La réforme de l’ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959
portant loi organique relative aux lois de finances.
Colloque de la Société française de finances publiques  le mercredi 6 septembre 2000 à l4assemblée nationale

La journée d'étude de la SFFP sur la réforme de l'ordonnance organique de 1959 s'est tenue à l'Assemblée nationale le mercredi 6 septembre 2000. Après un rapport introductif de Robert Hertzog et une communication de Mme Lucile Tallineau sur les propositions de réforme antérieures, M. Didier Migaud a rappelé les grandes lignes de sa proposition de loi. Le reste de la matinée a été consacré à l'amélioration du contrôle parlementaire avec les interventions de M. le Premier président Pierre Joxe, de MM. Jacques Barrot, Philippe Auberger, Jean-Pierre Delalande, Jean-Jacques Jégou, Michel Bouvier et Michel Lascombe. M. Henri Emmanuelli a conclu les débats.
L'après-midi, après une communication du directeur du budget M. Blanchard-Dignac, les interventions de Madame Nicole Bricq, MM. Gérard Saumade, Bernard Cieutat, Henri Guillaume, Jean-Pierre Lassale, Jean-Pierre Chevalier et Luc Saïdj ont porté sur la modernisation de la dépense et de la gestion publique.
L'allocution de clôture a été prononcé par M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale.

Discours de M. Raymond FORNI,
Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général,

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux que Monsieur Loïc Philip, Président de la Société Française de Finances Publiques, m'ait invité à conclure les travaux de ce colloque, consacré à la réforme de l'ordonnance de 1959, qui règle encore aujourd'hui les conditions dans lesquelles est voté le budget de l'Etat. Je lui adresse mes plus vifs remerciements, ainsi qu'à Monsieur Robert Hertzog, Secrétaire général, et je les félicite pour être parvenus à nous réunir aujourd'hui malgré de nombreuses contraintes, qui, par deux fois déjà, les ont amenés à différer ce colloque.

Je veux également remercier les membres du groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, que présidait mon prédécesseur, Monsieur Laurent Fabius, ainsi que les représentants de la Cour des comptes, et tout particulièrement son Premier Président, Monsieur Pierre Joxe. Je ne doute pas que la Cour des comptes continuera à nous apporter une aide précieuse dans les mois prochains. Mes remerciements vont enfin à tous les participants de ce colloque, qui, par la qualité de leurs interventions et de leurs échanges, ont contribué à nourrir notre réflexion sur une réforme aussi nécessaire qu'ambitieuse.

L'heure n'est plus aujourd'hui aux discussions générales sur la nécessité, maintes fois débattue, de faire évoluer l'ordonnance organique. Après tant de propositions et de déclarations d'intention sans lendemain, nous sommes à présent en mesure d'étudier un texte embrassant l'ensemble du sujet, et de le soumettre à l'examen des spécialistes, afin de l'améliorer et l'enrichir de leur réflexion. Je tiens à rendre un hommage tout particulier au remarquable travail de Monsieur Didier Migaud, Rapporteur Général du budget, qui a préparé cette proposition de loi.

Au terme de ces débats, je souhaiterais, pour ma part, souligner certains aspects plus politiques de notre projet.

Nous le savons bien, mais pourquoi ne pas le répéter, l'adoption de la loi de finances par le Parlement est un élément absolument essentiel de la vie démocratique. La technicité des débats auxquels nous nous livrons a pu le faire oublier, mais l'autorisation budgétaire et le consentement à l'impôt remontent aux sources mêmes des Parlements. C'est pourquoi, les conditions dans lesquelles les crédits se votent et les dépenses se prévoient sont intimement liées à l'idée de démocratie. C'est dire l'importance de l'ordonnance organique. Vous comprendrez par conséquent que, lorsqu'il soutient le projet de réforme de l'ordonnance, le Président de l'Assemblée nationale pense, certes, à la technique budgétaire, mais surtout à la démocratie parlementaire.

Le fondement de cette réforme, j'y insiste, réside dans la volonté de rendre la dépense publique plus transparente, mais aussi plus efficace et plus utile.

Plus transparente car elle doit permettre à chaque Français, par l'intermédiaire de ses élus, de mieux savoir ce qu'il advient de l'argent de ses impôts.

La réforme de l'ordonnance de 1959 devra permettre aux élus eux-mêmes, quels que soient leurs groupes politiques et les moyens dont ils disposent, de mieux comprendre les données du débat budgétaire. Ce doit être une de nos priorités et j'y serai particulièrement attentif. Aujourd'hui, seuls les experts ont une vision d'ensemble de la discussion du budget. Mais il n'y a pas de démocratie, notamment budgétaire, si elle n'est qu'une affaire de spécialistes. Le vote du budget de l'Etat est actuellement à la fois excessivement détaillé et trop parcellaire. Il est perçu à travers un prisme, qui fausse la lisibilité des différentes actions menées. La réforme que j'appelle de mes v_ux devra permettre de mettre fin à ce que d'aucuns appelleraient une « tromperie ». Une discussion budgétaire fondée sur des programmes et non plus sur des articles ou des chapitres, ainsi qu'une présentation intégrant les différentes débudgétisations, subtiles et discrètes, devraient permettre à chacun de mieux comprendre les enjeux du débat.

Transparence aussi en termes d'exécution des dépenses publiques par la production de comptes sincères et lisibles. L'Etat doit adopter à son tour les principes de bonne gestion qu'il a fait appliquer aux collectivités locales en les faisant sortir d'une comptabilité de caisse pour adopter une comptabilité moderne. De même, il impose aux petites entreprises de sortir d'un régime d'imposition simplifié lorsque leur chiffre d'affaires dépasse 5 millions de francs. Comment le budget de l'Etat, qui s'élève à 1 700 milliards de francs, pourrait-il continuer à être géré avec une comptabilité de caisse à peine améliorée ?

La réforme de l'ordonnance organique répond à une deuxième exigence : celle de l'utilité et de l'efficacité. Nous tous, élus, avons le désir et le devoir de justifier la dépense publique auprès de nos concitoyens, de leur assurer que ce qui est prélevé sur leurs revenus est correctement utilisé. Le gouvernement s'engage aujourd'hui dans un projet ambitieux de réduction de la pression fiscale ; cette évaluation stricte de l'utilité de chaque dépense y contribuera. Cette meilleure connaissance facilitera les arbitrages entre les dépenses et permettra que celles-là, et les prélèvements qui les financent, soit mieux acceptés par les citoyens.

De la même manière, la technique dite des « services votés » est certes expédiente mais elle prive le législateur de la possibilité de s'interroger sur l'utilité du premier franc de la dépense.

L'état d'esprit des élus a sensiblement évolué au cours des dernières années. Aujourd'hui, les parlementaires, toutes tendances confondues, entendent pouvoir :

- non seulement opérer les grands choix de politique budgétaire, durant l'examen des projets de loi de finances initiale et rectificative et constater la réalité des dépenses, lors du vote des lois de règlement ;

- mais aussi contrôler l'efficacité de la dépense. A cet égard, je me réjouis que le groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire ait apporté un nouvel élan à une mission trop longtemps délaissée par les parlementaires. Aujourd'hui, la Mission d'Evaluation et de Contrôle a repris le flambeau et son travail atteste de la nécessité du contrôle de l'efficacité des dépenses.

Les fonctionnaires entendus par la MEC ont à présent la conviction que les parlementaires peuvent apporter une importante contribution à l'amélioration de leur gestion quotidienne des finances publiques. Comme l'affirmait récemment le ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat, Monsieur Michel Sapin : « Faire passer l'administration d'une logique de moyens (je dépense ce que je reçois) à un logique de fonctionnement par objectifs et par résultats (je me vois assigner un certain nombre d'objectifs, je reçois pour cela un montant global de crédits et je rends compte à la fin de l'année des résultats obtenus)...[est] une véritable révolution ». C'est en effet une véritable révolution que de vouloir introduire une certaine « fongibilité » entre les crédits d'un même ministère. Mais elle ne se fera que si l'on donne aussi aux fonctionnaires les moyens de la réaliser et de l'assumer, en brisant le carcan budgétaire actuel, aussi pesant qu'inefficace.

Pour mener à bien la réforme de cette loi organique, nous devrons travailler ensemble, dépasser les querelles partisanes et partager une même vision de long terme. Ni de gauche ni de droite, cette réforme devra être fondée sur le consensus. Il nous faudra faire preuve d'audace et de détermination pour tenir ce cap à l'approche des échéances électorales qui, traditionnellement, paralysent les initiatives.

Je me suis récemment entretenu sur ce projet de réforme avec le Président du Sénat, Monsieur Christian Poncelet, qui en reconnaît la nécessité. J'attends aussi avec intérêt les propositions que nous fera le Président de la Commission des finances au Sénat, Monsieur Alain Lambert, dans les semaines à venir.

Et ici, à l'Assemblée nationale, les séances de la MEC présidées par Messieurs Augustin Bonrepaux ou Jean-Pierre Delalande, ou les questions émanant de Messieurs Jean-Jacques Jegou ou Pierre Forgues, témoignent d'une même attente et d'une même volonté de réviser l'ordonnance organique.

Il ne suffit pas de savoir où nous voulons aller : il nous faut également savoir comment et à quel rythme. Les enjeux sont importants et pourtant la précipitation n'est pas de mise. L'adoption d'un texte par le Parlement est évidemment nécessaire. Mais il faudra aussi faire comprendre aux fonctionnaires que cette réforme est une véritable chance pour faciliter, enrichir leur travail, redonner sens à la dépense publique ; il faudra, enfin, prendre le temps d'assurer leur formation.

Le règlement de l'Assemblée nationale prévoit que les textes modifiant les lois organiques relèvent traditionnellement de la compétence de la Commission des Lois. Mais le Président de la Commission des Finances, Monsieur Henri Emmanuelli, rappelait à juste titre que le texte que nous examinons concerne également les questions suivies par la Commission des Finances. De plus, je crois que pour mener à bien cette réforme, toutes les Commissions permanentes et les ministères devront nous faire part de leurs suggestions. C'est pourquoi, conformément à la lettre même de l'article 43 de la Constitution, l'idée de créer une Commission spéciale, formée de membres des six Commissions permanentes, a été retenue. Nous attendons la rentrée du Parlement en octobre pour pouvoir la créer. Et pour marquer l'importance que j'attache à cette réforme, je souhaite exercer moi-même la Présidence de cette Commission.

Mesdames et Messieurs, je suis convaincu qu'en son for intérieur, il n'est aucun parlementaire pour être aujourd'hui satisfait des conditions dans lesquelles est voté le budget de la France. Une occasion exceptionnelle se présente pour réformer l'Etat dans son action financière. Ne la laissons pas passer.