page 09494page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE LEQUILLER

1. Interruption volontaire de grossesse et contraception. Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi (p. 9495).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure de la commission des affaires culturelles.

Mme Danielle Bousquet, au nom de la délégation aux droits des femmes.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 9503)

Exception d'irrecevabilité de M. de Villiers : M. Philippe d e Villiers, M. le président, Mmes Nicole Bricq, Muguette Jacquaint. - Rejet.

QUESTION PRÉALABLE (p. 9508)

Question préalable de M. Mattei : M. Jean-François Mattei,

Mme Véronique Neiertz.

M. le président.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 9514).


page précédente page 09495page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PIERRE LEQUILLER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE ET CONTRACEPTION Discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (nos 2605, 2702).

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, la pratique par les femmes de la contraception et de l'avortement a d'abord été un tabou et, à ce titre, sévèrement réprimée. Elle a ensuite été tolérée et libéralisée. Enfin, elle est deven ue un droit.

Les préoccupations démographiques, particulièrement fortes en France après la guerre, et l'idéologie conservatrice ont longtemps dominé. On parlait de régulation des naissances, de maternité consentie, pudiquement. Il a fallu l'aspiration à la liberté individuelle, il a fallu que les femmes revendiquent la liberté de disposer de leur corps, pour que l'on parle enfin de contraception et d'avortement.

Ce combat fut long et difficile. Le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, le Premier ministre a rappelé que le XXe siècle a été, dans le domaine de l'émancipation des femmes, un long temps de lutte contre les conservatismes.

Il aura fallu bien des débats, bien des engagements militants pour que les femmes accèdent à la liberté et à l'égalité des droits : égalité avec les hommes et conquête de la démocratie acquise avec le droit de vote, mais aussi avec la parité en politique ; liberté de disposer de son salaire et accession à l'égalité professionnelle ; liberté de maîtriser sa fécondité, liberté sexuelle.

Ces droits et libertés, les femmes les doivent à leur combat à elles, à celui des associations féministes, au courage aussi d'hommes et de femmes politiques.

Parmi ces combats, celui pour accéder au droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse a été, nous le savons, l'un des plus difficiles. N'oublions pas comment se sont déchaînées, à l'époque, les passions, les violences, les intolérances.

« Notre corps nous appartient ! » Ce fut le scandale du manifeste des « 343 salopes » élaboré par le Mouvement des femmes en 1971. Ce fut l'association « Choisir », la marche internationale des femmes le 20 novembre 1971, la création du Mouvement pour la libéralisation de l'avortement et de la contraception qui fédérera les associations féministes, mais aussi les partis politiques de gauche, et ralliera une partie du corps médical - manifeste des 331 médecins. Ce sont ces actions qui ont permis aux femmes de se rassembler dans un grand mouvement de masse.

Pourquoi cela a-t-il pu se dénouer si vite ? Parce que les femmes, quelle que soit leur origine, quel que soit leur milieu social et quel que soit leur âge, partageaient toutes la même condition, celle du silence, de la culpabilité et du danger. Ensemble, les femmes ont eu le courage de faire sortir l'avortement de la sphère du privé, de la décision purement individuelle pour le revendiquer publiquement, sans craindre d'affronter la loi et la prison, les menaces et les injures qui les traitaient de criminelles.

Petit à petit, de procès gagné en débat public, grâce à leurs provocations parfois et à leur rassemblement, les femmes ont réussi à l'emporter sur les positions les plus intransigeantes.

Cette conquête, irréversible, comme le dit Mme Bousquet dans le rapport d'information parlementaire présenté au nom de la délégation aux droits des femmes, s'est traduite par la loi du 28 décembre 1967, que l'on doit à Lucien Neuwirth, sur la régulation des naissances, et par la loi du 17 janvier 1975, que l'on doit à la ténacité et au courage personnel de Simone Veil. Cette loi relative à l'interruption volontaire de grossesse a été discutée dans cette même assemblée pour la première fois les 26, 27 et 28 novembre 1974, il y a très exactement vingt-six ans aujourd'hui.

N'oublions pas ces débats. N'oublions pas les femmes et les hommes qui se sont battus pour qu'ils aient lieu et pour qu'ils aboutissent à la reconnaissance de droits nouveaux.

N'oublions pas non plus que le temps où la contraception était assimilée à de la provocation à l'avortement et à de la propagande anticonceptionnelle punies de prison n'est pas si loin ! Pas si loin non plus le temps où les femmes devaient suivre leur courbe de température comme seul moyen de contraception autorisé. Pas si loin le temps où l'on ne pouvait pas chosir d'être mère ou d'être parent.

Nous nous devons de faire en sorte que ce qui a été si chèrement gagné par nos aînés soit aujourd'hui partout respecté.

Faire respecter partout les droits des femmes, le premier de ces droits étant la maîtrise de son corps : c'est une déclaration du Premier ministre du 8 mars 2000.

C'est cet objectif que le Gouvernement, depuis 1997, s'est engagé avec détermination à faire respecter sans accepter le moindre recul en matière de droits des femmes, encore moins s'agissant du droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse.


page précédente page 09496page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Le Gouvernement s'est aussi engagé à prendre des mesures destinées à en assurer l'exercice effectif, des mesures qui tiennent compte de trois impératifs : faire progresser les droits des femmes en leur donnant les moyens de leur autonomie, de leur liberté et de leur responsabilité en matière de maîtrise des naissances ; améliorer la santé publique en s'attachant à faciliter l'accès à l'information, à la contraception, en améliorant les conditions de recours, en dernier ressort, à l'interruption volontaire de grossesse ; garantir une égalité d'accès aux moyens de contraception et d'IVG en luttant contre les inégalités sociales.

Le projet de loi que nous allons examiner dans un instant s'intègre dans cette politique volontariste que mène le Gouvernement depuis trois ans et que je vais maintenant rappeler.

La première des priorités de cette politique est de prévenir les grossesses non désirées en assurant un meilleur accès à la contraception.

Mme Yvette Roudy.

Ça, c'est fondamental !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Fondamental, en effet.

En dépit d'un recours à la contraception parfaitement honorable en France relativement à nos pays voisins - plus de deux Françaises sur trois entre vingt et quaranteneuf ans utilisent une méthode contraceptive -, nous ne sommes pas parvenus à réduire le nombre de grossesses non désirées.

Le nombre d'interruptions volontaires de grossesse reste élevé dans notre pays, plus de 200 000 par an, et il y a 10 000 grossesses non désirées chez les adolescentes, dont 7 000 conduisent à une interruption volontaire, près d'une femme sur trois ayant été confrontée au cours de son existence à une telle décision.

Les échecs contraceptifs restent donc trop fréquents.

Une enquête récente de l'INSERM, dont l'une des auteurs a été entendue par la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée, nous éclaire sur les raisons de ces échecs.

Réalisée à partir d'entretiens avec des femmes sur un échantillon diversifié d'un point de vue sociodémographique et rendant compte de toutes les catégories sociales et de tous les cas de situations de couples possibles, cette enquête fait apparaître qu'il est inapproprié de parler de femmes à risques, mais qu'il existe des situations à risques : l'échec s'explique par des difficultés inhérentes à la pratique contraceptive et à la trajectoire personnelle de la femme.

Il y a les accidents de méthode - préservatifs défectueux, oubli de la pilule -, l'infertilité supposée ou bien la méthode inadéquate prescrite par le médecin, mais la contraception est parfois aussi un enjeu des rapports entre l'homme et la femme dans leur relation ; l'homme qui ne veut pas utiliser le préservatif ou la femme qui ne supporte pas la pilule.

Dans le cas particulier des mineures, nous savons que plus de 10 % des adolescentes ont leur premier rapport sexuel sans contraception. Pour la majorité des jeunes filles, on constate un déficit d'information sur les méthodes contraceptives possibles et sur leur fonctionnement.

C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de lancer une grande campagne, après celle qui avait été lancée par Yvette Roudy en 1983, qui a été la première de ce genre, mais qui, c'est vrai, n'avait plus tellement été relayée ensuite.

Mme Yvette Roudy.

Parce qu'on n'a pas voulu !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous avons repris ces campagnes il y a deux ans et nous avons la volonté de les réitérer régulièrement.

Mme Yvette Roudy.

Ça, c'est bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Par le thème de la dernière campagne « La contraception, à vous de choisir la vôtre », nous avons voulu signifier que la question n'est plus « la » contraception, mais « quelle » contraception.

Les éléments de bilan dont nous disposons concernant cette campagne nous ont convaincus non seulement de la reconduire en 2001, mais aussi de la réitérer régulièrement, ne serait-ce que pour que soit systématiquement touchée toute nouvelle génération d'adolescents concernés.

Du reste, les initiatives locales sur le thème de la contraception, impulsées pour relayer la campagne média sur le terrain continuent de se multiplier sur tout le territoire. Elles font systématiquement salle comble et tous les experts s'accordent à dire que cette appropriation par tous les acteurs locaux est probablement la plus à même de favoriser les changements de comportement.

Je voudrais citer un certain nombre d'exemples de ces initiatives locales, parce que nous savons que c'est elles qu'il faut soutenir : l'utilisation des bus-bibliothèques pour faire partager les expositions de la campagne, des bus itinérants de la caisse primaire d'assurance maladie comme en Alsace pour distribuer les guides, l'organisation à La Ciotat de « petits déjeuners santé » regroupant médecins, infirmières et jeunes formés à la contraception afin qu'ils puissent à leur tour former d'autres jeunes. Le gouvernement a aussi pris des dispositions pour faciliter l'accés de toutes les femmes à tous les contraceptifs disponibles sur le marché.

Nos efforts pour développer une politique active en matière de contraception se sont également concentrés sur l'accès à la contraception lui-même.

Plusieurs dispositions ont été prises, en premier lieu, pour tenir compte du coût de la contraception et de son remboursement.

Le recours au stérilet, utilisé par 16 % des femmes seulement, était pénalisé pour des raisons financières. Le prix de vente au public des stérilets en cuivre se situait aux alentours de 300 francs alors que le remboursement par la sécurité sociale était limité à 44 francs.

M. Bernard Charles.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Depuis le 29 août 2000, le prix maximal de vente au public est de 142 francs, remboursable à hauteur de 65 %, si bien que la partie restant à charge n'est plus que de 49,70 francs, alors qu'elle pouvait atteindre 250 francs, et je rappelle que la prise en charge est de 100 % pour les bénéficiaires de la CMU.

L e Gouvernement s'est par ailleurs efforcé de convaincre les industriels concernés de mettre sur le marché une pilule de troisième génération à un prix accessible et remboursable par la sécurité sociale. Les pilules de troisième génération, nous le savons, sont plus chères que les autres - 160 francs pour trois mois de traitement, alors que les pilules de la deuxième génération coûtent en moyenne 90 francs - et ne sont pas remboursables. Le comité économique du médicament a entrepris les négociations nécessaires, sur la base d'un prix raisonnable, pour le remboursement. La mise sur le marché devrait intervenir au cours du premier trimestre 2001.


page précédente page 09497page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

D'autres dispositions visent à rendre disponibles certains contraceptifs.

Le Gouvernement a incité à la mise sur le marché des p remières pilules du lendemain : le Tétragynon en d écembre 1998 et le Norlevo, en accès libre, en juin 1999. Pour accompagner ces efforts, l'ancienne ministre déléguée à l'enseignement scolaire, Ségolène Royal, aujourd'hui ministre déléguée à la famille et à l'enfance, a décidé, fin 1999, d'autoriser les infirmières scolaires à délivrer le Norlevo aux adolescentes qui leur en feraient la demande. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) La proposition de loi qui est débattue actuellement vise justement à permettre l'accès sans prescription médicale aux contraceptifs d'urgence et non susceptibles de présenter un danger pour la santé. Elle vise aussi à permettre la prescription et la délivrance de ces mêmes contraceptifs aux mineures qui désirent garder le secret et à autoriser l'administration de ces contraceptifs par les infirmières en milieu scolaire.

La seconde priorité de la politique volontariste que mène le Gouvernement est d'améliorer, quand aucun autre choix n'est possible, l'accès à l'interruption volontaire de grossesse.

Quelles que soient les circonstances qui conduisent à la décision d'interrompre la grossesse, la prise de décision et l'interruption volontaire de grossesse elle-même sont des épreuves douloureuses pour les femmes.

Mme Yvette Roudy.

C'est vrai !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Il ne faut pas que cette épreuve soit rendue encore plus difficile à vivre par les conditions d'accès à l'interruption volontaire de grossesse, par les délais d'intervention, par les conditions d'accueil défectueuses ou par l'inexistence ou le manque d'information.

C'est pour ces raisons qu'il importait d'accorder une priorité à l'amélioration de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Cette amélioration passe essentiellement par des mesures en direction des femmes et pour elles.

Les décisions prises en 1999 visent à répondre aux difficultés, soulignées notamment par le professeur Nisand dans son rapport sur les inégalités d'accès à l'IVG qui subsistent malheureusement dans le secteur public.

Il faut aussi renforcer les équipes hospitalières et médicales. Pour cela, une enveloppe budgétaire de 12 millions de francs a été affectée au titre du budget 2000. Ces moyens ont été répartis par région, en particulier en faveur de celles étant identifiées comme ayant le plus de difficultés pour assurer la continuité de cette activité dans le service public.

Pour améliorer encore cette continuité du service public pendant la période estivale, une circulaire a été adressée à toutes les régions pour leur demander de mettre en place avant le 1er juillet une permanence téléphonique pour écouter les femmes, pour les informer, pour les orienter en fonction du planning de permanence d es hôpitaux en matière d'IVG. Une somme de 60 000 francs a été attribuée à chaque région dès le mois de mai pour aider au financement de la mise en place de cette permanence. Cette dotation sera reconduite de façon pérenne.

Une circulaire a été adressée le 17 novembre 1999 à tous les directeurs d'établissement pour faciliter l'accès de toutes les femmes à toutes les techniques d'interruption volontaire, y compris médicamenteuses, quel que soit le centre d'interruption volontaire sollicité.

Il a par ailleurs été demandé à l'Agence française de sécurité sanitaire d'examiner les possibilités d'élargir les indications de la Mifegyne, c'est-à-dire du RU 486. Elle ne peut aujourd'hui s'utiliser que jusqu'au quaranteneuvième jour ; son extension jusqu'au soixante-troisième jour est à l'étude.

Les missions des commissions régionales de la naissance ont été élargies. Elles sont désormais chargées de faire en sorte qu'il existe dans chaque région un lieu d'information et d'orientation sur la contraception et sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Elles ont aussi pour mission d'élaborer un rapport annuel d'activité sur l'IVG dans la région et sur les difficultés qui peuvent être rencontrées.

