S O M M A I R E
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AVANT-PROPOS

 

INTRODUCTION

·  Une île hors du droit ?
·  Connaître, comprendre, proposer
·  Les analyses de la crise : des constats graves, des comportements inacceptables
·  Le choix d’agir dans la durée
·  Sept priorités à court terme
 
AVANT PROPOS
En décidant, en mars 1998, de créer une commission d’enquête sur l’utilisation des fonds publics et le fonctionnement des services publics en Corse, l’Assemblée nationale a su, avec sagesse et efficacité, répondre à l’urgence, affirmer sa cohérence et renforcer son rôle :
– répondre à l’urgence : l’assassinat, lâche et odieux, du préfet Claude Érignac a provoqué en Corse et dans toute la France une émotion justifiée. La mort du préfet, au-delà du drame imposé à ses proches, c’est un coup terrible porté à un symbole de la République et, donc, à la République elle-même. Notre devoir d’élus du peuple, de parlementaires de la République, était d’adopter un dispositif s’inscrivant dans la défense de celle-ci, de ses valeurs et de ses lois.
– affirmer sa cohérence : l’Assemblée nationale ne découvre pas le problème corse. Depuis des décennies, elle y a consacré de nombreux travaux. Mais surtout, en 1996 et 1997, une mission d’information parlementaire, présidée par M. Henri Cuq, avait commencé un énorme travail d’investigation dont les comptes rendus des auditions montrent la richesse et le sérieux. Ce travail avait été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale qui, au printemps 1997, empêcha l’élaboration, la discussion et la publication du rapport. Il fallait reprendre ce travail sans tout recommencer en s’appuyant sur l’acquis de la mission. C’est le choix collectif que nous avons fait.
– renforcer son rôle : le Parlement ne vote pas seulement les lois, il doit en contrôler l’exécution. Cette commission d’enquête s’inscrit naturellement dans cette mission. Elle peut, elle doit même, éclairer l’action de l’État et de ses représentants dans l’Ile : au-delà de leur action au quotidien, notre mission est de fournir un diagnostic global, une analyse de la situation et de ses causes et, aussi, une vue d’avenir, inscrite dans le moyen et le long terme. De ce point de vue, il importe de préciser que le travail d’une commission d’enquête parlementaire n’est pas celui d’une ou plusieurs enquêtes judiciaires. Séparation des pouvoirs oblige, notre rôle n’est pas d’accuser ou de condamner. Il est d’éclairer et de proposer.
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Mais nous inscrivons nos travaux et le présent rapport dans une optique pleine d’humilité car nous savons que de nombreux rapports, parlementaires ou non, ont été rédigés sur la Corse lors des dernières décennies et se sont entassés sur les étagères des bibliothèques, recouverts par la poussière .... et l’oubli.
Déjà, en 1836, M. Mottet, procureur général à Bastia et député de Vaucluse, concluait son rapport par ces mots : " Cette étude m’a laissé la conviction profonde qu’on ne désespère de la Corse que parce qu’on ne la connaît pas, et qu’on pourrait remédier à tous ses maux par les moyens les plus ordinaires. Je désire que le gouvernement partage ma conviction et mette la main à l’œuvre. "
En 1908, c’est Clemenceau qui introduisait son rapport par : " Je me propose de vous exposer dans ce rapport les causes générales d’ordre économique et celles plus immédiates d’ordre administratif d’où me paraît résulter la situation présente de la Corse. " Il poursuivait ainsi : " Tel est le tableau de la situation financière, économique et administrative de la Corse. Il est incomplet. Mais pour si restreint qu’il soit, une première conclusion s’en dégage : c’est que l’heure est venue d’apporter de profondes modifications à la situation actuelle de la Corse. Des mœurs, des habitudes si différentes des nôtres ne peuvent coexister avec notre état social sans dommages pour la Corse et pour le pays entier ". Et il concluait : " Il faut agir, c’est nécessaire. Il faut agir immédiatement ; c’est l’intérêt de la Corse et du pays tout entier, mais il faut procéder avec prudence et sagesse ".
C’était en 1908….. C’est pourquoi nous voulions sortir de la logique du " nième rapport " : nous savions que nous serions attendus dubitativement si, d’abord, l’attitude de l’État, conduite par le gouvernement, n’avait marqué une profonde inflexion avec laquelle nous nous sentions en parfaite synergie et si nous n’avions défini collectivement les quatre conditions pour crédibiliser nos travaux :
– refuser le préalable institutionnel : curieusement, chaque rapport rédigé sur la Corse, chaque mission réalisée, chaque projet envisagé, commence toujours par un préalable institutionnel. Comme si le premier des problèmes corses était d’ordre statutaire ! Outre que cela conforte ceux qui, ultra-minoritaires, proposent l’évolution maximaliste de ce statut, ce genre de proposition présente surtout un danger majeur : il n’a rien à voir avec les préoccupations des Corses au quotidien. Nous avons constaté, lors de notre enquête, que personne de véritablement représentatif ne mettait en cause le statut Joxe de 1991, ce qui, soit dit en passant, est un bel hommage post-daté à celui-ci ! Certes on peut s’interroger sur tel ou tel mécanisme juridique concernant les offices ou sur la persistance lourde et irrationnelle de deux départements pour 260.000 habitants. Cela ne veut pas dire que toute évolution soit irrecevable intellectuellement ou politiquement. Cela signifie que tel n’est pas le problème majeur, telle n’est pas l’urgence et tel n’est donc pas l’axe principal de notre travail.
– ne pas s’ériger en accusateurs indistincts de " la " Corse et " des " Corses. Ce point est fondamental : nous refusons l’amalgame car nous savons que nombreux sont les Corses qui, au-delà du sang versé pour la défense de la patrie, sont aussi respectueux des lois de la République et soucieux que leur île retrouve une autre image Nous savons que la grande majorité des Corses aspirent à vivre en paix dans la sécurité républicaine et le respect des lois. Ne nous y trompons pas : ce qu’il faut reconstruire ce sont les liens entre la Corse et la République, la Corse dans la République. Ce qu’il faut, c’est reconstruire l’État de droit, c’est-à-dire l’application des lois non pas oppressives comme voudraient le laisser croire certains, mais libératrices et protectrices. Oui, les lois de la République, expression de l’intérêt général, sont en Corse comme ailleurs, libératrices et protectrices. Et si nous voulons leur application ferme et sereine en Corse, c’est par souci de libération et de protection des Corses eux-mêmes. Comme le dit Lionel Jospin, nous devons l’application des lois aux Corses. Ils y ont droit car toute fraude, toute corruption, toute délinquance ou toute violence d’une minorité s’opère d’abord aux détriments de la communauté corse.
De ce point de vue, la campagne qui tente de s’organiser en Corse ces dernières semaines, selon laquelle l’État y mettrait en œuvre une " politique d’exception ", doit être dénoncée avec vigueur. Aucun cas précis ou particulier ne résiste à l’analyse : il ne s’agit, au contraire, que de faire respecter en Corse la règle normale, celle qui s’applique partout en France.
– dire la vérité, sans fard, sans détours. Le Parlement ne doit pas tricher, il doit tout dire. La Corse est une île aux paysages fabuleusement beaux, au patrimoine admirable et à la culture bouleversante. Elle suscite, naturellement, les passions et, donc, les excès. Elle est l’objet de toutes les rumeurs et il devient très vite difficile de discerner le réel de l’affabulation. C’est pourquoi, là encore, il nous a semblé que notre travail devait commencer par ce courage défini par Jean Jaurès comme la recherche de la vérité .... pour la dire. Pour ne pas raisonner sur des rumeurs, mais sur des faits. Pour que nos concitoyens connaissent mieux la réalité corse, partie intégrante de notre République. Et pour que, au nom du principe républicain fondamental de l’égalité des citoyens devant la loi ils puissent peser en connaissance de cause ce que la collectivité nationale peut et doit faire pour nos concitoyens corses.
– faire des propositions concrètes : un rapport d’étude ne doit pas être une fin en soi, il doit déboucher sur quelque chose : l’action publique. C’est pourquoi nous avons souhaité que ce rapport soit conclu par des propositions concrètes faites au gouvernement, une sorte de " carnet de route " pour les années qui viennent. Car, notre conviction est claire : il faudra du temps, des années sans coup de volant ni zigzag de l’exécutif pour refonder l’État de droit en Corse. C’est une de nos certitudes unanimes : la durée y sera essentielle.
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Enfin, il nous paraît impossible, à ce jour et à ce stade, de ne proposer à la Corse qu’un projet que certains qualifieraient volontiers de " répressif ", c’est-à-dire de retour à l’État de droit, d’application ferme et juste des lois de la République et de contrôles démultipliés. Même si ce retour à la paix civile est indispensable et incontournable car rien d’économiquement solide ne pourra être bâti sans l’éradication de la violence. Mais il nous apparaît qu’il faut aussi conjuguer le retour progressif à l’État de droit avec trois grandes propositions globales et constructives pour l’avenir de la Corse :
a) une véritable prise en compte de la revendication identitaire qui ne saurait ni se résumer au nationalisme, ni être accaparé par lui. Nous pensons que la République doit accepter comme recevable cette revendication identitaire aussi forte et pressante soit-elle. La République a tout à gagner à s’enrichir de sa diversité. A condition, bien sûr, d’encourager d’autant plus ce qu’elle a de noble (la langue, la création, la culture, le patrimoine) et de ne pas accepter ce que certains voudraient y lier systématiquement (la violence, la clandestinité, l’omerta, la vendetta). Il faut, pour que la Corse se sente bien dans la République, qu’elle y retrouve l’épanouissement rayonnant de son identité et de sa culture.
b) un véritable projet de développement économique de la Corse. Pour cela, nous proposons d’actualiser et reprendre le plan de développement économique de la Corse adopté en 1993 par l’Assemblée territoriale afin de lui donner une suite logique et cohérente dans le prochain contrat de plan État – Région. La négociation qui va s’ouvrir entre l’État et l’Assemblée territoriale sur ce futur contrat de plan est tout à fait majeure : Il faut une vision planificatrice claire et pluriannuelle, notamment pour les infrastructures de transport qui doivent, dans les années qui viennent, connaître enfin cette " révolution culturelle " indispensable.
c) l’actualisation permanente de la démocratie : la démocratie est un bien trop rare et trop cher pour qu’on la laisse soumise à quelque risque que ce soit. Nous ne sommes pas ici pour accuser mais bien pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi. Aucun doute ne doit subsister sur la liberté et la sincérité des scrutins et, pour cela, nous faisons des propositions concrètes. Peut-être ne serait-ce pas nécessaire ? Mais, au moins, cela fera cesser les rumeurs.
Tel est notre rapport, ni exhaustif, ni parfait, ni donneur de leçon. Il est le fruit d’un travail collectif approfondi et honnête pour lequel je tiens à remercier chaleureusement tous les membres de la commission d’enquête qui y ont contribué dans un esprit de responsabilité et de respect mutuel que je me plais à saluer et, en particulier, notre rapporteur Christian Paul qui a effectué ce travail avec sérieux et rigueur et avec lequel j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. Je remercie également les membres du corps préfectoral et surtout MM. Bernard Bonnet et Bernard Lemaire pour l’aide constante qu’ils nous ont apportée, à Paris comme en Corse.
 
Jean GLAVANY
INTRODUCTION
Une île hors du droit ?
La Corse est une affaire d’État.
Pour qui examine l’histoire récente de cette île, et encore les événements les plus récents, c’est l’autorité de l’État qui est en jeu. Tout à la fois, la persistance de la violence, le mépris du droit et l’impunité organisée alimentent une crise majeure sur cette partie du territoire de la République. Le seuil du tolérable est depuis longtemps franchi. Ce défi à l’État doit être relevé sans faiblesse. A défaut, le " système " qui s’est consolidé sous des formes multiples au cours des dernières années s’enracinera sans retour possible.
La Corse est un défi à la démocratie.
Traditionnellement minée par le système clanique, ses pratiques clientélistes et par la fraude électorale, la démocratie insulaire n’a pas su jusqu’ici échapper réellement à ses anciennes pratiques. Les assemblées décident peu, trop d’élus agissent avec retard, les contrôles s’exercent souvent sans conviction. Occasion de forger des légitimités incontestables, la refonte des listes électorales n’a pas tenu ses promesses.
La Corse est un défi au courage politique des gouvernements, des élus et des citoyens.
Car les conditions à réunir, dans l’île comme à Paris, pour que la Corse réussisse sont connues. C’est l’application ferme et l’acceptation loyale des lois de la République. C’est surtout l’action dans la durée et non plus la tactique de l’instant. C’est enfin un réveil civique, dans les décisions publiques comme dans la vie quotidienne.
Au terme de ses travaux, la commission d’enquête a acquis la conviction que l’action conduite pour le retour à l’État de droit, qu’incarnent les représentants de l’État en Corse, était et demeure la seule possible. Qu’il est indispensable qu’elle soit poursuivie dans la durée. Qu’il est tout aussi souhaitable qu’elle soit accompagnée par un contrat de développement qui n’appelle pas toujours plus d’argent public, mais l’utilisation lucide et vigoureuse des procédures existantes, remises à plat pour un emploi plus efficace.
Connaître, comprendre, proposer
Créée le 3 mars 1998, par une résolution adoptée à l’unanimité, pour éclairer l’Assemblée nationale sur l’emploi des fonds publics, et plus généralement, sur le fonctionnement des administrations de l’État et des collectivités locales en Corse, la commission d’enquête s’est avant tout attachée à cet objectif.
Connaître, comprendre, proposer : c’est la démarche que la commission s’est collectivement assignée.
Sans embrasser tous les aspects de la " question corse ", il était indispensable, à cette fin, que son travail repose sur un examen détaillé de la situation économique et sociale de l’île, et sur une large confrontation des points de vue, afin d’éviter trop d’idées reçues. Pour mettre à la disposition de la représentation nationale une photographie à la fois globale et équilibrée.
Il convenait également que la commission, multipliant le recueil des témoignages, s’imprègne d’un contexte politique souvent mal appréhendé sur le continent, tant l’occultent les aspects les plus spectaculaires de la " question corse " (terrorisme, scandales, loi du silence...).
Les membres de la commission d’enquête, sous la conduite de M. Jean Glavany, vice-président de l’Assemblée nationale, reprenant le fil des travaux de la mission parlementaire d’information sur la Corse que présidait M. Henri Cuq, ,ont accompli ce cheminement. Leurs observations, leurs étonnements et leurs préconisations ont été extrêmement précieux au rapporteur.
Les rapports, les enquêtes, les investigations consacrés à la Corse depuis une décennie sont particulièrement nombreux. Aucune part du territoire français n’a été l’objet d’autant d’expertises. On aurait pu penser que tout avait été écrit sur la Corse, que rien de ses atouts et de ses dérives n’était ignoré.
Et pourtant, les missions menées au cours des dix derniers mois, notamment par l’Inspection générale des finances et les inspections générales relevant des ministères des affaires sociales, de l’intérieur ou de l’agriculture ont révélé des scandales majeurs ou des dysfonctionnements dont il faudra, au plus vite, tirer des leçons pour l’action. Le rôle accru de la Chambre régionale des comptes doit également être souligné.
La commission d’enquête et son rapporteur ont souhaité mettre en perspective l’ensemble de ces apports, les recoupant par les auditions de plus d’une centaine de personnes, à Paris et en Corse, généralement sous serment, et sous le régime du secret ..
Est-ce à dire que l’ensemble des errements imputables de près ou de loin à des organismes publics et à des collectivités locales sont dorénavant identifiés ? On peut penser – et surtout souhaiter – que la plupart des affaires les plus graves au regard de leurs enjeux financiers, ont été, à un titre ou à un autre, examinées. Toutes ne sont pas encore devant la justice.
Peut-on penser que toutes les pressions occultes qui orientent les décisions publiques insulaires sont réellement désamorcées ? Sans céder à l’ambiance nourrie de rumeurs, qui entoure l’existence de ces réseaux de pouvoir, on peut sans aucun doute craindre que tout reste à faire.
Mais la commission d’enquête, par ses constats ou les dangers qu’elle dénonce, ne court-elle pas le risque de participer à la dramatisation de la situation insulaire ? ou, par ses jugements, de contribuer à ternir l’image de la Corse ?
La commission et son rapporteur ont entendu de ne pas atténuer leurs constats et leurs analyses, considérant qu’à ce moment précis de l’histoire commune de la République et de la Corse, la lucidité, celle des gouvernements, celle des élus ou des citoyens est un ingrédient indispensable à l’action qui s’engage.
Les analyses de la crise
Le 6 février dernier, l’assassinat du préfet Claude Erignac démontrait, après tant d’autres moments tragiques, que dans la Corse du dernier quart du XXème siècle, le pire est toujours sûr.
Depuis deux décennies, toutes les analyses historiques reposent au fond sur quelques données essentielles :
— une société traditionnelle sur laquelle se greffent difficilement les apports de la modernité,
— un retard de développement économique, à l’instar de nombreuses îles de la Méditerranée,
— un espace politique fondé sur le clanisme et qui repose aujourd’hui sur des formes nouvelles de clientélisme,
— une démocratie locale trop souvent pervertie, ici par la fraude électorale, ailleurs par le népotisme,
— une revendication identitaire rompant progressivement avec l’idéal d’origine, pour se perdre dans les comportements dévoyés des minorités clandestines.
Depuis quelques années, il a fallu s’accorder pour constater l’impuissance de l’État comme celle des acteurs insulaires face à :
— une économie fragilisée connaissant des rechutes conjoncturelles graves,
— une " crise du prélèvement " public atteignant la plupart des impôts et des cotisations sociales,
— des dysfonctionnements répétés au sein de nombreuses collectivités et organismes publics.
Des constats graves, des comportements inacceptables
L’ensemble des investigations récentes, menées par la commission d’enquête ou dont elle a pu vérifier les conclusions, relèvent des faits particulièrement graves. Evoqués séparément, ces constats seraient inacceptables. Leur accumulation est proprement ahurissante .
• Des administrations publiques hors d’état, jusqu’à ce jour, de répondre réellement aux enjeux graves de la Corse, ou d’affronter les conditions particulièrement difficiles de leurs missions dans l’île. Parmi ces administrations de l’État, il faut notamment citer les services de police, contestés, la justice, fragilisée, et la plupart des administrations dotées de fonctions de contrôle.
• S’agissant des fonds publics, la multiplication des gâchis, des gestions inefficaces et des cas de détournements ponctuels ou organisés, sans que les dispositifs de contrôle ou de sanction soient réellement mis en œuvre.
• Un " système " constitué de réseaux d’intérêts aux limites de la légalité et exerçant des pressions organisées sur l’économie insulaire et les décisions publiques, locales ou nationales. Plus profondément, ce sont les éléments d’un véritable système pré-mafieux qui s’étaient progressivement rassemblés.
• L’existence d’une situation de " cavalerie " financière qui maintient en survie artificielle des secteurs de l’économie locale (au sein de l’agriculture, du tourisme, du bâtiment ...) par l’étalement des dettes ou le non-paiement des prélèvements publics.
• Plus généralement, une application de la loi républicaine se heurtant, en permanence, selon les contextes, à l’intimidation, la collusion ou la violence pure.
Cette situation n’a pu s’installer, s’institutionnaliser et se pérenniser sans que l’État et les pouvoirs locaux la facilitent, s’en accommodent ou s’y résignent.
A l’évidence, la commission d’enquête doit donc conclure, pour le passé comme pour l’avenir, à une double responsabilité de l’État et des pouvoirs locaux.
Pour autant, les travaux de la commission d’enquête se sont d’emblée écartés de toute idée – dénuée de sens, et inacceptable – de culpabilité collective des Corses ou de leurs élus. Le dire et le souligner, c’est réaffirmer comme possible et souhaitable la prise en mains réelle par les Corses des institutions locales et du développement de l’île.
De la même façon, les parlementaires membres de la commission ont aussi rencontré et entendu des fonctionnaires de qualité, remplissant en Corse des tâches particulièrement difficiles, dans un climat de pression permanente et en encourant souvent des risques personnels sans commune mesure avec ceux que connaissent leurs homologues du continent.
Le reconnaître, c’est lutter, à leurs côtés, contre le sentiment d’isolement, voire d’abandon, qu’expriment nombre d’entre eux.
Le choix d’agir dans la durée : quelques préalables
A l’action engagée, s’opposeront, s’opposent déjà, plusieurs obstacles, qui sont autant de contraintes objectives ou psychologiques à dépasser.
— Un passif financier public et privé considérable, qui grève déjà l’avenir de l’île.
Cette accumulation de dettes affecte une part de l’économie privée, non seulement subventionnée lorsqu’elle investit, mais également sous perfusion pour son fonctionnement courant (endettement non acquitté, cotisations non payées ...). Elle affecte aussi des collectivités locales, petites ou grandes, en cessation des paiements. Une stratégie d’assainissement est indispensable. Elle sera inévitablement douloureuse, malgré les mesures d’accompagnement qui devront être prises au cas par cas.
— Des inquiétudes confirmées sur les instruments de financement de l’économie insulaire et de ses investissements.
Le Crédit agricole tente, par un retour de balancier, d’effacer par une nouvelle rigueur les errements d’hier ; la CADEC ne prête plus depuis 1995, de nombreux établissements financiers se sont désormais éloignés de la Corse. Or, l’économie insulaire, parce qu’elle ne manque pas d’entreprises saines et de projets viables, a besoin d’un accompagnement financier très professionnel.
— Les freins au rétablissement du fonctionnement " normal " de l’État.
Dans l’histoire récente, l’État n’a agi en Corse que sous la pression. En réaction. Or, la durée est nécessaire. Le choix des hommes est essentiel. Pourtant, les administrations centrales de l’État, par méconnaissance, par inertie ou par inconséquence, ont souvent répugné à affecter les personnels nécessaires ou à en organiser la mobilité. Comme elles tardent à élaborer, lorsque cela s’avère indispensable, des solutions sur mesure pour doter convenablement les services qui les représentent dans l’île.
— L’absence d’un leadership politique positif.
En Corse, trop souvent et plus qu’ailleurs, la conquête et la conservation du pouvoir passionnent davantage que son exercice quotidien. Clemenceau l’affirmait en 1908 ... La génération politique qui arrive progressivement aux principaux postes de pouvoir au sein des collectivités insulaires saura-t-elle faire mentir cette tradition ?
— Enfin, le scepticisme trop répandu, – voire la lassitude, au fil des années –, dans l’île comme à Paris, quant aux chances réelles de retrouver en Corse la paix civile et une voie de développement durable. Comme si la République n’était, au fond, pas armée pour affronter une telle crise.
Le choix d’agir dans la durée : quatre principes pour l’action publique
Agir pour la Corse dans la durée : une ligne directrice acceptée par tous
C’est l’un des facteurs du succès possible, pour l’État comme pour les collectivités locales. Dans la plupart des secteurs, au-delà de mesures de court terme dont beaucoup sont engagées, un horizon à quatre ou cinq ans est nécessaire. Mais il importe surtout que les acteurs locaux aient la conviction que, durablement et en tout domaine, le respect de la loi républicaine reste la référence partagée.
Agir en Corse comme ailleurs
Le principe d’égalité doit être affirmé entre les Corses, mais aussi au regard de la loi, entre la Corse et l’ensemble du territoire national. Sans porter atteinte aux plus positifs de ses particularismes, mais en évacuant progressivement une culture trop marquée par la dérogation, voire la tolérance d’excès  qui dégradent l’esprit public, la Corse entreprendra une nouvelle étape de modernisation, qu’au fond d’elle-même cette " société bloquée " attend.
Agir en Corse mieux qu’ailleurs
En Corse, divers défis doivent être relevés. Ceux-ci appellent de la part de l’État la poursuite de multiples efforts de solidarité, dès lors qu’ils sont efficaces et qu’ils ne s’apparentent pas au simple " toujours plus " amplement pratiqué dans chaque phase de tension.
Même si la commission d’enquête plaide pour un meilleur usage de l’argent public, pour un réel ciblage des dépenses et des redéploiements, elle ne milite pas pour un alignement aveugle sur des situations continentales qui, du fait de l’histoire ou de l’insularité, sont rarement comparables.
De même, dans la période qui s’engage, les simples ratios de l’activité administrative continentale ne peuvent être transposés sans précaution ou adaptation.
La difficulté des missions de l’État (on pense à la justice, aux services fiscaux et à beaucoup d’autres) réclame que des conditions de travail plus propices soient créées pour dynamiser les hommes et les équipes.
Agir dans le respect de la Corse et de son identité
Rien ne serait pire que de voir l’action engagée en Corse au profit de l’État de droit progressivement perçue comme une entreprise contraire aux attentes des Corses ou même attentatoire à leur identité. Quelques-uns dans l’île, heureusement peu nombreux, s’emploient à accréditer cette idée. Dans son inspiration, profondément républicaine, la volonté de remédier aux carences de l’État de droit est inséparable de l’aspiration à la justice et à la paix civile très majoritairement exprimée par les Corses. Au-delà, la prise en compte de l’expression identitaire en Corse doit être ouverte et généreuse. Les collectivités locales, comme l’État, doivent y contribuer. Sans doute peut-on souhaiter qu’à la fin des années 90, après des décennies de débats et d’affrontements, symboliques ou plus douloureux, la culture et la langue de la Corse, quittent – autant que possible – le champ politique, n’en soient plus les otages.
En redevenant des pratiques populaires, soutenues sans frilosité ni complexe et diffusées plus largement par l’école, l’on peut espérer que la culture et la langue corses demeurent longtemps des ferments d’identité et de création libre.
Le choix d’agir : sept priorités à court terme
La tâche de la commission d’enquête ne pouvait se borner à un diagnostic, fût-il sans complaisance, et à décliner des principes généraux pour l’action publique.
Aussi s’est-elle attachée à identifier quelques objectifs de court terme, et à préciser, au-delà des mesures récentes prises par le gouvernement, les principaux axes d’effort.
  • Optimiser les moyens des services de l’État afin qu’ils puissent veiller à l’application des lois et contrôler l’emploi des fonds publics. Chacun des secteurs sensibles doit bénéficier des meilleurs parmi les fonctionnaires de l’État.
  • Assurer les fonctions régaliennes de sécurité, de justice et d’ordre public. A ce titre, s’attaquer à casser, sans faiblesse, le système pré-mafieux dont toutes les dérives récentes de la Corse ont favorisé la consolidation.
  • Faire face à l’" état d’urgence " que connaît l’agriculture insulaire, afin de permettre le maintien du plus grand nombre d’entreprises viables dans des filières mieux organisées.
  • Réformer les outils du financement de l’économie corse.
  • Par des modifications législatives limitées et bien ciblées, œuvrer à la démocratisation et à la transparence des institutions insulaires.
  • Engager avant la fin de 1998 et à l’occasion de la négociation du contrat de plan, une stratégie de développement sous la responsabilité conjointe, chacun dans son rôle, de la Collectivité territoriale de Corse et de l’État.
  • Favoriser les initiatives encourageant la diffusion de la langue et de la culture corses.
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    - Cliquer ici pour consulter la suite du rapport Partie I-A , annoncée ci-dessous.

    I.– le paradoxe corse : une économie largement soutenue qui reste cependant fragile, des dépenses publiques abondantes qui n’ont pas les effets escomptés

    A.– Une économie déséquilibrée à la recherche de projets porteurs d’avenir

     

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