S O M M A I R E

_____

 

I.– le paradoxe corse : une économie largement soutenue qui reste cependant fragile, des dépenses publiques abondantes qui n’ont pas les effets escomptés (SUITE ET FIN)

C.– Des doutes légitimes sur l’efficacité des depenses publiques *

1.  Des aides au développement économique non consommées ou mal utilisées *

a) Le mal chronique de la sous-consommation des crédits publics *

·  Une mise en œuvre du contrat de plan encore trop lente et un faible impact sur l’économie insulaire *

·  Des primes d’aménagement du territoire trop rarement octroyées faute de projets éligibles *

·  Des financements européens théoriquement importants mais relativement peu sollicités dans les faits *

b) La gestion peu convaincante des aides au développement par l’ADEC *

·  Des missions en principe très larges, des ambitions généreuses, des crédits importants *

·  Un système de décision à plusieurs niveaux *

·  Le bilan nuancé des activités récentes de l’ADEC *

·  Les carences du système ADEC *

2.– La gestion non optimale de la continuité territoriale *

a) Des surcoûts réels *

·  Le transport maritime supporte les principaux d’entre eux *

·  La multiplication des infrastructures fait obstacle aux économies d’échelle *

·  La subvention au transport du ciment a été versée en pure perte *

·  La desserte aérienne suscite également quelques interrogations *

b) La dotation de continuité territoriale a atteint ses objectifs *

·  Des liaisons fréquentes *

·  Des tarifs avantageux *

c) La continuité territoriale ne profiterait pas aux Corses : une critique à nuancer *

3.– L’échec patent des aides au secteur agricole *

a) Un constat sans appel : l’échec total des plans généraux de désendettement de l’agriculture corse *

b) Les défaillances de l’office chargé du développement agricole et rural de la Corse *

·  L’ODARC " nouvelle formule " de 1992 *

·  Des opérations d’intervention et de développement de grande ampleur *

·  Des compétences fort étendues *

·  Un conseil d’administration dominé par les socio-professionnels du milieu agricole *

·  Les insuffisances notoires du dispositif *

C.– Des doutes légitimes sur l’efficacité des depenses publiques

L’une des tâches principales de la commission d’enquête était de déterminer si le gaspillage des fonds publics, tant décrié par de nombreux commentateurs, constituait un phénomène avéré et particulièrement marquant en Corse, ou s’il représentait, au contraire, une réalité, certes regrettable, mais de dimensions comparables à ce qui se produit dans d’autres régions françaises.

Au terme de ses travaux, la commission est amenée à établir les constats suivants. Paradoxalement, les crédits publics ne sont pas suffisamment consommés en Corse. Lorsqu’ils le sont, cela n’est pas toujours à bon escient : ainsi la gestion par l’agence de développement économique de la Corse (ADEC) de diverses aides fait apparaître des incohérences préoccupantes. Quant à elle, la gestion de la continuité territoriale n’apparaît pas optimale. Enfin, les dépenses en direction d’un secteur particulier, l’agriculture, doivent faire l’objet d’un réexamen sévère tant sont patents l’échec des multiples plans de désendettement conçus depuis plus de quinze ans et les défauts du système d’attribution des aides gravitant autour de l’ODARC (office de développement agricole et rural de Corse).

1.  Des aides au développement économique non consommées ou mal utilisées

La Corse est confrontée au paradoxe suivant : alors qu’elles pourraient permettre de renforcer le tissu économique de l’île, les aides publiques destinées à son développement y sont moins consommées en moyenne que dans d’autres régions françaises ou européennes connaissant des situations comparables. Par ailleurs, trop souvent, les subventions distribuées n’ont pas les effets escomptés et les actions menées par l’ADEC, l’agence de développement économique de la Corse, ne sont pas exemptes de critiques.

a) Le mal chronique de la sous-consommation des crédits publics

Bien qu’il ne soit pas particulier à la Corse, le phénomène de sous-consommation des crédits publics y est plus marqué qu’ailleurs. La mise en œuvre du contrat de plan se caractérise par des lenteurs d’exécution qui en affaiblissent ou en retardent les effets attendus. Les aides à l’aménagement du territoire restent peu utilisées. Enfin, le taux de consommation des fonds structurels européens auxquels la Corse a droit au titre de l’Objectif 1 demeure faible par rapport à d’autres régions européennes également éligibles.

·  Une mise en œuvre du contrat de plan encore trop lente et un faible impact sur l’économie insulaire

Un haut responsable administratif auditionné par la commission d’enquête a fait les commentaires suivants :

 

(…) Comparé à n’importe quel autre des vingt et un autres contrats de plans, celui de la Lorraine, de l’Alsace, du Poitou-Charentes, par exemple, celui de la Corse est bon. Les analyses y sont percutantes et fines, la connaissance des lieux démontre une grande perspicacité. Les fonctionnaires d’État et les fonctionnaires territoriaux ont fait un bon travail, mais ce contrat de plan qui a l’apparence de la banalisation n’a pas d’effet sur le plan économique. Il y a un paradoxe : le contrat est bien mais il n’a pas d’effet. (…) L’agriculture en Corse absorbe des masses de crédits beaucoup plus importantes que dans les contrats de plan habituellement, par habitant et par secteur. Il y a là une anomalie. Il y a beaucoup d’argent, beaucoup trop dans l’agriculture, trop par habitant, et trop de crédits n’ont pas les effets escomptés par rapport aux autres régions. (…) Quand nous mettons de l’argent dans le Limousin, les résultats sont bons. Nous avons des éléments d’appréciation sur le chômage, la mortalité des PME/PMI, la céramique, de nombreux projets. Nous voyons que cela fonctionne. Nous y allons, nous vérifions, nous sommes appelés, nous continuons. "

Le président – " Et en Corse, vous avez l’impression d’arroser le sable ? "

Réponse : Nous ne savons pas où ça va. "

Une des explications de la faiblesse des effets économiques du contrat de plan tient probablement dans sa lenteur d’exécution. A la fin de l’année 1996, soit à mi-parcours, les taux d’engagement s’élevaient à 39,73 % pour l’État (contre 47,08 % en moyenne nationale) et à 39,89 % pour la Collectivité territoriale (pour un taux moyen de toutes les régions de 52,15 %). A la fin de 1997, les taux s’établissaient à 57,82 % pour l’État (contre un taux moyen de 59,7 %) et à 55,29 % pour la région.

Au 31 décembre 1997, l’État avait mis en place 457,6 millions de francs depuis le début du contrat de plan. Pour la seule année 1997, le taux de 16,3 % (113,2 millions) a été enregistré pour les crédits mis en place. Au cours des années précédentes, les taux se sont établis à 12,82 % en 1992, à 19,77 % en 1995 et à 16,95 % en 1996.

Au total, le montant des dotations mises en place au terme de la quatrième année d’exécution du contrat de plan représentait 66 % des sommes initialement prévues. Huit volets du contrat de plan sur dix-huit connaissaient, fin 1997, un taux de mise en place des crédits nettement inférieur à la moyenne globale de 66 % : les affaires sanitaires et sociales (44 %) , l’aménagement de l’intérieur (45 %), la culture (49 %), la pêche (49 %), l’enseignement (50 %), l’université (53 %), le tourisme (53 %) et les actions de développement économique (57 %). Trois volets enregistraient, à l’inverse, des taux de mise en place supérieurs : les communications (82 %), la jeunesse et les sports (82 %) et l’agriculture (74,5 %).

·  Des primes d’aménagement du territoire trop rarement octroyées faute de projets éligibles

En plus du contrat de plan, l’État met en place diverses aides, qui sans être spécifiques à la Corse, sont conçues dans cette région de façon particulièrement avantageuse. On doit noter que le régime des primes d’aménagement du territoire (PAT) est exceptionnellement favorable en Corse, puisque leur taux maximum par rapport à l’investissement y est doublé : il est de 34 % au lieu de 17 % sur le reste du territoire. En outre, le plafond est de 100.000 francs par emploi au lieu de 70.000 francs sur l’ensemble du territoire.

Cependant, on ne peut que constater le bilan mitigé de ces primes : la Corse n’attire guère les investissements privés. Les rares investisseurs ayant bénéficié de la PAT étaient, pour la plupart d’entre eux, des décideurs publics. Seuls quatre projets d’entreprises ont été primés sur la période 1988–1998 (trois extensions et une création) pour un montant total de 8,76 millions de francs. Ces projets représentaient la création prévisionnelle de 138 emplois et un investissement total de 137,8 millions de francs. A la fin du mois de juin 1998, deux dossiers étaient soldés au prorata des emplois effectivement créés ; un dossier était en cours d’examen. Enfin, un dernier dossier était achevé mais en attente du rapport de la direction départementale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DDCCRF), chargée d’effectuer diverses vérifications préalables aux versements.

Un haut responsable administratif a apporté les précisions suivantes : " Sur les quatre projets présentés, deux ont bien marché. Certes, ils n’emploient pas plus de vingt à trente salariés, mais ils sont destinés à satisfaire la consommation locale. L’un concerne une entreprise de mise en bouteille d’eau pour les Corses et les touristes, l’autre une société de viennoiserie et de boulangerie. Mais lorsque l’État ou l’Aérospatiale oblige à des délocalisations en Corse, cela ne fonctionne pas. Les dossiers sont longs à monter et, souvent, n’aboutissent pas. Dans le dossier concernant la société Corse Composites aéronautiques, alors qu’il était question de délocaliser 51 emplois en 1988, en 1997, dernière relance du projet, au bout de dix ans, à peine 49 emplois ont été créés et 2 millions de francs de crédits PAT utilisés, alors qu’on avait promis beaucoup plus. Cela ne fonctionne pas. "

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 12 mars 1997, M. Raymond-Max Aubert, alors délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, constatait : " Il est certain que la Corse, aux yeux des investisseurs à la fois nationaux et internationaux, n’apparaît pas comme la région d’accueil privilégiée d’activités nouvelles. C’est un simple constat. Alors que dans d’autres régions, nous avons des dizaines de dossiers, en Corse, nous n’en avons que deux en quatre ans. (…) Il faut reconnaître que le système d’aide de la PAT n’est pas forcément adapté à un territoire comme la Corse, parce qu’il ne se déclenche qu’avec un niveau minimum d’investissement et de création d’emplois. Pour un projet de création d’entreprise, il faut un investissement supérieur à 20 millions de francs et que le nombre d’emplois créés soit d’au moins vingt. Pour une extension d’entreprise, il faut également un niveau d’investissement de l’ordre de 20 millions de francs, mais aussi la création de cinquante emplois supplémentaires. Evidemment, il y a très peu de projets de cette dimension en Corse. "

Notons que la Corse bénéficie également de zonages prioritaires en termes d’aménagement du territoire : elle est largement couverte par des zones de revitalisation rurale (ZRR). Comme le notait l’ancien délégué déjà cité, lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, " l’ensemble de la Corse est en TRDP (territoires ruraux de développement prioritaire) et une très large partie en ZRR, les huit-dixièmes, à l’exclusion des zones d’Ajaccio et Bastia, qui sont en TRDP. "

La Corse peut également bénéficier d’actions menées au titre du fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT). M. Raymond-Max Aubert déjà cité notait à ce propos : "On peut relever le poids du secteur agricole auquel sont consacrées la moitié des actions devant le tourisme – 34 % – les valeurs moyennes nationales s’élevant respectivement à 9 % et 12 %. Ce sont les deux secteurs qui, en Corse, ont pris une part considérable de l’utilisation des crédits du FNADT. Là encore, il faut bien reconnaître que l’industrie est peu présente, puisque seulement 12 % des crédits du FNADT lui ont été consacrés, alors que la moyenne nationale est largement supérieure et doit même dépasser, semble-t-il, 30 %. Un autre indicateur est significatif : 50 % des crédits de la section locale sont utilisés pour des études, contre 9 % seulement en moyenne nationale. "

·  Des financements européens théoriquement importants mais relativement peu sollicités dans les faits

Le montant des crédits européens alloués à la Corse fait l’objet d’une attention très grande de la part des acteurs locaux. Le classement de l’île dans les régions de l’Objectif 1 pour la période 1994–1999 a représenté un enjeu important tant pour l’équipe gouvernementale au pouvoir au moment des négociations avec la Commission européenne en 1993 que pour les élus et les socio-professionnels insulaires. Pourtant, quatre ans après le début de la mise en œuvre du Docup (Document unique de programmation), force est de constater que les aides prévues dans ce cadre connaissent des taux de consommation encore faibles.

Rappelons que le Docup s’articule autour de sept grands axes : le désenclavement et les infrastructures de support (ces actions, qui représentent un quart du montant financier du programme, doivent recevoir 440 millions de francs du FEDER sur la période considérée), la valorisation des produits du sol et de la mer, l’université, la recherche et les énergies nouvelles (cet axe mobilise 80 millions de francs de la part de l’Union européenne), le patrimoine touristique et culturel, l’environnement (près de 200 millions de francs y sont consacrés), le développement économique, enfin la valorisation des ressources humaines.

Au 15 mars 1998, la programmation des sept axes apparaissait inégale. Par exemple, en matière de désenclavement (axe 1), alors que les projets relatifs aux routes nationales doivent mobiliser au total 494 millions de francs, dont 247 du FEDER, environ 226,6 millions de francs étaient engagés. A cette même date, les dépenses justifiées représentaient 85,3 millions de francs. Sept opérations avaient été engagées à la mi-mars 1998. Certaines restaient encore à programmer. Autre exemple, celui des mesures portant sur les ports de pêche : d’un montant de 19,5 millions de francs, dont 9,75 du FEDER, elles étaient à la date du 15 mars 1998 réalisées à hauteur de 7,4 millions. Les mesures relatives aux énergies nouvelles doivent représenter en principe un montant de 86,9 millions de francs dans le Docup, dont 18,531 millions du FEDER. A la mi-mars 1998, elles étaient réalisées à hauteur de 31,262 millions de francs.

Les actions destinées au secteur du tourisme s’élèvent dans le Docup à 290 millions de francs, dont 180,2 millions de fonds publics et 64,8 millions du FEDER. En mars 1998, elles étaient engagées à hauteur de 184 millions de francs, dont 51,6 millions du FEDER. Les dépenses justifiées s’élevaient à environ 15 % de l’ensemble, ce qui représente un taux faible.

Ces opérations, de nature très différente les unes des autres, connaissent des rythmes de réalisation inégaux. Ainsi les travaux du palais des congrès d’Ajaccio (49 millions de francs dans le Docup, dont 24,5 du FEDER) ont débuté récemment et devraient permettre son ouverture à l’automne 1999.

En outre, le FEDER doit financer des projets à hauteur de 4,5 millions de francs dans le cadre du Programme concerté d’actions touristiques (PCAT) signé au printemps 1997, mais aujourd’hui, les actions prévues par ce document semblent difficiles à mettre en place. D’autres opérations (en matière d’hébergement en milieu rural, d’hôtellerie de plein-air et de caractère) connaissent des états d’avancement plus ou moins satisfaisants. D’une manière générale, le rythme de réalisation du Docup se caractérise par une lenteur préjudiciable aux effets économiques recherchés. Les années 1998 et 1999 devraient en principe permettre de rattraper le retard pris dans l’utilisation de ces crédits.

Au cours des années 1994-1995, les paiements communautaires ont principalement porté sur des opérations éligibles à la programmation 1990-1993. Celles prévues pour la période 1994-1999 se sont mises en place plus lentement.

Le Docup, qui à lui seul prévoit 87,7 % des aides européennes, enregistrait, au 21 novembre 1997, un taux de paiement de 31,31 %. A la même date, le PIC PME (qui mobilise environ 55 millions de francs) était payé à 0 % d’après un document de travail communiqué à la commission d’enquête par la direction générale de la Commission européenne en charge des politiques régionales (DG XVI). Selon ce même document, le PIC Emploi était payé à 39,33 % pour la tranche 1994-1999 et le PIC Adapt à hauteur de 18,5 %. En ce qui concerne les deux Interreg dont la Corse bénéficie, notons que, dans le cadre du programme " Corse-Toscane ", les paiements pour la partie corse n’étaient pas supérieurs à 0,4 % au 31 décembre 1997. Ceux du programme " Corse-Sardaigne " étaient de 5,9 % seulement à la date du 8 décembre 1997.

Sur ce dernier point , un haut responsable européen a fait les commentaires suivants devant la commission d’enquête : " Nous avons mis en oeuvre en Corse le programme Interreg, notamment avec la Sardaigne, qui n’avance pas, parce que, au-delà des mots, peu d’acteurs sont capables de traduire concrètement des coopérations transfrontalières sérieuses. Tous les élus corses étaient très satisfaits et exerçaient sur nous une forte pression pour mettre en oeuvre ce genre de programme, car la coopération avec des régions environnantes est certainement, à terme, un bon choix stratégique pour le développement de l’île. Mais entre le choix stratégique et la réalité, il y a une marge, et nous n’avons pas réussi à mettre en oeuvre réellement ce programme qui est actuellement stagnant. "

CONSOMMATION DES CRÉDITS EUROPÉENS
PÉRIODE 1994/1999

Synthèse (actualisée au 3 juin 1998)

 

FONDS

PRÉVU

PROGRAMMÉ

%

ENGAGÉ

%

PAYÉ

%

FEDER

978 263.000 F

740 238 205 F

76 %

434 484 529 F

44 %

247 633 144 F

25 %

FEOGA

418 015.000 F

301 885 211 F

72 %

301 885 211 F

72 %

273 047 242 F

65 %

FSE

201 500.000 F

110 038 445 F

55 %

110 038 445 F

55 %

110 038 445 F

55 %

IFOP

48 750.000 F

17 188 652 F

35 %

17 188 652 F

35 %

10 793 345 F

22 %

TOTAL

1 646 528.000 F

1 169 350 512 F

71 %

863 596 836 F

52 %

641 512 176 F

39 %

programmes d’initiatives communautaires

Dotations communautaires

(actualisé au 3 juin 1998)

 

PROGRAMMES

PRÉVU

PROGRAMMÉ

%

PAYÉ

%

INTERREG Haute-Corse/Province de Livourne

90 259.000 F

22 353 275 F

25 %

400 500 F

0,44 %

INTERREG Corse du Sud/Province de Sassari

46 241.000 F

23 203 106 F

50 %

207.000 F

0,45 %

LEADER II

19 811 981 F

4 768 964 F

24 %

2 801 838 F

14,14 %

PESCA

2.000.000 F

457 500 F

23 %

90.000 F

4,50 %

ADAPT

3 923.000 F

2 423.000 F

62 %

864 038 F

22,02 %

EMPLOI

17 498 033 F

5 595 800 F

32 %

2 385 459 F

13,63 %

PME

19 512 963 F

1 428 307 F

7 %

139 630 F

0,72 %

URBAN

22 750.000 F

 

0 %

 

0,00 %

TOTAL

221 995 977 F

60 229 952 F

27 %

6 888 465 F

3,10 %

Source : Commission européenne

Comme le montre le tableau ci-dessous, la sous-consommation des crédits européens, c’est-à-dire la faiblesse des taux de concours engagés et payés, ne constitue pas un phénomène propre à la Corse. Les autres régions françaises éligibles à l’Objectif 1 enregistraient à la mi-1998 des taux d’engagement de crédits oscillant entre 50 % (pour l’île de la Réunion) et 60 % (pour la Guyane) et des taux de paiement allant de 29 % (pour la Martinique) à 47 % (pour la Guadeloupe).

comparaisons entre les regions françaises eligibles

au titre de l’Objectif 1

situation à la mi-1998

En millions d’Ecus

 

 

Concours européens prévus sur la période 1994-1999

 

Concours engagés

 

%

de

crédits engagés

 

Concours payés

% de concours payés

Corse

253,4

142,1

56 %

112,3

44 %

Guadeloupe

351,9

191,6

54 %

167,2

47 %

Guyane

164,9

99,5

60 %

76,6

46 %

Martinique

329,8

135,4

41 %

95,3

29 %

Nord-Pas de Calais

449,0

212,6

47 %

175,5

39 %

Réunion

673,2

335,3

50 %

268,3

40 %

 

Source : Commission européenne

Selon des informations fournies par la Commission européenne, les taux d’engagement des crédits de l’Objectif 1 (1994-1999) destinés en Allemagne à la région de Brandenbourg s’établissaient à la mi-1998 à plus de 60 % et les pourcentages de concours payés à plus de 55 %.

Comment expliquer, par comparaison, le retard observé dans le paiement et la réalisation concrète des projets en Corse ? En ce qui concerne les projets d’infrastructures, le retard est parfois dû à l’existence de divergences d’appréciation politique. Selon la Commission européenne, les procédures administratives françaises " sont aussi laborieuses et durent trop longtemps pour des programmes européens qui doivent être exécutés dans des délais assez limités. " La complexité des arbitrages administratifs entre les ministères compétents et l’organisation administrative régionale seraient à l’origine de ce qui apparaît comme un dysfonctionnement.

Interrogé à ce propos, un haut responsable européen a estimé devant la commission d’enquête : " Nous voyons incontestablement en France une centralisation extrêmement forte de l’utilisation des fonds structurels aux mains de l’exécutif, qui sont les préfets de région. C’est une réalité qui, à nos yeux, n’est pas la plus efficace pour mettre en oeuvre les fonds européens. (...)

De ce point de vue, les programmes intégrés méditerranéens, il y a bien longtemps, avant l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne, avaient été assez remarquables, parce qu’ils avaient permis un très grand foisonnement d’idées et la participation de la " société civile " au projet de développement régional. "

Pour les mesures prévoyant des aides aux entreprises privées, il semble que les causes du retard soient à chercher dans la faiblesse du tissu industriel et des PME-PMI et le nombre peu important de projets prometteurs présentés dans cette région. Comme l’a relevé la direction générale de la Commission européenne chargée des politiques régionales (DG XVI), " la Corse a peu de population et les mesures sont très diversifiées et nombreuses, par conséquent il est à craindre qu’il n’y ait simplement pas assez de projets valables ".

Lors de son audition devant la commission d’enquête, le haut responsable européen déjà cité considérait : " Nous avons été très volontaristes dans ce programme pour la Corse, dans la mesure où nous avons souhaité qu’un tiers des ressources européennes soit dirigé vers les entreprises, c’est-à-dire vers l’investissement productif, contre un cinquième dans le programme antérieur. Nous considérons qu’une des caractéristiques de la Corse par rapport aux autres régions européennes en retard de développement n’est pas un mauvais niveau de dotations d’infrastructures, mais une incapacité interne de générer de la richesse, de l’emploi et de l’activité économique.

Nous l’avions voulu également, parce que la Corse se situe en dehors des régions en retard et est, en terme de dotations à l’infrastructure, mieux dotée que la moyenne des régions en retard de développement que nous aidons.

Cela peut expliquer aussi le retard. Dès lors qu’il n’y a pas eu dans l’île la capacité de générer de bons projets d’investissement, l’argent n’a pas été utilisé au rythme que nous souhaiterions, dans le cadre de la programmation. C’est un point très important.

Nous essayons de reprogrammer (...) les masses existantes pour qu’elles soient engagées avant le 31 décembre 1999, car au-delà, cet argent sera perdu. "

Un des risques de cette sous-consommation est que, lors des programmations ultérieures, un certain nombre de pays contributeurs nets au budget de l’Union européenne fassent valoir le fait que les crédits ne sont pas utilisés. Selon certains, il n’est pas opportun de prévoir des sommes trop importantes qui risquent par la suite de n’être pas utilisées en Corse. D’autres régions européennes comme les régions irlandaises, espagnoles, portugaises, grecques font un usage beaucoup plus massif et rapide des crédits mis à leur disposition. Le retard dans l’absorption de fonds structurels européens existe sur l’ensemble du territoire français. Les administrations françaises et les règles de la compatibilité publique semblent, d’une manière générale, ne pas s’adapter de façon suffisamment rapide et souple aux nécessités de l’exécution des programmes.

Certes, la consommation tous azimuts de crédits n’est pas un gage de leur bonne utilisation ni une garantie de leurs effets bénéfiques sur l’économie. La rapidité d’absorption des crédits et la qualité des opérations financées peuvent même constituer deux objectifs contradictoires dans certains cas. Néanmoins, il manque un outil rigoureux de suivi et de contrôle de l’emploi des crédits communautaires dans toutes les régions françaises ; ce constat s’applique particulièrement à la Corse. Conscient des carences actuelles, le Secrétariat général chargé des affaires corses (SGAC) tente, au sein de la préfecture de Corse, de remédier aux faiblesses les plus marquantes.

Les développements précédents montrent que la sous-consommation des crédits publics concerne les concours de l’État comme ceux de l’Union européenne. Un autre problème, tout aussi crucial, tient aux conditions d’emploi de ceux des crédits qui sont effectivement utilisés.

b) La gestion peu convaincante des aides au développement par l’ADEC

C’est une agence dépendant de la Collectivité territoriale de Corse qui est, selon le système propre à cette région, compétente en matière d’aides au développement économique. Il s’agit de l’ADEC (agence de développement économique de la Corse) établie le 22 octobre 1992 lors d’une séance de l’Assemblée de Corse présidée par M. Jean-Paul de Rocca-Serra. Notons que la création de cet organisme n’était pas prévue par la loi du 13 mai 1991. Par ailleurs, l’agence, qui est dotée du statut d’EPIC, ne jouit en fait d’aucune autonomie financière.

Aujourd’hui, c’est au Conseil exécutif de Corse que revient la responsabilité de prendre des décisions en matière d’attribution des aides, le bureau de l’agence ne donnant qu’un avis après instruction des dossiers par ses services. Son président rapporte les différents dossiers auprès du Conseil exécutif. Mais c’est le président du Conseil exécutif qui signe les arrêtés. Selon le rapport d’activités pour 1996 de l’agence, 10 % des avis du bureau avaient fait l’objet de refus de la part du Conseil exécutif au cours de cette année. Le taux de refus apparaît particulièrement faible pour les aides gérées par le Comité régional des aides (CRA).

Interrogé par la commission d’enquête sur le rôle exact de l’agence, un témoin a considéré que : " dans le système actuel, l’Assemblée de Corse détient seule la responsabilité de décider de l’ensemble des dispositifs d’aides, y compris pour la détermination du plus petit critère. Ainsi, si l’ADEC voulait ajouter un point, préciser un élément, elle devrait repasser par l’Assemblée. L’agence ne peut donc avoir qu’une initiative marginale dans l’activité d’ensemble ". Ce sentiment doit être nuancé au regard des textes et notamment des statuts de l’ADEC qui définissent de façon étendue les tâches dévolues à l’agence.

·  Des missions en principe très larges, des ambitions généreuses, des crédits importants

L’article 2 (titre I) des statuts de l’ADEC indique que l’agence est chargée " dans le cadre des orientations définies par la Collectivité territoriale en matière de développement industriel, artisanal, technologique et commercial :

    • De l’impulsion des activités liées au développement économique de la Corse ainsi que de la coordination, de l’animation, de la mise en oeuvre et du soutien de ces activités,
    • De faire prendre en compte les impératifs de développement économique de la Corse dans le secteur bancaire,
    • De la réalisation d’études et de l’établissement de diagnostics concernant les secteurs et branches d’activités, les filières de production et les entreprises,
    • Pour le compte de la Collectivité territoriale, de la gestion et de l’exécution des aides directes et indirectes aux entreprises mises en place par la Collectivité territoriale (alinéa modifié au cours d’une délibération du 19 novembre 1993 de l’Assemblée de Corse et ajoutant une référence à l’État et la Communauté européenne),
    • Pour le compte de la Collectivité territoriale, de la gestion de toutes infrastructures d’accompagnement des activités des entreprises, notamment celles relatives aux réseaux de télécommunication, de télédiffusion et de télématique,
    • De coordonner les mesures et de faire des propositions pour aider au développement des divers secteurs d’activités : industrie, artisanat, industrie agro-alimentaire (2 ème transformation), pêche et aquaculture, et plus généralement, l’exploitation des ressources locales par filière de production,
    • d’aide au développement de l’intérieur dans les aspects liés aux entreprises, aux activités et aux emplois. Dans ce but, des conventions pourront être passées avec les agences et offices concernés. ".

Déjà importantes, les attributions de l’agence furent encore élargies par l’Assemblée de Corse lors de sa séance du 11 septembre 1995. Relevons également, que l’ADEC participe au capital de Corse Garantie SA (1,87 % du capital actuel de 8 millions de francs), société de caution créée par l’Assemblée de Corse et dont le président de l’ADEC assure la présidence.

Dans le système actuel, si le Conseil exécutif de Corse reste ordonnateur des dépenses, c’est l’ADEC qui doit préparer les délibérations de ce dernier pour l’individualisation des aides dans divers domaines. Les primes régionales à l’emploi (PRE) et les primes régionales à la création d’entreprise (PRCE) sont examinées par le bureau de l’ADEC (et non par le conseil d’administration). L’agence est également compétente en matière de bonification d’intérêts d’emprunt (au titre de l’aide au financement de l’activité économique et de la sauvegarde des emplois), d’aides directes aux entreprises, d’aides à la pêche et à l’aquaculture, d’aides aux entreprises et aux particuliers prévues au titre du Fonds corse pour la maîtrise de l’énergie (FCME), d’aides à l’innovation et au transfert de technologie.

Ses crédits de fonctionnement s’élèvent à 17,3 millions de francs selon le budget primitif de 1998. Mais l’agence prépare les décisions du Conseil exécutif de Corse en matière économique pour un montant prévu en 1998 de 74,4 millions de francs de crédits d’engagement, dont 48,7 millions de francs de crédits de paiement.

·  Un système de décision à plusieurs niveaux

    • La première instance de décision de l’ADEC est son conseil d’administration composé du président de l’agence et de 23 autres membres :

– 12 membres désignés par l’Assemblée de Corse en son sein, dont le président de l’Assemblée (aujourd’hui M. José ROSSI)

– 11 autres membres : 1 représentant des Chambres de commerce et d’industrie, 1 représentant des Chambres de métiers de Corse, 1 représentant de la CADEC, 1 représentant du comité régional des banques, 1 représentant de la caisse régionale de Crédit agricole, 1 représentant de l’Université, 1 représentant de l’agence nationale de la valorisation de la recherche (ANVAR), 1 représentant des comités de développement micro-régional, 1 représentant qualifié désigné par l’agence du tourisme de la Corse, 1 représentant désigné par le comité régional des pêches.

L’article 5 des statuts indique que les élus de l’Assemblée de Corse sont désignés par ladite Assemblée lors de chaque renouvellement. Les autres membres sont désignés pour une durée de 3 ans. Le mandat des membres sortants peut être renouvelé. Aux termes de l’article 6, le préfet de Corse, ou son représentant, assiste de plein droit aux réunions du conseil d’administration (mais pas à celles du bureau). Assistent également aux réunions du conseil d’administration, avec voix consultative, le directeur de la Banque de France, le trésorier-payeur général, le directeur régional de l’INSEE, le directeur de l’agence et l’agent comptable. Le conseil d’administration se réunit au moins quatre fois par an, sur convocation de son président, qui fixe l’ordre du jour.

Un témoin au fait de cette question a estimé devant la commission d’enquête que " le bon fonctionnement de l’ADEC dépendait largement de son dirigeant et (que) la présence des socio-professionnels donnait un éclairage précieux aux travaux de l’agence, ce d’autant plus que les personnes concernées étaient toutes d’un bon niveau et que les membres du conseil d’administration devaient être engagés dans une réflexion collective. "

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse le 19 mars 1997, M. Paul Patriarche, alors président de l’ADEC, déclarait : " Le statut de cette agence présente un aspect positif et un aspect négatif. Il est positif dans la mesure où elle associe des acteurs économiques autres que les élus, sans pour autant que les élus soient minoritaires. Je rappelle que sont réunis les Chambres de commerce, de métiers, le représentant de la place bancaire, le trésorier-payeur général, l’ANVAR. C’est intéressant, car cela nous permet d’avoir l’avis de personnes placées au coeur des problèmes économiques.

Ce statut est négatif, selon certains, car ce ne sont pas les élus de l’Assemblée de Corse qui décident ; mais cela, c’est valable pour l’ensemble des institutions de l’île puisque la loi de 1991 donne à l’Exécutif le pouvoir d’individualisation.

L’aspect positif pour l’agence est que tous les groupes de l’Assemblée sont informés de tous les dossiers. Au moins, ils ne sont pas court-circuités. "

Le bureau de 13 membres est composé majoritairement d’élus. Aux termes de l’article 11, il est désigné par le conseil d’administration en son sein ; il comprend, outre son président, sept des douze élus de l’Assemblée de Corse et cinq membres parmi les onze autres dont obligatoirement le représentant de la CADEC. Le bureau, qui assiste le président dans la gestion de l’agence, se réunit au moins 6 fois par an. Lors des réunions consacrées aux dossiers d’individualisation des aides, il associe à ses travaux le représentant de la Banque de France et le trésorier payeur général avec voix consultative.

Notons, enfin, que les services de l’ADEC sont organisés autour d’un directeur chargé de la préparation des états annuels des prévisions de recettes et de dépenses et des rapports annuels.

Il apparaît que l’agence représente un maillon essentiel de mise en oeuvre du budget de l’action économique de la Collectivité territoriale de Corse. Celui-ci était ainsi réparti en 1997 :

 

INVESTISSEMENT

FONCTIONNEMENT

 

AP

CP

CP

Industrie et artisanat

59.700.000 F

68.400.000 F

4.195.000 F

Pêche et cultures marines

5.070.000 F

3.020.000 F

1.165.000 F

Energie

2.800.000 F

2.800.000 F

16.240.000 F

   

74.220.000 F

21.600.000 F

TOTAL des secteurs

67.570.000 F

95.820.000 F

 

Source : Rapport d’activité de l’ADEC pour 1997 (juin 1998)

Au-delà du mécanisme institutionnel et des chiffres, la commission d’enquête s’est intéressée aux résultats effectifs obtenus par l’agence dans l’exercice de ses missions au service du développement de l’île. Les développements qui suivent permettent de donner aux lecteurs une idée des différents types d’aide.

·  Le bilan nuancé des activités récentes de l’ADEC

- En matière d’aides directes aux entreprises

Dans son rapport d’activité pour 1996, l’ADEC notait avoir traité 150 dossiers d’aides directes aux entreprises, dossiers qui furent présentés lors de huit réunions du bureau. 116 dossiers reçurent un avis favorable, 19 demandes furent rejetées, 15 ajournées (demandes de renseignements complémentaires). 10 dossiers restants furent instruits en 1997. Un montant de 25,8 millions de francs fut réparti en 13,8 millions de francs pour les primes régionales à la création d’entreprise (PRCE) et en 12 millions de francs pour les primes régionales à l’emploi (PRE).

Selon un document fourni en juillet 1998 à la commission d’enquête par l’ADEC, il est indiqué que, sur les 286 emplois initialement prévus en 1996, 176,5 ont été créés, soit 61,7 % des emplois prévus. 29 entreprises n’auraient créé qu’un emploi, 20 auraient créé 2 emplois, 18 entre 3 et 5 emplois, 2 entre 7 et 10 emplois et une entreprise aurait créé 19 emplois.

Plus loin : " Le service des aides à la création d’entreprise et d’emplois s’attache également depuis plus d’un an, à contrôler les entreprises primées ; une procédure a été établie et implique un contrôle des bilans des sociétés primées ainsi qu’une visite dans les entreprises qui n’ont apparemment pas réalisé la totalité de leur programme d’investissement. Ceci est réalisé dans le but, d’une part, de contrôler que les investissements et embauches ont été effectivement réalisés et maintenus pendant trois ans dans l’entreprise (Cf. règlement des aides), et, d’autre part, d’évaluer l’efficacité de cette mesure. "

D’après le rapport d’activité pour 1997, au cours de cette année, 75 dossiers ont été examinés par le bureau de l’agence. 12 (soit 16 %) ont été rejetés et 63 (soit 84 %) ont reçu un avis favorable. Un décalage apparaît entre le nombre de dossiers présentés en bureau de l’ADEC et celui des dossiers examinés en Conseil exécutif de Corse. En 1997, 90 rapports furent présentés en Conseil exécutif, qui notifia 76 décisions favorables et 14 rejets. Le montant total des affectations pour 1997 s’est élevé à presque 18 millions de francs, soit 10,4 millions de francs de primes régionales pour la création d’entreprises (PRCE) et 7,4 millions de primes à la création d’emplois (PRE).

Selon les informations fournies par l’ADEC, il apparaît que les porteurs de projets attendent de plus en plus fréquemment de recevoir l’arrêté attributif de subvention pour démarrer leur opération. Le décalage entre l’attribution de la subvention et son paiement effectif, qui a toujours existé, semble s’accroître en quantité (nombre de dossiers) et en temps (délais toujours plus longs). A titre d’exemple, sur les 76 dossiers ayant reçu un avis favorable en 1997, 5 entreprises perçurent au cours de cette année l’intégralité de leur prime (soit 6,6 % du total) et une vingtaine de dossiers (26,3 %) furent partiellement mandatés. Près de 46 % des entreprises primées en 1997 se situaient en zone dite " difficile ", 28 % en zone intermédiaire et 26 % en zone urbaine. Dans son rapport pour 1997, l’ADEC note que la tendance des années précédentes est très nettement inversée et que la politique d’incitation financière de la Collectivité territoriale de Corse porte de plus en plus sur le développement et la revitalisation de l’intérieur de l’île.

24 % des entreprises primées en 1997 faisaient partie du secteur BTP. Parmi ces sociétés, 41 % sont situées en zone dite " difficile ". 30,5 % des entreprises aidées peuvent être regroupées sous le terme générique de " production et transformation des matières premières " (et portent sur des activités variées telles que la ferronnerie, l’agro-alimentaire, la menuiserie-ébénisterie, l’imprimerie). 15,5 % des sociétés primées en 1997 sont des auberges, des bars-restaurants, des commerces ou des entreprises de loisirs en zone difficile. Seules 3 % des entreprises primées en 1997 avaient une activité de télétravail.

wpe1.jpg (29912 octets)Dans un document fourni à la commission par l’ADEC, il est indiqué que, sur un nombre d’emplois prévus de 105, 30 avaient été créés en juillet 1998, soit 28,5 % des emplois prévus. 12 entreprises n’auraient créé qu’un emploi, 5 auraient créé 2 emplois, une entreprise aurait créé 3 emplois et une autre 5 emplois.

Source : ADEC

- En matière de bonification d’intérêts d’emprunts

Le secteur des bonifications a connu une décrue en 1996 : les demandes de dossiers sont passées de 146 en 1995 à 46 en 1996. Dans le même temps, le nombre de dossiers traités est tombé de 115 en 1995 à 61 en 1996. Selon l’ADEC, ceci est dû au fait que cette aide s’oriente, après la période 1994 / 1995 consacrée à la restructuration des entreprises en difficulté, vers une intervention sur des prêts bancaires destinés à financer des investissements. Or la demande de prêts d’investissement est restée très faible en 1996.

Dans son rapport d’activité pour 1997, l’ADEC note : "Le nombre de demandes d’allégements financiers formulées au cours de l’année 1997 (...) est surprenant car inférieur de 30 % à celui de l’année précédente, laquelle concernait également des prêts de restructuration financière. Ceci est significatif d’une volonté d’investir ou, pour le moins, d’un besoin de renouvellement de matériel.

En ce qui concerne l’instruction des dossiers, et considérant que la mesure d’aide au financement de l’activité économique est la seule qui soit aujourd’hui active, c’est-à-dire susceptible d’être sollicitée, elle a suivi une évolution parallèle, passant de 56 à 34 dossiers. C’est à peu près le rythme d’activité que l’on devrait retrouver les prochaines années, sauf modifications touchant aux règles d’éligibilité ou nouvelle mesure spécifique prenant en compte les charges financières des entreprises. (...)

On retiendra donc, après l’exercice 1997, que le rythme d’instruction annuelle des dossiers de bonification devrait se situer dans l’avenir entre 30 et 40, et que la consommation, passée l’année 1998 qui supportera encore 2 millions de francs d’attributions exceptionnelles, devrait diminuer régulièrement les années suivantes. "

- Les aides à l’insertion par l’activité économique

Cofinancé par l’État, la Collectivité territoriale de Corse et l’Union européenne, le programme d’insertion par l’activité économique comprend trois mesures prévues dans le contrat de plan : l’aide à la création d’emplois permanents, la subvention annuelle aux postes d’insertion et l’aide aux études de faisabilité. Huit dossiers furent examinés dans ce cadre en comité régional des aides en 1997. Les demandes portaient sur la création de 3,5 emplois permanents et sur le renouvellement de conventionnement donc de la subvention annuelle accordée pour 35 postes d’insertion, pour un montant total de 910.888 francs. Neuf dossiers furent présentés au Conseil exécutif de Corse en 1997, pour un montant d’affectations de 950.888 francs.

- Les aides à la pêche et aux cultures marines

Le secteur de la pêche et des cultures marines fait partie des domaines d’intervention de la Collectivité territoriale de Corse contractualisés par l’État au titre du contrat de plan et soutenus par l’Union européenne dans le cadre du Docup. En 1997, les services de l’ADEC ont ainsi traité 114 demandes présentées tant par des entreprises privées, dans le cadre de la modernisation de la flottille et de l’aquaculture, que par des maîtres d’ouvrages publics (des gestionnaires de ports, des communes et des départements), dans le domaine des investissements à terre dans les ports de pêche. Sur ces 114 demandes instruites, seules 16 furent rejetées.

L’ensemble des dossiers présentés donna lieu à un montant total de subventions attribuées par la Collectivité territoriale de Corse de plus de 13 millions de francs se décomposant en 11,5 millions d’aides accordées au titre de l’investissement et 1,6 million au titre du fonctionnement. Près de la moitié des aides attribuées au titre de l’investissement concernait des opérations de modernisation de la flotille.

En 1997, 10 navires de pêche ont été construits, 14 transactions de navires d’occasion ont été effectuées, 38 navires ont subi des transformations et des équipements divers et 22 opérations d’équipement à terre de matériels destinés à la conservation, au transport et à la commercialisation des produits ont été engagées. Selon l’ADEC, l’action de la CTC a permis au cours des quinze dernières années la modernisation de 60 % de la flotte. Un témoin a avancé devant la commission d’enquête une autre interprétation plus politique, voire clientéliste de cette activité : " quand je lis les documents administratifs, je vois que dans l’année qui précède les élections législatives, on a distribué dans la circonscription de Haute-Corse 29,8 millions de francs. Pour 50.000 électeurs, 29,8 millions. Si vous voulez regarder comment cela a été réparti, j’ai les documents. (…) Je vais vous expliquer comment fonctionne le mécanisme, comment il fonctionne toujours du reste.(…) Vous voyez chaque fois… les bateaux. (…) Construction d’un navire de pêche, 143.000 francs, construction d’un navire de pêche, 98.000 francs, construction d’un navire de pêche, 755.000 francs, achat d’un navire de pêche, 755.000, achat d’un navire d’occasion, 22.500 francs, transformation d’un navire 227.000 francs, etc. "

La commission d’enquête, qui a pris note de ces éléments troublants, ne saurait cependant confirmer ou infirmer l’argument selon lequel ces actions auraient pu avoir une influence directe sur le résultat d’une élection. Elle se borne ici à rapporter une appréciation qui a été portée devant elle.

L’année 1997 permit également à l’ADEC de soutenir la filière aquacole, aujourd’hui en pleine voie de restructuration après des années difficiles (de 1991 à 1995 notamment). L’agence prévoit d’ailleurs que la production aquacole insulaire devrait pouvoir atteindre les 1.800 à 2.000 tonnes à l’horizon 2000.

- Les aides à l’économie et à la maîtrise des énergies renouvelables

La collaboration technique, administrative et financière de l’ADEME (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et de la Collectivité territoriale de Corse à travers l’ADEC a permis en 1997 la réalisation de 247 opérations (160 en Haute-Corse et 87 en Corse-du-Sud) comprenant des projets d’installation de systèmes de production d’eau chaude solaire dans le secteur du tourisme (47 dossiers), des installations de systèmes photovoltaïques en sites isolés, et 15 projets de planchers solaires directs chez les particuliers.

Par ailleurs, la Collectivité territoriale assure, avec l’ADEME, la promotion du chauffage central à eau chaude chez les particuliers ainsi que l’installation de chauffe-eau solaires individuels. D’après les chiffres fournis par l’ADEC, l’année 1997 a permis d’en installer 160 (124 chauffages et 38 chauffe-eau) dans des habitations de particuliers. Depuis le lancement de cette mesure, il y a dix ans, pas moins de 2.000 installations ont ainsi été réalisées. Le montant total des financements attribués par la Collectivité territoriale de Corse au titre des dossiers co-instruits par l’agence et l’ADEME dans le cadre du fonds corse pour la maîtrise de l’énergie, s’élève à environ 4,2 millions de francs.

La commission d’enquête porte sur cette dernière action en particulier un jugement relativement sévère, développé plus loin.

- De multiples actions complémentaires

L’agence participe au soutien aux activités d’innovation et de transfert de technologie. Son action dans ce domaine prend différentes formes allant du soutien à des organismes oeuvrant en faveur de l’innovation et du transfert de technologie à l’octroi d’aides directes aux entreprises. L’ADEC intervient dans le domaine de l’animation économique, la plupart du temps en partenariat avec d’autres organismes associés, et souvent dans le cadre du contrat de plan ou de programmes européens. Par exemple, elle a participé à la création d’un serveur dédié aux entreprises locales sur Internet. Elle a également travaillé à la conception d’un projet, celui d’un institut de participation destiné à pallier la carence actuelle de la CADEC.

L’agence a également une fonction d’étude. Ainsi, en 1996, elle a conduit une étude sur le marché de l’eau en bouteille. Elle a cherché à évaluer, pour le compte de la Collectivité territoriale, le surcoût lié à la localisation à Serra-di-Fiumorbo de la future centrale au gaz d’EDF. L’agence a fait également réaliser par des cabinets privés certaines estimations demandées par la Collectivité territoriale, par exemple une étude sur les besoins en recherche et transfert de technologie qui a été confiée au cabinet ID SCOPE.

·  Les carences du système ADEC

 L’absence de sélectivité dans l’attribution des aides et de prospective économique en amont

Certains témoins ont considéré devant la commission d’enquête que l’agence ne devrait pas consacrer 90 % de ses activités à l’instruction des dossiers, mais plutôt développer en amont une action de prospective et d’analyse des divers secteurs de l’économie insulaire. Le public concerné par les aides se caractérise par sa variété, sa diversité en taille, en nature et en activités. Il manque des critères pour l’attribution des subventions et aides qui permettraient de prendre des décisions traduisant une véritable politique économique. Un responsable de l’ADEC interrogé par la commission d’enquête l’a lui-même reconnu : " le système n’est pas bon " ; selon ce responsable, l’utilité de l’agence elle-même serait " discutable " dans la mesure où elle ne s’est à ce jour concentrée que sur la distribution des aides. Selon lui, " un service de la région aurait pu faire la même chose ".

Un rapport de l’Inspection générale des finances faisait, dès 1994, un diagnostic sévère en ce qui concerne notamment l’absence de sélectivité dans l’octroi des aides économiques en Corse. On peut s’interroger aujourd’hui sur les suites données à ce rapport. A l’heure actuelle, de nombreux acteurs économiques corses se plaignent de la faiblesse de l’aide apportée par l’ADEC et de ce qu’elle finance des projets plus ou moins intéressants, sous la pression des demandes, sans pouvoir déterminer à l’avance le type d’opérations qu’elle cherche à promouvoir.

La commission considère qu’il convient à présent que l’ADEC quitte " l’indifférencié " et soit capable de sélectionner trois ou quatre axes forts, de focaliser son attention et ses efforts, en termes d’emplois, sur des secteurs précis, de réaliser une analyse des débouchés et de filières, afin de ne pas se disperser. Il convient 1°) de déterminer les secteurs économiques porteurs, 2°) de définir les besoins, 3°) de faire un choix sur les produits en dernier lieu.

 

 Le phénomène de " saupoudrage " et les risques de clientélisme

La commission d’enquête s’est interrogée sur les risques de saupoudrage et de clientélisme résultant du système actuel.

Cet aspect avait déjà été évoqué par la mission d’information sur la Corse lorsqu’elle avait auditionné le 19 mars 1997 le président de l’ADEC, à l’époque M. Paul Patriarche, lequel avait répondu : " Il y a eu des habitudes anciennes, même au niveau des conseillers généraux – je suis conseiller général moi-même. Avant, on faisait même des demandes verbales. On se croisait dans les couloirs et on demandait une subvention, pour ceci ou cela. Le système a été long à se mettre en place. "

Plus récemment, la commission a reçu un témoignage affirmant la persistance de ce phénomène et a interrogé les responsables de l’agence. Selon eux, il n’existe pas a priori de répartition géographique des aides. Le nombre de dossiers apparaît plus important pour la Corse-du-Sud que pour la Haute-Corse en ce qui concerne les aides directes. En revanche, les demandes de bonifications des intérêts d’emprunts ont été plus nombreuses en Haute-Corse. Les aides à la pêche semblent bien réparties entre les deux départements. Les services de l’ADEC ne raisonnent pas en fonction des départements, mais en fonction d’une classification entre zones urbaines, zones rurales de moins de 200 habitants et zones intermédiaires.

Mais l’ADEC ne s’adresse pas qu’aux entreprises. La commission d’enquête s’est à cet égard penchée sur la pratique qui consiste à financer des installations de chauffage de simples particuliers (primes de 5.000 francs pour l’installation d’un chauffage central à eau chaude et de 4.000 francs pour l’installation d’un chauffe-eau solaire). Cette politique entre-t-elle dans la sphère du développement de l’économie insulaire ? N’y a-t-il pas en ce domaine un risque d’orienter les aides économiques vers des besoins individuels sans doute légitimes, mais qui ne sont pas du ressort d’une agence telle que l’ADEC ?

A ces questions, la commission a entendu les réponses suivantes :

– " Ces primes ont fait l’objet d’accusations (…). En fait, il s’agit de promouvoir le gaz en Corse. Le fonds chargé de la maîtrise de l’énergie en Corse, le FCME, a 15 ans d’existence et fonctionne efficacement. Il apparaît opportun d’augmenter le chauffage par le gaz et non par l’électricité, car EDF enregistre des déficits importants sur la région de la Corse. "(…)

– " Si ces aides ont sans doute eu une utilité dans le passé, elles ne sont peut-être plus nécessaires aujourd’hui. Il faut déplorer le " saupoudrage " avec des petites sommes au bénéfice des particuliers. L’ADEME avait sans doute une action à promouvoir ; elle a trouvé l’ADEC pour ce faire, mais on n’était pas obligé de le faire ".(…)

- " Je démens le sentiment selon lequel ces aides avaient un objet clientéliste. Les personnes demandant une aide dans ce cadre n’étaient nullement connues des responsables de l’ADEC. Le dispositif a été longtemps piloté par l’ADEME au plan technique. Toutefois un ingénieur a été recruté récemment par l’ADEC. "(…)

 Des délais importants dans le traitement des dossiers

Selon les responsables de l’ADEC eux-mêmes, le parcours moyen d’un dossier d’octroi d’une aide s’étale sur une période d’un an entre le dépôt d’intention de demande et le mandatement des fonds correspondants. Certes, de nombreux délais s’expliquent par le fait que l’ADEC est tributaire de partenariats divers qui alourdissent la procédure. Il faut distinguer les aides directes dépendant de l’ADEC et de la Collectivité territoriale et celles qui se rattachent au contrat de plan et au Docup.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, en mars 1997, Mme Marie-Hélène Bianchi, directeur de l’ADEC, expliquait : Les délais d’attribution des subventions sont très variables. Pour les aides cofinancées par l’État, les délais sont plus longs puisque les dossiers (...) sont co-instruits par l’État et par nous-mêmes avant d’être examinés par un comité régional des aides qui se réunit tous les deux ou trois mois. Puis, ils sont traités à nouveau séparément par le préfet, qui va prendre un arrêté, et par la Collectivité territoriale, le dossier étant soumis au Conseil exécutif pour que son président décide l’attribution d’une subvention. Dans ce cas, les délais peuvent parfois atteindre un an. Cela peut arriver pour les affaires les plus longues.

En ce qui concerne les aides que nous gérons directement, à certaines périodes, nous avons pu arriver à des délais de huit mois parce que nous avons été submergés par les demandes. Nous avons même été contraints de recruter du personnel supplémentaire sur une durée déterminée pour faire face au stock des dossiers. " – " et à deux attentats en un an ! " ajoutait le président Paul Patriarche – " et ne parlons pas des grèves ! " poursuivait Mme Marie-Hélène Bianchi.

 Le manque de moyens de contrôle

Lors de la visite de la commission d’enquête à l’ADEC en mai 1998, les responsables de l’agence ont relevé que cinq nouveaux postes étaient prévus pour l’année 1998, mais tous n’étaient pas encore pourvus. Ce supplément de personnel devrait permettre d’effectuer des contrôles sur place plus efficaces et réguliers. Les services travaillent à partir de fiches établies sous logiciel Excel, mais ils ne disposent pas d’une base de données sur les entreprises de l’île.

Selon les déclarations qu’a pu recueillir la commission d’enquête, " au point de départ, l’ADEC avait souhaité s’appuyer sur la base informatique de la Collectivité territoriale afin de travailler en harmonie avec elle, mais malheureusement, la coopération n’a pas fonctionné et deux ans ont été perdus. "

L’agence ne possède pas d’outils d’évaluation à proprement parler. Il a été fait état, devant la commission , de cas où des aides, sans faire l’objet de véritables détournements, avaient été utilisées de manière abusive notamment dans le secteur des BTP : les aides reposent par exemple sur des créations d’entreprises, alors qu’en réalité, il s’agit davantage de reprises d’anciennes entreprises sous d’autres formes.

En tout état de cause, l’ADEC a indiqué ne jamais verser d’acomptes aux entreprises.

En 1995, l’ADEC a demandé que les aides à la création d’entreprises soient restreintes et mieux définies. Cette proposition fut rejetée à l’unanimité par l’ensemble des groupes de l’Assemblée de Corse. L’année suivante, l’agence nota que l’absence de délimitation de cette mesure avait créé un effet d’aubaine pour de nombreux entrepreneurs et avait coûté 10 millions de francs.

La commission d’enquête a demandé aux responsables de l’ADEC de lui décrire les modalités de suivi des aides attribuées. Pour les aides dépendant du contrat de plan, les services de l’État sont chargés de faire des vérifications sur pièces et sur place, l’agence ne faisant que des contrôles sur pièces ; c’est-à-dire que pour que le dossier soit complet, l’agence demande des contrats de travail, des fiches de paie, des justificatifs de banques, etc. Pour les dossiers de bonifications, elle vérifie que l’entreprise a bien payé les échéances de la banque. Pour les aides à la création d’emploi, elle réclame des attestations de la direction régionale du travail ; la validité de l’aide est conditionnée au maintien de l’emploi dans l’entreprise pendant trois ans au minimum. Pour les aides à l’investissement, des permis de construire peuvent être demandés. De surcroît, les bilans des entreprises bénéficiaires sont contrôlés afin de vérifier que les investissements et les emplois nouveaux sont bien comptabilisés. Les avis donnés par le bureau de l’ADEC en matière d’individualisation des aides servent à évaluer la pérennité de l’entreprise. Pour les demandes de bonifications, un entretien avec le chef d’entreprise est obligatoire. Les services de l’État sont alertés : ils fournissent à l’agence des renseignements sur les antécédents des demandeurs de projets.

Si des anomalies sont relevées, un contrôle sur place est diligenté. En cas de détournements, des procédures de reversement sont lancées ; elles sont suivies par le service des affaires juridiques de la Collectivité territoriale de Corse, en collaboration avec le payeur régional. Cependant, de l’aveu même des responsables de l’agence, les contrôles restent très difficiles à mettre en oeuvre. Par ailleurs, nombre d’entreprises obtiennent une décision de principe leur octroyant une aide, mais ensuite ne la demandent pas, sans doute parce qu’elles n’arrivent pas à faire aboutir leur projet.

Selon le rapport d’activité de l’ADEC pour 1996, les contrôles des aides directes aux entreprises ont fait apparaître pour cette année que :

·  64 % des entreprises primées (29) étaient en situation régulière au vu du règlement.

·  20 % (soit 9 entreprises) présentaient des irrégularités : licenciement du personnel embauché, radiation des entreprises, voire entreprises n’ayant jamais existé !

Il est clair qu’un des principaux obstacles rencontrés par l’ADEC pour exercer ses missions tient à la faiblesse du tissu économique insulaire, à sa dispersion et à la difficulté pour les entreprises corses de franchir les seuils décisifs qui leur permettraient de se développer et de s’ouvrir vers les marchés extérieurs. Mais n’est-ce pas précisément cette situation qui justifie l’existence de l’ADEC ?

2.– La gestion non optimale de la continuité territoriale

La dotation de continuité territoriale constitue, on l’a vu, un des éléments essentiels des concours de l’État à la Corse, tant en raison de son importance stratégique que de son montant.

Lors de sa mise en place en 1976, cette dotation atteignait 151,1 millions de francs et, pour la première année pleine d’application, 244,9 millions de francs en 1977. Elle n’a fait que croître depuis lors pour atteindre 950 millions de francs en 1998. Si l’on tient compte de l’érosion monétaire, elle a donc plus que doublé en francs constants au cours de cette période, passant d’environ 475 millions de francs en 1976 (valeur 1998) à 950. Entre 1977 et 1998, la variation atteint encore + 35% en francs constants.

L’importance des sommes en cause et leur évolution sur une longue période justifie que l’on s’attarde quelque peu sur les conditions dans lesquelles elles sont utilisées.

Si des surcoûts peuvent être relevés, aussi bien dans le domaine maritime qu’aérien, il convient de souligner que les objectifs de la continuité territoriale ont été atteints. De plus, certaines des critiques récurrentes avancées par les insulaires apparaissent injustifiées.

a) Des surcoûts réels

Ces surcoûts avaient déjà été analysés pour certains d’entre eux dans le rapport du sénateur Oudin.

·  Le transport maritime supporte les principaux d’entre eux 

Ces surcoûts en matière de transport maritime sont imputés à l’État, à la SNCM, qui assure la majeure partie du trafic maritime entre la Corse et le continent, et les ports de Marseille et de Nice.

 La préférence donnée aux chantiers navals français

L’État est d’abord contesté, au travers notamment de la préférence donnée aux chantiers navals français. Devant la commission d’enquête, il a été indiqué que le surcoût supporté par la SNCM du fait de l’obligation de commander à des chantiers français a été ainsi évalué à environ 600 millions de francs (valeur 1997) pour tous les navires acquis depuis 1989, dont 150 pour le seul Napoléon Bonaparte.

 Le manque de productivité de la SNCM

La SNCM est également critiquée pour ses sureffectifs et son manque général de productivité. Le surcoût le plus important provient des charges salariales du personnel navigant, auxquelles s’ajoutent les conséquences d’accords collectifs ou de pratiques limitant le nombre d’heures ou de jours de travail. Par ailleurs, d’après les informations recueillies par la commission, si les effectifs embarqués sur les navires à grande vitesse et, dans une moindre mesure, sur les cargos rouliers sont conformes aux normes de la profession, il n’en va pas de même pour les paquebots transporteurs.

Pourtant, la situation n’est pas aussi catastrophique que d’aucuns la décrivent.

Si la direction actuelle de la SNCM est parfaitement consciente que ses efforts de productivité doivent être poursuivis dans l’avenir, ceux-ci n’en ont pas moins été réels. La simple approche globale le montre : entre 1990 et 1997, la subvention reçue n’a augmenté que de 3,3% en francs courants, ce qui représente une baisse de 9,8% en francs constants (alors qu’entre temps, la dotation totale de l’État progressait de 21,4% en francs courants, soit encore +6,5% en francs constants). Au cours de la même période, les effectifs de la compagnie ont été réduits, de 228 (soit –22,4%) pour le personnel sédentaire et de 257 (soit –15,2%) pour le personnel navigant. Dès lors, la masse salariale a reculé de 14 millions de francs courants (soit –2%) ou de 114 millions de francs constants (soit – 14,3%).

Il est clair également que la détérioration des comptes de la SNCM observée au cours des dernières années s’explique essentiellement par la contraction simultanée de ses deux principaux courants de trafic, la Corse et l’Algérie. Ces pertes brutales de trafic ont entraîné un manque à gagner estimé à 300 millions de francs en terme de chiffre d’affaires pour les deux années 1995 et 1996.

Les surcoûts portuaires

Les ports de Marseille (pour le coût des dockers et , plus généralement, des autres services portuaires) et de Nice (pour les taxes perçues depuis son effondrement en 1978) figurent parmi les accusés.

Un responsable de la SNCM entendu par la commission d’enquête reconnaissait que, dans certains domaines, " le port de Marseille est d’un prix de revient et d’un coût supérieurs aux ports corses ". A propos de la manutention, il indiquait que " les tarifs de manutention sont insupportables. Au port de Marseille, pour ce qui nous concerne, ils sont 40 à 50 % plus élevés que ceux en vigueur en Corse. Vis-à-vis des Corses, c’est extrêmement choquant. A Marseille, les tarifs d’un autre opérateur de frêt , la CMN, sont inférieurs aux nôtres de 20 %. Il est impossible de maintenir ces conditions. L’un des efforts à accomplir doit l’être dans le cadre de la manutention. Cela ne sera pas aisé, car on s’attaque au difficile problème des dockers. " Il poursuivait en estimant qu’il devenait urgent de réagir : " on ne peut pas rester à ce niveau. En clair, nous avons des bateaux qui arrivent entre 6 et 8 heures du matin ; il faut commander un travail de huit heures, alors qu’il suffit de trois heures pour décharger un bateau. En Corse, ils ont été plus malins que les Marseillais, puisqu’ils commandent des demi-shifts de quatre heures mais, à Marseille, les dockers l’ont systématiquement refusé. Les manutentionnaires ont-ils poussé les feux et fait pression sur les dockers ? Je me garderai bien de répondre. " S’agissant des autres coûts, il relevait que : " Nous ne faisons pratiquement pas appel au remorquage, cela n’est donc pas significatif. Par contre, nous avons un problème avec le lamanage sur le port de Marseille, auquel nous avons aussi l’intention de nous attaquer.(…) En ce qui concerne les coûts du port autonome, (…) plus de 300 millions de francs ont été consacrés à l’amélioration des quais et de l’accueil, sans aucune augmentation tarifaire. Depuis quatre ans, les tarifs du port autonome pour cette destination sont gelés. Ils doivent être légèrement supérieurs à ceux des autres ports, mais l’écart se réduit progressivement ".

·  La multiplication des infrastructures fait obstacle aux économies d’échelle

Les conséquences de la multiplicité des infrastructures couvertes par la continuité territoriale, à savoir sept ports et quatre aéroports, commencent à faire l’objet d’un débat en Corse même.

Devant la mission d’information sur la Corse, cette multiplicité a été vivement critiquée, notamment par certains milieux économiques de l’île, qu’il s’agisse par exemple du Rialzu Economicu ou de l’union patronale interprofessionnelle de la Haute-Corse. Le président de l’office des transports posait lui-même, implicitement et avec d’infinies précautions, la question.

Le rapport du Sénateur Oudin chiffrait à 60 millions de francs l’économie procurée par une éventuelle suppression de la desserte fret des ports départementaux de Porto Vecchio, de Propriano, de Calvi et de l’Ile-Rousse. Cette estimation mériterait sans doute une actualisation.

En effet, la CMN s’est livrée, à la demande de l’office des transports, à une étude de faisabilité de la desserte des ports de Propriano et de la Balagne par un seul navire mixte rapide à la place des deux cargos rouliers mis en ligne actuellement : elle a permis de chiffrer à environ 62 millions de francs par an le surcoût pour la continuité territoriale de la desserte actuelle de ces ports. De même, l’audit d’Arthur Andersen indiquait, pour la SNCM, que " la desserte hors saison des ports corses dits "secondaires" a représenté en 1995 37% de la perte totale annuelle avant subvention liée au réseau Corse, alors que moins de 7% du total des passagers empruntent ces lignes ".

Les difficultés des liaisons intérieures, notamment routières, constituent le principal argument régulièrement avancé pour justifier la structure de la desserte actuelle. Il n’est pas totalement dénué de fondement mais le retard mis dans l’adaptation du réseau routier, alors que des moyens financiers non négligeables ont été mis à disposition dans le cadre du contrat de plan, incite à une certaine circonspection. D’autant plus qu’il a été dit devant la commission d’enquête que, quand un bateau desservait un grand port avant un port départemental, il n’était pas rare de voir les camions descendre dans le premier avant d’emprunter la route pour rejoindre leur destination finale.

Une autre argument, juridique celui-ci, est parfois avancé. Il revient à rejeter la responsabilité de cette situation sur l’État. Cet argument a été employé notamment par le président de l’office des transports devant la mission d’information sur la Corse : la desserte des ports départementaux étant prévue dans les concessions conclues par l’État en 1976, sa suppression ou son réaménagement seraient impossibles au risque de voir la compagnie concessionnaire demander un dédommagement. Il est assez plaisant de sous-entendre que l’État serait à l’origine de la multiplication des ports départementaux.

·  La subvention au transport du ciment a été versée en pure perte

La convention relative à la desserte de la Corse en ciment a été dénoncée par l’Assemblée de Corse le 30 juin 1998. Pourtant, rien n’a changé à partir de cette date, preuve, s’il en était besoin, que la subvention versée au concessionnaire l’a été en pure perte. De 1993 à juin 1998, la subvention a atteint 78,5 millions de francs.

Le Conseil exécutif a jugé, en effet, cette concession totalement contraire au droit communautaire et avait, l’année dernière, proposé sa dénonciation accompagnée d’une banalisation du transport du ciment, c’est-à-dire par transport en camion embarqué sur les cargos rouliers de la SNCM ou de la CMN et non plus en vrac.

L’intervention de M. François Piazza-Alessandrini, président de l’office des transports, devant l’Assemblée de Corse le 8 décembre 1997, éclaire remarquablement les bizarreries du dossier du ciment, qui ne tiennent pas visiblement toutes à son acheminement sur l’île :

Depuis que cette proposition a été faite, que s’est-il passé ? Les uns et les autres ont réagi. J’ai ici une lettre du syndicat corse des négociants et distributeurs de matériaux (zone industrielle du Vazzio) etc., qui dit quoi en substance ? On peut, on n’a qu’à dénoncer puisqu’il faut dénoncer la concession, mais il n’est pas nécessaire de prendre des mesures particulières parce qu’il résulte des contacts que nous avons pris les uns et les autres qu’on peut assurer le transport dans les mêmes conditions ou dans des conditions voisines sans subvention…

D’autres m’écrivent : Ajaccio Béton. Il y a même une lettre qui vient d’Italie, de la société d’exploitation de carrières et d’agrégats. Ce ne sont pas des importateurs de ciment, ce sont des utilisateurs qui traitent une quantité non négligeable de ciment. Ceux-là sont plus intéressés par la proposition que nous faisions de banaliser le transport et de le faire bénéficier d’un tarif adapté, sans doute parce qu’ils y voyaient le moyen de se soustraire au monopole d’importation d’une dizaine de sociétés, d’entreprises du syndicat corse des négociants et des distributeurs de matériaux.

J’en déduis que l’intérêt des uns et des autres n’est pas forcément le même. Celui des importateurs n’est pas forcément le même que celui des utilisateurs. Mais il n’est pas urgent de prendre des dispositions particulières puisqu’on est toujours à temps si on le veut, à partir du 1er janvier 1999, pour prendre des dispositions telles que celles que nous proposons aujourd’hui.

Je ne peux pas m’empêcher tout de même de faire une observation au passage : en 1989, lorsque l’office avait fait une étude sur le transport du ciment, il avait identifié un certain nombre de surcoûts qui lui paraissaient anormaux et qui l’avaient conduit, tout en maintenant la subvention qui était à l’époque de 11 ou 12 millions de francs, à abaisser le prix du transport du ciment de 19 % très exactement au 1er janvier 1990.

Or, personne en Corse ne s’en est aperçu puisque le jour même où on avait abaissé le prix du transport du ciment de 19 %, les cimentiers avaient augmenté le prix du ciment à concurrence de ce dont nous avions abaissé le prix du transport. Ce qui prouve bien que naturellement dans ce domaine, on fait un peu à la tête du client.

C’est pour cela d’ailleurs que le système n’est pas légal, il n’est pas normal puisqu’il s’analyse, en fait, comme un système aboutissant à une distorsion de concurrence en faveur des cimentiers Vicat et Lafarge qui ont des cimenteries dans la région niçoise.

Aujourd’hui, la lettre qui nous est adressée par le syndicat corse des négociants et des distributeurs de matériaux est l’aveu clair et net de cette affaire, à savoir que la filière du ciment (je ne sais pas qui) nous propose de faire à partir du 1er janvier 1999 la même chose que ce qui est fait aujourd’hui, mais sans subvention, sans avoir besoin de subvention. C’est l’aveu implicite qu’on consacrait à subventionner l’importation et l’approvisionnement de la Corse en ciment 15 millions de francs dont les uns et les autres bénéficiaient alors que cela n’était pas nécessaire et que les uns et les autre sont prêts à ajuster leur prix à due concurrence de 15 millions de francs de moins pour le transport."

En effet, le syndicat des négociants et distributeurs de matériaux de construction, créé pour l’occasion, a négocié avec le transporteur et les cimentiers un accord assurant la poursuite du transport en vrac sur un seul des deux bateaux précédemment mis en ligne. Parce qu’il entraînait le licenciement de 13 marins, le retrait de ce second navire a déclenché en juin dernier un mouvement social. Sous l’égide de l’Assemblée de Corse, un accord a été conclu sur le sort de ces marins : 8 ont été reclassés (4 à la SNCM, 3 à la CMN et le dernier à Corsica Marittima, compagnie qui assure le transport maritime du pétrole), les 5 autres ont perçu des indemnités comprises, selon leur ancienneté , entre 200.000 et 400.000 francs.

·  La desserte aérienne suscite également quelques interrogations

Il est possible de s’interroger sur la pertinence du choix de certains concessionnaires et sur l’existence de sureffectifs au sein de la compagnie Corse Méditerranée.

 Le cas de la compagnie Kyrnair

La compagnie Kyrnair est concessionnaire des liaisons entre la Corse et Toulon. Dans un rapport conjoint des commissions des finances, du plan et de l’environnement de l’Assemblée de Corse d’octobre 1997 relatif à la définition des obligations de service public en matière aérienne, on peut lire en effet : " L’office propose le maintien des lignes reliant Marseille, Nice et Paris-Orly aux quatre aérodromes insulaires. La question est posée pour les lignes de Toulon exploitées par Kyrnair ; y a-t-il un intérêt à maintenir ces lignes dans le service public ? Elles n’y ont été incluses au départ qu’en considération de la compagnie qui les exploite et de ses personnels ; en outre leur coût s’avère élevé, la subvention par passager transporté étant nettement plus importante que pour les lignes Marseille-Corse. Par ailleurs, le subventionnement de ces lignes risque toujours selon l’office de dégrader l’équilibre économique des lignes de Marseille en réduisant leurs recettes dans un contexte difficile ".

 Le cas de la compagnie Corse Méditerranée

La CCM est titulaire d’une concession sur les six lignes reliant Ajaccio, Bastia et Calvi à Marseille et Nice. Créée en 1989 à l’initiative de la Collectivité territoriale de Corse, qui détient aujourd’hui plus de 60% de son capital et désigne 7 des 11 membres de son conseil d’administration, cette société d’économie mixte réalise un chiffre d’affaires proche de 500 millions de francs en 1997 et présente un résultat excédentaire (4,5 millions de francs en 1997).

Mais le niveau de ses effectifs laisse perplexe : 420 personnes pour une flotte de seulement 8 appareils en 1997. La comparaison, portant sur l’année 1996, avec d’autres compagnies régionales françaises de taille significative montre qu’il s’agit là d’un effectif particulièrement important :

– la CCM employait 398 personnes en 1996 (dont 138 navigants) pour une flotte de 8 avions (tous de plus de 20 sièges) et exploitait 11 lignes ;

– Brit’Air employait 500 personnes en 1996 (dont 260 navigants) pour une flotte de 21 avions (tous de plus de 20 sièges) et exploitait 20 lignes ;

– Régional Airlines employait 426 personnes en 1996 (dont 181 navigants) pour une flotte de 28 avions (dont 21 de plus de 20 sièges) et exploitait 48 lignes ;

– Air Littoral employait 1.038 personnes en 1996 (dont 440 navigants) pour une flotte de 38 avions (dont 32 de plus de 20 sièges) et exploitait 31 lignes.

b) La dotation de continuité territoriale a atteint ses objectifs

La mise en place et la gestion de la continuité territoriale a atteint ses principaux objectifs, à savoir faire face aux besoins de transport dans des conditions de confort et de prix tout à fait convenables. C’était déjà la conclusion à laquelle aboutissait le rapport du Sénateur Oudin : " le système (...) a permis d’atteindre largement le but fixé, à savoir une desserte moderne et efficace des ports corses, répondant aux attentes de la clientèle tant insulaire qu’extérieure à l’île ".

Ce constat favorable porte à la fois sur la fréquence des liaisons, la qualité des navires mis en œuvre, les dessertes des différentes régions de l’île et les tarifs pratiqués.

·  Des liaisons fréquentes

Les obligations de desserte imposées aux compagnies concessionnaires, variables selon les périodes de l’année, s’efforcent de répondre aux besoins des usagers et de faire face aux pointes de trafic prévisibles. Les programmes aériens, par exemple, sont organisés de façon à permettre au moins un aller-retour entre Paris et la Corse dans la journée, même si, la commission d’enquête a pu l’expérimenter par elle-même, les contraintes horaires restent fortes.

Il faut garder à l’esprit que ce sont ces obligations de services qui génèrent une grande part des surcoûts supportés par les compagnies et que s’attache à compenser la dotation de continuité territoriale. On l’a vu, le trafic passagers est pour l’essentiel marqué par une forte saisonnalité et une forte directionnalité. Dans les périodes creuses ou dans certains sens dans les périodes plus fréquentées, les navires ou les avions connaissent des taux de remplissage très faibles.

·  Des tarifs avantageux

Au vu du poids des subventions dans le chiffre d’affaires des compagnies concessionnaires, il est clair que le versement de celles-ci permet de proposer des tarifs sensiblement plus bas qu’en l’absence de toute subvention. Cela ne saurait suffire évidemment à apprécier l’efficacité de la continuité territoriale.

Son succès en matière de tarifs peut s’apprécier de deux manières. D’une part, on peut comparer les tarifs proposés à ceux pratiqués ailleurs en Europe dans un contexte géographique comparable. Dans ce cas, le bilan est très favorable. D’autre part, on peut se livrer à une analyse nationale en tentant de comparer les tarifs sur la Corse avec ceux pratiqués sur d’autres liaisons, aériennes ou ferroviaires, en France.

 Une comparaison internationale favorable

Ce constat est confirmé par l’office des transports lui-même qui indiquait, dans un rapport de mars 1997, que " le coût relativement favorable des transports maritimes est méconnu dans l’île et il convient de mieux en informer le public. Pour ce qui est du fret et des navires rapides, ils sont sans équivalent en Europe. D’une manière générale, le coût du transport maritime continent-Corse supporte aisément la comparaison avec ce qui se pratique ailleurs dans des conditions voisines ". Rappelant les diverses mesures tarifaires mises en place au fil des années, ce rapport affirmait que " la thèse selon laquelle les tarifs maritimes auraient régulièrement augmenté plus que le niveau général des prix ne résiste pas à un examen sérieux et approfondi des réalités ".

Comme l’expliquaient devant la mission d’information sur la Corse les deux directeurs-adjoints de la SNCM, " en matière de fret, le coût du transport est près de deux fois inférieur à ce qu’il devrait être dans le cadre d’une exploitation commerciale privée concurrentielle. (…) En matière de fret, la subvention intervient donc fortement pour diminuer le coût du transport ". En effet, " la répercussion du coût du transport sur le coût des marchandises est extrêmement faible. Aujourd’hui, les tarifs fret sont très compétitifs ; le client paie la mise à bord, la manutention et le déchargement, mais il ne paie pratiquement pas le transport stricto sensu : c’est la subvention de la Collectivité territoriale qui couvre le coût du navire ". Cela a été réaffirmé par un autre responsable de la SNCM entendu par la commission d’enquête : " concernant le fret, nous sommes 50% moins chers qu’entre les Baléares et l’Espagne ".

 Une comparaison nationale délicate à effectuer

Il est difficile, chiffres en mains, de se livrer à une comparaison fine des tarifs supportés par un passager faisant le trajet Corse-continent et ceux acquittés par un passager effectuant un trajet analogue sur le continent.

D’une part, hormis les liaisons de bord à bord, les lignes aériennes entre la Corse et le continent représentent des distances plus longues que pour les autres lignes exploitées en France. D’autre part, le maquis que sont devenues les grilles tarifaires, notamment en matière aérienne, rend délicates ces comparaisons, le prix payé variant selon les caractéristiques du passager ou les modalités de son voyage et de son séjour.

A l’origine, la desserte maritime de la Corse se référait explicitement à la tarification de la SNCF. Ainsi en 1976, les tarifs étaient-ils fixés par référence au prix du kilomètre-ferroviaire et à la distance moyenne entre les ports corses et ceux du continent. Force cependant est de reconnaître que, depuis lors, la référence aux tarifs de la SNCF est devenue de plus en plus théorique. En matière de marchandises, la transposition des tarifs ferroviaires est devenue pratiquement impossible et les compagnies ont adopté un tarification essentiellement fondée sur la longueur des remorques. Pour les passagers, la référence à la SNCF est devenue de plus en plus ténue, ne serait-ce qu’en raison des évolutions propres de la tarification ferroviaire, notamment par l’abandon de la tarification kilométrique.

En prenant les tarifs de base, on peut constater :

    • que les tarifs aériens entre Paris et la Corse sont moins élevées que sur d’autres lignes, rappelons-le forcément plus courtes : 1.028 francs pour Paris-Bastia, au lieu de 1.048 francs pour Paris-Bordeaux, 1.108 francs pour Paris-Marseille ou Paris-Toulouse et 1.753 francs sur Paris-Nice ; la comparaison avec des tarifs de lignes transversales est encore plus favorable : 1.537 francs pour Lille-Nice ou 1.888 francs pour Toulouse-Strasbourg
    • que les tarifs de bord-à-bord supportent la comparaison : le tarif aérien entre Ajaccio et Nice atteint 508 francs et le trajet en NGV entre Bastia et Nice 302 francs, à comparer aux 304 francs payés par un passager d’un TGV entre Paris et Lyon, aux 269 francs payés sur Paris-Lille ou aux 337 francs entre Paris-Bordeaux.

L’efficacité de la continuité territoriale est également parfois mise en doute lorsque sont comparés les tarifs proposés par les compagnies concessionnaires et ceux pratiqués par les sociétés non concessionnaires ou par les compagnies italiennes, c’est-à-dire par des compagnies non subventionnées.

Il n’y a pas lieu pourtant de s’en étonner. Comme l’expliquait M. François Piazza-Alessandrini, président de l’office des transports, devant la mission d’information sur la Corse : " Premièrement, les compagnies italiennes n’ont aucune obligation de service public et effectuent donc les dessertes qu’elles désirent, au moment où le trafic est intense. Or, ce qui alourdit considérablement les charges des compagnies qui gèrent le service public, c’est toute la basse saison pendant laquelle les bateaux sont vides. Deuxièmement, ces compagnies desservent la Corse à partir de l’Italie sous pavillon panaméen ; vous savez ce que cela veut dire. Troisièmement, les charges que supporte la compagnie nationale, ses coûts d’exploitation ne sont en rien comparables à ceux d’une compagnie que l’on crée aujourd’hui. Par ailleurs, Livourne est à 120 kilomètres de Bastia, alors que Marseille est à 400 kilomètres ".

c) La continuité territoriale ne profiterait pas aux Corses : une critique à nuancer

La principale critique formulée par les insulaires à l’encontre du mécanisme de la continuité territoriale consiste à considérer que la dotation ne profiterait pas aux Corses : les surcoûts constatés les priveraient d’une partie des effets qu’ils seraient en droit d’attendre d’une dotation d’un tel montant.

" L’enveloppe de continuité territoriale s’arrête en cours de route, en particulier à Marseille, mais aussi dans beaucoup d’autres endroits " déclarait ainsi M. Claude Sozzi, président de l’union interprofessionnelle des syndicats artisanaux de Corse-du-Sud. Le président de l’office des transports était plus explicite : " l’enveloppe sert donc, qu’on le veuille ou non, à financer non seulement les plans sociaux qui ont été mis en place à la suite de la réforme de la manutention sur le port de Marseille, mais également depuis 20 ans – et nous n’avons cessé de dénoncer ce scandale – l’effondrement du port de Nice survenu en 1978 auquel nous continuons de payer des taxes exorbitantes ".

Les surcoûts ne peuvent, on l’a vu être niés. Certains cependant semblent relever en partie de la responsabilité des Corses eux-mêmes. Ils pèsent sans conteste sur les coûts d’exploitation des compagnies concessionnaires et donc sur leur besoin de subvention. Pour autant est-il exact de dire qu’il s’agit d’un prélèvement indu, au détriment de la Corse, sur la dotation de continuité territoriale ?

Cette interprétation communément répandue en Corse apparaît très contestable.

Sans justifier d’aucune façon ces surcoûts qu’il faut au contraire s’attacher à réduire, force est de constater qu’ils sont fort anciens et donc qu’ils ont été largement pris en compte dans la détermination du montant de la dotation au cours des premières années de sa mise en place. Les critiques insulaires seraient donc recevables si la situation s’était détériorée au cours des dernières années. Or, comme on l’a vu ci-dessus en ce qui concerne la SNCM, ce n’est pas le cas.

Par ailleurs, affirmer que l’argent de la dotation ne profite pas à la Corse revient à faire l’impasse sur l’importance des dépenses que les compagnies concessionnaires réalisent en Corse, qu’il s’agisse des salaires de leur personnel résidant en Corse, de leurs approvisionnements dans l’île, des frais engagés dans les ports et aéroports corses, des impôts et taxes locales, etc… Celles-ci représentent une part non négligeable de la subvention qu’elles reçoivent comme l’indique le tableau ci-dessous.

DÉPENSES REALISÉES EN CORSE PAR LES COMPAGNIES CONCESSIONNAIRES EN 1997

 

Subvention reçue (1)

Dépenses réalisées en Corse

Part (en %)

SNCM

531,4

270,0

50,8

CMN

150,0

54,7

36,5

PITTALUGA

15,2

6,5

42,8

AIR FRANCE

32 ,4

non connues

CCM

153,4

225,0

non significatif (2)

TAT

31,5

27,6

87,6

KYRNAIR

5,7

non connues

TOTAL

919,4

583,8

63,5

    1. Y compris les sommes versées en 1998 au titre de l’exercice 1997.
    2. Les dépenses de la CCM réalisées en Corse représentent 30,9% de son chiffre d’affaires.

3.– L’échec patent des aides au secteur agricole

Le secteur agricole est sans doute celui qui a suscité les sollicitudes les plus nombreuses et les plus répétées de la part des pouvoirs publics au cours des quinze dernières années. Les dépenses publiques ont pris plusieurs formes : des plans de désendettement se sont multipliés et les subventions et aides de diverse nature se sont accumulées au bénéfice des exploitations agricoles sans que les effets et les coûts de ces aides ne soient évalués avec la rigueur et l’objectivité nécessaires. Aujourd’hui la commission d’enquête doit dresser le constat sans appel de l’échec total des plans généraux de désendettement et des graves insuffisances des modalités d’octroi des subventions publiques par l’office du développement agricole et rural de Corse (ODARC).

a) Un constat sans appel : l’échec total des plans généraux de désendettement de l’agriculture corse

– Une succession ininterrompue de plans

Dans un rapport de mai 1998 relatif aux mesures d'allégement de la dette agricole corse de 1988 à 1998, l'Inspection générale des finances notait : " Le meilleur moyen, pour un emprunteur, de réduire sa dette, consiste à la rembourser, et le plus rapidement possible. Cette lapalissade semble méconnue en Corse. Au contraire, les plans d'aménagement ont toujours eu pour effet de rallonger la durée du remboursement. En se succédant les unes aux autres, les mesures tendent d'ailleurs à reporter indéfiniment le premier remboursement.

Pendant ce temps, les intérêts s'accumulent et sont capitalisés. La dette s'accroît. Afin de modérer ou d'interrompre cette croissance exponentielle, les Pouvoirs publics décident parfois d'alléger la dette, en prenant en charge une partie des annuités. "

Les mesures se sont ainsi succédé sans interruption depuis dix ans. La lenteur dans la définition des mesures, puis dans leur mise en œuvre concrète, permit d'assurer une certaine continuité en la matière. Au moment où la énième mesure avait fini de produire ses principaux effets, la mesure n + 1 était annoncée par le gouvernement. La lenteur dans la mise en place des mesures présentait un avantage certain pour les débiteurs car, dès l'annonce d'un nouveau plan, les annuités impayées se voyaient gelées en attente de consolidation. A titre d’exemple, les prêts de " sauvegarde " mis en place en 1993 permirent de reporter les premières échéances non prises en charge à l'issue du plan Nallet. Quant à la " mesure Balladur ", elle fut annoncée au début de 1994, soit un an avant la première échéance des prêts de consolidation. La mesure Juppé fut annoncée au début de 1996, ce qui coïncida avec la première échéance des prêts Balladur.

Le résultat de cette situation est simple : de 1988 à aujourd'hui, un emprunteur agricole put ne jamais rembourser un centime des prêts agricoles contractés. Au total, les prêts agricoles jamais remboursés s'élèveraient à environ 600 millions de francs aujourd'hui.

Depuis près de vingt ans, pas moins de douze plans de désendettement ont été mis en place. Chacun d'entre eux était conçu comme devant être le dernier. Force est de constater que ces mesures gouvernementales n'ont point atteint l’objectif qui leur était assigné. Au contraire, l'endettement global de l'agriculture a augmenté au lieu de diminuer au fil du temps. Cette politique menée par les différents gouvernements au cours des dernières années se solde donc par un échec total.

 

Evolution des retards de paiement des prêts

(prêts à moyen terme ; en MF)

 

Déc-93

Déc-94

Déc-95

Déc-96

Déc-97

Tous prêts agricoles à moyen terme

Encours théorique

878

882

930

565

833

Encours réels

943

975

1097

1013

996,8

Retards

65

93

167

448

163,8

Retards/Encours réel (Corse)

7 %

10 %

15 %

44 %

16 %

Idem (toutes CR)

2,5 %

2,5 %

2,6 %

2,6 %

2,5 %

Dont prêts agricoles bonifiés

Encours réels

341

300

489

537

507,6

Retards

28

32

54

226

106

Retards/Encours réel (Corse)

8 %

11 %

11 %

42 %

21 %

Idem (toutes CR)

1,9 %

1,8 %

1,9 %

2,0 %

1,8 %

Prêts aux entreprises

Encours réels

1297

1352

1369

1420

1381

Retards

74

252

308

414

249

Retards/Encours réel (Corse)

6 %

19 %

22 %

29 %

18 %

Idem (toutes CR)

3,5 %

5,0 %

5,0 %

5,6 %

4,6 %

Toutes catégories de prêts à moyen terme

Encours réels

4958

5523

5405

5519

5524

Retards

191

519

673

1072

525

Retards/Encours réel (Corse)

4 %

9 %

12 %

19 %

10 %

Source : caisse nationale de Crédit agricole

     

Conçue dès 1989 par une circulaire du 24 juillet co-signée par les deux ministres de l’agriculture et du budget, et mise en œuvre entre 1991 et 1994, la mesure " Nallet-Corse " visait à alléger fortement la dette déjà contractée par les exploitants et à leur offrir de nouveaux prêts de développement.

Le coût du dispositif institué ne devait pas dépasser 185 millions de francs. La circulaire de 1989 subordonnait l'attribution des prêts et des subventions à deux principes. Seules les exploitations viables devaient être concernées par la mesure après examen approfondi de leur situation. L'aide devait être globalement inférieure à la différence entre les charges de remboursement supportées par l'exploitation et sa capacité de remboursement. La majorité des exploitants corses ne tenant pas de comptabilité probante, les informations qu'ils fournirent ne purent pas toujours être vérifiées. De plus, la circulaire n'avait prévu aucun délai pour la présentation des demandes d'aides, ce qui explique que ces demandes se soient étalées sur plus de deux ans (jusqu'à ce qu'un comité interministériel fixe au 1er octobre 1991 la date limite de dépôt).

En Haute-Corse, pour des raisons d'ordre public, le préfet devait bientôt décider de ne plus réunir la commission départementale des agriculteurs en difficulté. Les aides furent donc octroyées dès 1992, en dehors du cadre collégial prévu par les instructions ministérielles. Quant à l'administration (directions régionale et départementale de l’agriculture et de la forêt), elle se déchargea sur la caisse régionale de Crédit agricole de la préparation des mandatements et du paiement des aides publiques aux bénéficiaires.

Alors que la circulaire de 1989 avait déterminé une enveloppe d’un montant maximum de 185 millions de francs, la dépense totale s’éleva en définitive à 441,4 millions de francs pour 1.060 dossiers. L’aide moyenne par dossier a donc atteint 261.000 francs pour les agriculteurs corses, alors que, dans les autres départements, elle ne fut pas supérieure à 25.000 francs. Cet effort financier n’eut pas pour effet d’améliorer la situation des agriculteurs corses. Au contraire, la mesure conduisit à l’aggravation de cet endettement. Dès septembre 1992, la caisse régionale de Crédit agricole constatait le phénomène en même temps que l’augmentation des créances douteuses et litigieuses (qui représentaient alors 21 % des crédits à l’agriculture corse à comparer à la moyenne nationale de 4 %).

Face à cette situation, la banque n’hésita pas à prendre l’initiative de prêts dits de " sauvegarde ". On peut d’ailleurs s’interroger : de quelle sauvegarde s’agissait-il : celle de l’agriculture corse ou celle de la banque elle-même ?

Ces prêts, réalisés principalement en 1993 dans l’attente d’une nouvelle intervention de l’État, visaient notamment à consolider les échéances impayées de 1993 et 1994. Décidés par la caisse régionale de Crédit agricole, ils ne résultèrent donc pas d’une décision gouvernementale. Ils se sont même mis en place contre l’avis du gouvernement.

L’intervention attendue du gouvernement prit finalement la forme d’une lettre conjointe signée du ministère de l’agriculture de l’époque et de celui des finances, le 26 octobre 1994. La mesure " Balladur-Puech " se présentait, à l’instar de la mesure Nallet, comme un dispositif national motivé par la baisse des taux du marché et adapté à la situation corse. Bien que généreusement accordée, la consolidation Balladur, qui concerna la moitié de l’endettement agricole corse, se révéla relativement peu coûteuse, avec 60 millions de francs au total. Il est vrai que, contrairement aux " mesures Nallet " ou plus tard Juppé, elle ne prévoyait pas une prise en charge substantielle de certaines annuités. Cependant, ces mesures produisirent les mêmes effets que les précédentes. L’endettement se remit à croître au lieu de baisser. Dès les premières échéances des nouveaux prêts, le Crédit agricole comme les pouvoirs publics durent faire ce constat désormais habituel : les agriculteurs corses ne remboursaient qu’une faible part des sommes dues.

Il semble évident qu’à côté des débiteurs défaillants, dans l’incapacité réelle de s’acquitter de leurs dettes, il existe des exploitants plus, voire très " à l’aise " qui profitent du système pour ne pas honorer leurs échéances dans l’attente qu’un nouveau plan gouvernemental reporte le problème ultérieurement.

C’est dans ce contexte que la " mesure Juppé " fut lancée en 1996. Elle comporte une prise en charge des intérêts pour quelques années et, pour les exploitations en difficulté, des allégements complémentaires ou des allongements. Les débiteurs agricoles peuvent ainsi bénéficier, sous certaines conditions, de la prise en charge partielle des intérêts (c’est le volet B de la mesure). Ceux qui demandèrent un traitement plus circonstancié de leur situation ont vu leurs dossiers examinés par les administrations locales et la caisse régionale de Crédit agricole dans le cadre du " comité 2 ".

 

Aujourd’hui, l’instruction des dossiers est achevée. On estime que la mesure devrait coûter environ 150 millions de francs. Seuls les emprunteurs s’étant mis à jour de leurs arriérés avant le 20 mai 1998 peuvent bénéficier des avantages offerts par cette mesure.

 

Statistique au 20/05/97 des encours

des bénéficiaires potentiels du plan JUPPÉ

Prêts éligibles au Plan Juppé

 

PCI

(" volet B "

Comité 2

Non répondant

Total

Nombre de prêts

1048

1783

1687

4518

CRD théorique

97

356

267

719

Impayés

4

94

86

184

Total

101

450

353

903

Impayés/CRD (%)

4 %

26 %

32 %

26 %

Tous prêts confondus

Nombre de prêts

1300

2024

1953

5277

CRD théorique

128

389

290

807

Impayés

4

101

96

202

Total

132

490

386

1009

Impayés/CRD (%)

3 %

26 %

33 %

25 %

Source : Rapport de mai 1998 de l’Inspection générale des finances sur les mesures d’allégement de la dette agricole corse de 1988 à 1998

 

TABLEAU RECAPITULATIF

   

Coût de la disposition

Source

Mesure

Nature de la disposition

Coût certain et définitif

(bonifications, allègements, etc.)

Coût virtuel

(prêts nouveaux, qui risquent de n’être jamais remboursés)

Coût provisoire

 
   

État

FAC

CA

     
Mesure " Nallet-Corse " Prise en charge d’annuités

330 MF

        Cour des comptes
  " Subventions d’adaptations "

110 MF

        Cour des comptes.
  Prêts nouveaux      

259 MF

  caisse nationale de Crédit agricole
Prêts de Sauvegarde Avantage de taux    

10 MF

    Estimation de l’Inspection générale des finances
  Prêts nouveaux      

90

MF

  caisse régionale de Crédit agricole
  Effet report        

60 MF

Estimation de l’Inspection générale des finances
" Mesure Balladur " Bonification (prêts à 6,5 %)

35 MF

        Estimation de l’Inspection générale des finances
  Bonification (prêts à 7,3 %)    

30 MF

    Estimation IGF
  Effet report        

240 MF

Estimation IGF

 

 

 

 

 

Coût de la disposition

Source

Mesure

Nature de la disposition

Coût certain et définitif

(bonifications, allègements, etc.)

Coût virtuel

(prêts nouveaux, qui risquent de n’être jamais remboursés)

Coût provisoire

 
   

État

FAC

CA

     
Mesure Juppé Prise en charge d’intérêts  

51 MF

51 MF

    caisse nationale de Crédit agricole
  Réduction de taux  

6 MF

6 MF

    caisse nationale de Crédit agricole
  Différé de paiement            
 

Sans intérêt de retard

 

5 MF

5 MF

    caisse nationale de Crédit agricole
 

Autres (comité 2 " sans solution ")

 

 

(16 MF)

(16 MF)

    caisse nationale de Crédit agricole
  Effet report        

130 MF

Estimation IGF

Source : Rapport de mai 1998 de l’Inspection générale des finances sur les mesures d’allégement de la dette agricole corse de 1988 à 1998

 

– Une absence de continuité dans la conception de ces plans

Les aides ont au fil des ans visé des publics différents. Elles ont parfois été tournées vers les exploitations les plus endettées (exemple de la mesure " Nallet-Corse ") et parfois, à l’inverse, vers les moins endettées. Un exemple de cette deuxième méthode est fournie par la mesure Juppé qui écarte les exploitations trop endettées et tente de contrecarrer les " faux agriculteurs ". L’éligibilité était appréciée à partir d’éléments les plus objectifs possibles et ne faisait plus intervenir une prévision de viabilité, comme cela avait été le cas pour la mesure Nallet.

En principe, toutes les aides visaient les agriculteurs à titre principal. Mais, dans bien des cas, ces dispositions furent appliquées sans la rigueur requise. Chaque mesure, initialement ciblée, fut graduellement assouplie et élargie. Les dispositifs avaient tendance à être de plus en plus généreux dans l’octroi des aides. Les critères d’éligibilité finissaient par être interprétés de façon souple et extensive. Enfin, des dossiers même écartés pouvaient bénéficier d’aides complémentaires prévues dans le dispositif. La mesure Juppé semble avoir été gérée avec une plus grande rigueur que toutes celles ayant précédé.

Les mesures gouvernementales eurent deux grands effets : soit elles ont déchargé l’emprunteur d’une partie de sa dette grâce à une aide de l’État et / ou du Crédit agricole ; soit elles ont permis de différer dans le temps le remboursement grâce à un allongement du prêt. Dans la deuxième option, la question du remboursement se trouve reportée dans l’avenir. La méthode du report présente l’avantage d’être peu coûteuse pour l’État et la banque. Son inconvénient, majeur, est cependant souvent négligé : cette politique ne fait qu’augmenter à terme la dette de l’emprunteur et laisse aux gouvernements ultérieurs le soin de régler le problème...ou de le reporter à nouveau.

Alors que la mesure Nallet consista principalement en une prise en charge des annuités, c’est-à-dire en un allégement définitif de la dette – et s’avéra donc coûteuse – la " mesure Balladur " prévoyait essentiellement un rééchelonnement des prêts. La mesure Juppé comporte des rééchelonnements relativement faibles et une prise en charge des intérêts pendant quatre ans, assez coûteuse.

Les gouvernements successifs ont constamment hésité entre la prise en charge totale ou partielle des annuités (coûteuse mais qui comporte l’avantage d’alléger réellement la dette) et la méthode des rééchelonnements (qui ne font que reporter le problème à plus tard mais ne grèvent pas les finances publiques).

Enfin, chaque gouvernement a tenté de limiter sa responsabilité, tandis que la caisse régionale de Crédit agricole était incitée à participer activement aux diverses mesures. Celle-ci a cherché, au contraire, à ne pas apparaître comme l’initiatrice des mesures, surtout lorsque celles-ci ne semblaient pas populaires auprès de la profession agricole locale.

– Un manque de rigueur préoccupant dans l’attribution des prêts

Les détournements d’objet des prêts agricoles ne constituent pas un phénomène isolé. Les prêts ont trop souvent été consentis sans que l’emprunteur présente de comptabilité. Ainsi toutes les garanties n’ont pas été prises par le Crédit agricole pour s’assurer que les bénéficiaires de prêts exerçaient bien la profession d’agriculteur.

Un indice permet de prendre la mesure de ces dérives. Les nouveaux prêts à moyen terme (hors réaménagements), toutes clientèles confondues, de la caisse régionale de Crédit agricole, ont beaucoup diminué : ils sont passés d’environ 500 millions de francs par an de 1993 à 1995 à 359 millions de francs en 1997. Les prêts à l’agriculture ont connu une baisse très importante : de 256 millions de francs en 1993 à 21 millions en 1997. Pour les seules exploitations agricoles (hors coopératives), le montant des prêts est passé de 237 millions de francs en 1993 à 17 millions en 1997. Or, la situation de l’agriculture corse ne semble pas s’être sensiblement détériorée depuis le ralentissement de cette politique effrénée d’octroi de prêts.

Au fil des années, les aides en tous genres ont été distribuées sans la rigueur nécessaire suite à une analyse qui pêchait souvent par son optimisme quant à la situation réelle des exploitations. Les procédures d’attribution ne furent pas toujours respectées. Parfois, les critères d’octroi des aides et des prêts furent tout bonnement ignorés. Dans un rapport de novembre 1997 sur les aides financières aux agriculteurs corses en difficulté, la Cour des comptes constatait que " ces pratiques – que les services locaux du ministère de l’agriculture n’ont pas découragées – ont pour effet d’accroître l’endettement de nombre d’exploitants, qui paraissent s’être habitués à demander et à obtenir périodiquement de nouvelles mesures en leur faveur ".

Non seulement les dépenses engendrées par ces plans de désendettement ne se sont pas traduites par des résultats probants, mais l’ensemble du système d’octroi des aides à l’agriculture – qui transitent par l’office de développement agricole et rural de la Corse (ODARC) – paraît défectueux.

b) Les défaillances de l’office chargé du développement agricole et rural de la Corse

Depuis le statut de 1991, c’est la Collectivité territoriale de Corse qui est compétente pour déterminer les grandes orientations du développement agricole et rural de l’île. A cette fin, elle dispose de deux établissements publics à caractère industriel et commercial dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière, sur lesquels elle exerce son pouvoir de tutelle. Ceux-ci sont présidés par un Conseiller exécutif et gérés par un directeur nommé sur proposition du président de l’office par arrêté délibéré en Conseil exécutif. Ces deux offices sont, d’une part, l’ODARC, chargé de la mise en œuvre des actions tendant au développement de l’agriculture et à l’équipement du milieu rural, et d’autre part, l’office d’équipement hydraulique de Corse (OEHC), chargé de l’aménagement et de la gestion de l’ensemble des ressources hydrauliques de Corse. Les développements qui suivent concernent le premier organisme.

 

·  L’ODARC " nouvelle formule " de 1992

L’ODARC, qui se veut le relais de la Collectivité territoriale de Corse, se voit déléguer par l’Assemblée de Corse des crédits importants pour les secteurs agricoles et forestiers. Il est en charge de l’individualisation d’une part conséquente des crédits alloués, que ces derniers émanent de l’État, de la Collectivité territoriale ou de l’Union européenne. Il peut de ce fait être considéré comme l’intermédiaire ou le " guichet unique " du développement agricole en Corse.

Pour l’année 1998, ses dépenses et recettes de fonctionnement doivent atteindre plus de 29 millions.

LES DEPENSES DE FONCTIONNEMENT POUR 1998

 

ACHATS

1.000.000 F

3,4 %

SERVICES EXTERIEURS

4.098.000 F

14,5 %

IMPOTS ET TAXES

455.000 F

1,5 %

CHARGES DE PERSONNEL

21.147.000 F

72,6 %

AMORTISSEMENTS ET PROVISIONS

2.168.000 F

7,4 %

DEPENSES IMPREVUES

200.000 F

0,6 %

TOTAL

29.068.000 F

100 %

 

 

 

 

LES RECETTES DE FONCTIONNEMENT POUR 1998

 

VENTES ET PRESTATIONS

3.817.000 F

13,1 %

DOTATION DE FONCTIONNEMENT

17.200.000 F

59,1 %

AUTRES CONCOURS

7.380.000 F

25,3 %

PRODUITS FINANCIERS

20.000 F

0,1 %

PRODUITS EXCEPTIONNELS

191.000 F

0,7 %

REPRISES SUR PROVISION

460.000 F

1,7 %

TOTAL

29.068.000 F

100 %

En 1997, le budget de l’office s’élevait à 120 millions de francs : 20 millions pour le fonctionnement et 100 pour les investissements. Dans son rapport d’activités pour 1997, l’ODARC note que son compte de résultat de l’exercice 1997 s’élève au total à 130,923 millions de francs et fait apparaître un déficit de 146.621 francs.

·  Des opérations d’intervention et de développement de grande ampleur

L’ODARC fonctionne comme une instance distributrice d’aides et de subventions en provenance de l’État, de l’Union européenne et de la région. En 1998, la totalité des subventions allouées au secteur agricole doit atteindre 250 millions de francs.

Au cours de cette année, l’ODARC doit répartir directement des fonds en provenance de la Collectivité territoriale à hauteur de 59,60 millions, de l’État à hauteur de 26,95 millions de francs et de l’Union européenne pour 8,31 millions de francs. Concernant le secteur de la forêt, qui doit bénéficier de 15,78 millions de francs en 1998, l’office doit gérer directement 12,98 millions de francs : 5,40 millions de francs au titre de la Collectivité territoriale de Corse, 4,05 millions de francs au titre de l’État, 3,53 millions de francs au titre de l’Union européenne.

·  Des compétences fort étendues

Les statuts de 1992 indiquent, dans son article 2, que " l’office est chargé, dans le cadre des orientations définies par la Collectivité territoriale de Corse, de la mise en œuvre d’actions tendant au développement de l’agriculture et à l’équipement du milieu rural. " Les actions de développement agricole sont réalisées par l’office, conformément aux articles R 821 à R 821-4 du code rural. A ce titre, il bénéficie des aides financières que l’association nationale du développement agricole (ANDA) consacre aux actions de développement agricole en Corse par le moyen du fonds national du développement agricole (FNDA). "

Les articles 4, 5, 6 et 7 de ses statuts prévoient que l’ODARC :

  • se substitue aux commissions départementales des structures agricoles pour la mise en oeuvre du contrôle des structures agricoles (art 4) ;
  • exerce certaines des compétences dévolues au centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) (art 4) ;
  • est habilité à être un organisme agréé par l’administration pour l’instruction des dossiers d’installation des jeunes agriculteurs et des plans d’amélioration matérielle des exploitations agricoles (art 4) ;
  • est le représentant en Corse des offices d’intervention du secteur agricole relevant du ministère de l’agriculture et exerce les compétences qui lui sont dévolues à ce titre. Les relations entre l’ODARC et ces offices d’intervention sont régies par voie de convention approuvée par le ministère de l’agriculture (art 5) ;
  • est consulté pour toutes les questions relatives à la modernisation et au développement de l’agriculture et notamment lors de l’élaboration du contrat de développement de la Corse et du schéma d’aménagement de la Corse (art 6).
  • peut procéder à des études d’ensemble ou sectorielles quelle que soit leur nature ainsi qu’à des travaux d’expérimentation et de recherche appliquée, à des études de travaux d’équipement liés aux exploitations agricoles (article 7) ;
  • mener des actions d’animation et d’assistance commerciale afin de faciliter l’organisation des producteurs, le contrôle de la production et des débouchés (art 7) ;
  • mener des actions de mise en valeur en vue du développement de l’agriculture, de la forêt, de l’aquaculture, ainsi que du développement en milieu rural du tourisme et de l’artisanat (art 7) ;
  • réaliser des programmes spéciaux au titre des règlements communautaires (art 7) ;
  • assurer la distribution des aides financières à des exploitants agricoles et à leurs groupements (art 7).

Aux termes de l’article 7 des statuts, l’ODARC peut soit exécuter ses missions lui-même, soit confier cette exécution à d’autres intervenants. Par exemple, l’office peut " passer convention avec les Chambres départementales d’agriculture ou toute autre personne de droit public ou privé ".  

Ainsi l’ODARC est conçu comme devant être le lieu de mise en oeuvre de la politique agricole. L’État n’a, en effet, plus la capacité d’impulser une politique agricole en Corse car, dans ce secteur important pour l’économie insulaire, la décentralisation a été poussée très loin. Cependant, ce ne sont pas les élus de l’île qui se sont appropriés ces nouvelles attributions, comme l’illustre la composition du conseil d’administration.

·  Un conseil d’administration dominé par les socio-professionnels du milieu agricole

Composé de 25 membres, le conseil d’administration est présidé par un conseiller exécutif désigné par le président du Conseil exécutif. Il comprend, outre son président et le président de l’Assemblée de Corse, 23 autres membres :

  • Huit membres désignés par l’Assemblée de Corse en son sein lors de chaque renouvellement.
  • Pour chaque département de la Corse, un membre désigné par les Chambres départementales d’agriculture (deux en tout).
  • Pour chaque département de la Corse, trois membres désignés par les organisations représentatives des chefs d’exploitations agricoles (six en tout). Cette désignation se fait proportionnellement aux voix obtenues par ces organisations lors des élections aux Chambres d’agriculture.
  • Un représentant des salariés agricoles.
  • Un membre désigné par la SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de Corse.
  • Un membre désigné par l’office hydraulique (OEHC).
  • Quatre représentants du personnel de l’office désignés par les organisations syndicales représentatives du personnel. La désignation de ces membres se fait proportionnellement aux voix obtenues par les organisations syndicales représentatives du personnel aux élections du comité d’entreprise.

Lors de son audition devant la commission d’enquête, un témoin expliquait : " Au sein de l’ODARC, les élus de la Collectivité territoriale n’exercent pas ces pouvoirs. Dans les faits, l’ODARC est totalement contrôlé par les professionnels agricoles qui siègent nombreux à son conseil d’administration et prennent seuls toutes les décisions au sein de son comité technique chargé de l’instruction des dossiers. Je considère que les élus ont largement renoncé à leurs pouvoirs de décision et de contrôle. (...) Je rappelle également que depuis dix ans, M. Valentini a été président puis membre du conseil d’administration en tant qu’élu à la Collectivité territoriale, puis membre du conseil d’administration en tant que président de la Chambre régionale d’agriculture, et qu’il n’a jamais cessé de diriger, de fait, l’ODARC. "

Dans leur réponse à un questionnaire leur ayant été adressé par la commission d’enquête, les responsables de l’ODARC, rappelant que le décret de 1983 créant l’office prévoyait une majorité de socio-professionnels au sein du conseil d’administration, ont estimé que, de ce fait, il n’aurait pas été opportun de les écarter brusquement en 1991 au moment du vote du nouveau statut. Tout récemment, la Collectivité territoriale a néanmoins envisagé de revoir la composition du conseil d’administration afin que les élus y soient majoritaires.

TAUX DE PRESENCE DES MEMBRES DU CONSEIL D’ADMINISTRATION

 

CATEGORIES DE MEMBRES

Taux de présence en 1995

Taux de présence en 1996

Représentants de la CTC

47 %

76 %

Socio-professionnels

75 %

84 %

Autres membres

85 %

95 %

Source : Rapport de la commission de contrôle des agences et offices de septembre 1997

Sont associés à titre consultatif un membre désigné par la caisse régionale de Crédit agricole, un membre désigné par la fédération régionale des coopératives agricoles, le président du Conseil exécutif, le président de la commission de contrôle des offices de la Collectivité territoriale, le directeur régional et les directeurs départementaux de l’agriculture et de la forêt (DRAF et DDAF), l’agent comptable et le secrétaire du comité d’entreprise de l’ODARC. En outre, le préfet de région y assiste de plein droit.

Notons que, selon l’article 14 des statuts, le conseil d’administration ne peut valablement siéger que lorsque les trois quarts au moins de ses membres ont été régulièrement désignés. D’après les informations fournies dans le rapport d’activités pour 1997 de l’office, le conseil d’administration s’est réuni seulement deux fois au cours de l’année 1997. Au cours de la réunion du 20 février 1997, l’état prévisionnel des recettes et des dépenses a été adopté et les crédits relatifs aux filières de production ont été répartis. Lors de la séance du 22 octobre 1997, le conseil d’administration a, après avoir adopté les orientations budgétaires pour 1998, décidé de la mise en place d’un dispositif d’aide au transport de fromage et d’aliments de bétails pour les agriculteurs victimes de la sécheresse ...

Le conseil d’administration délibère notamment dans les matières suivantes :

  • Les programmes généraux d’activité et d’investissement, les marchés de travaux, de fournitures et de services
  • L’état annuel des prévisions des recettes et des dépenses, et le cas échéant, les états rectificatifs en cours d’année ;
  • Les comptes de chaque exercice et l’affectation des résultats ;
  • Les emprunts, les acquisitions, échanges et aliénations de biens immobiliers ;
  • Les prises, extensions et cessions de participations financières ;
  • Les conditions générales de tarification de vente des produits de l’exploitation et des prestations de services ;
  • Les conditions générales de passation, de financement et de contrôle des marchés.

Mais il faut relever que c’est la commission technique permanente (CTP) qui a compétence pour individualiser les aides. Cette commission est composée de 8 membres : le président de l’ODARC, 2 conseillers territoriaux (taux de présence en 1996 : 50 %), 5 socio-professionnels (taux de présence en 1996 : 65 %). En 1996, la CTP s’est réunie 4 fois au cours de l’année. Elle a examiné 743 dossiers de demandes d’intervention pour un montant de subventions de 84,6 millions de francs. Elle a accepté 726 dossiers pour un montant de subventions de 75,07 millions de francs se répartissant en 466 opérations de modernisation et d’équipement des exploitations agricoles, 45 dotations régionales d’installation jeunes agriculteurs, 57 dossiers de restructuration du vignoble, 33 dossiers concernant les industries agro-alimentaires, 2 dossiers de financement de voies rurales, 40 dossiers de restructuration de l’arboriculture fruitière, 59 aides de transport du vin, 8 dossiers d’amélioration de la qualité du lait et 16 dossiers forestiers.

En 1997, cette commission s’est réunie à cinq reprises. Elle a examiné 683 dossiers de demandes d’intervention pour un montant de subventions de 82,9 millions de francs. Elle a accepté 661 dossiers pour un montant de subventions de 81,05 millions de francs.

La procédure d’individualisation des aides gérées par l’ODARC figure ci-après.

indivis.gif (24529 octets)

Selon la commission d’enquête, le montant et le nombre importants de dossiers instruits par l’ODARC contrastent de façon préoccupante avec le peu de contrôle qui s’exerce sur cet office.

·  Les insuffisances notoires du dispositif

– Le manque de ligne directrice

Selon le statut de 1991, c’est la Collectivité territoriale de Corse qui devrait définir les grandes orientations de la politique agricole. De l’aveu même d’élus corses et de responsables de l’ODARC, cet effort de ciblage et de sélectivité des aides n’est pas entrepris pour éviter d’avoir à trancher entre telle ou telle filière de production agricole. En l’absence de stratégie clairement définie, l’ODARC se borne à distribuer une multitude d’aides en fonction des demandes de subventions qui lui sont adressées.

Investi par les professionnels qui font bloc pour réclamer des aides toujours plus abondantes, l’office s’est à ce jour révélé incapable de mettre en place une véritable politique de développement agricole et rural dans l’île.

– Un office incontrôlé dans les faits

Le contrôle théorique du préfet de Corse

Selon les statuts de l’office, le préfet détient des moyens de contrôle qu’il peut exercer dans un cadre bien délimité. Si le préfet de Corse estime qu’une délibération du conseil d’administration de l’office est de nature à augmenter gravement la charge financière ou le risque encouru par la Collectivité territoriale, il peut saisir dans un délai d’un mois suivant la date de réception, la Chambre régionale des comptes. Il en informe simultanément le président de l’ODARC et la Collectivité territoriale de Corse. La saisine de la Chambre régionale des comptes entraîne une seconde lecture de la délibération contestée par le conseil d’administration. Mais la saisine n’a pas d’effet suspensif. La Chambre dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son avis au préfet, au président de l’office et à celui du Conseil exécutif de Corse.

Sur la période 1992-1997, le préfet de Corse n’a assisté personnellement qu’une fois au conseil d’administration de l’office. Bien entendu, en son absence, le préfet est représenté par le secrétaire général aux affaires corses ou par le directeur régional de l’agriculture et de la forêt. L’intervention du préfet lors de sa venue le 20 janvier 1997 fut d’ailleurs suivie avec une attention particulière dans la mesure où elle concernait les mesures prises par l’État pour le désendettement des agriculteurs.

Le ministère de l’agriculture a récemment fait quelques tentatives pour renforcer les contrôles : en accord avec l’actuel ministre, le préfet Bernard Bonnet a décidé de faire passer en comité régional des aides tous les dossiers impliquant des crédits nationaux ou européens. Cette méthode permet de recouper les informations des différents services de l’État et de confronter les avis. Elle donne également la possibilité d’ajourner des dossiers lorsque des problèmes sont détectés à temps.

Le contrôle très relatif de la Collectivité territoriale : le renoncement des élus

Aux termes de l’article 28, alinéa 3 des statuts de l’ODARC, " aucune délibération du conseil d’administration ou décision prise par délégation de celui-ci ne peut engager les finances de la Collectivité territoriale au-delà des crédits que celle-ci a délégués à l’office qu’avec l’accord préalable du Conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse ".

En principe, le président du Conseil exécutif détient, aux termes des articles 26, 27 et 28 des statuts, des pouvoirs non négligeables. Il dispose d’un pouvoir d’information, de conseil et de suggestion sur le fonctionnement économique et financier de l’ODARC. Il se fait communiquer tout document nécessaire à l’exercice de ses missions. Il transmet ses avis et suggestions au président de l’office. Il informe l’Assemblée de Corse du fonctionnement économique et financier de l’office. Il reçoit copie des délibérations du conseil d’administration de l’office. Il peut dans un délai de huit jours à compter de sa réception demander un nouvel examen d’une délibération. Cette demande doit être motivée. L’exécution de la délibération est suspendue jusqu’à ce nouvel examen. Les délibérations n’ayant pas fait l’objet dans un délai de 8 jours d’une demande de réexamen sont exécutoires de plein droit. Une délibération résultant d’un nouvel examen ne peut être exécutoire que si le président du Conseil exécutif ne s’y oppose pas dans un délai de quatre jours à compter de sa réception. Avant la fin du premier semestre de chaque année, il présente à l’Assemblée de Corse le rapport d’activités de l’office et les comptes de l’exercice écoulé.

Notons que, par jugement du 27 février 1997, le tribunal administratif de Bastia a déclaré illégal l’article 27 des statuts de l’ODARC qui institue un pouvoir de contrôle des délibérations du conseil d’administration de l’office par le président du Conseil exécutif. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 11 décembre 1996, M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse, remarquait :

" En tant que président du Conseil exécutif, je nomme les présidents d’agences et d’offices. Dans le meilleur des cas - mais pas toujours - les élus sont majoritaires, mais d’une voix. Il faut tenir compte des socio-professionnels. A-t-on vu à l’office hydraulique des élus qui auraient le courage de fixer le prix de l’eau sans tenir compte des agriculteurs qui y siègent ? Aurait-on pu imaginer qu’à l’office agricole, ce soient les élus qui décident des orientations d’une politique agricole ? Non, ce sont les agriculteurs. (...) Les pouvoirs politiques et les moyens financiers de l’État et de la région sont utilisés par des tiers, qui n’ont pas à répondre devant le suffrage universel. (...) Par conséquent, le pouvoir dans le domaine de la politique agricole, hydraulique, de l’environnement, revient aux socio-professionnels. Et c’est la fuite en avant. Vous le constatez tous les jours, les Corses demandent, demandent toujours et demandent encore. J’ai honte d’être le représentant d’une collectivité qui toujours quémande mais, en réalité, l’institution est faite pour inviter à quémander parce que nous sommes toujours dans la seringue. Pour en sortir, il faut avoir toujours plus de moyens. "

L’impossible contrôle des DDAF et DRAF

Expliquant devant la commission d’enquête que le système avait été ainsi conçu que les services de l’État se trouvaient particulièrement démunis pour contrôler, ou simplement assurer le suivi des opérations gérées directement par l’ODARC ou les trois Chambres d’agriculture, un témoin s’exclamait : " Que reste-t-il alors comme capacité de contrôle aux services de l’État qui doivent déléguer des crédits, notamment européens, pour des dossiers qu’ils n’ont pas pu contribuer à instruire ? "

La commission a, au cours de ses travaux, pu constater à quel point il est désormais difficile, voire impossible en l’état, au ministère de l’agriculture et de la pêche de mener une politique agricole en Corse. En fait, les fonctionnaires de cette administration sont placés dans une situation d’infériorité complète face au monde agricole. La disproportion entre la faiblesse du nombre des agents de l’État, le manque d’informations à leur disposition, d’une part, et, d’autre part, la puissance d’organisation des quelques dirigeants agricoles qui dominent ce secteur, est frappante. En interrogeant des responsables administratifs chargé des affaires agricoles sur place, la commission d’enquête a pu mesurer le décalage très important entre les moyens d’action et la mobilisation des agents de l’État et la force et la détermination d’une partie de la profession agricole de l’île.

Jusqu’à présent, il semble que seuls les dossiers de la politique forestière, des industries agro-alimentaires et des mesures agro-environnementales, dans leur volet crédits d’État, ont fait réellement l’objet de contrôle ainsi que la plupart des actions dans le domaine viticole grâce à la présence d’une délégation régionale de l’ONIVIN.

Selon le ministère, la situation dans le secteur agricole n’est plus celle des fraudes massives prévalant avant 1994 et la publication du rapport Jacquot. Il n’en demeure pas moins que l’ODARC gère des sommes importantes sans faire l’objet de contrôle ni de l’État, ni dans les faits de la Collectivité territoriale de Corse elle-même.

– Le " vide sidéral " des dossiers

Un exemple relevé à propos des aides européennes au titre du FEOGA (tranches 1994-1995-1996) a été commmuniqué à la commission d’enquête : " En théorie, l’ODARC devrait conditionner l’octroi des aides qu’il alloue au respect des critères d’éligibilité définis dans le Docup, éventuellement précisés par le comité de programmation ou le comité national de suivi. En pratique, il n’est pas possible de vérifier la teneur des critères véritablement mobilisés par la commission technique permanente. Le compte rendu circonstancié des séances de la commission technique permanente (CTP) n’étant pas communiqué aux services de l’État, pas plus que la liste des critères réellement mobilisés, il n’est pas possible d’en apprécier la teneur. (…) Il en ressort que (….) l’État n’est appelé qu’à connaître des cas litigieux, tout bénéficiaire potentiel disposant de la possibilité de faire appel des décisions de la CTP devant le conseil d’administration. Quoiqu’il en soit, la lecture des comptes rendus de la CTP ne donne aucune indication sur les éventuels débats ayant lieu en commission, au sujet de l’interprétation des critères d’éligibilité. Les différents paragraphes de ces comptes rendus mentionnent invariablement : " la commission technique, après avoir procédé à l’examen des dossiers présentés, se prononce sur les aides à accorder suivant la liste qui figure à l’annexe n°…du présent procès-verbal. " "

Un témoin a indiqué devant la commission d’enquête : " L’ODARC n’est pas opérateur des principaux programmes qu’il finance. Dans la quasi-totalité des cas, il passe par des cascades de conventions avec différents partenaires, le véritable opérateur étant souvent une Chambre d’agriculture, plus particulièrement celle de Haute-Corse. L’office fournit aux offices et aux services de l’État des dossiers d’une régularité administrative parfaite, mais d’un vide sidéral du point de vue de leur contenu. "

– La grande " générosité " de l’office

Au cours de ses investigations, la commission d’enquête a noté que la commission technique permanente s’est réunie à quatre reprises seulement au cours de l’année 1996. Ce rythme paraît très faible, notamment au regard du nombre de demandes traitées. Ainsi, la CTP, qui a examiné pas moins de 743 dossiers de demandes d’interventions, en a accepté 726 pour un montant de subventions de 75,07 millions de francs. La commission, qui s’est rendue dans les locaux de l’ODARC en juin 1998, a demandé à ses responsables comment, en quatre réunions seulement, un tel nombre de dossiers aient pu être acceptés pour un montant aussi élevé. Les explications fournies à la commission d’enquête par ces dirigeants n’ont pas semblé très convaincantes. La commission d’enquête s’interroge sur le sérieux et la rigueur entourant le traitement de ces demandes.

La commission d’enquête a également demandé sur place si une exploitation agricole pouvait bénéficier plusieurs fois de subventions à des titres différents, en d’autres termes, si l’ODARC tient un fichier à jour des demandes d’aides permettant de savoir avec précision le nombre de fois où un agriculteur a sollicité l’assistance de l’office, le montant des subventions déjà obtenues. D’après les informations fournies à la commission d’enquête, ce fichier n’existe pas à l’ODARC. Les aides sont donc gérées au coup par coup sans que l’office ne se soit doté des moyens nécessaires lui permettant d’avoir une vision globale des destinataires exacts des aides.

Au terme de ses travaux, la commission a souhaité proposer une refonte importante du système d’aides agricoles tel qu’il est actuellement géré par l’ODARC. Ces préconisations figurent en dernière partie du rapport.

 

- Cliquer ici pour consulter la suite du rapport Partie II-A , annoncée ci-dessous.

II.–  Des dérives préoccupantes : du laxisme à la fraude

A.– De multiples dysfonctionnements et manquements à la légalité : quelques études de cas

 

- Cliquer ici pour retourner au sommaire général

 



© Assemblée nationale