L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé, l'ANAES, a été sollicitée pour élaborer à l'intent ion des professionnels des recommandations de bonne pratique en matière d'interruption volontaire de grossesse et pour intégrer aux critères d'accréditation des établissements le bon fonctionnement de leur activité en matière d'interruption volontaire de grossesse.

Depuis la mise en place de ces dispositions, l'accessibilité des centres d'interruption volontaire de grossesse est régulièrement évaluée, de même qu'est évaluée l'effica cité des différentes autres mesures prises.

Lors de l'examen du projet de loi de finances, il a été souligné que l'effort fait par le Gouvernement pour améliorer les conditions d'accès à l'IVG serait poursuivi à hauteur de 15 millions de francs en 2001. La répartition des nouveaux crédits alloués se fera en fonction des résultats des dernières enquêtes que nous avons commanditées l'été dernier sur l'accessibilité de l'interruption volontaire de grossesse par département, y compris dans les départements d'outre-mer, ainsi que sur les difficultés recensées par les agences régionales d'hospitalisation, région par région.

Je tiens à rappeler, à ce stade de la discussion, que ces deux volets de l'action gouvernementale sont très importants, voire sont les plus importants en termes de santé publique. Il convient de poursuivre cette action.

Il faut relancer la campagne en faveur de la contraception et l'inscrire de façon systématique et annuelle au programme de communication des pouvoirs publics.

Il convient de poursuivre l'effort commencé en faveur de l'accessibilité, de la consolidation et de l'intégration de l'activité IVG dans l'hôpital public.

Le projet de loi que nous présentons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité de ces efforts.

Quelles sont les modifications législatives que je vous propose aujourd'hui au nom du Gouvernement ? S'agissant de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, le texte du Gouvernement contient trois modifications principales : l'allongement du délai légal de recours de dix à douze semaines de grossesse ; l'aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineures souhaitant avoir recours à l'IVG ; la suppression des sanctions pénales liées à la propagande et à la publicité en faveur de l'IVG.

L'objectif de la mesure tendant à porter de dix à douze semaines de grossesse le délai légal de recours est d'éviter que des femmes ayant pris la décision d'avoir recours à une IVG soient contraintes, parce qu'elles sont hors délais, de partir à l'étranger ou d'avoir recours à une interruption médicale de grossesse.

Le dépassement des délais légaux est, nous le savons, le plus souvent le fait soit de très jeunes femmes, soit de femmes en situation de vulnérabilité socio-économique


page précédente page 09498page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

ou socio-culturelle ne leur permettant pas de prendre en main une telle décision ou d'envisager d'effectuer une telle démarche à l'étranger tant une telle perspective les désarme.

Ces femmes ont dépassé les délais, soit parce qu'elles ont nié cette grossesse, et c'est plus fréquent qu'on ne le pense,...

Mme Béatrice Marre.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... soit parce qu'elles ne connaissent pas leur corps, et c'est également plus fréquent qu'on ne le pense, soit qu'elles n'ont pas eu l'information nécessaire, soit encore parce qu'elles sont tout simplement en situation de désarroi face aux démarches à entreprendre.

Les raisons de ce dépassement sont, on le voit, le plus souvent d'ordre social. Elles ne relèvent donc pas d'une indication d'interruption médicale de grossesse. J'insiste sur ce point : il n'est pas question, dans l'actuel projet de loi, de revenir sur la distinction opérée par la loi de 1975 entre l'interruption de grossesse voulue par la femme parce que son état la place en situation de détresse et l'interruption volontaire de la grossesse pour cause médicale liée à la santé de la mère ou à la probabilité que l'enfa nt à naître soit atteint d'une grave maladie incurable.

Selon nos estimations, l'allongement de dix à douze semaines du délai légal de recours à l'IVG, associé aux différentes mesures visant à faciliter l'accès à l'IVG, devrait permettre de réduire de plus de 80 % le nombre de femmes souhaitant avoir recours à l'IVG alors qu'elles sont hors délai.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Ce n'est pas vrai !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Avant de prendre cette décision, le Gouvernement a souhaité vérifier qu'il n'existait aucune contre-indication technique à cet allongement. L'avis de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation du système de santé est clair : il n'y a pas d'obstacles, ni en termes médicaux ni en termes de sécurité sanitaire, à ce que ce délai d'accès à l'IVG soi t porté à douze semaines comme c'est le cas dans la plupart des pays européens. Je vous renvoie à cet égard au rapport publié par le Sénat en février dernier, qui fait une lecture comparée très instructive des dispositifs législatifs existant en Europe.

Mme Odette Grzegrzulka.

Pour une fois !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Permettez-moi de vous rappeler que les débats de 1975 n'ont jamais fait état d'arguments particuliers en faveur de ce choix d'arrêter le délai légal de recours à l'IVG à dix plutôt qu'à douze semaines. Il n'y a pas eu de débat sur cette question. Et si le délai légal actuel est plus court chez nous qu'ailleurs, c'est uniquement dû au fait que notre législation, ouvrant un chemin difficile, a été l'une des premières à avoir été adoptée.

Quant à la question de savoir si la proposition d'allongement du délai est, d'un point de vue éthique, acceptable ou non au regard des risques de dérive eugénique, elle a été posée par le président du Sénat et par celui de l'Assemblée nationale au Comité national consultatif d'éthique. Celui-ci a rendu son avis vendredi dernier. Il souligne tout d'abord que la proposition d'allongement du délai résulte d'une demande de la société plutôt qu'elle n'est la conséquence d'un progrès médical scientifique. Il était important que le comité d'éthique puisse donner cette indication, car c'était un moyen pour lui de s'interroger sur sa compétence.

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

S'agissant des risques de dérive eugénique, en raison du progrès des connaissances et techniques, notamment dans le domaine de l'imagerie médicale, le Comité consultatif national d'éthique estime « qu'invoquer la connaissance facilitée par les progrès de l'échographie du sexe et des anomalies mineures pour empêcher l'allongement du délai légal apparaît excessif et, d'une certaine façon, attentatoire à la dignité des femmes et à celle des couples ».

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Mme Bachelot-Narquin applaudit également.) Je poursuis la citation : « C'est leur faire injure que de penser que la grossesse est vécue de façon si opportuniste que sa poursuite ou son arrêt ne tiendrait qu'à la seule connaissance du sexe ou des anomalies. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Selon l'avis du CCNE, le risque de dérive eugénique n'apparaît pas fondé.

Mme Yvette Roudy.

Pas du tout !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Ce même comité nous rappelle par ailleurs avec sagesse qu'il n'est pas question pour autant de se satisfaire d'un recours à l'IVG qui demeure trop fréquent, et plaide pour que les politiques publiques en faveur d'une prévention des grossesses non désirées soient plus incisives et plus efficaces.

Mme Béatrice Marre et Mme Yvette Roudy.

Exactement !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La modification que nous vous soumettons n'a donc d'autre fondement que de santé publique : il s'agit de prendre en compte les difficultés de populations particulièrement démunies et d'adopter une mesure destinée à leur faciliter l'accès à un droit déjà acquis, mais dont elles ont du mal aujourd'hui à bénéficier.

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Nous proposons donc que le délai légal de recours à l'IVG soit porté à douze semaines de grossesse. Si cette disposition est votée, des instructions seront ensuite diffusées aux services déconcentrés, pour que les femmes en situation de particulière difficulté ou de vulnérabilité puissent être prises en charge par des centres spécialement équipés en moyens à la fois humains et techniques appropriés, notre objectif étant que, progressivement, tous les centres offrent les mêmes niveaux d'accueil, de prise en charge et d'accompagnement.

Mme Béatrice Marre.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

La deuxième disposition du projet de loi qui vous est présenté consiste en l'aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineures.

Sur ce sujet, notre choix est de continuer d'affirmer dans la loi que l'autorisation parentale reste la règle.

M. Philippe de Villiers.

N'importe quoi !

Mme Raymonde Le Texier.

De quoi il se mêle celuilà ?

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

A l'heure où nous souhaitons marquer l'importance que nous accordons à la responsabilité parentale et à la conso-


page précédente page 09499page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

lidation des liens familiaux, il serait en effet paradoxal de démobiliser les parents à une période de la vie de la jeune fille où justement elle a le plus grand besoin d'accompagnement et de soutien.

Pour autant, dans le texte qui vous est soumis, nous avons pris le parti d'ouvrir une possibilité de dérogation à cette règle. On ne peut en effet ignorer certaines situations de détresse liées à des incompréhensions familiales.

Il y a des cas particulièrement douloureux - et je suis sûre que nous en connaissons tous et toutes - ...

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Tout à fait !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... où la jeune fille mineure ne peut, sans risque grave pour ellemême, parler à sa famille d'une interruption volontaire de grossesse. Il y a aussi des cas où les parents s'opposent à cette interruption. Il est enfin des cas où les représentants légaux ne sont pas joignables.

Nous suggérons donc la procédure suivante : dans le cas d'une jeune fille qui dit ne pas pouvoir obtenir l'autorisation parentale, le médecin prendra d'abord le temps du dialogue ; puis il tentera de la convaincre qu'il serait mieux pour elle que ses parents puissent l'accompagner dans cette période difficile de son existence ; enfin, si la jeune fille persiste dans son souhait de garder le secret, ou si, malgré son souhait, elle ne peut obtenir, pour une raison quelconque, le consentement de ses parents, alors son seul consentement, exprimé en tête-à-tête avec le médecin, emportera la décision.

M. Philippe Nauche.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mais pour que cette jeune fille ne reste pas seule tout au long de cette période difficile, elle choisira pour l'accompagner, après en avoir discuté au cours de l'entretien préalable, un adulte qui pourra être soit un des professionnels du centre d'IVG auquel elle se sera adressée, soit un adulte de son entourage proche. Cette discussion sur le c hoix de la personne susceptible d'accompagner la mineure permettra de s'assurer de la pertinence de ce choix.

Troisième disposition du projet de loi, la suppression des sanctions pénales que la loi prévoit actuellement à l'encontre de la propagande et de la publicité en faveur de l'IVG. Non seulement ces sanctions sont devenues obsolètes, mais surtout elles constituent un obstacle à la politique de prévention des grossesses non désirées que nous souhaitons mener.

A titre d'exemple, les permanences téléphoniques mises en place dans les régions pour informer les femmes sur les centres accessibles en matière d'IVG seraient susceptibles d'être sanctionnées du fait de la législation actuelle.

C'est pour cette raison que notre projet de loi entend abroger ces sanctions pénales.

Pour autant, le reste du dispositif pénal, qui sanctionne les recours à l'IVG en dehors du cadre posé par la loi et qui contient des dispositions au demeurant protectrices pour les femmes, est maintenu.

Dans ce même esprit, nous avons décidé d'abroger certaines des dispositions du décret-loi de 1939 relatif à la famille et à la natalité française. Il s'agit de celles qui pré voient une automaticité d'interdiction professionnelle pour les médecins ayant pratiqué illégalement des IVG.

Ces dispositions sont de toute façon contraires à la convention européenne des droits de l'homme.

Quant aux autres modifications apportées à la loi relative à l'IVG, elles répondent à l'essentiel de nos motifs de révision de la loi du 17 janvier 1975.

Nous avons souhaité intégrer deux autres modifications concernant l'organisation des IVG dans les établissements hospitaliers.

La première a pour objet d'ouvrir la possibilité qu'une IVG puisse éventuellement demain se pratiquer en ambulatoire si l'évolution des techniques et des pratiques de soins l'autorise. C'est le sens de la modification proposée de l'article L. 2212-1 : sa nouvelle rédaction permet que des IVG puissent être pratiquées en ville ou pour partie en ville, mais par des praticiens identifiés et ayant passé convention avec un établissement de référence, c'est-àdire dans le cadre d'un réseau de soins ville-hôpital.

Enfin, si le principe du droit du médecin à recourir à la clause de conscience lorsqu'il est sollicité pour pratiquer une IVG n'est bien sûr pas remis en cause, nous proposons néanmoins de modifier la loi pour faire en sorte que les responsables des services hospitaliers concernés ne puissent plus, sous le prétexte de la même clause de conscience, refuser d'organiser les IVG dans leur serv ice. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

En effet, s'il est parfaitement légitime que la clause de conscience puisse être invoquée au titre d'une pratique personnelle, tout chef de service d'un hôpital public n'en doit pas moins assumer les obligations de sa fonction.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Yvette Roudy.

C'est même son devoir !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Or la pratique des IVG est une mission de service public.

Mme Yvette Roudy.

Absolument !

Mme Odette Grzegrzulka.

Il fallait le rappeler !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Dès lors, il apparaît nécessaire que tout chef de service d'un hôpital public assume l'organisation de ce service, si la création de celui-ci a été décidée par l'établissement, a insi que le précise la loi hospitalière. Et c'est bien à ce service qu'incombe la mission dont je parlais à l'instant.

Il me reste à vous commenter les modifications que nous souhaitons apporter à la loi de 1967, relative à la régulation des naissances.

Ces modifications s'inscrivent également dans la continuité du plan mis en place en faveur de la contraception pour prévenir les grossesses non désirées. Il s'agit essentiellement de faciliter l'accès des mineures à la contraception.

Aujourd'hui, comme vous le savez, seuls les médecins des centres de planning sont autorisés à prescrire une contraception à une mineure sans autorisation parentale.

Nous proposons d'étendre cette autorisation à tous les médecins.

Mme Yvette Roudy.

Très bien !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Les autres propositions de modifications à ce chapitre de la contraception ont pour seul objet de prendre acte que le droit commun du médicament s'applique aux contraceptifs comme à n'importe quel autre médicament et que, de ce fait, le maintien dans le code de la santé publique de dispositions spécifiques aux contraceptifs n'a plus lieu d'être.


page précédente page 09500page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Je tiens à rassurer certains, que j'ai entendus s'inquiéter : les dispositions proposées ne tendent en rien à autoriser un accès libre à tous les contraceptifs sans prescription médicale. La nécessité de prescription médicale est définie dans le droit du médicament par des dispositions c ommunes s'appliquant à tous les médicaments, y compris aux contraceptifs. Ne sont exonérés de la nécessité de prescription médicale que certains médicaments répondant à des conditions de dosage et d'innocuité particulières. Parmi les contraceptifs disponibles sur le marché, seul aujourd'hui le Levonorgestrel répond à ces conditions.

La loi Neuwirth a besoin d'être allégée des dispositions redondantes qu'elle contient au regard des dispositions de l'actuel livre V du code de la santé publique qui n'existait pas en 1967. Mais cela n'intervient en rien sur les dispositions qui organisent la nécessité ou non de prescription médicale qui restent, quant à elles, inchangées.

