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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE Mme CHRISTINE LAZERGES

1. Décès de Jacques Chaban-Delmas, président d'honneur de l'Assemblée nationale (p. 8341).

2. Loi de finances pour 2001 (deuxième partie). Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 8341).

JUSTICE (p. 8341)

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

M. André Gerin, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

MM. Jean-Luc Warsmann, Alain Tourret, Philippe Houillon, Mme Nicole Feidt,

MM. Hervé Morin, Georges Hage, Louis Mermaz, Mme Christine Boutin,

MM. Bruno Le Roux, Emile Blessig, François Colcombet.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Suspension et reprise de la séance (p. 8360)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Réponses de Mme la garde des sceaux aux question de : MM. Jacques Masdeu-Arus, Alain Cousin et Hervé Morin.

E TAT B (p. 8370)

Titre III (p. 8370)

Amendement no 159 du Gouvernement : Mme la garde des sceaux, MM. le rapporteur spécial, Hervé Morin. Adoption.

Adoption du titre III modifié.

Titre IV. - Adoption (p. 8370)

E TAT C (p. 8370)

Titre V (p. 8370)

Amendement no 160 du Gouvernement : Mme la garde des sceaux, MM. le rapporteur spécial, le président de la commission des lois, Hervé Morin, Jacques Floch, rapporteur pour avis, Jacques Masdeu-Arus. - Adoption.

Adoption du titre V modifié.

Titre VI. - Adoption (p. 8370)

Article 61 (p. 8373)

M. Jean-Luc Warsmann, Mme la garde des sceaux.

Adoption de l'article 61.

Renvoi de la suite de la discussion budgétaire à la prochaine séance.

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 8373).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE Mme CHRISTINE LAZERGES,

vice-présidente

Mme la présidente.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1 DÉCÈS DE JACQUES CHABAN-DELMAS, PRÉSIDENT D'HONNEUR DE L'ASSEMBLE E NATIONALE

Mme la présidente.

C'est avec une grande émotion et une profonde tristesse que nous avons appris la disparition de Jacques Chaban-Delmas.

L'Assemblée nationale est en deuil.

Elle interrompra ses travaux pour la cérémonie qui sera célébrée, demain matin, en l'église Saint-Louis-des-Invalides, à la mémoire de notre président d'honneur.

L'Assemblée rendra prochainement l'hommage solennel qui est dû à cette haute figure de l'histoire parlementaire.

Pour l'instant, je vous invite à marquer notre peine en observant quelques instants de recueillement.

(Mmes et MM. les députés et Mme la garde des sceaux se lèvent et observent une minute de silence.)

2 LOI DE FINANCES POUR 2001

DEUXIE ME PARTIE Suite de la discussion d'un projet de loi

Mme la présidente.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2001 (nos 2585, 2624).

JUSTICE

Mme la présidente.

Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la justice.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la justice pour 2001 augmente en termes réels de 3,21 %, même si l'effet d'affichage peut aller jusqu'à 6,59 % puisqu'il atteint désormais 1,69 % du budget de l'Etat.

Cette proportion est une évolution historique puisque, en 1965, la part du budget de la justice n'était que de 0,65 %.

Les montants en jeu ne sont d'ailleurs pas très importants au regard de la totalité du budget de l'Etat, si bien que l'on préfère souvent retenir les pourcentages plutôt que les masses. Cela permet de se satisfaire d'une augmentation significative, souvent à peu de frais, et, reconnaissons-le, sous tous les gouvernements. Après tout, le budget n'augmente réellement que de 2 milliards.

Quant à la justice proprement dite, celle des services judiciaires, les sommes en cause ne sont que de 12,2 milliards de francs.

L es augmentations d'effectifs sont importantes 307 magistrats de plus - mais elles ne sont pas à la hauteur des besoins nouveaux nés de la loi sur la présomption d'innocence, des départs à la retraite, de la mixité des tribunaux de commerce, des détachements et du

« repyramidage ».

L'augmentation des crédits en soi n'est pas le meilleur critère de la qualité d'un budget. Il y a entre tous les ministres, de tous les gouvernements, depuis toujours, une sorte de compétition absurde pour obtenir la meilleure augmentation. A ce compte-là, les ministres prod igues seraient mieux considérés que les ministres économes.

Le volume du budget dépend aussi de son périmètre.

Depuis plusieurs années, progressivement, des transferts ont lieu de ministère à ministère. Cette année, la part patronale des cotisations d'assurance-maladie des personn els civils est transférée du budget des charges communes, soit 886 millions de francs. Est transférée aussi l'indemnité spécifique des fonctionnaires de l'équipement détachés auprès de la justice. Tout cela est d'ailleurs normal. Il faut approuver ces transferts qui rendent le budget de l'Etat un peu plus lisible, un peu plus cohérent et aussi un peu plus loyal au moment où le Parlement réfléchit à la modification de la procédure budgétaire. Pourtant, beaucoup reste à faire en ce domaine, et cela relativise l'éternelle discussion sur le montant du budget de la justice.

La vraie question est, d'une part, le bon emploi des crédits affectés et, d'autre part, la bonne affectation à l'intérieur de ce budget. Encore faut-il que les intruments d'analyse existent, ce qui est rarement le cas.

Ce budget est à la fois subi et improvisé. Il offre la caractéristique d'avoir été entièrement préparé par votre prédécesseur, madame la garde des sceaux, qui ne manquait pas, chaque fois qu'elle en avait l'occasion, d'afficher un volontarisme martelé par la première personne du singulier. On n'avait jamais vu un budget examiné en commission sous un ministre et en séance sous un autre !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

La séance elle-même a dû être reportée la veille. J'entends bien que la vie politique est incertaine et qu'elle peut réserver des aléas, mais c'est bien la première fois qu'une action ministérielle est interrompue pour de simples commodités de carrière. La continuité d'une politique, au service de l'Etat, devrait être au-dessus de telles considérations.

Le volontarisme de Mme Guigou ne l'a cependant pas conduite à accompagner jusqu'à son terme une politique qui prétendait affirmer des ambitions considérables et qui s'achève sur un départ précipité.

Vous avez bien du mérite d'avoir accepté, d'ailleurs avec une modestie louable, de vous charger d'un portefeuille qui ne vous était pas particulièrement destiné et qui, selon la presse, a fait l'objet de plusieurs fins de nonrecevoir. C'est qu'après le temps des promesses vient celui des échéances : on vous a laissé la plus mauvaise part ! Ce budget n'a pour objectif que de colmater les voies d'eau en les dissimulant sous l'effet d'annonce d'une augmentation visuelle et finalement peu coûteuse de son montant.

Le budget de la justice apparaît dans ses augmentations, le plus souvent, comme la résultante des mouvements sociaux et des campagnes de presse : grèves de magistrats entraînant des concours exceptionnels, rapport médiatisé sur la dramatique situation de la détention entraînant des crédits supplémentaires, tout comme le mouvement des gardiens de prison.

Le Gouvernement en est à modifier sérieusement son budget par voie d'amendement pour permettre la remise en état des principales prisons. On aurait pu croire que cet amendement était la marque de la nouvelle ministre.

Pas du tout ! Le Premier ministre a tenu à recevoir le b énéfice politique en en revendiquant la paternité.

Depuis trois ans, dans chacun de mes rapports, je rappelle que Fleury-Mérogis a des toits qui prennent l'eau, que la dégradation nécessite 200 millions de réparations.

En vain, jusqu'à ce que le rapport Vasseur sur la misère pénitentiaire...

Mme Christine Boutin.

C'est un livre pas un rapport !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. ... et l'écho utile et très important que la presse lui a donné soient entendus et invitent à agir. Ce gouvernement n'a qu'une priorité : la publicité.

Ce budget est aussi mal employé. Le mal endémique dont souffre la justice est d'abord la longueur des délais de jugement. C'est la durée qui retire sa crédibilité à la justice.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Les réformes en cours et les crédits prévus vont-ils permettre d'améliorer la situation ? Telle est la question primordiale. La réponse, est hélas ! non : cette durée est de plus en plus longue, parce que, sur le fond, on ne traite pas les questions les plus importantes, et j'en citerai quelques-unes.

D'abord, la construction d'un nouveau tribunal de grande instance à Paris prend un retard tragique. Les juridictions parisiennes représentent environ un quart de l'activité juridictionnelle nationale et Paris est la plus grosse juridiction européenne.

Suivant un audit indiscutable, il manque environ 67 000 mètres carrés au palais de justice de Paris. La Cour de cassation a besoin de 10 % de surface supplémentaire, la cour d'appel de 78 % et le tribunal de 71 %. Pourtant, plusieurs délocalisations ont eu lieu : elles ne sont que des palliatifs. Déménager le tribunal est la seule solution. Plus de 200 magistrats du siège n'ont pas de bureaux. Certains habitent en province et, travaillant chez eux, viennent le moins possible à Paris, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer sur la productivité.

Même à la Cour de cassation, où la résidence parisienne est une obligation, un certain nombre de magistrats qui n'ont pas de bureau, sont astreints à rester chez eux, souvent en province. Les tâches nouvelles prévues par la loi sur la présomption d'innocence nécessitent, on le comprend facilement, de nouveaux espaces.

Augmenter le nombre des magistrats est certes nécessaire, mais nous savons tous que le temps de leur formation est long. Qu'importe d'ailleurs d'en avoir plus si on ne peut les loger ! L'urgence est de mieux utiliser les magistrats que nous avons.

Dès 1998, j'ai tiré la sonnette d'alarme sur une question que le précédent gouvernement n'avait pas fait aboutir et que l'actuel diligente encore moins. Les études ont commencé en 1994, mais le terrain n'est même pas encore choisi, six ans après. Les prévisions les plus optimistes ne prévoient pas l'achèvement avant 2007. C'est bien long ! S'agissant de la carte judiciaire, là encore les promesses n'ont pas été tenues. Pendant trois ans, Mme Guigou n'a cessé de parler de la carte judiciaire. Une administration spéciale a été mise en place, des études nombreuses ont été faites. Finalement, Mme Guigou a quitté la chancellerie sans avoir supprimé une seule juridiction judiciaire.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

Et les tribunaux de commerce ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

La suppression d'une trentaine de tribunaux de commerce, qui ne sont donc pas judiciaires, devait être suivie d'une seconde vague à la fin de l'année dernière. Nous l'attendons toujours.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Les conservatismes de tous bords ont donc triomphé.

J'entends bien que les autres gouvernements n'ont pas fait beaucoup mieux. Du moins n'avaient-ils pas promis.

Sans réforme de la carte judiciaire, il n'est aucune autre réforme efficace. Combien de fois faudra-t-il le répéter ? La justice a besoin aujourd'hui de s'organiser sur la base de la spécialisation, parce que le droit devient chaque jour de plus en plus complexe et que les professionnels eux-mêmes ne peuvent satisfaire à l'obligation selon laquelle « nul n'est censé ignorer la loi ».

La spécialisation est la condition de la rapidité et de la sûreté du jugement. Je ne résiste pas à la tentation de citer mon homologue, rapporteur budgétaire du Sénat, qui devrait gagner plus facilement votre oreille puisqu'il s'agit de Robert Badinter. Il écrivait : « Des réflexions, des analyses sont en cours depuis des années, il est temps de passer aux actes. Ce ne sont pas les suppressions de quelques juridictions consulaires en état de survie artificielle - pour ne pas parler d'acharnement thérapeutique - qui suffiront. Je sais que la garde des sceaux y songe. Il est temps d'agir. » C'était l'année dernière.

La Cour de cassation, elle-même, est atteinte par le mal. La moyenne générale de traitement des affaires est de deux ans, un mois et treize jours même si la durée est devenue raisonnable en matière criminelle.


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Le constat est connu et résumé, une fois de plus, par le premier président dans son rapport du 27 avril dernier :

« Depuis près de vingt ans, la Cour s'épuise à gérer un stock important de dossiers de pourvois civils qui allongent les durées de jugement, pèsent lourdement sur son fonctionnement, créent des désordres, l'empêchent de se moderniser et entretiennent un climat défavorable à l'exercice du pouvoir juridictionnel souverain et d'une production jurisprudentielle aussi sûre qu'il serait souhaitale. »

Des mesures raisonnables et peu coûteuses sont proposées : l'augmentation du nombre des assistants de justice, vingt-huit magistrats supplémentaires pendant cinq ans afin de résorber le retard, ce qui n'est pas énorme ; le réaménagement du rôle des avocats généraux - là, je ne vois rien venir et pourtant nous risquons des condamnations à répétition par la Cour européenne des droits de l'homme.

Il faut sans doute aussi, c'était la proposition du premier président et celle de son prédécesseur, M. Drai, instituer une procédure d'admission ou de filtrage dans l'esprit de ce qu'était autrefois la chambre des requêtes.

Je voudrais dire un mot sur la loi sur la présomption d'innocence. Cette loi est présomptueuse. Pourtant, à l'évidence, elle n'est pas accompagnée des moyens suffisants pour sa mise en oeuvre. Des syndicats de magistrats ont évalué les besoins supplémentaires à environ un millier de magistrats. Même si cette évolution est contestée, on voit partout des magistrats civils affectés au pénal : on est en train de déshabiller Pierre pour habiller Jacques.

J'ai entendu dire que c'est parce que le Gouvernement avait été surpris par des amendements parlementaires, tel l'appel de la cour d'assises, que les moyens n'avaient pas suivi. Je ne puis croire que le Gouvernement ne soit pas capable d'improviser un financement ou un concours spécial comme il l'a fait à plusieurs reprises et encore moins qu'il veuille traiter les initiatives parlementaires plus mal que les siennes.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est scandaleux.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

L'aide juridictionnelle est restée naïvement stable - je dis « naïvement » parce qu'il est inimaginable qu'elle soit stable - d'une année sur l'autre à 1,54 milliard alors que les tâches ont pratiquement doublé et que les plafonds d'admissibilité augmentent plus rapidement que le coût de la vie. Nous avons désormais, en plus, l'appel des assises, le contentieux de la détention, le contentieux de la liberté, l'assistance de la garde à vue, le bracelet électronique. Tout cela va évidemment nécessiter un budget supplémentaire pour l'aide juridictionnelle. Il n'est pas prévu.

Mme Guigou aimait critiquer la justice britannique en affirmant que c'était une justice pour les riches. La justice britannique consacre pourtant dix fois plus que la France à l'aide juridictionnelle, qui bénéficie dans ce pays à un million de personnes.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

En Allemagne, c'est moins !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

C'était la justice britannique que Mme Guigou critiquait, pas la justice allemande. Le système accusatoire, faisait l'objet de son reproche mais la justice britannique, je le répète, consacre dix fois plus d'argent que nous à l'aide juridictionnelle.

J'aurais dû dire un mot des dotations pour frais de justice qui, elles régressent, alors que ces frais vont augmenter avec les instances nouvelles, ne serait-ce qu'avec la cour d'assises d'appel.

Toutes ces considérations me font penser que ce budget a besoin d'être révisé, d'être augmenté. Je sais bien qu'on va l'amender en catastrophe sur le chapitre pénitentiaire. J'y suis favorable, c'est très bien. Mais cette évolution aurait pu être prévue parce que le problème n'a rien de soudain. Et surtout, il y a beaucoup mieux à faire, à mon sens, dans l'emploi des crédits. Si l'augmentation n'est pas critiquable en soi pour faire face aux problèmes, l'affectation l'est tragiquement.

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de l a législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

D'abord, je voudrais vous remercier, madame la garde des sceaux, ainsi que vos services de la qualité des réponses apportées cette année aux questionnaires des rapporteurs. Cette masse de documentation que nous fournit la chancellerie est importante pour nous et pour notre réflexion. Il est dommage qu'on ne puisse pas en faire part de façon plus ample à nos collègues et il faudra certainement songer, un jour ou l'autre, à les publier.

Je citerai deux cas particuliers.

Depuis plusieurs années, je demandais aux services de la chancellerie de faire un peu de comptabilité analytique, en estimant le coût des procès. L'exercice est, certes, extrêmement difficile et délicat mais j'avais comme arrière-pensée de démontrer qu'un procès recommencé pour vice de procédure, erreur ou appel, coûtait cher à l'Etat. Cela, il fallait le mesurer. Pour la première fois, j'ai obtenu une réponse, accompagnée d'une explication sur la méthode.

La réflexion mérite cependant d'être poussée car si votre administration compte des gens de qualité, son fonctionnement reste très perfectible, les réponses le montrent.

Notre excellent collègue Augustin Bonrepaux a qualifié le budget de la nation de juste et solidaire, renforçant la cohésion sociale tout en assurant la maîtrise des dépenses publiques. Le même jugement peut s'appliquer au budget des services judiciaires.

Chaque année, la commission des lois de l'Assemblée nationale examine avec un très grand soin les propositions budgétaires du ministre de la justice car nous savons que les futures réformes devront s'inscrire dans ce cadre et qu'il est inutile de faire évoluer notre droit si, en face, il n'y a pas les moyens humains et budgétaires pour en assurer l'application.

Depuis trois ans, nous y veillons. Nous avons été échaudés en d'autres temps par des gouvernements, tant de gauche que de droite, qui nous faisaient voter des textes sans prévoir les moyens pour les appliquer, voire qui retiraient les textes en dernière minute toujours parce qu'aucun crédit ne permettait d'en assurer l'application.

Et, comme l'a relevé notre éminent collègue Patrick Devedjian, nous en avons un exemple pour 2001 avec l'application de la loi sur la présomption d'innocence et les droits des victimes. Loi d'importance, dont nous sommes très fiers parce que c'est une loi de progrès, une loi d'humanisme, une loi qui ne peut que satisfaire tous ceux qui estiment que droit et justice, loi et humanité doivent être constamment associés notre réflexion.


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M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Cette loi a été combattue par les conservateurs de tous bords, beaucoup à droite, un peu à gauche aussi, un peu trop selon moi.

Maintenant qu'elle a été votée, qu'elle est à notre disposition, si je puis dire, on nous assure la main sur le coeur, dans un esprit républicain, qu'on l'appliquera. Encore heureux ! Mais il ne faut pas oublier qu'elle nécessite des moyens supplémentaires.

J'ai donc regardé attentivement ce qu'il en était.

Certes, des moyens financiers et humains sont prévus.

Mais le calendrier est tel que les prochains mois seront difficiles, toutes les personnes qui vont être chargées d'appliquer la loi - les magistrats, les fonctionnaires des services judiciaires, les barreaux - et qui sont de bonne foi le reconnaissent.

Pour autant, on ne peut pas dire que les moyens sont absents : 450 emplois nouveaux, 262 millions de francs supplémentaires, ce n'est pas rien.

Bien sûr, au moins pendant le premier semestre 2001, il faudra étudier de près comment tout cela fonctionne. A cet égard, madame la garde des sceaux, j'ai beaucoup apprécié, outre la mise en place de la mission du suivi, que vous annonciez que l'inspection générale des services judiciaires se pencherait sur le fonctionnement de chaque tribunal afin de voir si d'autres éléments de l'organisation judiciaire devaient être modifiés. Comment assurer une bonne coopération entre les tribunaux ? Comment justifier des déplacements de magistrats par les présidents de cour d'appel ? Les questions sont nombreuses.

Mais cette loi sur la présomption d'innocence est trop importante, trop forte pour que nous puissions prendre la responsabilité de ne pas l'appliquer dès aujourd'hui et d'attendre encore quelques mois. Dans quelques mois, les problèmes seront les mêmes.

Autre sujet à l'impact budgétaire réel, l'aide juridictionnelle.

Doubler les crédits ne servirait à rien, avez-vous dit il y a quelques jours, madame la garde des sceaux, si l'aide juridictionnelle n'est pas modifiée en profondeur.

J'ai eu l'honneur, il y a quelques années, de faire partie d'une commission mise en place par votre prédécesseur, M. Jacques Toubon. Cette commission avait travaillé sur cette question mais aucune mesure concrète n'avait été prise. Il faut sans doute se ressaisir du probème. La commission des lois, en accord avec son président Bernard Roman, est prête à apporter sa contribution pour modifier un système qui a le mérite de faire accéder tous nos concitoyens, quel que soit leur niveau de fortune, au droit et à la justice.

Mais ces deux problèmes importants ne doivent pas nous faire oublier les nombreux autres.

D'abord, s'agissant de l'utilisation des crédits du ministère de la justice. Chaque année, nous votons des crédits importants pour la justice, même s'ils nous semblent toujours insuffisants. Mais l'étonnant, c'est que ces crédits ne sont que peu consommés. Certains manques sont ainsi complètement inexplicables au regard des crédits votés.

Ce constat est préoccupant, il est sans doute le signe que ce ministère a besoin d'une réforme profonde de son fonctionnement. On le dit sur tous les bancs ici depuis de nombreuses années, on le dit à la chancellerie. Un jour ou l'autre, il faudra bien que nous fassions des propositions. Aujourd'hui, vous devez, madame la garde des sceaux, saisir ce problème à bras-le-corps.

De nombreux ministères, dont l'organisation datait pour certains de fort longtemps, ont entamé de profondes réformes ces trente dernières années. Pour avoir travaillé pendant vingt ans au ministère de l'agriculture, je sais qu'en 1960 ce ministère fonctionnait toujours, soixante ans après, comme du temps de Méline dont la principale invention avait été de fermer les frontières à l'agriculture, mais aussi de créer le Mérite agricole. Il a fallu l'arrivée d'Edgard Pisani pour engager une profonde réforme, qui a permis un meilleur fonctionnement.

Madame la garde des sceaux, vous allez disposer d'un budget convenable pour 2001 - 29 milliards, c'est mieux que les 22 milliards de 1995, 20 441 fonctionnaires des services judiciaires, c'est mieux que les 18 325 fonctionnaires de 1995, 6 846 postes budgétaires de magistrats, c'est mieux que les 6 029 postes en 1995 - mais derrière ces chiffres, qu'y a-t-il ? A quoi servent ces effectifs ? Comment les utilise-t-on ? Comment répartit-on leur travail ? Quand je constate, par exemple, la baisse de la productivité de certaines juridictions - parce que même la productivité des services judiciaires se mesure - je suis inquiet.

Bref, nous avons beaucoup de travail à faire ensemble, madame la garde des sceaux, pour assurer une bonne justice dans notre pays. Vous pouvez compter sur la commission des lois. Elle a voté votre budget et, en son nom, je propose à l'Assemblée nationale d'en faire autant.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de l a législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

M. André Gerin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

Madame la ministre et garde des sceaux, c'est dans un esprit constructif que j'ai travaillé avec votre prédécesseur, c'est dans ce même esprit loyal que je veux poursuivre avec vous.

L orsque nous parlons budget, nous pensons aux chiffres, aux pourcentages de progression ou de régression d'année en année. Cette année encore, le budget de la justice marque la volonté du Gouvernement de favoriser ce ministère, les chiffres globaux le montrent : plus 4 % en 1998, plus 5,6 % pour 1999, plus 3,9 % pour 2000 et plus 3,1 % pour 2001.

Sur le terrain, que ce soit pour l'administration pénitentiaire ou la protection judiciaire de la jeunesse, ces efforts méritoires ne parviennent pas à combler le déficit qui existe en termes d'emplois, de locaux, de politiques structurantes. Le handicap de ces vingt-cinq ou trente dernières années sur le rôle de la prison et le traitement de la délinquance des mineurs est trop grand. Cette remarque est constante depuis mon premier rapport en 1997.

Aujourd'hui, cette réalité explose avec la grève des surveillants, avec la détresse des détenus dont les suicides remplissent les colonnes des faits divers des journaux. Les constatations des commissions parlementaires sur les conditions de vie des détenus sont sévères, tout comme les conclusions de la commission présidée par M. Canivet sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires.

Ces travaux et ces événements ont le mérite de susciter une prise de conscience générale et faire bouger les


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choses. Ainsi, un protocole d'accord a été signé, le 18 octobre, entre le garde des sceaux et l'entente syndicale.

La loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes tout comme d'autres dispositions législatives, en particulier la réforme de la libération conditionnelle, sont des éléments très positifs qui permettent de changer la situation : limitation de la détention provisoire allant jusqu'à sa suppression, principe de l'emprisonnement individuel, développement des peines alternatives à la prison.

Les commissions parlementaires et la commission Canivet proposent l'élaboration d'une loi pénitentiaire. Il faut se féliciter que le ministère et le Premier ministre se soient ralliés à cette idée et que l'examen de celle-ci ait été annoncé pour le mois de juillet 2001.

Il est urgent non seulement de « faire le ménage » dans les nombreaux textes en vigueur, mais aussi de donner un cadre respectant les droits fondamentaux des individus, détenus et personnels, d'accorder les moyens humains et matériels, de donner un sens à la notion de « sanction pénale », à celle de « prison », vis-à-vis des individus et de la société tout entière.

Les différentes parties de mon intervention concerneront des questions d'importance.

S'agissant de la surpopulation carcérale, on peut se féliciter du développement du suivi en milieu ouvert. La durée des peines s'allongeant, le problème de fond du sens de la prison se pose. Quand celle-ci est la seule possibilité, il convient de faire en sorte qu'elle puisse effectivement assumer sa mission de réinsertion sociale et économique. Or, entre les moyens et la mission, il y a un gouffre.

Dans la population incarcérée, on constate une augmentation du nombre des délinquants sexuels et des mineurs.

Cette situation rend encore plus criante la dépossession que ressentent les gardiens-surveillants de toutes leurs missions gratifiantes : souvent, ils n'exercent que la simple fonction de porte-clefs. Elle met également en évidence le besoin d'une mutation structurelle, par des formations et des effectifs plus nombreux et mieux rémunérés afin de mieux s'occuper et suivre les détenus.

Les syndicats sont unanimes sur ces points.

La création de 365 emplois nets est insuffisant eu égard à la réalité. Entre postes vacants et départs à la retraite se profile, pour les années à venir, une situation qui restera très inconfortable si d'importantes créations d'emplois n'interviennent pas rapidement.

Au travers des légitimes questions indemnitaires et d'effectifs, c'est un désir de reconnaissance et de considération que tous les personnels expriment. Je souhaite que, conformément au protocole du 18 octobre, l'arrivée de 2 000 surveillants et le recrutement anticipé pour 2 51 postes permettent effectivement d'engager, de manière volontariste, la résorption des postes vacants.

Des efforts ont, certes, été entrepris pour moderniser la gestion et la formation des personnels, mais je souhaite qu'une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences soit bientôt mise en place, sans oublier le statut à élaborer pour les chefs de service pénitentiaires, qui constituent la clé de voûte du fonctionnement des établissements. Et pourquoi ne pas appliquer, pour le service public de la justice, qu'il s'agisse des établissements pénitentiaires ou de la protection judiciaire de la jeunesse, une véritable charte de qualité du service public ? J'en viens à l'état des patrimoines immobiliers.

Au-delà des programmes de reconstruction prévus des nombreux établissement vétustes, un aspect est occulté dans la réflexion. En effet, il ne sert à rien de construire le même nombre de places si l'on veut diminuer le recours à la prison. C'est en termes de qualité de vie, s'il est possible de s'exprimer de cette manière quand on parle des détenus et des surveillants, qu'il convient de raisonner.

Ainsi, la prison de Saint-Paul et Saint-Joseph de Lyon est indéniablement invivable et elle ne peut être rénovée.

Par la presse, on apprend que le nouvel établissement pourrait se situer dans telle ou telle commune. Mais les communes citées ne sont au courant de rien. Le plus grave est que si l'on construit la même chose en plus moderne, on n'aura rien compris : il faut construire de petits établissements inscrits dans des projets de la vie de la cité, de la vie de l'agglomération. Il ne faut non pas se contenter d'ajuster l'existant, mais changer radicalement la manière de traiter ces questions.

La concertation locale à laquelle, madame la ministre, vous avez fait référence lors de la réunion en commission du 9 novembre, est indispensable. Pour une ville comme Lyon en particulier, la démarche, inédite, pourrait être de ce point de vue exemplaire.

Je reviendrai maintenant sur le travail de réflexion et de propositions des différentes commissions, pour les soutenir.

Concernant le contrôle extérieur de l'administration pénitentiaire, le système préconisé par la commission Canivet semble mieux répondre aux différents problèmes rencontrés dans les prisons.

L'élaboration d'un code de déontologie progresse. Un texte doit être soumis au Conseil d'Etat d'ici à la fin de l'année.

La protection judiciaire de la jeunesse bénéficie d'importants efforts. En effet, les crédits augmentent de 7,33 % en dépenses ordinaires pour atteindre 3,5 milliards de francs. Cela traduit la volonté du Gouvernement de faire de cette protection une priorité.

La présente législature a permis le recrutement de 1 010 personnels permettant d'améliorer l'encadrement des jeunes. Cela est apprécié à sa juste valeur par les syndicats, qui s'inquiètent cependant du nombre trop élevé d'emplois précaires. Les mesures indemnitaires et statutaires sont appréciables : la dotation s'élèvera à 17,8 millions de francs en 2001 contre 11 millions en 2000.

La diversité des structures d'accueil et d'hébergement est assuré, ce qui est indispensable si nous voulons apporter des réponses individualisées pour réussir l'insertion des jeunes selon leur situation.

Les centres de placement immédiat connaissent des difficultés car, à cause d'un manque de personnel, ils ne peuvent fonctionner normalement. Ce type de structure demande un large encadrement pour motiver les jeunes.

Tous les efforts en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse doivent être organisés dans un projet global dans lequel les missions de service public sont clairement définies - c'est ce que j'appelle la charte de qualité du service public.

Le personnel constate encore aujourd'hui trop d'incohérences : ici, un foyer est fermé et, quelques kilomètres plus loin, s'ouvre un centre de placement ou un autre établissement, mais il manque soit le directeur, soit les éducateurs.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Le changement d'échelle dont vous avez fait état, madame la ministre, doit être anticipé sous peine de perte d'efficacité, de lisibilité, voire de crédibilité. Les organisa tions syndicales sont partantes pour engager la concertation et accompagner les changements nécessaires à la protection judiciaire de la jeunesse.

Mon collègue et ami Jacques Bruhnes avait souligné cet aspect des choses, en insistant notamment sur le manque chronique d'effectifs, lors de la réunion de notre commission, où il m'a efficacement remplacé.

L'étude du profil des mineurs incarcérés montre que la plupart d'entre eux sont issus de milieux défavorisés. Leur nombre croissant témoigne des conséquences désastreuses de l'exclusion dans notre pays. C'est pourquoi le principe novateur de l'ordonnance du 2 février 1945 est toujours justifié du fait de sa modernité. Il s'agit en l'occurrence de faire bénéficier en priorité de mesures de surveillance, de protection, d'assistance et d'éducation.

Ainsi, si tout doit être fait pour que l'incarcération des mineurs réponde à des règles spécifiques destinées à protéger ces derniers des détenus adultes, cette incarcération doit être considérée comme l'exception. Pourquoi ne pas oser le reconnaître et ne pas poser radicalement le principe qu'il ne doit pas y avoir de prison pour les mineurs et les jeunes majeurs ? Il y a là un défi qu'il nous faut relever.

Les services de la protection judiciaire de la jeunesse s'appuient sur des partenariats diversifiés, ce qui est une bonne chose. La transversalité du travail en commun sur le terrain avec l'éducation nationale, les acteurs de la politique de la ville et les maisons de justice permet cette efficacité. Il faut continuer dans cette voie mais de manière encore plus volontariste et pérenne.

Mes chers collègues, nous avons un rôle à jouer pour convaincre le Gouvernement de déposer rapidement le texte d'une grande loi pénitentiaire, et nous devons l'y aider. La matière existe : rapports, travaux de chercheurs, apport d'idées venant des syndicats, des personnels.

La loi pénitentiaire doit permettre d'élargir la concertation avec plusieurs associations. Leur apport est précieux et nous avons, sur ce plan, une obligation de résultat.

Cette loi doit faire entrer dans la prison le respect des droits humains, ceux du détenu et de sa famille, comme la reconnaissance de la dignité des personnels.

Ainsi que l'a fait observer avec justesse mon ami Georges Hage lors des travaux en commission : « Les prisons sont le reflet de l'état de notre société ». Nous voulons, mes chers collègues, rendre celles-ci plus humaines.

Madame la ministre, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse.

C'est un avis exigeant : il faut dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit. Au fond, n'est-ce-pas, au-delà de la justice, une manière de contribuer à faciliter la lisibilité et à accroître la crédibilité de la politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Dans la discussion, la parole est à

M. Jean-Luc Warsmann, premier rapporteur inscrit.

M. Jean-Luc Warsmann.

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour ce qui concerne les services judiciaires, débattre du budget, c'est à la fois faire le point sur la situation dans laquelle se trouve la justice au moment où nous débattons et discuter des perspectives.

D ans quelle situation la justice se trouve-t-elle aujourd'hui ? La justice est d'abord noyée dans un océan d'affaires en retard, qui entraînent des délais de jugement considérables. Dans un certain nombre de cas, la justice ne peut même plus être dite, les tribunaux se prononçant trop tard.

Quelle est la durée moyenne des jugements devant le tribunal de grande instance, tribunal courant pour une affaire civile ? Plus de neuf mois, auxquels s'ajoutent plus de dix-huit mois si l'on va en appel.

Lorsqu'une affaire est jugée devant les prud'hommes, il faut compter plus de dix mois de délai, auxquels s'ajoutent les dix-huit mois d'appel. Plus de deux ans sont nécessaires pour juger une affaire opposant un salarié à une entreprise, une affaire où les parties sont souvent inégales : il y a, d'un côté, le salarié qui attend le jugement, le paiement d'une prime, et, de l'autre, une entreprise qui peut attendre quelques années supplémentaires la fin de la procédure.

C'est avec ce type de contentieux qu'apparaît l'injustice profonde de notre système judiciaire.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Voilà un exemple de la lutte des classes !

M. Jean-Luc Warsmann.

Qu'en est-il en matière de justice administrative ? Un an et onze mois en moyenne pour une action devant le tribunal administratif, auxquels s'ajoutent deux ans et six mois si l'on interjette appel ? Soit plus de quatre années, sauf si le Conseil d'Etat est saisi, auquel cas il faut ajouter une année supplémentaire.

Est-ce acceptable aujourd'hui ? Je réponds très fortement : non ! Quelle a été l'évolution ces dernières années ? Pourquoi en est-on arrivé là ? Madame la ministre, en préparant mon intervention, j'ai repris les chiffres de ces trois dernières années puisque, paraît-il, cette matinée est d'abord consacrée au bilan de votre prédécesseur.

Devant les tribunaux de grande instance, la moyenne est passée en trois ans de 9 mois à 9,1 mois. Devant les cours d'appel, toujours en matière civile, le délai moyen est passé de 15,8 mois à plus de 18 mois alors que, dans le même temps, le nombre d'affaires nouvelles diminuait de 10 %, passant de 219 271 à 199 788. Moins d'affaires nouvelles donc, mais des délais plus longs ! Que s'est-il passé ? Depuis quelques années, le Gouvernement s'est engagé sur la voie de réformes non financées. Dans le temps où les délais s'allongeaient, plus de 200 postes de magistrat ont été créés et utilisés pour juger. Malgré cela, les dé lais continuent de s'allonger.

Je me suis tout à l'heure référé au compte rendu de nos débats du 10 février 2000. Votre prédécesseur expliquait alors que 60 des postes de juge créés en 1999 serviraient à financer la réforme du juge de la détention.

Ainsi, le même magistrat sert à financer une réforme, à résorber les retards et à remplacer un départ en retraite.

C'est de la véritable cavalerie ! Résultat : les délais d'attente des citoyens devant la justice ne cessent de s'allonger.

Où en est-on pour l'année 2001 ? C'est la même logique qui prévaut.

Le 1er janvier 2001 va être un à-coup fantastique puisque les dispositions de la loi sur la présomption d'innocence vont s'appliquer - des dispositions qui coûteront des centaines de postes. Une grande organisation professionnelle de magistrats avance le chiffre de 1 000 postes


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de magistrat. Ne le discutons pas ! Peu importe qu'il soit trop élevé de 100, 200 ou de 300 car la réalité est là : nous allons donner des tâches supplémentaires considérables aux magistrats qui ne parviennent déjà pas à juger les affaires en cours.

Je prendrai l'exemple du juge de la détention.

Comment fait-on pour avoir un juge de la détention au 1er janvier ? On déshabille les tribunaux civils, qui sont déjà tellement en retard : on leur retire des juges pour les nommer juges de la détention. A Paris, quatre viceprésidents du tribunal, qui jugeaient jusqu'à maintenant des affaires civiles, iront rejoindre la nouvelle formation des juges de la détention. Même situation pour dix autres fonctionnaires. On déshabille Pierre pour habiller Paul ! Pour ce qui concerne l'appel en assises, c'est exactement la même chose. J'ai le Journal officiel relatant nos débats du 10 février 2000. Ce jour-là, plusieurs députés de l'opposition avaient interrogé le Gouvernement sur les moyens. Ils n'ont pas reçu de réponse. Aujourd'hui, la réforme n'est toujours pas financée.

Et que dire de la judiciarisation des 90 000 décisions d'exécution des peines ou du projet de réforme des tribunaux de commerce ? Mais ne parlons pas que des magistrats ! Parlons aussi, si ce n'est d'abord, des fonctionnaires de justice, qui sont les grands oubliés du budget, bien qu'ils soient les premiers à devoir faire face au surplus de travail qu'entraînent les réformes et à devoir répondre à la colère des justiciables face aux délais d'attente et aux dysfonctionnements de notre système judiciaire.

N'oublions pas qu'un certain nombre de légèretés que s'accorde notre système judiciaire vis-à-vis des droits de l'homme sont liées à cet océan de retards ! N'oublions pas, mes chers collègues, que le scandale de personnes qui se trouvent en détention provisoire durant des années est d'abord justifié par le retard de la justice ! Savez-vous que, lorsqu'une personne est poursuivie pour avoir commis un crime, que l'instruction est terminée et que le juge d'instruction a fini son travail, on n'a plus une seule question à poser au prévenu dans le cadre de l'enquête ? Mais en France, aujourd'hui, une telle personne attendra plus d'un an que l'on trouve une date pour la juger devant une cour d'assises, parce qu'il n'y a pas assez de juges et pas assez de dates possibles.

Face à ce scandale de l'engorgement des cours d'assises, on lance un appel qui entraînera la nécessité de juger de nouvelles affaires sans moyens supplémentaires ! Je parlerai aussi des problèmes qui se posent dans les juridictions pour les procédures de comparution immédiate. Nous savons tous très bien que, dans un certain nombre de tribunaux, on pratique, parce qu'on n'a pas les moyens nécessaires, une justice « à la chaîne » , si j'ose dire, où on dispose de peu le temps pour évoquer une affaire et donc pour entendre la défense.

Cette atteinte aux principes de la justice, que l'on peut déplorer de temps à autre, est liée elle aussi à la pénurie de moyens de la justice.

S'agissant de l'administration pénitentiaire, j'aurais tendance à dire que nous sommes, comme les personnels de cette administration, partagés entre l'espoir et la réalité.

L'espoir, c'est la grande prise de conscience qui a été celle de l'année 2000, notamment à la suite des rapports des commissions parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la réalité du fonctionnement de notre système pénitentiaire.

Nous avons tous manifesté la volonté de redéfinir et les missions et les moyens. Nous avons tous constaté les diff icultés de plus en plus importantes que peuvent connaître les personnels : la violence ne cesse de se développer et, dans les établissements, on trouve de plus en plus de détenus qui relèveraient surtout de la psychiatrie.

Nous avons pu constater les sous-effectifs, et déplorer que, par rapport à des effectifs théoriques largement inférieurs aux besoins de nombreux postes n'étaient pas pourvus. Nous avons tous constaté que, lorsqu'un personnel part en retraite ou est muté, son successeur se fait couramment attendre neuf, douze ou quinze mois, ce qui entraîne des dysfonctionnements et exige de rappeler les personnels qui sont en repos, d'où des tensions, des problèmes de maladie et d'absentéisme. J'ajoute que la situation est la même au niveau des personnels de direction.

Confrontés à cette situation, que voyons-nous ? La réalité d'un budget que je qualifierai d'ordinaire.

On nous dit que l'administration du ministère n'avait pas eu le temps de prendre connaissance de nos rapports parlementaires. J'avoue que c'est une grande déception.

S'il n'y avait eu le mouvement des surveillants, avec le protocole qui a été signé à la suite de ce mouvement, le gain serait bien minime.

Que dire des locaux ? Où en est-on en matière d'invest issements dans l'administration pénitentiaire ? Au 30 juin 2000, il y avait 1,751 milliard de francs d'autorisations de programme dans les caisses du ministère de la justice. Et savez-vous combien ont été dépensés, alors que t ant de prisons nécessitent d'être rénovées ou reconstruites ? Finalement 223 millions, soit plus de 1,5 milliard de crédits virtuels, non dépensés bien que les besoins soient criants.

Je le dis comme je le pense, l'amendement tendant à prévoir un milliard d'autorisations de programme supplémentaire relève de l'effet d'annonce. On a déjà 1,5 milliard qu'on n'a pas utilisé et on nous propose 1 milliard de plus ! Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir eu en commission, la franchise de reconnaître que ce milliard ne serait assurément pas dépensé dans l'année qui vient.

Il ne s'agit que d'un signe, et j'en suis extrêmement déçu.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

C'est un signal important !

M. Jean-Luc Warsmann.

Le mot change peu la réalité.

J'aspire à un véritable débat, à une véritable mise en perspective, pour ce qui concerne tant les missions - mais ce point est renvoyé à la loi pénitentiaire, pas trop tard j'espère - que les moyens correspondants.

Je sais bien qu'il n'y a pas que les locaux. Mais il convient de s'interroger sur la place des locaux destinés au travail, sur la localisation des établissements, sur les précautions à prendre pour assurer la protection des personnels, sur la configuration des locaux en général, sur l'hygiène des détenus. Sur tous ces sujets, un grand débat peut être engagé. Si vous vous décidez à l'engager, sachez que, sur tous les bancs de cette assemblée, nous sommes tout disposés à y participer car nous sommes très demandeurs.

En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, tant pour les services judiciaires que pour l'administration pénitentiaire, votre budget est celui des occasions ratées. Il aurait pu être correct. Le problème, c'est que les moyens supplémentaires qui sont accordés - permettant, notamment, de créer des postes - ne suffisent pas à financer les réformes nouvelles et sont donc


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complètement inopérants pour faire face aux retards accumulés. Il en est de même en matière d'administration pénitentiaire, malgré la volonté, sur tous les bancs de l'Assemblée, de remettre le système à plat.

Et parce que c'est le budget des occasions ratées, le groupe du Rassemblement pour la République votera contre.

Mme la présidente.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, pour la quatrième année depuis 1997, le budget de la justice connaît une progression significative. C'est tout à l'honneur du Gouvernement et du Parlement d'avoir voulu faire de la justice, pour la première fois dans l'histoire de la République, une incontestable priorité budgétaire. 1 550 postes seront créés en 2001, dont 348 de magistrats judiciaires et administratifs, alors même que, de 1993 à 1997, pendant les gouvernements de MM. Balladur et Juppé, 208 postes seulement ont été créés. La différence parle d'elle-même...

Ce retard était d'autant plus important que les effets du budget se mesurent dans le long terme. Les efforts budgétaires traduisent donc notre volonté de faire du ministère de la justice le ministère des justiciables, mais également le ministère du droit.

Mais ces efforts, dont nous vous donnons acte, madame la garde des sceaux, ainsi qu'à votre prédécesseur, seront-ils suffisants ? Car là réside le paradoxe : rarement on a autant fait, mais rarement l'attente des justiciables a été aussi forte et l'inquiétude des milieux judiciaires aussi visible.

Ce que veulent d'abord les justiciables, c'est non pas tant une augmentation de budget ou de postes qu'une justice beaucoup plus rapide, notamment en matière civile.

En matière de droit de la famille, 384 000 affaires ont été introduites en 1989 devant les tribunaux de grande instance, soit 63 % de l'ensemble du contentieux civil.

C'est dire que la justice, c'est avant tout le droit de la famille. Or la durée moyenne d'un procès en matière familiale est de 9,1 mois. Pour les appels, qui concernent 38 000 cas - là aussi, un pourcentage particulièrement important - elle est de 18,1 mois. Ces durées sont inacceptables, d'autant plus que ces procès concernent, le plus souvent, des gens qui se déchirent, qui sont dans le malheur, et qu'elles ne rendent pas compte de la durée du conflit antérieur à la saisine de la juridiction.

Ces durées insupportables peuvent être imputées aux parties et à leurs conseils, c'est parfaitement exact. Mais aussi et surtout à l'insuffisance du nombre des magistrats et greffiers pour les affaires familiales comme à la loi ellemême qui complique tout à plaisir. La loi sur le divorce, par exemple, impose des doubles comparutions totalement inutiles ; prévoit des délais de réflexion stupides, témoignant de la méfiance du législateur de 1975 envers les personnes qui divorcent. Et elle empêche, pour satisfaire le fisc, d'enregistrer les divorces par consentement mutuel tant que les droits de partage n'ont pas été évalués. Et la liste n'est pas limitative.

Quand donc, madame la garde des sceaux, serons-nous saisis de la grande loi sur la famille, annoncée par le Gouvernement, attendue par les justiciables, espérée par les parlementaires ? Nous serons jugés vraisemblablement à l'aune de cette loi lors de nos prochaines rencontres avec les électeurs.

Une justice rapide, madame la garde des sceaux, n'est pas forcément expéditive. Il faut donc nous saisir d'un texte, que je m'étais permis de réclamer à plusieurs reprises, permettant l'exécution provisoire de plein droit de l'ensemble des décisions, sauf en matière de droit des personnes. Il est en effet paradoxal que cette exécution provisoire existe jusqu'à neuf mois de salaire en matière prud'homale et pour rien, pour une simple créance non discutée, sur le plan civil ou commercial. De telles aberrations permettent, qui plus est, d'organiser en toute quiétude son insolvabilité. Ce texte serait naturellement préparé sous le contrôle des premiers présidents.

Nous venons de voter des textes essentiels en matière de libertés : juge de la détention et des libertés, appel des arrêtés des cours d'assises, juridictionnalisation de l'application des peines. Nous avons ainsi créé de nouveaux espaces de liberté - et mon ami Jacques Floch l'a bien rappelé, Madame la garde des sceaux, nous sommes un certain nombre ici, comme Louis Mermaz et moi-même, à en être extrêmement fiers. Mais il est vrai que l'inquiétude qu'elles suscitent, s'agissant de leur applicabilité, n'est pas négligeable. Les chefs de juridiction que j'ai pu contacter ne cachent pas qu'ils envisagent de déplacer de nombreux magistrats chargés des affaires civiles vers les affaires pénales, ce qui ne fera qu'augmenter la durée de jugement des affaires civiles et par là même exaspérer les justiciables.

Il faudra donc que la commission de suivi des nouveaux textes renseigne au mieux les parlementaires.

Ceux-ci ont voté ces textes de liberté avec enthousiasme et à la quasi-unanimité. Ils exigent que ces textes soient appliqués, et sans retard, sur l'ensemble du territoire de la République.

De nouveaux besoins vont apparaître avec la réforme des tribunaux de commerce, puisque nous adopterons vraisemblablement le principe de la mixité. Pouvez-vous indiquer, madame la garde des sceaux, l'incidence qu'a eue la grève des cent tribunaux de commerce qui, pour des raisons évidemment politiques, se sont opposés aux réformes entreprises par le Gouvernement et à ses commissions d'enquête ? L'ensemble des affaires commerciales ont été alors transférées auprès des tribunaux de grande instance, dont les propres affaires ont été en partie bloquées.

Aux besoins des justiciables répondent les besoins des conseils, c'est-à-dire des avocats en matière d'aide juridict ionnelle. Comment admettre qu'un avocat commis devant une juridiction pénale pour des affaires graves mettant en jeu des privations de liberté, de dix années, par exemple, n'ait le droit qu'à une indemnité inférieure à 600 francs alors même qu'il lui a fallu parfois dix heures pour organiser la défense ? Si nous n'y prenons pas garde, nous allons créer de manière irrémédiable une justice à deux vitesses au détriment des exclus, au détriment des plus pauvres et au détriment de la défense pénale. Méditons sur les dernières enquêtes faites aux Etats-Unis concernant les condamnations à mort : plus de la moitié d'entre elles auraient été évitées, selon tous les rapports, si le condamné avait pu bénéficier d'une défense efficace. Et qu'on le veuille ou non, pour être efficace, une défense doit être correctement indemnisée. Ce n'est pas le cas actuellement.

Je terminerai mon propos, madame la garde des sceaux, par une suggestion que je vous ai faite en commission. La réforme de 1959 des CHU, voulue par le professeur Robert Debré, a permis de créer un corps d'enseignants-praticiens sur le plan médical - les « biappartenants » - dont la qualité nous est enviée dans le monde entier. Cette réforme a permis de maintenir dans le domaine public les plus grands des médecins. Pourquoi


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ne pas s'en inspirer et permettre à tous les professeurs de droit d'être immédiatement à la fois enseignant et magistrat ? Ils en ont le temps.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Mme la présidente en est la preuve ! (Sourires.)

M. Alain Tourret.

Ils effectuent quelques heures de cours par semaine, sept mois par an. Pour avoir été enseignant, je peux dire que c'est six heures...

Ils en ont la capacité, qui dira le contraire ? Ils ont le savoir. Cette réforme est simple. Nous avons là des juristes d'exception, susceptibles immédiatement d'assumer des fonctions de magistrat. Les professeurs de droit administratif peuvent être immédiatement versés dans les juridictions administratives, ceux de droit civil et de droit pénal immédiatement versés dans les chambres civiles ou pénales des cours d'appel.

Mme la présidente.

Monsieur Tourret, ce n'est pas parce que vous attaquez les professeurs de droit que je vous rappelle que votre temps de parole est écoulé. (Sourires.)

M. Alain Tourret.

Je n'ai pas cherché à « poignarder » la présidence, j'ai simplement voulu souligner à quel point elle était à même d'apprécier la pertinence de mes propositions.

Je vous serais donc reconnaissant, madame la garde des sceaux, de bien vouloir faire procéder à un audit sur cette proposition.

Sous réserve de ces observations, les radicaux de gauche voteront votre budget. Ils sont prêts à participer à la mise en oeuvre de l'oeuvre de justice voulue tant par le Gouvernement que par le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste. - Mme Christine boutin applaudit également.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Madame la garde des sceaux, je voudrais d'abord saluer votre arrivée à la chancellerie et vous souhaiter bon courage (Sourires) car certains disent, à tort ou à raison, que ce ministère ressemble de plus en plus à une poudrière. Vous semblez, d'ailleurs, en avoir conscience puisque l'examen du budget a été reporté à plusieurs reprises et la procédure modifiée. J'en profite d'ailleurs pour vous demander ce qu'il adviendra des questions écrites budgétaires qui ont été adressées à la chancellerie dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l'origine.

C'est un ministère, en effet, où les dossiers « chauds » et non réglés ont une fâcheuse tendance à s'accumuler. Je n'en citerai que quelques-uns : la fronde des personnels pénitentiaires, celle des avocats, sans parler des juges consulaires qui voient leur avenir s'assombrir, ni des affaires qui sont l'occasion, pour des parlementaires de la majorité, de s'attaquer directement et personnellement à certains de nos magistrats les plus éminents. Je suis sidéré, je ne vous le cache pas, que la garde des sceaux que vous êtes demeure taisante quand un des plus hauts magistrats français, le procureur général près la Cour de cassation, en l'occurrence, est traîné dans la boue. Je ne comprends pas pourquoi la garde des sceaux ne réagit pas. Cela signifie-t-il que, désormais tous les coups sont permis et que l'on peut dire tout sur les magistrats ? Je pense que vous nous répondrez tout à l'heure à ce sujet.

Certes, vous n'avez pas la tâche facile et, dans le même temps, notre justice a besoin d'être rassurée. Dans un contexte agité, les regards se tournent bien évidemment vers le budget que vous nous présentez.

Vous nous dites qu'il répond aux attentes du secteur. Il est censé mettre en évidence un début de concrétisation des idées et des promesses qui ont été agitées. Or j'ai malheureusement le regret de constater que ce budget est à l'image de la justice de notre pays : un colosse aux pieds d'argile.

En 2001, le budget de la justice augmentera de 3,1 %, soit de 846 millions de francs, pour atteindre 28,146 milliards de francs. Alors que notre organisation judiciaire connaît contestations et soubressauts et se trouve régulièrement sous les feux de l'actualité, la plupart du temps en raison des blocages qu'elle rencontre, je remarque qu'une telle augmentation est inférieure à celle de l'année passée. Et, de toute façon, elle ne risque pas de nous faire tourner la tête : avec 1,56 % des crédits de l'Etat, la France figure parmi les derniers pays européens pour l'effort budgétaire qu'elle accorde à sa justice, pouvoir régalien de l'Etat.

Conservons aussi à l'esprit l'image désastreuse qu'a la justice auprès de nos concitoyens : 67 % d'entre eux jugent qu'elle ne remplit pas son rôle, 77 % qu'elle ne dispose pas de moyens suffisants et qu'elle est coûteuse et 87 % qu'elle est « plutôt vieillotte » - c'est le terme employé. Donc, gardons raison et remettons les choses à leur place.

Vous prétendez, madame la garde des sceaux, que votre budget serait le remède à tous les maux de la justice, et vous arguez de l'accroissement, sur le papier, des moyens humains et de l'amélioration du fonctionnement des juridictions. En réalité, si ce budget prévoir la création de 525 emplois de magistrats, ce qui était valable l'année dernière l'est encore cet année : la plupart des créations sont, soit automatiquement affectées aux tribunaux de commerce, soit consacrées à la création du juge des libertés qui résulte de la récente loi sur la présomption d'innocence. Par conséquent, les créations nettes de postes de magistrats ne seront pas suffisantes pour désengorger les juridictions et réduire les délais qui vont jusqu'à seize mois en appel.

Je tiens également à vous mettre en garde contre la tentation de faire des assistants de justice l'équivalent de nos adjoints de sécurité qui, s'ils sont utiles, n'en constituent pas moins une main-d'oeuvre bon marché mais précaire, destinée à colmater les manques d'effectifs.

Vous nous annoncez une amélioration du fonctionnement courant grâce à 40 millions de francs de crédits supplémentaires. Mais si j'ai bien compris, cette somme devrait servir à financer la mise en oeuvre des réformes en matière pénale, la mise en service de nouveaux bâtiments judiciaires ou encore la maintenance des locaux. Il est bien évident que cette somme ne suffira pas. Le simple encadrement de la durée de l'information judiciaire ou la juridictionnalisation de l'application des peines prévus par la loi sur la présomption d'innocence consommeront à eux seuls une grande partie de ces crédits.

Le chantier de la modernisation de la justice est à ce point vaste que des crédits qui peuvent, dans l'absolu, apparaître importants ne représentent dans les faits qu'une goutte d'eau. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui avec la désorganisation de la machine judiciaire due à l'entrée en vigueur de réformes inadaptées et à la grogne légitime des personnels qui s'ensuit.


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Permettez-moi de m'arrêter quelques instants, à titre d'exemple, sur l'applicabilité de la loi sur la présomption d'innocence. Le mode judiciaire ne cesse de vous dire, madame la garde des sceaux, que les délais sont trop courts pour qu'il puisse s'habituer aux nouveaux aspects de la procédure.

Je pense à la réforme de la garde à vue, qui prévoit la présence de l'avocat dès la première heure. C'est une bonne chose, mais cela implique de créer de toutes pièces des permanences qui, jusqu'à présent, n'existaient pas.

Selon cette même loi, les membres du parquet devront être immédiatement avisés de tout placement en garde à vue, ce qui est synonyme d'un important surcroît de travail supposant évidemment des moyens supplémentaires.

En ce qui concerne les juges des libertés, la création de 110 postes ne sera pas suffisante et certains tribunaux seront obligés de mutualiser, en quelque sorte, leurs magistrats.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

C'est une bonne chose !

M. Philippe Houillon.

Quant aux petits tribunaux, leur salut résidera probablement dans l'organisation de permanences tournantes.

Enfin, s'agissant de l'appel des décisions des cours d'assises, il ne vous a pas échappé que certaines salles de cours d'assises sont conçues pour accueillir neuf jurés et non douze, ce qui sera nécessaire en appel. Certains tribunaux correctionnels qui servent de cours d'assises ne sont pas non plus adaptés à l'accueil de ces nouvelles juridictions. Il en résultera probablement des retards supplémentaires.

Mais il est un autre domaine où se manifeste l'attentisme du Gouvernement, qui fait des promesses pour mieux remettre à demain des mesures pourtant urgentes.

Un domaine où, par conséquent, l'actualité le rattrape et où la situation s'est envenimée à un point tel qu'elle ne peut qu'aboutir à un conflit ouvert : je pense évidemment aux prisons françaises et au personnel pénitentiaire.

Il y a quatre mois à peine, l'Assemblée nationale et le Sénat ont rendu publics leurs rapports respectifs après quatre mois d'enquête. Leur verdict est sans appel : les services pénitentiaires sont totalement désorganisés en raison d'une cruelle pénurie d'effectifs ; de ce fait, les conditions de travail sont devenues pénibles et la formation du personnel difficile à organiser ; enfin, les surveillants se sentent déconsidérés et sont en quête de reconnaissance.

Elisabeth Guigou avait été la première à se féliciter du travail accompli par les parlementaires et n'avait pas manqué de promettre une suite à leurs rapports. Les espoirs étaient donc grands. Malheureusement, le budget de la justice pour 2001 est resté sourd à ces attentes.

A l'origine, il prévoyait la création de 530 emplois, dont 330 postes de personnels de surveillance. Mais 215 de ces postes seront affectés à de nouveaux établissements.

En réalité, 141 postes de personnels de surveillance seulement devraient être créés et affectés aux 187 établissements déjà existants, soit moins d'un nouveau surveillant par prison.

De plus, alors que les parlementaires soulignent unanimement la nécessité de revaloriser et de rendre plus attractives les missions et les conditions de travail des personnels pénitentiaires, le budget pour 2001 prévoyait à peine 8,4 millions de francs pour revaloriser l'indemnité pour charge pénitentiaire.

Les personnels pénitentiaires ont donc ressenti ce budget comme un véritable camouflet. Il est vrai que la petite centaine d'emplois créés ne pèse pas lourd face aux 2 500 ou 3 000 postes qu'ils estiment nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des prisons.

A la suite d'un conflit qui a vu l'organisation de nombreux piquets de grève et la paralysie des audiences judiciaires, c'est in extremis que Mme Guigou a consenti des augmentations d'effectifs et de salaires. Si un accord a été trouvé, il semble pourtant que nous soyons encore bien loin du compte.

Surtout, ce conflit est riche d'enseignements sur la manière dont le Gouvernement conduit les réformes et sur la valeur de ses promesses. Le 8 novembre dernier, le Premier ministre nous annonçait en grande pompe, avec toute la solennité requise, un plan de 10 milliards de francs pour rénover les prisons. Mais, grand dieu, avec quel retard ! Il a fallu attendre un conflit ouvert alors que le Gouvernement avait toutes les cartes en main et s'était engagé à agir rapidement. L'annonce du Premier ministre apparaît ainsi clairement comme une session de rattrapage.

La deuxième roue de secours du Gouvernement, c'est la fameuse loi pénitentiaire qu'on nous annonce. Mais là encore, le calendrier est flou et hasardeux. Le projet, semble-t-il, ne devrait pas nous être présenté avant l'automne 2001. Vous nous en direz peut-être plus, madame la ministre, mais si ce texte était effectivement examiné à l'automne 2001, son adoption définitive, après trois ou quatre lectures, ne pourrait matériellement pas intervenir avant le printemps 2002, date des élections législatives. Que de temps perdu ! Posons les principes et agissons enfin. Faisons les réformes nécessaires.

En conclusion, madame la garde des sceaux, votre budget, loin de financer les réformes, n'est pas en mesure de combler les nouvelles brèches de l'organisation judiciaire.

En guise d'amélioration, on a vraiment l'impression que la situation empire ! Certains, même au sein de votre majorité, annoncent le bogue de la justice pour 2001.

J'espère que tel ne sera pas le cas. Mais, pour les raisons que je viens d'exposer, le groupe Démocratie libérale ne votera pas ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Mme la présidente.

La parole est à Mme Nicole Feidt.

Mme Nicole Feidt. Madame la ministre, vous n'avez pas la tâche facile - M. Houillon vient de le dire - mais la succession n'est pas si mauvaise. C'est, bien sûr, l'héritage d'avant 1997 qui a plombé la situation générale du ministère de la justice.

M. Patrick Devedjian rapporteur spécial.

Vous allez nous faire le coup de l'héritage combien d'années encore ?

M. Jean-Luc Warsmann.

En 2028, vous nous reprocherez toujours 1997 ! M. Jacques Floch , rapporteur pour avis. Merci d'admettre que nous serons encore au pouvoir !

Mme Nicole Feidt.

Le projet de budget de la justice pour 2001 enregistre une hausse de 4,3 % en valeur ou de 3,1 % en francs constants, soit deux fois plus que la croissance du budget de l'Etat. Son augmentation continue depuis 1998 confirme indéniablement la priorité donnée par le Gouvernement à la modernisation de la justice et à l'amélioration de son fonctionnement au quotidien.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Je note d'emblée la prise en compte du développement u rgent d'établissements pénitentiaires modernes et humains, et l'annonce de la loi pénitentiaire préconisée par le rapport de l'Assemblée La France face à ses prisons, seuls moyens d'aboutir à un règlement global de la question de la prison dans notre société.

Je constate avec satisfaction que ce budget donne à la justice les moyens de mettre en oeuvre les réformes législatives que nous avons votées et qui portent notamment sur l'accès au droit, le règlement alternatif des conflits et le renforcement de la présomption d'innocence et des droits des victimes.

Enfin, ce budget tire les conséquences du plan arrêté par le conseil de sécurité intérieure de janvier 1999 pour traiter la délinquance des mineurs.

L'analyse dans le détail des principales mesures confirme cette appréciation favorable.

Les services pénitentiaires voient la création de nombreux nouveaux postes, répartis entre les postes de surveillants, les emplois d'insertion et de probation, les postes administratifs et, enfin, les postes de psychologues spécialement affectés au soutien des personnels de surveillance dans leur approche des comportements des détenus et dans la lutte contre le suicide, problème récurrent, certes, mais tellement plus présent qu'il y a quelques années.

Afin de faire face aux besoins de formation de ces nouveaux personnels, l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire d'Agen voit ses effectifs augmenter et sa dotation progresser de 7,5 %. Je m'attarderai un peu sur l'administration pénitentiaire, car nous savons tous que la société, une fois les condamnations prononcées, ignore les détenus et, de facto, ceux qui sont chargés de les surveiller.

C es personnels sont légitimement en quête de reconnaissance. Si les différentes mesures catégorielles retenues dans le budget ne règlent pas tout à fait le problème, elles apportent néanmoins une réponse claire à leurs attentes : plus de 10,6 millions de francs sont inscrits pour les mesures indemnitaires et allocations diverses destinées à l'ensemble des personnels de surveillance, administratifs et techniques.

Mais l'argent, madame la ministre, ne suffit pas. C'est pourquoi je crois utile de vous rappeler ce que j'avançais déjà l'année dernière : dans l'administration pénitentiaire, l'organisation interne du travail peut être revue. En effet, j'ai constaté, lors des dernières manifestations, que les établissements dits plus « sensibles » sont logiquement les premiers à manifester leur mécontentement, motivé par le manque d'effectifs et des conditions de travail difficiles.

D'autres, de même type, ont pourtant une vie plus sereine, des rythmes de travail plus supportables. C'est que l'annualisation du temps de travail y a été mise en place. Cette réforme devrait être étendue, parce qu'elle permet à tous les fonctionnaires de bénéficier de congés en juillet et en août, ce qui est exclu dans les établissements qui pratiquent ce que l'on appelle « la boule à deux mois ».

En introduction, j'ai évoqué la prise en compte urgente de la situation des établissements pénitentiaires. Très concrètement, cette année comme l'an passé, l'effort porte sur la rénovation du parc existant en attendant le grand programme de constructions que nous a annoncé M. le Premier ministre. Pour notre part, nous nous en réjouissons. Pourquoi bouder cette très bonne nouvelle, monsieur Houillon et monsieur Warsmann ? Quant à la localisation des nouvelles prisons, chacun ici a en tête, qui une maison d'arrêt, qui un établissement pénitentiaire vétustes. Pour ma part, je souhaite, madame la ministre, que la maison d'arrêt de Nancy soit comprise dans ce programme. J'avais déjà saisi Mme Guigou de ce problème.

A la rénovation et au grand programme de constructions s'ajoute l'augmentation des moyens de fonctionnement, notamment pour l'amélioration des conditions de vie en détention et, surtout, pour la lutte contre la récidive, avec une politique de réinsertion soutenue. Enfin, l'équipement administratif et l'informatisation, qui ne sont pas oubliés, complètent le chapitre. Nous avons toutefois constaté que la formation n'avait pas toujours précédé l'utilisation des matériels.

Pour ce qui concerne, en second lieu, la délinquance des jeunes, j'ai déjà souligné la volonté clairement affichée par le Gouvernement de tirer les conséquences du plan arrêté par le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999. A l'analyse il apparaît clairement que le projet de budget répond à cette volonté et respecte les engagements du plan pluriannuel pour le renforcement de la protection judiciaire de la jeunesse, avec des crédits en hausse et d'importantes mesures nouvelles.

Compte tenu des chiffres annoncés, et que vous confirmerez certainement dans votre intervention, je puis vous dire, madame la ministre, la satisfaction que nous procurent l'augmentation du nombre d'emplois de la PJJ et l'inscription de mesures catégorielles et indemnitaires qui permettront de revaloriser les carrières. La modernisation des établissements d'accueil et l'augmentation des moyens des services en matériel, fonctionnement et informatique, compléteront ces dispositions. Le programme immobilier prévoit la création de centres éducatifs renforcés et de centres de placement immédiat, auxquels devraient s'ajouter la création ou l'adaptation de centres de jour et de services en milieu ouvert et la restructuration des foyers existants.

Quelques remarques, cependant, sur le fonctionnement et les missions de la PJJ. Les magistrats ne sollicitent pas explicitement la protection judiciaire de la jeunesse pour les situations les plus lourdes au civil, c'est-à-dire l'assistance éducative, car ses prestations ne sont pas spécifiques, notamment par rapport à l'aide sociale à l'enfance.

M. Gerin a eu raison d'insister sur ce point : nous manquons de structures adaptées ayant des modes de prise en charge appropriés et valables sur le moyen et le long terme. Votre budget, j'en suis sûre, remédiera à ces insuffisances.

La différence entre les problèmes lourds posés par un adolescent en danger relevant de l'assistance éducative et par un adolescent relevant de l'enfance délinquante, donc de l'ordonnance de 1945, est parfois inexistante. De ce fait, les conseils généraux assument une part très majoritaire de la prise en charge des situations difficiles, avec un dispositif départemental d'hébergement insuffisamment a dapté à ces nouvelles situations. Nous constatons souvent l'absence de réponse de la part de la protection judiciaire de la jeunesse pour des situations qui, en principe, devraient relever de ses compétences, sauf à reposer la question du partage des rôles. Bref, madame la ministre, la place spécifique qui revient à la protection judiciaire de la jeunesse n'est pas toujours perceptible ou compréhensible. Ses missions doivent donc être éclairées, dans la mesure où l'adaptation des réponses à apporter aux adolescents en grande difficulté constitue une priorité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Dans le prolongement des budgets 1998, 1999 et 2000, les services judiciaires voient leurs moyens augmenter de manière très significative, ce qui traduit concrètement la mise en place de la réforme de la justice.

Les créations d'emplois prévues en 2001, venant s'ajouter à celles déjà intervenues entre 1998 et 2000, permettront de disposer des personnels nécessaires pour poursuivre l'amélioration de la justice au quotidien, en diminuant le nombre des affaires en attente de jugement, en accélérant les procédures pénales et en renforçant des juridictions pour mineurs.

Des mesures catégorielles, statutaires et indemnitaires significatives accompagnent ces créations d'emplois, en faveur des magistrats, mais également des personnels administratifs. Une petite remarque en passant, madame la ministre : les juges d'application des peines auraient bien besoin de greffiers ! Enfin, des travaux de construction et de mise en sécurité sont programmés. Ils concernent pour l'essentiel la construction ou la rénovation lourde de tribunaux.

En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, s'il convient de retenir comme une mesure positive la revalorisation de 3,1 % des plafonds de ressources, il est également nécessaire de rappeler les difficultés des barreaux, qui ont à traiter un grand nombre d'affaires donnant lieu au versement de l'aide juridictionnelle. Il faudrait envisager des mesures de rattrapage, en attendant la réforme de fond qui s'impose.

Pour conclure, je veux souligner notre satisfaction de voir que les efforts budgétaires engagés sont non seulement poursuivis, mais amplifiés. Du strict point de vue quantitatif, la justice est enfin devenue une véritable priorité, que nous confirment les chiffres. Du point de vue qualitatif, on constate le respect des politiques annoncées : pour la lutte contre la délinquance des mineurs, avec le renforcement des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, qui aura bénéficié de plus de 1 000 créations d'emplois sous l'actuelle législature, soit quatre fois plus que sous la précédente ; pour la modernisation des services pénitentiaires, dont l'urgence a été démontrée par les récents rapports parlementaires, d'ailleurs votés à l'unanimité ; enfin, pour les magistrats, plus nombreux et mieux formés.

Madame la garde des sceaux, vos crédits nous apparaissent non seulement conformes aux engagements du Gouvernement, mais significatifs de la priorité qu'il accorde à la justice. C'est pourquoi les socialistes voteront ce bon budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin.

Madame la ministre, j'aimerais poursuivre avec vous le dialogue que nous avons engagé en commission.

La question essentielle, ce n'est pas l'indépendance du parquet, contrairement à ce que vous nous avez dit, c'est d'abord l'accessibilité de la justice sous ses deux formes : le droit d'accéder au juge et à la décision de justice, le droit à un jugement effectif.

Pour répondre aux arguments que vous avez fait valoir à ce sujet sans qu'on puisse m'adresser le moindre reproche, j'ai tiré tous les chiffres que je vais citer d'un document émanant de votre ministère ; ils sont donc irréfutables.

Sur le stock des affaires en cours, vous nous avez dit que les choses s'amélioraient. Que constate-t-on pour la période 1995-1999 ? En 1995 : 1,281 million d'affaires ; en 1999 : 1,420 million d'affaires, alors que le flux, lui, est en réduction, avec 4,5 % d'affaires nouvelles en moins de 1998 à 1999. Donc, en l'espace de quatre ans, le stock s'est accru de 200 000 affaires.

Vous nous avez dit que les délais moyens de jugement étaient convenables, et je reconnais qu'il y a de fortes disparités d'un tribunal à l'autre. Mais je me suis replongé dans votre petit document, où les seuls chiffres fournis concernent 1996 et 1999. Que donne la comparaison ? Cour d'appel : 18,1 mois en 1999 contre 15,8 mois en 1996. Tribunal de grande instance : 9,1 mois en 1999, contre 8,9 en 1996. Tribunal d'instance : 5,2 mois contre 5. Conseil des prudhommes : 10,3 contre 9,6. Et je ne parle pas, bien entendu, des jugements des juridictions administratives qui, depuis fort longtemps, dépassent largement tous ces délais. Où est, madame la ministre, l'amélioration que vous nous avez annoncée ? Pour décrire la situation des postes, j'ai parlé en commission de « cavalerie ». Je serais tenté de dire aujourd'hui que le Gouvernement s'est lancé dans une course à l'échalote. Course à l'échalote entre la judiciarisation de notre pays et les moyens affectés à la justice ; course à l'échalote entre la pénalisation progressive de notre droit et les créations de postes. Il y a un effort, je l'ai dit en commission et je le maintiens, mais permettez-moi, là encore, madame la ministre, de risquer une comparaison.

Un millier d'avocats s'inscrivent au barreau de Paris chaque année ; 15 postes de magistrats seulement sont créés dans les tribunaux du ressort. Certes, il n'y a pas forcément adéquation entre l'offre et la demande, mais il reste que plus il y a d'avocats, plus il y a d'affaires.

Je vous ai dit aussi qu'entre les postes budgétaires créés et les postes réellement pourvus, la différence serait considérable. Je vous ai également fait remarquer qu'entre ceux qui sortiront de l'Ecole nationale de la magistrature en 2001 et les magistrats dont auront besoin les tribunaux, le solde sera important. A cela, vous m'avez répondu que je n'avais rien compris. Permettez-moi alors de vous citer à nouveau les chiffres, madame la garde des sceaux.

En 2001, 185 magistrats sortiront de l'ENM, selon cette école elle-même. Mais comme 56 magistrats partiront à la retraite,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. Hervé Morin.

... le solde sera de 129 magistrats, même si votre collaborateur est très certainement en train de vous souffler qu'il faut prendre en compte les collatéraux. (Sourires.) Mais, ceux-ci ne représentent qu'une vingtaine de postes !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Une trentaine !

M. Hervé Morin.

Bref, seuls 150 postes seront réellement pourvus en 2001.

Si 327 postes budgétaires sont bel et bien créés - mais les magistrats ne seront dans les tribunaux qu'à la fin de l'année 2001 -, il n'en demeure pas moins que l'on observe une différence importante de plus de 150 entre le nombre de postes créés et celui des postes réellement pourvus.

M. Jean-Luc Warsmann.

Les postes ne sont pas affectés : les magistrats le savent.

M. Hervé Morin.

Pour nous permettre d'avoir une réelle connaissance du sujet, madame la garde des sceaux, je vous suggère de nous indiquer où chaque poste est créé, dans quel tribunal et à quelle fonction chaque magistrat sera effectivement attaché.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

M. Jean-Luc Warsmann.

Les postes ne sont pas « fléchés » !

M. Hervé Morin.

L'accès à la justice reste, dans notre pays, marqué par de fortes inégalités. Je donnerai un exemple. En France, le budget de la justice représente 27 à 28 milliards de francs, celui de l'aide juridictionnelle 1,3 milliard. Au Canada, qui compte 30 millions d'habitants, soit deux fois moins qu'en France, le budget de l'aide juridictionnelle est équivalent à notre budget de la justice.

S'il est un domaine où l'on doit réduire les inégalités, c'est donc bien celui de l'accès à la justice. Face à la technicité du droit et à sa complexité - auxquelles nous participons largement dans cet hémicycle -, il y a deux types de Français. D'une part, ceux qui ont les moyens de s'offrir des avocats et des conseils à 2 500 ou 3 000 francs de l'heure, ce qui leur permet dans une certaine mesure de tirer le meilleur parti de la loi. D'autre part, le reste de Français - parmi lesquels le million de personnes bénéficient de l'aide juridictionnelle -, qui ne disposent pas des mêmes moyens financiers.

Mme la présidente.

Je vous prie de conclure.

M. Jean-Luc Warsmann.

Pourtant, il est très brillant !

M. Hervé Morin.

Je conclurai mon intervention sur l'indépendance du parquet. Je suis persuadé, madame la garde des sceaux, que les Français souhaitent que les politiques continuent à donner des instructions, certes de façon transparente, au parquet.

Si vous souhaitez réellement l'indépendance du parquet, je vous suggère « le zéro compte rendu » : ni compte rendu des procureurs aux procureurs généraux, ni compte rendu des procureurs généraux à la direction des affaires criminelles et des grâces, car cette pratique permet à l'exécutif de continuer à avoir accès aux dossiers.

M. Jean-Luc Warsmann.

Tous les matins, il est rendu compte au cabinet de toutes les affaires sensibles de France !

M. Hervé Morin.

L'exécutif, grâce à certains magistrats qu'un de nos collègues a qualifiés de « serviles » ou d'« attachés au pouvoir », peut ainsi à nouveau « faire descendre » les instructions.

Vous interdire, à vous-même, madame la garde des sceaux, l'accès aux comptes rendus des instructions en cours, serait la seule façon de garantir réellement l'indépendance des parquets.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Georges Hage.

M. Georges Hage.

Madame la garde des sceaux, permettez-moi d'abord d'apprécier votre arrivée à la tête de l'institution judiciaire. Certains, avant moi, ont loué votre courage d'avoir accepté de telles responsabilités. D'autres ont regretté que le poste ne soit pas occupé par un juriste de profession.

M. Hervé Morin.

C'est mieux !

M. Georges Hage.

Mais ne serait-ce point les mêmes qui n'ont pas permis la démocratisation du Conseil supérieur de la magistrature ? Le corporatisme expose à bien des risques, cependant qu'un esprit citoyen ne manque pas d'une largeur de vue convenable en la matière.

Quand le droit constitue un élément de maîtrise de la citoyenneté, un instrument de défense de l'individu contre l'arbitraire, nos concitoyens sont fondés à réclamer de la justice plus d'efficacité, plus de rapidité, plus de transparence aussi.

Depuis quatre ans, le Gouvernement a accordé une grande attention aux problèmes de justice. Pour autant, le droit reste un combat, et le restera longtemps encore. Les retards sont énormes et les besoins immenses pour l'heure. De la présence de l'avocat, dès le début de la garde à vue, jusqu'à l'appel des jugements de cour d'assises, des réformes importantes portées depuis des années par les différents partis de gauche ont été inscrites dans la loi.

Il ne saurait être question de s'en tenir à l'acquis. En clair, les députés communistes ne souhaitent pas que vous soyez le ministre de la gestion des lois déjà votées, qui c oncernent surtout la justice pénale, mais que les réformes se poursuivent sur d'autres aspects de droit à un rythme soutenu.

Au sujet des crédits eux-mêmes, les communistes se félicitent de la continuité de l'effort gouvernemental qui a permis une progression globale du budget de la justice.

Toutefois, la part que ce dernier occupe dans le budget de la nation - à peine 1,7 % - demeure insuffisante.

Nous souhaitons, sans en être convaincus, que ces crédits permettront la mise en oeuvre de la loi votée sur la présomption d'innocence et le droit des victimes et pourront répondre aux priorités déclarées de la justice au quotidien et à la lutte contre la délinquance des mineurs.

Sans parler de l'amélioration des conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires et de la réinsertion sociale des détenus.

Nombreux sont les professionnels qui ont témoigné de leur incrédulité au sujet de la possibilité d'appliquer, dès janvier 2001, dans de bonnes conditions, les dispositions de la loi du 15 juin dernier.

Ainsi, à la cour d'appel de Douai, ont été nommés un nombre appréciable de magistrats. Mais il manque treize fonctionnaires, et l'examen du projet de budget ne crée que 190 postes de fonctionnaires en dépit de l'application à venir du texte sur la présomption d'innocence.

Je citerai l'exemple du tribunal de grande instance de Bobigny. Dans une motion en date du 26 octobre dernier, les magistrats du siège et du parquet, chiffres à l'appui, ont mis en lumière une situation qu'ils considèrent proche de « l'explosion judiciaire ». Ils évaluent à 4 000 par an les décisions de justice qui seraient susceptibles d'entraîner l'intervention d'un juge des libertés et de la détention, soit en moyenne 75 par semaine.

Chaque semaine, faudra-t-il désigner un vice-président, seul habilité à exercer cette fonction à temps plein et déchargé de ses tâches habituelles ? Comment l'envisager dans une juridiction qui vit une situation tendue du fait de l'accroissement du contentieux judiciaire ou encore du quadruplement en deux ans, en Seine-Saint-Denis, du contentieux des étrangers ? Quand on sait qu'une trentaine de mesures de garde à vue sont prises chaque nuit, on peut raisonnablement s'interroger sur les conditions de travail du procureur de permanence qui devra être immédiatement informé de tout placement en garde à vue.

Il est hautement souhaitable que le Gouvernement - c'est une question de méthode - fasse connaître l'évaluation des besoins humains - magistrats, greffiers, policiers d'escorte - et matériels qui a présidé à la mise en oeuvre de la réforme et l'échéancier de sa concrétisation.

Le manque de magistrats et de greffiers, malgré les efforts accomplis, nuit au sentiment de confiance des citoyens à l'égard du service public.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Toujours au sujet des effectifs, on envisage le recrutement, cette année encore, de 200 assistants de justice, ce qui portera leur nombre à 1 250. Ces jeunes titulaires d'une maîtrise de droit, travaillant à mi-temps, apportent leur concours au travail préparatoire des magistrats. Comment ne pas y voir une aggravation du recours à l'emploi précaire ? Est-il juste de leur refuser l'accès au concours interne de l'Ecole nationale de la magistrature ? Comment seront validées leurs années au sein de l'administration judiciaire ? Quant aux agents de justice, où en est-on de la pérennisation des emplois-jeunes, qui devaient faire l'objet d'une évaluation ? Si le développement des voies alternatives aux procès a permis une réelle amélioration des taux de réponses apportées, tant au pénal qu'au civil, les délais demeuraient importants à la fin de 1999. La situation n'est pas meilleure pour les juridictions administratives.

Pour les prud'homales, on ne peut que constater des insuffisances dommageables quand la durée moyenne du règlement des affaires passe de 9,7 à 10,3 mois, sans évoquer les recours à la cour d'appel. Rappellerai-je les inconvénients majeurs pour les travailleurs qui résultent de la disparition de leur entreprise, pendant ce délai ? Le cas est fréquent.

La faible revalorisation des plafonds de ressources portant les seuils à 5 175 francs pour l'aide juridictionnelle totale et à 7 764 francs pour l'aide partielle ne permet pas d'améliorer l'application du principe de l'égal accès aux droits pour tous. Une très importante partie de la population se trouve exclue du dispositif. Parler d'une justice à deux vitesses n'est alors pas excessif.

Les avocats concernés ont clairement manifesté leur mécontentement au sujet de l'insuffisance patente et coûteuse de leurs rétributions. Ouvrirez-vous, madame la garde des sceaux, la réflexion qu'ils réclament à ce sujet ? La situation dans les prisons demeure complexe et difficile. Mon ami André Gerin l'a souligné dans son rapport. Les exigences professionnelles et statutaires des gardiens apparaissent consubstantielles aux conclusions de la commission Canivet et autres rapports parlementaires.

Il est grand temps de rompre avec la logique qui consiste à construire des prisons pour augmenter le nombre de places de détenus. L'annonce d'un plan pluriannuel de 10 milliards de francs ne laisse pas d'inquiéter à cet égard. L'écart se creuse entre la réalité des prisons françaises et la nécessité d'améliorer la vie de détention e t de favoriser les alternatives à la détention.

La peine préventive de liberté doit préparer la réinsertion que la société attend pour sa sécurité, doit concilier la nécessité de punir et la volonté de réintégrer socialement.

La loi pénitentiaire évoqué par le rapport Canivet devrait être l'occasion de dépasser la fausse dialectique entre la sécurité et l'insertion et les termes du débat entre incarcération et libération totale.

Doit enfin s'imposer une vision d'ensemble sur la politique à mener sur des sujets aussi sensibles que les peines frappant la délinquance des mineurs. Je veux toutefois saluer la poursuite des efforts consentis pour la protection judiciaire de la jeunesse qui s'inscrivent dans la perspective d'une réelle prise en charge des mineurs délinquants dès la première infraction, même si les besoins demeurent considérables.

Dès lors, il nous faut travailler, prendre de la peine, c'est le fond judiciaire qui manque le moins.

Cette législature devrait aborder des domaines aussi variés que la réforme du divorce ou la justice commerciale, le code du travail ou la procédure pénale, ou encore le droit à l'information qui ne saurait passer outre le secret de l'instruction, sauf si sa levée n'est réclamée par le prévenu.

A cet égard, je dois déplorer que quelques hommes politiques soient désignés à la vindicte publique, ce qui jette du même coup le discrédit sur la politique en général. Ma remarque ne signifie pas pour autant que la justice ne puisse être aimable aux politiques.

Je suis très attaché, madame la garde des sceaux, à la réforme des conditions de la détention psychiatrique, et à la saisine d'un juge afin de prévenir les internements arbitraires. J'ai été saisi de ce problème par différentes organisations et par le Conseil supérieur des droits de l'homme.

De même, j'insisterai sur le harcèlement moral dans les entreprises qui a été défini comme une dégradation délibérée des conditions de travail. Je vise un délit, pour ainsi dire « marxistement » qualifié (Sourires.)

Il s'agit d'un chantier que ne saurait ignorer le projet de loi visant à la modernisation de la vie sociale. J'ai d'ailleurs espéré que les sept articles de la proposition de loi du groupe communiste sur ce sujet dont je suis le premier signataire seraient ajoutés à cette loi à venir.

Les remarques que je viens de faire au nom du groupe communiste ne sont pas à mettre au crédit d'une quelconque mauvaise humeur. Elles sont le reflet d'une situation qui importe aux citoyens et à la citoyenneté.

Nous voterons ce projet de budget qui poursuit, comme le dit notre collègue Devedjian dans son rapport, une tendance inscrite dans le long terme. Puisse cette tendance se poursuivre, combler les retards et répondre à l'immensité des besoins.

Nous souhaitons qu'un second souffle, aujourd'hui si nécessaire à la politique de gauche, inspire et anime prioritairement le ministère de la justice.

Je souhaite, madame la garde des sceaux, comme vous m'y avez convié, terminer mon propos en évoquant les questions écrites posées par mon groupe, dans le cadre d'abord prévu, de la procédure simplifiée.

Le première question, courte, n'en est pas moins humaniste : elle concerne la proposition de loi tendant à créer une journée nationale afin de favoriser l'installation d'un moratoire sur les exécutions capitales en vue de l'abolition, à terme, de la peine de mort dans le monde.

Il s'agit de s'inscrire dans une démarche de dignité et de conviction qui ne saurait évidemment prétendre donner des leçons à qui que ce soit ou à quelque peuple que ce soit.

La deuxième question concerne la prise en charge des mineurs isolés de plus de seize ans.

Les lois existantes prévoient que les mineurs étrangers isolés qui arrivent sur le territoire national sans responsable légal, ont le même statut juridique et doivent bénéficier des mêmes droits que les autres mineurs. Il ne peut donc leur être opposé un refus d'admission sur le territoire et leur protection doit être assurée par une prise en charge éducative immédiate. De nombreuses associations craignent une reconsidération de la situation juridique de ces mineurs, tendant à leur donner la capacité juridique reconnue aux majeurs qui permettrait de fait de maintenir les mineurs de seize à dix-huit ans en zone d'attente jusqu'à vingt jours, et d'envisager leur reconduite dans leur pays d'origine.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Considérant qu'une telle modification juridique pour les seuls mineurs étrangers serait une atteinte au principe d'égalité de tous les mineurs sur le sol français et romprait avec la règle qui interdit aux mineurs toute capacité juridique, signataire de cette question, je vous demande dans le respect de la convention internationale des droits de l'enfant, de m'assurer qu'aucune mesure ne sera prise dans ce sens, et que des dispositions seront envisagées pour offrir un accueil adapté à ces mineurs.

Je dois à la vérité de dire que j'ai bien reçu la réponse que vous m'avez adressée à ce sujet, je n'ai pas eu le temps, mais je ne manquerai pas de l'étudier sans tarder et vous ferai connaître mon opinion à son endroit. Je vous remercie de votre attention, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques flashs en style quasi télégraphique, après les salutations d'usage et les félicitations que vous méritez, madame la ministre, pour dire que l'examen du budget de la justice cette année est l'occasion d'une nouvelle réflexion sur notre politique judiciaire et sur notre politique pénitentiaire. En quelques secondes, je m'en tiendrai donc à l'aspect pénal sans oublier, bien sûr, toute l'importance du civil.

Nous sommes en effet fondés à nous demander si la République a vraiment une doctrine en matière pénale et en matière pénitentiaire ou si nous sommes réduits à des improvisations au gré des fluctuations de l'opinion, tantôt ultra-sécuritaire, tantôt plus clémente. Quel sens, quel objectif donner à la peine pour le condamné et pour la société ? La justice mérite de ce fait mieux qu'une controverse classique entre majorité et opposition. Les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat sur la situation dans les prisons françaises l'ont bien compris.

Par-delà les clivages politiques, normaux et utiles dans une démocratie, elles ont travaillée en harmonie et ont adopté, à l'unanimité chacune, des rapports substantiels.

Le présent budget marque, en matière d'emplois et d'immobilier, des avancées, même si d'immenses progrès restent à réaliser. L'annonce faite par Mme Elisabeth Guigou, qui a impulsé en trois ans et demi d'importantes réformes, d'un projet de loi pénitentiaire, annonce confirmée la semaine dernière par le Premier ministre, la décision annoncée par ce dernier de consacrer, dans les six ans qui viennent, 10 milliards de francs à la transformation du parc immobilier pénitentiaire, à condition qu'il s'agisse d'humaniser et non d'enfermer davantage, tout cela aussi est positif.

Mais il va falloir passer rapidement aux actes tant les retards accumulés sont considérables. Aujourd'hui, beaucoup trop de gens sont en prison, même s'il y a une tendance à la baisse. Beaucoup trop de gens sont en détention provisoire, même s'il y a une tendance à la diminution depuis 1994. La durée de détention, dans le même temps, s'allonge. La situation des maisons d'arrêt, sur laquelle le Sénat s'est tout particulièrement penché, traduit beaucoup d'inhumanité. Les centres de détention, les centrales sont dans un état immobilier souvent sinistre et il y a une insuffisance de personnels.

Lorsque des peines et des longues peines sont infligées, il est de moins en moins accordé de libérations conditionnelles. Pourtant, tout le monde est d'accord pour convenir que celles-ci sont un élément de lutte contre la récidive.

J'évoquerai très rapidement quelques problèmes qui retiennent l'attention de notre assemblée. Les conditions de vie des détenus laissent beaucoup à désirer : ces derniers sont souvent réduits à la promiscuité et soumis au racket. La réinsertion est insuffisante. Les travaux confiés aux prisonniers qui sont, pour eux, souvent un bonheur ne semblent pas du tout concernés par le code du travail.

La préparation à la sortie est très insuffisante. Que dire de l'hygiène et de la santé de ceux qui sont dans une situation psychiatrique qui appellerait des soins particuliers, comme de ceux qui sont malades ou très âgés ? Aujourd'hui, il y a une prise de conscience de l'opinion. Les débats ont commencé et ne cesseront pas. Or ceux qui sont en prison, nous le savons, sont essentiellement des exclus, essentiellement des pauvres. Il est donc temps qu'une autre pratique judiciaire s'instaure et nous souhaiterions, madame le garde des sceaux, que vous y contribuiez d'ici à la fin très prochaine de cette législature.

Les lois sont en place : alternative aux poursuites, droit à la réparation pour les victimes, loi très importante sur la protection de la présomption d'innoncence - il faut que les moyens suivent, mais surtout que son application ne soit pas différée -, appel devant les cours d'assises, juridictionalisation des peines. Dans cette période de transition, nous serons particulièrement attentifs au développement des moyens qui, même s'il y a une amélioration, sont encore insuffisants.

L'aide juridictionnelle doit être revue - vous avez bien voulu en convenir en commission des lois - car, là aussi, ce sont les pauvres qui souffrent. Que dire de la comparution immédiate si ce n'est que c'est une justice à l'abattage qui fait dire que pouvoir bénéficier d'une instruction est par rapport à cette situaiton quasi un bonheur.

Il faut aussi davantage de personnels d'insertion et de protection : les 112 emplois supplémentaires qui ont accompagné le mouvement des années précédentes sont une bonne chose, mais il faudra aller beaucoup plus loin. Il faut aussi que les municipalités s'impliquent.

Il est indispensable de renforcer la protection judiciaire de la jeunesse en amont, comme en aval. Un net effort est fait en ce sens dans ce budget. Il faudra continuer.

Par contre, les unités d'éducation renforcée prévues pour éviter la prison aux mineurs, sauf évidemment dans les cas très graves, ne sont pas assez nombreuses. Il faut là aussi faire un immense effort.

La réalisation des travaux immobiliers doit pouvoir être accélérée. Il faut changer les choses. Le taux de consommation des crédits d'investissement est insuffisant. Des autorisations de programme sont votées mais, quoi qu'on nous ait expliqué en commission des lois, les crédits de paiement ne suivent pas toujours.

Je me dois de signaler deux bagnes indignes de la République française pour lesquels il faut faire très vite : la prison de Saint-Denis-de-la-Réunion, pour laquelle le problème foncier ne semble pas réglé - et le bagne de Basse-Terre. Nous comptons sur vous, madame la garde des sceaux, pour que les choses changent et changent rapidement.

Lors de l'inauguration à Agen de l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, le Premier ministre a dit à peu près ceci : les détenus, c'est une partie de la société, u ne partie de nous-mêmes. Bien que retenus, ils demeurent des citoyens.

Pour que cette parole s'applique, il faut bien sûr davantage de moyens financiers mais il faut surtout un autre état d'esprit à tous les échelons de l'édifice judiciaire


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

et pénitentiaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin.

Madame la présidente, madame le garde des sceaux, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous discutons aujourd'hui du premier budget qui fait suite au rapport de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons. Le constat a été unanime : la nécessité d'accorder d'importants moyens aux services pénitentiaires s'est fait jour à tout le monde.

A priori , les dispositions prévues dans le projet de loi de finances pour 2001 semblent positives.

L'orientation générale annoncée pour ce budget sembler épondre aux préoccupations de la commission d'enquête : amélioration de la prise en charge des détenus et des conditions de travail des personnels, limitation des détentions et développement des alternatives à l'incarcération, mise en oeuvre de la loi sur la présomption d'innocence. Il reste cependant à prouver que cette nouvelle loi assurera réellement, quand elle entrera en vigueur, une diminution de la détention provisoire et une augmentation des libérations conditionnelles.

Les syndicats des personnels pénitentiaires ont été très critiques à l'égard de ce budget. Je me permets de saluer le dévouement de la très grande majorité d'entre eux.

Leur travail est trop souvent méconnu en France. Mais les recrutements nécessaires à la suite des nombreux départs à la retraite qui ont eu lieu et les créations de postes proposées par ce budget pour compenser la perspective de la mise en place des 35 heures, pour répondre aux besoins du programme 4000 et pour faire face à l'augmentation des tâches attribuées aux surveillants seront-elles suffisantes ? A titre d'exemple, le projet de loi prévoit la création de 141 emplois de surveillance. Cela est évidemment positif mais ces postes se répartissent sur 187 établissements et certains de ces établissements prévoient de nouvelles orientations, comme la création d'unités de vie familiale ou l'accueil des quartiers mineurs, qui entraînent un besoin accru en personnel.

Le programme 4000 va permettre de fermer des sites de détention vétustes et inadaptés et d'en rénover d'autres, mais son objectif principal est de créer 4 000 places supplémentaires. S'il est évidemment essentiel de rénover les structures, d'améliorer les conditions générales dans les prisons, de garantir la possibilité de l'encellulement individuel, il ne faut pas que cela ait pour conséquence de laisser croître le nombre des détenus. La création de nouvelles places de prison est une fausse solution.

M. François Colcombet.

Tout à fait !

Mme Christine Boutin.

J'y suis opposée. C'est la raison pour laquelle je suis favorable au numerus clausus, au développement des peines alternatives et à la construction de petits établissements.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis, M. André Gérin, rapporteur pour avis, M. François Colcombet. Très bien !

Mme Christine Boutin.

Si l'on peut regretter que ce budget ne soit qu'un signe au regard des moyens nécessaires, l'annonce du plan de rénovation et de la programmation de 10 milliards de francs sur six ans pour remédier à l'état des prisons nous donne d'intéressantes perspectives de travail et de réflexion. Le projet de loi p énitentiaire dont la discussion est prévue pour l'automne 2000 doit être l'occasion pour l'ensemble de la classe politique de marquer sa détermination. Je me permets cependant de vous demander, madame la garde des sceaux, de faire en sorte ce que ce délai soit réduit. Cela me paraît en effet bien tardif, en raison des multiples échéances électorales en 2002.

La loi pénitentiaire devra être l'occasion pour la France de repenser son système pénitentiaire, qui a montré ses limites. Elle devra inclure des mesures permettant de respecter la dignité des prisonniers, d'organiser et de renforcer une politique de réinsertion, d'améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire, de préciser le sens de la peine.

Reste une interrogation : la question des victimes dont on n'entend jamais parler. Les réflexions à venir ne devront pas faire l'économie d'une meilleure information des victimes dans le processus d'application de la peine : celle-ci est indispensable pour l'équilibre de tout le système pénitentiaire. Certains pays étrangers nous donnent l'exemple. En tout état de cause, madame le ministre, il y a un rendez-vous entre la France et sa justice en 2001.

Nous ne devrons pas le manquer pour des raisons politicienne ou partisanes.

M. François Colcombet.

Très bien !

Mme Christine Boutin.

Pour conclure, je profite de l'occasion qui m'est donnée de parler à cette tribune pour vous demander, madame le garde des sceaux, la raison pour laquelle l'administration pénitentiaire a été exclue du champ d'application de la loi votée en avril dernier sur le droit des citoyens et leurs relations avec les administrations en ce qui concerne les mesures administratives d'isolement et de transfert.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Bonne question !

Mme Christine Boutin.

La prison, pourtant, doit être un lieu de respect du droit.

Enfin, nous sommes nombreux à être inquiets de l'absence dans ce budget de mesures relatives à l'aide juridictionnelle. Cela risque de conduire, si nous n'y prenons garde, à une justice à deux vitesses en défaveur des plus pauvres. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - M. Louis Mermoz applaudit également.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux.

Madame la présidente, madame la ministre, il m'est agréable d'intervenir après Christine Boutin, parce que, si j'avais, comme elle, fait porter mon intervention sur les prisons, celle-ci n'aurait différé de la sienne que sur deux ou trois mots, seulement.

Je veux, pour ma part, parler des victimes et de l'aide aux victimes. On pourrait parler d'un « duo ». Certains, compte tenu des débats passés, emploieraient un autre nom !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Un PACS !

Mme Christine Boutin.

N'ayez pas peur des mots, monsieur Le Roux !

M. Bruno Le Roux.

Je préfère parler d'un duo !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Avec une croissance de 3,1 % en francs constants par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances 2000, la justice est aujourd'hui confirmée comme secteur prioritaire de la politique du Gouvernement.

Les critiques que l'on entend s'élever çà et là ne peuvent faire oublier que les quatre dernières lois de finances ont toutes validé une augmentation substantielle des crédits de la justice. Il ne faut pas non plus oublier que cette augmentation continue depuis le début de la l égislature traduit une méthode : le gouvernement conduit par Lionel Jospin s'est engagé à améliorer la condition du pouvoir judiciaire. Il le fait en prenant des engagements, en votant des lois, en les finançant et donc en les mettant en oeuvre, même si la question de la mise en oeuvre n'est jamais chose facile en matière de justice.

L'accès au droit, le règlement alternatif des conflits ou encore la présomption d'innocence et les droits des victimes sont de réelles avancées qui vont, madame la ministre, de pair avec la nouvelle politique de sécurité mise en oeuvre.

Vous jugez de l'importance pour nous qui sommes dans les banlieues, lesquelles sont souvent considérées comme les endroits les plus difficiles, de la justice, de la visibilité de l'action de l'Etat et d'une relation forte avec la police dans ses interventions au quotidien. C'est ce que nous sommes en train d'essayer de mettre en place.

Pour autant, il ne faut pas considérer que tout est gagné : la justice souffrait d'un tel manque de considération de la part du politique que les retards d'équipements se sont accumulés, que les recrutements n'ont pas suivi l'accroissement du rôle du pouvoir judiciaire dans notre société et que l'on n'a pas su donner la place qui leur revient aux victimes. Mes chers collègues, si nous pouvons nous réjouir de l'augmentation des crédits, il faut savoir que l'effort budgétaire entrepris depuis quatre ans devra être poursuivi encore plusieurs années.

La poursuite de cet effort est nécessaire pour les justiciables. En effet, la justice est encore difficile d'accès et trop complexe, elle est toujours trop lente et trop chère.

L'accroissement de l'effort budgétaire est encore plus nécessaire pour les victimes car elles cumulent leur situation de victime aux inconvénients majeurs du fonctionnement de la justice que je viens d'évoquer.

C'est d'ailleurs autour de la problèmatique des victimes que je souhaite articuler mon propos.

La gauche nouvellement portée au pouvoir avait su, avec Robert Badinter, détecter la nécessité de traiter la victime avec prudence et générosité. Cette conscience de la fragilité particulière de la victime face à l'institution judiciaire avait conduit à la prise en charge particulière par les CIVI de l'indemnisation des victimes dites de masse au premier rang desquelles figuraient les accidentés de la route et les victimes du terrorisme. Les fonds d'indemnisation ont ensuite été fusionnés et leur bénéfice a été étendu récemment aux victimes de délits.

C'était un premier pas vers une prise en charge spécifique mais la reconnaissance de la place particulière de la victime ne se traduit pas uniquement à travers un fonds d'indemnisation. Ce serait ignorer les souffrances de la victime que d'estimer que sa prise en charge s'arrête à une compensation financière.

L'aide aux victimes doit être beaucoup plus : c'est une p olitique publique volontariste et globale qui doit répondre aux exigences de la situation particulière de la victime. Je crois que notre majorité a su en prendre la mesure. Le Conseil de sécurité intérieure du 19 avril 1999 annonçait ainsi un plan d'action d'envergure pour les victimes.

Où en est-on aujourd'hui ? Trois points me paraissent devoir retenir l'attention.

La politique annoncée devait se traduire par un soutien sans faille au réseau associatif organisé qui oeuvre sans relâche auprès des victimes. Il est en France principalement regroupé autour du réseau INAVEM et c'est ce réseau que les politiques publiques soutiennent.

Votre prédécesseur, madame la ministre, annonçait l'année dernière un effort budgétaire de 15 millions de francs sur trois ans pour l'INAVEM. Je constate avec un grand soulagement que cet engagement est traduit dans le budget pour 2001 que vous nous présentez : 5 millions de francs abondent cette année encore les crédits affectés aux associations d'aide aux victimes.

Il va falloir qu'elles les dépensent. Or, on constate qu'il n'y a pas d'unité action sur le territoire. Comment envisagez-vous votre relation dans les mois à venir avec les associations de victimes, madame la ministre ? Deuxième question, le Conseil de sécurité intérieure annonçait aussi la mise en place d'un Numéro vert destiné à faciliter la démarche de la victime dans son appel à l'aide. Où en est-on aujourd'hui ? Enfin, et puisque l'aide aux victimes relève aussi d'une ambition législative, la loi relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes intègre un volet sans précédent sur celles-ci, notamment en organisant la réparation du préjudice des victimes d'infractions pénales, l'assistance concrète et immédiate, le développement de l'accès au droit et à l'accompagnement médical psychologique et social. Ces mesures ont un coût et la lecture du budget ne me permet pas d'emblée d'identifier si une partie des crédits consacrés aux frais de justice est réservée aux enquêtes sociales pour les victimes partie civile au procès. Pourriez-vous, là encore, madame la ministre, nous éclairer ? De façon certainement inattendue, j'ai voulu centrer mon propos sur la victime, que nos traditionnels débats budgétaires ont du mal à considérer. Mais il s'agit là d'une dimension importante, qui a été valorisée par l'action de notre gouvernement depuis trois ans et pour laquelle il reste encore beaucoup à faire. Elle fait partie intégrante des demandes des Français dont dépend la réussite de l'action entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig.

Madame la ministre, votre budget se caractérise par une augmentation de crédits significative.

Et pourtant que de critiques n'avez-vous pas entendues...

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Oh oui !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

C'est scandaleux !

M. Emile Blessig.

... émanant de manière un peu forte de certains bancs de l'Assemblée, mais de manière non moins pertinente, d'autres.

Mme la garde des sceaux.

Elles ne sont en aucune façon pertinentes.

M. Emile Blessig.

Cela démontre, si besoin en était, que votre tâche est difficile, et que, si, depuis quelques années, les crédits de la justice ont augmenté, l'amélioration de la justice au quotidien n'a pas été significative, tant les retards accumulés étaient importants.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Une raison à cela est peut-être aussi, comme cela a été dit, que les priorités ne sont pas clairement affichées et que l'utilisation des crédits s'assimile davantage à un saupoudrage avec, pour premier objectif, la création de postes.

L'amélioration de la justice au quotidien passe, bien sûr, par des postes supplémentaires, mais elle nécessite aussi la mise en oeuvre d'autres outils. Comme la carte judiciaire, laquelle n'est pas utile uniquement du point de vue géographique. Des problèmes existent dans le fonctionnement même des juridictions. Alors que celles-ci sont déjà en général surchargées de travail, on a pris l'habitude de leur ajouter encore des tâches sans réfléchir à la manière d'alléger, de simplifier, voire d'externaliser certaines missions.

Troisième point important : celui de l'accès au droit, et notamment de l'aide juridictionnelle. Cette dernière ne doit plus être considérée comme la rémunération d'un auxiliaire de justice. L'accès au droit, à un dossier judiciaire, a un coût. Il faut donc raisonner en termes de coût de dossier. Or certaines rémunérations à l'heure actuelle sont absolument indignes du travail effectué et ne permettent pas un bon fonctionnement de l'ensemble du système, une garantie de l'accès au droit, et donc, en quelque sorte, un bon fonctionnement de notre démocratie.

L'autre élément, déjà évoqué, c'est la mise en oeuvre des nouvelles réformes. L'effort budgétaire ne permettra pas d'apporter dès 2001 de nouvelles réponses. Les 307 magistrats pour les services judiciaires ne seront pas suffisants - vous-même le reconnaissez de manière implicite en prévenant que nous allons connaître une période un peu difficile. Quoi qu'il en soit, de deux choses l'une : ou bien vous vous attribuez les chiffres des créations des années passées, ce qui revient à sacrifier l'amélioration de la justice au quotidien, ou bien vous vous contentez des postes nouvellement créés, notoirement insuffisants au regard des besoins liés à la réforme des tribunaux de commerce, à la juridictionnalisation de l'application des peines et à l'instauration du double degré de juridiction en matière de cours d'assises.

Votre budget pose à cet égard une véritable difficulté de lecture, faute de mettre en évidence les moyens que vous entendez précisément consacrer à ces deux missions, aussi importantes l'une que l'autre. En effet, à quoi bon de nouvelles réformes si, au quotidien, la justice ne fonctionne pas ou toujours aussi mal malgré les crédits supplémentaires ? Deux mots sur l'administration pénitentiaire. Je me réjouis de la prise de conscience collective qu'elle suscite enfin dans notre société et je veux m'associer à tout ce qu'ont dit les précédents orateurs sur ce sujet. Je tiens à insister sur l'extrême importance, à mes yeux, des services de prévention, d'insertion et de probation. Avec une population d'environ 180 000 personnes, entre les détenus et les individus simplement placés sous main de justice, les fonctionnaires de ces services ne consacrent guère que douze heures de leur temps à chaque dossier par an.

On ne peut prétendre favoriser les mesures alternatives à la détention sans se donner les moyens de suivre tous ces gens. Peut-on s'étonner dans ces conditions que les tribunaux prononcent trop de peines de prison ? Ils savent que s'ils choisissent des peines alternatives, les faits incriminés ne seront pas sanctionnés, faute de moyens pour faire appliquer la condamnation.

Madame la garde des sceaux, l'amélioration de la justice au quotidien et la mise en oeuvre des réformes sont les deux pans indissociables de la politique que doit mener votre ministère. Je regrette que les éléments que vous nous avez donnés ne nous permettent pas de nous faire une idée précise de vos priorités. Tout porte à croire que la politique de saupoudrage se perpétuera, au détriment de l'accès des Français à la justice et du bon fonctionnement du ministère.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme la présidente.

La parole est à M. François Colcombet.

M. François Colcombet.

Madame la présidente, madame la ministre, beaucoup a déjà été dit, excellemment dit, notamment sur les prisons. Aussi limiterai-je mon intervention à quelques autres points.

Tout comme notre collègue Tourret et d'autres, je suis partisan d'une plus grande participation des citoyens à l'oeuvre de justice et, pour dire les choses clairement, d'un échevinage très généralisé.

M. Alain Tourret.

C'est parfait !

M. François Colcombet.

Ce serait certainement une façon élégante de régler bien des problèmes d'effectifs ; cela dit, sans attendre cette réforme lointaine et hypothétique, nous pouvons d'ores et déjà sensiblement améliorer le fonctionnement de l'existant.

Vous décrouvriez ainsi, madame la garde des sceaux, que, contrairement à ce qui vous aura été dit, on travaille beaucoup moins dans les parquets généraux que dans les cours d'appel ou les parquets tout court. Dans les parquets généraux, plus de garde à vue à contrôler, plus de réglements à faire ; autant de temps libéré que l'on a tout loisir de consacrer à sa carrière ou à des explications sur le travail des autres ! Ne parlons pas de la Cour de cassation : entre le travail des conseillers et celui des gens du parquet, c'est le jour et la nuit... Ma proposition est très simple : il serait, me semble-t-il, très opportun de supprimer...

M. Alain Tourret.

Les parquets généraux !

M. François Colcombet.

... des postes d'avocat général ou de substitut général dans les cours d'appel et à la Cour de cassation et de les remplacer par des postes de président de chambre et de conseiller. Vous verriez que nombre de contentieux seraient traités bien plus rapidement ! Un peu dans le même esprit, un mot de la carte judiciaire. Votre prédécesseur a profité du travail engagé par le Parlement sur les tribunaux de commerce pour s'y atteler. Le moment est venu de rattacher très clairement tous les tribunaux de commerce à un TGI, quitte à laisser en place quelques greffes, tout au moins pendant une période transitoire, et peut-être aussi de se pencher plus largement sur la carte judiciaire. Nous aurons bientôt l'occasion d'aborder la réforme des tribunaux de commerce ; j'ai bien noté que certains à droite reprennent le combat de retardement. Ils y avaient réussi sous Badinter ; j'espère qu'il n'y arriveront pas cette fois-ci.

Les greffes ont parfois été quelque peu négligés dans les budgets de ces dernières années ; ils méritent à nouveau un effort prioritaire. Les greffes sont souvent oubliés alors qu'ils sont les véritables pivots des juridictions. Ils sont leur mémoire, ils y assurent la continuité.

M. Hervé Morin.

Tout à fait !

M. François Colcombet.

Ce sont les greffes qui ont les contacts les plus fréquents, souvent les plus simples et les plus directs avec les justiciables. C'est en fait sur eux que repose une grande partie des réformes en cours. Judicia-


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riser l'application des peines, par exemple, c'est mettre au travail non seulement des juges, mais également, ne l'oublions pas, des greffiers.

Une remarque d'actualité enfin, à propos d'une affaire qui me tient particulièrement à coeur. Cet été, un service de contrôle a constaté qu'un négociant en aliments vendait pour des produits pour bovins contenant des farines prohibées. Que croyez-vous qu'il arrivât ? Le parquet a demandé à la gendarmerie de mener une enquête banale.

Celle-ci a envoyé l'affaire en rendez-vous judiciaire ; voilà seulement quelques jours, le tribunal a prononcé la relaxe pour une erreur de procédure, et il n'y a pas eu d'appel.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Et voilà !

M. André Gerin, rapporteur pour avis.

Quelle misère !

M. François Colcombet.

A l'évidence, il aurait fallu ouvrir une information, élargir l'enquête par une commission rogatoire, purger les éventuelles causes de nullités avant l'audience, bref, éviter tout cela, qui fait un peu désordre et enlève un peu de sa crédibilité à la justice.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Bref, il aurait fallu faire un vrai travail !

M. François Colcombet.

Puisque les procureurs semblent avoir encore besoin d'être éclairés, je vous suggère, madame la garde de sceaux, de leur envoyer une circulaire de portée générale extrêmement ferme sur ce point, en leur indiquant de façon très détaillée ce qu'ils doivent faire en cette matière. Et peut-être pourriez-vous doubler cette mesure d'une session de formation pour les magistrats du parquet et du siège ; vous disposez d'outils excellents pour le faire - une école qui marche très bien, de très bons enseignements, un budget tout à fait conséquent. Soyez assurée que ces initiatives seront très bien comprises, non seulement par les élus mais aussi par les simples citoyens qui attendent de vous que la justice ne passe pas à côté des sujets intéressant leur quotidien.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Madame la garde des sceaux, c'est le premier budget de la justice que vous avez l'occasion de présenter devant nous. M'associant à certaines des paroles aimables entendues à votre endroit, je veux vous faire part en toute sincérité de la satisfaction des députés de la commission des lois pour l'ouverture d'esprit, le sérieux et l'intérêt...

M. Hervé Morin.

En effet.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

...avec lesquels vous avez, pendant trois heures, animé notre débat sur ce budget jeudi dernier. Je saluerai par la même occasion la qualité des intervenants et des rapporteurs, qui nous a permis de discuter des vraies questions, lourdes de conséquences, il ne faut pas le nier, qui se posent lorsque l'on a, comme vous, la mission de conduire un ministère régalien de la République.

Le budget de la justice est un budget essentiel et la première condition d'une justice modernisée, c'est de disposer de moyens. Tout le monde en convient depuis des années, mais on me permettra de remarquer que peu de gens en avaient tiré les conséquences avant l'actuel gouvernement. A cet égard, le budget pour 2001 apparaît certainement comme le meilleur budget de la justice depuis quatre ans. Les priorités retenues correspondent à de véritables attentes et contribueront, j'en suis persuadé, à améliorer son fonctionnement quotidien.

Nous avons, il est vrai, à rattraper un retard. Ce retard, c'est notre retard, mais, je le dis à l'intention de M. Houillon ou de M. Warsmann, même s'ils nous ont quittés, c'est aussi le leur. Or force est de constater que, depuis 1997, nous avons davantage fait pour la justice, en termes de moyens, que depuis vingt ans...

M. François Colcombet.

Très juste.

M. Alain Cousin.

Ce n'est pas vrai !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Je n'aurai pas la cruauté de faire la comparaison entre les périodes où l'actuelle opposition était au pouvoir et celles dirigées par cette majorité. Nous avons fait trop peu mais vous, vous avez fait moins. Et aujourd'hui que nous faisons beaucoup, nous devrions tous ensemble nous en féliciter.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

C'est vrai !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Je veux simplement insister sur deux points à mes yeux essentiels et sur lesquels nous avons largement débattu en commission des lois et encore aujourd'hui.

Le premier a trait à l'aide juridictionnelle. Bon nombre d'entre nous ont mis en avant les difficultés financières dans lesquelles sont plongés certains avocats, du fait de l'insuffisance de leur rémunération au titre de l'aide juridictionnelle. Prenons garde toutefois à ne pas caricaturer des situations certes indéniables, mais fortement contrastées. La revalorisation de l'aide juridictionnelle ne peut en effet être réclamée sous le seul angle, restreint et par le fait souvent subjectif, de la rémunération des avocats.

L'aide juridictionnelle est avant tout un formidable outil pour assurer l'égalité de tous devant la justice. La seule question pertinente est donc celle de l'accès le plus large, le plus simple et le plus rapide possible de chaque citoyen à la justice, par le biais au besoin de l'aide juridictionnelle. Sans doute avançons-nous trop peu, mais on ne saurait nier que la proposition de relever les plafonds de ressources d'admission à l'aide totale ou à l'aide partielle constitue la première avancée réelle depuis dix ans, depuis la création du nouveau système d'aide juridictionnelle dans notre pays. Certes, les moyens ne sont pas suffisants et l'on se rend bien compte qu'ils ne garantissent pas toujours une défense convenable et égale pour tous les citoyens. L'aide juridictionnelle a, c'est évident, besoin d'avocats motivés par voie de conséquence et convenablement rétribués,...

M. Alain Tourret.

Très bien !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

... mais elle a également besoin de délais raisonnables et de défenseurs attentifs. La justice au rabais est une atteinte aux droits de l'homme intolérable dans une démocratie moderne. Trop souvent, elle contribue à alimenter les frustrations quotidiennes et un rejet des institutions que nous ne connaissons que trop bien dans nombre de nos quartiers. Ce n'est donc pas uniquement un problème de moyens et vous avez eu raison, madame la garde des sceaux, de proposer une réflexion sur une réforme globale de l'aide juridictionnelle. Celle-ci devrait prendre en compte trois types d'inégalités que je veux souligner.

La première est une inégalité régionale. Dans certains ressorts de juridiction, plus de 50 % des procédures relèvent de l'aide juridictionnelle alors que, dans d'autres


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

tribunaux, on n'en trouve que quelques pour cent, moins de 10 %. Faut-il dès lors traiter toutes les régions à l'identique ? La classification en dix catégories, qui date d'une dizaine d'années, est-elle toujours d'actualité ? La deuxième est l'inégalité entre tribunaux, dans leur mode de fonctionnement. On s'interroge sur le coût horaire des prestations de l'avocat dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Faut-il rappeler que le nombre d'affaires de même nature peut varier du simple au triple selon que l'on est jugé à Lille ou à Versailles, et que les avocats passent parfois plus de temps à patienter qu'à travailler d ans l'intérêt de leurs clients ? Combien de fois attendent-ils des heures pour plaider quelques minutes ?

M. Alain Tourret.

Ça, c'est vrai !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Troisième inégalité, que nous ne devons pas nous cacher, même s'il peut paraître difficile d'en faire état, dans les interventions mêmes des avocats. De très nombreux avocats s'appauvrissent, il est vrai, à cause du très faible montant de l'indemnité. Mais il faut également savoir, et le président de la conférence des bâtonniers lui-même, avec qui j'évoquais cette question, ne le niait pas, que certains avocats, faute d'avoir pu se constituer, malgré les années, une clientèle personnelle, sollicitent des désignations multiples du bureau d'aide légale ou de l'ordre des avocats, et que certains cabinets calculent qu'il est possible de tirer du bénéfice en embauchant un collaborateur pour une rétrocession mensuelle de 10 000 francs en lui faisant traiter une dizaine de dossiers d'aide juridictionnelle par mois.

Sur tous ces points, il y a lieu de s'interroger. Comment ne pas noter qu'il serait possible d'endiguer un certain nombre de procédures inutiles, mais gratuites pour ceux qui les diligentent ? Quand les caisses d'allocations familiales contraignent leurs allocataires à engager des procédures, forcément prises en charge par l'aide légale, dans le seul but d'obtenir un jugement rejetant une demande de pension alimentaire pour verser certaines prestations, c'est le contribuable qui finance ! Toutes ces questions doivent être mises sur la table si l'on veut une véritable réforme de notre aide juridictionnelle.

Un dernier point, qui me servira de conclusion : nous serons tous fiers à la fin de cette législature, sur quelque banc que nous soyons, que cette assemblée ait pris l'initiative d'un rapport parlementaire sur la situation de nos prisons, où la situation a été unanimement jugée indigne des valeurs républicaines que nous portons. Je veux d'ailleurs souligner le formidable travail réalisé par la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Mermaz, et dont le rapporteur était M. Floch.

Le Premier ministre vient d'annoncer un grand plan de dix milliards de francs. Il doit permettre de répondre à l'ensemble des besoins pour avoir des murs de qualité, mais les murs ne suffisent pas. Jamais nous n'aurons un appareil pénitentiaire digne de la République avec seulement des murs neufs. Il faut - nous aurons à pousser sur cette question et peut-être à travailler encore davantage pour pouvoir y répondre - une loi pénitentiaire qui s'inspire de l'exemple d'autres démocraties qui ont fait beaucoup mieux que nous dans ce domaine. Plusieurs rapp orts parlementaires contiennent à cet égard des propositions intéressantes.

Reste ce qui constitue à mes yeux une avancée décisive, la décision, annoncée par le Premier ministre, de créer un établissement public...

Mme Christine Boutin.

C'est vrai !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

... chargé de mettre en oeuvre ce plan de six ans pour rénover, réhabiliter, reconstruire l'appareil pénitentiaire en France.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Très bien !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

A une condition toutefois : que la création de cet établissement public ne conduise pas à reproduire les tares, je pèse mes mots, de l'administration centrale française en matière de mise en oeuvre de grands programmes d'investissement.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Cela ne concerne pas le seul ministère de la justice,...

Mme Christine Boutin.

Malheureusement !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

... mais l'ensemble des ministères.

Mais quand les administrations centrales veulent tout faire, que se passe-t-il ? Lorsque nous votons un gros crédit d'investissement ici, on réalise des études de programmation ; c'est l'administration centrale qui s'en charge. Pour cela, il faut des spécialistes. Quand il n'y en a pas parce que la décision d'investissement a été inopinée, il faut en recruter. Il faudra donc un an pour les études programmation. Ensuite, les esquisses vont exiger six mois. On arrive à un an et demi. Puis les avant-projets sommaires : encore un an ; ça fait deux ans et demi. Puis les appels d'offres, européens naturellement, puisque ce sont de gros programmes : un an de plus. Puis l'ordre de service : six mois. Soit, au total, quatre ans !

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Au minimum !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Ce n'est pas beaucoup dans ce cas !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Quatre ans pour transformer une décision du législateur en volonté de mettre en oeuvre ! Et la première pierre n'est pas encore posée ! Voilà un problème qui nous concerne tous, que nous soyons de droite ou de gauche.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Nous sommes d'accord !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

C'est une certaine conception de l'organisation de l'administration centrale. Nous avons rencontré ce type de problèmes dans nos collectivités territoriales, nous avons su les régler. Il existe des outils d'aménagement et de développement tant au niveau national qu'au niveau local. Il faut que nous nous en servions pour être efficaces et pour être dignes de ceux au nom desquels nous votons le budget de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

A la demande du Gouvernement, je vais suspendre la séance pendant quelques minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

Mme la présidente.

La séance est reprise.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, mon propos se divisera en deux temps : une présentation du budget, après le travail de la commission, et des réponses à vos interventions que j'essaierai de globaliser pour gagner du temps.

Avant de vous présenter les grandes lignes du projet de budget pour 2001, je voudrais remercier les deux rapporteurs pour avis de la commission des lois, M. Floch et M. Gerin, pour leurs travaux ainsi que tous les membres de la commission des lois et, en premier lieu, son président, M. Roman, pour la qualité des débats qui se sont tenus en commission jeudi dernier. Nous avons pu aborder tous les grands problèmes de mon ministère avec des échanges qui ont permis d'aller au fond des choses et qui, à plusieurs occasions, ont montré une identité de vues entre la majorité et l'opposition sur des sujets qui sont d'intérêt national.

Je remercie également le rapporteur spécial de la commission des finances, M. Devedjian, pour son rapport, dont le ton n'a sans doute surpris personne.

N'ayant pas préparé moi-même ce budget, je suis d'autant plus à l'aise pour vous dire que c'est le meilleur budget de la justice depuis quatre ans.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est de l'autosatisfaction !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Justement non !

Mme la garde des sceaux.

Problème de sémantique, monsieur Warsmann ! Trois chiffres marquent la priorité accordée à la justice dans le budget pour 2001 : 1 550 créations de postes, soit la plus forte hausse des effectifs depuis quatre ans - même si ce n'est pas suffisant, allez-vous dire sans doute - 1 milliard de francs de crédits supplémentaires pour des mesures nouvelles, soit le plus fort montant également depuis quatre ans, et 1,75 milliard d'autorisations de programme pour de nouveaux investissements, soit le montant le plus important depuis dix ans.

Sur les quatre premiers budgets de la législature, monsieur le président de la commission des lois, vous l'avez rappelé tout à l'heure, le ministère de la justice aura ainsi créé 4 480 emplois et aura vu ses crédits progresser de 4,2 milliards de francs, soit 17,8 %. Ce n'est pas négligeable.

Parlons d'abord des services judiciaires, qui bénéficient de 525 créations de postes budgétaires dont 307 magistrats et 218 greffiers. Ce sont effectivement les greffiers et les fonctionnaires qui permettent de faire fonctionner la justice, disiez-vous tout à l'heure. On doit y ajouter huit emplois pour l'Ecole nationale de la magistrature qui doit répondre aux nouvelles promotions, soit un total de 533 emplois.

Avec 307 créations de postes de magistrats judiciaires, on atteindra, en 2001, un niveau jamais atteint sous la Ve République et, en quatre ans, nous aurons créé 729 postes de magistrats, soit autant que tous les ministres entre 1981 et 1997 - il y avait eu 727 créations.

Vous voyez que nous ne faisons pas de différence entre les différentes majorités parlementaires.

Je sais que vous portez une grande attention au financement des réformes que vous avez votées, vous avez été plusieurs à y insister. Je voudrais vous donner des assurances sur ce point, notamment sur la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes, qui fait l'objet de débats animés un peu partout sur le territoire aujourd'hui, et qui suscite de l'inquiétude dans beaucoup de juridictions, trop souvent, hélas, à partir de chiffres qui ne sont pas exacts.

au budget de 2001, nous aurons 237 emplois de magistrat et 135 de greffier pour l'application de cette loi, le respect des délais aux assises et pour la nouvelle procédure d'application des peines. Je rappelle que 108 postes de magistrat, pour le juge des libertés et de la détention, et 108 de greffier avaient été d'ores et déjà inscrits en 1999 et 2000 par anticipation.

Au total, sur trois budgets, 1999, 2000 et 2001, nous avons 345 magistrats et 243 greffiers, soit 588 emplois pour l'application de cette réforme. Voilà pour les emplois, mais nous avons aussi prévu 350 millions de francs de crédits supplémentaires pour l'application de la loi, 72,7 millions de francs de crédits d'aide juridique pour l'assistance des prévenus devant les cours d'assises et les juges d'application des peines, 92 millions de francs pour l'intervention des avocats lors de la première heure de garde à vue, 157 millions de francs de frais de justice - indemnités journalières des jurés d'assises, indemnisation des personnes abusivement détenues et enquêtes en faveur des victimes -, 40 millions de francs pour le fonctionnement des juridictions.

Soit, en tout, 588 emplois et 350 millions de francs de crédits. Je ne crois pas qu'il y ait eu, par le passé, beaucoup de réformes qui aient mobilisé autant de moyens et les surenchères sur ce sujet sont donc bien malvenues.

On a parlé, à tort, d'un délai de trois ans pour pourvoir les postes. C'est complètement faux et je voudrais faire un sort à ce raisonnement que j'entends encore trop souvent. Chaque année, sort de l'ENM une nouvelle promotion de magistrats.

M. Hervé Morin.

185 !

Mme la garde des sceaux.

L'effectif des promotions sortantes dépend des postes ouverts au concours par des emplois budgétaires. Or, l'accélération des recrutements a été engagée dès 1998 puisqu'on est passé de 140 à 185 auditeurs par promotion.

Dans le même temps, deux concours exceptionnels ont été organisés. Ainsi, cent magistrats supplémentaires recrutés en 1999 et cent autres en 2000, sont d'ores et déjà arrivés sur le terrain.

M. Hervé Morin.

Et en 2001 ?

Mme la garde des sceaux.

Au total, l'augmentation nette des effectifs de magistrats a été très importante depuis trois ans du fait de la faiblesse des départs en retraite. Les effectifs réels auront ainsi augmenté de plus de 500 magistrats entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2000 pour 422 postes créés. On a donc non seulement pourvu les créations d'emplois budgétaires, mais en plus pourvu des postes laissés vacants par l'ensemble de nos prédécesseurs. Et, je l'ai dit l'autre jour en commission, nous devrons être vigilants sur le nombre de créations de postes annuelles puisque c'est en 20072008 que nous aurons de très nombreux départs en retraite.

En 2001, ce sont donc 200 magistrats de plus qui arriveront pour seulement 50 départs à la retraite. Même chose en 2002, même chose en 2003...

M. Jean-Luc Warsmann.

Cela fait 150 !

Mme la garde des sceaux.

... plus une trentaine de postes par an par la voie de l'intégration hors ENM.

Tout cela montre que les moyens nécessaires soient dis-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

ponibles dès l'année 2001, sans attendre trois ans, même si certaines innovations apportées par amendements à la loi du 15 juin 2000 ne pouvaient pas être anticipées.

M. Jean-Luc Warsmann.

La preuve est là !

Mme la garde des sceaux.

A partir du 1er janvier 2001, il y aura une période d'adaptation et de réorganisation pour beaucoup de juridictions. Le premier semestre 2001 sera donc plus difficile. Je l'ai dit en commission, nous ne méconnaissons pas ces difficultés. Mais il faut les ramener à de justes proportions, même si je sais que dans certaines juridictions qui ont des centres de détention importants, il pourrait y avoir un démarrage difficile pour l'application des peines et nous y serons vigilants.

M. François Colcombet.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Pour ce faire, d'ailleurs, vous avez pu voir que nous avons à la fois organisé de façon plus forte les réunions du comité de suivi et que nous y avons ajouté un suivi de notre direction centrale, laquelle pourra détecter, pratiquement tribunal par tribunal, avec l'aide de l'inspection, les endroits où il y aura les plus gros problèmes. Nous pourrons ainsi y répondre plus vite. C'est à partir de cette analyse que nous allons affiner le fléchage des postes.

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais vous n'avez que 180 magistrats pour 300 postes !

Mme la garde des sceaux.

J'y reviendrai, monsieur Warsmann.

Mme Nicole Feidt.

Pas d'impatience !

Mme la garde des sceaux.

Enfin, j'insiste sur l'effort budgétaire en faveur de l'Ecole nationale de la magistrature dont les crédits auront augmenté de 40 % en quatre ans avec, en 2001, une nouvelle augmentation des promotions à 190 auditeurs alors que l'on était à 140 en 1997. Il s'agit de préparer l'avenir et d'anticiper sur les besoins dont j'ai parlé tout à l'heure. La gestion prévisionnelle des ressources humaines est évidemment essentielle pour la justice. On aurait dû y penser depuis vingt ans ! La réforme des carrières des magistrats reçoit une nouvelle provision de 40 millions de francs. Le total de la réforme mobilisera 170 millions de francs en année pleine. Cette revalorisation était nécessaire pour aligner les carrières des magistrats judiciaires sur celles des magistrats administratifs et financiers et pour accélérer des avancements qui étaient bloqués pour toute une génération de juges. Mais cette revalorisation s'inscrit aussi dans la perspective de gestion prévisionnelle car il est nécessaire de donner une plus forte attractivité au corps judiciaire.

Dans les prochaines années, la compétition sera de plus en plus vive entre le privé et le public et, au sein même du public, entre les ministères pour le recrutement des meilleurs cadres de haut niveau. Cette compétition sera exacerbée par la nécessité de remplacer les départs à la retraite, dont j'ai parlé, vers 2007-2008. Il faut donc, dès à présent, essayer d'attirer les meilleurs bacheliers vers les études de droit et la magistrature.

Concernant l'administration pénitentiaire, les créations d'emplois y sont très importantes puisque c'est la direction qui reçoit le plus, avec 530 emplois. C'est nettement plus que les années précédentes : 300 en 1998, 370 en 1999, 382 en 2000. Parmi ces emplois, on compte 330 surveillants, ce qui est également plus que les années précédentes.

J'insiste sur le fait que sur les 530 emplois, tous participent à l'amélioration des conditions de travail dans les prisons et à l'allégement des tâches des surveillants.

Comme vous l'avez souhaité, notamment Mme Feidt, nous avons privilégié une approche qualitative. Et grâce à cette masse de nouveaux emplois, nous allons pouvoir travailler sur la qualité, sur l'organisation, et peut-être aussi sur une autre façon d'aborder la peine, j'y reviendrai sans doute.

Les 141 postes supplémentaires de personnels de surveillance créés pour renforcer les organigrammes vont nous y aider beaucoup, mais aussi les 215 emplois créés pour préparer l'ouverture des deux premiers établissem ents du programme 4000, Toulouse-Seysses et Avignon-Le Pontet.

Enfin, le suivi des détenus sous surveillance électronique et les alternatives à l'incarcération mobiliseront 112 emplois de personnels d'insertion et de probation.

Vous avez dit, madame Boutin, avec tous vos collègues, que ce devrait être désormais le point fort de notre politique. Ce renforcement du suivi en milieu ouvert permettra d'alléger les charges de travail en détention.

S'agissant des personnels, je présenterai un amendement du Gouvernement destiné à augmenter de 58 millions de francs les crédits indemnitaires, cette somme correspondant au financement du protocole d'accord signé avec les organisations syndicales, le 18 octobre dernier.

Certains s'étaient inquiétés de l'origine de ces crédits : c'est bien un amendement et ce sont bien des crédits supplémentaires.

Concernant la formation l'ENAP, l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, bénéficie, en 2001, de la création de quinze emplois et d'une augmentation de son budget de 30,8 millions de francs. En deux ans ses effectifs auront ainsi été augmentés de 20 % et ses crédits de 63 %.

Le Premier ministre a inauguré mercredi dernier, à Agen, les nouveaux locaux de l'ENAP, qui sera transformé en établissement public administratif à partir du 1er janvier 2001. Ceux d'entre vous qui étaient présents ont pu voir que ce nouvel outil, avec des moyens renforcés, lui permettra de mieux assurer ses missions de formation et de faire face au recrutement massif engagé depuis deux ans : 1 800 personnes seront formées par l'ENAP cette année, et plus de 2 000 l'an prochain.

Ces recrutements se maintiendront à un niveau élevé dans les prochaines années pour faire face aux départs à la retraite. Mais il faut, et c'était une demande unanime, un grand programme de rénovation pénitentiaire. Le Premier ministre a également annoncé le lancement d'un plan de rénovation pénitentiaire pour répondre aux critiques justifiées des rapports parlementaires sur l'état du parc immobilier et aux exigences de la loi du 15 juin 2000 sur l'encellulement individuel. Il est vrai que les rapports parlementaires ont permis cet excellent travail.

Il s'agit d'une décision majeure, puisqu'on va sortir d'un logique de file d'attente, dans laquelle on décidait chaque année de lancer telle ou telle rénovation en fonction des crédits disponibles, pour adopter une démarche d'ensemble, tous les établissements anciens ayant vocation à être soit rénovés, soit remplacés, sans oublier les petites unités de centre-ville.

Je sais, et plusieurs députés ont insisté sur ce point en commission des lois et encore ce matin, que l'état du parc immobilier n'est qu'une partie des problèmes pénitentiaires, mais sa réhabilitation est une condition indispensable de la réussite d'une réforme de la vie en détention. Des douches, des sanitaires, des espaces de travail et de soins, des parloirs dignes, tout cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais rien ne se fera sans cela.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

On ne pourra sérieusement parler de réinsertion et de resocialisation des détenus, tant que leurs conditions matérielles de vie continueront d'aggraver leur désocialisation.

Nous avons maintenant une feuille de route, qui nous permettra, dans le cadre d'une baisse attendue - et souhaitable, vous avez raison - de la population pénale, de remettre à plat la carte pénitentiaire et d'adapter le parc aux besoins de notre pays.

Pour que tout cela se fasse dans de bonnes conditions, nous avons voulu créer un établissement public administratif parce que c'est la seule façon pour que les personnels soient regroupés autour de cet objectif de réaliser ce programme en six ans. Lors de la discussion en commission des lois, il est apparu essentiel qu'un comité d'orientation accompagne l'établissement public, qu'à l'intérieur de ce comité d'orientation, des parlementaires soient présents et que se bâtisse, à côté, un groupe de suivi comprenant les parlementaires qui ont participé aux différentes commissions d'enquête ou ceux qui les rejoindront.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Il faut lier le programme immobilier au travail sur la loi pénitentiaire et anticiper sur ce que sera le sens de la peine dans ce pays,...

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

... - ce qui fera, j'espère, notre fierté à la fin du programme - dans les réalisations que nous allons commencer.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Excellent !

Mme la garde des sceaux.

Ce plan d'ensemble ne doit pas faire oublier que le projet de loi de finances qui vous est soumis est déjà très favorable en matière d'investissements pour pallier les urgences : 844 millions d'autorisations de programme, 37,5 % de plus par rapport à 2 000, dont l'essentiel, 500 millions de francs va à la rénovation des grandes maisons d'arrêt : Fleury-Mérogis, Fresnes, la Santé, Les Baumettes, Loos-les-Lille.

Vous avez aussi rappelé l'importance de la protection judiciaire de la jeunesse. Le traitement de la délinquance des mineurs est l'une des priorités du Gouvernement et nous partageons l'analyse qui a été confiée à M. Gerin.

Le budget 2001 confirme le changement d'échelle dans les moyens mis au service de cette action. On crée 380 postes, comme en 2000, contre 150 en 1999, et 100 en 1998. Dans le même temps, les crédits de fonctionnement du secteur public augmenteront de 8,5 % et ceux du secteur associatif habilité de 10,3 %. Le rythme des ouvertures des centres s'est accéléré : trente centres de placement immédiat seront ouverts avant la fin de l'année, vingt-deux sont déjà en activité et l'objectif de cinquante à la fin de 2001 est maintenu, 47 centres éducatifs renforcés seront en activité avant la fin de l'année, treize autres sont en cours d'instruction et l'objectif de 100 à la fin de 2001 est également maintenu.

L'un des résultats les plus tangibles de cette politique est la meilleure prise en charge des mesures de réparation ordonnées par les juges. En 1998, il y en avait 7 500, en 1999, nous avons passé le cap des 10 000 et nous serons autour de 12 000 cette année. Depuis 1997, les mesures de réparation auront augmenté de 72 %. Ce n'est pas suffisant, mais nous continuerons à y mettre des moyens.

Concernant les frais de justice, le ministère de la justice fait depuis trois ans de gros efforts de gestion pour la bonne utilisation des moyens que vous lui accordez. Les résultats sont là puisque les mesures nouvelles sont entièrement autofinancées par 200 millions de francs d'économies en 2001. J'ai entendu tout à l'heure quelques critiques concernant l'administration centrale. Je pense que cela au moins est à mettre à son crédit.

Le total du chapitre est en légère baisse, ce qui est une grande satisfaction, puisque les frais de justice, qui représentent 1,8 milliard de francs, avaient tendance à déraper depuis des années et pesaient de plus en plus sur le budget du ministère.

Les économies annoncées ne sont pas de promesses en l'air. Elles s'appuient sur des résultats constatés. Les juridictions, grâce aux contrats de gestion mis en place en 1998, ont réalisé 150 millions de francs d'économies par rapport aux crédits inscrits au budget de 1999. Nous en attendons autant en 2000.

Concernant l'aide juridictionnelle, sujet d'une très grande actualité, j'ai engagé des discussions avec les barreaux pour examiner la remise à plat de notre système.

J'ai déjà rencontré leurs représentants institutionnels. Je me suis rendue au congrès du Syndicat des avocats de France vendredi dernier pour avoir un contact direct avec les avocats. Ils expriment leurs inquiétudes les plus fortes avec toujours autant de dynamisme, je l'ai constaté ce matin.

Comme je l'ai déjà annoncé devant votre assemblée, je suis favorable à une remise à plat totale du système, et je vais demander à un groupe de haut niveau de me faire des propositions, mais il faut qu'elles soient entérinées en juillet 2001 car, si nous voulons être efficaces, il faudra v raisemblablement repasser au Parlement, toutes les mesures n'étant pas d'ordre réglementaire. En nous donnant sept mois seulement, nous sommes ambitieux. Il y aura beaucoup de travail et vos concours seront bien sûr les bienvenus.

Je recevrai également l'ensemble des organisations professionnelles à la chancellerie, le 23 novembre, pour examiner des propositions pour les mesures d'urgence.

S'agissant du budget pour 2001, la priorité a été donnée à la revalorisation des seuils, vous l'avez rappelé, monsieur Roman, afin de combattre l'érosion des admissions constatée depuis deux ans. Grâce à une hausse de 4,2 % - c'est la première depuis la loi réformant l'aide juridictionnelle en 1991 - nous aurons au 1er janvier 2001 des seuils à 5 175 francs par mois pour l'aide juridictionnelle totale et 7 764 francs par mois pour l'aide juridictionnelle partielle. Le supplément pour charges des familles passera de 656 à 588 francs par enfant.

Cela concerne potentiellement 500 000 foyers. L'on attend environ 15 000 dossiers supplémentaires en 2001, pour un coût de 30 millions de francs. Il faudra revoir à l'avenir autant les mesures d'urgence que les mesures de fond.

Vous avez appelé mon attention sur un certain nombre de points et je vais essayer de vous répondre en respectant au mieux les délais.

Il est vrai que les réponses aux questions écrites seront publiées peut-être un peu tard, à partir d'aujourd'hui, mais, comme je m'y suis engagée jeudi en commission des finances, tout sera publié, et je compte sur M. Hage pour me rappeler à l'ordre si les réponses ne sont pas satisfaisantes.

M. Georges Hage.

Non, je ne vous rappellerai pas à l'ordre, madame la ministre !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Mme la garde des sceaux.

Gentiment, monsieur Hage, comme d'habitude.

M. François Colcombet.

Il est grognon comme ça, mais il est gentil !

Mme la garde des sceaux.

Il n'est pas grognon, il est efficace ! (Sourires.)

Monsieur Devedjian, vous avez comparé notre système à celui de la Grande-Bretagne. Ce n'est pas nous qui critiquons le système anglais, ce sont les Anglais eux-mêmes.

Une réforme est à l'étude en Grande-Bretagne, parce qu'il y a une véritable dérive du système. Son fondement n'a rien à voir avec l'aide juridictionnelle en France : il n'y a pas de conditions de ressources pour y avoir droit ; il y a des remboursements sur des crédits publics, à de grands cabinets d'avocats par exemple, sans que le client ait besoin d'une aide quelconque.

M. François Colcombet.

C'est le modèle que veut M. Devedjian ? Quelle horreur !

Mme la garde des sceaux.

Je persiste et je signe, il n'est pas question de supprimer le caractère social de l'aide juridictionnelle en France et nous ne prendrons pas du tout exemple sur le système actuel de la GrandeBretagne.

M. Jean-Luc Warsmann.

Personne ne l'a demandé !

Mme la garde des sceaux.

Les systèmes comparables à celui de la France sont ceux de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Italie et de l'Espagne. Seuls, je crois, les Pays-Bas sont nettement meilleurs que nous en la matière, et nous avons à regarder de près leur système.

Je vais passer un peu, et je m'en excuse, du coq à l'âne, parce que je prends les questions dans l'ordre...

M. François Colcombet.

Où est l'âne ? (Sourires.)

Mme la garde des sceaux.

M. Tourret a parlé de l'exécution provisoire de plein droit des décisions de première instance. C'est une question délicate. Certains pensent qu'un tel système serait un frein au principe fondamental de double degré de juridiction. Des mécanismes peuvent être instaurés pour traiter cette question. A cette fin, un groupe de travail a été mis en place. Il est présidé par M. Guy Canivet et doit prochainement formuler des propositions, dont vous aurez connaissance, avant que l'on en tire les conclusions.

Monsieur Devedjian, vous savez bien que le projet du TGI de Paris n'a pu être lancé que grâce à la ténacité de Mme Guigou, qui a obtenu un arbitrage sur ce projet, dont le coût est supérieur à 2 milliards de francs. Personne ne l'avait obtenu avant elle !

M. François Colcombet.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Contrairement à ce que vous avez dit, le processus est lancé. Un marché a été passé pour étudier les propositions sur le foncier, l'entreprise retenue travaille sur cette question depuis le mois de septembre, mais les terrains libérables dans des délais rapprochés sont rares.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Il y en a deux !

Mme la garde des sceaux.

Il faut 100 000 mètres carrés. Les résultats des études sur les premières hypothèses foncières seront connus avant la fin de l'année et au début de l'année prochaine selon les lots. Vous aurez donc satisfaction et je vous tiendrai informé des travaux...

M. Patrick Devedjian.

J'aurai satisfaction en 2007 !

Mme la garde des sceaux.

Mais non, monsieur Devedjian, vous êtes d'un pessimisme terrible. (Sourires.)

M. Houillon a parlé d'un grand sujet d'actualité concernant le procureur général près la Cour de cassation et le procureur général près la cour d'appel de Paris.

M. François Colcombet.

C'est un sujet d'éternité !

Mme la garde des sceaux.

Ni l'un ni l'autre n'ont engagé de procédure judiciaire...

M. Hervé Morin.

Cela ne se fait jamais !

M. Jean-Luc Warsmann.

Aucun d'entre eux ne vous a écrit ?

Mme la garde des sceaux.

... et ils ne m'ont pas non plus sollicitée.

M. Jean-Luc Warsmann.

Aucun d'entre eux ne vous a écrit ?

Mme la garde des sceaux.

Est-ce que je peux vous répondre, monsieur Warsmann ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Je vous en prie.

Mme la garde des sceaux.

Ils ne m'ont pas non plus sollicitée pour que je le fasse.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Vous voyez bien !

M. François Colcombet.

Ils sont bien placés pour le savoir !

M. Hervé Morin.

C'est à l'Etat de le faire !

M. Jean-Luc Warsmann.

Aucun des deux ne vous a écrit ?

Mme la garde des sceaux.

J'ai reçu des courriers, dont l'un au moins d'ordre privé, et ces personnes seront reçues comme il se doit.

M. Jean-Luc Warsmann.

Tout n'est pas si simple !

Mme le garde des sceaux.

D'une façon générale, je souhaite que les magistrats puissent exercer leurs fonctions au service de l'ensemble des citoyens et prendre les décisions relevant de leur compétence en toute sérénité.

Puisque vous insistez, je soulignerai que ce gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, a l'ambition, par la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, de rendre la justice plus indépendante.

M. François Colcombet.

Eh oui !

Mme la garde des sceaux.

Une telle réforme, lorsqu'elle sera votée, permettra d'éviter les mises en cause de la nature de celles que vous avez évoquées. En effet, cette réforme constitutionnelle tend notamment à donner des garanties nouvelles dans la nomination de l'ensemble des magistrats du parquet sans exception, y compris les procureurs généraux, actuellement nommés en conseil des ministres sans condition.

M. Jean-Luc Warsmann.

Commencez par supprimer les dossiers signalés !

Mme la garde des sceaux.

Force est de constater que le blocage de l'opposition a conduit au gel de ce volet fondamental de la réforme globale de la justice entreprise depuis plus de trois ans, et que c'est vraiment dommage,

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Eh oui !

Mme la garde des sceaux.

Un grand nombre d'entre vous, et d'abord M. Floch, ont insisté sur la qualité de la justice. L'évaluation des juridictions et la qualité de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

justice seront effectivement une de mes priorités. Pour moi, il y a un enjeu majeur qui est l'égalité devant le service public de la justice.

M. François Colcombet.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Il faudrait pouvoir dire pourquoi cela marche mieux à certains endroits qu'à d'autres. Il faut tenir compte aussi de l'environnement sociologique d'un tribunal, du niveau économique de sa population, du nombre d'avocats, etc. Il y a, par exemple, dans le contentieux civil, deux fois plus de divorces pour faute à Aix qu'à Dijon, trois fois plus de contentieux de pension alimentaire à Lyon qu'à Pontoise, quatre fois plus de contentieux d'autorité parentale sur enfants naturels à Evry qu'à Toulon. Ce genre de données pèsent sur la vie des juridictions mais on n'est pas encore en mesure d'évaluer très exactement tout le travail qu'il y a à faire.

M. Devedjian et d'autres ont parlé des délais.

Les délais d'attente dans les cours d'appel baissent tout le temps.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est faux !

Mme la garde des sceaux.

Il faudra organiser une réunion spécifique sur les chiffres, avec des tableaux, car je vais continuer à vous donner mes chiffres et vous allez continuer à dire qu'ils sont faux.

Les délais étaient de 18,6 mois en 1997, 18,1 mois en 1998, 17,6 mois en 1999. Ce résultat est dû à un fort déstockage, de 10 000 affaires, en 1999.

L'un d'entre vous a fait référence au document que nous avions distribué. Dans la colonne « durée », il y a effectivement les chiffres donnés tout à l'heure mais il faut aussi regarder la dernière colonne pour le délai moyen d'écoulement : 18,9, 18,3, 17,7.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est une durée théorique !

Mme la garde des sceaux.

Non, ce n'est pas théorique, c'est constaté ! La file d'attente diminue depuis 1997, on déstocke. On transmettra d'ailleurs un dossier complet à M. Morin. Autrement, nous allons passer des heures à discuter. Mieux vaut que nous nous mettions d'accord sur les chiffres.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Les statistiques montrent tout sauf l'essentiel !

M. Jean-Luc Warsmann.

Les stocks ont augmenté de 3 000 dossiers en deux ans dans les cours d'appel. Il n'y a pas de déstockage, c'est un mensonge !

Mme la garde des sceaux.

« Mensonge » n'est peutêtre pas tout à fait le mot adéquat !

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce sont les chiffres du ministère !

Mme la garde des sceaux.

Justement, ce sont les miens que je vous cite, et ils proviennent du même tableau, monsieur Warsmann ! On ne va pas se battre comme ça avec des mots !

M. Jean-Luc Warsmann.

On ne se battra pas du tout, d'ailleurs !

Mme la garde des sceaux.

Dans les autres tribunaux, TGI, TI, prud'hommes, les délais moyens sont convenables et stables depuis dix ans.

M. Jean-Luc Warsmann.

Convenables ?

Mme la garde des sceaux.

En revanche, nous avons à travailler sur l'égalité des performances des tribunaux car les délais sont très dégradés dans une vingtaines de TGI.

M. André Gerin, rapporteur pour avis.

Aberrants !

Mme la garde des sceaux.

Nous avons des moyennes convenables mais avec des disparités aberrantes et préjudiciables.

Concernant les prud'hommes, je vous dirai quand même une chose, puisque vous parliez des salariés qui ne perçoivent pas leur salaire...

M. Jean-Luc Warsmann.

Leurs indemnités !

Mme la garde des sceaux.

Leurs indemnités, pardon.

Je crois que 70 % des appels sont le fait des entrepreneurs. Les salariés n'en sont pas responsables. Peut-être devriez-vous dire aux entrepreneurs de ne pas faire systématiquement appel.

M. Jean-Luc Warsmann.

Chacun est libre !

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Il faut améliorer la médiation.

Mme la présidente.

Ce n'est pas un débat, monsieur Warsmann, vous écoutez les réponses de Mme la garde des sceaux à vos questions.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Il est agaçant !

M. André Gerin, rapporteur pour avis.

Non, il est en difficulté !

Mme la garde des sceaux.

Monsieur Tourret, contrairement à ce que vous avez annoncé, la plupart des affaires familiales sont traitées en six mois. Ce n'est que pour le divorce par faute que le délai est de quinze mois...

M. François Colcombet.

Il faut le supprimer !

Mme la garde des sceaux.

... car il y a de gros conflits qui sont difficiles. Le taux d'appel est faible, de 15 %.

On fait donc appel des dossiers les plus difficiles. Rappelons que ce n'est pas le juge qui fait appel, mais les époux,...

M. François Colcombet.

Et les avocats.

Mme la garde des sceaux.

... et nous respectons ce droit.

Vous avez demandé des précisions sur les démissions des juges consulaires et les conséquences sur le fonctionnement des tribunaux. On a enregistré 671 démissions, dans vingt-six tribunaux de commerce, et des élections complémentaires ont été organisées. Après les élections, quinze tribunaux n'ont pas repris leur activité et quatre TGI, et non pas 100, ont pris en charge leur activité.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Et ça marche très bien !

Mme la garde des sceaux.

La chancellerie a nommé provisoirement des magistrats dans les quatorze TGI et créé des postes en surnombre pour pallier ce manque, si je puis dire, ...

M. François Colcombet.

Ces abandons de poste !

Mme la garde des sceaux.

Je n'ai pas dit cela, monsieur Colcombet.

M. François Colcombet.

Cette défection !

Mme la garde des sceaux.

... à Nanterre, à Blois et à Pau. Nous vous donnerons plus de précisions ultérieurement, mais voilà la situation.

M. Houillon s'est montré quelque peu virulent en citant certains chiffres. Il faut aussi balayer devant sa porte, monsieur Houillon. De 1993 à 1997, la part de la justice a stagné dans le budget de l'Etat à 1,5 %.


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M. Jean-Luc Warsmann.

Encore l'héritage !

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

C'est un constat !

Mme la garde des sceaux.

Eh oui ! Elle n'augmente que depuis 1998 où elle a représenté 1,58 %. Pour 2001, nous en sommes à 1,69 %. Les délais reflètent cette évolution : de 1993 à 1997, on est passé de treize à dix-sept mois dans les cours d'appel. On essaie de faire mieux, on fait mieux, et je pense qu'il faut nous en donner acte, même si ce n'est jamais suffisant.

M. Jean-Luc Warsmann.

Les chiffres sont faux !

Mme la garde des sceaux.

Nicole Feidt a évoqué un certain nombre de dossiers lourds concernant les prisons, avec des phrases très fortes. Pour Nancy, vous avez raison, madame Feidt, c'est un dossier extrêmement prioritaire, je l'ai déjà dit. Dès cet après-midi, au conseil de sécurité intérieure, nous reviendrons sur la cohérence entre les dispositifs qui relèvent de la compétence des départements et ceux qui relèvent de la compétence de la protection judiciaire de la jeunesse avec un groupe mixte.

Nous devons effectivement être extrêmement précis. Je vous communiquerai le relevé de décisions, ainsi qu'aux responsables de la commission, et vous aurez ainsi une meilleure vue des choses. Nous avons beaucoup de progrès à faire.

L'inégalité devant le service public de la justice a également été dénoncé mais je ne reviendrai pas, monsieur Morin, sur tous les problèmes de délais puisque je vous ai promis des tableaux.

M. Hervé Morin.

Il n'y a pas que ça !

Mme la garde des sceaux.

J'ai déjà abordé ce sujet et je ne le rangerai pas dans un tiroir après.

Vous pensez que l'augmentation du nombre d'avocats au barreau de Paris inciterait de plus en plus de monde à ester en justice. Je ne le crois pas. Heureusement, les avocats ont aussi d'autres types d'activité - conseils, transactions - et la loi les y autorise.

S'agissant de l'aide juridictionnelle, l'on ne peut pas dire que les rendus des décisions des magistrats ne sont liés qu'à la qualité du dossier monté par les avocats. Il faut insister sur l'égalité devant la justice, sur la prise en compte du justiciable qui n'a pas les moyens de payer un avocat. Il n'y a pas que le dossier, il y a l'accompagnement de la personne, le conseil qu'on peut lui donner d'ester ou pas, mais aussi de faire appel ou pas. Vous ne pouvez pas laisser entendre que les magistrats ne font que reprendre les conclusions d'un dossier d'avocat.

M. Hervé Morin.

Je n'ai jamais dit cela !

Mme la garde des sceaux.

Vous relirez votre intervention.

Sur les effectifs, monsieur Hage, vous avez raison.

Q uant aux auditeurs de justice - j'ai longuement répondu à cette question en commission - ce sont des collaborateurs importants, mais ce sont des étudiants, dont le niveau est excellent, d'ailleurs. Il faut garder ce système qui marche bien et nous allons essayer d'augmenter le nombre de places.

Je ne reviens pas sur ce que vous avez dit sur l'aide juridictionnelle. Vous êtes bien placé pour la connaître. Je reviendrai juste d'un mot sur votre commentaire concernant le programme des prisons.

Nous ne voulons pas augmenter le nombre de places de détenus. Ce programme doit être accompagné d'une baisse du nombre des détenus que l'on peut évaluer grossièrement, parce qu'il n'est pas possible de donner des chiffres précis, à 10 ou 15 %. Mais cette baisse que nous voulons et qui est un impératif - les rapports des commissions d'enquête l'ont montré - n'empêche pas que d'autres moyens soient accordés à tous les suivis extérieurs. Je pense aux salles de formation, de travail et de repos, aux lieux de rencontre avec les familles - cet accueil familial dont vous avez rappelé, madame Boutin, l'importance - et aux espaces de santé.

Beaucoup reste à faire pour que les mètres carrés ne soient pas que des mètres carrés d'encellulement, même s'il faut aussi répondre à la demande d'encellulement individuel. C'est dans cet esprit que nous ouvrons ce programme de 10 milliards de francs et non pour augmenter le nombre de places.

Le numerus clausus , dont l'un de vous a parlé, me semble dangereux. Il est préférable de chercher à adapter le système pénitentiaire dans son ensemble. C'est l'objectif de la loi pénitentiaire que je me suis engagée à présenter en conseil des ministres au mois de juillet. C'est un travail de titan qui nous attend. J'espère que nous y parviendrons tous ensemble pour pouvoir discuter ce texte dès l'automne. Compte tenu du calendrier parlementaire et parce que nous souhaitons un texte avec un fort contenu, nous ne pouvons pas faire plus vite.

Vous avez également parlé, monsieur Hage, de notre action internationale. Concernant la peine de mort en particulier, la France est très active au sein des Nations unies. De nombreux pays résistent, mais nous ne baisserons pas la garde tant que nous n'aurons pas obtenu satisfaction. Nous avons des réunions internationales à préparer, je vous propose de nous rencontrer pour discuter des propositions précises que vous avez formulées.

Concernant l'intervention de M. Mermaz, j'ai apprécié tant son contenu, humaniste, que sa forme, puisque émaillée de phrases que l'on retiendra.

Je ne reviens pas sur la première partie de votre intervention, monsieur Mermaz, j'ai déjà répondu puisque trois parlementaires ont soulevé avant vous les mêmes questions.

Je partage votre point de vue sur les comparutions immédiates. L'idée est excellente. Je pense simplement qu'il faut regarder comment ces comparutions sont utilisées concrètement.

Une mission devrait être créée pour identifier les pratiques et voir, avec les parlementaires, si le système doit évoluer ou non, ses conclusions étant rendues publiques.

Concernant les deux établissements de Saint-Denis-dela-Réunion et de Basse-Terre, sur lesquels vous avez eu raison d'appeler mon attention, je pense que nous devrions très vite pouvoir nous en occuper grâce au plan que le Gouvernement vient d'annoncer.

Madame Boutin, vous avez salué le dévouement des fonctionnaires de la pénitentiaire. Identifiés à la mauvaise qualité des murs, ils ont souffert de tout ce qui a pu être écrit, dit ou filmé, à tort ou à raison, sur la réalité d es prisons. Ces personnes ont besoin de notre soutien parce que, sans elles, la récidive serait encore plus violente.

Vous avez été nombreux sur tous les bancs à les saluer. Je m'en félicite.

Comme d'autres parlementaires, vous considérez qu'il n'est pas nécessaire d'augmenter le nombre de places dans les prisons. Il n'est pas, en effet, dans nos intentions


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d'augmenter ce nombre. Notre objectif, c'est d'améliorer la qualité de l'accueil et de proposer des alternatives à l'incarcération.

M. Bruno Le Roux.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Les établissements pénitentiaires peuvent parfois être un lieu de formation, de travail, voire un lieu de suivi médical pour une personne qui vit à l'extérieur.

M. Bruno Le Roux.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Tous ces paramètres doivent être pris en compte. J'avoue que ce futur chantier est enthousiasmant, parce que plein d'humanité.

Vous avez appelé mon attention sur le cas des détenus qui passent en conseil de discipline. La position du Conseil d'Etat qui s'applique dès maintenant est la suivante : les détenus qui passent en conseil de discipline pourront être accompagnés d'un mandataire ou d'un avocat. En revanche, il n'y aura pas de débat public sur les transfèrements, pour des raisons de sécurité : pour empêcher les évasions, mais aussi pour assurer la sécurité des détenus eux-mêmes. Tout ne peut pas être publié.

M. Le Roux a posé trois questions concernant les victimes.

La poursuite du plan de 15 millions de francs en trois ans, je m'y engage : après les 5 millions de francs en 2000, il y aura bien 5 millions de francs en 2001, et 5 millions en 2002.

Le numéro national d'aide aux victimes tel qu'il a été demandé va être mis en place. Le sujet avance : l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, en liaison avec la chancellerie, recherche de nouveaux locaux. Les crédits pour le fonctionnement du numéro national seront engagés dès que le dispositif sera opérationnel.

Les investigations payées sur frais de justice en faveur des victimes sont également prévues puisque 15 millions de francs supplémentaires leur sont réservés au budget pour 2001.

En fait, M. Le Roux a satisfaction sur ces trois points.

M. Blessig a reconnu que nous luttions contre les retards accumulés. Je l'en remercie, même si de nombreuses difficultés demeurent, j'en conviens.

Il m'a interrogée sur mes priorités. Je n'en ai qu'une, c'est la justice dans sa globalité, sans cloisonnement.

M. Colcombet, après un propos limitaire, sur lequel je ne reviens pas, a posé deux questions précises.

En ce qui concerne les greffes, depuis quatre ans, 595 postes de greffier ont été créés. Nous nous engageons dans un vaste plan d'intégration des adjoints administratifs dans le corps des greffiers et j'annonce d'ores et déjà pour 2001, 183 intégrations, l'objectif étant d'intégrer tous les adjoints qui font fonction de greffier. Sur ce point, vous avez satisfaction, monsieur Colcombet.

Quant à la sécurité alimentaire, c'est un sujet que je connais bien, de par mes anciennes fonctions. Depuis deux ans, nous avions obtenu d'Elisabeth Guigou une mobilisation des parquets pour que les plaintes ne soient pas classées sans suite. Il est vrai que du fait de la « prioritisation » des contentieux évoquée par certaines, tout ce qui concernait la sécurité alimentaire passait après. A ma connaissance, entre quinze et dix-sept procédures sont en cours - actuellement je ne peux pas en parler, bien évidemment - dont une très lourde.

Je prépare une circulaire générale qui n'est pas une circulaire de formation ou de pédagogie pour les parquetiers, mais une circulaire rappelant les principales dispositions. Je pense, en effet, que si tout ce qui peut être appliqué l'était, la situation serait beaucoup plus acceptable. En tout cas, il ne sera admis aucun fléchissement des enquêtes préliminaires face à ce type de problème.

Les demandes de poursuite devant les tribunaux vont se multiplier, c'est certain, mais nous ne pouvons pas admettre qu'un simple délit d'importation illicite soit traité comme tel alors que ce délit porte en lui-même un autre chef d'accusation, celui d'empoisonnement, involontaire, je l'espère.

M. François Colcombet.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Merci de m'avoir écoutée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme la présidente.

Nous en arrivons aux questions.

Nous commençons par le groupe du Rassemblement pour la République.

La parole est à M. Jacques Masdeu-Arus.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Madame la ministre, la question que j'avais l'intention de vous poser traitait de l'inadéquation du budget de l'administration pénitentiaire face à l'ampleur des besoins qui se manifestent dans ce secteur. Si j'utilise l'imparfait, c'est que le Premier ministre a attendu l'inauguration des nouveaux locaux de l'Ecole nationale pénitentiaire à Agen, il y a cinq jours, cinq petits jours, pour rendre public son programme sur la pénitentiaire : d'une part, préparer la loi pénitentiaire, d'autre part, lancer, dès 2001, un vaste plan de rénovation des prisons vétustes et de construction de nouveaux établissements afin de permettre notamment l'application du principe d'encellulement individuel prévu par la loi sur la présomption d'innocence. Ainsi 10 milliards de francs de crédits budgétaires devraient être mobilisés sur les six années à venir, dont 1 milliard dès le budget pour 2001.

Je ne conteste pas, bien sûr, le bien-fondé de ces décisions qui vont permettre de remédier à l'état très dégradé de nos prisons et au surpeuplement carcéral qui sont à l'origine d'une détérioration des conditions de détention mais aussi des conditions de travail des personnels. Néanmoins, madame la ministre, permettez-moi de m'étonner qu'un programme aussi important ait été annoncé quelques jours seulement avant la discussion du budget de la justice à l'Assemblée nationale. Quelle considération pour les parlementaires que nous sommes !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Justement !

M. Jacques Masdeu-Arus.

Cet oubli est d'autant plus regrettable qu'un certain nombre d'entre nous ont participé à la commission d'enquête sur les prisons, dont les conclusions sont sans équivoque. Il s'agit de mobiliser de façon urgente les crédits nécessaires à la rénovation des cinq grandes maisons d'arrêt et au programme de réhabilitation du parc pénitentiaire et doter l'administration p énitentiaire des moyens humains nécessaires à l'accomplissement de ses missions, lit-on dans le résumé des propositions de notre rapport.

J'ai moi-même directement et à plusieurs reprises appelé l'attention de la chancellerie sur l'insuffisance du budget de la justice, notamment dans une lettre pour laquelle j'attends toujours une réponse. Même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile d'avoir le sentiment d'être entendu dans cette assemblée.

Depuis quelques mois, les témoignages venant de tous horizons se multiplient pour mettre en garde le Gouvernement contre la détérioration flagrante de l'univers car-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

céral et la faiblesse du budget pour 2001. Le premier président de la commission d'enquête, Laurent Fabius, devenu depuis ministre des finances, avait lui-même déploré la faiblesse des moyens budgétaires consacrés à l'administration pénitentiaire durant ces quatre dernières années. N'avez-vous pas d'ailleurs attendu qu'un vaste mouvement de protestation se développe parmi les personnels, mouvement dont les conséquences auraient pu être dramatiques - j'en sais quelque chose en tant que maire de Poissy - avant de prendre des mesures statutaires et indemnitaires qui s'imposaient ? Madame la ministre, j'ai plusieurs questions à vous poser : Pour quel motif avoir présenté le nouveau plan de rénovation quelques jours seulement avant la discussion budgétaire ? Est-ce vous qui avez convaincu le Premier ministre ? Comment expliquer une si soudaine prise de conscience de l'inadaptation du budget initial à la gravité de la situation dans les établissements pénitentiaires ? N'aurait-on pas pu inscrire ce plan dès la préparation du budget de 2001 ? Comment comptez-vous financer ce plan de dix milliards de francs sur six années ? Des précisions s'imposent, si toutefois vous estimez que la représentation nationale peut les entendre.

Mme la présidente.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, le projet de budget a été arbitré en juin. Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée, déposé fin juin, a été étudié pendant l'été. La loi sur l'encellulement indi viduel a été votée le 15 juin 2000. C'est à partir de ces documents que Mme Elisabeth Guigou, puis moi-même, avons ouvert un nouvel arbitrage sur un plan global.

Nous estimions en effet qu'il fallait non pas inscrire des budgets tous les ans, mais définir un plan global avec des priorités que vous pourriez suivre dans le détail.

L'arbitrage du Premier ministre était nécessaire. Je me réjouis que le Premier ministre ait tranché avant la discussion budgétaire plutôt qu'après. Nous avons fait notre travail. Et puisque vous voulez tout savoir, l'arbitrage a eu lieu deux jours avant l'inauguration de l'ENAP à Agen.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Ça tombait bien !

Mme la garde des sceaux.

A partir d'une enveloppe budgétaire, il fixe des objectifs, en particulier sur l'encellulement individuel, le nombre de détenus et les alternatives à l'incarcération. Le travail devait être assez fin pour tenir compte des excellentes recommandations contenues dans les rapports parlementaires.

Mme la présidente.

La parole est à M. Alain Cousin.

M. Alain Cousin.

Madame la ministre, l'immensee spoir qu'ont suscité les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat ne peut être déçu.

Aussi, je veux croire que les annonces faites pour l'immobilier pénitentiaire ne concerneront pas seulement la rénovation, comme je l'ai lu. Des rénovations sont certes nécessaires, mais il est impératif de construire de nouveaux établissements, pour remplacer les plus vieux, qui sont aussi, le plus souvent, les plus sordides.

De nouveaux concepts sont à imaginer pour ces établissements, cela a été dit. A cet égard, le voyage que nous avons effectué au Canada sous la conduite de Jacques Floch, notre rapporteur, a été particulièrement instructif.

Je suis l'élu d'un département qui dispose de deux très vieilles maisons d'arrêt, celle de Cherbourg et celle de Coutances, construite en 1821. Membre de la commission de surveillance depuis quinze ans, je peux témoigner de l'excellent travail réalisé par le personnel, dans des conditions aujourd'hui inacceptables.

Comment donner un sens à la peine pour des détenus qui peuvent être jusqu'à huit, voire dix, dans une seule cellule ? Comment, dans cette prison qui aura bientôt deux cents ans, imaginer conduire sérieusement une démarche de réinsertion ? Mesure-t-on le chemin qui reste à parcourir pour atteindre l'objectif d'un détenu par cellule ? La collectivité locale a travaillé en relation étroite avec votre administration régionale sur le projet d'un centre de semi-liberté. On m'avait répondu par la négative. Où en sommes-nous aujourd'hui ? J'ai également écrit à votre prédécesseur, le 24 juin 1997, à propos de la maison d'arrêt. A ce jour, je n'ai reçu aucune réponse, pas même un accusé de réception.

Vous annoncez que les choses vont changer : tant mieux.

Dans le cadre de la commission d'enquête, j'ai été amené à visiter, notamment, les prisons de Nice, Toulon, Avignon. Un surveillant m'a dit : « Ce sont les poubelles de notre société. » On va donc y construire de nouveaux

établissements, c'est tout à fait légitime. Mais les maisons d'arrêt de Coutances et de Cherbourg sont, hélas ! dans le même état.

Madame la ministre, parler des droits de l'homme, c'est bien. S'en occuper, c'est mieux. Vous en avez aujourd'hui l'occasion : acceptez donc d'engager dès maintenant une réflexion, pour déboucher, très vite, sur la construction d'un nouvel établissement à vocation régionale à Coutances. Cette construction est devenue d'autant plus indispensable que nous devons désormais faire face à la juridiction d'appel des assises.

Enfin, j'insiste, quid du centre de semi-liberté très attendu dans le chef-lieu judiciaire du département de la Manche ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !

Mme la présidente.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, c'est vrai, il faut souvent décider de construire de nouveaux établissements pour remplacer les établissements les plus dégradés, la rénovation s'avérant impossible ou trop coûteuse. En comptabilité publique, on estime qu'un coût de réhabilitation dépassant les 70 % du coût du neuf n'est pas satisfaisant. Réhabiliter des bâtiments du

XIXe siècle, ou encore plus anciens, relève souvent de la gageure, quand ce n'est pas impossible. Il nous faudra réfléchir d'ailleurs au devenir de ces bâtiments, dont certains sont classés.

Je ne peux pas vous répondre aujourd'hui sur Coutances, car je ne connais pas le dossier concernant un centre de semi-liberté et la demande adressée à la chancellerie en 1997 mais je l'examinerai. Ce que je peux d'ores et déjà vous dire, c'est que, avec ce programme, nous voulons être plus performants sur le diagnostic, pour aller assez vite dans la définition des priorités.

Il faut également que nous soyons, avec le conseil d'orientation et le groupe de suivi plus attentifs à des demandes comme celle que vous évoquez, les centres de semi-liberté pouvant, dans certains cas, être préférables


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aux places d'encellulement individuel. Il faut également que nous discutions de la déconcentration régionale. Il est très difficile en effet de faire remonter les priorités régionales au niveau national. C'est pourtant nécessaire pour prendre les décisions d'urgence. Il va falloir que nous fixions des règles du jeu précises avec l'établissement public.

Nous allons préparer le décret relatif à l'établissement public dans les jours qui viennent, afin de pouvoir envisager le recrutement, et faire en sorte que chacun puisse, à l'intérieur des directions régionales, exprimer justement la géographie de l'administration pénitentiaire - maison d'arrêt, centre de détention, centre de semi-liberté, alternative ou expérience pilote.

C'est un travail difficile, mais nous en viendrons à bout, si nous nous en donnons les moyens, avec l'établissement public, et grâce au milliard que nous avons déjà inscrit pour les plus grandes urgences.

Mme la présidente.

Nous passons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin.

Madame la ministre, Yves Bur, qui a été obligé de quitter l'hémicycle, m'a chargé de vous poser une question. Il souhaitait évoquer le problème de la délinquance des jeunes à Strasbourg.

Cette délinquance a augmenté au cours des neufs premiers mois de l'année 2000 de plus de 14 % dans l'agglomération strasbourgeoise. Dans ce contexte, la prise en charge des jeunes mineurs constitue un enjeu important de la lutte contre la petite délinquance, notamment celle intervenant sur la voie publique.

Cette prise en charge par la justice est d'autant plus importante qu'elle donne du sens à l'action courageuse menée par la police ainsi que par les élus locaux pour lutter contre la délinquance. L'absence de suivi ne peut que démotiver les forces de l'ordre et renforcer le sentiment d'impunité des délinquants.

Si M. Bur salue les efforts importants engagés par votre ministère, qui sont en cours de concrétisation, ceux-ci ne lui semblent pas encore, malheureusement, répondre aux besoins locaux. Certes, le nouveau foyer d'action éducative devra à terme concerner dix-huit jeunes - douze au foyer et six en hébergement individualisé - et un centre d'éducation renforcée au Climont a été habilité pour six jeunes.

Cependant, compte tenu de l'augmentation, mais aussi et surtout de l'évolution particulièrement préoccupante des formes que prend actuellement la délinquance des mineurs multirécidivistes et particulièrement violents, il apparaît, de l'avis de tous les intervenants, que ces moyens ne sont pas à la hauteur des besoins avérés.

Il ressort des constats établis par la protection judiciaire de la jeunesse et de l'action sociale à l'enfance que la création d'un deuxième centre d'éducation renforcée à proximité de l'agglomération de Strasbourg est pour le moins indispensable.

La création d'un centre de placement immédiat s'impose aussi, et d'urgence, même si ces moyens supplémentaires doivent s'inscrire impérativement dans une politique plus globale, s'appuyant sur une réflexion menée avec l'ensemble du dispositif d'accueil associatif.

La réactualisation du schéma départemental est d'ailleurs envisagée par le département du Bas-Rhin et la protection judiciaire de la jeunesse.

En complément, il convient de promouvoir la formation de ces jeunes en rupture, de manière à les inscrire dans un parcours éducatif qui leur ouvre une perspective d'insertion dans la société et leur donne un projet d'avenir. A défaut, nous ne ferons que renforcer leur violence et leur marginalisation.

Le département du Bas-Rhin est classé à la vingtsixième position sur la liste des départements prioritaires, mais seulement à la cinquantième sur la liste des moyens attribués. Aussi M. Bur souhaite-t-il connaître, madame la ministre, les dispositions que vous comptez prendre pour la mise en place des solutions qui assurent la prise en charge de ces jeunes mineurs particulièrement difficiles, en adéquation avec la réalité de l'évolution de la délinquance.

M. Bur vous remercie par avance de votre réponse.

Mme la présidente.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, je ne peux pas vous répondre très précisément sur les chiffres de Strasbourg.

Le cas de Strasbourg, déjà évoqué par M. Bur en d'autres lieux, appelle une réflexion car il s'agit d'une zone où le taux de chômage se situe entre 4,7 et 4,8 %. Mais si le taux de chômage y est extrêment bas, les violences de quartier y sont très fortes. Cela nous oblige à ne plus lier la délinquance des jeunes uniquement aux bassins de fort chômage et nous conduit à nous interroger sur l'origine et le traitement de la délinquance des plus jeunes.

Un centre d'éducation renforcée a été ouvert à la fin de l'année 1999. Il n'y en a pas d'autres de prévus.

Les parlementaires qui le souhaitent pourront avoir connaissance des critères objectifs qui ont été utilisés pour le classement des départements en fonction des priorités.

Sur le fond de la question, ce que j'ai dit tout à l'heure vaut pour Strasbourg et le département du Bas-Rhin.

Nous devons mener une action forte tendant à lier la politique départementale et la politique de la protection judiciaire de la jeunesse. Vous avez relevé leur bonne

« collaboration », mais nous devons aller au-delà.

Vous avez parlé de l'impunité des jeunes.

Quant on parle de l'impunité des jeunes, d'un côté, on demande aussi, de l'autre, le retour rapide des jeunes à leur domicile, évidemment assorti de procédures de suivi.

Nous sommes donc confrontés à des demandes qui sont en contradiction les unes avec les autres.

Un jeune qui séjourne dans un centre d'éducation renforcée dit qu'il est allé en prison et revient avec l'aura de celui qui a fait effectivement de la prison, ce qui, ainsi que je l'ai lu dans les rapports, génère des phénomènes comme la valorisation des leaders au sein des bandes.

Nous devons prendre en compte cette contradiction et essayer de l'assumer au mieux.

Je ne ferme pas la porte à ce qui a été horriblement appelé les « déplacements » de jeunes. Un jeune placé en foyer léger, excluant l'enfermement pur et simple, peut, à la faveur d'un dialogue avec l'adulte et avec la loi, et donc dans le respect de sa propre dignité, très bien être éloigné de son domicile pour le temps où il reprend une formation, où il reprend goût à un projet de vie. Car souvent, ce qui manque, c'est un projet de vie !

M. Jacques Floch et M. André Gerin.

C'est vrai !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Mme la garde des sceaux.

Les plans départementaux doivent laisser la possibilité d'un éloignement accepté par le jeune, dans la mesure où on explique à celui-ci qu'un retour à la dignité passe par un tel éloignement décidé par un juge de placement.

Tout cela doit être pris en compte, dans le Bas-Rhin comme ailleurs.

Assumons nos contradictions, mais essayons de les affin er pour nous orienter vers des programmes plus construits et peut-être plus lisibles ! Car ce qui manque le plus dans les quartiers dont vous parlez, c'est la lisibilité des décisions prises, en particulier pour ce qui concerne la police. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

Nous en avons terminé avec les questions.

J'appelle les crédits inscrits à la ligne « Justice » : E TAT B Répartition des crédits applicables aux dépenses ordinaires des services civils (mesures nouvelles)

« Titre III : 1 827 062 850 francs ;

« Titre IV : 65 557 000 francs. »

E TAT C Répartition des autorisations de programme et des crédits de paiement applicables aux dépenses en capital des services civils (mesures nouvelles)

TITRE V. - INVESTISSEMENTS EXÉCUTÉS PAR L'ÉTAT

« Autorisations de programme : 1 745 000 000 francs.

« Crédits de paiement : 454 000 000 francs. »

TITRE VI. - SUBVENTIONS D'INVESTISSEMENT ACCORDÉES PAR L'ÉTAT

« Autorisations de programme : 4 000 000 francs.

« Crédits de paiement : 2 000 000 francs. »

Le Gouvernement a présenté un amendement, no 159, ainsi rédigé :

« Sur le titre III de l'état B, concernant la justice, majorer les crédits de 57 600 000 francs. »

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Cet amendement tend à augmenter de 57,6 millions de francs les crédits indemnitaires, cette somme correspondant au financement du protocole d'accord signé avec les organisations syndicales représentant le personnel pénitentiaire le 18 octobre dernier.

Cette enveloppe servira principalement à l'augmentation de l'indemnité pour charge pénitentiaire d'environ 1 700 francs par an et par agent, soit 142 francs par mois, pour un total de 39 millions de francs.

L'accord prévoit également une hausse de l'indemnité de nuit en semaine, qui passe de 48,70 francs à 75 francs, pour un coût total de 10 millions de francs. Pour les nuits de week-end, le budget de 2000 avait déjà prévu un doublement de l'indemnité, qui passait de 48,70 à 100 francs par nuit. Nous avons donc, sur deux budgets, une grille entièrement revalorisée pour les indemnités de nuit.

Enfin, troisième mesure très importante bien que moins coûteuse - 7 millions de francs -, l'extension de la prime de sujétion spéciale aux personnels administratifs est une mesure historique qui répond à une très ancienne revendication. En effet, l'indemnité de sujétion spéciale qui, à la différence de toutes les autres primes de la fonction publique, est intégrée au calcul des droits à la retraite, est la contrepartie du statut spécial qui prive les personnels du droit de grève.

Les autres points de l'accord n'ont pas de conséquence sur le budget de 2001 puisqu'il s'agit seulement d'accélérer les recrutements. L'objectif est notamment d'anticiper l'inscription au budget de 2002 des emplois nécessaires au remplacement plus complet des surveillants absents pour des raisons de service. Le taux de couverture passerait de 16 à 19 % des effectifs théoriques.

L'accélération des recrutements concernera aussi un petit volant de personnels administratifs - 50 - et techniques - 30 - par anticipation d'un rattrapage pluriannuel qui sera engagé dès 2002.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Voilà un gouvernement qui tient ses engagements !

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

La commission n'a pas eu l'honneur d'être saisie de l'amendement, auquel je suis favorable à titre personnel.

Mme Nicole Bricq.

Et à titre politique aussi !

Mme la présidente.

La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin.

Nous saluons l'effort réalisé par le Gouvernement à l'égard du personnel pénitentiaire.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Très bien !

M. Hervé Morin.

Je dois dire qu'après avoir visité, dans le cadre de la commission d'enquête, sept établissements, j'ai jugé particulièrement inacceptables les procès faits à l'encontre des personnels pénitentiaires.

Ces personnels font leur travail dans des conditions très difficiles. Certes, comme dans toute catégorie de population, il en existe de bons et de moins bons mais, globalement, ils font un « boulot » extraordinaire, et ils sont loin des petits « kapos » qu'on a parfois voulu nous présenter. Ce sont des hommes et des femmes qui souhaitent avant tout bénéficier des meilleures conditions de travail pour effectuer au mieux leurs missions, notamment leur mission de réinsertion, dont ils ont pleinement conscience.

Le but de mon propos est de vous répéter, madame la ministre, ce que nous vous avons déjà dit en commission : il faut améliorer la gestion des ressources humaines dans les établissements. A ce propos, je vous ai d'ailleurs cité le cas d'une maison d'arrêt.

Il est inacceptable, alors que l'administration connaît à l'avance les départs et les périodes de formation, que le personnel de chaque établissement se retrouve dans une situation de sous-effectifs notoire. Il faut instaurer une gestion des effectifs un peu plus correcte, digne d'une administration qui aborde le siècle nouveau.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no 159.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Je mets aux voix les crédits du titre III, modifiés par l'amendement no 159.

(Les crédits du titre III, ainsi modifiés, sont adoptés.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix le titre IV.

(Le titre IV est adopté.)

Mme la présidente.

Le Gouvernement a présenté un amendement, no 160, ainsi rédigé :

« Sur le titre V de l'état C, concernant la justice, m ajorer les autorisations de programme de 1 000 000 000 francs. »

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Cet amendement vise à inscrire 1 milliard de francs d'autorisations de programme supplémentaire afin que l'étude des dossiers et les appels d'offres puissent se faire aussi rapidement que possible.

Il ne s'agit donc pas simplement de ce que l'on a qualifié d'un mot que je veux oublier...

M. Jean-Luc Warsmann.

M. Floch a parlé d'un

« signal » !

Mme la garde des sceaux.

S'il s'agit d'un signal, c'est d'un signal d'action car, sans cette inscription, nous ne pourrions ni monter les dossiers ni procéder, en fin d'année, aux appels d'offres.

Mme la présidente.

Quel est l'avis de la commission ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

La commission des finances n'a pas non plus été saisie de cet amendement.

Mme la garde des sceaux nous a expliqué que ce gouvernement avait souvent augmenté les crédits et de manière importante, plus importante que celui auquel il avait succédé, et que c'était un motif de grande satisfaction. Certes, mais examinons les taux de consommation des crédits de paiement. En 1997, le taux de consommation des crédits de paiement en matière pénitentiaire était de 88 %...

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

A quelle somme cela correspond-il ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

A 365 millions.

En 1998, il était de 65 %, soit 236 millions de francs.

Vous voyez, mon cher collègue, que l'on a consommé plus de cent millions de moins.

En 1999, le taux de consommation réelle était de 37,80 %, soit 303 millions. Là encore, on est loin d'atteindre le taux de 1997.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

C'est parce que nous avons réalisé les programmes !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

En ce qui concerne le budget de 2000, les crédits de paiement disponibles étaient de 1,98 milliard de francs. Au 30 juin - mais l'année n'est pas terminée -, seuls 239 millions étaient consommés, soit 21,80 %. Il est très probable que le milliard de francs de crédits de paiement disponible ne sera pas consommé cette année. Dans de telles conditions, ajouter 1 milliard supplémentaire n'a qu'un pur effet d'affichage.

Vous affichez plus d'argent que l'ancienne majorité, mais vous en dépensez moins !

Mme la présidente.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

M. Devedjian est trop averti pour ne pas savoir que s'il y a un peu plus de 1 milliard de crédits de paiement disponibles, donc potentiels puisqu'ils n'ont pas été consommés, c'est parce qu'ils résultent d'autorisations de programme, c'est-à-dire de la décision politique qui a été prise au cours des années précédentes.

Sans doute y a-t-il aussi des crédits de paiement quir ésultent d'autorisations de programme décidées avant 1997.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Bien sûr !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Pourquoi est-il essentiel d'inscrire 1 milliard supplémentaire cette année ? Pour enclencher une procédure qui se terminera par une réalisation. Sans autorisations de programme, on ne peut pas lancer de consultation. Ainsi, ajouter 1 milliard d'autorisations de programme c'est, dans le cadre du fonctionnement de l'Etat aujourd'hui, permettre, entre autres, des études de programmation, de faisabilité, de recherches foncières, des cahiers des charges, des appels d'offres.

Nous avons une programmation de 10 milliards qui s'étend sur six ans. Nous allons charger un établissement public de la mettre en oeuvre. Mais rien n'empêche, une fois cet établissement créé, de définir le programme et de lancer les avant-projets sommaires, les études sur les cahiers des charges et les consultations d'appels d'offres dès la première année pour l'ensemble des six années.

Ainsi, lorsque les crédits de paiement seront, le moment venu, dégagés, il n'y aura plus qu'à décider des appels d'offres et à lancer les travaux.

Le milliard dont il s'agit n'a pas seulement un effet d'affichage : il permettra de décider de lancer un certain nombre de consultations sur des projets précis. C'est une excellente chose, qui vient confirmer que ce gouvernement, lorsqu'il annonce des choses, les met en oeuvre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin.

Il ne faudrait pas que la politique pénale, compte tenu de la proximité des échéances électorales qui rendent très incertaines une grande loi de rénovation pénitentiaire, se réduise à un simple programme immobilier.

La rénovation de notre politique pénitentiaire touche aussi à la réinsertion, au sens et à la durée de la peine ainsi qu'à la pénalisation d'un certain nombre d'affaires qui relevaient auparavant du civil. Depuis que l'on a aboli la peine de mort, en 1981, on ne s'est jamais interrogé sur le sens de la peine, alors que cette réflexion me semble capitale.

En abrogeant la peine de mort, on a fait une partie du chemin, mais aujourd'hui il faut que la société française s'interroge : à quoi correspond la prison ? Est-ce un moment et un lieu où l'on écarte des personnes jugées dangereuses, sans se préoccuper de leur réinsertion ? Au contraire, s'agit-il d'un moment et d'un lieu où l'on essaie d'éviter la récidive ?

M. François Colcombet.

Vous enfoncez des portes ouvertes !

M. Hervé Morin.

Il ne faudrait surtout pas que nous considérions que tout est acquis par ces simples autorisations de programme, et que des crédits constituent la seule réponse aux questions que la commission d'enquête a posées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

M. Jean-Luc Warsmann.

De toute façon, les dépenses seront faites après 2002, c'est-à-dire après les prochaines élections législatives !

Mme la présidente.

La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Notre collègue M. Morin, qui a été un éminent membre de la commission d'enquête sur les prisons, sait que nous avons ensemble écrit tout cela dans notre rapport. Nous avons pensé qu'il ne fallait pas se préoccuper seulement d'immobilier, mais aussi se pencher sur le sens de la peine.

C'est bien pour cela que nous avons posé la question : à quoi sert la prison ? Si le Gouvernement n'avait pas donné ce signe important par son amendement no 160, vous nous auriez dit, dans l'opposition, que notre rapport n'aurait fait que rejoindre d'autres rapports sur les étagères et qu'il aurait fini par être recouvert d'une épaisse couche de poussière.

Les rapports, ce n'est pas ce qui manque ! J'ai trouvé à la bibliothèque de l'Assemblée nationale quatre-vingts textes qui parlent de la prison. On sait que ces textes existent. Mais en l'occurrence, il s'agit de faire un geste fort. Comme l'a dit M. le rapporteur Devedjian, il y a de l'argent dans la caisse...

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Largement !

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

... pour réaliser un certain nombre de travaux. Mais ajouter un milliard de francs n'est pas simplement un symbolique : cela permet d'engager tout de suite le processus.

Nous veillerons...

M. Jean-Luc Warsmann.

Nous veillerons tous ensemble !

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

... avec vous, parce que c'est notre travail de parlementaires, à ce que le Gouvernement fasse le meilleur usage de cet argent.

Nous veillerons aussi à ce que la future loi pénitentiaire soit effectivement l'occasion de revoir la fonction de la prison dans une société comme la nôtre.

Nous nous réjouissons que le Premier ministre ait annoncé à la fois des crédits supplémentaires et une grande loi pénitentiaire.

Tout cela doit se concevoir en dehors des périodes électorales. Vous ne gagnerez pas une seule voix parce que vous avez été rapporteur ou membre de la commission d'enquête sur les prisons. Par contre, nous serons les uns et les autres très honorés si nous avons fait faire un pas important vers l'humanisation des prisons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente.

La parole est à M. Jacques Masdeu-Arus.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Le président de la commission des lois a fait une interprétation du milliard supplémentaire que je partage tout à fait : il faut une inscription de crédits car, sans ligne budgétaire, on ne peut lancer d'études ni acheter les terrains nécessaires à une nouvelle construction ou à une extension. Mais la chute de son raisonnement me fait un peu de peine.

Il a en effet insisté sur le fait que le Gouvernement faisait des annonces et qu'il respectait ses décisions. Mais pour ce faire, on n'a pas besoin d'un milliard : avec un million ou deux, on peut lancer des études et utiliser les fonds qui ne sont pas consommés sur le milliard de l'an dernier.

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Vous auriez dit que c'était insuffisant !

Mme la présidente.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Globalement, les interventions portent sur l'immobilier et sur le sens de la peine.

Les rapports des commissions d'enquête parlementaires ont été largement pris en compte. Nous devrions tous nous en satisfaire car, si ces rapports n'avaient pas eu de suite, cela aurait été terrible à la fois pour le personnel pénitentiaire et pour ceux qui sont détenus en prison.

Qu'il s'agisse du budget de l'Etat ou de ceux des collectivités locales, la même difficulté se pose : leur taux d'exécution est lié à un système de cycle. Les années 1996-1997 correspondent à une fin de cycle, tout comme l es années 1998-1999-2000 correspondent au programme 4000.

Quand on lance un programme, il faut du temps pour étudier les besoins, la localisation, etc. La passation des marchés publics demande à peu près douze mois de délai, - et encore, quand les appels d'offres aboutissent dès la première fois. En fin de cycle, en revanche, la consommation des crédits s'accélère. En l'occurrence, nous arrivons à la fin du programme 4000, comme je l'ai dit tout à l'heure.

Le phénomène est le même pour le programme annoncé par le Premier ministre. Nous aurions eu tort de ne pas inscrire le milliard d'autorisations de programme, parce que cela aurait abouti à reporter l'ensemble de l'étude des dossiers. Je pense même à la recherche dont vous avez parlé tout à l'heure s'agissant du TGI de Paris.

Concernant la localisation des établissements pénitentiaires, j'ai entendu parler de Lyon. La grande difficulté, en cas de reconstruction, c'est de trouver le terrain. Et puis, comme les gens ne vont pas tous sortir pendant ce temps-là, il faut faire des opérations « dominos ». C'est extrêmement délicat à organiser si l'on veut que cela se passe dans de bonnes conditions et éviter qu'un service soit supprimé pendant six mois ; dans un établissement pénitentiaire, ce serait inadmissible.

Bref, sur ce cycle comme sur les autres, monsieur Devedjian, il faut savoir qu'il y aura des pics de consommation de crédits. Il en a toujours été ainsi dans les marchés publics.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

L'argent est d'ores et déjà disponible !

Mme la garde des sceaux.

Monsieur Devedjian, cet argent disponible va nous servir à terminer le programme 4000. Si on n'avait pas inscrit ce milliard, vous auriez dit que le Gouvernement ne faisait rien. De toute façon, je savais que l'opposition ne serait pas satisfaite,...

M. Jacques Floch, rapporteur pour avis.

Mais si, ils sont satisfaits !

Mme la garde des sceaux.

... même si, dans son for intérieur et en commission, j'ai bien senti qu'elle saluait le travail fourni pour l'immobilier pénitentiaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'amendement no 160.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente.

Je constate que le vote est acquis à l'unanimité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Je mets aux voix les autorisations de programme du titre V, modifiées par l'amendement no 160.

(Les autorisations de programme du titre V, ainsi modifiées, sont adoptées.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix les crédits de paiement du titre V.

(Les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

Mme la présidente.

Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

Article 61

Mme la présidente.

J'appelle l'article 61 rattaché à ce budget.

« Art. 61. - Les trois premiers alinéas de l'article 4 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique sont ainsi rédigés :

« Le demandeur à l'aide juridictionnelle doit justifier, pour l'année 2001, que ses ressources mensuelles sont inférieures à 5 175 francs pour l'aide juridictionnelle totale et à 7 764 francs pour l'aide juridictionnelle partielle.

« Ces plafonds sont affectés de correctifs pour charges de famille.

« Ils sont revalorisés, au 1er janvier de chaque année, comme la tranche la plus basse du barème de l'impôt sur le revenu. ».

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, inscrit sur l'article.

M. Jean-Luc Warsmann.

La loi du 18 décembre 1998, relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, a quasiment deux ans. Or, nous ne disposons toujours pas des textes d'application de cette réforme concernant l'aide juridictionnelle, notamment en cas de transaction avant saisine d'une juridiction. Ce sujet n'ayant pas été évoqué depuis le début du débat, je tenais à le faire.

Par ailleurs, de nombreux cabinets d'avocat se trouvent dans une situation économique impossible, du fait de la non-revalorisation de l'unité de valeur et des tâches supplémentaires consécutives à l'application, dès le 1er janvier prochain, de la loi du 15 juin 2000 : appel en assises, interventions supplémentaires tout au long du processus de la détention, notamment devant le juge des libertés. Il y aurait eu là matière à une intervention du Parlement.

J'avais défendu en commission l'amendement de mon collègue Houillon qui hélas ! n'a pas pu être appelé en séance. Je regrette donc que nous ayons débattu du budget de la justice sans apporter de solution à ce problème urgent qui se pose dans presque tous les départements de France.

Pour le reste, l'article 61 prévoit une revalorisation des seuils de 4,2 %. Nous la voterons. Mais nous regrettons surtout, dans cet article, ce qui manque.

Mme la présidente.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Vous avez raison, monsieur Warsmann, le décret d'application de la loi de 1998 n'est pas sorti. Il se trouve que pour des raisons de méthode, on a préféré rédiger en même temps ce décret et le décret d'application de la loi du 15 juin 2000.

Depuis jeudi, ils sont soumis à la concertation auprès des professionnels.

M. Jean-Luc Warsmann.

Ces décrets doivent sortir quand ?

Mme la garde des sceaux.

Quatre semaines après la concertation !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois.

Encore un dossier qui avance !

M. Jean-Luc Warsmann.

Avec deux années de retard !

Mme la garde des sceaux.

Nous avons demandé aux représentants de la profession de bien vouloir nous faire parvenir leurs remarques dans les quinze jours.

Mme la présidente.

Je mets aux voix l'article 61.

(L'article 61 est adopté.)

Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de la justice.

La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

Mme la présidente.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2001, no 2585 : M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (rapport no 2624).

Ville (nouvelle procédure) : M. Pierre Bourguignon, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (annexe no 24 du rapport no 2624) ; Mme Chantal Robin-Rodrigo, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (tome XII de l'avis no 2625).

M. André Santini, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges (tome X de l'avis no 2629).

Enseignement supérieur (nouvelle procédure) : M. Alain Claeys, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (annexe no 18 du rapport no 2624) ; M. Jean-Jacques Denis, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (tome VI de l'avis no 2625).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 2000

Enseignement scolaire : M. Jacques Guyard, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (annexe no 17 du rapport no 2624) ; M. Yves Durand, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (tome V de l'avis no 2625).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT