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N° 2869

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 janvier 2001.

DÉCLARATION

DU GOUVERNEMENT

sur la décentralisation,

PAR M. LIONEL JOSPIN,

Premier ministre,

Collectivités territoriales.

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je suis heureux d’ouvrir aujourd’hui devant vous le débat d’orientation générale sur la nouvelle étape de la décentralisation que je vous avais proposée à la fin de l’année 2000.
C’est un fait, sous la Ve République, la décentralisation est inséparable de l’action réformatrice des gouvernements de gauche. Il y a vingt ans, sous l’impulsion du Président François Mitterrand, les lois de décentralisation préparées par le gouvernement de Pierre Mauroy ont profondément modifié les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales et modernisé l’architecture des institutions locales de la France.
Cette réforme majeure a atteint ses objectifs. Elle a donné un nouveau souffle à la démocratie française en conférant aux élus locaux des responsabilités importantes et les moyens de les assumer. Elle a fait des collectivités territoriales des acteurs à part entière du développement local, capables d’agir et d’inventer pour répondre aux besoins des citoyens. L’action publique y a puisé des formes nouvelles et un dynamisme puissant. Dans le même temps, l’Etat a continué de garantir la cohésion nationale, veillant à un développement équilibré du territoire et à la péréquation des ressources entre collectivités locales.
Les lois de décentralisation votées entre 1982 et 1986 ont été complétées, dans le même esprit, en 1992. Plusieurs textes ont renforcé la péréquation entre collectivités, encouragé la coopération entre celles-ci et fixé les principes de la déconcentration à travers une charte, pour que l’Etat et ses services territoriaux accompagnent plus efficacement les initiatives des collectivités locales. Depuis 1997, ce mouvement de décentralisation a repris grâce aux lois que le Parlement a adoptées. Je pense, en particulier, à la loi d’orientation sur l’aménagement et le développement durable du territoire, défendue par Mme Voynet, ou à la loi sur le renforcement de l’intercommunalité, présentée par Jean-Pierre Chevènement et qui est un vrai succès, comme on l’a constaté encore récemment. Ces lois commencent à être reconnues par tous, comme l’ont finalement été celles de 1982, puis de 1992.
Depuis trois ans et demi, le Gouvernement a également fait adopter plusieurs textes essentiels pour moderniser la vie politique locale : la réforme du scrutin régional et des règles de fonctionnement des conseils régionaux, l’introduction de la parité entre femmes et hommes, une réduction, malheureusement inachevée aujourd’hui, du cumul des mandats.
Le Gouvernement souhaite à présent lancer une nouvelle étape de la décentralisation, une décentralisation citoyenne et solidaire. Dans cette perspective, j’avais demandé, en octobre 1999, à une commission, présidée par Pierre Mauroy, de réfléchir au contenu de cette nouvelle étape. Ce travail de réflexion ne fut pas isolé. Plusieurs groupes de travail, au Sénat, au Conseil économique et social et dans différentes instances, ont examiné les moyens d’adapter nos institutions locales aux évolutions démographiques, économiques et sociales que connaît notre pays.
La commission Mauroy a rendu son rapport à la fin du mois d’octobre 2000. Je tiens à souligner ici la grande qualité de ce document, qui synthétise des débats approfondis, constructifs et même consensuels - sauf peut-être dans les dernières semaines, et pour des motifs éloignés du sujet. Certains, parfois ceux-là mêmes qui ont participé à la rédaction du rapport, ont voulu, à tort, voir dans ce consensus de la timidité. Le débat d’orientation générale que nous ouvrons sera, je l’espère, l’occasion pour eux de présenter un programme d’ensemble sur ce que devrait être selon eux une décentralisation rénovant profondément le paysage institutionnel local.
Le Gouvernement y sera bien entendu très attentif.
Un élément du consensus que j’évoquais est que le bilan des lois de décentralisation mises en œuvre depuis vingt ans est indiscutablement positif. Il est en conséquence logique de travailler à partir d’un socle reconnu solide par tous. Parce que l’attachement des Français aux communes, aux départements et aux régions est réel, il n’est pas envisagé de supprimer un de ces niveaux de collectivité ; il faut en revanche moderniser, et parfois démocratiser, leur fonctionnement. Parce que la solidarité nationale est au fondement du pacte républicain, la France restera un Etat unitaire. Mais l’unité ne signifie pas l’uniformité : chaque territoire doit pouvoir mettre en valeur ses atouts de la façon la mieux adaptée aux besoins de ses habitants. A travers ces évolutions, l’Etat doit conserver ses missions de défenseur de l’intérêt général, de gardien de la cohésion nationale, de garant d’un développement équilibré sur l’ensemble du territoire.
Cette nouvelle étape doit répondre à l’attente, chez les Français, d’un approfondissement de la démocratie locale. Elle doit aussi répondre au souci des élus de moderniser les finances locales, de simplifier le partage des compétences entre Etat et collectivités, de transférer de nouvelles attributions et de rénover les conditions d’exercice des mandats locaux. Elle doit répondre à l’attente des citoyens d’une administration plus proche d’eux, plus efficace, plus juste, plus responsable. Elle doit leur permettre de s’investir davantage dans la vie publique.
C’est dans le respect de ces principes et conscient de ces objectifs, mesdames et messieurs les députés, que le Gouvernement vous propose d’engager pour notre pays cette nouvelle étape de la décentralisation. Nous en définirons ensemble le contenu, au terme d’une concertation aussi approfondie que possible. Celle-ci rassemblera les associations d’élus, la population et les syndicats de la fonction publique - ou plutôt des fonctions publiques.
Le Gouvernement est particulièrement attaché à la qualité de cette concertation. Car la nouvelle étape de la décentralisation ne tiendra ses promesses que si chacun, élu, usager, fonctionnaire, s’engage pour sa réussite.
Le Gouvernement propose d’organiser cette nouvelle étape autour de six priorités.
La première concernera la rénovation des institutions locales.
La France dispose de trois niveaux de collectivités territoriales : la commune, le département, la région. Les Français sont attachés à chacun d’entre eux. Ils tiennent à la proximité de la commune. Ils mesurent le rôle du département dans le domaine social et pour les infrastructures facilitant leur vie quotidienne. Ils apprécient l’action de la région, qui œuvre à la formation, au développement économique et à l’aménagement du territoire. Cet attachement aux trois niveaux de collectivités est partagé par les élus locaux, chez qui ne se dessine aucun consensus prônant la suppression de tel ou tel niveau.
En revanche, le grand nombre de collectivités à chacun des niveaux doit nous amener, comme cela a déjà été engagé avec succès ces dernières années, à renforcer la coopération entre communes et à faciliter celle-ci entre départements et entre régions. Cette coopération peut se réaliser par la voie contractuelle ; le Gouvernement envisage qu’elle puisse se traduire aussi par la création d’établissements publics qui permettront une meilleure coordination.
L’ouverture de la France à l’Europe doit également nous amener à faciliter la coopération transfrontalière. La coopération décentralisée avec des pays non limitrophes s’inscrit dans ce même objectif d’ouverture de nos collectivités sur le monde.
La politique des contrats a fait l’objet de plusieurs critiques dans le rapport de la commission Mauroy. Certes, il convient d’éviter la multiplication des contrats, qui aboutit à un manque de lisibilité pour les usagers. La politique contractuelle a néanmoins fait ses preuves. Je pense en particulier aux contrats de villes et aux contrats de plan Etat-région, dont la dernière génération témoigne d’une ambition plus large, tant dans les domaines couverts - comme l’environnement - que dans les moyens rassemblés par les partenaires. Il nous faudra réfléchir ensemble aux moyens de mieux centrer encore ces contrats sur des sujets d’intérêt commun.
La deuxième priorité du Gouvernement sera un approfondissement de la démocratie locale.
Cet approfondissement vise à aider les citoyens qui le souhaitent à assumer des responsabilités locales. Le Gouvernement a déjà contribué à cet objectif en réduisant le cumul des mandats et en introduisant la parité entre les femmes et les hommes - nous le verrons avec éclat aux prochaines élections municipales.
Il nous faut encore améliorer les conditions d’accès aux mandats locaux et d’exercice de ces mandats, afin que le travail accompli par les élus au service de l’intérêt général ne le soit pas au détriment de leur propre vie professionnelle et personnelle. Dans cet esprit, le Gouvernement soumettra dès cette législature un premier projet de loi sur la démocratie citoyenne, présenté par Daniel Vaillant, ministre de l’intérieur.
Ce projet de loi devra d’abord prévoir d’améliorer la formation des élus, en particulier en début de mandat, où elle est la plus nécessaire. Il devra permettre aux élus salariés de bénéficier de davantage de crédits d’heures pour accomplir leur mission pendant leur temps de travail. Il devra également leur permettre, une fois leur mandat achevé, de retrouver leur emploi dans les meilleures conditions. C’est pourquoi des mesures favorisant la réinsertion professionnelle et créant une allocation de fin de mandat seront mises en œuvre.
Ce projet devra renforcer la protection sociale des élus ; en particulier leurs droits à la retraite devront être préservés.
Enfin, les indemnités qui ne l’ont pas déjà été devront être revalorisées pour certaines responsabilités ; le remboursement des frais de fonctionnement, comme les frais de garde d’enfants, sera prévu.
Ce sont là des mesures qui répondent au souci de nombre d’entre vous, sur tous les bancs : plusieurs propositions de loi vont déjà dans ce sens.
Cet approfondissement permettra aussi de mieux associer l’ensemble des citoyens aux décisions locales. Le Gouvernement a déjà fait progresser cette démocratie participative avec les conseils de développement dans les agglomérations et les pays. Il a décidé d’aller plus loin encore dès le premier projet de loi qu’il présentera en 2001. Des conseils de quartier seront créés dans les villes moyennes et grandes ; présidés par un conseiller municipal, ils devront bénéficier des moyens nécessaires pour fonctionner et agir. Des structures d’information de proximité et d’association des citoyens à la vie publique, s’agissant en particulier des services publics, devront être mises en place. Le droit des enquêtes d’utilité publique sera réformé, conformément à la communication présentée par la ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement au mois de septembre. Ses objectifs seront la démocratisation et la transparence du processus d’élaboration des projets d’équipement et d’aménagement, le renforcement des responsabilités des collectivités dans l’appréciation de l’utilité publique de leurs projets, la simplification et la rationalisation des procédures. Enfin, au sein des assemblées délibérantes, les droits de l’opposition devront être renforcés afin que celle-ci puisse, comme c’est le cas au Parlement, faire part de ses propres propositions.
L’opposition devra aussi disposer de tribunes dans les documents d’information locaux. Je souhaite que notre débat permette de compléter ces premières orientations.
Cet approfondissement de la démocratie locale suppose enfin une réforme de certains scrutins.
Cette réforme fera l’objet d’une préparation approfondie tout au long de 2001, afin qu’elle puisse être soumise au Parlement dès la prochaine législature et entrer en vigueur lors des prochains renouvellements.
Les exécutifs des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, à partir du moment où ils peuvent lever l’impôt, doivent être responsables directement devant les électeurs, conformément à la tradition républicaine.
Le Gouvernement proposera que l’élection des conseillers de communautés au suffrage universel direct intervienne en même temps que celle des conseillers municipaux. Il nous faut en préciser ensemble les modalités, en vue non pas du prochain renouvellement municipal, qui aura lieu dans deux mois, mais du renouvellement suivant, en 2007.
Par ailleurs, chacun reconnaît désormais que le scrutin départemental ne permet pas une représentation équitable, du fait de l’inadaptation des cantons.
Pour l’ensemble de la France, aussi bien pour les assemblées départementales que pour les assemblées nationales, la seconde assemblée par exemple, notre critère, c’est la démocratie, c’est le fait que chaque voix pèse autant qu’une autre. C’est pour cela qu’on a inventé le suffrage universel.
Il convient donc de modifier ce mode de scrutin pour mieux prendre en compte les évolutions démographiques. Plusieurs formules peuvent être envisagées. Le Gouvernement sera attentif à vos propositions.
La troisième priorité est celle d’un meilleur partage des compétences.
Les lois de 1983 ont organisé des transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales par « blocs ». La pratique a cependant abouti à un enchevêtrement progressif de ces compétences tel que beaucoup des citoyens ont du mal à identifier précisément qui est responsable de quoi. Une clarification de ce partage de compétences est donc nécessaire. Le Gouvernement s’y est déjà engagé dans plusieurs secteurs, comme celui de la formation professionnelle : le projet de loi relatif à la modernisation sociale confirme et clarifie le rôle des régions dans les comités régionaux de la formation et leur fait place au sein du Conseil national des missions locales. Il faut amplifier ce mouvement de clarification. La désignation de chefs de file telle qu’elle est proposée par le rapport Mauroy doit y concourir. De même faut-il sans doute faciliter le recours aux délégations de compétences entre collectivités, à condition que ces délégations se fassent dans la transparence.
Par-delà cette clarification, il faut réfléchir à de nouveaux transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités, mais aussi entre collectivités.
Ces transferts doivent être guidés par le principe de subsidiarité. Il s’agit de définir le meilleur niveau d’exercice d’un service en partant de la plus grande proximité du terrain et au moindre coût.
Ces transferts doivent aussi veiller à ce que la cohésion sociale et l’équité entre les différentes collectivités, qui garantissent à chaque citoyen un service identique sur l’ensemble du territoire, ne soient pas remises en cause. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à une décentralisation « à la carte », qui donnerait l’avantage aux collectivités les plus riches et les plus puissantes, au détriment des autres. Le principe de l’égalité républicaine doit dicter tous nos choix en ce domaine.
C’est pourquoi aussi la notion d’expérimentation qui figure dans le rapport Mauroy - et qui a fait l’objet d’une proposition de loi constitutionnelle examinée hier dans cet hémicycle - doit être reçue avec attention et développée. L’expérimentation pourra être le moyen de vérifier que de nouveaux transferts de compétences répondent aux objectifs recherchés, sans remettre en cause ni l’intérêt des usagers et leur égalité devant le service public, ni les droits des fonctionnaires.
Il pourra alors être procédé à leur généralisation à tout le territoire. Il va de soi que l’expérimentation des transferts de compétences ne saurait concerner les missions régaliennes de l’Etat.
En matière d’expérimentation, la régionalisation des services des transports ferroviaires de passagers, qui vient d’être décidée dans la loi de solidarité et de renouvellement urbains, constitue un précédent.
Mais il en existe d’autres, dans le domaine de la formation professionnelle ou celui de la culture, par exemple. Dans le secteur de l’environnement, le projet de loi sur l’eau, qui sera présenté au conseil des ministres, proposera aux départements qui le souhaitent la décentralisation de la gestion des cours d’eaux domaniaux.
Le projet de loi que présentera le Gouvernement cette année inclura également une modification de la loi de 1996 sur les services d’incendie et de secours pour en clarifier le développement : la départementalisation sera approfondie et les conseils généraux retrouveront une place entière, conforme à leur vocation.
De même, dès la présente session, un projet de loi portant création d’une aide personnalisée à l’autonomie conférera aux départements un rôle important pour la gestion de cette prestation. Le projet de loi sur la société de l’information permettra aux collectivités locales d’intervenir beaucoup plus facilement pour le développement des nouvelles technologies. Enfin, le droit des interventions des collectivités locales en faveur des entreprises fait actuellement l’objet d’une mise en conformité avec la réglementation européenne. Le dispositif d’ingénierie financière et le régime des sociétés d’économie mixte locales seront adaptés en 2001 pour renforcer le soutien au développement local. Le rôle des régions en ces domaines sera souligné.
Il nous faut évaluer tous les champs dans lesquels d’autres transferts de compétences pourraient être envisagés. Le rapport Mauroy ouvre des pistes intéressantes, que nous explorerons tout au long de cette année afin de mesurer la pertinence et les effets économiques et sociaux de ces transferts. Je pense que notre débat permettra d’enrichir ces propositions et de préparer ce travail.
Mesdames et messieurs les députés, la quatrième priorité est la modernisation des finances locales.
Le système de financement des collectivités locales mérite une profonde réforme. A l’initiative du Gouvernement et de l’Assemblée nationale, la fiscalité, locale comme nationale, a connu ces trois dernières années d’importants changements pour en alléger le poids sur les contribuables et pour favoriser l’emploi dans les entreprises, ce que certains, curieusement, déplorent. Mais nombre d’impôts restent injustes ou sont devenus obsolètes ou incompréhensibles pour le citoyen. L’affectation de leurs recettes entre plusieurs collectivités déresponsabilise les élus, faute de pouvoir clairement identifier à qui attribuer telle ou telle variation de taux. S’agissant des dotations, leur système de répartition, à force de retouches et d’inclusions de nouveaux objectifs, est devenu lourd et obscur ; elles n’assurent plus une péréquation suffisante entre collectivités et concourent moins bien à un aménagement équilibré du territoire, ce qui était pourtant leur vocation première.
Les objectifs de cette modernisation sont clairs et incontestés : une plus grande simplicité, une plus grande justice. La fiscalité locale doit être plus juste et plus simple. La réforme de la taxe d’habitation y a déjà notablement contribué.
Le Gouvernement tient à souligner son attachement au maintien d’une fiscalité locale dynamique qui garantisse le lien entre électeurs et élus et responsabilise ceux-ci. Je voudrais à cet égard revenir sur l’imputation de « recentralisation fiscale » formulée par certains, peut-être pour tenter de faire passer à l’arrière-plan les réductions d’impôts qui ont motivé l’action du Gouvernement en ce domaine.
Les décisions prises ont-elles remis en cause tel ou tel projet d’une collectivité ? Non. Chaque suppression d’impôt local a été exactement compensée par une dotation indexée.
La proportion des recettes fiscales dans les recettes globales des collectivités a été jugée par le Conseil constitutionnel suffisante pour garantir leur libre administration.
Le Gouvernement est attaché au maintien de cette responsabilité fiscale des élus.
Elle suppose que la part de la fiscalité dans les recettes des collectivités locales permette aux exécutifs locaux de prendre les initiatives qu’ils jugent utiles. Faut-il pour autant inscrire dans la Constitution des pourcentages de principe, comme le Sénat le propose ? Nous ne le croyons pas.
Outre que ce type de disposition ne relève pas vraiment de la Constitution, ces pourcentages figeraient les inégalités entre collectivités : celles qui ont la chance de bénéficier de l’implantation de nombreuses entreprises et d’une population aisée disposeraient de recettes fiscales en quantité importante ; en revanche, d’autres collectivités ne disposant pas des mêmes atouts verraient leurs initiatives entravées par la faiblesse de leurs recettes fiscales, que l’Etat ne pourrait compenser par ses dotations puisque ces recettes devraient respecter la proportion inscrite dans la Constitution.
Il nous faut donc veiller à ce que le principe d’autonomie fiscale, qui découle du principe de libre administration des collectivités locales, ne se traduise pas par une vision « libérale » des institutions locales et n’aboutisse pas ainsi à figer, voire à aggraver des inégalités entre collectivités.
Faut-il, par ailleurs, spécialiser les impôts par niveau de collectivités ? Il est certes indispensable de bien identifier les impôts pour une meilleure compréhension par les contribuables des enjeux locaux. Mais la spécialisation ne doit pas aboutir à une vulnérabilisation des finances des collectivités en cas d’événements conjoncturels qui affecteraient les bases de tel ou tel impôt. C’est pourquoi il nous faut réfléchir ensemble pour trouver le système qui garantira à la fois la clarté de l’impôt et une stabilité suffisante pour les recettes des collectivités locales, même si, bien entendu, celles-ci évoluent en fonction de la richesse nationale et donc de la conjoncture.
Il nous faudra enfin veiller à ce que cette réforme des impôts n’entraîne pas des transferts de charges excessifs entre collectivités et entre contribuables, et ne nuise pas à la nécessaire péréquation des ressources. Toutes les pistes, y compris celle du partage d’une partie des recettes des impôts d’Etat, peuvent être explorées. Je ne doute pas qu’en ce domaine de la fiscalité nous pourrons compter, comme cela a été le cas par le passé, sur la sagesse des collectivités afin de maîtriser l’évolution des prélèvements obligatoires et de l’ensemble des dépenses publiques, conformément à nos engagements à l’égard de l’Union européenne.
Les dotations devront, elles aussi, être simplifiées et permettre une péréquation plus volontariste. Le devoir de l’Etat sera de redistribuer entre les collectivités locales, suivant des critères simples, des dotations modernisées, prenant en compte l’objectif d’un aménagement équilibré du territoire.
Tous les rapports publiés en 1999 et 2000 l’ont souligné : cette réforme d’ensemble nécessite nombre de calculs afin que les transferts de charges entre contribuables et entre collectivités n’aboutissent pas à des effets économiques et sociaux inéquitables. Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, Laurent Fabius, et le ministre de l’intérieur, Daniel Vaillant, prépareront un premier rapport qui sera remis au Parlement à la fin de l’année 2001. Ce rapport fera l’objet d’une concertation à partir de cet été avec le comité des finances locales et les grandes associations d’élus, afin de bien prendre en compte l’ensemble des contraintes existant en ce domaine.
La cinquième priorité répondra aux attentes de la fonction publique territoriale.
Les agents territoriaux font vivre la décentralisation. L’évolution démographique de la fonction publique territoriale, avec les départs massifs en retraite programmés dans les vingt prochaines années, pose le problème de l’amélioration des conditions de recrutement et de formation des agents territoriaux.
La commission Mauroy a présenté plusieurs propositions en ce domaine, qui permettent de mieux prendre en compte la spécificité des missions de ces agents, l’expérience accumulée et les besoins engendrés par la complexité accrue de leur travail.
D’ores et déjà, la loi sur la résorption de la précarité dans la fonction publique met en œuvre nombre de ces propositions. Il nous faudra aller plus loin pour simplifier les procédures de recrutement par concours, en prenant davantage en compte l’expérience accomplie, faciliter les passerelles entre filières sans remettre en cause l’édifice actuel et simplifier la gestion des corps. Cela supposera une réflexion approfondie sur les différentes structures de formation et de gestion des fonctionnaires territoriaux. Cette priorité sera donc indissociable de la nouvelle étape de la décentralisation.
La sixième et dernière priorité sera de faire progresser la déconcentration.
Il est logique et nécessaire que la déconcentration connaisse de nouveaux progrès lorsqu’on approfondit la décentralisation. L’Etat doit en effet être davantage déconcentré pour mieux répondre aux sollicitations des collectivités locales.
C’est pourquoi le rapport Mauroy a consacré un chapitre important à la déconcentration. D’ores et déjà, les décrets d’octobre 1999 renforçant le pouvoir de direction des préfets sur les services déconcentrés de l’Etat ont complété l’élan donné par la loi de 1992. Cette réforme avait pris du retard puisque, entre 1992 et 1997, aucune initiative de poids n’avait été prise.
Il faut souligner le travail engagé depuis par le ministère de l’intérieur pour adapter les préfectures à leurs nouvelles missions, avec notamment la rédaction de projets territoriaux de l’Etat dans chaque département.
Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a engagé une réforme de modernisation dont l’un des axes essentiels est la rénovation de la gestion publique et l’amélioration du service rendu aux collectivités locales.
La simplification des démarches administratives et le recours accru aux nouvelles technologies de l’information, voulus par le ministre de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, Michel Sapin, sont en cours. Ces adaptations vont dans le sens d’une modernisation de l’Etat, indispensable pour que le succès de la décentralisation prenne toute sa dimension. Enfin, la réforme prochaine de l’ordonnance organique de 1959 sur les lois de finances permettra à terme une meilleure lisibilité de la dépense publique, au travers d’objectifs de résultats à atteindre au niveau local. Cette réforme pourra constituer un progrès décisif de la déconcentration.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous ai exposé les six priorités de la nouvelle étape de la décentralisation souhaitée par le Gouvernement. C’est un travail d’envergure qui nous attend, au moins aussi important, même s’il n’a plus à être fondateur, que celui effectué entre 1982 et 1986. Le Gouvernement a décidé que les réformes lui paraissant les plus urgentes seront soumises au Parlement dès 2001, dans le cadre d’un premier projet de loi. Ce sont celles qui renforceront la démocratie de proximité, amélioreront les conditions d’exercice des mandats des élus, fixeront les principes pour la rénovation des institutions locales et la clarification des compétences. Ce projet précisera également le régime de départementalisation des services d’incendie et de secours.
Tout au long de 2001, nous travaillerons aussi ensemble à la préparation des autres volets de cette nouvelle étape de la décentralisation. Comme cela a été le cas dans les années 80, il nous faudra peser toutes les conséquences politiques, économiques et sociales des réformes que nous proposons. Nous le ferons à un rythme compatible avec la charge du calendrier parlementaire, mais suffisamment soutenu pour que l’ensemble des institutions locales soit bientôt adapté aux attentes des Français et à la nouvelle donne économique et sociale de notre pays.
La participation des associations d’élus, des syndicats de la fonction publique et des citoyens à la préparation de cette réforme que mènera le Parlement est le plus sûr moyen de la réussir. De premiers éléments de consensus ont été réunis dans le rapport de la commission présidée par Pierre Mauroy. Je suis convaincu que la contribution des uns et des autres - et d’abord celle de la représentation nationale - permettra de lancer une nouvelle étape de la décentralisation qui rassemble mieux encore le peuple français autour des institutions locales de la République.

2869 - Déclaration du Gouvernement sur la décentralisation (17 janvier2001)