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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

RAYMOND

FORNI

1. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée. - Suite d e la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions d'un rapport sur six propositions de loi organique (p. 10483).

MM. Gilbert Gantier, le président.

A

UTEURS

DES

PROPOSITIONS DE

LOI ORGANIQUE (suite) (p. 10483)

MM. Raymond Barre, Hervé de Charette, Gérard Gouzes.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 10487)

MM. Noël Mamère, Dominique Bussereau, Michel Hunault, Jean Vila, Renaud Dutreil, Mme Yvette Benayoun-Nakache,

M.

Jean-Luc Warsmann.

2. Modification de l'ordre du jour prioritaire (p. 10503).

3. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée. - Reprise d e la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions d'un rapport sur six propositions de loi organique (p. 10504).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 10504)

MM. Maxime Gremetz, Bernard Derosier, Didier Quentin, Alain Barrau, Hervé Gaymard.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 10510).

5. Dépôt d'un rapport (p. 10510).

6. Dépôt d'un rapport en application d'une loi (p. 10510).

7. Dépôt d'un projet de loi modifié par le Sénat (p. 10510).

8. Dépôt de propositions de loi adoptées par le Sénat (p. 10510).

9. D épôt d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (p. 10511).

10. Ordre du jour des prochaines séances (p. 10511).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

1 DATE D'EXPIRATION

DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions d'un rapport sur six propositions de loi organique

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur les propositions de loi organique : de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présidentielle par ra pport à l'élection législative (nos 2602, 2791) ; de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O. 121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives (nos 2665, 2791) ; de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (nos 2741, 2791) ; de M. Hervé de Charrette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives (nos 2756, 2791) ; de M. Gérard Gouzes relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (nos 2757, 2791) ; de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (nos 2773, 2791).

Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les auteurs des propositions de loi organique.

Monsieur Gantier, je vois que vous vous apprêtez à faire un rappel au règlement ?

M. Gilbert Gantier.

En effet, monsieur le président, parce que je voulais vous signaler que la commission des finances doit se réunir à vingt et une heures. Malgré toutes les qualités qui sont les miennes, je ne peux être à la fois en commission des finances et en séance publique.

Or je voudrais entendre M. Barre.

M. Jean-Jacques Jégou.

La réunion de la commission a été supprimée.

M. le président.

Monsieur Gantier, vous avez été entendu : la réunion de la commission des finances, prévue à vingt et une heures, a été annulée et reportée à demain. Vous allez donc pouvoir entendre en toute sérénité M. Barre.

M. Gilbert Gantier.

Me voilà satisfait ! Auteurs des propositions de loi organique (suite)

M. le président.

La parole est à M. Raymond Barre, auteur de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Raymond Barre.

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi organique qui vient aujourd'hui en discussion à l'Assemblée nationale est la conséquence de la tribune que M. Michel Rocard et moi-même avons publiée le 18 novembre 2000 dans le journal Le Monde.

Ayant pris connaissance de l'appel de trois éminents constitutionnalistes français à ne pas voter « la tête à l'envers » en élisant en 2002 les députés d'abord et le Président de la République ensuite, ayant chacun pour notre part déjà exprimé cette opinion, nous avons pensé que l'Assemblée nationale devait débattre de cette question. A notre avis, un débat rapide pouvait soulever l'argument selon lequel on ne change pas la règle du jeu quand une consultation électorale est proche. A un an et trois mois des élections législatives et de l'élection présidentielle, les Français ont d'autres sujets à l'esprit, excepté les spécialistes intéressés des supputations électoralistes.

M. Maurice Leroy.

C'est vrai !

M. Raymond Barre.

Vous le savez bien, les Français commencent seulement à s'intéresser aux prochaines élections municipales ! Voilà pourquoi je me réjouis que ma proposition et celles présentées par plusieurs collègues aient été inscrites par le Gouvernement à l'ordre du jour.

Quelles sont les raisons qui m'ont amené à présenter cette proposition de loi organique que Michel Rocard aurait cosignée s'il était parmi nous ? D'abord, l'ordre actuel des élections prévues pour 2002 n'est que le résultat du hasard. Le décès du Président Pompidou en 1974, la dissolution décidée en 1997 par le Président Chirac en sont la cause. Il est souhaitable d'échapper au hasard. Il est nécessaire de remettre le calendrier à l'endroit. Il ne s'agit nullement de changer la règle du jeu, mais de la rétablir, d'effectuer un retour à la normale. On ne change pas la règle du jeu, on change simplement une date.

Il ne s'agit pas non plus d'un arrangement entre polit iques d'une « magouille » ou d'un « tripatouillage » comme certains le prétendent. Nous n'avons pas, Michel Rocard et moi-même, l'habitude de recourir à de tels procédés. Nous ne nous sommes pas souciés de la convenance de quiconque. Nous souhaitons seulement que les Français puissent exercer un choix éclairé, quel que soit le sens dans lequel ils voudront l'exercer.

Mais pourquoi attacher une si grande importance à ce calendrier ? La première raison est la logique institutionnelle de la Ve République. Le Président de la République est la clef de voûte de nos institutions. Il est élu par tous les Fran-


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çais. Il est normal que son élection précède les 577 élections des députés de l'Assemblée nationale, et ne puisse être influencée par elles.

De plus, le second tour de l'élection présidentielle apporte un ciment à la majorité parlementaire qui se forme dans les élections législatives ultérieures. Ainsi le délitement d'une majorité née d'un accord électoral entre seuls partis politiques peut-il être évité. Ainsi la stabilité gouvernementale et la capacité pour le Gouvernement d'agir sont-elles assurées par la majorité présidentielle.

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

M. Raymond Barre.

L'expérience de la Ve République - M. Rocard et moi pouvons en témoigner tous les deux - montre que l'on gouverne moins difficilement avec une majorité relative, dont la loyauté résulte de la solidarité avec le Président de la République élu aussitôt avant elle, qu'on ne le fait avec une majorité absolue élue avant le Président de la République, qui se divise dans la poursuite des intérêts de ses composantes, quand une fraction de cette majorité n'en vient pas à mener une action critique de tous les instants contre le Président de la République lui-même ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Evitons donc d'inoculer à nos institutions, par la conjugaison du hasard et de fragiles calculs électoraux, le poison d'une division paralysante pour l'avenir.

J'ajoute qu'à la suite d'une longue période de cohabitation, qui aura vu l'affaiblissement sensible de la fonction présidentielle, le renvoi de l'élection présidentielle après les élections législatives ne manquerait pas de l'affaiblir davantage. L'élection présidentielle deviendrait un simple appendice des législatives. Certains peuvent y voir l'occasion de revenir à un régime complètement parlementaire.

Nous en avons fait dans le passé une regrettable expérience !

M. Pierre-Christophe Baguet.

Absolument !

M. Raymond Barre.

Je doute que les Français admettraient une telle évolution, à moins que l'élection du Président de la République au suffrage universel leur soit retirée. Je pense, comme le président Giscard d'Estaing, que nous devons conserver les bonnes institutions que la Ve République nous a données, même si cet ensemble peut être adapté et corrigé de certaines rigidités.

Enfin, l'ordre actuel des élections prévues pour 2002 est absurde. Retenons un seul exemple. Qui dirigera le pays dans les deux mois séparant les élections législatives de l'élection présidentielle ? Au soir des législatives il faudra, ou bien que l'actuel Premier ministre demeure en fonction, même s'il a essuyé une défaite, ou bien que le chef de l'Etat, qui sera lui-même à veille de la fin de son mandat, nomme pour deux mois un successeur.

M. Jean-Luc Warsmann.

Et alors ?

M. Hervé Morin.

C'est imparable !

M. Raymond Barre.

Si par ailleurs, le leader du camp perdant aux législatives décide de ne pas être candidat à l'élection présidenteille, qui pourra le remplacer dans un délai si court ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Oh !

M. Raymond Barre.

Et ces interrogations n'épuisent pas le lot des surprises que le déroulement saugrenu du calendrier électoral ne manquera pas d'apporter.

Telles sont les raisons qui militent pour que le calendrier de 2002 soit remis à l'endroit. Michel Rocard et moi-même avons pensé que le retour à l'ordre normal de ce calendrier s'expliquait fondamentalement par une logique institutionnelle éprouvée à laquelle nous sommes attachés et qu'il était préférable au scénario actuel, qui ne peut être maintenu que par convenance.

Une critique a été faite à cette proposition de loi : elle ne règle pas le problème de manière définitive. C'est vrai qu'il eût été préférable de le faire et on aurait pu le faire au moment du débat sur le quinquennat. Mais il en a été décidé autrement. Mais ce n'est pas parce qu'on ne règle pas toutes les situations qu'il faut décider de n'en régler aucune.

M. Maurice Leroy.

Lumineux !

M. Raymond Barre.

La proposition de loi présentée apporte une solution durable sauf accident, toujours possible. Mais nul ne peut prévoir qu'il neigera le 15 août.

(Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mesdames, messieurs les députés, ne compliquons pas une question qui est simple. Allons à l'essentiel. L'essentiel aujourd'hui est que les élections législatives soient fixées postérieurement à l'élection présidentielles, conformément à la logique institutionnelle de la Ve République.

Ainsi les Français pourront-ils voter la « tête à l'endroit ».

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé de Charette, auteur de la proposition de loi organique relative à l'organisation des élections présidentielle et législatives.

M. Hervé de Charette.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que j'ai déposée diffère de la plupart des autres par le mécanisme qu'elle prévoit pour changer le calendrier. En effet, le mécanisme que je propose consiste à décider que chaque fois que les élections législatives sont prévues dans les six mois précédant une élection présidentielle, elles sont automatiquement reportées quarante-cinq jours après ladite élection présidentielle.

J'ai la faiblesse de penser que ce mécanisme a des vertus, même si je sais qu'il soulève quelques interrogations sur le plan constitutionnel. Nous verrons dans le cours du débat si cette solution est oui ou non la meilleure.

Quoi qu'il en soit, je voudrais d'ores et déjà vous faire part des quelques réflexions que m'inspire ce débat, après douze heures de discussion et non sans avoir hésité à prendre la parole après l'intervention évidemment remarquable et impressionnante de M. Barre.

Premièrement, le débat que nous avons aujourd'hui me paraît être la suite logique du référendum sur le quinquennat. (« Eh oui ! » sur plusieur bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

S'il n'y avait pas eu le référendum, la question du calendrier se serait sans doute posée en d'autres termes.

Mais à partir du moment où l'on a décidé d'aligner la durée du mandat présidentiel et la durée du mandat législatif et puisque les circonstances font que les deux élections auront lieu en toute hypothèse à quelques semaines d'intervalle, on ne pouvait pas ne pas réagir.

Car la situation de 2002 devrait se reproduire de façon quasi automatique tous les cinq ans. En effet, le droit de dissolution n'est pas abandonné mais à partir du moment où législatives et présidentielle auront lieu dans la même période de temps et où il est hautement nécessaire même si ce n'est pas certain, que les Français choisiront une majorité parlementaire en harmonie avec leur choix pour


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la présidence de la République, on ne voit pas a priori quels événements rendraient nécessaire une dissolution dans les cinq ans à venir, même si c'est toujours possible.

Autrement dit, alors que cela n'avait pas été prévu par ceux qui plaidaient, comme moi, depuis de longues années la thèse du quinquennat, nous nous trouvons devant une situation nouvelle et probablement stable : tous les cinq ans, se dérouleront dans la même période l'élection présidentielle et les élections législatives. Certes d'autres hypothèses sont envisageables mais celle-ci est quand même la plus probable. Les institutions, leur application et leur esprit, ne peuvent qu'en être influencées.

Dès lors, il faut bien se poser la question de savoir si le calendrier que nous avons est le bon.

Deuxième observation : si l'on nous avait autorisés à discuter au moment du vote sur le quinquennat,...

M. Maurice Leroy.

Très exact !

Mme Nicole Bricq.

Eh oui !

M. Hervé de Charette.

Je vous rappelle qu'on nous a coupé le sifflet.

M. Gérard Gouzes.

C'est Chirac qui l'a fait !

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

En effet.

M. Hervé de Charette.

Mais vous non plus, vous ne souhaitiez pas que nous en parlions !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Si, monsieur de Charette !

M. Gérard Gouzes.

Nous avions même rédigé des centaines d'amendements.

M. Hervé de Charette.

Au moment du vote sur le quinquennat, si l'on nous avait laissé le temps d'en débattre, si l'on nous avait autorisés à déposer des amendements non balayés d'entrée de jeu par certaines forces politiques ici présentes, nous aurions évidemment posé cette question. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Gérard Gouzes.

Mais Chirac ne voulait pas !

Mme Nicole Bricq.

M. Chirac nous a dit que c'était à prendre ou à laisser !

M. Hervé de Charette.

Nous aurions ainsi été amenés à prendre ensemble sur ce sujet une position de bon sens.

Je n'ai pas entendu, au cours de la discussion qui nous occupe depuis ce matin, un seul argument de fond qui justifie le maintien du calendrier actuel.

M. Maurice Leroy et M. Gérard Gouzes.

Très juste !

M. Alain Néri.

C'est sûr !

Mme Nicole Bricq.

Très bien !

M. Hervé de Charette.

J'ai vu beaucoup de contorsions juridiques, parfois habiles, voire remarquables quant à l'intelligence et au savoir-faire de leurs auteurs mais pas un seul argument de fond pour expliquer qu'il fallait élire les députés avant le Président de la République parce que ce serait plus intelligent, plus conforme à l'esprit de la Constitution et plus efficace pour la République française. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Et si nous ne les avons pas entendus, c'est que ces arguments n'existent pas.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est vrai !

M. Gérard Gouzes.

Bien sûr !

M. Hervé de Charette.

Le bon sens, la logique, la sagesse, la conformité à l'esprit de nos institutions, le respect de la fonction présidentielle justifient qu'on place l'élection du Président de la République avant celle des députés.

Au fond, la principale accusation portée à l'encontre de ceux qui défendent la thèse de l'inversion du calendrier serait qu'ils auraient des arrière-pensées. Mes chers collègues, je sais qu'en politique, les pensées s'accompagnent souvent d'arrière-pensées. (Rires sur plusieur bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Maurice Leroy.

Très bien !

M. Hervé de Charette.

Il est même assez fréquent qu'il y ait des arrière-pensées sans pensées du tout. (Rires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Maurice Leroy.

Excellent !

M. Hervé de Charette.

En l'espèce, je crains fort que ceux qui ont des arrière-pensées ne soient précisément ceux qui, après s'être longtemps présentés comme les héritiers des gardiens du temple, les fils des fondateurs de la Constitution...

M. Gérard Gouzes.

Très juste !

M. Hervé de Charette.

... nous proposent de maintenir le calendrier « la tête à l'envers », comme le disait très justement M. Barre il y a quelques instants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocration française-Alliance et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Permettez-moi une dernière observation : si, par malheur, nous maintenions le calendrier actuel, les Français nous le reprocheraient.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est sûr !

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ce n'est pas ce qu'ils disent actuellement.

M. Hervé de Charette.

En effet, d'ici à quelques semaines, la situation apparaîtrait incompréhensible, illogique,...

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Abracadabrantesque !

M. Hervé de Charette.

... paradoxale, désordonnée. Des problèmes juridiques se poseraient, M. Barre en a évoqués quelques-uns à l'instant. Se poseraient également des questions politiques simples. Le débat politique serait rendu compliqué, confus, obscur par la volonté de parlementaires qui auraient refusé de modifier le calendrier.

Je ne veux pas être de ceux-là et je suis sûr que, dans cette Assemblée, une majorité de députés ne le veut pas non plus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Hervé de Charette.

Mesdames, messieurs, ce débat est un débat sérieux.

M. Maurice Leroy.

Bien sûr !

M. Hervé de Charette.

Il ne justifie ni les pressions, ni les noms d'oiseaux qui ont circulé ici et là.

M. Maurice Leroy.

Les menaces, les pressions...


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M. Hervé de Charette.

La situation est quelque peu paradoxale : on trouve, pour défendre un calendrier à l'envers, les gaullistes, qui ont défendu la Constitution depuis les premiers jours, et les communistes, qui ont attaqué cette Constitution depuis le premier jour. Etrange rapprochement ! Je crois que nous devrions être capables, les uns et les autres, de débattre de ce sujet en le considérant non pas comme un motif d'opposition entre la gauche et la droite,...

M. Alain Clary.

Pour soutenir la carpe et le lapin, vous vous posez là !

M. Hervé de Charette.

... mais comme une occasion de réfléchir, sur tous les bancs de cette assemblée, à la meilleure façon de permettre aux Français de s'exprimer en 2002. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Gouzes, auteur de la proposition de loi organique relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Gérard Gouzes.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne suis pas de ceux qui se déclarent héritiers du général de Gaulle, mais ayant vécu, quoique encore assez jeune, les dernières années de la IVe République, je le dis sereinement : le parlementarisme de cette période-là avait atteint un tel dysfonctionnement que je n'ai aucun complexe, aujourd'hui, à défendre la stabilité de l'exécutif voulu par la Ve République. Et je suis sûr que bien des collègues partagent cette analyse, sur tous les bancs de cette assemblée.

M. Dominique Bussereau.

C'est le monde à l'envers !

M. Gérard Gouzes.

Au début des années 50 déjà, les voix les plus autorisées de notre pays s'alarmaient de constater combien l'instabilité nuisait au bon fonctionnement des institutions. Je vous renvoie, mes chers collègues, aux comptes rendus des séances de l'Assemblée nationale du 24 mai 1955. Vous y trouverez, à propos d'une discussion sur plusieurs propositions de résolution relatives à la révision de la Constitution, émanant de M. Leroy-Ladurie, de M. Jacques Duclos et de M. Paul Reynaud, des remarques qui éclairent de manière assez actuelle notre débat d'aujourd'hui. Et la portée de certains propos médiocres que nous avons pu entendre s'en trouve fortement réduite : nous serions en train de discuter de propositions de loi de convenance personnelle, alors qu'il s'agit seulement, je le répète, du calendrier électoral normal, qui doit donner la priorité à l'élection présidentielle sur les élections législatives.

Devrai-je rappeler comment Léon Blum - oui, Léon Blum lui-même - inclinait vers les systèmes de type américain, qui, selon lui, se fondaient sur la séparation des pouvoirs et leurs équilibres, par conséquent sur le partage de la souveraineté, en assurant au pouvoir exécutif, dans sa sphère propre d'action, une autorité indépendante et continue ? Je le cite : « Ces systèmes - en l'occurrence présidentiels - créent des pouvoirs stables et ont, par surcroît, le grand mérite de substituer la notion réelle du contrôle à la notion un peu illusoire de la responsabilité, qui a toujours joué un trop grand rôle dans notre pays. »

Trop de parlementarisme sous la IIIe et la IVe République, mais, mes chers collègues, trop peu sous la Ve : le débat a eu lieu ce matin et nous aurons l'occasion, en tout cas je le souhaite vivement, de revoir en profondeur la place du Parlement, son rôle et son action dans un pays moderne et démocratique.

Aujourd'hui, nous avons tous compris que la véritable convenance personnelle est de ne rien faire, de ne rien modifier de ce que deux hasards malheureux ont inversé : la mort du Président Pompidou, le 2 avril 1974, et la date choisie par le Président de la République pour dissoudre l'Assemblée nationale, en 1997.

Funeste décision...

M. Alain Néri.

Oh, pas pour tout le monde !

M. Gérard Gouzes.

... pour celui qui, l'ayant prise sans en mesurer ni le résultat hasardeux ni le mauvais choix eu égard au calendrier de l'année 2002, demeure, en fin de compte, le seul responsable de la situation dont nous débattons. Car c'est à cause de cela que les élections législatives devraient avoir lieu, contre le bon sens le plus élémentaire, juste avant l'élection présidentielle, et que les deux scrutins seraient aussi rapprochés, pour ne pas dire emmêlés.

I l y a là, mes chers collègues, une mécanique incontournable qu'aucun esprit sérieux ne peut accepter.

