RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS (partie 1)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

_ Audition de MM. Olivier DOUVRELEUR, Sous-directeur à la Direction des affaires civiles et du Sceau, Jérôme DEHARVENG, magistrat, et Philippe LEMAIRE, Directeur adjoint à la Direction des services judiciaires du ministère de la Justice (3 février 1998)

_ Audition de MM. Bernard FIELD et Jean-François VERNY, respectivement Président et Vice-président de la Commission juridique et Président du groupe de travail « Tribunaux de commerce », accompagnés de Mme Joëlle SIMON, Directeur des affaires juridiques et Rapporteur du groupe de travail « Tribunaux de commerce » et de Mme Anne MOUNOLOU, Chef de service à la Direction générale des Etudes législatives, au CNPF (10 février 1998)

_ Audition de M. Christian DESCHEEMAEKER, Conseiller-maître chargé du secteur Justice à la 4ème Chambre de la Cour des comptes (10 février 1998)

Audition de MM. Olivier DOUVRELEUR, sous-directeur à la direction des affaires civiles et du sceau, Jérôme DEHARVENG, magistrat, et Philippe LEMAIRE, directeur-adjoint à la direction des services judiciaires du ministère de la justice

(procès-verbal de la séance du 3 février 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

MM.  Douvreleur, Deharveng et Lemaire sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Douvreleur, Deharveng et Lemaire prêtent serment.

M. Philippe LEMAIRE : Monsieur le Président, mesdames, messieurs, la direction des services judiciaires assure le suivi de la carte judiciaire, du fonctionnement et de l'organisation des juridictions. Elle est donc amenée, dans un cadre privilégié, à observer le fonctionnement de la juridiction commerciale. Elle élabore les textes législatifs et réglementaires relatifs au fonctionnement de cette juridiction, ceux relatifs à la carte judiciaire et à la fixation du nombre des magistrats consulaires. Elle propose les arbitrages et les affectations des moyens budgétaires et matériels alloués aux juridictions commerciales dans le cadre d'une gestion déconcentrée dont la responsabilité incombe de plus en plus aux chefs de cour d'appel. Elle assure traditionnellement un rôle de liaison avec les organismes représentant les magistrats consulaires et, en premier lieu et à titre principal, avec la Conférence générale des tribunaux de commerce. Enfin, elle assure le suivi de la déontologie et de la discipline des magistrats consulaires, puisque le directeur des services judiciaires, au nom du garde des sceaux, est commissaire du gouvernement devant la commission de discipline des magistrats.

Les tribunaux de commerce sont actuellement souvent mis en cause, notamment par voie de presse. Il convient toutefois de noter que cette mise en cause concerne essentiellement les agissements d'administrateurs judiciaires et de mandataires, les tribunaux de commerce se voyant reprocher de n'exercer qu'un faible contrôle sur leurs actes. Toute étude sur le fonctionnement des tribunaux de commerce doit bien distinguer ce qui relève des administrateurs judiciaires et ce qui relève du fonctionnement du tribunal de commerce.

Le tribunal de commerce est une très vieille institution qui fonctionne plutôt bien, en termes de délai d'évacuation des contentieux, de qualité globale des décisions considérée sous le seul angle du taux d'appel - 10 % selon la Conférence générale des tribunaux de commerce - et du faible taux d'infirmation des décisions de cour d'appel. Il donne généralement satisfaction aux usagers de cette justice, comme en témoignent les différents rapports qui ont été publiés à ce sujet.

Dans le même temps, et paradoxalement, cette justice commerciale fait l'objet de critiques de ceux-là même qui la louangent, c'est-à-dire les chefs d'entreprise et, principalement, la plus grande organisation patronale, le Conseil national du patronat français.

On suspecte son indépendance et son impartialité, on lui reproche ses modes de fonctionnement désuets, notamment en ce qui concerne le mode d'élection des juges - c'est une des critiques majeures exprimées par le CNPF - ou le non respect des règles de la gestion publique - c'est le constat fait par la Cour des comptes. Enfin, on critique la qualité de certaines décisions et on estime que les juges consulaires sont mal formés, insuffisamment préparés à assumer les nouveaux contentieux complexes, européens et internationaux. À l'exemple du CNPF, on la considère même parfois comme un frein à la concurrence.

D'une manière générale, la justice commerciale, partie importante de notre système judiciaire, n'échappe pas au besoin de justice exprimée de façon croissante par nos concitoyens, ni aux critiques formulées à l'encontre d'une institution jugée trop peu moderne.

Il faut savoir également que la justice commerciale, et c'est sa spécificité, se trouve au c_ur d'une compétition internationale, non seulement économique, mais aussi juridique. Une grande partie du contentieux commercial n'étant pas d'ordre public, de plus en plus de contrats, notamment internationaux, prévoient des clauses attributives de compétence qui écartent systématiquement la juridiction française du règlement de conflits éventuels. Sans que nous ayons à notre niveau des exemples précis, nous en avons de nombreux témoignages. Les critiques sur la justice commerciale doivent donc être repensées dans un cadre général, des solutions appropriées doivent être trouvées, afin que celle-ci puisse évoluer et se moderniser, notamment pour répondre à ces défis internationaux.

Les deux grands thèmes autour desquels s'articulent les critiques et les solutions pour y remédier sont, à nos yeux, l'organisation de l'institution et le statut des magistrats consulaires. S'agissant de l'organisation de l'institution, nous examinerons la carte des tribunaux de commerce et l'échevinage, les deux étant d'ailleurs liés, et les moyens alloués aux tribunaux de commerce. S'agissant des magistrats consulaires, nous évoquerons leur désignation, le bénévolat, la formation, la déontologie et la discipline.

J'évoquerai tout d'abord la carte. Il existe 227 tribunaux de commerce, à la suite de la suspension du tribunal de commerce de Montélimar, 23 tribunaux de grande instance statuant en matière commerciale en métropole, 7 tribunaux de grande instance d'Alsace-Moselle possédant une chambre commerciale échevinée, un tribunal de grande instance d'outre-mer statuant en matière commerciale - Saint-Pierre-de-la-Réunion -, 5 tribunaux mixtes de commerce dans les départements d'outre-mer - Basse-Terre, Pointe-à-Pitre, Saint-Denis-de-la-Réunion, Cayenne, Fort-de-France -, 5 tribunaux de première instance des territoires d'outre-mer statuant en matière commerciale. Cette énumération fait l'effet d'un inventaire « à la Prévert ».

C'est moins l'activité contentieuse que la charge de travail par magistrat qu'il est intéressant de connaître.

Les tribunaux connaissent un peu moins de 200 000 affaires contentieuses générales par an, soit 58 affaires par juge consulaire. Dans les TGI statuant en matière commerciale, qui couvrent un peu moins de 10 % des affaires commerciales générales traitées en France, un juge professionnel traite 600 affaires par an. S'agissant des 71 000 procédures collectives, un juge consulaire traite 16 affaires par an, alors qu'un magistrat professionnel en juge 327. Je rappelle que l'ensemble formé par les procédures collectives et les contentieux liés à ces procédures représente 50 % des affaires traitées par une juridiction commerciale ou une juridiction ordinaire statuant en matière commerciale. Sur les 227 tribunaux de commerce, 111 n'atteignent pas le seuil de 500 affaires nouvelles par an. Ils comportent, en moyenne, moins de 15 juges.

Ces chiffres doivent nous permettre de réfléchir à ce que doit être, à nos yeux, peut-être trop technocratiques, une justice commerciale moderne.

On constate une diversité de juridictions commerciales que seule peut expliquer l'histoire, mais qui est rigoureusement incompréhensible pour nos concitoyens. Ainsi, vous êtes jugé par des formations différentes à quelques kilomètres de distance. Par exemple, Béthune, le plus gros TGI statuant commercialement, est distant d'à peine quarante kilomètres de Lille, qui est l'un des plus importants tribunaux de commerce de France. De la même façon, pourquoi à la Réunion y a-t-il un tribunal statuant commercialement à Saint-Pierre, alors que de l'autre côté de l'île, à Saint-Denis-de-la-Réunion, c'est un tribunal mixte de commerce, avec une chambre échevinée, qui est compétent ? Certains départements possèdent de très nombreuses et trop petites juridictions, notamment dans l'ouest de la France, alors que des régions entières n'ont aucun tribunal de commerce.

On constate également que l'émiettement des tribunaux de commerce induit une charge trop faible d'affaires par juge pour que les décisions soient partout et toujours de bonne qualité. Je me permettrai de citer Robert Badinter qui, lors des débats parlementaires sur la loi du 25 janvier 1985, reprenant les propos de Jean Foyer, estimait que : « Une juridiction commerciale ne peut être bonne que dans la mesure où elle a des affaires suffisamment nombreuses à juger... De la même façon que l'on est grand chirurgien lorsqu'on opère souvent, il est rare que l'on puisse prétendre être un magistrat compétent lorsqu'on se prononce très rarement. »

En ce qui concerne les moyens en hommes, on estime que 330 équivalents temps plein de juges professionnels peuvent assurer la même tâche que 3 400 magistrats consulaires.

Comme toutes les statistiques, ces chiffres doivent être considérés avec précaution, mais ce sont des bases objectives de réflexion.

S'agissant de la réforme de la carte des juridictions commerciales, trois directions peuvent être prises : unifier, concentrer, réorganiser.

Unifier : il faut un seul type de juridiction commerciale sur l'ensemble du territoire. Trois solutions sont possibles : créer partout des tribunaux de commerce avec des juges élus, donner sur l'ensemble du territoire une compétence unique aux magistrats professionnels ou généraliser l'échevinage. Chaque formule a ses avantages et ses inconvénients.

S'agissant de la solution consistant à professionnaliser la justice commerciale, elle impliquerait la création de près de 330 postes de juges professionnels. C'est une question de priorité: la nation est-elle prête à recruter quelque 300 magistrats professionnels ? Le monde économique et financier y est par ailleurs largement hostile.

Cependant, une idée reçue mérite, à mon sens, d'être réfutée. Le contentieux commercial technique nécessite plus qu'une connaissance des usages du monde économique. Il requiert une connaissance juridique pointue. Les chefs d'entreprise qui embauchent actuellement des juristes de très haut niveau seraient, à mon sens, mal placés pour demander que les juges n'aient que la seule connaissance des usages.

S'agissant de la solution de l'échevinage, elle mêle dans une même formation juridictionnelle des magistrats professionnels et des magistrats élus, selon deux variantes majeures : soit le magistrat professionnel est membre de la formation de jugement qui reste présidée par un magistrat consulaire ; soit le magistrat professionnel préside et les assesseurs sont élus. Je rappelle que dans ce modèle, les assesseurs sont également juges-commissaires, chargés de suivre la procédure collective.

La première variante risque d'être assez mal perçue par les magistrats professionnels. Elle est pourtant proposée par le CNPF et par toute une partie de la profession. C'est une ouverture très intéressante à laquelle il convient que vous réfléchissiez. Il ne faut pas rejeter d'emblée cette proposition. C'est une avancée très importante dans l'évolution du monde économique et financier.

Vous ne serez pas étonné que nous trouvions la seconde formule extrêmement séduisante. Elle fonctionne très bien en Alsace-Moselle et chez une grande partie de nos voisins européens, notamment en Allemagne, en Belgique et en Italie. Les juges consulaires, en revanche, y sont très hostiles. Ils menacent de démissionner en bloc si une telle réforme est adoptée. Cette formation permettrait incontestablement d'assurer l'équilibre entre la connaissance juridique et la connaissance des usages du monde économique et commercial. Elle réunit des compétences d'origines différentes et permettrait d'assurer l'impartialité de la juridiction, notamment au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle nécessiterait de mettre immédiatement, dans la «corbeille de mariée», 330 magistrats professionnels. Est-ce une urgence ? C'est la question que nous nous posons tous les jours.

Une troisième solution consisterait dans le maintien et l'extension à l'ensemble du territoire des juridictions commerciales composées uniquement de juges élus. Cela impliquerait la modification des vingt-trois tribunaux de grande instance statuant commercialement et des formations mixtes.

Si l'on s'oriente vers cette solution, il est impératif de mettre fin à l'émiettement des juridictions commerciales. Il s'agit de la deuxième direction possible : concentrer. La contrepartie de l'extension des juridictions consulaires à la totalité du territoire est la concentration de la juridiction commerciale, pour toutes sortes de raisons sur lesquelles nous reviendrons, la première étant la nécessité impérative d'assurer un bassin d'élection des juges consulaires suffisamment large. En effet, les petits tribunaux de commerce n'ont pas la surface territoriale suffisante pour recruter des juges de qualité. Ils le disent d'ailleurs eux-mêmes. Cela permettrait certainement de constituer les grandes juridictions économiques et commerciales dont notre pays a besoin. Cette solution permettrait en outre - ce qui est demandé par tout le monde - d'assurer une présence effective des parquets devant la juridiction commerciale, par une meilleure adéquation entre la « carte » des procureurs de la République et celle des tribunaux de commerce.

Il importe cependant, notamment pour vous, élus, de connaître les implications d'une telle réforme. Une première approche, consistant à calquer la carte des tribunaux de commerce sur la carte des TGI impliquerait la suppression de 87 tribunaux de commerce et la création subséquente de 6 tribunaux de commerce. Une approche complémentaire consisterait à reprendre les critères définis par le rapport relatif à la carte judiciaire globale rédigé par M. Jean-François Carrez, qui fixait le seuil d'activité d'un tribunal de commerce à 500 affaires pour le contentieux général, soit environ 10 jugements par juge et par mois. Cette option conduirait à supprimer 111 tribunaux de commerce et à en créer 7. Je rappelle que dans cette hypothèse, les seuls tribunaux non touchés seraient les chambres mixtes d'Alsace-Moselle.

M. le Président : Leur ressort est-il rigoureusement le même que celui des TGI ?

M. Philippe LEMAIRE : Tout à fait.

La troisième direction que j'ai évoquée consiste à réorganiser : faut-il accroître la compétence des tribunaux de commerce, c'est-à-dire la « commercialité » ? Faut-il leur donner des compétences en matière bancaire et boursière ? Cela est demandé par certaines organisations, notamment le CNPF. Nous estimons qu'il ne sera pas temps d'accroître cette compétence tant que les tribunaux de commerce n'auront pas fait la preuve de leur réorganisation.

On peut dissocier l'implantation du tribunal de commerce de celle du greffe. Il convient de rappeler que pour être une bonne justice, la justice commerciale ne doit pas être une justice de proximité. En revanche, pour répondre au besoin de proximité en matière de formalités à accomplir pour les entreprises, il est envisageable, avec l'aide du greffier, d'implanter des antennes de greffe dans les lieux où on l'estimerait utile, sachant que les nouvelles technologies télématiques permettent d'accomplir certaines formalités à distance. Il est donc possible de concentrer la juridiction commerciale et de l'éloigner d'un contexte économique local parfois tendu tout en assurant une proximité avec nos concitoyens, par le biais de greffes détachés ou d'antennes de greffe.

En ce qui concerne les moyens alloués aux tribunaux de commerce, je développerai deux points : les crédits de fonctionnement des juridictions commerciales et les secrétariats des tribunaux de commerce.

Jusqu'à la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, le financement du fonctionnement des tribunaux de commerce était largement assuré par les collectivités locales, principalement le département et parfois par de généreuses aides des chambres de commerce et d'industrie en crédits, secrétariats et moyens divers. Ce système convenait d'ailleurs parfaitement aux juridictions commerciales, mais il faut reconnaître que le contrôle de la dépense était flou.

Après la loi de 1983, l'entretien des tribunaux de commerce est revenu à la charge de l'État. Les habitudes ont cependant perduré : mise à disposition sans contrepartie de personnel départemental, subventions diverses en nature de conseils généraux, voire de mairies, et surtout subventions des chambres de commerce et d'industrie, dont une partie transitait par les comptes personnels des présidents de tribunaux de commerce.

La Cour des comptes a demandé que cessent ces mécanismes de financement non conformes aux règles de gestion publique et préconisé la mise en place de fonds de concours pour gérer les crédits provenant de donateurs divers et destinés à améliorer le fonctionnement d'un service public de l'État. La Cour des comptes a davantage sanctionné la forme que le fond. Les tribunaux de commerce ont beaucoup rechigné à adhérer à ce nouveau mécanisme qu'ils trouvaient inutilement lourd. Les juges consulaires ont donc eu recours massivement à la création d'associations de magistrats consulaires qui recueillaient ces fonds redistribués pour assurer le fonctionnement de la juridiction, soit sous forme de salaires versés à des employés pour leur secrétariat, soit pour financer des déplacements de toutes sortes, la formation au centre de Tours, ou des manifestations diverses. Ces faits ont été dénoncés dans le dernier rapport public de la Cour de comptes.

Que doit-on en penser ? Comme le disent à juste titre les magistrats consulaires pour leur défense, on peut considérer que les moyens alloués par l'État aux tribunaux de commerce pour leur fonctionnement courant, environ 35 millions de francs par an, étaient très faibles. Il fallait donc bien trouver l'argent auprès d'autres commanditaires, c'est-à-dire principalement auprès des chambres de commerce et d'industrie. Mais on doit également considérer le peu d'empressement mis par les tribunaux de commerce à se conformer aux nouvelles règles de gestion pourtant rappelées solennellement par plusieurs circulaires de la Chancellerie. À notre sens, cela révélait le peu d'enthousiasme des magistrats consulaires à rendre des comptes sur leur gestion à leur nouveau tuteur.

Il est donc indispensable que l'État fasse un effort supplémentaire pour doter correctement les tribunaux de commerce en crédits de fonctionnement. Mais en retour, comme pour les autres juridictions, les tribunaux de commerce doivent professionnaliser leur gestion publique. Au demeurant, celle-ci est désormais très largement déconcentrée au niveau des cours d'appel et, à l'avenir, devrait être facilitée. Il est indispensable que disparaissent progressivement les liens financiers qui existent entre les tribunaux de commerce et les chambres de commerce et d'industrie qui, même par le biais des fonds de concours, sont de nature à jeter la suspicion sur l'impartialité des juges consulaires.

Les présidents des tribunaux de commerce ont, pour certains d'entre eux, et parfois dans de très modestes juridictions, développé des secrétariats très importants. En réalité, ces secrétariats constituaient trop souvent des « greffes bis » et entretenaient, de ce fait, de mauvaises relations avec les greffiers. J'ajoute que dans un certain nombre d'endroits les dépôts de bilan se faisaient non pas au greffe de la juridiction commerciale, mais auprès du secrétariat du président. Par ailleurs, cet entourage était, dans de nombreux cas, constitué de juristes qui rédigeaient les décisions ou assuraient au moins une mise en forme juridique. Cette situation n'était pas saine, d'autant que certaines juridictions, et non des moindres, entretenaient une confusion entre les différentes associations de juges consulaires, le secrétariat et le greffe.

Après de longues négociations avec la profession, le décret n°95-832 du 5 juillet 1995 a, en principe, remédié à cette situation en énonçant que le secrétariat d'un juge est, dans toute juridiction, assurée par un greffier. Il en va, là aussi, de son impartialité. Cette situation est parfois mal vécue dans les tribunaux de commerce, pour une mauvaise et pour une bonne raison. La mauvaise raison est que la disparition de secrétariats parfois pléthoriques a mis fin à certaines confusions et a obligé à une indispensable transparence dans le traitement des affaires. La bonne raison est que certaines juridictions se sont vu priver de collaborateurs de grand talent qui assuraient un réel travail juridique.

M. le Président : Quel était leur statut ?

M. Philippe LEMAIRE : Ils n'en avaient pas. Certains étaient d'anciens fonctionnaires territoriaux, d'autres étaient rémunérés directement par des organismes syndicaux patronaux, d'autres encore étaient des cadres de l'entreprise du président du tribunal de commerce. Sur ce point, nous avons bénéficié pleinement de l'aide de la profession, consciente de la nécessité d'une rénovation. Le décret du 5 juillet 1995 a ainsi été pris dans un relatif consensus entre les greffiers, les juges consulaires et nous-mêmes.

Cela dit, pour les juges consulaires, le besoin demeure d'être entouré de juristes de qualité pour les aider dans leurs décisions, besoin d'ailleurs également exprimé par les magistrats professionnels. Nous suggérons que soit étendu aux juridictions commerciales le mécanisme des assistants de justice prévu par la loi n°95-125 du 8 février 1995. Cette dernière ne prévoit, pour l'instant, l'affectation d'assistants de justice qu'auprès des tribunaux d'instance, des tribunaux de grande instance et des cours d'appel. La question des secrétariats est sensible. Elle vous sera reposée. Nous souhaitons le maintien du dispositif prévu par le décret du 5 juillet - même s'il convient peut-être de l'améliorer -, parce que c'est un point capital pour la gestion et la modernisation des tribunaux de commerce.

J'évoquerai ensuite l'élection, le bénévolat, la formation, la déontologie et la discipline des magistrats consulaires.

Il importe de dynamiser le processus électif. À l'heure actuelle, le système est beaucoup trop fondé sur la cooptation. Il existe même des associations particulières, telles que le comité intersyndical pour les élections consulaires (CIEC), qui, en région parisienne, fait passer des tests préalables aux éventuels candidats dans des conditions non définies. Seriez-vous prêts, pour être candidats aux élections législatives, à vous soumettre à des tests psychologiques, des épreuves écrites ou orales ? L'idée est peut-être bonne, mais elle n'est pas prévue par les textes.

M. le Président : Cela n'existe-t-il qu'à Paris ?

M. Philippe LEMAIRE : Cela se pratique en Île-de-France. Il existe d'autres systèmes dans d'autres juridictions. Dans le nord de la France, par exemple, de très vieux accords, tenus d'ailleurs très secrets, prévoient une proportion prédéfinie d'industriels du textile, d'industriels de la métallurgie, de représentants de la banque, etc. Ces mécanismes sont contraires au principe de l'élection. Il faut y mettre un peu d'ordre, afin de revenir à de vraies élections, ce qui pose la question du bassin de recrutement liée, naturellement, à celle de la carte des juridictions commerciales.

Le bénévolat est consubstantiel au mécanisme de l'élection. Si on veut continuer d'avoir des magistrats consulaires du type français, qui présentent l'avantage d'être un bon compromis entre le juge et l'arbitre, les juges doivent rester bénévoles. En effet, rémunérer ou indemniser des juges élus non professionnels, ne présenterait pour l'État, et notamment ses finances publiques, pas d'avantage par rapport à la rémunération de juges professionnels. Il suffirait, dans ces conditions, de prévoir d'engager comme juges des gens ayant suivi un certain cursus professionnel. Le bénévolat implique le recrutement de vrais chefs d'entreprise et de vrais commerçants. Or, notamment dans les grands tribunaux de commerce, le nombre de juges consulaires qui ne sont en réalité que des cadres salariés de grandes entreprises ou de grandes institutions à caractère financier tend dangereusement à augmenter. Ces cadres sont souvent mis à disposition complète du tribunal de commerce par ces entreprises et ces institutions financières, qui ne font pas de philanthropie. Par conséquent, cet investissement, car c'en est un, pose véritablement le problème de l'indépendance et de l'impartialité de ces juges, sans parler des compétitions qu'il entraîne pour l'élection à des postes clés de certains tribunaux de commerce, comme la présidence des grandes juridictions. Paradoxalement, ces cadres sont souvent des techniciens juridiques de haut niveau et apportent une incontestable professionnalisation aux tribunaux de commerce. Il convient, par conséquent, de veiller à la diversité des origines des magistrats consulaires. Si le système était maintenu, il faudrait veiller à ce que ces cadres de haut niveau soient au moins mandataires sociaux, c'est-à-dire responsables de leur entreprise et obligés de continuer leurs actes de gestion.

Il est certain que la formation constitue un des éléments clés pour faire évoluer la juridiction commerciale. Il n'existe pas actuellement de formation officielle des magistrats consulaires. Sous l'impulsion du président Jacques Bon, qui était à la fois président du tribunal de commerce de Paris et président de la Conférence générale des tribunaux de commerce, a été créé, il y a une dizaine d'années, un centre de formation à Tours qui permet à un certain nombre de magistrats consulaires de suivre des formations, le week-end ou pendant quelques jours, dans des locaux prêtés par l'École supérieure de commerce de Tours, avec des financements principalement alloués par le conseil général de l'Indre-et-Loire. À ce propos, la Cour des comptes a rappelé qu'il n'appartenait pas à une collectivité territoriale particulière de financer une action qui relevait de la compétence de l'État. Le centre de Tours risque de fermer à cause de l'arrêt de l'octroi de cette subvention. La Chancellerie a décidé - le garde des sceaux l'a annoncé lors des dernières assises nationales de la Conférence générale des tribunaux de commerce - d'accorder une subvention d'un million de francs au centre de formation de Tours. L'ensemble des problèmes posés par la formation n'en sera pas pour autant réglé.

Faut-il un centre de formation national pour l'ensemble des magistrats consulaires ? La réponse est « oui ». On aurait pu envisager de confier cette formation à l'École nationale de la magistrature. Mais pour la formation initiale, elle ne nous paraît pas être un instrument approprié, car l'École nationale de la magistrature doit former des jeunes gens en principe au plus haut niveau technique et les ouvrir à la vie. Pour les magistrats consulaires, c'est l'inverse : ils sont expérimentés, mais il faut les ouvrir aux techniques du droit.

M. le Président : Ne pourrait-on les faire se rencontrer ?

M. Philippe LEMAIRE : Bien entendu. Mais pour être efficace, il faut prévoir des formations initiales ciblées.

En revanche, on peut faire intervenir l'École nationale de la magistrature dans la formation continue. D'ores et déjà, des actions conduites par certains chefs de cour associent magistrats professionnels - principalement les magistrats des chambres commerciales des cours d'appel - et magistrats consulaires. J'ajouterai que, de toute façon, le subventionnement du centre de formation de Tours devrait s'inscrire dans un projet pédagogique. Nous avions proposé de longue date cette subvention, mais nous avions mis comme condition l'élaboration d'un projet pédagogique. Nous ne l'avons pas encore obtenu. On nous l'a promis pour la semaine prochaine. Nous sommes allés visiter le centre de Tours. Il doit être maintenu. Il existe toutefois une certaine consanguinité dans la formation des magistrats consulaires. Ce sont les magistrats consulaires qui parlent aux magistrats consulaires. On retrouve d'ailleurs le même défaut dans les autres formations de juges.

M. le Président : Ce n'est pas votre sujet.

M. Philippe LEMAIRE : Il convient donc d'ouvrir cette formation, celle-là comme les autres.

J'en viens à la déontologie et à la discipline.

En l'état actuel du droit, les obligations auxquelles les juges consulaires sont soumis en raison de leurs fonctions juridictionnelles sont celles contenues dans le nouveau code de procédure civile, dans les lois particulières ou dans le code de l'organisation judiciaire.

Les principaux textes du nouveau code de procédure civile sont les articles 339 et 341 sur l'abstention, la récusation, et l'article 16 qui prescrit au juge, en toutes circonstances, de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction. L'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation des entreprises précise que toute personne ayant participé, à un titre quelconque, à la procédure collective ne peut se rendre acquéreur pour son compte, directement ou indirectement, des biens du débiteur. Enfin, le code de l'organisation judiciaire définit les conditions d'éligibilité des juges consulaires et le régime électoral qui leur est applicable. En revanche, aucun texte général ne définit les obligations et les devoirs des juges consulaires ni ne fixe les règles d'incompatibilité. Dans ce dernier domaine, il y a sans doute quelques travaux à faire, car on peut s'interroger, par exemple, sur le point de savoir si l'on peut être à la fois maire et juge consulaire.

En matière de déontologie, nous proposons de faire preuve d'une grande prudence vis-à-vis de l'élaboration de textes spécifiques.

M. le Président : C'est le magistrat qui ressort !

M. Philippe LEMAIRE : Définir ce qu'est un bon juge est une vaste entreprise qui n'est pas sans péril...

Le corpus de textes actuel n'est pas si mauvais. Il suffirait parfois de l'appliquer réellement, notamment en matière de procédures collectives. De plus, il faudrait sans doute, comme je le disais tout à l'heure, revenir sur les règles d'incompatibilité. La proposition faite dans le rapport du CNPF relative à la déclaration d'intérêts que ferait tout juge consulaire avant de prendre ses fonctions nous paraît extrêmement intéressante, bien que sans doute difficile à mettre en _uvre. Nous émettons une seule réserve : peut-on imposer une telle obligation à un juge consulaire ? Cela ne pose-t-il pas un problème général pour l'ensemble des élus ?

En tout cas, il nous paraît plus réaliste, dans l'immédiat, de nous pencher sur la discipline des tribunaux de commerce. Elle est insuffisamment exercée, pour des raisons diverses. Je rappelle que la procédure disciplinaire des magistrats consulaires relève d'une commission nationale de discipline créée par la loi n°87-550 du 16 juillet 1987. Elle est présidée par le président de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Elle comprend un membre du Conseil d'État, deux magistrats des sièges des cours d'appel et quatre membres des tribunaux de commerce élus par l'ensemble des présidents des tribunaux de commerce. Elle peut être amenée à prononcer un blâme, la déchéance du magistrat consulaire, lorsque ce dernier a commis un manquement à l'honneur, à la probité, à la dignité et au devoir de sa charge. La commission est saisie par le garde des sceaux après audition par le président du tribunal de commerce du juge consulaire visé par la procédure disciplinaire ou par les chefs de la cour d'appel. Outre le blâme et la déchéance, cette commission peut prononcer une suspension provisoire limitée à six mois, renouvelable une fois.

M. le Président : Ne suffit-il pas de démissionner pour échapper à la commission ?

M. Philippe LEMAIRE : Si, et c'est bien là tout le problème. C'est ce que nous proposons, avec d'autres, de modifier. Car il y a eu beaucoup plus de poursuites disciplinaires engagées qu'on ne le dit : douze dossiers en 1993, dix en 1994, dix en 1995, quatorze en 1996, dix-sept en 1997. En réalité, elle ne parviennent pas à leur terme, car assez souvent, un magistrat consulaire qui fait l'objet d'une poursuite disciplinaire démissionne de ses fonctions ou est très fortement incité à le faire par la profession.

M. le Président : La juridiction pénale est-elle parfois saisie ?

M. Philippe LEMAIRE : Oui, cependant, beaucoup de faits relèvent d'une procédure disciplinaire, mais pas d'une procédure pénale.

M. le Rapporteur : Sur la cinquantaine de dossiers que vous évoquez, combien de décisions ont été prises ?

M. Philippe LEMAIRE : Quatre, ce qui est très faible. Il y a tout de même eu la révocation d'un président de tribunal de commerce, celui de Chatellerault.

Si on veut faire fonctionner la procédure disciplinaire, on peut la faire fonctionner. Cela nécessite de modifier le texte sur la démission. Il nous semble que vis-à-vis de l'extérieur, ce n'est pas la même chose d'avoir démissionné que d'avoir été sanctionné par la commission de discipline.

En outre, un juge consulaire démissionnaire peut se représenter aux élections. Nous n'avons aucun moyen de l'en empêcher puisque, par la force des choses, il n'a pas été sanctionné disciplinairement. Des modifications législatives sont proposées. Elles le sont dans plusieurs rapports, notamment dans celui du CNPF.

M. le Rapporteur : Avez-vous dénombré l'écart entre le nombre de poursuites engagées et les démissions motivées par le souhait de ne pas être sanctionné dans le cas des cinquante dossiers que vous évoquiez ?

M. Philippe LEMAIRE : Non, mais on pourrait réaliser des études plus précises.

M. Gérard CHARASSE : Quel est le nombre de démissions négociées ?

M. Philippe LEMAIRE : Nous ne pouvons pas vous fournir de chiffre puisque, par définition, nous ne le savons pas.

Je conclurai rapidement.

_ L'échevinage est pour nous un choix politique. La révision de la carte est une nécessité si l'on étend la juridiction commerciale à l'ensemble du territoire. C'est urgent et réaliste.

_ Il faut renforcer les moyens alloués aux tribunaux de commerce et professionnaliser leur gestion avec le maintien, voire l'amélioration des textes sur le secrétariat.

_ Il faut dynamiser le mécanisme de l'élection et veiller au recrutement de chefs d'entreprise et de commerçants.

_ Il faut développer la formation sous le contrôle et avec, le financement de l'État.

_ Il faut affermir la déontologie et renforcer le contrôle disciplinaire. On peut se demander s'il faut créer un Conseil national des tribunaux de commerce ou si, au contraire, il faut renforcer le pouvoir disciplinaire des chefs de cour et celui du Conseil supérieur de la magistrature.

M. le Président : Nous allons maintenant vous poser quelques questions. Pour ma part, je me bornerai à solliciter votre point de vue sur les clauses attributives de compétence excluant les tribunaux de commerce français du règlement des conflits éventuels nés de l'application d'un contrat, ce qui, dans le contexte actuel, est très préoccupant.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous fournir une évaluation, après quelques années de fonctionnement, de l'octroi des compétences boursières aux juridictions professionnelles et spécialisées, notamment à la cour d'appel de Paris, en termes de célérité, de fiabilité et de sécurité juridique, puisque le retour de ces compétences à leur lit naturel que sont les tribunaux de commerce a été un des débats engagés avec la Chancellerie ?

M. Christian MARTIN : Dans votre esprit, l'unification peut-elle aller jusqu'à transférer des TGI aux tribunaux de commerce la compétence à l'égard d'associations, lorsqu'elles interviennent dans le secteur commercial ?

Vous avez dit que la gestion des tribunaux de commerce était un peu floue lorsque ceux-ci étaient financés par les conseils généraux. Ayant assumé cette charge pendant de très nombreuses années, permettez-moi de vous dire que c'était alors beaucoup plus simple, efficace et clair qu'actuellement ! Pardonnez-moi de vous le dire brutalement, mais c'est ainsi.

M. Jacky DARNE : J'aimerais obtenir des éléments d'appréciation sur la présence et l'intervention du ministère public auprès des tribunaux de commerce. Sa présence est, dit-on, plus théorique que pratique. Qu'en est-il exactement ?

Avez-vous des statistiques sur les fonctions passées et en cours des juges consulaires ? Du point de vue sociologique, s'agit-il principalement de cadres de grosses entreprises ou de cadres d'entreprises indépendantes ?

M. le Président : En d'autres termes, vous voulez savoir s'il existe des dynasties de juges, à Lyon ou à Lille par exemple.

M. Philippe LEMAIRE : Les éléments sur les clauses attributives de compétence dont nous disposons nous ont été fournis oralement par diverses sources. La question est abordée dans le rapport du CNPF. J'ai eu la prudence de dire que nous n'avions pas d'éléments précis. Nous ne pouvons pas produire de contrats qui incluraient de telles clauses.

M. le Président : Quelle autorité pourrait avoir une vision précise de cette question ?

M. Philippe LEMAIRE : Les organismes patronaux.

M. Jacky DARNE : Quelles raisons motivent le fait que les tribunaux étrangers sont préférés aux tribunaux français ?

M. le Président : Je suppose que cela est dû au renvoi à un arbitrage?

M. Philippe LEMAIRE : Ou à une clause de compétence d'une juridiction étrangère.

M. le Président : Principalement en Allemagne, paraît-il?

M. Philippe LEMAIRE : En Allemagne et à Genève, traditionnellement.

M. Olivier DOUVRELEUR : S'agissant de l'arbitrage, les chambres arbitrales pourraient être interrogées. Elles opposeront peut-être une fin de non-recevoir en disant qu'elles ne sont pas habilitées à vous renseigner. Il est certain que Paris est un centre d'arbitrage important. La ville est ainsi le siège de la chambre arbitrale de la chambre de commerce internationale de Paris, qu'il ne faut pas confondre avec la chambre de commerce et d'industrie de Paris. Les tribunaux de commerce sont « répudiés » soit au profit de l'arbitrage, soit au profit de juridictions étrangères. Ce sont deux pistes différentes, difficiles à explorer l'une et l'autre.

M. Philippe LEMAIRE : Concernant l'évaluation des compétences boursières et bancaires confiées aux juridictions de l'ordre judiciaire, et notamment à la cour d'appel de Paris statuant en appel des décisions du Conseil de la concurrence, je pense que les professionnels perçoivent cette dernière comme rendant une justice rapide et compétente. J'ajoute que nous y avons mis les moyens en hommes, tant en qualité qu'en quantité. Ainsi, la nomination du premier président Guy Canivet à la tête de la cour d'appel de Paris a été le signe majeur de l'intérêt que portait l'institution judiciaire à ce contentieux.

M. Olivier DOUVRELEUR : La cour d'appel de Paris a des compétences nouvelles - puisqu'elles résultent d'une loi de 1989 -, mais les tribunaux de commerce ne sont pas pour autant dessaisis en matière de contentieux boursier. Ils restent compétents en matière boursière lorsqu'il ne s'agit pas pour le juge de connaître de la décision d'une des autorités de marché, c'est-à-dire la commission des opérations de bourse et, maintenant, le Conseil des marchés financiers.

Les recours contre ces décisions sont portés devant la cour d'appel de Paris, dans les conditions rappelées par mon collègue. Elle s'acquitte de sa mission à la satisfaction générale. J'espère ne pas être trop optimiste, mais je crois que du point de vue de la qualité, de la motivation de ses décisions et des délais dans lesquels elles sont rendues, le constat est très positif. En dehors de ce domaine, les tribunaux de commerce restent compétents, comme ils l'étaient auparavant, lorsqu'il s'agit de départager des parties, des commerçants, des sociétés qui s'opposent à propos des conditions d'une opération. Le problème des franchissements de seuils, par exemple, relève du contentieux boursier et reste de la compétence des tribunaux de commerce. Un certain nombre d'affaires récentes ont donné lieu à des jugements rendus par les juridictions de « droit commun », en l'occurrence, le tribunal de commerce.

M. Philippe LEMAIRE : Pour ce qui est du contentieux des associations qui déposent leur bilan et qui, en réalité, constituent les éléments d'actifs d'une entreprise qui a elle-même déposé son bilan devant le tribunal de commerce, je suis favorable à ce qu'il y ait une unification des compétences juridictionnelles.

M. le Président : Vous feriez juger des procédures collectives concernant des associations et des coopératives agricoles uniquement par des commerçants ?

M. Philippe LEMAIRE : Il faut être cohérent. Si vous décidez de professionnaliser les tribunaux de commerce et d'unifier, il faut aller jusqu'au bout. La situation visée est celle, insupportable pour les tribunaux de commerce comme pour nos collègues des TGI, dans laquelle une entreprise dépose son bilan devant le tribunal de commerce et où ses actifs sont placés dans une société civile immobilière, elle-même nécessairement en cessation des paiements, qui se retrouve devant un tribunal de grande instance. Il y a là une disparité de juges qui est difficilement compréhensible pour le justiciable et qui rend la résolution de la faillite complexe. À partir du moment où l'on confie la gestion des procédures collectives à des tribunaux de commerce rénovés, je ne vois pas pourquoi on établirait une distinction.

En revanche, je reconnais volontiers avoir eu des paroles très imprudentes à l'égard des conseils généraux. Que l'on me pardonne, je visais principalement la période transitoire entre le vote de la loi sur le transfert des charges de 1983, l'entrée en vigueur effective de cette loi en 1987 et son application effective dans les tribunaux de commerce, une dizaine d'années plus tard.

M. le Président : Tous les conseils généraux n'ont pas été exemplaires !

M. Christian MARTIN : Les discussions étaient plus simples!

M. Philippe LEMAIRE : Tout à fait. La gestion étatique correspond à d'autres mécaniques et à d'autres centres d'intérêt. C'est à nous de la rendre moins lourde. Si cela vous intéresse, je pourrai revenir sur les propositions d'allégement de cette gestion.

Avant de donner la parole à mon collègue sur l'intervention du ministère public, je vous signalerai que nous avons obtenu des éléments sur l'origine et la fonction des magistrats par l'intermédiaire de la Conférence générale des tribunaux de commerce. Ils pourront vous fournir des éléments encore plus précis. À notre connaissance, il n'y a pas de dynasties de juges consulaires. En revanche, et c'est un élément important, il y a incontestablement des dynasties de greffiers de tribunaux de commerce.

M. le Président : Je vous suggère maintenant de nous faire une présentation générale du problème des procédures collectives.

M. Olivier DOUVRELEUR : J'introduirai brièvement le sujet avant de donner la parole à mon collègue Jérôme Deharveng, plus particulièrement chargé, à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, du suivi des procédures collectives. Cette direction a des compétences dans le domaine qui vous intéresse, même si la compétence première revient à la direction des services judiciaires. Outre le Bureau du droit commercial, d'autres services de la direction des affaires civiles ont des compétences dans le domaine des tribunaux de commerce, puisqu'ils s'occupent des greffes des tribunaux de commerce, ainsi que les auxiliaires indispensables que sont les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

La direction des affaires civiles est compétente pour la législation applicable en matière de procédures collectives, régies par la loi n°84-148 du 1er mars 1984 sur la prévention des difficultés des entreprises et la loi n°85-98 du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaire des entreprises. Ce sont les gardes des sceaux qui ont soutenu ces textes et qui ont présenté devant le Parlement les différentes réformes réalisées en ce domaine. La dernière en date, résultant d'une proposition de loi, est celle du 10 juin 1994.

La direction des affaires civiles a aussi pour mission de suivre l'application de ces législations et la jurisprudence. Elle doit examiner quels problèmes se posent et quelles modifications il convient d'apporter, par la loi ou par le règlement, aux dispositifs juridiques en vigueur. Le secteur des procédures collectives se distingue des autres secteurs du droit dont s'occupe la direction des affaires civiles en ceci qu'on ne se contente pas de suivre la jurisprudence. En effet, certaines affaires, par les conséquences économiques et sociales qu'elles emportent, sont suivies avec attention par les pouvoirs publics, c'est-à-dire non seulement le ministère de la justice, mais aussi d'autres ministères. Il va de soi que le ministère de l'industrie se préoccupe du sort de telle entreprise industrielle en cessation des paiements qui est entre les mains d'un tribunal de commerce, ou que le ministère de l'économie et des finances n'est pas indifférent aux difficultés de tel établissement bancaire. Par conséquent, dans ce domaine, le ministère de la justice joue son rôle en liaison avec les autres ministères, dans le cadre d'un dialogue interministériel assez classique.

Il est certain que la plupart des critiques adressées aux tribunaux de commerce visent les procédures collectives. Sur le plan médiatique, en tout cas, lorsqu'un article de presse fait état de tel ou tel « dysfonctionnement », pour employer un terme pudique, dans tel ou tel tribunal de commerce, c'est en réalité une procédure collective qui est en jeu. Il est assez rare que la presse étaie les critiques qu'elle adresse au fonctionnement des tribunaux de commerce sur des affaires relevant du contentieux général et ordinaire. Je ne veux pas dire par là qu'il n'y aurait de problèmes que dans le domaine des procédures collectives, mais chacun peut constater que les critiques adressées aux tribunaux de commerce se focalisent sur le déroulement des procédures collectives et le comportement de leurs protagonistes, à savoir les juge, naturellement, les auxiliaires de justice --administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs - et les greffiers.

M. le Président : Et le parquet ?

M. Olivier DOUVRELEUR : J'allais y venir. Le parquet est, par nature, dans une situation différente, mais sa présence est une de nos préoccupations majeures.

Les procédures collectives présentent une originalité qui les sépare radicalement du contentieux ordinaire, qu'il soit porté devant le tribunal de commerce ou devant une autre juridiction. Normalement, l'office du juge, quand il ne statue pas en matière pénale, est de départager deux personnes en conflit, de trancher un litige en appliquant le droit et en fonction des faits tels qu'ils sont allégués et présentés par les parties et compte tenu des éléments de preuve apportés. Tel n'est absolument pas le cas dans le cadre des procédures collectives. Je suis convaincu que, de ce point de vue, les procédures collectives constituent vraiment un domaine à part. Elles répondent à une logique, à des mécanismes et à des principes qui ne sont pas ceux du contentieux général. Y a-t-il lieu d'en tirer des conséquences ? En tout cas, puisque vous nous invitez à nous exprimer sur les procédures collectives, c'est un point qui doit être souligné.

La particularité des procédures collectives se manifeste dans la procédure elle-même. Je le répète, son objet n'est pas de « vider » un contentieux ou de départager des parties qui s'opposent entre elles, mais de redresser une entreprise et, à défaut, de la liquider. Pour ce faire, le tribunal doit être conscient des conséquences économiques et sociales des décisions qu'il sera amené à rendre. Il doit surtout intégrer dans ses décisions une série de critères et d'éléments.

M. le Président : Le fait-il ?

M. Olivier DOUVRELEUR : Le fait-il suffisamment ? En tout cas, il doit le faire en vertu de la mission que la loi de 1985 lui impartit dès son article 1er. Je crois que les tribunaux de commerce sont conscients de l'impact économique et social de leurs décisions. On ne peut pas leur faire ce grief. S'acquittent-ils correctement de cette tâche ?

M. le Président : Est-ce une conscience épiphénoménale ou est-ce une conscience suivie d'un acte positif ? Que tout le monde soit conscient de l'importance de ces procédures, c'est heureux. Mais les tribunaux de commerce sont-ils efficaces ? Le service social rendu correspond-il à ce que l'on peut en attendre ? C'est bien de ce point de vue que la question se pose pour la Chancellerie ?

M. Olivier DOUVRELEUR : À ce sujet, les éléments statistiques que vous fournira mon collègue apporteront peut-être des éléments de réponse.

Pour terminer, monsieur le Président, je rappellerai une autre évidence, à savoir que cette procédure est dirigée par le juge. Elle se distingue de ce fait radicalement du contentieux civil général. On n'est pas en présence de deux parties qui saisissent un arbitre extérieur et impartial. Certes, le débiteur et le créancier ont un rôle important, prévu par la loi, mais je considère que ce rôle est secondaire dans le déroulement de la procédure. Cela est dans la nature des choses. En revanche, le juge-commissaire joue un rôle considérable. En d'autres termes, en cas de procédure mal conduite, toutes les conditions sont réunies pour aboutir à des résultats catastrophiques.

S'agissant des voies de recours, là aussi, la situation juridique est complètement dérogatoire au droit commun. Je m'empresse de dire que la limitation des voies de recours paraît justifiée par les nécessités de la procédure.

M. le Président : Explique-t-elle la faiblesse des taux d'appels dont se flattent les tribunaux de commerce ?

M. Jérôme DEHARVENG : Elle peut en être à l'origine.

M. Olivier DOUVRELEUR : Elle peut en être à l'origine, en effet. Je rappellerai un élément important qui est la possibilité donnée au parquet, au procureur de la République, d'exercer des recours.

M. le Président : Est-ce qu'il l'utilise ?

M. Olivier DOUVRELEUR : Oui.

M. le Président : Beaucoup ?

M. Olivier DOUVRELEUR : L'utilise-t-il assez ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord en examiner une autre, plus générale et fondamentale, qui est de savoir quelle est aujourd'hui la présence effective du parquet dans le déroulement des procédures collectives ? Car, naturellement le parquet ne se pose la question de savoir s'il convient d'exercer un recours que s'il a, au préalable, manifesté un intérêt pour la procédure. De ce point de vue, la direction des affaires civiles considère qu'il convient absolument de renforcer la présence du parquet dans le déroulement des procédures collectives. Nous travaillons d'ailleurs sur des projets de modification des textes. Cela nous paraît être une garantie indispensable.

La présence du parquet peut, le cas échéant, se concrétiser par l'exercice de droits de recours lorsque les objectifs d'intérêt général de la loi, qui figurent aux articles 1er et 2 de la loi de 1985, ne paraissent pas suffisamment satisfaits par le déroulement de telle ou telle procédure. La présence accrue du parquet est l'un des axes majeurs des réformes à apporter au dispositif juridique applicable en matière de procédures collectives. Un deuxième axe est celui de la transparence des procédures collectives, et de la nécessaire indépendance du tiers repreneur par rapport au débiteur par exemple.

M. le Président : Cette introduction générale nous montre que vous êtes conscients d'un certain nombre d'imperfections de l'institution. Vous nous annoncez des textes en préparation.

Concrètement aujourd'hui, le parquet est-il présent ? Quel intérêt défend-il ? Participe-t-il à d'autres audiences que la rentrée solennelle du tribunal de commerce pour dire quelques mots ? Souhaitez-vous que les magistrats soient notés en fonction de leur présence devant les tribunaux de commerce ? Bien qu'ils soient, paraît-il, indépendants, leur envoyez-vous des circulaires ? Intervenez-vous dans des affaires précises ?

M. Jérôme DEHARVENG : Olivier Douvreleur a rappelé que la direction des affaires civiles et du sceau élabore des textes législatifs et réglementaires relatifs au droit des entreprises en difficulté. Elle remplit aussi une fonction d'expertise auprès des parquets intervenant dans le cadre juridique des procédures collectives.

M. le Président : Cela signifie-t-il que vous êtes saisi par les parquets ou bien que vous vous saisissez vous-même ?

M. Jérôme DEHARVENG : Je suis saisi par les parquets qui m'interrogent lorsque se présentent des difficultés juridiques ou lorsqu'un dossier est d'une telle complexité économique qu'ils souhaitent avoir une indication sur l'attitude à adopter à l'audience. En outre, conséquence du travail interministériel, il y a une sensibilisation des parquets aux enjeux des procédures lorsque tel ou tel ministère est alerté sur un dossier.

M. le Président : Vous êtes saisi d'ordinaire par les procureurs, qui vous téléphonent pour vous faire part de leurs difficultés sur une affaire ?

M. Jérôme DEHARVENG : La plupart du temps, c'est l'inverse.

M. le Président : Il est clair que les procureurs ne prennent pas l'initiative d'utiliser cette voie, à l'exception de quelques procureurs généraux « conscientisés ».

M. Jérôme DEHARVENG : Les procureurs prennent moins l'initiative d'avoir recours aux services de la Chancellerie que l'interministériel.

M. le Président : En six mois, par exemple, combien de fois des procureurs se sont-ils adressés directement à vous ?

M. Jérôme DEHARVENG : Une dizaine de fois.

M. le Président : En six mois, vous avez été saisi par dix procureurs pour dix affaires ?

M. Jérôme DEHARVENG : À peu près.

M. Robert GAIA : Sur des affaires déjà rendues publiques dans les médias ?

M. Jérôme DEHARVENG : Pas nécessairement.

M. le Président : En clair, le procureur n'est pas capable localement de se rendre compte qu'une affaire soumise au tribunal de commerce présente des particularités pour saisir la Chancellerie. C'est le comité interministériel pour les restructurations industrielles qui joue un rôle important.

M. Jérôme DEHARVENG : Il joue un rôle plus important que le parquet. Il est vrai qu'il détecte plus tôt les difficultés. C'est par le CIRI que le procureur sera sensibilisé.

M. le Président : Vous avez donc un rôle de conseil ?

M. Jérôme DEHARVENG : De point de jonction entre l'expertise et l'information, à la suite des renseignements reçus par le biais des canaux interministériels.

Il importe également de rappeler au parquet les contraintes qui peuvent peser sur la procédure du fait de décisions d'autorités indépendantes. Le parquet doit être conscient des décisions qui ont été prises par la commission bancaire, la commission de contrôle des assurances, le Conseil général de l'aviation civile, ou encore par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

M. le Président : Les procureurs les connaissent-ils ?

M. Jérôme DEHARVENG : Les procureurs sont sensibilisés.

M. le Président : Comment, par circulaires ?

M. Jérôme DEHARVENG : Une circulaire a été élaborée au mois d'octobre sur ce point. J'y reviendrai.

M le Président : Avant, qu'y avait-il ?

M. Jérôme DEHARVENG : Les autres circulaires sont assez anciennes et elles insistaient moins sur le rôle des autorités administratives indépendantes.

M. le Président : Vous nous fournirez l'ensemble des circulaires adressées aux parquets.

Une des raisons probables des problèmes posés par l'évolution des tribunaux de commerce tient au fait que le parquet n'a pas toujours joué le rôle qui aurait dû être le sien.

M. Jérôme DEHARVENG : Monsieur le Président, il faut faire prendre en compte par le parquet le changement de culture intervenu en la matière. Le parquet intervient, dans les textes, dans les procédures collectives depuis 1981.

M. le Président : Depuis quand est-il présent aux audiences ?

M. Jérôme DEHARVENG : Depuis la loi de 1985, et cette présence devient effective progressivement.

M. le Président : Il n'est pas présent devant toutes les juridictions ?

M. Philippe LEMAIRE : Il est partie jointe dans les procédures collectives depuis l'entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile. Je rappelle que la loi de 1981 a été adoptée à la suite du dépôt de bilan de la société Boussac-Saint-Frères.

M. le Président : D'une façon générale, aucun texte ne prévoit que le ministère public est présent devant toutes les juridictions ?

M. Jérôme DEHARVENG : L'article 425 du nouveau code de procédure civile prévoit que le ministère public doit avoir communication de toutes les affaires dans lesquelles la loi dispose qu'il doit faire connaître son avis.

M. le Président : Cela signifie qu'il a vocation à s'occuper des procédures collectives depuis très longtemps.

M. Philippe LEMAIRE : Comme partie jointe. L'apport de la loi de 1981 et surtout de celle de 1985 réside dans le fait que le parquet devient partie principale.

M. le Président : Nous dressons le constat de la situation. Les problèmes qui se posent actuellement ne sont pas nouveaux, mais ils ont pris une plus grande acuité. Des tentatives diverses pour remédier aux difficultés ont été effectuées. De même que la juridiction consulaire peut être critiquée, de même la juridiction professionnelle peut battre sa coulpe en cette matière. À mon avis, le parquet pouvait intervenir depuis très longtemps.

M. Jérôme DEHARVENG : Les circulaires anciennes étaient assez réservées sur l'intervention systématique du parquet dans ces procédures.

M. le Président : Ce qui signifie en clair qu'un magistrat qui assistait aux audiences des tribunaux de commerce était mal vu.

M. Jérôme DEHARVENG : Non. Il n'était pas mal vu. Il était même bien vu, puisqu'il avait l'ouverture d'esprit nécessaire pour aborder des domaines qui n'étaient pas habituellement les siens.

Le magistrat du parquet avait une culture essentiellement pénale. Il se rendait au tribunal de commerce d'abord pour y détecter des infractions. Il importe que le magistrat du parquet prenne désormais conscience qu'il doit se rendre devant le tribunal de commerce pour prendre des décisions de nature économique et y être autre chose qu'un détecteur d'infractions. C'est une évolution lente que nous essayons d'encourager.

La présence du parquet n'est pas nécessaire et obligatoire, à peine de nullité, dans les audiences de procédures collectives, alors que c'est le cas pour des affaires de nature civile, concernant parfois des enjeux moins importants. L'un des objectifs des travaux en préparation à la Chancellerie vise à demander, dans les affaires les plus importantes et aux moments clés de la procédure, une présence obligatoire du parquet, à peine de nullité.

M. le Président : Une circulaire définira sans doute ce qu'est une affaire importante ?

M. Jérôme DEHARVENG : Non, cela est prévu par la loi. Les procédures générales sont celles concernant des entreprises réalisant plus de 20 millions de francs de chiffre d'affaires ou ayant plus de cinquante salariés. Nous avons l'intention de proposer un abaissement de ce seuil.

M. le Président : C'est un critère uniquement financier. Est-il suffisant ?

M. Jérôme DEHARVENG : Il est sans doute insuffisant.

M. le Président : Une petite affaire en zone rurale peut avoir un effet plus catastrophique qu'une grosse affaire en région parisienne...

M. Jérôme DEHARVENG : Cela nous conduit à aborder le problème des effectifs et de la carte judiciaire. Lorsqu'un parquet a dans son ressort de nombreux petits tribunaux de commerce et que ses effectifs sont appelés par ailleurs à la cour d'assises, à la permanence pénale, aux audiences de chambre du conseil en matière civile, il a du mal à se déplacer dans l'ensemble de son ressort et à couvrir toutes les audiences des tribunaux de commerce. Il tentera de demander au président du tribunal de commerce de rassembler les affaires de procédures collectives dans un temps unique.

M. le Président : Parlons des grosses juridictions.

M. Jérôme DEHARVENG : Les tribunaux de commerce consacrent 25 % de leur activité aux procédures collectives, 30 % du reste relève du contentieux lié à ces mêmes procédures.

M. le Président : Vous avez dit 50 %, tout à l'heure ?

M. Jérôme DEHARVENG : L'ensemble représente 50 %. La moitié des décisions des tribunaux de commerce a donc trait aux procédures collectives. Ce sont celles qui ont le plus fort impact en raison de leurs conséquences économiques et sociales. Il est bon de rappeler que plus de trois cent mille salariés sont bénéficiaires chaque année d'une intervention de l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés.

Le nombre des procédures collectives oscille entre 50 000 et 60 000 par an, 90 % d'entre elles se concluant par une liquidation et plus de la moitié d'entre elles faisant l'objet d'une décision de liquidation immédiate. Il convient de souligner que c'est dans les 10 % restant que se trouve l'essentiel du substrat économique.

Les tribunaux de commerce ont également en charge une tâche difficile, qui a un impact localement, car ces juridictions sanctionnent civilement le chef d'entreprise dont les fautes de gestion ont conduit à la défaillance de l'entreprise ou qui a commis des actes de gestion fautifs : comblement de passif, mise en redressement judiciaire, interdiction de gérer, faillites personnelles. Ces questions suscitent un débat sur la fin pénale ou la sanction civile de ce type d'agissements. Le rôle du tribunal de commerce est là très important.

Comme le disait mon collègue, le parquet aura son mot à dire en termes d'expertise du fait de la grande complexité du droit des procédures collectives, qui forme un ensemble de règles totalement dérogatoires au droit commun, destinées, d'une part, à garantir l'égalité de traitement des créanciers dans la procédure d'exécution qu'est la procédure collective, et, d'autre part, et c'est une spécificité à l'honneur du droit français, à permettre à l'entreprise défaillante de tenter de se redresser.

Il faut savoir que le dispositif qui limite les voies de recours est destiné à assurer une certaine sécurité dans la reprise des entreprises en difficulté, afin que le repreneur qui intervient dans une période de crise ne soit pas totalement déstabilisé par des recours multiples et fort longs qui le dissuaderaient de venir sauver l'entreprise. Deux grandes philosophies différentes s'affrontent dans les divers pays européens : la procédure collective purement liquidative et la procédure collective de redressement, comme la nôtre.

M. le Président : Qu'est-ce que cela donne dans la pratique ?

M. Jérôme DEHARVENG : Cela donne une implication croissante du ministère public.

M. le Président : Comment la mesurez-vous ?

M. Jérôme DEHARVENG : Nous la mesurons par nos contacts avec les différents tribunaux, par l'intérêt que suscitent les actions de formation, initiale et permanente, à l'École de la magistrature, et par un état d'esprit beaucoup plus ouvert aux questions économiques chez les magistrats du parquet.

Cette évolution a donné lieu à une circulaire originellement destinée à renforcer la vigilance des parquets en matière de surveillance des administrateurs judiciaires et des mandataires-liquidateurs. Nous avons ainsi rappelé, en octobre 1997, que les prérogatives du ministère public dans les procédures de prévention et les procédures collectives étaient fondamentales et qu'il était reconnu et souhaité comme un intervenant à part entière. Le garde des sceaux a demandé aux parquets d'être très présents et très vigilants dans ces dossiers.

M. le Président : Nous diffuserons cet intéressant document que vous allez nous transmettre.

Quel est votre point de vue sur ce type de fonctionnement ? Existe-t-il des parquets spécialisés ?

M. Jérôme DEHARVENG : Les parquets sont spécialisés dans les grandes villes.

M. le Président : Lesquelles ?

M. Jérôme DEHARVENG : À Paris et Nanterre, il existe des parquets commerciaux.

M. le Président : Y en a-t-il ailleurs ?

M. Jérôme DEHARVENG : Il existe ailleurs des parquets financiers qui suivent à la fois le pénal financier et le pénal commercial.

M. le Président : Quel est celui que vous nous recommanderiez d'aller voir ?

M. Philippe LEMAIRE : Celui de Paris.

M. le Président : Et ailleurs ?

M. Jérôme DEHARVENG : Nanterre.

M. le Président : Et en province ?

M. Philippe LEMAIRE : Peut-être Lyon.

M. le Président : Pourquoi « peut-être »?

M. Philippe LEMAIRE : Ce qu'a dit Jérôme Deharveng est très important pour comprendre comment les choses se passent. Il y a, d'une part, la poursuite des infractions pénales commises par une entreprise ou un chef d'entreprise dans le cadre de leur activité, et, d'autre part, le parquet commercial qui nécessite une présence auprès du tribunal de commerce. En réalité, dans les parquets de province, la distinction n'est pas établie. La notion de parquet commercial, comme il existe une notion de parquet civil, n'est pas entrée dans les m_urs. Cela signifie qu'il y a des sections financières dans les grands parquets, sections qui ont tendance à ne s'intéresser qu'au caractère pénal des affaires commerciales.

M. le Président : Autrement dit, la culture des procureurs devrait être plus «civiliste et commercialiste» que pénaliste.

M. Philippe LEMAIRE et M. Jérôme DEHARVENG : Tout à fait !

M. le Président : Qu'en est-il dans le Midi, à Marseille, par exemple ?

M. Jérôme DEHARVENG : Marseille est doté d'un parquet commercial très actif...

M. le Président : Rattaché au pénal pur ?

M. Jérôme DEHARVENG : ... qui exerce les deux fonctions mais qui a une certaine spécificité.

M. le Président : Et Nice ?

M. Philippe LEMAIRE : Il y a un procureur-adjoint, qui remplit les deux fonctions.

M. le Président : Il s'agit de grosses juridictions dans lesquelles le volume d'affaires est important.

M. Jérôme DEHARVENG : Marseille est beaucoup plus concerné que Nice par ce type de dossiers.

M. le Président : Avez-vous un correspondant dans tous les parquets généraux ?

M. Jérôme DEHARVENG : Nous avons un correspondant dans chacun des parquets généraux.

M. le Président : Comment sont-ils choisis ? Est-ce qu'ils s'autodésignent, est-ce que vous les désignez ? Reçoivent-ils une formation ?

M. Jérôme DEHARVENG : Ils doivent manifestement être particulièrement sensibles à ce type de dossiers, car il convient de souligner la grande compétence de nos interlocuteurs dans les parquets généraux et leur grande sensibilité aux enjeux.

M. le Président : Quel esprit de confraternité !

M. Philippe LEMAIRE : Votre question appelle une réponse plus précise. Je rappelle que la désignation et l'affectation d'un substitut général comme celles d'un substitut du procureur relèvent, au terme du code de procédure pénale, du pouvoir propre du chef du parquet. Nous ne pouvons pas intervenir dans cette désignation.

M. le Président : La Chancellerie pourrait-elle donner des indications...

M. Philippe LEMAIRE : Non.

M. le Président :  ... de portée générale aux procureurs généraux pour désigner quelqu'un de compétent, plutôt que celui qui reste ?

M. Philippe LEMAIRE : Elle peut toujours le faire, mais vous avez suffisamment fréquenté les tribunaux, monsieur le Président, pour savoir que ce type d'incitation n'a pas de grande valeur concrète.

M. le Président : Vous avez entendu !

Les magistrats chargés de ces dossiers suivent-ils une session de formation permanente, tous les deux ans, par exemple ? Les voyez-vous en cours de formation ?

M. Philippe LEMAIRE : Non.

M. le Président : Quelqu'un prend-il des initiatives en ce sens ?

M. Jérôme DEHARVENG : Non, c'est à leur initiative propre.

M. le Président : À l'heure où nous nous interrogeons sur les relations entre le pouvoir politique et le parquet, il n'est plus question de donner des ordres individuels, mais il est tout de même question de donner des impulsions précises. Cela a-t-il été fait en ce qui concerne la présence du parquet devant les tribunaux de commerce ?

M. Philippe LEMAIRE : Non. Si vous êtes procureur et que vous êtes confronté à une situation de crise d'effectifs ou d'absences pour des raisons valables, le premier secteur que vous sacrifiez est le secteur économique et financier.

M. le Président : La remarque mérite d'être notée.

Pourquoi ?

M. Philippe LEMAIRE : Parce que le code de procédure pénale vous oblige à une permanence sur la cour d'assises, sur le tribunal correctionnel, etc., alors que la procédure commerciale peut continuer à se dérouler sans la présence du parquet. C'est cela la réalité des juridictions.

M. le Président : Nous devrons faire apparaître dans le rapport des pistes de réformes possibles, sans tout « chambouler ». Il faudra sans doute affirmer que la présence du parquet devant les tribunaux de commerce constitue une urgence sociale plus forte que la poursuite des infractions au code de la route, par exemple.

M. Jérôme DEHARVENG : La présence du parquet est obligatoire pour une demande de changement de régime matrimonial. Le parquet doit se rendre en chambre du conseil, à peine de nullité de la décision. Par contre, elle n'est pas obligatoire pour l'adoption d'une décision finale d'un plan de continuation d'une entreprise de cinq mille salariés. Le parquet se rend là où sa présence est obligatoire. Ensuite, il doit gérer la pénurie. À ce sujet, je me permettrai de faire un aparté sur mes fonctions antérieures de procureur de la République.

M. le Président : Où exerciez-vous ?

M. Jérôme DEHARVENG : À Vesoul, en Haute-Saône.

Lorsque vous avez un certain nombre d'impératifs, vous devez opérer des choix dans la gestion de votre temps. Lorsque vous savez que, compte tenu des moyens dont vous disposez, vous n'arriverez pas à tout faire, vous devez sélectionner votre effort. Malheureusement, vous n'avez pas à vous poser de questions lorsque votre présence est obligatoire à certaines audiences. Lorsqu'elle ne l'est pas, vous pouvez être tenté de ne pas assister aux audiences concernées. Vous faites l'effort d'y aller quand vous êtes particulièrement motivé.

M. le Président : Par conséquent, on peut dire que la présence du parquet, bien que prévue par la loi, reste théorique dans la mesure où on ne donne pas les moyens d'appliquer la loi.

M. Jérôme DEHARVENG : En tout cas, elle est insuffisante.

M. le Président : C'est une piste.

M. Robert GAIA : Avez-vous des statistiques ou des indications à donner sur l'absence du parquet au tribunal de commerce lors de la prise de décisions entraînant des conséquences pénales ? Des contestations au pénal des décisions des tribunaux de commerce peuvent-elles être la conséquence d'une absence d'intervention en amont ?

M. Jérôme DEHARVENG : Non.

M. Robert GAIA : Vous n'avez aucun exemple ?

M. Jérôme DEHARVENG : Non.

M. Robert GAIA : Je vous en fournirai.

M. Jérôme DEHARVENG : Nous en concevons le principe, parce que notre lutte incessante vise à faire en sorte que le parquet soit beaucoup plus présent. Mais on en revient au problème de la carte.

M. le Président : C'est pourquoi nous vous questionnons sur les grosses juridictions. Dans les conditions actuelles, il convient de raisonner à partir des juridictions importantes. Mais il faudrait que les juridictions importantes fonctionnent.

La division entre un parquet civil commercial et un parquet pénal ne présente-t-elle pas également des inconvénients, le procureur ayant suivi une affaire commerciale risquant de se déclarer incompétent lorsqu'on s'aperçoit que des infractions ont été commises ?

M. Jérôme DEHARVENG : Il est souhaitable d'aboutir à la mise en place de structures diverses avec un chef de section groupant l'ensemble et des spécialistes échangeant régulièrement leurs informations, soit en matière pénale, soit en matière commerciale. Pour les affaires importantes en matière pénale, il devrait y avoir à l'audience du tribunal de commerce un membre du parquet en permanence qui ne soit pas sollicité par ailleurs.

M. le Président : Le message fort que vous adressez est que l'institution doit se doter de ce type de moyens.

Nous n'avons pas parlé des administrateurs. Nous vous ferons peut-être revenir spécialement pour cela.

M. Jérôme DEHARVENG : La prévention des difficultés des entreprises est un autre sujet important.

M. Jacky DARNE : Je souhaiterais revenir sur les procédures collectives dont la fonction économique est très importante.

Les lois précédentes ont développé les fonctions du président du tribunal de commerce. L'exercice du droit d'alerte et les solutions amiables sont aujourd'hui des fonctions importantes. Disposez-vous d'outils permettant d'apprécier la façon dont les présidents les assument ? L'efficacité de ces fonctions de prévention a un intérêt économique majeur et permet d'éviter d'aboutir à des redressements. Quel est le nombre de droits d'alerte exercés par les présidents qui se saisissent d'office ? Qu'est-il advenu, après un, deux ou trois ans, des entreprises qui ont bénéficié de solutions amiables ?

Quel est le bilan des procédures simplifiées pour les entreprises de moins de cinquante salariés et celui des procédures normales ? Peut-on considérer que les procédures simplifiées sont aussi pertinentes et efficaces que les procédures normales ? Ou bien, au contraire, dès lors qu'il s'agit de petites affaires, n'y a-t-il pas une négligence dans la surveillance ? Dispose-t-on, là encore, d'éléments statistiques sur la qualité des décisions prises ? Existe-t-il une approche monographique ou d'une autre nature qui permette de dire, après coup, que l'analyse d'un dossier aurait dû conduire à telle ou telle décision dans tel ou tel délai, mais qu'on n'a pu la prendre pour telle ou telle raison ?

De la même façon, existe-t-il des moyens d'apprécier la qualité des décisions prises à l'encontre des dirigeants d'entreprises, en matière civile, ou les suites d'une décision : mesure de l'actif récupéré après une liquidation ou suivi de l'entreprise après un redressement ? Les organismes d'observation de la procédure de redressement fonctionnent-ils ? Des comptes rendus sont-ils effectués ? Le tribunal délibère-t-il ? Comment s'effectue ce suivi ?

S'agissant des dirigeants, combien ont à leur charge une partie du passif ? Combien ont fait l'objet de sanctions civiles ? Comment apprécier si le taux de sanctions apparaît normal ou pas ? Il est clair que les pourcentages d'appels sont sans signification dans ce type de dossiers. Il s'agit pourtant bien d'apprécier l'efficacité de ces procédures.

Notre fonction n'est pas d'élaborer une nouvelle loi, puisqu'il en a été adopté une en 1994 et qu'on ne saurait en refaire constamment, mais de nous assurer que l'institution met en _uvre de façon pertinente les textes dont elle dispose, dont l'esprit, je crois, est bon. La séparation du dirigeant et de l'entreprise sur laquelle vous insistiez tout à l'heure me paraît bien un fondement original qu'il convient de maintenir dans notre système législatif.

M. Gilbert MITTERRAND : Au-delà du suivi des procédures et des sanctions, existe-t-il un suivi de l'information permettant d'éviter la récidive ? Quelqu'un qui a été déclaré plusieurs fois en faillite peut se réinstaller sans préjudice, parce que l'information ne circule pas entre les ressorts ou entre les organismes chargés de l'inscription aux registres de commerce. Un système d'alerte est-il prévu, envisageable, souhaité, possible, afin que cela ne se reproduise pas ? Cela allégerait le contentieux et cela éviterait d'avoir des problèmes récurrents. La question est souvent revenue depuis 1985. Je n'ai toujours pas compris quel était l'obstacle dirimant à la mise en place d'un tel système.

M. Philippe LEMAIRE : Il n'y a aucun obstacle. La réponse est très simple. L'information circule via le casier judiciaire. En revanche, il n'existe aucune information sur l'utilisation du prête-nom. Or, c'est principalement par le prête-nom que cela peut avoir lieu. L'intéressé ne se réinscrit pas lui-même.

M. le Président : Il nous reste environ un quart d'heure. Nous aurions encore de nombreuses questions à vous poser sur les procédures collectives. Nous vous demanderons de revenir pour cela.

M. Jérôme DEHARVENG : La prévention est une innovation de la loi du 1er mars 1984, qui n'a pas été utilisée jusqu'à la loi de juin 1994.

La loi de juin 1994, par le simple fait qu'elle a mieux défini l'intervention du mandataire ad hoc, a donné une grande impulsion à la prévention. Des statistiques sont tenues à Paris et en région parisienne. Pour le reste de la France, nous n'avons pas d'informations sur la manière dont est effectuée la prévention, mais nous avons demandé à la Conférence générale des tribunaux de commerce de nous en fournir, car nous sommes très sensibilisés à cette question.

M. le Président : Vous n'interrogez pas les parquets ?

M. Jérôme DEHARVENG : Les parquets n'interviennent pas dans la prévention. L'un de nos souhaits est de rendre leur intervention possible dans ce domaine.

Les tribunaux de commerce sont très réticents à l'intervention du parquet dans le domaine de la prévention, eu égard à leur culture. Pour eux, la présence du parquet dans une procédure amiable et préventive est annoncer la présence du loup dans la bergerie et faire peur aux chefs d'entreprise qui y verraient immédiatement quelqu'un destiné à chercher une infraction pénale, voire à mettre en route un mécanisme de sanction.

Nous leur avons expliqué qu'il n'en était rien et que cela répondait à la nécessité d'une prise en compte des réalités économiques. Il faut savoir que le parquet a le droit de saisir la juridiction pour l'ouverture de la procédure collective. L'exclure du domaine de la prévention serait donc un non-sens. Nous avons en préparation quelques textes permettant au parquet d'obtenir une information sur la prévention. Actuellement, je le répète, il ne participe pas à la prévention, sauf dans la conciliation, procédure plus restreinte, utilisée moins souvent que celle du mandat ad hoc. La prévention existe, en région parisienne et essentiellement au tribunal de Paris, et rencontre un fort succès.

Il importe que les difficultés des entreprises soient détectées à temps. La question de savoir de quelles informations peuvent disposer les présidents de tribunaux de commerce pour convoquer les chefs d'entreprise se pose particulièrement en ce qui concerne les informations détenues par la Banque de France.

Il est également nécessaire de pouvoir définir à l'amiable, avant cessation des paiements, une procédure qui n'aille pas jusqu'à la procédure collective. Mais il faut veiller de très près à ne pas dénaturer l'usage de la prévention pour en faire une procédure de redressement judiciaire à l'amiable, hors de toutes règles formelles, et transformer la procédure classique de la loi de 1985 en une procédure purement liquidative. Il convient de s'assurer que le critère de la cessation des paiements conduise à l'ouverture d'une procédure collective ayant pour but le redressement ou la liquidation. Il convient d'engager une réflexion sur la prévention qui n'est pas une panacée.

M. le Président : Cette réflexion est-elle souhaitée ou en cours ?

M. Jérôme DEHARVENG : Elle est en cours à la Chancellerie et nous la souhaitons plus générale.

Il convient aussi d'insister sur la nature des personnes qui exercent le mandat ad hoc. Nous pensons qu'il n'est pas opportun que des juges consulaires, honoraires ou en exercice, exercent les fonctions de mandataires ad hoc ou de conciliateurs, car il pourrait y avoir une confusion des genres dans l'esprit des personnes qui ont recours à eux ou une mauvaise appréciation du bénévolat dont nous parlions tout à l'heure.

M. le Président : Le droit de déclencher une procédure d'alerte attribuée aux commissaires aux comptes est-il utilisé ? Qu'en font les parquets. Les procureurs ont-ils une culture, qui les rende attentifs à cette possibilité prévue par la loi ?

M. Jérôme DEHARVENG : Ils y sont certainement très attentifs, mais je ne pense pas qu'ils y soient très fréquemment confrontés...

M. le Président : Cela s'est fait, à une époque.

M. Jérôme DEHARVENG : ... car les dénonciations des commissaires aux comptes sont en nombre relativement faible.

M. le Président : La loi prévoit que le commissaire aux comptes doit dénoncer un certain nombre de faits au procureur. Il y a dans cette salle des commissaires aux comptes qui l'ont fait...

M. Philippe LEMAIRE : Je puis témoigner à ce sujet, puisque avant d'être en Chancellerie, j'ai exercé pendant onze ans dans un parquet financier et dans un parquet placé auprès des tribunaux de commerce.

Même si elle a été légalisée, la prévention se pratiquait déjà par le biais d'enquêtes préalables lancées par le président du tribunal de commerce. La loi de 1994 n'a fait que formaliser des expériences qui avaient lieu dans de nombreux tribunaux de Paris ou de province.

Pour être efficace, cette prévention doit s'effectuer dans une très grande discrétion. Lorsque nous avions noué des relations de confiance avec le président du tribunal de commerce, nous pouvions être associés, parfois, aux discussions, notamment lorsqu'il s'agissait de groupes importants et qu'il existait des risques de licenciements nombreux et de mouvements sociaux.

Toutefois, outre le fait que lorsqu'on fait participer un agent de l'État à une procédure discrète, elle ne l'est plus et cela suscite la rumeur publique, puis les premiers articles de presse, puis les premiers tracts syndicaux, il faut, au moment de cette négociation, dans la période préventive, prendre des décisions qui mettent souvent le procureur en contradiction avec sa propre mission. La première chose, inouïe pour un procureur, dont nous entendions parler, était l'arrêt total du paiement des cotisations sociales.

Je considère qu'il ne faut pas faire jouer au parquet un rôle qui ne relève pas de sa mission. En revanche, le procureur doit être présent dès qu'il y a une ouverture officielle, pour effectuer des actes concrets, tels que rappeler, par exemple, la nécessité du respect des règles du contradictoire, de la présentation de pièces, et souligner qu'un dépôt de bilan doit se préparer. On peut voir arriver un chef d'entreprise pieds et poings liés, par suite d'une préparation insuffisante. Quand on se lance dans une procédure, on sait qu'elle ira forcément à la liquidation. Ce rôle peut être très important pour le parquet.

M. Jacky DARNE : Il est certain que les chefs d'entreprise souhaitent garder secrètes leurs difficultés pour ne pas être gênés dans leur activité commerciale. Pourtant un des acteurs économiques qui annonce le plus fréquemment les difficultés est le salarié, par l'intermédiaire du comité d'entreprise. Bon nombre de droits d'alerte exercés par le comité d'entreprise ne sont pas pris en compte, à tort, par le tribunal de commerce, parce qu'une culture commune entre le président du tribunal de commerce et les dirigeants d'entreprise veut que l'on cherche à atténuer les difficultés. Le dirigeant d'entreprise comme le président du tribunal de commerce se gardent bien d'en parler. Or la manifestation publique qu'en font les salariés, y compris par des tracts, qui pose le problème sur la place publique, peut entraîner l'intervention des pouvoirs publics et permettre une prévention.

Le propriétaire privé du capital n'a pas forcément les mêmes intérêts que des salariés qui craignent un licenciement. La discrétion n'est pas souhaitable dans l'absolu, elle doit être relative. Je ne dis pas qu'il faut remuer ciel et terre au premier non-paiement à la date prévue des cotisations de sécurité sociale. C'est d'ailleurs rarement le cas. Quand un salarié exerce le droit d'alerte, assisté souvent par des professionnels qui veillent à éviter des imprudences, c'est qu'il y a une vraie difficulté. Je trouve que les tribunaux de commerce ne se saisissent pas suffisamment tôt dans ce domaine.

M. Christian MARTIN : Les banques aussi ont un rôle à jouer en matière de prévention.

M. Jacky DARNE : Je n'y suis pas opposé.

Vous dites, à propos des créations et suppressions de tribunaux de commerce, que la proximité en matière commerciale n'est pas nécessairement souhaitable, parce qu'on est juge et partie. Toutefois, s'agissant d'un enjeu collectif et non pas simplement, comme vous l'avez souligné vous-même, d'une relation entre un débiteur et un créancier, ne pensez-vous pas qu'en faire un enjeu local et permettre aux salariés et à d'autres d'exercer une pression ne facilite pas le redressement de l'entreprise ? Si la neutralité est souhaitable pour une cour d'assises, en revanche, une décision concernant une petite affaire de trente salariés prise à 150 kilomètres de distance ne risque-t-elle pas d'être de moins bonne qualité ?

M. le Président : C'est une piste intéressante. Nous en rediscuterons.

M. Jérôme DEHARVENG : Il est vraisemblablement souhaitable que la procédure simplifiée soit un peu restreinte et que la procédure générale englobe un plus grand champ d'entreprises. Peut-être serait-il bon d'abaisser le seuil à 10 millions de francs de chiffre d'affaires et à vingt salariés, afin de faire bénéficier de la procédure générale les grosses PME. La procédure générale représente actuellement 5 % des procédures.

M. le Président : Pas plus ? Alors qu'à certains endroits, une décision concernant une société qui compte très peu de salariés peut avoir une incidence considérable !

M. Jérôme DEHARVENG : La procédure générale présente un gros avantage, qui est la présence de l'administrateur judiciaire, capable notamment de gérer les dettes de la période d'observation. Elle présente un inconvénient, qui est la longueur de la procédure, qui peut durer jusqu'à vingt mois, au lieu de huit mois pour la procédure simplifiée. La procédure générale permet un bien meilleur contrôle. Le rôle de l'administrateur judiciaire est très important. Etendre le nombre des procédures générales est un de nos soucis.

L'après-procédure fait l'objet de notre part de deux sortes de réflexion. La première a trait à l'échec des plans de cession ou de continuation, estimé entre 28 et 30 %. La seconde, très importante, concerne la redistribution de l'actif récupéré. Les actifs récupérés représentent des sommes considérables, sorties du circuit économique, du fait, non seulement d'une certaine lenteur des professionnels concernés, mais aussi d'impératifs posés par la loi. Le professionnel ne peut pas redistribuer les fonds qu'il détient tant qu'il n'a pas la certitude de pouvoir gérer la distribution des privilèges. Le dernier rapport de la Caisse des dépôts et consignations permet de constater que 56 milliards de francs étaient détenus à ce titre. Compte tenu des sommes qui devraient être versées à la Caisse des dépôts à la suite des projets en cours, ce montant sera sans doute dépassé.

M. Jacky DARNE : Avez-vous des idées pour corriger cette situation ?

M. Jérôme DEHARVENG : Il faudrait peut-être créer une forclusion des créances dites « de l'article 40 » de la loi de janvier 1985, afin que dans l'année suivant la clôture de la procédure, le commissaire à l'exécution du plan ou le liquidateur y voie clair et sache où il en est dans la distribution des fonds. Cela lui permettait de mettre en _uvre une disposition négligée qui est le versement de provisions. Tant que le liquidateur ne connaît pas l'étendue du super privilège des salaires, du privilège du Trésor et du privilège des créanciers de la période d'observation, il est très réticent à répartir les fonds et on le comprend parce que sa responsabilité professionnelle est engagée.

M. Olivier DOUVRELEUR : Il serait très imprudent, en effet, pour lui, de commencer à verser ne serait-ce même que des provisions.

M. Jacky DARNE : Pourquoi cette connaissance ne peut-elle être acquise en trois mois ?

M. Jérôme DEHARVENG : Parce que certains, même des organismes d'État...

M. le Président : Le Trésor public...

M. Jérôme DEHARVENG : ... mettent fort longtemps avant d'adresser des notifications.

M. le Président : Au terme de notre réunion, nous n'avons pas épuisé le sujet. Nous souhaiterions vous faire revenir afin d'évoquer les procédures collectives, leur fonctionnement normal et leurs dérives, les tentations que peuvent avoir les juges ou les administrateurs, etc.

M. Jacky DARNE : Existe-t-il des statistiques ou des données sur les sanctions civiles ?

M. Philippe LEMAIRE : Nous en avons apporté.

M. le Président : Nous en arriverons aux dysfonctionnements complaisamment dénoncés par la presse. Nous avons demandé à la Chancellerie la liste des affaires judiciaires au cours, de façon à ne pas nous en saisir, puisque la loi nous l'interdit. Nous contournerons cet obstacle en parlant des affaires anciennes réglées récemment. Nous évoquerons quelques exemples de glissements progressifs de la part de tribunaux de commerce, afin de déterminer comment on a pu aboutir à de telles situations. Nous vous questionnerons enfin sur la discipline et la surveillance de tous les professionnels concernés.

Nous n'avons pas eu le temps d'aborder le rôle des greffes, leurs modes de financement, les conditions dans lesquelles ils vendent des informations. Est-il normal de faire de la publicité sur de l'information figurant dans les registres du commerce ? On pourrait imaginer de le faire pour les registres d'état civil, ce qui constituerait une source de revenus importante pour le ministère de la justice. Une étude juridique a-t-elle été réalisée à ce sujet ? Nous vous demanderons prochainement des compléments d'informations.

M. Philippe LEMAIRE : Nous sommes à votre disposition.

Audition de M. Bernard FIELD et Jean-François VERNY,
respectivement président et vice-président de la commission juridique et Président du groupe de travail « tribunaux de commerce », accompagnés de Mme Joëlle SIMON, directeur des affaires juridiques et rapporteur du groupe de travail « tribunaux de commerce » et de Mme Anne MOUNOLOU,
chef de service à la direction générale des études législatives, au CNPF

(extrait du procès-verbal de la séance du 10 février 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

MM.  Field et Verny, Mmes Simon et Mounolou sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Field et Verny, Mmes Simon et Mounolou prêtent serment.

M. le Président : Vous êtes parmi les premières personnes que nous auditionnons car tout le monde a remarqué la contribution du CNPF sur l'avenir de la justice consulaire. D'autres organismes que le CNPF ont abordé cette question mais son avis nous est particulièrement précieux.

M. Bernard FIELD : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, je suis président de la commission juridique du CNPF depuis environ un an.

En outre, je suis secrétaire général de Saint-Gobain et ci-devant magistrat puisque j'exerçais une fonction judiciaire avant d'entrer dans le groupe Saint-Gobain.

Je suis accompagné de Joëlle Simon qui est directeur des affaires juridiques du CNPF, de Jean-François Verny qui est l'auteur et le président du groupe de travail qui a rédigé ce rapport et qui est, de surcroît, conseiller d'État et secrétaire général du Crédit Lyonnais, et de Mme Mounolou qui est chef de service à la direction générale des études législatives du CNPF.

Si vous le permettez, je ferai une très brève introduction sur les finalités, les buts et les objectifs de cette réflexion du CNPF, relative à l'avenir de la justice consulaire avant de passer la parole à Jean-François Verny, qui, pour avoir animé les séances du groupe de travail, me paraît être le mieux placé pour vous exposer de façon approfondie les tenants et les aboutissants de ce rapport et répondre avec moi à toute question que vous souhaiteriez poser.

En ce qui concerne le point de départ de ces réflexions, il se situe à une époque qui n'est pas très lointaine puisque c'est en février 1997, donc il y a un an, qu'à la demande de M. Jean Gandois, président du CNPF, la commission juridique a décidé de constituer un groupe de travail sur ce sujet et de désigner Jean-François Verny qui est, bien sûr, membre du bureau de la commission juridique, pour l'animer et le présider.

Je dirai, pour aller au plus court, que nous avions essentiellement trois objectifs.

Le premier était de porter un regard sur l'institution, sur la juridiction consulaire elle-même après la réalisation, au début des années quatre-vingt-dix, d'un certain nombre de travaux sur la réforme des procédures collectives. Nous avions donc axé nos réflexions précédentes sur cet aspect de la question et Jean-François Verny et moi-même avions d'ailleurs co-animé sur le sujet un groupe de travail dont toute une série de propositions ont été reprises, en leur temps, pour venir s'adjoindre à la loi de 1985, modifiée en 1994.

Nous nous sommes dit qu'il était préférable de braquer les projecteurs sur l'institution elle-même que d'étudier une nouvelle modification de la législation relative aux procédures collectives.

Le deuxième objectif était - il le demeure d'ailleurs - de confirmer l'attachement des entreprises à la juridiction consulaire qui a été créée pour elles et qui, malgré ses 430 et quelques années, répond au souci et à la préoccupation des entreprises de se voir jugées par leurs pairs.

Dès lors, il nous est apparu utile de vérifier qu'aujourd'hui, les conditions de fonctionnement de l'institution consulaire étaient conformes à ce que les entreprises qui en sont les justiciables et les usagers pouvaient souhaiter.

Le troisième objectif que je mentionnerai, et je m'en tiendrai là, s'inscrit dans une réflexion plus large que nous avons engagée au sein de la commission juridique du CNPF dont le but est de tenter de convaincre de la nécessité de passer d'une pénalisation excessive, à notre avis, du droit des affaires, en France, à une sorte de « civilisation », au sens juridique du terme, bien entendu, de ce même droit des affaires.

Je veux dire par là que nous avons engagé de nombreuses réflexions rendues publiques, directement ou indirectement, en matière de droit des sociétés en particulier, et nous avons considéré que l'arsenal législatif pénal, en ce domaine, inappliqué la plupart du temps à 90 %, pouvait laisser la place à un dispositif de nature civile, ou plus exactement, commerciale du type « injonction de faire sous astreinte » ou de « cesser de faire sous astreinte ». Par voie de conséquence, il était utile de vérifier également que la juridiction qui, le cas échéant, serait appelée à prononcer ces sanctions de nature commerciale à l'encontre des entreprises, était à même de le faire et d'assurer, de ce point de vue, une répression convenable mais, cette fois, commerciale lorsque le besoin s'en ferait sentir.

Tels sont les trois grands objectifs qui ont été les nôtres dans cette réflexion qui a été menée rapidement entre le printemps et l'été 1997, le rapport lui-même étant daté d'octobre 1997.

M. le Président : Je vais maintenant donner la parole à M. Verny pour qu'il nous présente les grandes lignes du texte sur l'évolution de la pénalisation vers la « civilisation » du droit des affaires.

M. Jean-François VERNY : Si vous me le permettez, je compléterai le propos que nous venons d'entendre en ajoutant un objectif à ceux que vient d'évoquer Bernard Field devant vous et que ressentent bien les entreprises qui exercent leur activité à la fois en France et à l'étranger.

Le système juridique d'un pays et son système judiciaire étant aujourd'hui des éléments de la compétition internationale, avoir les bons concepts et des juridictions qui les appliquent effectivement et efficacement est un des éléments que les entreprises prennent de plus en plus en compte lorsqu'elles cherchent un lieu où installer ou développer telle ou telle activité. En conséquence, tout ce qui contribue à la modernisation de notre droit des affaires et au bon fonctionnement des systèmes de régulation chargés de l'appliquer devient de plus en plus important.

Aujourd'hui, les entraves à la concurrence ou les avantages ou désavantages relatifs que présente tel ou tel pays, sont de moins en moins des entraves grossières qui relèvent des autorités et de la concurrence mais de plus en plus des dispositifs d'aide ou de non-aide au bon fonctionnement de l'activité économique. C'est donc un souci permanent de notre commission juridique au CNPF que d'essayer de détecter à l'étranger ce qui paraît bien fonctionner pour voir si des transpositions sont envisageables ou de porter le regard sur ce qui existe dans notre pays pour voir si, oui ou non, il y a lieu de l'améliorer.

Pour les activités de service, ces questions ont comme enjeu des dizaines, voire des centaines de milliers d'emplois. Le phénomène va évidemment s'amplifier en Europe avec la mise en place prochaine de la monnaie unique mais il est, d'ores et déjà, très largement engagé. On retrouve donc aussi cette préoccupation dans notre réflexion et notre regard sur l'éventuelle actualisation de la juridiction consulaire.

M. le Président : Il s'agit, en un mot, de redonner plus de crédibilité à cette institution si typiquement française ?

M. Jean-François VERNY : Votre formule laisserait à penser qu'elle n'en aurait pas suffisamment, aussi je préfère dire qu'il s'agissait de veiller à ce qu'elle puisse être organisée comme il convient.

M. le Président : Puisque vous abordez le sujet, le CNPF dispose-t-il d'informations sur la pratique des clauses d'exclusion des tribunaux de commerce français dans un grand nombre de contrats internationaux, actuellement ?

M. Jean-François VERNY : Ce que vous évoquez existe, y compris dans des affaires purement franco-françaises, mais nous allons y revenir un peu plus tard, si vous le voulez bien.

M. le Président : Il nous a été signalé qu'un nombre anormal de dossiers, excluaient la compétence des juridictions consulaires françaises au profit de juridictions étrangères ou de l'arbitrage.

M. Jean-François VERNY : ... ou encore de juridictions civiles françaises pour des affaires purement franco-françaises.

M. le Président : Le CNPF dispose d'informations sur le sujet ?

M. Jean-François VERNY : Nous avons des exemples.

Mme Joëlle SIMON : Nous n'avons pas de chiffres mais les entreprises nous en parlent !

M. le Président : Que proposez-vous pour que la crédibilité de l'institution soit parfaite ?

M. Jean-Paul CHARIÉ : C'est de la provocation !

M. Jean-François VERNY : Je ne sais pas si nous prétendons à la perfection... nous avons modestement cherché des voies d'amélioration et nous espérons en avoir trouvé quelques-unes et, si tel est le cas, nous espérons aussi que suite leur sera donnée...

M. le Président : Ce n'était pas de la provocation, le sujet fournit un bon point de départ, vous pouvez donc poursuivre sans vous démonter.

M. Jean-François VERNY : À vrai dire, je ne suis pas véritablement « démonté », j'essaie simplement de réunir mes idées pour vous les présenter le plus clairement possible.

Nous nous sommes donc intéressés d'abord au fonctionnement des juridictions, et ensuite aux questions qui peuvent éventuellement se présenter ou aux améliorations qui peuvent être trouvées en ce qui concerne les participants, c'est-à-dire, soit les juges consulaires eux-mêmes, soit les auxiliaires de ces juridictions consulaires, officiers ministériels ou mandataires de justice.

En ce qui concerne les juridictions, nous avons étudié leur nombre, leur implantation, ainsi que leurs conditions de fonctionnement.

Il y a actuellement 227 tribunaux de commerce en France : c'est trop !

Par ailleurs, comme cette juridiction a plus de quatre siècles d'existence, il est clair que l'implantation des tribunaux de commerce résulte d'une stratification qui s'est constituée au fil du temps et que certaines juridictions sont aujourd'hui implantées dans des lieux où l'activité économique s'est restreinte et ne justifie plus l'existence d'un tribunal.

Certes, il n'est pas dramatique d'avoir quelques tribunaux de trop, d'autant qu'ils sont très peu onéreux : le budget de fonctionnement des tribunaux de commerce en France représente 37 millions de francs dans le budget du ministère de la justice, ce qui représente 160 000 francs par tribunal et par an et ne correspond même pas au traitement d'une secrétaire ! Mais nous aurons l'occasion de revenir sur ce point.

Pourquoi ce nombre est-il cependant trop important ? Pour deux raisons.

D'abord, on parle de rapprocher la justice du justiciable ce qui est naturellement souhaitable mais avec des limites qui tiennent à la nature de chaque juridiction et des affaires qu'elle traite.

À cet égard, il faut noter qu'il s'agit de juridictions dont les juges sont élus, ne sont pas des professionnels et traitent de relations entre les entreprises derrière lesquelles il y a des enjeux qui sont des enjeux matériels.

C'est sous ces deux aspects que le nombre des tribunaux de commerce pose problème.

Premièrement, avoir trop de juridictions avec des magistrats élus signifie que dans les petites juridictions qui n'ont pas suffisamment d'affaires, ces magistrats ne peuvent pas se former par la pratique, parce qu'ils ne rendent pas suffisamment souvent la justice pour le faire dans des conditions qui leur permettraient de se professionnaliser dans l'exercice de leur activité juridictionnelle. On imagine donc que, s'ils viennent à connaître de telle ou telle nature d'affaires tous les deux ans, voire tous les cinq ans, ce n'est pas propice au développement de leurs compétences dans tous les domaines.

Deuxièmement, dès lors que des conflits entre entreprises doivent être réglés, si on le fait dans un trop petit ressort où la vie économique est réunie entre trop peu d'acteurs, les juges issus de ce milieu étroit sont mal à l'aise pour rendre une justice qui puisse, non pas seulement être bonne, mais encore ne pas prêter à soupçons : dans certains cas, elle peut ne pas être bonne mais c'est relativement rare. En revanche, il peut y avoir en permanence une interrogation sur le point de savoir si les juges ont pu rendre la justice dans des conditions de parfaite indépendance vis-à-vis des parties.

J'ai dit les choses très gentiment mais je peux les dire autrement : lorsque de grandes entreprises à implantation nationale ont un litige avec une petite entreprise purement locale, la décision du tribunal de commerce apparaît dans certains ressorts comme une forme de recours préalable avant le jugement en cour d'appel. Cela peut aller jusque là, non pas que les juges consulaires soient contestables mais parce que c'est ainsi : il est toujours difficile de s'abstraire de la réalité lorsque l'on est trop présent dans un monde trop petit.

Ainsi se posent à la fois le problème de la compétence et celui du minimum de distance nécessaire par rapport aux justiciables. Ces deux raisons fondent, à notre sens, un regroupement des tribunaux.

Lorsqu'une institution est vieille de 430 ans et que l'on parle de retirer des tribunaux précisément des endroits où la vie économique s'est un peu dévitalisée, on peut se heurter à des considérations d'aménagement du territoire, de vivification de terroirs.

Aussi nos réflexions nous ont-elles conduits à proposer deux voies : la première passe par la suppression pure et simple d'une quarantaine de tribunaux qui, actuellement, n'ont manifestement pas un plan de charge suffisant pour justifier leur existence ; la seconde préconise un regroupement des tribunaux eux-mêmes, de l'ordre de un par département - ce qui ne signifie pas un dans chaque département car en Seine-Maritime, par exemple, il y a place en matière commerciale, c'est bien évident, pour un tribunal à Rouen et pour un autre au Havre. Il s'agirait donc d'un regroupement sur une centaine de tribunaux de commerce avec la possibilité, pour eux, de tenir des audiences foraines dans les lieux où il y avait précédemment des tribunaux de plein exercice et où pourraient siéger des chambres de la juridiction regroupée ce qui permettrait, encore une fois, de se rapprocher des justiciables physiquement, car même si l'on ne vit pas à une époque où effectuer une cinquantaine de kilomètres est insurmontable, cela réduit les problèmes évoqués précédemment, à savoir celui de la compétence et celui de l'indépendance par rapport à un milieu local trop restreint.

Telle est la première piste de réflexion que nous avons ouverte.

En ce qui concerne la seconde, qui intéresse le fonctionnement même des juridictions, nous préconisons clairement d'accroître les moyens budgétaires qui leur sont accordés, 160 000 francs en moyenne par an et par tribunal constituant un montant qui les conduit obligatoirement à rechercher d'autres sources de financement, d'ailleurs pas nécessairement impures. Ce qui se pratiquait jusqu'aux lois de décentralisation ne peut plus dorénavant se faire légalement puisque l'activité juridictionnelle relève maintenant de la compétence exclusive de l'État, ce qui est bien naturel puisque l'on ne s'en remet pas à d'autres instances qu'à l'État pour rendre la justice.

Par conséquent, les bricolages qui peuvent encore exister sont dénoncés par la juridiction financière, même s'ils ne prêtent à rien de critiquable sur le fond, au seul motif qu'ils ne rentrent pas dans la répartition législative des compétences entre les différentes collectivités territoriales ou établissements publics dans ce pays.

Il faut donc quand même que l'État consente le minimum d'efforts nécessaires...

Nous sommes allés, en sachant quelle était la réalité des choses, jusqu'à admettre que les justiciables, c'est-à-dire nous les entreprises, puissent contribuer, par une sorte de droit de timbre ou de placement, à alimenter le budget de fonctionnement de cette juridiction.

Voilà quelles ont été nos propositions en ce qui concerne l'institution judiciaire elle-même mais nous nous sommes également attachés, avant même de traiter du problème des hommes, à l'aspect déontologique, de manière à soustraire cette juridiction à toutes les critiques susceptibles de lui être adressées, à bon droit ou non, en extrapolant à partir de cas particuliers, notamment en préconisant très clairement que les règles de déontologie, dont certaines de ces juridictions se sont déjà dotées à leur propre initiative, soient généralisées.

Le problème propre à la juridiction consulaire est celui de l'absence de mélange des intérêts ou d'absence d'intérêts dans les affaires dont on a à juger ou auprès des parties qui comparaissent devant le tribunal. C'est pourquoi nous recommandons purement et simplement que les juges, au moment de leur élection et de leur entrée en fonction, fassent une déclaration générale de leurs intérêts économiques dans le monde des affaires - il ne s'agit pas d'une déclaration du patrimoine puisque certains éléments du patrimoine sont sans incidence sur le fonctionnement de la juridiction consulaire - avec actualisation au fur et à mesure de l'évolution dans le temps desdits intérêts économiques pendant la durée de l'exercice du mandat de juge, et avec la possibilité pour les parties intéressées d'avoir accès à ces informations de manière à assurer une parfaite transparence.

J'en arrive, toujours en ce qui concerne la déontologie, à évoquer un autre aspect des choses : les juges consulaires sont des magistrats bénévoles, ce qui est une caractéristique extrêmement précieuse qu'il ne faudrait surtout pas perdre puisqu'elle a le mérite d'exister.

Cependant, ce bénévolat, si l'on veut se conformer aux exigences actuelles de la société en général et plus précisément à celles des justiciables eux-mêmes, ne consiste pas seulement à exercer son activité sans rétribution immédiate mais aussi à faire en sorte que tout soit bien clair et qu'il ne puisse pas y avoir de contreparties, même différées dans le temps.

Nous préconisons donc un certain nombre d'incompatibilités, soit pendant l'exercice des fonctions de juge consulaire, soit même durant un certain délai à déterminer, qu'il ne nous appartient pas de fixer dans le détail, mais qui prenne effet après la cessation de l'exercice des fonctions, de façon à se trouver clairement devant du bel et bon bénévolat.

Nous visons, par là, très nettement, et nous le disons clairement, les fonctions d'expert que peuvent ensuite confier les tribunaux de commerce à d'anciens juges consulaires, ou les fonctions de mandataires ad hoc, pratique qui constitue une espèce d'entorse différée ou d'exception différée au bénévolat.

Nous prévoyons enfin, afin d'assurer le respect de ces mesures, un dispositif de contrôle avec un renforcement des pouvoirs et surtout de l'efficacité du fonctionnement de la commission de discipline des juges consulaires qui existe d'ores et déjà mais qui n'a, je crois, pour tout bras armé, qu'un magistrat de la direction des services judiciaires ou de l'Inspection des services judiciaires, ce qui revient à dire, en réalité, que lorsque des problèmes surgissent, ils sont généralement réglés localement de façon discrète, alors qu'il serait plus clair que ce contrôle soit renforcé : il y a 3 200 ou 3 300 juges consulaires qui sont issus de nos rangs, issus de nos entreprises, « de notre monde » si je puis dire, que nous connaissons et nous voyons très bien à quel point tous souffrent de l'opprobre jeté sur quelques-uns d'entre eux. Il en va donc autant de leur intérêt que de celui de la juridiction que cette dernière soit incontestable.

Il convient, par conséquent, de faire la clarté à tous les niveaux.

Telles sont nos recommandations : comme vous pouvez le constater, elles n'ont rien de révolutionnaire...

M. le Président : Vous n'attendez rien de révolutionnaire du CNPF ?

M. Jean-François VERNY : La révolution, de la part du CNPF n'en est pas une, je ne veux pas vous décevoir, monsieur le président ! Mais le fait de s'attaquer de front et franchement à cette question ne répondait pas nécessairement aux anticipations de tout le monde.

M. le Président : Avez-vous analysé les services que rendaient d'autres juridictions, notamment les tribunaux de grande instance importants qui ont une chambre commerciale comme c'est le cas à Béthune, par exemple ?

J'aimerais savoir si l'on a comparé les services rendus par les grosses juridictions urbaines, par exemple, celles de Lille et Béthune, puisque Lille est un des plus gros tribunaux de commerce et Béthune un TGI important.

M. Jean-François VERNY : J'ai présidé moi-même une banque dont le siège est à Annecy où c'est une chambre du tribunal de grande instance qui statue, puisqu'il n'y a pas de tribunal de commerce. Je connais donc la situation.

Je dirai qu'il y a trois sortes de juridictions en France qui rendent la justice en matière commerciale : essentiellement les tribunaux de commerce dont nous parlons, parfois des tribunaux de grande instance statuant en matière commerciale, enfin, dans le cas particulier des départements d'Alsace et de Moselle, une forme d'échevinage avec magistrats professionnels et juges consulaires élus.

Le premier degré de réponse c'est que les justiciables sont satisfaits de la justice dans les trois cas de figure.

Premièrement, il est bon qu'il n'y ait pas de rébellion des justiciables contre une juridiction ou, plus exactement, une des formes de juridiction car cela prouve qu'il reste quand même en France, contrairement à ce que l'on prétend souvent, une forme de respect de la justice. À Annecy, on est jugé en matière commerciale par le tribunal de grande instance, à Mulhouse par un tribunal de commerce avec échevinage et à Paris par un tribunal de commerce classique et dans tous les cas la justice rendue par ces juridictions est acceptée.

Je me dois tout de même de dire, expérience faite, - et j'ai probablement eu tort de citer de façon aussi précise mon expérience personnelle - que la justice commerciale rendue par un tribunal de grande instance souffre tout de même d'une moins intime connaissance du monde de l'entreprise. En effet, c'est un tribunal qui doit également réguler toutes sortes d'affaires, principalement civiles et plus rarement commerciales. Il n'a pas le même degré de rapidité ou la même maîtrise des délais en fonction de la nature des affaires et de leur urgence qu'une juridiction spécialisée. Mais je n'irai pas plus loin car on ne peut pas dire que l'absence du tribunaux de commerce ait des conséquences dramatiquement mauvaises.

Cela nous donne plutôt à penser que la juridiction commerciale composée d'un tribunal de commerce et de juges consulaires élus est la belle et bonne solution, à condition de la moderniser, de la rénover, de l'épousseter comme nous suggérons de le faire.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Donc, vos propos montrent que votre attachement à cette juridiction est total, que globalement vous en êtes satisfait mais que vous considérez qu'il y a quelques modifications à apporter dont la première serait de supprimer une quarantaine de tribunaux de commerce au motif qu'ils seraient, premièrement en sous-activité ce qui renverrait à un problème de compétence, deuxièmement trop proches d'un certain nombre de justiciables et qu'en raison d'une influence qui pourrait s'exercer sur les juges, ils prendraient peut-être de bonnes décisions mais généreraient une certaine suspicion.

Sur ce dernier point, la situation est-elle la même pour les grosses entreprises que pour les petites entreprises du commerce et de l'artisanat ?

Un bilan - le tribunal de commerce est souvent confronté à des dépôts de bilan qui supposent un travail de prévention - comporte des comptes où deux éléments font défaut : d'une part, le savoir-faire de l'entrepreneur ou des salariés de l'entreprise - c'est la connaissance locale qui l'apporte -, d'autre part, la valeur des clients, sur laquelle repose souvent une partie importante de la force de l'entreprise.

Si je veux bien vous suivre pour certaines affaires qui « opposent » ou « relient » les grandes entreprises nationales à la petite entreprise locale, car dans ce cas il peut y avoir une volonté du juge local de porter une plus grande attention à l'entreprise locale, en revanche, pour les toutes petites entreprises du commerce et de l'artisanat, il m'apparaît important que la justice soit rendue par des personnes qui connaissent la situation locale.

Par ailleurs, j'aimerais savoir si vous avez réfléchi à la spécialisation de certains tribunaux de commerce. À travers cette question se pose celle de la « civilisation » du droit des affaires, qui constitue un des sujets de préoccupation de toute l'Assemblée, dépassant les clivages politiques. Il convient en effet d'essayer de réfléchir à la manière de faire passer le droit des affaires mais aussi le droit de la concurrence du pénal au civil. En matière de droit de la concurrence, quelle juridiction doit être saisie, est-ce le TGI ou le tribunal de commerce ? En effet, si, par exemple, telle entreprise agro-alimentaire s'oppose à un très grand distributeur, je me demande quel est le juge qui ne sera pas directement ou indirectement plus ou moins lié à la grande distribution et donc à l'enseigne en cause ? D'où l'idée de spécialiser les juridictions comme vous l'avez dit et d'envisager la présence d'un tribunal par ressort de cour d'appel.

Je résumerai mon propos en trois questions. Premièrement, que pensez-vous de la situation des petites entreprises qui seraient jugées par des tribunaux éloignés du tissu économique local ? Deuxièmement, avez-vous réfléchi à la spécialisation des juridictions ? Troisièmement, que pensez-vous de la civilisation du droit de la concurrence et à qui la confieriez-vous ?

M. Jean-François VERNY : Sur le premier point, monsieur le député, si nous avions préconisé un regroupement drastique et un véritable éloignement des justiciables, la question que vous posez deviendrait cruciale.

Dès lors que nous imaginons une centaine de juridictions, soit environ une par département, nous pensons que le contact ne sera pas perdu avec la nature des problèmes qui se posent aux entreprises et aux chefs d'entreprise. En revanche, que distance soit un peu prise avec les parties elles-mêmes, les chefs d'entreprise et les responsables, nous paraît être plutôt un bien qu'un mal.

Vous voyez ce que je veux dire ?

M. Jean-Paul CHARIÉ : Oui, mais je ne partage pas votre point de vue !

M. Jean-François VERNY : Nous pouvons bien sûr nous tromper mais c'est l'analyse que nous avons faite.

M. le Président : En clair, vous préconisez, en zone rurale, le recours au tribunal départemental, sauf exceptions ?

M. Jean-François VERNY : C'est bien cela, avec possibilité de chambres foraines.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Comme le précise à juste titre le Président, la question de la proximité de la juridiction se pose particulièrement dans le milieu rural et je peux vous dire que dans le département du Loiret qui est mon département d'origine, il est impressionnant de voir à quel point la forêt d'Orléans crée une frontière : les habitants d'Orléans, quelle que soit leur bonne volonté, n'ont pas forcément la même perception que ceux de Pithiviers, de Gien ou d'ailleurs...

M. le Président : Il faudrait une exception dans le Loiret... mais le Loiret mis à part, le reste de la France pourrait être traité de cette façon !

Mes chers collègues, je vous propose que nous ne nous arrêtions pas trop longtemps sur les aspects de la France rurale, bien qu'ils soient importants, pour pouvoir nous intéresser au monde des affaires qui représente en fait la France urbaine prise dans le cadre de l'Europe.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Monsieur le Président, c'est à dessein que j'ai lié la dimension territoriale avec la dimension de l'entreprise car le cas du commerçant ou de l'artisan local est complètement différent de celui de l'entreprise industrielle !

M. Jean-François VERNY : Notre objectif est que la juridiction amenée à juger ce type d'affaires ait la connaissance de ce qu'est une officine de pharmacie, une boulangerie ou une petite scierie de bois.

En revanche, nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire ou bon pour le fonctionnement et l'image de la juridiction et l'acceptation des décisions qu'elle rend pour la collectivité des entreprises justiciables, que le juge connaisse trop le boulanger, le pharmacien ou le scieur de bois.

M. le Président : Très bien !

M. Jacky DARNE : Sauf que les artisans n'étant, aujourd'hui, ni commerçants, ni éligibles, il est faux de dire qu'il y a une connaissance parfaite du monde artisanal, même en milieu rural et je ne pense pas que les entreprises de taille importante aient une bonne connaissance du monde artisanal.

L'une des réformes possibles ne serait-elle pas que les artisans soient électeurs et éligibles ?

M. le Président : Avant de refermer la parenthèse des pharmaciens, je dirai qu'ils sont juges au tribunal de commerce bien qu'ils ne soient pas commerçants et qu'ils se défendent de l'être.

Pour ne pas prolonger la discussion, venons-en maintenant à la question de la « civilisation » de certaines juridictions ressenties comme étant trop pénales.

M. Jean-François VERNY : J'évoquerai à la fois la spécialisation et le droit de la concurrence, certaines juridictions étant appelées à connaître des affaires de concurrence.

Nous avons réfléchi sur la spécialisation, car c'était une des pistes envisageables puisque, notamment après la loi de 1985, il avait été envisagé de concentrer sur certains tribunaux de commerce la connaissance des affaires de procédures collectives.

Le contentieux commercial serait resté attribué aux 220 tribunaux de commerce que nous évoquions tout à l'heure, mais on aurait regroupé sur les tribunaux les plus importants le suivi des procédures collectives qui représente la charge la plus lourde, la plus compliquée et la plus technique. Cela ne s'est pas fait ! Pourquoi ?

On peut évoquer toutes sortes de raisons mais, selon nous, le principal obstacle est que cette juridiction étant fondée sur le bénévolat de juges élus, lui retirer la connaissance de certaines affaires et notamment des plus importantes, aboutirait à raréfier les candidatures et à donner l'impression d'une capitis diminutio.

Premièrement nous nous sommes dit, que l'expérience avait déjà échoué une fois; deuxièmement, nous avons cru ressentir que ces juges issus de nos rangs interpréteraient comme un acte de méfiance le fait qu'on leur retire la connaissance de certaines affaires et nous avons donc pensé qu'en ôter davantage aux petites juridictions qui étaient, d'ores et déjà, pour bon nombre d'entre elles, en sous-activité, ne ferait qu'aggraver le problème. Voilà pourquoi nous n'avons pas choisi de recommander la spécialisation.

En ce qui concerne la concurrence, la question se pose dans ces termes : soit nous avons des autorités administratives indépendantes - ce que doivent être, j'imagine, le Conseil de la concurrence, la commission nationale de l'informatique et des libertés, la COB etc. -, auquel cas il faut bien que le degré supérieur relève du tronc commun des juridictions, c'est-à-dire des tribunaux civils et des cours d'appel pour être rattaché à l'ordre juridictionnel de ce pays ; soit nous donnons à connaître de ces affaires en première instance à des juridictions spécialisées, auquel cas ces dernières viennent se substituer à l'autorité administrative indépendante. C'est pourquoi nous n'avons pas intégré cet élément de réflexion dans nos travaux. À partir du moment où le Conseil de la concurrence a pris en premier ressort une décision, il est difficile d'imaginer qu'elle soit soumise pour contrôle à un tribunal de commerce...

M. le Rapporteur : Je souhaiterais, d'une part, que vous nous expliquiez concrètement comment vous envisagez la déclaration d'intérêts, comment vous la formalisez juridiquement, de manière à ce que nous ayons connaissance de vos propositions de manière précise et d'autre part, que vous nous disiez un mot, puisque vous en avez analysé les faiblesses, du recrutement des auxiliaires de justice qui jouent un rôle très important en raison de leur formation, de leur capacité d'expertise, et de leur omniprésence dans les procédures collectives.

Ce sont deux sujets qui ne sont pas reliés entre eux mais qui se rattachent à vos analyses.

M. Jean-François VERNY : La deuxième question vient peut-être dans la suite naturelle de nos réflexions et de la présentation que je peux vous faire.

En ce qui concerne la première, je dirai que nous ne sommes pas entrés dans un extrême degré de détails puisque nous nous sommes contentés de copier ou de transposer. Je fais notamment référence à une étude effectuée par un groupe de travail du ministère de la justice sur les déclarations d'intérêts à propos des chambres de commerce et d'industrie. Nous avons trouvé qu'il y avait là une réflexion extrêmement précise, articulée et intéressante et nous nous y sommes référés mutatis mutandis, puisque les problèmes de marché ne se posent pas devant les tribunaux de commerce comme devant les chambres de commerce et d'industrie. Ces travaux doivent remonter à un an ou dix-huit mois. Le rapport auquel ils ont donné lieu nous a semblé parfaitement transposable.

M. le Président : A-t-il été publié ?

Mme Joëlle SIMON : Oui, en janvier 1997.

M. Bernard FIELD : Il s'agit du rapport du groupe de travail relatif à la prévention du délit de prise illégale d'intérêts dans les chambres de commerce et d'industrie, publié par le ministère de la justice en janvier 1997.

Mme Joëlle SIMON : Bien que ne figurant pas au nombre des participants aux travaux, nous avions été associés à la réflexion par le garde des sceaux de l'époque.

M. Jean-François VERNY : En ce qui concerne la deuxième question, nous entrons là dans le domaine relatif aux hommes qui participent aux juridictions consulaires : les juges et les auxiliaires.

Au sujet des juges, il convient de préciser que ce sont des juges élus et issus de l'entreprise. Donc, il faut que les entreprises veillent à ce que cette juridiction soit alimentée de candidats suffisamment nombreux et compétents. Il y a, à ce sujet, des recommandations que le monde de l'entreprise s'adresse à lui-même.

La meilleure façon d'y parvenir c'est de rendre plus visibles, plus simples, plus lisibles, les modalités de candidature, de sélection des candidatures et d'élection des juges consulaires. Actuellement, cela relève un peu du parcours du combattant dans certaines entreprises peu habituées à cela et je pense qu'il faut agir au stade de l'appel aux candidatures et de l'organisation des élections, faute de quoi ces dernières resteront peu suivies en raison de leur caractère quelque peu opaque qui résulte probablement simplement du fait que, le temps passant, ces choses-là s'oublient... Il peut y avoir d'autres explications, mais c'est la première qui vient à l'esprit.

M. le Président : On ne vote pas plus aux élections prud'homales qu'à celles des tribunaux de commerce !

M. Jean-François VERNY : Les élections prud'homales sont quand même mieux connues parce que l'ensemble des salariés y participent pour le collège salarié. Ainsi le collège employeur en entend parler par les salariés, alors que dans le cas qui nous intéresse seuls interviennent les employeurs et les entreprises. Vous savez que ce sont des délégués consulaires qu'il faut élire dans un premier temps, délégués qui, à leur tour, élisent les juges : si l'on procédait à un sondage dans une réunion de chefs d'entreprise pour savoir comment les choses se passent, les résultats nous donneraient probablement quelques inquiétudes... Donc nous préconisons...

M. le Président : Un tirage au sort ?

M. Jean-François VERNY : Non, non, nullement le tirage au sort mais le rappel de chacun à ses devoirs et ses responsabilités et, en même temps, le débouchage de canaux qui se seraient un petit peu obstrués...

Puis vient un sujet sur lequel nous avons du mal à nous faire comprendre et du mal à convaincre.

Nous recommandons un mixage des magistrats professionnels et des juges élus. Je ne reviendrai pas sur les juges élus puisque j'ai déjà évoqué les raisons qui font que nous sommes attachés à cette forme de juridiction et que nous estimons qu'au prix d'un dépoussiérage et d'une modernisation, elle sera très adaptée aux besoins de l'entreprise à notre époque.

Nous préconisons cependant l'entrée de magistrats professionnels dans ces tribunaux, non seulement par le biais du parquet qui, légalement, y est présent depuis le début de 1980, mais dont la présence n'est effective que dans quelques grands tribunaux de commerce seulement - à cet égard le regroupement des tribunaux de commerce, facilitera cette présence du parquet - mais également au siège des tribunaux de commerce.

Nous ne souhaitons pas la forme de l'échevinage, qui existe en Alsace et en Moselle, ainsi que je le rappelais tout à l'heure, et qui y est maintenant entrée dans les moeurs depuis un siècle, car elle est un chiffon rouge aux yeux de tous les juges élus dans la mesure où ils l'entendent comme la présidence par un magistrat professionnel entouré d'assesseurs, c'est-à-dire dans leur esprit de « potiches », et nous savons très bien que le choix d'une telle formule - c'est peut-être regrettable mais c'est comme cela - provoquerait un effet de fuite et qu'il n'y aurait plus de candidats, alors que nous avons déjà bien des difficultés à en trouver. Par conséquent, le réalisme nous dissuade d'emprunter cette voie.

Pourquoi, dans ces conditions, préconisons-nous quand même l'entrée de magistrats professionnels ? Pour deux raisons.

Premièrement, il y a quand même une forme de paradoxe à ce que ces affaires commerciales soient jugées en première instance exclusivement par des juges élus sans participation de magistrats, c'est-à-dire de professionnels de l'instruction et de la prise de décision juridictionnelles, alors qu'au second degré on ne trouve plus que des magistrats professionnels.

Deuxièmement, lorsque nous sommes devant des juges élus qui ont fait carrière dans l'entreprise ou qui ont été chefs d'entreprise, et qui se présentent à ces élections vers la cinquantaine, voire au-delà, nous nous trouvons devant des personnes qui, si je peux m'exprimer communément, « ne sont pas tombées dans la justice » quand elles étaient petites ou qui ne sont pas habituées à rendre la justice et qui ont toute une existence professionnelle antérieure qui leur donne d'autres réflexes que ceux d'un juge. Nous parlions tout à l'heure de la déclaration générale des intérêts : il peut arriver que des juges élus participent à la prise de décision dans des affaires, alors qu'ils peuvent être en relation avec tel ou tel aspect de l'affaire à juger ou avec les parties qui comparaissent, sans même s'en rendre compte, car, en réalité, il n'y a pas que des gens dont les intentions sont impures ; il peut y en avoir qui, par inadvertance, parce qu'ils ont l'habitude de traiter leurs affaires, ne trouvent pas anormal de continuer à juger des affaires qui les concernent.

Nous avons donc mentionné précédemment la déclaration générale des intérêts mais nous pensons aussi que la présence, au sein des juridictions, de magistrats professionnels qui ont reçu une autre forme d'éducation, de préparation à la fonction juridictionnelle, contribuera à un meilleur équilibre de l'ensemble des considérations qui président au rendu d'une bonne justice.

M. le Président : C'est là l'apport le plus intéressant et le plus inattendu de vos propositions pour les observateurs extérieurs.

M. Bernard FIELD : Je souhaiterais ajouter, pour bien prendre la mesure des choses que nous proposons, qu'il ne s'agit absolument pas de doter chacun des tribunaux de commerce en magistrats professionnels pour la bonne raison que le corps judiciaire est bien incapable d'en fournir un grand nombre ! Il s'agit dans notre esprit d'en « injecter » seulement là où c'est justifié, probablement dans les chambres statuant en matière de procédures collectives. Il conviendrait de commencer par une cinquantaine de magistrats, parce que je ne voudrais pas que l'on objecte à notre proposition que les effectifs ne permettent pas de l'appliquer.

Je suis convaincu que l'on peut parvenir à la mettre en pratique, à la satisfaction de tous : les magistrats professionnels, a priori jeunes dans la carrière, y gagneraient considérablement dans la connaissance des mécanismes de l'entreprise ; les magistrats consulaires, comme le disait Jean-François Verny, bénéficieraient d'une présence à l'intérieur des tribunaux de commerce qui, là encore, pourrait contribuer à « l'ouverture des fenêtres ».

M. le Président : Vous propos appellent plusieurs questions.

Premièrement, verriez-vous d'un bon oeil la présence de juges non professionnels dans les cours d'appel car on peut également imaginer ce cas de figure ?

M. Bernard FIELD : Nous la proposons expressément sous forme, non pas de conseillers en service extraordinaire, mais de conseillers en service à temps plein et totalement intégrés par un tour extérieur qui serait ainsi réservé à d'anciens magistrats consulaires.

M. le Président : À la Cour de cassation également, puisqu'il y en a actuellement et que, précisément, le bilan n'est pas mauvais ?

M Bernard FIELD : En service extraordinaire, pourquoi pas, effectivement, puisque cela existe déjà ? Je ne sais pas si le statut propre de la Cour de cassation permettraient une intégration et une assimilation, mais c'est un détail...

Je crois qu'au niveau des cours d'appel, il est très important de situer ces magistrats consulaires en tant que conseillers de cour d'appel à temps plein, pour ne pas donner le sentiment de créer une sous-catégorie à leur détriment.

M. le Président : J'en arrive à une seconde question : puisque vous avez fait antérieurement référence aux procédures collectives, pourriez-vous concevoir une juridiction des procédures collectives qui soit distincte du tribunal de commerce et qui puisse être éventuellement une juridiction à échevinage à laquelle on pourrait attribuer un autre contentieux, tel que le contentieux des associations ou le contentieux agricole ?

M. Jean-François VERNY : Non, nous n'y sommes pas favorables !

M. le Président : Pourquoi ?

M. Jean-François VERNY : J'estime, ainsi que je le disais tout à l'heure en réponse à l'une des questions de M. Charié, qu'il ne faut pas enlever cette attribution aux tribunaux de commerce car ils le prendraient mal et comme leur alimentation repose sur le volontariat, tout ce qui risque de les froisser...

M. Jean-Paul CHARIÉ : L'idée serait de répartir l'ensemble des activités, non plus de façon horizontale ou simplement territoriale, mais par sujets.

La question est précise : on pourrait très bien avoir tel tribunal de commerce qui s'occupe plutôt des conventions collectives dans l'agriculture, tel autre des délais de paiement ou du droit de la concurrence. On peut parfaitement imaginer une spécialisation -il ne faut pas trop entrer dans les détails mais rester réaliste - qui ne se fasse pas aux dépens des tribunaux. Spécialisation n'est pas synonyme d'amputation mais de répartition des tâches...

M. Jean-François VERNY : Oui, mais il faut bien voir que ces juges ne sont pas comme les magistrats professionnels qui vont passer d'un tribunal dans un autre. Ces juges exercent leur fonction au tribunal de Pau ou au tribunal de commerce de Rouen et ils ne vont pas changer. En conséquence, si l'on retire à des tribunaux de commerce certaines activités, on les retirera bien aux juges qui peuvent faire acte de candidature pour lesdits tribunaux.

M. le Président : Le sens de ma question était un peu différent : serait-il possible d'imaginer un regroupement de toutes les procédures collectives qui, actuellement, ne sont pas toutes appelées devant les tribunaux de commerce puisque certaines, concernant les associations ou les coopératives, passent devant le TGI, pour les envoyer devant une juridiction à échevinage qui existerait partout ?

Mis à part le risque de froisser les juges consulaires, y a-t-il une autre raison qui s'oppose à une telle éventualité ?

M. Jean-François VERNY : Je veux bien faire abstraction de la susceptibilité des juges consulaires et, monsieur le Président, je comprends mieux votre question.

Concernant les procédures collectives, finalement, nous estimons qu'elles ont déjà pris beaucoup trop d'importance dans ce pays et que l'on en attend beaucoup plus qu'elles ne peuvent donner au motif de la préservation de l'emploi : nous nourrissons un doute ontologique sur ce sujet !

Les procédures collectives sont celles qui s'ouvrent lorsqu'une entreprise est en défaut de paiement. Et plus on les entretient, plus on les multiplie, plus on les fait durer, plus on prélève sur la substance des créanciers. Au motif de protéger l'emploi dans l'entreprise qui est en difficulté, on met en péril l'emploi dans les entreprises créancières, ce qui, pour nous, est un jeu à somme nulle. La seule partie qui n'est pas perdante est celle qui bénéficie du coût de telles procédures, sujet sur lequel nous allons revenir lorsque nous parlerons des auxiliaires des tribunaux de commerce.

Le fond de notre pensée est le suivant : les procédures collectives constituent une machine à détruire de la valeur ! Certes, elles existent, et ce que je dis n'est certainement pas un propos que l'opinion publique est disposée à admettre d'emblée, mais c'est notre conviction et notre constatation.

M. Jacky DARNE : Pour exprimer mon point de vue, je dois dire que je suis étonné de la divergence entre vos propos et le contenu des rapports des juges consulaires eux-mêmes aux assises nationales d'octobre 1997, puisqu'ils font des propositions de réforme qui vont dans un sens très éloigné du vôtre : d'une part, ils proposent une moindre disparition des petits tribunaux de commerce et surtout la spécialisation des tribunaux économiques qui reprendraient l'ensemble des procédures collectives, qu'elles relèvent des juridictions civiles ou commerciales ou des chambres commerciales des tribunaux de grande instance ; d'autre part, ils proposent que le droit de la concurrence et le droit boursier soient rattachés à ces tribunaux spécialisés, qui deviendraient ainsi de véritables tribunaux économiques, les autres ayant la seule charge des contentieux entre commerçants.

Cette proposition des juges consulaires entend satisfaire un souci de compétence mais également de prévention en matière économique. Vous avez dit qu'il y a prélèvement sur les créanciers mais en réalité, ce que l'on demande aux tribunaux de commerce et à leurs présidents, c'est bien d'éviter qu'il y ait perte et donc de permettre à des entreprises, en dépit d'incidents qu'il est possible de dépasser par une bonne organisation, de poursuivre leur activité.

Il ne s'agit donc pas simplement de préserver l'emploi mais de permettre aux entreprises de dépasser des circonstances qui sont tout à fait surmontables.

Dans ces conditions, je suis un peu étonné de la distance qu'il y a entre vos propositions et vos remarques et celles des juges eux-mêmes, alors qu'elles ont une même origine puisque les juges sont élus par des entreprises et que vous-mêmes représentez les entreprises. Est-ce que vous pouvez m'expliquer cette divergence ?

M. Jean-François VERNY : Elle tient en partie au fait que je me suis mal exprimé !

La prévention, nous y croyons, mais elle se passe de deux façons : de façon tout à fait informelle et en dehors de tout regard du tribunal dans de nombreux cas, notamment avec les créanciers, et devant les tribunaux de commerce, ou plutôt sous le regard plus particulier de leur président, parce que tout ce qui contribue à la confidentialité est essentiel si l'on veut exercer une prévention suffisamment précoce pour qu'elle ait les meilleures chances de réussite.

J'avais omis de mentionner cet aspect des choses mais, je le répète, nous croyons en la prévention. Ce que je disais s'applique à ce qui se passe après la prévention, c'est-à-dire à la vraie procédure collective et là, je ne change pas de langage tout en comprenant parfaitement qu'un juge consulaire ait une autre vision des choses.

En effet, quand il est, lui, saisi de l'affaire, l'entreprise a déposé son bilan et il doit gérer une phase de redressement judiciaire et va s'y employer le mieux possible. Que fait-il alors ? Il exerce bien son métier de juge et il le fait dans le cadre de la loi telle qu'elle existe ! Moi, je me situe en amont et je dis que c'est la loi qui confie cette mission aux juridictions de commerce et que, ce faisant, la loi provoque de la perte de richesses dans ce pays - je dis bien la loi et non pas le juge qui, ensuite, l'applique du mieux qu'il peut ! Au juge, on confie le soin de l'entreprise en difficulté, mais il oublie qu'il y a aussi les créanciers qui vont, en réalité, eux, financer sans le vouloir cette période de soins intensifs...

M. le Président : Nous avons enregistré que vos études précédentes concernaient les procédures collectives et je propose qu'à la fin de nos travaux, nous puissions consacrer une journée complète à ce sujet. Je vous invite maintenant à dire un mot concernant les auxiliaires.

M. Jean-François VERNY : Au nombre des auxiliaires, on distingue les officiers ministériels que sont les greffiers, pour lesquels nous avons proposé des petites mesures. Dans notre rapport, se profile l'idée de mieux répartir les rôles au sein des tribunaux de commerce, notamment dans ceux qui sont les moins importants où parfois les juges élus, accaparés par leurs autres activités, et ne pouvant consacrer à leurs fonctions juridictionnelles que le temps du bénévolat, attribuent, peut-être de façon excessive pour une saine répartition des rôles entre celui qui a à juger et celui qui l'assiste, des fonctions quelque peu élargies à ces auxiliaires. C'est pourquoi nous proposons quelques petites mesures simples qui d'ailleurs, je crois, peuvent, pour partie, être suivies d'effets, notamment en ce qui concerne Infogreffe.

Restent les autres auxiliaires que sont les mandataires de justice: administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs. Il s'agit de professions organisées, fermées, tarifées.

Nous ne sommes pas surpris de ne pas les voir fonctionner avec la meilleure efficacité parce qu'elles ne répondent pas aux critères que nous, CNPF, préconisons de respecter pour obtenir une organisation efficace ! Nous constatons donc des situations que nous pouvions présupposer.

Concernant les administrateurs, il faut une profession car être un chef d'entreprise de secours, est un vrai métier notamment en période difficile. En conséquence, ouvrons un peu cette profession-là, organisons-la, dotons-la d'une déontologie et prévoyons des contrôles car je crois difficile d'imaginer qu'une entreprise en difficulté, dans une période où elle joue sa survie, puisse ne pas être accompagnée, si l'on veut lui donner toutes ses chances, par un vrai professionnel en la matière.

Même si nous estimons souhaitable de limiter le recours aux procédures collectives, ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure, il n'en demeure pas moins que certains cas subsisteront et puisque, en tout cas, la loi existe, nous nous situons dans le cadre de son application.

Améliorons donc le fonctionnement de cette profession, exerçons de meilleurs contrôles puisque, apparemment, certains d'entre eux n'ont pas fonctionné à temps dans quelques cas particuliers et allongeons les périodes de stage et la professionnalisation puisque c'est un métier très difficile, la meilleure preuve en étant que le chef d'entreprise à qui on va adjoindre cet administrateur judiciaire n'a pas réussi lui-même à bien gérer son entreprise. Il faut donc quelqu'un qui soit meilleur que lui pour l'aider à traverser cette période.

S'agissant des mandataires-liquidateurs c'est une profession qui a été organisée en 1985 et qui a deux objets puisque liquider est une chose et que représenter les créanciers en est une autre. Faut-il 300 professionnels à travers la France pour liquider ? N'aurait-on pas de meilleures conditions de réalisation d'actifs en effectuant un regroupement d'affaires sur quelques grands professionnels ? C'est un peu, si je peux me permettre une analogie, la même situation qu'entre Sotheby's ou Christie's d'une part et les commissaires-priseurs français d'autre part...

M. le Président : Ce que vous proposez serait encore plus fermé !

M. Jean-François VERNY : Oui, mais professionnel : il s'agit de liquider, il n'y a plus de problème de choix... On doit liquider, donc céder des actifs en les réalisant dans les meilleures conditions possibles de transparence et de professionnalisme.

S'agissant de l'autre rôle du mandataire-liquidateur, la représentation des créanciers, là, c'est un cri d'indignation que nous poussons !

En effet, les créanciers c'est nous, les entreprises et voilà des gens que l'on nous « balance » comme représentants sans que nous les ayons choisis - c'est quand même les rares représentants qui ne sont pas choisis par les représentés - et dont, de surcroît, un seul suffit à nous représenter tous ! Que les créanciers soient au nombre de 2 000 ou 3 000, ils n'ont qu'un seul représentant, quelles que soit les divergences d'intérêts qui peuvent exister entre eux.

Il s'agit donc purement et simplement d'un abus de langage, d'une tromperie et nous estimons n'être pas représentés ! En outre, le fait que cette profession exerce ses fonctions sans nous en rendre compte - pourquoi le ferait-elle ? -, qu'elle soit intéressée financièrement à écarter les créances que nous présentons - ce qui est quand même un comble !- et que nous soyons représentés par quelqu'un dont on fait l'adversaire de certains créanciers, voire de tous les créanciers, nous est, pour tout vous dire, parfaitement intolérable !

M. le Président : Je vois que vous avez fait une intervention qui était parfaitement urbaine d'un bout à l'autre mais que vous aviez conservé de l'indignation pour la fin !

En tout cas nous enregistrons vos propos.

M. Henri PLAGNOL : Si vous considérez que l'on ne peut pas vous imposer un représentant des créanciers, ce que, pour ma part, je comprends parfaitement, comment alors résolvez-vous le problème de la défense des intérêts des créanciers et sous quelle forme ?

M. Jean-François VERNY : En les laissant se représenter ou choisir leurs représentants, et en ne leur fermant pas les voies de recours.

La loi sur les procédures collectives n'a qu'un souci qui est de sauver l'entreprise en difficulté, quels que soient les problèmes qu'elle crée à ses créanciers qui sont d'autres entreprises.

Je me demande donc pourquoi on privilégie d'un seul coup le malade au détriment de tout le monde et au risque de répandre la contagion : le droit français des procédures collectives est le contraire d'une quarantaine! On a un malade et on va faire en sorte d'en créer plus pour tenter de sauver celui qui est moribond. On va y parvenir une fois de temps en temps sans jamais se poser la question de savoir à qui on a transmis la maladie par ailleurs. Je vous dis le fond de ma pensée.

M. le Président : Là, nous sortons un peu du sujet des tribunaux de commerce pour entrer dans la critique de la législation qu'on leur fait appliquer, dont la loi de 1994 qui a été votée par une majorité qui a été bien inspirée, non ?

M. Jean-François VERNY : Oh, vous savez, les majorités... Nous, nous vivons dans la légalité à travers les siècles et les siècles... Ce n'est pas notre sujet. Nos réflexions, monsieur le Président, ont été rendues publiques en décembre 1992 parce que nous n'attendons pas des échéances qui nous échappent !

M. le Président : Nous allons en venir maintenant à quelques questions sur les tribunaux de commerce et leur organisation puisque j'imagine que c'est un problème dont vous n'avez mésestimé, ni la difficulté, ni le caractère brûlant.

M. Bernard FIELD : Peut-être puis-je, spontanément, ajouter un petit mot sur la question du contrôle des professions auxiliaires des tribunaux de commerce et notamment des mandataires, puisque nous avons découvert, à l'occasion de ces travaux, que ce contrôle était plus théorique que réel, plus organisé qu'inopiné et, par conséquent, tout à fait insuffisant.

Par ailleurs, Jean-François Verny rappelait tout à l'heure que, théoriquement, un magistrat de la Chancellerie était chargé d'effectuer ce contrôle mais nous savons que, la plupart du temps, ce poste n'est pas pourvu et que lorsqu'il l'est, il est difficile de procéder à de tels contrôles partout.

Nous pensons qu'il serait absolument essentiel, à cet égard, que soit créé un corps de contrôle, peut-être autour de l'Inspection générale des services judiciaires mais avec des contrôleurs compétents que l'on peut imaginer issus de l'Inspection générale des finances...

M. le Président : Des représentants du CNPF ?

M. Bernard FIELD : Je ne pense pas que nous poussions à la confusion des rôles et des genres, en aucune façon.

M. le Président : Non, mais les corps de contrôle pourraient également être ouverts ?

M. Bernard FIELD : Je ne suggérerai pas, en tout cas, la privatisation de ce corps de contrôle !

M. le Président : Je vous en donne acte bien volontiers !

Vous souhaitez donc qu'il y ait un renforcement du corps...

M. Bernard FIELD : Nous souhaitons que s'exerce un véritable contrôle à travers un certain nombre de corps de contrôle de l'État qui sont compétents et qui peuvent l'exercer très rapidement et de façon efficace.

M. Robert GAÏA : Premièrement, je souhaiterais que vous nous en disiez un peu plus sur Infogreffe.

Deuxièmement, vous avez déploré ou constaté l'absence des parquets ; quelle est votre position exacte sur le sujet ?

M. Jean-François VERNY : Monsieur le député, si vous nous y autorisez, nous allons répartir les réponses.

Concernant Infogreffe, nous avons constaté que le tarif de consultation était absolument prohibitif et, ce sentiment étant partagé par la Cour des comptes et la Chancellerie, je crois que des mesures viennent d'intervenir pour corriger cette situation. Infogreffe est un très bon service mais je dois dire que, généralement, les informations convenables que l'on recueille sur Minitel ne sont pas facturées très cher, qu'il faut donc les ranger dans les informations convenables car c'est tout ce qu'il y a de plus convenable que d'accéder au registre du commerce.

M. Bernard FIELD : Pour ce qui a trait à la présence du parquet dans les juridictions consulaires, il est clair que nous sommes tout à fait partisans de la maintenir !

Nous constatons simplement qu'elle est limitée, d'abord du point de vue territorial à quelques grandes juridictions, cinq ou six, voire sept ou huit au grand maximum, ensuite du point de vue de la nature des dossiers: il s'agit essentiellement des dossiers de procédures collectives et encore, le plus souvent, les plus importants ou ceux qui ont été signalés par telle ou telle autorité...

S'il faut maintenir cette présence, il ne faut pas, comme d'aucuns tentent de le faire croire, considérer qu'elle résout le problème de la présence de magistrats professionnels au sein des tribunaux de commerce. Ce n'est pas suffisant ! Par ailleurs, le parquet étant le parquet, il n'a pas vocation, par définition, à participer au jugement des affaires puisqu'il n'est là que pour représenter un certain point de vue : celui de l'intérêt général, de la loi, sans participer à l'instruction, ni au jugement des affaires. La solution que nous proposons n'est nullement exclusive de la présence du parquet mais elle vient la compléter, selon nous, de façon très importante.

M. Jacky DARNE : J'ai trois séries de questions à vous poser.

Premièrement, vous avez, M. Verny, développé l'idée que, finalement, les procédures collectives coûtent plus qu'elles ne rapportent. Disposez-vous d'études en la matière parce que les procédures, par définition, permettent à certaines entreprises de poursuivre leur rétablissement alors que d'autres sont liquidées. Avez-vous procédé à une étude économique pour savoir en quoi elles ont permis de créer de la richesse et en quoi elles ont conduit à en perdre ?

Deuxièmement, vous avez évoqué la difficulté d'avoir des candidats en nombre suffisant. Comment se font les procédures d'appel à candidature ? Quelle est la participation aux élections ? Le CNPF joue-t-il un rôle en la matière ?

Troisièmement, vous avez commencé votre intervention par les clauses attributives de compétence ; j'aimerais savoir en quoi les réformes ou les avancées que vous avez mentionnées permettront de renforcer la crédibilité des juridictions commerciales françaises, en quoi elles sont neutres et quels sont les principaux motifs fournis par les entreprises pour choisir une chambre d'arbitrage ou une juridiction étrangère ?

M. Jean-François VERNY : Je vais commencer par répondre à votre dernière question.

Sur ce dernier point, nous ne disposons pas de statistiques mais nous avons simplement connaissance de cas très précis dans lesquels certains contrats sont soumis contractuellement, par le choix des parties au contrat, à d'autres juridictions que la juridiction consulaire. C'est principalement le cas des grands réseaux avec des maillages présents sur l'ensemble du territoire et qui ont, à tort ou à raison, une petite réticence à se faire juger par un trop petit tribunal de commerce dont l'autre partie serait plus connue qu'ils ne le sont eux-mêmes : je peux vous citer l'exemple de la distribution automobile.

Concernant votre première question, je n'ai plus de statistiques en tête mais je crois que nous avions quelques chiffres en 1992, concernant le coût de l'emploi sauvé dans les procédures collectives par rapport au coût de l'emploi créé en moyenne ; j'ai quelques scrupules à vous les communiquer oralement car je ne les ai pas tous en tête mais nous vous ferons parvenir les renseignements utiles.

À propos des candidatures aux élections, plusieurs systèmes existent. La procédure normale d'appel à candidature repose sur les Unions patronales, qui sont les organisations géographiques horizontales du monde patronal, ou les fédérations verticales par profession. Une circulaire arrive généralement dans l'entreprise, s'y promène quelque temps, étant donné que personne dans l'entreprise n'est chargé de cette question. Les personnels les plus actifs dans leur vie professionnelle estiment n'avoir pas beaucoup de temps à y consacrer. Ainsi, la recherche des candidatures, si elle n'est pas organisée en tant que telle, ne se fait pas spontanément.

Certaines vocations naissent de la perspective d'une cessation prochaine d'activité professionnelle, ce qui explique l'âge moyen des juges consulaires ; il n'y a d'ailleurs aucune raison pour qu'ils soient des bambins, mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse ! Par ailleurs, certaines régions comme l'Île-de-France, les Bouches-du-Rhône, ou les Alpes-Maritimes, ont cherché à organiser la sélection pour veiller à ce que ne soient proposés au suffrage que des candidats susceptibles de remplir les fonctions auxquelles ils sont appelés. Dans d'autres cas, nous nous trouvons devant un système de cooptation pure et simple. Plus la juridiction est petite et plus elle constitue un raccourci pratique.

M. le Président : Votre rapport comporte un grand développement sur ce sujet !

M. Jean-François VERNY : Oui, nous avons cité quelques exemples d'organisation dans les grands ressorts des tribunaux de commerce mais, dans les autres cas, on va au plus simple.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Concernant les règles de compétence des tribunaux de commerce, estimez-vous que, dans le cas de procédures collectives pour cessation de paiement d'une entreprise qui appartient à un groupe d'entreprises, la saisine du tribunal du siège du groupe pose problème ? Est-ce que vous avez déjà constaté que cette situation n'était pas idéale ?

M. Jean-François VERNY : Non, je ne connaissais même pas cette règle, monsieur le député. N'y a-t-il pas un choix entre le siège de la société qui dépose son bilan - ce qui doit être, j'imagine, le critère premier - et la possibilité, dans certains cas, d'évoquer l'affaire devant le tribunal du siège du groupe parce que c'est ce dernier qui aurait laissé tomber sa filiale en dépôt de bilan ? Je pense que la règle première doit être le siège de la société.

M. le Président : Il y a fréquemment des problèmes de compétence et souvent c'est la Chancellerie qui est consultée en catastrophe pour trancher, mais on étudiera cette question dans le cadre des procédures collectives.

Audition de M. Christian DESCHEEMAEKER,
conseiller-maître chargé du secteur de la justice à la quatrième chambre de la Cour des comptes

(extrait du procès-verbal de la séance du 10 février 1998)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président

M. Descheemaeker est introduit

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Descheemaeker prête serment.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de notre commission. Je rappelle que dans le cadre de vos fonctions vous avez procédé à un certain nombre de travaux pour la Cour des comptes qui ont été en partie publiés et qui ont fait l'objet de recommandations aux institutions. Je vous propose donc de nous dire dans quel cadre vous avez agi et quelles ont été les limites de votre action en soulignant les principaux aspects de votre travail, notamment le mode de financement des tribunaux de commerce qui constitue la partie essentielle de votre étude.

M. Christian DESCHEEMAEKER : La Cour des comptes a procédé, en effet, à un certain nombre de contrôles de juridictions judiciaires à partir de la fin 1995 et ces contrôles s'achèveront d'ici à quelques semaines.

Il s'agit pour la Cour des comptes de contrôles de services extérieurs de l'État puisque les juridictions judiciaires ne sont, d'un point de vue budgétaire, que des services extérieurs de l'État d'un genre un peu particulier. Autrement dit, même si ces contrôles n'avaient pas eu lieu, ou très rarement eu lieu, dans le passé, il convient de les ranger dans la même catégorie que des contrôles de directions départementales de l'Equipement ou de directions départementales de l'Agriculture.

La méthode retenue a été de contrôler le fonctionnement courant et l'investissement, mais pas les dépenses de personnel. Il s'est forcément agi d'une méthode par échantillons puisque le nombre de juridictions judiciaires excluait un contrôle exhaustif.

Ces contrôles ont porté d'abord sur presque toutes les juridictions de Paris intra muros - je dis bien presque, parce que nous n'avons pas vu tous les tribunaux d'instance -, sur à peu près le tiers des juridictions du ressort de Douai, soit une vingtaine, sur à peu près le tiers des juridictions du ressort d'Aix-en-Provence, soit une vingtaine de juridictions également - donc deux grands ressorts ayant un nombre de juridictions à peu près équivalent mais géographiquement opposés - et plus récemment sur les ressorts de la banlieue, donc de Paris extra muros d'une part, de Versailles d'autre part, et enfin sur le plus petit ressort de France, à savoir celui de la cour d'appel d'Agen.

Chaque fois, nous sommes donc en présence d'échantillons variables dont certains importants, ainsi que je l'indiquais pour Douai et Aix-en-Provence.

À l'occasion de ces contrôles, la Cour des comptes a examiné les tribunaux de commerce parmi les autres juridictions judiciaires. Elle a donc contrôlé aussi bien des cours d'appel que des tribunaux de grande instance, des tribunaux d'instance, des conseils de prud'hommes ou des tribunaux de commerce.

Pour vous donner des indications chiffrées, je dirai que l'unique tribunal de commerce dans le ressort de Paris intra muros a été contrôlé ainsi que cinq tribunaux de commerce sur neuf dans le ressort de Douai, six tribunaux sur seize dans le ressort d'Aix-en-Provence, deux tribunaux sur cinq dans le ressort de Versailles, quatre tribunaux sur dix dans le ressort de Paris extra muros et que les cinq tribunaux du ressort d'Agen ont tous pu être contrôlés en raison de leur petite taille. Mais je ne pourrai pas vous en parler dans la mesure où ce contrôle est seulement en voie d'achèvement.

En outre, cet échantillon a permis de contrôler quelques tribunaux de grande instance à chambre commerciale qui exercent donc des activités comparables à celles des tribunaux de commerce, mais dans un contexte tout à fait différent, puisque c'est celui de juridictions judiciaires composées exclusivement de juges judiciaires : trois tribunaux de ce type ont été contrôlés dans le ressort de Douai - celui d'Avesnes, celui d'Hazebrouck et le plus connu et le plus important celui de Béthune - un autre l'a été dans le ressort d'Aix-en-Provence - celui de Digne - ce qui porte à quatre le nombre de tribunaux de grande instance à chambre commerciale auxquels nous nous sommes intéressés, avec un souci de comparaison entre les deux formules, qui, en réalité, est très difficile à établir du fait de la différence de structures.

Voilà pour le contexte !

La Cour des comptes a fait connaître les résultats de ces contrôles opérés sur les tribunaux de commerce assez systématiquement, comme elle le fait toujours, par l'envoi de lettres d'observation aux chefs de juridiction, donc aux présidents de tribunal de commerce avec automatiquement copie au chef de la cour d'appel du ressort.

Elle a décidé de mettre dans son rapport public 1997 une insertion sur l'aspect le plus important, selon elle, à savoir la gestion extrabudgétaire des tribunaux de commerce - sur laquelle je reviendrai - et quelques autres interventions ont été faites, en cours de route, auprès de la Chancellerie et du ministère des finances sur des problèmes plus spécifiques.

Bien entendu, les contrôles de la Cour des comptes sur n'importe quel type de juridiction sont limités à la gestion budgétaire et financière de ces juridictions, entendue au sens large, c'est-à-dire incluant l'adéquation des moyens aux besoins et aux missions mais excluant très nettement, comme cela a toujours été dit aux chefs de juridiction, toute appréciation sur le contenu des décisions juridictionnelles rendues : la Cour des comptes ne serait plus, si tel n'était pas le cas, dans son rôle.

Cela signifie que je ne peux vous parler que des choses que la Cour des comptes a examinées. J'ai été moi-même soit rapporteur, soit chef d'équipe ou contre-rapporteur et l'on peut dire que j'ai été impliqué dans quasiment tous les contrôles, hormis les tout derniers sur Agen qui sont en cours de réalisation, mais, pour autant, il n'est pas question pour moi d'aborder des sujets que j'ignore, c'est-à-dire de porter une appréciation sur la valeur des jugements rendus par les tribunaux de commerce même si, comme tout citoyen qui lit la presse, je sais ce que certains en pensent ! La Cour des comptes ne pouvait pas pousser ses investigations en ce sens ni pour les tribunaux de commerce, ni pour d'autres juridictions judiciaires.

M. le Président : Dites nous plutôt comment ils sont financés.

M. Christian DESCHEEMAEKER : Les tribunaux de commerce ont cette particularité de fonctionner sur deux budgets.

Ce sont des services de l'État ; ils devraient donc, normalement, comme les autres juridictions judiciaires, fonctionner exclusivement sur le budget du ministère de la justice, cela depuis la loi de 1983 sur le transfert de compétences qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1987.

Cette règle, qui vaut pour toutes les juridictions, n'est pas réellement appliquée dans les tribunaux de commerce puisque ces derniers avaient depuis très longtemps pris l'habitude - même à l'époque où leur fonctionnement courant était assuré par les départements - de recevoir des subventions d'organismes publics ou privés et d'avoir ainsi, à côté de crédits publics, des fonds d'origine variée utilisés distinctement : ils avaient, pourrait-on dire, deux caisses et je me souviens d'un tribunal de commerce où il y avait une armoire dans laquelle étaient rangées, à droite, les pièces justifiant les dépenses sur crédits d'État et, à gauche, celles justifiant les dépenses payées sur la caisse alimentée dans des conditions que je vais indiquer...

C'est donc là une particularité ! Bien entendu, il convient de relativiser l'importance des sommes en jeu car il faut savoir que le budget de fonctionnement d'un tribunal de commerce représente en moyenne assez peu de chose, d'abord parce que les juges sont bénévoles, ensuite parce que le greffe est privé.

Le fonctionnement courant d'un tribunal de commerce correspond donc aux frais de chauffage du bâtiment, au loyer des locaux s'il y en a un - dans ce cas ce sera le principal poste de dépenses. En dehors de l'entretien et de l'achat de quelques fournitures, les dépenses sont réduites.

Pour donner un ordre de grandeur, un petit tribunal de commerce aura un budget de fonctionnement d'environ 50 000 francs par an, - je le dis avec beaucoup de précautions car cela dépend des localisations - et un gros tribunal de commerce de banlieue pourra en avoir un de 5 millions de francs par an, dès lors qu'un loyer est payé par l'État si le bâtiment est en location. La fourchette se situe donc entre 50 000 francs et 5 millions de francs, cette dernière somme étant tout à fait exceptionnelle, 50 000 francs ou 100 000 francs étant des chiffres beaucoup plus courants, mais il arrive assez fréquemment que ce budget soit doublé par cette seconde caisse que j'évoquais.

Je dirai maintenant quelques mots sur ces recettes extrabudgétaires que nous qualifions à la Cour des comptes de « financements extrabudgétaires ».

Qui accepte de verser des fonds aux tribunaux de commerce ? Après tout, en effet, tous les services de l'État pourraient solliciter de tels concours et d'ailleurs, de temps à autre, j'ai entendu des chefs de juridiction judiciaire admettre qu'il aurait parfois été bien commode d'avoir ainsi un second budget à côté du budget principal, mais c'était simplement une sorte d'accès de jalousie très temporaire et sans concrétisation. Par conséquent, il n'y avait rien à en dire !

La tradition voulait que ces financements soient attribués par les collectivités locales mais elle a tendance à se perdre. Quand je parle des collectivités locales cela peut être la commune d'implantation ou les communes du ressort, - avec souvent d'ailleurs des subventions extrêmement modiques, presque symboliques puisqu'elles sont fréquemment de l'ordre de 2 000 francs à 3 000 francs - mais ce n'est pas toujours le cas...

Les chambres de commerce constituent la deuxième source importante qui a eu tendance à devenir prédominante pour des raisons que je qualifierai de « sociologiques », liées aux affinités entre les juges consulaires et les élus des chambres de commerce, puisqu'ils relèvent du même vivier et du même régime d'élections alors que, là encore, les chambres de commerce n'ont pas été inventées pour prélever sur la population qu'elles desservent et par des voies parfois fiscales, donc contraignantes, des sommes qui servent ensuite à faire fonctionner, de manière d'ailleurs irrégulière, un service de l'État.

Il existe encore deux autres sources de financement plus modiques mais plus critiquables encore : les organismes professionnels, donc les unions patronales locales, et les auxiliaires de justice, - soit tel ou tel avocat, mandataire ou même greffier - qui versera à titre individuel une subvention au tribunal de commerce. De telles subventions, monsieur le Président, ne sont pas toujours volontaires et peuvent parfois être très largement sollicitées.

M. le Président : Elles ne sont pas déductibles des impôts ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je ne pense pas qu'elles le soient.

Voilà donc ce qu'il en est des recettes extrabudgétaires dont le montant est extrêmement variable puisqu'elles s'élèvent, pour donner des ordres de grandeur, à 500 000 francs par an à Nanterre - où elles sont essentiellement fournies par le conseil général des Hauts-de-Seine - alors qu'elles n'atteignent en tout et pour tout dans d'autres tribunaux de commerce que 20 000 francs ou 30 000 francs versés chaque année par la chambre de commerce du lieu. Il y a donc des risques extrêmement différents puisque, par définition, avec 20 000 francs ou 30 000 francs, ces derniers sont limités.

À quoi servent ces fonds ? C'est là que résident la difficulté et le caractère critiquable du système puisque, dans l'ensemble, ils servent à couvrir à peu près toutes les dépenses courantes d'un tribunal de commerce, de sorte que nous avons certaines catégories de dépenses qui sont payées en partie par des crédits d'État, et en partie par cette seconde caisse.

J'ajoute que ladite caisse a été longtemps gérée sous une forme étonnante, qui était l'existence d'un compte en banque ouvert au nom du tribunal de commerce, ou de son président es qualité. J'ai toujours été étonné de la facilité avec laquelle il était possible d'ouvrir un compte en banque au nom d'un service de l'État dépourvu de toute personnalité morale !

Or cela s'est produit pendant des années et je serais d'ailleurs incapable de dire quand ces pratiques ont commencé à se développer, car personne n'a pu m'indiquer une date, ce qui signifie qu'elles sont très anciennes... Pendant longtemps, ce compte en banque était le principal système ; les subventions arrivaient sur le compte du tribunal.

En 1991 et 1992, des contrôles de la Cour des comptes qui portaient sur la chambre de commerce et d'industrie de Versailles, c'est-à-dire sur la partie versante, ont donné un aperçu de ce système qui a été critiqué par la Cour des comptes, de sorte que le ministère de la justice a mis en place un fonds de concours, en 1993, cette formule permettant de transformer ces concours extrabudgétaires : on collectait les sommes et on les faisait entrer dans le budget de l'État par le moyen juridique prévu à cet effet, même si son fonctionnement est un peu lourd, à savoir le fonds de concours.

À partir de 1993, tout aurait donc dû rentrer dans l'ordre et des circulaires de la Chancellerie avaient demandé qu'il soit mis fin à ces versements et à l'utilisation de comptes bancaires, comme à la seconde formule qui tendait à se répandre, à savoir l'utilisation d'une association amicale qualifiée souvent « d'association de soutien ». Dans chaque tribunal était ainsi constituée une association amicale des juges, ce qui est tout à fait licite, mais cette association, outre ses activités conviviales - voyages et repas - servait d'association de soutien, c'est-à-dire qu'elle utilisait une partie des fonds reçus à financer des dépenses de fonctionnement du tribunal, ce qui est irrégulier contrairement à la convivialité qui, elle, est régulière !

En fait, les circulaires de la Chancellerie postérieures à 1993 et à la création de fonds de concours n'ont pas abouti à grand-chose si ce n'est, dans l'ensemble, à la disparition des comptes en banque ouverts au nom du tribunal de commerce et à leur remplacement par les associations de soutien qui commençaient à apparaître. Donc, globalement, après 1993, dans les années 1994-1995, on a vu se clore les comptes en banque, pas toujours mais souvent, et se développer des associations de soutien là où il n'y en avait pas encore !

M. le Président : C'est le président du tribunal qui présidait ce type d'associations ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : C'était souvent le cas mais pas systématiquement ! Cela pouvait être son prédécesseur.

M. le Président : Son prédécesseur signait des chèques pour le fonctionnement du tribunal ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Oui !

M. le Président : C'est ce qui se fait actuellement, en fait ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : C'est ce qui se fait actuellement même si - et je vais y venir tout à l'heure à propos des dépenses de personnel - les occasions de dépenses ont beaucoup diminué depuis quelque temps, puisque le principal poste était le poste « dépenses de personnel » et qu'une réforme de 1995 a, quand elle est appliquée, sensiblement réduit les besoins.

Nous sommes donc, depuis l'année dernière, dans une période - mais c'est là une opinion de la Cour des comptes - où nous bénéficions de toutes les circonstances favorables pour mettre un terme à ce système de gestion extrabudgétaire des tribunaux de commerce.

Les dépenses qui sont dans l'ensemble payées sur crédits d'État correspondent aux fournitures, au chauffage, au nettoyage, au téléphone, au loyer, quand il y en a un. Celles qui sont en général payées par des voies extrabudgétaires - je dis dans l'ensemble parce que, d'abord je n'ai vu qu'un échantillon, ensuite, les pratiques sont variables - correspondent aux frais de déplacement des juges consulaires, aux frais de formation, (généralement au centre de Tours), aux frais de réception du tribunal et du président, notamment à la réception qui est donnée après l'audience solennelle. C'est l'hypothèse la plus favorable puisque l'on s'en tient souvent à une réception annuelle après l'audience de rentrée : il s'agit fréquemment de réceptions splendides ; c'est, tout au moins, la réputation qu'ont les réceptions données par le tribunal de commerce de Nanterre, si l'on en croit les propos qui sortent de la bouche des juges judiciaires eux-mêmes et qui trahissent peut-être aussi une pointe de jalousie...

Dans bien d'autres hypothèses, les frais de réception ne se limitent pas à cette réception suivant la séance solennelle de rentrée mais couvrent aussi de très nombreux repas offerts, soit à des autorités de l'État, soit à des hôtes de passage, ou encore des repas entre juges consulaires, de sorte que l'on a du mal à établir une distinction entre ce qui est convivialité associative et ce qui est fonctionnement courant du tribunal. Pourtant, cette distinction existe puisque, dans un service de l'État, il n'est pas interdit d'avoir des frais de réceptions, bien que des règles soient posées pour éviter tout laxisme.

Le fonds de concours mis en place en 1993 aurait eu pour avantage de recycler ces fonds venus des chambres de commerce et des collectivités locales vers le budget de l'État et d'imposer, ce qui était évidemment une grande contrainte, de dépenser cet argent en respectant les règles de la comptabilité publique. C'est-à-dire qu'il aurait permis d'avoir des frais de réception mais en respectant les règles prévues pour ce type de dépenses.

C'est sans doute pour cela que, après 1993, la mise en place du fonds de concours n'a pas changé grand-chose car très rares sont les tribunaux de commerce qui en ont usé, et cela pour des motifs variés : la lourdeur est l'une des raisons le plus souvent invoquée, dans la mesure où l'on ne sait jamais quand l'argent sera disponible - ce qui n'est pas totalement faux -, l'autre est que le système de l'association de soutien ou du compte en banque était tellement commode que l'on ne voyait pas très bien pourquoi en changer !

Une très forte pression a été exercée à cette époque par l'organisme qui représente les tribunaux de commerce et surtout les juges consulaires auprès des pouvoirs publics, - je veux parler de la Conférence générale des tribunaux de commerce - qui a élaboré de très nombreux textes, circulaires et lettres missives qui, si je résume simplement, équivalaient à dire : « ne changez rien à vos habitudes ! Il y a le fonds de concours : c'est une idée de la Chancellerie ; continuons comme avant ! ». Il existe des documents fort surprenants, rédigés dans un style assez peu administratif signifiant: « On vous pose des questions ? Ne répondez pas ! »

M. le Président : Ce sont des juges qui les ont rédigés ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Des juges consulaires !

M. MARTIN : C'est la Conférence des présidents !

M. le Président : Nous les entendrons bientôt !

M. Christian DESCHEEMAEKER : Ainsi, les choses ont très peu changé. Elles évoluent depuis peu, peut-être grâce aux contrôles effectués par la Cour des comptes et également en raison des nouvelles mesures concernant les dépenses de personnel que j'ai évoquées précédemment.

Je poursuivrai mon intervention en disant quelques mots sur les risques que comporte la gestion extrabudgétaire. Il est important pour moi de souligner qu'elle est toujours irrégulière, dans la mesure où il est interdit de financer des services de l'État par prélèvements sur les comptes d'une association ou par prélèvements sur un compte bancaire, mais je dois dire que j'ai observé des gestions extrabudgétaires qui, au-delà de l'irrégularité intrinsèque de ce système, étaient remarquablement gérées, à l'économie, avec des comptes scrupuleusement tenus : dans l'irrégularité tout était en ordre !

À côté de cela, j'ai trouvé, ce qui est assez surprenant de la part de juges consulaires qui ne cessent de répéter qu'ils sont des professionnels de la gestion, des gestions extrabudgétaires tenues n'importe comment et pour lesquelles, quand on cherchait vainement un registre ou un cahier avec les recettes et les dépenses, les responsables nous faisaient savoir que les seules pièces justificatives étaient les souches des carnets de chèques : c'est mieux que rien mais c'est quand même peu !

M. le Président : Ils ne s'en seraient peut-être pas contentés pour un dépôt de bilan !

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je pense effectivement qu'ils ne s'en seraient pas contentés.

Une telle situation a conduit la Cour des comptes qui se trouvait face à de trop nombreuses irrégularités constitutives de « gestion de fait » pour pouvoir toutes les déclarer, - il y avait comme disent les militaires à propos d'un radar, une sorte de saturation - à prendre des mesures qui ont consisté à faire des rappels à l'ordre systématiques aux chefs de juridiction quand les choses relevaient de « l'irrégularité dans la clarté », à faire une insertion au rapport public qui est une mise en garde à destination de tous les présidents de tribunal de commerce, et pas seulement de ceux qui ont été contrôlés, et à menacer d'ouvrir des procédures de gestion de fait dans certains cas.

Deux procédures ont aussi été ouvertes d'emblée, c'est-à-dire à l'occasion du contrôle, en raison de l'extrême obscurité des pièces qui ne permettait que l'on s'en satisfasse. Peut-être qu'au terme de la procédure, les choses auront été clarifiées car chacun sait que certaines procédures contentieuses provoquent la réapparition de pièces justificatives qui, a priori, n'existaient pas...

M. le Président : Quels sont les deux tribunaux concernés ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Toulon et Antibes.

M. le Président : Quelle a été a réaction du président du tribunal de commerce de Toulon ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Sa réaction est loin d'être terminée puisque la procédure ne fait que commencer.

Ce que je sais, c'est que le président du tribunal de commerce de Toulon a démissionné à la fin de l'année dernière. J'ignore si c'est une réaction...

M. le Rapporteur : ... ou une anticipation.

M. Christian DESCHEEMAEKER : En tout cas, il a démissionné !

Un autre mode d'action utilisé par la Cour des comptes a consisté, dans les cas où les irrégularités étaient assez importantes, puisque, je l'ai dit, les sommes en jeu n'étaient pas du tout les mêmes selon les endroits, à dire, à la suite d'un rappel à l'ordre, qu'elle reviendrait plus tard pour vérifier si les choses étaient redevenues régulières. Il n'est donc pas exclu que quelques autres déclarations de gestion de fait viennent s'ajouter aux deux qui ont déjà été ouvertes, aussitôt après le contrôle sur place puisque, comme vous le savez, il faut des décisions collégiales.

C'est, je crois, la seule formule qui était envisageable, compte tenu du nombre de tribunaux de commerce et du fait également que beaucoup de ces irrégularités ne sont pas accompagnées de détournements de fonds. En apparence, hormis le procédé intrinsèque qui est irrégulier, la plupart des dépenses étaient en effet acceptables !

Voilà donc ce qui a été fait par la Cour des comptes. Il est toujours gênant pour un membre de la Cour des comptes de dire que dans l'irrégularité il y a des degrés... mais cela correspond bien à la réalité !

La Cour des comptes a donc fait des observations critiques sans prendre de mesures contentieuses et a, dans quelques cas, ouvert des procédures contentieuses.

Dans ses réponses à l'insertion au rapport public, le ministère de la justice a également annoncé quelques mesures qui lui étaient d'ailleurs demandées par la Cour.

En effet, en essayant, là encore, de rester aussi objectif que possible, il faut bien dire que la gestion extrabudgétaire des tribunaux de commerce est un système dans lequel les torts ne sont pas totalement imputables aux tribunaux de commerce, puisqu'ils ne disposaient pas de certaines lignes budgétaires. On trouvait normal qu'un juge consulaire se déplace à ses frais pour suivre des cours au centre de formation de Tours ; or je considère, pour ma part, que pour bénévole qu'il soit, un juge ne doit pas « y être de sa poche ». Quand il se déplace pour le service, il me paraît normal que ce soit l'État qui lui paie ses frais de déplacement, comme il le fait pour un fonctionnaire et au même tarif que pour un fonctionnaire.

Par conséquent, la Cour des comptes, constatant l'irrégularité de ces situations et la nécessité d'y mettre fin, avait estimé que, à cette fin, il fallait, d'une part que les tribunaux de commerce cessent d'agir comme ils le font et passent par le fonds de concours, d'autre part que la Chancellerie ouvre des crédits raisonnables pour couvrir quelques frais de réception, de déplacement, de formation à leur bénéfice ; la Chancellerie s'y est engagée dans la réponse qui est publiée après l'insertion au rapport public.

Pour parler plus familièrement, il ne faut pas qu'il y ait un système « pousse au crime » ; pendant un certain nombre d'années on peut dire, je crois, que la Chancellerie ignorait le détail des choses dont je vous parle mais qu'elle savait, en gros, que les tribunaux de commerce avaient une seconde ressource budgétaire. Selon des réflexes qui sont très courants, elle a estimé que puisqu'il y avait de l'argent ailleurs, il ne valait peut-être pas la peine d'en mettre. C'était un cercle vicieux : on ne donnait pas de frais de déplacement parce que l'on savait que les juges consulaires parvenaient à se déplacer sur une autre caisse mais, ce faisant, on justifiait une gestion extrabudgétaire.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Parmi les dépenses financées par des fonds extrabudgétaires, quelles seraient, selon vous, celles qui sont justifiées et a-t-on une idée du montant de ressources budgétaires nécessaire pour les couvrir ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je n'ai pas pu procéder à une évaluation car les situations sont très variables.

Le tribunal de commerce de Paris a des besoins beaucoup plus importants que d'autres tribunaux parce qu'il est impliqué dans un certain nombre d'actions de coopération internationale. Le président du tribunal de commerce de Paris et certains juges consulaires seront, par exemple, appelés à se déplacer au Maroc, en Chine - je prends l'exemple de ces pays parce qu'il correspond à des cas récents - ce qui n'est pas choquant, si l'on considère que la France veut exporter son système de tribunaux de commerce...

M. le Président : C'est le cas ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je crois qu'elle veut l'exporter au Maroc à tout le moins !

En revanche, dans de nombreux tribunaux de commerce, - la majorité d'entre eux étant de tout petits tribunaux -, il ne faut que quelques milliers de francs pour offrir un cocktail après l'audience solennelle de rentrée, quelques crédits de déplacement très minimes, et c'est tout !

Je crois que le poste principal de dépenses devrait être le poste de formation, qui demande à être chiffré. C'est faisable puisque je crois qu'un juge consulaire qui vient d'être élu doit passer quelques fins de semaines prolongées à Tours pour se former et, autant que je sache, le système de Tours est considéré comme un bon système de formation !

L'essentiel des dépenses correspond donc à ces déplacements pour la formation puisque, à ma connaissance, la formation elle-même est gratuite.

M. le Président : On repère donc quelques frais de représentation, quelques dépenses de formation et peu de frais de déplacement ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Exactement !

M. Jacky DARNE : À quoi correspond, au niveau national, ce second mode de financement ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je suis incapable de vous le dire puisqu'il n'y a aucune statistique. Je ne peux donc que vous donner les chiffres des tribunaux qui ont été contrôlés par la Cour : toute tentative de la Chancellerie pour obtenir des indications s'est heurtée à un refus, téléguidé par la Conférence générale des tribunaux de commerce, de sorte qu'il n'y a aucun recensement de ces fonds.

M. le Président : On va demander à cette instance de nous fournir cette information.

M. Christian DESCHEEMAEKER : Mais, monsieur le Président, je ne suis même pas certain qu'elle la détienne elle-même !

M. Jean-Paul CHARIÉ : Cela peut faire partie d'un questionnaire !

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je peux dire que ces fonds atteignaient 500 000 francs à Nanterre et à Pontoise, 150 000 francs seulement à Créteil, ce qui prouve d'ailleurs que les situations sont assez variables même dans de très gros tribunaux de commerce.

M. le Président : Vous avez les documents qui sont envoyés par la Conférence des présidents ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : J'en ai un certain nombre mais je ne prétends pas les avoir tous !

M. le Président : S'ils ne sont pas couverts par un quelconque secret, nous vous demanderons de nous les communiquer.

M. Christian DESCHEEMAEKER : Tout à fait !

M. le Président : Je propose que l'on parle maintenant du personnel, puisque c'est le poste principal.

M. Christian DESCHEEMAEKER : Les dépenses de personnel peuvent être prises en charge de façon extrabudgétaire, mais elles ne le sont pas nécessairement. Un bref rappel est nécessaire sur ce point.

En janvier 1987, quand le transfert de charges a pris effet, on trouvait dans les tribunaux de commerce d'une certaine taille, des agents du département le plus souvent, puisque c'était ce dernier qui assurait la logistique des tribunaux de commerce ; on trouvait aussi, parfois, des agents qui étaient déjà dans une situation irrégulière.

Prenons d'abord le cas des agents qui étaient en situation régulière. Le système qui a été mis en place a consisté à dire que l'État ne remettait pas en cause ce qui existait, mais qu'il rembourserait aux départements le traitement des agents en poste au 1er janvier 1987 aussi longtemps qu'ils resteraient dans leurs fonctions et pour autant qu'ils n'opteraient pas pour le statut de fonctionnaire de l'État, option qui leur était ouverte. Donc, au fil des années, nous avons vu disparaître un certain nombre d'agents qui étaient ainsi payés par le département et remboursés par l'État ; il en existe quand même encore un nombre non négligeable.

Prenons maintenant le cas des agents qui se trouvaient en situation irrégulière au 1er janvier 1987. Ils n'ont évidemment donné lieu à aucune mesure de régularisation. Aucun texte n'a dit en effet que l'on prenait la situation telle qu'elle était et qu'on la régularisait. On a donc régularisé uniquement les agents des collectivités locales en fonction dans les tribunaux de commerce et quand je dis « les agents », ce n'est souvent que la secrétaire du président. Seuls les gros tribunaux pouvaient avoir davantage de personnel. Dans les petits tribunaux, il n'y a même pas de secrétaire alors que, dans les gros tribunaux, les effectifs peuvent être constitués de cinq ou six personnes, en dehors des agents du greffe. L'enjeu est cependant, là encore, limité.

La situation irrégulière que l'on observait en janvier 1987 concernait des agents payés par des chambres de commerce et mis à disposition du tribunal de commerce et de son président et quelques secrétaires - il s'agit de quelques cas - qui étaient payées tout simplement par l'entreprise de leur président, situation effectivement difficile à accepter mais qui a existé, y compris à Paris, pendant longtemps.

Nous avons donc relevé un certain nombre d'irrégularités dont certaines pouvaient également tenir au fait que les agents qui étaient très régulièrement affectés au tribunal de commerce, - par exemple les agents du département mis à disposition et remboursés par l'État, ou les agents que l'État mettait à la disposition du tribunal de commerce - bénéficiaient de compléments de rémunération par les voies extrabudgétaires dont j'ai parlé, d'abord par prélèvements sur le compte bancaire, ensuite grâce aux fonds de l'association de soutien. Le fonctionnaire percevait ainsi des sommes, du reste souvent assez modestes, de l'ordre de 1 000 à 5 000 francs par mois qui, dans un premier temps, n'étaient évidemment déclarées, ni au fisc, ni à l'URSSAF et qui, dans un second temps, l'ont parfois été tout en restant irrégulières s'agissant de fonctionnaires touchant deux rémunérations...

Je complète mon propos en disant que cette situation irrégulière de 1987 a duré pendant des années, la disparition des agents en situation régulière favorisant d'ailleurs dans certains cas l'embauche de personnel par l'association de soutien, pour assurer le secrétariat du président ou l'assistance juridique ou différentes fonctions gravitant autour du président du tribunal...

Les mesures récentes qui ont été prises - et il était grand temps de le faire car on vivait sous l'emprise d'un régime en voie d'extinction - ont consisté à prévoir dans un décret de juillet 1995, qui a modifié le code de l'organisation judiciaire, que les tâches administratives incombaient au greffier privé et que, par conséquent, ce dernier devait assurer le secrétariat du président ainsi que la préparation budgétaire.

Autrement dit, par ce décret, on instituait un nouveau système destiné à entrer en vigueur progressivement, au fur et à mesure des départs en retraite ou des changements de fonction des agents régulièrement en place, attribuant au greffier la charge de leur rémunération. Après le décret de juillet 1995 est paru un arrêté de mars 1997, puis une circulaire. L'ensemble du dispositif, longuement négocié entre la Chancellerie et la Conférence générale des tribunaux de commerce consiste à moduler la charge incombant au greffe en fonction du nombre des magistrats . Si le tribunal de commerce comprend moins de 25 juges, le greffier n'est pas tenu de prendre en charge le secrétariat du président ; au-dessus de vingt-cinq juges par tribunal de commerce, le greffier doit rémunérer un agent d'abord, puis deux, trois, quatre et cinq, chiffre atteint dans les plus gros tribunaux de commerce.

Par conséquent, on peut considérer que l'on a mis en place, enfin, un système qui, normalement, doit permettre de faire immédiatement disparaître toutes les situations irrégulières antérieures et qui, pour le reste, s'appliquera progressivement au fur et à mesure que les agents du département qui sont en fonction depuis janvier 1987 partiront à la retraite.

Il est difficile de dresser un constat complet de la situation ; j'ai cependant observé que, dans un certain nombre de tribunaux de commerce, comme les négociations qui ont abouti à ces textes réglementaires étaient bien connues, des mesures d'application avaient été prises par anticipation : le greffier a rémunéré la secrétaire du président avant même la sortie du décret de juillet 1995.

En revanche, on trouve également des situations dans lesquelles, aujourd'hui encore, le greffier ne paie personne : je peux citer le cas de Nanterre, tribunal de commerce particulièrement important, où sur cinq agents qui se trouvent à la présidence, deux sont en situation régulière dans la mesure où ce sont des agents du département qui étaient là au 1er janvier 1987 et dont le traitement est remboursé par l'État ; deux sont des agents qui n'étaient pas là le 1er janvier 1987, dont le traitement n'est pas remboursé par l'État et qui sont donc un cadeau du conseil général au tribunal de commerce, tandis que le cinquième est rémunéré par la chambre de commerce, ce qui porte à trois le nombre d'agents en situation irrégulière ; quant au greffier, il ne paie personne !

M. le Président : C'est de Nanterre qu'il s'agit ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : C'est Nanterre !

M. le Président : Tribunal intéressant à tous égards...

M. Christian DESCHEEMAEKER : La remarque a été immédiatement faite que, deux agents étant en situation régulière et trois en situation irrégulière, il suffisait, pour régulariser les choses, que le greffier prenne en charge ces trois agents, puisque, vu l'importance du tribunal, ce dernier devra, à terme, payer cinq personnes. Cette remarque a été accueillie par un grand silence ! Mais nous tombons, là, dans le problème des relations qui existent entre un président de tribunal et son greffier.

M. Jean-Paul CHARIÉ : À quoi tient cette situation ? Il y a un conflit entre le président et le greffier ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Le président semble craindre de poser la question au greffier !

M. le Président : Nous vous poserons, par la suite, quelques questions sur le greffe. Sur le personnel que peut-on ajouter ? Si je vous ai bien compris, dans les toutes petites juridictions, il n'y a personne ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Il n'y a personne, dans la mesure où c'est un greffier qui assure le secrétariat et l'écoute téléphonique.

Dans certaines petites juridictions, le président passe tous les huit jours, voire tous les quinze jours. Dès lors, la permanence du tribunal c'est le greffe, à telle enseigne d'ailleurs, que lorsque l'on téléphone, on tombe sur le greffe...

M. le Président : Avant de dire un mot sur cet important personnage du greffier, mes chers collègues, avez-vous des questions à poser sur le fonctionnement des juridictions ?

M. le Rapporteur : Dans l'insertion au rapport public, il est fait allusion, page 61, à la question des versements effectués par les auxiliaires de justice à titre individuel. Vous avez pris deux exemples en soulignant l'atteinte, au moins apparente, à l'indépendance d'un tribunal lorsque ce dernier doit choisir entre des mandataires-liquidateurs et des administrateurs judiciaires dans les procédures collectives. Le dernier paragraphe qui traite de cette question se termine de la façon suivante : « Ainsi le tribunal de commerce d'Antibes a désigné les deux mêmes professionnels dans toutes les procédures dont il a eu à connaître pendant dix ans, jusqu'en 1995. »

Est-ce à dire que, implicitement, vous considérez que, eux aussi, ont participé au subventionnement du fonctionnement du tribunal, ce qui n'est pas clairement écrit dans le rapport ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Non ! Autant que je sache, il n'y a pas eu de subventions de ces deux professionnels ; pendant dix ans on a choisi le même mandataire-liquidateur dans cent pour cent des cas et le même administrateur judiciaire dans cent pour cent des cas.

M. le Rapporteur : Mais il n'est pas établi qu'ils aient participé au fonctionnement ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Non, ce n'est pas établi !

M. le Rapporteur : En revanche, vous donnez un exemple précis, celui du tribunal de commerce de Draguignan qui a reçu pendant quatre ans, jusqu'en 1995, une subvention annuelle de 20 000 francs environ d'un mandataire de justice. J'aimerais savoir qui il est.

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je n'ai plus le nom en tête mais c'était, si je ne me trompe, un avocat - je voudrais être sûr de ne pas me tromper - et la somme était destinée à participer à la rémunération de la secrétaire du président ; ce qui est dit n'est pas autre chose que l'expression de risques...

M. le Rapporteur : J'entends bien !

M. Christian DESCHEEMAEKER : Je veux dire par là que l'on peut observer des situations de ce genre qui visent à aider les juridictions à fonctionner. Simplement, comme nous sommes dans le domaine judiciaire, il faut toujours préserver les apparences même si les intentions sont pures.

M. le Président : Est-ce que le greffe commercial du tribunal de Béthune est un greffe privé ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : C'est un greffe public : c'est le greffe du tribunal de grande instance !

M. le Président : Que peut-on dire du tribunal de Lille qui est un grand tribunal de commerce d'une ville industrielle très importante ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Rien de très critique, monsieur le Président ; j'allais dire, au contraire, que la gestion extrabudgétaire qui y est non négligeable, est digne de tous les éloges. Je n'oserais pas l'écrire mais la gestion est très bien tenue et il est signalé dans l'insertion au rapport public que, lorsque l'observation a été faite au président que l'accumulation de fonds sur un compte en banque, simplement due à une gestion extrabudgétaire parcimonieuse, équivalait à thésauriser des subventions inemployées et que, par conséquent, il convenait de les restituer à la chambre de commerce de Lille-Roubaix-Tourcoing, cela a été fait dans les quinze jours, et une somme de 750 000 francs a été reversée à la chambre de commerce et d'industrie sans récrimination.

M. le Président : Ma question avait pour objet de montrer qu'il y avait des approches locales qui étaient complètement différentes. Comment les choses fonctionnent-elles sur Paris ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : En dehors du fait que les chiffres étaient plus importants, le système, sur Paris, obéissait à la même logique.

Il y a d'abord eu le système du compte en banque. Parallèlement à ce système, il existait deux associations, tout comme à Nanterre et à Marseille. La gestion extrabudgétaire à Paris, comme à Nanterre, était une gestion complexe dans la mesure où elle fonctionnait avec plusieurs supports et des flux financiers de l'un vers l'autre.

Le compte en banque du tribunal a été fermé en 1994 et il n'est plus resté que les deux associations dont l'une, plus que l'autre, peut être considérée comme une association de soutien.

La particularité de Paris est que lorsque le fonds de concours a été mis en place en 1993, Paris a joué le jeu et a prévenu les organismes concernés, essentiellement la chambre de commerce, de verser les subventions via le fonds de concours. La petite astuce est qu'en réalité les sommes ont été divisées en deux, la moitié de la subvention de la chambre de commerce étant versée via le fonds de concours, entrait donc dans les crédits de l'État et était dépensée selon les règles de la comptabilité publique, tandis que l'autre moitié était versée à l'une des associations gravitant autour du tribunal. Par conséquent, la gestion extrabudgétaire s'est poursuivie, simplement pour moitié seulement des montants antérieurs puisque l'on tourne autour de 480 000 francs multipliés par deux.

M. le Président : Il y a toujours deux associations ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Il y a toujours deux associations, l'une s'appelle l'AMAM - l'Association des magistrats et anciens magistrats - et l'autre l'AFFIC - l'Association pour favoriser le fonctionnement de l'institution consulaire.

M. le Président : Et qui a procuration sur ces comptes ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Monsieur le Président, je n'ai pas ces renseignements en tête : l'AMAM est, de droit, présidée par le président du tribunal, l'AFFIC est présidée par des juges consulaires et les deux associations ont actuellement le même trésorier : il s'agit d'un juge consulaire à la retraite qui reçoit l'appellation de « questeur » du tribunal de commerce.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Dans le cas de ces deux associations, l'argent sert pour la convivialité ou pour financer d'autres frais ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Pour tout !

M. Jean-Paul CHARIÉ : Et il y a toujours irrégularité ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Non ; la partie conviviale échappe à la Cour des comptes, qui ne cesse de dire dans ses observations qu'elle ne critique pas l'existence d'une association amicale des juges, mais qu'elle demande que cette association n'intervienne plus dans le fonctionnement.

M. Jean-Paul CHARIÉ : À Paris, elle continue de le faire ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Elle continue d'intervenir dans le fonctionnement courant, comme c'est le cas dans bien d'autres tribunaux de commerce.

Il n'y a aucune mise en cause de l'existence d'une amicale. Ces amicales existent un peu partout, mais il faut qu'elles restent des amicales et le problème c'est que le système avait été tellement institutionnalisé que beaucoup d'entre elles incluaient dans leurs statuts mêmes une phrase disposant qu'elles apporteraient leur soutien au fonctionnement courant du tribunal. Ces clauses sont en train d'être modifiées dans la plupart des associations.

M. le Président : On a maintenant une idée de la confusion des genres qui s'est répandue !

Nous pourrions peut-être maintenant en venir aux greffes ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Les greffiers sont des officiers ministériels et la Cour des comptes a, dans ses contrôles, systématiquement rencontré les greffiers, ne serait-ce que par courtoisie et a, en plus, contrôlé un certain nombre de greffes, dès lors qu'ils étaient en sociétés civiles professionnelles, puisque les textes concernant la Cour des comptes lui permettent de contrôler les organismes bénéficiant de concours financiers publics. Ce concours financier peut-être un concours en nature : en l'espèce c'est l'absence de loyer, le fait que le greffier est logé par l'État...

M. le Président : C'est le cas à Paris ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : C'est le cas à Paris. Tous les greffiers sont logés par l'État. Il arrive qu'un greffier paie un local d'archives mais jamais son implantation complète ; d'ailleurs les textes ne l'imposent pas...

M. le Président : Ils ne l'interdisent pas non plus ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Ils ne l'interdisent pas non plus, il serait donc, a priori, nécessaire de faire payer par les greffes un loyer pour les mètres carrés qu'ils occupent.

Par ailleurs, la notion d'organisme a été comprise et reste toujours comprise comme signifiant une personne morale, ce qui exclut du contrôle les greffiers qui exercent à titre individuel. C'est la raison pour laquelle n'ont pas été contrôlés, notamment, les greffes de Nanterre, Bobigny, Créteil, trois tribunaux très importants, puisqu'il se trouve qu'ils sont tous les trois tenus par un greffier exerçant à titre individuel.

En, revanche, le tribunal et le greffe de Pontoise et Évry, en région parisienne, ont été contrôlés.

Il n'y a pas de corrélation absolue entre la taille du tribunal de commerce et le fait que le greffier exerce sous forme de société civile professionnelle.

Ce qu'il est possible de dire sur les greffes de tribunal de commerce, c'est d'abord qu'il s'agit d'entreprises qui sont actuellement extrêmement rentables ; ensuite que les greffiers sont des personnages contrastés : je veux dire par là qu'on trouve un certain nombre de greffiers qui ont l'esprit de service public, parfois même à un degré assez développé et qui sont fiers de vous dire qu'ils appartiennent à la troisième génération de greffier...

M. le Président : C'est cela l'esprit de service public ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Ce n'est pas suffisant mais j'ai vraiment rencontré des greffiers qui croyaient à ce qu'ils faisaient et qui étaient très fiers d'appartenir, avec un statut particulier, au service public de la justice.

A contrario, j'en ai vu d'autres qui avaient une vision un peu différente de leur métier, mais cela peut s'expliquer par le fait que lorsque l'on a hérité de sa charge, on a moins de préoccupations financières que lorsque l'on doit l'amortir sur quelques années. Or, certains greffiers sont visiblement très préoccupés d'amortir le coût d'achat de la charge qui représente une somme non négligeable.

M. le Président : On peut faire la même remarque pour les pharmaciens et les notaires.

M. le Rapporteur : Eux sont soumis à la concurrence...

M. Christian DESCHEEMAEKER : Il est important de faire une remarque sur la productivité des greffes de tribunal de commerce.

Il est très difficile d'établir une comparaison, toutes choses étant égales par ailleurs, entre un greffe fonctionnarisé et un greffe privé mais l'impression qui prévaut c'est que les greffes des tribunaux de commerce sont des greffes efficaces - leur fonctionnement fait rarement l'objet de critiques - et productifs.

Il faut savoir que les greffes des tribunaux de commerce sont de toutes petites entreprises : seuls deux greffes emploient plus de cinquante salariés ; de nombreux greffes comptent six à dix salariés et je crois, même s'il est difficile de le démontrer, que leur productivité par rapport à un greffe fonctionnarisé est sans commune mesure ! Or cela ne semble pas tenir à des mesures ou à un comportement inhumain puisque la stabilité des agents dans les greffes est remarquable : à Paris il y a même une hérédité, non seulement de la charge, mais aussi des emplois des salariés des greffes qui passent de pères en fils.

La productivité est donc forte et elle tient notamment au très gros effort accompli dans l'informatisation des procédures : de nombreux greffiers ont beaucoup investi dans l'informatique, ce qui s'est révélé rentable puisque les tâches d'un greffe, qu'elles soient extrajuridictionnelles pour le registre du commerce, ou juridictionnelles, sont typiquement celles qui se prêtent à être informatisées et pour lesquelles d'importants gains de productivité peuvent être attendus de l'informatique. Évidemment, nous n'obtenons pas les mêmes résultats dans les greffes fonctionnarisés, non qu'ils ne consentent pas d'efforts, mais parce qu'ils sont loin d'atteindre les mêmes performances.

J'ajouterai un mot concernant le barème. Tous les actes des greffiers sont rémunérés selon un barème ; c'est donc une justice payante.

Le barème qui remonte à 1980, un peu modifié en 1986, est maintenant complètement désuet, puisqu'il est antérieur à l'informatisation, pour l'essentiel, ce qui signifie que l'écart entre le tarif d'un acte et celui d'un autre n'est plus justifié aujourd'hui. Je prends un exemple : certaines formalités demandaient autrefois à un employé du greffe de sortir des registres d'un format assez étonnant, de les ouvrir, de pointer et de noter des chiffres, de prendre un autre registre et de répéter ces gestes plusieurs fois d'affilée, ce qui demandait de nombreuses manipulations et prenait donc un certain temps ; aujourd'hui, avec l'informatique, il suffit d'appuyer sur un bouton pour ressortir tous les éléments qui figurent parfois dans cinq ou six fichiers différents. La réponse est instantanée.

M. le Président : Et elle est payée comme autrefois ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Elle est payée comme autrefois !

Quand je dis que le barème est désuet, je le dis dans les deux sens : un jugement sera payé au même prix unitaire quel que soit le nombre de pages. Le barème auquel personne n'ose vraiment toucher est donc, je crois, assez éloigné maintenant des coûts unitaires des innombrables actes, puisqu'il y a plus d'une centaine d'actes qui sont répertoriés.

À côté de l'informatique utilisée dans le fonctionnement interne du tribunal, y compris la micro-informatique et le traitement de texte pour les jugements, il y a la télématique qui concerne essentiellement le registre du commerce. Suite à l'informatisation, les greffiers des tribunaux de commerce ont constitué trois serveurs Minitel dont le plus connu est Infogreffe, les deux autres étant Greftel et Intergreffe.

Ces serveurs sont considérés comme extrêmement performants, puisque leur mise à jour se fait dans les vingt-quatre heures, de sorte que, par la télématique, on a accès à des informations du registre du commerce très rapidement. Ces serveurs constituent une source de revenus considérables pour les gros tribunaux de commerce !

Les revenus sont fonction du nombre d'heures de connexion et, évidemment, si ces connexions dans certains petits tribunaux de commerce de Normandie - c'est là que se trouvent les plus petits - ne représentent que quelques heures par an, en revanche, celles des plus gros tribunaux peuvent engendrer des recettes télématiques qui frisent les 15 millions de francs par an. Il s'agit donc de recettes considérables !

M. le Président : C'est une recette pour le greffier ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Absolument ! Elle va intégralement au greffier.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Mais il doit payer France Télécom ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : C'est une recette qui n'est pas complètement nette, mais même déduction faite de ce qui est reversé à France Télécom qui, comme chacun le sait, tire d'importantes ressources de tout cela, le système reste extrêmement rémunérateur pour les greffiers. En même temps, il est très commode et il est donc difficile de condamner le recours à l'informatique pour savoir si tel acte a bien été fait par telle ou telle société commerciale.

M. le Président : Vous avez parlé d'abus ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Des abus ou, pour le moins, des dérives ont effectivement eu lieu, puisqu'une confusion a été entretenue pendant un certain temps entre le greffier officier ministériel et le serveur. C'est-à-dire que l'on téléphone à un tribunal de commerce et que l'on commence par avoir un répondeur qui demande de se brancher sur le Minitel, ce qui est peut-être aller un peu loin !

Des abus, il y en a également eu dans la mesure où certains serveurs se sont mis à faire de l'analyse financière en retraitant les comptes des sociétés qui étaient obligatoirement déposés au registre du commerce. Faire de l'analyse financière sur un bilan, certains diront que c'est de la valeur ajoutée, mais cela peut aussi être assez contestable...

M. le Président : N'est-ce pas une violation de la confidentialité ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Cela peut être en tout cas une présentation subjective, puisque certains serveurs se sont mis à offrir à certains clients la possibilité de s'abonner à la mise sous surveillance d'une société ; c'est aller un peu loin par rapport à la transmission d'une information brute qui, elle, est normale et qui laisse à chacun le soin de juger de l'état de santé de la société concernée.

Par ailleurs, certains serveurs achètent à l'étranger de l'information sur des sociétés étrangères qui, par définition, ne déposent pas leurs comptes au registre du commerce français, pour pouvoir la fournir à leurs correspondants et, par là même, se sont mis à faire des actes de commerce dans la mesure où ils achètent de l'information économique pour la revendre. Dans ce cas, se posait la question délicate de savoir si un officier ministériel pouvait faire acte de commerce et la réponse, a priori, est non !

La Cour des comptes est intervenue auprès de la Chancellerie après le contrôle du tribunal de commerce de Paris, c'est-à-dire après le tout premier contrôle qui ne portait ni sur le greffe, ni sur Infogreffe, serveur auquel Paris est affilié. En effet, les informations que nous avions pu recueillir nous permettaient de lui demander de mettre fin, non pas à l'existence du serveur, mais à certaines dérives ; une circulaire de la Chancellerie, du mois d'octobre dernier, prend acte de ce qui a été signalé par la Cour des comptes et trace un cadre beaucoup plus raisonnable à l'activité des serveurs télématiques. Je pourrai d'ailleurs vous la transmettre.

Je pense que, dans ces conditions, si la circulaire est réellement appliquée, nous parviendrons probablement à obtenir un usage de la télématique qui sera raisonnable et non plus cet usage qui conduisait à se demander si les greffiers étaient encore des officiers ministériels ou non !

M. le Président : On a une idée de ce que rapporte le greffe de Paris, par exemple ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Le greffe de Paris, non !

M. Jean-Paul CHARIÉ : Est-ce que les greffiers déposent leurs comptes ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Les greffiers individuels n'y sont pas tenus, ceux qui travaillent en SCP, non plus, et pour rebondir sur votre propos je dirai qu'Infogreffe étant un GIE, n'a pas l'obligation de déposer ses comptes au registre du commerce.

Pour Paris, je ne peux pas répondre puisqu'il n'y a pas eu contrôle du greffe. En revanche, je vous ai précisé que dans certains cas, le chiffre d'affaires télématique pouvait atteindre 15 millions de francs ; c'est le cas de l'un des gros tribunaux de banlieue qui est cependant plus petit que celui de Paris.

M. le Président : Cela prouve qu'il y a des ressources pour faire fonctionner l'institution et la moderniser !

M. Christian DESCHEEMAEKER : En ce qui concerne la rentabilité des charges, on a atteint des résultats sur chiffre d'affaires qui oscillent, dans les greffes que nous avons contrôlés, entre 38 % et 72 %, c'est-à-dire que ce sont des taux très favorables, qu'il faut corriger immédiatement en précisant que la rémunération du greffier n'est pas incluse puisqu'il est associé et non pas salarié. Dans un greffe où travaillent le greffier, son associé - puisque par définition nous sommes dans des SCP -, et trois salariés, il va de soi qu'il faudrait, pour établir une comparaison utile, affecter des salaires fictifs puisque nous avons cinq personnes dont deux ont le statut d'associé.

Il faut voir que nous sommes parfois dans de toutes petites structures et d'ailleurs le système permet à un salarié diligent et méritant de devenir associé - c'est souvent ce qui se passe - par un apport, non pas en argent, mais par un apport en industrie comme l'on dit...

M. le Président : Ce qui contribue à l'endogamie que vous décrivez, caractéristique de cette institution ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Cela contribue à l'endogamie mais, assez souvent maintenant, la transmission se fait de la façon suivante : le greffier qui a la charge s'associe à son salarié le plus efficace qui ensuite perpétuera le système.

Pour ce qui a trait à la télématique, j'ajouterai une remarque : rien ne dit que la situation que j'ai décrite durera, puisque l'ouverture à la concurrence des télécommunications devrait normalement faire baisser les rendements des serveurs, ce que, à titre personnel je souhaite, car il y a vraiment des situations beaucoup trop rémunératrices, aussi bien pour France Télécom d'ailleurs que pour ceux qui gèrent les serveurs.

Par conséquent, on peut se dire que d'ici à quelques années l'information économique sera tout autant demandée, sinon plus, mais que les tarifs actuels, c'est-à-dire le coût par minute de connexion, aura baissé tout simplement du fait de la concurrence qui peut jouer, notamment avec l'Institut national de la protection industrielle qui est destinataire du double du registre du commerce puisque ce dernier est exploité deux fois : une première fois par chaque greffe, le tout étant regroupé au sein d'un système national, et une seconde fois par l'INPI qui, en application des textes, reçoit un double, l'exploite de la même façon et a ouvert le serveur Euridile qui doit contenir normalement les mêmes informations que Infogreffe, Greftel ou Intergreffe. Peut-être qu'un jour une véritable concurrence existera entre Euridile et Infogreffe et qu'à ce moment-là, les prix baisseront.

M. le Président : Le statut de l'INPI n'est pas un statut privé ?

M. Christian DESCHEEMAEKER : Non.

S'agissant de l'absence de loyers, je crois vraiment qu'elle est actuellement difficile à justifier.

M. le Président : D'autant qu'apparemment, ce n'est pas faute de pouvoir les payer...

M. Christian DESCHEEMAEKER : Bien sûr, il faut toujours nuancer car il y a de tout petits greffiers et dans certains cas, on ne trouve même plus de greffier pour le tribunal de commerce !

M. Jean-Paul CHARIÉ : Notre Président ne peut pas s'empêcher d'être partial...

M. le Président : Je ne suis pas partial, mais il est vrai que l'on constate des différences considérables de situations à travers toute la France. Cela revient d'ailleurs en réponse à chacune de nos questions : il y a la France rurale et le monde des affaires et, à mon avis, c'est sur ce dernier que nous devons travailler, car, dans ce secteur, des loyers peuvent et doivent être payés.

M. Christian DESCHEEMAEKER : Oui, il y a d'ailleurs des situations étonnantes puisque certains tribunaux de commerce sont si petits que l'on ne trouve plus de greffiers et que l'on a donc une situation de « binage » selon l'expression retenue quand un greffier dessert deux tribunaux de commerce voisins.

On a du mal à comprendre que l'on ne parvienne pas à passer du binage à la fusion des deux tribunaux. Évidemment, il faut se méfier avant de dire que ce greffier-là pourra payer un loyer mais dans de tels cas, nous sommes aussi dans des zones où les loyers ne sont pas très élevés...

En conséquence, le paiement d'un loyer paraît important à la Cour des comptes, quand bien même cela aboutirait à priver le Cour de sa faculté de contrôler les greffes puisqu'il n'y aurait plus de concours en nature. Mais cela importe peu ; ce qui importe c'est de parvenir à un équilibre financier un peu plus normal !

M. Jean-Paul CHARIÉ : La proposition de payer un loyer et d'échapper au contrôle de la Cour des comptes pourrait paraître plaisante aux greffiers.

M. le Président : Nous regrettons que la Cour des comptes n'ait pas pu contrôler certains gros greffes de la région parisienne.

M. Jean-Paul CHARIÉ : Le Président le regrette.

M. le Président : La commission le regrette parce que cela lui permettrait de relativiser les choses...

M. Christian DESCHEEMAEKER : J'ai entendu un greffier dire : « Si je comprends bien, tous ces contrôles vont aboutir à ce que l'on nous demande un loyer ! ». Il ne m'appartenait pas de lui répondre mais il est certain que la Cour des comptes considère qu'un loyer devrait être payé selon des règles à déterminer, bien entendu !



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