Voilà, mesdames, messieurs les députés, ce que je voulais vous dire ce matin en introduction à nos débats sur ce très important sujet.

Je terminerai en remerciant Danielle Bousquet et Martine Lignières-Cassou, qui ont fourni un travail considérable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Leur investissement personnel a été un élément important du texte que nous sommes aujourd'hui en mesure de présenter à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la rapporteure de l a commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de rendre hommage, avec un sentiment de profonde reconnaissance, aux associations féministes, aux médecins, aux femmes et aux hommes politiques qui, dans cette enceinte ou à l'extérieur, ont par leur action permis aux femmes de maîtriser leur fécondité et, par là même, de maîtriser leur vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Cette conquête des droits des femmes est un progrès pour l'humanité. Ne plus subir la vie comme une fatalité, mais la choisir : ce progrès, nous le mesurons quand nous tournons nos regards vers l'ensemble du monde, et en particulier vers les pays en développement.

Le texte en discussion porte à la fois sur la contraception et sur l'IVG. Cette volonté de démarche globale, nous la partageons. Comme l'a rappelé Martine Aubry devant la délégation aux droits des femmes et comme vous venez vous-même de le faire, madame la ministre, la politique du Gouvernement est d'abord une politique de prévention, à laquelle nous souscrivons totalement. Cette politique s'appuie en premier lieu sur le développement de l'information. Tel est le sens de la campagne menée l'hiver dernier et dont nous souhaitons fortement qu'elle soit pérennisée conformément aux engagements pris par le Gouvernement cet été. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

C'est également le sens de la campagne « éducation à la sexualité et à la vie » amorcée par Ségolène Royal dans les établissements scolaires.

« Education à la sexualité » car, au-delà de l'information, c'est notre capacité à reconnaître la sexualité des jeunes qui est en jeu.

Mme Béatrice Marre.

C'est vrai !

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Selon l'INSERM, plus les adultes acceptent la sexualité des jeunes, moins le recours à l'IVG est fréquent. L'exemple de la Hollande est de ce point de vue éloquent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Marcel Rogemont.

Très bon rappel !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

J'ajoute que les campagnes d'information permettent de responsabiliser davantage les garçons.

Je formulerai un regret cependant quant au partage des compétences entre l'Etat et les départements, selon lequel l'essentiel de la politique de prévention est confié à ces derniers. Or cette action est très inégale d'un conseil général à l'autre. Sans doute devrons-nous y réfléchir lorsque nous aborderons les prochaines lois de décentralisation.

Les travaux de l'INSERM montrent aussi la nécessité de diversifier l'offre de contraception. Peu d'outils nous sont offerts : il s'agit essentiellement de la pilule, et la pilule n'est pas parfaite. Force est de constater que, depuis plus de trente ans, la recherche sur la contraception n'a pas connu de progrès significatifs. C'est cette inadéquation qui explique qu'une IVG sur deux soit un échec de la contraception - rupture de préservatif ou oubli de la pilule, notamment.

Prenant en compte ce constat global, la délégation aux droits des femmes, puis la commission des affaires sociales ont estimé nécessaire de donner un cadre juridique conditionnant la stérilisation volontaire.

Le deuxième pilier de cette politique est l'amélioration de l'accès à l'IVG dans les établissements de santé.

Nous savons combien sont grandes les disparités de moyens et de réponses dans les établissements publics hospitaliers selon les régions ou selon les périodes de l'année, pendant l'été en particulier. C'est pourquoi Martine Aubry a dû rappeler aux chefs d'établissement que l'IVG est une mission de service public. En effet, ce sont dans les hôpitaux que s'effectuent les deux tiers des IVG.

Martine Aubry a également débloqué 12 millions de francs dans le budget de 2000 pour augmenter le nombre de postes de praticien. Cet effort doit être poursuivi.

La reconnaissance du travail des équipes passe par la valorisation de leur statut et par la reconnaissance des unités de base d'orthogénie, qui sont animées par un personnel partageant un projet commun. De même, l'amélioration de l'accès à l'IVG passe, à notre sens, par la levée du contingentement qui pèse sur les cliniques privées, dans lesquelles le nombre d'IVG ne peut être supérieur au quart de l'ensemble des actes chirurgicaux.

M me Muguette Jacquaint et Mme Raymonde Le Texier.

Exact !

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

La complémentarité entre le service public et le service privé ne justifie plus aujourd'hui la méfiance envers ce dernier.

Le troisième pilier de cette politique s'appuie sur la révision des lois Veil et Neuwirth.

Le projet de loi vise en effet à moderniser la loi Neuwirth, la loi Veil, confirmée par la loi Pelletier, complétée par la loi Roudy et la loi Neiertz.

Quel courage n'a-t-il pas fallu à cet homme et à ces femmes ! Quand nous discutons avec eux, quand nousr elisons les débats parlementaires, nous mesurons combien grande fut leur détermination, mais aussi leur habileté.


page précédente page 09501page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

P ourquoi réviser cette loi ? Vous l'avez rappelé, madame la ministre, chaque année cinq mille Françaises partent à l'étranger parce qu'elles ne trouvent pas de réponse à leur détresse en France et dix mille adolescentes ont des grossesses non désirées, qui se terminent pour les deux tiers d'entre elles par une IVG.

Il ne s'agit pas aujourd'hui de réécrire les lois existantes, ni de remettre en cause le droit à l'IVG, ni de modifier l'architecture de la loi Veil. Il s'agit simplement de répondre à ces situations d'urgence et d'adapter les lois aux évolutions de notre société.

L'IVG touche en France plus de deux cent mille femmes chaque année. Aucune femme n'est à l'abri de cet accident de la vie : en effet, près d'une femme sur deux est confrontée dans sa vie à une IVG. La décision d'interrompre une grossesse est un acte responsable, loin d'être anodin, ce que confirme la dernière étude de l'INSERM.

Quelles sont les principales dispositions du projet de loi ? La disposition la plus emblématique est l'allongement des délais pour le recours à l'IVG de dix à douze semaines. La France est un pays où les délais sont courts.

Chez nos voisins européens, le délai maximal est au moins de douze semaines. Il est même de vingt-deux semaines en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.

Il n'est pas rare qu'une grossesse soit révélée tardivement, après dix semaines, soit parce que la femme est mal réglée, soit qu'elle se pense stérile. Les femmes qui se trouvent dans cette situation et qui ne désirent pas d'enfant basculent contre leur gré dans l'illégalité. Elles éprouvent bien souvent des difficultés pour accéder aux informations leur permettant de se rendre à l'étranger, sans compter les difficultés financières qui alourdissent le parcours : une IVG aux Pays-Bas coûte environ cinq mille francs. C'est ainsi qu'une femme peut arriver aux Pays-Bas, ou ailleurs, à quinze ou seize semaines de grossesse.

En renforçant la politique de prévention, en améliorant l'accès à l'IVG dans les établissements de santé et en allongeant les délais, nous répondrons à la très grande majorité des femmes qui se retrouvent aujourd'hui hors la loi.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Cet allongement présente-t-il des risques pour la santé des femmes ? Non, il ne présente pas de risques notables supplémentaires. L'avis de l'ANAES est clair : il est possible, sur le plan matériel et en termes de sécurité sanitaire, sous réserve de certaines précautions, notamment d'une formation des personnels et des moyens adaptés, que le délai d'accès à l'IVG puisse être porté à douze semaines.

J'ajoute que, l'allongement des délais ne posant pas un problème de santé publique, le débat n'a donc pas à être placé sur le plan de la technique médicale, mais bien sur celui du droit.

Mme Yvette Roudy.

Assurément ! Il ne faut pas se tromper !

Mme Muguette Jacquaint.

En effet !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Cet allongement soulève-t-il des questions éthiques ? Le président de l'Académie de médecine, le président du Conseil de l'ordre des médecins, le président du Comité consultatif national d'éthique, nous ont tous dit que l'allongement des délais ne pose pas de problème d'éthique. Le Comité consultatif l'a d'ailleurs confirmé dans son avis rendu public lundi.

La discussion éthique sur le principe de l'IVG a été conduite il y a vingt-cinq ans et l'allongement des délais ne change pas la nature des débats.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Dans les pays dans lesquels les IVG peuvent se pratiquer jusqu'à vingt-deux semaines, on n'observe aucune dérive dite eugénique, aucune modification des raisons des demandes d'IVG ou du taux de naissance entre garçons et filles.

Tenir un discours contraire, c'est tenir un discours qui repose sur une logique du soupçon selon laquelle les femmes ne seraient pas responsables de leurs actes ou utiliseraient à mauvais escient les progrès de la science.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) C'est oublier que l'IVG est une décision lourde à prendre pour les femmes, pour les couples, a fortiori quand un enfant est désiré.

La crainte dite de l'eugénisme porte en réalité sur la place et le sens qu'on peut donner au progrès technique médical dans nos sociétés et renvoie notamment à la question du diagnostic prénatal. Celle-ci, inscrite dans les lois bioéthiques, est déjà l'objet de réflexion, notamment des échographistes, et cela depuis quelques années.

Ne mélangeons pas les débats ! Cette confusion n'a pas de sens ! Elle n'aurait de sens que si certains cherchaient, notamment à la faveur de la révision des lois bioéthiques, à mettre en cause les droits propres des femmes.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

C'est vrai !

Mme Yvette Roudy.

Il faudra faire attention !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Si nous souhaitons engager une réflexion sur les pratiques sélectives qui sont développées dans le cadre de l'interruption médicale de grossesse, nous ne devrons pas employer le terme d'eugénisme car il renvoie à des pratiques du Troisième Reich et son évocation condamne par là même toute réflexion.

(« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Lors des auditions, j'ai été très touchée, comme mes collègues, par les propos que tenaient les médecins que nous interrogions sur l'allongement des délais. En fait, ils ont exprimé leur désarroi face à des interruptions médicales de grossesses très tardives, pratiquées lors des derniers mois de grossesse.

Le législateur leur a confié, et il ne peut en être autrement, la responsabilité de prendre des décisions qui englobent non seulement des considérations thérapeutiques, mais aussi des normes sociales et des valeurs. Ces décisions sont si lourdes à prendre qu'elles ne peuvent être prises que dans la collégialité, dans le partage de la responsabilité, procédure qui est reconnue face aux malformations du foetus et qu'il serait souhaitable d'étendre quand la santé de la femme est en jeu. Tel est notre avis.

Deuxième disposition majeure du projet de loi : l'aménagement de l'autorisation parentale pour les mineures.

La loi reconnaît à ce jour un double consentement, celui de la mineure et celui de l'un de ses deux parents.

En revanche, elle n'a pas prévu la résolution du conflit entre les deux consentements. C'est ce que propose de faire le projet de loi.

Comme vous le rappeliez, madame la ministre, nous connaissons toutes et tous des cas de mineures enceintes qui, par peur de leurs parents, cachent leur grossesse et peuvent aller jusqu'à des tentatives de suicide, voire des infanticides.


page précédente page 09502page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Mme Yvette Roudy.

C'est vrai !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Le projet de loi ne remet pas en cause le recours à l'autorité parentale, qui continuera de demeurer la règle. Mais, dans certains cas, quand la mineure ne peut pas obtenir le consentement parental, elle doit pouvoir être accompagnée dans ses démarches par un adulte en qui elle a confiance car l'essentiel est bien que la mineure ne se retrouve pas seule.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

Mme Yvette Roudy.

Evidemment !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

La troisième série de dispositions concerne la suppression des sanctions pénales liées à la propagande et à la publicité pour l'IVG. Le projet de loi supprime ces sanctions pénales car la priorité doit être donnée à l'information pour que puissent être effectuées les démarches dans les meilleurs délais possibles et en toute connaissance de cause.

La quatrième disposition concerne l'amélioration de l'organisation de l'IVG.

Le projet de loi ouvre la possibilité de pratiquer une IVG médicamenteuse dans des cabinets médicaux par des médecins ayant passé convention.

L'objectif de cette disposition est de faire en sorte que la femme puisse être en contact permanent avec son médecin, qu'elle puisse être soutenue.

Le projet de loi s'attache également à encadrer la place et le rôle du médecin dans la pratique des IVG. La clause de conscience dont le médecin peut se prévaloir est bien entendu maintenue. Toutefois, l'IVG étant une mission de service public, les chefs de service en charge de ces interventions sont tenus de les organiser même s'ils ne les pratiquent pas eux-mêmes.

Mme Yvette Roudy.

Tout à fait !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Dernière disposition majeure : la révision de la loi Neuwirth.

Les adolescentes sont trois fois plus nombreuses que les adultes à n'utiliser aucune contraception. Partant de ce constat, le projet de loi conforte les dispositions adoptées par la proposition de loi sur la contraception d'urgence, qui garantit aux mineures la confidentialité si elles le souhaitent.

Enfin, les contraceptifs hormonaux qui ne sont pas susceptibles de présenter un danger pour la santé des utilisatrices devraient être exemptés de l'obligation de prescription médicale.

En conclusion de cette intervention,...

M. Marcel Rogemont.

Excellente intervention !

Mme Yvette Roudy.

Remarquable intervention !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

... je voudrais rappeler que j'appartiens à cette génération qui, d ans les années soixante-dix, s'est battue pour la reconnaissance du droit à l'IVG.

Mme Yvette Roudy.

Nous en sommes fières.

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

A cette époque, une femme par jour mourait des suites d'un avortement clandestin, sans compter les séquelles que subissaient les autres.

Mme Yvette Roudy.

C'est ça, l'histoire !

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

D'aucuns et d'aucunes se souviennent de l'âpreté des débats. Cette époque est révolue, du moins en France. Ce droit est désormais inscrit dans notre législation, même s'il a besoin d'être adapté et c'est notre travail de ce jour.

Que souhaitons-nous pour demain ? Une contraception plus adaptée au rythme de vie des femmes, une contraception ouverte aux hommes et surtout une vie sexuelle sans risques - je pense ici à l'IVG et au sida. Que chacun et chacune, dûment éclairé, puisse décider de ses choix et conduire sa vie en son âme et conscience. Que dans le respect de l'autre puisse pleinement s'épanouir la vie amoureuse, la vie quoi ! Aussi, mesdames, mesieurs, la commission des affaires sociales vous recommande-t-elle d'adopter ce projet de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Danielle Bousquet, au nom de la délégation aux droits des femmes.

Mme Danielle Bousquet, au nom de la délégation aux droits des femmes.

Madame la ministre, le texte que vous présentez répond à une réelle attente des femmes. C'est parce que les textes régissant actuellement l'interruption volontaire de grossesse et la contraception ne sont plus adaptés à la réalité sociale qu'il nous faut aujourd'hui légiférer dans ces domaines. J'allais dire dans ce domaine, car pour nous, les femmes, l'avortement et la contraception sont intimement liés.

Il est essentiel de rappeler ici les luttes historiques des femmes pour leurs droits, et pour le tout premier d'entre eux : la maîtrise de leur fécondité. Elles ont conduit aux deux textes législatifs qui ont font l'objet de la révision d'aujourd'hui. La loi Neuwirth sur la contraception et la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse furent de formidables avancées qui reçurent, il faut le dire, essentiellement l'appui des parlementaires de gauche.

Mme Yvette Roudy.

C'est vrai, il faut le rappeler !

Mme Martine David.

Ça risque d'être encore le cas aujourd'hui !

Mme Danièle Bousquet.

Ces combats furent aussi les nôtres. Mais nous pensions alors, comme tous ceux et toutes celles qui avaient milité pour la reconnaissance de ce droit fondamental qu'est le droit à disposer de soimême, que l'éducation sexuelle et l'information sur la contraception feraient le reste. Or force est de constater aujourd'hui que près de 10 000 jeunes filles subissent chaque année une grossesse non désirée, que 70 % d'entre elles ont recours ensuite à une IVG. Ajoutons qu'elles sont quelque 5 000 - sans doute davantage car nous ne disposons pas de chiffres précis - à se trouver dans l'obligation d'aller dans un pays voisin faire pratiquer une IVG qu'on leur refuse en France parce qu'elles sont, comme on dit, « hors délais. » Et l'on n'observe pas

de diminution de leur nombre d'année en année.

U n premier constat s'impose alors, madame la ministre, c'est l'impérieuse nécessité d'une large politique d'information sur la contraception et d'éducation à la sexualité en direction des jeunes qui, intégrant la dimension affective et relationnelle de la sexualité, ne soit pas seulement scolaire. Il faut se rendre à l'évidence : alors que la contraception est largement utilisée en France, des résistances fortes persistent, tant du point de vue psychologique et social que du point de vue institutionnel. Certains chercheurs ont pu montrer que, dans une perspective de santé publique, plus l'acceptation de la sexualité est importante, moins il y a de grossesses involontaires et


page précédente page 09503page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

de recours à l'IVG. Il faut en France que nous nous imprégnions de cette réalité-là : plus le discours social est favorable à la sexualité des jeunes et plus ceux-ci accèdent volontairement à la contraception.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Le garder à l'esprit est sans doute essentiel pour l'action qu'il va nous falloir mener dorénavant.

Autre point mis en évidence par les chercheurs : les difficultés juridiques, matérielles et financières rencontrées pour accéder à l'IVG ne limitent pas le recours à l'avortement, pas plus que les aides sociales données aux mères célibataires.

Il est temps de considérer l'éducation à la sexualité comme une grande cause de santé publique qui nécessite la définition d'objectifs, d'axes stratégiques et de moyens humains et financiers correspondants, reconduits chaque année.

Le deuxième constat, c'est que rien ne peut justifier que 5 000 femmes soient dans l'obligation de prendre le train ou le bus pour aller avorter en Espagne ou en Hollande. C'est une réalité archaïque dans l'Europe d'aujourd'hui et une atteinte insupportable à la dignité des femmes. Mais cela constitue aussi une extrême injustice car, nous le savons tous, le plus souvent, les femmes qui doivent se rendre à l'étranger sont celles qui n'ont pas eu d'argent pour payer d'avance, celles qui n'ont pas eu les bonnes informations à temps ou encore celles qui basculent brutalement, à leur corps défendant, dans l'illégalité parce qu'elles n'ont pas su décrypter le fonctionnement de leur propre corps.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

Mme Danièle Bousquet.

Pour toutes ces raisons, l'allongement du délai légal est aussi une mesure de justice sociale. Il faut le dire et il faut le répéter.

Ce sont les difficultés matérielles inhérentes au départ à l'étranger qui conduisent à des IVG plus tardives. Où trouver les 4 000 ou 5 000 francs nécessaires ? Comment se faire accompagner quand on a seize ou dix-sept ans ? Comment justifier une absence d'un ou deux jours auprès de sa famille ou au travail ? Voilà les problèmes auxquels toutes ces femmes sont confrontées.

La délégation parlementaire aux droits des femmes a réalisé un grand nombre d'auditions qui l'a conduite à adopter treize recommandations dont la plupart ont été reprises dans des amendements. Je m'en félicite.

Certaines ne sont pas d'ordre législatif, mais n'en devraient pas moins être prises en compte dans l'application de la loi. Je citerai tout particulièrement l'IVG médicamenteuse qui peut être effectuée de manière précoce, sans anesthésie et sans danger pour les femmes. Il convient, pour le favoriser, de rendre plus accessible la Mifégyne qui est à l'heure actuelle un médicament classé dans la catégorie des substances vénéneuses dont la distribution et l'administration sont soumises à des sévères restrictions. Dès lors qu'une femme en formule le souhait, cette méthode devrait pouvoir être utilisée, y compris dans le cadre de la médecine ambulatoire. En conséquence, il apparaît nécessaire que, dès la première visite, le médecin informe la femme des différentes méthodes d'avortement existantes, de leurs avantages et de leurs inconvénients respectifs.

La délégation parlementaire a par ailleurs souhaité affirmer combien les conseillères conjugales jouaient un rôle essentiel et méritaient une reconnaissance sociale.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Tout à fait !

Mme Danièle Bousquet.

Il conviendrait de leur donner un véritable statut à travers un diplôme reconnu par l'Etat et de procéder à une harmonisation des situations et des rémunérations.

Nous aborderons les autres recommandations de la délégation à l'occasion de l'examen des amendements.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à travers ce texte, nous mettons en place une politique de progrès tout en répondant à un réel problème social. Sachons donner à ce débat toute sa dignité, celui de la dignité des femmes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Exception d'irrecevabilité

M.

le président.

J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Philippe de Villiers.

Mme Odette Grzegrzulka.

Intermittent du Parlement !

M.

le président.

Je vous demande de laisser parler

M. Philippe de Villiers.

Mme Odette Grzegrzulka.

Nous sommes très honorés de sa visite aujourd'hui. C'est si rare !

M.

Philippe de Villiers.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le texte de loi p ortant sur l'allongement du délai d'avortement à douze semaines intervient au moment où la Cour de cassation, en estimant qu'un jeune handicapé n'aurait pas dû naître, fait sauter l'un des verrous menant à l'eugénisme er provoque la juste colère des associations de handicapés et la stupeur du corps médical. Désormais, en France, à la suite de cet arrêt, un médecin peut être condamné pour ne pas avoir tué.

Cette coïncidence des dates est impressionnante, la coïncidence des logiques sous-jacentes, celle d'un arrêt scandaleux et celle d'un projet de loi discutable le sont tout autant. Dans les deux cas, on renverse la norme, on piétine le serment d'Hippocrate, on favorise une régression de tous les principes de notre droit. Dans les deux cas, le point d'aboutissement, la ligne de fuite sont les mêmes : la Cour de cassation et le Parlement lui-même sont en train de mettre en place les conditions de ce que le professeur Mattei a appelé une « sélection de l'enfant à naître ».

Après vingt-cinq ans d'application de la loi Veil, on c ompte aujourd'hui 210 000 avortements pour 720 000 naissances. Prenant en considération de tels chiffres, on pourrait s'attendre à ce que le Parlement s'interroge, se remette en cause et surtout se décide à agir pour aider les femmes enceintes en difficulté et promouvoir une alternative à l'avortement, c'est-à-dire réponde à une urgence éthique et sociale.

Mais ce n'est absolument pas ce que le Gouvernement nous propose. Ce qu'il nous propose, au contraire, c'est une fuite en avant, sur fond de terrorisme intellectuel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) au mépris des nombreuses réflexions des sommités qui n'ont cessé, depuis l'été dernier, dans toute la presse, de mettre en garde les plus hautes autorités de notre pays.

Les innovations de ce projet de loi posent de graves questions, qui touchent aux soubassements de notre édif ice juridique et nous concernent tous. Ce projet


page précédente page 09504page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

concerne bien sûr les femmes, leurs appels au secours, mais il concerne aussi l'équilibre de la société tout entière. L'allongement du délai légal de dix à douze semaines concerne l'enfant, c'est-à-dire notre avenir. La suppression de l'autorité parentale pour les mineures concerne la famille, c'est-à-dire la transmission de nos p remiers repères. La suppression de la clause de conscience concerne les médecins, c'est-à-dire le rapport nécessaire et singulier entre, d'un côté, la détresse absolue et, de l'autre, la confiance absolue en celui qui soigne, qui rassure et qui sauve. Enfin, l'autorisation de faire de la propagande - à cette occasion le mot ressurgit - pour l'avortement concerne notre philosophie de la vie et notre manière de pratiquer la justice sociale, c'est-à-dire la solidarité avec les plus démunis, avec les sans-voix, les sansdéfense, ceux qui ont déjà de petites mains mais pas encore d'avocat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Danièle Bousquet.

Quelle horreur !

M. Philippe de Villiers.

Ce projet de loi pose de redoutables problèmes. Le premier d'entre eux est précisément un problème d'ordre médical. Il suffit d'écouter les gynécologues, quelle que soit leur position par ailleurs, pour comprendre cette évidence que vous êtes les seuls à ne p as admettre : interrompre une grossesse de douze semaines et interrompre une grossesse de dix semaines n'est pas du tout le même acte.

Mme Yvette Roudy.

C'est la même chose, selon certains !

Mme Raymonde Le Texier.

Il y a deux semaines de plus !

M. Philippe de Villiers.

Oui, il y a deux semaines de différence !

M. le président.

Je vous demande de laisser parler l'orateur.

Mme Odette Grzegrzulka.

Docteur de Villiers, votre diplôme est périmé !

M. le président.

Poursuivez, monsieur de Villiers.

M. Jacques Heuclin.

Continuez à lire !

M. Philippe de Villiers.

Je sais bien que ce texte de loi va être voté...

Mme Raymonde Le Texier.

Nous l'espérons !

M. Philippe de Villiers.

... et si je continue c'est pour l'histoire qui retiendra que les socialistes, à l'instar des nationaux-socialistes, auront instauré l'eugénisme d'Etat en France ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Poursuivez, monsieur de Villiers !

M. Philippe de Villiers.

Laissez-moi parler comme j'ai laissé parler les orateurs précédents, c'est la démocratie !

Mme Odette Grzegrzulka.

Cessez d'être l'agité du perchoir !

M. le président.

Laissez parler l'orateur, chers collègues, il a le droit de s'exprimer librement.

Mme Nicole Bricq.

Ses propos justifieraient un rappel au règlement !

M. Philippe de Villiers.

A la dame qui m'a dit que mon diplôme de médecine, était périmé, je citerai le président du collège français d'échographie foetale qui dans le journal Libération, décrivait les transformations qui ont lieu entre la dizième et la douzième semaine. « Il s'agit d'un stade de transition tout à fait particulier, où se produit le passage de l'embryon au foetus. De rapides et importantes modifications se produisent...

Mme Yvette Roudy.

Ce n'est pas vrai !

M. Philippe de Villiers.

... et, dès ce moment, il est possible d'individualiser nombre des caractéristiques de l'enfant en devenir. »

« Peut-on dès lors choisir ? » poursuit le président du collège français d'échographie. « L'écran de l'échographe peut-il être un catalogue de foetus ? » En d'autres termes, et je vois bien que cela vous gêne, à douze semaines, il ne s'agit plus d'aspirer un embryon, mais de fragmenter un foetus en voie d'ossification ! Ce n'est pas le même acte ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Catherine Picard.

Nous y voilà : les petits membres, les petits bras...

M. Philippe de Villiers.

C'est un acte lourd, lourd pour le médecin,...

M. Jacques Heuclin.

Lourd, c'est vous qui l'êtes !

M. Philippe de Villiers.

... douloureux pour la femme et sans ambiguïté. A trois mois de grossesse, le foetus est formé et ses premiers mouvements peuvent déjà être aperçus.

Mme Yvette Roudy.

Ce n'est pas vrai !

M. Philippe de Villiers.

D'où un second problème, d'ordre éthique : quelle dérive nous préparent ainsi les apprentis sorciers que vous êtes ?

Mme Nicole Bricq.

Et pourquoi ne pas nous traiter de sorcières, pendant que vous y êtes ? Autrefois, on les brûlait !

M. Philippe de Villiers.

De nombreux experts, tels que les professeurs Israël Nisand ou René Frydman, ont exprimé leur crainte à ce sujet avec beaucoup de clarté. Je cite le professeur Nisand dans Le Nouvel Observateur :

« Je peux affirmer que si l'on devait allonger les délais, un certain nombre de femmes demanderaient une IVG, non pas parce que la grossesse ne leur convient pas, mais parce que c'est cette grossesse-là qu'elles refuseraient. »

Mme Danièle Bousquet.

Vos propos sont scandaleux !

M. Philippe de Villiers.

Les progrès de l'échographie et des techniques de diagnostics prénataux seraient ainsi détournés pour ouvrir toute grande la voie de la recherche de l'enfant parfait, c'est-à-dire de l'eugénisme.

Mme Hélène Mignon.

Ça recommence !

Mme Yvette Roudy.

Caricature !

M. Philippe de Villiers.

Les performances du diagnostic prénatal en France, et en particulier de l'échographie en deux dimensions et bientôt en trois dimensions, réalisée très tôt et pratiquement chez toutes les femmes, dès la onzième semaine de grossesse - ce qui est un progrès heureux -, permettent de déceler des anomalies mineures telles qu'une hernie ombilicale. Ces anomalies peuvent d'ailleurs être guéries sans difficulté. Mais chacun sait que l'annonce de telles malformations peut inciter certaines femmes à demander un avortement pour convenances personnelles. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Muguette Jacquaint, Mme Catherine Picard et

Mme Yvette Roudy.

C'est scandaleux !


page précédente page 09505page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

M. le président.

Laissez parler M. de Villiers !

Mme Odette Grzegrzulka.

Pas d'insultes dans l'hémicycle !

M. Bernard Outin.

Ça restera dans l'histoire !

Mme Yvette Roudy.

C'est une honte de dire cela ! C'est une insulte à l'égard des femmes !

M. le président.

Continuez, monsieur de Villiers !

M. Philippe de Villiers.

Vos insultes, qui sont la marque d'une très grande faiblesse,...

Mme Odette Grzegrzulka.

On ne peut pas se laisser insulter !

M me Yvette Roudy.

Présentez vos excuses aux femmes !

M. Philippe de Villiers.

Vos insultes ne m'empêcheront pas d'aller au terme de mon propos.

M. le président.

Madame Roudy, laissez parler l'orateur. Poursuivez, monsieur de Villiers !

M. Philippe de Villiers.

Cet examen permet aussi de déterminer le sexe de l'enfant. Or les médecins sont d'ores et déjà confrontés à des demandes d'avortement liées au sexe de l'enfant à naître.

Mme Yvette Roudy.

C'est faux !

Mme Muguette Jacquaint.

On pensait avoir tout entendu, mais vous nous surprenez encore !

Mme Odette Grzegrzulka.

Vous insultez les médecins, après avoir insulté les femmes !

M. Philippe de Villiers.

Ce sont les médecins qui le disent ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Odette Grzegrzulka.

Les médecins du bocage vendéen ?

M. le président.

Poursuivez, monsieur de Villiers !

M. Philippe de Villiers.

Merci, monsieur le président.

C'est un débat très caractéristique. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier.

On ne s'attendait pas à autre chose de votre part !

Mme Yvette Roudy.

C'est caricatural !

M. Philippe de Villiers.

Madame Guigou, trouvez-vous normale cette tentative d'obstruction alors que tout à l'heure toute l'opposition s'est tue en vous écoutant ?

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est en effet très caractéristique...

Mme Odette Grzegrzulka.

Monsieur de Villiers, pour qui vous prenez-vous en interpellant le Gouvernement ?

Mme Yvette Roudy.

Soyez modeste !

M. Jacques Heuclin.

La majorité a été respectueuse dans son expression !

M. le président.

Je vous demande de laisser parler l'orateur !

Mme Odette Grzegrzulka.

Alors, qu'il s'exprime avec regret !

M. le président.

Laissez parler l'orateur comme on a laissé parler le ministre et les rapporteures.

M. Philippe de Villiers.

C'est facile de réagir ainsi, quand on est en masse ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Ne provoquez pas non plus !

Mme Muguette Jacquaint.

Si vous étiez en masse, monsieur de Villiers, vous ne seriez pas aussi arrogant !

M. Philippe de Villiers.

Je ne suis pas arrogant,...

M. le président.

Monsieur de Villiers !

M. Philippe de Villiers.

... j'essaie de défendre un point de vue qui n'est pas le vôtre.

Mme Odette Grzegrzulka.

Venez plus souvent ! Vous êtes un intermittent du Parlement !

M. le président.

Monsieur de Villiers, veuillez poursuivre.

M. Philippe de Villiers.

J'essaie de défendre un point de vue qui n'est pas le vôtre. Et j'ajoute, parce que vous ne l'avez pas remarqué, que je le fais à partir de déclarations de professeurs de médecine qui étaient favorables à l'époque à la loi Veil et tentent, depuis l'été dernier, de vous mettre en garde contre la dérive qui consiste à faire d'une exception une règle. Alors, souffrez que j'aille jusqu'au bout de mon propos.

Mme Odette Grzegrzulka et M. Jacques Heuclin.

Pour souffrir, on souffre !

M. Philippe de Villiers.

Evitez les insultes qui n'ajoutent rien à la faible position qui est la vôtre !

Mme Muguette Jacquaint.

Qui insulte les autres ?

M. le président.

Mes chers collègues, si vous souhaitez que les débats se poursuivent, laissez M. de Villiers achever son discours.

M. Philippe de Villiers.

Merci, monsieur le président.

Si cette loi est votée, on franchira la ligne qui sépare

« un enfant si je veux » ou encore « un enfant quand je veux » de « un enfant tel que je le veux ».

Dans un tel monde, tout bascule et le progrès se retourne contre lui-même. Le professeur Frydmann dit la chose suivante, forte et simple : « Le dépistage précoce est, en France, le gage des meilleures chances pour la vie.

Il sera, dans ces conditions-là, un arrêt de mort. » Et il

s'alarme de cette dérive contraire à l'éthique : « Au nom du droit de la femme, au nom de la liberté, faudra-t-il accepter toute demande d'avortement pour bec de lièvre, pour pied-bot ou toute imperfection curable ? Et qui définira la norme ? » Nous approchons là de la rive dangereuse - et je m'adresse en particulier au Parti socialiste - d'une société prétotalitaire portée par le rêve libertaire d'une fécondité humaine devenue un produit de consommation et, finalement, tentée sans le dire par l'expérience de l'amélioration de la race et de l'espèce.

M. François Hollande.

Je vous en prie !

Mme Nicole Bricq.

Monsieur de Villiers, c'est la deuxième fois que vous dérapez sur ce sujet ! Tout à l'heure, vous nous avez traités de nationaux-socialistes !

M. Philippe de Villiers.

Ce sera la société du bébé parfait selon la norme du moment. C'est cela l'eugénisme : le tri des enfants à naître, l'émergence d'un nouveau droit, vous qui parlez souvent des droits de l'homme, le droit à l'euthanasie prénatale.

D'où un troisième problème, d'ordre juridique. Ce texte opère, quoi que l'on puisse penser par ailleurs, un renversement juridique complet. Ainsi que je le disais il y a quelques instants, de l'exception on fait une règle. Ce


page précédente page 09506page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

qui devrait être, selon les attentes de la loi Veil, un dernier recours, une douloureuse exception, devient un acte de convenance acceptable en toutes circonstances et soigneusement détaché de toute conséquence. Dans la pensée dominante, le moindre mal, l'avortement, devient ainsi un droit absolu.

Pourtant, la législation actuelle rappelle très explicitement qu'elle ne reconnaît pas l'avortement comme un droit des femmes. Bien au contraire, elle souligne le principe intangible du respect de la vie qui constitue l'axe de notre droit. Celui-ci considère, encore aujourd'hui, la possibilité d'avorter, comme une exception, comme la réponse à une situation de détresse particulière. Non seulement votre texte perd de vue l'équilibre voulu par la loi de 1975, mais il tend à le renverser, aggravant la situation qu'il déplore. A cet égard, je fais appel à toutes celles et à tous ceux qui considéraient cette situation comme normale depuis 1975 et qui, aujourd'hui, ne peuvent pas ne pas s'interroger sur ce passage, historique et probablement dramatique, de l'exception à la règle.

La preuve en est que, dans une implacable logique, vous autorisez désormais la publicité, certains disent même la propagande, pour des actes dont nos principes juridiques mêmes refusent la systématisation.

Ce nouveau droit à la propagande est d'autant plus critiquable que vous vous préparez à faire condamner par la loi, et ensuite par la justice, ceux qui promeuvent d'autres solutions que l'élimination radicale d'un enfant, en versant au rang des délits leurs actions de promotion de la vie. Ainsi la boucle est bouclée, le renversement du droit est complet.

Enfin, et en conclusion, votre projet soulève un quatrième problème, d'ordre philosophique, car il soustrait de façon parfaitement irresponsable les adolescents au rôle et à l'autorité de leurs parents, en leur permettant d'avorter sans leur autorisation, grâce à l'assistance d'un adulte choisi de façon arbitraire. Nous nous trouvons face à un problème éducatif grave, et votre intention, déjà avérée dans le texte sur la pilule du lendemain, d'émanciper précocement les mineures, de les couper radicalement de leur famille sur des questions de vie privée essentielles, est proprement scandaleuse ! Il n'appartient à personne de se substituer aux familles dans des situations aussi graves pour les adolescentes et pour leurs parents.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

C'est aller à l'encontre de toute n otre législation sur l'autorité familiale. Pourquoi, madame la ministre, pourquoi introduire froidement, de façon légale, le non-dit, le secret, voire le mensonge, entre les jeunes et leurs parents...

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.

Non ! justement, c'est la transparence que nous permettons !

M. Philippe de Villiers.

... en supprimant l'obligation de l'autorisation parentale pour les mineures, alors que tous les jours les psychologues ne cessent de nous mettre en garde contre les ravages provoqués par ces mêmes attitudes dans les relations familiales ? Pourquoi, madame la ministre, contribuer ainsi à renforcer une impuissance parentale que par ailleurs on regrette tous les jours ? Une fois de plus, on s'aperçoit que, sous couvert de liberté, l'idéologie socialiste est une idéologie porteuse de germes totalitaires. On substitue en effet l'Etat aux familles, au corps médical, aux valeurs.

Cette loi, je le répète, est la porte ouverte à l'eugénisme d'Etat. On éliminera les faibles, les « anormaux », on sélectionnera une race d'hommes normaux, conformes aux vues circonstancielles d'une époque ou à une mode, à une esthétique du moment.

C'est le meilleur des mondes imaginé par Huxley.

Nous aurons les plus beaux bébés du monde par décret d'Etat ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Votre texte est non seulement irresponsable dans ses propositions, mais il l'est aussi dans ses manques et dans ses oublis.

Je reviens au début de mon propos : aujourd'hui, avec 210 000 avortements, la logique, pour la représentation nationale, aurait été de constater l'échec de la loi et de tenter, par conséquent, de l'améliorer. On pourrait par exemple proposer au pays tout entier de faire de la baisse significative du nombre des avortements au cours des prochaines années une grande cause de santé publique.

Mme Yvette Roudy.

C'est bien ce que nous allons faire !

M. Philippe de Villiers.

Ce serait une victoire contre la détresse, la souffrance, parfois le remords, une vraie victoire de la vie.

En ignorant le volet, déjà présent dans la loi de 1975 mais jamais appliqué, relatif à l'aide aux femmes enceintese n difficulté, vous imposez l'avortement comme la réponse unique à cette détresse. Ce serait pourtant une belle cause que de proposer un accompagnement psychologique et matériel à ces femmes en situation de détresse.

C'est le sens de la proposition de loi que, à l'initiative de Christine Boutin, plusieurs d'entre nous avons cosignée et que vous auriez dû intégrer dans la rédaction de votre projet. Cet accompagnement peut sauver bien des vies ; je le sais d'expérience pour avoir mis en place, dans mon département, une maison d'accueil pour les femmes enceintes en situation de détresse, la maison d'Ariane.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Cela existe dans de nombreux endroits !

M. Philippe de Villiers.

L'aide que nous apportons aux futures mères qui viennent y chercher un soutien joue un rôle décisif dans leur choix de donner ou non le jour à leur enfant.

Chers collègues, la science génétique moderne a montré que, dès le premier instant de la fécondation, se trouve fixé le programme de ce que sera la personne, l'individu avec ses caractéristiques bien déterminées.

M. Bernard Outin.

C'est complètement faux ! Scientifiquement, c'est un mensonge !

M. Philippe de Villiers.

Le rôle du politique, dépositaire du bien public et de l'intérêt général, est de veiller au respect de la vie et à la protection des plus faibles.

C'est notre mission primordiale. Votre texte, madame la ministre, nie cette mission inhérente à notre fonction. Et il nie le premier des droits de l'homme, le droit de naître.

C'est pourquoi j'invite la représentation nationale à le déclarer irrecevable, irrecevable au sens de tous les principes de notre droit constitutionnel et du préambule de la Constitution.

Il est très inquiétant que les plus hautes autorités de notre pays se laissent aller à des décisions hautement discutables, et aux conséquences imprévisibles. L'arrêt Perruche de la Cour de cassation, qui concerne un jeune handicapé demandant à être indemnisé pour être né, le présent projet de loi, l'avant-projet de loi relatif à la révi-


page précédente page 09507page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

sion des lois sur la bioéthique, dont nous connaissons le contenu depuis hier, vont conduire notre pays à ne plus reconnaître que trois types d'êtres humains : ceux qui ont le droit de vivre, et qui pourront compter sur la recherche appliquée à d'autres êtres humains pour vivre plus longtemps ; ceux qui n'ont pas le droit à la vie, parce qu'ils sont handicapés et ne correspondent pas à l'image de l'enfant parfait que développe notre société ; et ceux, enfin, qui sont destinés à mourir au cours d'expériences scientifiques.

C'est pourquoi, avant que ce texte ne soit adopté définitivement, je demande par avance au Président de la République d'exiger, le moment venu, une nouvelle délibération avant toute promulgation d'une loi dangereuse, inique, qui blesse la conscience morale de tout un peuple et qui viole les lois les plus fondamentales de notre civilisation.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Mes chers collègues, avant de passer aux explications de vote et au vote, je vous indique que M. Jean-François Mattei m'a fait savoir qu'il entendait consacrer environ une heure quinze à la présentation de sa question préalable. En conséquence, je lui donnerai la parole si nous en avons terminé avec l'exception d'irrecevabilité avant onze heures quarante-cinq. Dans le cas contraire, je renverrai l'intervention de M. Mattei à la séance de cet après-midi.

Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste.

Mme Nicole Bricq.

Monsieur le président, je serai très brève parce que le débat sur une motion de procédure ne doit pas détourner l'Assemblée de l'utilité du débat géné ral qui va suivre. Je sais que la parole est libre dans notre assemblée, que la confrontation y est utile. Le débat doit y être serein. Mais je pense que tous, ici, nous ne pouvons accepter, à droite ou à gauche, d'être traités de nationaux-socialistes et accusés de préparer un eugénisme d'Etat. Ces propos sont beaucoup trop graves pour qu'on les accepte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Sur le fond, monsieur de Villiers, nous ne nous situons pas sur le même terrain. Nous ne parlons pas forcément des mêmes choses. Nous voulons répondre à une réalité sociale de femmes en détresse et vous développez une conception rêvée, idéale, d'un cocon familial dont on sait bien qu'il ne remplit pas toujours ses fonctions.

Nous voulons étendre les droits des femmes et vous nous répondez : pouvoir médical.

Nous voulons affirmer la responsabilité des femmes, mais vingt-six ans après le vote de la loi présentée par Mme Simone Veil, nous entendons encore les mêmes arguments éculés. On aurait pu penser que l'expérience et la réalité vous auraient amené à plus de respect vis-à-vis de la responsabilité qu'exercent les femmes depuis leur entrée massive dans le monde du travail et à la suite des bouleversements de la société et de la science que nous avons connus dans ce quart de siècle. Or vous nous répondez toujours sur le terrain d'une morale individuelle contestable. Autant d'arguments, monsieur de Villiers, qui conduiront le groupe socialiste à voter contre votre exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe communiste.

Mme Muguette Jacquaint.

Monsieur le président, je serai aussi très brève. Nous ne sommes qu'à moitié étonnés par les propos tenus par M. de Villiers. Mais tout de même : terrorisme intellectuel, archaïsme moyenâgeux...

Qu'est-ce qui est moyenâgeux, monsieur de Villiers ? Combien d'années a-t-il fallu à la médecine, aux organisations féminines, aux femmes elles-mêmes, dont Mme la ministre et notre rapporteure ont souligné le courage, pour parvenir à faire adopter la loi Veil et, aujourd'hui, à l'améliorer ? Ce qui était moyenâgeux et archaïque - ce que vous êtes vous-même, monsieur de Villiers -,...

Mme Béatrice Marre.

Ça, c'est vrai !

Mme Muguette Jacquaint.

... c'est la situation qui régnait avant l'adoption de cette loi.

Combien de jeunes filles mutilées à vie,...

Mme Nicole Bricq.

... mortes, même !

Mme Muguette Jacquaint.

En effet ! Combien d'entre elles, transpercées par des aiguilles à tricoter, ou ayant eu recours à d'autres pratiques, telles que les queues de persil ou le savon noir, sont mortes de septicémie ?

Mme Béatrice Marre.

C'est vrai !

Mme Muguette Jacquaint.

C'est ça qui est moyenâgeux, et que nous ne voulons plus voir !

Mme Yvette Roudy.

Plus jamais !

Mme Muguette Jacquaint.

Vous prétendez que rien n'est fait pour éviter les 200 000 interventions volontaires de grossesse. C'est faux ! Des campagnes sur la contraception sont menées, notamment depuis la loi Roudy. Hier encore, nous discutions de la contraception d'urgence.

Nous nous demandions comme améliorer les moyens consacrés à l'éducation sexuelle et à la contraception. Ne dites pas que rien n'est fait ! Vous, vous voudriez que rien ne se fasse et que tout continue comme par le passé !

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe solialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Nous, nous nous opposons à cette logique ! Nous voulons au contraire aller dans le sens du progrès pour les femmes. Et au mépris que vous avez opposé aux femmes et aux responsabilités qu'elles exercent aujourd'hui, je répondrai par le mépris, en votant contre votre question d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président.

Avant de donner la parole à M. Mattei, je vous indique que compte tenu de l'heure et de la durée de son intervention, nous ne procéderons que cet après-midi aux explications de vote et au vote sur la question préalable.

Mme Muguette Jacquaint.

C'est dommage !

M. le président.

S'il n'y avait pas eu tant d'interruptions, on aurait peut-être pu procéder autrement. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Yvette Roudy.

Restez dans votre rôle, monsieur le président !


page précédente page 09508page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Mme Odette Grzegrzulka.

Nous avons pratiqué des IVD, des interruptions volontaires de discours !

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-François Mattei et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants, une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jean-François Mattei.

M. Jean-François Mattei.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui propose de prolonger de dix à douze semaines de gestation le délai légal pour l'interruption volontaire de grossesse. Le sujet est de ceux dont les enjeux sont lourds pour une société, qu'il s'agisse d'ailleurs du débat intérieur que chacun engage avec sa propre conscience ou du débat collectif qui fixe les règles destinées à s'appliquer par la loi dans notre pays.

Il s'agit de ces débats récurrents dont on sait bien qu'ils reposent sur des questions qui ne trouvent jamais de réponse satisfaisante...

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Les députés socialistes ne restent pas pour écouter les arguments de l'opposition !

M. Jean-François Mattei.

... puisqu'elles touchent à l'humanité de l'être humain dans toute sa dimension métaphysique.

Personne, quelles que soient ses convictions, ne peut éviter de s'interroger sur la finitude de l'homme. Quand ai-je commencé d'exister ? Quand vais-je cesser d'exister ?

Ce n'est pas un hasard si ces interrogations fondamentales surgissent dans nos sociétés à l'occasion de débats sur l'embryon ou sur l'euthanasie, comme hier, en Hollande, ou cette dernière pratique a été adoptée.

Chacun comprendra que dans ce projet de loi, derrière une présentation technique, se trouvent inscrites, sousjacentes, des visions et des convictions opposées dont la nature philosophique correspond sans doute à des regards différents portés sur les valeurs de la vie.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

En effet.

M. Jean-François Mattei.

C'est la raison pour laquelle il me paraît important de situer la nature du débat et de mesurer la réalité des enjeux. Avant d'aborder le point de l'autorité parentale, je tenterai donc de répondre à quatre questions qui me semblent s'imposer.

La prolongation de quinze jours du délai légal de l'IVG pose-t-elle des problèmes moraux supplémentaires concernant l'avortement lui-même ? Pose-t-elle des problèmes médicaux particuliers ? Apporte-t-elle une réelle solution aux problèmes rencontrés par des milliers de femmes ? Ne soulève-t-elle pas de nouveaux problèmes inattendus ?

La prolongation de quinze jours du délai de l'IVG pose-t-elle des problèmes moraux supplémentaires concernant l'avortement lui-même ? A cette question, je réponds : non.

Mme Béatrice Marre.

C'est heureux.

M. Jean-François Mattei.

Le problème moral lié à l'avortement a été abordé au fond. Il a été largement débattu et réglé par notre société lors de l'examen la loi de 1975, puis lors de sa rediscussion fin 1979. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme Béatrice Marre.

Merci de le reconnaître.

M. Jean-François Mattei.

Certains, s'appuyant sur des arguments moraux indiscutables et profondément respectables, ont alors refusé l'idée même d'interruption de grossesse, quelles que soient les circonstances.

D'autres, invoquant des raisons également recevables, ont reconnu, la possibilité pour des femmes confrontées à une situation de détresse particulière, de décider l'interruption de leur grossesse dans des conditions bien définies.

J'appartiens à la dernière génération - j'étais jeune interne de 1969 à 1974 - qui a vu des femmes mourir dans des conditions inacceptables, d'autant plus que la désespérance se doublait de l'impossibilité financière de se rendre à l'étranger. Chacun connaît mes convictions personnelles, mais c'est une affaire entre ma conscience et moi : j'aurais voté la loi de 1975, qui s'imposait. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe du Rassemblement

pour la République et du groupe Union pour la démocratie française-Alliance.) Même si, à mes yeux, cette loi peut constituer la transgression d'un interdit, il est des circonstances dans lesquelles l'humilité doit conduire à ne pas juger le choix de l'autre.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Tout à fait.

M. Jean-François Mattei.

Dès lors que la loi de 1975 a posé le principe d'une interruption possible dans des conditions précisément définies, je ne vois pas, au strict plan de la morale, de différence entre un avortement réalisé à huit, dix ou douze semaines.

Mme Béatrice Marre.

Très bien.

M. Jean-François Mattei.

La vie est un processus continu de la conception à la mort, et son interruption revêt la même signification, quel que soit le moment de sa réalisation.

La prolongation du délai de l'IVG ne relève donc pas d'un débat moral. Elle ne remet pas en cause la loi de 1975 et n'ouvre pas, à nouveau, le débat sur l'avortement. La discussion devrait dont éviter les excès et les affrontements entre les tenants d'un principe moral absolu et ceux du droit à l'avortement. Ce n'est pas le sujet !

M. René André.

Très bien.

M. Jean-François Mattei.

Deuxième question, l'allongement du délai de quinze jours soulève-t-il des problèmes médicaux spécifiques ? Cette question est très controversée dans le corps médical et dépend pour beaucoup de la façon de l'aborder.

S'il s'agit d'évoquer les dangers encourus par la femme, il est clair que la réponse est non. Dans de nombreux pays où l'IVG s'effectue bien après dix semaines et en France même, où l'interruption de grossesse peut être réalisée à tout moment de la gestation pour des raisons médicales, on ne peut pas dire que la vie des femmes soit sérieusement en danger, le taux de mortalité étant de l'ordre de 3 pour un million.

En revanche, il me paraît honnête de rappeler que l'acte opératoire réalisé après la dixième semaine est n otoirement différent, tout simplement parce que l'embryon est devenu foetus. Et croyez bien que je ne recherche pas le sensationnel, je ne souhaite pas faire


page précédente page 09509page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

appel à l'émotion, ou à jouer sur la corde sensible. Mais ce changement de nature n'est pas sans conséquence au plan de la seule technique.

Puis-je, sans pratiquer la confusion des genres, rappeler que je dirige un centre de diagnostic prénatal depuis 1984, où les problèmes que nous évoquons se posent plusieurs fois par semaine ? Si une aspiration simple, effectuée au moyen d'une canule fine, peut être réalisée avant dix semaines, car l'embryon a encore une consistance liquide ou gélatineuse, après ce délai, sa formation est avancée et le foetus a commencé à s'ossifier. Il a désormais une consistance solide.

Dans ces conditions, on comprend la nécessité de l'intervention médico-chirurgicale, qui se traduit le plus souvent par une anesthésie générale et une fragmentation foetale, pour permettre curetage et aspiration par une canule de diamètre neuf ou dix, dans des conditions beaucoup plus difficiles.

Les spécialistes reconnus en la matière le savent bien : la compétence et l'expérience requises sont alors différentes. Le geste peut avoir des complications plus graves qu'une simple aspiration. Dès lors, la responsabilité médicale est d'une autre nature et la femme doit être clairement informée de ce qui va être fait. D'ailleurs, l'évolution des pratiques l'exige.

La transparence est une exigence, il faut dire les choses telles qu'elles sont et telles qu'elles se passent. J'aurais même souhaité que les parlementaires se rendent compte par eux-mêmes de la réalité des situations. Ils auraient pu mieux comprendre que certains médecins, même parmi ceux qui acceptent de pratiquer les aspirations, refusent de franchir la limite indiscutable qu'est le morcellement d'un foetus.

Je ne méconnais pas la part émotionnelle, mais celle-ci est partie intégrante de ce dont nous discutons. Nous sommes bien loin de la philosophie. Les personnels de santé qui ont choisi ce métier pour préserver la vie ne supportent pas longtemps de pratiquer ce type d'opération, d'autant plus que l'intervention est psychologiquement éprouvante.

Mme Véronique Neiertz.

Professeur Mattei, m'autorisez-vous à vous interrompre ?

M. Jean-François Mattei.

Oui, madame Neiertz.

M. le président.

La parole est à Mme Véronique Neiertz, avec l'autorisation de l'orateur.

Mme Véronique Neiertz.

Je vous remercie de bien vouloir me laisser intervenir. Je vous ai écouté avec attention, comme d'habitude. Nous sommes tous intéressés par la réflexion que vous pouvez mener sur ce sujet, davantage d'ailleurs, si j'ai bien compris, en tant que médecin qu'en tant que parlementaire.

Vous attirez notre attention sur la différence entre dix et douze semaines, en insistant sur le fait que jusqu'à dix semaines, l'aspiration est possible.

Laissez-moi vous dire que dans la réalité, avec laquelle vous nous appelez à reprendre contact, dans les rares hôpitaux publics qui ont accepté de pratiquer l'IVG, la plupart des chefs de service imposent l'anesthésie générale, quel que soit le nombre de semaines d'aménorrhée.

Ils le font pour des raisons qui leur sont propres, et que je ne juge pas. Bien souvent, ils prennent cette décision parce que le personnel qui s'occupe de ces femmes n'a pas la formation nécessaire pour procéder à l'aspiration - on peut le regretter car cette intervention est beaucoup moins traumatisante en effet - mais aussi pour garantir l'activité du service, et pour d'autres raisons que vous connaissez mieux que moi.

Je ne crois donc pas qu'il faille trop s'appesantir sur la possibilité d'accéder à l'aspiration en dessous d'un certain seuil. Car, pour le moment, la seule possibilité qu'ont les femmes, dans le cas où elles trouvent, pour effectuer l'IVG, un hôpital public, ou même une clinique, puisque l'hôpital est défaillant la plupart du temps, c'est l'anesthésie générale. On peut le regretter, mais la réalité est bien celle-là !

Je voulais introduire cette remarque dans le débat de qualité que vous nous proposez, parce que, croyez-le bien, nous sommes bien conscientes des différences qui peuvent exister entre la contraception - souhaitable -, l'IVG - qui doit intervenir le plus tôt possible - et la nouvelle possibilité offerte par cette loi.

M. le président.

Veuillez poursuivre, monsieur Mattei.

M. Jean-François Mattei.

Je vous remercie, madame Neiertz, d'avoir ainsi précisé les choses. Je vais d'ailleurs compléter vos propos et vous apporter une explication.

L'anesthésie générale qui est actuellement pratiquée tend de plus en plus à être remplacée par la péridurale.

M me Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Dans 50 % des cas.

M. Jean-François Mattei.

Lorsqu'on se trouve devant une nulligeste, une nullipare, c'est-à-dire une gosse de quinze ans dont le col est extrêmement étroit, c'est généralement la péridurale qui permet de mener au mieux l'intervention.

Mais ce que j'étais en train d'exposer, ce n'est pas tant le point de vue des femmes que celui des personnels de santé, confrontés à une situation difficile. Qu'il y ait anesthésie générale ou péridurale, le geste accompli et les pectacle laissé au regard déclenchent, on peut le comprendre, une réaction émotionnelle forte.

Il y a encore quelques jours, dans un service proche, j'ai pu observer des sages-femmes quitter le bloc en cours d'intervention, à la suite d'un accès de colère peut-être dû à la fatigue, en disant qu'elles n'avaient pas choisi ce métier pour faire ça. Cette réaction ne relevait pas d'une position morale, elle traduisait simplement le malaise profond que toute conscience ressent devant des situations dont la répétition peut conduire à la révolte, même parmi un personnel qui, a priori, a accepté d'aider les femmes en difficulté.

Outre la question de la responsabilité au regard des conséquences éventuelles, qu'il faudra d'ailleurs mieux définir, le respect de la clause de conscience me paraît plus que jamais s'imposer. Or, à mon sens, le texte tel qu'il nous est proposé aborde mal cet aspect du problème, en minimisant la dimension médicale, alors que la seule solution, au cas par cas, pourrait être au contraire de médicaliser l'intervention.

A ce sujet, une réflexion supplémentaire doit être menée, car il est trop facile de se référer à chaque instant aux pays voisins. Contrairement à ce que l'on veut bien dire, les situations ne sont pas comparables.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Exact !

M. Jean-François Mattei.

Pourquoi ? Parce que la France est pratiquement le seul pays à faire la distinction entre l'IVG et l'IMG. C'est l'absence de cette distinction qui explique qu'en Grande-Bretagne ou en Hollande les délais varient entre seize et vingt-deux semaines, certains


page précédente page 09510page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

diagnostics aboutissant à une intervention étant effectivement portés à cette étape de la grossesse. (« Bien sûr ! »

sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Je rappelle que, en France, il n'y a pas de délai, même à vingt-deux semaines, pour les interruptions médicales de grossesse réalisées pour un motif grave, tenant à la femme ou au foetus. On ne peut donc pas comparer des situations qui ne sont pas comparables.

C'est la raison pour laquelle je propose, comme d'autres qui ne professent pas nécessairement la même philosophie, qu'après le délai charnière essentiel constitué par la dixième semaine le cadre de l'IVG cède le pas à celui de l'interruption médicale de grossesse. Chaque cas serait alors soigneusement examiné au cours d'une consultation pluridisciplinaire, selon des procédures accréditées respectant la situation des femmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il ne m'est pas possible de parler de toutes les situations que j'ai à connaître au coeur d'un centre de diagnostic prénatal ou dans le cadre d'une consultation d'éthique telle que nous l'avons créée à Marseille. Mais il est clair qu'un médecin ne peut pas méconnaître la gravité d'un viol, d'un inceste ou d'une conduite suicidaire, et qu'il serait invraisemblable que de telles situations ne soient pas médicalisées. Mon sentiment profond est qu'on n'a pas besoin d'étendre le délai en France parce que, justement, nous avons le cadre de l'interruption médicale de grossesse et qu'il suffit de l'aménager, comme certains amendements que nous avons déposés l'ont proposé.

Je ne veux pas entrer dans une polémique vaine entre le droit des femmes et le pouvoir médical. Elle est, à mon avis, dépassée. Cette période a certainement existé. Je crois qu'elle est grandement révolue et que, à trop en vouloir aujourd'hui, les femmes risquent de se priver des recours dont elles peuvent avoir réellement besoin. Il ne vous aura échappé, ni aux uns ni aux autres, que, pour de multiples raisons, les vocations d'obstétricien ne correspondent plus aux besoins de la population et qu'ils rechigneront de plus en plus à se trouver contraints dans des situations qu'ils désapprouvent en très grande majorité. C'est le cas après dix semaines pour la majorité de ceux qui savent de quoi ils parlent parce qu'ils en ont la pratique.

Je dis cela parce que, si vous avez conduit les comparaisons avec l'étranger jusqu'au bout, vous avez pu remarquer que les avortements, en Hollande notamment, se font presque toujours dans des structures privées à but lucratif. Je préfère, pour ma part, prendre pour étalon le secteur public à la française et je ne suis pas sûr que les motivations du service public perdurent longtemps dans les conditions actuelles si l'on ajoute aux difficultés matérielles et morales le sentiment d'être prestataire de service obligé.

Déjà dans le contexte actuel, Mme Aubry reconnaissait

« l'insuffisante prise en charge des IVG trop souvent considérées par le personnel médical comme un acte dévalorisant ». La variabilité du nombre d'IVG dans les hôpitaux publics prouve, selon elle, que « certains médecins sont peu enclins à les pratiquer ». Alors même que l'application de la loi de 1975 est déficiente, les dispositions plus contraignantes et les circonstances plus difficiles que ce projet de loi va imposer aux médecins ne me semblent pas de nature à faire évoluer les choses dans le sens que vous souhaitez.

Oui, de mon point de vue, le fait de passer de dix à douze semaines pose des problèmes médicaux particuliers.

Mais au moins - troisième question - la prolongation de quinze jours du délai légal d'interruption apporte-t-elle une véritable solution au problème réel rencontré par quelque 5 000 femmes chaque année ? A mon sens, la réponse est non pour plusieurs raisons.

La première raison est que la loi de 1975 n'est pas correctement appliquée, aujourd'hui, dans les délais prévus : manque de moyens patent en structures, en équipements et en personnels. Vous l'avez d'ailleurs rappelé dans votre discours, madame la ministre, en insistant sur certaines de vos intentions.

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

C'est exact !

M. Jean-François Mattei.

Mais il faut savoir qu'aujourd'hui encore certaines femmes sont renvoyées et se trouvent donc hors délai au motif que les équipes sont débordées, plus particulièrement encore dans certaines régions et à certaines périodes de l'année.

Le rapport du professeur Israël Nisand est édifiant à cet égard, tout comme les témoignages de très nombreux professionnels qui soulignent la difficulté d'accès aux structures, notamment publiques, et leurs moyens parfois dérisoires. A-t-on simplement conscience que deux tiers des centres d'IVG n'ont pas d'anesthésistes disponibles ? Je ne vais pas insister sur l'inventaire des insuffisances dont nous sommes, dans la durée, les uns et les autres responsables. Je veux simplement insister sur l'insuffisance criante de l'information en termes de sexualité, de fécondité, de contraception au long cours et d'urgence, et cela dès l'adolescence. Si nous sommes objectifs, nous devons bien nous retrouver sur ce constat de carence. En réponse à cela, le projet de loi met l'accent sur la prolongation du délai légal de l'IVG. N'étant déjà pas capables d'assurer ce qui est prévu par la loi, nous allons encore augmenter l'ampleur de la tâche.

Le Comité consultatif national d'éthique est explicite à cet égard, quand il souligne que le nombre d'IVG dans notre pays est supérieur à ceux d'autres pays d'Europe, ce qui est inacceptable. Il ajoute qu'une politique de santé publique responsable ne saurait s'exonérer à bon compte de la question posée par la détresse vécue par des milliers de femmes chaque année. Ce n'est pas en érigeant des barrières légales que la question sera résolue, mais plutôt en faisant tout pour faciliter l'accès à la connaissance de la vie affective et sexuelle, au sens de la relation, de la maternité et de la paternité.

M. Yves Bur.

C'est vrai !

M. Jean-François Mattei.

C'est souligner l'importance de l'information sur la contraception et les risques psychologiques et organiques de l'IVG. Le CCNE considère que le débat éthique se situe en amont et pas seulement dans l'allongement du délai prévu par ce projet de loi.

Dans le texte que vous nous proposez, on a le sentiment, en définitive, que derrière une démarche compassionnelle compréhensible se cache une réalité beaucoup plus terre à terre puisque, devant le manque de moyens pour appliquer la loi, on essaie de se donner bonne conscience en assouplissant le dispositif actuel. Je suis heurté quand l'enquête du docteur Hassoun en 1992 démontre que l'entretien préalable n'est pas toujours réalisé et que la qualité de l'entretien est inégale selon la formation et l'idéologie de la personne qui l'assure et que la réponse à cette anomalie est la pure et simple suppression de l'obligation de cet entretien, comme vous nous le proposez. Puisqu'on ne peut l'assurer, supprimons-le !


page précédente page 09511page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Pourtant, le planning familial indique bien que cet entretien est surtout utile pour les femmes enceintes qui hésitent. Encore faut-il leur faire prendre conscience, parfois, de leur hésitation et, pour cela, les recevoir et les écouter. Et le Comité consultatif, dans sa réponse, indique clairement que, dans l'hypothèse d'une prolongation des délais, certaines femmes pourraient approfondir le dialogue avec les médecins, dialogue que la loi prévoit explicitement, mais qui est trop souvent négligé et qui, maintenant, ne sera même plus obligatoire. Il ajoute que cette prolongation serait paradoxalement de nature à favoriser la décision de garder leur enfant. Or, vous minimisez à l'excès l'entretien préalable et notamment l'entretien avec la psychologue, le travailleur social ou la sagefemme et les moments de dialogue.

Croit-on vraiment que la simple remise d'un dossierguide par le médecin va correctement les renseigner, quand on sait qu'elles ne sont souvent pas à même de le lire ou de le comprendre ? J'ai trop l'expérience des formulaires, des consentements écrits et des brochures pour savoir que rien ne remplace le contact humain chaleureux et la disponibilité de quelqu'un qui vous écoute, qui vous regarde et qui vous donne le sentiment d'exister, dans un moment de détresse.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

On serait mieux inspiré de faire les efforts nécessaires d'information, de prévention, d'accueil et de prise en charge avant de pratiquer la fuite en avant. C'est cela qui importe d'abord pour lutter contre l'abandon et la solitude.

Je ne peux m'empêcher à nouveau de vous livrer mon expérience personnelle. Dans ma pratique médicale liée à la génétique, il m'est nécessaire de reconstruire des arbres généalogiques et l'histoire familiale pour les couples qui viennent consulter. Ce sont des couples stériles ou des couples qui ont donné naissance à un enfant handicapé.

Et c'est alors, dans l'histoire familiale, qu'un avortement p ratiqué quelques années auparavant, décidé en conscience et apparemment assumé, enfoui dans la mémoire, ressurgit et prend soudain toute sa signification.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Eh oui !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Tout à fait !

M. Jean-François Mattei.

La femme, le couple réalisent soudain la portée de cet acte dans leur histoire personnelle. Réaliser qu'on ne peut plus avoir d'enfants, alors qu'on a choisi, dans le passé, d'interrompre une grossesse, fait naître tout à la fois un sentiment nouveau de culpabilité et de regret...

Mme Christine Boutin.

Merci de le dire, monsieur Mattei !

M. Jean-François Mattei.

... mais aussi le plus souvent fait surgir des reproches que j'entends : « Nous n'y avions pas pensé à ce moment-là et personne ne nous a avertis.

Personne ne nous a fait entrevoir cette éventualité. Si j'avais su... »

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Voilà !

Mme Christine Boutin.

C'est bien de le dire, pour les femmes !

M. Jean-François Mattei.

Voilà pourquoi je suis convaincu que l'entretien préalable est indispensable, doit être bien conduit, empreint de respect, en poursuivant un seul but : faire en sorte que la femme prenne sa décision en étant parfaitement informée, dans un moment où la difficulté l'empêche parfois de raisonner avec toute l'objectivité nécessaire.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Oui, tout doit être fait pour que ces femmes n'aient pas un jour à regretter la décision qu'elles ont prises. Commençons donc par appliquer correctement la loi de 1975 avant d'en élargir le champ.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

La seconde raison relève de la méconnaissance apparente de la psychologie des femmes confrontées à une telle situation et à l'obligation de respecter un délai. Si certaines d'entre elles se trouvent hors délai, c'est qu'elles ont attendu le dernier moment pour se décider, dans un dilemme tragique, et cela pour des raisons différentes, dont parfois l'ambivalence de leur désir de maternité.

Le phénomène n'est d'ailleurs pas exclusif à l'IVG. J'ai fait la même constatation, mesdames les ministres, en travaillant sur l'accouchement anonyme. Le délai de rétraction était de trois mois. Les femmes qui se rétractaient le faisaient ou très vite ou à l'extrême limite du délai autorisé.

Avoir ramené le délai de trois à deux mois n'a rien changé pour elles : elles choisissent toujours ou très vite, ou juste au dernier moment.

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jean-François Mattei.

Il en ira de même pour l'IVG. Repousser le délai, c'est prendre le risque de repousser le moment de leur décision.

Mme Christine Boutin.

Bien sûr !

M. Jean-François Mattei.

Est-ce vraiment approprié ? Je ne le crois pas.

M. Pascal Clément.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

La troisième raison, enfin, relève du simple bon sens, me semble-t-il.

Sur les 5 000 femmes qui se trouvent hors délai chaque année, seules 2 000 se trouvent entre la dixième et la douzième semaine de grossesse. Au nom de quelle logique abandonnerait-on les 3 000 autres ? Les arguments invoqués pour les premières - détresse, ignorance, solitude, recours obligé et coûteux à l'étranger - ne vaudraient-ils pas pour les secondes ? Ne reprendra-t-on pas le débat, dans quelque temps, pour repousser le délai de douze à quatorze, seize semaines, ou même jusqu'au seuil de la viabilité, sachant que celui-ci est sans cesse repoussé en deçà des 180 jours légaux,...

Mme Christine Boutin.

Bien sûr !

M. Jean-François Mattei.

... grâce aux progrès de la médecine foetale et à la prise en charge des bébés que l'on qualifie de « prématurissimes » ? Douze semaines ! Pourquoi douze semaines ? Je ne comprends pas la logique de ce choix.

Quatrième question, la prolongation du délai ne soulève-t-elle pas de nouveaux problèmes que l'on n'attendait pas ? Obnubilé par la détresse des femmes, on finissait par oublier l'enfant.

M. Pascal Clément.

Exactement !

M. Jean-François Mattei.

Nous voilà rappelés à la réalité par les images échographiques qu'il nous livre. Oui, il est là ! Il est bien là, terminé, dans sa morphologie, après dix semaines.


page précédente page 09512page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Oh !

M. Jean-François Mattei.

Il ne lui reste plus qu'à grandir, à mûrir pendant les six mois qui s'annoncent. Les progrès stupéfiants de l'imagerie médicale et notamment de l'échographie en trois dimensions et en temps réel permettent désormais de faire une description précise et de déceler tel ou tel défaut éventuel plus ou moins grave.

Cela signifie qu'en reculant le délai pour l'avortement et en remontant de plus en plus tôt l'examen prénatal du foetus, on met en place, sans l'avoir voulu, les instruments de la sélection des enfants à naître.

Disant cela, je n'invoque pas le spectre, parfois brandi, de l'élimination en fonction du sexe. Si de telles demandes existent, elles demeurent l'exception.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

C'est certain.

M. Jean-François Mattei.

Je n'évoque pas non plus l'hypothèse d'un eugénisme d'Etat. Ce serait faire injure aux femmes de penser qu'un avortement se décide à la légère, pour un motif, somme toute, secondaire.

Mme Christine Boutin.

Bien sûr !

M. Yves Bur.

C'est évident.

M. Jean-François Mattei.

De ce point de vue, je rejoins l'avis mesuré du Comité consultatif national d'éthique et je n'invoque pas l'eugénisme au sens que nous lui donnons habituellement, avec son contexte historique d'élimination collective. Ce serait absurde et ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

En revanche, avec l'IVG à douze semaines, ce n'est plus la détresse des femmes qui pourra s'imposer comme argument, pas plus que la malformation d'une particulière gravité, mais la conformité du foetus, et cela, j'ai du mal à l'admettre.

J'ai d'autant plus de mal à l'accepter que cela va à l'encontre de ce que nous nous efforçons de faire dans nos consultations prénatales, en développant la médecine foetale. Je le dis fortement parce que ma pratique et mon expérience médicale me le permettent.

Quand vous annoncez à une feme enceinte de onze semaines que la nuque de son foetus est épaissie,...

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Comment l'annoncez-vous ?

M. Jean-François Mattei.

... que vous expliquez que ce signe est facteur de risque de la trisomie 21 ou mongolisme, qu'il faudra pratiquer une prise de sang à la quatorzième semaine, sans doute une amniosynthèse à la seizième semaine, et attendre la confirmation de l'étude chromosomique à la dix-huitième pour une éventuelle interruption de grossesse - dans des conditions que l'on devine, à ce stade tardif -, je peux affirmer que la possibilité d'une IVG immédiate pèsera lourd dans son choix.

Une IVG sur un seul doute, une IVG au maléfice du doute puisqu'en l'occurrence le doute ne profite pas au foetus.

M. Pascal Clément.

Absolument !

M. Jean-François Mattei.

La tentation de l'enfant normal est suffisamment prégnante pour qu'on réfléchisse à deux fois avant de s'engager dans une pareille voie. Comment pourrions-nous, nous médecins, nous faire l'avocat d'un enfant pour lequel on décèle un fémur un peu court, un coeur mal cloisonné, un ventricule cérébral un peu dilaté, une hernie abdominale volumineuse ou même l'absence d'une main sachant que l'interruption de la grossesse serait légale pour un enfant normal ?

Mme Christine Boutin.

Tout à fait !

M. Jean-François Mattei.

Je suis, à cet égard, frappé par la permanence de l'homme au travers de son histoire, car la situation dont je vous parle n'est pas nouvelle. Déjà dans l'antiquité le nouveau-né était présenté à son pè re. S'il ne lui convenait pas, le père se détournait et l'enfant était exposé avant de disparaître. S'il lui convenait, il le prenait dans ses mains pour le présenter, le reconnaître et le faire sien.

Eh bien, en 2 000 ans, les progrès de la technique nous ont simplement fait gagner six mois ! Ce n'est plus à la naissance mais au troisième mois, entre la dixième et la douzième semaine que la question surgit lorsque la sonde de l'échographe s'attarde sur le ventre de la mère :

« Docteur, est-ce qu'il est normal ? ».

Cette interrogation est bien naturelle d'ailleurs, mais je peux aussi vous donner les réactions fréquentes devant l'annonce d'un doute ou d'une anomalie. L'interruption est souvent demandée alors même que nous n'avons pas de réelles certitudes ou que nous savons soigner ou opérer. Il a fallu se battre et demander l'aide de familles avec des enfants opérés sans séquelles pour éviter des interruptions de grossesse dans le cas d'enfants avec un bec de lièvre. Il a fallu mettre face à face les couples pour lesquels on venait de découvrir chez le foetus un bec de lièvre et qui souhaitaient l'interruption et les couples pour lesquels l'enfant avait été opéré avec des résultats esthétiques parfaits.

Il faut désormais tout dire, prendre acte et éventuellement rendre des comptes plus tard si la justice s'en mêle.

Dans ce contexte, je dois vous dire que le récent arrêt de la Cour de cassation me plonge dans la plus grande inquiétude.

Madame la ministre, il se trouve que vous êtes à la charnière de deux mondes puisque vous avez assuré pendant plusieurs années la fonction de garde des sceaux.

Vous voyez donc bien l'autorité attachée à un arrêt de la Cour de cassation.

Au-delà de l'erreur médicale qui avait déjà été sanctionnée et qui avait donné lieu à réparation, voilà que c'est la naissance d'un enfant handicapé qui constituerait en soi un préudice. Voilà que désormais il faudrait s'interroger pour savoir si la vie en gestation est d'une qualité telle qu'elle mérite d'être accueillie ou si elle ne vaut pas la peine d'être vécue. Dans ce cas, l'élimination est préférable.

D'ailleurs, à l'instar des Etats-Unis, on voit poindre les futurs procès d'enfants se retournant contre leurs parents au motif qu'ils auraient eu tort de les laisser naître ainsi.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Hélas !

M. Jean-François Mattei.

La mort vaudrait mieux que la vie et, curieusement, le statut de cette vie en développement serait contradictoire. Revendiquant un droit à la mort qu'ils auraient eu en qualité de foetus, ce serait reconnaître le foetus comme sujet de droit, mais inversement, si les parents peuvent en disposer librement et choisir son devenir en le gardant ou en l'éliminant, c'est lui donner le statut de chose puisqu'on ne peut jamais disposer du sort de quelqu'un.

Mme Sylvia Bassot.

Parfaitement !

M. Jean-François Mattei.

Comment ne pas imaginer que désormais, a fortiori dans un contexte juridique étonnant, le médecin en charge de surveiller la grossesse ne soit obnubilé par la recherche du moindre signe révélateur d'une anomalie ou même d'un risque supposé ?


page précédente page 09513page suivante

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

Comment ne pas imaginer qu'il s'en ouvrira immédiatement aux parents pour les placer devant leur choix et leur responsabilité, ne voulant en aucune façon être impliqué dans un futur difficilement prévisible avec certitude ? Comment enfin ne pas imaginer la détresse des parents qui, même pour ceux qui par conviction souhaiteraient accueillir l'enfant et le prendre en charge, se trouveraient pratiquement contraints à l'interruption de la grossesse pour ne pas risquer d'être poursuivis par leur enfant devenu grand ? Je sais bien que ces problèmes n'avaient pas été initialement prévus lorsque la prolongation du délai a été envisagée, mais la réalité est bien là. Les plus grandes difficultés ne sont probablement pas là où on les attendait.

On objecte parfois qu'avec les progrès techniques les mêmes problèmes se poseront bientôt, de toute façon, avant la dixième semaine. C'est vrai pour les anomalies génétiques mais avec une différence notoire, c'est qu'il faut les rechercher spécifiquement en fonction d'anomalies familiales connues ou de situations à risques spécifiques. Or, ce qui pose essentiellement problème avec la prolongation du délai de quinze jours pour l'IVG, c'est que la morphologie est terminée - ce qui n'est pas le cas avant dix semaines et c'est bien cela qui change tout - et que l'échographie à cette période va jouer désormais un rôle d'examen systématique pour le dépistage d'anomalies morphologiques et donc la possible sélection des enfants à naître.

M. Pascal Clément.

Eh oui !

M. Jean-François Mattei.

Que les pays voisins n'aient pas rencontré ces problèmes n'est pas étonnant puisque ces progrès sont très récents et le recul totalement insuffisant ! Nous n'avons pas d'études statistiques, épidémiologiques avec l'échographie en trois dimensions.

J'ajoute d'ailleurs que l'on devrait être un peu plus prudent en invoquant sans arrêt l'exemple de pays voisins. Fallait-il suivre leur exemple lorsqu'au début du siècle certains, dont les Etats-Unis, ont pratiqué « l'amélioration génétique » par stérilisation forcée ? On gagne parfois à rester soi-même, accroché à ses valeurs, en dépit des modes et des convenances. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il arrive même que l'avenir nous donne raison.

Vous le voyez, c'est une raison de plus, mais réellement déterminante, qui me conduit à refuser votre proposition.

Si elle était adoptée, elle soulèverait, me semble-t-il, bien plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. D'une autre nature, il est vrai. Voilà aussi pourquoi je persiste à penser que la médicalisation de l'interruption de la grossesse après dix semaines est la seule solution. Il suffit de l'aménager, sans esprit partisan, en respectant les femmes mais aussi les enfants.

Mme Nicole Catala.

Oui, je le pense aussi !

M. Jean-François Mattei.

Reste à envisager maintenant l'exception à l'autorité parentale.

Sur ce point, je partage largement la constatation que les parents sont, dans certains cas - ne généralisons pas car nombreux sont encore les parents responsables et attentifs -, incapables de répondre à la détresse de leur enfant. Ils n'ont pas su éduquer, informer, préparer leur enfant à devenir adulte. Ce faisant d'ailleurs ils les ont même parfois, paradoxalement, privés de leur enfance.

Que pensez-vous que j'éprouve devant une adolescente de quinze ans enceinte sans comprendre et déjà confrontée à des choix d'adulte ? Je pense qu'on l'a privée de son enfance et que, naturellement, il faut l'aider. Oui, je suis persuadé que, dans certains cas, cette incapacité des parents à protéger leurs enfants ou à les accompagner confine à la notion de mauvais traitements à enfants, par négligence ou irresponsabilité.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Bravo !

M. Jean-François Mattei.

Notre devoir est donc de pallier ces insuffisances. Oui, j'approuve l'adoption de décisions qui permettent de secourir l'enfant quand tout a été tenté, sans succès, pour renouer les fils du dialogue avec les parents.

Mme Marie-Thérèse Boisseau et Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Je n'ignore pas tout ce que cela sous-tend, mais le principe de réalité s'impose, doublé du principe de responsabilité.

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Après tout, dans l'autre sens, n'avons-nous pas déjà prévu une exception à l'autorité parentale pour permettre à une jeune fille de quinze ans de garder son enfant, même contre le désir de ses parents ? Cela dit, vous me permettrez de penser que vous n'êtes pas allés assez loin dans votre réflexion. Nous en discuterons au moment de l'examen des amendements, madame la rapporteure ; quoi qu'il en soit, je regrette vivement que vous n'ayez accepté aucun de ceux que je vous ai proposés avec Bernard Perrut. Car vous auriez dû, me semble-t-il, commencer par rassembler dans le code civil toutes les exceptions à l'autorité parentale, de façon à définir les contours actuels de ces situations exceptionnelles, puis, devant la gravité d'une telle décision, tenter de trouver un meilleur équilibre, plus protecteur des intérêts de la mineure non émancipée. Le recours au juge pour enfants afin d'habiliter, avec l'accord de la jeune fille, l'adulte référent me paraît indispensable.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Bien sûr !

M. Jean-François Mattei.

On ne peut se contenter de laisser le choix à cet enfant dont on devine la fragilité, le désarroi, la précarité de la situation. On ne peut davantage accepter de le confier éventuellement à un jeune adulte, lui-même irresponsable, peut-être même à l'origine de la situation. Il faut vraiment, tout au contraire, un adulte capable de la soutenir, de l'aider et de l'accompagner.

Mme Marie-Thérèse Boisseau et M. René André.

Tout à fait !

M. Jean-François Mattei.

Et toujours par analogie à la maltraitance à enfants, et parce que je sais sa capacité à agir, y compris en référé, je souhaite vraiment l'intervention du juge pour enfant.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

Très bien !

M. Jean-François Mattei.

Enfin, parce qu'à aucun moment vous ne l'avez évoquée alors qu'elle existe pourtant, il faut bien parler de la responsabilité en cas d'accident. Si, au cours de l'intervention, survient une perforation utérine ou une hémorragie sévère, qui devra assumer la responsabilité en l'absence de faute médicale ? Pas le médecin, dès lors qu'il n'est pas fautif, pas davantage les parents, puisqu'ils n'ont pas été consultés, pas la mineure, bien sûr, ni l'adulte référent dont ce n'est pas le rôle. Je vous ai fait des propositions auxquelles on m'a opposé - argument dérisoire - le fameux article 40. En


page précédente page 09514

ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 29 NOVEMBRE 2000

pareille circonstance, il me semble que l'Etat ou les établissements de santé devraient accepter cette responsabilité. Seul le Gouvernement peut lever l'obstacle de l'article 40. Madame la ministre, si aucune faute ne peut être établie, qui assumera la responsabilité en cas d'interruption de grossesse chez une mineure sans l'autorisation parentale ? Sur ce sujet de l'autorité parentale, je regrette que la commission des lois n'ait pas été saisie pour avis, car il s'agit tout de même de modifier le code civil.

Mme Sylvia Bassot et M. Claude Goasguen.

Tout à fait !

M. Jean-François Mattei.

De la même façon, j'aurais aimé qu'elle fût saisie du problème de la ligature des trompes chez la femme ou des canaux déférents chez l'homme aux fins d'une contraception définitive, puisque vous avez introduit cettte disposition par voie d'amendements. Après tout, il ne s'agirait que de l'explication de l'article 16, alinéa 3, du code civil que vous avez vousmêmes modifié dans un DMOS « accroché » à la loi portant création de la couverture maladie universelle. Nous en reparlerons plus longuement lors de la discussion des amendements, puisque cette disposition en figure pas dans le projet initial. Quoi qu'il en soit, je trouve vraiment regrettable que la commission des lois n'ait pas été saisie pour avis, alors qu'il s'agit, à deux reprises, de modifier le code civil.

Mme Christine Boutin.

C'est inacceptable !

Mme Marie-Thérèse Boisseau.

Tout à fait regrettable !

M. Jean-François Mattei.

Mesdames les ministres, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, vous le voyez, en dehors de toute discussion morale et de toute polémique partisane qui aurait pu nuire à la qualité du débat, sans remettre le moins du monde en cause la loi de 1975, je ne crois pas que le projet de prolongation de quinze jours du délai légal de l'IVG, tel que vous nous le présentez, soit recevable.

Je crois pouvoir comprendre - mais je ne suis qu'un homme, et vous pourrez toujours sur ce simple motif le contester - l'exaspération des femmes devant la fréquente lâcheté des hommes étrangement absents, leur révolte devant les choix tragiques qu'il leur faut assumer, souvent dans des conditions difficiles, leur exigence de ne pas être manipulées dès lors qu'il s'agit de leur corps.

Mais je suis profondément convaincu que les solutions proposées ne sont pas bonnes. Elles m'apparaissent même parfois dérisoires : tout ça pour ça, serais-je tenté de dire... Quinze jours de plus, sans véritrable logique, laissant 3 000 femmes de côté ; la suppression d'un entretien, que je considère au contraire comme nécessaire - ou tout au moins la suppression de l'obligation de l'entretien, madame la rapporteure : vous avez raison, je vous ai vue frémir ! Elles m'apparaissent aussi empreintes de fatalité : fatalité devant la solitude des femmes, devant l'incapacité de notre société à respecter ses engagements en termes de moyens, devant ce qui ressemble à un constat d'échec partiel.

Elles m'apparaissent enfin, et c'est plus grave encore, à certains égards dépourvues d'humanité, par le fait qu'en revendiquant davantage de liberté, les femmes accroissent de fait leur responsabilité,...

Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure.

Bien sûr !

Mme Véronique Neiertz.

Et la responsabilité des hommes ?

M. Jean-François Mattei.

... une responsabilité que certaines sont naturellement à même d'assumer, je n'en disconviens pas. Mais je vous assure que nombre de celles qu'il nous arrive de recevoir se trouveront désormais plus solitaires dans un choix plus tardif et plus difficile.

Tout au long de mon intervention, je me suis efforcé de faire la part des choses, de montrer les problèmes médicaux spécifiques, l'insuffisance des réponses aux problèmes rencontrés, la gravité des questions soulevées par l'interruption volontaire liée à des critères foetaux morphologiques. Je me suis également efforcé de proposer des solutions alternatives de prévention, d'éducation, d'organisation médicale, d'aide à la décision et d'accompagnement des mineures. Car je suis convaincu que sur des sujets de cette nature, on ne peut pas se contenter de mesures techniques et faire l'économie d'un débat de sens. Or je crains que, pour ce projet, le débat de sens ne fasse cruellement défaut.

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Mes chers collègues, ainsi que je l'ai indiqué en appelant la question préalable, les explications de vote et le vote sur celle-ci interviendront cet aprèsmidi.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Quel dommage !

M. le président.

Le fait est que M. Mattei a finalement été plus bref que prévu...

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

A la demande de son président, je vous informe que la réunion de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, prévue cet après-midi à quatorze heures trente, est annulée.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, no 2605, relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception : Mme Martine Lignières-Cassou, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 2726), Mme Danielle Bousquet, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (rapport d'information no 2702).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT