour la Russie qui souhaite que la page soit tournée. Mais ils l'expriment autrement que nous et que les Américains, pour des raisons qui tiennent à l'histoire et à la culture.

En tout état de cause, je crois que nous sommes globalement dans la même politique.

Dans l'immédiat, il s'agit d'exprimer à nouveau le message adressé au peuple serbe. Et je peux le dire ici à tous : M. Kustunica nous a fait savoir que le message adressé au nom de l'Union européenne au peuple serbe a joué un rôle dans le mouvement qui s'est produit dans ce pays et a aidé les gens à trouver le courage formidable qui consiste à aller voter malgré le régime, malgré sa capacité de menaces et de représailles. Mais il faut maintenant aller au-delà de ce message, il faut le densifier, le concrétiser. Car le moment approche où le régime aura épuisé toutes ses réserves, toutes ses manoeuvres d'arrière-garde et où la réalité rejoindra la légitimité pure, car M. Kustunica représente déjà aux yeux du monde la nouvelle République fédérale de Yougoslavie.

Une grande politique européenne est d'ores et déjà prête à être développée. Nous avons l'accord de nos partenaires et nous continuerons à en avoir l'initiative dans différentes échéances jusqu'à celle que vous avez signalée du sommet du mois de novembre entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux.

Mais, je le crois, d'ici là, nous aurons déjà beaucoup avancé sur ce chemin du retour à la démocratie. Je voudrais m'en réjouir d'avance si les jours qui viennent ne s'annonçaient pas aussi périlleux. En tout cas, nous ferons tout pour que la volonté du peuple serbe aboutisse vite.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe communiste, sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Madame la ministre, vous aviez la possibilité de quitter vos fonctions ministérielles en approuvant une rénovation en profondeur du système d'assurance chômage. Au lieu de saisir cette possibilité, vous venez de provoquer une crise sans précédent du paritarisme, et de prendre le risque d'une glaciation sociale, pour user des termes employés par un leader syndical (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste)...

ou encore, pour reprendre les termes mêmes de Mme Notat, une situation « hallucinante et grotesque ».

M. Christian Bataille. La parole est à la réaction ! Mme Nicole Catala. Je ne fais que citer Mme Notat.

(Mêmes mouvements.)

Vous venez, en effet, madame la ministre, de rejeter, pour la seconde fois, l'accord conclu par les partenaires sociaux au terme d'une longue négociation, un accord qui comporte cependant de nombreux points positifs pour les chômeurs.

J'en évoque quelques-uns. La suppression de la dégressivité des allocations qui est un point capital pour de nombreux demandeurs d'emploi, mais également l'élargissement de l'accès à l'indemnisation, l'offre de prestations en nature - formation, transport, logement et, en particulier, une aide à la mobilité géographique lorsqu'elle est nécessaire. Il s'agit aussi de l'assimilation de la démission à un licenciement pour créer une entreprise, et donc de l'ouverture de droits à indemnité dans cette hypothèse.

Cet accord que vous rejetez se situe dans la ligne préconisée par l'OCDE, mais aussi par les instances européennes et, chez nous, par l'inspection générale des affaires sociales qui vous a remis, l'an dernier, un rapport suggérant en particulier de mieux marquer le lien entre indemnisation et recherche d'emploi et de renforcer la synergie entre ASSEDIC et ANPE.

M. François Goulard.

Très juste.

Mme Nicole Catala.

Quels griefs prétendez-vous formuler à l'encontre de cet accord ? D'abord, il obligerait les chômeurs à accepter des postes ne correspondant pas à leur qualification. C'est tout à fait faux. Le texte prévoit que les emplois offerts devront être compatibles avec la spécialité ou la formation antérieure du chômeur, ses qualifications validées...

M. le président.

Madame Catala, pardonnez-moi, mais évitez de faire les questions et les réponses. Pour laisser le temps à Mme Aubry de répondre !

Mme Nicole Catala.

Il faut néanmoins que l'opinion publique soit informée, monsieur le président ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Sur le premier point, madame le ministre, votre argument est parfaitement erroné. Ensuite, vous dites que l'accord impliquerait un lourd déséquilibre financier. En réalité, ce que vous souhaiteriez, c'est ponctionner 20 milliards de francs par an sur l'assurance chômage pour financer des baisses d'impôt ou les 35 heures ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille.

Nous ne sommes pas à l'école ici !

Mme Nicole Catala.

Enfin, vous affirmez que les partenaires sociaux se substitueraient à l'Etat pour prononcer des sanctions. Faux encore, puisque ce sont les services de l'Etat qui prononceront les sanctions que vous avez vousmêmes instituées en 1992.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Catala.

Madame la ministre, après avoir ainsi rappelé les données du problème...

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mais ce n'était pas inutile.

L'opinion n'est pas nécessairement informée de toutes ces précisions !

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie.

Mme Nicole Catala.

Je souhaiterais savoir si, comme ce fut le cas en novembre 1982, lorsque M. Bérégovoy prit un décret duquel résultèrent ce que l'on a appeler ensuite

« les nouveaux pauvres » - vous vous en souvenez, peutêtre ? - vous vous apprêtez à nouveau à intervenir de façon autoritaire dans le système d'assurance chômage, à l'étatiser en quelque sorte, contrairement à l'évolution qui est partout observée chez nos voisins et nos concurrents ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la députée, jusqu'au dernier jour (« C'est quand le dernier jour ? » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République), comme je le fais depuis trois ans, je ferai ce pour quoi le Premier ministre m'a demandé de travailler, c'est-à-dire garantir les droits des chômeurs et des salariés, améliorer la protection sociale dans ce pays, tout en garantissant la compétitivité de notre économie et de nos entreprises.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Et c'est sous ce seul aspect que j'examine avec le Gouvernement l'accord UNEDIC.

Un mot, madame la députée, pour vous dire quand même que le flou et la confusion viennent peut-être plus des déclarations contradictoires des signataires eux-mêmes que du Gouvernement. En effet, avec mon collègue Laurent Fabius, nous avons, avant même la signature de l'accord, fait part aux partenaires sociaux de ce qui nous paraissait souhaitable et de ce qui pouvait garantir le droit d es chômeurs. Nous l'avons dit avant même que commence la discussion et entre les deux accords.

De M. Deleu, qui nous dit il y a trois jours que rien n'a changé entre les deux accords, ou de Mme Notat qui nous dit que des pas considérables ont été réalisés, qui sème la confusion ? Quand je lis un très bel article de Mme Notat dans Le Monde sur l'accompagnement des chômeurs - je l'approuve, et je veux bien le cosigner, des deux mains ! - et quand je ne vois rien dans l'accord qui corresponde, là encore, qui sème la confusion ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Si effectivement ce que l'on veut, c'est mieux indemniser les chômeurs, c'est mieux les accompagner, il ne faut pas que la quasi-totalité des excédents aille vers des baisses de cotisations et il ne faut pas faire pression sur l es chômeurs pour qu'ils acceptent n'importe quel emploi. Il faut financer le PARE - plan d'aide au retour à l'emploi -, c'est-à-dire des dépenses d'accompagnement et de formation, et il faut, madame Catala - je pense que vous y serez sensible -, quand on a 90 à 100 milliards d'excédents, que l'on n'en dépense pas 130 ! Voilà la logique du Gouvernement.

M. Jean-Paul Charié.

C'est nouveau !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mais je crois, peut-être comme vous, que la raison doit toujours l'emporter. Et ce n'est pas au moment où nous sommes d'accord sur les objectifs et où nous avons de


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l'argent que nous pouvons nous satisfaire de ce désaccord entre des discours et une pratique. Et je travaillerai jusqu'au dernier moment...

M. Yves Fromion et plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

C'est quand le dernier moment ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... sur les consignes du Premier ministre pour qu'un texte puisse être écrit qui protège et accompagne mieux les chômeurs, baisse les cotisations et clarifie les rapports entre l'Etat et l'UNEDIC. (Exclamation sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe démocratie libérale et Indépendants.)

Ainsi vous verrez que le progrès social et le progrès économique y gagneront.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe communiste et sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Mes chers collègues, nous reviendrons aux questions du groupe RPR si nous en avons le temps.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE

M. le président.

La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot.

Monsieur le président, j'y reviens : ce sera la troisième fois au cours de cette semaine, mais ce sujet est suffisamment important et grave. J'adresse d'ailleurs ma question à M. le Premier ministre.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité semble, dans les propos qu'elle vient de tenir, oublier tous les efforts déployés par les partenaires sociaux et notamment par les organisations syndicales pour revoir certains éléments du dispositif. Il y a eu un travail effectif pendant tout l'été. Pourquoi faut-il opposer à cet effort une fin de non-recevoir incompréhensible pour tous les Français de bonne volonté ? (« C'est vrai ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République, et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Madame la ministre, vous venez de dire que les partenaires sociaux s'étaient engagés, au-delà de l'indemnisation, sur les chemins de l'accompagnement du chômeur et que vous les approuviez. Mais vous avez bien pris soin de rajouter : ce faisant, ils se sont aventurés dans un domaine qui relève de la loi. Vous le leur avez rappelé tout l'été et ils en ont tenu compte. Il est tout de même dommage de multiplier les difficultés sur la route de partenaires sociaux qui ont voulu aller justement jusqu'à l'accompagnement du chômeur dans l'esprit des d émarches sociales les plus ambitieuses en Europe.

(Applaudissements sur les mêmes bancs.)

J'ai écouté Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité ce matin. Peut-on reprocher aux partenaires sociaux d'imaginer des changements d'activité pour certains demandeurs d'emplois en se référant à des compétences professionnelles vérifiées ? Veut-on enfermer les chômeurs ou les travailleurs dans un seul profil d'emploi au lieu de les aider à développer leur « employabilité » ? (Applaudissements sur les mêmes bancs. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

C'est leur faire prendre le risque du chômage de longue durée et créer une véritable pénurie d'emplois dans certains secteurs. Il est vrai, monsieur le président, que nous en sommes toujours à attendre la loi sur la validation des acquis professionnels et sur le droit à la formation tout au cours de la vie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Sur la forme, monsieur le Premier ministre, le fait, pour un syndicat, de signer un accord avec le MEDEF le disqualifie-t-il a priori ? (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Si oui, que reste-t-il de négociable dans ce pays ? Pour faire bref, le Gouvernement peut-il affirmer vouloir le dialogue social dans ce pays et, en fin de course, en dépit de tous les efforts accomplis, prétendre dicter purement et simplement les termes de l'accord qu'il souhaite, pour s'épargner les critiques de certains membres de sa majorité ? (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Monsieur Barrot !

M. Jacques Barrot.

En quarante ans, il n'existe pas de précédent : on n'a jamais vu une convention signée par les partenaires sociaux refusée par l'Etat. Allez-vous, monsieur le Premier ministre, sans débat devant le Parlement, entériner cette grave marche arrière de la négociation sociale ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur de nomb reux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Monsieur Barrot, j'allais vous interrompre : comme au concours de l'ENA, il y a le fond et la forme. Et l'heure ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Pas vous, monsieur le ministre Barrot : si vous avez lu le deuxième texte signé par les partenaires sociaux, vous ne pouvez pas parler ainsi ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Voyons les choses simplement ! Je n'ai pas dit, contrairement à ce que vous avez prétendu, que les partenaires sociaux se seraient aventurés dans le champ de la loi. J'ai dit, et je le redis, qu'il me paraissait légitime, et souvent même souhaitable, que les partenaires sociaux souhaitent faire avancer la loi. Nous nous souvenons, vous comme moi, car nous avons rempli les mêmes fonctions, des grands accords interprofessionnels sur la mensualisation, sur la formation professionnelle, qui ont fait avancer la loi. Nous nous souvenons, et vous étiez ministre, de l'accord sur l'ARPE, que nous avons salué quand nous étions dans l'opposition, car il a fait avancer le progrès social.

Alors, ne nous faites pas de faux procès ! Ce n'est pas parce que les partenaires sociaux ont souhaité modifier la loi, c'est parce qu'ils ont souhaité la modifier pour contraindre les chômeurs...

M. Jean-Paul Charié.

C'est faux ! C'est le contraire !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... sans les accompagner qu'il est légitime que le Gouvernement donne son avis sur l'accord tel qu'il a été signé.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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Deuxièmement, vous qui connaissez bien ces sujets, ne nous dites pas que nous ne sommes pas pour l'accompagnement des chômeurs ! C'est ce que nous faisons dans le cadre « du nouveau départ », je crois même que vous l'avez salué lors des derniers débats : 1 750 000 chômeurs de longue durée ont été reçus individuellement, accompagnés depuis un an et demi, et c'est grâce à cette action d'accompagnement des chômeurs que le chômage de longue durée a baissé de 23 % au cours des douze derniers mois, soit beaucoup plus que pour l'ensemble des chômeurs - 15 %. Ne nous dites donc pas que nous sommes contre l'extension d'un dispositif que nous appliquons déjà aux chômeurs de longue durée ! Ce sur quoi nous ne sommes pas d'accord, et vous le savez très bien, c'est qu'on ne peut pas à la fois déclarer le PARE et ne pas mettre des moyens pour le faire, dire qu'on veut accompagner les chômeurs et prévoir qu'ils peuvent accepter n'importe quel emploi.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Paul Charié.

C'est le contraire ! Relisez l'article 17 !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je lis l'article 17, mais les textes sont les textes ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. Jean-Paul Charié.

Alors, nous n'avons pas le même texte !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

« Au bout de six mois, le salarié privé d'emploi doit accepter les propositions d'embauche qui correspondent à ses capacités professionnelles. »

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Alors ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous dites que les Français sont choqués, monsieur Barrot, mais qui est choqué ? Croyez-vous que les Français qui cotisent pour le jour où ils seront licenciés ne seraient pas choqués si on proposait à un agent de maîtrise un poste de manoeuvre (Protestations sur les mêmes bancs), si on proposait à un ouvrier qualifié un emploi non qualifié ? (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Je vous en prie, mes chers collègues !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Eh bien, c'est ce qui est écrit dans ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - « Hou ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Si les signataires ne veulent pas de cela, qu'ils retirent cette disposition. C'est bien pourquoi je les rencontre actuellement...

M. Patrick Devedjian.

Vous n'y croyez pas vous-même !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... et je suis convaincue que, si vous lisez attentivement le texte, vous serez d'accord avec moi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

ACCORDS DE MATIGNON SUR LA CORSE

M. le président.

La parole est à M. Henri Plagnol.

M. Henri Plagnol.

Ma question s'adresse au Premier ministe.

Monsieur le Premier ministre, le 28 juillet dernier, vous avez engagé toute votre autorité lors de la signature des désormais fameux « accords de Matignon ». Vous avez passé outre les objections graves de plusieurs membres éminents de votre majorité, et vous n'avez pas hésité à faire des concessions exorbitantes au point que votre ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, a préféré partir avec panache, jugeant que le pacte républicain était gravement remis en cause.

Depuis deux mois, hélas ! contrairement au pari que vous avez pris, le moins que l'on puisse dire est que la paix civile n'a pas été rétablie en Corse. Je rappelle qu'il y a eu trois assassinats et trois attentats graves contre des établissements publics en moins de deux mois, une situation qu'aucune autre région de France n'accepterait.

Dernier épisode en date, M. Talamoni, chef de file des nationalistes, exige de votre gouvernement une énième clarification en demandant que tous les détenus, ceux qui sont condamnés et ceux qui font l'objet d'une instruction, soient regroupés dans une même prison en Corse.

Tout le monde comprend bien que cette revendication vise à donner aux auteurs d'actes terroristes un statut de prisonniers politiques, premier pas vers une amnistie et vers la paralysie définitive de toutes les enquêtes.

Monsieur le Premier ministre, je vous pose deux questions simples.

Premièrement, pouvez-vous, devant la représentation nationale, nous confirmer que, contrairement aux affirmations de M. Talamoni, il n'y a eu aucune tractation secrète concernant le statut des auteurs d'actes terroristes en Corse ? (Protestations sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Pas vous !

M. Henri Plagnol.

Deuxièmement, n'est-il pas temps, mes chers collègues, qu'il y ait enfin à l'Assemblée un débat qui dresse un bilan sans complaisance des accords de Matignon ? N'est-il pas temps enfin, monsieur le Premier ministre, de sortir du piège qui a consisté à signer des accords avec des interlocuteurs qui ne sont ni crédibles, ni de bonne foi ? (Applaudissement sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste.) Plusieurs députés du groupe socialiste.

Et Rossi ?

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le député, je voudrais tout d'abord vous dire ma satisfaction partagée, je pense, par les différents ministres...

M. Thierry Mariani.

Surtout par Chevènement ?

M. le Premier ministre.

... d'être devant l'Assemblée nationale pour reprendre le dialogue démocratique avec les députés, comme ce sera bientôt le cas avec les sénateurs.

Je ne dirai pas qu'au mois de juillet, lorsque la session s'est arrêtée, nous n'avons pas éprouvé un peu de soulagement, en pensant que le mardi et le mercredi, nous pourrions être à notre tâche, sans questions, sans interpellations. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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M. Thierry Mariani.

Quel cinéma !

M. le Premier ministre.

Mais, très sincèrement, nous sommes heureux les uns et les autres de revenir devant vous, pour trouver non pas seulement la majorité, son soutien et ses questions,...

M. Thierry Mariani.

Guignolade.

M. le Premier ministre.

... mais aussi l'opposition, ses interpellations, car ce dialogue démocratique écouté par les Français nous a manqué au cours des dernières semaines et certainement sur la Corse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Si je prends les choses de façon large et globale, comme elles méritent d'être considérées, je dirai que tous les gouvernements depuis vingt-cinq ans se sont heurtés à de très graves difficultés en Corse et ont eu à faire face à la violence, et je pense que c'est l'honneur de ministres et de gouvernements de gauche, autour de Gaston Defferre d'abord, de Pierre Joxe ensuite, d'avoir, souvent en dialoguant avec des élus de cette île qui n'étaient pas de notre sensibilité politique, fait tout de même des pas en avant et permis des évolutions qui ont sans doute évité des drames plus graves que ceux que nous avons eu à affronter. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Effectivement, j'ai conduit une démarche de discussion en Corse.

M. Thierry Mariani.

On voit le résultat !

M. le Premier ministre.

Je l'ai fait parce qu'il me paraissait nécessaire et responsable d'éviter que se noue davantage une situation de blocages et de tensions.

(« Beau résultat ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Je l'ai fait parce que je souhaitais savoir comment, dans une discussion sérieuse avec le Gouvernement, les élus de l'assemblée territoriale de Corse, les parlementaires, les présidents de conseils généraux pouvaient suggérer des démarches utiles et capables de rassembler pour l'évolution de l'île et le traitement de ses problèmes.

Je l'ai fait dans une transparence et une clarté absolues (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), en nouant le dialogue avec...

M. Thierry Mariani.

Des auteurs d'attentats !

M. le Premier ministre.

... les élus représentatifs de l'île.

(« M. Rossi ? » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Vous savez très bien, mesdames, messieurs, que la majorité territoriale en Corse n'est pas liée à la majorité mais appartient au contraire aux parties de l'opposition, et ce n'est pas un hasard si le président de l'assemblée territoriale, M. Rossi, le président de l'exécutif territorial, M. Baggioni, du RPR, et d'autres élus qui appartiennent à l'opposition se sont engagés dans ce dialogue, et je les en remercie.

Je remercie aussi, et j'en vois plusieurs sur ces bancs, des hommes, ou des femmes, notamment des hommes qui ont eu des responsabilités éminentes dans les affaires de l'Etat...

M. Thierry Mariani.

Merci M. Bonnet !

M. le Premier ministre.

... et qui appartiennent à l'opposition, qui ont porté sur la démarche que j'ai engagée un jugement équilibré, parce qu'ils savent à quel point les choses sont difficiles.

En tout cas, cette démarche a été menée de façon claire et ouverte. Il n'y a eu aucun conciliabule secret, aucune organisation de conférence de presse clandestine en commun (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République),...

Mme Martine David.

Avec des cagoules !

M. le Premier ministre.

... aucune instruction d'indulgence à la justice, telle que vous en avez donné dans le passé. Comprenez donc que je défende la clarté de la démarche qui a été la mienne, qui a été celle du Gouvernement.

Quant à la question que vous abordez, c'est vrai qu'au moment où le Gouvernement a fait ses propositions, un certain nombre d'élus de l'assemblée territoriale de Corse, pas seulement un représentant des mouvements national istes, M. Quastana, mais également M. Baggioni, M. Rossi, M. de Rocca Serra et quelques autres élus encore appartenant à l'opposition,...

M. Thierry Mariani.

Et les électeurs d'Ajaccio ?

M. le Premier ministre.

... sont venus voir, non pas clandestinement mais ouvertement, le préfet qui, à mon cabinet, suit ces questions, le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur de l'époque et le préfet de la région Corse. Ils sont venus dire, sans nous demander un quelconque engagement, que, dans la démarche positive que nous essayons d'engager, ils souhaitaient que la question d'un rapprochement de détenus soit abordée. Tout en précisant que ce serait à la chancellerie de se prononcer, il a été fait, non pas clandestinement, mais devant les élus dont je viens de vous citer les noms, qui représentaient l'ensemble des sensibilités de cette assemblée, la réponse suivante : pour ceux qui sont en détention provisoire, un rapprochement ne peut pas être envisagé, parce qu'ils doivent être à la disposition des juges pour les enquêtes, et que ces juges sont à Paris ; pour ceux qui ont été condamnés, nous ne prendrons pas la décision de les mettre tous à la prison de Borgo en Corse, parce que cela ne nous paraît ni possible ni souhaitable ; par contre, si les avocats en font la demande, parce qu'il y a des prob lèmes, de transport, de coût, des rapprochements peuvent être envisagés individuellement (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...

M. Thierry Mariani.

Réponse inadmissible.

M. Yves Fromion.

Où est la République ?

M. le Premier ministre.

... en tout cas dans le Midi de la France.

Pour le reste, nous avons engagé une démarche transparente.

M. Thierry Mariani.

Transparente avec les assassins !

M. le Premier ministre.

Dans une première étape, le m inistre de l'intérieur, Daniel Vaillant, présentera, d'abord au conseil des ministres, peut-être à la fin de l'année, puis devant l'Assemblée nationale dans les premiers mois de 2001, un projet concernant la Corse, c'està-dire que l'ensemble de l'Assemblée nationale et du Sénat seront juges des propositions du Gouvernement.

Ces propositions toucheront à la langue corse et à l'identité culturelle corse. Il n'y aura pas, parce que ce n'est pas dans les textes dont on a parlé, d'enseignement obligatoire du corse. Il y aura un enseignement dans le cadre des programmes officiels de l'éducation nationale, cela existe déjà maintenant, et les parents seront libres d'envoyer ou non leurs enfants le suivre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Actuellement, là où cet enseignement existe, 20 % des enfants ne le suivent pas parce que les parents ne le souhaitent pas. Un grand nombre de ces parents sont des Corses ou des corsophones qui ne souhaitent pas pour autant, peut-être parce qu'ils pensent que ce n'est pas nécessaire, que leurs enfants assistent à cet enseignement.

Dans les 80 % qui y assistent, il y a de nombreux enfants de militaires ou de fonctionnaires qui sont en Corse pour plusieurs années et qui trouvent intéressant pour leurs enfants de s'imprégner de cette culture, qui les formera, de plus, à la langue italienne. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Identité et défense de l'enseignement en Corse, respect d'un certain nombre de spécificités fiscales corses qui existent depuis deux siècles, programme de rattrapage des équipements, transfert de certaines capacités réglementaires en faveur de la Corse, sous le contrôle du Parlement : telles sont, en gros, les mesures qui vous seront proposées, parfaitement compatibles avec la Constitution actuelle.

(Protestations sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République. - M. Degauchy claque son pupitre.)

M. le président.

Monsieur Degauchy !

M. le Premier ministre.

C'est seulement dans une deuxième étape, si la violence a cessé en Corse, que nous pourrons essayer d'aller plus loin si un consensus se dégage entre nous pour modifier et simplifier les structures administratives, envisager qu'un certain pouvoir d'adaptation législatif soit effectivement donné à l'assemblée territoriale de Corse, et non pas le pouvoir législatif.

Nous avons choisi de nous adresser aux élus. Nous avons choisi, tout en continuant à poursuivre la violence - la justice et la police y travaillent -, une démarche qui permet d'espérer échapper à la violence.

Ce n'est pas par harsard si, sur cinquante et un élus territoriaux de Corse, quarante-quatre ont voté en faveur des propositions du Gouvernement, cinq se sont abstenus et deux seulement ont voté contre.

Ces hommes et ces femmes qui appartiennent à vos formations politiques, je pense qu'ils sont représentatifs.

Nous voulons un respect de l'identité de la Corse dans la République. Nous voulons offrir une perspective historique pour sortir de la violence. C'est la cessation de la violence et la conquête de la paix civile qui permettront d'avancer davantage. Vous devriez, comme certains de vos amis, nous accompagner dans cette démarche plutôt que de rendre les choses plus difficiles. C'est un appel à la responsabilité que je vous adresse. Pour le reste, vous serez juges de chacune des propositions que le Gouvernement vous fera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur de nombreux bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Démocratie libérale.

TRANSACTIONS FISCALES

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances.

Monsieur le ministre, ma question est finalement celle que se posent aujourd'hui tous nos concitoyens, un peu en forme de demande de consultation.

Nous avons appris ces jours-ci qu'un grand couturier avait bénéficié d'une imposition sur mesure et avait, grâce à une transaction négociée directement avec un précédent ministre de l'économie et des finances de votre majorité, obtenu un allégement d'impôt de l'ordre de 40 millions de francs au bas mot, ce dont d'ailleurs il a été reconnaissant.

On nous a ensuite expliqué que c'était une pratique habituelle et qu'après tout, c'était une victoire pour le Trésor public. A un moment où, notamment depuis 1997, la pression fiscale directe et indirecte n'a jamais été aussi insupportable pour les Français, ce dont vous semblez d'ailleurs personnellement convaincu, compte tenu de vos déclarations, même si vous demeurez isolé dans votre majorité, et faute pour les Français de pouvoir négocier directement avec leur inspecteur le montant de leur IRPP ou avec le pompiste le montant de la TIPP, nombre de familles d'artisans, de petits entrepreneurs ou de salariés aimeraient aussi bénéficier d'un peu d'oxygène en négociant directement leurs taxes et leurs impôts avec leur ministre.

Pour l'instant, manifestement, seuls quelques privilégiés semblent être initiés et connaître la bonne méthode. Ma question est donc la suivante : comme cela intéresse tout le monde, dites-nous comment ça marche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance).

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, si votre question porte sur la transaction, vous savez, étant juriste vousmême, quelle est la procédure. Il y a trois millions de réclamations fiscales par an.

M. Jean-Pierre Soisson.

Quelques-unes scandaleuses ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Deux mille d'entre elles remontent au niveau de l'administration centrale, voire de l'autorité ministérielle elle-même.

M. Jean Bardet.

Tout le monde ne connaît pas Strauss-Kahn ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il existe alors dans notre droit une possibilité de transaction qui est un contrat passé entre l'administration et le particulier ou la société. Le particulier ou la société accepte le redressement dont il s'agit et doit payer immédiatement. De cette façon, dans le respect du droit, la transaction est opérée.

Pour la question allusive que vous avez posée, c'est dans ce cadre qu'une telle transaction a été passée. Je tiens à vous préciser, comme M. le Premier ministre et moi-même l'avions d'ailleurs annoncé, que la justice a saisi le dossier dont il s'agit. Il est donc dans les mains de la justice.

Pour le reste, en ce qui concerne les problèmes généraux de la fiscalité, il ne faut pas faire d'amalgame. Ce ne serait pas correct ni conforme à la réalité.

Il y a eu au cours de l'année 1998 une montée des prélèvements obligatoires liée à la fois à l'évolution de la croissance et à celle des dépenses. En 2000, il y aura, je vous le confirme, une baisse de 0,4 point des prélèvements obligatoires et, en 2001, une baisse du même ordre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

M. Philippe Houillon.

On en reparlera ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cela mérite d'être précisé dans les prochaines semaines, mais, à vous entendre, je pense que vous voterez avec enthousiasme la baisse de 120 milliards de francs prévue sur les trois ans qui viennent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Dominique Dord.

Sur trois ans !

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

RÉFORME DE L'ASSURANCE CHÔMAGE

M. le président.

La parole est à M. Patrick Malavieille.

M. Patrick Malavieille.

Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je voudrais revenir sur la réforme de l'UNEDIC et sur l'intransigeante volonté du patronat français de faire reculer les droits des chômeurs. Cette attitude est connue, depuis des décennies qu'elle se répète. Le projet de plan d'aide au retour à l'emploi, malgré son titre, heurte de plein fouet les objectifs de progrès que doit se fixer le Gouvernement, et qui touchent à la couverture sociale du chômage, à l'instauration d'un vrai système de retour à l'emploi par le biais de formations choisies.

Nous avons salué le refus du Gouvernement de donners on agrément au projet de convention initiale du MEDEF, auquel s'étaient joints deux syndicats. Aujourd'hui, on l'a vu sur les bancs de l'opposition, toutes les pressions sont bonnes pour arracher l'agrément du Gouvernement à un projet « relooké » mais toujours porteur de régression sociale et visant avant tout à réduire les coûts salariaux, alors qu'il conviendrait de tenir compte des profits financiers.

Nous vous demandons, madame la ministre, de refuser une nouvelle fois ces propositions lourdes de conséquences. Il faut se diriger de façon offensive, non pas vers la glaciation, mais vers une refondation de progrès social de l'UNEDIC, en réfléchissant déjà à des propositions pour un système unifié d'indemnisation du chômage.

Madame la ministre, comptez-vous engager, avec tous les intéressés, cette large concertation sur la refondation de l'UNEDIC que nous appelons de nos voeux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, vous le savez depuis ce matin, je reçois au nom du Gouvernement toutes les organisations syndicales et patronales. Vous l'avez dit, nous disposons aujourd'hui d'excédents, et il faut arriver à mieux indemniser les chômeurs. Rappelons que seuls 41 % d'entre eux sont indemnisés, alors qu'ils étaient 50 % il y a dix ans, 60 % il y a vingt ans et 75 % il y a vingtcinq ans. Nous avons donc de l'ouvrage devant nous.

Il nous faut aussi mieux accompagner les chômeurs, les aider à retrouver un emploi, leur proposer des bilans de compétences, les aider à s'insérer, les former : à cet égard, la philosophie - je dis bien : la philosophie - du PARE était bonne, et ce n'était pas une mauvaise idée que de prévoir que certains excédents de l'UNEDIC pourraient y contribuer.

Mais nous n'avons pas retrouvé tous ces éléments dans l'accord, alors qu'y figuraient des détails dangereux mettant en cause le système d'assurance-chômage pour perte d'emploi et ne permettant pas d'assurer une égalité des droits des chômeurs face à la reprise d'emploi.

C'est la raison pour laquelle j'ai entrepris ces discussions, avec la conviction que nous aboutirons à un résultat, car nous affichons les mêmes objectifs et avons des moyens financiers. Si cela ne devait pas être le cas, chacun prendrait ses responsabilités. On verrait alors qui souhaite améliorer pour de bon la situation des chômeurs et qui préfère poursuivre d'autres objectifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

RECHERCHE DE LA PAIX AU PROCHE-ORIENT

M. le président.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès.

Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères. A mon tour, je veux dire l'émotion et l'indigation que nous inspire la répression dont sont victimes adultes et enfants palestiniens et Arabes israéliens. Malgré l'espoir suscité par l'accord de cessez-le-feu de la nuit dernière entre les deux parties, ces événements demeurent insoutenables, consternants et révoltants.

Dans une situation où chaque progrès sur le chemin de la paix n'est obtenu qu'au prix d'efforts considérables, et alors que se profilaient les contours d'une avancée réelle, la provocation d'Ariel Sharon, au-delà du déchaînement de violence et de l'effusion de sang qu'elle a provoqués, apparaît pour ce qu'elle est : le moyen de faire, une fois de plus, obstacle à la réalisation d'un accord de paix.

Cette irresponsabilité criminelle du chef de la droite israélienne, le Likoud, met le Premier ministre israélien Ehud Barak face à ses responsabilités. La France, qui préside actuellement l'Union européenne, et, plus largement, la communauté internationale ont le devoir majeur de peser de toutes leurs forces, comme elles en ont la possibilité, pour obtenir des autorités israéliennes l'initiative politique que nécessite la reprise du processus de paix.

La rencontre prévue demain entre Ehud Barak et Yasser Arafat offre une occasion historique pour manifester et concrétiser cette volonté. Dans cette perspective, comment la France entend-elle apporter un soutien décisif à la recherche, puis à la conclusion dans les plus brefs délais d'un accord de paix durable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, si la provocation à laquelle vous faites allusion a bien eu pour objet, comme on peut le penser et le déplorer, de porter un coup au processus de paix, les négociations existent même si elles sont très difficiles. Elles sont d'ailleurs extraordinairement prometteuses. Bref, si cette démarche a bien pour objet de casser le processus de paix tout en permettant à son auteur d'obtenir des gains - en tout cas, c'est ce qu'il espère sur la scène politique intérieure israélienne, la meilleure réponse que la France et l'Union européenne puissent apporter, c'est de tout faire pour déjouer ce calcul.

Afin qu'il n'atteigne pas son objectif, il faut prendre des mesures, des initiatives, faire des déclarations, adopter les positions qui sont de nature à calmer les choses, bref, briser cet enchaînement et ramener une sorte de calme, si ce n'est la confiance qui résulterait d'un accord véritable, juste, sur le fond.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Nous nous y employons activement et nous allons continuer. Si, dans ces moments si tendus, si difficiles, les protagonistes acceptent de se reparler à Paris, c'est parce qu'ils savent que cette ville est la capitale d'un pays qui fait tout pour la paix, qui est capable de parler en confiance avec chacun d'entre eux et qui n'a pas d'autre intérêt en vue que l'intérêt supérieur des peuples de la région, que la paix.

Il faut donc, après qu'auront été prises les mesures urgentes pour faire baisser la tension, revenir le plus vite possible aux questions de fond - Jérusalem, les frontières, les réfugiés, les colonies -, et reprendre le travail entamé après la percée extraordinaire de la mi-août. A cet égard, vous savez à quel point la France est engagée, à quel point l'Union européenne soutient ces efforts. Tout est encore possible, même si au bout du compte il appartiendra aux Israéliens et aux Palestiniens de prendre leurs responsabilités historiques ; mais il n'y a pas d'autre alternative que, d'un côté, cette terrible violence qu'on a vu se déchaîner, et, de l'autre, un accord de paix sur le fond, juste et solide. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe Radical, Citoyen et Vert.

CONSÉQUENCES OUTRE-MER DE L'AUGMENTATION

DES PRIX DES PRODUITS PÉTROLIERS

M. le président.

La parole est à M. Alfred MarieJeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne.

Ma question s'adresse à M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En Martinique, la structure des prix des carburants et la répartition du produit des taxes qui s'y appliquent constituent un parfait imbroglio. Après diverses retenues à la source, les sommes résultant de la taxe sur les carburants affectées à l'entretien et à la modernisation des réseaux routiers vont abonder les budgets des collectivités suivantes : conseil général, conseil régional et les 34 villes et communes.

Le conseil régional, compétent en matière de détermination du montant fixe de cette taxe, l'a gelé pour trois ans, à l'initiative de l'actuel président. Les récentes hausses subséquentes, sans retombées sur les finances des collectivités précitées incombent au préfet qui, au gré des prix du baril ou du dollar, intervient sur les prix à la pompe. De plus, la détaxe sur le gazole, revendiquée par les professionnels de la route, relève de l'initiative gouvernementale par le biais du projet de loi de finances.

Par ailleurs, la perspective d'une harmonisation européenne de la fiscalité sur le carburant risque de compliquer la situation, en raison des différences.

Pour toutes ces raisons, une gestion plus efficace et plus rationnelle s'impose ; elle requiert une compétence régionale unitaire en la matière.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour réformer ce lourd système qui s'apparente plutôt à un baril de poudre ?

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

Tous les parlementaires de l'outre-mer, dont vous-même, monsieur le député, ont appelé mon attention, au cours des dernières semaines, sur l'impact qu'a, pour les populations d'outre-mer, notamment pour les plus défavorisées, la hausse du prix du pétrole et, donc, du prix de l'essence à la pompe et du fioul pour les usages domestiques ou pour les transports.

Les mesures prises en métropole, pour atténuer l'impact de cette hausse, portent, vous le savez, sur la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Cette taxe ne s'applique pas dans les départements d'outre-mer où elle est remplacée par une taxe spéciale de consommation prélevée par les collectivités locales, notamment par les régions. Plusieurs d'entre elles - vous l'avez rappelé - ont d'ores et déjà passé des protocoles qui vont permettre, en effet, d'atténuer la hausse des prix à la pompe. Je veux saluer l'esprit de responsabilité des conseils régionaux qui ont agi en ce sens.

En raison des spécificités des conditions d'approvisionnement en hydrocarbures dans les départements d'outre-mer, il appartient actuellement aux préfets de fixer les prix à la pompe.

Si cette réglementation a pu, à une certaine époque, paraître tout à fait favorable pour les départements d'outre-mer, on peut aujourd'hui se demander si elle n'a pas des effets pervers, si elle ne constitue pas, notamment, un véritable obstacle à la concurrence. J'ai reçu hier, à leur demande, les élus de la Réunion. Le Gouvernement est ouvert à l'idée d'engager une démarche, en liaison avec la profession pétrolière, afin de faire évoluer le dispositif actuel de fixation des prix. Ces discussions d evraient également permettre d'établir dans quelle mesure des baisses des prix à la pompe pourraient intervenir.

Vous l'avez compris, l'Etat restera présent dans cette négociation, qui doit atténuer les conséquences des hausses du prix du pétrole pour les populations de l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Pierre Lequiller.)

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE LEQUILLER,

vice président

M. le président.

La séance est reprise.

2 ÉPARGNE SALARIALE Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi sur l'épargne salariale (nos 2560, 2594).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi sur l'épargne salariale, que vous allez examiner et que j'ai l'honneur de défendre au nom du Gouvernement, constituera un progrès pour les salariés et les entreprises de notre pays. Ce texte court comporte en effet en quinze articles quatre avantages majeurs.

Premièrement, il va offrir à des millions de salariés, particulièrement dans les PME, une possibilité nouvelle qui, sur la base du volontariat, permettra à des personnes qui ne le pouvaient pas toujours, à leur famille, de mieux préparer l'avenir ou de financer un projet personnel.

Aider les enfants dans leurs études, prendre le temps d'une formation, acquérir un appartement, constituer un pécule pour réaliser un projet, tout cela est positif et légitime.

Deuxièmement, le dispositif nouveau dirigera vers nos entreprises, vers notre économie, qui en ont besoin pour se développer et se moderniser, des fonds stables et solides. Ainsi auront-elles davantage entre les mains ce qui trop souvent leur échappe : la maîtrise de leur destin et les instruments du succès. Les capitaux étrangers détenant 36 % des actions des sociétés françaises, ces dernières y trouveront aussi une plus grande indépendance.

C réation, innovation, renforcement de l'activité, l'épargne salariale sera un atout supplémentaire pour les PME qui forment une bonne part du « tissu de la croissance française ».

Sécurité et consolidation dans la compétition internationale, maintien des centres de décision en France, cette avancée sera également positive pour nos grandes entreprises appelées à devenir des « numéro un » européens ou même mondiaux.

M eilleure allocation des ressources, efficacité plus grande dans l'utilisation de l'épargne, ce devrait être, dans tous les cas de figure, un atout pour notre pays.

Troisièmement, le projet renforce, dans certains cas installe même, le dialogue social entre salariés et dirigeants. Tous apportent leur force de travail, collaborent à un projet collectif, développent une activité, il est normal que chacun en soit rétribué. La qualité des relations sociales est un facteur de dynamisme. Il ne s'agit pas pour autant d'effacer la distinction de nature entre travail et capital, parfois même les oppositions entre eux, mais de favoriser la codiscussion dans l'entreprise. C'est le souhait des salariés et des entrepreneurs dans leur majorité.

C'est l'un des socles du développement économique et social.

A la différence du plan d'épargne entreprise qui existe actuellement, les nouveaux outils créés par ce projet ne seront mis en place qu'à la suite d'un accord collectif conclu entre les partenaires sociaux.

Cet accroissement des droits des salariés se fera selon trois modalités : l'obligation annuelle de négocier sur la mise en place de l'épargne salariale et non plus seulement sur la durée et l'organisation du travail ; une plus grande fréquence de discussion de l'actionnariat salarié en assemblée générale des actionnaires : comme le souhaite le rapporteur, comme le veulent les syndicats, la question de leur représentation, comme celle des autres salariés, devra être abordée et conclue par un vote à intervalle de trois ans ; sera également conforté le pouvoir des salariés au sein des conseils de surveillance des fonds communs de placement qui géreront l'épargne salariale. Les salariés pourront ainsi mieux peser sur leur présent et sur leur futur.

Enfin, complémentairement à l'augmentation de la masse salariale, qui, au cours des trois dernières années, est allée essentiellement à la création d'emplois, et sans la substituer aux salaires eux-mêmes, il s'agit par ce texte de mieux répartir la valeur ajoutée générée par les entreprises en aboutissant à une redistribution équitable des fruits de l'expansion. Elle dirigera vers les salariés qui ont contribué à les créer des rémunérations qui, sans ce dispositif, ne leur auraient pas été allouées.

Favorisant donc à la fois la croissance et le pouvoir d'achat, la consommation et l'investissement, l'économie et la solidarité, fondé sur un abondement des entreprises et des mécanismes de gestion collective, ce texte est novateur. Je le défendrai au nom du Gouvernement avec Mme Marylise Lebranchu, chargée particulièrement des PME, et avec M. Guy Hascoët, puisqu'il comporte une dimension d'économie solidaire.

Mesdames, messieurs les députés, ce texte est significatif, non seulement parce qu'il est le premier de cette session mais aussi parce que son adoption constituera, je l'espère, un signe de cohérence pour une majorité qui garde son cap. Significatif d'une méthode parce qu'il a f ait l'objet d'une large concertation et parce qu'il comporte des avancées utiles pour les salariés et les entreprises.

Avant de décider et de rédiger, il faut expertiser, évaluer, éclairer. A ce travail de concertation, doit être associé, votre rapporteur, Jean-Pierre Balligand, que je remercie chaleureusement. Dans un remarquable document écrit avec Jean-Baptiste de Foucauld, il a dressé un état des lieux, exposé les positions en présence, les dispositifs possibles, les expériences menées à l'étranger, précisé quelles seraient les conséquences et quelles pourraient être les conditions de l'émergence d'une véritable épargne salariale dans notre pays. Il a établi juridiquement et financièrement le bilan du possible et du souhaitable. Il a fourni, à tous ceux qui le voulaient bien, un cadre objectif, précis et renseigné. Je veux l'en remercier, ainsi que Nicole Bricq et Pascal Terrasse dont je sais le travail qu'avec lui ils ont accompli, et plus généralement je veux remercier tous les membres et responsables des commissions permanentes de l'Assemblée qui ont examiné ce document.

M. Michel Hunault.

Et l'opposition qui l'a proposé ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Concertation avec les partenaires sociaux bien entendu. Elle était indispensable et, même si elle a été relayée, comme c'est normal, par de nombreuses réunions avec mes services et mon cabinet, je l'ai menée personnellement avec les dirigeants des grandes centrales syndicales, alors que, dans sa forme comme sur le fond, le projet était totalement ouvert.

Concertation avec les formations qui sont représentées ici, celles de la majorité et celles de l'opposition lorsque leurs dirigeants le souhaitaient.

Concertation, transparence, décision : à l'issue de ces différentes étapes il y a bien sûr l'élaboration précise du texte qui, comme toujours, ne peut paraître parfaite aux yeux de tous, mais qui doit intégrer les souhaits et les contraintes, s'efforcer, sans introduire de contradictions ou d'impossibilités, d'en faire la meilleure synthèse possible.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Nous sommes partis, mesdames, messieurs les députés, d'un constat : le système actuel d'épargne salariale n'est pas bien adapté aux réalités économiques contemporaines.

Il date des Trente Glorieuses. Il est parfois insuffisant, peu compréhensible et même souvent injuste.

Insuffisant parce qu'il concerne des effectifs réduits, parce que les fonds communs de placement culminent à 350 milliards de francs quand la bourse en capitalise 1 0 000. Insuffisant parce que la participation, par exemple, n'a pas eu le succès escompté à l'origine : 20 000 entreprises la pratiquent, 5 millions de salariés sont concernés qui épargnent chacun 6 000 francs en moyenne. L'intéressement, lui, concerne 14 000 entreprises pour des montants unitaires assez faibles, le plan d'épargne entreprise à peine 9 000.

Système inégalitaire aussi, du fait notamment qu'un tiers seulement des salariés du secteur privé peut y prétendre et que l'immense majorité des salariés des entreprises de moins de 50 salariés n'y ont absolument pas accès. Inégalitaire, car en sont exclus ceux dont la présence dans l'entreprise est récente ou provisoire. Inégalitaire aussi, si l'on songe aux différences de rendement que ces dispositifs peuvent avoir d'une entreprise à l'autre.

Parfois incompréhensible enfin, car il faut, en matière d'épargne salariale, simplifier des mécanismes souvent superposés, raccourcir des procédures un peu alambiquées qui découragent souvent les entreprises et les salariés. Les premières ne comprennent pas toujours le « pourquoi » de l'épargne salariale. Les seconds doutent du « comment ».

Le projet de loi présenté cherche à surmonter ces inconvénients en développant une épargne salariale plus large, plus durable et plus transparente.

Mesdames et messieurs les députés, le projet, je l'ai indiqué, se tourne résolument vers les petites et moyennes entreprises. On dit que 97 % des salariés des PME sont actuellement privés des facilités offertes aux salariés des grands groupes. Sur les 5 millions de salariés qui travaillent dans une PME, réalisent sa richesse, font son activité, moins de 100 000 seulement sont traités de ce point de vue sur un pied d'égalité avec les salariés des grandes entreprises ! Pour combler ce fossé, notre texte propose un nouvel instrument conçu non sur une base limitée à chaque entreprise, mais sur des bases beaucoup plus larges, soit par regroupement volontaire d'entreprises, soit à partir d'accords territoriaux ou professionnels : c'est le plan d'épargne interentreprises, le PEI.

L'accès à l'épargne salariale des salariés qui entrent dans le champ de ces différents types de PEI sera ainsi favorisé, même si leur propre entreprise n'y a pas adhéré et n'y participe pas financièrement. Ainsi leur futur serat-il le fruit de leurs décisions personnelles et non la conséquence de contraintes extérieures.

De façon générale, la conclusion des accords de participation et d'intéressement dans les PME sera fortement encouragée. Ainsi, la provision pour investissement en franchise d'impôt au profit des PME qui développent la participation sera portée de 25 % à 50 % pour les accords conclus avant le deuxième anniversaire de la promulgation de la loi. Cette faculté sera étendue, dans le même délai, aux entreprises de moins de 100 salariés au sein desquelles sera conclu un accord d'intéressement. Les d irigeants, entrepreneurs individuels ou mandataires sociaux - et c'est important surtout dans les PME qui se créent - bénéficieront aussi de ces dispositions. Nous souhaitons que cette possibilité les incite à développer les projets d'épargne salariale.

Il s'agit aussi de créer un plan partenarial d'épargne salariale volontaire, le PPESV. Outil d'épargne à long terme partenarial et volontaire, il s'étalera sur une durée de dix ans, sauf déblocages anticipés en cas d'imprévus ou de coups durs, ce qui est un compromis nécessaire entre rendement et disponibilité.

Abondé par le salarié, le PPESV le sera aussi par l'entreprise, qui pourra verser sur ce plan des sommes trois fois supérieures à celles que verse son employé dans une limite globale de 30 000 francs. Il privilégie ainsi une solution financière qui nous paraît juste et pondérée.

Entre le financement local de l'entreprise et la sécurité globale de l'épargnant, ce n'est pas vers une seule société - surtout si c'est celle qui l'emploie - que l'épargne du salarié sera directement dirigée. L'argent sera mutualisé dans un fonds pour parvenir à une certaine masse critique, et l'espace de collecte sera étendu afin de prévenir au maximum les dangers ou les éventuels conflits d'intérêt.

Sécurité donc des placements pour les salariés, développement des capitaux pour les entreprises : les deux objectifs cherchent à être conciliés à travers ce plan partenarial.

Pour répondre à une critique légitime souvent faite, l'épargne salariale - novation importante - sera désormais également ouverte aux salariés mobiles ou précaires par l'assouplissement des conditions d'ancienneté nécessaires pour y souscrire ou en permettant, lorsque l'on change d'employeur, le transfert des droits ouverts d'une société à l'autre sans pénalités.

Enfin, l'épargne salariale nous est apparue comme un moyen efficace et équitable d'encourager et de favoriser la reconnaissance de l'économie solidaire.

Le dynamisme d'une société se mesure à sa capacité d'accueillir et d'accompagner toutes les initiatives. On peut entreprendre pour conquérir un marché, valoriser une technologie, développer un service, un produit. On peut entreprendre pour inventer, réussir une carrière, mener un projet, gagner de la considération ou de l'argent. Ces motifs sont puissants. Mais on peut aussi entreprendre pour partager et donner, pour protéger l'environnement ou la cohésion d'un territoire, pour resserrer le lien social et lutter contre le chômage. Cette démarche est éminemment respectable. La solidarité, nous le savons tous, peut guider une vie.

Des fonds communs de placement d'entreprise solidaires, que la loi appellera fonds solidaires, seront créés pour recevoir l'épargne des salariés qui font le choix de cet engagement. Les versements complémentaires de leur employeur seront aidés par une franchise d'impôt sur provision pour investissement à 100 %. Ces sommes seront investies dans des entités qui participent économiquement du même esprit, entreprises solidaires pour une part minoritaire, organismes financiers intermédiaires proches de ce secteur pour l'essentiel. Est-il besoin de le p réciser, les entreprises solidaires sont celles qui accueillent dans leurs effectifs une large proportion de personnes issues de publics en difficulté, dont les dirigeants sont élus par les salariés, les adhérents ou les sociétaires, et dont les salaires sont volontairement plafonnés.

Ces trois critères permettront à mes services et à ceux de M. Guy Hascoët de les agréer. Il nous est apparu juste et bon que le dévouement, l'entraide, le désintéressement ne soient pas oubliés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Mesdames, messieurs les députés, ce projet a soulevé certaines critiques ou interrogations. Sous la direction du Premier ministre, le Gouvernement associe, comme c'est bien normal, un devoir d'écoute et un devoir d'efficacité et de vérité. J'ai noté quatre thèmes principaux de questionnement que je veux essayer de restituer aussi fidèlement que possible et je tenterai d'apporter à chacun d'entre eux une réponse.

La première objection, qui est peut-être la plus large : en quoi le plan partenarial est-il différent des fonds de pension que voulait instaurer la loi dite « loi Thomas » ? Je réponds qu'il ne s'agit clairement pas de la même chose et je voudrais en apporter la preuve par simple comparaison.

D'abord, il faut mesurer les échelles de grandeur. Dans le texte qui vous est proposé, la durée est fixée à dix ans - elle était auparavant illimitée. Les montants concernés sont plafonnés à 30 000 francs par an - ils étaient, dans l'autre texte, illimités. La capitalisation globale à laquelle nous aboutirons probablement n'est pas du même ordre que ce que, outre-Atlantique, on appelle les fonds de pension. Qu'on ne nous dise donc pas qu'il s'agit là de je ne sais quel cheval de Troie ! Ensuite, la gestion collective, le renforcement des droits des salariés que permettra le plan partenarial en font un moteur du dialogue social dans l'entreprise, ce que sont très rarement, il faut le reconnaître, ces instruments anglo-saxons.

Enfin, comme vous le savez, les fonds de pension ont une seule finalité, les retraites, et il faut veiller à ne pas fragiliser les systèmes de répartition, auxquels, comme vous, le Premier ministre et moi-même, nous sommes extrêmement attachés. J'ai insisté tout à l'heure sur la notion de choix comme élément central du dispositif qui vous est présenté : aider son fils ou sa fille à aller à l'université ou à acquérir un studio, s'acheter le véhicule ou réaliser le voyage dont on rêve, ce n'est assurément pas vouloir concurrencer la caisse nationale d'assurance vieillesse. Je rappelle d'ailleurs que nous avons décidé d'affecter au fonds de réserve des retraites notamment une partie des recettes tirées de la vente des licences de mobiles de troisième génération, précisément pour répondre aux défis démographiques du siècle qui vient. Il n'y a donc, quelle que soit la façon dont on entrevoit le plan partenarial, mais nous en rediscuterons, pas de confusion avec les fonds de pension.

Un deuxième problème est souvent évoqué qui mérite, lui aussi, d'être pris en compte : celui des cotisations sociales qui devraient peser sur l'épargne salariale. On dit souvent que celle-ci en est exemptée. Ce n'est pas exact : CSG et CRDS s'appliquent, comme vous le savez, et s'appliqueront. Mais on ajoute parfois : « Oui, mais ce n'est pas assez. » Il faut savoir que d'autres produits simi-

laires, plus courts, moins négociés, en sont relevés. Dans ces conditions, il n'y aurait pas grande logique à alourdir à l'excès un instrument qu'on souhaite voir les relayer, avec une réussite qu'on souhaite plus grande et au bénéfice des salariés. C'est la raison pour laquelle il paraît possible, compte tenu du dialogue qui s'est instauré entre nous et qui se poursuivra, que nous reprenions les dispositions du plan d'épargne entreprise de cinq ans pour les 15 000 premiers francs du plan partenarial et que, audelà, nous soumettions le dispositif à un prélèvement qui devra rester à un niveau raisonnable. La justesse de cette position sera-t-elle entendue ? La discussion, précisément, nous le dira.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une porte ouverte ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Tout à fait.

Troisième inquiétude de certains, l'épargne salariale ne pourrait prospérer qu'au détriment des salaires. L'absence de cotisations inciterait les chefs d'entreprise à proposer, et les salariés à accepter, des arbitrages épargne contre salaire qui conduiraient non seulement à une réduction de l'assiette des cotisations par rapport à l'évolution qui aurait été la sienne en l'absence de plan partenarial, mais aussi à un appauvrissement relatif des salariés. Je ne crois pas que cette crainte soit fondée. Ce serait, en effet, négliger les salariés eux-mêmes, qui précisément, comme vous le savez, géreront les fonds, et la force de ceux qui y souscriront. En outre, le taux d'épargne des ménages est, en France, déjà élevé puisqu'il représente en moyenne 15 % du revenu de nos concitoyens ; compte tenu de ce niveau élevé, un nouveau produit pourra éventuellement être à l'origine de déplacements entre les différentes formes d'épargne, mais il ne devrait pas avoir pour conséquence de se substituer au salaire.

J'ajoute que l'épargne salariale, telle que notre texte la conçoit, est plafonnée. Elle est peu susceptible de faire de l'ombre à la sécurité sociale. De plus - ceci est très important - elle ne pourra exister, à la différence de l'actuel plan d'épargne entreprise, sans un accord précis entre partenaires sociaux, donc des syndicats de salariés.

Dans ces conditions, le plan partenarial, loin d'être un danger, devrait constituer en fait un atout pour les rémunérations salariées ,...

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Tout à fait ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... singulièrement les plus basses d'entre elles, en les renforçant de sommes sur lesquelles les salariés n'auraient pu autrement compter. Ce plan est un moyen d'accroître la rémunération globale sans fragiliser les entreprises ni précariser les salaires.

Dernière interrogation, celle qui concerne la rente et le capital. Certains pensent que la sortie en rente, même si le mot ne figure pas dans le projet de loi, risquerait d'avoir pour effet de tirer, ne serait-ce qu'en affichage, le plan partenarial du côté des retraites. Avec le Gouvernement, avec votre commission, nous avons examiné cette réticence. Nous avons eu aussi à l'esprit, parce qu'il le faut, des arguments différents présentés notamment par ceux qui, plus jeunes, auront à faire face au coût des études de leurs enfants ou encore devront rembourser des prêts. Au total, si votre commission a souhaité que la sortie en rente soit laissée à la libre discrétion du salarié, qu'un contrat privé avec son banquier devra concrétiser, elle a prévu exclusivement trois types de sorties en capital : soit d'un bloc, soit en versements échelonnés proportionnels à la durée et au rythme d'épargne, soit par parts fractionnées. Ce choix devrait éviter les risques de suspicion et constituer, s'il est accepté, une heureuse synthèse.

Mesdames, messieurs les députés, la gauche, comme c'est normal, forge de nouveaux outils, elle ne change pas de valeurs. Il s'agit, avec cette loi sur l'épargne salariale, tout simplement de moderniser des dispositifs devenus inadaptés, de répondre aux attentes des salariés, notamment des petites et moyennes entreprises, d'apporter par ce moyen « un peu de meilleur » à des centaines de milliers de nos concitoyens qui y ont droit, et, en retour, de renforcer l'activité des entreprises, donc l'emploi.

Je suis de ceux qui considèrent qu'un droit pour les salariés peut être une chance pour l'entreprise. Simplifier des instruments, clarifier des objectifs, démocratiser un


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usage, c'est le sens précis de ce projet de loi sur l'épargne salariale. C'est le sens d'une croissance qui doit devenir plus solide en étant plus solidaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard et M. Daniel Feurtet.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Jean-Louis Dumont.

Excellent rapporteur !

M. Jean-Pierre Brard.

Pas seulement, il est brillant !

M. Jean-Louis Dumont.

Les deux !

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, mes chers collègues, permettez-moi une adresse en guise de liminaire, ce qui ne m'arrive jamais, une adresse à quelqu'un qui est monté jadis à cette tribune, à un de mes prédécesseurs, Jean-Baptiste André Godin. Vous le connaissez peut-être, il a construit le plus grand phalanstère de ce pays à Guise, la ville des Ducs.

Homme de gauche, fouriériste, inventeur de l'association capital-travail dans ce pays et auteur des Equivalents de la richesse et des Solutions sociales.

Quelquefois, le clin d'oeil historique est signifiant.

M. Jean-Louis Dumont.

Nécessaire !

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une adresse posthume !

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Depuis maintenant près d'un an que le rapport sur l'épargne salariale a été remis au Premier ministre, l'épargne salariale sort progressivement du ghetto dans lequel elle s'était petit à petit enfermée, depuis maintenant plus de quarante ans.

Ces dernières années, la société civile, les salariés et les entreprises ont manifestement modifié leur regard sur l'épargne salariale. Je crois que cela s'explique au moins de deux manières.

D'une part, le retour de la croissance et l'amélioration des revenus du travail et du capital générés par les entreprises donnent de nouvelles perspectives d'amélioration du pouvoir d'achat des salariés. L'épargne salariale est conçue comme un instrument potentiellement utile aux salariés pour compléter leur principale rétribution qui est et restera bien entendu, comme M. le ministre des finances vient de le réaffirmer, le salaire direct.

D'autre part, le projet de loi privilégie le dialogue social sur l'épargne salariale au sein des entreprises, plutôt que des orientations imposées d'en haut, forcément mal comprises des salariés eux-mêmes.

Ce changement d'attitude de la part des salariés se retrouve aussi dans les prises de position syndicales. Nous assistons, en effet, à une véritable mutation des discours et des pratiques des organisations syndicales dans notre pays. Rares sont les syndicats qui aujourd'hui se désintéressent totalement des enjeux du conseil de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise. Ils ont le sentiment qu'il y a du grain à moudre autour de l'épargne salariale : le débat sur l'épargne salariale peut donner encore plus de consistance à la démocratie sociale dans les entreprises. En même temps, ils sentent bien qu'ils n'ont pas le monopole de la représentation des salariés actionnaires qui s'organisent aussi sous forme d'associations pour exprimer en nom collectif leurs sentiments sur les orientations des FCPE. Le texte et les modifications apportées par les amendements adoptés en commission des affaires sociales ou en commission des finances permettent de clarifier les enjeux de démocratie sociale et pas seulement de démocratie actionnariale dans les entreprises.

Toutes ces évolutions changent aussi la façon dont le législateur est amené à intervenir pour réformer l'épargne salariale.

D'abord, au niveau de la méthode de la réforme, les mutations de la société salariale française nous conduisent à rejeter une approche fondée uniquement sur l'épargne salariale par ordonnance. Cette vision coïncide avec une conception institutionnelle et juridique de la participation et de l'association capital-travail, vision qui a fortement marqué les années soixante, mais, qui, l'expérience l'a montré, a eu du mal à devenir réalité en France, au moins dans sa dimension la plus ambitieuse. Une des illustrations de l'échec de cette conception est d'ailleurs l'importance des fonds en déshérence de l'épargne salariale : alors que nous avions estimé leur montant, dans le rapport que j'avais commis avec M. Jean-Baptiste de Foucauld, à près de 354 millions de francs, mais selon des sources plus récentes - nous avions regardé uniquement au niveau de la Caisse des dépôts et consignations mais il y a des fonds de déshérence dans les sociétés de gestion en particulier, et donc des fonds logés au passif des FCPE - ce montant est beaucoup plus important.

M. Jean-Louis Dumont.

Eh oui !

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

De la même manière, il ne saurait être question de privilégier une méthode destinée à introduire des formes nouvelles de flexibilité des rémunérations. Dans ce cas, le seul but poursuivi consiste à individualiser la rémunération, sans que cela entraîne de changement en termes de démocratie sociale dans l'entreprise ou sans que l'on se préoccupe des c onséquences en termes d'inégalités et de cohésion sociale. Cette conception de l'épargne salariale comme moteur auxiliaire de la flexibilité de marché semble prévaloir dans les pays anglo-saxons et influence forcément la gestion des ressources humaines dans les entreprises multinationales. Ce n'est clairement pas la vision du projet de loi.

Reste la troisième voie : j'ai le sentiment que le changement de la société salariale française plaide en faveur d'une conception négociée et créatrice de nouvelles régulations sociales et économiques de l'épargne salariale.

Cette conception intègre, au lieu de l'exclure, l'épargne salariale dans le contrat social. Dans cette perspective, la formation et l'utilisation de l'épargne sont négociées, la mise en place d'une gouvernance démocratique dans l'entreprise est recherchée et l'épargne salariale est un droit du salarié, susceptible de l'aider, dans une société désormais moins stable, à gérer son développement personnel dans un cadre collectif mieux organisé. Cette approche n'est cependant pas exclusive des deux autres : ces trois conceptions de l'épargne salariale s'interpénètrent nécessairement et même dans cette troisième hypothèse, qui laisse plus de place aux acteurs collectifs, la dimension institutionnelle et juridique est absolument nécessaire, tandis que les contraintes du marché ne peuvent non plus être éludées.

Changements de regard des salariés et de leurs organisations représentatives, changement dans la façon de réformer l'épargne salariale avec les salariés, tout cela se traduit aussi par des inflexions récentes importantes dans la nature et la composition de l'épargne salariale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Cela m'amène à formuler quelques observations sur l'épargne salariale.

Premièrement, au 30 juin 2000, l'épargne salariale totalise en France près de 375 milliards de francs d'encours nous avions indiqué dans notre rapport 350 milliards au 31 décembre 1999, ce qui vous donne une idée de l'accroissement - répartis dans environ 3 500 FCPE. Si l'on intègre les comptes courants bloqués, qui ne sont pas répertoriés dans les actifs des FCPE, on peut raisonnablement chiffrer le montant de l'épargne salariale aujourd'hui à 400 milliards. 400 milliards, c'est un dixième un dixième ! - de l'encours de l'assurance-vie, qui a passé fin 1999 4 000 milliards d'encours. Et c'est à peine le tiers de l'épargne réglementée en France. Par rapport aux salaires, elle représente autour de 2 % de la masse salariale brute des salariés, ce qui est peu. Il convient donc de relativiser le discours sur la substitution de l'épargne salariale aux salaires.

Deuxièmement, au cours de ces dernières années, l'épargne salariale a connu une progression importante qui tient autant à la progression du cours des actions détenues dans les plans d'épargne entreprise qu'au mouvement d'adhésion des salariés aux dispositifs, qui se reflète par l'importance des versements volontaires des salariés dans leur PEE : en 1999, près de 26 milliards de francs ont été versés volontairement par les salariés. Ce chiffre est signifiant.

Troisièmement, l'épargne salariale est le résultat d'un processus de réformes successives qui lui donne l'aspect d'un millefeuilles. Telle que les salariés la connaissent actuellement, l'épargne salariale est le résultat d'un long processus de complexification croissante qui a commencé en 1957 par la première loi sur l'intéressement et qui s'est, grosso modo , enrichie de nouveaux dispositifs en moyenne tous les cinq ans. Huit modifications législatives majeures ont été apportées en plus de quarante ans.

En plus de l'intéressement qui, comme l'a rappelé tout à l'heure M. le ministre, concerne 5,5 millions de salariés, l'épargne salariale comprend : la participation des salariés, qui intéresse près de 4,9 millions de salariés ; les PEE, près de 9 000 PEE ouverts en France ; l'actionnariat salarié, loi de 1986 plus d'un million de salariés sont aujourd'hui actionnaires de leurs entreprises, 75 % des sociétés cotées font de l'actionnariat salarié ; le compte épargnetemps, moins connu, mais qui fait partie également de l'épargne salariale.

Quatrièmement, l'épargne salariale est concentrée sur les grandes entreprises et ne concerne que très marginalement les salariés des PME, à peine 3 % d'entre eux.

Si l'épargne salariale connaît, sur la période récente, une évolution importante, il reste que trois raisons majeures peuvent être évoquées pour justifier la réforme de l'épargne salariale.

Première raison, l'existence des laissés pour compte de l'épargne salariale, tout particulièrement dans les PME.

Cela tient : à la complexité des dispositifs - il convient donc d'être vigilant pour les simplifier ; au manque d'intérêt des réseaux distributeurs à les faire connaître au x PME, qui se traduit par une méconnaissance manifeste à la fois des employeurs et des salariés sur les possibilités ouvertes par les dispositifs d'épargne salariale ; à d'évidentes disparités salariales entre les grands groupes et les PME qui se retrouvent bien évidemment dans l'épargne salariale.

Sur ce point essentiel, le projet de loi propose, non seulement l'amélioration des dispositifs existants, mais surtout la création du plan d'épargne interentreprises (titres I et II du projet de loi). Le PEI peut aider à la diffusion de l'épargne salariale dans les PME en France. La création du PEI est véritablement, avec le PPESV, l'élément le plus central de ce projet de loi.

Deuxième raison : il importe de mieux réorienter l'épargne vers le long terme et le financement des PME et de l'économie solidaire, titre III. Lorsque les salariés arrivent aujourd'hui au seuil des cinq ans de leur PEE actuel, ils sont de plus en plus nombreux à le prolonger d'eux-mêmes sans que le produit long existe. Malheureusement, cette faculté se fait sans le souci essentiel de préserver l'épargne des salariés. Ainsi les PEE à dix ans qui existent d'ores et déjà dans les grandes entreprises sont surtout construits autour et pour l'actionnariat salarié. Le PPESV qui est proposé dans ce projet de loi constitue un progrès essentiel en termes de sécurisation de l'épargne des salariés parce qu'il fonctionne sur des règles évidentes de diversification des risques.

Un autre avantage réside dans le retour en fonds propres vers les PME, qui ne se fait pas dans des conditions de rentabilité et de sécurisation maîtrisée sur un produit à cinq ans.

Nous savons que, pour financer les fonds propres de nos entreprises et réorienter l'épargne vers le développement économique, il faut proposer des produits d'épargne longue, qui assurent sur le long terme efficacité économique et sécurisation de l'épargne. Avec le PPESV, l'épargne salariale va pouvoir initier une réallocation nécessaire de l'épargne des Français vers le financement des fonds propres de nos entreprises.

Mes chers collègues, surtout dans les PME-PMI, nous atteignons difficilement des taux d'investissement qui nous permettraient d'envisager un scénario de croissance longue comparable à ce qui se passe dans d'autres pays, et qui, d'ailleurs, n'est pas démenti par les derniers indices de progression de la productivité dans les entreprises. Plus l'investissement sera élevé en France, plus les gains de productivité générés par notre économie seront forts et plus nous serons en mesure d'envisager un meilleur partage de la valeur ajoutée et des profits dans l'intérêt des salariés.

Il y a l'espace en France pour un modèle de croissance qui n'oppose pas salaire et épargne salariale et qui ne prône pas la mise en place des fonds de pensions. Ce modèle de croissance repose sur la recherche de nouveaux gains de productivité et l'enrichissement de la démocratie sociale dans les entreprises.

J'en viens à la troisième raison : mettre la démocratie sociale au coeur de l'enjeu de l'implication des salariés dans les différents supports de l'épargne salariale - c'est le titre IV du projet de loi.

Les dispositions du texte vont dans le sens d'un renforcement des droits des salariés et d'une diffusion très large du dialogue social au sein des entreprises sur tous les aspects relatifs à l'épargne salariale.

Pour favoriser l'émergence du dialogue au sein des entreprises et pour s'en tenir aux finalités de l'épargne salariale, la commission des affaires sociales puis la commission des finances ont entrepris de retirer la possibilité de sortie en rente du produit long d'épargne salariale. Dans ces circonstances, les accords de mise en place du PPESV pourront se nouer sans qu'il y ait d'ambiguïté sur les objectifs du produit long terme.

