N ° 2869
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée
nationale le 17 janvier 2001.
DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT
sur la décentralisation,
PAR M. LIONEL
JOSPIN,
Premier ministre,
Collectivités territoriales.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je suis heureux d’ouvrir aujourd’hui devant vous le débat d’orientation
générale sur la nouvelle étape de la décentralisation que je vous
avais proposée à la fin de l’année 2000.
C’est un fait, sous la Ve République, la décentralisation
est inséparable de l’action réformatrice des gouvernements de
gauche. Il y a vingt ans, sous l’impulsion du Président François
Mitterrand, les lois de décentralisation préparées par le
gouvernement de Pierre Mauroy ont profondément modifié les relations
entre l’Etat et les collectivités territoriales et modernisé l’architecture
des institutions locales de la France.
Cette réforme majeure a atteint ses objectifs. Elle a donné un nouveau
souffle à la démocratie française en conférant aux élus locaux des
responsabilités importantes et les moyens de les assumer. Elle a fait
des collectivités territoriales des acteurs à part entière du
développement local, capables d’agir et d’inventer pour répondre
aux besoins des citoyens. L’action publique y a puisé des formes
nouvelles et un dynamisme puissant. Dans le même temps, l’Etat a
continué de garantir la cohésion nationale, veillant à un
développement équilibré du territoire et à la péréquation des
ressources entre collectivités locales.
Les lois de décentralisation votées entre 1982 et 1986 ont été
complétées, dans le même esprit, en 1992. Plusieurs textes ont
renforcé la péréquation entre collectivités, encouragé la
coopération entre celles-ci et fixé les principes de la
déconcentration à travers une charte, pour que l’Etat et ses
services territoriaux accompagnent plus efficacement les initiatives des
collectivités locales. Depuis 1997, ce mouvement de décentralisation a
repris grâce aux lois que le Parlement a adoptées. Je pense, en
particulier, à la loi d’orientation sur l’aménagement et le
développement durable du territoire, défendue par Mme Voynet, ou à la
loi sur le renforcement de l’intercommunalité, présentée par
Jean-Pierre Chevènement et qui est un vrai succès, comme on l’a
constaté encore récemment. Ces lois commencent à être reconnues par
tous, comme l’ont finalement été celles de 1982, puis de 1992.
Depuis trois ans et demi, le Gouvernement a également fait adopter
plusieurs textes essentiels pour moderniser la vie politique locale : la
réforme du scrutin régional et des règles de fonctionnement des
conseils régionaux, l’introduction de la parité entre femmes et
hommes, une réduction, malheureusement inachevée aujourd’hui, du
cumul des mandats.
Le Gouvernement souhaite à présent lancer une nouvelle étape de la
décentralisation, une décentralisation citoyenne et solidaire. Dans
cette perspective, j’avais demandé, en octobre 1999, à une
commission, présidée par Pierre Mauroy, de réfléchir au contenu de
cette nouvelle étape. Ce travail de réflexion ne fut pas isolé.
Plusieurs groupes de travail, au Sénat, au Conseil économique et
social et dans différentes instances, ont examiné les moyens d’adapter
nos institutions locales aux évolutions démographiques, économiques
et sociales que connaît notre pays.
La commission Mauroy a rendu son rapport à la fin du mois d’octobre
2000. Je tiens à souligner ici la grande qualité de ce document, qui
synthétise des débats approfondis, constructifs et même consensuels -
sauf peut-être dans les dernières semaines, et pour des motifs
éloignés du sujet. Certains, parfois ceux-là mêmes qui ont
participé à la rédaction du rapport, ont voulu, à tort, voir dans ce
consensus de la timidité. Le débat d’orientation générale que nous
ouvrons sera, je l’espère, l’occasion pour eux de présenter un
programme d’ensemble sur ce que devrait être selon eux une
décentralisation rénovant profondément le paysage institutionnel
local.
Le Gouvernement y sera bien entendu très attentif.