En effet, selon l'article LO 121 du code électoral, « Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit son élection » et, selon l'article LO 122, « Sauf le cas de dissolution les élections générales ont lieu dans les soixante jours qui précèdent l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ».

Cela signifie, comprenons-le bien, que notre législature d evrait être renouvelée entre le 3 février et le 31 mars 2000. Elle aurait alors duré non pas cinq ans, mais seulement quatre ans et huit mois ! L'élection du Président de la République doit avoir lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l'expiration de ses pouvoirs, c'est-à-dire, au plus tôt, le 14 avril, et, au plus tard, le 28 avril 2002.

Chacun se rend bien compte, en toute bonne foi, que l'organisation même de l'élection présidentielle empiétera largement sur celle des élections législatives, qui seraient terminées quinze jours avant le premier tour de la présidentielle, c'est-à-dire, comme le Conseil constitutionnel - que l'on ne peut soupçonner d'une quelconque convenance - l'a lui même souligné, après la clôture des pré-s entations, après le dépôt des parrainages prévu à l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962.

Cela signifie que la liste de parrainage de tel ou tel candidat pourrait être contestée, devenir incomplète, du fait du résultat des élections législatives, sans aucune régularisation possible ! Cela signifie aussi que la liste des candidats à la présidentielle devrait être arrêtée avant même que le résultat des élections législatives ne soit connu, ce qui, chacun en conviendra, ne correspond ni à l'esprit ni à la lettre des institutions de la Ve République.

Lionel Jospin, pas plus que les socialistes, ne défend ces arguments par convenance personnelle. D'autres, avant nous, ont réclamé la modification de ce calendrier

« dingo », pour reprendre un mot amusant de M. Bayrou.

Des professeurs de droit constitutionnel, MM. Vedel, Duhamel et Carcassonne, l'ont demandé. M. Giscard d'Estaing, M. Bayrou, MM. Barre et Rocard, dont nul ne peut mettre le désintéressement en doute, l'ont demandé avant tout le monde. Comment pouvez-vous alors, mes chers collègues, faire un procès d'intention à Lionel Jospin ou aux socialistes, en prétendant qu'ils veulent rétablir le calendrier par intérêt conjoncturel ?


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Le Président de la République lui-même a été obligé de le reconnaître, lors de sa dernière interview télévisée : le principe de la primauté de l'élection présidentielle s'impose, a-t-il dit, même s'il n'a pu admettre que ce principe soit logiquement appliqué dès 2002.

Revenons à des choses simples. Sous la IIIe et la IVe République, les Français élisaient leurs députés, qui, à leur tour, à Versailles, élisaient le Président de la République. Aujourd'hui, celui-ci est élu au suffrage universel, par tous les Français. Qui souhaiterait faire passer cette élection au deuxième plan ? Qui, sans l'avouer, voudrait faire passer la volonté du peuple tout entier, élisant un Président sur un programme et sur des orientations pour cinq ans, après une assemblée élue quelques jours auparavant ? Sur la base de quelle majorité et en vue de la réalisation de quelles orientations, le Président de la République sortant choisirait-il un Premier ministre que devrait supporter ou subir son successeur, élu quelques jours plus tard ? Qui empêcherait le nouveau Président de la République de dissoudre une assemblée vieille de deux mois seulement ? Mes chers collègues, ne voyez-vous pas que laisser les choses en l'état serait prendre - M. de Charette vient de le dire - la lourde responsabilité de toutes les confusions et de tous les dangers pour la démocratie ? Ne vous rendez-vous pas compte qu'en laissant les choses en l'état, vous mettriez en péril l'élection même du Président de la République au suffrage universel ? Ne mesurez-vous pas que l'augmentation légitimement espérée des pouvoirs de contrôle et d'investigation de notre assemblée sur le Gouvernement, comme sur toutes les administrations de l'Etat, ne peut s'envisager, dans la gestion complexe de nos sociétés modernes, qu'entre « un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et responsable devant le second », pour reprendre la formule de Michel Debré du 27 août 1958 ? Ne voyez-vous pas que l'idée d'introduire dans la représentation nationale une dose de proportionnelle - comme le souhaitent certains de nos collègues -...

M. Alain Clary.

Quand ?

M. Dominique Bussereau.

C'est pour M. Mamère !

M. Gérard Gouzes.

... n'aurait aucune chance d'aboutir un jour si nous ne respections pas le bon sens et la logique prévus par la Constitution, si nous ne nous étions pas assurés, au préalable, de la réalité d'un pacte majoritaire scellé devant le peuple, et non pas simplement discuté dans la salle des pas perdus du palais Bourbon ? Pourquoi, juste après le titre Ier sur la souveraineté, la Constitution, avant le titre III sur le Parlement, traite-telle, dans le titre II, du Président de la République, sinon parce que la majorité parlementaire doit normalement découler de la majorité présidentielle qui se constitue dès le deuxième tour de cette élection ? Alors, je sais, certains craindraient, dit-on, qu'en rétablissant un calendrier aujourd'hui inversé, nous ne renforcions le caractère présidentialiste de notre Constitution.

Je leur répondrai : ni plus ni moins, car aucun des pouvoirs de l'un ou de l'autre ne serait modifié.

E n quoi l'élection législative préalable aurait-elle changé quoi que ce soit dans la maîtrise de notre ordre du jour, dans l'écrasant totalitarisme de l'article 49, alinéa 3, dans les extraordinaires pouvoirs que possède le Gouvernement avec l'arsenal contraignant, pour nous, députés, que constituent les articles 40, 41, 42, 43, 44 de la Constitution ? En rien, mes chers collègues ; l'Assemblée nationale n'aurait pas plus de pouvoirs qu'aujourd'hui. Nous continuerions à garnir nos « niches », comme l'on dit, et nous serions toujours en quête d'une plus grande autonomie politique, mais nous aurions peutêtre tout simplement ajouté la confusion à la faiblesse de notre condition de parlementaires de la Ve République.

En conséquence, opposer ici les deux facettes de notre République, le Président d'un côté, le Parlement de l'autre, n'est pas le débat d'aujourd'hui. Ceux qui s'opposeraient au rétablissement d'une logique très bien comprise par une majorité de Français, ne se tromperaient pas seulement d'époque ou de République ; à mon avis, ils se tromperaient tout simplement de débat.

A ceux qui s'opposeraient par calcul politicien, peutêtre par manque de confiance dans leur champion ou par opposition systématique, au rétablissement d'un calendrier de bon sens, je rappellerai que la proposition émane de tous les bords de cette assemblée et que la majorité n'en a pas eu la primeur.

M. Alain Clary.

Merci pour nous ! N'oubliez pas la composante communiste de la majorité !

M. Gérard Gouzes.

Il faut dire les choses comme elles sont. Comme le déclarait un honorable ancien ministre du général de Gaulle, M. Raymond Triboulet : « Il est surprenant de voir les partis intervenir dans ce débat, en dépit du bon sens, mais l'exemple vient d'en haut. Je passe sur l'incroyable sectarisme des partis d'opposition.

Ayant toujours combattu la gauche, je rends hommage à Lionel Jospin, qui, conformément au principe de la Ve République, veut donner la priorité à la future élection présidentielle. »

V ous me permettrez, mes chers collègues, pour conclure, d'ajouter que c'était également la lecture du Président François Mitterrand.

(« Ah ! » sur divers bancs.)

En 1981 comme en 1988, il a su faire suivre immédiatement l'élection présidentielle par des élections législatives.

C'est dans ces conditions, mes chers collègues, que le groupe socialiste a considéré comme étant de son devoir de déposer des propositions de loi tendant à rétablir la logique républicaine, à l'opposé de toute manoeuvre et de toute convenance. Et cela annonce, chacun le pressent désormais, l'indispensable modernisation des institutions attendue par notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons discuté ce matin de l'avenir de nos institutions. Ce débat, nous le savons tous, n'a pas été organisé parce que le Gouvernement ou l'Assemblée aurait été saisi d'une subite frénésie réformatrice en matière institutionnelle. Ce débat sans vote, et probablement sans lendemain, n'a été inscrit à notre ordre du jour que parce qu'un groupe de l'opposition en a fait le préalable à son vote positif sur le changement de calendrier.

Voilà comment, en une journée, nous sommes passés d'un débat précipité, riche en propositions de réformes institutionnelles en tous genres, à l'examen de propositions de lois étriquées. La réforme de nos institutions se réduira donc à une banale inversion de calendrier. Après une législature marquée par quelques avancées démocratiques, ce n'est pas vraiment ce qui s'appelle finir en beauté !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Michel Hunault et M. Renaud Dutreil.

Très bien !

M. Noël Mamère.

L'actuelle majorité a été élue sur un programme de changement. Concernant la politique économique et sociale, l'environnement, l'éducation, les transports, la justice, la sécurité, les impôts, et bien d'autres sujets encore, mais aussi la démocratisation de nos institutions.

Or force est de constater que l'année écoulée est celle des occasions manquées.

M. Renaud Dutreil.

C'est bien vrai.

M. Noël Mamère.

En effet, notre pays aurait pu saisir ces deux opportunités qu'étaient le débat sur le quinquennat et la présidence française de l'Union européenne, pour enclencher un réel processus de démocratisation de nos institutions. Celui-ci aurait pu déboucher sur des réformes de grande ampleur permettant à la France et à l'Europe de faire un grand bond en avant démocratique.

En rêvant un peu, nous aurions même pu imaginer de voir ce débat se conclure par un référendum, tel celui convoqué par le Président Mitterrand, en 1992, pour approuver le traité de Maastricht. Il faut malheureusement se rendre à l'évidence, notre république sclérosée est à bout de souffle, bien loin d'un quelconque rêve démocratique. L'actuel Président est à distance sidérale de ses prédécesseurs, qu'il s'agisse de François Mitterrand ou de Charles de Gaulle. L'héritage de ce dernier est d'autant plus revendiqué qu'il a été totalement dilapidé. Depuis 1976, année de la création du RPR, M. Chirac ne s'acharne-t-il pas à enterrer le gaullisme ? (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Claude Lemoine.

N'importe quoi !

M. Charles Cova.

M. Mamère essaie de se dédouaner de son vote !

M. Noël Mamère.

De la volonté réformatrice et des grands débats soumis à l'arbitrage des Français, on est passé à l'inauguration permanente des chrysanthèmes. En fait, c'est probablement dans ce domaine que le poison de la cohabitation a été le plus vénéneux. En matière institutionnelle, cohabitation est synonyme de neutralisation.

Faut-il citer ici le droit de vote des étrangers, proposé par les Verts, approuvé par notre assemblée et toujours dans les tiroirs du Gouvernement, qui répugne à présenter ce texte au Sénat ? Faut-il revenir sur les conditions scandaleuses dans lesquelles a été organisée la discussion sur le quinquennat, avec un Parlement muselé, sur ordre du Président ? (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Roman, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur.

Exactement ! Le Président l'a dit à la télévision !

M. Noël Mamère.

Faut-il citer le projet de loi organisant la transparence dans le nucléaire, qui attend toujours dans le placard des promesses gouvernementales, sous l'influence d'un lobby puissant et transpolitique ? Faut-il revenir sur les conditions de la loi chasse ? Mais le comble de l'absurdité a été atteint, pendant cette législature, avec la réforme de la justice, voulue, un temps, par le Président de la République, et qui s'est retrouvée bloquée par son propre parti !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Eh oui !

M. Noël Mamère.

Pour tout ce qui touche à la réforme de la Constitution, le Premier ministre a clairement fait le choix de ne pas s'opposer à un Président de la République particulièrement conservateur. Il est vrai que celui-ci dispose de quelques armes constitutionnelles pour bloquer certaines initiatives réformatrices.

Seul le quinquennat a pu être adopté, grâce à l'action conjuguée du Gouvernement et d'un ancien Président de la République, dont la rancune est décidément bien tenace... (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Lemoine.

Belle association !

M. Noël Mamère.

Le même schéma semble d'ailleurs se mettre en place pour l'inversion du calendrier électoral de 2002.

Les Verts se sont toujours résolument situés dans le camp de la réforme. En matière de démocratisation, je crois même pouvoir dire qu'ils constituent l'avant-garde.

Nous continuerons donc de porter ces questions au coeur du débat politique français.

En effet, nous considérons que la démocratie participative est une condition nécessaire à toute politique de développement durable. La démocratisation de nos institutions, tant locales que nationales ou européennes, est donc une priorité absolue.

Pour les Verts, l'objectif fondamental restera toujours inchangé. Il s'agit de permettre une réelle participation, directe ou indirecte, de tous les citoyens aux choix politiques. Les institutions doivent préserver la capacité d'expression d'une réelle volonté politique. C'est pourquoi il nous faut construire un bon équilibre en les réformant.

Plus de quarante ans après leur entrée en vigueur, les institutions de la Ve République ont certes démontré leur capacité à garantir la stabilité gouvernementale. Que cet objectif ait été atteint n'est guère étonnant, tellement la volonté de stabilité était forte après les errements de la IVe République. Mais la cohabitation, qui est devenue la règle, aurait été violement rejetée par les pères fondateurs de nos institutions. En seize ans, de 1986 à 2002, nous aurons connu plus de neuf années de cohabitation. Cela montre à quel point nous vivons une période absurde en matière institutionnelle.

Au-delà du phénomène de la cohabitation, les tares de la Constitution de la Ve République, dénoncées dès 1958, demeurent. Je ne citerai ici que quelques exemples : faible séparation des pouvoirs, poids excessif du pouvoir exécutif, Parlement aux prérogatives très réduites, contrôle insuffisant du pouvoir exécutif, sous-développement des contre-pouvoirs, cumul des mandats, modes de scrutin injustes, justice partiellement sous tutelle du pouvoir exécutif... A cela s'ajoute une décentralisation limitée, l'organisation des pouvoirs locaux étant elle-même peu démocratique.

Nous, parlementaires d'aujourd'hui, ne sommes sans doute pas les mieux placés pour parler de l'insuffisante séparation des pouvoirs. Même si l'actuel gouvernement a fait des efforts pour réserver un certain nombre de séances à l'initiative législative, comment les appelle-t-on ? Les « niches » parlementaires, un mot bien choisi pour signifier dans quelle considération est tenu le Parlement !

M. Michel Hunault.

Et encore, mieux vaut être dans la majorité !

M. Jean-Claude Lemoine.

Sans compter les ordonnances !

M. Noël Mamère.

Néanmoins, il faut bien constater que l'essentiel du pouvoir législatif, sans parler du pouvoir budgétaire, est entre les mains du Gouvernement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

On peut d'ailleurs remarquer que plus le temps de débat est long, plus l'influence réelle du Parlement sur les textes de loi est faible. La procédure budgétaire est une caricature de ce fonctionnement. Pour des semaines de discussion, jour et nuit, combien d'amendements parlementaires adoptés ? Sur quel pourcentage du budget global de la France les parlementaires peuvent-ils réellement agir ? La Constitution, au moyen du fameux article 40, empêche même les parlementaires de voter une dépense ou tout simplement de baisser les impôts sans l'accord du Gouvernement ! Quant à l'initiative législative des groupes parlementaires, il faut bien dire qu'elle n'a abouti que lorsque les sujets étaient mineurs : les rares propositions de loi adoptées ont ainsi concerné des sujets aussi « importants » que la chasse, le label de boulanger ou encore les grades du judo ! Lorsque des propositions de loi plus ambitieuses sont votées par notre assemblée, elles restent bien souvent bloquées aux portes du Sénat : ainsi en a-t-il été de la très intéressante proposition de notre collègue Alain Tourret sur la détention provisoire ou de celle sur le droit de vote des résidents étrangers, adoptée à l'initiative des députés Verts.

Inutile d'en dire plus. Le constat est tout simplement a ccablant. La devise de la Constitution de la Ve République ne pourrait-elle pas être la suivante : laisser le Président présider, le Gouvernement gouverner et le P arlement parler ? En matière institutionnelle, c'est encore ce que nous nous sommes contentés de faire ce matin.

Aujourd'hui, la kyrielle d'affaires politico-financières ne vient que s'ajouter à cette liste déjà longue de graves dysfonctionnements. Le climat délétère ainsi créé transforme peu à peu la crise politique en crise de régime. La République est plus que jamais sclérosée par des institutions qui entravent la démocratie.

Cela n'est guère étonnant si l'on se rappelle que, depuis 1958, la Constitution française n'a été modifiée qu'à la marge. Aucune réforme de grande ampleur n'a été adoptée. La démocratie française a simplement été modifiée de l'extérieur, par les lois de décentralisation de 1982, d'une part, et la construction européenne, d'autre part.

Aujourd'hui, nous le savons, l'attente est de plus en plus forte de la part des citoyens. Trop d'entre eux sont déjà désintéressés, voire découragés. Ils sont de plus en plus nombreux à déserter les bureaux de vote les jours d'élection. Nous ne saurions nous satisfaire de cette abstention croissante. A cette crise de régime, nous ne pouvons pas sérieusement répondre par une obscure question de calendrier. Le décalage n'en serait que plus patent ! Le fossé ne manquerait pas de se creuser encore un peu plus entre nos concitoyens et la politique. En ce qui nous concerne, nous combattons la Ve République en tant que telle, quel que soit le calendrier. Cette réformette-là n'y changera pas grand-chose. On peut juste craindre qu'elle ne renforce encore un peu plus une certaine présidentialisation du régime. Or, il faut bien le dire, nos institutions n'avaient pas besoin de cela.

Nous pensons donc qu'il faut refonder la République.

Ni plus, ni moins. Il s'agit de construire une démocratie participative, ouverte et citoyenne. Cela suppose de profondes réformes institutionnelles.

Pour ce faire, commençons par mettre réellement en oeuvre les principes fondamentaux d'une démocratie, chers à nos philosophes des Lumières. J'en rappellerai quelques-uns, parmi les plus élémentaires : séparation et équilibre des pouvoirs, élection au suffrage universel direct de tous les responsables ; représentation de toutes les sensibilités politiques dans toutes les assemblées ; respect des droits des minorités, uniformisation des mandats sur une durée raisonnable ; extension des possibilités de référendum ; capacité d'intervention directe des citoyens dans les processus de décision...

M. Arthur Dehaine. Vaste programme !

M. Noël Mamère.

Pour concrétiser tous ces principes, nous pensons, comme beaucoup de constitutionnalistes, que le temps est venu de construire une VIe République.

Pour cela, nous faisons une série de propositions simples et claires, qui peuvent être mises en oeuvre rapidement : harmonisation de la durée de tous les mandats nationaux et locaux à cinq ans, Sénat inclus ; élection des députés pour moitié à la proportionnelle, pour moitié au scrutin majoritaire ;...

M. Jean-Claude Lemoine. Ce serait antidémocratique ! M. Noël Mamère. ... élection des sénateurs au suffrage universel direct et à la proportionnelle intégrale dans le cadre des régions ; interdiction du cumul des mandats ; droit de vote pour les résidents étrangers ; extension des possibilités de référendum ; véritable statut de l'élu pour que l'on accepte enfin, dans ce pays, de payer le prix de la démocratie, pour qu'il y ait moins de corrompus et moins de corrupteurs.

Je me permettrai d'insister un instant sur la question des modes de scrutin. En effet, c'est grâce aux modes de scrutin que les choix électoraux des citoyens deviennent réalité. Il est donc particulièrement important que les effets déformants des modes de scrutin soient le plus réduits possible. Or il faut bien dire que notre assemblée, sans parler du Sénat, est bien loin de la réalité politique de notre pays. Nous nous autoproclamons « représentation nationale ». Je ne sais pas si cette expression, certes symbolique, a eu un sens un jour. Il est, en revanche, sûr et certain qu'elle n'en a plus aujourd'hui.

Que dire, en effet, d'un mode de scrutin qui exclut de notre assemblée une grande partie de l'électorat ? Quelle peut être la légitimité du Parlement s'il est réservé aux représentants de quelques partis, qualifiés de « grands », du simple fait du poids de l'Histoire et de l'inertie de nos structures politiques ? Je rappelle que plusieurs partis sont totalement exclus de l'Assemblée nationale alors qu'ils ont recueilli, depuis plusieurs élections, des suffrages non négligeables. D'autres sensibilités politiques sont notoirement sous-représentées. Cette situation est une grave entorse à la démocratie. Si nous voulons réellement faire avancer la démocratie dans notre pays, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur ce problème.

Longtemps, on a entendu dire que le mode de scrutin proportionnel avait des avantages, mais qu'il ne garantissait pas la stabilité gouvernementale. A ceux qui le sout iennent, je souhaiterais dire deux choses : ce lieu commun est, comme toutes les idées reçues, loin de toujours se vérifier dans la réalité. Et même si cela était vra i, faut-il toujours choisir l'ordre au détriment de la justice ? Nous touchons, en fait, à une des sources du débat politique, et pour tout dire à une des sources du clivage gauche-droite.

Je m'en tiendrai à quelques exemples historiques récents. Une forme de scrutin proportionnel a existé dans notre pays pour les élections législatives de 1986. Que je sache, cela n'a pas empêché une majorité de se dégager et de gouverner sans la moindre instabilité pendant les deux ans qui lui étaient impartis. A contrario, les élections


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législatives de 1988 n'ont pas permis de dégager une majorité stable. Le mode de scrutin majoritaire avait pourtant été rétabli. Il est vrai qu'un débat avait existé à l'époque sur la sincérité du découpage des circonscriptions et sur ses effets politiques indirects.

M. Arthur Dehaine. Comme toujours ! M. Noël Mamère. J'ai déjà indiqué à quel point le scrutin uninominal majoritaire pouvait être injuste et déformant. Nous ne méconnaissons pas pour autant certains inconvénients du scrutin proportionnel. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'adoption d'un mode de scrutin mixte pour les élections législatives. Il permettrait de garantir la représentation de tous les courants politiques à l'Assemblée nationale et donc la participation de ceux-ci au processus législatif sans tomber dans l'instabilité gouvernementale ou l'absence de majorité.

Dans le même ordre d'idées, nous proposons que le Sénat se transforme en une véritable chambre des régions, élue au suffrage universel direct. Rénové sous cette forme, authentiquement démocratique, il contribuerait à enrichir la démocratie en devenant une chambre de la diversité politique et régionale de la France.

Concernant la réforme des modes de scrutin, il est de bon ton de dire qu'il n'est pas possible, pour des raisons d'éthique démocratique, de les modifier moins d'un an avant l'élection concernée. Je ferai remarquer que nous aurions peut-être été bien inspirés de modifier le mode de scrutin pour les élections régionales avant celles-ci, dans le courant de l'année 1998, plutôt que de le faire quelques mois après, la même année. Pourquoi le consensus que nous avons trouvé à ce moment-là n'a-t-il pu être obtenu avant les élections ? N'aurions-nous pas ainsi gagné six ans ? Plus concrètement, je constate que ceux-là mêmes qui nous opposaient l'argument du respect des modalités d'organisation du scrutin législatif de 2002 n'ont plus aujourd'hui toutes ces pudeurs prétendument éthiques. A partir du moment où nous envisageons de modifier le calendrier électoral, je ne vois plus aucune raison de refuser la refonte du mode de scrutin législatif.

J'ajoute qu'il a souvent été dit qu'il faudrait pour cela un consensus large, dépassant les frontières de la majorité.

Or j'ai la faiblesse de penser que cette condition-là est également remplie aujourd'hui. Chacun pourra d'ailleurs s'exprimer sur ce sujet, puisque j'ai déposé avec mes collègues Verts deux amendements en ce sens. Je voudrais simplement rappeler quelques prises de position des partis représentés au Parlement.

Ainsi, l'UDF a rappelé son souhait d'une dose de proportionnelle lors de son congrès, le 4 décembre dernier.

Alain Madelin, président de Démocratie libérale, a aussi déclaré le 26 novembre dernier, au cours d'un débat télévisé, qu'il souhaitait une telle évolution. Le parti communiste français y a toujours été favorable. Le parti radical de gauche avait cosigné l'amendement des députés Verts lors du débat sur le quinquennat. Même M. Pasqua, pourtant ministre de l'intérieur en 1986, lorsque le mode de scrutin majoritaire a été rétabli, s'est déclaré partisan d'un mode de scrutin mixte. Quant au parti socialiste, son programme a toujours été sans ambiguïté sur le sujet.

M. Arthur Dehaine.

Alors, pourquoi n'a-t-il rien fait ? Il doit y avoir un vice caché ! M. Noël Mamère. Plus rien ne s'oppose donc à la mise en place d'un mode de scrutin mixte pour les élections législatives.

Au-delà de la question des modes de scrutin qui, encore une fois, est loin d'être secondaire, nous pensons que la République peut être fortement revivifiée en pratiquant davantage la démocratie directe. En ce sens, nous souhaitons que des référendums soient organisés plus fréquemment et sur les sujets les plus variés. Par exemple, pourquoi ne pas imaginer un référendum sur la sortie du nucléaire ? M. Arthur Dehaine. Vous risqueriez d'être déçu ! M. Noël Mamère. L'organisation de référendums permettrait incontestablement de débloquer des débats qui sont toujours monopolisés ou repoussés par les gouvernements ou les assemblées. La principale vertu du référendum est en effet d'instaurer dans le pays un débat, ouvert et approfondi, sur la question posée. Il peut aussi offrir l'occasion de trancher des débats dans lesquels l'expression de certains intérêts particuliers risque d'être suffisamment forte pour empêcher l'émergence de l'intérêt géné-r al. L'histoire a montré que les assemblées et les gouvernements, quels qu'ils soient, sont particulièrement sensibles à certains lobbies, parfois à l'intérieur même de leur administration.

Seul un bon « dosage » entre démocratie directe et démocratie représentative permet l'exercice d'une démocratie équilibrée et vivante. On sait, en effet, qu'une démocratie directe permanente conduirait à remplacer la démocratie par la démagogie. A contrario, une démocratie exclusivement représentative revient à confisquer aux citoyens la plus grande part de leur pouvoir de décision politique.

L'amélioration des modes de scrutin, l'harmonisation de la durée des mandats et leur non-cumul, l'extension du référendum ou l'octroi du droit de vote aux étrangers sont des éléments fondamentaux pour l'avènement d'une démocratie réelle dans notre pays. Même si ces réformes n'intéressent de fait que les spécialistes et les professionnels de la politique, nous savons qu'elles sont incontournables si l'on veut rapprocher les citoyens de la politique.

Elles sont autant de préalables à l'émergence de nouveaux responsables politiques et de nouvelles pratiques démocratiques.

A la lumière de cet ensemble de propositions, on se rend mieux compte du caractère circonstanciel du texte qui nous est soumis. Nos institutions méritaient sans doute plus de considération et il y a plus que jamais urgence à les réformer.

Nous ne voulons pas cautionner cette démarche que nous jugeons politicienne. Parce que nous plaidons pour une VIe République adossée aux pouvoirs du Parlement, nous voterons résolument contre cette proposition de loi.

M. le président.

La parole est à M. Dominique Bussereau.

M. Dominique Bussereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la totalité des députés du groupe Démocratie libérale est évidemment et clairement hostile à l'inversion du calendrier électoral, et ce pour trois raisons. D'abord, nous pensons qu'il s'agit d'une réforme d'arrangement, de petit arrangement personnel. J'avais d'abord écrit de « convenance » personnelle, mais le terme ayant été quelque peu galvaudé, je lui préfère finalement celui-là. Ensuite, nous déplorons un détournement de l'esprit de la Constitution. Enfin, l'inversion du calendrier entraîne à nos yeux un profond déséquilibre des pouvoirs au détriment du Parlement.

Arrangement personnel, disai-je, plutôt pour le Premier ministre que pour les députés socialistes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Paul Patriarche. C'est vrai !

M. Gérard Gouzes.

C'est Raymond Barre qui a fait la propositon ! M. Dominique Bussereau. Certains s'en apercevront malheureusement au moment des scrutins. Le Premier ministre, le 19 octobre, nous avait fait un grand numéro sur TF1. Quelque temps après, dans la chaleur du congrès de Grenoble, il a changé d'avis. Les Français ne s'y sont pas trompés. Un sondage IFOP du 28 novembre a montré qu'une grande majorité d'entre eux voient dans l'inversion du calendrier une manoeuvre politique.

M. Gérard Gouzes. Mais ils y sont tous favorables ! M. Dominique Bussereau. Preuve s'il en fallait, cette fameuse note interne du parti socialiste, qui a donné une célébrité à un conseiller de M. Alain Richard, encore inconnu du grand public, et qui a provoqué votre revirement en rappelant au Gouvernement la fragilité de ses positions électorales, reposant sur des triangulaires que beaucoup de députés socialistes avaient oubliées.

M. Charles Cova. Eh oui ! M. Dominique Bussereau. Telles sont les raisons purement politiciennes qui motivent votre proposition.

M. Gérard Gouzes. Et qui motivent aussi, sans doute,

M. de Charette...

M. Dominique Bussereau.

Mais venons-en au fond et montrons maintenant en quoi, à notre avis, l'esprit de la Constitution est détourné.

M. Gérard Gouzes.

M. de Charette et M. Giscard d'Estaing !

M. Dominique Bussereau.

Monsieur Gouzes, vous qui avez cité sans arrêt François Mitterrand, vous n'auriez pas dû nous parler de politique politicienne, car c'était le maître en la matière ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Claude Perez.

Jaloux !

M. Dominique Bussereau.

L'esprit de la Constitution, beaucoup d'autres l'ont dit avant moi avec plus de talent depuis ce matin, n'est pas celui que l'on cherche à nous présenter.

Il y a d'abord eu l'esprit initial de 1958, puis l'esprit issu de la réforme de 1962, avec sa traduction, l'élection du Président au suffrage universel en 1965.

Dans le premier schéma constitutionnel, celui des pères constituants, il ne devait pas y avoir d'opposition entre le chef de l'Etat et le chef du Gouvernement, car la Constitution avait tout fait pour placer le chef de l'Etat audessus des partis politiques. C'est le grand dessein du général de Gaulle, qui se manifeste très clairement dans l'écriture de la Constitution, dont le texte ne donne pas au Président les pouvoirs nécessaires pour gouverner.

C'est le Premier ministre, selon l'article 20 de la Constitution, qui dirige l'action du Gouvernement et c'est le Gouvernement qui a l'initiative des lois : on le voit bien dans la période que nous vivons actuellement.

M. Arthur Dehaine.

Hélas !

M. Daniel Marcovitch.

Il ne faut jamais regretter les décisions du suffrage universel !

M. Dominique Bussereau.

Ainsi que l'a rappelé Pascal Clément, ce que la Constitution, en son article 5, exige du chef de l'Etat, et ce n'est pas rien, c'est qu'il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l'Etat.

Puisque M. Gouzes s'est référé à M. Triboulet, je vais citer d'autres grandes figures qui se sont exprimées lors des réunions tenues à Matignon en 1958 : M. Guy Mollet, qui estime que « le Président de la République doit être un arbitre et non pas le chef de l'exécutif » ; M. Pflimlin, grande figure centriste et européenne, pour qui « le Président de la République doit disposer de pouvoirs très larges en période exceptionnelle » - c'était le cas à l'époque - « mais qu'il ne peut pas en être de même en période ordinaire » ; le général de Gaulle, qui dit la même chose ; René Cassin, qui est d'accord « sur les très larges pouvoirs du Président, mais seulement en période exceptionnelle ».

Par conséquent, on ne peut pas parler de l'esprit de la Constitution, surtout vous qui l'avez toujours combattue, pour justifier l'inversion du calendrier.

M. Georges Colombier.

C'est un scandale !

M. Dominique Bussereau.

On ne peut parler que de la lecture gaullienne de la Constitution en 1962. Mais quelle était alors la situation de notre pays ? C'était la fin de l'affaire algérienne, la décolonisation, la guerre froide.

Des circonstances qui, en effet, justifiaient que la lecture de la Constitution soit différente de ce qu'elle fut par la suite.

Par la suite, Pascal Clément l'a également rappelé, l'esprit de la Ve République a été complètement modifié, notamment par les trois cohabitations. Une constitution, cela ne relève pas simplement de l'écrit. Monsieur Gouzes, vous avez cité le doyen Vedel, qui est un grand constitutionnaliste, puis deux autres constitutionnalistes, membres du parti socialiste. Ce sont certainement de bons constitutionnalistes, mais ce sont avant tout des militants. Or une lecture de la Constitution ne se limite pas à l'analyse des textes, elle dépend surtout de ce que l'on veut faire des textes, c'est-à-dire de la pratique constitutionnelle. Et en période de cohabitation - nous en avons connu trois on donne une lecture parlementaire de la Constitution.

M. Renaud Dutreil.

Oui, et tant mieux !

M. Dominique Bussereau.

On applique à la lettre les articles 20 et 21, ce qui veut dire que c'est le Gouvernement qui gouverne et qui fait les lois, en s'appuyant sur la majorité parlementaire dont il est issu, le Président de la République assurant seulement la continuité des institutions. Cette pratique de la Constitution n'est pas exceptionnelle car, sur les vingt dernières années, qu'on soit d'accord ou non avec cette situation, nous avons vécu la moitié du temps en période de cohabitation. Ce n'est plus, non plus, la Ve République telle qu'elle avait été imaginée par les constituants.

On peut même penser que, hors période de cohabitation, le Président de la République peut relâcher les rênes du pouvoir et on a bien vu que, pendant son second septennat, François Mitterrand avait pris de la distance avec la gestion quotidienne du pouvoir.

D'ailleurs que les choses changent. Alain Peyrefitte raconte que, lorsqu'il était Président de la République, le général de Gaulle présidait des comités interministériels à l'Elysée, où l'on décidait de la mixité dans les résidences universitaires, grand thème qui a déclenché les événements que l'on connaît...

M. Gérard Gouzes.

Ah bon ? 1968, c'est ça ?

M. Dominique Bussereau...

ou du prix du ticket de métro. C'était une autre époque. Aujourd'hui, les choses sont différentes.

M. Daniel Marcovitch.

C'est une vision un peu restrictive, le mauvais bout de la lorgnette !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Dominique Bussereau.

Peut-être, mais vous savez que l'histoire commence toujours par de petits événements. De la piscine on va aux barricades, pour revenir à l'histoire récente.

Ce qui nous importe, mes chers collègues, c'est le déséquilibre des pouvoirs qu'entraînera l'inversion du calendrier que vous nous proposez. Faire en sorte que l'élect ion présidentielle précède systématiquement les législatives, c'est, que vous le vouliez ou non, ouvrir la voie à un changement de régime. Sans contre-pouvoirs du Parlement, c'est un pas vers l'avènement du régime présidentiel.

M. André Billardon.

Hélas !

M. Dominique Bussereau.

Faire primer l'élection présidentielle, c'est soumettre l'ensemble de la vie politique française à l'élection d'un seul homme. Tel est d'ailleurs le seul motif qui anime M. Jospin.

Faire en sorte que l'exécutif et non les Français fabrique la majorité, constitue une étape supplémentaire dans l'affaiblissement, déjà bien avancé, de notre Parlement. C'est un mauvais coup pour la démocratie. Car c'est le Parlement - sinon, que faisons-nous ici, mes chers collègues ? - qui doit arbitrer les enjeux majeurs du débat public, en particulier - je regrette, monsieur le ministre, que personne n'en ait beaucoup parlé jusqu'à présent les enjeux européens qui doivent être débattus au Parlement et qui ne le sont pas suffisamment.

Au Parlement, il doit y avoir également un rôle pour l'opposition. Dans votre intervention, monsieur le ministre, vous avez parlé de l'extraordinaire sens démocratique de votre Gouvernement, qui n'a pas eu recours à l'article 49-3 de la Constitution.

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.

En effet !

M. Gérard Gouzes.

C'est vrai !

M. Dominique Bussereau...

Vous avez simplement oublié de dire que toute initiative de l'opposition, dans le cadre des niches parlementaires, est immédiatement sanctionnée par un vote qui bloque le processus.

M. le ministre de l'intérieur.

Ce n'est pas vrai !

M. Dominique Bussereau.

Vous avez oublié de dire que les droits de l'opposition n'ont jamais été aussi peu respectés ici et que vous n'accordez jamais à l'opposition la moindre parcelle de pouvoir législatif.

M. Daniel Marcovitch.

Dans ce domaine, c'est le Parlement qui décide, pas le Gouvernement !

M. Dominique Bussereau.

La mauvaise santé du Parlement, vous allez encore l'aggraver. Et depuis 1997 - les quelques exemples que je vais citer vous le montreront vous ne vous en êtes pas beaucoup préoccupé.

Nous avons vécu, la semaine dernière, l'extraordinaire histoire des ordonnances. Vous nous avez demandé une habilitation pour transposer en droit interne pas moins de cinquante directives européennes sur des sujets aussi importants que la sécurité alimentaire ou Natura 2000 qui, chacun le sait, suscitent des réactions très fortes sur l'ensemble du territoire français.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Trente-deux dataient d'avant 1997 !

M. Dominique Bussereau.

Certes, monsieur Roman, il n'empêche que la méthode n'était pas correcte. Vous le savez bien puisque même le rapporteur socialiste de la commission des lois l'a indiqué publiquement devant notre commission.

M. Gérard Gouzes, vice-président de la commission.

C'était pour rattraper votre retard !

M. Dominique Bussereau.

Parlons maintenant du projet de loi sur la Corse, présenté en juillet, monsieur le ministre, à l'assemblée de Corse, avant même que les parlementaires nationaux en soient saisis.

M. le ministre de l'intérieur et M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est la loi !

M. Dominique Bussereau.

Vous auriez pu informer le Parlement.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Le ministre de l'intérieur est venu devant la commission des lois pour informer le Parlement !

M. Dominique Bussereau.

M. Fabius annonce un plan de baisses d'impôt placebo sans que le Parlement y soit associé...

M. Daniel Marcovitch.

Peu importe ! Puisque c'est un placebo !

M. Gérard Gouzes.

Vous êtes contre les baisses d'impôts ?

M. Dominique Bussereau.

... vous mettez en place une procédure budgéraire, que l'on essaie vainement de réformer, qui ne nous donne ni les pouvoirs ni les moyens de savoir ce que nous votons. Lors de l'extraordinaire affaire du PACS, vous avez joué avec l'ordre du jour en y réinscrivant une proposition de loi à l'encontre de laquelle le Parlement avait voté l'exception d'irrecevabilité ; ce qui était, que l'on soit d'accord ou pas avec le PACS, manquer de correction envers la représentation parlementaire.

M. Bernard Roman, président de la commission et rapporteur.

Le Conseil constitutionnel a validé !

M. Dominique Bussereau.

Par ailleurs, du fait de la mondialisation, que critiquent certains de vos alliés politiques, l'exécutif, et c'est normal, conduit toutes les négociations internationales, c'est lui qui fait les concessions, et qui souscrit les engagements qui se traduisent pour nous par un exercice sans contrainte du pouvoir législatif.

Il est évident que le quinquennat, que nous avons voté parce que nous pensions qu'il représentait une modernisation indispensable de nos institutions, renforce les conséquences d'une coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire. Or, monsieur le ministre, les libéraux mais aussi bien d'autres, dans l'opposition comme dans la majorité, n'ont pas envie de devenir les membres d'une chambre d'enregistrement vouée à obéir au chef de l'Etat, quel qu'il soit.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. Daniel Marcovitch.

Pour ce qui est du chef de l'Etat, c'est bien vrai !

M. Dominique Bussereau.

Nous pensons également qu'en affaiblissant le Parlement, vous allez forcément revigorer l'administration ; mais comme votre vision de l'Etat pourrait se résumer par : l'administration d'abord, les Français ensuite, cela vous semble naturel. Puisque cela fait partie de vos projets !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est caricatural !

M. Alain Barrau.

Pas de caricature !

M. Gérard Gouzes.

C'est un procès d'intention !

M. Daniel Marcovitch.

L'administration est composée de Français !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Dominique Bussereau.

Réduire la vie politique à l'élection d'un seul, quelles que soient ses qualités, c'est donner un coup de canif à l'idée de démocratie représentative.

M. Gérard Gouzes.

C'est la Ve République que vous attaquez !

M. Dominique Bussereau.

Vous nous faites le coup des 577 élections en nous disant que les législatives ne sont que l'addition de 577 élections ; elles ne permettraient pas, du fait de leur multiplicité, de faire émerger une majorité cohérente, et seule l'élection présidentielle obligerait à une bipolarisation simplificatrice source de cohérence. C'est évidemment le contraire. Aussi bien la gauche que le centre et la droite sont obligés, pour gagner, de faire l'union dans les 577 circonscriptions.

C'est ce que nous faisons tous !

M. Alain Barrau.

Pour le deuxième tour de l'élection présidentielle aussi ! (Sourires.)

M. Dominique Bussereau.

A l'inverse, et cela explique certainement la position de M. Mamère ou la position de nos collègues du parti communiste, l'élection présidentielle est l'occasion pour les petits partis ou les courants d'une majorité de présenter un candidat.

Pour toutes ces raisons, sans compter toutes celles exprimées par Alain Madelin, par Pascal Clément et par l'ensemble des orateurs de l'opposition qui sont contre ce changement de calendrier, nous sommes nous très opposés à l'inversion et nous allons émettre un vote négatif.

M. Gérard Gouzes. Pas un argument valable !

M. Dominique Bussereau.

Nous pensons, monsieur le ministre, que chacun doit peser les tenants et les aboutissants de son vote, parce que sacrifier l'équilibre de nos institutions...

M. le ministre de l'intérieur.

Oh !

M. Dominique Bussereau.

... sur l'autel de l'opportunisme, ce n'est certainement pas le meilleur moyen der éhabiliter la politique dont beaucoup reconnaissent aujourd'hui qu'elle connaît aujourd'hui, sinon une crise, en tout cas de graves difficultés.

Si les convictions des partisans de l'inversion du calendrier, où qu'ils soient, sont sincères, s'ils croient aux arguments qu'ils présentent pour justifier leur vote, alors, il leur faut aller jusqu'au bout, prendre leurs responsabilités et proposer, comme l'a fait courageusement M. Mamère, un projet alternatif à la Ve République. Sinon, nous sommes dans l'ordre du parti pris, de la convenance, de l'arrangement...

M. Daniel Marcovitch.

Barre, Giscard et de Charrette aussi ?

M. Dominique Bussereau.

... et nous quittons celui du débat démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2002 les élections législatives auraient dû précéder l'élection présidentielle. Ce calendrier connu de tous n'a pas, jusqu'au congrès du parti socialiste de Grenoble, posé le moindre problème.

Alain Juppé l'a fort bien rappelé ce matin : le revirement soudain du Premier ministre, à dix-huit mois des élections, et malgré l'habillage institutionnel illustré par le débat de ce matin, s'apparente à une manoeuvre de basse politique.

M. Daniel Paul.

Dites-le à Raymond Barre alors !

M. Michel Hunault.

Les Français se montrent d'ailleurs sceptiques quant à votre initiative : si 30 % d'entre eux souhaitent une inversion du calendrier, ils sont 40 % à préférer que l'ordre actuel soit maintenu.

Le Premier ministre à la télévision, le 19 octobre reconnaissait, que, si l'esprit des institutions voulait que la présidentielle ait lieu avant les législatives, toute initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne.

Alors monsieur le ministre, pourquoi a-t-il changé, et pourquoi a-t-il choisi, pour s'exprimer sur un sujet institutionnel, la clôture d'un congrès socialiste, moins de huit jours après avoir répété aux parlementaires de sa majorité qu'il ne prendrait aucune initiative pouvant, en l'absence de consensus, être interprétée comme politicienne ? En fait vous avez décidé de modifier un calendrier qui menaçait de tourner à votre désavantage. Car, vous le savez fort bien, les élections législatives risquent d'être favorables à l'opposition, l'éclatement du Front national entraînant la disparition des triangulaires, et l'union de l'opposition étant très forte à la base.

M. Gérard Gouzes.

Dans l'état où elle est !

M. André Billardon.

Vous rêvez ?

M. Yves Deniaud.

Vous verrez !

M. Michel Hunault.

Le changement de position a été qualifié par tous les observateurs de coup de force. Je voudrais vous rassurer sur un point, monsieur le ministre, vous et votre majorité : si l'opposition n'est pas unanime sur cette importante question du calendrier, vous n'arriverez pas pour autant à semer la pagaille dans ses rangs !

M. le ministre de l'intérieur.

Nous n'en avons pas besoin !

M. Michel Hunault.

Le Président de la République luimême l'a fort bien dit lors de son intervention télévisée de jeudi dernier, le débat sur cette question est légitime, non pas à la sauvette, comme vous nous le proposez aujourd'hui, mais au cours d'un vrai débat sur les institutions, car on ne change pas les règles si près du jeu.

Depuis ce matin, il a été beaucoup question, au cours du débat, de l'esprit des institutions de la Ve République, voulues par le général de Gaulle. Au nom des députés du Rassemblement pour la République, je tiens à dire que nous n'avons aucune leçon de gaullisme à recevoir de la part de ceux qui ont toujours combattu le général de Gaulle. (« Oui ! Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. André Billardon.

Ça c'est vrai ! Là nous sommes d'accord !

M. Michel Hunault.

En fait, si le Premier ministre a changé d'avis, et voulu cette inversion, c'est en pensant qu'elle l'arrangerait. De sa part, c'est un coup politique et rien d'autre. Alors cessons d'évoquer l'esprit des institutions !

M. Bernard Accoyer.

Absolument !

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Michel Hunault.

Dans l'exposé des motifs de la proposition de loi socialiste, il est écrit : « L'organisation des élections législatives, après l'élection présidentielle, ré tablit [...] le rythme des élections de la Ve République ».

Mais c'est faux

M. Jean-Louis Debré et M. Bernard Accoyer.

Ils n'écoutent pas ! Ils s'en fichent !

M. Michel Hunault.

Si on veut bien se rappeler que, déjà, en 1958, en 1968, en 1973, les élections législatives ont précédé de quelques semaines ou de quelques mois l'élection présidentielle, on voit bien que l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport aux législatives ne garantit en rien l'émergence d'une majorité.

Votre raisonnement ne peut se référer qu'à l'année 1981. Et souvenons-nous, il s'agissait alors d'une alternance politique d'un caractère un peu exceptionnel, alors qu'en 1988, il s'en est fallu de presque rien que la droite ne l'emporte aux législatives.

Aujourd'hui, les comportements électoraux sont devenus plus volatils. Il est peu probable de voir se reproduire des effets de sur-représentation majoritaire. En fait, monsieur le ministre, votre initiative vise à affaiblir le rôle du Parlement.

M. Ayrault, ce matin, a évoqué la pratique parlementaire du gouvernement Jospin. Parlons-en.

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Michel Hunault.

Je citerai, après Dominique Bussereau, un exemple récent. Il a été proposé par vos soins un texte permettant de transposer par simple ordonnance...

M. Jean-Luc Warsmann.

Scandaleux !

M. Michel Hunault.

... pas moins d'une cinquantaine de directives européennes dans des domaines pourtant essentiels. Plusieurs de ces directives auraient mérité un vrai débat au Parlement...

M. Bernard Accoyer.

Tandis que nous sommes en train de gaspiller notre temps !

M. Michel Hunault.

... ce qui a fait dire à un député de votre majorité que la procédure que vous aviez choisie était une infamie à l'égard du Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Je pourrais, si le temps n'était compté, citer d'autres exemples. Que dire encore du sort réservé au fil des mois, après un simulacre de débat, aux propositions de loi de l'opposition, à l'occasion de ce que l'on appelle les

« niches parlementaires » ? Le Premier ministre ironise souvent sur le manque de projets crédibles et alternatifs de l'opposition.

M. Christian Jacob.

Grand bien lui fasse !

M. Michel Hunault.

Les trois groupes de l'opposition travaillent pourtant ensemble sur des sujets importants.

Leurs propositions ne franchissent même pas l'étape de la discussion générale, votre majorité s'opposant à toute discussion des articles sur des thèmes aussi essentiels que la participation, la sécurité, la famille !

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. Michel Hunault.

Le refus de débattre s'apparente à du mépris envers l'opposition, nous en avons, hélas ! l'habitude, mais au-delà, et c'est plus regrettable encore !, envers le Parlement.

En faisant précéder les élections législatives par l'élection présidentielle, vous voulez faire de celle-ci l'alpha et l'oméga de la vie politique. M. Hue a parlé ce matin d'un « exécutif surpuissant » et d'un « Parlement abaissé ».

Avec le quinquennat de surcroît, l'élection présidentielle risque de laminer les petits partis et d'appauvrir le pluralisme politique.

Vous n'avez cessé de justifier la prédominance de l'élection présidentielle, en affirmant que les législatives qui s'ensuivraient assureraient une majorité parlementaire au Président. Rien ne permet de l'affirmer.

Depuis ce matin, il a été beaucoup question de la cohabitation, pour dire que ce n'était pas une bonne chose. Je rappellerai que ce sont les Français qui l'ont voulue.

M. André Billardon.

Eh oui !

M. Michel Hunault.

La cohabitation aura eu au moins le grand mérite de nous faire vivre dans une démocratie apaisée. Personne ne souhaite le retour à une présidentialisation excessive, qui renvoie à une lecture, aujourd'hui dépassée, de la Constitution.

M. Renaud Dutreil.

Eh oui !

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

M. Michel Hunault.

La cohabitation a-t-elle empêché le Gouvernement de gouverner ? La réponse est clairement non, mais personne ne peut nier qu'elle a rendu son sens aux élections législatives : former une majorité d'où découle un gouvernement chargé lui-même d'appliquer son programme.

Le débat sur la modification du calendrier et les arrière-pensées du Gouvernement sont à contre-courant du souhait, largement majoritaire dans le pays, d'un régime équilibré, modernisé, renforçant les droits du Parlement.

M. Renaud Dutreil.

Et cela gêne le ministre !

M. Michel Hunault.

Un régime politique moderne ne se résume pas à la concentration des pouvoirs dans les seules mains du Président de la République. (« Bravo ! »s ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Si nos concitoyens veulent bien faire le choix de la cohérence, alors, l'ordre des élections leur importe peu. Et laisser les élections dans leur ordre actuel n'est pas une offense faite à l'esprit de nos institutions, dont la solidité, la souplesse ont fait leurs preuves.

Les institutions de la France sont le fruit d'une longue réflexion qu'on n'a pas le droit de modifier au gré des intérêts électoraux. Quel que soit l'ordre des échéances qui résultera de ce débat, nous n'aurons au printemps 2002 qu'une seule et même élection.

M. Philippe Briand et M. Jean-Luc Warsmann.

Bien sûr !

M. Michel Hunault.

Pour être en conformité avec l'esprit de nos institutions, il ne faut pas bouleverser le calendrier, car les élections législatives incitent chaque camp, la droite comme la gauche, à se rassembler derrière un leader qui devient le candidat légitime à l'élection présidentielle suivante.

M. Philippe Briand.

Oui !

M. Michel Hunault.

La Ve République a fortement déséquilibré les pouvoirs au profit de l'exécutif. Aujourd'hui, il faut un rééquilibrage au profit du Parlement. Or adopter la modification du changement de calendrier revient à renforcer les prérogatives du Président de la République.

En conclusion, je voudrais dénoncer une manoeuvre politique. Après la déclaration de Lionel Jospin qui s'apparentait plus à une déclaration de candidature, sachez


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

que les députés gaullistes sont d'ores et déjà mobilisés derrière le Président de la République. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. André Billardon.

Il en a vraiment besoin !

M. Michel Hunault.

L'opposition travaille à construire une vraie politique d'alternance dont les thèmes et les grands desseins sont tracés par le Président de la République lui-même.

Dans son discours au conseil régional de Bretagne, voilà deux ans, le Président de la République a plaidé pour une démocratie de proximité, pour une nouvelle étape de la décentralisation...

M. Philippe Briand.

Très bien !

M. Michel Hunault.

... pour la déconcentration de l'Etat.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Contre le cumul des mandats !

M. Michel Hunault.

Dernièrement, à La Haye, le Président de la République a prononcé un discours programme, non pour la France mais pour toute l'humanité, en matière d'environnement et d'écologie. (Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Hunault.

Cela vous fait rire ? Son discours a été salué par tous les observateurs ! En déplacement au Kosovo, il incarne, sur la scène internationale, l'exception française dans la grandeur de son rôle quand la paix est en jeu.

En tant que président de l'Union européenne, et M. le Premier ministre était à ses côtés à Nice, il a opéré des avancées considérables pour la construction d'un véritable espace européen, avec l'élargissement aux pays d'Europe qui partagent, avec la France, les mêmes valeurs démocratiques et éthiques.

M. Philippe Briand.

Oui !

M. Michel Hunault.

Ces valeurs constituent le lien entre nos nations.

En 2002, les élections législatives et présidentielle seront chargées de la même espérance.

M. Jean-Luc Warsmann et M. Philippe Briand.

Eh oui !

M. Michel Hunault.

Monsieur le ministre, il y a mieux à faire que de modifier le calendrier électoral, ce qui risque de creuser encore davantage le fossé entre la classe politique et les Français...

M. François Goulard.

Ça c'est vrai !

M. Michel Hunault.

... qui préféreraient que le Parlement, à cette heure, légifère sur les problèmes essentiels que vous ne cessez de repousser mois après mois : la réforme et le financement des retraites, la modernisation de l'Etat,... (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Accoyer.

Très bien, bravo !

M. Michel Hunault.

... plus de moyens pour la justice, plus de sécurité.

M. Philippe Briand.

Oui !

M. Michel Hunault.

Dans de telles circonstances il n'est donc pas étonnant de voir, dans l'impuissance du politique à régler les vrais problèmes de nos concitoyens, l'une des causes de la perte de confiance en l'avenir.

M. Bernard Accoyer.

C'est sûr !

M. Jean-Luc Warsmann et M. Philippe Briand.

Très juste !

M. Michel Hunault.

Les échéances de 2002, indépendamment de leur date et de leur ordre, doivent réveiller l'espoir dans l'avenir, tel est bien là le devoir des politiques.

M. Philippe Briand.

Oui !

M. Michel Hunault.

Le Président de la République se situe au-dessus des partis et des clivages,...

M. Philippe Briand.

Oui !

M. Michel Hunault.

... il le reste en intervenant quand l'essentiel est en jeu, par exemple à propos de la sécurité alimentaire.

Je voudrais dire, au nom des députés du Rassemblement pour la République, que nous serons derrière le Président de la République en 2002. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Vila.

M. Jean Vila.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour l'opinion publique et l'ensemble du corps électoral, toute modification tendant à faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives apparaît inévitablement comme un jeu politicien, voire comme une manoeuvre électorale lourde d'arrière-pensées.

M. Yves Deniaud.

Tout à fait !

M. Jean Vila.

Il est vrai que ce sujet fait couler beaucoup d'encre et que les tergiversations des uns et des autres, dans leurs prises de position, n'ont pas aidé à la clarté du débat. C'est le moins que l'on puisse dire.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Yves Deniaud.

Il fallait voter l'exception d'irrecevabilité !

M. le président.

Mes chers collègues, M. Hunault a terminé son intervention.

M. Henri Cuq.

Remarquable !

M. le président.

A présent, j'aimerais que vous écoutiez

M. Vila avec attention.

M. Jean Vila.

Merci, monsieur le président.

M. Renaud Muselier.

Nous sommes tout ouïe !

M. Jean Vila.

L'inversion du calendrier électoral est, de l'avis des députés communistes, tout sauf un problème mineur et circonstanciel.

M. Alain Clary.

Absolument !

M. Jean Vila.

Si nous souhaitons, comme vous, monsieur le rapporteur, que le débat soit dédramatisé, nous ne devons pas occulter le fait qu'il n'en est pas moins de première importance. Il s'agit en effet de l'avenir de nos institutions, ce qui implique naturellement un affrontement des conceptions mêmes de la République.

Certes, le débat entre démocratie et pouvoir personnel n'est pas nouveau. Depuis deux siècles, il n'a cessé de se réactualiser dans la vie publique française. Quant à la question du renversement du calendrier électoral qui s'inscrit dans la continuité du quinquennat, elle remonte aux origines de la Constitution de 1958, modifiée en 1962, qui instaurait en France un déséquilibre profond de nos institutions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

L'excès des pouvoirs de la fonction présidentielle renforcée par la légitimité populaire et l'insuffisance des pouvoirs du Parlement ouvrait logiquement la voie à une dérive monarchique de nos institutions, humiliant ainsi la représentation nationale aujourd'hui déshonorée parce que sa fonction est subalterne.

Certains ici, et ils ne s'en cachent pas, souhaitent aller plus loin dans l'aggravation de la présidentialisation du régime en renforçant encore les pouvoirs du Président de la République. Nous aurions voulu, pour notre part, que la gauche soit porteuse de réformes ambitieuses de nos institutions pour mettre fin à ce déséquilibre entre l'exécutif et le législatif,...

M. Arthur Dehaine.

C'est raté !

M. Jean Vila.

... pour redonner sa souveraineté législative à l'Assemblée nationale élue sur la base d'une proportionnelle honnête...

M. Arthur Dehaine.

Honnête ?

M. Jean Vila.

... afin qu'elle puisse exercer pleinement ses missions de législateur, ses missions de contrôle du Gouvernement.

M. Alain Clary.

Très bien !

M. Jean Vila.

Les députés communistes sont prêts à ouvrir sans plus tarder le chantier des réformes indispensables à la démocratie. Malheureusement rien de concret ne nous est proposé en la matière. Seules nous sont présentées des dispositions pour inverser le calendrier électoral et faire en sorte que l'élection présidentielle précède les élections législatives.

L'exposé des motifs de l'une des propositions de loi - celle du groupe socialiste pour ne pas la nommer - est limpide sur l'enjeu que recèle cette mesure : « A ce titre, l'élection du Président de la République offre la possibilité de fédérer des forces autour d'un projet... qui est ensuite mis en oeuvre par la nouvelle Assemblée nationale. » S'il ne s'agit pas là d'une procédure qui vise à ins-

taller une relation de subordination de l'Assemblée nationale au pouvoir présidentiel, c'est à ne plus rien y comprendre !

M. François Goulard.

Très juste !

M. Jean Vila.

Cette conception de la République est dangereuse pour la démocratie d'autant que, dans la Constitution, rien ne donne la priorité à l'élection du Président sur celle des députés.

Pourquoi les législatives devraient-elles avoir à tout prix pour objet d'être le papier calque d'une majorité présidentielle qui est déjà un coup de forceps imposé à la démocratie, en ce sens que deux candidats seulement peuvent être présents au second tour ? Ce rôle second que l'on veut attribuer à l'Assemblée nationale constitue un détournement des textes.

Les Français sont contre une République monochrome qui prétendrait leur tenir la main jusque dans l'isoloir. La vie est plus riche que les textes. Laissez-lui le droit de s'exprimer.

Le présidentialisme, ce n'est pas l'efficacité, mais l'irresponsabilité et le manque de transparence, l'impunité au service d'une bureaucratie ni incompétente ni paresseuse mais simplement conservatrice. Dès lors, mettre fin à la cohabitation ne saurait être un but en soi, pas plus que s'enfermer dans une typologie convenue entre régime présidentiel et régime parlementaire.

Il faut au contraire chercher ce qui peut favoriser au mieux l'expression populaire et répondre aux besoins de la population. Respecter la volonté du suffrage universel clairement exprimée est un objectif majeur qui ne doit être ni trituré ni instrumentalisé. Le fait majoritaire procède de l'élection des députés. On ne saurait l'oublier sans ouvrir la voie à toutes les dérives.

L'inversion du calendrier servirait aussi une élection présidentielle qui se situerait au centre, et non entre la gauche et la droite. Aujourd'hui, nous sommes non en l'an 2000 mais en 1988, quand le gouvernement Rocard cherchait d'abord l'accord du groupe centriste puis, faute de l'avoir obtenu, se tournait vers les communistes. Je ne crois pas qu'une majorité de troisième force, même circ onstancielle, puisse conforter la démocratie. Cette conception de la République est dangereuse pour l'exercice de la citoyenneté.

En personnalisant, en hiérarchisant les pouvoirs publics et en marginalisant le Parlement, on ne respecte pas les citoyens. On méconnaît le libre choix des électeurs, on perpétue la mise sous tutelle de l'Assemblée, on élargit le fossé entre citoyens et politique qui atteint déjà des dimensions alarmantes. Qui peut raisonnablement nier aujourd'hui la crise profonde de la politique qui ronge notre pays ? Refuser l'inversion du calendrier, c'est aussi militer contre l'abstention massive, facilement critiquée aujourd'hui au niveau des discours, mais largement acceptée par tous ceux qui veulent personnaliser les choix pour mieux perpétuer en fin de compte un système qui n'a rien à voir avec les aspirations profondes de ce pays.

Le rééquilibrage des pouvoirs publics institutionnels est pourtant une priorité démocratique absolue. Les députés communistes luttent pour une souveraineté nationale g arantie par une assemblée investissant le Premier ministre et son gouvernement sur un programme contractuel, avec des choix précis, un gouvernement responsable devant elle, un Président de la République arbitre au plein sens du terme.

L'avenir ne peut pas être dans une démocratie compliquée et incarnée. Les députés communistes voteront contre ces propositions de loi qui relèvent d'un présidentialisme éclairé, c'est-à-dire qui fait confiance à un peuple malvoyant à condition de lui avoir d'abord balisé la voie à suivre.

Nous sommes convaincus que la gauche plurielle l'emportera aux législatives de mars 2002 si elle en fait le choix...

M. Charles Cova.

Cela reste à démontrer !

M. Jean Vila.

... les Français étant convaincus parce que le bilan de la gauche est convaincant, et qu'il pourrait l'être davantage si le cap du changement était maintenu et renforcé dans les dix-huit mois qui viennent.

Si les partis de la majorité vont aux élections avec à la fois leur originalité et leur sens des responsabilités et de la coopération, le résultat sera plus clair quant au programme à mettre en oeuvre. Il serait aussi, non une entrave, mais un appui certain pour le Président de la République qui sortirait des urnes au second tour de mai 2002.

C'est la seule voie que la gauche doit suivre si elle veut impulser un véritable élan à la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Renaud Dutreil.

M. Renaud Dutreil.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une simple question : qui, parmi vous, il y a quelques mois, aurait imaginé l'Assemblée nationale terminer ce siècle


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

- un moment symbolique, qui devrait nous inciter à porter un oeil neuf sur les changements de la société et du monde - par un débat aussi byzantin et microscopique que celui qui nous réunit ce soir ?

M. Bernard Charles.

Pas du tout !

M. Renaud Dutreil.

Je crois que ce débat est une manifestation supplémentaire de la distance qui ne cesse de s'accroître entre une certaine partie de la classe politique et les Français.

M. Charles Cova.

Très juste !

M. Jean-Luc Warsmann.

Il a raison.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Si c'est Warsmann qui le dit !

M. Renaud Dutreil.

Le fait que ceux qui parlent le plus d'écoute des citoyens, de renouveau démocratique, soient les plus empressés à s'enfermer dans des arguties constitutionnelles, dans des problèmes de préséance, n'est d'ailleurs pas le moindre symptôme de cet éloignement.

Voyez le contraste : d'un côté, des députés qui consacrent le dernier débat du siècle à se voter un sursis de trois mois (Murmures sur les bancs du groupe socialiste), qui se déchirent sur cette histoire de « calendrier dingo », et, de l'autre, des Français qui s'inquiètent de tout, de la

« vache dingo », du progrès des inégalités devant la santé,...

M. Daniel Marcovitch.

Et la CMU ?

M. Renaud Dutreil.

... de l'éducation, du pouvoir d'achat, des bouleversements climatiques, des changements de l'environnement,...

M. Jean-Claude Perez.

Des affaires de la mairie de Paris !

M. Renaud Dutreil.

... de tout, sauf de cette question.

Quel contraste !

M. Jean-Luc Warsmann.

Excellent !

M. Renaud Dutreil.

Je ne sais pas qui sont les scénaristes de cette fin de siècle politique, mais on ne peut pas dire qu'ils aient le sens de l'histoire.

J'avais approuvé le Premier ministre lorsqu'il avait déclaré le 19 octobre, sur TF 1, que toute initiative de sa part serait interprétée de façon trop étroitement politique, voire politicienne,...

M. Daniel Marcovitch.

C'est ce que vous êtes en train de faire !

M. Renaud Dutreil.

... mais je ne pouvais soupçonner alors qu'il tendrait des verges pour se faire fouetter deux mois plus tard, aujourd'hui, 19 décembre. En effet de quoi s'agit-il sinon de ce que le Premier ministre appelle à juste titre une initiative étroitement politique, voire politicienne ?

M. Alain Cousin.

Très juste !

M. Renaud Dutreil.

Il faut que nos concitoyens sachent que, dans cette enceinte, des députés ne sont pas dupes de cette manipulation...

M. Charles Cova.

Les Français non plus !

M. Renaud Dutreil.

... et ont assez d'égards pour la démocratie pour en respecter très simplement les règles.

Ce débat repose sur trop de malentendus, trop d'arrière-pensées, pour être véritablement sincère.

Le premier malentendu est constitutionnel. J'entends, en effet, à longueur de temps, des gens, des experts ès Constitutions, qui sont comme saint Eloi devant la culottte du roi Dagobert : ils veulent à tout prix la remettre à l'endroit.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Cela ne rime pas !

M. Renaud Dutreil.

Mais « l'endroit » de la Constitution quel est-il ? Est-ce l'interprétation qui se lie le mieux aux intérêts personnels des uns et des autres,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Non !

M. Renaud Dutreil.

... ou bien le texte lui-même ?

M. Didier Quentin.

C'est le texte !

M. Bernard Charles.

Le texte de Giscard d'Estaing ?

M. Renaud Dutreil.

C'est le texte bien sûr ! Or que dit le texte de la Constitution sur l'ordre dans lequel doivent se dérouler les élections présidentielle et législatives ? Rien.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. Daniel Marcovitch.

Demandez à Chirac !

M. Renaud Dutreil.

Il ne dit rien du tout sur le sujet et c'est bien le malheur de ceux qui le tordent dans tous les sens depuis vingt-quatre heures.

M. Jean-Luc Warsmann.

Ils n'y arrivent pas !

M. Renaud Dutreil.

La Constitution dit très clairement, en son article 20, que le Gouvernement conduit et détermine la politique de la nation.

M. Jean-Luc Warsmann.

Oui !

M. Bernard Charles.

Quel commentateur !

M. le président.

Monsieur Warsmann, vous direz ce que vous avez à dire quand vous aurez la parole, bientôt !

M. Bernard Charles.

Il aura aussi les explications de vote.

M. le président.

Sinon, vous risquez de ne plus rien avoir à dire, monsieur Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Non, cela ne m'arrive jamais !

M. Renaud Dutreil.

Je l'autorise à continuer !

M. le président.

Mais il vous interrompt sans cesse, monsieur Dutreil.

M. Renaud Dutreil.

L'article 20 n'évoque donc nullement de simples modalités d'action politique comme je l'ai entendu ce matin d'une voix pourtant autorisée.

La Constitution précise aussi que le Gouvernement est responsable devant le Parlement et, dans l'article 24, que les députés sont élus au suffrage direct. Il faut en déduire que si les Français veulent changer de politique - ce qui pourrait d'ailleurs bien être le cas dans quelque temps...

M. Michel Etiévant.

Et changer aussi de maire pour Paris ?

M. Renaud Dutreil.

... et M. Jospin l'a bien compris - il doit, selon les termes mêmes de la Constitution, le faire en élisant une nouvelle assemblée.

La Constitution a donc bel et bien fait de l'élection des députés un choix fondamental. Lisez-la et vous constaterez que l'élection d'un nouveau Président de la République n'est pas en soi une condition suffisante au changement de politique, pas plus d'ailleurs qu'elle n'en est une condition nécessaire. Nous l'avons vu en 1986, en 1993, en 1997 avec des alternances liées à l'élection de nouvelles majorités parlementaires.

M. Daniel Marcovitch.

Dites cela à M. Madelin qui est déjà candidat à la présidentielle !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Renaud Dutreil.

Changer la politique de la nation suppose donc l'élection d'une majorité parlementaire qui le veut et d'une assemblée disposée à soutenir un gouvernement qui la conduise.

M. Jean-Luc Warsmann.

Excellent !

M. Renaud Dutreil.

C'est la seule voie constitutionnelle du changement politique, la plus incontestable, quoi qu'en pensent MM. Duhamel, Carcassone, Vedel et d'anciens hauts responsables de l'Etat, qui font en ce moment beaucoup tourner les tables avec l'esprit de la Constitution (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) au risque de confondre le spiritisme avec le droit constitutionnel.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Barrau.

Pas M. Barre !

M. Bernard Charles.

Je ne savais pas qu'il était un adepte du spiritisme !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Pas Giscard d'Estaing !

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie !

M. Renaud Dutreil.

Vous savez bien qu'un Président de la République qui se heurterait à une majorité parlementaire élue quelques semaines après lui - et cette hypothèse n'est pas invraisemblable ; elle aurait pu se produire en 1988 - n'aurait absolument pas les moyens de conduire sa politique.

La Constitution est ainsi faite ; elle reste parlementaire et le constater n'ôte rien aux pouvoirs du Président de la République.

Je veux bien, pour remettre les choses à leur place, que l'on prétende que le calendrier normal ne convient pas à certains, mais que personne ne dise qu'il est aberrant comme l'a fait le Premier ministre ce matin à la fois pour dissimuler son embarras et pour justifier ses manoeuvres.

Il y a ensuite un malentendu politique. Je parle au nom de l'UDF et je tiens à rappeler, pour le cas où certains en douteraient, que l'UDF est dans l'opposition et qu'elle ne partage en rien les options prises par le Gouvernement Jospin depuis sa formation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Monique Collange.

Parlez pour vous !

M. Renaud Dutreil.

Dire qu'il y aurait, dans les votes d'aujourd'hui ou de demain, le germe d'une recomposition politique...

M. Daniel Marcovitch.

Giscard n'est-il pas à l'UDF ?

M. Renaud Dutreil.

... qui conduirait une partie de l'UDF à renier ses électeurs, à revenir sur ses convictions, je crois et j'espère que cela est absurde.

M. André Billardon.

On a déjà donné !

M. Renaud Dutreil.

Je sais bien que certains, à gauche, rêvent d'un tel renfort. (Rires et aclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Charles.

Vous êtes tout seul à le penser !

M. André Billardon.

Fantasme !

M. Renaud Dutreil.

Cela est bien normal, car ils sentent que l'espace politique de la majorité plurielle est en train de se réduire, mais je ne crois pas que certains d'entre nous rêvent de leur offrir ce renfort.

M. Christian Bourquin.

Espérons qu'ils ne rêvent pas trop !

M. Renaud Dutreil.

Si par hasard il devait y en avoir, soyez sûr qu'ils ne resteraient pas parmi nous.

A l'issue des prochaines élections législatives l'UDF sera dans la majorité aux côtés du RPR et de Démocratie libérale. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Mme Monique Collange.

La majorité, pas l'unanimité !

M. Renaud Dutreil.

Nos trois familles seront peut-être alors plus unies qu'elles ne l'auront jamais été, répondant ainsi aux voeux des Français.

Cependant si la majorité des députés de l'UDF votera contre l'inversion du calendrier car, selon sa pratique habituelle, le groupe laissera à chacun une totale liberté de vote et d'expression (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste), c'est aussi pour une autre raison : nous sommes, à l'UDF, les héritiers d'une longue tradition parlementaire et c'est pourquoi certains d'entre nous seraient heureux que, pour une fois, en 2002, les Français aient à exprimer leur choix politique en premier lieu à travers la désignation des députés.

M. François Goulard.

Il a raison !

M. Bernard Charles.

Cela va faire plaisir à Giscard !

Mme Monique Collange.

Vous avez eu un Président de la République !

M. Renaud Dutreil.

Nous tous, mes chers collègues qui, en vertu d'une longue histoire politique et juridique et en application de l'article 3 de la Constitution, représentons individuellement et collectivement non pas nos circonscriptions, mais le peuple français souverain...

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Renaud Dutreil.

... devons veillez à ce que cette légitimité ne soit pas battue en brèche (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et indépendants et sur divers bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance), comme elle l'est de plus en plus du fait de la démocratie d'opinion, de la démocratie médiatique, de la personnalisation excessive du pouvoir, de la tentation permanente de tout ramener au Président de la République.

M. Bernard Accoyer.

Quelle hauteur dans le discours !

M. François Goulard.

On en revient aux vrais principes !

M. Renaud Dutreil.

Dire oui à l'ordre naturel des élections de 2002 qui place les élections législatives avant l'élection présidentielle, c'est réaffirmer que notre constitution est mixte, qu'elle a une double nature parlementaire et présidentielle...

M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui !

M. Renaud Dutreil.

... qu'il appartient au peuple et à lui seul, dans le respect des règles et des échéances qui rythment la vie démocratique, de choisir le tour que doit prendre notre constitution.

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Remarquable !

M. François Goulard.

Très pertinent !

M. Renaud Dutreil.

C'est aussi réaffirmer qu'au côté du Président de la République, mais non en dessous de lui, le Parlement est l'institution légitime et régulatrice de la démocratie moderne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

On aurait pu imaginer que le parti socialiste soit sensible à ce nécessaire rééquilibrage. En effet, que n'a t-on entendu dans le passé sur les droits du Parlement, sur le coup d'Etat permanent, sur l'exercice solitaire du pouvoir, etc.

! Mais le parti socialiste, aujourd'hui, semble moins tenir à ses convictions qu'à son pouvoir.

M. Bernard Accoyer.

Bien sûr !

M. Renaud Dutreil.

Le Gouvernement qu'il dirige ne cesse d'osciller d'une idée à l'autre, d'une combinaison à l'autre. Cela a commencé, il y a bien longtemps, avec Vilvorde, par exemple dont chacun se souvient et lors d'un meeting à Lille.

M. Bernard Accoyer.

C'est vrai !

M. François Goulard et M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui !

M. Renaud Dutreil.

Cela a continué avec les 35 heures sur lesquelles les ministres, les uns après les autres reviennent maintenant un peu penauds, avec la convention de l'UNEDIC qui était condamnée à gauche et que l'on a fini par ratifier, avec la gestion de la crise des carburants, qui a donné lieu à une valse à trois temps, avec l'engagement - paraît-il - des ministres à ne pas cumuler leur mandat de maire avec la fonction de ministre.

M. Bernard Accoyer.

Mme Guigou !

M. Renaud Dutreil.

Or on revient aussi là-dessus !

M. Bernard Accoyer.

Et les farines animales ?

M. Renaud Dutreil.

On ne compte plus à Matignon les chants du coq ; en voilà un de plus. Alors que reste-t-il à ce gouvernement ?

M. Daniel Marcovitch.

Soyez heureux, les Français voteront donc pour vous aux prochaines élections !

M. Renaud Dutreil.

Il lui reste quelques manoevres.

Ainsi, en 1997 la gauche a gagné, non par la force de son projet, non par la puissance de ses convictions, mais en profitant des triangulaires, en utilisant le Front national à des fins électorales,...

M. Bernard Accoyer.

Tout à fait ! M. Renaud Dutreil ... tout en criant « au loup ! ». (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Très juste !

M. Renaud Dutreil.

Aujourd'hui elle tente une autre manoeuvre de division, en essayant de favoriser une triangulaire d'un genre inédit et elle voudrait croire que l'UDF pourrait servir de coin. Eh bien, n'en croyez rien, cela ne se passera pas ainsi.

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Renaud Dutreil.

Le groupe UDF pense que cette péripétie calendaire ne mérite pas d'être une affaire d'Etat...

M. François Goulard.

Il pense bien !

M. Renaud Dutreil.

... pas plus qu'elle ne mérite d'être un point d'honneur, ou encore une pomme de discorde au sein de l'opposition. Nous appartenons à l'opposition.

Nous entendons, avec nos partenaires du RPR et de DL, proposer aux Français un projet d'alternance, qu'ils attendent avec une impatience croissante.

Mme Monique Collange.

Ça c'est vous qui le dites !

M. Daniel Marcovitch.

Ça fait bien longtemps que vous attendez le projet !

M. Charles Cova.

Il viendra !

M. Renaud Dutreil.

Nous sommes sûrs que, comme le Premier ministre le redoute, nous pouvons, ensemble, gagner les élections législatives. Et c'est donc très logiquement que la plupart d'entre nous s'opposeront à cette inversion du calendrier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Goulard.

Remarquable intervention !

M. le président.

La parole est à Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, une petite remarque. Je suis les débats attentivement depuis ce matin, et je voudrais vous rassurer : oui, les femmes s'intéressent aux institutions...

Mme Monique Collange.

Tout à fait !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

... même si, sur les quarante et un orateur qui interviendront tout au long de cet important débat, deux seulement prendront la parole : moi-même maintenant et Mme Collange, soit ce soir, soit demain matin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Plus sérieusement - mais ma remarque préliminaire était sérieuse quand même - nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi organique sur l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, que certains décrivent comme étant une manoeuvre circonstancielle...

M. Bernard Accoyer.

En effet !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

... laissant supposer que le décalage des prochaines élections législatives après celle du président n'a pour seule raison que favoriser la majorité actuelle. C'est anticiper largement sur le choix de nos concitoyennes et de nos concitoyens, et nier leur sens critique, tout en donnant à la règle une force incroyable, puisque son simple fait aurait un effet décisif sur le résultat du scrutin, comme l'a dit ce matin notre Premier ministre Lionel Jospin.

Personnellement, je leur fais confiance et je suis navrée d'entendre des collègues parlementaires en appeler désespérément au besoin de « faire le lien avec les citoyens », comme ce matin mon camarade de la gauche plurielle, Robert Hue.

Par ailleurs, qui pourrait se targuer de pouvoir prédire le résultat d'une élection, alors que nous avons vécu tant d'expériences électorales qui nous montraient les limites mêmes des sondages faits à la veille du passage dans les urnes, sans parler du pari manqué, en 1997, du président de la République, auteur d'une prédiction qui me permet ce soir d'intervenir dans cette maison du peuple, où bat le coeur de la démocratie ?

M. Charles Cova.

Merci Le Pen !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Je n'en ai pas eu besoin dans ma circonscription populaire de Toulouse.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Charles Cova.

Vous peut-être, mais il y en a beaucoup chez vous pour qui ça a été le cas.

M. Daniel Marcovitch.

C'est mesquin, comme remarque ! Du niveau du vote que vous allez émettre !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

J'ai été élue à la force de mes poignets, eu égard à mes convictions et à mon travail sur le terrain, messieurs de la droite ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Pas de sectarisme !

M. François Goulard.

Apprenez la tolérance !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Je suis donc doublement ravie de cette mauvaise prédiction qui montre à elle seule le peu de maîtrise que nous avons des « pronostics électoraux »...

D'aucuns évoquent un effacement du Parlement et une dérive « présidentialiste » dans le jeu des institutions, que l e rétablissement du calendrier électoral viendrait renforcer.

Que nenni ! Si l'on constate, voire dénonce, une telle dérive depuis l'instauration en 1962 du suffrage universel pour l'élection présidentielle, elle n'est pas le fait de la date où les citoyennes et les citoyens sont appelés à élire, mais plutôt du mode de fonctionnement de nos institutions et, ce matin, d'autres collègues l'ont largement évoqué.

Quelles solutions alternatives à ce constat ? Personne en tout cas n'évoque une remise en question de ce mode de scrutin pour la désignation du chef de l'Etat, ce qui nous permet de penser qu'il est un principe acquis.

On pourrait se risquer ici à s'expliquer les raisons d'une telle évolution. Encore faudrait-il s'accorder sur ce constat. Pour ma part, je rejoins l'analyse du rapporteur de cette proposition de loi, Bernard Roman, et de mon président de groupe Jean-Marc Ayrault.

M. François Goulard.

Oh là ! Quelle surprise !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

L'évolution de la vie politique avec la construction européenne, le poids du droit international, le contrôle de constitutionnalité, le règne des médias a fait que le centre de la vie et de l'action politique s'est déplacé vers d'autres lieux. C'est là une réalité que le seul ordre des élections de 2002 ne saurait infléchir qui pose la question fondamentale de notre manière d'exercer la démocratie et qui mérite un réel débat. Je souhaite vivement que nous l'ayons - et nous l'avons déjà eu - tant il me paraît fondamental de comprendre l'évolution du jeu institutionnel et de veiller à ce que soit garanti, quelle que soit cette évolution, le principe démocratique fondateur de notre régime qui a instauré la fonction parlementaire.

Or, sur quoi nous est-il demandé de statuer ce soir ? Le calendrier électoral, tel qu'il se présente pour 2002, résulte de la conjonction d'un double hasard chronologique : l'un, malheureux, créé par le décès prématuré en 1974 du président Georges Pompidou qui fixe la référence temporelle en matière d'élections présidentielles, l'autre choisi par l'actuel chef de l'Etat lorsqu'il a décidé, un beau matin de 1997, de procéder à la dissolution de l'Assemblée nationale.

M. Michel Terrot.

Sans elle, vous ne seriez pas là !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Je l'ai déjà dit en préambule, monsieur. Je suis très heureuse d'être ici et je remercie M. Chirac.

M. Michel Terrot.

Vous avez raison. M. Chirac est un excellent Président !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

On ne construit pas de calendrier électoral à partir de hasards successifs, pas plus que l'on ne peut jouer l'esprit des institutions à la roulette.

Ce qui est en cause aujourd'hui, ce n'est pas une improbable règle du jeu, que personne ne connaît et qui n'a pas été débattue, ni une opportunité, mais, simplem ent, la volonté de voir les institutions de la Ve République fonctionner selon la logique qui n'a cessé de les animer.

Il s'agit bien de rétablir le bon fonctionnement de la règle électorale, qui a été modifiée par des éléments qui lui sont indépendants, et non d'inverser un calendrier de façon opportuniste.

Précisément, cessons de l'être, et montrons que nous sommes des femmes et des hommes politiques qui savent réfléchir sur leurs propres règles du jeu, faisant fi des positionnements politiciens... Certaines, certains d'entre nous, de gauche comme de droite, ont su, d'ores et déjà, voir l'absurdité du calendrier électoral tel qu'il résultait des hasards de la vie politique et prendre leurs responsabilités d'élus. Je suis sûre que nous serons une large majorité à le faire et à voter demain les propositions de loi qui nous sont présentées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le président.

La parole est à M. Warsmann, qui, favorable à l'inversion d'orateur, intervient à la place de M. Gaymard. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République).

M. Charles Cova.

Allez Bossuet !

M. Jean-Luc Warsmann.

Pour ce 19 décembre, le Gouvernement n'a pas hésité à bouleverser l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Les projets de loi concernant les tribunaux de commerce n'ont plus aucun caractère d'urgence ! Non, l'urgence absolue, c'est désormais d'inverser l'ordre des élections.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Non inverser : rétablir !

M. Jean-Luc Warsmann.

La première question que je me suis posée lorsque j'ai vu programmer ce débat est très simple : est-il nécessaire, dans nos institutions, que l'élection du Président de la République précède les élec tions législatives ? J'ai bien entendu tout au long des débats l'argument selon lequel l'inversion était indispensable au respect de la force de la fonction présidentielle.

Mais, au fait, d'où vient la force de la fonction du Président de la République ? D'abord de la Constitution, mes chers collègues, et, plus particulièrement, de son titre II, c'est-à-dire des articles 5 à 19. Aux termes de l'article 5, c'est le Président de la République qui veille au respect de la Constitution et qui est le garant de l'indépendance nationale.

M. Christian Estrosi.

Bien sûr !

M. Jean-Luc Warsmann.

A l'article 10, il est précisé que lorsqu'un vote du Parlement lui paraît contraire aux intérêts nationaux, il peut demander une nouvelle délibération. L'article 11 lui donne le pouvoir de soumettre au référendum tout projet de loi afin de donner la parole au peuple. A l'article 13, il est spécifié qu'il nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat et à l'article 15, qu'il est le chef des armées. C'est toute cette force constitutionnelle qui a donné lieu à la pratique des domaines réservés tant dans le domaine des affaires étrangères que dans le domaine de la défense.

M. Christian Estrosi.

Il est bon de le rappeler.

M. Jean-Luc Warsmann.

L'article 16 lui confère des pouvoirs en cas de crise et l'article 17, le droit de grâce.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

C'est là, mes chers collègues, que réside la force du pouvoir du Président de la République, force qui s'est établie dès 1958. Les pouvoirs du Président de la République entre 1958 et 1962 n'ont rien à voir avec ceux des présidents sous la IIIe ou la IVe République, rien à voir avec la fonction d'un Mac Mahon. C'est bien la Constitution de la Ve République qui donne sa prééminence au Président de la République...

M. Christian Estrosi.

Très bien !

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Jean-Luc Warsmann.

... prééminence qui a été renforcée par le vote populaire de 1962, instaurant l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.

La grande différence entre l'élection du Président de la République et la nôtre, mes chers collègues, c'est que, si nous sommes nous aussi élus au suffrage universel direct, nous le sommes à la suite de 577 élections différentes dans 577 circonscriptions sur tout le territoire, alors que la Président est le seul élu par l'ensemble de la population.

M. René Dosière.

C'est en effet un point clef.

M. Jean-Luc Warsmann.

L'ordre des élections n'a vraiment rien à voir avec la prééminence du Président de la République.

M. Christian Estrosi.

Absolument !

M. Jean-Luc Warsmann.

Cette prééminence, c'est la force du Président. Elle est garantie par la Constitution et par son élection au suffrage universel direct. La preuve supplémentaire, s'il en fallait une, c'est que la Constitution ne prévoit rien, mais rien du tout, sur l'ordre des élections.

M. Jean-Louis Debré.

Tout à fait !

M. Renaud Muselier.

Bravo Warsmann !

M. Jean-Luc Warsmann.

Autant dire que le constituant n'a jamais jugé nécessaire de protéger le Président de la République en imposant que les élections législatives aient lieu après son élection. Le problème ne s'est jamais posé.

C'est bien la Constitution qui garantit le rôle du Président. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. Michel Hunault.

Ça, ce n'est pas du roman !

M. Jean-Luc Warsmann.

Poursuivons la réflexion et demandons-nous si l'effet des présentes propositions de loi est bien d'inverser les élections, c'est-à-dire de garantir que l'élection du Président ait lieu avant les élections législatives. Aux termes de l'un des textes en discussion aujourd'hui : « Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le 15 juin de la cinquième année qui suit son élection. » Ces dispositions valent pour 2002. Mais est-il

garanti que les élections législatives auront lieu à l'avenir après les présidentielles ?

M. Michel Hunault.

Eh non !

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument pas !

M. Charles Cova.

Elle est là la magouille !

M. Jean-Luc Warsmann.

J'admets que des collègues puissent penser que l'intérêt du pays - après tout, c'est une thèse comme une autre - commande que les députés soient élus après le Président. Mais pour que cela soit applicable, il faut deux mesures.

La première, c'est de supprimer l'article 12 de la Constitution prévoyant le droit de dissolution.

M. Jean-Louis Debré.

Avec interdiction au Président de mourir !

M. Jean-Luc Warsmann.

Le maintien de ce droit autorise, à tout moment le Président à disssoudre l'Assemblée.

Les élections, qui doivent intervenir dans un délai de vingt à quarante jours, balaient alors complètement l'inversion.

Le second écueil susceptible de compromettre l'inversion de l'ordre des élections est le décès du Président de la République. Il faudrait donc présenter un amendementr endant le Président de la République immortel.

(« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Daniel Marcovitch.

Il est déjà intouchable, on ne va pas le rendre immortel !

M. Jean-Luc Warsmann.

Une autre solution consisterait comme cela existe dans d'autres pays, en l'élection en même temps que le Président de la République, d'un vice-président. Présentez-vous monsieur le ministre de l'intérieur, devant l'Assemblée, avec une proposition en deux termes - suppression du droit de dissolution, élection d'un vice-président avec le Président - et vous serez alors cohérent avec votre position. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Accoyer.

Très juste !

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'est manifestement pas le cas et chaque observateur honnête doit reconnaître que les propositions de loi ne résolvent absolument pas le problème posé.

Mes chers collègues, comme moi, vous en arriverez à vous poser une deuxième question très simple : s'agit-il d'une loi de circonstance ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Question suivante ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Très honnêtement, ces propositions de lois poursuivent-elles un intérêt général ? (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

La question est fondamentale puisque c'est sur ce point que le Conseil constitutionnel se prononcera.

M. Bernard Accoyer.

Bien sûr !

M. Jean-Luc Warsmann.

Aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales.

M. Renaud Muselier.

Très bon argument !

M. Jean-Luc Warsmann.

Sur ce fondement, le Parlement a été amené, à plusieurs reprises, à légiférer. C haque fois que le Conseil constitutionnel a été saisi de telles lois, il a rappelé le principe que le choix du législateur, par exemple, de prolonger un mandat, devait être en accord

« avec l'intérêt général poursuivi ».

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est le cas !

M. Jean-Luc Warsmann.

Quel est l'intérêt général poursuivi par cette proposition de loi ? Y a-t-il une nécessité constitutionnelle ? (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Non, rien dans le texte de la Constitution ne l'impose.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est pour éviter une situation « abracadabrantesque ! »

M. Jean-Luc Warsmann.

Y a-t-il nécessité de restaurer ou de maintenir l'importance du rôle du Président de la République ? (« Non ! » sur les mêmes bancs.) Non, rien ne l'exige.

Plusieurs orateurs ont essayé, laborieusement je dois le dire, de nous expliquer qu'il fallait voter ce texte parce qu'il était indispensable au système des parrainages.

M. Bernard Accoyer.

C'est nul !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est le conseil constitutionnel qui le dit !

M. Jean-Luc Warsmann.

Il s'agit là d'une bien mauvaise plaisanterie. (« Oui ! » sur les mêmes bancs.)

Des dizaines de milliers d'élus - maires, conseillers généraux, députés, sénateurs - ont le pouvoir de parrainer le Président de la République.

M. Philippe Briand.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann.

Sur ces dizaines de milliers, il y aurait un problème : nous, les 577 députés. (« Aucun problème ! » sur les mêmes bancs.)

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

C'est le Conseil constitutionnel qui l'a dit, pas nous !

M. Jean-Luc Warsmann.

Je me permets de rappeler au ministre que, sur les 577 députés, beaucoup sont d'ores et déjà maire, conseiller général ou conseiller régional.

M. Eric doligé.

Non au cumul ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Warsmann.

A ce titre, ils auraient, de toute façon, le pouvoir de parrainer. Il resterait peut-être 200 députés qui n'auraient qu'une semaine ou quinze jours pour se prononcer. Mes chers collègues, je pense que chacun d'entre nous a une conscience politique suffisante pour savoir, en une semaine, quel candidat à la présidence de la République il désire parrainer. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Cet argument, le seul objectif qui aurait été avancé, n'existe pas ou plutôt n'existerait que si les gouvernements mettaient toute la mauvaise foi possible pour avancer les élections présidentielles au plus vite, reculer les législatives au plus tard pour empêcher ce parrainage.

M. Renaud Muselier.

Oui.

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais s'il appliquait les textes avec la volonté que cela fonctionne, cela pourrait fonctionner. En tout état de cause, déplacer les élections pour cette seule raison est au moins disproportionné.

Cela me rappelle cette histoire d'un maire qui voulait retarder les élections municipales parce qu'il avait prévu de repeindre le bureau de vote ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Michel Hunault.

C'est tout à fait cela.

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais non, monsieur le maire, on repeint le bureau de vote après ou avant. On ne prolonge pas la durée du mandat pour une cause aussi futile ! (Applaudissement sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Mes chers collègues, je crois sincèrement qu'il s'agit d'une loi de circonstance.

M. Philippe Briand.

Tout à fait.

M. André Berthol.

C'est une mascarade !

M. Jean-Luc Warsmann.

M. le Premier ministre est venu devant l'Assemblée nationale au mois de juin 1997.

Lui aussi, je pense, avait été interpellé : il avait constaté que, la dissolution étant prononcée, les élections législatives auraient lieu en 2002.

J'ai relu avec beaucoup d'attention le discours de M. le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Eric Doligé.

Quel courage !

M. Jean-Luc Warsmann.

A aucun moment M. le Premier ministre n'en a parlé dans sa déclaration de candidature.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Eh oui !

M. Jean-Luc Warsmann.

Le 19 octobre dernier, il y a juste deux mois, il déclarait encore : « Toute initiative de ma part sur ce sujet serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Daniel Marcovitch.

Et c'est pour cela que M. Barre a pris l'initiative !

M. Jean-Luc Warsmann.

Et M. le Premier ministre continuait : « Moi j'en resterai là et il faudrait vraiment q u'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. »

M. Jean-Louis Debré.

Et il n'en est pas resté là !

M. Richard Cazenave.

Il a menti !

M. Jean-Luc Warsmann.

J'ai écouté les orateurs du parti communiste, ceux des Verts et tous ceux de l'opposition...

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Et vous avez écouté M. Barre et M. de Charrette !

M. Jean-Luc Warsmann.

J'en ai retiré une foule d'impressions mais pas celle d'un consensus ! (Applaudissemntss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Il s'agit bien là d'une loi de circonstance.

M. le président.

Monsieur Warsmann, votre temps de parole est écoulé.

M. Jean-Luc Warsmann.

Je suis sur le point d'achever mon intervention, monsieur le président. (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Laissez-le parler.

M. le président.

Je sais que M. Warsmann a chauffé la salle, mais quand même ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Debré.

Il est très bon ! Ne l'arrêtez pas !

M. Renaud Muselier.

Il est lumineux !

M. Jean-Luc Warsmann.

Il s'agit bien là d'une loi de circonstance et de convenance personnelle.

Il n'est pas possible de dire si, avec le vote de ces propositions de loi, la droite ou la gauche a plus de chance de gagner les élections. Ce dont je suis sûr, c'est que, si les élections législatives ont lieu d'abord et si la majorité actuelle échoue, la candidature de Lionel Jospin au premier tour des présidentielles sera remise en cause et que d'autres candidats de gauche voudront lui disputer cette candidature ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Daniel Marcovitch.

La voilà la manoeuvre politicienne !

M. Jean-Pierre Pernot.

C'est plutôt une stratégie de votre part !

M. Jean-Luc Warsmann.

Le fait d'inverser les élections, c'est l'assurance tous risques pour le Premier ministre d'être le candidat du parti socialiste aux élections législatives. Ce n'est pas une loi de convenance politique, c'est une loi de convenance personnelle.

M. Philippe Briand.

Absolument !

M. le président.

Monsieur Warsmann, veuillez conclure, s'il vous plaît !

M. Jean-Luc Warsmann.

Pour conclure, puisque M. le président m'y invite, je voudrais dire qu'à plusieurs reprises j'ai ressenti beaucoup de tristesse dans le débat.

Avec lui, nous assistons à la renaissance de la théorie du député « godillot ».

M. Philippe Briand.

Oui !

M. Jean-Luc Warsmann.

J'ai entendu un orateur dire qu'il fallait placer l'essentiel avant l'accessoire,...

M. Michel Hunault.

Ça c'est Giscard !

M. Jean-Luc Warsmann.

... et que l'essentiel c'est l'élection du Président et l'accessoire l'élection des députés. C'est contraire à l'idée que je me fais du mandat de député. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Un député ne se juge pas seulement parce qu'il est un supporter ou un défenseur de tel ou tel candidat à la présidence de la République. Il se juge aussi par son travail, dans son département et à l'Assemblée nationale et par ses prises de position.

M. Philippe Briand.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann.

Mes chers collègues, quel sens donnez-vous au travail que vous accomplissez si vous vous considérez comme un simple nom au service d'une personne candidate à la présidence de la République !

M. Philippe Briand.

Très juste !

M. le président.

Monsieur Warsmann, il vous faut maintenant conclure.

M. Jean-Luc Warsmann.

Enfin, les dispositions qui n ous sont proposées marquent un retour à la IVe République, sous laquelle on faisait voter des lois de circonstance par des majorités de circonstance.

M. Renaud Muselier.

Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann.

Et je voudrais rappeler à M. le Premier ministre, ou devrais-je plutôt dire, à M. le président du Conseil car, à vrai dire, c'est le titre qui lui convient le mieux dans ce débat...

M. Daniel Marcovitch.

Vous savez ce que c'était d'être président du Conseil sous la IVe République ?

M. Jean-Luc Warsmann.

... que ceux qui, en France, ont touché, par des lois de circonstance, aux modes d'élection, n'en ont jamais été récompensés.

Vous trahissez aujourd'hui, monsieur le ministre, et au nom du Gouvernement, la morale et vos engagements.

Eh bien, ce sont les Français qui rétabliront, en 2002, la morale. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jean-Louis Debré.

Il a été excellent !

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

M. Warsmann a un fan-club !

M. le président.

Monsieur Warsmann, permettez-moi de vous faire remarquer que si je dois vous interrompre, c'est parce que votre groupe a été particulièrement chiche à votre égard en ne vous accordant que dix minutes.

M. Renaud Muselier.

Avec son accord !

M. Jean-Louis Debré.

Il peut recommencer, monsieur le président.

M. le président.

Non, les rappels ne sont pas autorisés ! (Sourires.)

2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

PRIORITAIRE

M. le président.

J'ai reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement la lettre suivante :

« Paris, le 19 décembre 2000.

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en application de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement fixe, comme suit, l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale :

« Mercredi 20 décembre, l'après-midi, après les questions au Gouvernement, et le soir :

« suite de l'ordre du jour du matin

« dernière lecture du projet de loi de finances pour 2001

« dernière lecture du projet de loi relatif à l'archéologie préventive

« dernière lecture du projet de loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile.

« Jeudi 21 décembre, le matin :

« conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2000.

« l'après-midi et le soir :

« dernière lecture de la proposition de loi relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises ;

« dernière lecture du projet de loi de finances rectificatives pour 2000.

« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de ma haute considération. »

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

M. Jean-Louis Debré.

Comme par hasard !

M. Robert Lamy.

La magouille continue !

M. Renaud Muselier.

Où est le ministre des relations avec le Parlement ?

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Au Sénat !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

3 DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE Reprise de la discussion, après déclaration d'urgence, des conclusions du rapport sur six propositions de loi organique Discussion générale (suite)

M. le président.

Nous en revenons à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Maxime Gremetz.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Alors, mes chers collègues !

M. Maxime Gremetz.

Laissez-les s'exciter un peu, monsieur le président,...

M. le président.

Pas trop quand même !

M. Maxime Gremetz.

... ils ont besoin de se défouler ! Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, mes chers collègues, tout comme vous, j'ai été attentif à l'important débat de ce matin sur l'avenir des institutions. Si certains orateurs ont montré combien il était pertinent d'envisager d'importante réformes, capables de donner une dynamique démocratique nouvelle à nos institutions, d'autres, en revanche, ont traduit sans ambiguïté leur volonté politique de renforcer la tendance au présidentialisme,...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Ça, c'est Jospin !

M. Maxime Gremetz.

... pourtant largement à l'origine de la crise de la crise de la politique et de la citoyenneté que nous connaissons.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Il a raison !

M. Maxime Gremetz.

En tendant de dissimuler le revers de cette démarche, ils passent sous silence l'affaiblissement du rôle du Parlement que nous vivons aujourd'hui.

Il est pour le moins surprenant, pour ne pas dire étrange, qu'après ces quatre heures de débat sur une question qui touche aux fondements mêmes de la République, rien de concret ne nous ait été proposé.

Mme Christine Boutin.

C'est vrai !

M. Maxime Gremetz.

Cette décision procéderait-elle de la même motivation que le refus d'introduire d'ici à 2002 une dose de proportionnelle...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Voilà !

M. Maxime Gremetz.

Malheureusement, vous n'en voulez pas ! Ou le refus d'introduire le droit de vote des résidents étrangers aux élections municipales ? On nous avait répondu qu'il était « trop tard pour changer la règle du jeu » et que ces mesures apparaîtraient comme électoralistes... Aujourd'hui, voilà que l'inversion du calendrier électoral se trouve subitement mise à l'ordre du jour ! P ourtant, en juillet dernier, le président de la République n'estimait-il pas qu'il s'agissait là d'un sujet où il faut être « très prudent », que « les règles existent et qu'il faut les respecter » ? Pourtant, notre collègue Bernard Roman ne s'opposait-il pas, le 10 octobre dernier, lors d'un débat à l'Assemblée, à l'inversion du calendrier électoral au motif que « les Français auront un mal fou à comprendre les intérêts des uns et des autres, et surtout les sous-entendus tactiques... »

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Depuis, nous avons fait de la pédagorie !

M. Maxime Gremetz.

Il y a mois d'un mois, le site Internet du PS s'opposait à toute inversion au motif que

« nos concitoyens pourraient y voir une modification de circonstance ou de convenance » !

M. André Berthol.

Eh oui !

M. Robert Lamy.

C'est le bon sens !

M. Maxime Gremetz.

Or, aujourd'hui, alors que 42 % de nos concitoyens se disent favorables au respect du calendrier électoral, et 37 % contre, vous vous apprêtez à faire voter cette réforme empreinte de tous les dangers ! Je concède à mes amis socialistes, comme aux députés de droite, que ce problème dépasse les simples considérations de confort électoral, même si l'on ne saurait les ignorer. L'inversion proposée ne fait pas confiance à l'intelligence, à l'indépendance et à la libre réflexion des éle cteurs, c'est-à-dire à la démocratie dans son pluralisme et son devenir.

M. André Berthol.

Très bien !

M. Maxime Gremetz.

On ne peut souscrire à une

« démocratie éclairée » qui, à l'instar d'une monarchie éclairée, dirait aux citoyens ce qu'ils doivent faire. C'est le propre du présidentialisme que de dramatiser les enjeux, en demandant au peuple une majorité parlementaire pour mieux diriger. Ce qu'avait fait François Mitterrand, triomphalement, en 1981 et de nouveau en 1988, avec cette fois un succès plus mitigé. Le scénario est simple : le président crée la tension pour que les votes se portent sur les candidats de son propre parti. Mais l'omnipotence d'un parti, telle que nous l'avons vécue à plusieurs reprises, ne sclérose-t-elle pas la démocratie ? L'inversion du calendrier électoral au motif que l'élect ion présidentielle serait « directrice » apparaît bien comme un geste dominateur, non seulement à l'égard de la majorité plurielle, mais aussi et surtout à l'égard des Français eux-mêmes.

M. André Berthol.

Très juste !

M. Maxime Gremetz.

En septembre dernier, à l'occasion du référendum pour un quinquennat « sec », nous avions dénoncé le danger de cette réforme qui, loin de constituer un progrès pour la démocratie, risquait de n'être qu'un premier pas vers une aggravation du caractère présidentiel du régime. Il n'aura pas fallu, convenons-en, attendre longtemps pour constater que tel est bien le cas ! Ce qui nous préoccupe plus que tout, c'est que les citoyens seront appelés à choisir plutôt entre les individus

« présidentiables » qu'entre des projets politiques susceptibles de changer leur vie quotidienne. On ne peut pas, quand on est attaché à construire une démocratie citoyenne, imposer une liberté au rabais et une sorte de parcours fléché. C'est une question d'éthique et de dignité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

La personnalisation est bien quelque part une insulte à l'intelligence et à la liberté des Français. Elle génère les dérives que l'on a connues et relègue au second plan, que l'on s'en défende ou non, la confrontation des idées, le débat démocratique, le pluralisme. Les députés communistes se battent pour l'émergence d'une société différente où les débats de personnes n'auraient ni la priorité ni le dernier mot.

Le Gouvernement de la gauche plurielle a connu une première étape, complexe mais positive. Un second souffle apparait désormais urgent et nécessaire. Esquissées par la récente déclaration commune de la gauche, des réformes d'une autre ampleur devraient être conduites dans les domaines social, économique et politique. Si cet enjeu clair, concrétisé par des mesures appropriées, était celui de la gauche plurielle pour les élections législatives de 2002, nul doute que celle-ci les gagnerait.

Pour tout citoyen, le droit à l'emploi et à la formation professionnelle tout au long de sa vie, la remise en cause de licenciements arbitraires, une protection sociale de qualité avec une retraite complète à soixante ans et des services hospitaliers sérieusement améliorés, des villes sans ghettos, des libertés et des droits nouveaux pour tous, une politique étrangère de paix et de coopération, tout cela serait le meilleur investissement de la France de demain, y compris pour les entreprises.

La France était originale il y a trois ans ; elle est en train d'oublier de le rester ! Voilà les enjeux de 2002. Les Français ne sont pas saturés d'information sur les choix à venir. Bien au contraire, ceux-ci sont largement occultés par les médias qui s'attachent, en jouant de l'autosatisfaction nationale, à m asquer les contradictions de la société française.

Celles-ci seraient-elles mieux prises en compte si un consensus officiel se bornait à nous rabâcher que le débat porte moins sur les choix de société que sur le choix entre des individus, sinon deux écuries présidentielles ? Les députés communistes pensent que seule une politique de gauche peut répondre aux besoins et aux attentes des Françaises et des Français. Et quand bien même une majorité n'en serait pas convaincue, il est certain qu'ils ne veulent pas d'une nouvelle dérive monarchique.

Depuis quinze ans, en choisissant la cohabitation, les Français ont dit d'abord qu'ils n'étaient pas dupes. Si l'on ne parvient pas à les convaincre que la cohabitation c'est le diable, c'est parce qu'ils ont vu, après 1981, un président pourtant ultra-majoritaire incapable de sortir la France de la crise. Dès lors leur choix était limité, le partage des pouvoirs que permet la cohabitation leur est apparu comme un moindre mal.

Aujourd'hui, ils sentent qu'on essaie de les tromper. Ils risquent donc d'être plus nombreux à s'abstenir à la présidentielle et aux législatives - ils pourraient même s'exprimer de façon différente de ce que certains attendent -, tout simplement parce qu'ils ne supportent pas, et avec raison, d'être instrumentalisés. Il risque donc d'y avoir deux perdants : le peuple français et la démocratie.

En conclusion, la France a besoin d'une profonde démocratisation de ses institutions, non seulement pour sortir d'un pouvoir personnel qui s'appuie sur une subordination de la représentation nationale, mais aussi pour développer partout, dans la commune comme sur le lieu de travail, les formes modernes d'une démocratie participative.

Les députés communistes s'opposeront à cette dérive vers la présidentialisation, à un nouvel abaissement du rôle du Parlement et à une réduction dangereuse du débat démocratique et du pluralisme. En votant contre ce projet dangereux, ils disent « oui » à une véritable réforme constitutionnelle qui mettrait en avant la démocratie, la citoyenneté, la richesse du pluralisme, en un mot les Françaises et les Français, acteurs et décideurs. (Applaudissments sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la clarté, la cohérence, la logique parfois de nos institutions sont autant de raisons qui conduiront une majorité de cette assemblée à voter l'allongement de la durée de sa XIe législature afin de permettre l'organisation de l'élection présidentielle avant les élections législatives.

A plusieurs reprises, ici même ou à l'extérieur, j'ai exprimé mes réserves à l'égard de l'inversion du calendrier électoral de 2002, et je m'en suis réexpliqué ce matin.

Comme bien d'autres, je suis séduit par la recherche d'une plus grande clarté, d'une meilleure cohérence dans le fonctionnement de nos institutions.

Nous devons clarifier la question de la cohabitation. Si elle n'est pas le meilleur des systèmes, ainsi que le déclarait récemment notre Premier ministre, la cohabitation n'est que la résultante de nos dispositions constitutionnelles. Je suis bien entendu sensible à cette fameuse

« logique » de nos institutions. Mais je le suis peut-être trop, au point d'avoir du mal à supporter que l'on ne puisse apporter les remèdes nécessaires au déséquiibre de ces institutions.

Ce matin, nous avons très rapidement, trop rapidement, jeté les bases d'un débat indispensable qui reste à mener. J'ai bien entendu le Premier ministre évoquer des réformes constitutionnelles de nature à conforter notre d émocratie parlementaire. Le rendez-vous électoral de 2002, s'il n'est pas anticipé, sera l'occasion, je l'espère, d'engager le débat de fond et de s'en remettre à la décision des Françaises et des Français.

La Constitution de 1958 devait, à en croire les rédacteurs du projet, instituer un régime parlementaire rationalisé. En pratique, il en a été tout autrement. Certes, la cohabitation a permis un certain « tempérament » en obligeant à un retour au texte. Peut-être est-ce ce qui l'a rendue acceptable à ceux qui, comme moi, s'y étaient opposés en 1958. Reste que nous sommes nombreux à estimer qu'elle n'est pas la bonne réponse pour garantir le bon fonctionnement démocratique d'un pays tel que le nôtre.

Depuis 1997, des mesures de nature à atténuer le déséquilibre de nos institutions ont été prises : c'est le cas notamment de la réduction de la durée du mandat présidentiel. Cependant, les limites imposées par le président Chirac au contenu du projet de loi constitutionnelle - le

« quinquennat sec » - ont frustré bon nombre de nos concitoyens. Ils lui ont du reste signifié leur désapprobation totale en s'abstenant massivement. D'autres réformes devraient suivre d'ici à 2002 : je pense au renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement par la révision en cours d'examen de l'ordonnance de 1959 portant loi organique relative aux lois de finance. Le Premier ministre a, ce matin, soutenu cette démarche. La maîtrise de l'ordre du jour de nos travaux par le Gouvernement laisse à ce dernier la responsabilité de la faire aboutir ou non avant la fin de la législature.

Je n'attends pas de l'actuel Président de la République qu'il soutienne les projets de réforme constitutionnelle nécessaires. Il a montré les limites de sa volonté de permettre au Parlement d'agir. Dès son élection, en 1995, la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

décision d'étendre le champ d'application du référendum a donné un moyen de dessaisir, le cas échéant, plus facilement encore le Parlement de sa compétence législative.

L'utilisation éminemment partisane, en avril 1997, des dispositions de l'article 12 de la Constitution relatives à la dissolution de l'Assemblée nationale révèle, quant à elle, bien peu de considération pour la représentation nationale. Les électeurs ont jugé par leur vote, qui ont sanctionné l'initiateur de cette manoeuvre.

Plus récemment, l'interprétation donnée des obligations d'un Président de la République à l'égard de la justice, qui doit pouvoir le solliciter, au moins en qualité de témoin, comme tout citoyen de notre République, nous rappelle qu'il nous faudra attendre 2002 pour imaginer le cadre strict de l'irresponsabilité pénale du chef de l'Etat.

L'Assemblée nationale se prépare donc à fixer la date d'expiration de ses pouvoirs au 15 juin de la cinquième année qui suit son élection. J'aurais aimé limiter cette disposition à la présente législature, afin que nous puissions, au lendemain des prochaines élections présidentielles et législatives, engager les réformes de fond que j'appelle de mes voeux. De surcroît, nous ne sommes pas à l'abri d'une dissolution de convenance, comme ce fut le cas en 1997. A quoi servirait alors notre décision d'aujourd'hui si notre Assemblée devait être renouvelée dans quelques semaines ou dans quelques mois ?

M. Didier Quentin et M. Jean-Luc Warsmann.

Bonne question !

M. Bernard Derosier.

Cette hypothèse n'a pa été retenue, mais la question reste posée.

A la veille du nouvel an et même du nouveau siècle et du nouveau millénaire, en cette période de voeux, je souhaite que l'on n'attende pas quarante ans de plus pour rétablir ce à quoi il n'aurait jamais fallu porter atteinte : la démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Didier Quentin.

M. Didier Quentin.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de Noël, et dans la précipitation, nous voilà plongés dans un débat à la sauvette, sur des questions institutionnelles, bien éloignées des préoccupations quotidiennes et concrètes des Français. Lequel d'entre nous peut dire honnêtement avoir été interrogé, ces trois dernières années, dans une permanence ou par un courrier, sur le calendrier des élections de 2002 ? Depuis juin 1997, on savait bien que les élections législatives étaient programmées avant l'élection présidentielle ! Le Premier ministre n'avait pourtant pas semblé se préoccuper de cette question.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. Didier Quentin.

A plusieurs reprises, il l'a même écartée, allant jusqu'à qualifier une éventuelle inversion d'« initiative politicienne ».

Et puis tout d'un coup, à l'occasion d'un congrès partisan, mais sans le moindre débat interne, et plusieurs députés socialistes en ont exprimé le regret, le Premier ministre a eu une révélation, que dis-je, une illumination !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très bien !

M. Didier Quentin.

Lui qui déclarait naguère n'avoir pas voté la Constitution de la Ve République, devient un docteur de la foi gaulliste et un gardien sourcilleux de la cohérence des textes de 1958... Le discours de Bayeux et la célèbre allocution du 20 septembre 1962 sont désormais ses références institutionnelles incontournables ! Avec la ferveur des convertis de la dernière heure, vous parlez de « rétablissement » - pourquoi pas de « restauration », pendant que vous y êtes ? Pour justifier ce changement de règle du jeu, à presqu'un an des prochaines échéances, vous faites valoir, par la bouche du président de la commission des lois, que l'élection des députés avant celle du Président de la République présenterait des risques contradictoires.

Vous exprimez d'abord la crainte qu'elle ne nous conduise à un affaiblisement de la fonction présidentielle, et dans la foulée que les élections législatives pourraient en être faussées, les électeurs se déterminant en fonction du Président de la République qu'ils souhaiteraient élire...

Comprenne qui pourra ! En fait, rien dans la Constitution ne justifie cette inversion. Les pouvoirs prééminents du président ne découlent aucunement d'une antériorité de son élection.

En inscrivant dans le code électoral que les pouvoirs de l'Assemblée nationale expireront le 15 juin de la cinquième année qui suit son élection, votre proposition de loi organique ne règle nullement pour l'avenir la cohérence du calendrier électoral.

Vous parlez de rétablir la « logique institutionnelle ».

Mais cela n'a pas de véritable sens...

M. Henri Cuq.

En effet !

M. Didier Quentin.

Vous pouvez difficilement décréter l'immortalité d'un Président de la République ni nier le droit de dissolution !

M. Henri Cuq.

Très bien !

M. Didier Quentin.

De plus, le fait que l'élection présidentielle soit avant ou après les législatives n'assure pas obligatoirement une concordance des majorités présidentielle et parlementaire, et par conséquent n'exclut pas le risque d'une nouvelle cohabitation.

Jamais vous n'aviez fait une priorité de cette inversion du calendrier depuis trois ans et demi. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Alors, il doit bien y avoir d'autres raisons, moins nobles,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Ah ?

M. Didier Quentin.

... je n'ose dire ignobles.

M. Eric Doligé.

On ne sait pas lesquelles !

M. Didier Quentin.

Le Premier ministre aurait employé le terme de « manoeuvres », tout de même précédé de l'adjectif « belles ». Ne doit-on pas plutôt comprendre

« belles magouilles » ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Certains vont même jusqu'à parler de magouilles de la trouille.

M. Jean-Louis Debré.

C'est vrai !

M. Didier Quentin.

Trouille de perdre les élections législatives de 2002. La Revue socialiste de novembre 2000 s'est livrée à de savantes et édifiantes analyses. Ces élections risquent de devenir pour vous la chronique d'une défaite annoncée.

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

M. Didier Quentin.

N'oublions jamais que plusieurs dizaines de députés de la gauche plurielle doivent leur siège à des triangulaires avec le Front national, dernier avatar du cynisme mitterrandien.

M. Jean-Claude Perez.

Dites-le à Millon !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Didier Quentin.

Et voilà comment, loin du droit d'inventaire, l'exigence éthique du Premier ministre dégénère en expédient tactique.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Oh !

M. Didier Quentin.

Adieu le parler vrai, remplacé par le double langage. Adieu la maison de verre de la gauche plurielle, remplacée par un château de cartes biseautées.

Et voilà que vous vous mettez à trafiquer les échéances, comme d'autres trafiquaient les indulgences. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Bernard Derosier.

Il y en a qui travaillent avec des emplois fictifs !

M. Didier Quentin.

Ce n'est pas avec de tels accomodements que l'on réconciliera nos concitoyens avec la chose publique. Seule une véritable réforme constitutionnelle permettrait de régler sur le long terme l'ordre des élections présidentielle et législative. Il n'est pas convenable de changer les règles du jeu alors que la partie est pratiquement engagée.

Parmi les Etats de droit, nous sommes l'un des rares et peut-être même le seul où l'on change les règles si peu de temps avant les élections, comme vous l'aviez déjà fait en 1985.

M. Jean-Louis Debré.

Ils récidivent !

M. Didier Quentin.

A cet égard, il serait judicieux de reprendre la proposition selon laquelle les règles relatives aux élections ne pourraient être modifiées que par des lois à majorité spéciale, majorité des trois cinquièmes par exemple, afin de décourager toute tentative pour une majorité de circonstance ou de rencontre de les manipuler à son avantage.

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

M. Didier Quentin.

Si Paris vaut bien une messe (Rires sur les bancs du groupe socialiste), ...

M. Jean-Claude Bateux.

Vous êtes un connaisseur !

M. Didier Quentin.

... pour reprendre l'expression d'un historique roi béarnais, l'Elysée vaut bien une promesse.

M. le président.

Monsieur Quentin, cela nous vaudrat-il aussi une conclusion ? (Sourires.)

M. Didier Quentin.

J'y arrive, monsieur le président.

Peut-on savoir quels engagements vous avez pris mesdames, messieurs, envers vos partenaires d'un jour, ou complices d'un petit soir ? Tripatouillages et marchandages seraient-ils les deux mamelles de votre majorité finissante ? (« Oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Quand on voit votre changement de cap sur le calendrier, comment pourrait-on faire confiance à vos affirmations sur le non-retour à la proportionnelle ? Ce n'est plus la Ve , ni même une VIe , mais la IVe en pire...

Ainsi, cette loi ne règle aucune question de principe.

Elle tente seulement d'organiser pour 2002 les élections dans un sens qui profite à certains, et le Premier ministre, dans l'un des arguments de son intervention de ce matin, a bien laissé percer le futur candidat à l'élection présidentielle...

L'issue du scrutin du mercredi 20 décembre ne nous sera peut-être pas favorable, et cette proposition de loi organique sera peut-être votée par une majorité de circonstance, rencontre d'ambitions personnelles, de calculs de Lionel et de rancunes de tel ou tel, rancies à force de n'avoir jamais été jetées à la rivière !

M. Henri Cuq.

Très bien !

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Ce n'est pas gentil pour vos camarades !

M. Didier Quentin.

Nous ferons confiance au juge constitutionnel, qui sera saisi obligatoirement puisqu'il s'agit d'une loi organique. Et, surtout, nous ferons confiance aux électeurs et au peuple, car tel est le principal legs du gaullisme en matière institutionnelle : le dernier mot appartient toujours au peuple.

Alors, prenez garde que cette inversion des dates ne marque l'inversion de vos espérances, et que cette expérimentation hasardeuse ne se révèle un boomerang...

Vous pouvez en tout cas être sûrs que, quel que soit le calendrier, nous sommes prêts, prêts à gagner les élections législatives et présidentielle pour proposer une autre politique et faire gagner la France. (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Henri Cuq.

On les aura ! (Sourires.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Barrau.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Parlez-nous de Gayssot !

M. Alain Barrau.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que cela vous plaise ou non,...

M. Henri Cuq.

Ça ne nous plaît pas !

M. Alain Barrau.

... l'élection présidentielle, et singulièrement le second tour,...

M. Jean-Louis Debré.

Parlez donc d'abord des municipales !

M. Alain Barrau.

... est en France, depuis 1962, l'élection qui mobilise le plus les électeurs,...

M. Jean-Louis Debré.

Nous ne sommes pas à Béziers !

M. Bernard Derosier.

Si on parlait de Paris, vous rigoleriez un peu moins.

M. Henri Cuq.

Ne soyez pas pessimistes !

M. Eric Doligé.

Profitez-en, il reste deux ans !

M. Alain Barrau.

... entre 75 % et 80 % de participation, alors que d'autres élections, nous le déplorons tous, les intéressent beaucoup moins.

C'est un premier argument qui a été peu avancé jusqu'à présent : l'élection présidentielle, et principalement le second tour, est un élément d'organisation de la vie politique française.

A partir du second tour de l'élection présidentielle, en effet, se constituent une majorité présidentielle et une opposition. Cette majorité présidentielle est composée d'un certain nombre de forces politiques qui soutiennent, au second tour de l'élection présidentielle, un candidat.

M. Henri Cuq.

Ce n'est pas nouveau !

M. Alain Barrau.

Dans la démocratie, ce qui me semble important, c'est que l'on puisse garantir les droits de l'opposition, mais aussi qu'existe, pour donner une direction, une majorité présidentielle organisée à l'occasion du second tour de l'élection présidentielle.

Sur le second point, nous ne devrions pas avoir à discuter.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Henri Cuq.

Alors on arrête ? (Rires.)

M. Alain Barrau.

M. le Président de la République l'a indiqué très clairement lors de son entretien télévisé de la semaine dernière et le Premier ministre l'avait dit à peu près dans les mêmes termes précédemment, nous ne savons pas, seize mois à l'avance, à qui pourra bénéficier la mesure que nous allons voter. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Michel Hunault.

Alors ?

M. Alain Barrau.

Cela, qui a été reconnu et dit de chaque côté ne l'utilisons pas comme un argument, puisque les représentants de ce qui peut être aujourd'hui la droite et la gauche ont dit clairement qu'on ne pouvait pas savoir à l'avance qui bénéficierait de la mesure que nous allons voter. Evitons d'utiliser des arguments dont on sait bien qu'ils ne sont pas pertinents vu le temps qui nous sépare de l'élection présidentielle. Je crois que c'est très clair.

M. Henri Cuq.

Vraiment très clair !

M. Alain Barrau.

Et même si clair que vous devriez comprendre ! Troisièmement, le débat de ce matin suffit-il pour la réforme des institutions ? Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Non !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Justement !

M. Alain Barrau.

Bien sûr que non. En revanche, ce qui est important, c'est que le débat sur la réforme des institutions soit une des composantes du débat central de la vie politique dans deux ans...

M. Michel Terrot.

Là, c'est compliqué !

M. Alain Barrau.

... c'est-à-dire précisément la réforme des institutions que nous voulons, le projet institutionnel que nous voulons...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Lequel ? Parlonsen !

M. Alain Barrau.

... et que chaque candidat puisse présenter, comme l'a fait M. Mamère, un mode institutionnel nouveau pour notre pays. Chacun doit avoir la possibilité de le faire, et cela permettra d'avoir un véritable débat sur ce sujet.

Concentrons-nous jusqu'en 2002 sur un point pour lequel le Gouvernement de Lionel Jospin a totalement modifié la situation précédente : conforter les pouvoirs actuels dans le mode de fonctionnement actuel des institutions et la place du Parlement au sein de ces institutions.

Sur ce point, un certain nombre d'arguments ont été donnés aussi bien par des collègues communistes...

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Des camarades !

M. Alain Barrau.

... que par des collègues socialistes bien sûr, et des collègues Verts.

Ce qui est très important, c'est que, comme nous le faisons avec la réforme de la circulaire de 1959 (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) ,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce n'est pas une circulaire, c'est une ordonnance !

M. Alain Barrau.

... comme nous le faisons en confortant les pouvoirs des commissions permanentes, comme nous le faisons en demandant la création de commissions permanentes supplémentaires et il y a un certains consensus pour refuser l'intégration du droit européen par le biais d'ordonnances - une commission parlementaire doit contrôler la politique européenne. Nous disons tous par exemple qu'un certain nombre d'organismes internationaux, comme l'OMC ou le FMI, doivent être contrôlés par les parlements nationaux.

M. Jean-Luc Warsmann.

Quel est le rapport avec l'inversion des calendriers ?

M. Alain Barrau.

Sur les questions internationales, les questions européennes, les problèmes de défense, le Parlement ne soit pas mis hors jeu.

M. André Berthol.

Hors sujet !

M. Jean-Luc Warsmann.

Rien à voir !

M. Alain Barrau.

Créons les conditions dès maintenant.

Nous avons proposé au sein du groupe socialiste un certain nombre de mesures précises, applicables avant même l'élection présidentielle, pour augmenter le poids du Parlement dans ce système mixte, qui fait l'originalité de nos institutions en France, qui incarne en quelque sorte le génie institutionnel français. Ce n'est pas un système présidentiel, et je crois que peu de parlementaires ici seraient favorables à ce que l'on mette en place un tel système, et c'est autre chose que le système d'assemblée qui pouvait exister précédemment.

Cet équilibre mixte, très délicat, particulier à notre système français, doit être préservé.

M. Jean-Louis Debré.

Mais oui !

M. Alain Barrau.

Il doit y avoir un échange important pour la perspective après 2002, mais auparavant, puisque c'est logique par rapport au fonctionnement intitutionnel, faisons en sorte que le rétablissement de l'ordre des élections pour 2002 permette aux institutions de fonctionner dans la meilleure direction.

Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà d'une polémique dont je peux comprendre l'intérêt, mais qui ne fait pas avancer le débat, les quatre points que je voulais souligner ce soir pour vous dire combien je pense que la proposition qui est faite par la commission des lois, à partir des différentes propositions de loi déposées, est utile pour revaloriser le rôle du Parlement...

M. Jean-Luc Warsmann.

On croit rêver !

M. Alain Barrau.

... et répondre aux préoccupations des parlementaires sur leur place dans la vie institutionnelle...

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Excellent.

M. Alain Barrau.

... d'ici à la réforme nécessaire après la prochaine élection présidentielle de 2002. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé Gaymard.

M. Hervé Gaymard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quoi tiennent les choses ? Il aura donc suffi d'une analyse du résultat des élections législatives et cantonales depuis 1997 dans la nouvelle Revue socialiste, bien éloigné du cortège des vainqueurs sur des pétales de rose et de la chronique d'une victoire annoncée, pour que le Premier ministre retienne comme urgente l'inversion du calendrier des élections législatives et présidentielle du printemps 2002 qu'il estimait il y a quelques semaines encore comme étant de pure convenance.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

M. Jean-Luc Warsmann.

Eh oui.

M. Hervé Gaymard.

Depuis ce matin, on aura entendu un grand nombre d'argumentations, de justifications, souvant à front renversé, dans un débat qui ne passionne guère les Français mais qui mobilise beaucoup la société politique avec ses rites, ses rancunes, ses fausses habiletés et, trop souvent, son insincérité.

Je me bornerai à trois réflexions.

Que l'on nous fasse grâce tout d'abord d'un mythique esprit des institutions. Pour un gaulliste, cette course à une prétendue pureté originelle qui serait la justification première de l'inversion du calendrier électoral...

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Qui dit cela ?

M. Hervé Gaymard.

... a de quoi réjouir et amuser. De quoi réjouir tout d'abord, quand l'on voit réunis dans la même démarche purificatrice tel contempteur de l'exercice solitaire du pouvoir et l'héritier du refus du pouvoir personnel qui se targue d'avoir voté « non » à la Constitution de la Ve République. Mais cela a de quoi amuser aussi, car les cours de droit constitutionnel que l'on nous inflige depuis quelques semaines, souvent pesants, ainsi que les démonstrations d'une imparable logique sont comme toujours réversibles, « flexible droit », en effet, comme l'aurait dit le doyen Carbonnier.

Il n'est que de relire les débats du comité consultatif constitutionnel de l'été 1958, le discours de Michel Debré,...

M. Jean-Louis Debré.

Très bien.

M. Hervé Gaymard.

... prononcé devant le Conseil d'Etat à la fin d'août 1958, de nombreuses déclarations d u général de Gaulle et de regarder sa pratique constante...

M. Philippe Briand.

Oui.

M. Hervé Gaymard.

... pour affirmer deux évidences.

La première, c'est que nos institutions, celles de la Ve République, à la fois ont une inspiration présidentialiste issue du discours de Bayeux et sont la concrétisation du parlementarisme rationalisé cher à Michel Debré. La seule inconnue, c'était de savoir si ces deux conceptions, ces deux lectures de nos institutions, pouvaient alterner ou non.

Jusqu'en 1978, c'est l'inspiration présidentialiste qui a prévalu, comme l'illustre avec éclat la démission du général de Gaulle après le référendum de 1969.

V aléry Giscard d'Estaing, par son discours de février 1978 à Verdun-sur-le-Doubs, Edouard Balladur, par son article de doctrine de l'automne 1985, et François Mitterrand, par sa décision de ne pas démissionner après la défaite de son camp en mars 1986, ont montré que l'inspiration parlementariste pouvait trouver toute sa place dans notre pratique constitutionnelle avec la cohabitation, qu'on l'accepte ou qu'on ne l'accepte pas.

Gardons-nous donc, mes chers collègues, de caractériser trop rapidement les institutions de la Ve République.

Elles ont duré précisément parce que les concepteurs ont su réconcilier les diverses inspirations constitutionnelles que la France a connues depuis deux siècles.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. Hervé Gaymard.

La seconde évidence est que la question de l'ordre du calendrier électoral n'a jamais été considérée par quiconque comme un sujet majeur,...

M. Didier Quentin.

Très juste !

M. Hervé Gaymard.

... comme l'a rappelé excellement Alain Juppé ce matin. La preuve, c'est qu'en 1958, les élections législatives ont précédé de deux mois l'électio n présidentielle et que personne, et surtout pas le général de Gaulle, n'ont trouvé à y redire.

Aucun autre argument historique ne peut être trouvé dans la longue chronique de la Ve République.

M. Didier Quentin.

Très bien !

M. Hervé Gaymard.

Une première conclusion s'impose donc, aucun autre argument que l'opportunité politicienne ne peut justifier la « manipulation », comme l'appelle l' Humanité de ce matin, que constitue l'inversion du calendrier électoral.

La deuxième observation, c'est qu'en l'absence même d'inversion du calendrier électoral, l'élection présidentielle surplombera de toute façon les élections législatives. Ce débat a quelque chose de totalement surréaliste, car, même si l'on se range à l'argument de la primauté de l'élection présidentielle, le calendrier électoral fera que, dans les faits, compte tenu du rapprochement des dates, la campagne pour l'élection présidentielle aura largement commencé avant les élections législatives.

M. Didier Quentin.

Tout à fait ! Très bien !

M. Hervé Gaymard.

Il n'est donc nullement besoin de modifier les échéances normalement prévues, à moins qu'il n'y ait d'autres arrière-pensées, comme l'a expliqué excellement M. Quentin. Beaucoup de bruit pour rien donc, pour paraphraser Shakespeare.

La troisième observation, c'est que la réforme des institutions n'est pas là où l'on croit.

Nous avons eu, ce matin, un débat insolite et en tout cas carrément factice. On sait bien que ce n'était que de l'habillage. Mais il n'est pas très sérieux de résumer la question de la réforme de nos institutions à trois heures de questions orales, certes avec débat, excusez du peu ! On ne traitera pas davantage cette question en deux minutes, et je voudrais faire une brève remarque.

Ce n'est pas la question de la réforme de nos institutions politiques qui doit mobiliser aujourd'hui notre énergie. Certes, il peut être plaisant de disserter, d'ergoter, et d'imaginer ce que pourrait être une constitution de la VIe -République, mais je crains qu'au total cela ne tourne court.

En effet, de trois choses l'une. Soit on veut le retour au régime d'assemblée.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Non !

M. Hervé Gaymard.

Le président Giscard d'Estaing l'a bien connu quand, il y a un demi-siècle il était le collaborateur d'Edgar Faure, président du conseil de la IVe République.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Ça, ce n'est pas gentil ! C'est fielleux, même !

M. Hervé Gaymard.

Je crois que personne, dans cet hémicycle, ne veut un retour au régime d'assemblée.

On ne peut davantage imaginer un régime parlementaire à la britannique, car notre président, quel qu'il soit, élu, et donc doté d'une légitimité propre, ne peut être ravalé au niveau d'un président comme celui de la Finlande ou de l'Autriche, c'est-à-dire dénué de réel pouvoir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

On réalisera enfin que toutes les propositions apparemment séduisantes pour proposer la création d'un régime présidentiel, même affublé d'un « à la française » de circonstance, buteront sur le caractère non fédéral de notre pays, ainsi que sur sa culture propre.

Le vrai problème, la vraie réforme institutionnelle dont notre pays a besoin, ce n'est donc pas une réforme de nos institutions politiques, mais c'est d'abord une profonde réforme de l'Etat, et je trouve que la formule employée ce matin par notre collègue Robert Hue, de « désétatisation de l'Etat »...

M. Jean-Louis Debré.

Elle ne manque pas de sel ! Le parti communiste devient libéral !

M. Hervé Gaymard.

... est assez intéressante à creuser.

Il faut ensuite relancer audacieusement la décentralisation et les libertés locales.

Il faut, enfin, construire une démocratie de délibération et de participation, telle que la voulait le général de Gaulle dès 1969, et qu'ont refusée beaucoup de travées de cet hémicycle.

M. Alain Barrau.

Des noms !

M. Hervé Gaymard.

Pour résumer ce débat, je pourrais répéter ce que j'ai dit tout à l'heure : beaucoup de bruit pour rien. Mais comme l'a dit Didier Quentin, nous ne craignons aucun calendrier.

M. Bernard Roman, président de la commission, rapporteur.

Eh bien alors ?

M. Hervé Gaymard.

Quel que soit le calendrier, nous serons présents au rendez-vous...

M. Didier Quentin.

Toujours prêts !

M. Philippe Briand.

Tout à fait ! Nous serons là !

M. Hervé Gaymard.

... pour les élections législatives, pour l'élection présidentielle,...

M. Philippe Briand.

Oui ! On les gagnera !

M. Hervé Gaymard.

... avec un projet pour la France, un projet qui répondra aux attentes des Français, que vous avez déçus.

Mais nous refuserons cette manipulation grossière d'inversion du calendrier électoral, et nous voterons massivement non.

Le Premier ministre a précipitamment tourné casaque, car la victoire n'était plus annoncée. Il paraît que, ce faisant...

M. Didier Quentin.

Ce faisan ? C'est le Premier ministre ? (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Un député du groupe socialiste.

La chasse est ouverte !

M. Hervé Gaymard.

... il aurait gagné ses galons de manoeuvrier, et que, post mortem, il renouerait avec celui qui l'aurait fait. Le droit d'inventaire est jeté par dessus les moulins. Et il faut faire confiance à la sagacité mitterrandienne pour que la manoeuvre soit qualifiée d'« habileté suprême ». Tout est bien qui finit bien, donc. Mais ce n'est pas vraiment ce que les Français attendent. Car ce revirement de Grenoble pourrait bien être, mes chers collègues, le premier acte de la comédie des erreurs.

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Mes chers collègues, comme je vous sens très agités, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4 DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président.

J'ai reçu, le 18 décembre 2000, de M. Laurent Dominati, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'étudier les conséquences de la pollution atmosphérique générée par la circulation permanente de motrices diesel utilisées par la SNCF dans des zones urbaines et de proposer les mesures susceptibles de réduire les risques sanitaires auxquels sont exposées, de ce fait, les populations riveraines.

Cette proposition de résolution, no 2820, est renvoyée à la commission de la production et des échanges, en application de l'article 83 du règlement.

5 DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président.

J'ai reçu, le 19 décembre 2000, de M. Didier Migaud un rapport no 2823, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2000.

6 DÉPÔT D'UN RAPPORT EN APPLICATION D'UNE LOI

M. le président.

J'ai reçu, le 19 décembre 2000, de M. le Premier ministre, en application de l'article 26 de la loi no 2000-627 du 6 juillet 2000 relative à l'organisation des activités physiques et sportives, un rapport sur la situation du sport professionnel.

7 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

MODIFIÉ PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 19 décembre 2000, transmis par M. le Premier ministre, le projet de loi de finances rectificative pour 2000, modifié par le Sénat.

Ce projet de loi, no 2822, est renvoyé à la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, en application de l'article 83 du règlement.

8 DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI ADOPTÉES PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 15 décembre 2000, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi, adoptée par le Sénat, permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 19 DÉCEMBRE 2000

Cette proposition de loi, no 2818, est renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en application de l'article 83 du règlement.

J'ai reçu, le 15 décembre 2000, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative aux conditions d'institution d'un droit d'accès à certaines manifestations culturelles organisées sur la voie publique.

Cette proposition de loi, no 2819, est renvoyée à commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

9 DÉPÔT D'UN RAPPORT DE L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

M. le président.

J'ai reçu, le 19 décembre 2000, de M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport no 2821, établi au nom de cet office, sur les conditions d'implantation d'un nouveau Synchroton et le rôle des très grands équipements dans la recherche publique ou privée, en France et en Europe (tome II : le rôle des très grands équipements dans la recherche publique ou privée en France et en Europe).

10

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Mercredi 20 décembre 2000, à neuf heures trente, première séance publique : Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, des propositions de loi organique : no 2602, de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues relative à l'antériorité de l'élection présiden tielle par rapport à l'élection législative ; no 2665, de M. Bernard Charles et plusieurs de ses collègues visant à modifier l'article L.O.

121 du code électoral en vue de la concomitance de l'élection présidentielle et des élections législatives ; no 2741, de M. Raymond Barre modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; no 2756, de M. Hervé de Charette relative à l'organisation des élections présidentielles et législatives ; no 2757, de M. Gérard Gouzes relative à la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; no 2773, de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

M. Bernard Roman, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 2791).

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement sur des thèmes européens ; Suite de l'ordre du jour de la première séance ; Discussion, en lecture définitive, du projet de loi de finances pour 2001 ; Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à l'archéologie préventive ; Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile.

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION Transmission

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale les textes suivants : Communication du 14 décembre 2000 No E 1621. Communication de la Commission : demande d'avis conforme du Conseil et consultation du comité CECA, au titre de l'article 95 du traité CECA, concernant un projet de décision de la Commission modifiant la décision no 2136/97/CECA de la Commission du 12 septembre 1997 relative à l'administration de certaines restrictions à l'importation de certains produits sidérurgiques en provenance de la Fédération russe.

No E 1622. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord sous forme d'échanges de lettres entre la Communauté européenne et la République tunisienne concernant les mesures de libéralisation réciproques et la modification des protocoles agricoles de l'accord d'association CE/République tunisienne (COM [2000] 825 final).

Communication du 15 décembre 2000 No E 1623. Proposition de règlement (Euratom, CECA, CE) de la Commission modifiant le règlement no 3418/93 de la Commission du 9 décembre 1993 portant modalités d'exécution de certaines dispositions du règlement financier du 21 décembre 1977 : communication de la Commission (SEC [2000] 1890 final).