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No 2362
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 mai 2000.
DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT
sur les orientations
de la présidence française de l’Union européenne,
par M. Lionel JOSPIN,
Premier ministre,

Union européenne.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Au moment où notre pays se prépare à la présidence de l’Union européenne, il est naturel que le Gouvernement présente au Parlement les enjeux, les lignes de force et les priorités de la présidence française. Je le fais aujourd’hui à l’Assemblée nationale au nom du Gouvernement. Ces priorités ont été élaborées collectivement par celui-ci, puis examinées et arrêtées avec le Président de la République.
Il y a cinquante ans, jour pour jour, la France prenait l’initiative de ce qui allait devenir l’Union européenne. La « déclaration Schuman » que nous commémorons aujourd’hui, le traité de Paris sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier, puis le traité de Rome, l’Acte unique, les traités de Maastricht et d’Amsterdam : autant d’étapes dans la réalisation de l’idéal visionnaire qu’une poignée d’hommes ont voulu, sur les leçons et dans les ruines du fascisme et de la guerre, fonder pour sceller la réconciliation entre l’Allemagne et la France, établir la paix entre les nations d’Europe et bâtir, dans la prospérité, une communauté de destin.
A l’heure où la France s’apprête à assumer, à compter du 1er juillet prochain, la présidence du Conseil de l’Union européenne, nous pouvons mesurer l’œuvre accomplie en un demi-siècle : l’Europe est libre, l’Europe est en paix, l’Europe est unie. Elle s’est affirmée comme un modèle d’intégration sans équivalent dans le monde, un modèle que bien des peuples, bien des pays nous envient, et d’abord les treize pays candidats qui aspirent à nous rejoindre au sein de l’Union.
De cette grande aventure collective, notre pays a été l’un des artisans majeurs. Il a contribué à façonner les traits qui sont aujourd’hui ceux du visage de l’Europe. A l’heure des choix, la France a toujours su faire avancer cette entreprise commune, de façon pragmatique mais résolue.
Le gouvernement que je dirige a apporté sa pierre à l’édifice. Depuis près de trois ans, il a pris une large part des nouvelles orientations qui ont été décidées pour rapprocher l’Europe de ses citoyens, pour en faire un espace de croissance économique mais aussi de cohésion sociale.
La France va exercer la présidence à un moment décisif. Des perspectives historiques s’ouvrent avec la fin de la coupure de l’Europe, qui se concrétiseront par l’élargissement de l’Union. Mais de réelles interrogations se font jour quant au fonctionnement d’un ensemble qui comptera progressivement vingt, vingt-cinq, peut-être trente membres, quant à son avenir en tant qu’organisation politique, quant à sa capacité à peser dans les affaires du monde.
Répondre à ce défi exige qu’avec nos partenaires nous redonnions du sens à la construction européenne, un sens qui paraît parfois s’estomper et que je voudrais à présent affirmer devant vous.
L’Europe est une union de nations, une union librement et pleinement consentie par les peuples. Loin d’être la négation de la nation, elle en est le prolongement et l’approfondissement. Les affaires « européennes » ne sont plus des affaires « étrangères », le débat européen n’est pas une donnée externe au débat national. La France existe pleinement, mais ne peut être séparée de l’Europe.
L’Europe est un modèle de civilisation, une civilisation fondée sur la rencontre de cultures qui, par le dialogue, s’enrichissent et se fécondent, une civilisation où la démocratie, la liberté - les libertés - s’épanouissent.
L’Europe doit être un espace de croissance, une croissance mise au service de l’emploi et de la cohésion sociale. L’Europe doit, dans cette perspective, reconquérir une prééminence technologique, favoriser la créativité, défendre ses intérêts collectifs dans la compétition mondiale, contribuer à une globalisation maîtrisée. L’Europe est, pour nous, un ensemble où les luttes sociales ont fait avancer la conquête de l’égalité et de la justice, et où la performance économique est indissociable du progrès social.
Voilà ce qu’est pour nous l’Europe, notre Europe.
Mesdames et messieurs les députés, la France souhaite conduire une présidence ambitieuse tout en l’inscrivant dans la continuité des travaux de l’Union européenne. Dans cette perspective, le Gouvernement, comme organe politique collégial, et chacun des ministres qui le composent seront pleinement mobilisés pour assurer la responsabilité qui nous est confiée. Ce sera le cas, plus particulièrement, du ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, qui présidera le Conseil, et de Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, qui représentera la France.
Trois axes guideront la présidence française : une Europe au service de la croissance et du plein emploi ; une Europe plus proche des citoyens ; une Europe plus efficace et plus forte.
Premier axe, une Europe au service de la croissance et du plein emploi.
Nous nous y étions engagés devant les Français, nous avons mis ces questions au cœur de l’action européenne : à Amsterdam, avec la résolution sur le pacte de solidarité et de croissance ; à Luxembourg, avec la première réunion du Conseil européen consacrée à l’emploi ; à Cardiff, en mettant l’accent sur la réforme économique ; à Cologne, enfin, avec l’idée d’un pacte européen pour l’emploi.
Depuis Vilvorde, monsieur le député, il y a 700 000 chômeurs de moins en France 1 million d’emplois créés.
Nous entendons bien, au-delà de tel ou tel accident industriel ou social, continuer dans cette voie. Je suis heureux que vous vous en réjouissiez.
C’est dans le même esprit que nous soutenons l’action de la présidence portugaise, dont je tiens à saluer ici l’excellent travail. La conjugaison de nos efforts nous a permis de définir, lors du Conseil européen de Lisbonne, un objectif stratégique qui répond à celui que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à l’horizon de la décennie. Pour y parvenir, une croissance annuelle moyenne de 3 % est devenue une référence commune aux Quinze.
Dans cette perspective, nous allons travailler à la mise en œuvre des propositions concrètes adoptées à Lisbonne.
Notre première priorité sera l’adoption d’un « agenda social ». La modernisation économique en Europe est inséparable du renforcement du modèle social européen. S’il faut, certes, satisfaire aux exigences de la compétition économique mondiale, nous n’entendons pas renoncer au modèle de société que nous avons construit depuis un demi-siècle. Une Europe plus forte, plus compétitive, c’est aussi une Europe au service de la justice sociale. Je souhaite donc que le contenu de cet agenda soit ambitieux : une protection sociale élevée, un droit adapté aux évolutions de l’organisation du travail, une politique de l’emploi qui tienne compte des mutations de l’appareil industriel, la lutte contre l’exclusion et contre toutes les formes de discrimination.
A cette fin, nous définirons un programme de travail à l’horizon de cinq ans avec la Commission européenne et tous les acteurs concernés : gouvernements, Parlement européen, partenaires sociaux, milieux associatifs.
Notre deuxième priorité est le renforcement du pôle économique que nous avons contribué à créer, à côté du pôle monétaire représenté par la Banque centrale européenne. Symbole de l’identité européenne, l’euro a contribué fortement à notre stratégie collective de croissance et d’emploi, comme l’a rappelé tout à l’heure, en réponse à une question, le ministre de l’économie et des finances, Laurent Fabius.
L’euro a, jusqu’à présent, d’autant mieux joué ce rôle qu’il repose sur des fondements solides : la croissance de la zone euro s’accélère, les pressions inflationnistes sont contenues, les transactions courantes sont en excédent, le pouvoir d’achat des citoyens européens est garanti.
L’euro a joué le rôle de « bouclier » qu’on attendait de lui, mettant ainsi l’Europe a l’abri des désordres monétaires internes.
Au-delà du problème du rapport entre le dollar et l’euro, j’insiste sur ce rôle essentiel de la monnaie européenne, qui, je le rappelle, n’est pas encore la monnaie concrète, en billets et en pièces, de tous les Européens. Je suis d’ailleurs convaincu - c’est plutôt une intuition économique qu’un raisonnement catégorique - qu’une partie de ses difficultés actuelles tient au fait qu’elle n’est pas encore possédée par les centaines de millions d’Européens.
En tout cas, ce rôle de protection contre les spéculations monétaires internes, l’euro l’a déjà joué aujourd’hui.
Au regard de ces atouts majeurs et forts du potentiel de croissance de la zone euro, nous ne pouvons pas être satisfaits de l’évolution actuelle de son cours. Nous devons donc renforcer le rôle de « l’euro 11 » et veiller à la coordination de nos politiques économiques, avec le souci d’assurer une meilleure visibilité de la politique économique de la zone euro et de l’autorité, naturellement politique, la conduisant. Nous y contribuerons sous notre présidence.
Nous nous efforcerons également, en dépit de réticences bien connues, de faire avancer l’harmonisation fiscale nécessaire au bon fonctionnement du marché unique et à la lutte contre la concurrence déloyale. L’Europe doit aussi mettre en œuvre de nouvelles régulations économiques, et, pour cela, hâter l’organisation de la scène financière internationale, à travers notamment l’adoption de la directive sur le blanchiment des capitaux, en soutien de l’action menée dans le cadre du G7. Nous poursuivrons la lutte contre la criminalité organisée en favorisant le rapprochement des dispositions juridiques relatives au dépistage et à la confiscation d’avoirs d’origine criminelle ou provenant de centres off-shore.
Notre troisième priorité est de placer l’Europe à la pointe de la société de l’information. Pour nourrir sa croissance et retrouver le plein emploi, l’Europe doit s’affirmer comme le continent de l’innovation. Nous soutiendrons la création d’entreprises innovantes grâce au capital-risque. Au profit de la compétitivité de nos entreprises, nous encouragerons l’Internet de deuxième génération, ainsi que les contenus et les services européens. Nous nous emploierons à faire progresser l’adaptation du cadre réglementaire européen aux exigences de la société de l’information. Dans le même temps, il nous faut préserver la cohésion sociale face à la menace de « fracture numérique ». Nous progresserons vers l’objectif, prévu à Lisbonne, d’un raccordement de toutes les écoles à l’Internet d’ici à la fin 2001.
Notre quatrième priorité sera la construction d’un véritable espace européen de la connaissance. Celle-ci est d’autant plus indispensable que c’est par l’éducation que les jeunes Européens acquerront les références culturelles communes indispensables à l’émergence d’une citoyenneté et d’une Europe politiques. L’Europe, dans sa diversité, est forte de son système éducatif comme de sa recherche fondamentale et appliquée. Elle dispose ainsi d’atouts décisifs dans la compétition économique internationale. Mais nous devons encore étoffer les échanges et la confrontation des idées, des pratiques et des techniques. C’est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir une démarche permettant de lever les obstacles qui demeurent encore à la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs au sein du continent. L’objectif pourrait être de multiplier par dix, en cinq ans, le nombre d’étudiants en mobilité.
Les priorités que je viens d’évoquer se traduiront par des programmes de travail dont la mise en œuvre dépassera naturellement le second semestre 2000. Mais elles amplifieront la réorientation de l’Europe vers la croissance et l’emploi que nous avons voulue depuis trois ans.
Le deuxième axe de notre présidence est de construire une Europe plus proche des citoyens, c’est-à-dire une Europe qui réponde à leurs préoccupations.
Au premier rang de celles-ci figurent sans aucun doute la santé publique et la protection des consommateurs. Nous avons tous à l’esprit, en particulier, le dossier de la « vache folle ». Je souhaite que nous puissions jeter les fondations d’une « autorité alimentaire européenne indépendante », telle que la Commission européenne, sur notre suggestion, l’a préconisée dans son « Livre blanc sur la sécurité des aliments ».
La France cherchera aussi à faire progresser la réflexion sur le principe de précaution, en s’appuyant sur les travaux que nous avons menés au plan national. Elle s’attachera à ce que des mesures concrètes soient adoptées pour renforcer l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des filières.
Une autre préoccupation majeure est l’accès de tous à des services publics de qualité, respectant pleinement les impératifs de continuité, de fiabilité et d’égalité.
La présidence française sera donc l’occasion d’un travail de réflexion sur l’importance des services d’intérêt général en Europe.
Dans le domaine de l’environnement, la présidence française s’efforcera, lors de la conférence de La Haye de novembre 2000, de faire franchir à l’Europe une étape déterminante dans la mise en œuvre du protocole de Kyoto visant à lutter contre l’effet de serre. La conférence préparatoire, qui se tiendra à Lyon, la ville de M. le Premier ministre Raymond Barre, en juillet prochain, constituera, à cet égard, une échéance importante. Je suis heureux de rappeler, à cette occasion, que la France a été le premier pays européen à avoir adopté un programme national de lutte contre l’effet de serre.
Pour ce qui concerne la sécurité des transports, je souhaite - comme je l’avais dit immédiatement après le naufrage de l’Erika - que notre présidence permette l’adoption d’un ensemble cohérent et concret de mesures tendant à l’amélioration de la sécurité du transport maritime. Nous viserons aussi de réelles avancées dans l’harmonisation des temps de travail dans le transport routier.
La maîtrise de la politique d’immigration et du droit d’asile intéresse légitimement nos concitoyens. Elle justifie qu’une action concertée soit entreprise à l’échelle européenne. Des orientations importantes ont été décidées en octobre 1999, lors du Conseil européen spécial qui s’est tenu à Tampere, en Finlande. J’entends que notre présidence en engage la mise en œuvre pour ce qui concerne, en particulier, la délivrance des titres de séjour de longue durée, l’harmonisation des conditions d’accueil et le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Quant à la réalisation d’un espace judiciaire européen, qui était également évoqué tout à l’heure, la multiplication de situations souvent dramatiques - par exemple les enfants de couples binationaux divorcés - appelle l’adoption, sous notre présidence, de mesures visant notamment à la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires. Cette reconnaissance mutuelle sera également importante pour nos entreprises. Plus largement, nous devrons aussi progresser vers la création d’un réseau judiciaire européen.
Dans un autre domaine, celui du sport, il faut que le second semestre 2000, qui sera riche en événements - je pense au Tour de France, au championnat d’Europe de football ou aux jeux Olympiques de Sydney - doit donc être l’occasion de renforcer l’efficacité de l’action européenne contre le dopage.
Au-delà, une déclaration pourrait être adoptée au Conseil européen de Nice pour affirmer, dans le droit communautaire, la spécificité et le rôle social de ce secteur.
Enfin, nous devons préparer les Français et les Européens à la mise en circulation de l’euro.
Certes, le passage pratique à l’euro relève d’abord de la responsabilité des Etats et des gouvernements, et nous y veillerons pour ce qui nous concerne. Néanmoins, nous devons, sans attendre, accorder, au plan communautaire, une attention particulière à la préparation de cette échéance. Nous devons mettre en place un échange plus étroit d’informations et une meilleure coordination entre les Etats membres afin de préparer concrètement l’introduction, en janvier 2002, des billets et des pièces en euro.
Répondre aux préoccupations des citoyens de l’Europe, mesdames, messieurs les députés, c’est aussi veiller à ce que leur sécurité collective à l’échelle du continent européen soit assurée.
Notre présidence sera ainsi l’occasion de confirmer la perspective historique que nous avons ouverte depuis près de deux ans avec l’ébauche d’une Europe de la défense. On se souvient des débats qui, sur ces mêmes bancs, ont conduit, dans un tout autre contexte historique, à l’échec de la Communauté européenne de défense, en 1954. Je vous invite à mesurer le chemin parcouru depuis cette date. Notre pays a joué depuis quelques mois un rôle essentiel pour donner à la défense européenne des perspectives crédibles.
Nous entendons mettre à profit notre présidence pour préparer le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense. Grâce au rapprochement de ses forces armées, il faut que l’Europe, fidèle à son attachement à la paix et au respect du droit international, puisse assurer sa sécurité et participer à la prévention des conflits à travers le monde. Le déploiement réussi de l’Eurocorps au Kosovo en est un jalon. Il nous faut aller plus loin. C’est à cela que nous travaillons, semaine après semaine, en étroite coordination avec nos partenaires. Si nous y parvenons au cours du second semestre 2000, nous aurons franchi une étape décisive dans la construction d’une Europe politique.
Mesdames et messieurs les députés, pour que nous puissions mener à bien ces priorités, pour que nous puissions faire progresser le modèle européen, pour que l’Europe soit au service de tous ses citoyens et qu’elle soit ressentie comme telle par tous, il est indispensable que l’Union européenne fonctionne mieux. Il s’agira là du troisième axe de notre présidence.
Nous voulons une Europe plus efficace et plus forte.
Si, depuis quinze ans, elle a su franchir des étapes décisives - l’achèvement du marché unique, la création de l’euro -, elle n’a pas, en revanche, échappé à la critique d’être une construction souvent élitiste et tournée avant tout vers l’économie et le commerce en négligeant, du moins jusqu’à une période récente, les questions pourtant essentielles du chômage, de la pauvreté et de l’exclusion. Par ailleurs, la question de son fonctionnement et de l’efficacité de ses mécanismes de prise de décision a été posée, tout particulièrement dans la perspective de l’élargissement.
Les sentiments de nos concitoyens à l’égard de l’Europe sont mêlés. D’une part, l’adhésion à l’Europe ne se dément pas, elle se renforce, même ; d’autre part, l’incompréhension du fonctionnement et de certaines actions de cette Europe va croissant.
Nous percevons tous cette contradiction. Les citoyens transposent logiquement au niveau européen l’exigence de transparence et d’efficacité dans l’action publique qu’ils formulent à l’égard des gouvernements nationaux. Ils veulent que la construction européenne sorte de l’opacité technocratique qui lui est souvent reprochée.
Les citoyens d’Europe entendent que l’Union se recentre sur ces préoccupations qu’ils expriment en particulier à travers leurs élus au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. Ils veulent aussi que les compétences de l’Union et celles de chacun des Etats soient mieux définies.
C’est ce que doit permettre une reconnaissance plus grande du principe du subsidiarité. Des avancées novatrices doivent être faites dans cette direction.
Ils veulent surtout connaître et choisir l’avenir où les conduit la construction européenne. Ils veulent, en un mot, que l’Europe soit effectivement dirigée, gouvernée et contrôlée dans l’esprit et selon les règles des démocraties parlementaires.
Renforcer l’adhésion au projet européen, conforter le sentiment d’appartenance de nos concitoyens à une communauté de destin, une communauté fondée sur des valeurs partagées, régie par des principes démocratiques et conduite par des acteurs responsables devant les peuples, tel sera le cap politique de notre présidence.
Une occasion nous sera donnée de consacrer cette communauté de valeurs en faisant aboutir, à la fin de l’année 2000, le projet de Charte européenne des droits fondamentaux.
Le moment venu, c’est-à-dire dans les dernières semaines de notre présidence, nous verrons à quel contenu aboutira l’instance - à laquelle participent le Parlement européen et les parlements nationaux - chargée aujourd’hui de la rédaction de cette Charte. Il sera alors plus aisé de préciser le statut juridique de ce texte. Nous ne convaincrons les citoyens d’Europe de l’intérêt de cette Charte que si nous montrons qu’elle consacre une démarche avant tout politique, visant à rendre les institutions européennes plus sensibles à leurs préoccupations : liberté et justice, croissance et emploi, santé et sécurité, égalité des chances, environnement. La Charte saura alors trouver, sinon nécessairement son intégration dans les traités, du moins sa place dans la conscience politique des européens.
Mais, pour prendre corps, cet idéal de valeurs partagées doit être porté par des institutions aussi démocratiques, légitimes et efficaces que possible. C’est pourquoi le second semestre de l’année 2000 sera un moment clé pour la réforme des institutions de l’Union européenne.
Cette réforme est nécessaire, parce que l’Union européenne d’aujourd’hui ne fonctionne pas bien. Elle est indispensable pour qu’une Europe élargie puisse encore avancer. S’agissant de la réforme des institutions, je ne vais pas entrer ici dans leur détail, ce qui relève d’un débat que le Gouvernement poursuit assidûment avec la représentation nationale, notamment avec votre délégation pour l’Union européenne et avec votre commission des affaires étrangères. Je rappellerai cependant la nécessité de régler trois questions centrales qui ne l’ont pas été à Amsterdam : rendre à la commission une taille et une organisation susceptibles de lui permettre d’assumer son rôle d’impulsion, généraliser - à quelques exceptions près - le champ du vote à la majorité qualifiée, pour éviter la paralysie, rendre plus fidèle aux réalités démographiques le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises par le conseil de l’Union.
Je mentionnerai aussi la nécessité de réformes qui, pour ne pas relever des traités, n’en sont pas moins importantes : elles concernent, pour l’essentiel, l’organisation et les méthodes de travail de la Commission et du Conseil.
Il nous faut, en particulier, un Conseil mieux structuré, à même d’exercer une meilleure coordination des activités de l’Union et assumant l’ensemble de ses prérogatives par rapport à celles de la Commission européenne et du Parlement européen.
Nous nous efforcerons donc de conduire à son terme la négociation engagée au début de l’année sous les auspices de la présidence portugaise, et qui concerne les réformes strictement indispensables au fonctionnement de l’Union.
Dans le même temps, afin de faciliter la poursuite du processus d’intégration europénne, nous devons améliorer, pour le rendre plus souple et plus efficace, un dispositif institutionnel qui existe déjà dans l’Union, celui de la coopération renforcée.
Cette approche permet à quelques Etats de coopérer ensemble dans tel ou tel domaine, ou d’aller plus vite et plus loin dans l’union. L’Union économique et monétaire en constitue une illustration. Grâce à ces coopérations renforcées, certains Etats pourront progresser dans l’intégration, en laissant toujours aux autres Etats membres la possibilité de les rejoindre à leur rythme.
Cette perspective - nous en sommes tous conscients - est essentielle. Elle le sera encore davantage dans une Union élargie. C’est là, j’en suis convaincu, le moyen de poursuivre - en évitant le sempiternel débat entre modèles fédéral ou confédéral - la démarche pragmatique qui a toujours prévalu et qui était celle des « pères fondateurs », démarche seule susceptible de prendre en compte le caractère évolutif de notre famille européenne.
Je sais que des réflexions plus larges sont en cours. Au-delà du souci d’éviter la dilution ou la paralysie d’une union très élargie, comment poursuivre le projet européen ? Quelques idées ont été lancées : une réforme profonde des institutions de l’Union, qui redéfinirait les rôles du Conseil, du Parlement ou de la Commission, voire donnerait lieu à la création d’institutions nouvelles ; ou bien la constitution, par une « avant-garde » de quelques pays, d’une fédération d’Etats-nations - un noyau dur - caractérisée par un surcroît d’intégration ; ou bien encore l’élaboration d’une Constitution européenne, redéfinissant les compétences et les modes d’action entre l’Union et les Etats membres.
Ces réflexions, comme le dialogue qu’elles suscitent, sont légitimes et doivent être poursuivies activement. Elles doivent l’être avec un degré suffisant de réalisme pour être partagées et avoir des chances de déboucher. Regarder plus loin, avoir à l’esprit le fonctionnement d’une Union élargie à une trentaine de membres, ne doit pas pour autant conduire à bâcler les réformes que nous devons conduire aujourd’hui et faire avancer concrètement pendant la présidence française.
Affirmer que ces réformes seront sans doute insuffisantes à long terme n’est pas faux, mais en tirer prétexte pour essayer de bouleverser l’équilibre des institutions ne serait pas, à mon sens et aux yeux de la présidence française, raisonnable.
L’Europe va affirmer son unité. Nous devons y être prêts. Les pays candidats ont façonné l’histoire de notre continent et veulent partager avec nous une communauté de destin. Ils ont vocation à nous rejoindre. Certains parmi eux attendent, particulièrement pendant notre présidence, des décisions importantes concernant, sinon le calendrier précis des prochains élargissements, en tout cas des choix clairs de méthode pour la fin des négociations.
Nous devrons répondre à ces attentes, comme je l’ai dit tout récemment à mes interlocuteurs hongrois à Budapest.
Or l’élargissement soulève des questions fortes. Une Union de trente membres peut-elle véritablement fonctionner ? Si oui, comment ? Un ensemble élargi - forcément plus hétérogène - peut-il se doter d’une politique économique et sociale qui soit cohérente et efficace ?
Je pense que cette dimension ne vous a pas échappé et nous continuerons, enrichis par ce débat et par vos propositions, à nourrir cette présidence. Donc, les questions que vous me posez s’adressent aux autorités publiques françaises. Je ne doute pas qu’elles les écouteront dans leur ensemble avec attention.
Comment veiller à ce que l’Union, en s’élargissant, ne se réduise pas à une zone de libre-échange mais reste une véritable communauté ?
Sur toutes ces questions, auxquelles vous êtes sensible, la France doit s’exprimer d’une seule voix. Souffrez donc que je n’anticipe pas sur la façon collective dont notre pays élabore sa position durant la présidence française. Sinon vous seriez fondé - et je ne doute pas que vous le feriez - à m’administrer d’autres reproches.
Il faut bien préparer l’Union, et de façon sérieuse, au bouleversement sans précédent qui représentera l’élargissement. C’est ce que nous avions indiqué, peu après notre arrivée aux responsabilités, puis, avec l’Italie et la Belgique, au moment même de la signature du traité d’Amsterdam. C’est ce que l’Assemblée nationale et le Sénat ont solennellement confirmé en autorisant la ratification de ce traité. C’est ce qui a été admis par l’ensemble de nos partenaires. Mais il faut être clair aussi sur le rythme de ces évolutions : s’il n’est pas question de retarder le processus historique de l’élargissement, il n’est pas question non plus de brûler les étapes.
Pour être réussi, le processus d’élargissement doit être maîtriser. C’est notre conviction. Tel sera le sens des réunions de la Conférence europée nne qui seront organisées au cours du second semestre 2000, notamment de celle qui se tiendra, en décembre, à Nice, avant le Conseil européen. Ces réunions devront être l’occasion de renforcer encore notre dialogue avec les pays candidats. Ensemble, nous préfigurerons le cheminement politique qui conduira ces pays dans l’Union, au terme du processus de négociation qui a été engagé.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, donner à l’Europe les moyens institutionnels de sa cohérence et de son rayonnement, lui conférer une volonté politique, contribuer à en faire un espace de croissance et de plein emploi, lui permettre de prendre toute sa place sur la scène internationale : voilà les objectifs auxquels nous voulons, au cours de notre présidence, travailler avec détermination, en étroite association avec vous.
L’Europe nous a apporté beaucoup depuis cinquante ans et reste une vraie promesse pour la grande et vieille nation qu’est la France. Avec l’Europe, notre pays se donne des atouts pour se projeter vers le monde, pour défendre ses intérêts, pour faire vivre les valeurs qui fondent son identité.
La présidence à venir nous offre une grande chance : celle de montrer que notre pays est demeuré fidèle à sa vocation de bâtisseur, à son ambition de contribuer à l’édification d’une Europe plus unie et plus forte. Nous avons su, il y a cinquante ans, ouvrir la voie. Sachons aujourd’hui réunir la famille européenne et lui donner les moyens d’être un des acteurs majeurs du xxie siècle, en préservant cette combinaison - véritablement unique - de souverainetés partagées et d’identités respectées qui fait l’originalité et la fécondité de l’aventure européenne.

2362 - Déclaration du Gouvernement sur les orientations de la présidence française de l'Union européenne (mai 2000)

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