Un élément du consensus que j’évoquais est que le bilan des lois de
décentralisation mises en œuvre depuis vingt ans est indiscutablement
positif. Il est en conséquence logique de travailler à partir d’un
socle reconnu solide par tous. Parce que l’attachement des Français
aux communes, aux départements et aux régions est réel, il n’est
pas envisagé de supprimer un de ces niveaux de collectivité ; il faut
en revanche moderniser, et parfois démocratiser, leur fonctionnement.
Parce que la solidarité nationale est au fondement du pacte
républicain, la France restera un Etat unitaire. Mais l’unité ne
signifie pas l’uniformité : chaque territoire doit pouvoir mettre en
valeur ses atouts de la façon la mieux adaptée aux besoins de ses
habitants. A travers ces évolutions, l’Etat doit conserver ses
missions de défenseur de l’intérêt général, de gardien de la
cohésion nationale, de garant d’un développement équilibré sur l’ensemble
du territoire.
Cette nouvelle étape doit répondre à l’attente, chez les Français,
d’un approfondissement de la démocratie locale. Elle doit aussi
répondre au souci des élus de moderniser les finances locales, de
simplifier le partage des compétences entre Etat et collectivités, de
transférer de nouvelles attributions et de rénover les conditions d’exercice
des mandats locaux. Elle doit répondre à l’attente des citoyens d’une
administration plus proche d’eux, plus efficace, plus juste, plus
responsable. Elle doit leur permettre de s’investir davantage dans la
vie publique.
C’est dans le respect de ces principes et conscient de ces objectifs,
mesdames et messieurs les députés, que le Gouvernement vous propose d’engager
pour notre pays cette nouvelle étape de la décentralisation. Nous en
définirons ensemble le contenu, au terme d’une concertation aussi
approfondie que possible. Celle-ci rassemblera les associations d’élus,
la population et les syndicats de la fonction publique - ou plutôt des
fonctions publiques.
Le Gouvernement est particulièrement attaché à la qualité de cette
concertation. Car la nouvelle étape de la décentralisation ne tiendra
ses promesses que si chacun, élu, usager, fonctionnaire, s’engage
pour sa réussite.
Le Gouvernement propose d’organiser cette nouvelle étape autour de
six priorités.
La première concernera la rénovation des institutions locales.
La France dispose de trois niveaux de collectivités territoriales : la
commune, le département, la région. Les Français sont attachés à
chacun d’entre eux. Ils tiennent à la proximité de la commune. Ils
mesurent le rôle du département dans le domaine social et pour les
infrastructures facilitant leur vie quotidienne. Ils apprécient l’action
de la région, qui œuvre à la formation, au développement économique
et à l’aménagement du territoire. Cet attachement aux trois niveaux
de collectivités est partagé par les élus locaux, chez qui ne se
dessine aucun consensus prônant la suppression de tel ou tel niveau.
En revanche, le grand nombre de collectivités à chacun des niveaux
doit nous amener, comme cela a déjà été engagé avec succès ces
dernières années, à renforcer la coopération entre communes et à
faciliter celle-ci entre départements et entre régions. Cette
coopération peut se réaliser par la voie contractuelle ; le
Gouvernement envisage qu’elle puisse se traduire aussi par la
création d’établissements publics qui permettront une meilleure
coordination.
L’ouverture de la France à l’Europe doit également nous amener à
faciliter la coopération transfrontalière. La coopération
décentralisée avec des pays non limitrophes s’inscrit dans ce même
objectif d’ouverture de nos collectivités sur le monde.
La politique des contrats a fait l’objet de plusieurs critiques dans
le rapport de la commission Mauroy. Certes, il convient d’éviter la
multiplication des contrats, qui aboutit à un manque de lisibilité
pour les usagers. La politique contractuelle a néanmoins fait ses
preuves. Je pense en particulier aux contrats de villes et aux contrats
de plan Etat-région, dont la dernière génération témoigne d’une
ambition plus large, tant dans les domaines couverts - comme l’environnement
- que dans les moyens rassemblés par les partenaires. Il nous faudra
réfléchir ensemble aux moyens de mieux centrer encore ces contrats sur
des sujets d’intérêt commun.
La deuxième priorité du Gouvernement sera un approfondissement de la
démocratie locale.
Cet approfondissement vise à aider les citoyens qui le souhaitent à
assumer des responsabilités locales. Le Gouvernement a déjà
contribué à cet objectif en réduisant le cumul des mandats et en
introduisant la parité entre les femmes et les hommes - nous le verrons
avec éclat aux prochaines élections municipales.
Il nous faut encore améliorer les conditions d’accès aux mandats
locaux et d’exercice de ces mandats, afin que le travail accompli par
les élus au service de l’intérêt général ne le soit pas au
détriment de leur propre vie professionnelle et personnelle. Dans cet
esprit, le Gouvernement soumettra dès cette législature un premier
projet de loi sur la démocratie citoyenne, présenté par Daniel
Vaillant, ministre de l’intérieur.
Ce projet de loi devra d’abord prévoir d’améliorer la formation
des élus, en particulier en début de mandat, où elle est la plus
nécessaire. Il devra permettre aux élus salariés de bénéficier de
davantage de crédits d’heures pour accomplir leur mission pendant
leur temps de travail. Il devra également leur permettre, une fois leur
mandat achevé, de retrouver leur emploi dans les meilleures conditions.
C’est pourquoi des mesures favorisant la réinsertion professionnelle
et créant une allocation de fin de mandat seront mises en œuvre.
Ce projet devra renforcer la protection sociale des élus ; en
particulier leurs droits à la retraite devront être préservés.
Enfin, les indemnités qui ne l’ont pas déjà été devront être
revalorisées pour certaines responsabilités ; le remboursement des
frais de fonctionnement, comme les frais de garde d’enfants, sera
prévu.
Ce sont là des mesures qui répondent au souci de nombre d’entre
vous, sur tous les bancs : plusieurs propositions de loi vont déjà
dans ce sens.
Cet approfondissement permettra aussi de mieux associer l’ensemble des
citoyens aux décisions locales. Le Gouvernement a déjà fait
progresser cette démocratie participative avec les conseils de
développement dans les agglomérations et les pays. Il a décidé d’aller
plus loin encore dès le premier projet de loi qu’il présentera en
2001. Des conseils de quartier seront créés dans les villes moyennes
et grandes ; présidés par un conseiller municipal, ils devront
bénéficier des moyens nécessaires pour fonctionner et agir. Des
structures d’information de proximité et d’association des citoyens
à la vie publique, s’agissant en particulier des services publics,
devront être mises en place. Le droit des enquêtes d’utilité
publique sera réformé, conformément à la communication présentée
par la ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement
au mois de septembre. Ses objectifs seront la démocratisation et la
transparence du processus d’élaboration des projets d’équipement
et d’aménagement, le renforcement des responsabilités des
collectivités dans l’appréciation de l’utilité publique de leurs
projets, la simplification et la rationalisation des procédures. Enfin,
au sein des assemblées délibérantes, les droits de l’opposition
devront être renforcés afin que celle-ci puisse, comme c’est le cas
au Parlement, faire part de ses propres propositions.
L’opposition devra aussi disposer de tribunes dans les documents d’information
locaux. Je souhaite que notre débat permette de compléter ces
premières orientations.
Cet approfondissement de la démocratie locale suppose enfin une
réforme de certains scrutins.
Cette réforme fera l’objet d’une préparation approfondie tout au
long de 2001, afin qu’elle puisse être soumise au Parlement dès la
prochaine législature et entrer en vigueur lors des prochains
renouvellements.
Les exécutifs des établissements publics de coopération
intercommunale à fiscalité propre, à partir du moment où ils peuvent
lever l’impôt, doivent être responsables directement devant les
électeurs, conformément à la tradition républicaine.
Le Gouvernement proposera que l’élection des conseillers de
communautés au suffrage universel direct intervienne en même temps que
celle des conseillers municipaux. Il nous faut en préciser ensemble les
modalités, en vue non pas du prochain renouvellement municipal, qui
aura lieu dans deux mois, mais du renouvellement suivant, en 2007.
Par ailleurs, chacun reconnaît désormais que le scrutin départemental
ne permet pas une représentation équitable, du fait de l’inadaptation
des cantons.
Pour l’ensemble de la France, aussi bien pour les assemblées
départementales que pour les assemblées nationales, la seconde
assemblée par exemple, notre critère, c’est la démocratie, c’est
le fait que chaque voix pèse autant qu’une autre. C’est pour cela
qu’on a inventé le suffrage universel.
Il convient donc de modifier ce mode de scrutin pour mieux prendre en
compte les évolutions démographiques. Plusieurs formules peuvent être
envisagées. Le Gouvernement sera attentif à vos propositions.
La troisième priorité est celle d’un meilleur partage des
compétences.
Les lois de 1983 ont organisé des transferts de compétences de l’Etat
vers les collectivités locales par « blocs ». La
pratique a cependant abouti à un enchevêtrement progressif de ces
compétences tel que beaucoup des citoyens ont du mal à identifier
précisément qui est responsable de quoi. Une clarification de ce
partage de compétences est donc nécessaire. Le Gouvernement s’y est
déjà engagé dans plusieurs secteurs, comme celui de la formation
professionnelle : le projet de loi relatif à la modernisation sociale
confirme et clarifie le rôle des régions dans les comités régionaux
de la formation et leur fait place au sein du Conseil national des
missions locales. Il faut amplifier ce mouvement de clarification. La
désignation de chefs de file telle qu’elle est proposée par le
rapport Mauroy doit y concourir. De même faut-il sans doute faciliter
le recours aux délégations de compétences entre collectivités, à
condition que ces délégations se fassent dans la transparence.
Par-delà cette clarification, il faut réfléchir à de nouveaux
transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités, mais
aussi entre collectivités.
Ces transferts doivent être guidés par le principe de subsidiarité.
Il s’agit de définir le meilleur niveau d’exercice d’un service
en partant de la plus grande proximité du terrain et au moindre coût.
Ces transferts doivent aussi veiller à ce que la cohésion sociale et l’équité
entre les différentes collectivités, qui garantissent à chaque
citoyen un service identique sur l’ensemble du territoire, ne soient
pas remises en cause. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable
à une décentralisation « à la carte », qui
donnerait l’avantage aux collectivités les plus riches et les plus
puissantes, au détriment des autres. Le principe de l’égalité
républicaine doit dicter tous nos choix en ce domaine.
C’est pourquoi aussi la notion d’expérimentation qui figure dans le
rapport Mauroy - et qui a fait l’objet d’une proposition de loi
constitutionnelle examinée hier dans cet hémicycle - doit être reçue
avec attention et développée. L’expérimentation pourra être le
moyen de vérifier que de nouveaux transferts de compétences répondent
aux objectifs recherchés, sans remettre en cause ni l’intérêt des
usagers et leur égalité devant le service public, ni les droits des
fonctionnaires.
Il pourra alors être procédé à leur généralisation à tout le
territoire. Il va de soi que l’expérimentation des transferts de
compétences ne saurait concerner les missions régaliennes de l’Etat.
En matière d’expérimentation, la régionalisation des services des
transports ferroviaires de passagers, qui vient d’être décidée dans
la loi de solidarité et de renouvellement urbains, constitue un
précédent.
Mais il en existe d’autres, dans le domaine de la formation
professionnelle ou celui de la culture, par exemple. Dans le secteur de
l’environnement, le projet de loi sur l’eau, qui sera présenté au
conseil des ministres, proposera aux départements qui le souhaitent la
décentralisation de la gestion des cours d’eaux domaniaux.
Le projet de loi que présentera le Gouvernement cette année inclura
également une modification de la loi de 1996 sur les services d’incendie
et de secours pour en clarifier le développement : la
départementalisation sera approfondie et les conseils généraux
retrouveront une place entière, conforme à leur vocation.
De même, dès la présente session, un projet de loi portant création
d’une aide personnalisée à l’autonomie conférera aux
départements un rôle important pour la gestion de cette prestation. Le
projet de loi sur la société de l’information permettra aux
collectivités locales d’intervenir beaucoup plus facilement pour le
développement des nouvelles technologies. Enfin, le droit des
interventions des collectivités locales en faveur des entreprises fait
actuellement l’objet d’une mise en conformité avec la
réglementation européenne. Le dispositif d’ingénierie financière
et le régime des sociétés d’économie mixte locales seront adaptés
en 2001 pour renforcer le soutien au développement local. Le rôle des
régions en ces domaines sera souligné.
Il nous faut évaluer tous les champs dans lesquels d’autres
transferts de compétences pourraient être envisagés. Le rapport
Mauroy ouvre des pistes intéressantes, que nous explorerons tout au
long de cette année afin de mesurer la pertinence et les effets
économiques et sociaux de ces transferts. Je pense que notre débat
permettra d’enrichir ces propositions et de préparer ce travail.
Mesdames et messieurs les députés, la quatrième priorité est la
modernisation des finances locales.
Le système de financement des collectivités locales mérite une
profonde réforme. A l’initiative du Gouvernement et de l’Assemblée
nationale, la fiscalité, locale comme nationale, a connu ces trois
dernières années d’importants changements pour en alléger le poids
sur les contribuables et pour favoriser l’emploi dans les entreprises,
ce que certains, curieusement, déplorent. Mais nombre d’impôts
restent injustes ou sont devenus obsolètes ou incompréhensibles pour
le citoyen. L’affectation de leurs recettes entre plusieurs
collectivités déresponsabilise les élus, faute de pouvoir clairement
identifier à qui attribuer telle ou telle variation de taux. S’agissant
des dotations, leur système de répartition, à force de retouches et d’inclusions
de nouveaux objectifs, est devenu lourd et obscur ; elles n’assurent
plus une péréquation suffisante entre collectivités et concourent
moins bien à un aménagement équilibré du territoire, ce qui était
pourtant leur vocation première.
Les objectifs de cette modernisation sont clairs et incontestés : une
plus grande simplicité, une plus grande justice. La fiscalité locale
doit être plus juste et plus simple. La réforme de la taxe d’habitation
y a déjà notablement contribué.
Le Gouvernement tient à souligner son attachement au maintien d’une
fiscalité locale dynamique qui garantisse le lien entre électeurs et
élus et responsabilise ceux-ci. Je voudrais à cet égard revenir sur l’imputation
de « recentralisation fiscale » formulée par
certains, peut-être pour tenter de faire passer à l’arrière-plan
les réductions d’impôts qui ont motivé l’action du Gouvernement
en ce domaine.
Les décisions prises ont-elles remis en cause tel ou tel projet d’une
collectivité ? Non. Chaque suppression d’impôt local a été
exactement compensée par une dotation indexée.
La proportion des recettes fiscales dans les recettes globales des
collectivités a été jugée par le Conseil constitutionnel suffisante
pour garantir leur libre administration.
Le Gouvernement est attaché au maintien de cette responsabilité
fiscale des élus.
Elle suppose que la part de la fiscalité dans les recettes des
collectivités locales permette aux exécutifs locaux de prendre les
initiatives qu’ils jugent utiles. Faut-il pour autant inscrire dans la
Constitution des pourcentages de principe, comme le Sénat le propose ?
Nous ne le croyons pas.
Outre que ce type de disposition ne relève pas vraiment de la
Constitution, ces pourcentages figeraient les inégalités entre
collectivités : celles qui ont la chance de bénéficier de l’implantation
de nombreuses entreprises et d’une population aisée disposeraient de
recettes fiscales en quantité importante ; en revanche, d’autres
collectivités ne disposant pas des mêmes atouts verraient leurs
initiatives entravées par la faiblesse de leurs recettes fiscales, que
l’Etat ne pourrait compenser par ses dotations puisque ces recettes
devraient respecter la proportion inscrite dans la Constitution.
Il nous faut donc veiller à ce que le principe d’autonomie fiscale,
qui découle du principe de libre administration des collectivités
locales, ne se traduise pas par une vision « libérale
» des institutions locales et n’aboutisse pas ainsi à
figer, voire à aggraver des inégalités entre collectivités.
Faut-il, par ailleurs, spécialiser les impôts par niveau de
collectivités ? Il est certes indispensable de bien identifier les
impôts pour une meilleure compréhension par les contribuables des
enjeux locaux. Mais la spécialisation ne doit pas aboutir à une
vulnérabilisation des finances des collectivités en cas d’événements
conjoncturels qui affecteraient les bases de tel ou tel impôt. C’est
pourquoi il nous faut réfléchir ensemble pour trouver le système qui
garantira à la fois la clarté de l’impôt et une stabilité
suffisante pour les recettes des collectivités locales, même si, bien
entendu, celles-ci évoluent en fonction de la richesse nationale et
donc de la conjoncture.
Il nous faudra enfin veiller à ce que cette réforme des impôts n’entraîne
pas des transferts de charges excessifs entre collectivités et entre
contribuables, et ne nuise pas à la nécessaire péréquation des
ressources. Toutes les pistes, y compris celle du partage d’une partie
des recettes des impôts d’Etat, peuvent être explorées. Je ne doute
pas qu’en ce domaine de la fiscalité nous pourrons compter, comme
cela a été le cas par le passé, sur la sagesse des collectivités
afin de maîtriser l’évolution des prélèvements obligatoires et de
l’ensemble des dépenses publiques, conformément à nos engagements
à l’égard de l’Union européenne.
Les dotations devront, elles aussi, être simplifiées et permettre une
péréquation plus volontariste. Le devoir de l’Etat sera de
redistribuer entre les collectivités locales, suivant des critères
simples, des dotations modernisées, prenant en compte l’objectif d’un
aménagement équilibré du territoire.
Tous les rapports publiés en 1999 et 2000 l’ont souligné : cette
réforme d’ensemble nécessite nombre de calculs afin que les
transferts de charges entre contribuables et entre collectivités n’aboutissent
pas à des effets économiques et sociaux inéquitables. Le ministre de
l’économie, des finances et de l’industrie, Laurent Fabius, et le
ministre de l’intérieur, Daniel Vaillant, prépareront un premier
rapport qui sera remis au Parlement à la fin de l’année 2001. Ce
rapport fera l’objet d’une concertation à partir de cet été avec
le comité des finances locales et les grandes associations d’élus,
afin de bien prendre en compte l’ensemble des contraintes existant en
ce domaine.
La cinquième priorité répondra aux attentes de la fonction publique
territoriale.
Les agents territoriaux font vivre la décentralisation. L’évolution
démographique de la fonction publique territoriale, avec les départs
massifs en retraite programmés dans les vingt prochaines années, pose
le problème de l’amélioration des conditions de recrutement et de
formation des agents territoriaux.
La commission Mauroy a présenté plusieurs propositions en ce domaine,
qui permettent de mieux prendre en compte la spécificité des missions
de ces agents, l’expérience accumulée et les besoins engendrés par
la complexité accrue de leur travail.
D’ores et déjà, la loi sur la résorption de la précarité dans la
fonction publique met en œuvre nombre de ces propositions. Il nous
faudra aller plus loin pour simplifier les procédures de recrutement
par concours, en prenant davantage en compte l’expérience accomplie,
faciliter les passerelles entre filières sans remettre en cause l’édifice
actuel et simplifier la gestion des corps. Cela supposera une réflexion
approfondie sur les différentes structures de formation et de gestion
des fonctionnaires territoriaux. Cette priorité sera donc indissociable
de la nouvelle étape de la décentralisation.
La sixième et dernière priorité sera de faire progresser la
déconcentration.
Il est logique et nécessaire que la déconcentration connaisse de
nouveaux progrès lorsqu’on approfondit la décentralisation. L’Etat
doit en effet être davantage déconcentré pour mieux répondre aux
sollicitations des collectivités locales.
C’est pourquoi le rapport Mauroy a consacré un chapitre important à
la déconcentration. D’ores et déjà, les décrets d’octobre 1999
renforçant le pouvoir de direction des préfets sur les services
déconcentrés de l’Etat ont complété l’élan donné par la loi de
1992. Cette réforme avait pris du retard puisque, entre 1992 et 1997,
aucune initiative de poids n’avait été prise.
Il faut souligner le travail engagé depuis par le ministère de l’intérieur
pour adapter les préfectures à leurs nouvelles missions, avec
notamment la rédaction de projets territoriaux de l’Etat dans chaque
département.
Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a engagé
une réforme de modernisation dont l’un des axes essentiels est la
rénovation de la gestion publique et l’amélioration du service rendu
aux collectivités locales.
La simplification des démarches administratives et le recours accru aux
nouvelles technologies de l’information, voulus par le ministre de la
fonction publique et de la réforme de l’Etat, Michel Sapin, sont en
cours. Ces adaptations vont dans le sens d’une modernisation de l’Etat,
indispensable pour que le succès de la décentralisation prenne toute
sa dimension. Enfin, la réforme prochaine de l’ordonnance organique
de 1959 sur les lois de finances permettra à terme une meilleure
lisibilité de la dépense publique, au travers d’objectifs de
résultats à atteindre au niveau local. Cette réforme pourra
constituer un progrès décisif de la déconcentration.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous ai
exposé les six priorités de la nouvelle étape de la décentralisation
souhaitée par le Gouvernement. C’est un travail d’envergure qui
nous attend, au moins aussi important, même s’il n’a plus à être
fondateur, que celui effectué entre 1982 et 1986. Le Gouvernement a
décidé que les réformes lui paraissant les plus urgentes seront
soumises au Parlement dès 2001, dans le cadre d’un premier projet de
loi. Ce sont celles qui renforceront la démocratie de proximité,
amélioreront les conditions d’exercice des mandats des élus,
fixeront les principes pour la rénovation des institutions locales et
la clarification des compétences. Ce projet précisera également le
régime de départementalisation des services d’incendie et de
secours.
Tout au long de 2001, nous travaillerons aussi ensemble à la
préparation des autres volets de cette nouvelle étape de la
décentralisation. Comme cela a été le cas dans les années 80, il
nous faudra peser toutes les conséquences politiques, économiques et
sociales des réformes que nous proposons. Nous le ferons à un rythme
compatible avec la charge du calendrier parlementaire, mais suffisamment
soutenu pour que l’ensemble des institutions locales soit bientôt
adapté aux attentes des Français et à la nouvelle donne économique
et sociale de notre pays.
La participation des associations d’élus, des syndicats de la
fonction publique et des citoyens à la préparation de cette réforme
que mènera le Parlement est le plus sûr moyen de la réussir. De
premiers éléments de consensus ont été réunis dans le rapport de la
commission présidée par Pierre Mauroy. Je suis convaincu que la
contribution des uns et des autres - et d’abord celle de la
représentation nationale - permettra de lancer une nouvelle étape de
la décentralisation qui rassemble mieux encore le peuple français
autour des institutions locales de la République.
2869 - Déclaration du Gouvernement sur la décentralisation (17
janvier2001)
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