Table des matières
- Allocutions
d'ouverture
- I. - Allocution de M.
Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale
- 1. - Les monarques que nous avons
connus étaient uniques et la diplomatie une prérogative royale
- 2. - L'activité internationale des
parlements complète l'action diplomatique des gouvernements
- 3. - La diplomatie parlementaire
répond surtout à une nécessité démocratique nouvelle
- II. - Allocution de M.
Christian PONCELET, Président du Sénat
- 1. - Quelques idées fausses
- A. - Première critique : l'action
internationale des assemblées permet de compenser leur
absence de pouvoirs réels dans les domaines de la
législation et du contrôle
- B. - Deuxième critique
malicieuse : il ne saurait y avoir de diplomatie
parlementaire, car la France doit parler d'une seule voix.
- 2. - La diplomatie parlementaire
existe
- A. - Les moyens des assemblées
françaises
- B. - Le Sénat et sa spécificité
constitutionnelle
- C. - L'expérience des parlements
étrangers
- TABLE RONDE : LA
DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE :
UN CONCEPT ÉMERGENT
- I. - L'affirmation du parlement sur la scène internationale
- · Intervention de M. François LONCLE, président de la
commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale
- 1. - Le rôle de la commission des affaires étrangères
- 2. - Le parlement et la PESC
- 3. - Le vote des projets de textes internationaux
- 4. - Des ambiguïtés à lever
- · Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées du Sénat
- 1. - L'application de la fonction législative du parlement
au domaine diplomatique et ses limites
- 2. - Les initiatives que notre parlement a su prendre pour
aller au-delà de cette seule fonction législative et jeter les
bases d'une diplomatie parlementaire innovante
- 3. - Les forces concurrentes qui apparaissent aujourd'hui
sur la scène internationale et qui mettent le parlement au
défi de préserver et de renforcer son rôle
- · Intervention de M. Jean-Bernard RAIMOND, député, ancien
ministre des affaires étrangères
- 1. - Le concept de diplomatie parlementaire
- 2. - L'émergence de la diplomatie parlementaire
- · Intervention de M. Jacques VALADE, vice-président du Sénat
- 1. - Le Président du Sénat
- 2. - La commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées
- 3. - Les groupes sénatoriaux d'amitié
- · Intervention de M. Michel VAUZELLE, député, ancien garde
des Sceaux
- 1. - Les parlementaires, la démocratie et les affaires
internationales
- 2. - Le rôle de la commission des affaires étrangères
- 3. - La coopération décentralisée
- · Débat avec la salle
- II. - La montée en puissance des parlements en Europe
- · Intervention de M. Alain BARRAU, président de la
délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale
- 1. - Remarques générales
- 2. - Les questions européennes
- 3. - L'avenir
- · Intervention de M. Hubert HAENEL, président de la
délégation pour l'Union européenne du Sénat
- 1. - La COSAC
- 2. - La convention chargée de l'élaboration de la charte
des droits fondamentaux européens
- . - Exemple de diplomatie parlementaire dans le cadre du
fonctionnement de l'UE
- · Intervention de M. Gérard LARCHER, vice-président du Sénat
- 1. - L'article 88-4
- 2. - La préparation à l'adhésion
- 3. - Le rôle du parlementaire lorsqu'il est membre d'une
ONG ou au coeur d'initiatives personnelles
- 4. - Disponibilité de nos assemblées pour réfléchir
ensemble à l'enrichissement démocratique d'un pays
- 5. - Les conditions
- · Intervention de M. Roger PAQUIN, député québécois
- 1. - Les objectifs que poursuit l'Assemblée du Québec à
travers cet ensemble de démarches
- 2. - Les caractéristiques de la diplomatie parlementaire
québécoise
- 3. - Les relations avec l'étranger
- · Débat avec la salle
- TABLE RONDE : L'ESSOR DE LA COOPÉRATION INTERPARLEMENTAIRE
- · Intervention de Mme Christine LAZERGES, vice-présidente de
l'Assemblée nationale, chargée des relations internationales
- 1. - Comment la coopération interparlementaire est-elle
née ?
- 2. - Les moyens de la coopération
- 3. - Les évolutions actuelles
- 4. - Conclusion
- · Intervention de M. Guy CARCASSONNE, professeur de droit
public
- 1. - La coopération : des attentes incertaines
- 2. - La coopération : des finalités hétérogènes
- 3. - La coopération : des compétences aléatoires
- · Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées du Sénat
- 1. - Le considérable développement de la coopération
interparlementaire (missions d'évaluation sur place,
assistance de longue durée)
- 2. - Les enjeux de cette coopération
- 3. - Perspectives de la coopération interparlementaire
- · Intervention de Mme Michèle RIVASI, députée, présidente du
groupe d'amitié France-Madagascar
- 1. - Formation des élus et fonctionnaires parlementaires
malgaches
- 2. - Pour des jumelages circonscription par
circonscription
- Intervention de M. Claude HURIET, questeur du Sénat,
président du groupe sénatorial d'amitié France-Pays baltes
- 1. - La coopération interparlementaire
- 2. - Le rôle du Président du Sénat
- 3. - Les groupes sénatoriaux d'amitié
- 4. - Les colloques Sénat-CFCE
- 5. - Les missions d'observation
- · Intervention de M. René ANDRÉ, député, président des
groupes d'amitié France-Asie centrale et France-Kazakhstan
- 1. - Les attentes frustrées
- 2. - Des finalités multiples riches de leurs différences
- 3. - Des compétences complémentaires
- · Intervention de M. Jacques PELLETIER, sénateur, ancien
ministre de la Coopération
- · Intervention de M. René DOSIÈRE, député
- 1. - Les critères qui président à l'envoi d'une mission
d'observation électorale
- 2. - Comment ces missions se déroulent-elles ?
- · Débat avec la salle
- Diplomatie d'État et diplomatie parlementaire
- M. Hubert VÉDRINE
ministre des affaires étrangères
- 1. - Le parlement, acteur légitime dans les relations
internationales aux côtés de l'Exécutif
- 2. - Le parlement, acteur de l'influence française à
l'étranger
- TABLE RONDE : LA RÉGULATION INTERNATIONALE : UNE NOUVELLE
FRONTIÈRE POUR LES PARLEMENTS ?
-
· Intervention de M. Yves TAVERNIER,
député
- 1. - L'ouverture progressive, mais
insuffisante, du champ des relations internationales au
parlement
- 2. - Le cas des institutions
financières internationales
- Intervention de M. Philippe MARINI, rapporteur général
de la commission des Finances du Sénat
- Intervention de M. Guy PENNE, sénateur
Intervention de Mme Béatrice MARRE, députée
- Intervention de M. Jean-Claude LEFORT,
député, président du groupe d'amitié France-Mexique
- Intervention de Mme Danielle BIDARD-REYDET, sénateur
- Intervention de M. Jacques LEGENDRE, sénateur, secrétaire
général parlementaire de l'APF
Allocutions d'ouverture
M. Christian PONCELET, Président du Sénat
Je déclare ouvert le colloque sur la diplomatie parlementaire, organisé
par le Président de l'Assemblée nationale et moi-même. Je constate que
ce sujet présente un grand intérêt au vu de l'assistance
particulièrement nombreuse venue participer à ce débat.
I. -
Allocution de M. Raymond FORNI, Président de l'Assemblée nationale
Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous dire le
plaisir que j'ai d'être parmi vous pour évoquer un sujet qui m'est cher,
celui de la diplomatie parlementaire. Cette notion, nous essayons de la
pratiquer au quotidien dans nos relations internationales. Depuis un peu
plus d'un an que j'exerce mes fonctions, je me suis rendu compte combien
les relations internationales étaient importantes. Il nous est apparu, à
Christian Poncelet et à moi-même, utile d'organiser ce colloque qui fixe
la voie que nous devrions demain emprunter ensemble. Le parlement de la
République est un : il est composé de l'Assemblée nationale et du Sénat
et chaque fois que c'est possible, travailler ensemble est pour nous
utile, voire agréable.
On a coutume d'opposer diplomatie et assemblée. L'Histoire donne tort à
ceux qui le croient, car c'est une République et son Sénat qui ont
inventé la diplomatie. Venise, puisqu'il s'agit d'elle, eut, sans doute
la première, l'idée d'implanter des missions permanentes dans les pays
où ses marchands avaient des intérêts. C'est devant son Sénat que les
Ambassadeurs de la Sérénissime prononçaient solennellement leur « relazione ».
De la richesse d'informations, de la finesse d'observation, de la
qualité littéraire de ce récit de leurs ambassades dépendait tout leur
avenir -Procurateur de Saint Marc, Sénateur, Doge peut-être un jour ?
Bien sûr, cette République était patricienne, et son Sénat était donc
l'égal d'un souverain, mais à plusieurs têtes.
1. - Les monarques que nous avons
connus étaient uniques et la diplomatie une prérogative royale
Ce privilège des monarques ne tolérait pas d'entorse.
Seule limite en France : l'aliénation ou la cession des parties du
Royaume exigeait l'approbation des États généraux, réunis pour la
dernière fois, rappelons-le, avant la Révolution, en 1614. Plus tard,
c'est aussi dans le secret d'un « cabinet noir » que s'élaborait la
politique étrangère. Ce passé monarchique fut longtemps difficile à
surmonter. Je m'interroge même sur le fait de savoir si nous avons
complètement surmonté cet obstacle. La Révolution elle-même hésita. Un
décret du 22 mai 1790 décida que les traités de paix, d'alliance et de
commerce ne prenaient effet qu'une fois ratifiés par le Corps
législatif. Néanmoins, lorsque la Constituante proposa de former un
comité chargé de prendre connaissance des traités et des relations
extérieures de la France pour en rendre compte à l'Assemblée, on objecta
le risque « d'empiéter sur les pouvoirs du Roi » et « qu'informer
l'Assemblée serait communiquer au public des secrets dont ne
profiteraient que nos ennemis ». C'est un argument que j'ai parfois
entendu. Les régimes qui suivirent chassèrent de leur pré carré les
Assemblées, ou ce qui en portait le nom. Le Consulat, la Restauration,
le second Empire refusèrent une intervention des assemblées dans les
affaires internationales, qui ne fut de nouveau autorisée qu'en 1875. En
outre la IIIème République garda l'habitude du secret.
Certes, elle étendit l'obligation de consulter le parlement avant de
ratifier les traités engageant les finances de l'État, ainsi que ceux
relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à
l'étranger. Néanmoins les conditions exactes de l'alliance franco-russe,
base du système diplomatique français à partir de 1891, ne furent
connues, jusqu'en 1914, que de certains ministres et hauts
fonctionnaires. De nos jours, le secret a vécu.
Les parlements ont aujourd'hui conquis leur place dans les relations
internationales. Ils se sont appuyés pour cela sur la ratification des
accords et traités. En France, le parlement refuse dès 1878 de ratifier
un traité de commerce. La politique étrangère devient un élément de
responsabilité gouvernementale. C'est un élément important puisque Jules
Ferry chute en 1885 sur l'affaire du Tonkin. La liste plus longue des
traités dont la ratification est soumise à autorisation parlementaire,
dans la Constitution de 1946, la prééminence des traités sur les lois,
dans celle de 1958, ont encouragé les Assemblées à faire de plus en plus
entendre leur voix. Parfois au prix d'éclats mémorables, parfois aussi
au prix de renoncements douloureux. Le refus par le parlement, et
l'échec consécutif de la Communauté européenne de défense, en août 1954,
décida pour longtemps du destin de l'Europe. Surtout les idéaux
pacifistes et internationalistes de certains parlementaires les ont
incités à agir ensemble. Je veux rappeler quel rôle ont joué des députés
français dans ce mouvement d'internationalisation de la vie
parlementaire. C'est le Français Frédéric Passy qui, avec l'Anglais
William Randal Cremer, organisa en juin 1889 à Paris, la première
conférence interparlementaire qui, sur près de 100 députés, comptait
55 Français. De cette initiative devait naître l'Union
interparlementaire, l'année même -1901- où Passy recevait avec Henri
Dunant, le prix Nobel de la Paix. Le formidable essor que connut en un
siècle la coopération interparlementaire a donné aux parlements une
place nouvelle dans les relations internationales. Cette place acquise
par la diplomatie parlementaire, nous en redessinons chaque jour les
contours.
2. - L'activité internationale
des parlements complète l'action diplomatique des gouvernements
Elle multiplie les occasions de contact. Selon une
pratique inaugurée à la Présidence de l'Assemblée nationale par mon
prédécesseur Louis Mermaz, c'est une multitude d'entretiens que nous
tenons avec les hôtes de la France, ceux que je reçois après le
Président de la République, le Premier ministre et le Président du Sénat, ceux qu'auditionnent la commission des affaires étrangères et la
délégation pour l'Union européenne, ceux qui parfois nous rendent visite
à l'invitation d'un groupe d'amitié.
La diplomatie parlementaire non seulement complète la politique
diplomatique des Gouvernements, mais accompagne aussi, dans ses choix,
celle du Gouvernement. Dans un pays comme le nôtre, où la politique
étrangère relève à la fois du Président de la République et aussi, dans
une certaine mesure de l'action gouvernementale, nous savons combien cet
accompagnement est important. J'aurais envie de dire, surtout en période
de cohabitation. Il m'a ainsi paru nécessaire, dans le choix de mes
déplacements en Europe, cette année, de retenir trois des pays candidats
les mieux placés pour l'adhésion à l'Union européenne. Les ministres de
Pologne, de Hongrie, de la République tchèque siègeront un jour au
« Conseil agriculture », au « Conseil économie finances », au « Conseil
justice et affaires intérieures ». Ils décideront demain avec nous. Il
nous faut donc renforcer les relations suivies que nous entretenons avec
leurs Assemblées.
La diplomatie parlementaire est aussi une diplomatie exploratoire. C'est
ainsi que l'an dernier, trois parlementaires -MM. Richard Cazenave et
Jean-Michel Boucheron accompagnés du Général Morillon, membre du
parlement européen-, se sont rendus en Afghanistan dans des conditions
difficiles pour essayer, et ils y sont parvenus, d'assurer un contact
avec les forces du Commandant Massoud.
La diplomatie parlementaire est en outre une diplomatie d'influence. Du
fait de l'indépendance des parlementaires, de la diversité des enceintes
et des occasions de rencontres, le contact informel en est le vecteur
privilégié. Dans un monde où s'affirment des logiques de réseau, c'est
un avantage dont peut bénéficier la diplomatie classique, au profit de
l'influence collective de nos idées, de nos positions et de nos
propositions.
3. - La diplomatie parlementaire
répond surtout à une nécessité démocratique nouvelle
Certes l'activité diplomatique de gouvernements qui
émanent du suffrage universel n'est pas dans son essence moins
démocratique que celle des parlementaires, mais ces derniers sont plus
étroitement à l'écoute d'électeurs qu'ils retrouvent régulièrement dans
leurs circonscriptions.
La diplomatie parlementaire porte la voix des peuples dans un monde qui
s'unifie. Certes des organisations non gouvernementales s'affirment.
Exprimant des valeurs universelles, elles signalent l'émergence d'une
possible citoyenneté planétaire qui, de Seattle à Nice, se fait entendre
avec plus de vigueur. Toutefois, de cette « société civile
internationale » ne naîtra pas spontanément une démocratie mondiale. Les
ONG n'ont pas la représentativité de parlements démocratiquement élus,
fondés à incarner la société civile, à traduire ses revendications et
ses besoins. Ce qui ne signifie cependant pas que les ONG soient
inutiles, mais elles sont à côté du processus démocratique.
C'est pourquoi la diplomatie parlementaire a pour vocation naturelle
d'être au service de la paix, de la liberté, des droits. Agir pour la
paix, c'est en marquer le souci à l'occasion de chacun de nos
déplacements. En Égypte, en mars dernier, comme tant de parlementaires,
j'ai exprimé le souhait commun aux Européens de voir s'interrompre le
cycle de la violence au Proche-Orient. Au Kosovo, le 19 avril dernier,
j'ai pris toute la mesure du travail accompli par la KFOR et le
représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, mais aussi
le ressentiment accumulé durant plusieurs décennies de coexistence
difficile puis d'affrontements. Recevoir, dans l'hémicycle de
l'Assemblée nationale, le 14 juin 2000, le Président algérien Bouteflika,
pour qu'il s'y exprime, fut aussi un geste d'apaisement, une étape de
l'inlassable travail de réconciliation et de compréhension mutuelle
qu'il nous faut poursuivre avec l'Algérie. J'avais ce jour-là le
sentiment, en écoutant cette voix dans cette enceinte privilégiée,
d'entendre pour la première fois depuis 1962 un Algérien s'exprimer au
nom de son pays et non plus en tant que représentant de la France,
puisqu'à l'époque, l'Algérie était représentée à l'Assemblée nationale
par un certain nombre de ses parlementaires.
Agir pour la liberté, c'est accueillir ceux qui luttent pour la liberté
de leur peuple, comme le Dalaï Lama, reçu à l'Assemblée nationale le
28 septembre 2000, comme Alejandro Toledo, le 16 novembre 2000, ou plus
récemment le Commandant Massoud, le 4 avril 2001. C'est aussi oeuvrer à
l'enracinement de la démocratie, soutenir ces hommes et ces peuples,
leur assurer un accompagnement démocratique. Nous sommes en capacité de
le faire car nous avons une expérience. C'est en tous les cas donner le
plus de chances possible à cet enracinement au Pérou, en Ukraine, en
Indonésie, au Zimbabwe, en allant observer, comme nombre de députés et
de sénateurs, le déroulement des élections. Cette présence, même
symbolique, est importante et utile.
Agir en faveur des droits, c'est poursuivre un combat personnel contre
la peine de mort dans lequel beaucoup de députés sont engagés, par un
appel de présidents de parlements à un moratoire mondial des exécutions
que nous lancerons le 22 juin prochain, à Strasbourg. C'est aussi pour
nous, à l'occasion du 50ème anniversaire de la convention de
Genève, accueillir à l'Assemblée nationale une assemblée de réfugiés, le
16 juin 2001, afin de réfléchir à l'avenir du droit d'asile, parfois
malmené.
Pour remplir ces missions, la diplomatie parlementaire doit renouveler
les formes de son action. Travaillons d'abord à la création de nouvelles
assemblées internationales. L'UIP pourrait à terme former une véritable
Assemblée parlementaire des Nations Unies, comme l'a souhaité le
Secrétaire général de l'ONU, consultée par l'Assemblée générale, le
Conseil de Sécurité, le Conseil économique et social. De même, les
parlementaires présents à la Conférence de Seattle ont adopté une
résolution réclamant l'instauration d'une Assemblée parlementaire de l'OMC.
Nous devons y réfléchir.
Il nous faut rénover l'action internationale des parlements. La création
d'organes spécialisés assurant le suivi régulier des grandes
négociations internationales multilatérales demeure nécessaire. C'est le
cas au sein de l'Union européenne, où les parlements ont formé des
organes spécialisés sur les affaires européennes. Nous pouvons en créer
d'autres, sur les négociations commerciales multilatérales, sur le
fonctionnement des institutions financières internationales. Représenter
les peuples, ce n'est pas simplement se faire porte-voix des peuples.
Représenter, ce doit être aussi précéder, entraîner, favoriser
l'engagement de chacun. Il nous faut créer pour cela des enceintes
démocratiques nouvelles, permettant aux élus de se faire les interprètes
éclairés de la volonté populaire. La « convention » composée de
représentants des États membres, de la Commission européenne, du
parlement européen et de parlementaires nationaux, associée à un
cyberforum, qui fut chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux
de l'Union européenne, en est un bon exemple. Je parle devant ceux qui
ont suivi ce processus.
Mesdames et Messieurs, c'est un vaste champ d'action qui s'ouvre devant
nous. La démocratie planétaire, le parlement mondial sont des utopies
sympathiques -des utopies malgré tout- qui nourrissent l'espoir et la
réflexion. Tant que les États resteront le lieu où vit et se bâtit la
démocratie, tant que les parlements nationaux abriteront le coeur
battant de cette vie démocratique, la diplomatie parlementaire devra
oeuvrer à nouer de nouveaux liens entre peuples. C'est sur cette tâche
inlassablement recommencée, à laquelle nous vouons tous nos entretiens,
toutes nos rencontres, tous nos discours, que je voudrais conclure, en
souhaitant à vos travaux un plein succès.
II. -
Allocution de M. Christian PONCELET, Président du Sénat
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues et chers amis, à
voir une réunion d'une telle qualité et une participation aussi
nombreuse, je suis tenté de dire, sans mauvais jeu de mots, qu'en guise
d'introduction, une conclusion déjà s'impose : nous avons bien fait
d'organiser ce colloque. Réunir un tel auditoire, dans la dernière ligne
droite d'une session passablement chargée, sur ce thème un peu
mystérieux, pour ne pas dire encore flou, de la diplomatie
parlementaire, était un pari risqué. Nous savons maintenant qu'il sera
gagné, parce que vous êtes là et que nombre d'entre vous ont beaucoup de
choses à dire à ce sujet.
Ce pari sera également gagné parce que nous venons d'entendre mon
collègue et ami Raymond Forni, qui, avec son talent habituel, tout son
dynamisme, nous a brossé une image stimulante de l'évolution du rôle du
parlement dans la sphère des relations internationales. Je tiens à le
remercier d'avoir si bien ouvert la voie, même si, évidemment, cette
fougue et ce talent ne me simplifient pas la tâche !
C'est donc des modalités contemporaines de la diplomatie parlementaire
que je dois traiter, de son contexte, de sa spécificité aussi, car il y
a sans aucun doute une spécificité de la diplomatie parlementaire à la
française. Une anecdote est révélatrice de cette spécificité et je ne
résiste pas au plaisir de vous la livrer : lorsque nos services ont
interrogé leurs correspondants des parlements étrangers pour la
préparation de ce colloque, ils ont suscité une perplexité certaine : à
l'exception de la Roumanie et de l'Espagne, la notion de diplomatie
parlementaire semble totalement inusitée. Au parlement britannique, on
nous a répondu : « si vous souhaitez des informations sur la politique
étrangère du Royaume-Uni, vous pouvez vous adresser au ministère des
affaires étrangères ! ». On ne saurait mieux témoigner de l'existence
d'une spécificité française dans ce domaine, car si nous devons, c'est
vrai et nous sommes réunis aujourd'hui pour cela, mieux définir et faire
émerger le concept de la diplomatie parlementaire, c'est bien parce que
la réalité de cette modalité particulière de la diplomatie est bel et
bien présente. Elle est d'ores et déjà un fait, un fait têtu, que nous
avons mutuellement d'autant plus intérêt à prendre en compte que nous
avons peut-être là -mais je suis prudent sur ce point- une longueur
d'avance sur nos partenaires.
1. - Quelques idées fausses
Avant de faire le bilan et la comparaison des
structures et des activités concourant à la diplomatie parlementaire,
c'est-à-dire dans une première approche, à la conduite par les
parlements d'une activité internationale suivie et cohérente pour la
réalisation d'objectifs déterminés, il me paraît indispensable de tordre
le cou à quelques idées fausses déjà, hélas, fort répandues, puisque
nous sommes ainsi faits, nous Français : la critique et la contestation
accompagnent l'action, pour ne pas dire qu'elles la précèdent et même
parfois en tiennent lieu !
A. - Première
critique : l'action internationale des assemblées permet de
compenser leur absence de pouvoirs réels dans les domaines de la
législation et du contrôle
Il faut être d'une singulière cécité, d'une
particulière mauvaise foi, être mû par d'inavouables préoccupations, ou
même cumuler ces défauts, pour propager ce genre de critiques.
Contrairement à ce qui a été trop complaisamment affirmé depuis trop
longtemps au nom d'un mythique âge d'or des parlements -et, mes chers
collègues, nous devons être très attentifs sur ce point- le parlement
français dispose en effet de pouvoirs qui le placent aux tout premiers
rangs des parlements dans le monde : pourquoi sinon, serions-nous si
fréquemment sollicités par les réformateurs étrangers soucieux
d'affirmer et de développer leurs institutions parlementaires ? Par
conséquent, nul souci de compensation, mais en revanche, perception
claire et nette d'un fait évident : la France ne vit pas en autarcie,
l'interaction entre l'interne et l'externe est constante ; il est par
conséquent de la responsabilité de tout parlementaire d'être « ouvert à
l'international ».
B. - Deuxième
critique malicieuse : il ne saurait y avoir de diplomatie
parlementaire, car la France doit parler d'une seule voix.
A défaut, le message serait brouillé : pour parodier
Montesquieu « trop de diplomatie tuerait la diplomatie ». Cette
critique est sans aucun doute mieux fondée que la précédente. Elle ne me
paraît pourtant pas davantage pertinente. Tout d'abord, il est clair
pour chacun que la diplomatie parlementaire ne peut, ni ne doit, être
une diplomatie parallèle, concurrente ou rivale de la diplomatie
gouvernementale. Elle n'en a pas les moyens -ce qui est déjà une bonne
raison-, ni d'information, ni d'action ; mais surtout elle s'exerce dans
un domaine et avec des interlocuteurs qui relèvent d'une sphère
différente. Poser le problème en termes de rivalité est donc tout
simplement mal le poser. En revanche il est nécessaire de le poser en
termes de complémentarité, mais je crois très franchement qu'il n'est
pas utile de s'appesantir sur ce point, tant les choses sont évidentes :
nul ne conçoit une diplomatie parlementaire autonome ou isolée. Il y a
tout intérêt, et c'est d'ailleurs la pratique qu'instaurent les
autorités de l'Exécutif (pratique qu'il faut saluer et encourager), à
associer les parlementaires aux initiatives de la diplomatie
gouvernementale. J'évoque ici, par exemple, l'invitation adressée aux
présidents de groupes d'amitié de chaque assemblée à participer aux
visites officielles à l'étranger du Président de la République ou du
Premier ministre, ou encore la participation de délégations
parlementaires à des réunions ou conférences internationales, comme à
l'Assemblée générale de l'ONU, la Conférence de Kyoto sur
l'environnement ou les réunions de l'OMC. On est parfois satisfait bien
sûr que certaines dispositions soient reprises en écho par le parlement.
C - Troisième critique à réfuter : celle consistant à avancer que la
diplomatie parlementaire est une diplomatie artificielle
Par artificielle, j'entends tout à la fois qu'elle serait sans
consistance et sans fondement d'après certains.
Le fondement pourtant me paraît évident et il me semble même
indispensable de le rappeler. C'est tout simplement celui de la
légitimité démocratique. Je dois même dire que je suis frappé, par
l'extraordinaire « demande de parlement » qui se manifeste actuellement,
tant dans le domaine de l'organisation institutionnelle interne de
pratiquement tous les Etats que dans la sphère internationale. C'est
bien cette demande que vient d'ailleurs de prendre en compte le PNUD à
la Conférence des PMA, en décidant que désormais, les programmes d'appui
institutionnel devraient privilégier les parlements conformément
d'ailleurs à la résolution adoptée par le Forum des Sénats du Monde que
nous avions réuni à Paris, le 14 mars de l'année dernière. Oui, il y a
une véritable demande de parlement parce qu'il y a une véritable demande
de légitimité et que celle-ci, ce sont les parlements, issus du suffrage
universel, qui l'incarnent. La demande ne concerne pas seulement l'ordre
interne, elle se manifeste aussi dans l'ordre international. C'est le
sujet que traitera cet après-midi la troisième table ronde : « la
régulation internationale, une nouvelle frontière pour les
parlements ? », de façon interrogative certes, mais nous savons bien
d'ores et déjà que le mouvement est lancé et que nous ne pouvons pas
faire l'économie d'une réflexion sur la légitimité de la régulation
internationale, c'est-à-dire sur le rôle des parlements, expression
légitime des peuples, dans cette régulation. C'est un sujet vaste et
passionnant, éminemment complexe, que certains seraient peut-être tentés
de résumer en la formule malicieuse « quelles utopies promouvoir ? » que
je considère personnellement comme d'une actualité pressante. On
comprend que, dans ce contexte, dénier tout fondement à la diplomatie
parlementaire, c'est faire preuve d'une singulière méconnaissance des
réalités et c'est faire fi des principes qui sont à la base même de nos
sociétés démocratiques. Je disais tout à l'heure que la critique
d'artificialité portait non seulement sur le fondement, mais aussi sur
la consistance de la diplomatie parlementaire. Ce reproche, mes chers
amis, est tout aussi infondé que les précédents, mais, plutôt que de
réfuter par une démonstration abstraite, je vais m'attacher à le réfuter
par une description concrète. Ceci nous permettra, au passage, de mieux
cerner la notion et de dégager quelques enseignements.
2. - La diplomatie parlementaire
existe
Qu'on le veuille ou non, qu'on s'en réjouisse ou
qu'on le déplore, la diplomatie parlementaire existe, je l'ai
rencontrée. Elle est pratiquée par tous les pays, avec une intensité et
selon des modalités sans doute variables, et elle prend également une
importance croissante à l'échelon international, par la multiplication
des organismes interparlementaires. Ce phénomène -il faut le souligner-
est la manifestation parlementaire d'un mouvement beaucoup plus ample
d'internationalisation, de mondialisation, qui se traduit par la
multiplication des acteurs sur la scène internationale : collectivités
locales dans le cadre de la coopération décentralisée, ONG
internationales, entreprises, etc..., multiplication d'organismes divers
qui dessine une nouvelle réalité internationale parfois difficile à
appréhender. S'agissant du parlement français et de la diplomatie
parlementaire française, les débats à venir vont permettre d'aborder en
détail les structures et les actions. Je vais limiter mon propos à
quelques lignes de force.
A. - Les moyens
des assemblées françaises
Un constat tout d'abord : pour conduire leurs actions
internationales, les assemblées françaises disposent aujourd'hui d'une
gamme relativement diversifiée et partiellement spécialisée de moyens.
Outre, bien entendu, le rôle des Présidents et des Bureaux, il convient
de citer les instances suivantes :
· les commissions des affaires étrangères
Leur rôle est essentiel dans le domaine du contrôle parlementaire de
l'action diplomatique du Gouvernement, mais aussi bien sûr dans celui de
l'information des assemblées et de l'action diplomatique par les
nombreuses missions effectuées.
- · les délégations parlementaires françaises
Elles jouent un rôle important au sein ou auprès de nombreuses
institutions ou organisations internationales. Je pense aux
délégations françaises à l'Union interparlementaire ou à l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de l'OTAN, ainsi
qu'aux parlementaires appelés par le Gouvernement à assister aux
débats de l'Assemblée générale de l'ONU.
· les délégations des deux assemblées pour l'Union européenne
Leur rôle est très original puisque nous sommes ici dans un mécanisme
d'élaboration normative qui ne relève plus vraiment ni de
l'international ni du national.
- · les groupes d'amitié
L'évolution de leur rôle épouse celle des relations interparlementaires
et témoigne de toutes les innovations qu'a connues ce domaine. Il ne
s'agit pas d'offrir de façon très volontariste aux parlementaires de
deux pays des occasions de se rencontrer pour tout simplement se
connaître, mais -c'est du moins notre conception au Sénat- de faire de
chaque groupe le vecteur privilégié des relations de toute nature avec
un pays déterminé. Les idées de base sont en quelque sorte celles d'une
décentralisation ou démultiplication de l'action internationale et
celles d'une spécialisation de chaque acteur.
- · les services des relations internationales
Parmi les structures administratives qui aident à la gestion et à la
bonne marche de toutes ces structures politiques, les services des
relations internationales ont un rôle tout à fait spécifique à jouer
dans le domaine de la coopération technique interparlementaire. En fait,
il s'agit d'ingénierie démocratique et même, pour être précis,
d'ingénierie parlementaire qui doit être conduite par des praticiens de
l'organisation et du fonctionnement parlementaires.
Cette rapide énumération permet de mesurer à quel point l'international
est déjà sérieusement entré dans les préoccupations et le fonctionnement
des assemblées françaises.
B. - Le Sénat et sa spécificité
constitutionnelle
Vous me permettrez sans doute de compléter ce constat
par deux observations concernant plus particulièrement le Sénat, et qui
tiennent à sa spécificité constitutionnelle.
La première est que le Sénat de la République française a pour mission
supplémentaire de représenter les Français établis hors de France. Douze
sénateurs sont élus à cet effet et siègent en son sein. Il y a alors une
sensibilité particulière pour tout ce qui concerne nos compatriotes
expatriés et le contexte dans lequel ils vivent et agissent.
La seconde observation est que le Sénat a pour mission constitutionnelle
de représenter les collectivités territoriales et que le mouvement de
décentralisation, qui touche pratiquement tous les États du monde, les
amène à se rapprocher du Sénat pour examiner les agencements
institutionnels que cela entraîne. C'est ainsi que nous avons organisé
l'an dernier le premier Forum des Sénats du Monde, que nous avons
participé en février dernier au premier Forum des Sénats africains et du
Monde arabe organisé à Nouakchott par le Président du Sénat de
Mauritanie, et que j'ai pris l'initiative de la création de
l'Association des Sénats d'Europe qui tiendra sa première session, le
6 juin prochain, précisément sur le thème de la représentation des
collectivités territoriales. En Europe, de nombreux départements et
régions sont jumelés avec d'autres régions des pays d'Europe, à
l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne.
Il est temps de coordonner tout cela. Il n'est évidemment pas question
de dresser ici le bilan de toutes ces initiatives, mais je crois utile
d'en mentionner deux enseignements, qui sont deux pistes de recherche.
Le premier est que le bicamérisme est perçu comme une technique
d'intégration sociale et politique, d'appropriation du modèle
démocratique et de garantie du respect du principe de séparation des
pouvoirs, et c'est pour cela qu'il est en pleine expansion dans le monde
contemporain.
Le second est que le système français des collectivités locales et leur
mode de représentation est compris comme un rempart contre les
développements et les risques du communautarisme. C'est bien là une
question d'une importance vitale pour de très nombreux États, tant
d'ailleurs des États en construction qui doivent dépasser cette
problématique, que des États déjà très développés, mais confrontés aux
menaces de destruction que font peser les revendications
communautaristes. Voilà en tout cas une illustration très concrète de
notre action internationale, fondée sur notre spécificité
institutionnelle et qui est, je crois, un complément heureux à l'action
diplomatique du Gouvernement.
C. - L'expérience des parlements étrangers
Qu'en est-il à l'étranger et quels enseignements
peut-on tirer des expériences des autres parlements ? Sans entrer là
encore dans le détail, je crois que quatre observations présentent pour
nous un intérêt particulier.
La première est que la notion de diplomatie parlementaire reste assez
floue, sauf exception. On constate certes une présence marquée dans
certains domaines, mais pratiquement nulle part l'utilisation combinée
des différents vecteurs dont dispose le parlement français. Le Sénat
américain, par exemple, dispose de pouvoirs importants dans le domaine
du contrôle de l'action diplomatique du Président, mais pour le reste,
il est absent, et les parlementaires américains, nous le savons, ne se
déplacent pratiquement pas à l'étranger, ce qui est sans aucun doute un
tort.
Deuxième observation : dans le secteur devenu hyper concurrentiel de la
coopération juridique et plus spécifiquement encore de la coopération
technique parlementaire, les pays étrangers sont capables de mobiliser
des ressources considérables, très supérieures à celles que nos
assemblées peuvent mobiliser. Soyons lucides : aucune comparaison n'est
possible ici entre ce dont disposent les assemblées françaises et ce que
les autres pays affectent aux programmes d'appui technique à des
parlements étrangers.
Néanmoins -troisième observation- on constate dans ces pays une
départementalisation de la coopération parlementaire. Celle-ci est en
effet généralement confiée, soit aux organismes gouvernementaux chargés
de la coopération, soit à des fondations politiques partisanes ou dans
la mouvance universitaire. Ceci pose évidemment une question de fond
puisqu'en réalité ce ne sont pas les assemblées qui interviennent, mais
dans la quasi-totalité des cas, des enseignants, des consultants ou des
fonctionnaires de l'État. Sans doute faut-il voir dans cette
départementalisation de la coopération parlementaire, en même temps que
le symbole implicite d'une certaine banalisation des parlements, l'une
des raisons pour lesquelles les assemblées françaises sont autant
sollicitées. D'une part, les parlements demandeurs préfèrent coopérer
avec des parlementaires ou des fonctionnaires parlementaires, parce
qu'ils se sentent mieux écoutés et parce qu'un parlement exprime une
réalité politique et psychologique particulière. D'autre part, la vie et
les procédures parlementaires, l'organisation et le fonctionnement des
parlements sont des domaines très spécifiques qu'il est difficile de
bien comprendre et connaître de l'extérieur. Bref, je crois que le
parlement français bénéficie dans ce secteur d'un bonus de
compétitivité, et nous devons évidemment nous en réjouir.
Enfin, et ce sera ma quatrième observation, il me semble que beaucoup de
parlements étrangers accordent à leur participation aux organisations
internationales, qu'il s'agisse d'organisations interparlementaires ou
non, une importance plus grande que les assemblées françaises. Je crois
qu'il y a là un phénomène auquel nous devons réfléchir : nous constatons
en effet une tendance assez forte à la multiplication des rencontres
parlementaires sur des sujets précis. Or c'est dans ces instances que
les parlementaires français peuvent exposer les positions de la France.
Il ne sert à rien de se lamenter si l'on ne participe pas...
Il y aurait beaucoup de choses à dire encore sur la diplomatie
parlementaire ; sur le foisonnement des structures parlementaires
internationales et leur étonnante absence auprès des institutions
financières internationales ; sur le nombre impressionnant des ONG et
l'incertitude qui pèse sur leur légitimité ; sur le rôle des parlements
dans la résolution ou la prévention des conflits, etc.
Je ne traiterai pas de tous ces sujets qui feront l'objet des trois
tables rondes de ce colloque. En guise de conclusion, je crois utile de
formuler une ultime observation : si nos assemblées sont d'une certaine
façon en pointe dans ce domaine de la diplomatie parlementaire, nous
devons nous garder de deux tentations : la première est celle de
l'éparpillement, de l'activisme ; et la seconde est celle de la
centralisation et de la banalisation. C'est entre ces deux écueils que
nous devons rationaliser nos activités autour de notions d'autonomie et
de coordination, de façon à en préserver la souplesse et l'efficacité.
Bref, après nous être adaptés avec, je crois, un certain succès à ce
nouvel environnement international, nous devons tirer les conséquences
internes et j'ai toute confiance, dans ce domaine en notre pleine
réussite.
TABLE RONDE : LA
DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE :
UN CONCEPT
ÉMERGENT
I. -
L'affirmation du parlement sur la scène internationale
Cette table
ronde a été co-présidée par M. François LONCLE, président de la
commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, et M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées du Sénat
Y ont participé :
MM.
Jean-Bernard RAIMOND et Michel VAUZELLE, députés
M. Jacques
VALADE, sénateur
·
Intervention de M. François LONCLE, président de la commission des
affaires étrangères de l'Assemblée nationale
Messieurs les
Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues,
mes chers amis, « diplomatie parlementaire », il paraît que cette
expression agace quelque peu certains diplomates. Je suis certain que ce
colloque et les deux exposés remarquables que nous venons d'entendre
sont un signe et lèveront ce que je crois être un malentendu.
Notre Assemblée
nationale est par maints aspects, une assemblée internationale. D'abord
parce qu'elle s'occupe activement des questions de politique étrangère
sur le plan législatif. Savez-vous par exemple qu'une loi sur deux
présentées au parlement concerne l'autorisation de ratification d'une
convention internationale ? Ensuite parce qu'elle revendique un rôle
accru en matière diplomatique, sans pour autant contester nullement la
prééminence du pouvoir exécutif dans la définition et la mise en oeuvre
de la politique extérieure de la France. Depuis la fin de la guerre
froide et encore plus depuis 1997, l'Assemblée nationale a multiplié les
initiatives en matière internationale, dans un souci d'ouverture au
monde, de transparence démocratique, de participation des représentants
du peuple aux affaires qui, pour être étrangères n'en intéressent pas
moins tous les Français. D'autant que le parlement est le lieu
privilégié où s'élaborent les principaux choix politiques. C'est ainsi
que, pour reprendre le titre de cette séance, le parlement s'est affirmé
sur la scène internationale.
1. - Le rôle de la commission
des affaires étrangères
Pour ma part je
soulignerai ici surtout le rôle spécifique de la commission des affaires
étrangères avant de formuler quelques propositions destinées à
contribuer à renforcer l'action diplomatique de la France.
La commission des
affaires étrangères exerce une triple mission institutionnelle :
s'informer sur la diplomatie mise en oeuvre par un Gouvernement
responsable devant le parlement, contrôler l'exécution de cette
politique, examiner et voter les textes internationaux qui lui sont
soumis par l'exécutif.
L'information
s'opère de différentes manières : par des questions écrites et orales,
par des auditions des ministres compétents, mais aussi par celles
d'ambassadeurs, d'experts, de responsables d'organisations
internationales, de personnalités politiques étrangères : autrement dit,
l'éventail est particulièrement large et diversifié. Mentionnons, depuis
un an, des personnalités aussi éminentes que les Présidents Wade,
Clerides, Mesic, Estrada, les ministres Fischer, Cook, Bartoszewski, la
plupart des Commissaires européens, Jacques Delors, Michel Rocard, etc.
Par ailleurs, le président de la commission reçoit quotidiennement une
copieuse sélection de télégrammes diplomatiques : environ 400-500 par
jour ! En outre, la commission publie chaque année des rapports
d'information sur divers sujets internationaux et ses membres
entreprennent des déplacements à l'étranger. Elle a également la
possibilité de désigner des commissions d'enquête ou des missions
d'information. Il faut bien reconnaître que les premières sont
relativement rares. Les missions d'information se sont en revanche
multipliées depuis quelques années, au point de devenir une pratique
privilégiée. Je me contenterai de mentionner, en 1998, la mission
d'information sur le génocide rwandais et celle qui est en cours sur les
événements tragiques de Srebrenica.
2. - Le parlement et la PESC
Le parlement
dispose également, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, d'un
pouvoir particulier de résolution dans le domaine de la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC). Il s'agit d'une nouveauté qui
n'a pas encore été utilisée, mais qui s'avère importante, dans la mesure
où c'est le seul cadre dans lequel le parlement peut voter une
résolution sur un problème international. Elle est d'autant plus
importante qu'il n'y a jamais eu à ma connaissance de lois autorisant la
ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord qui soit issue
d'une « proposition » de loi déposée par un parlementaire. Toutes les
lois de ratification émanent en effet de l'exécutif, même si une
proposition de loi autorisant la ratification du traité créant la Cour
pénale internationale a été jugée recevable par le Président de
l'Assemblée nationale.
3. - Le vote des projets de
textes internationaux
Lors de l'examen
et du vote de projets de textes internationaux, le parlement a une
compétence législative somme toute réduite, puisqu'il lui est interdit
d'amender un traité (ce qui est naturel). Il peut soit l'adopter, soit
le rejeter, soit l'ajourner, étant entendu que le report plus ou moins
long peut être interprété comme une manifestation politique, comme c'est
le cas de l'Accord d'association entre l'Union européenne et Israël ou
plus récemment la convention d'extradition avec les États-Unis.
Néanmoins, les délais sont parfois, voire trop souvent, occasionnés par
les lourdeurs des procédures gouvernementales et parlementaires, au
point que la France fait figure de l'un des pays qui ratifient le plus
lentement. Cependant cette compétence législative n'est pas négligeable,
puisque les parlementaires peuvent suggérer au Gouvernement d'ajouter un
ou des amendements à certains projets de loi. Je pense notamment à
l'article additionnel au Traité d'Amsterdam, certes officiellement
déposé par le Gouvernement, mais en réalité initié par la commission des
affaires étrangères, à l'initiative de Jack Lang, du Président Giscard
d'Estaing et de moi-même. Toutefois, au-delà des compétences
constitutionnelles, les parlementaires français, soit individuellement
soit collectivement, tendent à exercer une action diplomatique qui ne
vise pas évidemment à concurrencer celle de l'exécutif, mais plutôt à la
soutenir, à l'orienter, à l'aiguillonner. Ce développement est
particulièrement perceptible dans les affaires européennes. Alain Barrau
y reviendra certainement.
A mon sens, il
est nécessaire d'associer de plus en plus parlementaires et diplomates.
Au demeurant, parlementer n'est ce pas le fondement de la diplomatie ?
4. - Des ambiguïtés à lever
Dans cette
optique, il convient de lever certaines ambiguïtés législatives. Mon
collègue Paul Quilès, président de la commission de la défense, a
proposé que le parlement soit informé, consulté sur l'engagement des
forces françaises et, éventuellement, de l'autoriser. Certes,
l'article 35 de la Constitution stipule que « la déclaration de
guerre est autorisée par le parlement », mais c'est une disposition
obsolète puisque les opérations militaires ne sont plus précédées de
déclarations de guerre. Il faut donc remédier à cette incohérence. Pour
ma part, je considère comme normal et légitime que la représentation
nationale soit au moins tenue informée de l'emploi de nos soldats en
dehors du territoire français et qu'elle ait l'occasion de se prononcer
sur ce sujet important. C'est d'ailleurs ce qu'avait estimé le Président
François Mitterrand au moment de la guerre du Golfe. En revanche, le
parlement n'a pas été formellement consulté sur l'engagement militaire
français au Kosovo, même s'il a été au préalable largement informé du
déroulement et de l'échec des négociations de Rambouillet.
Je pense comme
Paul Quilès qu'il est nécessaire de prévoir un mécanisme nouveau
permettant d'associer le parlement aux décisions en matière de défense.
De même, il faudrait dorénavant que les accords de coopération
militaire, les traités de défense et les accords de sécurité conclu par
la France avec d'autres pays, dont la Constitution n'impose pas qu'ils
soient présentés au parlement pour ratification, soient désormais
systématiquement soumis au contrôle démocratique des assemblées.
La situation est
plus satisfaisante au niveau européen, puisqu'il existe un dispositif
qui associe le parlement à l'élaboration des décisions européennes. Les
échanges entre les parlements des Quinze sont nombreux. Par exemple, les
présidents des commissions des affaires étrangères des pays membres de
l'Union se réunissent deux fois par an. D'autres rencontres bilatérales
ou multilatérales ont lieu ici et là. C'est bien, mais plus pourrait
être fait encore. Personnellement, je crois qu'il serait utile que les
présidents de commission des affaires étrangères de l'Assemblée
nationale et du Sénat participent, en tout ou partie, aux sommets
institutionnalisés que la France tient avec ses principaux partenaires,
l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne. De la même
manière, ils devraient avoir la possibilité d'assister aux réunions du
Conseil européen, tout au moins quand celles-ci se déroulent dans leur
propre pays. Il conviendrait enfin de s'inspirer de l'exemple de la
convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne qui a été un éclatant succès parce qu'elle a
rassemblé des représentants des gouvernements, de la Commission
européenne et des parlements nationaux et du parlement européen. Cette
expérience prometteuse doit servir de modèle pour de futures
discussions. S'agissant du parlement européen, comment ne pas souligner
le rôle particulier qu'il joue en matière diplomatique et dont ce
colloque pourrait utilement examiner l'évolution.
Ces quelques
propositions ne me semblent pas excessives. En tout cas, elles
n'empiètent pas du tout sur les prérogatives de l'exécutif. Elles ont au
contraire pour objectif de renforcer les liens entre d'une part, le
Gouvernement, et d'autre part, les élus et les citoyens. En somme, de
faire vivre notre démocratie. En paraphrasant Paul Valéry, je dirais que
la diplomatie doit cesser de donner l'impression d'être « l'art
d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ».
·
Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat
Messieurs les
Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs, comment affirmer le rôle du parlement sur la
scène internationale ?
J'aborderai le
sujet sur la base de trois observations :
· l'application de la fonction législative du parlement au domaine
diplomatique et ses limites ;
· les initiatives que notre parlement a su prendre pour aller
au-delà de cette seule fonction législative et jeter les bases d'une
diplomatie parlementaire innovante ;
· les forces concurrentes qui apparaissent aujourd'hui sur la scène
internationale et qui mettent le parlement au défi de préserver et de
renforcer son rôle.
1. -
L'application de la fonction législative du parlement au domaine
diplomatique et ses limites
Notre
Constitution comme notre pratique institutionnelle font de l'action
diplomatique un domaine privilégié de l'Exécutif. En amont des
initiatives de politique étrangère où des négociations de traités et de
conventions, le parlement n'intervient pas réellement. Il constitue
cependant l'étape indispensable et solennelle par laquelle notre action
diplomatique peut se traduire dans les faits. L'article 53 de la
Constitution lui confère cette fonction essentielle qui est d'adopter ou
non les projets de lois qui tendent à autoriser la ratification ou
l'approbation de traités internationaux. Soyons réalistes, les quelque
50 projets de loi annuels qui nous sont soumis sont loin de revêtir la
même importance, mais au-delà de ce recensement trompeur, le parlement
se trouve invité à intervenir sur les points essentiels de choix
réellement politiques. La Cour pénale internationale, le protocole de
Kyoto, les traités européens, pour ne citer que ces sujets-là, ont été
ou seront l'occasion de véritables débats parlementaires avec à la clé
la décision grave d'accepter et d'engager notre pays. Cette fonction
législative incontournable apparaît cependant quelque peu formelle.
L'observateur attentif relèvera tout d'abord que les rejets de tels
projets de loi sont quasi inexistants, semblant ainsi confirmer l'esprit
consensuel qui prévaut en la matière. Il relèvera surtout que si
légiférer consiste à modifier un projet de loi pour l'enrichir et le
compléter, le parlement se trouve en l'occurrence confronté à une limite
constitutionnelle stricte qui lui interdit d'amender non seulement les
traités, ce qui va de soi, mais aussi les projets eux-mêmes. Le projet
autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam est un cas particulier
et non un précédent qui serait une entorse à cette règle d'airain.
2. - Les initiatives que
notre parlement a su prendre pour aller au-delà de cette seule fonction
législative et jeter les bases d'une diplomatie parlementaire innovante
Le parlement met
donc à profit, pour dépasser l'aspect plutôt formel de sa fonction
législative, d'autres méthodes d'expertise et d'action. Un premier mode
d'action relève de l'information et du contrôle. En effet, l'affirmation
du parlement sur la scène internationale suppose, en préalable, son
information complète et sincère sur les événements qui s'y déroulent.
Les auditions régulières du Ministre des affaires étrangères par les
deux commissions permanentes sont au coeur de ce processus
d'information, comme les nombreuses questions orales ou écrites. Dans un
autre contexte, l'association des parlementaires par le ministère des
affaires étrangères à la délégation française à l'Assemblée générale de
l'ONU participe du même souci d'information. Si ces instruments
fonctionnent dans de bonnes conditions, je voudrais formuler une
observation complémentaire. Il me semble qu'un progrès significatif
reste à accomplir pour mieux associer le parlement aux décisions
d'engagement de nos forces dans les principales opérations extérieures.
Je rejoins tout à fait François Loncle sur ce qu'il a dit. Le
Gouvernement dispose de la faculté de provoquer un vote des deux
assemblées après débat sur une décision d'engagement militaire hors du
territoire national. Il en a d'ailleurs fait usage en janvier 1991 lors
de la guerre du Golfe. Depuis cependant, aussi bien pour la Bosnie que
pour le Kosovo, cette procédure n'a pas été utilisée et je le regrette.
Il y aurait, à mon sens, une réelle logique institutionnelle et
politique à adapter la pratique en rééquilibrant d'une manière ou d'une
autre les rôles respectifs du Gouvernement et du parlement en la
matière. Cela étant, cet exercice d'information et de contrôle pour
essentiel qu'il soit en ce qu'il traduit la nécessaire transparence de
l'Exécutif à l'égard du parlement reste limité au cadre franco-français.
Il laisse la question d'une capacité d'expression internationale propre
au parlement. Nous disposons d'une palette d'instruments. Tout d'abord,
les déplacements à l'étranger des présidents de chacune de nos
assemblées, ceux de délégations parlementaires, ceux de nos groupes
parlementaires d'amitié ont comme mérite commun d'assurer, auprès des
responsables du pays visité, la continuité du message diplomatique. Elle
y associe cette légitimité supplémentaire que suppose l'implication
d'élus du suffrage universel. Il en résulte en quelque sorte un
multiplicateur d'influence. Le parlement a également développé ces
dernières années, notamment le Sénat, de nouveaux moyens d'action : un
service des relations internationales a été créé en charge d'un
ambitieux programme de coopération interparlementaire. Encore un mot sur
la capacité d'initiative du parlement : l'insertion de l'article 88-4
dans notre Constitution, en permettant au parlement de se prononcer par
des résolutions sur des questions de politique extérieure et de sécurité
commune, constitue une opportunité réelle que nos deux assemblées
devront mettre à profit à mesure que cette PESC s'affirmera sur la scène
internationale. En dehors de ce cadre européen, nous ne disposons pas de
la faculté de voter des résolutions ou des motions et je le regrette car
à mon sens il faut conduire une réflexion sur les moyens donnés au
parlement d'une réelle capacité autonome d'expression dans le domaine
international.
3. - Les forces concurrentes
qui apparaissent aujourd'hui sur la scène internationale et qui mettent
le parlement au défi de préserver et de renforcer son rôle
Je ne saurais
conclure ce propos sans évoquer brièvement, car le thème est vaste, le
défi que constitue la mondialisation. Chacun sait en premier lieu la
part prééminente que prennent aujourd'hui les normes internationales
dans la vie quotidienne du citoyen du monde. Normes dont l'élaboration
relève de moins en moins des institutions nationales. Le risque se
profile d'un dépérissement progressif du rôle des États, et donc des
parlements, alors même que c'est prioritairement en leur sein que
doivent continuer de s'élaborer les choix politiques fondamentaux. En
second lieu, nous constatons le rôle de plus en plus actif de ce qu'il
est convenu d'appeler la société civile internationale ou les ONG. Ces
nouveaux acteurs jouent un rôle considérable, souvent supérieur à ceux
des parlements dans l'élaboration de ces normes. Je pense par exemple à
la négociation de la convention instituant la Cour pénale internationale
ou à celle du protocole de Kyoto. Sans dénier aux ONG la respectabilité
que leur expérience et leur efficacité peuvent justifier, certaines
questions doivent être posées. Qu'en est-il, par exemple, lorsqu'elles
interviennent dans l'élaboration des normes, de leur légitimité
représentative et du contrôle démocratique auquel elles sont soumises ?
L'affirmation de
nos assemblées sur la scène internationale dépend avant tout, me
semble-t-il, de nous-mêmes, de notre propre volonté de concevoir et de
délivrer en coopération réciproque avec l'Exécutif, un message
parlementaire sur les événements internationaux particulièrement
importants que nous vivons. Je pense au Moyen-Orient. Cette démarche me
semble d'autant plus pertinente à un moment où, dans notre monde
globalisé, la nécessité se fait de plus en plus sentir d'une
architecture internationale de régulation qui, en procédant des États ou
des groupes d'États, devra donner une place prééminente aux parlements.
·
Intervention de M. Jean-Bernard RAIMOND, député, ancien ministre des
affaires étrangères
Messieurs les
Présidents, Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, Mesdames et
Messieurs, j'ai remarqué avec plaisir que de nombreux Ambassadeurs à
Paris étaient présents. Je suis le premier des témoins à prendre la
parole. Je devrais être un bon témoin, puisque j'ai passé 35 ans au Quai
d'Orsay et que je suis député depuis plus de huit ans. Étant donné que
les orateurs précédents ont très bien traité les questions de fond et
les grands sujets, je risque de présenter des remarques un peu trop
concrètes.
1. - Le concept de diplomatie
parlementaire
La première
remarque à propos de la diplomatie parlementaire c'est que j'apprécie
beaucoup le sous-titre qui a été donné à cette table ronde « concept
émergent ». Je voudrais traiter les deux termes, à la fois le concept et
pourquoi il est émergent.
Qu'est ce que la
diplomatie ? C'est un mot que j'ai rarement employé car j'ai remarqué
que lorsque l'on dit « il faut être diplomate », cette formule a des
connotations positives mais également négatives. Comme l'ont dit nos
deux Présidents, l'action diplomatique est par définition une action
régalienne : elle dépend fondamentalement de l'État. Plus couramment,
lorsque l'on parle de diplomatie, on pense « négociation ». Le mot
« diplomatie » et l'idée de négociation ne me suffit pas car tout le
monde négocie. Je préfère deux termes : « affaires étrangères » ou
« relations extérieures », car au fond qu'est ce qu'un diplomate ? C'est
un agent de l'État qui a comme caractéristique de travailler avec
l'étranger sur l'étranger. Il a, à mon avis, deux grandes missions
fondamentales. Premièrement, le diplomate en administration centrale ou
en poste a pour mission d'informer et d'analyser la situation des pays
étrangers, notamment du pays où il est accrédité. Cette analyse porte
d'ailleurs à la fois sur le politique, l'économique, le social. Il
suffit de penser à notre Ambassade à Moscou en ce moment : sa fonction
fondamentale est d'interpréter tout ce que fait et tout ce que veut
faire M. Poutine. Il se trouve finalement que la source d'information
principale du Gouvernement ou du Président de la République, ce sont les
Ambassades, la fameuse collection des télégrammes, les rapports
quotidiens de toutes les Ambassades qui arrivent sur les bureaux des
décideurs en France. Je voudrais parler d'une autre profession qui n'a
pas été citée jusqu'à présent, celle des journalistes. On dit souvent :
« à quoi bon les Ambassades puisque les journalistes informent plus
vite ». Je crois que les journalistes ne sont pas des concurrents. Ils
sont pour les ambassadeurs, des partenaires. Il faut donc souligner ce
partenariat que nous retrouverons tout à l'heure de manière différente
pour les parlementaires. Deuxièmement, le diplomate a pour mission de
représenter la France et le Gouvernement à l'étranger. Enfin, sa
troisième mission, que j'ai écartée tout à l'heure, est la négociation.
En effet, dans la vie quotidienne du diplomate, la négociation est une
mission ponctuelle qu'il fait en général sous l'étroite instruction du
Gouvernement.
En ce qui
concerne la première mission « diplomatique », il me semble que les
parlementaires peuvent jouer un grand rôle et ils le font de plus en
plus, par leurs déplacements, les missions, les commissions d'enquête,
tout cela a été cité par les orateurs précédents. De ce point de vue,
ils complètent le travail et enrichissent celui des ambassades. En outre
par ces missions et ces déplacements, ces parlementaires représentent
aussi la France vis-à-vis de l'étranger. A titre de mission de
diplomatie parlementaire, je citerai un souvenir personnel. Au début de
l'année 1996, le président de la commission des affaires étrangères, M.
Giscard d'Estaing, avait décidé d'envoyer auprès de Saddam Hussein trois
députés dont j'étais. Il l'a décidé avec l'accord écrit du Gouvernement.
Nous sommes donc allés voir Saddam Hussein et en sortant de l'audience,
nous avons pu confirmer ou infirmer qu'il accepterait la résolution
« Pétrole contre nourriture ». Nous avions pris position, à l'époque,
pour la levée des sanctions et l'arrêt des survols. C'était une
diplomatie parlementaire bien ajustée car nous avons pu faire un
télégramme avec le chargé d'affaires. J'ai retrouvé, à ce moment, un
plaisir d'ancien diplomate, en tant que parlementaire. Je citerai
également la mission que M. Forni a envoyée en Palestine et en Israël au
moment où éclatait la violence. Nous avions alors pu rapporter des avis
de nos homologues à la Knesset et du Conseil législatif palestinien
expliquant que malgré cette violence, les deux parties souhaitaient la
reprise des négociations.
2. - L'émergence de la
diplomatie parlementaire
Alors en quoi ce
concept est-il émergent ? Pendant longtemps, le rôle des parlementaires
à l'international a été marginal, mais il y avait une raison
fondamentale. Si l'on excepte l'Europe occidentale, très peu de
parlements étaient issus d'élections libres. Lorsque j'étais Ambassadeur
au Maroc (fin 1973 - fin 1977), ce n'est qu'à la fin de l'année 1977
qu'il y a eu pour la première fois un parlement élu démocratiquement au
Maroc. Ce fut un tel événement que l'inauguration se fit sous la
présidence d'honneur du Président Edgar Faure. Ensuite, lorsque j'étais
à Varsovie, sous la présidence de Jaruzelski, il y avait une Diète, mais
les contacts avec ses membres étaient impossibles. D'ailleurs, pendant
cette période, seulement deux parlementaires sont venus en Pologne :
Pierre Joxe (à l'époque président du groupe socialiste à l'Assemblée) et
Alain Peyrefitte. En 1985-1987 lorsque j'étais à Moscou, Gorbatchev
arrivait au pouvoir et le parlement était le Soviet Suprême : il n'y
avait donc pas de contact non plus. Une délégation parlementaire est
cependant venue à une période non dénuée d'intérêt sur le plan
intérieur, lors de la lutte anti-alcoolique de Gorbatchev. Les
parlementaires de la délégation sont allés en Géorgie où ils ont
eux-mêmes acheté leur vin. Lorsqu'ils revinrent et qu'ils furent reçus
par le Soviet des nationalités, ils virent arriver des coupes remplies
d'un liquide rouge : c'était du jus de raisin. Bref, tout cela pour dire
qu'il n'y avait pas de parlement.
C'est
l'effondrement du système soviétique en 1989 qui a entraîné et accentué
le rôle des parlements. Il a provoqué la libération de toute l'Europe
centrale et orientale et l'émergence de parlements issus d'élections
libres. La Grande Commission franco-soviétique, du temps de la guerre
froide, était une commission de coopération présidée par le ministre du
Commerce extérieur, avec essentiellement des techniciens. Aujourd'hui,
cette commission est la réunion annuelle des présidents de la Douma et
de l'Assemblée nationale. Tout cela montre bien qu'il y a eu un
renversement de la situation. Autre exemple cher aux parlementaires
membres de la commission des affaires étrangères, le Triangle de Weimar
où, indépendamment des rencontres de l'Exécutif, les commissions des
affaires étrangères de la France, de l'Allemagne et de la Pologne se
réunissent régulièrement.
L'élargissement
de l'Union européenne a lui aussi transformé la diplomatie
parlementaire. Nous avons un contact entre l'Assemblée nationale et les
assemblées de ces pays. M. Forni évoquait tout à l'heure ses visites
dans les trois pays susceptibles de rentrer le plus rapidement dans
l'Union européenne. Des rapports quasi-familiaux entre parlementaires se
développent et se développeront comme ceux entre les ministres des
affaires étrangères des 6, des 9, des 12, puis des 15. Les
parlementaires français seront amenés à rencontrer souvent leurs
homologues européens pour s'informer sur les opinions publiques des pays
et pour informer sur l'opinion publique française par rapport à
l'élargissement. J'ajouterais même que pour la première fois, dans ce
cadre européen, les parlementaires interviennent dans la négociation, au
coeur de la diplomatie.
Je voudrais
terminer sur les droits et devoirs des parlementaires. Pour ce qui est
de l'information, une mission parlementaire doit avoir, à son arrivée
dans un pays étranger, une réunion de travail avec l'Ambassadeur. Cela
permet de compléter oralement le dossier écrit du Quai d'Orsay,
d'ajouter des indications très précieuses pour permettre aux
parlementaires de nourrir leur conversation avec leurs interlocuteurs
parlementaires. Cela assure une cohérence aux conversations. Pour ce qui
est de la représentation de la France, le parlementaire doit respecter
un devoir de réserve.
En conclusion, la
diplomatie parlementaire doit reposer sur la confiance réciproque des
diplomates, des députés et des sénateurs. Sur ce point, les députés et
les sénateurs doivent mettre de côté leur mission de contrôle lorsqu'ils
sont à l'étranger. Le contrôle intervient lors de la discussion du
budget. S'il doit y avoir contrôle des Ambassadeurs, l'Inspection des
postes diplomatiques et le Ministre y veillent. Il appartient donc aux
parlementaires de créer la confiance et aux diplomates d'être très
disponibles et d'assurer les contacts.
M. Christian
PONCELET
Merci M. le
ministre pour votre prestation que nous avons tous appréciée. Vous avez
cité Weimar, vous me permettrez d'y faire référence pour défendre le
bicamérisme. Weimar était une République où le parlement n'avait qu'une
seule assemblée, vous connaissez la suite, je n'insiste pas. En ce qui
concerne le contrôle, je n'émettrais qu'une seule réserve : le parlement
peut exercer sa fonction de contrôle même auprès de la représentation
française à l'étranger.
·
Intervention de M. Jacques VALADE, vice-président du Sénat
Messieurs les
Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues,
mes chers amis, Jean-Bernard Raimond disait tout à l'heure qu'il était
le premier à témoigner. Je suis le deuxième à le faire. Il déplorait que
déjà des exposés fondamentaux aient été développés. C'est la même
situation dans laquelle je me trouve. Je plains mes successeurs qui
auront à faire preuve d'originalité. Le souci de témoignage qui a été
celui des Présidents Forni et Poncelet me fait m'exprimer devant vous
essentiellement en tant que participant et animateur d'un certain nombre
de groupes d'amitié sénatoriaux. Les interventions passionnées de nos
deux présidents ont donné le ton : attitude volontariste, voire
offensive avec une diplomatie parlementaire qui pourrait être un
« concept émergent ». Je crois, sans faire preuve d'un optimisme
excessif, que ce concept est largement émergé. En effet, l'affirmation
de la présence du parlement français sur la scène internationale, cette
ouverture à l'international, se développe largement à l'initiative de
nos deux présidents d'assemblée. Elle a également été souhaitée par
l'Exécutif au niveau de la Présidence de la République puisque, comme
l'a évoqué le Président Poncelet, il n'y a pas de voyage du Président de
la République et du Premier ministre où il n'y ait pas une bonne
association de parlementaires.
La mondialisation
se traduit par une volonté exprimée par le parlement français d'être
présent sur la scène internationale. Cela doit se faire en parfaite
complémentarité avec la politique nationale. En période de cohabitation,
le problème se pose, mais actuellement, il est entièrement résolu. Il
est bien clair qu'il ne nous appartient pas à nous parlementaires de
venir troubler le jeu. Nous devons parler d'une seule voix et il y a une
difficulté lors des missions à l'extérieur compte tenu de la pluralité
des représentations politiques, au sens français du terme, des
différents membres de ces missions : chacun des parlementaires doit
veiller à ne pas déroger à cette règle d'unanimité nationale. En ce qui
me concerne, l'expérience m'a montré qu'il n'y avait pas de dérogation à
cet égard.
Comment au Sénat
les choses sont-elles mises en oeuvre ? Je voudrais revenir sur quatre
points.
1. - Le Président du Sénat
Premièrement, le
Président du Sénat, ses collaborateurs et ses services organisent les
relations internationales à leur niveau, que ce soit en ce qui concerne
l'accueil et la représentativité. Il y a peu de personnalités
extérieures à la France qui passent sur le territoire national qui ne
soient pas reçues par le Président. Par ailleurs, à l'image du Président
de l'Assemblée nationale, depuis le début de son mandat, le Président
Poncelet s'est efforcé de rendre cette ouverture internationale la plus
efficace et la plus concrète possible. Il a entrepris de nombreux
voyages avec une association des parlementaires concernés par le pays
visité. Son souci a également été de prendre contact sur place avec les
nationaux et les représentants de la communauté française sur le
développement économique auquel nous sommes attachés. Les messages que
les Présidents d'assemblée peuvent délivrer sont soit des messages
cohérents avec la politique nationale, soit des messages spécifiques
dont ils sont chargés à l'occasion de tel ou tel déplacement.
L'organisation du Forum des Sénats du monde avec ses conséquences a un
peu étonné les sénateurs dans leur ensemble et pour nous tous qui avons
participé à cette séance, nous avons été surpris, intéressés et
enthousiasmés par la présence de nos collègues des Sénats du monde qui
ont répondus à l'invitation du Président Poncelet. Cette séance a permis
une rencontre et des échanges qui sont actuellement prolongés dans les
différentes organisations que le Président Poncelet a évoquées.
2. - La commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées
Deuxièmement, la
commission des affaires étrangères et de la défense, présidée par
M. Xavier de Villepin, a un rôle institutionnel, mais également un
pouvoir de proposition et d'initiative. J'ai trouvé dans le propos de
François Loncle des dispositions identiques à celles dans lesquelles le
président de Villepin se trouve. Les travaux de la commission sont
fondamentaux, mais la personnalité des Présidents est également
stratégique. Xavier de Villepin n'a de cesse de sillonner le monde pour
essayer de porter le message qui est celui du Sénat et celui de la
France.
Troisièmement,
les délégations parlementaires ont été évoquées, tout particulièrement
les délégations à l'Union européenne.
3. - Les groupes sénatoriaux
d'amitié
Enfin, en ce qui
concerne les groupes d'amitié parlementaires, la presse a longtemps
considéré ce type d'activité comme la possibilité pour tel ou tel
parlementaire d'aller effectuer un voyage annuel ou bisannuel. Depuis
quelques années il n'en est rien. Les groupes parlementaires d'amitié au
Sénat fonctionnent avec rigueur : le vice-président Jean Faure en
parlera cet après-midi. Ils sont des vecteurs de relations tout à fait
essentielles qui complètent les voyages que le Président Poncelet peut
faire à l'extérieur. Ils concourent à l'établissement d'une ambiance
favorable aux bonnes relations entre le Sénat et les parlements
étrangers et à une meilleure connaissance du mode de fonctionnement des
démocraties que nous avons l'occasion de rencontrer lors de ces voyages.
La culture parlementaire partagée passe certainement par des
organisations du type Forum des sénats du monde, mais également par un
échange au niveau des parlementaires en ce qui concerne les structures.
Le Sénat français est souvent sollicité pour fournir des informations et
pour permettre à chaque parlementaire d'échanger des expériences
réciproques. Elles sont l'occasion de rencontres avec les communautés
françaises à l'étranger, les communautés diplomatiques, gouvernementales
(rares sont les missions qui ne sont pas reçues au niveau du
Gouvernement), économiques, culturelles et au niveau de l'éducation.
Je ne citerai
qu'un seul exemple. A Taïwan, au cours d'une mission économique et
scientifique, nous avions été reçus par les trois quarts du Gouvernement
taïwanais à une époque où les relations étaient un peu difficiles pour
des raisons qui sont présentes à l'esprit de beaucoup de personnes ici,
mais également parce que les relations entre les entreprises françaises
et le communauté taïwanaise n'étaient pas des meilleures. J'ai le
sentiment que les conversations que nous avons eues ont permis
d'améliorer l'ambiance par rapport à celle qui pouvait préexister. Il
s'agit donc d'une multiplication d'influences et d'initiatives. Ceci
trouve un écho au titre de la coopération décentralisée. Raymond Forni a
évoqué les relations avec des régions, des départements, des grandes
villes, et il est clair que les parlementaires (députés ou sénateurs)
sont « territoriaux ». Par conséquent, chez eux, à partir de leur
région, circonscription ou département, les parlementaires ont des
actions de coopération décentralisée parce que la loi nous le permet et
parce que les Gouvernements successifs y sont favorables. Au travers de
ces groupes d'amitié, nous avons la possibilité de conforter ces actions
de coopération et de recueillir les résultats, les observations et les
critiques qui peuvent être formulées. Je crois qu'il y a là une
nécessité de complémentarité bien réalisée sur le terrain. Les messages
de solidarité et de partage au niveau des démocraties que nous pouvons
rencontrer sont pour nous parlementaires, des messages de convivialité
et de fraternité. Je pense que, dans le cadre de cette diplomatie
parlementaire, cet aspect humain de relations de base n'est pas
négligeable.
Encore une fois,
au moment où les concepts de mondialisation et d'internationalisation
sont banalisés, il serait paradoxal que les parlements et les
parlementaires en soient absents et n'y apportent pas leur contribution.
M. Christian
PONCELET
Merci Jacques
Valade, nous avons été sensibles à votre encouragement. Vous avez parlé
d'une mission de notre groupe d'amitié conduite en Thaïlande et qui
était ciblée sur des intérêts technique et scientifique. J'avais oublié
de mentionner que vous aviez été Ministre de la recherche et donc
particulièrement qualifié pour conduire cette mission. Je passe la
parole à M. Michel Vauzelle.
·
Intervention de M. Michel VAUZELLE, député, ancien garde des Sceaux
Je voudrais dire
combien il est difficile de parler en troisième position, puisque tout a
déjà été dit auparavant et de parfaite manière.
1. - Les parlementaires, la
démocratie et les affaires internationales
En tant que
parlementaires, nous sommes des militants et des soldats de la
démocratie puisque nous sommes les élus de la nation. Nous le voyons
bien dans les instances internationales et notamment à l'UIP où j'ai
l'honneur de présider la délégation française composée de sénateurs et
de députés.
Dans nos
institutions, il faut renforcer la démocratie parlementaire et il y a
beaucoup à faire pour renforcer le rôle du parlement dans la Vème République. Il faut également insérer le rôle des parlements nationaux
dans la construction européenne en démontrant aux parlementaires
européens que nous ne sommes pas un danger pour eux, mais au contraire
nous apporterons un renforcement de la démocratie européenne. Dans ce
cadre, il faut beaucoup encourager les parlementaires nationaux parce
que rien n'est plus mal vu par un électeur français moyen que les
missions parlementaires à l'étranger. Lorsque moi-même je me rends à
l'étranger, je supplie la presse pour qu'elle n'en dise rien. Ce courage
face à nos électeurs peut être soutenu par la volonté de nos présidents.
A ce titre, le Président Forni s'engage de manière très importante sur
la scène internationale : l'exemple donné par la présidence de nos
assemblées est autant d'encouragement. De même, les fonctionnaires de
l'Assemblé nationale apportent une compétence et un soutien
formidables : sans eux, nous ne pourrions pas jouer convenablement notre
rôle.
Il faut que nous
fassions entendre la voix des nations non seulement par nos
Gouvernements à l'ONU, mais également par les élus de la nation, les
élus du peuple qui représentent la majorité politique dans leur pays et
les oppositions. C'est là qu'il y a une nuance avec les Gouvernements.
Dans nos délégations, nous représentons la majorité mais également les
minorités et en ce moment, avec les ethnicismes en évolution, la
représentation des minorités est un élément important à mettre au crédit
du rôle international que doivent jouer les parlementaires.
Nous portons
également au quotidien une sensibilité aux problèmes vécus à la base, ce
qui n'est pas toujours le cas des Gouvernements, notamment lorsqu'ils
sont en place depuis longtemps. Les problèmes que l'on ressent au niveau
mondial (air, eau, sécurité, justice, droits de l'homme, droits
sociaux...), qui, mieux que les parlementaires, peuvent les défendre au
quotidien, eux qui traitent ces questions dans leurs circonscriptions de
manière immédiate. Les parlementaires sont également les défenseurs des
droits de l'homme dans les organisations internationales : petit à
petit, une éthique internationale s'établit au nom de laquelle il y aura
de moins en moins de soldats nommés dans les parlements et de plus en
plus de parlementaires élus au suffrage universel et dans des conditions
démocratiques.
En ce qui
concerne l'UIP, il est clair qu'à côté de l'ONU, il est bon qu'un
rassemblement mondial des parlementaires améliore le climat
international. De ce point de vue, l'impact de la politique menée par
nos pays sur le plan international a souvent un lien avec la politique
intérieure. La composition et les origines ethniques de l'État français
font que la France et notamment la région que je préside est extrêmement
sensible aux problèmes du Proche-Orient et aux relations que nous avons
avec le monde arabe et le monde maghrébin. Sur ce thème, la politique
internationale ne concerne pas seulement le Quai d'Orsay, mais également
nos concitoyens. Aussi quand il y a détente en Méditerranée, il y a
également détente en région PACA.
Pour ce qui est
des enceintes politiques et parlementaires internationales, on se
demande ce qui se passe en séance. Souvent, un ennui profond règne car
c'est la langue de bois qui s'exprime : les délégations présentes
somnolent tandis que les autres font du tourisme. De même à l'Assemblée
nationale, nos concitoyens se posent des questions à propos des bancs
vides. Il faut savoir que beaucoup de choses se passent dans les
commissions et dans les couloirs de l'Assemblée. C'est là que notre pays
retrouve son équilibre démocratique : après les invectives entendues
dans l'hémicycle, les discussions réconciliatrices ont lieu dans les
couloirs. Les mêmes contacts et discussions ont lieu dans les couloirs
des enceintes internationales visant à réduire les tensions et à
rechercher des solutions.
Dans sa démarche,
l'UIP met en exergue le rôle des parlements nationaux et au moment où
nous voyons les dangers de la mondialisation, il est clair que les
identités culturelles nationales doivent trouver une expression dans les
parlements nationaux, sinon ces identités culturelles s'exprimeront à
travers l'extrême droite ou dans des ethnicismes ou nationalismes
xénophobes et racistes. Le rôle des parlements nationaux à ce niveau-là
est donc très important pour défendre de manière démocratique et
républicaine les identités culturelles nationales. Il en est de même
pour la construction européenne où il faudra bien trouver une place pour
les parlements nationaux défendant les identités culturelles nationales.
En ce qui
concerne les régions du monde, je préside, en ce moment, la Conférence
sur la sécurité et la coopération en Méditerranée. Je l'ai réunie à
Marseille l'an dernier dans l'enceinte du Conseil régional. Des
parlementaires israéliens y côtoyaient des parlementaires palestiniens,
des Syriens et des Libanais, toute la Méditerranée était représentée. Je
ne pense pas que cela ait pu aggraver une situation déjà tendue au
Proche-Orient. Les parlementaires doivent donc jouer leur rôle dans ces
processus régionaux qui traitent de problèmes divers et réels tels que
la dette, la coopération avec les PMA, etc.
2. - Le rôle de la commission
des affaires étrangères
Je voudrais
terminer par quelques mots de mon expérience en tant que président de la
commission des affaires étrangères à la suite du départ du Président
Giscard d'Estaing pour le parlement européen. Peu de temps après, la
guerre du Golfe éclata et j'ai pu appliquer la diplomatie parlementaire
active à cette période de l'histoire de l'Europe et du monde. J'ai pu
constater que le parlementaire en tant que représentant de la nation a
une légitimité reconnue et qu'il représente la France à l'étranger.
Ensuite, il est en principe responsable. Il peut y avoir une diplomatie
exploratoire qui soutienne et aide le Quai d'Orsay et le Ministre. Là
aussi le facteur humain chez les ministres joue beaucoup : M. Dumas
était très jaloux de ses prérogatives et ne favorisait pas toujours mon
activité. Beaucoup de choses se passaient à l'est, je suis allé voir
Saddam Hussein car il était préférable d'envoyer en premier lieu un
député plutôt que de reprendre les contacts au niveau ministériel.
Pendant la guerre du Golfe, il fallait expliquer à l'opinion publique
maghrébine pourquoi la France avait pris cette position, ce qui aurait
été impossible pour un membre du Gouvernement. Je me suis donc trouvé en
Libye en face du Président Kadhafi qui me conduisit devant les chefs
d'État des pays arabes qui regardaient les informations télévisées et
notamment les bombardements de l'Iraq par des Alliés. Un ministre aurait
été très gêné à ma place. De même, lorsque je suis allé à Moscou lors du
coup d'état contre Gorbatchev, je me suis trouvé poussé sur le balcon du
parlement russe devant une foule à qui je n'ai pu dire que « Vive
Gorbatchev, vive Moscou et vive Eltsine ». Il était positif qu'un
Français soit présent à ce moment-là et s'adresse à tout le monde.
3. - La coopération
décentralisée
Je terminerai en
disant qu'il est très important que nous ayons mentionné la diplomatie
régionale, c'est-à-dire le rôle que peut jouer la coopération
décentralisée. Je rends hommage à M. Védrine et au Gouvernement actuel
qui favorisent la diplomatie parlementaire et qui n'y voient aucun
inconvénient. Je pense notamment à la Méditerranée et à la coopération
décentralisée où le Gouvernement nous soutient après une période
d'interdit.
Je crois très
important qu'au moment où émerge une conscience internationale et une
opinion publique internationale qui peuvent être déviées vers toute
sorte d'errances xénophobes, racistes ou autres, il faut que les
parlementaires puissent jouer entièrement leur rôle. Ils sont mieux
placés que d'autres pour le faire.
M. Christian
PONCELET
Merci cher
ministre pour votre intervention. En écho à ce que vous avez dit je
voudrais souligner que lorsqu'une mission parlementaire se rend à
l'étranger, on surprend toujours nos interlocuteurs par le fait que
cette mission est composée de sénateurs ou de députés de toute tendance,
ce qui est une excellente expression de la démocratie et de la tolérance
chez nous. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec M. Vauzelle
quand il dit qu'il manque une structure au niveau européen. Nous
militons depuis longtemps pour qu'il y ait un Sénat européen pour
permettre un équilibre entre les institutions européennes.
· Débat avec
la salle
Mme Sylvie
FLEURY
Je suis maître de
conférences à Sciences Po sur l'Union européenne. Je voudrais poser une
question très précise à M. Vauzelle. Je rentre d'Algérie où je me suis
rendue pour une mission de conseil et j'aimerais avoir des compléments
d'information sur les liens entre votre région et les wilayas puisque
j'ai eu l'impression d'une demande extrêmement forte de coopération avec
la France et de l'importance de la francophonie compte tenu du contexte
actuel.
M. Michel
VAUZELLE
On s'aperçoit que
l'Algérie est un grand pays francophone et de plus en plus francophone.
Je me suis rendu à Alger à maintes reprises pour rencontrer, en tant que
Président de région, le Président Bouteflika et le Wali du Grand Alger
pour établir sur des dossiers très concrets une réelle coopération
décentralisée. En matière d'eau, d'assainissement, d'urbanisme, nous
devons avoir des échanges techniques et nous avons signé, dans le cadre
d'un accord, une série de coopérations techniques qui nourriront ensuite
des échanges plus ouverts sur le domaine politique. Par exemple, au
Printemps des lycées qui est la grande fête lycéenne de notre région,
nous recevrons systématiquement des délégations de lycéens palestiniens,
israéliens et algériens.
M. Angus
LAPSLEY, ambassade de Grande-Bretagne
Dans son discours
sur l'avenir de l'Europe à Varsovie l'année dernière, mon Premier
ministre a proposé l'éventuelle création d'une deuxième chambre du
parlement européen qui serait composée des représentants des parlements
nationaux. Il s'agirait, sans porter atteinte au parlement européen ou
au Conseil des ministres, de donner l'opportunité aux parlementaires
nationaux de s'exprimer ensemble sur les questions (PESC, défense,
immigration) qui relèvent de leur compétence et qui sont de plus en plus
abordées au niveau européen. Ma question est de savoir si cette idée
intéresse les parlementaires français. Êtes-vous d'accord sur le
principe selon lequel il faut faire plus pour associer les parlements
nationaux dans le travail européen.
M. Christian
PONCELET
Je vous remercie
de cette question et vous rappelle que mon prédécesseur, Alain Poher,
avait émis l'idée de la création d'un Sénat européen, considérant qu'il
était nécessaire qu'une institution puisse exprimer la volonté des
parlements, à côté du parlement européen qui est lui issu du suffrage
universel. Le Sénat français continue dans cette démarche et nous
espérons que les pays qui adhéreront à cette idée seront nombreux. J'ai
entendu une proposition identique faite par M. Gerhard Schröder, le
Chancelier allemand qui partage cette idée. Nous espérons qu'il y aura
bientôt un Sénat européen. Il s'agira alors d'en définir entre nous les
modalités.
M. Raymond
FORNI
Je voudrais
m'exprimer sur les relations entre les parlements nationaux et le
parlement européen. Dans nos parlements nationaux, nous avons des
délégations aux affaires européennes : 60 % de la législation est
d'origine européenne et il est tout à fait légitime que cette structure
existe sur le plan interne, mais je déplore que les relations ne soient
pas suffisamment assidues entre le parlement européen et les parlements
nationaux. Ce qui est vrai en France est sans doute vrai ailleurs, de
sorte qu'il existe un risque d'isolement du parlement européen par
rapport à nos pays et d'une coupure entre l'opinion publique et la
représentation européenne. Lorsqu'un parlement n'est pas suffisamment
connu de l'opinion, le risque est qu'il dérive sur des chemins qui ne
sont plus empruntés par l'opinion publique. Si l'on n'y prend pas garde,
cela peut conduire à une forme de rejet de la construction européenne
pour laquelle nous sommes tous mobilisés. La question est donc de savoir
comment nous pouvons assurer ce lien fort entre le parlement européen et
nous. Il est vrai qu'aujourd'hui Madame Nicole Fontaine est très active
en tant que Présidente du parlement européen, mais il n'en a pas
toujours été ainsi. Aujourd'hui ce dynamisme est fort compte tenu de la
personnalité de sa Présidente, mais je crois savoir que la Présidence
tournante du parlement européen devrait conduire à une modification à la
tête de cette institution à l'automne prochain. Je souhaiterais que la
même résolution soit assurée par le successeur de Madame Fontaine. Il ne
s'agit pas seulement de parler de diplomatie lointaine, il faut
également évoquer notre diplomatie européenne. La construction
européenne s'appuie sur cela.
M. Mihaly
FÜLÖP, professeur des universités
Je suis
professeur à l'Université de sciences économiques de Budapest, invité
par l'IEP Paris. La fiche technique distribuée par les Présidents des
deux assemblées souligne la lenteur du processus de ratification de la
part de la France. Vous dites : « il arrive que les États de l'Union
européenne se mettent d'accord pour tout ratifier le même jour ».
S'agissant de l'élargissement de l'UE, comment allez-vous procéder ?
M. Raymond
FORNI
C'est vrai que la
France dans ce domaine n'est pas un bon élève et nous avons tendance à
ratifier les traités avec un certain retard. Cela est dû essentiellement
au fonctionnement de nos institutions, au fait que l'ordre du jour est
déterminé par le Gouvernement. Nous n'avons pas de prise sur l'ordre du
jour puisque le Gouvernement dispose de la priorité d'inscription. Ce
dernier a bien évidemment ses exigences par rapport à la politique
nationale. A partir du moment où le traité est accepté par notre pays et
par les pays concernés, l'exigence de l'aval du parlement ne paraît pas
urgente à accomplir. Sans doute a-t-on pris la mauvaise habitude de
considérer qu'une fois que le traité est négocié avec d'autres pays, le
fait est accompli et le parlement ne vient que de manière très
secondaire dans le processus d'adoption des conventions ou traités
internationaux. Cette procédure n'est pas acceptable, et c'est pourquoi
je vous ai dit que je souhaitais que nous soyons associés le plus
possible au processus d'élaboration des traités. Par exemple, j'entends
toujours avec beaucoup d'intérêt dire que tel ou tel pays adhérera à
l'UE à telle ou telle date. Un calendrier est ainsi fixé alors qu'il ne
correspond pas toujours à la réalité. Lorsque nous sommes contraints de
nous expliquer avec nos partenaires présents ou futurs, cela pose aux
parlementaires de nombreux problèmes. Je souhaite plus de concertation
entre le parlement et le Gouvernement, de telle sorte que nous avancions
d'un même pas. Il ne faut pas décevoir les pays auxquels on s'adresse,
les échéances doivent être clairement définies. En modifiant les dates,
nous courons le risque de détacher l'opinion publique par rapport à
l'idée européenne, car il arrive un moment où l'on finit par se
désespérer de ne pas pouvoir mettre un pied à l'intérieur et de rester à
la porte. Je pense donc qu'il faut être réalistes et pragmatiques.
M. Christian
PONCELET
Je partage
l'observation faite par mon collègue. Si la diplomatie parlementaire
était davantage associée à l'élaboration de certains traités, plutôt que
d'être placés devant le fait accompli, la ratification serait plus
rapide. Je crois que fin juin seulement, nous allons ratifier les
accords de Nice auxquels nous n'avons pas été suffisamment associés et
nous avons des questions à poser. Le débat sera donc sûrement plus long
qu'on ne l'imagine. Il faut associer les parlementaires plus en amont
pour que les traités soient le reflet de l'expression de la
représentation populaire, plus que celle de techniciens aussi qualifiés
soient-ils.
M. Jean-Pierre
MOUSSY
Je suis membre du
Conseil économique et social (CES) et j'appartiens au sein de cette
instance au groupe de la CFDT. Je prends beaucoup d'intérêt à
l'organisation de cette journée et je remercie vivement les deux
présidents d'avoir pensé à nous inviter. Le Président du CES attache
beaucoup d'importance à l'activité internationale de cette institution,
car il existe une association des conseils économiques et sociaux qu'il
anime depuis le Palais d'Iéna. J'ajoute qu'à côté de la section des
relations extérieures, nous venons de créer une délégation pour l'UE. Je
souhaite que dans ce cadre, les contacts qui ont démarré avec les
délégations des deux assemblées puissent se dérouler fréquemment et
continûment sur des thèmes à l'ordre du jour au niveau de l'UE :
élargissement et gouvernance, agenda social, etc.
M. Christian
PONCELET
Il est pris note
de la volonté de votre institution de coopérer davantage avec les deux
assemblées parlementaires. Cette coopération existe déjà puisqu'un
ministre peut éventuellement demander à être accompagné d'un membre du
CES pour exprimer la volonté de ce dernier sur tel ou tel texte au sein
des assemblées.
M. Jean-Marie
DAILLET
J'ai été député
de la Manche de 1973 à 1993 et ambassadeur de France en Bulgarie de 1993
à 1995. Je voulais vous féliciter de votre initiative car dans
l'expression « diplomatie parlementaire », il y a une double
géostratégie : consolider la démocratie parlementaire européenne en vue
de l'élargissement, mais aussi illustrer à travers le monde l'innovation
du siècle dernier que fut la création de la communauté européenne. Sur
ce dernier point, je donnerais un exemple très simple. Lorsque l'on
parle d'opposition et de majorité, je dirais que les Européens ont
également intérêt à se prononcer d'une seule voix. J'ajouterais que les
progrès de la démocratie dans certains pays et notamment en Amérique
centrale ont été le fruit d'une politique bipartisane européenne puisque
les grands courant démocratiques de nos pays pouvaient trouver leurs
homologues dans des pays en grave difficulté et en proie à des régimes
totalitaires ou militaires. Nous avons réussi, en Amérique centrale et
au Chili, à forger des majorités établissant ou rétablissant la
démocratie.
II. - La
montée en puissance des parlements en Europe
Cette table ronde
a été co-présidée par :
M. Alain
BARRAU, président de la délégation pour l'Union européenne de
l'Assemblée nationale
M. Hubert
HAENEL, président de la délégation pour l'Union européenne du Sénat
Y a participé :
M. Gérard
LARCHER, sénateur
·
Intervention de M. Alain BARRAU, président de la délégation pour l'Union
européenne de l'Assemblée nationale
A ce stade de la
matinée, je préfère faire une intervention réactive, plutôt que de vous
communiquer l'intervention écrite que j'avais préparée.
Je partage
beaucoup d'observations évoquées auparavant et je voudrais faire
quelques remarques générales, puis aborder la question de l'Union
européenne avant de conclure par deux préoccupations d'avenir.
1. - Remarques générales
Il y a une
première pression qui amène les parlementaires à s'intéresser et à être
actifs sur le champ international : ce sont tout simplement les
citoyens. Sur les thèmes de la mondialisation, de la faim dans le monde,
de la sécurité, de la paix ou de l'Europe, il y a maintenant une demande
citoyenne. C'est une très bonne chose pour la démocratie car le débat
qui s'est esquissé depuis ce matin sur le bien fondé et la légitimité
des actions des ONG est liée à cela. Si les ONG ont pu se développer sur
un certain nombre de question, c'est parce qu'il y a eu, dans nos
populations, le sentiment diffus et injuste qu'il y avait eu une action
régalienne en matière internationale, mais que le pouvoir démocratique
qu'incarnent les parlementaires n'était pas suffisamment entendu. Une
partie de l'opinion s'est donc organisée pour se faire entendre sur un
sujet qui lui tenait à coeur. Je trouve cette démarche très légitime.
Nous-mêmes devons avoir le soin d'affirmer et d'être dignes du mandat
qui nous est donné par nos électeurs sur ce sujet.
En outre,
j'estime que le travail entre les parlementaires et les diplomates doit
être un travail de confiance et non de rivalité. Pour être efficace, il
ne faut pas travailler sur le même terrain, mais plutôt en
complémentarité. De la même manière et quelle que soit notre position
politique dans l'échiquier national, nous devons travailler en confiance
avec les représentants de l'Exécutif qui traitent des questions
internationales. Une telle démarche, en période de cohabitation, ne
présenterait que des avantages.
Dans ce travail,
les parlementaires doivent se soucier d'exprimer la position de la
France. Toutefois, je m'oppose à l'idée de donner une seule vision des
questions internationales qui sont un enjeu politique. En France,
pourquoi y aurait-il un accord sur tout entre la gauche et la droite sur
les questions internationales. Ayons donc soin de distinguer ce qui doit
être une grande réserve quand nos propos peuvent jouer contre l'intérêt
de notre pays, de la liberté de ton sur le jugement mené par telle ou
telle autorité. Un consensus mou ne fait pas progresser le débat dans
une démocratie.
Le même problème
se pose en ce qui concerne les relations entre le parlementaire
intéressé par les questions internationales et les journalistes. M.
Vauzelle a dit tout à l'heure à juste titre que ce n'était pas une
activité parlementaire valorisée par rapport à une élection. Chacun le
sait. Il est cependant bien légitime que l'on ait une responsabilité de
circonscription, une responsabilité dans le travail de la politique
nationale et, par ailleurs, ce goût pour la dimension internationale et
européenne.
Néanmoins, pour
arriver à un résultat positif de la diplomatie parlementaire, il faut du
temps. En ce sens, je ne pense pas que le cumul des mandats permette
d'effectuer un bon travail de diplomatie parlementaire. Il y a, par
exemple, dans le système allemand une partie des parlementaires désignés
pour légiférer ou pour avoir un rôle d'activité nationale politique que
ce soit sur le plan national ou international. Nous pourrions nous
inspirer de ce système.
Enfin, je pense
que nous ne devons pas considérer que notre système est le meilleur.
J'ai eu l'occasion d'être invité par la Douma russe à un travail sur
l'élaboration d'une loi sur les capitaux étrangers en Russie. Avec René
André, notre Ambassadeur, notre chef de poste et des avocats français,
nous nous sommes retrouvés en présence de tout l'État-major de la Douma.
Nous avons eu l'intérêt de voir arriver une délégation américaine de
26 personnes (sénateurs, représentants, une équipe envoyée par les
ministères et les entreprises concernés). Ils ont fait l'erreur, au bout
d'un certain temps de discussion, de dire qu'ils avaient préparé un
projet de loi que les Russes pouvaient amender. On voit là jusqu'où il
ne faut pas aller : la réaction des parlementaires russes sur cette
affaire, vous pouvez tous la comprendre. Restons donc à notre place,
faisons notre travail, avec le temps, les efforts et l'humilité
nécessaires pour agir.
2. - Les questions
européennes
Nous ne sommes
plus là dans le champ des questions internationales puisque la plupart
de nos projets ou propositions de loi sont inspirés ou décidés par la
dimension européenne. Depuis la réforme de la Constitution, avant la
ratification du traité d'Amsterdam, les choses se passent bien avec
l'article 88-4. Je n'ai pas d'exemple du Gouvernement refusant un avis
parlementaire avant une décision à Bruxelles. En revanche, il est
problématique que le parlement ne puisse s'exprimer en aval des
décisions. Les directives sont adoptées avec l'accord du représentant à
Bruxelles, mais il y a un stock de 92 directives non encore soumises au
parlement pour transposition. C'est inacceptable, on ne peut demander à
la fois une place supplémentaire des parlements nationaux sans une
vigilance par rapport à l'intégration de la directive communautaire.
Comme l'a rappelé
Raymond Forni, la France n'est pas efficace en termes de ratification
des traités. Je tiens cependant à souligner qu'exceptionnellement, la
France est parmi les premiers pays à ratifier le Traité de Nice. Cela
est très positif car ce qui importe dans ce Traité ce n'est pas qu'il
donne satisfaction à tout ce qui avait été souhaité, mais qu'il ne fasse
pas obstacle à l'élargissement de l'Union. Les Français ont montré
qu'ils étaient prêts à faire des sacrifices pour que l'Union puisse
politiquement s'élargir.
3. - L'avenir
Pour les
parlements nationaux, deux priorités s'imposent. La première est
d'adopter la bonne position vis-à-vis des pays candidats et expliquer
que nous sommes favorables à l'entrée de nouveaux pays dans l'Union
parce que ce sont des peuples européens qui contribuent à la
civilisation européenne. Il faut donc que les parlements nationaux
s'engagent dans un travail de « lobbying » politique sur cette question.
Deuxièmement, je
pense qu'il est tout à fait légitime que les parlements nationaux
organisent et participent au débat sur l'architecture future de l'Union,
la perspective 2004. C'est une occasion centrale pour assumer notre rôle
démocratique sur la question. Nous avons là quelques années pour faire
en sorte qu'il y ait un débat public et politique permettant aux
Français, dans leur diversité, de s'exprimer sur la future UE qu'ils
souhaitent et ainsi de faire avancer les intérêts bien compris de notre
pays en France et sur la scène internationale.
M. Christian
PONCELET
Il est vrai que
la population française est beaucoup trop éloignée des problèmes
européens. Dans certains cas, les directives que nous votons ne sont pas
comprises.
·
Intervention de M. Hubert HAENEL, président de la délégation pour
l'Union européenne du Sénat
Le premier
constat que l'on doit faire est que depuis environ dix ans, nous
assistons à une montée en puissance des parlements en Europe. Je rentre
de la réunion de la COSAC qui a eu lieu à Stockholm et je puis vous dire
que ce phénomène est amené à s'amplifier encore.
Les débuts de la
CEE se sont placés sur une sorte de relégation des parlements. Il y a
quelques années, le parlement européen et les parlements nationaux
n'avaient pas une grande importance au niveau de la construction
européenne et des débats européens. Même si dans les années 1970 le
parlement européen a acquis des pouvoirs importants, notamment dans le
cadre de l'élection au suffrage universel, cette élection n'a pas fait
pour autant disparaître le thème du déficit démocratique de la CEE.
Aujourd'hui, c'est encore un débat en vigueur. Pour combler ce déficit,
on doit passer par les parlements nationaux qui doivent s'approprier le
débat européen.
A la fin des
années 1980, nous nous sommes rendu compte que les parlements nationaux
devaient avoir leur place dans le débat de l'Union : ce fut la naissance
des délégations pour l'UE, le développement de leurs compétences et
l'introduction de l'article 88-4 de notre Constitution.
Cette montée en
puissance des parlements nationaux en matière européenne ne se limite
pas au contrôle par chaque parlement de la politique européenne de son
Gouvernement. Le fait que les Gouvernements de l'Union travaillent entre
eux et s'influencent réciproquement, a conduit les parlements nationaux
des quinze États-membres à travailler également ensemble. Nous avons
ainsi assisté à un développement des rencontres parlementaires.
Je vous ferai
part de deux expériences : la réunion de la COSAC et mon expérience
personnelle en participant à la convention chargée d'élaborer la charte
des droits fondamentaux européens.
1. - La COSAC
Il s'agit de la
rencontre semestrielle des représentants de toutes les commissions
européennes des parlements des quinze États, des représentants des
parlements des États candidats à l'entrée dans l'UE, et des
représentants du parlement européen. Pour la première fois, à l'occasion
de la Présidence suédoise, le Premier ministre suédois, Président du
Conseil européen, a formellement demandé, par une lettre adressée au
Président de la COSAC, que la COSAC contribue au Sommet de Göteborg.
Nous demandons d'intervenir dans le processus d'élargissement et
souhaitons que les parlements nationaux soient associés très en amont au
débat européen et à la préparation de la future CIG de 2004.
2. - La convention chargée de
l'élaboration de la charte des droits fondamentaux européens
C'est un bon
texte destiné à être intégré dans les traités et qui peut être considéré
comme la préfiguration d'une Constitution européenne. Il devrait être
affiché dans les mairies, les écoles et les universités, pour être
compris par le commun des mortels.
Cette convention
avait un grand mérite. Elle réunissait notamment des représentants des
parlements nationaux, du parlement européen, des Exécutifs et un
représentant de la Commission. Les différentes légitimités se
retrouvaient pour travailler sur un sujet précis dans un organisme ad
hoc et pour un temps donné. La convention a fonctionné à l'image d'une
conférence diplomatique. Avec François Loncle (titulaire représentant le
Président de l'Assemblée nationale) et M. Braibant (titulaire
représentant l'Exécutif français), nous avons travaillé ensemble. Nous
nous sommes coordonnés et réunis périodiquement pour que la France, sur
ce sujet, ait une position commune.
La convention a
si bien fonctionné qu'elle est aujourd'hui considérée comme un modèle
pour la réunion qui permettra de préparer en amont le travail de la CIG
de 2004. Hier, les représentants des parlements nationaux et du
parlement européen ont demandé au Conseil européen, dans le cadre de la
COSAC, que l'on s'inspire de cette formule pour mettre en place un
organisme ad hoc pour que les différentes légitimités soient associées
largement en amont, notamment les parlements nationaux. Je pense
qu'Alain Barrau et moi-même pouvons insister pour faire en sorte que la
France appuie la proposition faite par la COSAC.
Enfin, je
donnerais deux exemples sur la manière dont le Sénat travaille sur
l'intégration des futurs pays candidats à l'entrée dans l'UE. Douze
sénateurs sont chargés de travailler en étroite collaboration avec ces
pays pour décrire comment ces pays évoluent.
3. - Exemple de diplomatie
parlementaire dans le cadre du fonctionnement de l'UE
Vous vous
souvenez des difficultés rencontrées avec l'Autriche. Il était de bon
ton de ne pas avoir de relations bilatérales avec les Autrichiens, mais
le Président du Sénat a jugé souhaitable de faire venir le Président de
la Cour constitutionnelle autrichienne, M. Adamovitch, pour qu'il nous
dise ce qu'il se passait réellement dans son pays et nous exposer les
verrous qui empêcheraient la dérive que l'on pouvait supposer. Ensuite,
la Ministre des affaires étrangères autrichienne a demandé à être reçue
par la Délégation pour l'UE du Sénat. Je l'ai reçue, pour qu'il y ait un
lieu où elle puisse s'exprimer. Je constate finalement que le Sénat a eu
à ce moment-là un rôle utile. J'ajoute que lorsque je me suis rendu en
Autriche avant Noël, l'Ambassadeur d'Autriche a demandé à m'accompagner
dans les différentes rencontres que j'avais, notamment avec le
Chancelier, parce que le Sénat permettait de renouer des liens entre
l'Ambassadeur de France en Autriche et les différentes instances
autrichiennes.
Pour conclure, je
dirais que les parlements nationaux ont un rôle fondamental à jouer dans
le débat qui s'instaure d'ici 2004 et dans les réflexions que nous
aurons les uns et les autres à formuler pour savoir quelle architecture
nous imaginons pour l'Europe de demain.
·
Intervention de M. Gérard LARCHER, vice-président du Sénat
Le premier
élément de mon témoignage sera de modifier le titre de la table ronde
« la diplomatie parlementaire, un concept émergent ». Je dirais que ce
concept est déjà émergé. Comme le disait Michel Vauzelle, je fixe la
date de l'émergence de cette diplomatie parlementaire à la mission
confiée par le Président Mitterrand en 1990 à un certain nombre de
parlementaires, lors de la crise du Golfe.
Sur les principes
et la réalité de la diplomatie parlementaire, tout a été dit ce matin.
Je vous apporterai donc des exemples, à travers mon expérience.
1. - L'article 88-4
En décembre 2000,
se posait la question de la réunion du Conseil des Ministres des Postes
pour l'adoption d'une directive modifiant les orientations dans le
secteur postal et allant vers une plus grande libéralisation. Les
conclusions et l'avis donné sur le futur acte communautaire est à l'aval
du Gouvernement. Le Sénat conduit un débat et ses conclusions qui
s'inscrivent dans une vision à caractéristique libérale modérée ne
reçoivent pas l'aval du Gouvernement. Dans la nuit du 22 décembre, le
Ministre Christian Pierret échoue avec le texte qui a l'aval de
l'Assemblée nationale. En fin de nuit, il propose le texte du Sénat.
Nous avons donc contribué à ouvrir un espace de négociation diplomatique
à l'Exécutif. Je dois dire que si nous n'avons pas réussi ce matin-là,
c'est néanmoins sur cette base que la Présidence Belge proposera sans
doute un compromis à la fin du second semestre de cette année. Si je
prends cet exemple, c'est qu'en application de l'article 88-4, y compris
dans la richesse de l'approche différente de deux assemblées, nous avons
permis à l'Exécutif d'avoir élargi éventuellement son espace de
négociation et de proposition. Depuis, nous rencontrons le Ministre et
les collègues suédois et belges qui suivent le dossier pour préparer le
nécessaire compromis et ne pas laisser en 2004 à la seule Commission le
soin de décider en lieu et place des politiques.
2. - La préparation à
l'adhésion
Dans la liste des
critères de convergence par rapport à l'adhésion, on constate un déficit
de la Hongrie dans le domaine environnemental. Nous négocions un accord
avec le parlement hongrois pour échanger sur la richesse de notre
législation. Il y a donc là un espace de diplomatie et un espace de
préparation au processus d'adhésion.
3. - Le rôle du parlementaire
lorsqu'il est membre d'une ONG ou au coeur d'initiatives personnelles
Étant
parlementaire et travaillant en liaison avec l'Ordre souverain de Malte,
au moment de la guerre libanaise, j'ai observé que le statut de
parlementaire confère une autorité, une crédibilité et un recours dans
les moments difficiles. Je préfère un parlementaire engagé qui rendra
des comptes à un individu qui s'en va négocier au nom de je ne sais qui,
sans jamais rendre de comptes.
Autre exemple :
j'ai eu à rencontrer M. Karadzic pour une affaire impliquant des
prisonniers pilotes français. Il y avait donc une dimension humanitaire
et naturellement, je n'étais l'envoyé de personne, si ce n'est de cette
ONG.
La rencontre avec
un certain nombre de chefs religieux, qui n'est pas toujours possible
pour des diplomates, l'est, en revanche, par un parlementaire sans qu'il
engage pour autant son pays.
4. - Disponibilité de nos
assemblées pour réfléchir ensemble à l'enrichissement démocratique d'un
pays
Je prendrais
l'exemple du Sénat mauritanien sur lequel le Sénat français et le Sénat
marocain ont travaillé. Par ailleurs, je voudrais dire notre
disponibilité sur ce qui arrivera peut-être un jour au Moyen-Orient. Les
accords de Taëf prévoyaient une deuxième chambre pour
déconfessionnaliser la première. Le Sénat sur ces sujets a une grande
réflexion, une grande expertise et une grande disponibilité.
5. - Les conditions
Jean-Bernard
Raimond l'a dit : il faut informer au préalable l'Exécutif, faire le
point complet avec l'Ambassadeur ou son représentant et ne pas déroger
sur l'essentiel à l'unanimité nationale, mais avoir sa liberté malgré
tout sur un certain nombre de sujets. Cette liberté est ce qui fait ma
spécificité parlementaire, à la fois adhérant pleinement à mon pays,
mais non tenu par les règles de la solidarité gouvernementale.
Voilà Mesdames et
Messieurs le témoignage que je voulais vous apporter.
·
Intervention de M. Roger PAQUIN, député québécois
M. Barrau,
Mesdames et Messieurs les sénateurs et députés, c'est un honneur et un
plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui et de prendre la parole au nom
de M. Jean-Pierre Charbonneau, le Président de l'Assemblée nationale du
Québec.
Vous constaterez
qu'il y a une grande convergence ou concordance de phases entre ce qui
se fait chez nous au Québec et ce que vous faites en termes de
diplomatie parlementaire. L'ensemble des propos que j'ai entendus ce
matin me permettra peut-être de faire une transition entre la première
table ronde et celle de cet après-midi sur l'essor de la coopération
interparlementaire et de la régulation internationale comme prochaine
frontière pour les parlements. Je vous transmets les amitiés des
parlementaires québécois, tous partis confondus. Je vous prie d'agréer
mon intervention comme le témoignage d'un député engagé dans la
diplomatie parlementaire et de considérer mes propos comme une
contribution amicale à vos travaux.
Vous ne serez pas
surpris d'apprendre que dans la deuxième session de la 35ème
législature du Québec, pas moins de 4 500 interventions ont porté sur
des sujets d'ordre international. 160 de ces interventions concernaient
la question du commerce à l'intérieur de l'ALENA. Nous assistons en
effet à un passage d'une réalité intérieure à de nouveaux paradigmes. Un
passage aussi marquant et important est survenu lorsque la souveraineté
est passée de personnes, d'individus et de monarques à des assemblées,
voire à des parlements. Actuellement, la souveraineté est déportée vers
d'autres horizons, des horizons en grande partie supranationaux.
Pourquoi cela ?
Les pouvoirs et les organisations qui font en sorte que les
souverainetés s'expriment doivent tenir compte des mouvements de
l'ensemble des caractéristiques de nos sociétés. A une époque où :
· du côté environnemental, les pollutions sont transnationales ;
· la préoccupation génomique devient importante ;
· la science nous offre des solutions novatrices dans des domaines
de pointe pour lesquelles les législations ne sont pas prêtes ;
· le « village global » s'installe parce que les communication sont
transnationales ;
· le commerce se mondialise, les entreprises se déplacent et les
investissements sont internationaux ;
on change de paradigmes et une nouvelle adaptation se produit. On
assiste à l'émergence de toutes sortes de diplomaties à côté de celles
traditionnelles et gouvernementales. Elles apparaissent dans les milieux
universitaires, dans les milieux ecclésiastiques, mais aussi à travers
les ONG, les milieux d'affaires, les milieux commerciaux, les milieux
environnementaux... Partout émergent des diplomaties sous des formes
nouvelles qui correspondent à ce changement de paradigmes que l'humanité
connaît en ce moment.
Cela a des effets sur les devoirs et les fonctions des députés. Au
moment de légiférer, les parlementaires ont à prendre en compte toutes
sortes de réalités internationales qui interviennent souvent sur la
teneur de leur législation et au moment de contrôler l'Exécutif. Les
représentants nationaux doivent également prendre en considération les
questions d'intérêt public et les situer dans leur contexte actuel.
Enfin, la fonction de représentation du parlementaire, interface entre
le citoyen et les lieux où se décide ce qui devrait être son meilleur
intérêt doit prendre en compte les réalités nouvelles qui s'imposent sur
la scène internationale. En conséquence, le parlementaire doit
intervenir en amont et influencer les décisions qui auront des effets
sur les parlements et en particulier le sien.
C'est pourquoi, à l'Assemblée nationale du Québec, on pratique
depuis longtemps une participation à l'intérieur de ce qu'il est convenu
d'appeler la diplomatie parlementaire. On a vu qu'elle prend des formes
variées, mais qu'elle est toujours arrimée à des aspects bien sentis des
populations qu'elle vise à accompagner. Dans ce sens, l'Assemblée
nationale s'est naturellement inscrite dans la diplomatie
parlementaire : dès le début de notre parlement en 1792, la législature
s'est ouverte sur ce qui se faisait à l'étranger, et particulièrement
aux États-Unis qui avaient d'ailleurs établi leur première mission à
l'étranger à Québec. Cette tradition spontanée et cette nécessité de
rester arrimé, de par notre type de parlementarisme, aux réalités
britanniques, de par nos origines aux réalités de la francophonie et, de
par notre géographie, aux nécessités de l'Amérique, tout cela a fait que
nous avons ajusté et développé cette stratégie. Elle est devenue pour
nous une diplomatie parlementaire agissante.
1. - Les
objectifs que poursuit l'Assemblée du Québec à travers cet ensemble de
démarches
Premièrement, le maintien et le renforcement de l'efficacité de
l'institution parlementaire et des élus dans les quatre fonctions :
· la fonction législative ;
· la fonction de contrôle ;
· la fonction de prise en considération des intérêts publics ;
· la fonction de représentation.
Deuxièmement, le rayonnement institutionnel de notre Assemblée
nationale au sein des divers réseaux parlementaires.
Troisièmement, nous voulons assurer une participation active de
notre parlement à l'édification d'une communauté mondiale fondée sur des
principes de paix, de démocratie, de justice, de prospérité.
Enfin notre quatrième objectif est d'améliorer le positionnement
international de notre Assemblée en contribuant ainsi au rayonnement
accru de notre société québécoise.
2. - Les
caractéristiques de la diplomatie parlementaire québécoise
On dénombre quatre caractéristiques principales.
Premièrement, nous tentons en toute circonstance de refléter le
pluralisme du Québec. Ce pluralisme est vécu dans l'institution de
l'Assemblée nationale et nous voulons le projeter à travers nos
délégations, partout à l'étranger.
Deuxièmement, nous voulons profiter des opportunités, avoir un accès
privilégié aux décideurs politiques actuels et potentiels des pays du
monde.
Troisièmement, nous tablons sur la crédibilité des parlementaires et
des élus sur plusieurs questions majeures dont notamment les questions
de promotion des institutions démocratiques, la défense de l'État de
droit et la question de la promotion des droits de la personne. Nous
souhaitons également profiter de leur légitimité pour exprimer le point
de vue des électeurs.
Quatrièmement enfin, nous voulons nous insérer dans des réseaux à
ramification internationale et à l'étranger. Le Président de l'Assemblée
nationale détient chez nous le privilège et le devoir de représenter
l'Assemblée, notamment à l'étranger. Il dispose de deux Directions : la
Direction des Relations Interparlementaires et la Direction du Protocole
et de l'Accueil. Elles fournissent un soutien pour structurer l'ensemble
du fonctionnement et du travail des députés. Ces derniers mènent deux
types d'actions :
· Au sein des 11 Commissions parlementaires, chacune représentant un
segment précis de l'activité gouvernementale, les députés procèdent à
l'examen des textes législatifs, possèdent des mandants d'initiative et
mènent des démarches liées à des sujets connexes à la diplomatie
parlementaire.
· Les députés participent également aux Sections de l'Assemblée
nationale.
3. - Les
relations avec l'étranger
Nos relations
avec l'étranger sont de quatre types.
a. - Les
relations multilatérales
Pour la première
fois, nous avons adhéré de façon officielle à l'Association des
parlementaires du Commonwealth, qui regroupe pas moins de
16 000 parlementaires issus de 147 parlements différents. Ils échangent
autour de sujets importants depuis 1911. Pour notre part, nous en sommes
membres depuis 1933.
Nous avons
également participé à l'Assemblée des parlementaires de la Francophonie
et au Council of State Government des États-Unis. Depuis 1990,
l'une de nos délégations participe à différentes instances américaines.
A cet égard, il faut rappeler que les deux plus grands rassemblements de
parlementaires américains - l'un en 1995 avec plus de
1 000 participants, l'autre en 1999 avec plus de 1 500 parlementaires -
se sont déroulés au Québec.
Nous avons
également initié la Conférence parlementaire des Amériques, qui
représente le pendant parlementaire des travaux actuels dans la zone de
libre-échange américaine. Les parlementaires des états fédérés, des
états fédéraux et des états républicains de l'ensemble de l'Amérique s'y
rassemblent, y compris les organismes supranationaux américains.
b.
- Les relations bilatérales
Nous en avons
noué avec la France, la Belgique, l'Ontario, Haïti, avec le parlement
centraméricain, le Brésil, en Orient, etc.
c.
- La coopération interparlementaire
Elle concerne
principalement Haïti et quatre pays africains : le Bénin, le Mali, le
Niger et Madagascar.
d.
- Les partenariats divers
Au sein du
Programme Intégré d'Appui pour la Démocratie et les Droits de la
Personne, nous avons organisé des séminaires parlementaires techniques
ou de soutien aux jeunes démocraties dans les différentes régions du
monde, y compris au Vanuatu et au Tatarstan.
Nous participons
également à un programme d'appui à la démocratisation dans 10 pays
africains.
Nous prenons part
à des ateliers de formation de fonctionnaires et de parlementaires des
démocraties naissantes, principalement en Haïti de 1996 à 1999.
Il faut également
évoquer les missions d'observation électorale, les appuis documentaires
aux parlements du sud (programme PARDOC), les interventions sur
l'introduction des nouvelles technologies de l'information dans les
parlements (en Slovénie, au Sénégal, conférence sur les info-routes et
la francophonie parlementaire du Québec en 1998) ou encore le
secrétariat permanent de la COFOR depuis 1997 à Québec.
Ensemble, nous
avons pris acte du fait que l'avenir ne sera plus jamais comme le passé.
Il est opportun pour le parlementaire et l'élu de s'ouvrir à ces
réalités, qui agissent sur ses quatre devoirs fondamentaux. Il est
nécessaire de se rendre dans les enceintes et les lieux de décision où
se déterminent les éléments du futur afin d'influencer ces évolutions.
Vous aurez noté que l'esprit de nos initiatives converge fortement avec
vos propres expériences.
Enfin, je crois
que l'organisation de cette journée à l'initiative de l'Assemblée
nationale et du Sénat français est hautement pertinente. J'espère que
mes propos constitueront une transition appropriée entre les travaux de
la matinée et vos réflexions sur l'essor de la coopération et la
régulation internationale comme prochaine frontière de nos travaux
parlementaires.
· Débat avec
la salle
Une attachée
de l'ambassade du Liban
J'aimerais
simplement rappeler le travail essentiel effectué par les
parlementaires, notamment le vice-président du Sénat, durant la guerre
au Liban. Je voudrais le remercier une fois encore pour son action.
M. Jean-Marie
HAPPART, vice-président du Sénat belge
Je souhaite
d'abord vous remercier pour votre initiative, votre invitation et votre
accueil.
J'aimerais
également rappeler la problématique du cumul des mandats. En Belgique,
nous venons de voter une série de lois interdisant cette pratique : nous
considérons que, lorsqu'un parlementaire remplit correctement son
mandat, il n'a pas le temps d'en occuper un autre.
Je voudrais
également rappeler que les ONG ne fonctionnent que grâce au financement
de nos Etats. Elles ne sont pas le fruit du hasard, mais naissent d'un
véritable choix politique.
S.
Exc. M. Jacques LEPRETTRE, ambassadeur de France
Au sujet de
l'élargissement de l'Union européenne, un nouveau jeu, essentiellement
parisien, consiste désormais à annoncer régulièrement une nouvelle
adhésion de tel ou tel pays. Ce faisant, on semble oublier que chaque
candidat doit effectuer un travail préparatoire. Par conséquent, la date
d'adhésion dépend à 75 % de l'action du candidat lui-même. Durant huit
années, j'ai participé aux négociations en vue de l'adhésion de
l'Espagne et du Portugal : à l'issue de cette période, nos amis
espagnols et portugais nous suppliaient eux-mêmes de leur accorder un
délai supplémentaire. En effet, l'un et l'autre de ces pays avaient été
projetés vers une tâche qu'ils n'avaient pas bien mesurée : l'adaptation
de plus de 2 000 lois nationales. Par conséquent, plutôt que de fixer
des dates arbitraires, il conviendrait plutôt de s'intéresser à l'état
d'avancement de la préparation des pays candidats. Sans préparation, pas
d'adhésion ; sans adhésion, pas d'avantages.
M.
Alain BARRAU
Je vous remercie
de ce juste rappel. Il ne contredit pas l'enjeu même de l'élargissement,
qui est fondamentalement politique et concerne des peuples libérés de la
domination soviétique. L'aspect technique et économique est essentiel.
Mais il existe également une dimension politique, à laquelle il faut
apporter une réponse appropriée.
TABLE RONDE :
L'ESSOR DE
LA COOPÉRATION INTERPARLEMENTAIRE
Cette table ronde
a été co-présidée par :
Mme Christine
LAZERGES, vice-présidente de l'Assemblée nationale, chargée des
relations internationales, et M. Xavier de VILLEPIN, président de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
du Sénat.
Les débats ont
été modérés par MM. Guy CARCASSONNE, professeur de droit public, et
Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public Sénat.
Y ont
participé :
M.
René ANDRÉ, député
M. René
DOSIÈRE,député
Mme Michèle
RIVASI, députée
M. Claude
HURIET, sénateur
M. Jacques
PELLETIER, sénateur
· Intervention de Mme Christine LAZERGES, vice-présidente de
l'Assemblée nationale, chargée des relations internationales
Mesdames et
Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs, nous allons nous intéresser maintenant à
l'analyse de la coopération interparlementaire. Je commencerai par faire
le point sur l'état d'avancement du débat en cours à ce sujet à
l'Assemblée nationale.
1. - Comment la coopération
interparlementaire est-elle née ?
Pendant
longtemps, nous avons cru, ou feint de croire, que la démocratie était
un luxe réservé aux nations les plus anciennes et les plus riches.
Seules ces dernières semblaient pouvoir s'offrir des institutions
représentatives alors que, pour les jeunes nations confrontées à la
nécessité d'affirmer leur unité nationale et aux contraintes du
développement, la démocratie pouvait attendre. Heureusement, de nombreux
peuples n'ont pas voulu attendre. Les bouleversements que nous
connaissons, en particulier depuis 1989, et qui ont été déjà évoqués ce
matin, ainsi que l'échec de nombreuses dictatures dans le monde ont créé
une formidable aspiration à la mise en place ou au rétablissement
d'institutions parlementaires. Ces nouveaux États ou ces démocraties
restaurées se sont alors tournées, assez naturellement, vers les
vieilles nations démocratiques, soit parce qu'elles entretenaient avec
elles des relations de longue date - momentanément interrompues -, soit
parce qu'il s'agissait d'anciennes puissances coloniales auxquelles il
apparaissait naturel de s'adresser afin de bénéficier de leur
expérience.
C'est dans ce
contexte que l'Assemblée nationale et le Sénat ont été conduits à
répondre à de nombreuses demandes d'assemblées parlementaires naissantes
ou renaissantes à la recherche d'un soutien dans le cadre de la mise en
place d'institutions démocratiques. L'attention nouvelle au droit, et
tout particulièrement aux droits de l'homme, la recherche d'une
stabilité nécessaire à la paix et au développement économique et social,
sans oublier l'usure du régime préexistant, ont motivé ce choix. Le
parlement français - ce matin, plusieurs interventions en ont d'ailleurs
fait état - a su répondre à ces demandes et s'efforce quotidiennement de
faire face à ce défi qui, selon moi, est l'un des honneurs de la
fonction parlementaire aux côtés du contrôle du gouvernement et du vote
des lois. La coopération interparlementaire est, sans doute, l'une des
missions les plus porteuses d'avenir. Cette coopération, à l'Assemblée
nationale, s'est construite de façon assez empirique, en s'appuyant sur
des structures administratives légères. Vous allez constater, aussi,
qu'aujourd'hui, cette coopération interparlementaire prend de
l'assurance et de l'ampleur, et évolue - ce qui est assez satisfaisant -
vers une plus grande association des autorités politiques aux décisions
et aux actions. Les interventions sont d'ailleurs, pour la plupart,
multilatérales et pluridisciplinaires.
a. -
L'empirisme, à la base de la coopération interparlementaire
La première
mission de coopération interparlementaire, au sens où nous l'entendons
actuellement, remonte à 1978. A l'époque, la Chambre des Députés de la
jeune République de Djibouti avait sollicité l'Assemblée nationale pour
rédiger son règlement et initier la mise en place de ses services. Peu
après, en 1982, la Guinée-Équatoriale, ancienne possession espagnole,
qui sortait d'un régime dictatorial sanglant, avait également demandé
l'intervention de l'Assemblée nationale française pour l'aider à mettre
en place sa propre Assemblée, dans un immeuble déserté de l'ancienne
Chambre de commerce espagnole. Cette Assemblée se résumait alors à un
bâtiment (son personnel ne possédait aucune connaissance du droit
parlementaire ni du fonctionnement d'une assemblée).
Du point de vue
diplomatique, l'enjeu d'une telle coopération est évident. D'une manière
générale, plusieurs États issus de la décolonisation africaine, en
particulier le Sénégal et la Côte-d'Ivoire, mais également des États
tels que l'Équateur, le Nicaragua, le Chili ont demandé à l'Assemblée
nationale de déléguer auprès d'eux un fonctionnaire susceptible de les
aider à restaurer des institutions démocratiques.
b. - Par quel
canal privilégié cette coopération interparlementaire s'est-elle
engagée ?
Cette initiative
est généralement prise par le Président du groupe d'amitié entre notre
Assemblée nationale et celle du pays concerné, en concertation avec
notre ambassadeur sur place, autant de personnes conscientes de
l'intérêt d'une telle action, ou encore par le tout nouveau Secrétaire
général de l'Assemblée locale - souvent formé en France. Au départ, la
coopération ne relevait pas d'un plan d'ensemble ou d'une politique
savamment construite : il s'agissait, et il s'agit souvent encore, de
répondre à des demandes ponctuelles et éparses.
Cependant, les
services de l'Assemblée nationale constituaient, et constituent encore à
mon sens, une trop petite structure pour répondre à ces demandes. Ce
n'est qu'en 1994, à l'initiative du Président Philippe Seguin, que la
multiplication des missions d'assistance confiées à des fonctionnaires
de l'Assemblée nationale, dans tous les domaines de l'activité
parlementaire (procédures législatives, fonctionnement des commissions,
organisation administrative, statut du personnel, élaboration des compte
rendus) a conduit à la création d'une division de la coopération
interparlementaire. Curieusement, cette division était rattachée,
initialement, au service du protocole.
2. - Les moyens de la
coopération
a. - La
division de la coopération interparlementaire
Il s'agit d'une
structure qui demeure encore aujourd'hui légère : un chef de division,
un administrateur, deux administrateurs-adjoints, un secrétaire
administratif.
Cette équipe,
restreinte mais très efficace, doit, à l'évidence, être renforcée.
En effet, outre
les sujets traditionnels, liés essentiellement à la procédure
législative et au fonctionnement des commissions, le champ des demandes
s'élargit aujourd'hui à des sujets nouveaux : services de documentation,
et en particulier le volet informatique ; actions de communication.
b. - Les
différentes formes de coopération interparlementaire
La coopération
prend aujourd'hui des formes diverses. En pratique, il s'agit soit d'une
mise à disposition de fonctionnaires à l'étranger, soit de l'accueil de
stagiaires en France, les deux formes pouvant, d'ailleurs, se combiner.
Par exemple, une mission d'évaluation menée par l'Assemblée nationale
peut se prolonger par un séminaire de formation de fonctionnaires
étrangers. Dans les deux cas, il s'agit de déplacements de courte durée,
allant de quelques jours à deux semaines pour les missions à l'étranger,
et d'un mois, au maximum, pour l'accueil des stagiaires.
c. - Les
moyens financiers
Je n'entrerai pas
dans le détail des crédits que l'Assemblée nationale consacre à la
coopération interparlementaire. Pour être optimiste et positive, je
dirai que ces crédits, en 2002, augmenteront de 17 %. J'ajoute que si la
somme de départ est assez peu conséquente, cette augmentation représente
néanmoins un effort important qui s'avèrera cependant, à terme,
insuffisant. Il est à noter que ces crédits ne comprennent pas les
éléments dédiés à la coopération mais pris en charge par d'autres
services. Ainsi, le budget de la coopération interparlementaire
n'intègre pas le coût de fonctionnement de la division. Ce dernier est
intégré dans le budget de fonctionnement habituel des divisions de
l'Assemblée.
3. - Les évolutions actuelles
La souplesse qui
a présidé au développement de la coopération nécessite aujourd'hui
davantage de cohérence. De nouvelles tendances se dessinent pour la
coopération interparlementaire et notamment deux avancées importantes.
a. -
L'association accrue des autorités politiques
J'en veux pour
preuve la facilité avec laquelle nous avons convaincu de nombreux
députés d'assister à ce colloque et d'apporter leur témoignage sur leurs
actions en matière de coopération interparlementaire.
Jusqu'à présent,
la coopération interparlementaire était une affaire de fonctionnaires,
qui se construisait, le plus souvent, en dehors du champ des groupes
d'amitié. Il s'agissait simplement d'un transfert de connaissances et
d'expériences entre fonctionnaires français et fonctionnaires étrangers.
Le fait que la coopération interparlementaire fasse pleinement partie de
la diplomatie parlementaire, le fait qu'elle soit donc devenue un axe
fort de l'action diplomatique du parlement, imposait qu'elle devienne
enfin l'affaire des députés et non plus, seulement, celle des
responsables administratifs de notre assemblée.
Dans cette
perspective, le rattachement, à partir du 1er octobre 2000, à
l'instigation du Président Forni, de la division de la coopération
internationale aux services des relations internationales dont j'ai la
charge est hautement symbolique. Ce rattachement était d'ailleurs une
évidence.
La délégation du
Bureau chargée des relations internationales, à laquelle tous les
groupes de l'Assemblée nationale participent, a défini deux priorités en
matière de coopération :
· contribuer
au renforcement des institutions démocratiques, en particulier dans la
zone de solidarité prioritaire ;
· faciliter
- nous en avons également parlé ce matin - l'intégration à l'Union
européenne des pays aujourd'hui candidats, voire ceux qui pourraient le
devenir dans un avenir proche.
Ceci revient à accorder une attention toute
particulière à une préoccupation essentielle de la diplomatie, non
seulement parlementaire mais française, à savoir l'action vers les pays
francophones ayant appartenu à l'Union française et l'Europe orientale,
y compris la Russie et les Républiques issues de l'ancienne Union
soviétique. La clarté, dans l'organisation comme dans les priorités, est
déterminante.
Une seconde forme de l'association plus étroite
des responsables politiques à la coopération interparlementaire a été
l'implication, de plus en plus forte, des présidents des groupes
d'amitié. Les groupes d'amitié et la coopération relèvent désormais du
même service. Ainsi, chaque fois qu'une coopération est envisagée - et
j'y suis très attachée - il est proposé au président du groupe d'amitié
concerné de s'y associer. Cela est important et prometteur pour le
développement de cette coopération dans les années qui viennent. Ainsi
mon collègue Adevah-Poeuf a participé récemment, en sa qualité de
président du groupe France-Bénin, à un séminaire de formation qui s'est
tenu à Porto-Novo, réunissant des fonctionnaires de l'Assemblée
nationale française et leurs homologues de cinq pays d'Afrique
occidentale : le Burkina-Faso, le Bénin, le Mali, le Niger et le Togo.
De même, il y a quelques jours, Michèle Rivasi qui est à cette table et
qui préside le groupe d'amitié France-Madascagar, a participé à un cycle
de formation de fonctionnaires de l'Assemblée nationale malgache qui
avaient été recrutés à la suite d'un concours organisé avec l'appui
technique du personnel de notre Assemblée nationale. Alain Barrau,
président du groupe d'amitié France-Ukraine, a, de la même manière,
récemment reçu une délégation de députés et de fonctionnaires ukrainiens
en visite en France dans le cadre d'un programme européen TACIS, ce qui
m'amène à mon deuxième point.
b. - La participation et le soutien des
institutions européennes
Dans le cadre d'interventions plus multilatérales
et pluridisciplinaires, nous nous appuyons désormais sur des programmes
européens.
En effet, le second trait marquant de l'évolution
récente de la politique de coopération interparlementaire pratiquée par
l'Assemblée nationale est son caractère multilatéral et
pluridisciplinaire. Naturellement, vous devinerez aisément que des
actions multilatérales étaient menées depuis longtemps. Je citerai le
cycle existant depuis des années organisé par l'Institut international
d'administration publique consacré à l'organisation du travail
parlementaire. Il est animé principalement par des fonctionnaires de
l'Assemblée nationale et du Sénat. Pendant quatre semaines, une
trentaine de fonctionnaires parlementaires francophones d'Afrique,
d'Asie et d'Europe est ainsi rassemblée. De même, depuis plusieurs
années aussi, un séminaire de formation a lieu chaque année dans un pays
différent d'Afrique et regroupe des fonctionnaires de plusieurs pays --
je l'ai évoqué tout à l'heure en parlant du séminaire qui s'est tenu au
Bénin.
Mais la coopération multilatérale a pris une autre
dimension depuis la disparition de l'Union soviétique. La Communauté
européenne a compris l'intérêt global que représentait l'établissement
d'un État de droit, et donc d'institutions représentatives : c'est
pourquoi les programmes communautaires de coopération TACIS comportent
un volet visant à moderniser et revaloriser les institutions
parlementaires de ces pays. Ces programmes communautaires - je m'en
félicite et nous nous en félicitons certainement tous - mobilisent des
fonds d'une ampleur sans commune mesure avec ceux que des assemblées
telles que la nôtre peuvent consacrer à leur politique de coopération
internationale. Ces fonds sont une véritable manne. Ils étaient, jusqu'à
présent, accordés à des sociétés de conseil qui répondaient aux appels
d'offres communautaires mais qui, sans vouloir être exagérément
critique, ne possédaient pas toujours la savoir-faire très spécialisé
nécessaire pour faire fonctionner une assemblée parlementaire. C'est
pourquoi, lassée de répondre sans arrêt à des demandes de cabinets
privé, qui réclamaient l'envoi, dans différents pays, de fonctionnaires
de notre parlement ou la réception, en France, de délégations
étrangères, l'Assemblée nationale, associée au Sénat français et à la
BundesAcademy allemande a répondu à un appel d'offres des Communautés
européennes dans le cadre, précisément, de ce programme TACIS
d'assistance technique à la Douma russe. Preuve en est que le service
public peut parfois, efficacement, concurrencer le secteur privé. Ce
consortium parlementaire, associé à un cabinet comptable pour les
aspects financiers et matériels de l'opération, a remporté cet appel
d'offres et a ainsi pu mettre en oeuvre pendant cinq ans, de 1996 à
2001, un programme de formation d'une ampleur sans précédent avec un
parlement étranger. Nous y avons fait allusion ce matin. Par la suite,
le Sénat a conclu un contrat TACIS avec la Géorgie auquel, par
réciprocité, l'Assemblée nationale a été associée pour une partie des
fonctions demandées en matière de formation du personnel. Plus récemment
encore, le Sénat, allié à son homologue espagnol et à notre assemblée,
s'est lancé dans le programme PHARE d'aide au parlement polonais pour
l'intégration du droit communautaire dans la législation nationale de ce
pays. Le président Poncelet part d'ailleurs cet après-midi même en
Pologne, dans ce cadre et dans la perspective de l'adhésion de la
Pologne à l'Union européenne.
Ces programmes multilatéraux présentent de
nombreux avantages. Ils pallient les insuffisances de notre propre
coopération qui ne permet que des missions ou des réceptions de
stagiaires de courte durée et ne comportent pas d'aide à l'acquisition
de matériel informatique, bureautique ou de documentation. Or ces
aspects sont particulièrement importants. En outre, ces programmes
financés par l'Union européenne, mais aussi par d'autres bailleurs de
fonds tels que la Banque Mondiale ou la Banque Interaméricaine de
Développement, sont, en général, pluridisciplinaires. Leur volet de
renforcement de l'État de droit n'est pas limité au domaine
parlementaire, il s'adresse également aux services exécutifs ou
juridictionnels de ces pays. Ainsi, même en unissant leurs moyens, nos
deux assemblées ne pourraient répondre qu'à une toute petite partie
d'une demande qui excède leurs compétences.
c. - La participation de l'administration
Parallèlement, je tenais à signaler que d'autres
administrations de l'État - ministère des affaires étrangères, de la
Justice, Conseil d'État, Cour de Cassation, Cour des comptes,
universités et professions judiciaires (Ordre des avocats, des experts
comptables, etc.) - ont ressenti le même besoin de s'unir afin de
répondre à une demande globale. Elles ont, à cet effet, créé, en 1998,
sous l'impulsion de Robert Badinter, une association dénommée Agence de
Coopération Juridique Internationale - que l'on connaît mieux sous le
nom d'ACOJURIS. Cette Agence est chargée de suivre les appels d'offres,
de constituer les dossiers de candidature et, en cas de succès, de
prendre en charge la gestion financière et comptable de ces contrats
afin de contribuer à maintenir, voire à renforcer, la place du droit
d'inspiration française dans le monde. Après avoir assisté aux débuts d'ACOJURIS
sans en faire partie, l'Assemblée nationale a estimé que les compétences
de cette structure, qui rassemble des juristes de très grande qualité,
répondaient à ses besoins en matière de coopération interparlementaire.
C'est pourquoi, à ma demande et en accord avec le président de
l'Assemblée, les questeurs, il y a trois semaines, ont approuvé
l'adhésion de l'Assemblée nationale à ACOJURIS.
4. - Conclusion
Mes propos ont
été très descriptifs mais il me paraissait très important de faire le
point sur la situation actuelle ainsi que sur les évolutions que nous
souhaitons voir se réaliser demain.
La coopération
interparlementaire est devenue une forme normale d'intervention du
parlement dans la vie internationale, ce qui constitue, en soi, une
avancée majeure. Ses deux axes privilégiés - aider à la consolidation de
l'État de droit à travers des institutions parlementaires et contribuer
à l'élargissement de l'Union européenne par l'intégration du droit
communautaire dans les législations des États candidats - permettent à
notre assemblée de participer pleinement à l'action diplomatique de
notre pays.
Cependant -et
c'est sur ce point paradoxal que je voudrais conclure mon propos-, si le
développement de la coopération interparlementaire nécessite
l'introduction d'une certaine forme de rationalité, qui n'existait pas à
l'origine, il faut nous garder d'y introduire trop de rigidités.
Rationalité, cohérence, souplesse : la démocratie, c'est la vie et la
vie, c'est le foisonnement, fut-il, quelquefois, désordonné. Aussi,
faut-il être prêt à répondre aux demandes multiples de toutes ces
nouvelles démocraties qui se tournent vers nous. Il ne s'agit surtout
pas de leur livrer une Assemblée nationale clé en main, mais de leur
transmettre une expérience de plus de deux siècles, acquise à travers
bien des balbutiements, sans chercher à imposer un modèle français dont
nous pouvons être fiers mais qui n'est jamais directement transposable
hors de nos frontières.
Finalement, notre
ambition s'incarne dans un dialogue attentif, fondé sur l'examen de la
réalité, mais aussi sur des convictions profondes. Il n'est de système
politique digne de ce nom que démocratique. Pour reprendre Spinoza, je
dirai qu'il n'est pas de régime légitime sans le respect des droits de
l'homme. La coopération interparlementaire constitue donc
structurellement, j'insiste, une aide politique et diplomatique à l'État
de droit. Je vous remercie.
M.
Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public-Sénat
Puisque l'on a
fait l'honneur au professeur Guy Carcassonne et à moi-même d'être les
modérateurs et animateurs de ce colloque, je voudrais, avant de passer
la parole au président Xavier de Villepin, puis aux autres
interlocuteurs, demander à Guy Carcassonne s'il partage l'optimisme de
Mme Lazerges.
· Intervention de M. Guy CARCASSONNE, professeur de droit public
Je vous remercie.
En vérité, je ne partage qu'en partie seulement l'optimisme de Mme Lazerges.
J'assume ici un rôle paradoxal. N'étant ni membre du parlement et
n'appartenant à aucune structure relevant du ministère des affaires
étrangères, je m'interroge sur ce qui justifie ma présence. En outre, le
titre de modérateur me convient assez mal. Il est en effet beaucoup plus
amusant, dans un colloque, d'être l'« agresseur » et c'est ce que je
vais m'efforcer d'être pendant quelques minutes. En parcourant les cinq
continents, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreuses missions
parlementaires, d'en évaluer l'efficacité et de constater les services
indubitables qu'elles apportent. Je vais néanmoins m'attarder sur les
problèmes qu'il m'est arrivé de percevoir et qui tiennent en quelques
mots. La coopération parlementaire présente les caractéristiques
suivantes : d'abord, elle répond à des attentes incertaines, ensuite,
elle poursuit des finalités hétérogènes et enfin, elle met en oeuvre des
compétences aléatoires, ce qui lui confère évidemment de nombreux
handicaps.
1. - La coopération : des
attentes incertaines
S'agissant des
attentes incertaines, combien de fois n'avons-nous pas assisté au même
spectacle navrant : une mission de haut niveau arrive dans un pays et
constate que personne ne l'attend et qu'elle n'intéresse pratiquement
personne !
De fait, une
mission peut être initiée par un ambassadeur dynamique ou un responsable
politique local qui, ayant fait des études dans l'une de nos
universités, a gardé des liens affectifs avec la France. Elle peut aussi
être initiée par quiconque voit en notre pays la terre des droits de
l'homme et songe, spontanément, à se tourner vers elle. C'est dans cet
esprit que les initiatives sont fréquemment prises mais ce n'est
qu'ensuite que l'on tente d'intéresser les interlocuteurs locaux.
Ceux-ci font parfois preuve de curiosité, d'autres davantage de
politesse ou encore de circonspection que de véritable appétence. Or
s'adresser à des gens qui ne demandent rien ou peu de choses est une
gageure. C'est pourquoi, pour renforcer l'efficacité de ce type de
coopération, il faut d'abord faire en sorte que ceux auxquels cette
action s'adresse s'y intéressent - et ce n'est pas une mince affaire !
Que faire,
sinon ? Grâce à ses propres vertus, ne faut-il pas essayer de faire
découvrir à des gens, qui, finalement, ne demandaient rien, que nous
avons des choses à leur apporter, de surcroît susceptibles de les
intéresser ? Ce n'est qu'à ce prix que s'opèrera cette mutation
extraordinaire, grâce à laquelle non seulement ces personnes écouteront
vos discours protocolaires mais consacreront également suffisamment de
temps au projet pour le rendre utile.
Ce premier
obstacle, celui de ces attentes incertaines, n'est évidemment pas le
plus facile à franchir.
2. - La coopération : des
finalités hétérogènes
Des
parlementaires qui se déplacent, qu'il s'agisse de parlementaires
français à l'étranger ou de parlementaires étrangers en France, visent
simultanément plusieurs objectifs non nécessairement compatibles.
Certains
cherchent d'abord à faire la « propagande » de la démocratie : c'est un
rôle majeur, certainement le plus digne. La démocratie a maintes fois
démontré qu'elle était un excellent produit d'exportation nécessitant le
plus grand soin. Ces mêmes parlementaires cherchent également à être les
ambassadeurs collectifs de la France, dans une optique légèrement moins
désintéressée. Ils souhaitent ainsi - ce qui est un souci légitime -
profiter de l'occasion pour affirmer, renforcer et enrichir la présence
française dans les pays où ils se rendent ou bien l'influence de la
France auprès de parlementaires étrangers qui leur rendent visite.
Enfin, en tant
que parlementaires, ils gardent en tête les intérêts de leur
circonscription, ce qui est parfaitement naturel. Ainsi, à l'occasion
d'une mission, un parlementaire, en plus de convaincre ses
interlocuteurs des mérites de la démocratie et de vanter les vertus de
la présence française, peut avoir l'occasion de nouer des contacts
utiles au profit des entreprises de sa circonscription, ce dont il ne va
pas se priver.
Malheureusement,
ces finalités peuvent parfois se télescoper, d'autant plus, qu'une fois
encore, les missions s'adressent à des gens dont les attentes n'ont pas
été préalablement cernées de manière certaine.
3. - La coopération : des
compétences aléatoires
Le dernier
handicap concerne les compétences aléatoires, pour ne pas dire les
incompétences notoires (je tiens à rester poli). Il manque souvent à la
diplomatie parlementaire ce qui caractérise la diplomatie
professionnelle, à savoir la continuité. A l'inverse, il manque souvent
à la diplomatie professionnelle ce qui caractérise la diplomatie
parlementaire, à savoir la communauté de pensée.
J'ai toujours été
frappé, en rencontrant des interlocuteurs étrangers, notamment
parlementaires mais pas exclusivement, dans de nombreux pays, de leur
courtoisie et même de leur intérêt. Ils écoutent les parlementaires qui
se soucient de leurs électeurs et, accessoirement d'être réélus, car ils
ont, à ce moment-là, l'impression de « toucher » des choses concrètes.
Deux parlementaires, dont l'un est Français, ont beaucoup plus
d'interrogations et de préoccupations en commun que deux étrangers dont
un seul est parlementaire. Si nos postes diplomatiques apportent, à
l'étranger, la continuité et le professionnalisme que, malheureusement,
les parlementaires ne sont pas en mesure de fournir, ces derniers, en
revanche, apportent à l'étranger d'autant plus de capacités de
persuasion et de conviction à d'autres parlementaires qu'ils ont de
vrais intérêts communs. En principe, les ambassadeurs n'ont pas à se
soucier des électeurs quand, spontanément, deux parlementaires sont
forcément attachés à des préoccupations communes de ce seul fait.
Ces trois
handicaps contribuent à hausser le niveau du défi à relever et
certainement pas à rendre toute coopération vaine ou inutile. Je pense,
simplement, que sur la base de toutes les réflexions qui se développent
- et personnellement je m'en réjouis - sur cette notion de coopération
internationale, il faut parvenir - et ce que disait Mme Lazerges à
l'instant va tout à fait dans ce sens - à rapprocher les éléments a
priori incompatibles, et introduire de la continuité dans ce qui en
manque actuellement.
A mon sens, le
vrai problème de la coopération interparlementaire réside dans son
caractère sporadique. De ce point de vue, la participation directe des
assemblées à des programmes, qui, comme PHARE ou TACIS, s'inscrivent
dans le long terme, est une excellente réponse. Cette vision de long
terme permet de mutualiser des compétences diverses, et d'éviter de les
voir, comme cela arrive trop souvent, se neutraliser mutuellement.
M. Jean-Pierre
ELKABBACH, président de Public-Sénat
Merci. A
l'énoncé éloquent de ces trois handicaps, l'on pouvait légitimement
s'interroger sur la pertinence de la coopération interparlementaire.
Heureusement, vous avez souligné l'importance du défi à relever, et
approuvé les propos de Mme Lazerges. Je voudrais entendre, maintenant,
le Président Xavier de Villepin.
· Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission
des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat
Avant de relayer
le message que le Président Jean Faure m'a demandé de vous transmettre
sur le sujet de la coopération parlementaire, je voudrais répondre en
quelques mots à M. Carcassonne.
Premièrement, mon
expérience des commissions des affaires étrangères et de la défense me
permet de mettre l'accent, aujourd'hui, sur leurs compétences. Les
commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat sont composées de
membres dotés d'une solide expérience, de par leur passé, et surtout,
d'un goût prononcé pour les affaires étrangères et pour la défense. La
composition de la table ronde de ce matin l'a bien souligné.
Deuxièmement,
nous ne partons pas en voyage uniquement pour découvrir le monde. L'état
de notre diplomatie montre que la présence de la France n'est pas
toujours suffisante et que notre rôle est de contribuer au maintien d'un
dialogue avec de très nombreux pays du monde qui regrettent, souvent, de
ne pas avoir davantage de relations avec notre pays. Ces quelques
exemples ne sont pas de nature à susciter la polémique. De grandes
missions ont récemment été entreprises par la Commission des affaires
étrangères du Sénat, en Indonésie, en Iran, en Inde et en Asie centrale.
Or nous avons beaucoup travaillé pour rencontrer des interlocuteurs de
ces pays étrangers. Je ne crois pas être trop prétentieux, en vous
disant que les rapports que nous avons fournis, à notre retour, ont
apporté, au Quai d'Orsay et à nos ambassades, des éléments utiles de
compréhension de ces pays. Les professionnels doivent de moins en moins
penser qu'ils sont les seuls capables d'intervenir dans ces pays. De
plus en plus, les parlementaires doivent être conscients que la présence
de la France doit être renforcée par leur action.
J'en viens, mes
chers collègues, à la lecture du message de Jean Faure. Il complète ce
que vous avez dit, Madame, ce dont je vous remercie.
« L'une des
évolutions majeures des dernières années est l'essor régulier, et
considérable, de la coopération interparlementaire. Embryonnaire au
début des années 90, elle a pris une grande ampleur. Mais, avant d'aller
plus avant, il convient de préciser ce que l'on entend par coopération
interparlementaire. Bien connue des assemblées, elle pourrait l'être
mieux à l'extérieur. j'entendrais, donc, par coopération, l'ensemble des
actions permettant un échange de savoirs et de méthodes entre assemblées
parlementaires. Ces actions peuvent, évidemment, prendre des formes très
diverses : accueil de parlementaires ou de fonctionnaires des
assemblées, stage de plus longue durée...
1. - Le considérable
développement de la coopération interparlementaire (missions
d'évaluation sur place, assistance de longue durée)
Bref, ce qu'il
convient, d'abord, de souligner, c'est le considérable développement de
cette coopération. Je ne citerai qu'un seul chiffre, mais il est
éloquent : entre 1993 et 2000, le nombre de stagiaires et de visiteurs
reçus par le Sénat, dans le cadre de cette coopération, est passé de 72
à plus de 700 ; encore, 2000 fut-elle une année de basses eaux, puisque
le Sénat a organisé le Forum des Sénats du monde. Un autre
élément qui témoigne de la vitalité de cette coopération et la variété
des pays qu'elle concerne. Il n'est pas un continent d'où elle soit
absente, même si ses points forts sont actuellement l'Afrique et l'Est
de l'Europe. Pourquoi ce rapide développement ? Disons-le, il tient très
clairement aux effets d'une double évolution historique : l'effondrement
des pays communistes et avec eux, de leur façade institutionnelle,
pseudo démocratique, en est le premier élément. Le second, qui est lié,
est la démocratisation progressive, difficile, mais réelle du continent
africain. Cependant, aujourd'hui, et au-delà de ces événements
historiques, entre en ligne de compte un vaste mouvement, à l'échelle
mondiale, qui souligne, et justifie, l'importance de la coopération
parlementaire. On constate une immense et quasi-universelle aspiration à
une amélioration des méthodes de gouvernement. En d'autres termes,
maintenant que le système démocratique s'est imposé dans le monde, il
paraît nécessaire d'en perfectionner le fonctionnement. Plus encore,
jusqu'alors limitée au plan national, la conquête démocratique doit,
aujourd'hui, aborder le champ international et cela passe par une
coopération intensifiée entre institutions représentatives.
2. - Les enjeux de cette
coopération
Quels sont,
aujourd'hui, les enjeux de cette coopération ? Le premier est, bien sûr,
la démocratisation. Si sa théorie reste à faire, il n'en reste pas moins
que chacun s'accorde, désormais, à reconnaître que la démocratie est
constituée, de façon pragmatique, par un patrimoine bien identifiable de
pratiques politiques et institutionnelles. Sans prétendre à
l'exclusivité, l'existence d'un parlement représentatif, et doté de
moyens d'action, est certainement l'un des éléments forts de ce
patrimoine, car il est, à la fois, le garant du pluralisme, mais aussi
un gage de modération des pouvoirs, en particulier, s'il est bicaméral.
Le deuxième enjeu
est international : nous devons avoir la conviction que contribuer à
l'affermissement des parlements, c'est travailler à l'émergence d'une
communauté internationale démocratisée et démocratique. Seuls ces États
démocratiques sont à même de participer avec autorité et assurance à
cette communauté. En d'autres termes, en consolidant les parlements
nationaux, l'on favorise l'éclosion d'une société internationale digne
de ce nom.
Enfin, le
troisième enjeu nous rappelle que la construction de cette société
internationale est un combat, car rien n'y est définitif : sa
configuration dépendra d'un certain nombre de choix. De fait, pourquoi
ne pas le dire, elle est l'occasion d'une intense compétition juridique
et institutionnelle. Ce qui s'affronte, c'est tout simplement deux
systèmes : le droit anglo-saxon et le droit français. De son issue
dépendra la forme et la valeur de la démocratie internationale en
gestation. Ira-t-on, dans le domaine juridique, comme en matière
économique, culturelle, linguistique, vers plus d'uniformité ? Ou
s'engagera-t-on dans la voie d'un authentique pluralisme ? C'est aussi
pour répondre, positivement, au deuxième terme de cette question que la
coopération interparlementaire menée par l'Assemblée nationale et le
Sénat est essentielle.
3. - Perspectives de la
coopération interparlementaire
Cette
coopération, quelles en sont les perspectives ? Dans l'ordre interne,
deux séries de considérations s'imposent. En premier lieu, et pour les
raisons invoquées par le président Poncelet ce matin, c'est-à-dire de
modestie, vu les moyens, l'action de nos assemblées doit être moins axée
sur la gestion des programmes de coopération, mais conçue davantage
comme fédératrice et animatrice de réseaux au bénéfice de l'État de
droit ; ce qui nous engage, très concrètement à développer nos
partenariats et à mettre l'accent sur la pluridisciplinarité.
En second lieu,
l'un des enseignements de ces dernières années, est que la coopération,
dans un cadre bilatéral et multilatéral, se confortent l'une l'autre. En
Géorgie, nous sommes partis du bilatéral, pour poursuivre par du
multilatéral sur financement européen. Au Cambodge, à l'inverse, nous
sommes partis du multilatéral pour passer au bilatéral avant d'aboutir,
aujourd'hui, à nouveau, au multilatéral. En d'autres termes, l'une des
perspectives de l'avenir est d'assurer une étroite complémentarité entre
ces deux types de coopération. À l'échelon international, il me semble
utile de souligner l'évolution prometteuse de l'engagement croissant des
organisations internationales en faveur du soutien aux institutions
représentatives. Comme en écho à la résolution finale du Forum des
Sénats du monde de mars 2000 qui demandait à ces organisations, de
ne pas limiter leur soutien à leurs exécutifs, mais de l'étendre aux
assemblées, la conférence des Pays les Moins Avancés a souligné que les
programmes de coopération devaient, désormais, privilégier les
parlements. Cela marque, me semble-t-il, une nouvelle étape de la
coopération interparlementaire. Reconnue dans l'ordre interne elle
l'est, désormais, aussi sur le plan international. »
M. Jean-Pierre
ELKABBACH, président de Public-Sénat
Merci, Xavier de
Villepin. Je vais donner maintenant la parole à Michèle Rivasi, qui est
députée, comme vous le savez, puis au sénateur Claude Huriet. Lorsque
chacun aura parlé, la discussion pourra s'engager entre les intervenants
à la tribune et vous-mêmes. Je pense que, naturellement, vous avez envie
de poser un certain nombre de questions - ou en tout cas de donner votre
avis. N'oublions pas, comme l'a annoncé tout à l'heure Mme Lazerges, que
le ministre des affaires étrangères, M. Védrine, devrait nous rejoindre
vers quatre heures et demie.
· Intervention de Mme Michèle RIVASI, députée, présidente du groupe
d'amitié France-Madagascar
Je vais essayer
d'être brève tout en apportant des éléments concrets sur la coopération
et la diplomatie parlementaire. Vous savez que je suis présidente du
groupe d'amitié France-Madagascar. A ma nomination à ce poste, j'avoue
avoir été ravie. En effet, je connaissais déjà Madagascar.
1. - Formation des élus et
fonctionnaires parlementaires malgaches
C'est en tant que
présidente du groupe d'amitié France-Madagascar que je me suis rendue
sur place, en novembre 1998, à la demande de l'Assemblée nationale
malgache pour faire un stage et former les députés nouvellement élus.
L'intérêt de former des députés désireux de connaître le statut exact
d'un député en France m'a paru évident.
La polémique
locale, à l'époque, était la suivante : fallait-il doter ou non les
députés malgaches de 4X4 ? Sachant qu'ils n'avaient pas d'assistants
parlementaires, cette polémique se nourrissait du fait que cette
Assemblée nationale était quelque peu un gadget. Le président de
Madagascar, ainsi que son gouvernement, avait un rôle très important
d'un point de vue politique, rôle bien plus important que celui de
l'Assemblée nationale. L'attente était donc très forte, contrairement à
ce que vous avez dit, M. Carcassonne. Les députés étaient vraiment
demandeurs d'une formation. A ce stade, l'implication des députés
malgaches était essentielle. Auparavant, l'absentéisme était très
important dans cette assemblée.
A la suite de ce
stage, j'ai constaté que cette assemblée n'avait pas de fonctionnaires
et ne comptait que des assistants politiques. A chaque changement
d'assemblée, l'ensemble des personnels était renouvelé. Le président
malgache de l'Assemblée souhaitait donc réfléchir à la manière dont
cette chambre pouvait se doter d'un outil permanent de fonctionnement.
Nous sommes, comme cela a été indiqué tout à l'heure, des exportateurs
de démocratie. Mais encore faut-il que des outils démocratiques
préexistent dans ces pays.
La demande du
Président de l'Assemblée nationale malgache, appuyée par le Président de
l'Assemblée nationale française, insistait sur la question de la
formation des fonctionnaires. Nous y avons répondu dans le cadre de
trois missions.
La première
d'entre elles consistait à élaborer un programme de concours. La seconde
visait à la constitution d'un jury, une fois le programme du concours
établi grâce à l'équivalent de l'ENA à Madagascar, et à l'institution
d'un secrétariat général malgache. Deux fonctionnaires de l'Assemblée
nationale française se sont rendus à Madagascar, ce qui est très
important pour les Malgaches car, à défaut, nombre d'étudiants ne se
seraient pas présentés au concours en raison de la corruption qui règne
dans ce pays. Sans la présence de ces fonctionnaires, ils ne se seraient
pas présentés. C'est dire l'importance de notre image en termes de
démocratie.
Enfin, nous avons
organisé un stage de formation de quinze jours - où je ne suis, pour ma
part, resté que quatre ou cinq jours (vous savez qu'un député ne peut
s'absenter trop longtemps de sa circonscription). Quinze fonctionnaires
ont été recrutés selon les règles déontologiques suivantes : la
compétence, la disponibilité et la neutralité politique - élément très
important dans ce pays.
M.
Xavier de VILLEPIN
Sont-ils restés
neutres ?
Mme
Michèle RIVASI
Oui, du moins
pour l'instant... L'histoire nous le dira.
Nous envisageons
de les faire venir en stage de formation à l'Assemblée nationale en
France. Il nous a fallu trois ans pour mettre sur pied le dispositif,
grâce à la volonté des Assemblées nationales malgache et française. Cet
outil pourrait d'ailleurs parfaitement être réutilisé dans d'autres pays
africains. Plus qu'un outil de formation des fonctionnaires, il s'agit
d'un outil de démocratie.
Je voudrais
maintenant vous citer un deuxième exemple de coopération parlementaire.
Dans une circonscription, il existe de nombreux exemples de jumelage,
notamment au niveau de l'Institut national du tourisme (la demande
touristique étant importante). Dans ma circonscription, des conventions
ont été établies avec le lycée hôtelier et l'hôpital, qui disposent de
matériels qui, n'étant plus aux normes européennes, pourraient
parfaitement être transférés dans d'autres pays.
Par ailleurs,
vous connaissez ma passion pour l'environnement et je me suis engagée, à
ce titre, dans des projets de financement en faveur des énergies
renouvelables, en coopération avec la Communauté européenne et l'ADEME.
J'ai, pour ma part, incité le Conseil régional Rhône-Alpes à nous
rejoindre. Pour plus de quinze villages, on a pu ainsi financer l'achat
de cellules photovoltaïques et, demain, d'éoliennes.
2. - Pour des jumelages
circonscription par circonscription
Je voudrais
également formuler une demande concernant les groupes d'amitié. On peut
demander à des parlementaires français de se rendre à Madagascar, mais
il me semble plus intéressant de mettre en place un jumelage entre
députés malgaches et français. Contrairement à ce que vous pensez,
lorsque je vais là-bas, je rencontre de nombreux membres de l'Exécutif
et pas seulement les parlementaires. Je rencontre ainsi les ministres et
le président de la République Didier Ratsiraka, qui sont très demandeurs
de l'avis d'hommes politiques français. Ces interlocuteurs doivent, eux
aussi, tenir compte de leur électorat et trouvent fructueux les échanges
entre parlementaires et entre parlementaires et ministres, qui sont
souvent aussi des députés.
Dans le cadre du
groupe d'amitié, il me semblerait intéressant d'organiser des jumelages
circonscription par circonscription. Un député malgache pourrait se
rendre dans la circonscription d'un député français et vice-versa. Notre
formation politique nous permet, en fonction de la caractéristique de
notre circonscription, de savoir ce que nous pouvons leur apporter et ce
qu'ils peuvent nous apporter. Ensuite, nos interventions sont
complémentaires à celles des diplomates. Lorsque deux Français ont été
emprisonnés après avoir gagné un match de rugby, s'être rendus en boîte
de nuit et y avoir réalisé un strip-tease, j'ai dû intervenir
personnellement pour les faire sortir de prison ! Les tentatives du Quai
d'Orsay avaient échoué et j'ai dû intervenir directement auprès du
président de la République.
Je suis persuadée
que des députés motivés, passionnés, qui aiment le pays qu'ils
représentent, qui souhaitent développer une vraie coopération avec
d'autres parlementaires peuvent oeuvrer favorablement pour la démocratie
dans le monde.
· Intervention de M. Claude HURIET, questeur du Sénat, président du
groupe sénatorial d'amitié France-Pays baltes
J'interviens en
tant que témoin à double titre, d'abord en tant que président fondateur
du groupe d'amitié France-Pays Baltes, ensuite en tant que questeur du
Sénat. Je peux confirmer ce que Mme Lazerges a dit tout à l'heure : la
ligne budgétaire du Sénat, comme celle, semble-t-il, de l'Assemblée
nationale, est l'une de celles qui connaît la progression la plus
rapide...
M.
Xavier de VILLEPIN
Le chiffre de
17 % a été avancé.
M.
Claude HURIET
Oui,
l'augmentation budgétaire est au moins de cette ampleur. C'est l'une des
lignes qui augmente le plus avec celle des chaînes parlementaires, mais
ceci est une autre affaire, même si l'une et l'autre contribuent à
renforcer l'image de nos parlements tant à l'intérieur qu'à l'extérieur
de l'Hexagone.
Ma double
casquette - président d'un groupe d'amitié et questeur - traduit, je
crois, une volonté politique très forte de la part de la présidence de
nos assemblées et l'adhésion de nos parlementaires à ces démarches.
Celles-ci doivent continuer de connaître une ampleur et une efficacité
croissantes. Je m'exprimerai en tant que témoin et je vous demanderai,
M. le Président, après ma déposition, l'autorisation de me retirer pour
laisser le jury délibérer en toute liberté...
La coopération
interparlementaire, telle qu'elle est vue par le Sénat, doit nous amener
à distinguer deux variantes en termes d'objectifs et de moyens. En
effet, développer la coopération interparlementaire avec des pays, des
régions, des zones géopolitiques qui connaissent une intégration
économique et politique est une chose. Développer une coopération
interparlementaire avec des pays dans le cadre des rapports Nord-Sud, et
éventuellement avec les PECO, en est une autre. Je crois que la
coopération interparlementaire n'est pas une démarche homogène et qu'à
travers les objectifs et les moyens, il est nécessaire de définir, sans
doute, des stratégies quelque peu différentes.
J'ai défini deux
variantes et cinq actions.
1. - La coopération
interparlementaire
Parmi ces
actions, je citerai d'abord la coopération technique interparlementaire
dont Xavier de Villepin a déjà donné, au nom de Jean Faure, quelques
aperçus. Je vais entrer, plus qu'il n'a voulu le faire, dans les
détails. Le nombre de stages d'accueil de stagiaires au Sénat est passé
de 35 en 1994 à 141 en 1999. Le nombre de stagiaires, qui a aussi été
évoqué, atteint, désormais, à peu près un millier, ce qui traduit cette
volonté politique qui s'exprime à travers le budget, mais aussi à
travers les actions que nous développons.
2. - Le rôle du Président du
Sénat
D'autres actions,
à mon sens, doivent être rapprochées de la coopération
interparlementaire : je veux parler du rôle des présidents de nos
assemblées. J'ai constaté l'intensité des actions internationales du
Président du Sénat qui s'est traduite, entre autres, par l'accueil de
près d'une trentaine de personnalités (chefs d'État, de gouvernement ou
président des assemblées). Bien sûr, souvent, la démarche protocolaire
l'emporte. Cependant, les entretiens auxquels plusieurs d'entre nous ont
eu la possibilité d'assister ont permis de cerner des interrogations de
nos interlocuteurs, mais aussi la demande qui s'exprime à travers eux et
à laquelle, je crois, nous avons l'obligation de répondre.
3. - Les groupes sénatoriaux
d'amitié
Les groupes
d'amitié ont été évoqués tout à l'heure et je n'y reviendrai que pour
compléter l'expérience de Michèle Rivasi. Le groupe d'amitié France-Pays
Baltes a un jour été saisi, en urgence, par notre ambassadeur de
Vilnius. Ce dernier avait alerté le groupe car un invité du Quai
d'Orsay, auquel on promettait un avenir politique important dans son
pays, était arrivé et n'avait pas été très satisfait des conditions et
du programme qu'on lui avait réservé. Le groupe d'amitié, immédiatement
alerté, a fait en sorte que l'accueil qui lui a été réservé soit du
niveau que pouvait espérer le maire d'une capitale. Je remercie
d'ailleurs Xavier de Villepin qui, avec le président de l'Association
des maires de France, ont fait, l'un et l'autre, tout ce qui était en
leur pouvoir pour que cet hôte soit reçu dignement. Il était, à
l'époque, maire de Vilnius, mais est devenu, quelques semaines après,
Premier ministre de Lituanie. Je cite cette anecdote car elle montre à
quel point les actions des différents acteurs sont complémentaires. Les
groupes d'amitié contribuent, ainsi, à la coopération
interparlementaire, mais aussi à la diplomatie parlementaire dont on a
parlé précédemment.
4. - Les colloques Sénat-CFCE
Par ailleurs, je
voudrais citer une quatrième démarche intéressante : les colloques
économiques que le Sénat organise régulièrement avec le CFCE. Ces
colloques se situent sur un créneau différent mais donnent, finalement,
à la coopération interparlementaire une dimension qui ne se limite pas à
l'apprentissage du fonctionnement du parlement.
5. - Les missions
d'observation
Enfin, la
cinquième action concerne les missions d'observation. Nous sommes
sollicités, souvent d'ailleurs dans des conditions d'urgence, pour
envoyer un certain nombre de nos collègues à titre d'observateurs, comme
garants du fonctionnement et du respect des règles démocratiques dans le
cadre d'élections qui ont lieu dans ces pays. Certains, d'ailleurs,
s'interrogent sur les conditions dans lesquelles de telles actions
doivent se développer pour apporter, effectivement, cette caution et ne
pas servir d'alibi à une fausse démocratie.
C'est une autre
question, mais je pense avoir, en quelques minutes, balayé les types
d'action qui, à notre sens au Sénat, traduisent la volonté politique de
développer sans cesse la coopération interparlementaire.
· Intervention de M. René ANDRÉ, député, président des groupes
d'amitié France-Asie centrale et France-Kazakhstan
Je voudrais, à
mon tour, répondre, très brièvement, à la provocation volontaire de M.
le professeur Carcassonne. Vous avez évoqué les attentes incertaines.
Vous me permettrez donc d'évoquer rapidement les attentes frustrées.
Vous avez évoqué des finalités hétérogènes, je parlerai de finalités
multiples, riches de leurs différences. Enfin, vous avez conclu par des
compétences aléatoires, vous me permettrez, en un mot, d'évoquer les
compétences diverses et complémentaires.
1. - Les attentes frustrées
Il existe des
attentes auxquelles nous, parlementaires, lorsque nous sommes dans les
différents pays, ne pouvons répondre.
Je garderai
longtemps en mémoire les demandes qui m'ont été présentées, avec
d'autres collègues lorsque j'étais au Vietnam. Elles nous étaient
présentées par des parlementaires vietnamiens et nous ne pouvions y
répondre. J'ai également un autre souvenir, assez récent, celui de
l'époque où j'étais au Kosovo, à Pristina et des demandes qui nous
étaient présentées par la collectivité, aussi bien serbe qu'albanophone.
Nous avons relayé ces demandes mais nous savions que nous n'aurions pas
beaucoup de succès. Les attentes vis-à-vis de la diplomatie
parlementaire sont réelles. Malheureusement, nous ne pouvons pas
toujours y répondre.
2. - Des finalités multiples
riches de leurs différences
Il ne faut pas
confondre le travail - ce serait une erreur considérable - que font nos
ambassadeurs et nos diplomates sur le terrain et le travail que nous
avons à faire lors de notre venue dans un pays. Notre action n'est pas
la même et, pour répondre concrètement aux interrogations du public,
nous n'allons pas dans les divers pays où nous nous rendons pour faire
du tourisme. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au travail de Mme
la présidente Lazerges : elle a tenu, justement, à regrouper les
différentes zones de façon à ce que notre travail, comme vous l'avez
déjà fait au Sénat, soit plus cohérent. Je pourrais encore continuer à
ce propos.
3. - Des compétences
complémentaires
Nos compétences
ne sont pas seulement aléatoires, elles sont diverses et
complémentaires. Notre travail n'est pas le même et je vais prendre un
exemple très récent et très précis. Tout le monde connaît maintenant le
président Ibrahim Rugova. Il se trouve qu'il y a quelques années, le
président Ibrahim Rugova a été reçu comme un chef d'État en Allemagne.
Il est arrivé en France pensant être reçu exactement de la même façon.
Il a été immédiatement arrêté par la Police de l'Air et des Frontières
et mis au placard à l'aéroport. Une intervention parlementaire auprès du
ministre de l'Intérieur de l'époque a été nécessaire pour, non sans
difficultés, faire en sorte que le président Ibrahim Rugova soit libéré.
Je pense que cela aussi fait partie intégrante des compétences diverses
et complémentaires. Voici ce que je tenais à vous dire, M. le
professeur.
Mon témoignage ne
sera pas à charge ! Il se trouve que je ne suis plus le président du
groupe d'amitié France-Russie, qui est aujourd'hui présidé avec
compétence et bonheur par Jean-Louis Bianco. Cependant, j'ai eu, pendant
un certain temps, à m'en occuper. Je voudrais souligner que, dès la
chute de l'Union soviétique, les délégations parlementaires russes ont
commencé à se succéder à l'Assemblée nationale. Ce mouvement s'est
amplifié de façon considérable à partir de 1994 lorsque la Russie a
adopté une nouvelle Constitution et lorsque la Douma d'État a remplacé
le Soviet suprême. Il est alors apparu, très rapidement, que le groupe
d'amitié qui existait ne pouvait pas répondre à toutes les demandes de
relations et de coopération : il est apparu nécessaire de se doter de
moyens permettant des contacts plus réguliers et d'établir ces contacts
avec les différents organes du parlement - aussi bien la présidence et
le bureau que les commissions et les délégations. C'est pourquoi
MM. Séguin et Ritkine, à l'époque respectivement Président de
l'Assemblée nationale et président de la Douma d'État, ont décidé, en
octobre 1994, de créer un organe unique de coopération
interparlementaire : la Grande Commission parlementaire France-Russie.
Cette grande commission reste, encore aujourd'hui, originale tant par sa
composition que par le niveau auquel elle se réunit ainsi que par la
régularité de ses rencontres. La Grande Commission est, en effet,
composée, pour la partie française, de trois membres du Bureau de
l'Assemblée nationale, de représentants de chacune des commissions
permanentes et des délégations de l'Assemblée nationale à vocation
internationale ainsi que des membres du bureau du groupe d'amitié
France-Russie. Ses réunions se tiennent toujours dans un strict respect
de l'équilibre politique. Depuis 1994, la Grande Commission s'est réunie
six fois sous la présidence effective, aussi bien du Président de
l'Assemblée nationale que sous celle du président de la Douma d'État -
ce qui a, bien entendu, toujours conféré à ces réunions un éclat
particulier. Ses travaux durent généralement de deux à trois jours et
portent traditionnellement sur l'examen de la situation internationale,
sur la coopération européenne et sur des thèmes d'intérêt commun pour
les deux parlements. Lors de notre dernière session, nos travaux ont
porté sur les questions stratégiques - le bouclier anti-missiles, les
relations entre l'Union européenne et la Russie, l'évolution des Balkans
- l'affaire du Kosovo - et les relations entre le parlement russe et le
parlement français. C'est une structure à laquelle nos collègues russes
sont profondément attachés et qui, je crois, remplit bien son rôle de
diplomatie parlementaire.
Le deuxième
exemple que je voudrais apporter et qui a été évoqué par Mme la
présidente Lazerges concerne la coopération qui existe entre l'Assemblée
nationale et la Douma d'État dans le cadre du programme TACIS. Le point
intéressant de ce programme, comme vous l'avez souligné Madame la
présidente, est qu'il fait travailler l'Assemblée nationale et le Sénat,
mais aussi les parlements allemand, espagnol avec l'ensemble de nos
collègues russes. C'est vous dire l'intérêt novateur de cette expérience
tout à fait intéressante et qui va continuer à se poursuivre. L'ensemble
de ces activités a débouché sur plusieurs rencontres, aussi novatrices
les unes que les autres, puisque nous avons mis en place une coopération
trilatérale réunissant les parlementaires français, russes et allemands.
Nous avons commencé, et ce n'était pas une chose facile, à aborder le
cas difficile et irritant de Kaliningrad auquel nos collègues russes et
allemands sont extrêmement sensibles. Ce sont d'ailleurs les
parlementaires allemands qui nous ont dit que nous, Français, étions
peut être les mieux placés pour aborder, avec les Russes, cette
question.
Le plus important
à mes yeux n'est pas forcément la structure dont émane telle ou telle
étude, mais plus exactement la capacité du parlement - Sénat et
Assemblée nationale -, par ses divers organes et ses divers moyens
d'action, à étudier de manière approfondie un sujet, d'une part, et, en
matière internationale, d'en percevoir toute la complexité, par les
contacts auxquels il peut participer, d'autre part.
C'est - et j'en
porte le témoignage - le cas, en ce qui concerne les relations entre la
France et la Russie, où l'Assemblée nationale a réussi à créer un climat
de dialogue particulièrement approfondi dont est exclue toute langue de
bois et qui permet d'aborder, dans la plus grande clarté et la plus
grande simplicité, les sujets les plus difficiles. C'est peut-être là le
propre de la diplomatie parlementaire d'établir un style de relations
moins formelles, moins policées, que celles de la diplomatie
traditionnelle. Notre parole est naturellement plus libre, nos
responsabilités ne sont pas non plus du même niveau, M. le professeur.
Cela a,
néanmoins, un corollaire auquel il faut veiller avec soin : celui de la
responsabilité et de la conscience des enjeux qui font l'objet des
discussions. Par définition, la diplomatie parlementaire doit se situer
au même niveau qualitatif que la diplomatie traditionnelle afin de
pouvoir, lorsque cela s'avère utile, la compléter et l'enrichir sans,
bien entendu, se substituer à elle de quelque manière que ce soit.
· Intervention de M. Jacques PELLETIER, sénateur, ancien ministre de
la Coopération
Merci. Je me
contenterai de quelques mots car, d'une part, l'on m'a demandé d'être
bref et d'autre part, Mme Lazerges et M. de Villepin ont déjà tout dit
et cela de la meilleure façon qui soit.
Ne m'en veuillez
pas car je reste toujours inhibé par mon passage au ministère de la
Coopération et j'ai du mal à séparer démocratie et développement.
J'estime qu'il ne peut y avoir de vraie démocratie sans un bon
développement ni de vrai développement sans bonne démocratie. Comment
voulez vous que s'instaure, dans des pays où la moitié de la population
vit en dessous du seuil de pauvreté, une démarche citoyenne ? Ce n'est
tout simplement pas possible ! Ces populations ont d'autres
préoccupations : pouvoir survivre et s'alimenter tous les jours.
Nous devons donc
concentrer nos efforts sur le développement. Ce n'est qu'une fois ce
problème de développement résolu que nous pourrons aider les pays
auxquels nous nous intéressons à promouvoir l'État de droit. L'État de
droit est une priorité essentielle. État de droit signifie : justice,
administration fiscale, Cour des comptes, décentralisation,
collectivités locales, développement des associations et des syndicats,
création d'un médiateur de la République, création d'un code des
investissements qui soit favorable aux entreprises, fonctionnement
correct du parlement, élections transparentes, pouvoir législatif,
pouvoir de contrôle. Dans ces domaines, naturellement, la coopération
interparlementaire entre le Nord et le Sud est une excellente chose. Nos
techniques parlementaires, nos expériences, nos processus électoraux -
même s'ils sont critiqués - ne sont pas si médiocres que cela et peuvent
profiter aux démocraties naissantes - notamment en Afrique, en Europe de
l'Est et dans certains pays d'Asie et d'Amérique centrale.
Je voudrais
terminer en faisant trois observations.
Premièrement, je
crois que l'Assemblée nationale et le Sénat doivent s'unir, encore
davantage qu'ils ne le font aujourd'hui, pour mettre en commun leurs
moyens et leurs compétences au service de la démocratisation et du
renforcement des parlements dans le monde. De même, il faut davantage
associer certains parlements francophones (Québec, Belgique, Suisse),
ainsi que certains parlements de l'Union européenne - on a parlé de
l'Allemagne et de l'Espagne. Ces exemples méritent d'être multipliés :
les tâches sont nombreuses et doivent être bien réparties, sous peine de
se faire concurrence comme j'ai pu le constater, malheureusement,
souvent en Afrique, du temps où j'étais ministre de la Coopération.
Deuxièmement,
vous savez qu'ont régulièrement lieu des rencontres interparlementaires,
qui rassemblent des représentants de tous les parlements du monde,
qu'ils soient démocratiques, moins démocratiques ou peu démocratiques.
Notre tâche est d'ailleurs de faire en sorte que les parlements les
moins démocratiques le deviennent davantage. Ces échanges sont en mesure
de favoriser cela. Je pense néanmoins qu'une réunion annuelle serait
amplement suffisante.
Troisièmement,
Mme Rivasi parlait de l'importance des groupes d'amitié. Je partage son
avis. Ces groupes d'amitié nous apportent une connaissance réciproque
des hommes et des pays. Ils permettent aussi de faire passer un certain
nombre de messages au plan diplomatique, sachant que nous entretenons
des relations avec le ministère des affaires étrangères.
Néanmoins, il
faut aller plus loin. Chaque groupe d'amitié devrait, pour être vraiment
efficace, déboucher soit sur un jumelage (qui donne un caractère
populaire aux échanges), soit sur des projets de développement (financés
par le ministère de la Coopération ou le ministère des affaires
étrangères). Les groupes d'amitié, qui se multiplient, méritent, à ce
titre, tous nos encouragements. Je vous remercie.
· Intervention de M. René DOSIÈRE, député
Je voudrais faire
quelques remarques sur les missions d'observations électorales, qui,
paraît-il, se multiplient.
1. - Les critères qui
président à l'envoi d'une mission d'observation électorale
L'Assemblée
compte, depuis 1988, environ une centaine de missions. Cela nous a
conduit, naturellement, à définir quelques règles puisque ces missions
n'ont plus désormais de caractère exceptionnel. Le Bureau de l'Assemblée
décide ou non de l'envoi d'une mission. Une mission, pour être acceptée,
doit remplir au moins quatre critères.
En premier lieu,
le pays doit en faire la demande. A ce propos, mon cher Guy Carcassonne,
je tiens à insister sur le fait que nous ne nous rendons pas là où l'on
ne nous demande pas d'aller ! En second lieu, nous devons obtenir, de la
part des autorités locales, la garantie de circuler librement dans le
pays où aura lieu l'élection. En troisième lieu, nous devons recueillir
un avis favorable du ministère des affaires étrangères. Nous collaborons
étroitement, sur place, avec les ambassadeurs en poste et il est donc
tout à fait souhaitable que le ministère soit informé de notre mission.
En dernier lieu, le pays demandeur doit présenter une certaine
importance politique. Cette notion est naturellement vague puisqu'elle
s'applique aussi bien à la Russie, durant la période 1993-1996, qu'au
Chili en 1988, à l'Afrique du Sud et au Mozambique en 1994 ou encore au
Cambodge en 1999.
Ces missions
mobilisent, en général, deux ou trois parlementaires, l'opposition et la
majorité étant réunies. Ces missions sont, soit autonomes, soit communes
avec le Sénat. Je dois d'ailleurs reconnaître que la nécessité,
soulignée par Jacques Pelletier, de renforcer le travail commun des deux
missions se heurte, y compris dans le cadre de missions d'observations
parlementaires, à l'autonomie propre de chaque assemblée.
2. - Comment ces missions se
déroulent-elles ?
L'observation du
scrutin est précédée d'un certain nombre d'entretiens avec les divers
responsables politiques locaux. Le jour du scrutin est l'occasion d'une
observation électorale classique qui consiste à visiter un grand nombre
de bureaux de vote. A l'aide d'un communiqué, les membres de la mission
donnent leur sentiment sur la mission. Ce communiqué est suivi
ultérieurement par la publication d'un rapport détaillé.
Pour qu'une
mission soit valable, il serait souhaitable qu'elle dure au moins une
semaine. Cependant, dans la plupart des cas, elles sont réduites à trois
jours, voire à quarante-huit heures, ce qui est très court. Il faut
toutefois reconnaître qu'il est difficile de trouver des parlementaires
en mesure de s'absenter à l'étranger pendant une semaine, d'autant plus
que, quelquefois, les demandes de missions arrivent tardivement - quinze
jours ou trois semaines avant les élections.
Quant à l'idée
selon laquelle ces missions seraient l'occasion pour les parlementaires
de faire du tourisme, vous savez ce que j'en pense...
· Débat avec la salle
M. Jean-Pierre
ELKABBACH
Qui vous le
reproche ?
M. René
DOSIÈRE
De temps en
temps, quelques rumeurs courent...
M. Jean-Pierre
ELKABBACH
Les électeurs
sont incorrigibles....
M. René
DOSIÈRE
Quelles
constatations peut-on faire ? Ces missions d'observation sont-elles une
caution ou un alibi, comme on le disait tout à l'heure ? Quelle est leur
efficacité ? Un grand nombre d'observateurs est nécessaire pour juger de
la validité d'une élection. Il est donc souhaitable que ces missions
soient multilatérales et que les parlementaires français ne composent
qu'une partie du groupe d'observation. L'on constate, d'ailleurs, une
certaine rivalité entre la France et les États-Unis dans le cadre de ces
processus d'observation démocratique. Je me souviens d'une mission au
Mozambique où l'Union européenne était en réelle concurrence avec la
fondation Carter. Chaque observateur avait, dans ce cadre, une autonomie
totale...
M. Jean-Pierre
ELKABBACH
Êtes-vous
favorable à l'organisation de missions européennes ?
M. René
DOSIÈRE
Tout à fait.
Elles sont d'ailleurs indispensables. L'intervention de trois ou quatre
parlementaires français ne permet pas de vérifier l'ensemble d'un
processus électoral. Dans le cadre d'une mission européenne, les moyens
seraient beaucoup plus importants. Néanmoins, un processus électoral
peut être faussé avant même le vote. Les missions permettent uniquement
de vérifier que le vote se déroule dans des conditions de régularité
satisfaisante. En revanche, elles ne vérifient en aucun cas le processus
d'établissement des listes électorales, par exemple, ce qui est un
problème.
De même, une
mission ignore comment sont utilisés les différents moyens de propagande
qui permettent de faire voter en faveur de telle ou telle liste.
Autrement dit, je ne conclurai pas sur l'utilité pratique de ces
missions. Je me contenterai de noter qu'elles ont un effet dissuasif sur
la fraude et qu'elles permettent d'apporter un soutien aux démocrates
locaux.
M. Jean-Pierre
ELKABBACH
Puis-je vous
demander à qui est destiné le rapport que vous établissez ?
M. René
DOSIÈRE
Le rapport est,
comme tous les rapports de l'Assemblée nationale, publié. Sur place, le
communiqué de fin de mission est rendu public et transmis, à ce titre, à
la presse et à l'ensemble des médias présents qui, d'ailleurs, sont
souvent très attirés par la présence d'observateurs...
M.
Jean-Pierre ELKABBACH
Ce rapport n'est
donc pas destiné au pouvoir en place qui a accepté que vous lui rendiez
visite ?
M.
René DOSIÈRE
Non, pas du
tout. Il est destiné à la presse. Je crois que, dans ces missions,
l'essentiel est ailleurs. D'abord, ces missions permettent aux
parlementaires français de nouer des échanges directs avec nos
ambassadeurs, échanges enrichissants dans les deux sens. Elles
permettent d'ouvrir l'esprit du député français, ce qui fera plaisir à
Guy Carcassonne, et d'élargir son horizon au-delà de sa circonscription.
Par ailleurs, ces missions sont aussi, pour les députes français, une
leçon d'instruction civique. J'ai le souvenir des élections
législatives, en 1999, au Mozambique : ce jour-là était extraordinaire.
Je suis naturellement trop jeune pour avoir connu les élections de 1848
en France. Étant historien, j'ai appris comment elles s'étaient
déroulées. Je dois dire que ce jour, ce dimanche, lorsque j'ai vu, dès
quatre heures du matin, les gens quitter leurs tribus, leurs cases, les
campagnes, pour se rendre dans les bureaux de vote, quasiment en
procession, bien habillés comme lorsqu'on va à la messe le dimanche avec
les enfants sur le dos, les provisions, et rester toute la journée au
soleil, ou de temps en temps à l'ombre, avant de pouvoir voter, je me
suis dit qu'il y avait une joie de voter - d'ailleurs la participation
était de l'ordre de 80 % - que nous n'avons plus aujourd'hui. J'ai vu
combien l'on pouvait, autrefois, avoir le plaisir de voter. Je crois que
tout cela est utile, notamment les contacts politiques que la délégation
de parlementaires a avec les principaux responsables politiques du pays.
Je dois dire, d'ailleurs, que la présence, dans ces missions
d'observation, de parlementaires français est quelque chose qui frappe
beaucoup les étrangers.
J'ai découvert
que le prestige de la Révolution française et de l'Assemblée nationale
était intact, en tous les cas pour les étrangers, autrement dit le
prestige de ce que Guy Carcassonne appelle le « parlementarisme
rationalisé ». Au fond, l'Assemblée nationale française reste en quelque
sorte un mot magique pour nos interlocuteurs. Je crois que, de ce point
de vue, l'Assemblée nationale d'aujourd'hui ne peut pas ignorer cet
héritage qu'elle doit cultiver, entretenir et développer. Merci.
M.
Jean-Pierre ELKABBACH
Dans quelques
minutes nous recevrons le président Forni qui accueillera le ministre
des affaires étrangères. En attendant, nous sommes en train de respecter
l'horaire prévu : avez-vous envie d'intervenir ou de poser des
questions ? Pendant que vous vous préparez et que l'on vous tend des
micros, je demanderai au professeur comment il explique le développement
de ce concept depuis une dizaine d'années.
M.
Guy CARCASSONNE
D'abord, je
constate avec plaisir que, finalement, il est sain de faire un peu de
provocation !
nsuite, je n'ai
jamais parlé de tourisme parlementaire - j'aurais pu, d'ailleurs, parce
que, pour moi, ce n'est pas du tout dévalorisant, d'autant plus qu'on
apprend toujours quelque chose en voyageant, y compris sous forme
touristique. Mais j'ai eu le sentiment qu'il y avait eu des réactions
quasi paranoïaques, comme si l'agression avait consisté à expliquer que
les parlementaires ne se déplaçaient que pour faire du tourisme. Ce
n'est évidemment pas le cas. Je me réjouis d'avoir alimenté les discours
de façon peu convenue ! L'explication du phénomène est, je crois, toute
simple : la prise de conscience du village global, pour utiliser un
cliché, n'a évidemment pas été extérieure au parlement. Elle a pénétré
aussi l'institution parlementaire. De fait, les parlementaires français
ont, aujourd'hui, une conscience totale et très claire du monde qui les
entoure. Ils sont prêts aussi - parce que, de surcroît, ils sont des
militants politiques - à essayer, dans le cadre de leurs fonctions et à
l'aide de leurs compétences, de contribuer à une amélioration globale
chaque fois que l'occasion s'en présente. En soi, il est formidablement
sain que les parlementaires sortent des enceintes des parlements et pas
seulement pour se rendre dans leur circonscription, ce qui est pourtant
parfaitement légitime. Plus les missions en question se multiplieront,
plus nous serons satisfaits.
Si, tout à
l'heure, j'ai mis l'accent sur ce que j'appelais les handicaps, c'était
moins pour faire de la provocation que pour souhaiter que ces missions
remportent autant de succès qu'elles le méritent.
M.
Farid SMAHI
Bonjour. Je suis
professeur de gymnastique. Je suis ravi, Mme Rivasi et M. André, de ce
que vous avez annoncé. Mme Rivasi, vous êtes un jour intervenue pour
libérer deux sportifs : c'est fabuleux ! Votre charme y a certainement
contribué. Quant à vous, M. le député, vous êtes tout aussi fabuleux :
vous avez réussi à libérer un Président de prison ! Vous formez à vous
deux un lobby extraordinaire.
Sur la question
de l'Iraq et de la Palestine, la démocratie parlementaire européenne
sera-t-elle à la remorque des États-Unis ? Je signale au passage que
beaucoup d'équipes israéliennes, qui ne font pourtant pas partie de
l'Europe, participent aux championnats européens. Quant à l'Iraq, le
remord du génocide par les nazis de la population juive pendant la
seconde guerre mondiale - que je condamne bien évidemment - ne
devrait-il pas nous conduire à faire preuve d'un peu plus d'humanité à
l'égard de toutes ces familles iraquiennes ? Avez-vous les moyens
d'empêcher l'Europe de vendre des avions aux Israéliens qui bombardent
des jeunes qui lancent des pierres ?
M.
Jean-Pierre ELKABBACH
Je pensais que
vous alliez leur demander s'ils avaient la capacité de libérer l'Iraq de
certains de leurs dirigeants...
M.
Farid SMAHI
Si vous voulez,
nous pouvons aussi parler des dirigeants... Il ne faut pas oublier que
notre président de la République n'a pas hésité à danser avec l'épouse
du dirigeant chinois ! Mais j'aimerais que vous répondiez à ma question
concernant l'embargo.
Mme
Michèle RIVASI
Je veux bien
répondre à cette question qui m'est familière dans la mesure où je me
suis occupée du syndrome de la guerre du Golfe et qu'à cette occasion,
j'avais demandé à ce qu'une mission parlementaire se rende en Iraq. Je
ne vous cacherai pas que ma demande a été rejetée par le ministère des
affaires étrangères. Cela signifie que la démocratie parlementaire et
l'exécutif peuvent parfois s'opposer. Je comprends bien votre question.
Nous-mêmes, nous souhaitions, grâce à cette mission, évaluer la
situation de la population civile. Plus tard, nous avons rencontré des
membres de l'ONU, qui - je vous le rappelle - est financée par tous les
pays, et j'ai été surprise de constater qu'ils étaient incapables de
répondre à nos questions. Cependant, je crois que plus les
parlementaires poseront des questions, plus ils s'insurgeront contre le
fait qu'on leur refuse des autorisations, plus les choses évolueront...
C'est le seul message d'espoir que je peux vous donner. Sachez toutefois
que nous nous bagarrons !
M.
René ANDRÉ
En parlant
d'Israël, vous évoquez un sujet qui me touche personnellement, pour des
raisons que vous pouvez peut-être deviner... Je ne puis que regretter la
façon dont vous avez abordé cette question extrêmement grave. Je
pourrais m'en sortir avec une pirouette, en posant cette question : que
pensez-vous qu'un parlementaire français puisse faire quand les
États-Unis ne réussissent pas ? Cela étant, je crois que la diplomatie
parlementaire ouvre des voies nouvelles. J'aimerais témoigner par
exemple du travail réalisé par le groupe d'études sur la Palestine. Je
ne fais pas partie de ce groupe mais je sais qu'il travaille utilement
pour faire connaître à l'Assemblée nationale les difficultés que le
peuple palestinien traverse. Je vous prierai également de ne pas oublier
les drames qu'a vécus Israël et les menaces qui ont trop longtemps pesé
sur elle.
M.
Yves TAVERNIER, député
A mon sens, la
diplomatie parlementaire peut être très utile lorsque les relations
entre les États sont bloquées, dans la mesure où les parlementaires
représentent les peuples et non les États. Dans des contextes
difficiles, les parlementaires peuvent jouer un rôle et décrisper une
situation tendue. De multiples exemples pourraient être donnés. Je me
souviens qu'à un moment où les relations avec l'Iran étaient
particulièrement difficiles et les rapports entre les deux gouvernements
impossibles, on a demandé aux parlementaires d'assurer les relations
internationales.
Sur la question
israélo-palestinienne, Jacques Pelletier a fait allusion à l'union
interparlementaire. A ce sujet, je signale que la semaine prochaine, en
tant que président de la commission du Moyen-Orient de l'Union
interparlementaire (représentant tous les parlements du monde), je
rencontrerai à Ramallah, à Gaza et à Jérusalem les parlementaires du
conseil législatif palestinien et de la Knesset. Le seul cadre où se
noue une relation politique et un dialogue direct entre les
représentants des peuples israéliens et palestiniens est parlementaire.
J'en veux pour preuve les rencontres à Paris le 15 janvier dernier et à
La Havane il y a un mois.
Ces deux
exemples montrent que le parlement peut jouer un rôle diplomatique. Il
n'est pas qu'une courroie de secours et sa mission ne se limite pas à
réparer les erreurs du Quai d'Orsay.
M.
Jean-Pierre ELKABBACH
Merci pour votre
témoignage.
S.
Exc. M. Eumelio CABALLERO RODRIGUEZ, ambassadeur de Cuba
J'aimerais
partager avec vous notre satisfaction vis-à-vis du niveau de coopération
que nous avons avec l'Assemblée nationale et le Sénat français. Il y a
un groupe d'amitié franco-cubain à l'Assemblée ; il a longtemps été
présidé par le président Forni et l'est maintenant par le député Yves
Montagne. Ce groupe est composé de députés venant de tous les partis
politiques présents à l'Assemblée. Il y a également un groupe au Sénat.
Je pense que le rôle que jouent ces deux groupes est vraiment positif.
Les visites qui sont organisées permettent d'entretenir un dialogue
permanent avec notre parlement, notre gouvernement et nos organisations
sociales.
M.
Raymond FORNI
Mesdames et
Messieurs, j'aimerais remercier Hubert Védrine d'avoir bien voulu
accepter de participer à notre colloque. Nos échanges lui ont bien
évidemment été rapportés. Les thèmes abordés, le concept émergent de la
diplomatie parlementaire, l'essor de la coopération interparlementaire,
et la régulation internationale, au travers notamment de l'action de nos
parlements, le Sénat et l'Assemblée nationale, lui ont sans doute permis
de comprendre l'orientation de cette journée.
Je voulais
simplement souligner la parfaite coïncidence entre les vues exprimées
par le Président du Sénat, Christian Poncelet, qui a été contraint de
retourner dans ses Vosges natales, et celles de l'Assemblée nationale,
que j'ai l'honneur de présider. La qualité des débats a été, tout au
long de la journée, exceptionnelle. La présence de diplomates et de
parlementaires nous ont permis de saisir cette réalité française dont
nous souhaitons qu'elle devienne une réalité internationale car, comme
je l'ai déjà dit à Hubert Védrine, il me semble que la diplomatie
parlementaire n'est pas concurrente de la diplomatie d'État. Elle ajoute
au contraire à cette diplomatie ; elle a sans doute une certaine liberté
à condition que cela ne devienne pas pour elle une irresponsabilité.
Dans un monde en pleine mutation où les exigences, notamment de la
construction européenne et de la mondialisation, font que les échanges
doivent se multiplier, exprimer la voix d'un peuple est utile pour le
parlement, indispensable pour être entendu et, en tous les cas, conforme
à la conception que nous avons des relations internationales.
Diplomatie d'État et diplomatie
parlementaire
Intervention de
M. Hubert VÉDRINE
ministre des
affaires étrangères
J'ai pris
connaissance des différentes interventions qui ont rythmé ce colloque et
j'apporterai ma contribution à votre réflexion sur ce sujet que je
trouve très intéressant. Je suis d'accord avec presque tout ce que vous
avez dit, mis à part avec le terme de « diplomatie parlementaire ».
C'est peut-être une coquetterie sémantique de ma part, mais, pour moi,
cette expression sonne un peu comme celles de « rôle législatif des
gouvernements » ou de « rôle exécutif des parlements ». Mais je
comprends dans quel sens cette expression est employée et je pense être
d'accord avec son esprit.
1. - Le parlement, acteur légitime dans les relations
internationales aux côtés de l'Exécutif
Il me semble que
les parlements ont un rôle tout à fait particulier à jouer dans cette
mutation des relations internationales qui fait qu'aux côtés des acteurs
traditionnels et complètement légitimes des relations internationales
que sont les États, apparaissent de nouveaux acteurs qui occupent un
espace dont les gouvernements tiennent compte, dans les pays
démocratiques mais également dans les autres. En effet, les plus
légitimes - et de loin - de ces nouveaux acteurs, ce sont les
parlements. Leur caractère démocratique est beaucoup plus fort que celui
des autres intervenants qui sont, en général, auto-mandatés. Leur
représentativité donne plus d'autorité à leur action et, parce qu'ils
sont un exemple de ce que l'on veut encourager, ils sont les agents
d'une évolution vers une démocratisation accrue de l'ensemble du monde.
Vous le voyez, parmi ces nouveaux acteurs, où l'on trouve les grandes
entreprises, la société civile, les médias, je distingue tout
particulièrement le parlement. Pour dire les choses avec simplicité, je
trouve que le développement de la présence du parlement est une bonne
chose.
1.
- Du malentendu à la coopération
Cela dit, depuis
l'apparition de cette orientation, on a assisté à plusieurs reprises à
des malentendus ou des antagonismes entre la politique étrangère
classique et cette activité parlementaire. Cela se traduisait par une
sorte d'incompréhension mutuelle entre les parlementaires et les
diplomates, qui s'exprimaient dans des ordres, des approches et des
références différentes. Aujourd'hui, cette première étape est dépassée.
Les uns et les autres ont appris à se connaître et à travailler
ensemble. Les parlementaires ont compris quels pouvaient être leurs
rôles. Je pense en particulier à l'activité des présidents d'assemblée,
qui a pris une véritable ampleur, aux groupes d'amitié, qui sont parfois
très dynamiques, à l'union interparlementaire, aux missions
d'information et d'observation, qui peuvent aider, de façon tout à fait
déterminante, à gérer une situation, sortir d'une crise, consolider un
accord. On se trouve alors au-delà de la fonction parlementaire, au
meilleur sens du terme. Par ailleurs, les coopérations
interparlementaires sont très importantes pour la mise en oeuvre de la
démocratisation.
Je constate
qu'en ce qui concerne le ministère dont j'ai la charge, cette évolution
s'est traduite au fil des années par des relations de plus en plus
étroites, naturelles et amicales. Elle se concrétise par la préparation
de dossiers pour les parlementaires partant en mission ou par
l'attention portée par le ministère aux questions et courriers des
parlementaires - je crois d'ailleurs pouvoir dire que notre ministère
est le plus performant à ce niveau. Les notes que je reçois sur les
rapports avec différents pays ou sur tel ou tel enjeu international ou
négociation laissent de plus en plus de place à l'action des
parlementaires, en citant un rapport ou une initiative parlementaire qui
ont fait évoluer les choses. C'est aujourd'hui un acquis. J'ai beaucoup
encouragé cette évolution qui a commencé il y a longtemps et que je juge
très importante. Je m'efforce d'être le plus présent possible devant les
commissions des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat
et, dès que cela est possible et intéressant, j'invite des
parlementaires à m'accompagner lors de mes voyages.
2.
- Sur la voie de l'équilibre
Ainsi, nous
sommes sortis de cette phase initiale marquée par quelques antagonismes
et malentendus et sommes entrés dans la phase de complémentarité. C'est
à ce stade qu'un équilibre assez subtil doit être trouvé car ni les
parlements ni les gouvernements qui conduisent la diplomatie ne veulent
renoncer à leur rôle particulier et se retrouver dans une certaine
confusion. Les parlementaires devront toujours conserver leur liberté
d'appréciation (leurs rapports n'ont pas pour objet de relayer le point
de vue ponctuel du ministre des affaires étrangères de leur pays), leur
distance, leur capacité d'évaluation et de suggestion. Certes, un
parlementaire qui fait un voyage de contact réalise un travail proche de
celui d'un diplomate chargé d'une mission particulière. Mais ce sont son
expression et ses suggestions qui seront différentes. Ainsi, à mon avis,
les parlementaires n'ont pas intérêt à trop se fondre dans le moule
diplomatique et à devenir des envoyés diplomatiques parmi d'autres. Ils
ont une vraie spécificité qu'ils doivent conserver.
En sens inverse,
les diplomates auraient eu grand tort de se sentir encore propriétaires
des relations, des contacts, des échanges et des informations. C'est un
temps révolu. Mais en même temps, à propos d'une grande négociation, les
parlementaires ne peuvent pas - et ne veulent sans doute pas - se placer
dans la position de ceux qui vont devoir arbitrer. Nous devons aller le
plus loin possible dans cette combinaison utile pour arriver à une
politique extérieure globale d'influence qui combine de la meilleure
façon possible l'action normale des gouvernements, la diplomatie, et
toutes les autres forces.
Il est possible
que des désaccords interviennent, par exemple en matière de droits de
l'homme, où des parlementaires peuvent estimer que leur devoir est de
dénoncer une situation, tandis que le gouvernement ou le ministre des
affaires étrangères, tout à fait conscient de la situation d'atteinte
aux droits de l'homme, pense qu'il faut s'inscrire dans un processus de
dialogue, de discussion et d'évolution constructive et que la
dénonciation ne suffit pas... Mais, quelque part, si des voix plus
libres ou qui n'ont pas les mêmes priorités s'expriment, cela est
également utile. La complémentarité, dans le respect mutuel, est très
importante. C'est un élément de synergie, de dynamisme, d'efficacité,
d'influence moderne...
2. - Le parlement, acteur de l'influence française à l'étranger
1. - La
confrontation avec les parlements historiquement forts
Je voulais
signaler également l'importance que peuvent avoir toutes les activités
parlementaires que j'ai déjà citées par rapport aux pays dans lesquels
le parlement joue un rôle clé. Je dirais même qu'il faut sans doute
s'orienter en priorité vers des pays où les parlements jouent des rôles
décisifs. Je pense aux États-Unis, où nous n'allons pas assez souvent.
Je le dis devant le président Forni qui partage mon avis et qui, je le
sais, a des projets dans ce domaine.
Aux États-Unis,
le pouvoir parlementaire est considérable. Il ne conduit pas la
diplomatie mais, par ses initiatives, ses lois, ses interdits et ses
veto, il crée une contrainte extrêmement forte, y compris pour le
président des États-Unis. Pour nous qui voyons cela de l'extérieur, la
politique étrangère des États-Unis est le résultat d'une négociation
très complexe qui a lieu en permanence entre la Maison-Blanche, le
département d'État, le Pentagone, le Conseil national de Sécurité,
quelques autres entités et le Congrès. Il faut aller au Congrès. Depuis
quelque temps, je ne me rends plus à Washington sans passer presque la
moitié de mon temps au Congrès, pour rencontrer les présidents de
commission et les sénateurs. Les discussions y sont en général assez
vives et directes mais c'est ainsi que nous devons travailler. Le
Congrès a joué un rôle accru au cours des dernières années. C'est
intéressant même si je ne considère pas ce système comme un exemple à
suivre, car je pense que la constitution américaine n'est pas
transposable et que beaucoup d'abus (par exemple, les prétentions
extraterritoriales du Sénat des États-Unis dans certains domaines)
existent. En tout cas, nous devons nous montrer plus offensifs et, avec
certains sénateurs, aller porter la contradiction. Il me semble très
intéressant de discuter de l'évolution de la politique américaine
vis-à-vis de l'Iraq avec M. Jessyiem comme je l'ai fait au mois de mars.
Mais cela vaut
également pour tous les sujets économiques et commerciaux. S'il ne faut
pas exagérer l'ampleur des contentieux euro-américains qui représentent
au maximum 2 % des échanges économiques globaux, il est indispensable
que les parlementaires américains entendent nos points de vue sur ces
sujets. Dans bien des cas, ils n'ont jamais entendu un avis européen, et
notamment français. Il en va de même sur le sujet de l'exception
culturelle que l'on appelle aujourd'hui la diversité culturelle - c'est
un terme plus ouvert et plus mobilisateur. Là également, il y a des
fossés d'incompréhension.
De même,
j'apprécie d'aller au Bundestag ; il y a quelques jours d'ailleurs, j'ai
eu l'occasion d'intervenir devant sa commission des affaires
européennes. J'observe aussi que les commissions de l'Assemblée
nationale et du Sénat reçoivent des invités prestigieux - qui ne
s'expriment pas devant l'Assemblée nationale tout entière mais c'est un
autre débat. Pour en revenir au travail d'influence qui nous intéresse,
je pense que si la France n'a de relations avec l'Allemagne qu'au niveau
des chefs d'État et de gouvernement, il manque quelque chose. Certes, il
y a la société civile et les médias, mais la dimension parlementaire est
très importante. Face à la situation tragique du Proche-Orient, il
faudrait établir des contacts avec la Knesset et le conseil législatif
palestinien, qui est l'embryon de ce que sera un jour un vrai parlement,
au sens complet du terme, dans un État palestinien indépendant un jour.
Évidemment, je
prends des exemples où, à la fois, les parlements sont importants (ils
ont beaucoup de pouvoir et de rayonnement) et les sujets primordiaux
(l'influence vis-à-vis des États-Unis, l'avenir de l'Europe avec
l'Allemagne, la crise au Proche-Orient).
Je tiens à vous
dire que le ministère des affaires étrangères et moi-même en tant que
ministre, nous n'avons aucune espèce de réticences par rapport au
développement de l'action et des initiatives des parlementaires français
vis-à-vis des parlements étrangers. Nous avons même à cet égard une
grande ouverture d'esprit et une volonté de coopération. Je souhaite
vraiment que ces relations se développent.
2.
- L'assistance aux pays sur la voie de la démocratisation
Dans d'autres
pays, nous n'aurons pas face à nous des parlements installés et
historiquement prestigieux et influents. Ce sont des pays qui tentent de
construire, pierre après pierre, leur démocratie, ce qui est un travail
de longue haleine. Pour aider ces pays à organiser des élections, à
s'acclimater à la démocratie parlementaire, rien ne vaut les contacts
directs. Je rappelle que la France, qui donne des leçons à la terre
entière, a mis cent cinquante ans pour passer des premières élections de
1795 au suffrage universel au vote des femmes en 1945. Notre pays - qui
se veut phare de lumière ! - a lui aussi vécu beaucoup de révolutions
violentes, de répressions féroces, d'avancées et de reculs... Tout ce
que nous pouvons faire pour que cette évolution soit moins longue pour
les autres est bienvenu.
A cet égard, je
crois beaucoup plus à l'échange qui peut avoir lieu entre les
parlementaires, via la mise en commun des savoir-faire et les
relations directes, qu'aux condamnations, sanctions et remontrances.
Sauf dans certains cas limites, l'exemplarité, la contagion, l'amitié et
la fraternité sont des atouts importants que seul le parlement peut
mettre en avant. Cela peut concerner des dizaines de pays. Il y a en
effet cent quatre-vingts neuf pays dans le monde aujourd'hui, dont
trente à quarante démocraties tout à fait sûres et installées et des
dizaines de pays où la démocratie est en chemin.
Je suis heureux
de pouvoir dire que nous sommes aujourd'hui à un bon moment du processus
sur la voie de la diplomatie parlementaire. Comme je l'ai dit tout à
l'heure, nous avons dépassé les problèmes liés à la mise en route. Les
parlementaires européens vont devenir de plus en plus incisifs et vont
voyager de plus en plus - nous ne sommes pas dans ces pays où les
parlementaires se vantent de ne pas avoir de passeports ! Je m'attends à
un développement des voyages et des échanges. Regardez aussi ce qui
s'est passé dans les Balkans au cours des dernières années. Au total, on
peut dire que l'action des parlementaires depuis une dizaine d'années
est tout à fait considérable.
Nous
accueillerons avec plaisir, encouragerons et faciliterons ce mouvement.
J'insisterai au sein du Quai d'Orsay pour qu'il soit naturel à tous les
directeurs, sous-directeurs, rédacteurs, ambassadeurs, conseillers de
travailler avec les parlementaires et de leur apporter les informations
qui leur sont nécessaires. Je pense que les rapports, les missions
d'information se développeront, parfois dans un climat de tension entre
le législatif et l'exécutif. Mais cette tension sera toujours créatrice,
notre démocratie étant fondée sur cela. Ces rapports difficiles, je les
accueille d'avance également. Il y en a eu beaucoup ces dernières
années. Je pense aux rapports d'enquête, qui portent sur des sujets
difficiles, mais qui sont indispensables et salubres. Je pense également
aux rapports des parlementaires qui se saisissent de grands sujets,
parfois difficiles à embrasser dans leur intégralité (comme l'OMC), et
qui apportent sur ces thèmes des éléments fondamentaux. Dans ces cas,
les ministres doivent considérer qu'il ne s'agit pas d'un rapport qui
vient après d'autres, et l'utiliser, en tirer tout le suc, pour aller
plus loin.
Cette synergie
est donc installée. J'en accepte d'avance et positivement le
développement et le perfectionnement. Il ne s'agit pas d'un phénomène
français mais bel et bien européen. Le mouvement est d'ailleurs plus
avancé dans certains pays européens que dans notre pays. Au total, je me
réjouis de ce phénomène car il permet à l'influence démocratique
française de se développer. C'est une influence de progrès pour le monde
entier.
M.
Raymond FORNI
Je remercie, en
votre nom à tous, Hubert Védrine pour les propos qu'il vient de tenir,
non pas parce qu'ils nous sont simplement agréables à nous
parlementaires, mais parce qu'ils traduisent l'état d'esprit dans lequel
se trouve aujourd'hui le gouvernement de la République. Il me semble
important de souligner qu'effectivement, depuis quelques années, des
améliorations considérables ont été apportées aux relations entre le
gouvernement, la diplomatie d'État, et, pour éviter d'utiliser la même
terminologie, les relations internationales organisées par les
parlements. Je suis convaincu, comme Hubert Védrine, de la
complémentarité de nos deux actions. Bien évidemment chacun a son
domaine d'intervention et chacun préserve le champ qui est le sien.
L'essentiel est de trouver entre nous les passerelles qui permettent de
rendre efficaces l'une et l'autre de ces actions. Si nous y parvenions,
je pense que nous aurions réussi la mission internationale qui est celle
des parlementaires.
Dans notre
monde, il est impossible de rester replié dans, pour ce qui est des
Français, les limites de l'Hexagone. Je ressens, comme le soulignait
Hubert Védrine dans sa conclusion, une aspiration des autres parlements
à agir de la même manière. Ce n'est sans doute pas par hasard si nous
sommes aujourd'hui sollicités très fortement par le Bundestag au moment
où existent quelques troubles par rapport à la relation historique entre
l'Allemagne et la France. On sait bien qu'une relation d'amitié entre
les peuples doit s'appuyer sur l'ensemble des composantes de ce peuple,
c'est-à-dire à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Je souhaite,
cher Hubert, que nous puissions continuer dans cette direction. Je sais
quel est l'état d'esprit qui anime le ministère des affaires étrangères.
Il est parfois difficile d'obtenir immédiatement des résultats concrets
au niveau des administrations, mais j'observe que des évolutions
extrêmement importantes se sont produites au cours de ces dernières
années. J'ai en mémoire l'époque pas si lointaine où lorsque nous
allions à l'étranger, les parlementaires étaient considérés plus comme
des gêneurs que comme des acteurs de la vie internationale. Mais cette
époque est désormais révolue grâce à la mobilisation sur des principes
simples qu'il convient de simplifier encore - c'est en effet grâce à la
simplicité que l'on évitera les ambiguïtés.
Je vous
remercie, M. le Ministre, d'avoir accepté de participer au débat. Je le
laisse partir car je sais qu'il a un emploi du temps très chargé. Je
suis obligé de vous quitter également pour participer au débat, quelque
peu animé, sur la modernisation sociale.
* * *
TABLE RONDE :
LA RÉGULATION INTERNATIONALE :
UNE NOUVELLE FRONTIÈRE
POUR LES PARLEMENTS ?
Cette table
ronde a été co-présidée par :
MM. Yves
TAVERNIER, député, et Philippe MARINI, sénateur.
Les débats
ont été modérés par M. Yvan LEVAÏ, président de LCP-AN.
Y ont
participé :
M.
Jean-Claude LEFORT, député
Mme Béatrice
MARRE,députée
M. Jacques
LEGENDRE, sénateur
M. Guy PENNE,
sénateur
Mme Danielle
BIDART-REYDET, sénatrice
M. Yvan LEVAÏ,
président de LCP-AN
En préambule à
notre table ronde, je voudrais remercier les organisateurs du colloque
qui ont eu la bonne idée de faire appel à des représentants de la
société civile pour jouer le rôle de modérateurs. Depuis ce matin, nous
avons entendu beaucoup de propos passionnants. J'ai relevé d'ailleurs, à
propos de notre table ronde, une idée du président Poncelet. Il a dit
qu'il fallait réfléchir à la légitimité de la régulation internationale,
c'est-à-dire le rôle des parlements dans le nouvel ordre mondial. Il a
ajouté avec malice que ce serait la dernière table ronde du colloque qui
se chargerait de définir quelles utopies pourraient être promues.
J'aimerais pour
ma part dire quelques mots de la presse. Il nous arrive d'accompagner le
président de la République ou le Président de l'Assemblée nationale lors
de leurs voyages. Il y a quelques jours, je suis allé au Kosovo avec le
président Forni. Il est indéniable que, sans lui, je n'aurais pas pu
approcher les gens que j'ai rencontrés.
Il y a trente
ans, j'ai également accompagné Jacques Chaban-Delmas, alors Président de
l'Assemblée nationale, en Russie post-brejnévienne. A l'époque, notre
président de la République était Valéry Giscard d'Estaing et l'URSS
comptait un dissident célèbre, Sakharov. Lorsque le Président de
l'Assemblée nationale est arrivé à Moscou, les Russes ont envoyé
Sakharov en résidence forcée, à des kilomètres de son appartement
moscovite. Ce geste visait à faire comprendre à la France qu'elle
n'avait pas à s'occuper des droits de l'homme et des dissidents à
Moscou. Jacques Chaban-Delmas a alors envoyé un message à l'Élysée pour
informer le Président de la situation, mais sa décision était d'ores et
déjà prise. Puisqu'on expulsait Sakharov au moment où il arrivait à
Moscou, le Président de l'Assemblée nationale, le représentant du peuple
français, avait décidé de tourner les talons.
C'était une
forme d'affirmation parlementaire, le choix d'un symbole (celui de
partir) contre un autre (celui de placer un dissident en résidence
forcée). Ainsi, il arrive à la démocratie parlementaire de dire non.
J'ai entendu dire aujourd'hui que c'était bien de l'entendre dire oui et
peut-être, mais je voulais introduire cette table ronde en évoquant
cette diplomatie parlementaire rebelle. J'espère que, puisque nous
sommes en fin de colloque, nos intervenants seront rebelles.
Je vais céder la
parole à Yves Tavernier qui a rappelé, tout à l'heure,, qu'il était
arrivé à certains parlementaires de réparer certaines des erreurs du
Quai d'Orsay.
· Intervention de M. Yves TAVERNIER, député
Je ne voudrais
pas que l'on réduise l'appréciation que je peux avoir de notre
diplomatie à un mot qui d'ailleurs ne s'adressait pas au Quai d'Orsay.
Je voulais dire qu'il serait dommage de limiter l'approche des
parlementaires sur la scène internationale à la réparation d'un certain
nombre d'erreurs que l'administration du Quai d'Orsay fait comme toute
administration et le parlement lui-même. Il serait abusif de sortir le
mot de son contexte et d'en faire une qualification qui n'était pas dans
mon propos. Nous savons que les journalistes vont parfois à ce qu'ils
croient être l'essentiel sans prendre en considération le plus
important !
Vous me
demandez, M. Levaï, de nous faire rêver. J'aurais beaucoup de
difficultés à le faire encore que, en écoutant le ministre Hubert
Védrine dire tout le bien qu'il pensait de l'action des parlementaires
sur la scène internationale, il m'ait été donné l'envie de rêver. Je
l'ai écouté avec beaucoup de plaisir, en m'interrogeant parfois sur le
petit décalage qu'il peut y avoir entre les intentions et la réalité. En
l'écoutant, je repensais aussi à l'article paru dans Le Monde cet
après-midi et qui s'intitule : « Matignon recherche un conseiller en
anti-mondialisation ». Si j'ai bien compris, les services du Premier
ministre s'interrogent sur la sensibilité de l'opinion publique à la
nature et aux effets de la mondialisation, ce qui les conduit à se
tourner vers les ONG car ils voient en elles l'expression des peurs, des
attentes et des préoccupations des Français.
1. - L'ouverture progressive,
mais insuffisante, du champ des relations internationales au parlement
Ainsi, alors que
pendant longtemps, il a été admis que les relations internationales
relevaient du domaine réservé et que ce sujet était trop sérieux pour
que d'autres que les chefs d'État et de gouvernement s'en occupent,
aujourd'hui, sous l'effet de l'évolution de la société, on voit poindre
la prise de conscience qu'il faut une ouverture vers d'autres que les
gouvernants. Et l'on n'imagine cette ouverture qu'en direction de ce
qu'on appelle la société civile - terme qui m'a toujours étonné -, en
oubliant totalement que l'expression démocratique et légitime de la
société civile, c'est d'abord le parlement. L'article du Monde ne
faisant pas du tout référence au rôle du parlement, j'aimerais dire que
les élus du suffrage universel ont autant de légitimité - sinon
davantage - que les ONG dont je respecte pourtant l'action, la pensée,
l'apport vis-à-vis des problèmes de notre société.
Je suis frappé
par le nombre extrêmement important de rapports parlementaires de
qualité réalisés au cours de ces dernières années sur la mondialisation,
les grandes institutions internationales et la politique de
développement. De plus, le travail de réflexion mené sur ce que doit
être la coopération internationale au XXIe siècle pourrait constituer un
corpus intellectuel extrêmement utile aux administrations et aux
responsables exécutifs qui sont chargés de définir, de concevoir et de
conduire la politique de la nation. Quelle conception le Quai d'Orsay,
Matignon, les grandes administrations, Bercy ont-ils de ce que doivent
être les relations avec ce que l'on appelle le tiers-monde, les pays ACP ?
Y a-t-il une évolution dans leur perception, entre les années 60,
lendemains de la décolonisation, et aujourd'hui, époque caractérisée par
la mondialisation et la dislocation du bloc soviétique ?
Nous sommes à la
recherche de ces grandes utopies qui sous-tendraient l'action et
définiraient les objectifs. Nos interlocuteurs de la haute
administration, comme les responsables politiques au niveau national,
sont les premiers à avoir besoin de ces projets et de ces grandes
perspectives. J'ose dire que le parlement, à son niveau, y contribue et
qu'il y a une somme de travaux qui, malheureusement, ne sont pas
utilisés. C'est un trait caractéristique de la France, que l'on retrouve
aussi au niveau des travaux universitaires et de recherche. A la
différence des pays anglo-saxons, en France, ces travaux n'alimentent
pas suffisamment la réflexion politique et n'éclairent pas suffisamment
l'action des gouvernants. J'ai été chercheur par le passé et j'ai pu
constater que notre culture provoquait des cloisonnements forts entre
ceux qui définissent la politique et ceux qui peuvent apporter (les
intellectuels, les parlementaires, etc.) à la réflexion et, par suite, à
la conduite des affaires de la France. Raymond Forni disait que des
passerelles étaient nécessaires ; j'en vois effectivement quelques-unes
d'une grande utilité.
2. - Le cas des institutions
financières internationales
Pour illustrer
mon propos, je ne prendrai qu'un seul exemple : les institutions
financières internationales comme la Banque mondiale et le fonds
monétaire international, dont la France est le quatrième bailleur de
fonds (avec une quote-part de plus de 100 milliards de francs).
Parallèlement, notre pays est le deuxième contributeur mondial à l'aide
publique au développement. Or jusqu'à une date très récente, le
parlement français était tenu et se tenait totalement à l'écart de sa
mission de suivi et de contrôle de l'action de ces institutions et du
rôle qu'y joue la France.
Il a fallu
attendre le printemps 2000 pour que, pour la première fois, un débat
soit organisé à l'Assemblée nationale sur notre coopération
internationale et notre politique d'aide au développement. Ce n'est donc
que depuis l'année dernière qu'il y a - de manière modeste et timide -
un débat annuel sur un pan essentiel de notre politique internationale
de développement, et notamment à l'égard du tiers-monde.
De même, il a
fallu attendre un projet de loi de finances rectificatif pour qu'en 1998
nous nous intéressions aux institutions financières internationales. En
janvier 1998, à la suite de la politique - que je ne qualifierai pas -
du FMI en Extrême-Orient et en Russie, on a demandé aux Etats
actionnaires d'augmenter leur quote-part. Pour la France, ce complément
s'élevait à la bagatelle de 27 milliards de francs. Cette décision n'a
pas été abordée lors de la discussion sur la loi de finances 1999. C'est
seulement dans le cadre d'une loi de finances rectificative, proposée à
la sauvette et nuitamment, que cette question a été soulevée !
Évidemment, les parlementaires n'ont pas eu d'autre choix que de voter
cette loi, mais, suite à cela, ils ont imposé au gouvernement de faire
chaque année, devant le parlement, un rapport sur le fonctionnement des
institutions financières internationales. Cela se fait depuis l'année
dernière. De plus, la commission des finances de l'Assemblée nationale
établit un rapport sur le rapport du gouvernement. Pour l'année qui
vient, j'ai commencé à travailler avec la direction du Trésor car je
veux que soient rendues publiques et débattues toutes les directives
données par le ministère des Finances au FMI et à la Banque mondiale.
Nous devons savoir ce qu'est la politique de la France, ce que fait
notre pays en Argentine, en Indonésie, en Corée ou en Turquie. Toutes
ces actions doivent être connues et contrôlées par le parlement, qui a
la responsabilité d'en rendre compte devant l'opinion publique.
Avant de
conclure, je signale que le président Forni m'a donné son accord pour
que soit créée une délégation permanente de l'Assemblée nationale aux
institutions financières et économiques internationales, de façon à ce
que nous puissions enfin remplir notre mandat qui est d'être informé, de
suivre l'ensemble des décisions prises par l'exécutif ou ceux qu'il
mandate dans ces institutions, et de pouvoir contrôler l'utilisation qui
est faite de l'argent public. C'est tout simplement le fondement de la
démocratie.
M.
Ivan LEVAÏ
M. Marini,
avez-vous vous aussi l'impression que les gouvernements ont tendance à
ne pas vouloir que vous vous occupiez de l'affectation des fonds, de la
Banque Mondiale par exemple ? Avez-vous trouvé une voie pour le faire
quand même ?
· Intervention de M. Philippe MARINI, rapporteur général de la
commission des Finances du Sénat
Il faut faire
preuve, il est vrai, de beaucoup d'assiduité et de professionnalisme.
J'ai apprécié les propos du ministre lorsqu'il évoquait nos relations
avec les parlementaires des principales puissances du monde, et en
premier lieu des États-Unis. J'abonde tout à fait dans son sens : si
nous voulons comprendre les problématiques qui nous sont soumises dans
notre vie parlementaire, il faut dans bien des cas remonter à la source
et appréhender les questions qui agitent le Congrès à Washington ou les
institutions européennes.
Lorsqu'un
parlementaire est convié, au sein de sa commission, à traiter d'une
question relative par exemple à la supervision bancaire, à la régulation
des marchés financiers, au rôle et à la composition de la commission des
opérations de bourse ou du conseil des marchés financiers, lorsqu'il est
invité à donner son avis sur la taxe Tobin, à examiner des
questions liées à la politique de la concurrence, à l'application de
directives européennes dans le domaine du droit de la concurrence, il ne
peut pas se former une opinion suffisante d'après des éléments
d'information simplement hexagonaux. Lorsque nous sortons de nos
frontières et que nous allons confronter nos avis et nos analyses avec
ceux des parlementaires britanniques, allemands, belges, néerlandais,
américains ou sud-américains, nous observons que, dans bien des cas, nos
sujets de préoccupations sont identiques, même s'ils s'inscrivent dans
des contextes différents.
Autre exemple :
le financement des retraites. C'est un sujet auquel tous les pays
développés sont confrontés en même temps et qui, pour être traité,
nécessite de manier une problématique qui leur est très largement
commune, et ce même si les législations, les histoires ou les
comportements syndicaux sont différents. Si un parlementaire français
d'une commission des finances rencontre un parlementaire autrichien ou
italien, voire un parlementaire d'une nouvelle démocratie d'Europe
centrale ou orientale, ils peuvent parler ensemble du financement des
retraites sans être vraiment « dépaysés ». Ainsi, dans la vie économique
et financière telle que nous la connaissons aujourd'hui, rien
d'important n'est hexagonal. Si nous voulons maîtriser les sujets que
nous traitons, nous devons nourrir notre réflexion non seulement des
rapports de nos administrateurs mais également des expériences d'autres
parlementaires étrangers.
M.
Ivan LEVAÏ
Vous dites que
vous considérez les expériences menées à l'étranger comme de bonnes
sources d'informations. Mais, comme M. Tavernier, regrettez-vous que les
gouvernements vous cachent certaines informations, par exemple la
destination de l'argent versé par la France au FMI - je pense au
complément de 27 milliards dont il parlait tout à l'heure ?
M.
Philippe MARINI
Cette somme de
27 milliards ne correspond pas à un crédit budgétaire mais à une
opération financière - en quelque sorte une opération de trésorerie -,
très difficile à comprendre dans nos documents budgétaires. Soulever
cette question revient à poser le problème de nos instruments de
connaissance de notre réalité budgétaire. Si nous n'y comprenons pas
grand-chose, nous pouvons nous demander si les autres, placés dans leurs
cadres nationaux, y comprennent davantage et nous pouvons examiner leurs
méthodes.
Nous allons
traiter au Sénat, comme vous l'avez fait à l'Assemblée nationale, de la
réforme de l'ordonnance organique. Celle-ci va nous permettre de créer
une comptabilité patrimoniale et d'examiner des données de bilan en plus
des données de comptes de résultats. Nous irons donc plus loin que
l'approche de caisse et pourrons voir si, d'année en année, l'Etat
s'enrichit ou s'appauvrit. Dans un certain nombre d'autres Etats, les
parlementaires élus au suffrage démocratique disposent de ces outils
depuis un certain temps déjà.
M.
Ivan LEVAÏ
Cela
signifie-t-il que vous êtes satisfait de voir que l'on prend des
décisions pour revenir sur l'ordonnance de 1959 ?
M.
Philippe MARINI
Bien entendu. Je
ne faisais qu'illustrer mes propos. Mais fondamentalement je crois que
si nous voulons comprendre comment sont calculées les contributions de
la France aux institutions financières multilatérales et ce que l'on en
fait, nous devons aussi nous demander si nous sommes capables de
comprendre comment évoluent l'endettement de l'État et l'ensemble de ses
opérations de trésorerie. Est-ce compréhensible dans un bon format ?
Pourrait-on en parler à l'opinion et lui expliquer ce que nous sommes
censés savoir ? En découvrant cette évidence, je suis simplement en
train de dire qu'un tel sujet ne peut plus se traiter à l'échelon
hexagonal.
Je voudrais vous
donner quatre illustrations de ma réflexion sous forme d'un bref voyage.
A Berlin, en septembre ou octobre derniers, je suis allé m'enquérir
auprès de la présidente verte de la commission du budget du Bundestag de
la réforme fiscale allemande. J'y ai passé une journée. L'ambassade à
Berlin a joué un rôle extrêmement utile pour trouver des contacts et
susciter des débats. En rentrant, j'en savais beaucoup plus sur la
réforme fiscale allemande que les conseillers du ministre des Finances,
ce qui, évidemment, alimente ma capacité d'analyse et de répartie
s'agissant d'apprécier la réforme fiscale française.
A Washington, en
1999, avec d'autres sénateurs, j'ai eu pour mission d'établir un rapport
sur les principes de la régulation financière internationale, sur
l'évolution de l'architecture des institutions financières
multilatérales et sur la manière d'y faire revenir le politique et d'y
crédibiliser les Européens. Les diplomates en poste, les fonctionnaires
internationaux de nationalité française au FMI et à la Banque Mondiale,
nous ont demandé alors, à nous sénateurs de droite, d'aller convaincre
les représentants et les sénateurs républicains que le FMI n'étaient pas
un horrible outil interventionniste à la française comme ils le
croyaient... Cela me semble un véritable appel à la diplomatie
parlementaire, puisque les attitudes que l'on voit s'exprimer au sein de
ces institutions multilatérales sont fortement influencées par la
réalité politique et parlementaire interne des États-Unis et que tous
les contacts que l'on peut avoir avec eux sont évidemment très utiles
pour se comprendre et faire évoluer les concepts.
A Bâle, il
existe une institution assez ignorée du grand public, créée lors des
accords sur les réparations de l'entre-deux-guerres. Elle joue un peu le
rôle de banque centrale des banques centrales ; il s'agit de la banque
des règlements internationaux. C'est en son sein qu'un consensus des
banques centrales du monde élabore les nouvelles réglementations
prudentielles bancaires, basées sur l'évaluation des risques bancaires.
Je me suis rendu à Bâle pour tenter de comprendre ce qu'on allait nous
soumettre d'ici quelque temps. J'ai rencontré un président, des
directeurs, des fonctionnaires internationaux français, des
fonctionnaires de la Banque de France détachés qui m'ont dit n'avoir
quasiment jamais vu un parlementaire dans l'exercice de ses fonctions.
Je crois qu'assurer une présence, tenter de bâtir une crédibilité de nos
positions, se prêter au dialogue, essayer de comprendre et d'anticiper,
cela fait partie de la diplomatie parlementaire.
A Abidjan, dans
le cadre du volet « aide au développement » de la même mission sur la
régulation financière internationale, nous souhaitions examiner
l'exercice des responsabilités de la banque régionale. Reçu avec un
excellent collègue, notre rapporteur spécial du budget de la
coopération, dont chacun connaît la truculence et l'efficacité, par
l'ambassadeur, je me suis aperçu que celui-ci faisait de la politique
intérieure tandis que nous faisions, vis-à-vis des interlocuteurs que
nous rencontrions, de la diplomatie étatique. En conclusion, je dirai
donc que ces expériences sont très formatrices.
M.
Ivan LEVAÏ
Tout au long de
la journée, Hubert Védrine, Raymond Forni et le président Poncelet ont
insisté sur la répartition des rôles. Puisque Philippe Marini a conclu
en parlant de cet ambassadeur qui s'occupait de politique intérieure,
j'aimerais demander à Guy Penne s'il a souvent rencontré des
ambassadeurs de ce genre.
· Intervention de M. Guy PENNE, sénateur
La société des
ambassadeurs est très diversifiée : certains sont très bons, d'autres
moins ; certains font de l'hôtellerie et d'autres de la politique. Cela
étant, je crois que le métier des ambassadeurs a beaucoup évolué en
vingt ans. La dimension économique compte beaucoup plus qu'avant tandis
que la multilatéralité a imposé un certain nombre de coopérations entre
les ambassadeurs. Cela s'est encore accentué depuis la chute du mur de
Berlin.
M.
Ivan LEVAÏ
Quel est votre
sentiment sur la diplomatie parlementaire dans le nouvel ordre mondial ?
M.
Guy PENNE
Pour bien
définir mon idée, je reprendrai une citation de M. Boutros-Ghali qui
disait, en 1998, « charnière entre les citoyens des États et la
communauté des États et par définition voués au dialogue, au débat et à
la recherche des ententes, les parlementaires sont les agents mêmes de
la démocratisation au niveau international ». Cette définition qui vient
d'un homme qui a été ministre et secrétaire général de l'ONU, qui
s'occupe aujourd'hui de francophonie et qui a une longue expérience, me
semble tout à fait juste.
J'aimerais vous
donner des exemples de la capacité de la démocratie parlementaire à
débloquer certaines situations difficiles. Avec certains parlementaires,
dont le Président de l'Assemblée nationale de la République
Centrafricaine, nous avions mené, sous l'égide de l'Assemblée
parlementaire de la francophonie, une mission au Burundi. A l'époque, le
Burundi faisait l'objet d'un embargo décidé par les pays voisins, ce qui
est assez atypique. Nous avons pu faire évoluer la situation. Nous avons
également mené, toujours sous l'égide de la francophonie, une mission
auprès du président de la Guinée, toujours persuadé du bien-fondé de ses
idées. Il avait repoussé Madeleine Allbright, le président Chirac et,
encore plus grossièrement, notre ministre Charles Josselin, lorsque ils
lui avaient demandé de se montrer plus respectueux de la démocratie
vis-à-vis du parlementaire emprisonné Alpha Condé. Nous avons remué ciel
et terre au cours de cette mission et n'avons pas cessé de faire des
conférences de presse et d'insister auprès du président de la Guinée
pour la libération d'Alpha Condé. Nous avons appris il y a quelques
jours que celui-ci était désormais libre. Dans cette affaire, les
parlementaires étaient beaucoup plus libres que Charles Josselin pour
émettre leur opinion.
M.
Ivan LEVAÏ
Ainsi, la
démocratie parlementaire réussit là où tout échoue. Je cède maintenant
la parole à Béatrice Marre. Madame, avez-vous lu l'article du Monde
indiquant que Matignon recherchait un conseiller en
anti-mondialisation ? Est-ce une information exacte ?
· Intervention de Mme Béatrice MARRE, députée
Je n'ai pas les
mêmes sources que le Monde et je ne peux donc pas confirmer cette
information. Pour ma part, j'aimerais revenir sur l'intitulé de notre
table ronde : « la régulation internationale : une nouvelle frontière
pour les parlementaires ? » Si l'on parle de nouvelle frontière, c'est
qu'il y a un territoire à explorer. Quel est ce territoire ? De même,
s'il est défini, comment les parlementaires peuvent-ils y pénétrer et
quelle peut y être leur efficacité ?
Pour ce qui est
du territoire à conquérir, plusieurs intervenants ont souligné que la
diplomatie traditionnelle était légitimement fondée sur des relations
intergouvernementales et cantonnée à ce qu'on appelle les affaires
internationales. De fait, la dimension économique n'y apparaissait pas.
Mais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'évolution a fait
qu'à côté des États, se sont constitués des entités d'une autre nature,
économique. Au fil du temps, ces entités se sont concentrées.
Comment, dans
ces conditions, faire coexister la diplomatie traditionnelle qui
reposait sur des États souverains et les organisations internationales
qui se fondaient sur l'intergouvernementalité ? On a vu la situation se
dégrader, avec les crises successives du FMI, de la Banque Mondiale, et
plus récemment à Seattle, du GATT. Ces événements nous ont fait prendre
conscience du déficit démocratique qui a fait que la mondialisation a
pris une certaine pente. Par exemple, des experts, sans responsabilité
devant les peuples, ont conduit à des évolutions selon des règles
économiques que l'on nous disait intangibles. Les parlements savent
aujourd'hui qu'ils doivent réinvestir cet espace, le territoire
économique et financier, dont on sait qu'il est interdépendant avec les
autres territoires mais qu'il peut transformer notre petite planète en
un désert, sans tenir compte des populations, des aspirations
démocratiques ou de l'environnement.
Comment pénétrer
dans ce territoire ? La réponse est simple : avec nos trois missions
traditionnelles de parlementaires. La première mission d'un
parlementaire est d'être un médiateur entre le peuple et les
gouvernants. Il doit transmettre les aspirations des peuples aux
gouvernants.
M.
Ivan LEVAÏ
Cette mission
n'est pas envisageable si le parlementaire est soumis au gouvernant ou,
tout au moins, s'il en donne l'impression au peuple. Voulez-vous
investir le même territoire que ATTAC, José Bové ou les militants
anti-mondialisation ?
Mme Béatrice
MARRE
Il n'est pas
nécessaire d'être membre d'ATTAC pour porter un regard critique et
constructif sur les phénomènes de mondialisation. Comme il a été dit
tout à l'heure, les ONG ont un rôle à jouer mais elles ne peuvent pas
prétendre à la même légitimité que les parlementaires qui ont été élus
démocratiquement. Par ailleurs, lorsque je parle de médiation, je ne
veux pas dire que le parlementaire doit mettre tout le monde d'accord
mais, plus simplement, faire en sorte que l'information circule dans les
deux sens. La deuxième mission du parlementaire est celle de légiférer ;
cette mission nous confère une vision globale et cohérente des choses,
que n'ont pas les organisations nationales ou internationales,
spécialisées dans leur domaine. La troisième mission du législateur est
le contrôle de l'exécutif, qui est variable selon le degré d'avancement
démocratique des États. Je ne reviendrai pas, sur ce point, sur certains
des exemples qui ont été donnés, comme la révision de l'ordonnance de
1959 ou le souhait des parlementaires d'en savoir plus sur la
destination des fonds qu'ils sont amenés à voter.
Si un territoire
existe et si les parlementaires ont les missions pour investir ce
territoire, comment y parvenir ? Au plan national et communautaire, les
rapports, les attributions de la diplomatie parlementaire, nous
permettent de mieux connaître les questions. Cela est particulièrement
important sur le plan communautaire car il me semble important de
construire une Union européenne qui soit capable de peser sur la
mondialisation actuelle, qui est très largement économique et libérale
et dominée par un grand Etat. Il nous faut aussi mieux nous organiser
dans nos propres parlements. Nous avons été plusieurs à l'Assemblée
nationale et au Sénat à faire des rapports sur des aspects différents de
la mondialisation et à dire qu'il manquait, au sein de nos instances,
une structure dans laquelle on puisse se retrouver pour étudier les
questions économiques, financières et commerciales internationales. Le
président Fabius, puis le président Forni, ont entendu cette demande.
Une instance devrait bientôt être créée et nous aurons alors un autre
rôle que celui d'entériner, en séance publique, un accord international,
sous peine de faire tomber le gouvernement.
Pour ce qui est
du niveau international, certains disent qu'il est totalement utopique
de rêver d'un parlement mondial. Ils ont raison si on l'imagine pour
demain matin. Mais qui aurait dit, en 1947, que, à peine trente ans plus
tard, il y aurait un parlement européen élu au suffrage universel ? Il y
a des bases pour ce parlement mondial. Je pense par exemple aux
nombreuses instances parlementaires qui voient le jour. Notez cependant
que ces instances n'existent pas dans les milieux économiques et
financiers. Il n'y a par exemple pas d'assemblée parlementaire des pays
membres du FMI ou de la Banque Mondiale. Il y a eu une première
tentative à Seattle pour créer une assemblée parlementaire des pays
membres de l'OMC. Aujourd'hui, à la réflexion, il ne me semble pas que
cela soit une bonne idée. En effet, les pays moins développés pourraient
considérer cette structure comme un club de pays riches. En revanche,
l'union interparlementaire, qui a l'avantage d'être la plus ancienne,
puisqu'elle a été créée en 1889, et d'être la plus globale, puisque tous
les pays qui comptent un parlement s'y retrouvent, peut se saisir de la
question de la régulation mondiale, ce qu'elle est justement en train de
faire. D'ailleurs, les 8 et 9 juin prochains, le premier colloque entre
l'union interparlementaire et l'OMC aura lieu. J'avais été mandatée par
l'Assemblée nationale pour préparer cette réunion.
L'Union
interparlementaire a beaucoup été critiquée et parfois cela était assez
justifié. Mais, pour peu qu'elle crée des commissions chacune chargée de
suivre une institution internationale, elle fera émerger la notion du
pouvoir parlementaire, au sens démocratique du terme. Ainsi, de même
qu'il existe un embryon - au sens de structure partielle - d'instances
décisionnelles avec le Conseil de Sécurité des Nations Unies,
d'instances juridictionnelles avec la Cour internationale de Justice, la
Cour pénale internationale, ou même l'organe de règlement des différends
de l'OMC, il existe des embryons d'un parlement mondial. Cette utopie-là
me plaît et c'est la raison pour laquelle je m'y investis beaucoup.
· Intervention de M. Jean-Claude LEFORT, député, président du groupe
d'amitié France-Mexique
La régulation
internationale comme nouvelle frontière pour les parlements ne constitue
pas pour moi une interrogation, mais plutôt une réponse, une exigence.
Sur ce sujet, notre pays, notre parlement, souffre d'une crise de
modernité, qui entraîne en cascade une crise de légitimité accentuant le
discrédit qui frappe trop souvent la politique.
Observons, dans
un premier temps, la manière dont est régi le système actuel d'insertion
du parlement dans cette régulation internationale. L'article 53 de la
Constitution accorde au parlement le pouvoir de ratifier en bloc les
traités, y compris commerciaux, ou de les rejeter en bloc. En 1958, date
de la Constitution, l'Europe n'en était qu'à ses débuts et la
mondialisation n'avait pas connu cet essor irréversible. Notre
Constitution s'est amendée, s'agissant des questions européennes, en
ajoutant un article 88-4, qui permet que notre parlement examine ou
donne son avis sur les actes en provenance de Bruxelles qui ont des
conséquences législatives. Mais il s'agit d'un avis, qui plus est a
posteriori. D'ailleurs, vous avez constaté comme moi que le sommet
de Nice, qui a accouché du traité de Nice mais également de divers
autres documents, indique que l'une des quatre grandes questions mises
en débat pour le prochain traité concerne la place des parlements
nationaux dans la construction européenne.
S'agissant de la
mondialisation, alors que le nombre d'organes s'en occupant de manière
directe et parfois contestée a proliféré à travers la planète, notamment
depuis 1995 avec la création de l'OMC, on observe que le parlement n'a
aucun pouvoir d'interférence, pour peser pendant les négociations. Je ne
prendrai qu'un exemple célèbre pour illustrer mon propos : l'accord
multilatéral pour l'investissement (l'AMI) discuté au château de la
Muette - qui porte si bien son nom ! -. Depuis 1995, dans le dos des
parlementaires, des gens se réunissaient et discutaient d'un accord
extrêmement important, qui consistait en vérité à accorder aux
multinationales tous les droits et aux États tous les devoirs. Il a
fallu que la société civile nous alerte sur l'existence de telles
négociations pour qu'en 1998 et donc trois ans plus tard, l'Assemblée
s'en saisisse et, notamment en France, fasse échouer ce projet.
Cet exemple
montre que l'on assiste à un triple phénomène. Premièrement, la
diplomatie classique, qui est très importante et possède ses propres
règles, trouve, dans les conditions d'aujourd'hui, rapidement ses
limites en ce qu'elle est submergée par une multiplicité de sujets, qui
concernent aussi bien le Quai d'Orsay que Bercy. Deuxièmement, la
technocratie, qui a aussi sa légitimité, remplit l'espace dégagé par
l'exécutif. Troisièmement, du fait de l'absence des parlementaires, on
observe que d'autres acteurs, qui mènent bien des combats positifs,
remplacent tout l'espace laissé vacant par le politique et se retournent
contre lui. Au final, le politique, qui est censé représenter l'intérêt
général, est rongé par l'économique, la technocratie et des mouvements
qui ont toujours leur utilité mais qui ne représentent pas l'intérêt
général. C'est pourquoi je milite pour modifier cette situation. Il nous
faut créer des lieux, à l'Assemblée nationale et au Sénat, où les
parlementaires peuvent suivre ces questions et peser en amont des
décisions. Vous savez sans doute que le mandat du commissaire européen
aux négociations de Seattle résultait d'une discussion au Conseil entre
les pays membres. La France a fait figure d'exception à ce niveau
puisque deux débats à l'Assemblée nationale et un au Sénat ont eu lieu
pour définir le mandat du commissaire. Mais c'est un cas exceptionnel.
Il faut absolument, pour pallier cette crise de modernité qui affecte la
légitimité du politique et qui atteint dans son fondement la politique
elle-même à travers la société, redonner toute sa place au parlement
dans les négociations qui concernent la vie des gens et des peuples.
· Intervention de Mme Danielle BIDARD-REYDET, sénateur
Intervenant en
fin de colloque, je me contenterai de faire quelques observations et de
donner quelques exemples.
Je crois qu'il
faut vraiment insister sur la position des parlementaires, qui se
trouvent à la croisée des chemins entre les institutions et la société
civile et au carrefour entre le choix de leur gouvernement et leur
espace de liberté, de créativité et d'autonomie. En France, mais
ailleurs également, on évoque une crise politique et la difficulté des
citoyens de percevoir les enjeux.
Longtemps - et
je ne suis pas sûre que cette époque soit terminée -, les relations
internationales ont été dominées par ce que j'appellerai le droit des
plus forts. Les plus forts, plus ou moins intelligemment, procèdent par
faits accomplis et élaborent, qui plus est dans un certain secret et
sans la participation des citoyens, des propositions qui correspondent à
leurs intérêts économiques, voire à leurs intérêts stratégiques. Il est
impératif de réinvestir le secteur des grandes puissances, ce secteur
économique et financier. Notre discussion d'aujourd'hui montre qu'il
existe un champ intéressant et dans lequel nous pouvons intervenir.
M.
Ivan LEVAÏ
ous tenez
compte, Madame, des deux faits nouveaux : le monde n'est plus bipolaire
et la construction européenne a considérablement avancé.
Mme
Danielle BIDARD-REYDET
Bien sûr. Je
suis persuadée que les parlementaires ont un rôle différent à jouer dans
ce nouvel ordre mondial, à construire sur une base inédite faite de
valeurs démocratiques. Nous devons vraiment nous atteler à développer
cette sphère, sinon les relations internationales continueront d'être
régies par les intérêts économiques et la voix des peuples ne sera
jamais entendue.
Tout à l'heure,
nous avons parlé du Proche-Orient. Pour ma part, j'ai créé une
association qui s'appelle « Pour Jérusalem ». Au Sénat, nous avons
organisé beaucoup de réunions sur ce sujet, qui ont été perçues de
manière positive par les personnes qui y assistaient. J'ai également
conduit des délégations au Proche-Orient en tant que parlementaire mais
également en tant que membre de l'association, et organisé des
rencontres-débats dans les villes françaises qui le souhaitaient, avec
une réelle volonté d'informer, de débattre et de trouver des solutions
qui s'inscrivent dans une optique de recherche de la justice et ne
soient pas imposées par le dominant ou le plus fort.
En conclusion,
je dirai qu'il y a un travail en continu à fournir par les
parlementaires, pour contribuer à construire des réponses qui ne sont
certes pas évidentes mais en tous les cas indispensables. Pour répondre
à la question posée par l'intitulé de la table ronde, je dirai que les
nouvelles frontières dans les relations internationales et les missions
des parlementaires, ce sont celles que les parlementaires se donneront
eux-mêmes, d'une part en tenant compte de leur liberté d'action et,
d'autre part, de la responsabilité qu'ils pensent absolument
indispensable.
M.
Ivan LEVAÏ
A propos de
l'article du Monde évoquant la recherche par Matignon d'un conseiller
anti-mondialisation, je préciserai que ce serait M. Schrameck qui aurait
annoncé cela à M. Aguitton, représentant d'ATTAC et auteur d'un livre
intitulé Le monde nous appartient. M. Legendre, le monde
appartient-il aussi aux parlements ?
· Intervention de M. Jacques LEGENDRE, sénateur, secrétaire général
parlementaire de l'APF
Évidemment, et j'aimerais introduire mes propos
par plusieurs de mes convictions profondes à propos du travail du
parlementaire. Le parlementaire doit, d'une part, être celui qui vit la
proximité de ses électeurs et qui la traduit au parlement et dans la
loi. Il doit, d'autre part, dans son travail, porter un certain regard
sur le monde qui est en train de se modifier, avec des effets rapides
sur la proximité. Il doit le dire à ses électeurs de manière à ce qu'il
n'existe aucune ambiguïté. Ainsi, quand nous nous intéressons à ce qui
se passe au-delà du canton, de la circonscription et du pays, nous
faisons aussi notre travail.
Par ailleurs, je crois que la nouvelle frontière
dont nous parlons est à la fois pour les parlements et pour les
parlementaires. En conséquence, les parlements doivent de plus en plus
s'organiser, envoyer des délégations qui constituent elles-mêmes des
assemblées chargées de suivre ces nouvelles structures qui vont peser
sur nos vies et qui se mettent en place. Je suis moi-même représentant
du Sénat au Conseil de l'Europe et à l'Union de l'Europe occidentale et
je peux témoigner que des discussions et des décisions importantes ont
lieu en ce moment en matière de défense. L'existence ou non d'une
défense européenne, c'est un point important pour chacun d'entre nous.
Il y avait jusqu'ici une assemblée parlementaire à l'Union de l'Europe
occidentale ; elle est peut-être en train de disparaître. On risque de
voir ces questions de défense être essentiellement traitées par des
spécialistes, des techniciens et des diplomates, parce qu'elles ne sont
pas encore de la compétence du parlement européen et parce qu'il n'y
aura plus d'assemblée parlementaire spécialisée pour les suivre. Il faut
absolument s'en informer et éventuellement dénoncer cet état de fait.
Je suis également secrétaire général de
l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Il faut savoir que la
francophonie s'est d'abord construite autour de nos chefs d'État et de
gouvernement. C'est tellement vrai que, tous les deux ans, il y a un
sommet des chefs d'État et de gouvernement de la francophonie ; cette
année, il aura lieu en octobre à Beyrouth. Certains s'interrogent
parfois sur les objectifs de ces sommets, notamment sur le volet de la
démocratie. On voit d'ailleurs des ONG interpeller de plus en plus
vigoureusement nos sommets de la francophonie. Je n'en suis pas choqué
mais je me souviens d'une discussion récente avec M. Boutros-Ghali, le
secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie,
qui se demandait quelles ONG allaient être légitimement reconnues comme
interlocutrices de la francophonie. S'il me semble normal que les ONG
aient un rôle à jouer, je considère également que les parlementaires qui
constituent l'assemblée parlementaire de la francophonie et qui sont
élus par le suffrage universel sont des interlocuteurs légitimes.
Encore faut-il que ces parlements soient de
« vrais » parlements. Il y a en effet des parlements nommés par le chef
d'Etat, élus selon des méthodes qui ne laissent guère de place au
hasard, et des parlements soumis très clairement à la loi du suffrage
universel. Si l'on veut organiser une régulation qui soit celle de la
démocratie internationale, il faut que les parlementaires qui auront à y
participer, soit dans une assemblée spécialisée, soit chacun d'entre eux
et au sein de leur parlement, en utilisant éventuellement les moyens de
contrôle de chaque parlement, soient des parlementaires incontestables.
Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie, nous excluons
sans tapage tout parlement qui n'est pas né d'une procédure
constitutionnelle, reconnue, validée, et acceptée. Nous avons par
exemple été amenés à suspendre le parlement du Rwanda, malgré le drame
qui a frappé ce pays, ainsi que, plus récemment, le parlement constitué
par M. Sassou N'Guesso à Brazzaville, parce que ce parlement de
transition résultait d'une nomination du chef de l'État. Évidemment, de
telles décisions embarrassent parfois nos ambassadeurs. Nous avons
également suspendu le parlement de Côte-d'Ivoire car toutes les parties
prenantes dans ce pays n'avaient pas été autorisées à participer au
scrutin. Ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre mais nous
pensons que nous rendons ainsi un service supérieur au pays, en
maintenant cette ligne ferme.
Cela étant dit et à condition que nous soyons
nous-mêmes des interlocuteurs peu contestables, je crois qu'il est de
notre devoir de mettre en place des assemblées parlementaires qui, soit
dans un secteur géographique, soit sur un thème donné, suivent de près
les choses dans nos parlements afin que nous puissions ainsi assurer le
suivi des nouveaux centres de pouvoir ou de régulation du monde.
En conclusion, je reprendrai une formule de La
Bruyère : « tout est dit et l'on vient trop tard ». Je viens trop tard
et je m'excuse pour ma brièveté !
Mme Béatrice MARRE
Pour me faire bien comprendre, j'aimerais
préciser que je ne m'interroge aucunement sur l'existence du territoire
à conquérir par les parlementaires ! J'ai d'ailleurs eu la surprise
d'enfoncer une des frontières de ce territoire puisque, avec ma collègue
Nicole Bricq, en 1998, nous avons été les premières femmes à entrer à la
commission des finances de l'Assemblée nationale. J'ai donc à la fois
conscience de ce territoire et de la possibilité d'en ouvrir les
frontières.
M. Ivan LEVAÏ
Je vous remercie d'avoir été aussi positifs,
pratiques, concrets et un peu rebelles. Vous avez bien montré que les
parlements, les représentations nationales, procèdent très directement
du peuple et, d'une certaine façon, jouissent s'ils le veulent de la
même liberté que lui. Merci M. Legendre d'avoir rappelé en conclusion
que les parlementaires pouvaient prendre des décisions courageuses, par
exemple exclure un certain nombre de parlements qui n'en étaient pas
vraiment.
S. Exc. M. Nestor KOMBOT-NAGUEMON, ambassadeur de
la République centrafricaine
Dans mon pays, j'ai été député, ministre d'État
et ministre des affaires étrangères. J'ai été convié à cette discussion
sur la diplomatie parlementaire à titre d'ambassadeur et j'en remercie
les organisateurs. J'aimerais intervenir pour évoquer le point de vue
des PMA : nous attendons beaucoup des parlementaires français car la
France est la terre des droits de l'homme et de la démocratie. Le 14 mai
dernier, il y avait un colloque à l'OCDE sur le thème de la nouvelle
économie, de la démocratie et de la mondialisation. Il y a été dit que
144 défis mondiaux avaient été inventoriés, dont la maladie, le sida, la
pauvreté. Que faire pour les relever ? Le parlement français a déjà
donné de bons exemples, par exemple en condamnant l'esclavage et en le
considérant comme un crime contre l'humanité. Vous devez reprendre ce
flambeau et, en ce début de millénaire, trouver comment relever ces 144
défis et impliquer les Nations Unies. Vous seriez alors admirés dans le
monde entier. Nous vous faisons confiance et espérons que vous saurez
sensibiliser vos électeurs au thème de la coopération décentralisée, qui
peut être un atout fondamental dans la lutte contre le
sous-développement.
M. Ivan LEVAÏ
Merci, M. l'ambassadeur, d'avoir conclu ce
colloque par ces mots et le rappel de ces 144 défis.