Par souci de pédagogie et en prolongation du PEE actuel, la commission des finances a également ouvert aux salariés la possibilité d'opter pour un PPESV glissant. Elle estime que l'attrait du produit long terme ne constitue


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pas en soi une condition de son succès : sa simplicité de mise en oeuvre et d'utilisation sont autant de gages sérieux pour sa réussite.

Sur un autre plan, la commission des finances a tenu compte du risque de conflit de légitimité qui pourrait naître entre, d'un côté, les associations d'actionnaires salariés et, de l'autre, les syndicats. Pour cette raison, elle a adopté un amendement rendant obligatoire le débat en assemblée générale sur la représentation des salariés au conseil d'administration dès lors que, tous les trois ans, une entreprise atteint le seuil de 3 % d'actionnaires salariés.

Pour conclure, je voudrais souligner la qualité des discussions qui se sont nouées non seulement à la commission des finances et à la commission des affaires sociales, car j'ai eu l'occasion de travailler avec mon collègue rapporteur pour avis, mais aussi au-delà, et en particulier avec les organisations syndicales. Au-delà de notre assemblée, au-delà des différentes sensibilités, il y a les organisations syndicales et, si nous voulons faire bouger le monde de l'épargne salariale, il faut évidemment faire bouger l'ensemble du monde syndical. La société civile, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, a beaucoup évolué.

De ce fait, le projet de loi est perçu comme un bon projet et non comme un mauvais projet. Une réelle attente se fait jour pour développer et mieux utiliser l'épargne salariale. Cette attente est portée par la diffusion récente de l'épargne salariale à la plupart des salariés des grands groupes. Nous le voyons bien, les salariés sont de plus en plus impliqués dans les débats d'orientation des FCPE.

Pour ces raisons, le projet de loi est porté et attendu par la société civile. Il est porté y compris par des responsables syndicaux qui sont souvent impliqués dans la gestion au quotidien des FCPE.

Quant au législateur, il n'a pas à avoir d'états d'âme sur le pourquoi de son action : ne laissons pas au marché le soin de réguler l'épargne salariale dans notre pays car, autrement, seuls les salariés protégés des grandes entrep rises en bénéficieront ! Permettons au plus grand nombre de salariés de ce pays de bénéficier à leur tour de l'épargne salariale ! Facilitons le financement des PMEPMI ! Aménageons de nouveaux espaces de dialogue social au sein des entreprises ! Telles sont les ambitions du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste.

M. Jean-Jacques Jégou applaudit également.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le Premier ministre avait annoncé, après votre nomination, qu'un projet de loi sur l'épargne salariale serait déposé au Parlement dès la rentrée parlementaire.

Le projet de loi dont nous discutons est très largement inspiré du rapport sur l'épargne salariale remis au Premier ministre par Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan, et notre collègue Jean-Pierre Balligand. Il nous paraît intéressant à plusieurs titres.

Dans ma brève intervention, je voudrais revenir sur les débats qui ont animé la commission des affaires sociales qui a examiné ce texte le 20 septembre dernier.

N otre commission a adopté un certain nombre d'amendements - treize au total -, dont plusieurs ont été votés à l'unanimité. Certains de ces amendements visent à préciser la portée du texte, alors que d'autres vont un peu au-delà - je pense en particulier à ceux qui tendent à renforcer la présence et le rôle des salariés tant dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement que dans les conseils d'administration des entreprises.

Permettez-moi de rappeler d'abord les principes qui fondent et justifient pleinement la démarche du projet de loi.

A mon sens, quatre principes définissent le cadre et la philosophie d'ensemble de ce texte.

Premièrement, le but de l'épargne salariale n'est tout d'abord pas d'augmenter le taux de l'épargne dans notre pays - aujourd'hui, l'épargne des Français représente près de 15 % du PIB -, mais bien d'encourager la constitution d'une épargne plus longue et plus active, l'essentiel de l'épargne française se concentrant actuellement sur des produits obligataires, non productifs pour les entreprises.

Faut-il rappeler que près de 40 % de l'actif social de certaines entreprises cotées au CAC 40 sont détenus par des non-résidents ? Deuxièmement, le développement de l'épargne salariale ne constitue pas une « monnaie d'échange » pour la réforme des retraites. Celle-ci fera dans les prochains mois l'objet de propositions et d'initiatives du Gouvernement, dans le prolongement du rapport Charpin et des orientations attendues à la suite de la création récente du Conseil national des retraites.

T roisièmement, il ne saurait être question que l'épargne salariale se développe au détriment des salaires :e lle doit définitivement être regardée comme un complément de rémunération. Il est en effet important que les salariés bénéficient du fruit de la croissance, laquelle se traduit notamment par de fortes augmentations du capital des entreprises constatées depuis plusieurs années. Par ailleurs, le principe de non-substitution doit être réaffirmé avec force.

Quatrièmement, la modernisation de l'épargne salariale ne clôt bien évidemment pas le débat sur la question des conflits d'intérêts persistants entre le travail et le capital.

Ces conflits sont inscrits dans notre culture et ont pris tout leur sens dans le récent débat entre l'entreprise Michelin et ses salariés.

Je souhaiterais à présent souligner les points forts du projet de loi qui ont retenu notre attention.

Ce texte ne remet nullement en cause les mécanismes complétés au fur et à mesure de l'adoption de nouveaux textes de loi. Il vise au contraire à renforcer l'efficacité des outils existants, à les rendre moins complexes, plus lisibles. Ceux-ci peuvent en effet être améliorés et ils doivent l'être puisque seuls 4,5 millions de salariés en bénéficient.

Les mécanismes d'épargne salariale connaissent aujourd'hui un succès de plus en plus manifeste, mais ils présentent un certain nombre de défauts auxquels il convient de remédier.

En premier lieu, ces mécanismes restent encore insuffisamment négociés.

En deuxième lieu, l'épargne salariale reste trop peu développée dans les petites et moyennes entreprises, ainsi que Jean-Pierre Balligand l'a rappelé.

En troisième lieu, les conditions d'ancienneté aujourd'hui posées demeurent défavorables aux salariés les plus mobiles et les plus précaires.

En dernier lieu, la durée des placements - cinq ans actuellement pour un plan d'épargne d'entreprise - paraît trop faible au regard des besoins de financement de notre économie.


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Le projet de loi propose des pistes d'amélioration très notables. On peut notamment citer celles-ci.

La réduction des conditions d'ancienneté requises pour bénéficier des dispositifs et les efforts accomplis pour adapter ces dispositifs au phénomène croissant de la mobilité des salariés en facilitant, par exemple, les transferts des sommes épargnées d'un plan à un autre. Vous mesurez comme moi l'intérêt de la création de formes de transportabilité. Jean-Pierre Balligand souhaite créer un livret d'épargne salariable, et je crois que ce serait une bonne chose.

Je citerai également les mesures visant à une meilleure sécurisation des accords d'intéressement grâce à l'institution d'un délai de quatre mois fixé à la direction départementale du travail et de l'emploi pour donner un avis sur la validité de l'accord.

En outre, le projet de loi comporte des dispositions très novatrices visant à enrichir le contenu de l'obligation annuelle de négocier.

La commission des affaires sociales a adopté un amendement visant à ce que l'obligation de rendez-vous annuel entre l'employeur et les syndicats concerne également les entreprises ayant mis en place un système d'épargne salariale afin de permettre aux partenaires sociaux un suivi des mécanismes créés.

Enfin, nous pouvons noter que le projet de loi offre l'occasion de définir, pour la première fois dans un texte législatif, la notion d'économie solidaire.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis.

A partir de ce cadre conceptuel, il est désormais possible de poser comme hypothèse générale que l'entreprise sociale, apparue depuis une vingtaine d'années afin de répondre aux questions suscitées par les mutations contemporaines, s'inscrit dans une perspective d'économie dite solidaire.

Cette économie repose sur une combinaison des trois économies - marchande, non marchande et non monétaire - et est dotée d'un dynamisme de projet articulant une dimension de réciprocité et la référence à des principes de justice et d'égalité.

Certes, la définition proposée n'est pas parfaite en l'état, mais il convient de saluer les efforts réalisés pour développer, à l'occasion d'une relance de l'épargne salariale, ce secteur particulier de notre économie.

Le projet de loi n'a pas pour seule ambition d'améliorer l'existant : il vise surtout à permettre une large extension de l'épargne salariale.

Il met en place, dans son article 5, des plans d'épargne interentreprises destinés à mettre fin à l'exclusion de fait des mécanismes d'épargne salariale pour les salariés des PME et PMI. Est également ouverte une nouvelle possibilité de conclure un accord d'intéressement pour les salariés d'une société holding, prenant en compte les résultats des filiales.

A la faveur de cette rapide présentation, j'insisterai sur trois points. Faut-il, au terme de dix ans, autoriser une sortie en rente du dispositif ? Le non-assujettissement à certaines cotisations ne constitue-t-il pas un risque pour l'équilibre des comptes de notre protection sociale ? Enfin, à propos de la représentation des salariés, ne serait-il pas opportun d'envisager une meilleure gouvernance de l'entreprise en intégrant au sein des conseils d'administration la présence de salariés actionnaires ? Ces trois questions ont été abordées dans un souci d'équilibre, sans que soit perdu de vue l'objectif initial du dispositif législatif que vous venez de nous présenter, monsieur le ministre.

L'un des objectifs majeurs du projet de loi est d'encourager la constitution d'une épargne de long terme, grâce à l'établissement d'un nouveau produit.

Le PPESV est un nouvel instrument d'épargne caractérisé par une durée de blocage des sommes et des valeurs acquises fixée à dix ans au minimum. Il apparaît que dix ans représentent une bonne durée permettant une meilleure adéquation de l'épargne aux besoins de financement à long terme de l'économie française.

Le PPESV est un produit qui permettra aux salariés de se constituer une épargne de précaution. D'un point de vue économique, le dispositif paraît favorable aux salariés qui bénéficieront, grâce à l'allongement de la durée de leur épargne, d'un rendement supérieur à celui des placements à court terme.

Il faut noter qu'en l'état actuel du projet les salariés sont libres de choisir, à la sortie, entre le versement du capital en une fois et le versement d'une rente viagère ou à durée limitée dans le temps.

La commission des affaires sociales a adopté un amendement, qui a également été adopté en commission des finances, supprimant la possibilité de la sortie en rente. Il s'agit ici de bien marquer notre différence avec celles et ceux qui envisageraient de créer des fonds de pension.

Nous nous sommes engagés à abroger, à l'occasion du débat sur le financement de la sécurité sociale, la loi dite

« loi Thomas » instituant les fonds de pension.

Nous avons également souhaité prévoir dans la loi un certain nombre de cas permettant un déblocage anticipé des sommes épargnées : décès du titulaire, départ à la retraite, invalidité du titulaire ou de son conjoint, licenciement ou situation de surendettement. Il s'agit, à travers ces formules de déblocage anticipé, de s'éloigner encore une fois de la notion de fonds de pension.

J'en viens aux cotisations sociales.

En commission des affaires sociales, les discussions sur l'exonération des cotisations pour l'abondement de l'employeur dans le PPESV ont été très denses. Le projet de loi exonère cet abondement de toutes cotisations.

Certes, l'attractivité du produit est ainsi assurée : les chefs d'entreprise seront incités à abonder. Mais les membres de notre commission ne peuvent rester insensibles à la question du financement de la protection sociale.

Nous avons considéré que les branches « accidents du travail » et « famille » pouvaient être laissées à l'écart de cette réflexion car elles sont excédentaires. C'est pourquoi, si nous avons rejeté dans un premier temps les amendements tendant à assujettir l'abondement aux cotisations, nous souhaitons qu'une solution puisse être trouvée et qu'elle garantisse le financement de la protection sociale.

L'assujettissement de l'abondement de l'employeur à hauteur de 8 % - CSG et CRDS -, comme prévu actuellement, garantit partiellement le financement de la branche « maladie » et cela est plutôt positif.

Quant à la branche « vieillesse », malgré l'excédent constaté depuis trois ans, sa dégradation tendancielle est bien connue de tous. Nous avons donc anticipé les risques pesant sur cette branche en créant un fonds de réserve des retraites. Ce fonds de garantie est aujourd'hui abondé au coup par coup soit par l'excédent du FSV, soit par des produits annexes de l'Etat.

Monsieur le ministre, je suis comme vous attaché à la pérennisation de ce fonds de garantie des retraites. Lors de l'examen du prochain projet de loi de financemement de la sécurité sociale, nous allons rendre la gestion de ce


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fonds autonome. Dans ce cadre, ne serait-il pas opportun de créer un prélèvement spécifique visant à abonder de manière pérenne ce fonds de réserve et d'assurer ainsi une partie de son financement ? Cela irait dans le sens d'une meilleure consolidation de notre système de retraite par répartition et serait le gage d'une plus grande autonomie du fonds de réserve des retraites.

Pour conclure, j'évoquerai la représentation des salariés au sein des conseils d'administration ou des directoires des entreprises.

Des événements récents nous ont démontré que les salariés actionnaires d'un important établissement bancaire pouvaient se mobiliser et mettre en échec une OPA inamicale. En retour, ces salariés ont demandé à être représentés au sein des instances dirigeantes, ce qui leur a été refusé.

Cet exemple montre que la notion de gouvernance d'entreprise n'est pas, à l'évidence, culturellement admise dans notre pays. Nous ne pouvons que le regretter. C'est pourquoi nous avons proposé que, dès que les actions détenues par les salariés de l'entreprise concernée représentent 3 % ou plus du capital social, ces actionnaires salariés soient représentés au sein des instances dirigeantes.

Monsieur le ministre, à travers les trois points dont je viens de parler, nous avons essayé de trouver la voie étroite qui conduit à l'équilibre général sans pour autant dénaturer la fonction originale et innovante de votre texte de loi. Il reste maintenant à améliorer les contours de celui-ci et, pour cela, vous pouvez compter sur le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, madame la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, monsieur le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, merci : enfin, ce texte vient devant nous ! En effet, l'opposition avait par deux fois tenté, dans le cadre de son droit de tirage parlementaire, d'aborder le sujet. Et, par deux fois, nous avions fait obstacle à cette volonté, non parce qu'elle est l'opposition et que nous sommes la majorité...

M. Jean-Pierre Brard.

Ah bon ?

Mme Nicole Bricq.

... mais parce que les propositions de loi qu'elle présentait ne répondaient pas à l'ambition de réformer l'épargne salariale.

Au mois de mai 1999, elle nous proposait d'entrer dans le sujet par le plus petit facteur, celui de l'actionnariat salarié.

En février 2000, elle nous proposait un texte sans doute plus large, mais qui mélangeait hardiment les mécanismes d'intéressement individuel, comme les plans d'option, et les mécanismes collectifs, comme la participation.

Enfin, quand le Gouvernement a présenté en avril dernier son projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, l'opposition trépignait : M. Jégou était déçu que le volet d'épargne salariale n'y figurât point ; M. Auberger nous accusait de ne pas respecter la promesse faite lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000, le 22 octobre 1999, promesse faite par Dominique StraussKahn. Il est vrai que ce jour-là, à cette heure-là, sur tous les bancs de l'Assemblée, tous les députés qui étaient présents avaient été touchés - rappelez-vous ! - par la hauteur du sujet qui avait été abordé.

Eh bien, le Gouvernement est allé à son rythme, au rythme qu'avait fixé Lionel Jospin lors des journées parlementaires du groupe socialiste à Strasbourg, en septembre 1999. Il a confié une mission à notre collègue Jean-Pierre Balligand et à Jean-Baptiste de Foucauld, qui ont rendu leur rapport au début de cette année, et il a consulté très largement les partenaires sociaux. Ce travail préparatoire a beaucoup contribué à apprécier à sa juste valeur le sujet de l'épargne salariale et aujourd'hui que s'ouvre ce débat, nous disposons d'un texte solide sur lequel nous pouvons faire notre travail de parlementaire.

Nous partageons en effet les objectifs de ce texte.

Oui, il faut réformer les dispositifs existants qui se révèlent profondément inégalitaires, car tous les salariés ne sont pas à l'heure actuelle traité à la même enseigne ! Le principal mérite de cette réforme est d'étendre l'épargne salariale à tous et notamment aux salariés des petites entreprises.

Oui, il faut réorienter l'épargne, abondante en France, vers les fonds propres des entreprises. Il faut rendre le capital plus productif de richesse, de croissance et d'emplois.

M. Jean-Jacques Jégou et M. Jacques Godfrain.

Très bien !

M me Nicole Bricq.

Ce déplacement sera certes modeste, mais c'est le mouvement qui compte.

Oui, enfin, il faut que les salariés aient de nouveaux droits sur cette épargne qui est la leur, mais aussi sur l'entreprise où ils produisent des richesses dont ils doivent avoir un juste retour. Car il s'agit bien toujours au fond - et là je crois que vous allez moins applaudir, monsieur Jégou - du vieil antagonisme capital-travail.

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais non !

Mme Nicole Bricq.

Nous ne partageons pas en effet - j'ai déjà eu l'occasion de le dire à la tribune à M. Barrot - la vision idyllique de l'opposition qui voit dans la généralisation de l'association capital-travail la solution miracle à une meilleure redistribution. On peut toujours rêver, mais la réalité n'est pas celle-là et, depuis plus de dix ans, le rapport des forces est très défavorable au travail. Et j'oserai citer à cette tribune quelqu'un que l'on ne cite plus souvent, ce bon vieux Marx (Sourires et exclamations sur divers bancs), qui en 1904, je crois - je parle de mémoire...

M. Jean-Pierre Brard.

D'outre-tombe alors ! Il était mort depuis 1883 ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq.

Bon, à la fin du

XIXe siècle, il disait que plus l'antagonisme était grand entre le capital et le travail, plus la pensée dominante masquait cet antagonisme par un discours sublime et généreux. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vous comprendrez donc ma méfiance !

M. Jean-Pierre Brard.

Madame Bricq, il faut recommencer parce qu'ils n'ont pas l'habitude de la dialectique ! (Sourires.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Mme Nicole Bricq.

Ce n'est en tout cas pas au moment où la montée de la revendication salariale se fait l'écho de ce nécessaire rééquilibrage que nous allons oublier la juste place que doit avoir le salaire direct dans les entreprises.

De notre point de vue - M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'a rappelé -, l'extension de l'épargne salariale ne saurait être un substitut au salaire direct. Il s'agit d'un plus, pas d'un moins. Pourquoi en effet accepterions-nous que les salariés n'aient que leur salaire, sans référence à la richesse qu'ils créent ? Pourquoi seraient-ils toujours exclus de la définition du revenu primaire ? De la même manière que nous distinguons bien les mécanismes individuels d'intéressement mis en place comme outils de management et de motivation dans les entreprises des mécanismes collectifs, nous distinguons l'épargne longue de l'épargne de prévoyance retraite et, pour tout dire, d'un substitut aux retraites par répartition.

Pour nous, le débat sur les fonds de pension est définitivement clos depuis l'annonce solennelle, faite dans cet h émicycle, de l'abrogation formelle de la loi dite

« Thomas » tant par la ministre de l'emploi que par le ministre de l'économie et des finances de l'époque. Nous voulons que ce texte soit, au sortir de notre travail, simple et lisible, et que les partenaires sociaux puissent s'en emparer dans les négociations désormais obligatoires qu'ils conduiront.

Nous serons donc attentifs au sort final qui sera fait aux amendements votés par la commission des finances qui prévoient, pour l'un, une sortie en une seule fois de l'épargne mise sur le compte des salariés, non exclusive d'une sortie fractionnée à la demande des salariés. Il nous semble que nous concilierons ainsi la protection légale du dispositif et la liberté laissée aux salariés.

Quant au sujet des charges dues au titre de l'abondement de l'employeur, nous souhaitons concilier la nécessaire attractivité que doit avoir ce nouveau produit d'épargne longue par rapport aux produits existants et la présence d'un prélèvement juste et raisonnable qui sera destiné au fonds de réserve des retraites.

Enfin, dernier sujet qui nous mobilise : la place faite à la représentation des salariés dans la gesion des fonds ainsi collectés. Le projet de loi est très ouvert sur ce point. Il ne peut y avoir, pour nous, de conflit de légitimité entre la représentation syndicale et celle des associations d'actionnaires salariés. C'est donc ce souhait qui nous guidera.

Pour la première fois dans notre législation, ce texte assurera une reconnaissance à l'économie solidaire et nous sommes particulièrement attachés à la sécurisation de cette épargne.

Voilà, monsieur le ministre, l'esprit dans lequel nous abordons cette discussion. Vous trouverez au groupe socialiste non seulement un soutien fidèle, mais aussi une force soucieuse de voir réunies les composantes de la majorité plurielle. Ce n'est pas un exercice facile,...

M. Jean-Jacques Jégou.

Ça c'est sûr !

Mme Nicole Bricq.

... mais nous avons la volonté commune de rendre la copie propre.

La discussion sera-t-elle de nature à calmer l'impatience maintes fois exprimée par l'opposition ? Je ne le crois pas - mais on peut toujours essayer ! -, car nous avons deux visions différentes des rapports sociaux. On nous accordera de développer la nôtre à l'occasion du débat sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Godfrain.

M. Jean-Pierre Brard.

Ce n'est pas « Saint-Marx », c'est Saint-Jacques !

M. Pierre Forgues.

La voix du capital !

M. Jacques Godfrain.

Je n'imaginais pas un instant, il y a quelques minutes à peine, que Karl Marx serait invoqué à cette tribune en ce début de

XXIe siècle !

M. Jean-Pierre Brard.

Rappelez-vous 1848 !

M. Jacques Godfrain.

J'avoue, madame Bricq, que vous avez fait preuve d'un certain humour pour commencer cette session parlementaire.

M. Jean-Pierre Brard.

Ce sont des références culturelles historiques !

M. Jacques Godfrain.

Au moins M. Balligand a-t-il cité un natif de sa propre circonscription en parlant de M. Godin. C'est une fidélité géographique à laquelle nous sommes sensibles.

M. Pierre Forgues.

Il y a des idées qui sont toutes neuves !

M. Jacques Godfrain.

Je voudrais quant à moi simplement rappeler ce que disait le général de Gaulle en 1942, trois ans avant la victoire des Alliés, de la France : « Nous allons gagner la guerre, et alors ? Cela ne servirait à rien si l'on ne transformait pas la condition sociale. »

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

C'est aussi ce que disait Badinguet !

M. Jacques Godfrain.

Cette phrase du général de Gaulle, que tout le monde sur ces bancs peut approuver, nous permet de situer le débat au niveau auquel il doit l'être. Or j'avoue qu'en lisant le texte de loi, que nous avons découvert il y a peu, nous étions très loin des espérances que nous avions pu nourrir ici ou là sur ces bancs, dans l'opposition comme, je le sais, sur certains rangs de la majorité.

En effet, ce texte de loi est le fruit de péripéties que je q ualifierai de politiciennes. Qu'elles soient internes au Gouvernement cela ne nous intéresse d'ailleurs guère, parce que nous estimons avec solennité et gravité que l'ensemble des partenaires des entreprises françaises méritaient mieux. En effet, parmi toutes les choses qui manquent à ce texte, il en est une qui lui fait cruellement défaut, c'est la dimension de préoccupation sociale. Ce projet de loi manque d'humanisme vis-à-vis de ceux qui vivent de leur travail et qui contribuent aux performances des entreprises françaises.

D'après ce que nous avons entendu il y a quelques instants, ce texte de loi sur l'épargne salariale serait en quelque sorte ramené à l'idée qu'il permettrait d'acheter un véhicule, un appartement, bref de se faire plaisir. L'affaire mérite beaucoup plus et mieux que cela ! Il est dégradant pour l'idée même de participation de réduire ce premier texte de la session parlementaire à un simple acte d'achat différé. Autant jouer au loto, monsieur le ministre des finances, et dire ici que vous plaidez pour la Française des jeux qui dépend de votre ministère.

M. Jean-Pierre Brard.

Là, on vole haut !

M. Jacques Godfrain.

Notre déception est d'autant plus grande que nous pensions que le socialisme, devenu parti de gouvernement, s'ouvrirait à des conceptions modernes de l'économie et surtout à une vision sociale qui abandonne les vieilles lunes de la lutte des classes, madame Bricq.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Le refus de faire de ce texte la pierre d'achoppement d'une conception des rapports sociaux dynamique pour l'entreprise et porteuse d'une conception ouverte et généreuse de l'homme dans son travail montre à quel point l'entreprise reste pour vous le champ clos de la lutte des classes. D'ailleurs, si quelqu'un ici pouvait en douter, je le renverrais à ce qu'a dit M. Terrasse il y a un instant. La surenchère marxiste du propos de Mme Bricq, naturellement repris par M. Brard, nous promet de beaux jours pour l'étude de ce texte. Dans la conception qui est la nôtre, monsieur Brard, il s'agit simplement d'ouvrir un nouveau droit pour le salarié : le droit au patrimoine - de cela, vous ne parlez pas ! -, c'est-à-dire la possibilité pour les salariés d'avoir le droit que tout citoyen devrait aujourd'hui posséder, celui d'accéder à un patrimoine.

M. Arthur Dehaine.

Très bien !

M. Jacques Godfrain.

Il y avait pourtant des pistes intéressantes dans le rapport de notre collègue Balligand, et je le lui dis ici comme je le lui ai dit au Conseil supérieur de la participation. Lors de l'audition à laquelle nous avons assisté dans cette instance les représentants des forces syndicales et ceux du secteur économique ou de la classe politique, toutes tendances confondues, ont apprécié certains aspects séduisants de son propos. M. Pascal Terrasse a rappelé la qualité de ce rapport. Hélas, qu'en est-il aujourd'hui ? Il est totalement déshabillé ! C'est son squelette que nous trouvons dans ce texte de loi.

J'avais moi-même estimé, lors de cette réunion du Conseil supérieur de la participation, que le propos et le rapport n'étaient pas inintéressants et que l'on devrait en tirer des conséquences au niveau de la loi. J'avais alors dit à mes collègues que si les choses suivaient cette ligne, nous pourrions au minimum nous abstenir.

Aujourd'hui, la déception est forte. Elle est grave. En effet, pour nous la conception de la politique ne se sépare pas d'une certaine conception de l'éthique. Or cette éthique, nous ne la retrouvons pas. Certes, nous aurions dû nous douter que les choses tourneraient mal assez vite.

Le Gouvernement et sa majorité avaient en effet refusé de discuter de la proposition de loi déposée par M. DousteBlazy le 8 février dernier et de celle de M. Balladur, cosignée par l'ensemble des groupes de l'opposition le 16 mai dernier. Nous pouvions toutefois espérer que la majorité et le Gouvernement nous préparaient un très grand texte, un texte qui irait bien au-delà. Je ne préjuge pas de l'attitude que nous aurions eue alors. Mais aujourd'hui votre conception est loin de celle que l'on doit avoir de la participation.

Vous avez bâti ce texte, médiocre au demeurant, sur la crainte que le développement de l'épargne salariale ne se fasse au détriment des salaires et des retraites. Nous en trouvons d'ailleurs l'aveu même dans le propos de l'oratrice précédente, qui a rappelé cette peur de voir se confondre épargne salariale et salaires ou retraites. Or notre conception de la participation - c'est du moins le cas de toutes les avancées que MM. Balladur et Chirac ont fait réaliser à cette idée - distingue bien l'épargne salariale des rémunérations. En effet, les rémunérations représentent la contrepartie monétaire de la mise à disposition par le salarié de sa force de travail, de son talent, de sa matière grise.

M. Christian Cuvilliez.

C'est une définition marxiste !

M. Jacques Godfrain.

C'était peut-être dans Marx, mais c'était d'abord dans Ricardo, car Marx n'a fait que plagier Ricardo au

XIXe siècle !

M. Jean-Pierre Brard.

Et vous, vous le répétez mal !

M. Jacques Godfrain.

L'épargne salariale quant à elle vise à associer le salarié à l'évolution de la valeur du capital de l'entreprise comme il y a d'ailleurs droit, et cela ce n'est pas marxiste. Le priver d'un droit au patrimoine appelé « participation », c'est le priver de ce droit fondamental. Donc, monsieur Brard, vous êtes « privatif » par rapport à l'ambition du salarié !

M. Arthur Dehaine.

Bien sûr !

M. Jacques Godfrain.

Il faut absolument - j'attends vos amendements sur ce sujet - séparer la négociation salariale de toute discussion concernant la participation.

Mme Nicole Bricq.

On est d'accord !

M. Jacques Godfrain.

Le troisième obstacle que vous ne parvenez pas à franchir, c'est votre refus idéologique et affiché d'aborder la question de l'épargne retraite, pourtant fondamentale. L'examen du projet de loi permettra peut-être de mettre en évidence ce blocage.

Nous sentons bien que les choses risquent d'évoluer dans un sens ou dans un autre, mais nous ne savons pas lequel. Quoi qu'il en soit, si j'en reste au pied de la lettre de ce texte, je constate que, malgré ce qui a été dit, ce gouvernement est en train de refuser aux entreprises françaises d'être favorisées par notre propre épargne alors que les fonds de pension étrangers, notamment anglo-saxons, frappent à la porte. Dans votre conception des affaires publiques, l'idéologie doit décidément l'emporter sur l'efficacité. En voilà une preuve ! Je voudrais maintenant reprendre ce qui a été également avancé il y a quelques instants, avant que je prenne la parole, concernant les OPA hostiles. Il est vrai que, à l'occasion d'au moins deux OPA hostiles, de très grands groupes français ont vu leur situation se rétablir grâce, précisément au regroupement des actionnaires salariés.

On ne louera jamais assez l'action de ceux qui y ont pensé au dernier moment et qui se sont mobilisés. Je ne peux donc qu'approuver mes collègues qui disent, comme M. Terrasse, que c'est une très bonne raison pour justifier l'entrée de ces actionnaires dans les conseils d'administration. La qualité de ceux et de celles que l'on a découverts dans les associations d'actionnaires salariés s'est révélée si grande que certains d'entre eux se sont retrouvés non pas dans les conseils d'administration mais dans les conseils d'orientation stratégique des grandes entreprises concernées.

Mes chers collègues, tous les amendements que nous défendrons au fil de cette discussion auront pour objet d'améliorer le texte dans le sens d'un approfondissement et d'un élargissement. Nous verrons quel accueil la majorité leur réservera, mais je voudrais pour conclure, madame la secrétaire d'Etat et monsieur le ministre, vous livrer quelques réflexions. Ce projet de loi est la démonstration qu'une large majorité peut aussi avoir l'esprit un peu étriqué.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Oh !

M. Jacques Godfrain.

Que se dire socialiste ne signifie pas que le social est pour soi une préoccupation majeure.

Et que la France, au niveau de son gouvernement, n'inaugure pas le

XXIe siècle avec des idées modernes.

Vous en porterez, je le crains, au regard de notre histoire sociale, la lourde responsabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie FrançaiseAlliance.)

M. Henri Emmanuelli, président de la commission.

Ça se voulait une envolée, mais c'est un flop !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

M. le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet.

M. Daniel Feurtet.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, avec ce projet de loi, nous sommes devant une nouvelle étape de la législation sur l'épargne salariale. Lancée au début de la législature, l'idée d'une réforme a fini par voir le jour. Il est vrai que de nombreux arguments plaident en sa faveur, à commencer par la montée en puissance de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié dans les entreprises françaises.

375 milliards de francs : c'est le montant de l'épargne salariale accumulée dans les fonds communs de placement des entreprises à la fin du premier semestre 2000. Au début des années 90, on frôlait à peine les 80 milliards.

C'est dire si la décennie qui vient de s'écouler a été marquée par l'envolée de cette forme d'épargne.

Outre l'intéressement, qui touche aujourd'hui 5,5 millions de salariés, 4,9 millions de salariés sont concernés par la participation, 9 000 plans d'épargne d'entreprise ont été constitués et l'actionnariat salarié s'adresse à env iron un million de personnes.

Cependant, les dispositifs actuels écartent des millions de salariés de l'épargne salariale. Celle-ci reste en effet concentrée sur les grandes entreprises et ne concerne que très marginalement les salariés des PME, 3 % seulement.

Le projet de loi qui nous est soumis affirme l'objectif de mieux orienter l'épargne salariale vers la production des entreprises et de répartir plus équitablement les fruits de la croissance. Il comporte, en ce sens, un certain nombre de dispositions améliorant les systèmes existants.

Il en est ainsi, notamment, de la réduction de l'ancienneté minimale dans l'entreprise pour pouvoir bénéficier des dispositifs d'épargne salariale, de la possibilité pour un salarié changeant d'entreprise de transférer son plan d'épargne, de la création avec le plan d'épargne interentreprises d'un dispositif tendant à favoriser le développement de l'épargne salariale dans les PME ou encore des dispositions en faveur de l'économie solidaire.

Certes, promouvoir l'épargne salariale est nécessaire mais pour quoi faire ? Il ne faut pas se méprendre sur les raisons de l'encourager. Le but n'est pas d'augmenter massivement le volume de l'épargne, qui est très important en France, mais de chercher à mieux l'orienter. En ce sens, le groupe communiste et apparentés pose quatre questions essentielles à l'égard de ce projet de loi.

Premièrement, dans les conditions de l'économie d'aujourd'hui, le salaire doit rester l'instrument essentiel de la rémunération du salarié et la question du SMIC comme de la hiérarchie des salaires est aujourd'hui fortement posée dans notre pays.

A ce sujet, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. Ces douze derniers mois, la hausse des salaires a été de l'ordre de l'inflation alors que les salariés attendent que leur revenu soit en adéquation avec la productivité de leur travail. D'un point de vue économique, l'amélioration de la productivité au travail doit correspondre, à long terme, à l'évolution des salaires. Or, en France, depuis plusieurs années, la productivité du travail augmente plus vite que les salaires. Il en résulte un partage de la valeur ajoutée défavorable aux salariés. C'est un paramètre qui conditionne à la fois la justice - ou l'injustice - sociale et le profil de la croissance, donc sa pérennité. Ces éléments fondamentaux expliquent aussi pourquoi la question salariale devient si importante aujourd'hui dans les débats.

Deuxièmement, l'épargne salariale ne doit pas fragiliser le système de retraite par répartition : elle a d'ailleurs une nature très différente de l'épargne retraite. Cette dernière est constituée en vue d'assurer un revenu différé. Elle implique des versements réguliers sur une longue période.

L'épargne salariale, en revanche, est plus aléatoire et dépend de la performance des entreprises. Face aux difficultés que risquent de connaître les régimes de retraite par répartition dans les prochaines années, leur consolidation est une priorité et l'épargne salariale ne peut y remédier.

Troisièmement, l'épargne salariale doit être mise au service d'une croissance riche en activité humaine, d'une croissance dynamique parce que solidaire, d'une croissance durable parce que mieux partagée, c'est-à-dire d'une croissance que j'appellerai « économe ». Pour cela, une part significative de l'épargne salariale doit aller au financement de l'emploi, de la formation et de l'innovation dans les petites et moyennes entreprises et les branches souffrant d'un déficit de financement. Elle doit constituer une aide au capital de l'entreprise, celle-ci étant trop souvent soumise à la pénétration de capitaux étrangers exigeant des taux de rentabilité très élevés. L'épargne sala riale peut contribuer à une reconquête progressive des fonds propres des entreprises françaises.

Quatrième question, enfin, le contrôle de l'épargne salariale, épargne des salariés, doit être assuré par des représentants élus de ces derniers : l'épargne salariale ne saurait en aucun cas servir de prétexte à un recul des droits généraux d'intervention des salariés et de leurs représentants.

Au regard de ces exigences, le projet de loi présente, à nos yeux, des aspects préoccupants. Je souligne d'emblée notre opposition aux modalités relatives au dispositif PPESV, qui ne tient pas seulement au risque de pertes de recettes des systèmes de retraite par répartition. La menace de mise en concurrence de l'épargne salariale avec les salaires est pour nous le problème fondamental. Cela risque de déstabiliser l'ensemble du système social en France au travers d'un affaiblissement de la dynamique salariale.

L'exonération de charges sociales et la franchise d'impôts dont bénéficierait l'abondement au PPESV, à hauteur de 25 % de son montant et de 50 % s'il est investi en titres de l'entreprise, conduiraient sans aucun doute les entreprises à choisir l'augmentation de l'épargne salariale plutôt que des augmentations de salaire. Or 10 000 francs versés au lieu et place d'un salaire représentent un manque à gagner de 5 400 francs pour les organismes de protection sociale.

Au chapitre de la concurrence avec le salaire figure aussi le III de l'article 4 qui autorise une substitution de l'épargne salariale au salaire dans le cadre des accords de modération salariale pour le passage aux 35 heures. Cette disposition doit également être remise en cause. C'est en effet à partir de ce processus de substitution que peut s'aggraver le risque de déstabilisation de la retraite par répartition, renforcé par la possibilité prévue dans le projet d'une sortie échelonnée dans le temps, c'est-à-dire d'une rente. Cette sortie échelonnée dans le temps doit absolument être abandonnée et les sommes affectées à l'épargne salariale doivent être soumises à cotisations afin d'éviter notamment que les employeurs ne soient conduits à privilégier cette forme de rémunération au détriment du salaire, et surtout afin de renforcer le système de retraite par répartition.

En mettant en place un canal de l'épargne salariale vers les entreprises relevant de l'économie solidaire, le projet de loi cherche à concilier les attentes respectives des salariés et des acteurs de ces initiatives à forte utilité sociale et sans doute, avec le temps, génératrices d'emplois. Il


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permettrait ainsi aux salariés qui le désireraient d'orienter leur épargne vers des entreprises qui servent l'intérêt général. Ce dispositif va certes dans le bon sens mais demeure, pensons-nous, insuffisant si l'on veut limiter l'orientation de l'épargne des Français vers la Bourse. Ne pourrait-on pas envisager la gestion d'une partie des fonds consacrés à l'épargne salariale par la Caisse des dépôts et consignations et, de façon plus large, par les établissements constituant le pôle financier public pour la réalisation des missions d'intérêt général qui lui sont dévolues ? Autre insuffisance du projet de loi : il ne donne aux salariés actionnaires aucun statut qui leur permette d'être reconnus au sein des conseils d'administration. En effet, le texte renvoie la place des actionnaires salariés à une décision des autres actionnaires.

L'épargne salariale est pourtant l'un des moyens d'associer le plus facilement le personnel de l'entreprise à la création de valeur. Le fait de détenir une part de l'entreprise peut contribuer à modifier les relations sociales en son sein, en les fondant sur la fidélisation, la motivation, la responsabilité et le devenir de l'entreprise. Nous avons tous en tête l'exemple des actionnaires salariés de la Société générale.

Etendre aux salariés les possibilités d'intervention dans la gestion directe, dans les choix stratégiques des entreprises, c'est permettre un peu plus, un peu mieux, au monde du travail de remplir sa vocation civique et citoyenne au sein de la société, c'est étendre le champ de vision et de créativité de l'entreprise pour mieux garantir son développement et son futur. Il est des investissements humains qui n'apparaissent pas immédiatement rentables mais dont les retombées sont porteuses d'avenir.

La gauche a sans doute un grand chantier législatif à ouvrir pour promouvoir des droits nouveaux et étendus de regard et d'intervention pour les salariés dans les entreprises et les groupes privés et publics, dans la production, la recherche, les services, les administrations, les banques, les institutions et pour les citoyens à tous les niveaux de la société.

Madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'épargne salariale ne doit pas devenir une forme de substitution au salaire ; l'épargne salariale ne doit pas être utilisée pour instaurer des fonds de pension déguisés ; les problèmes d'accès au pouvoir et à la codécision doivent être plus sérieusement étudiés. C'est dans cet esprit que le groupe communiste et apparentés participera au débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Le voici enfin, monsieur le ministre, ce texte sur l'épargne salariale que nous attendions depuis... un certain temps. Mais alors que l'on pouvait imaginer, après les déclarations de votre prédécesseur, que vous nous le présenteriez comme un grand projet de société, j'ai constaté d'emblée, et avec moi les orateurs de la majorité plurielle qui se sont succédé, que le ton n'y était pas, que le plaisir n'y était pas.

M. Jean-Pierre Brard.

Mon Dieu !

M. Christian Cuvilliez.

Il est frustré !

M. Jean-Jacques Jégou.

Je sens que le débat que nous allons connaître aura un côté conflictuel, et j'ai aussi le sentiment, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas vraiment sûr de votre affaire. Les discussions de la commission des finances ont montré à la fois qu'il y avait des clivages au sein de la majorité plurielle...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est de la diversité : vous n'avez rien compris !

M. Jean-Jacques Jégou.

... et que l'opposition serait attentive à ce texte qu'elle considère comme important, car il pourrait être innovant et nous faire sortir des débats idéologiques habituels.

Mais comme d'habitude, un pas en avant, deux pas en arrière : la majorité plurielle s'est planté une épine dans le pied qui semble de plus en plus douloureuse et qu'il sera certainement difficile d'extraire au cours de ce débat.

M. Pierre Forgues.

Mais non !

M. Jean-Jacques Jégou.

Cette majorité souhaite, en effet, tout et son contraire. Les uns commencent à comprendre que l'intérêt des chefs d'entreprise comme des salariés est de développer une véritable épargne salariale, les autres forment une fronde contre le salarié actionnaire qui va s'enrichir grâce au capitalisme.

M. Jean-Pierre Brard.

Pas du tout ! C'est vous qui retombez dans l'idéologie !

M. Jean-Jacques Jégou.

Il est évident qu'avec de telles considérations le projet du Gouvernement risque de ne pas aller très loin.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Ce n'est pas très honnête !

M. Jean-Jacques Jégou.

De façon générale, on constate de plus en plus que vous n'êtes d'accord sur rien, les uns tirant à outrance à gauche, les autres essayant de recentrer le débat - n'est-ce pas, monsieur le rapporteur ? - ce qui empêche de mettre en oeuvre les véritables réformes que les Français attendent.

M. Jean-Pierre Brard.

Mais M. Jégou arrive...

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est aussi ce qui rend de moins en moins lisible la politique que vous tentez de mener.

En fait, en présentant ce projet de loi, le Gouvernement tente de répondre à trois questions, dont deux au moins sont d'ores et déjà hors sujet, surtout après votre intervention, monsieur le ministre : le financement des retraites et la stagnation du pouvoir d'achat des salariés.

En revanche, il répond à une troisième question, importante et qui a été abordée par de nombreux collègues en commission des finances : la sous-capitalisation des entreprises. Mais il ne peut, j'y insiste, prétendre régler les deux autres à travers ce projet de loi, qui manque d'ambition et n'a pas été fait pour cela.

Quel est en effet le problème de l'épargne salariale ? Jean-Pierre Balligand, qui connaît le sujet et dont le rapport a été accueilli avec beaucoup d'intérêt, a montré que notre épargne était particulièrement mal orientée. Les Français, en termes d'épargne rentable, sont loin derrière les Anglo-Saxons ou les Allemands puisqu'une grande partie de leur épargne est captée par les mécanismes institutionnels. La rentabilité est donc bien moindre qu'elle ne l'est pour les autres : l'écart est de un à cinq. Les Français sont ainsi moins riches, et cela à cause de mécanismes fiscaux peu avantageux, qui aboutissent en outre à une moindre participation des salariés à leur entreprise.

Mme Nicole Bricq.

C'est faux !

M. Jean-Jacques Jégou.

D'autre part, et c'est la conséquence directe, les entreprises manquent de capitaux et se financent grâce aux capitaux étrangers. Ce n'est pas moi


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qui l'ai dit, mais des membres de la majorité plurielle : 40 % des parts des entreprises françaises sont détenues par des non-résidents !

M. Christian Cuvilliez.

Il n'y a pas de droits d'entrée !

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est dire que notre économie est particulièrement fragile.

Développer l'épargne salariale permettrait à nos entreprises de valoriser leur productivité et d'améliorer l'innovation. Vaste programme, me direz-vous. Pourtant, c'est bien de cela qu'il s'agit : revigorer notre tissu économique, ce qui n'est pas un mince enjeu.

En fait, l'épargne salariale est le résultat de la réussite de l'entreprise, grâce, entre autres, au travail des salariés.

C'est la possibilité de l'épanouissement et de l'enrichissement au sein de l'entreprise. Mais la majorité plurielle ne peut pas imaginer que la richesse créée dans l'entreprise profite à tous. Sur ce point, vous m'avez décu, madame Bricq, car je pensais que vous l'aviez compris.

Mme Nicole Bricq.

Justement, j'en suis convaincue !

M. Jean-Jacques Jégou.

On ne peut demander à la majorité d'accepter le principe du capitalisme populaire et de l'économie sociale de marché. M. Feurtet, peut-être plus...

M. Christian Cuvilliez.

Non, moins ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

Plus ou moins ?

M. Jean-Jacques Jégou.

... je veux dire plus gentiment et avec moins d'outrance que ne le feront sans doute M. Brard ou M. Cuvilliez, nous a montré que Marx est bien toujours le même, et Mme Bricq nous l'a aussi rappelé.

M. Jean-Pierre Brard.

Les exégètes font autorité, c'est comme pour les évangiles !

M. Jean-Jacques Jégou.

Votre réponse à l'attente des salariés est, certes, un élargissement de l'accès à l'épargne salariale et un début d'épargne longue, mais elle ne va pas vraiment dans le sens de l'innovation.

Pour ce qui concerne les capitaux des entreprises, vous répondez relativement bien au problème : élargir l'accès à l'épargne salariale est en effet le meilleur moyen pour drainer des capitaux plus importants, en permettant aux entreprises qui en ont besoin de profiter de ces capitaux.

L'amélioration de l'épargne salariale, objet du titre Ier , permet ainsi d'élargir l'accès des entreprises, surtout des PME, à ce type d'épargne, et propose à tous les salariés, y compris les travailleurs intérimaires, d'en bénéficier. Nous ne pouvons bien sûr que vous encourager dans cette voie, mais à une réserve près : il faut être attentif à ne pas compliquer au-delà du raisonnable la gestion de cette épargne par l'entreprise. En effet, il faut penser, et c'est dans votre texte, aux petites structures qui n'ont ni direct ion des ressources humaines ni services financiers capables de gérer des flux d'entrée et de sortie importants.

Il est amusant qu'au détour de ce texte vous donniez aux entreprises la possibilité, dans le cadre des 35 heures, d'amorcer la substitution de l'épargne salariale à une partie du salaire. Certains ne se gêneront pas pour me dire : « Soyez content, on fait un cadeau aux entreprises ! » En réalité, vous vous apercevez enfin de l'effet des 35 heures : le gel des salaires depuis bientôt deux ans, et pour un moment encore. Aujourd'hui, les salariés s'aperçoivent du marché de dupes ! Or, ne vous trompez pas, l'épargne salariale ne doit en aucun cas - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre être un complément de salaire : celui-ci doit rester une juste rétribution du travail accompli au sein de l'entreprise. L'épargne salariale est là, en revanche, pour aider le salarié à se constituer une épargne, le faire participer au développement de l'entreprise et ainsi l'intéresser directement. Je sais bien que cette idée de mélanger le capital et le travail, qui nous a valu tout à l'heure un beau morceau de bravoure, peut faire grincer les dents de certains ; c'est pourtant l'avenir, et il n'y a qu'en France qu'une certaine idéologie refuse encore de l'admettre. Mais la commission des finances ne s'y est pas trompée puisque tous les groupes, y compris le nôtre, ont proposé de supprimer l'éventualité de cette substitution.

L'innovation du texte réside sans aucun doute dans la création du PPESV, qui pourrait d'ailleurs utilement se résumer à ESV, car c'est bien de l'épargne salariale volontaire qu'il s'agit. Je doute fort que « plan partenarial », encore un barbarisme à mettre au compte de notre assemblée, soit utilisé dans la vie quotidienne.

L'idée de départ n'est pas mauvaise, puisque l'on aborde le problème de l'épargne longue, ce qui est très important pour le salarié, mais aussi pour l'entreprise, qui a besoin de conserver ces capitaux.

Le PPESV bénéficiera d'avantages supplémentaires par rapport à l'épargne plus courte, et ce, dans un esprit qu'approuve totalement l'UDF : le volontariat, du salarié comme de l'entreprise.

Le seul problème est que vous voulez faire du quatrième pilier de l'épargne salariale le troisième pilier du système de retraite, ce qui, vous l'avez dit, monsieur le ministre, est absolument incompatible.

C'est même faire une confusion, car l'épargne salariale n'a pas la même fonction que l'épargne retraite. Le seul lien entre les deux ne peut se faire que sur la seule base du volontariat, lorsque le salarié veut transformer son capital d'épargne salariale en instrument de rendement pour sa retraite.

Le Gouvernement lui-même s'est fait prendre au piège : prévoir une sortie en rente fait croire à un début d'épargne retraite. Et vous avez bien vu, monsieur le ministre, la réaction de votre majorité plurielle : c'est le chiffon rouge qu'il ne faut pas agiter, ou encore, comme l'a dit M. Cochet en commission des finances, c'est le mot qu'il faut exorciser. Pourtant, ce n'est pas en ayant cotisé dix ans que les salariés auront une rente suffisante pour améliorer leur retraite.

Depuis quelques semaines, nous observons, non sans intérêt, les prises de bec par journaux interposés au sein de la majorité plurielle : rente ou capital, cotisations sociales ou non. Les uns craignent de voir l'épouvantail de l'épargne retraite revenir à grand pas, les autres tremblent pour le bon équilibre de l'assurance vieillesse.

Sur ces deux points, le débat est totalement erroné.

Mesdames et messieurs de la majorité plurielle, vous avez tort de sortir les griffes sur ce texte : le Gouvernement n'est pas en train de construire le fameux troisième pilier des retraites.

M. François Goulard.

Oh non !

M. Jean-Jacques Jégou.

Le débat sur la rente n'a aucun sens et aucun intérêt, et sur la question de l'assujettissement aux cotisations sociales - CSG, CRDS ou cotisations vieillesse -il est surréaliste : l'épargne salariale n'a jamais été soumise à cotisation et si, par hasard, cette nouvelle forme d'épargne l'était, cela annoncerait sa mort certaine - et peut-être est-ce le voeu de certains - avant même qu'elle n'ait vu le jour.


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Nous pourrions utilement raccourcir le débat dans cet hémicycle si la gauche de la majorité plurielle voulait bien admettre ces évidences. Mais on sait que le Gouvernement, voulant quelquefois tromper sa droite en laissant croire à la création d'une épargne retraite, ne fait qu'irriter sa gauche en la mettant de fort méchante humeur.

M. Jean-Pierre Brard.

Expliquez-vous ! Cela devient compliqué.

M. Jean-Jacques Jégou.

Non, les Français le savent, le Gouvernement n'en est pas à régler le problème de la retraite, qui est pourtant majeur. Cela fait longtemps que nous le disons. Nous avions même adopté en son temps une proposition de loi - cela a été rappelée. Certes, elle ne constituait peut-être pas la solution miracle...

Mme Nicole Bricq.

Non !

M. Jean-Jacques Jégou.

... mais c'était une première a morce. Votre gouvernement s'est malheureusement empressé d'abroger les nouvelles dispositions au lieu peutêtre de les aménager avec les 35 heures. Voilà au moins deux promesses électorales tenues.

M. François Goulard.

Hélas !

M. Jean-Jacques Jégou.

Aujourd'hui, même les Français, pour qui la retraite est une question mal identifiée, en font leur deuxième priorité, après la question fiscale.

Le problème est donc plus que d'actualité. Et ne venez pas nous parler du fonds de réserve des retraites abondé par des recettes incertaines et ponctuelles. Nous savons tous ici qu'il ne réglera aucun problème au fond.

Une fois de plus, vous ratez donc le coche et reculez devant l'obstacle. C'est malheureusement le cas pour de nombreux dossiers, parce que vous vous contentez de gérer l'existant, en remettant à la prochaine période de crise les innovations nécessaires et les réformes structurelles. C'est pourtant normalement en période de croissance qu'il faut réformer car, après, les obstacles se multiplient et les choses se figent.

M. Jean-Pierre Balligand.

Propos de commande !

M. Jean-Jacques Jégou.

A côté des problèmes qui ne sont pas réglés, on trouve dans ce texte diverses bizarreries, la plus frappante étant celle de l'économie solidaire.

Il est plus facile en effet, monsieur le ministre, de nommer un ministre pour l'économie solidaire que de définir cette dernière.

M. Jacques Godfrain.

Eh oui !

M. François Goulard.

Bien vu !

M. Jean-Jacques Jégou.

En outre, et surout pour une majorité comme la vôtre, n'est-ce pas un pléonasme d'accoler ces deux termes, économie et solidaire ? N'oublions pas que l'intérêt du salarié doit être au centre du débat. Or, quel sera l'intérêt du salarié à investir dans une entreprise qui ne fait pas de profit ? Je n'en vois aucun. Ne mêlons donc pas le salarié et son épargne à cette affaire ! En conclusion, le groupe UDF aurait souhaité que ce projet de loi qui, ainsi que cela avait été annoncé, aurait dû être beaucoup plus ambitieux, obéisse à trois principes : la simplicité, l'incitation et la souplesse d'application pour les entreprises comme pour les salariés. Malheureusement, votre texte propose une épargne salariale qui n'est ni simple ni vraiment incitative...

M. Pierre Forgues.

Mais si !

M. Jean-Jacques Jégou.

... et surtout pas souple.

C'est donc, une fois de plus, un rendez-vous qui risque d'être manqué...

M. Pierre Forgues.

Mais non !

M. Jean-Jacques Jégou.

... mais nous ne les comptons plus depuis trois ans maintenant.

C'est au terme des débats dans cet hémicycle et au vu des choix faits par la majorité et le Gouvernement que l'UDF arrêtera son vote sur l'ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

La chute est bien meilleure que le propos central !

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Par ce projet de loi, le Gouvernement souhaite mettre en place les instruments d'une épargne salariale plus démocratique et plus efficace. Pour ce faire, il propose donc d'ouvrir l'épargne salariale au plus grand nombre. La création d'un nouveau produit, le PEI plan d'épagne interentreprises - permettra de généraliser les PEE à l'ensemble des PME-PMI. Il propose également de développer l'épargne salariale à long terme grâce au PPESV - le plan partenarial d'épargne salariale volont aire. Il propose encore de favoriser l'inflexion de l'épargne vers ce que l'on appelle l'économie solidaire c'est l'article 9. Il propose enfin de renforcer les droits collectifs des salariés.

Tout en partageant ces quatre objectifs, je me pose quatre questions. Tout d'abord, y avait-il réellement urgence à proposer un projet de loi sur l'épargne salariale dans un calendrier parlementaire aussi chargé ? Je n'en suis pas sûr.

Mme Nicole Bricq.

Il faut parler de l'épargne salariale !

M. Yves Cochet.

Mais puisque tel est le cas, venons-en au fond et à ma deuxième question. Si l'on s'en tient à l'échelon individuel, les présentes dispositions apparaissent bénéfiques à la fois pour l'entreprise qui ne paye pas de cotisations sociales sur ces versements et pour chaque salarié qui paye moins d'impôts que s'il s'agissait de salaires. C'est donc du « gagnant-gagnant ». Notre pays dans son ensemble risque pourtant d'être perdant, car ces « moins de cotisations », ces « moins d'impôts » vont se transformer en moins de protection sociale, en moins de prestations. C'est là tout le paradoxe. Plus le PPESV aura de succès et plus les retraites par répartition seront fragilisées.

Mme Nicole Bricq.

Mais non !

M. François Goulard.

Vous jouez à vous faire peur, monsieur Cochet !

M. Yves Cochet.

Ma troisième question porte sur le partage de la plus-value. Voilà pratiquement un an, un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, nous avait longuement expliqué qu'un gouvernement menant une politique progressiste devait songer à la redistribution, mais qu'il fallait prévoir, dès la création primaire de richesses, comment partager la plus-value, une partie de celle-ci devant revenir au salarié sous forme de dividende. Dans ces conditions, n'eût-il pas été plus simple, plutôt que de présenter une loi sur l'épargne salariale, d'indexer les salaires sur les gains de productivité constatés ? C'est ce que proposent certains ministres des finances de l'Union européenne. Ainsi, la part de la masse salariale dans la


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valeur ajoutée resterait constante au lieu de baisse comme elle le fait régulièrement en France depuis plus de vingt ans. Les chiffres du rapport de MM. Artus et Cohen du Conseil d'analyse économique sont éloquents.

En 1981, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée était de 73 % en France contre 60 % en 1997. A la même époque, elle était de 70 % aux Etats-Unis, de 67 % en Grande-Bretagne et de 73 % au Japon. Je vois donc dans ce projet un risque supplémentaire que j'ai souhaité évoquer.

J'en viens à ma dernière interrogation. Le PPESV étant un système à cotisation définie, le risque est supporté entièrement par le salarié puisqu'il n'y a pas de garantie de prestation en bout de course.

Monsieur le ministre, le projet de loi ne répond pas à ces quatre questions.

Je concentrerai la deuxième partie de mon intervention sur l'article 9 qui concerne l'épargne salariale solidaire.

J'ouvrirai quelques pistes que je développerai au moment de l'examen des amendements que j'ai déposés.

D'abord, je constate qu'il est difficile de définir une entreprise solidaire.

M. Jean-Jacques Jégou.

Oh oui !

M. Yves Cochet.

La difficulté réside beaucoup dans le fait qu'on s'en est tenu à une définition de type juridique alors que le contenu de la production devrait également intervenir. Je proposerai donc, quant à moi, de circonscrire la définition de l'entreprise solidaire au seul contexte de l'épargne salariale, afin de ne rien préjuger pour les autres lois sur l'économie solidaire qui pourront intervenir.

Ensuite, il importerait peut-être de tenir compte des entreprises individuelles. Je veux parler des anciens chômeurs qui, à titre individuel, veulent aussi créer une entreprise solidaire. Il faudrait également que les emploisjeunes entrent dans le cadre des effectifs pris en compte pour définir les entreprises solidaires.

Par ailleurs, et toujours pour favoriser une certaine souplesse, il conviendrait de considérer comme solidaires, les entreprises bénéficiant de concours financiers d'entreprises elles-mêmes solidaires pour au moins deux tiers de leur capital - ce sont les entreprises visées aux a et b de l'article 9.

Voici encore d'autres orientations que je citerai brièvem ent. Pourquoi restreindre l'épargne salariale, au

PPESV ? Pourquoi ne pas l'élargir à tous les produits de l'épargne salariale, PEE et PEI ? Pourquoi ne pas transformer en obligation la possibilité d'offrir des fonds solidaires pour les plans d'épargne ? Ce sera une offre qu'il appartiendra aux salariés de choisir ou non, En tout cas, il faut que tous les produits d'épargne soient proposés, et notamment que tous les produits puissent s'investir dans l'épargne solidaire, si les salariés le décident collectivement.

Il faudrait également prévoir un décret qui définisse les conditions de montée en puissance des fonds solidaires pour atteindre ce plancher de 5 % puis, éventuellement, le plafond de 10 %. Il conviendrait également de ne pas exiger que les organismes intermédiaires soient investis en totalité dans l'économie solidaire, sous peine de vider de leur sens certaines dispositions de l'article 9.

On pourrait encore envisager certaines dispositions fiscales intéressantes. Par exemple, ajouter au dispositif de la provision pour investissement - la PPI - un avantage direct pour le salarié sous forme de crédit d'impôt, ou octroyer la possibilité d'un crédit d'impôt aux entreprises ne pouvant pas bénéficier de la PPI.

C'est au vu des améliorations qui seront apportées à ce texte - et vous-même, monsieur le ministre, comme d'autres collègues de la majorité les croient possibles que les députés Verts se détermineront quant à leur vote.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Daniel Marcovitch.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. François Goulard.

M. François Goulard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'épargne salariale semble faire l'unanimité. Sur tous les bancs de cette assemblée, à quelques exceptions près, elle ne paraît avoir aujourd'hui que des partisans.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous avez mal écouté !

M. François Goulard.

Historiquement, et suivant en cela la prémonition du fondateur de la Ve République, les gaullistes se sont prononcés les premiers pour l'association c apital travail. N'est-ce pas, Jacques Godfrain ? L'ensemble de l'actuelle opposition les a rejoints, prônant des formes adaptées à notre époque de ce qu'on appelle désormais l'épargne salariale. Plusieurs propositions de loi ont donc été déposées, certaines même débattues, sans rencontrer d'ailleurs le moindre écho à gauche de cet hémicycle.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est qu'elles étaient mauvaises !

M. François Goulard.

A la recherche d'une modernité qui ne se trouve évidemment pas dans l'arsenal idéologique traditionnel de la gauche, votre gouvernement a toutefois annoncé qu'il allait s'intéresser à ce sujet tabou à gauche. Tabou, ce sujet l'a été longtemps, car vous avez été longtemps encombrés, et vous l'êtes encore un peu, quelquefois inconsciemment, par un reste d'idéologie marxiste. (Sourires.)

Or, selon cette idéologie, le capital et le travail ont des intérêts fondamentalement divergeants.

Et vouloir un tant soit peu les rapprocher par divers dispositifs qui permettent de distribuer aux salariés une partie des résultats de l'entreprise était à bannir.

M. Jean-Pierre Brard.

Monsieur Goulard, il y a une unité dialectique contradictoire !

M. François Goulard.

Monsieur Brard, laissez-moi m'exprimer. Vous aurez sans doute la parole tout à l'heure.

M. Jean-Pierre Brard.

Oui, mais vous êtes dans l'erreur !

M. François Goulard.

Il n'y a pas de « oui mais », monsieur Brard. La parole est généralement à l'orateur.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous n'avez rien compris !

M. François Goulard.

Vous m'expliquerez tout à l'heure pourquoi et je vous écouterai avec attention.

Le refus de la participation, de l'intéressement, de l'actionnariat salarié a ainsi été longtemps une lointaine retombée d'un concept mal digéré de lutte des classes.

Aujourd'hui, même si une partie de votre majorité traîne les pieds - mais c'est une habitude -, vous vous êtes ralliés à ces idées de bon sens que nous défendons, quant à nous, et que nous avons fait régulièrement avancer dans ce pays par diverses lois.

Idée de bon sens, pourquoi ? D'abord, parce qu'elle permet de distribuer aux salariés des revenus qu'ils n'auraient pas eu sous la forme classique de salaire. C'est un point extrêmement important dont chacun doit avoir conscience : l'intéressement, la participation sont des formes de rémunération qui s'ajoutent et non pas se substituent au salaire.


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Une entreprise craint toujours pour son avenir. Elle craint que ses marchés ne soient pas demain aussi favo-r ables qu'aujourd'hui. Dès lors, l'augmentation des salaires rencontre des limites du fait de son irréversibilité.

Mais s'il s'agit de donner aux salariés une partie des résultats, voire des actions de l'entreprise, cette crainte disparaît. L'existence du mécanisme de participation, d'intéressement, de distribution d'actions aux salariés offre une véritable possibilité d'accroissement des revenus des salariés qu'il serait à mon avis irresponsable de négliger.

Et votre discours, messieurs, monsieur Brard en particulier ...

M. Jean-Pierre Brard.

Je n'ai encore rien dit !

M. François Goulard.

Mais j'ai entendu vos amis en commission ! Votre discours, disais-je, sur le risque de substitution aux salaires de l'épargne salariale ne résiste pas à l'analyse et à l'observation.

Ensuite, nous sommes aujourd'hui dans une période économique où les revenus du capital augmentent plus vite que les salaires. La croissance mondiale est favorable aux bénéfices des sociétés, qui augmentent proportionnellement plus rapidement que leurs chiffres d'affaires, et au marché des actions. C'est une évidence.

S'agissant plus spécifiquement de notre pays, il est clair aussi que la politique de réduction du temps de travail que vous avez engagée pèse lourdement sur les salaires.

Dès lors, il est intéressant pour les salariés d'être associés aux résultats des entreprises, voire à la prise de valeur de leurs actions.

Enfin, pour les entreprises elles-mêmes - et je crois pouvoir affirmer que leur dynamisme ne peut laisser personne indifférent - l'intéressement, l'actionnariat salarié, sont de puissants outils de motivation des salariés, ce qui ne peut être que bénéfique à l'entreprise et aux salariés eux-mêmes.

J'ajoute, et c'est un signe, que les entreprises qui se créent aujourd'hui, en particulier dans les secteurs les plus porteurs, celles qu'il est convenu d'appeler les start-up , associent très largement les salariés au capital. Cette économie nouvelle qui se construit sous nos yeux est une économie de liberté qui échappe très largement aux règles traditionnelles et qui croît d'autant plus rapidement qu'elle échappe à ces règles. Cette économie a fait le choix pour la rémunération de ses salariés de sortir du sacro-saint « salariat sec », si vous me permettez cette expression, pour expérimenter toutes les formes d'associations des salariés au capital.

Sur cette formule d'avenir, la majorité et l'opposition pouvaient-elles se retrouver ? Nous l'aurions évidemment souhaité, comme nous l'aurions souhaité sur un autre thème qui vous est cher, monsieur le ministre, celui de la baisse des impôts. J'aurais eu plaisir à saluer une avancée de la gauche sur un terrain très positif et à ajouter, monsieur le ministre, si vous le permettez, que la conception du salariat qui est la vôtre, tranchait avec celle d'un autre membre du Gouvernement, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, pour ne pas la nommer. Mais, comme pour la baisse des impôts, si l'on peut saluer votre ralliement à une idée, on ne peut se réjouir, et nous le regrettons, des conditions du passage à l'acte.

J'en viens plus précisément à la version initiale de votre texte, pour la partie qui touche à proprement parler à l'épargne salariale. J'en viendrai ensuite à ces fameux plans que j'hésite à qualifier de faux fonds de pension.

C'est le type de texte dont accouche très ordinairement notre administration. Partant d'une idée, qui n'est pas forcément mauvaise, émise par le pouvoir politique, les bureaux de nos administrations centrales produisent une législation où l'emporte en général l'intention de mégoter, d'encadrer, de limiter, de poser des bornes à tout, et en particulier à l'initiative, et surtout de compliquer à loisir.

Le péché majeur de notre administration, si elle n'est pas corrigée constamment par le pouvoir politique, c'est de compliquer. Un des principaux reproches que nous faisons à votre texte, c'est de compliquer ce qui appelait avant tout un immense effort de simplification.

Prenons un chapitre important de ce projet : votre intention louable de développer l'épargne salariale dans les PME. Je dis bien de développer et non pas d'étendre, car les mécanismes actuels sont parfaitement accessibles aux PME. M. le rapporteur, sur certaines chaînes parlait d'étendre aux PME le bénéfice de la participation, de l'intéressement. Cela existe, mais nous souhaiterions simplement que davantage de PME puissent passer à l'épargne salariale.

Quel obstacle s'opose au développement de l'épargne salariale dans les PME ? Voilà des mécanismes avantageux pour les salariés et pour les entreprises, qui béneficient en outre de très fortes incitations fiscales et en termes de c otisations sociales. Pourquoi ne sont-ils pas plus répandu ? La réponse nous est donnée par les PME, en particulier par leurs patrons : cette réglementation est invraisemblablement complexe. Un patron de PME, vous le savez aussi bien que moi, n'a pas de temps à consacrer à cela.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

C'est totalement faux !

M. François Goulard.

Tel est pourtant le constat le plus évident que nous faisons dans les PME !

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Ce n'est pas une raison !

M. François Goulard.

Si l'épargne salariale ne réussit pas dans les PME c'est que la réglementation est trop complexe. Les patrons de PME n'ont pas de temps à y consacrer.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Je vous expliquerai !

M. François Goulard.

Ils n'ont pas de collaborateur susceptible de les suppléer dans l'analyse de cette réglementation. Ils craignent les ennuis juridiques et fiscaux qui peuvent en découler. C'est là l'obstacle principal.

Au lieu d'apporter une réponse sous la forme d'une simplification nécessaire pour tout le monde et surtout pour les PME,...

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

C'est l'inverse, elles ne paient pas de cotisation sur l'abondement !

M. François Goulard.

... vous créez une usine à gaz qui s'appelle le fonds interentreprises et vous croyez que vous allez ainsi encourager les PME à l'épargne salariale.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Il faut travailler avant de parler, monsieur Goulard !

M. François Goulard.

Monsieur le rapporteur, je crois connaître assez bien ces mécanismes pour les avoir pratiqués dans une entreprise.

Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.

Nous les connaissons aussi !

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Ça ne devait pas être une PME !

M. François Goulard.

Ce que j'avance est parfaitement exact !


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Sur les fonds interentreprises, la meilleure preuve que ce remède est parfaitement vain, c'est que, dans la pratique, ces fonds existent. Ils sont proposés par les intermédiaires financiers, ce qui lève ce supposé obstacle selon lequel les PME n'iraient pas à l'épargne salariale parce qu'elles auraient besoin de se regrouper pour constituer des plans. Ces plans collectifs ont fort peu de succès pour la raison que je viens de donner.

En revanche, et là je me plais à le souligner, ce texte contient une mesure très positive : celle qui donne une plus grande sécurité juridique aux accords d'intéressement, après un examen d'ailleurs un peu long par l'administration. Cette mesure, qui paraît anodine, est très positive pour intéresser les PME à l'épargne salariale.

Une autre source de complexité résulte de l'ensemble des dispositions sur les organes de contrôle et de direction des fonds. Dans ce domaine-là comme dans beaucoup d'autres, vous auriez été mieux inspirés, après avoir défini dans la loi quelques grands principes, de laisser les partenaires sociaux libres de fixer les règles dans leur détail. Cette voie de la simplification, vous ne l'avez pas choisie. C'est une première raison pour nous de ne pas soutenir ce texte. Mais nous éprouvons d'autres craintes depuis le dépôt du projet. Celles de voir une partie de votre majorité vous imposer, pour prix de son vote, des modifications qui risquent de transformer sérieusement vos dispositions. Et nous pourrions fort bien, d'un texte aux intentions plutôt louables, aboutir à un véritable recul de la législation en faveur de l'épargne salariale. C'est une crainte qu'il me paraît légitime d'exprimer.

En plus, le seul fait que depuis quelques semaines, la presse se soit faite l'écho des discussions internes à votre majorité et ait évoqué à de nombreuses reprises un possible durcissement ce sont ses termes du régime de l'épargne salariale, représente une formidable publicité négative pour cette épargne. Il s'agit d'une épargne de long terme, qui requiert de la confiance et qui demande en particulier un minimum de stabilité législative et fiscale. La simple évocation d'un possible alourdissement de la fiscalité et du régime des cotisations sociales qu'elle supporte produit à mon sens, des effets dévastateurs.

Cette observation vaut pour l'ensemble du texte, mais plus particulièrement pour un chapitre qui a donné lieu à de nombreuses polémiques dans vos rangs. C'est ce que des journalistes, avant nous, ont appelé les « vrais fonds de pension ».

Vous vous êtes évertué, monsieur le ministre, et on comprend pourquoi à démontrer que vous ne mettiez pas en place l'amorce de fonds de capitalisation. Mais trêve de faux-semblants et de palinodies. C'est pourtant une tentative, ô plus que timide et hypocrite, de s'en approcher. Hypocrite, le terme peut paraître fort, mais si l'on songe à cette interdiction de la sortie en rente, c'est bien d'hypocrisie qu'il s'agit. Nous savons tous qu'un établissement financier peut, pour n'importe qui, transformer un capital en rente. Ce sont donc en réalité des fonds permettant une sortie en rente que vous allez instituer, n'en déplaise à certains de mes collègues.

C'est la grande question des retraites par capitalisation que Jean-Jacques Jégou a évoquée tout à l'heure. A ce stade on peut parler d'une inconséquence et d'une irresponsabilité du Gouvernement sur le chapitre des retraites.

Et cette création prudente, timide, ce premier pas en matière de capitalisation nous impose de rappeler quelle est votre responsabilité dans ce domaine.

Monsieur le ministre, que n'avez-vous pris exemple sur le gouvernement du chancelier Schrder qui annonce la mise en place de fonds de pension liés à la perte probable de revenus des retraites. Les socialistes allemands mettent en place, à l'heure actuelle, des fonds de pension dans un cadre extrêmement libre qui n'impose pas aux entreprises de cotiser ce qui réjouit le patronat allemand et provoque un certain mécontentement parmi les syndicats d'outre-Rhin - et laisse facultative l'adhésion pour les salariés.

Ainsi les salariés allemands auront à leur disposition un outil de capitalisation qui leur permettra demain de faire face à ce déficit démographique qui menace de la même manière les salariés et les futurs retraités français. Et quand sonnera l'heure du bilan pour ce gouvernement, c'est-à-dire assez vite, l'immobilisme en matière de retraites chargera beaucoup la colonne du passif.

L'épargne salariale est une formule intelligente de rémunération : intelligente pour le salarié, intelligente pour l'entreprise. Elle est aidée par l'Etat et c'est très bien qu'il en soit ainsi. Ne changez surtout rien. Si une réforme est à faire, c'est avant tout, j'y insiste, une simplification, là est la clé de l'efficacité - dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres.

Il faudrait ensuite laisser davantage de place à l'intéressement par rapport à la participation qui a été un formidable encouragement à associer le capital et le travail. Mais c'est un régime qui a vieilli, et l'excès d'encadrement législatif diminue probablement son attractivité et ne donne pas lieu, à cause de ce cadre légal, à la véritable négociation sociale qui serait souhaitable dans ce domaine comme dans d'autres.

Il faudra certainement accompagner le mouvement, fort souhaitable, de diffusion des actions parmi les salariés des entreprises françaises et de ce point de vue, votre texte est insuffisant.

Telles sont les critiques que nous adressons au texte du Gouvernement et les craintes que nous exprimons sur son sort à l'issue du débat au Parlement. Cela suffit naturellement à justifier que nous ne votions pas ce texte tout en le regrettant, tant nous croyons à l'importance de l'épargne salariale pour notre pays et pour ses salariés.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jérôme Cahuzac.

M. Jérôme Cahuzac.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, voter ce texte, ce que je souhaite, sera bien évidemment réparer une injustice. Injustice qui fait qu'aujourd'hui seuls les salariés du secteur privé ne peuvent accéder, dans un cadre professionnel, à un produit d'épargne fiscalement aidé. Il s'agit d'une injustice connue depuis longtemps et il était donc nécessaire de la réparer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Je me réjouis donc par avance que notre assemblée et, je l'espère, le Parlement, votent le texte qui nous est soumis.

En réparant cette injustice, mes chers collègues, nous respecterons un certain nombre de principes. J'en citerai deux qui me paraissent les plus importants.

Le premier, c'est que ce produit d'épargne sera créé collectivement, autrement dit qu'il sera créé par tous, donc pour tous. D'autres, en d'autres temps, avaient fait


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d'autres choix, privilégiant une logique individuelle qui revenait, au fond, à ce que ceux qui adhèrent à ce produit soient, certes, ceux qui le voulaient, mais surtout ceux qui le pouvaient.

Le second principe auquel nous sommes très attachés et j'ai cru comprendre en écoutant l'intervention de M. le ministre, que des modifications seraient apportées - est que ce produit ne sacrifie pas pour autant ce à quoi nous tenons sur ces bancs : un régime de retraite par répartit ion, financièrement viable et crédible. J'ai cru comprendre que des mécanismes seraient trouvés à cet effet et je m'en réjouis.

Sur ce second principe aussi, ce qui a été annoncé sera respecté, et là encore, mes chers collègues de l'opposition, il y aura une différence entre vous et nous, si j'en juge par ce qui avait pu être fait voilà quelques années.

En réparant cette injustice et en respectant certains principes, créons-nous des fonds de pension ? La réponse est non. M. le ministre a parfaitement indiqué les raisons pour lesquelles il ne s'agit pas de fonds de pension, honteux ou larvés, et pas davantage d'un quelconque cheval de Troie qui amènerait plus tard à créer je ne sais trop quel produit susceptible d'être qualifié de « fonds de pension ».

Alors évidemment, certains en profitent pour regretter que cet outil ne permette pas un certain rééquilibrage de la possession patrimoniale, capitalistique, boursière, entre résidents et non-résidents. Mais mes chers collègues, j'attire votre attention sur un aspect qui me paraît important : point n'est besoin de créer des fonds de pension, qu'ils soient à la française ou autres ; en revanche, tout à fait nécessaire serait de revoir un certain nombre de dispositions fiscales, prises en 1993, par le ministre du budget du gouvernement Balladur...

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis.

Absolument !

M. Jérôme Cahuzac...

ainsi que la conclusion d'une c onvention fiscale passée sous le gouvernement de M. Juppé, notamment avec les Etats-Unis. En effet, un investisseur non-résident dans notre pays ne paie pas d'impôts, car le prélèvement libératoire auquel il est normalement soumis lui est intégralement remboursé sous la forme de l'avoir fiscal.

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis.

Eh oui !

M. Alfred Recours.

Parfaitement !

M. Jérôme Cahuzac.

Il serait donc tout à fait incroyable de s'étonner que la capitalisation boursière de la place de Paris soit affectée à des non-résidents dans des proportions tout à fait anormales quand ladite capitalisation boursière, à Londres ou à New York, l'est dans des proportions tout à fait inférieures. C'est que, dans ces pays-là, les investisseurs non-résidents ne bénéficient à l'évidence pas des mêmes avantages fiscaux que dans notre pays.

M. François Goulard.

Dans ces pays-là, il n'y a pas de fiscalité sur les plus-values !

M. Jérôme Cahuzac.

Autrement dit, si nous souhaitons - ce que je crois, pour ma part, tout à fait envisageable - rééquilibrer cette possession patrimoniale et cette capitalisation boursière, il suffit de normaliser notre régime fiscal. Il n'est pas nécessaire pour cela de créer des fonds de pension et encore moins de sacrifier les régimes de retraite par répartition.

M. Alfred Recours.

Il est très bon !

M. Jérôme Cahuzac.

Ne nous trompons donc pas de débat : il s'agit bien de créer une épargne solidaire pour réparer une injustice, il s'agit de respecter un certain nombre de principes auxquels, pour notre part, nous sommes et resterons fidèles. Pour le reste, revoyons-nous dans le cadre des discussions appropriées, c'est-à-dire le cadre des discussions fiscales, et nous verrons alors si les uns et les autres nous souhaitons vraiment rééquilibrer ce type de possessions patrimoniales.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Nous verrons !

M. le président.

La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

M. Jean-Pierre Brard.

Le propos sera-t-il aussi progressiste que pour le PACS ?...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Plus encore !

M. Jean-Pierre Brard.

On a tout à craindre !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Le Rassemblement pour la République...

M. Jean-Pierre Brard.

Il existe encore ? (Sourires.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Le Parti communiste existe bien encore, monsieur Brard.

(Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

Mais je n'en fais plus partie !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Le Rassemblement pour la République attendait avec impatience, monsieur le ministre, le projet de loi sur l'épargne salariale. Nous l'attendions avec impatience, mais aussi avec bienveillance.

Avec bienveillance, puisque le concept de participation - dont l'épargne salariale est un des volets - fonde notre engagement politique. Nous saluons d'ailleurs le ralliement idéologique effectué par nombre de vos amis qui n'avaient pas eu de mots trop durs quand nous en avions présenté les textes fondateurs : intéressement en 1959, participation en 1967, options de souscriptions ou d'achat d'actions en 1970...

Mme Nicole Bricq.

Textes adoptés par ordonnance !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

... actionnariat en 1973, distribution d'actions gratuites aux salariés en 1973, sans oublier l'ordonnance de 1986 ou la loi de 1994.

Avec impatience, puisque les rapports et études d'experts se multipliaient sans résultat concret. L'opposition se voyait opposer deux refus d'examiner d'abord la proposition de loi de M. Douste-Blazy, puis celle de M. Balladur, dont j'avais eu l'honneur d'être la rapporteuse. Mais nous disiez-vous : « Attendez, vous allez voir ce que vous allez voir ! »

Mme Nicole Bricq.

On voit !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Il nous faut bien avouer aujourd'hui notre déception devant un texte qui n'est pas inintéressant, certes, mais qui apparaît bien timide, alors que la croissance mondiale fournit en la matière l'occasion de propositions ambitieuses et innovantes. Nous craignons, de plus, que cette déception se double maintenant de notre opposition résolue si les concessions que vous avez été contraint d'accepter au nom de la cohésion de la majorité plurielle dénaturent complètement les modestes, mais louables intentions du ministre des finances. Nous verrons bien.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

Vous avez, monsieur le rapporteur, fixé trois objectifs à une politique d'épargne salariale : améliorer le pouvoir d'achat des salariés, mieux financer l'économie en réorientant l'épargne, améliorer la démocratie sociale.

Je partage ces objectifs. Vous constaterez que je ne fixe pas pour but premier à l'épargne salariale de financer un troisième étage de notre système de retraite. Certes, on peut regretter cette occasion manquée qui, de toute façon, devra être revue dans une réforme plus complète de notre financement de retraite, mais, pour nous, continuateurs de la pensée du général de Gaulle et de René Capitant, le concept de participation définit plus globalement un vrai projet de société.

Mes chers collègues de la commission des finances Jacques Godfrain et Gilles Carrez - ont dit ce qu'il y avait à dire sur l'aspect économique du dossier et la nécessité de conforter les fonds propres des PME. Certes, la réorientation de l'épargne ne suffira pas à solidifier des structures financières fragilisées par des politiques de prélèvements où l'ensemble de la classe politique de notre pays - je vous l'avoue - a montré sa méfiance récurrente vis-à-vis de l'entreprise. Les choses sont en train de changer, on ne peut que s'en réjouir.

Pour ma part, en tant que membre de la commission des affaires sociales, commission curieusement saisie simplement pour avis, je m'attacherai surtout à la démocratie sociale et au pouvoir d'achat des salariés.

Nous vivons en France un paradoxe : arrivée de la gauche en 1997 a été marquée par la chute de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises à un niveau jamais atteint. Alors qu'elle était de 67 % il y a vingt ans, elle est aujourd'hui descendue de dix points à 58 %, taux bien inférieur à celui des Etats-Unis ou du Royaume Uni.

A ce phénomène structurel est venue s'ajouter la glaciation salariale due à la réduction autoritaire du temps de travail.

M. François Goulard.

Tout à fait !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Quand j'étais intervenue au nom de mon groupe lors des différentes lectures des deux lois, j'avais signalé qu'on imposait aux salariés des procédures qu'ils paieraient par de la flexibilité, le durcissement des conditions de travail, la perte des avantages acquis et l'écrasement du pouvoir d'achat. J'avais suscité les ricanements protecteurs de Mme la ministre de l'emploi.

Aujourd'hui, les chiffres sont là : 42 % des accords signés ont gelé les rémunérations. Des secteurs entiers trinquent, la santé, le commerce ou la banque, et ce sont les petits salaires qui sont les plus touchés. L'augmentation de 4 % de la masse salariale n'a en fait profité qu'à quelques-uns parmi les salariés et les secteurs les plus performants. Pendant ce temps, les profits des vingt premières entreprises françaises ont autant augmenté pendant le premier semestre 2000 que durant toute l'année 1999.

Pour autant, peut-on prôner une politique massive et généralisée d'augmentation salariale comme le réclame une partie de la gauche de plus en plus plurielle et de plus en plus radicale ? Cela relèverait à coup sûr de la stratégie de Gribouille, tant les incertitudes sur la croissance sont loin d'être levées, la flambée du prix du pétrole vient de nous le rappeler cruellement.

En outre, les disparités n'ont jamais été aussi grandes entre les secteurs porteurs générateurs de profits parfois considérables et des industries de main-d'oeuvre, comme la branche textile habillement cuir qui emploie tant de salariés dans le département de Maine-et-Loire, branche où souffle la tempête de la concurrence des pays préindustrialisés.

Enfin, seulement 30 % des salariés ont été concernés par les 35 heures et le plus dur reste à faire.

J'ai d'ailleurs noté avec intérêt vos déclarations, monsieur le ministre des finances, quand vous avez jugé nécessaires des mesures d'adaptation du système pour les PME.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est hors sujet !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Vous avez suscité l'irritation de Mme Martine Aubry - j'ai le sentiment d'ailleurs que cela ne vous a pas trop traumatisé (Sourires) - et nos interrogations sur les modalités d'adaptation que vous comptiez proposer. Il convient donc, en période de forte croissance, que les salariés puissent voir se rééquilibrer le ratio de partage de la valeur ajoutée en leur faveur sans handicaper la compétitivité.

Force est de constater alors que les mécanismes proposés sont bien modestes, et les mesures d'incitation, vraiment trop faibles pour relancer le processus. Vous avez été incapable de sortir de votre méfiance idéologique en craignant un arbitrage défavorable aux salaires, alors que salaire et épargne salariale participent de deux logiques différentes.

M. Jacques Godfrain. Très bien !

M me Roselyne Bachelot-Narquin.

La démocratie sociale est exsangue et anémiée dans notre pays, et le chantier de la reconstruction, terme que je préfère à celui de refondation, est immense. Le très intéressant colloque présidé par Jean Le Garrec le 30 mars dernier à l'Assemblée nationale en a excellemment dessiné les contours et les enjeux.

Il est significatif que cet aspect de la démocratie et du dialogue social ait été placé en dernier dans les objectifs de la participation par le rapporteur de la commission des finances alors qu'il nous paraît prioritaire. Là encore, les vieilles lunes idéologiques de la lutte des classes réaffirmées dès l'exposé des motifs en déniant à la participation u n rôle d'apaisement social permettent de mieux comprendre que quasiment rien ne concerne ce chapitre.

Mme Nicole Bricq.

Mais dans quel monde vivez-vous ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Au total donc, un texte affichant des objectifs sympathiques, mais des mesures qui sont une participation Canada dry (Sourires) un texte qui justifierait une abstention courtoise, à moins que les concessions accordées aux réactionnaires de la gauche ne transforment ce soda édulcoré en potion amère. (Sourires.) Nous serions alors obligés de nous y opposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Nicole Bricq.

C'est très ennuyeux !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, on en entend, si j'ose dire, des vertes et des pas mûres, depuis le début de ce débat ! Certains de nos collègues font des efforts pour compléter leur culture politique et économique, comme M. Godfrain, qui a oublié de faire référence à Smith. On peut parler de plagiat quand un auteur pille sans préciser ses sources ? Cela ne fut certes pas le cas de Karl Marx, mes chers collègues,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

vous le savez, si vous avez lu Le Capital du début jusqu'à la fin, ce dont je doute, et je ne vous demande pas de l'avoir lu dans le texte ! Tout à l'heure, M. Jégou, reprenant d'ailleurs une antienne de M. Madelin, faisait reproche au Gouvernement de tenir ses promesses. (Sourires.) Je pense que c'est un idéal que devrait avoir tout homme ou toute femme politique ! Quant à Mme Bachelot-Narquin, elle a déploré la stagnation des salaires alors que les bénéfices de certaines sociétés - elle a raison - augmentent considérablement, pour ajouter aussitôt qu'il ne fallait surtout pas les augmenter parce qu'on ne savait pas de quoi demain était fait. Madame, une chatte ne retrouverait pas ses petits dans cette espèce de galimatias idéologique de Prisunic.

(Rires.)

Monsieur Goulard, il n'y a pas de sujet tabou. Vous parlez de concept de lutte des classes mal digéré. Demandez aux ouvriers de M. François ce qu'ils pensent de la façon dont ils sont jetés à la rue comme des citrons pressés après avoir rempli les coffres de la famille Michelin et vous me direz si la lutte des classes n'existe plus ! En tout cas, l'oppression demeure, et la spoliation, monsieur Goulard, ne vous en déplaise, mais il est vrai que vous êtes là pour défendre les intérêts de M. François...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Et les valets du grand capital !

M. Jean-Pierre Brard.

... ce que vous faites fort bien et ce que vos électeurs, hélas, ne savent pas assez.

M. François Goulard.

Tout le monde ne peut pas défendre les intérêts de la Générale des eaux !

M. Jean-Pierre Brard.

Il n'y a donc pas pour nous de rejet idéologique ou de compromis au détriment des droits des salariés, mais il y a une réflexion. Nous avons appartenu à une tradition culturelle et politique où l'on se battait d'une façon exclusive pour les droits des salariés, qu'il s'agisse des salaires, des conditions de travail, de la durée du travail, des retraites, en ne disputant pas avec l'énergie qui convenait la propriété du capital et, au-delà, le pouvoir de participer aux décisions. C'est ce sens que nous voulons donner, nous, à ce texte et je sens bien que cela fait frissonner d'horreur nos collègues de droite.

M. Goulard disait tout à l'heure que nous contestions le droit d'accéder au patrimoine. Pas du tout.

M. Jacques Godfrain.

C'était moi !

M. Jean-Pierre Brard.

Pardon. Il faut rendre à César ce qui lui appartient. Comme cela, il y en aura pour tout le monde.

En fin de compte, ce que vous proposez, monsieur Godfrain, c'est évidemment d'accéder au patrimoine mais à la façon de Guizot et du banquier Laffitte (Rires), c'està-dire que vous partagez l'idée mais que les clés du coffrefort doivent rester dans les mains des détenteurs du capital, tandis que nous proposons que le capital soit partagé et que les salariés aient le droit à la décision, comme les autres actionnaires, ce que vous leur avez toujours contesté jusqu'à présent. C'est cela qui donne du sens à notre démarche, ne vous en déplaise, et le fait que vous le contestiez est tout à fait positif.

La question de l'association des salariés, qui sont en fin de compte les plus intéressés au devenir de l'entreprise, à sa pérennité et à son développement, a-t-elle jusqu'à présent été sérieusement posée dans notre pays ? A cette question, il est facile de répondre « non ».

Salariés et salariés actionnaires doivent trouver leur place dans les conseils d'administration. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, nous serons très attentifs sur ce point, puisque c'est là que résident les enjeux principaux.

Je voudrais insister sur le risque qui subsiste d'accroître l'épargne.

Le taux d'épargne des ménages est extrêmement élevé.

Notre but doit donc être non pas de l'augmenter, mais d'opérer une réorientation de cette épargne. Pour cela, sans doute faudra-t-il en venir à une remise à plat de l'ensemble des avantages, exonérations, abattements qui existent, afin de privilégier l'épargne productrice de richesses et d'emplois sur une épargne purement spéculative.

M. le président.

Monsieur Brard, il faudrait vous acheminer vers votre conclusion.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Oui, il a déjà beaucoup parlé !

M. Jean-Pierre Brard.

Monsieur le président, je suis d'accord, vous comprenez bien qu'il fallait que je m'explique, puisque vous avez visité des pays où, précisément, pour faire référence à Marx,...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Encore ? Mais il est mort !

Mme Nicole Bricq.

De Gaulle aussi !

M. Jean-Pierre Brard.

... on l'avait transformé en catéchisme alors que nous voulons lui redonner ses lettres de noblesse en donnant du contenu à la théorie dont il était le promoteur.

M. le président.

Si vous voulez conclure, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

Oui, monsieur le président ! Pour que ce texte soit acceptable, il faut que, comme l'a dit M. Feurtet, soit réglée la question de la sortie en rente, et vous avez ouvert quelques perspectives, monsieur le ministre.

Il y a aussi la question de l'assujettissement des abondements des employeurs aux cotisations sociales ou à une taxe qui viendrait abonder le fonds de réserve pour les retraites,...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Et allez, encore une taxe !

M. Jean-Jacques Jégou.

Taxer, taxer, taxer !

M. Jean-Pierre Brard.

... afin de ne pas déséquilibrer plus encore le régime des retraites par répartition. Nous vous soumettrons des amendements à ce sujet.

Enfin, de nouveaux droits, tant pour les salariés actionnaires que pour les autres, doivent être garantis.

N ous pensons également qu'une partie de cette épargne doit être déposée - dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons puisque je suis arrivé au terme de mon temps de parole - auprès de la Caisse des dépôts, par exemple, pour consolider le pôle public, et pour être utilisée à des objets d'intérêt général, qu'il s'agisse d'infrastructures, de la lutte contre l'exclusion ou de mesures tendant à favoriser l'emploi.

Je sens bien, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, à la réaction de nos collègues de droite, que nous pouvons trouver un accord positif. Plus ils émettront de décibels et plus nous serons sur la bonne voie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

M. le président.

La parole est à M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, après Jean-Jacques Jégou, je voudrais réaffirmer l'importance que nous attachons à l'épargne salariale. François Goulard a rappelé, de son côté, tout ce que nous devions à l'inspiration gaullienne et aux initiatives prises par vos prédécesseurs.

C'est un enjeu économique, je n'y reviens pas. C'est le moyen pour l'entreprise de partager les fruits de la croissance sans risque pour elle et pour l'emploi. Le développement de l'épargne salariale est particulièrement adapté, vous l'avez souligné à plusieurs reprises, à cette phase du cycle à l'heure où la croissance permet de dégager de substantiels bénéfices mais où le niveau toujours élevé du chômage et les craintes d'une résurgence de l'inflation ne permettent pas aux salariés de récupérer tous les gains de pouvoir d'achat qu'ils seraient en droit d'attendre.

Nous sommes tous convaincus par ailleurs que, si nous voulons renationaliser intelligemment le CAC 40, dont les étrangers détiennent plus de 40 % de la capitalisation, il nous faut bien réorienter notre épargne à moyen et long terme vers les actions ou les titres non cotés des entreprises.

C'est aussi un enjeu pour notre droit social. Madame Bricq, je ne ferai pas comme M. Brard à l'instant, je ne dénoncerai pas la lutte des classes d'hier, mais je suis très conscient que, dans l'ère nouvelle qui s'ouvre, celle de la

« net économie » et des oligopoles mondiaux, l'entreprise ne doit pas être réduite à la seule société, la création de richesses à la seule création de « valeur » appréhendée à l'aune du seul profit des actionnaires, et la gouvernance à l a seule information des analystes boursiers. Nous sommes bien d'accord sur ce point.

L'épargne salariale, par son aspect collectif mais personnalisé, égalitaire mais différencié, solidaire mais volontaire, doit y contribuer.

Tout cela va dans le bon sens, et nous ne pouvons qu'approuver les intentions qui sous-tendent la démarche, que M. Balligand a bien préparée, visant à généraliser l'épargne salariale dans ce pays.

Cela étant, force est de reconnaître que, s'agissant de l'épargne salariale, le projet manque dans certains cas de clarté et dans d'autres cas d'audace. Plus grave encore, de l'épargne retraite elle-même, il nous éloigne, en maintenant une redoutable confusion. Ce sont ces deux points que je vais brièvement développer pour rester dans mon temps de parole.

J'ai rendu hommage au travail de notre collègue JeanPierre Balligand et de Jean-Baptiste de Foucauld. Cela me donne le droit de poser quelques questions sur l'épargne salariale elle-même.

Première question : avons-nous été au bout de la simplification des dispositifs d'épargne salariale ? Au lieu de clarifier certaines distinctions, intéressement et épargne salariale, épargne obligatoire et épargne volontaire, le texte prend le risque de créer de nouveaux seuils - par exemple 100 salariés pour les PME -, de nouvelles discriminations dans les taux de provision pour investissement et, ce qui me tient à coeur, monsieur le ministre, et je me permets d'insister -, maintient l'exclusion des mandataires sociaux non titulaires d'un contrat de travail du bénéfice de l'intéressement alors qu'ils peuvent participer au plan épargne entreprise. C'est une faiblesse.

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis.

Cela a été modifié.

M. Jacques Barrot.

Alors, nous allons pouvoir y remédier.

Je me demande si on n'aurait pas pu aller plus loin en matière d'incitation. Ne pourrait-on généraliser le mécanisme des provisions pour investissement, mécanisme au demeurant vertueux à tous égards, en uniformisant le taux de ces PPI au moins à 50 % ? Pourquoi ne pas relever encore le plafond du versement par un salarié et d'abondement par l'employeur de sommes versées dans un plan d'épargne entreprise ? J'en viens au plan partenarial d'épargne salariale volontaire, destiné à encourager une épargne plus longue.

J'observe que le rapporteur de la commission des finances s'est efforcé d'améliorer ce produit en unifiant les durées d'indisponibilité des sommes versées et d'allonger la durée moyenne de placement en privilégiant un plan glissant, par tranches annuelles. C'est dans cette ligne qu'il faut travailler.

J'ajoute, et je vais mettre à l'aise la majorité plurielle, qu'il me paraît logique que ce nouveau produit soit, comme tout vrai produit d'épargne, voué à une sortie en capital et pas en rente.

Encore faut-il qu'il soit suffisamment attractif et je ne vois pas comment les sommes versées pourraient être assujetties aux cotisations vieillesse alors que tous les autres produits d'épargne entreprise ne le sont pas.

M. Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. Gilles Carrez.

C'est une évidence !

M. Jacques Barrot.

Si on veut décourager le développement de l'épargne salariale, il n'y a pas mieux à faire ! Je le dis d'autant plus simplement que je revendique l'honneur d'avoir proposé dans cette assemblée un projet sur l'épargne retraite qui assujettissait les sommes versées aux cotisations vieillesse, mais c'était dans le cadre de l'épargne retraite et non dans celui de l'épargne salariale ! Quelques questions sur les procédures de négociation.

Je n'ai pas compris pourquoi on est revenu au monopole syndical sur la conclusion des accords pour les nouveaux dispositifs...

M. François Goulard.

Ah oui !

M. Jacques Barrot.

... alors que, pour les accords de participation et d'intéressement, on peut recourir au comité d'entreprise. J'ajoute que je ne vois pas pourquoi on ferait de la constitution du plan d'épargne entreprise un thème de la négociation annuelle obligatoire. Il n'est pas sûr que cela rende service à la démarche.

Enfin, j'ai dit combien je souhaitais que cette possibil ité soit étendue aux présidents-directeurs généraux, gérants, membres de direction, ainsi qu'aux membres de l'organe social des sociétés par action simplifiée.

Voilà pour l'épargne salariale, et vous comprendrez, monsieur le ministre, que ma sévérité concerne essentiellement le renoncement à la mise en oeuvre d'un véritable dispositif d'épargne retraite, avantage complémentaire à la répartition.

L e Gouvernement, conscient, me semble-t-il, des a priori idéologiques de certains membres de sa majorité, a espéré désarmer ces critiques éventuelles en greffant sur l'épargne salariale elle-même un produit hybride : le plan partenarial d'épargne salariale volontaire. Ce faisant, il entretient la confusion entre épargne salariale et épargne retraite et, au lieu d'un débat sur le fond, sur l'opportunité et les conditions de mise en oeuvre d'une épargne


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

retraite « à la française », nous voilà partis sur de faux débats, sur la possibilité de sorties en rente, sur l'exonération de cotisations vieillesse.

Je parle de faux débat parce qu'il faut bien comprendre qu'il y a des différences très profondes entre épargne salariale et épargne retraite.

L'épargne retraite est constituée en vue d'assurer un revenu différé. Elle implique le versement régulier, sur une longue période, de sommes qui resteront indisponibles jusqu'à la cessation d'activité.

L'épargne salariale, elle, est moins régulière puisqu'elle dépend des performances des entreprises et de la part de revenu que chaque salarié va épargner. Elle n'a pas le même objectif ni le même horizon temporel.

Cette différence de nature comporte des conséquences juridiques. Constituée dans un cadre collectif, l'épargne retraite se caractérise par deux traits : l'impossibilité de récupérer l'épargne accumulée avant l'échéance, c'est-à dire l'âge de la retraite, et la sortie en rente, qui est une conséquence nécessaire de la mutualisation.

A l'inverse, même si le salarié laisse son épargne s'accumuler jusqu'à soixante-cinq ans, un plan épargne entreprise ne peut pas être assimilé à de l'épargne retraite.

L'abonnement y est individuel et non collectif. La sortie anticipée est possible avant cinq ans, ou dix ans dans le nouveau produit, et se fait exclusivement en capital.

Ce nouveau produit d'épargne longue en entreprise qui nous est proposé ne peut pas jeter un pont entre ces deux mécanismes d'épargne, non seulement parce que sa durée est trop courte pour produire un supplément de retraite significatif, mais surtout parce qu'il ne s'agit pas d'un mécanisme collectif de mutualisation et que la sortie anticipée est toujours possible, pour des motifs qui n'ont rien à voir avec la retraite.

Puisque mon temps de parole est compté, je me bornerai à justifier les amendements que nous déposerons au cours de la discussion des articles. D'une part, l'UDF reprendra les éléments qui figuraient dans la proposition de loi relative à la participation et à la croissance pour tous, afin de doter la France d'un système de retraite complémentaire par capitalisation.

D'autre part, puisque nous nous heurtions à des a priori idéologiques dont je n'arrive pas à comprendre le sens, je ferai au moins à notre assemblée une proposition qui n'engagera que moi et qui visera à développer les instruments de prévoyance existant déjà avec les régimes de retraite dits « supplémentaires ». Ces régimes d'épargne retraite en entreprise drainent aujourd'hui moins de dix milliards de francs par an, pour un encours de 100 milliards, à comparer aux 500 milliards de flux annuel de cotisations versées au titre du régime général d'assurance vieillesse et des régimes complémentaires obligatoires.

La raison essentielle du faible développement de ces régimes supplémentaires est que l'on a perdu de vue la fameuse règle de neutralité fiscale et sociale que le législateur avait instituée au profit des contributions destinées au financement des garanties de retraite et de prévoyance en deçà d'un certain salaire.

Je proposerai la modification de deux articles qui prévoient des références, avec un calcul complexe, de 19 % de huit fois le plafond de la sécurité sociale et d'un texte au moins aussi compliqué pour le code général des impôts.

En réalité, il suffirait de moderniser ces règles de neutralité fiscale et sociale pour permettre de développer dans toutes les entreprises, y compris dans les PMI-PME, la prévoyance retraite dite retraite supplémentaire qui, d'ores et déjà, existe pour certains salariés, notamment pour ceux du public à travers la Préfon. Cette disposition permettrait au moins de progresser dans la voie nécessaire d'une épargne retraite.

Je terminerai en citant le rapport de la Cour des comptes : « L'épargne retraite se développe en France sans stratégie cohérente, sans contrôle réel de la part des épargnants et dans la plus grande inégalité. »

Le succès de l'assurance vie, essentiellement lié à l'épargne des salariés qui disposent des plus hauts revenus, est d'une certaine manière un constat d'échec : on n'a pas su mettre en place une épargne retraite à la disposition de tous.

Voilà pourquoi nous regrettons que ce texte n'ait pas, à côté d'une épargne salariale revivifiée et étendue, pré vu une épargne retraite à la française à la disposition de tous.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues.

Il n'est pas aberrant, quand on siège à gauche de cette assemblée, de fixer comme principes préalables à l'examen de tout texte touchant à l'épargne salariale, la préservation de l'intégrité financière et sociale du salariat et la préservation du système de retraite par répartition.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, les radicaux de gauche - intéressés par votre texte et espérant pouvoir, à la fin de cet examen, y apporter leurs voix - souhaitent que l'on accorde une bienveillante attention aux propositions qu'ils font et qui vont dans ce sens. Elles portent sur trois points précis : la sécurité de l'actionnariat salarié ; le lien entre les mécanismes inventés par le texte et le système classique de retraite dont je veux rappeler, sans discrétion, qu'il reste indispensable ; enfin, les mécanismes de sortie de liquidités des plans, qui se sont, récemment, révélés insuffisants.

Les difficultés rencontrées, sur la scène mondiale, par des fonds communs de placement incitent à renforcer, s'ils sont institués en France dans le cadre des entreprises, la sécurité de ceux qui investiront un pourcentage important de leur revenu disponible brut, sans pour autant que le niveau de ce dernier puisse permettre de sécuriser le nominal du montant dévolu, en équilibrant les destinations de placement.

Cette forme de sécurité, inaccessible à la plupart des salariés, doit être compensée. Elle peut l'être sous deux formes : il nous semble d'abord judicieux que le texte institue un dispositif d'assurance collective garantissant le nominal assorti d'un intérêt de base. La proposition de garantie du seul nominal n'est pas suffisante au regard de la durée possible de l'épargne : récupérer un salaire moyen placé en 1985 a un sens, le récupérer s'il a été placé en 1965 n'en a plus. Dans l'attente de la masse critique qui permettrait un prélèvement d'assurance, il peut donc être proposé d'utiliser le solde disponible de la participation.

Second point, la gestion paritaire de ces fonds peut mettre les salariés en situation de subir des décisions proposées par un partenaire - le patronat - plus aguerri à ce type de mécanismes. Il convient donc que soit prévue la formation des salariés appelés à siéger dans les conseils de surveillance. Même si le mécanisme de mise en oeuvre des


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

35 heures a permis de renforcer le dialogue social, toutes les occasions doivent être saisies pour aller encore davantage dans ce sens.

Le texte peut également sembler instaurer une forme de concurrence entre cette nouvelle épargne à long terme et le système de retraite par répartition. Il ne fait aucun doute que la possibilité de recevoir la rémunération du capital sous forme de rente ne fait qu'accroître cette impression.

Cela dit, qui oserait priver les salariés de l'utilisation sécurisée d'un ressort économique permettant d'améliorer leur situation ? Et qui oserait donc le réserver à des classes sociales déjà avantagées par ailleurs ? On voit mal au nom de quoi on interdirait à toute une catégorie de la population l'utilisation - avec ceinture et bretelles - d'un moyen d'action sur son propre état.

Néanmoins, notre rôle de politique est de ne pas méconnaître les côtés aléatoires de ce nouveau système et donc de conserver un moyen d'action collectif et solidaire qui a fait ses preuves : le système par répartition.

Plutôt que de les opposer, pourquoi ne pas lier les deux et proposer de soumettre les sommes versées aux cotisations sociales retraite, en dessous d'un seuil à déterminer au-delà duquel, dans des conditions minimales de marché, le nouveau système serait beaucoup plus efficace que l'ancien ? Enfin, il semble utile de revoir les mécanismes de sortie du plan au regard des difficultés rencontrées, par les salariés, en décembre dernier. En effet, les dommages causés aux particuliers par les tempêtes ont été, pour la plupart, pris en charge par les sociétés d'assurance. Néanmoins, pour des raisons contractuelles, il est arrivé que la remise en état de bâtiments annexes d'habitation, tels que les garages, vérandas ou abris, ne puisse être indemnisée.

Dès lors, les ménages touchés ont été incités à contra cter des prêts complémentaires. Cela peut notoirement contribuer à aggraver la situation d'endettement de certaines familles. Il convient de mobiliser, dans ces situations dont la fréquence est désormais inquiétante, les autres sources de financement possibles. Nous proposons donc de permettre, en cas de catastrophe naturelle, lorsque les dépenses relatives à la réparation de la résidence principale ou de dépendances bâties situées dans le même périmètre ne sont pas prises en charge par les compagnies d'assurance, la liquidation des droits acquis par les salariés dans ce cadre.

M. le président.

Il va falloir conclure !

M. Gérard Charasse.

J'y viens, monsieur le président.

Voilà, monsieur le ministre, l'essentiel des modifications que nous appelons de nos voeux. J'y ajoute la volonté de voir les salariés bien représentés dans les conseils de surveillance, et l'effort, plus important à mon sens, que nous devons accomplir en faveur des investissements dans le domaine de l'économie solidaire.

Votre texte, monsieur le ministre, met à la disposition des salariés un nouveau moyen d'action sur leur propre état. Protégés par les quelques mesures que nous avons proposées, nos compatriotes pourront s'en saisir en toute tranquillité.

Nous serons attentifs, monsieur le ministre, aux suites que vous donnerez à nos propositions, et les radicaux de gauche entendent donc participer de manière constructive, tout en restant fermes sur les valeurs, à ce nouveau grand chantier de la majorité plurielle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Gilles Carrez, qui sera le dernier orateur de l'après-midi.

M. Gilles Carrez.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la montagne accouche d'une souris. Ce projet de loi sur l'épargne salariale, étriqué, raboté, presque insignifiant, avait pourtant été annoncé à grands coups de trompe avec les interventions brillantes de l'anté-prédécesseur de M. le ministre des finances, avec le très intéressant rapport de notre collègue Balligand, avec - c'est moins honorable - le mépris que la majorité a affiché à l'égard des propositions de loi, pourtant remarquables, présentées par toute l'opposition en février et en juin derniers.

Mme Nicole Bricq.

Nous n'avons pas méprisé, nous avons débattu !

M. Gilles Carrez.

Ce refus de discuter, avec l'opposition, de l'extension de l'épargne salariale se justifiait, a-t-on prétendu, par la préparation d'un texte ambitieux, novateur. On allait voir ce qu'on allait voir et les gaullistes de la participation n'avaient qu'à bien se tenir.

Aujourd'hui, avec ce projet de loi, nous ne voyons rien ou presque.

Mme Nicole Bricq.

Il vous faut des lunettes ?

M. Gilles Carrez.

On peut dire, sans risque de se tromper, que ce texte est mort-né et que seule surnagera peutêtre la mise en place des plans d'épargne inter-entreprises, attendus depuis longtemps.

Comment, en partant des ambitions d'il y a quelques mois, en est-on arrivé à cette loi croupion ? L'échec s'explique d'abord par des raisons philosophiques. L'entreprise reste pour vous un lieu d'affrontement entre le travail et le capital, comme l'ont rappelé de nombreux dirigeants socialistes - Michel Sapin, par exemple, avant qu'il n'entre au Gouvernement. Pour les Verts et les communistes, la cause est entendue depuis toujours.

Deux conséquences en découlent. D'abord, la participation aux résultats de l'entreprise - qu'il s'agisse de l'intéressement, de la participation proprement dite ou des abondements aux plans d'épargne - est considérée par vous comme suspecte, comme un moyen déguisé de verser des salaires en échappant aux charges sociales. Nous le constaterons très certainement au cours du débat.

Ensuite, pour vous, l'actionnariat salarié ne peut que pervertir le rapport de forces qui, à vos yeux, doit subsister au sein de l'entreprise. Or cette vision dépassée, que le général de Gaulle avait rejetée il y a déjà un demi-siècl e, nous, gaullistes, nous avons su la transformer avec les textes fondateurs de 1959, de 1967, de 1986 et de 1994.

M. Christian Cuvilliez.

« La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », disait-il !

M. Gilles Carrez.

Cette vision dépassée, mes chers collègues, joue contre l'intérêt même des salariés.

Dans le monde d'aujourd'hui, l'entreprise est plus que jamais un lieu de création de richesses, de valeurs dont les salariés doivent pouvoir également profiter.

Mme Nicole Bricq.

Très bien !

M. Gilles Carrez.

A défaut, le partage de la valeur ajoutée s'opère au détriment des salaires, ce que nous regrettons tous.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Où est le problème ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

M. Gilles Carrez.

Et j'évoque pour mémoire cet aspect incident, mais important, qui veut que nos grandes entreprises soient aujourd'hui détenues à 40 % par des capitaux étrangers. Ainsi, la veuve écossaise ou le retraité de Californie bénéficie d'abord des efforts de nos salariés.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur.

Volià où est justement l'utilité de notre projet.

M. Gilles Carrez.

Et ça, c'est un réel problème, mes chers collègues.

En effet, je vous interroge : que nous proposez-vous de réellement novateur avec ce projet de loi ? Il y a certes des mesures techniques que nous approuvons, car elles vont améliorer le fonctionnement des plans d'épargne d'entreprise, le transfert des droits, la création des PEI par accord de branche ou accord local. Ces dispositions sont nécessaires, mais elles n'apportent pas de progrès substantiel pour l'épargne salariale dans les PME, car les incitations fiscales sont insuffisantes. De surcroît, elles ne conduisent pas non plus à une simplification puisque, au contraire, les seuils vont être multipliés.

Il faut donc porter à 100 % la provision pour investissements, s'agissant de l'intéressement et de la participation dans les entreprises de moins de 100 salariés, pour espérer un effet véritablement dynamique. Monsieur le ministre des finances, faites preuve d'un peu de générosité : ce n'est pas au seul budget de la sécurité sociale de supporter les efforts en terme d'incitation.

Quant au plan partenarial d'épargne salariale volontaire, il constitue un acte manqué, parce qu'il est le résultat d'un compromis encore mal assuré entre les composantes de la majorité plurielle, entre l'encouragement à une épargne longue et la crainte de la voir dériver vers l'épargne retraite pourtant si nécessaire. Résultat : la durée de dix ans est trop courte. M. Balligand avait lui-même, dans son rapport, proposé douze à quinze ans. D'autre part, la probable interdiction d'une sortie en rente détourne l'épargne salariale d'un objectif pourtant d'intérêt général, celui de la consolidation des retraites des Français.

Ce texte est encore un compromis entre la thèse du

« tout salaire » et celle d'une épargne défiscalisée, exonérée de charges sociales, qui trouve précisément sa source dans le légitime partage de la valorisation de l'entreprise.

Résultat : aucune véritable incitation fiscale à l'épargne volontaire des salariés. Seuls les fonctionnaires, avec le système Préfon, garderont l'avantage de la défiscalisation.

Quant à l'abondement des entreprises, à peine aura-t-il été majoré grâce au PPESV qu'il sera renié par la majorité plurielle et réassujetti à des cotisations sociales. Ainsi, cette prétendue grande innovation, cette grande ambition du PPESV a toutes chances, à peine votée, d'être rangée au magasin des accessoires - j'en suis désolé pour vous, monsieur le rapporteur.

En bref, ce texte n'offre aucun avantage significatif aux salariés, aucune compensation au blocage de leur pouvoir d'achat provoqué par la mise en place des 35 heures, alors que, au moment de nos débats sur la réduction du temps de travail, nous avions sans relâche mis la majorité en garde contre ce risque.

Aussi, pour donner aux salariés les moyens de se constituer une épargne ou un capital pour les moments essentiels de la vie, dans le grand dessein de l'intéressement, de la participation, de l'actionnariat salarié que nous, gaullistes, avons toujours encouragé, vous devez, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, accepter les amendements constructifs que nous allons vous proposer au cours du débat. Grâce à eux, vous donnerez un peu de souffle à un texte qui en manque cruellement.

A défaut, nous serons contraints de voter contre ce texte parce que, loin de faire avancer la juste cause de l'épargne salariale, il risque, au contraire, de la faire reculer.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3 DÉSIGNATION DE CANDIDATS À DES ORGANISMES

EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le premier ministre une demande de désignation des membres de l'Assemblée nationale, au sein du comité de l'initiative française pour les récifs coraliens.

Conformément à l'alinéa 2 de l'article 26 du règlement, M. le président a confié : à la commission de la production et des échanges le soin de présenter deux candidats ; à la commission des lois constitutionnelles, de la l égislation et de l'administration générale de la République le soin de présenter un candidat ; et à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales le soin de présenter un candidat.

Les candidatures devront être remises à la présidence avant le mercredi 18 octobre 2000, à dix-huit heures.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre une demande de désignation des membres de l'Assemblée nationale au sein du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire.

Conformément à l'alinéa 2 de l'article 26 du règlement, M. le président a confié : à la commission des finances, de l'économie générale et du Plan le soin de présenter deux candidats ; à la commission de la production et des échanges le soin de présenter deux candidats ; et à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République le soin de présenter un candidat.

Les candidatures devront être remises à la Présidence avant le mercredi 18 octobre 2000, à dix-huit heures.

4 AIR FRANCE Communication relative à la désignation d'une commission mixte paritaire

M. le président.

M. le président de l'Assemblée nationale a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 3 OCTOBRE 2000

« Paris, le 2 octobre 2000

« Monsieur le président,

« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile.

« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter l'Assemblée nationale à désigner ses représentants à cette commission.

« J'adresse ce jour à M. le président du Sénat une demande tendant aux mêmes fins.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération. » Cette communication a été notifiée à M. le président de la commission de la production et des échanges.

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique : Discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 2560, sur l'épargne salariale : M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (rapport no 2594), M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 2589).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT