RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME I
RAPPORT (suite)

PREMIÈRE PARTIE : CONSTATATIONS ET DIAGNOSTIC (SUITE)

    II.-LES DÉFAILLANCES D'UNE JUSTICE CONFRONTÉE À LA MONTÉE DES PROCÉDURES COLLECTIVES (SUITE)

C.-  UNE JUSTICE DÉFAILLANTE ET SANS CONTRÔLE (SUITE)

3.- Les mandataires de justice : sauvetage ou liquidation des entreprises ? 1

a) Un statut ambigu 5

· La séparation des professions d'administrateur et de mandataire-liquidateur 5

- Les administrateurs judiciaires 5

- Les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises 8

- L'ébauche d'un rapprochement entre les deux professions 10

· Les rapports entre juges consulaires et mandataires de justice : confiance ou collusion ? 11

· Des modes de rémunération très rentables 13

b) Des professionnels âpres aux gains et parfois peu soucieux du service public 22

· Des méthodes de travail contestables 23

- Le manque de diligence 23

- Une fâcheuse tendance à faire durer les procédures 26

- Le recours à la sous-traitance : une sous-utilisation des experts en diagnostic d'entreprise 27

- La pratique des cabinets secondaires 28

- Une déontologie très approximative 29

· Un placement des fonds qui manque de clarté 30

c) Des contrôles multiples et défaillants : une profession livrée à elle-même 34

· Responsabilité et sanctions 34

· La faillite de tous les contrôles 35

- Une profession complaisante 35

- Une Chancellerie dépassée et impuissante, un parquet sans moyens véritables 37

- Des contrôleurs et des juges commissaires peu présents 41

· L'absence de sanctions 41

3.- Les mandataires de justice : sauvetage ou liquidation des entreprises ?

Les mandataires de justice jouent-ils le rôle qui leur a été confié par le législateur et qui consiste à remplir le mandat que leur confient les juges et à proposer des solutions soit pour redresser une entreprise en difficultés dans des conditions telles qu'elle puisse poursuivre son activité avec succès, soit pour assurer la disparition de l'entreprise en respectant au mieux les intérêts des salariés et de tous les créanciers ? Ou bien se contentent-ils d'enterrer des entreprises dont l'agonie même a pu être accélérée par leur intervention ?

En matière de procédures collectives, l'expression de « mandataires de justice » regroupe principalement deux types d'auxiliaires de justice, dont le statut est défini par la deuxième loi du 25 janvier 1985 (n° 85-99) et son décret d'application n° 85-1389 en date du 27 décembre 1985 modifié : les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises souvent encore appelés « mandataires-liquidateurs » selon l'appellation antérieure à la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Plusieurs affaires retentissantes, le nombre très important des plaintes des justiciables créanciers ou débiteurs, adressées aux membres de la commission, ont conduit celle-ci à enquêter sur les dysfonctionnements graves de ces professions.

DES AFFAIRES « EXEMPLAIRES »

Selon un relevé fourni par la Chancellerie entre 1986 et janvier 1998, 15 mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ont fait l'objet de sanctions disciplinaires allant de l'avertissement à la radiation. Le chiffre était de 29 pour les administrateurs judiciaires touchés par des sanctions disciplinaires. Selon un deuxième relevé, daté de mars 1998, près d'une quarantaine d'auxiliaires de justice faisaient l'objet d'informations judiciaires pour des faits allant de l'abus de confiance, en passant par l'usage de fausses factures, l'escroquerie aggravée, les malversations, la corruption passive au vol et au trafic d'influence. Ces chiffres doivent être rapportés au nombre total de professionnels inscrits, soit moins de 500 personnes.

Il faut ajouter que ces listes sous-estiment le nombre d'AJMJ mis en cause dans des affaires. Ainsi, M. Joël Rochard, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires relevait, lors de son audition par la commission, les faits suivants : « Les listes (...) fournies par la Chancellerie circulent à travers Paris. Une personne m'en a remis copie. Je les ai examinées ; elles sont notoirement incomplètes et confuses. » 

·  À tout seigneur tout honneur : Nanterre

Nanterre est l'un des plus importants tribunaux de commerce de France.

Par l'ampleur des malversations, par la somme des fonds engloutis ou détournés, par la répercussion qu'elle a eue sur la profession qui a dû solidairement payer le « trou » causé par d'indélicats collègues, l'affaire Sauvan-Goulletquer, du nom de deux administrateurs judiciaires associés de Nanterre, mérite d'être citée en premier.

Des poursuites pénales sont en cours pour malversations, abus de confiance aggravé, et fonds confiés aux administrateurs détournés à l'étranger (plus de 216 millions de francs). Il convient de noter que l'affaire a révélé, qu'en l'échange de dépôts provenant des trésoreries des entreprises redressées, auprès de certaines banques, dont la SDBO, filiale du Crédit Lyonnais, les auxiliaires de justice en cause bénéficiaient notamment de prêts personnels à des taux compris entre 0 % et 3 %.

Une radiation a été prononcée le 9 juin 1997 à l'encontre de Me Goulletquer par la commission nationale d'inscription siégeant en chambre disciplinaire, tandis que Me Olivier Sauvan a été suspendu provisoirement par décision du 23 juin 1997. Ces deux administrateurs font par ailleurs l'objet d'une information judiciaire ouverte sur les chefs d'abus de confiance aggravé, de prise illégale d'intérêts et de malversation.

Une autre affaire a ébranlé l'univers consulaire de Nanterre. Un administrateur a été condamné par un arrêt du 13 mars 1998 de la cour d'appel de Versailles à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et interdiction des droits civiques civils et de famille pour 3 ans pour escroquerie.

Un autre administrateur judiciaire à Nanterre fait l'objet d'une information judiciaire ouverte sur les chefs d'escroquerie aggravée et complicité.

M. Pierre Lyon-Caen, avocat général à la cour de cassation qui a été procureur de la République à Nanterre jusqu'en 1994 a indiqué à la commission qu'il avait eu connaissance qu'à plusieurs reprises des juges-consulaires du tribunal de Nanterre ne s'étaient pas spontanément déportés dans des affaires qu'il jugeait alors qu'ils étaient créanciers à titre personnel ou bien qu'ils avaient eu des problèmes avec une des parties en cause.

Ce même procureur fait état d'une initiative du président du tribunal de commerce de l'époque qui avait donné instruction par écrit au mandataire de ce tribunal d'avoir recours pour expertiser la qualité des assurances à un expert... qui n'était autre que le fils de ce même président du tribunal de commerce.

M. Pierre Lyon-Caen fait enfin état de l'habitude qu'avait ce tribunal de commerce de refuser de désigner certains mandataires au profit d'autres notoirement surchargés.

« Cette affaire me paraît très révélatrice d'une réalité. Par la nature même des choses, les administrateurs qui sont des professionnels compétents, des permanents non seulement parce que c'est leur profession à titre principal, exclusif, mais aussi parce qu'ils l'exercent toute leur vie professionnelle, ont une position dominante par rapport à des juges consulaires. Ces derniers ne le sont qu'à titre accessoire d'une profession principale, pour une durée déterminée de cinq ou dix ans, en tout cas pas toute leur vie. Dans ces conditions, ils ont besoin des administrateurs, ce qui ne leur permet pas, sauf exception, de jouer pleinement comme il serait naturel qu'ils le jouent, leur rôle de mandants surveillant, contrôlant, imposant aux mandataires ce qui doit être. »

·  Bobigny : les déboires d'un nouveau tribunal

Bobigny est le dernier des tribunaux de commerce créé dans la région parisienne. C'est l'un des plus importants de France.

En juillet et septembre 1991, un administrateur judiciaire désigné depuis peu dans un dossier propose la cession à bas prix de l'entreprise à deux repreneurs.

Une partie de l'actif est acheté par un homme d'affaires. Une clause de substitution est prévue. Elle va jouer un mois plus tard... en faveur d'un des juges-consulaires qui a siégé dans l'affaire.

Une autre partie de l'actif de la société est cédé pour un prix faible à une autre entreprise dont ce même juge qui a siégé dans l'affaire est l'un des dirigeants. Dans les deux cas l'opération n'a pu se réaliser sans de nombreux complices dans le tribunal. Mais le parquet n'a rien vu. Il n'interviendra... qu'à la suite d'une dénonciation anonyme.

Le 12 mars 1996, le juge mis en cause, l'administrateur et le président du tribunal sont condamnés à deux ans de prison avec sursis. L'administrateur est en outre condamné à trois ans de privation de ses droits civiques, civils et familiaux et à 300 000 francs d'amende. Le 24 septembre 1997, les sanctions sont confirmées par la Cour d'appel de Versailles. Trois pourvois en cassation sont en cours. Le pourvoi formé par l'administrateur est fondé sur le fait que le plan de cession n'a pas donné lieu à une vente directement au profit du juge du tribunal de commerce mais à un intermédiaire et à une société (dans laquelle il avait des intérêts).

Il convient de noter que l'administrateur qui a été l'un des acteurs principaux de cette désastreuse affaire a fait l'objet d'une demande de suspension provisoire qui a été rejetée, le 4 novembre 1996, par la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires, le pourvoi en cassation étant suspensif.

M. Maurice Lafortune, avocat général à la Cour de cassation, ancien commissaire du Gouvernement auprès de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires, lors de son audition par la commission, a fourni des éléments supplémentaires sur le fonctionnement du tribunal de Bobigny.

« M. Maurice LAFORTUNE : Le cas de Bobigny est exemplaire et illustre parfaitement mes propos initiaux. Sur la connivence, la complaisance, la collusion. Avant ses déboires, l'administrateur était un bon professionnel. Substitut général à Paris, j'ai suivi des procédures dans lesquelles on le retrouvait alors qu'il était en société avec un autre administrateur judiciaire dont le siège était à Versailles et qui, avant les faits, avait ressenti le besoin de sortir de cette association. Lorsqu'il a rencontré ses difficultés, je l'ai invité à venir me voir selon l'usage. Il m'a expliqué ce qu'on lui avait demandé. Le président lui a dit :"Ne vous en faites pas, je m'entendrai avec le procureur. Vous pouvez y aller." Je lui ai indiqué qu'il avait commis une erreur et lui ai conseillé de prendre un bon avocat, parce qu'il allait être mis en examen et qu'il aurait à répondre devant la justice pénale de ses actes. Une fois mis en examen, il m'est revenu que, sur la place parisienne, on avançait qu'il ne lui arriverait rien, qu'il était franc-maçon, qu'il avait l'appui de la profession et qu'il se chargerait de faire nommer Lafortune à la Cour de cassation !

M. le Président : Mes compliments !

M. Maurice LAFORTUNE : Cela ne m'a pas impressionné, et j'ai réagi, en accord avec la Chancellerie, en précisant que les propos rapportés étaient inadmissibles et qu'il y avait matière à saisir la commission de discipline en vue d'apprécier une éventuelle suspension, non pour le condamner, mais pour appliquer une jurisprudence de la cour d'appel de Riom - me semble-t-il - qui définit les motifs d'une suspension provisoire en faisant un départ net entre une condamnation et une position qui lui permet de se défendre.

J'ai saisi la commission - vous en retrouverez trace - pour demander la suspension en précisant que j'attendais la qualification juridique des faits au pénal pour engager une action disciplinaire. La commission ne m'a pas suivi.

M. le Président : Pour quelles raisons ?

M. Maurice LAFORTUNE : Je n'ai pas assisté au délibéré, mais la corporation était contre la suspension. »

Ainsi un administrateur judiciaire mis en examen pour des faits très graves qui ont entraîné la condamnation d'autres personnes qui ont été impliquées dans l'affaire, peut continuer à exercer des mandats dans le cadre de la justice consulaire.

Il faut souligner ici que d'après les déclarations de l'actuel procureur de Bobigny, malgré cette affaire très inquiétante - en ce qu'elle fait apparaître un véritable réseau - aucune investigation générale n'a été déclenchée sur le fonctionnement de ce tribunal... L'excuse invoquée est l'absence de moyens.

 Toulon : des « assistantes sociales » qui gagnent 1,5 million de francs par an

La société Gallet, leader européen du casque de sécurité, fournisseur de la police, des pompiers, rachète en 1991 la société GPA International. Elle semble découvrir que des éléments lui ont été cachés par le dirigeant de GPA, le représentant des créanciers, nommé par la suite commissaire à l'exécution du plan, Me Mireille Massiani, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises à Toulon, avec l'approbation du tribunal de commerce de Draguignan qui ne pouvait ignorer les faits. Le dirigeant de GPA a été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et 300 000 francs d'amende pour abus de confiance et escroqueries, tandis que le mandataire de justice a été relaxé.

Lorsqu'elle s'est déplacée à Toulon, le 12 mai 1998, la commission a auditionné les mandataires de justice du ressort, et notamment Me Mireille Massiani qui décrivait ainsi le métier de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises : « Dans ces dossiers, on reçoit le débiteur ; on fait des recherches ; on fait des rapports au parquet ; on réalise l'actif ; on va à la recherche de l'actif ; on vérifie le passif ; on répond à tous les créanciers, plutôt deux fois qu'une car ils ne comprennent jamais rien ; on fait des clôtures ; on reçoit à plusieurs reprises les débiteurs. Il faut savoir que, personnellement, depuis 10  ans, j'ai plutôt l'impression d'être assistante sociale que mandataire de justice» Dans la suite de l'audition, elle indique qu'elle a personnellement « 1,5 million de francs de revenus ».

Il convient de relever que Toulon abrite un autre mandataire qui fait l'objet d'une information judiciaire ouverte sur des chefs d'escroquerie, de faux et usages de faux, pour des faits commis dans le cadre du redressement judiciaire de plusieurs sociétés.

Ces affaires interviennent alors même que l'ancien président du tribunal de commerce de la ville a été contraint de démissionner, après sa mise en cause dans la gestion de l'association des magistrats et anciens magistrats consulaires de Toulon.

Pour comprendre l'origine de telles situations, il faut d'abord examiner le statut de ces professions tel qu'il a été voulu par le législateur et analyser comment il est appliqué dans les faits.

a) Un statut ambigu

Les difficultés des entreprises et les faillites ont toujours nécessité l'intervention d'un personnage-clé, le syndic, chargé d'administrer provisoirement et de liquider les affaires qui périclitaient. C'est notamment cet auxiliaire de justice que Balzac a immortalisé dans Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau (1837).

Dans le régime de la loi du 13 juillet 1967 et de l'ordonnance du 23 septembre 1967, le syndic cumulait trois attributions : représentation de la masse des créanciers, représentation du débiteur en cas de liquidation des biens et assistance de ce dernier en cas de règlement judiciaire, organe de la procédure chargé de veiller au bon et au rapide déroulement de celle-ci.

Ce régime était critiqué parce que le syndic cumulait les fonctions de représentation du débiteur et de représentation des créanciers. Il convient cependant de noter que le régime de 1967 respectait une logique profonde : les faillites étaient des saisies collectives, c'est-à-dire que les créanciers prenaient collectivement en main l'administration du patrimoine de leur débiteur défaillant par le biais du syndic ; il exerçait une mission unique dans l'intérêt des créanciers, mais selon des modalités variables.

· La séparation des professions d'administrateur et de mandataire-liquidateur

La réforme de 1985 a introduit dans le droit des procédures collectives, à côté de l'intérêt des créanciers, à côté de l'intérêt du débiteur, celui des salariés en instituant comme premier objectif la défense de l'emploi. Une même personne pouvait-elle, dans ces conditions, représenter l'ensemble de ces intérêts ?

Le législateur a remplacé la profession de syndic par trois professions distinctes : les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et les experts en diagnostic d'entreprise.

Cette dernière profession s'est très peu développée, à l'inverse des deux premières. Ce sont donc elles qui nous retiendrons. La question des contrôles applicables et appliqués à ces professions, ainsi que celle de leur rémunération seront examinée de manière spécifique plus bas.

- Les administrateurs judiciaires

Les 136 administrateurs judiciaires sont, à titre principal, chargés par décision de justice d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens (article premier de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985).

La loi de 1985 a apporté une modification sensible des régimes antérieurs en considérant que la profession d'administrateur judiciaire jusqu'alors exercée dans un cadre seulement préventif (administration provisoire, mandat ad hoc, liquidation de sociétés in bonis) serait exercée dans le cadre d'une grande procédure de redressement judiciaire. Du fait de cette réforme, le nombre d'administrateurs judiciaires a été brusquement porté d'une vingtaine de professionnels à plus de 200, ce chiffre étant ultérieurement réduit à environ 140 professionnels. Cette brusque augmentation du nombre des administrateurs s'est faite à partir du maintien des administrateurs judiciaires alors en fonction, de l'intégration des syndics ayant exercé des fonctions d'administrateur judiciaire, du recrutement de stagiaires de l'une et l'autre des professions, de l'assimilation par dérogation d'un certain nombre de tiers extérieurs aux deux professions mais justifiant de compétences professionnelles.

Aujourd'hui, les administrateurs judiciaires interviennent dans la majorité des cas dans l'administration d'entreprises qui sont en cessation des paiements et qui se trouvent donc déjà dans une situation très difficile. 95 % des opérations de redressement se soldant par une liquidation à Court ou à moyen terme, le rôle de l'administrateur s'apparente souvent à celui d'un médecin plaçant un malade sous assistance respiratoire jusqu'à son dernier souffle. Les administrateurs apparaissent souvent comme « Des pompiers trop puissants »(1) : intervenant à un moment où l'entreprise est déjà en grande difficulté, à force d'assainir l'entreprise par des restructurations à marche forcée, par le nettoyage du passif, l'exploitation finit par être réduite en cendres, l'issue liquidative apparaît bientôt comme la seule solution.

L'accès à la profession

Les administrateurs ne sont pas des fonctionnaires, puisqu'ils sont rémunérés par les entreprises qu'ils prennent en charge. Ils n'exercent pas non plus une profession libérale car, désignés par le tribunal, ils n'ont pas de clientèle. Comme cela avait été jugé pour les syndics (Cour de cassation, première chambre civile, 20 mars 1984), leur cabinet n'a pas de valeur patrimoniale et ne peut pas être cédé. Ce sont des auxiliaires de justice chargés d'un ministère de service public.

Ils peuvent exercer à titre individuel ou au sein soit de sociétés civiles professionnelles(2), soit de sociétés d'exercice libéral(3).

Les administrateurs ne peuvent être désignés que s'ils sont inscrits sur une liste établie par une commission nationale chargée par ailleurs de la discipline de la profession. Cette commission nationale est composée de onze membres : un conseiller à la Cour de cassation exerçant la fonction de président, un magistrat de la Cour des comptes, un membre de l'Inspection générale des finances, un magistrat du siège d'une cour d'appel, un membre d'une juridiction commerciale du premier degré, un professeur de droit, de sciences économiques ou de gestion, deux personnes qualifiées en matière économique ou sociale, trois administrateurs judiciaires. Par ailleurs, un magistrat du parquet est chargé de l'instruction des dossiers de candidature et possède les fonctions de commissaire du Gouvernement auprès de la commission.

La liste est divisée en sections régionales correspondant au ressort de chaque cour d'appel, mais il ne s'agit là que d'une simple présentation pour éviter la constitution de grandes études à Paris qui auraient pu être tentées d'exercer une position dominante. Les personnes inscrites sur la liste ont vocation à exercer leurs fonctions sur l'ensemble du territoire.

Pour être inscrits, les candidats à la profession doivent être de nationalité française, présenter des garanties de moralité suffisantes, être admis à un examen d'aptitude. Le programme et les modalités de l'examen d'aptitude à la profession d'administrateur judiciaire sont fixés par arrêté(4). Les candidats à l'examen doivent avoir accompli un stage professionnel. La détention d'un titre ou diplôme fixé par l'article 4 du décret n° 85-1389 du 27 décembre 1985 modifié est nécessaire pour accomplir le stage professionnel.

De nombreuses exemptions de stage ou de diplôme ont été prévues en 1985 par le législateur pour permettre à cette nouvelle profession d'attirer de nombreuses personnes. Ces dérogations sont en partie à l'origine des problèmes de formation, voire de déontologie, qui se posent dans la profession et dont les affaires évoquées plus haut sont le reflet. Ainsi les personnes qui ont acquis une expérience jugée suffisante par la commission nationale d'inscription, même si elles n'ont pas les titres ou diplômes requis, peuvent être inscrites. Il en fut de même jusqu'en 1991 pour les clercs et employés de syndic qui étaient en fonction à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985, à savoir le 1er janvier 1986.

Si la liste établie par la Commission nationale est divisée en sections régionales, correspondant au ressort de chaque cour d'appel, les intéressés peuvent exercer leurs fonctions sur l'ensemble du territoire. C'est une différence fondamentale avec la profession de mandataire-liquidateur.

Les administrateurs doivent s'affilier à une caisse de garantie et contracter une assurance couvrant leur responsabilité professionnelle (articles 34 et 35 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985).

Leur désignation dans la procédure de redressement judiciaire

Ils sont nommés seulement dans le cas où la poursuite de l'exploitation semble possible. C'est le jugement qui ouvre le redressement judiciaire qui désigne l'administrateur (article 10 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985). Ce choix résulte d'une appréciation souveraine, fondée sur la confiance que témoigne le tribunal à tel administrateur pour régler tel dossier. À ce stade, il faut d'ores et déjà signaler que la responsabilité de l'État est engagée en cas de refus systématique et injustifié de désignation d'un administrateur inscrit (Cour de cassation, chambre civile, 30 janvier 1996). Par la suite, le tribunal peut d'office, sur proposition du juge-commissaire ou à la demande du ministère public, procéder au remplacement de l'administrateur ou à la désignation d'administrateurs supplémentaires, si l'importance du dossier le justifie (article 12 de la loi précitée).

Il faut noter que la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 en son article 141 permet en cas de redressement d'une petite entreprise (régime de la procédure simplifiée) de désigner en qualité d'administrateur « toute personne qualifiée » en sus de celles inscrites sur la liste nationale des administrateurs, mais, dans la pratique, les tribunaux n'ont que peu fait usage de cette possibilité. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure normale, à titre exceptionnel, le tribunal peut désigner une personne non inscrite sur la liste nationale, mais présentant une qualification particulière (article 2 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985). Le cas peut se présenter si l'entreprise en redressement judiciaire fait l'objet d'une réglementation particulière (société civile professionnelle titulaire d'un office ministériel, pharmacie, etc.).

Leur rôle dans la procédure

Les administrateurs judiciaires sont des chefs d'entreprise intérimaires. Ce sont plus des gestionnaires que des juristes. Ils doivent concilier le maintien de l'activité en vue d'un redressement et une gestion prudente qui évite, autant que possible, l'accumulation d'un passif postérieur à l'ouverture de la procédure. Si un redressement est possible, ils doivent chercher un repreneur.

Leur mission est fixée par le tribunal, elle varie en fonction des pouvoirs laissés au chef d'entreprise ou au dirigeant : surveillance des opérations de gestion, assistance du débiteur pour tous les actes concernant la gestion ou certains d'entre eux, remplacement du chef d'entreprise (articles 31 et 32 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985). La mission donnée à l'administrateur peut être modifiée par le tribunal agissant soit d'office, soit à la demande de celui-ci ou à celle du représentant des créanciers ou du procureur de la République.

Pendant la période d'observation ouverte par le jugement de redressement judiciaire qui nomme l'administrateur et qui est limitée à trois mois, renouvelable une fois, l'administrateur élabore le bilan économique et social de l'entreprise au vu duquel il établira un plan de redressement ou bien proposera la liquidation.

Il peut prendre tous les actes nécessaires à la conservation des droits de l'entreprise contre les débiteurs de celle-ci et à la préservation des capacités de production. Il paie à leurs échéances les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture. Il peut conclure un contrat de location-gérance, lorsque la disparition de l'entreprise serait de nature à causer un trouble grave à l'économie nationale ou régionale. Il paie à leurs échéances les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture. Il procède à des licenciements pour motif économique s'ils présentent un caractère « urgent, inévitable et indispensable » (article 45 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985)

Pendant la période définitive, l'administrateur joue surtout un rôle important dans le cas d'un plan de continuation ou de cession. C'est lui que le tribunal charge dans la plupart des cas de la mise en oeuvre de ce plan. Il s'efface en cas de liquidation

- Les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

Les 345 mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises sont chargés par décision de justice de représenter les créanciers et de procéder éventuellement à la liquidation des entreprises (article 19 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985). Utilisant les faiblesses de la réglementation concernant leur tarif, tirant le meilleur parti de la trésorerie de l'entreprise liquidée, bénéficiant de contrôles inefficaces, les mandataires liquidateurs ont souvent plus le souci d'obtenir la meilleure rémunération possible à partir d'entreprises moribondes ou en état de coma dépassé que de remplir avec exactitude le mandat de justice qui leur est confié par les tribunaux.

L'accès à la profession

Tout comme les administrateurs, les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ne sont pas des fonctionnaires, puisqu'ils sont rémunérés par les entreprises qu'ils prennent en charge. Ils n'exercent pas non plus une profession libérale car, désignés par le tribunal, ils n'ont pas de clientèle. Ce sont des auxiliaires de justice chargés d'un ministère de service public.

Ils peuvent exercer à titre individuel ou au sein soit de sociétés civiles professionnelles(5), soit de sociétés d'exercice libéral(6).

Le programme et les modalités de l'examen d'aptitude à la profession de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises sont fixés par arrêté(7).

Les dispositions législatives concernant tant le fonctionnement des commissions régionales que les conditions d'inscription, les sanctions et les incompatibilité, ou encore la protection du titre sont pour les mandataires à la liquidation des entreprises en tous points identiques à celles qui ont trait aux administrateurs judiciaires.

La désignation

S'agissant des modalités de leur désignation, ce sont les mêmes que pour les administrateurs judiciaires. Ils sont investis d'une mission légale d'intérêt public.

Ils ne peuvent être désignés que s'ils sont inscrits sur une liste établie par une commission instituée, non pas au niveau national comme pour les administrateurs, mais au siège de chaque cour d'appel. Les mandataires inscrits sur une liste régionale bénéficient d'un monopole d'exercice dans cette région.

Les commissions régionales sont composées de huit personnes : un magistrat de la cour d'appel qui la préside, un membre d'une juridiction commerciale du premier degré du ressort de la cour d'appel, un professeur de droit, de sciences économiques ou de gestion, deux personnes qualifiées en matière économique et sociale, deux personnes inscrites sur la liste des mandataires à la liquidation des entreprises, une personne inscrite sur la liste des experts en diagnostic d'entreprises.

Dans les faits, lorsque la liquidation judiciaire est prononcée, le représentant des créanciers aura vocation à être désigné comme liquidateur (article 148 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985). La solution peut apparaître logique car la liquidation se réalise dans le seul intérêt des créanciers. Mais rien n'interdit au tribunal de nommer liquidateur un mandataire autre que le représentant des créanciers.

Tout mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises, inscrit sur une liste régionale, peut être désigné. L'absence de désignation d'un mandataire inscrit, considéré comme collaborateur du service public, engage la responsabilité de l'État (Cour de cassation, première chambre civile, 30 janvier 1996).

Leur rôle dans la procédure

Les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises peuvent jouer trois types de rôle en fonction de la procédure engagée par le tribunal : représentant des créanciers, commissaires à l'exécution du plan, liquidateurs.

Durant la période d'observation, les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises jouent le rôle de représentant des créanciers. Avant 1985, la représentation des créanciers par le syndic avait un caractère collectif et organisé. La loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 ne mentionne plus l'existence d'une masse, mais le mandataire agit au nom et pour le compte de la collectivité des créanciers. Le représentant des créanciers fait office de relais entre l'administrateur judiciaire et les créanciers.

En cas de plan de continuation ou de cession, les mandataires, tout comme les administrateurs, peuvent être désignés commissaires à l'exécution du plan (article 67 de la loi précitée).

Ils sont liquidateurs en cas de liquidation. Ils doivent alors déterminer les droits des créanciers, répartir et réaliser l'actif, assurer les paiements. Ils sont ainsi chargés de réaliser la vente des biens de l'entreprise et d'en répartir le produit entre les créanciers. Ils procèdent aux licenciements de personnel prévus par la décision prononçant la liquidation. Ils exercent pendant toute la durée de la liquidation les droits et actions concernant le débiteur. Ils procèdent à l'apurement du passif, les créances qui n'étaient pas échues à la date à laquelle est intervenu le jugement d'ouverture du redressement judiciaire devenant exigibles (article 160 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985). Enfin, ils effectuent la reddition des comptes lorsque le tribunal prononce la clôture de la liquidation judiciaire.

- L'ébauche d'un rapprochement entre les deux professions

L'intervention simultanée des administrateurs et des mandataires risque d'entraîner certaines difficultés, entre antagonisme et connivence. La coordination entre l'action de ces professionnels peut entraîner des pertes de temps.

Cependant, la commission a pu noter des rapprochements sensibles entre les deux catégories de professionnels.

Ainsi les deux professions sont représentées par un Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises (loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, décret n° 91-1030 du 8 octobre 1991). De nombreux observateurs retrouvent ici l'unité des professions. Le Conseil national, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé d'assurer la défense des intérêts collectifs de ces professions, d'organiser la formation professionnelle et de contrôler les études.

M. Joël Rochard, inspecteur général des finances, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires a donné à la commission son opinion sur le Conseil national : « On pourrait l'appeler " le Conseil national des syndics reconstitués" ! Il travaille plus comme un lobby que comme un organe de contrôle de la déontologie de la profession. Il dirige de fait la profession, puisqu'il est présent tous les jours et que la Chancellerie a beaucoup d'autres choses à faire. Il désigne les administrateurs judiciaires à la commission nationale. Ses productions ne sont pas de grande qualité. Le Conseil national légifère par des recommandations. Si vous consultez la collection, elles ne sont pas numérotées. Il est donc impossible de savoir que la recommandation n° 21 annule et remplace la n° 17. Elles ne sont pas datées ; on ne peut donc savoir si une chose est licite avant ou ne l'est plus après. Pour ce qui est de l'amélioration de la profession, le Conseil national ne précède pas l'événement, il le suit. »

Les deux professions sont également réunies par le biais de la caisse de garantie créée par l'article 34 de la deuxième loi du 25 janvier 1985. Cette caisse est chargée d'effectuer le remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus ou gérés par chaque administrateur ou mandataire à la liquidation. Cette caisse est dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants. Ses ressources sont constituées par le produit d'une cotisation spéciale annuelle payée par chaque administrateur et mandataire à la liquidation inscrit sur les listes. La garantie de la caisse joue sans que puisse être opposé aux créanciers le bénéfice de discussion de l'article 2021 du code civil, en vertu duquel une caution ne paye le créancier qu'après que le débiteur ait été discuté dans ses biens propres, et sur la seule justification de l'exigibilité de la créance et de la non-représentation des fonds par l'administrateur ou le mandataire à la liquidation. La solidarité obligatoire des deux professions a pleinement joué, comme la commission a pu le voir, dans l'affaire Sauvan-Goulletquer. Il reste que la Caisse peut se retourner par la suite contre le professionnel fautif, qui a l'obligation de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité civile professionnelle en raison des négligences et fautes commises lors de l'exécution du mandat qui lui est confié.

M. Joël Rochard précisait lors de son audition qu'« en termes d'assurances, la Caisse de garantie est une usine à sinistres. Un assureur doit savoir choisir ses clients. Le critère est l'antisélection. En l'occurrence, il faut prendre tout le monde. Il y a nécessité de contrôler les études. Cela a été fait chez les notaires, qui ont connu nombre de sinistres. Le choc Goulletquer ne paraît pas suffire. Faut-il personnaliser les responsabilités par des bonus et des malus ? Je pense que, dans quelques années, on ne trouvera plus d'assureurs et que l'État sera confronté au renflouement de la Caisse de garantie. Je vous rappelle que le vice-président de la Caisse a contrôlé M. Goulletquer sans s'apercevoir de rien ! »

Malgré ces rapprochements que la loi elle-même a organisés, il reste qu'elle a institué une incompatibilité totale entre les fonctions et professions d'administrateur judiciaire et celles de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises(8).

· Les rapports entre juges consulaires et mandataires de justice : confiance ou collusion ?

Le Rapporteur a déjà évoqué l'emprise que les mandataires peuvent avoir sur les juges en raison du manque de disponibilité et du faible niveau de formation qui caractérisent un grand nombre d'entre eux (cf. ci-avant C-b).

Cet état de fait place le juge dans une situation de dépendance à l'égard du mandataire parce que ce dernier est permanent, alors que les juges changent et sont accaparés par leurs obligations professionnelles, parce qu'il détient les informations sur l'entreprise et enfin parce qu'il est souvent plus compétent techniquement que le juge.

La visite de la commission d'enquête à Saint-Brieuc illustre cette situation.

    QUAND L'ADMINISTRATEUR RÉDIGE LES JUGEMENTS DU TRIBUNAL

Nous publions ci-après un extrait du dialogue entre la commission et les mandataires de justice de Saint-Brieuc, Me Robert et Me David. Il met en lumière le fait que Me Robert rédige lui-même le jugement du tribunal dans une affaire.

Le dialogue se déroule entre le Rapporteur de la commission et le Vice-président du tribunal de commerce de Saint-Brieuc.

« M. le Rapporteur : Le dossier que j'ai examiné (ce matin) était de 1994. Le dépôt de bilan date du 1er février 1994. (...) J'ai lu les conditions dans lesquelles le tribunal a pris un certain nombre de décisions graves, c'est-à-dire a décidé des licenciements et a donné à gérer à un repreneur l'essentiel de ce qui restait de l'entreprise, et j'ai été fort étonné de découvrir que le jugement avait, en vérité, été tapé ou conçu par Me Robert la veille du délibéré (et je voudrais que vous me donniez votre sentiment) puisqu'un fax est arrivé au tribunal en provenance de l'étude de Me Robert qui reflète exactement le contenu du jugement, laissant ainsi comprendre à l'observateur que c'est finalement Me Robert qui a fait le jugement.

C'est intéressant à noter. La confiance est si forte que cela donne l'impression à la commission d'enquête que ce sont finalement les administrateurs judiciaires qui font la décision du tribunal.

Je vous soumets ce point parce que j'ai regardé ce fax de bout en bout et j'ai vu que le jugement et ce fax étaient les deux mêmes documents. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre DANCHAUD, vice-président du tribunal de Saint-Brieuc : Si le point de vue de Me Robert, qui est exprimé là, était un point de vue raisonnable et susceptible d'être pris en compte, je ne vois pas pourquoi on s'acharnerait à dire autre chose pour le plaisir de produire un papier comme celui-là. »

À l'inverse, dans certains tribunaux les mandataires paraissent extrêmement dépendants des juges, qui n'acceptent pas l'indépendance intellectuelle de certains d'entre eux.

LA DÉPENDANCE DES MANDATAIRES À L'ÉGARD DU TRIBUNAL

Voici la façon dont les relations s'organisent entre les mandataires et les juges au tribunal de commerce de Paris selon les représentants du parquet.

« Mme Éliane HOULETTE, premier substitut : J'ai remarqué qu'il y avait des écarts considérables de chiffres d'affaires entre les différentes études de mandataires liquidateurs ; ils pouvaient être de 10 millions de francs sur une année. C'était la confirmation de nos pressentiments : la répartition n'est pas réellement équilibrée.

(...)

Mme Anne-José FULGÉRAS, Chef de la section financière : Nous avons été approchés par des mandataires qui se sont plaints d'être très défavorisés par ce mode de désignation. Certains disaient même qu'à leur égard, il s'agissait d'une mesure de rétorsion.

Mme Éliane HOULETTE : Ils nous disent même : « Nous sommes au pain sec et à l'eau ». C'est leur expression.

M. René GROUMAN : J'ai connu un cas extrêmement précis concernant un administrateur judiciaire, du temps de l'ancienne présidence. Il avait été « mis au pain sec et à l'eau » parce qu'il avait fait appel d'une décision du tribunal.

(...)

Mme Anne-José FULGÉRAS : On peut également citer le conflit entre Isabelle Didier et le tribunal. C'est une très grande saga. C'est un des mandataires qui s'est amèrement plaint de mesures de rétorsion.

Mme Éliane HOULETTE : Au mois de décembre, il y a eu un arrêt de la cour d'appel qui lui a donné entièrement raison. Il a d'ailleurs été assez sévère à l'égard du tribunal. »

Ces éléments d'analyse fournis par le parquet ont été vérifiés par la commission.

Il est vrai que cette situation ne peut se rencontrer que lorsque le tribunal a le choix des mandataires ce qui n'est jamais le cas dans les petits et moyens tribunaux compte tenu du faible nombre de ces professionnels.

Il n'en demeure pas moins que dans les tribunaux les plus importants, les mécanismes de désignation, théoriquement équitables aux dires des présidents de ces juridictions, ne sont ni transparents ni équilibrés.

Cette situation d'extrême dépendance mutuelle est un facteur de collusion entre les juges et les AJMJ.

Nommés par lui, les mandataires peuvent hésiter à se heurter de front au tribunal, « de peur d'être victime de mesures de rétorsion lors des nominations ultérieures »(9).

Ils peuvent même aller jusqu'à cautionner ou faire silence autour de l'action illégale de certains juges consulaires.

Votre Rapporteur reviendra sur ce sujet dans le chapitre 4 ci-après (L'apparition et le développement de la corruption dans les tribunaux de commerce).

· Des modes de rémunération très rentables

La fixation du mode de rémunération des mandataires de justice a été renvoyée par l'article 37 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 à un décret pris en Conseil d'État. Ce décret sera le troisième décret du 27 décembre 1985, n° 85-1390 fixant le tarif des administrateurs judiciaires en matière commerciale et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

L'article 19 du décret précise que les émoluments prévus dans ce décret sont « exclusifs de toute autre rémunération ou remboursement de frais pour les mêmes diligences », tandis que l'article 26 interdit à ces professionnels « de réclamer ou percevoir aucune somme en dehors des émoluments et débours prévus dans ce décret, sous peine de sanctions disciplinaires et ce, sans préjudice de la restitution des sommes indûment perçues ».

Les administrateurs judiciaires perçoivent une rémunération basée sur quatre éléments.

- Le premier est constitué par un droit fixe de 15 000 francs hors taxe pour les procédures de droit commun et de 10 000 francs hors taxes pour les procédures simplifiées. Ce droit, qui peut être réduit par le président du tribunal en cas de liquidation judiciaire prononcée avant la fin de la période d'observation, est versé aux professionnels dès l'ouverture de la procédure.

- Le second élément est une rémunération, exprimée en taux de base (la valeur du taux de base est de 450 francs) et proportionnelle au nombre de salariés employés par l'entreprise, destinée à couvrir les diligences effectuées dans le cadre de l'élaboration du bilan économique et social, du plan de redressement et du plan de cession. Cette rémunération en théorie d'un montant minimal de 6 750 francs et maximal de 270 000 francs, peut toutefois être revue à la baisse ou à la hausse par le président du tribunal en fonction du travail réellement exécuté et de l'assistance éventuelle d'un expert en diagnostic d'entreprise. Elle est fixée directement par le président dès lors que le nombre de salariés est supérieur à 999.

- Le troisième élément est formé d'un droit proportionnel dégressif, calculé sur le montant du chiffre d'affaires, destiné à rémunérer les missions d'assistance, de surveillance, d'administration de l'entreprise. Ce droit peut être réduit en cas de mission partielle. Il est fixé par le président du tribunal, dès lors qu'il excède 450 000 francs, pour la partie supérieure à ce montant.

- Le dernier et quatrième élément est un droit proportionnel dégressif calculé sur le montant total du prix de cession. Il peut être majoré jusqu'à 50 % en fonction des montants comparés du prix total de cession et du passif admis.

Ainsi, lorsqu'il y a poursuite d'activité, la rémunération de l'administrateur est calculée sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé. Ce critère n'est pas à lui seul probant et peut conduire à prolonger de manière abusive la période d'observation. Cette rémunération est plus favorable à l'administrateur lorsque le tribunal adopte un plan de cession plutôt qu'un plan de continuation.

La rémunération du commissaire à l'exécution du plan est composée d'un droit exprimé en taux de base proportionnel au nombre de salariés et d'un montant théorique minimal de 2 250 francs et maximal de 54 000 francs pouvant être modulé en fonction du travail à exécuter, d'une rémunération arrêtée par le président du tribunal pour la répartition du prix de cession, et d'un droit proportionnel calculé en fonction du montant du chiffre d'affaires au cas où le maintien de l'activité de l'entreprise est autorisé après le jugement prononçant la liquidation judiciaire.

La rémunération des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises est, quant à elle, formée de cinq éléments :

- le droit fixe prévu pour les administrateurs judiciaires ;

- un droit fixe pour la vérification des créances autres que salariales, d'un montant de 150 francs par créance et de 250 francs pour les créances dont le montant est supérieur à 1 000 francs ;

- un droit fixe pour la vérification des créances salariales, fixé par salarié à un montant qui varie, selon le nombre de salariés, entre 500 et 100 francs ;

- un droit proportionnel pour toute créance contestée de 5 % de la différence entre la créance déclarée et la créance admise ;

- un droit dégressif pour tout recouvrement d'actif après l'intervention du jugement de liquidation. Quand il y a répartition entre créanciers, ce droit peut être majoré de 15 à 50 % selon que la répartition libère 10 à 100 % des créances admises. La fraction de la rémunération supérieure à 450 000 francs est fixée par le tribunal.

Le mandataire concerné peut contester la décision du juge taxateur devant le tribunal de grande instance du ressort.

La réglementation du tarif est parfois difficile à interpréter. Le système est en tout cas inadapté.

Dans un arrêt en date du 3 décembre 1996 confirmé par un arrêt en date du 25 février 1997, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a été amenée à préciser sa position sur la rémunération des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises en ce qui concerne la perception du droit fixe telle que prévue par l'article 12 du décret n° 85-1390 du 27 décembre 1985 : ce droit fixe n'est dû au représentant des créanciers qu'au cas où il est nommé par la suite liquidateur ; il ne peut donc être perçu par un mandataire dès l'ouverture de la procédure de redressement quelle que soit son issue ; il ne peut être perçu qu'au moment de la décision de liquidation et de la désignation du représentant des créanciers comme liquidateur.

Cette jurisprudence, récente il est vrai, n'est semble-t-il pas appliquée partout. Ainsi, les procureurs du tribunal de grande instance de Lyon entendus par la commission ont-ils affirmé que le droit fixe continuait d'être versé automatiquement aux mandataires liquidateurs.

La commission juge la pratique du prélèvement direct des émoluments dans les comptes d'exploitation, particulièrement d'administrateurs judiciaires, peu fondée, même si elle n'est pas clairement interdite.

Il conviendrait que les émoluments perçus au titre du droit fixe ou au titre des provisions autorisées en application des articles 22 à 25 du décret n° 85-90 du 27 décembre 1985, voire au titre de la rémunération définitive prévue à l'article 27 du décret précité, soient dans un premier temps encaissés sur le compte général ou de répartition ouvert à la Caisse des dépôts et consignations, avant que n'intervienne le virement des fonds sur le compte de l'étude, après la prise de l'ordonnance fixant la provision ou la rémunération définitive.

M. Joël Rochard se montre très critique à l'égard du barème des mandataires de justice.

« Les honoraires sont élevés, mais l'administrateur judiciaire et le mandataire liquidateur doivent payer leur loyer, leurs assurances devenues très chères, ... Reste la différence : le revenu imposable. Les mandataires judiciaires se situent dans la fourchette élevée des revenus imposables et si on les compare aux autres professions libérales, ils sont mieux lotis que les avocats. Pour autant, l'existence de revenus élevés n'est pas en cause, mais on peut exiger en retour une certaine qualité.

Le deuxième constat est que le barème est conçu de telle façon qu'il n'est pas neutre, par rapport aux solutions retenues. Qu'une affaire prise en charge par un administrateur judiciaire aboutisse à une liquidation ou à un plan de continuation suite à un redressement judiciaire d'une durée de six mois, le tarif reste pour lui identique. Dans ces conditions, pourquoi essayer de sauver les emplois ? S'il procède à une cession et vend l'usine au concurrent, il est mieux payé que s'il aboutit à un plan de continuation et sauve les emplois. Ce sont là des distorsions, qui pourraient être palliées par des barèmes qui assureraient la neutralité de l'administrateur judiciaire par rapport aux solutions retenues. Reste le problème de la rémunération des mandataires qui est très élevée. J'ai vu des administrateurs exercer leur droit de repentir et changer de profession, ce qui prouve qu'on est mieux payé avec un travail moins fatigant si on est mandataire-liquidateur. »

La commission s'est intéressée aux revenus tirés de leur profession par les mandataires de justice. La question a été posée aux tribunaux de commerce qui signent les ordonnances de taxe ainsi qu'à chaque mandataire entendu par la commission, soit à Paris soit lors de ses déplacements en province.

Le système de tarification de l'activité des mandataires de justice conduit à des chiffres d'affaires très importants : 8,2 millions de francs par mandataire judiciaire dans les ressorts de Paris et de Versailles, 4,4 millions de francs en province ; 5,6 millions de francs par administrateur judiciaire en région parisienne, et 4,2 millions de francs en province.

L'exploitation des déclarations de bénéfices non commerciaux transmises par la direction générale des impôts révèle qu'en 1996, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ont dégagé en moyenne 1,7 million de francs de bénéfices non commerciaux. Le bénéfice non commercial moyen, en 1996, était de 2,5 millions de francs à Paris et dans les Hauts-de-Seine.

Les auditions effectuées sur le terrain par la commission confirment le niveau particulièrement élevé des rémunérations des mandataires de justice.

    UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC PARTICULIÈREMENT RÉMUNÉRATRICE

À Auxerre, Me Ségard, administrateur à Nanterre mais possédant un cabinet secondaire dans l'Yonne, évoque la question du bout des lèvres.

« M. Jacky DARNE, député :  Vous parliez tout à l'heure de votre souci d'économiser les charges. Une des charges importantes est, bien sûr, la vôtre, compte tenu de votre mode de rémunération. Que pensez-vous de ce mode de rémunération ? Le juge-commissaire peut limiter le montant de vos honoraires, mais il le fait rarement. Dans l'affaire Guyon, votre rémunération a été de 311 000 francs. (...)

M. Didier SEGARD, administrateur judiciaire : Je pratique le tarif, rien que le tarif.

M. Jacky DARNE  : Vous proposez rarement des demandes de dépassement ?

M. Didier SEGARD  : Jamais, puisque le plafonnement auquel vous avez fait allusion est fixé à 450 000 francs. Depuis que je travaille avec le tribunal d'Auxerre, je ne pense pas avoir jamais eu l'occasion de présenter une taxe de ce montant. Par conséquent, la question ne se pose pas. En ce qui concerne le mode de calcul de la taxe, tel que défini par le décret, il est certainement critiquable. Il est difficile d'en élaborer un qui soit juste. (...)

M. Jacky DARNE  :  Quel est votre chiffre d'affaires à Auxerre ?

M. Didier SEGARD  : Il n'a pas encore été calculé.

M. le Rapporteur  : Indiquez-nous celui de l'année précédente.

M. Didier SEGARD  : Le chiffre d'affaires doit être de l'ordre de 2,5 millions de francs, soit en moyenne 25 000 francs par dossier. Cela signifie que beaucoup d'affaires soit sont impécunieuses, soit ne donnent lieu qu'à une toute petite taxe ou à une taxe que l'on ne prend pas ou que l'on ne prend que partiellement, en particulier dans les plans de continuation. C'est une anomalie. Aboutir au plan de continuation exige souvent un travail considérable mais qui ne donne pas lieu à une rémunération particulière. Alors qu'en plan de cession, on taxe sur le montant de la cession, en plan de continuation, on ne taxe pas. (...)

M. le Rapporteur  : Quels sont les revenus annuels de l'ensemble de votre activité, pour Nanterre et les quatre tribunaux de la région ?

M. Didier SEGARD  : Je vous communiquerai, si vous le souhaitez, ma déclaration d'impôts.

M. le Rapporteur  : Vous ne souhaitez pas que cela soit dit publiquement ?

M. Didier SEGARD  : Je ne pense pas que ce soit le lieu. Cela n'est pas l'habitude.

M. le Rapporteur  : Non, ce n'est pas l'habitude, mais les habitudes sont faites pour être changées. J'ai besoin de savoir combien un administrateur judiciaire qui a beaucoup de dossiers, qui réussit, qui a du talent, qui sait s'exprimer, qui connaît parfaitement ses affaires, qui a la confiance du tribunal, gagne en France pour sauver des entreprises. Cela nous permettra d'établir des comparaisons avec les mandataires-liquidateurs.

M. Didier SEGARD  : Je suis tout à fait d'accord. Ce n'est pas le fait d'être cité qui me gêne. C'est un débat plus large. Je souhaiterais vous communiquer une information significative. J'y réfléchirai, car je ne m'attendais pas à votre question. Le revenu d'une année n'est pas significatif.

M. le Rapporteur  : Les trois dernières années, alors. (...)

M. Didier SEGARD  : Cette année, nous allons être pénalisés par une CSG un peu spéciale. Je veux parler de la contribution Sauvan et Goulletquer.

M. le Rapporteur  : Je souhaiterais connaître le chiffre d'affaires et le bénéfice dégagé par l'étude.

M. Didier SEGARD  : Après avoir payé le personnel, les impôts et toutes les autres charges, mon entreprise doit me rapporter environ 10 %.

M. le Rapporteur  : 10 % de quoi ? Nous ne le saurons pas. »

À Saint-Brieuc, la question est éludée par le mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises.

« M. le Rapporteur : Combien faites-vous de chiffre d'affaires annuel ?

Me Michel ROBERT, administrateur judiciaire : J'ai réalisé 750 000 francs de bénéfice cette année.

M. le Rapporteur : Et votre chiffre d'affaires ?

Me Michel ROBERT : Mon chiffre d'affaires doit être de l'ordre de 3 millions de francs.

M. le Rapporteur : Vous avez gagné 750 000 francs cette année ?

Me Michel ROBERT : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Et vous, mon cher Maître ?

Me Daniel DAVID, mandataire judiciaire : Je ne vous répondrai pas. C'est un sujet qui n'intéresse que les personnes qui sont directement concernées. Vous pouvez obtenir mes revenus auprès des services fiscaux de Saint-Brieuc. »

L'audition des membres du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises a été l''occasion de leur poser la question de leurs revenus.

M. le Président : Quel est le chiffre d'affaires de votre étude ?

M. Jean-Yves AUBERT, mandataire judiciaire : Pour l'étude de Chalon-sur-Saône, il est d'environ 9 millions de francs.

M. le Président : Nous allons poser la même question à chacun d'entre vous.

M. Xavier HUERTAS, administrateur judiciaire : (...) Le chiffre d'affaires moyen se situe, sur les trois dernières années, à 5 millions de francs hors taxes.

Mme Françoise LONNÉ, mandataire judiciaire : (...) Pour 1997 et en ce qui me concerne, j'ai réalisé un chiffre d'affaires de 4 millions de francs.

M. Jean-Louis LAUREAU, administrateur judiciaire : (...) Mon chiffre d'affaires est de 20 millions de francs par an.

M. le Rapporteur : Combien déclarez-vous de revenus annuels en moyenne sur les cinq dernières années ? (...)

M. Jean-Yves AUBERT : Je ne puis vous répondre pour l'année 1997 n'ayant pas encore rempli ma déclaration d'impôts.

M. le Rapporteur : Sur les cinq dernières années en moyenne.

M. Jean-Yves AUBERT : Je me situe dans la tranche d'imposition la plus élevée de la grille fiscale.

M. le Rapporteur : Cela ne nous dit rien de précis ! 9 millions de francs de chiffre d'affaires et sept salariés : j'imagine que vous ne leur donnez pas 1,5 million de francs chacun !

M. Jean-Yves AUBERT : En moyenne, le montant imposable peut varier entre 3 et 4 millions de francs par an.

M. le Rapporteur : De revenus imposables ou d'impôts par an ?

M. Jean-Yves AUBERT : Non, d'impôts.

M. le Président : Provenant de votre étude ?

M. Jean-Yves AUBERT : Tout à l'heure, je vous ai indiqué le chiffre d'affaires que j'ai réalisé sur l'étude de Chalon-sur-Saône. J'ai également une petite activité à Mâcon et une activité à Dole qui génère des ressources supplémentaires.

M. le Président : Les impôts que vous avez évoqués correspondent à... ?

M. Jean-Yves AUBERT : À l'ensemble des trois activités.

M. le Président : Et sur Nice ?

M. Xavier HUERTAS : J'ai procédé à une moyenne pondérée sur les trois dernières années. Après impôts, j'ai gagné net 900 000 francs par an sur trois ans.

M. le Président : Vous n'avez que votre seule charge comme revenus ?

M. Xavier HUERTAS : Oui.

M. le Président : Et vous, madame ?

Mme Françoise LONNE : S'agissant des perspectives sur 1997, je pense que mes revenus, après impôts, s'élèveront à 550 000 francs. (...)

M. le Président : (...) Qu'en est-il sur Versailles s'agissant des revenus ?

M. Jean-Louis LAUREAU : Chacun d'entre nous enregistre un revenu brut de l'ordre de 2,2 millions de francs sur la moyenne des trois dernières années.

M. le Président : Combien êtes-vous dans votre société ?

M. Jean-Louis LAUREAU : Nous sommes deux associés. »

À Toulon, la question est abordée également de manière plus conflictuelle.

« M. le Rapporteur : Je voudrais vous interroger sur vos revenus. Là, je m'adresse essentiellement aux mandataires-liquidateurs. C'est une question qui est revenue de façon lancinante, au cours de nos travaux ; elle a été posée par le CNPF que nous avons longuement entendu, par la Chancellerie qui a des projets de réforme du tarif, par des justiciables dans des lettres récurrentes, expliquant que le mandataire-liquidateur, parfois, dans certains cas qui ne sont pas si extraordinaires que cela, contribue à l'alourdissement du passif. Je voudrais que vous nous disiez ce que vous pensez d'une réforme du tarif, au vu de la rentabilité de vos études et du chiffre d'affaires qui est le vôtre. (...)

Mme Mireille MASSIANI, mandataire judiciaire : Parlons de la moyenne par dossier. J'ai été ravie d'apprendre que vous étiez avocat. Nous percevons une moyenne de 20 000 francs par dossier. Dans ces dossiers, on reçoit le débiteur ; on fait des recherches ; on fait des rapports au parquet ; on réalise l'actif ; on va à la recherche de l'actif ; on vérifie le passif ; on répond à tous les créanciers, plutôt deux fois qu'une car ils ne comprennent jamais rien ; on fait des clôtures ; on reçoit à plusieurs reprises les débiteurs. Il faut savoir que, personnellement, depuis 10 ans, j'ai plutôt l'impression d'être assistante sociale que mandataire de justice. Tout cela pour 20 000 francs par dossier ! Mon cher maître, est-ce que vous trouvez que c'est excessif ?

M. Robert GAÏA, député : Quel est votre chiffre d'affaires global ?

Mme Mireille MASSIANI : Il est de 8 millions TTC. Je donne 2 millions à l'État de TVA. Il me reste 6 millions sur lesquels je dois rémunérer le personnel.

M. Robert GAÏA : Quel est le montant de vos impôts sur le revenu de cette année ?

Mme Mireille MASSIANI : Si je vous dis combien j'ai payé, vous allez sourire. 54 000 francs d'impôts cette année. Parce que je défiscalise un peu aussi, je le reconnais. Si je ne devais payer que 54 000 francs d'impôts, j'arrêterais immédiatement ce métier. Avec les responsabilités que l'on supporte, le fait qu'on peut être ruiné complètement du jour au lendemain, - vous avez quand même conscience que si, demain, j'oublie de faire une déclaration de sinistre de 10 millions, je vais les payer de ma poche. C'est une menace permanente - si je ne dégageais que 100 000 francs de revenus, je m'arrêterais immédiatement.

M. Jacky DARNE, député : Vous décrivez l'importance de votre action. Je n'en doute pas mais j'ai pris quelques dossiers ordinaires. J'ai un dossier de Maître Grossetti, je ne sais pas lequel car il n'y a pas le prénom, Philippe Rulfo et Sylvie Salotti. C'est un dossier du 12 février 1996. Le chiffre d'affaires de l'entreprise était de 171 000 francs d'après les documents partiels figurant au dossier. Le seul élément d'actif était un fonds de commerce que vous avez fait réaliser et qui a rapporté 100 000 francs.

M. Jean-Pierre GROSSETTI, mandataire judiciaire : L'agent immobilier avait acheté l'immeuble et voulait nous expulser. Nous avons dû faire l'avance des frais de procès, continuer la procédure, conserver le fonds, le réaliser, vérifier le passif, faire des contestations de créances. Et pour tout cela, nous avons touché 26 950 francs. Si j'avais été agent immobilier, si on m'avait donné un fonds de commerce à réaliser, j'aurais pris 15 % d'honoraires. Alors, 15 % sur 150 000 francs, cela fait combien ?

M. Jacky DARNE : Ce que vous nous dites, c'est que le système actuel est parfaitement adapté et correspond aux besoins économiques. Il n'y a pas besoin de faire des réformes. (...)

M. le Rapporteur : (...) J'ai une question encore à poser à Me Bor. Quel est votre chiffre d'affaires en ce qui vous concerne ? Vous avez 1 500 dossiers. (...)

M. Henri BOR, mandataire judiciaire : Cette année, je vais arriver à 9 millions de francs.

M. le Rapporteur : Nous avons interrogé Me Jean-Yves Aubert qui fait partie du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises. Il nous donnait un chiffre équivalent. Lui, il n'avait pas l'astuce de défiscaliser. Il nous annonçait 3 à 4 millions d'impôt à payer par an.

Mme Mireille MASSIANI : Sur 9 millions de chiffre d'affaires ! C'est impossible !

M. le Rapporteur : Pour l'ensemble de ses études, ces 9 millions ne concernant que l'une d'entre elles. Qu'en est-il pour vous Me Bor ?

M. Henri BOR : Je vais vous répondre loyalement. Sur 9 millions de chiffre d'affaires, je paie 2,1 millions d'impôts.

Mme Mireille MASSIANI : J'ai fait 9,3 millions de chiffre d'affaires et j'ai 1,5 million de revenus. »

Le tableau reproduit ci-après donne un échantillon des bénéfices réalisés par les mandataires de justice dont les études principales sont situés dans le département de Paris et dans celui des Hauts-de-Seine.

BÉNÉFICES NON COMMERCIAUX DES MANDATAIRES DE JUSTICE

LOCALISÉS À PARIS ET DANS LES HAUTS-DE-SEINE

(1994-1996) (1)

(en milliers de francs)

 

Profession

1994

1995

1996

 
 

Administrateurs judiciaires

 
 

AJ

5 937

6 671

7 182

 
 

AJ

4 322

5 052

6 343

 
 

AJ

681

1 028

6 206

 
 

AJ

3 685

6 943

5 821

 
 

AJ

1 490

1 839

5 805

 
 

AJ

3 293

3 081

5 270

 
 

AJ

2 653

3 194

4 706

 
 

AJ

7 877

6 884

4 326

 
 

AJ

1 217

2 211

3 160

 
 

AJ

2 136

1 885

3 058

 
 

AJ

2 551

2 370

2 714

 
 

AJ

1 226

1 754

2 500

 
 

AJ

1 580

2 407

1 958

 
 

AJ

1 874

1 079

1 769

 
 

AJ

2 336

722

1 713

 
 

AJ

1 664

1 751

1 592

 
 

AJ

1 203

1 282

1 579

 
 

AJ

936

1 576

1 230

 
 

AJ

1 396

872

1 095

 
 

AJ

785

717

602

 
 

AJ

830

105

566

 
 

AJ

414

439

536

 
 

AJ

633

665

495

 
 

AJ

187

61

379

 
 

AJ

426

203

250

 
 

AJ

2 110

1 104

200

 
 

AJ

801

486

198

 
 

AJ

17

252

80

 
 

AJ

26

45

70

 
 

AJ

0

205

38

 
 

AJ

-88

60

17

 
 

AJ

463

-134

-184

 
 

AJ

1 593

305

-332

 
 

AJ(2)

3 884

7 516

7 311

 
 

Mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

 
 

MJ

3 098

2 014

5 409

 
 

MJ

3 729

4 206

5 007

 
 

MJ

2 346

6 095

4 738

 
 

MJ

3 318

3 199

4 737

 
 

MJ

4 955

3 077

4 598

 
 

MJ

4 227

12 690

4 575

 
 

MJ

2 897

10 125

3 987

 
 

MJ

3 129

3 333

3 940

 
 

MJ

504

2 828

3 545

 
 

MJ

1 395

2 073

2 519

 
 

MJ

3 184

4 556

1 997

 
 

MJ

1 542

1 317

1 378

 
 

MJ

2

411

1 144

 
 

MJ

2 474

2 011

1 036

 
 

MJ (2)

3 547

2 866

3 029

 
 

MJ(2)

900

1 407

2 350

 
 

(1) Ne sont intégrés dans le tableau que les mandataires de justice qui ont déposé une déclaration de bénéfices non commerciaux pour les trois années considérées.

 
 

(2) Les bénéfices considérés sont réalisés par une société civile professionnelle comprenant deux associés.

 
 

Source : Direction générale des impôts.

 

BÉNÉFICES NON COMMERCIAUX DES MANDATAIRES DE JUSTICE

AUDITIONNÉS PAR LA COMMISSION À SAINT-BRIEUC

(1994-1996)

(en milliers de francs)

 

Profession

1994

1995

1996

 
 

Administrateurs judiciaires

 
 

AJ

2 618

2 487

1 795

 
 

Mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

 
 

MJ

nd

2 116

nd

 
 

MJ

3 643

2 857

2 615

 
 

MJ

2 553

2 749

nd

 
 

nd : non disponible

 

BÉNÉFICES NON COMMERCIAUX DES MANDATAIRES DE JUSTICE

AUDITIONNÉS PAR LA COMMISSION À TOULON

(1994-1996)

(en milliers de francs)

 

Profession

1994

1995

1996

 
 

Administrateurs judiciaires

 
 

AJ

8 576

5 484

3 971

 
 

AJ

3 977

3 324

4 705

 
 

Mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

 
 

MJ

2 565

3 058

3 948

 
 

MJ

1 609

2 023

2 104

 
 

MJ

340

1 003

706

 
 

MJ

2 081

1 684

2 051

 
 

nd : non disponible

 

BÉNÉFICES NON COMMERCIAUX DES MANDATAIRES DE JUSTICE

AUDITIONNÉS PAR LA COMMISSION À LYON

(1994-1996)

(en milliers de francs)

 

Profession

1994

1995

1996

 
 

Administrateurs judiciaires

 
 

AJ

2 735

nd

2 624

 
 

AJ

1 811

1 917

1 801

 
 

AJ

1 833

1 958

1 726

 
 

AJ

8 038

nd

5 727

 
 

Mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

 
 

MJ

833

1 483

914

 
 

MJ

1 956

2 791

2 909

 
 

MJ

4 007

2 798

1 838

 
 

MJ

2 016

nd

nd

 
 

MJ

88

nd

587

 
 

nd : non disponible

 

BÉNÉFICES NON COMMERCIAUX DES MANDATAIRES DE JUSTICE

AUDITIONNÉS PAR LA COMMISSION À STRASBOURG

(1994-1996)

(en milliers de francs)

 

Profession

1994

1995

1996

 
 

Administrateurs judiciaires

 
 

AJ

nd

2 698

nd

 
 

AJ

3 559

4 240

2 817

 
 

Mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

 
 

MJ

nd

1 753

nd

 
 

MJ

6 611

1 846

1 877

 
 

nd : non disponible

 

BÉNÉFICES NON COMMERCIAUX DES MANDATAIRES DE JUSTICE

AUDITIONNÉS PAR LA COMMISSION À MONT-DE-MARSAN

(1994-1996)

(en milliers de francs)

 

Profession

1994

1995

1996

 
 

Administrateurs judiciaires

 
 

AJ

1 466

2 117

1 199

 
 

Mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

 
 

MJ

nd

1 966

2 076

 
 

MJ

1 326

1 115

1 238

 
 

nd : non disponible

 

Ces revenus élevés pourraient et devraient correspondre à un travail de qualité. La justice, les citoyens sont en droit d'attendre en contrepartie un service exemplaire. Si certains mandataires de justice accomplissent sans doute leurs missions avec conscience et dans le souci du service public, force est de constater cependant que nombre d'entre eux n'ont guère ce type de préoccupations et sont surtout soucieux de leur chiffre d'affaires.

b) Des professionnels âpres aux gains et parfois peu soucieux du service public

Certaines méthodes de travail, diverses pratiques professionnelles montrent que certains mandataires ne se comportent pas en collaborateurs du service public mais cherchent surtout à gagner le plus d'argent possible.

· Des méthodes de travail contestables

- Le manque de diligence

La disponibilité des mandataires de justice à l'égard des créanciers, des débiteurs ou du parquet laisse souvent à désirer. Laissons du M. Joël Rochard poursuivre son propos :

« Nos fonctionnaires(10) sont malheureux, parce que les mandataires ne peuvent être joints. Ils ne les prennent pas au téléphone. Il y a quelques années, un mandataire de province qui travaillait sur un très gros dossier suivi par le Comité interministériel pour les restructurations industrielles (CIRI) s'estimait propriétaire de son dossier et ne voulait pas avoir affaire au ministère des Finances. Après chaque appel infructueux, mon collègue appelait le préfet qui faisait porter une dépêche par motard. »

Est également critiquable la mise en place d'études importantes avec un seul titulaire, mais disposant de plusieurs bureaux annexes, avec de multiples stagiaires et collaborateurs, ces derniers assurant le suivi effectif de nombreuses procédures et intervenant souvent aux audiences aux lieux et place des mandataires.

Ces pratiques ci-dessus énoncées relèveraient au minimum de l'impolitesse si l'on se situait dans un salon mondain. Mais il est des situations où elles se transforment en marques manifestes d'indélicatesse coupable. La vie des affaires n'est pas un salon mondain, et les enjeux au milieu desquels sont pris les mandataires de justice se calculent en milliers d'emplois et en millions de francs de pertes.

Un rapport réalisé en mars-avril 1995 par la mission d'inspection des mandataires de justice de la Chancellerie sur l'étude d'un administrateur judiciaire à Paris, Me Alain Vergnaud, administrateur qui avait déjà fait l'objet d'un contrôle par le Conseil national en 1992 et 1994, donne un certain nombre d'exemples des négligences et contournements de la loi dont peuvent se rendre coupables certains mandataires :

- pauvreté de la documentation de l'étude ;

- existence de comptes débiteurs, situation résultant en partie du prélèvement du droit fixe (cf. infra chapitre sur les rémunérations) ;

- prélèvements anticipés d'émoluments ;

- retard dans la reddition des comptes des entreprises prises en charge ;

- prononcer de licenciement sans autorisation du juge-commissaire ;

- non-répartition d'une quote-part du prix de cession au créancier nanti ;

- non-inscription d'une clause d'inaliénabilité ;

- modifications des missions de commissariat à l'exécution du plan ;

- poursuites d'activité non soumises à l'approbation du tribunal ;

- absence de diligence lors d'une extension d'une procédure collective aux dirigeants ;

- atteinte aux intérêts des créanciers ;

- omission de créances nanties ;

- non-paiement d'une créance superprivilégiée ;

- attente inutile d'une action en comblement de passif devenue impossible ;

- paiements illicites ;

- inertie dans la gestion des fonds détenus pour le compte d'autrui ;

- absence de réponse à une demande d'information d'un créancier ;

- licenciement du représentant des salariés sans autorisation de l'autorité administrative ;

- défaut d'entretien préalable, d'information de l'autorité administrative, dans le cadre d'un licenciement économique ;

- absence de consultation du représentant des salariés sur les projets de licenciements, sur les projets de plan ;

- non-désignation du représentant des salariés ;

- omission de proposer une convention de conversion ;

- non-paiement de créances salariales superprivilégiées ;

Le rapport de la mission concluait à la légitimité de « faire entrer dans le champ disciplinaire les négligences les plus graves relevées lors de l'inspection de l'étude ».

Me Vergnaud est encore en fonction.

Un deuxième exemple d'inspection portant sur l'étude de Me Annie Auger-Dupeu, mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises à Saintes, en octobre 1994, faisait état de nombreuses « anomalies » relevées lors d'un premier contrôle effectué par le Conseil national puis par le procureur général de la cour d'appel de Poitiers  en 1992-1993 :

- système informatique inadapté ;

- nécessité de revoir et de réorganiser la comptabilité ;

- non-accomplissement de certaines formalités telles que l'établissement de l'état des créances, l'enregistrement sur la balance trimestrielle des missions de représentant des créanciers et commissaire à l'exécution du plan 

- prise de taxes par anticipation des ordonnances ultérieurement rendues ;

- défaut de transmission, en tant que représentant des salariés à l'Association pour la gestion des créances des salariés les bordereaux de créances de plusieurs salariés en net ;

- non-réponse à des courriers de créanciers d'entreprises en liquidation et à des convocations du procureur de la République.

La même inspection relève qu'un contrôle inopiné du Conseil national ordonné par la Chancellerie a révélé de nouvelles anomalies pour la même étude en 1993 :

- modification nécessaire du système informatique ;

- retard important dans la répartition des intérêts de la Caisse des dépôts et consignations ;

- non-recours aux comptes à termes ;

- différence entre nombre de dossiers portés sur les états trimestriels et celui du répertoire ;

- absence de récépissé de dépôt des états trimestriels.

Dans un nouveau rapport, le procureur général près la cour d'appel de Poitiers concluait à l'engagement de poursuites disciplinaires en 1994. Sur cette base, une inspection de la Chancellerie a été diligentée. Outre les problèmes de formation de la mandataire inspectée, qui a été inscrite sur la liste en 1986 avec dispense d'aptitude et de stage professionnel, et du personnel employé par l'étude, le magistrat inspecteur relevait le manque de rigueur dans la conduite des procédures, les insuffisantes connaissances techniques (méconnaissance des règles juridiques et comptables), ainsi que la perception d'émoluments sans les autorisations nécessaires et d'émoluments indus.

La conclusion du rapport d'inspection était sans ambiguïté : « Si les bénéfices réalisés par Me Auger-Dupeu (...) témoignent d'une situation confortable, ce n'est pas l'effet d'une gestion rigoureuse (...). La situation financière très satisfaisante de Me Auger-Dupeu est plutôt tirée des économies de moyens et de soins réalisées par ce professionnel au détriment des intervenants aux procédures collectives, à l'inverse de ce qu'aurait voulu le législateur.

(...) Ce phénomène est aggravé par l'incompétence et l'absence de connaissance de ce mandataire de justice (...).

Le comportement de l'intéressée devient lourdement fautif, si l'on associe à l'absence de conscience professionnelle qu'elle manifeste dans son rôle (...), d'une part l'organisation médiocre de son étude surtout avant 1993, et d'autre part l'habitude qu'elle a de laisser ses dossiers prendre des retards considérables. Est particulièrement choquant le peu de cas qu'elle fait des différentes personnes placées dans une situation par hypothèse délicate, voire dramatique (...). Ce comportement confine au mépris des administrés. (...) Loin de mettre à profit les multiples interventions du ministère public, dont le nombre l'avait alertée sur la gravité des dysfonctionnements de son étude, elle n'a jamais fait que travestir son incapacité sous une interprétation extrêmement restrictive et passive de sa mission. (...) Ce défaut de dynamisme fait singulièrement contraste avec la souplesse montrée par ce mandataire, dès qu'il s'agit de percevoir des émoluments.

(...) Un tel comportement qui relève tout à la fois de l'indélicatesse, dans une certaine mesure, et de l'incompétence, est indigne d'un auxiliaire de justice et retentit sur la réputation de toute une profession participant au service public judiciaire. La comparution de l'intéressée devant la commission régionale d'inscription et de discipline des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises près la cour d'appel de Poitiers s'impose. »

Me Auger Dupeu est encore en fonction.

- Une fâcheuse tendance à faire durer les procédures

Par ailleurs, M. Joël Rochard soulignait lors de son audition : « La façon de travailler de nombreux mandataires pose problème. Les mandataires travaillant dans les tribunaux engagent facilement des procédures et vont facilement jusqu'en cassation, même pour un petit montant. Ne pourrait-on raccourcir les délais des procédures collectives en demandant aux mandataires de prendre l'habitude d'accepter l'arrêt de la cour d'appel, par exemple s'il est identique au jugement de première instance ? On désencombrerait au surplus la Cour de cassation ! (...) L'on doit attendre longtemps avant de répartir la totalité des sommes dues, mais on peut aussi - la loi l'autorise - opérer des répartitions partielles. Par exemple, si les litiges ne portent pas sur les créances privilégiées, on peut répartir entre les créanciers privilégiés. C'est une solution qui n'est malheureusement pas utilisée. Il ne semble pas que la profession, les parquets ou les juges-commissaires en fassent beaucoup usage. Une activation des répartitions partielles accélérerait la solution de nombreux dossiers. Elle réduirait aussi les encaisses et par là-même les risques de détournement. Un effort est nécessaire en ce sens, mais il faut savoir que la profession aime à garder des matelas de créances. Des habitudes sont à forcer. »

Plus loin, il réitère son constat accablant : « Dans la mesure où les procédures sont longues, les mandataires savent qu'ils ne peuvent réexaminer un dossier avant longtemps. Si l'appel des prud'hommes doit se dérouler en juin 1999, on n'étudie pas le dossier à cette date, mais trois mois, voire six mois plus tard, puisque l'on n'est pas pressé. D'où une lenteur certaine. Une liquidation judiciaire est longue. Assumant des mandats limités, les juges-commissaires se succèdent. Ils récupèrent 100, 200 procédures, ne peuvent pas suivre, ni relancer les retardataires ; le parquet ne dispose pas des instruments de suivi et la lenteur propre à certains mandataires accroît encore les délais. Certaines cours d'appel, la Cour de cassation, rendent encore des arrêts sur des procédures collectives régies par les décrets de 1955 ou les lois de 1967.»

- Le recours à la sous-traitance : une sous-utilisation des experts en diagnostic d'entreprise

Le recours à la sous-traitance des tâches confiées au mandataire par le tribunal s'est développé depuis la réforme de 1985, qui si, elle ouvrait de telles possibilités, offrait quelques ambiguïtés, notamment sur la prise en charge de la rémunération des personnes appelées à la demande des mandataires pour effectuer au profit de l'entreprise certaines tâches techniques comprises ou non dans les missions des mandataires (article 37 de la première loi du 25 janvier 1985).

Théoriquement, si les experts interviennent dans le cadre de la mission qui a été confiée au mandataire, c'est à lui qu'il appartient de les rémunérer personnellement. Si, au contraire, les experts se voient confier soit directement par le tribunal, soit avec son autorisation des attributions en dehors de la mission donnée au mandataire, c'est le juge qui va déterminer le montant de la rémunération due à l'expert en plus de celle du mandataire.

La détermination de ce qui relève du mandataire et de ce qui peut être sous-traité n'est pas toujours évidente. Surtout si elle est, de fait, effectuée par le mandataire lui-même ; bien peu de juges ou de présidents de tribunal s'avisent en effet de la contrôler.

Pourquoi, dans ces conditions, s'auto-limiter, d'autant plus que l'augmentation du nombre de procédures collectives, déjà évoqué, ne s'est pas accompagné d'une augmentation corrélative du nombre des AJMJ qui a tendance à stagner voire à diminuer.

Le nombre des mandats traité par chacun est de ce fait souvent très important.

LE NOMBRE EXCESSIF DE MANDATS, INCITATION À LA SOUS-TRAITANCE

Audition de Mme Devigne, magistrat responsable de la mission d'inspection des mandataires de justice.

« M. le Président : Vous nous disiez que certains mandataires avaient 2 000, voire 3 000 mandats à gérer...

Mme Dominique DEVIGNE : C'est ce qui explique la tendance des mandataires à recourir à des intervenants extérieurs qui sont rémunérés par les procédures.

M. le Président : Avez-vous déjà inspecté une étude qui gère 3 000 mandats ?

Mme Dominique DEVIGNE : J'ai inspecté une étude qui en gérait 2 000 et qui avait onze employés et j'y ai constaté ce type de dysfonctionnement.

La multiplication des mandats peut être aussi à l'origine d'une autre dérive que je n'ai pas mentionnée : la paralysie des procédures. Il n'y a pas de durée moyenne légale - certaines sont très complexes et peuvent durer des années -, mais lorsque vous avez beaucoup de dossiers à gérer, les diligences ne sont pas faites dans des délais raisonnables. »

La question de la sous-traitance pose celle du recours aux experts en diagnostic d'entreprise, nouvelle fonction créée par la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985. La deuxième loi du 25 janvier 1985 (n° 85-99), dans son article 30, confie à l'expert en diagnostic d'entreprise la mission d'établir un rapport sur la situation économique et financière d'une entreprise en cas de règlement amiable ou de redressement judiciaire, ou de concourir à l'élaboration d'un tel rapport en cas de redressement judiciaire. Il est donc appelé à intervenir auprès de l'administrateur. C'est ce dernier qui peut demander sa désignation. Par ailleurs, la rémunération de l'expert est imputée sur celle de l'administrateur.

L'audition par la commission des représentants de la Compagnie nationale des experts en diagnostic d'entreprise, composée de la majorité des chefs d'entreprise inscrits en tant qu'experts en diagnostic d'entreprise sur les listes établies par les cours d'appel, a révélé que le recours à ces professionnels par les tribunaux de commerce était extrêmement limité et que la loi, sur ce plan, était resté lettre morte, au profit d'experts rémunérés directement sur les fonds de l'entreprise en redressement.

- La pratique des cabinets secondaires

Il faut ajouter à ces dérives celle qui consiste à créer des cabinets secondaires. Une fois inscrit sur la liste nationale, tout administrateur peut créer des cabinets sur tout le territoire sans véritable contrôle. C'est une lacune de la législation.

LA QUESTION DES CABINETS SECONDAIRES

Lors de son audition par la commission, M. Lafortune, avocat général à la Cour de cassation, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs a exposé le système des cabinets secondaires.

« M. Maurice LAFORTUNE : J'ai poursuivi un administrateur judiciaire qui avait son cabinet "principal" à Toulouse. Outre-mer, il avait installé un cabinet secondaire à la Martinique, puis un autre à la Réunion. Des mandats de justice sont par nature confiés intuitu personae, pour une bonne administration de la justice et pour éclairer la juridiction. Comment exercer correctement un mandat de justice outre-mer dès lors que l'on est installé à Toulouse ?

M. le Président : Il n'est pas le seul.

M. Maurice LAFORTUNE : Oui, et la situation perdure. Cet administrateur s'est rendu compte que le parquet et le commissaire aux comptes qui doivent chaque année contrôler son activité et ses comptes sont ceux du lieu de son cabinet principal. Le procureur de Fort-de-France ou celui de Saint-Denis n'ont aucune compétence sur ses cabinets secondaires. Il appliquait à l'envers la législation, si bien que son cabinet "principal" comptait huit dossiers, son cabinet secondaire à la Martinique 600 et celui de la Réunion 400 ! La législation ne s'applique pas !

J'ai reçu un appel téléphonique du Trésorier-payeur de Cayenne qui se déclarait très soucieux des comptes des entreprises de la Guyane. Il constatait que l'administrateur judiciaire, recevant des mandats de justice du tribunal de Cayenne, rapatriait les fonds des entreprises sur Paris, lesquels auraient normalement dû être déposés à la Caisse des dépôts et consignations. De fait, il n'avait aucune maîtrise sur ces fonds. Il me demandait que faire. Il était décidé à imposer à cet administrateur judiciaire l'ouverture d'un compte spécial pour être en mesure de le contrôler.

Effectivement, les fonds étaient transmis au lieu du cabinet principal, d'où l'impossibilité de tout contrôle. Là encore, l'administrateur avait compris que les textes pouvaient s'appliquer à l'envers.

M. le Président : Une telle situation est apparemment fréquente.

M. Maurice LAFORTUNE : L'outre-mer est le lieu où l'on ouvre un cabinet secondaire. »

Pour compléter ces morceaux choisis, il est intéressant de relever que le cabinet Goulletquer disposait de cabinets secondaires à Montpellier, à Cayenne, à Baie-Mahault en Guadeloupe, mais également au Lamentin en Martinique, à Nouméa en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Denis-de-la-Réunion. L'ampleur de cette pratique des cabinets secondaires est au demeurant impossible à évaluer avec précision. En effet, la commission n'a pu obtenir la liste des cabinets secondaires des études principales des administrateurs judiciaires ni auprès du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, ni auprès de la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises ni auprès de la Caisse des dépôts.

- Une déontologie très approximative

La perception qu'ont certains mandataires de la déontologie semble assez floue. Seul le cas Me David mandataire à Saint-Brieuc sera évoqué ici. Le Rapporteur reviendra sur d'autres exemples dans le chapitre 4 ci-après (L'apparition et le développement de la corruption dans les tribunaux de commerce).

LE MANDATAIRE-LIQUIDATEUR SAIT SOIGNER SES AMITIÉS

En 1988, Me Daniel David est nommé liquidateur de la société Labbé de Lamballe, société qui emploie plus de 200 personnes. Au bout de quelques temps, il reçoit plusieurs propositions d'acquisitions, dont l'une de M. Gauthier. Laissons la parole à l'intéressé :

« Me Daniel DAVID : J'ai reçu en définitive quatre propositions d'acquisition dont une a été présentée par un dénommé Daniel Gauthier, dont vous avez vu le nom puisque c'est lui qui est le plus cité dans les dossiers qui me concernent. Il est expert-comptable à Rennes et commissaire aux comptes en second de deux banques régionales, la Banque de Bretagne et la Société de développement régional. Il s'est présenté et je l'ai vu pour la première fois de ma vie dans les locaux de la société Labbé. (...) J'ai pris le risque - et je recommencerai demain exactement de la même manière - d'accepter une proposition faite par un dénommé Daniel Gauthier qui, en plus de la qualité de son mandant (puisqu'il agissait pour le compte d'un dénommé Altrad) représentait également un transporteur et des clients potentiels de la Société Labbé, lesquels avaient effectué l'offre la plus élevée en nombre de salariés et en prix. (...) J'ai dit tout à l'heure que Labbé SA faisait du blindé léger et de la carrosserie messagerie. (...) J'ai rencontré à plusieurs reprises Daniel Gauthier pour lui demander ce qu'il comptait faire pour éviter de scinder en deux l'affaire. C'est un capitaliste puisqu'il a investi pour le compte de tiers mais il s'est retrouvé finalement principal détenteur du capital social. Je ne suis pas associé avec lui dans la société Labbé, nouvelle ou ancienne ; je ne suis pas intéressé directement ou indirectement à cette vente en dehors de mon métier de liquidateur judiciaire. »

Plus loin dans l'audition, le Rapporteur revient sur cette question, tout en étant précisé que M. Gauthier a été partie dans la reprise de deux autres entreprises, l'affaire Conan et l'affaire du mont-Carmel, affaires dans lesquelles Me David est également intervenu.

« M. le Rapporteur : Tout à l'heure, nous avons parlé avec messieurs les magistrats d'une question très importante, et il faut que vous soyez précis là-dessus. Il est allégué que vous seriez personnellement, directement ou indirectement, associé à M. Gauthier qui a repris l'affaire Labbé, l'affaire de carrosserie. Est-ce exact ou est-ce inexact ?

Me Daniel DAVID : Il est inexact que je sois associé dans une affaire Labbé, directement ou indirectement. En revanche, il est exact qu'en décembre 1993, trois ans après la vente des actifs de Labbé, j'ai, avec une quinzaine d'autres personnes, sollicité Daniel Gauthier qui a une couverture financière suffisante pour qu'il participe à une société dans les Antilles françaises, dans l'Ile de Saint-Martin. Il s'agissait de financer un établissement hôtelier. Parmi les associés, il y a des médecins, il y a des parisiens, il y a une entreprise... quelques personnes sur lesquelles je ne possède que peu d'éléments ; cela a été fait dans le cadre de la loi Pons sur les investissements dans les Antilles françaises. Premièrement, il n'y a rien d'illégal là-dedans et, deuxièmement, j'avais vendu trois ans auparavant les actifs de la société Labbé. J'ai eu des liens avec M. Gauthier à l'occasion de cette affaire parce que nous nous sommes vus, pendant plusieurs mois, au moins une ou deux fois par semaine en raison des énormes problèmes posés par la cession d'une entreprise de cette taille, et je n'ai pas à me reprocher cette association faite trois ans plus tard. Je peux être associé demain pour monter une autre affaire là-bas. (...)

M. le Rapporteur : J'ai une question à vous poser : étiez-vous désigné par le tribunal dans l'affaire Conan également ?

Me Daniel DAVID : Oui.

M. le Rapporteur : J'ai un raisonnement simple, mon cher Maître : vous êtes associé avec Me Gauthier dans des affaires qui n'ont rien à voir avec la reprise...

Me Daniel DAVID : ... une affaire qui n'a rien à voir et qui est complètement indépendante, une affaire de défiscalisation.

M. le Rapporteur : Je veux travailler sur pièces, je ne veux pas vous mettre en cause inutilement et sans justification. On m'envoie des documents. Je vois que vous avez immatriculé une société Pétrus aux Antilles.

Me Daniel DAVID : Oui, Pétrus SARL  Il y a trois cogérants.

M. le Rapporteur : Oui, il y a trois cogérants qui gèrent une société qui est aux Antilles, intitulée Orient Stone. J'ai sous les yeux le Kbis. Cette cogérance fait apparaître que la société Pétrus est gérée elle-même par Mme Véronique David, votre épouse.

Me Daniel DAVID : Oui.

M. le Rapporteur : L'autre société, qui est par ailleurs cogérante, c'est-à-dire SIGO, est dirigée par Mme Gauthier, c'est-à-dire l'épouse de Daniel Gauthier. Et on me fait parvenir un autre document sur une société SNC, TOP CAMPU RENNES BEAUREGARD où les deux mêmes sociétés, c'est-à-dire Pétrus et SIGO sont présentes. (...)

Vous êtes donc associés dans deux affaires avec M. Gauthier. La question que je me pose - et nous l'avons posée aux magistrats qui vous désignent -, c'est que vous avez été désigné comme représentant des créanciers à un moment où vous étiez en affaire avec M. Gauthier, non pas tant dans l'affaire Labbé (c'était antérieur) mais postérieurement dans l'affaire de la reprise de Conan, et dans la reprise de Mont Carmel. Ces deux sociétés font apparaître Labbé comme associé au repreneur M. Robin, c'est-à-dire que Labbé, qui a été repris par M. Gauthier, votre associé - le problème est là -, a repris avec Robin la société Conan dans laquelle vous êtes mandataire liquidateur, et le même Labbé est associé dans la reprise du Mont Carmel avec M. Robin alors que vous êtes mandataire liquidateur dans cette affaire. »

· Un placement des fonds qui manque de clarté

Les sommes manipulées par les mandataires judiciaires sont gigantesques. En moyenne, les comptes d'une étude s'élèvent à 100 millions de francs. Cela va de 50 millions de francs, à 250, 300 millions de francs. Quelques études détiennent plus d'un milliard de francs.

Au total, les mandataires de justice ont 57 milliards de francs en compte à la seule Caisse des dépôts et consignations, à comparer avec les 35 milliards de francs déposés par les notaires et les 10 milliards de francs d'autres dépôts réglementés. Le siège parisien de la Caisse récupère directement 11 milliards de francs auprès des études parisiennes et le réseau du Trésor public 46 milliards de francs. Les dépôts des administrateurs judiciaires représentent 14,25 milliards de francs et ceux des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises 42 milliards de francs.

Le montant des flux, autrement dit le total des encaissements pour le réseau du Trésor public s'élève à 173 milliards de francs annuels. Cent professionnels déposent 50 % des fonds. et dix professionnels(11) déposent plus de 500 millions de francs. Depuis 1990, les flux enregistrés par la Caisse des dépôts ne cessent de croître. En outre ils ne représentent qu'une partie des sommes manipulées par les mandataires.

Les enjeux sont donc considérables.

Des règles complexes

Trois règles ont été posées par la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises s'agissant du maniement des fonds et de la rémunération des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

L'article 34 dispose qu'en cas de vente d'un bien grevé d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque, la quote-part du prix correspondant aux créances garanties par ces sûretés est versée en compte à la Caisse des dépôts et consignations.

L'article 41 de la première loi du 25 janvier 1985 précise que toute somme perçue par les mandataires de justice qui n'est pas portée sur les comptes bancaires ou postaux du débiteur pour les besoins de la poursuite d'activité doit être versée immédiatement en compte de dépôt à la Caisse des dépôt et consignations.

L'article 151 de la loi précitée précise, s'agissant de la procédure de liquidation judiciaire, que toute somme perçue par le liquidateur dans l'exercice de ses fonctions est immédiatement versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations.

Ces obligations correspondent à celles qui étaient imposées au syndic par l'article 25 du décret n° 67-1124 du 22 décembre 1967 et le fait qu'elles trouvent leur origine dans des dispositions désormais de nature législative leur confère un plus grand poids. Le législateur a bien précisé que le dépôt des fonds à la CDC devait être effectué « immédiatement ».

En revanche, sous le régime de la loi du 25 janvier 1985, le commissaire à l'exécution du plan n'a pas, en l'état de la réglementation, l'obligation formelle de déposer les fonds à la Caisse des dépôts et consignations. Il peut détenir en sus des fonds pour les besoins de la poursuite d'actions en justice (article 67, alinéa 2 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985) et des fonds relatifs à la vente d'un bien grevé d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque (articles 78 de la loi précitée et 102 du décret n° 85-1388 du 25 janvier 1985.

Les mandataires de justice ont eu, lors de l'entrée en vigueur de la loi précitée, à savoir à partir du 1er janvier 1986, la possibilité de virer les fonds qu'ils détenaient sur les comptes de consignation ouverts par affaire à la Caisse des dépôts, sur les nouveaux comptes de dépôts intitulés compte général (non rémunéré et sur lesquels les fonds sont placés pour une durée très courte) et compte de répartition (rémunéré à 2,5 % pour une durée moyenne), constituant ainsi une masse unique des fonds des tiers détenus, conformément à l'article 195 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 modifié. Les sommes ne sont donc plus versées sur les anciens comptes de consignations qui étaient ouverts pour chaque affaire.

Ainsi, les trésoriers payeurs généraux ne sont plus en mesure d'attester la régularité des sommes détenues dans une affaire entre, d'une part, celles déposées sur un compte global ouvert à la CDC et d'autre part, celles détenus entre les mains du commissaire à l'exécution du plan dans des établissements bancaires autres que la Caisse des dépôts et consignations. Ils peuvent seulement communiquer le solde des comptes ouverts au nom du professionnel (compte général et comptes de répartition) et la liste des comptes à terme ouverts à la CDC.

En outre, il résulte du cahier des charges relatif aux comptes ouverts à la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre de la loi du 25 janvier 1985 que le mandataire désigné comme liquidateur, lorsque le solde des sommes encaissées et payées au titre d'une affaire ayant fait l'objet d'une décision de liquidation excède 100 000 francs, doit utiliser son seul compte de répartition ou demander l'ouverture d'un compte à terme pour l'affaire considérée. Par conséquent, le compte général, compte de dépôt non rémunéré, ne doit pas être utilisé pour les dépôts supérieurs à 100 000 francs.

Des pratiques frauduleuses sur une grande échelle

La commission a observé qu'un grand nombre de mandataires ont obtenu de certaines banques (SDBO, Monod, Gallière, Rivaud, Finindus) en échange du dépôt d'une partie des fonds de l'entreprise sur un compte non rémunéré, des prêts personnels à taux zéro, voire à taux négatif.

Un spécialiste des procédures collectives, à la fois mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises et professeur d'université, M. Bernard Soinne a ainsi expliqué le système à la commission, lors de son audition : « Il faut souligner que pour les fonds des commissariats au plan, le mandataire peut les déposer où il le souhaite et non à la seule Caisse des dépôts et consignations. Il y a plusieurs techniques. La première consiste à avoir un compte A "faillites" qui n'est pas rémunéré, ou rémunéré au taux donné par la Caisse des dépôts et consignations, 3 % environ, puis, un compte B, débiteur, au profit du mandataire, qui ne fait pas l'objet d'agios débiteurs. La deuxième technique consiste à octroyer des prêts à 2 % ou 3 % au mandataire. La troisième consiste à avoir des fonds A, les fonds de faillite, qui donnent un taux d'intérêt de 3 % et les fonds B, ceux du mandataire, qui donnent un taux d'intérêt de 15 %. »

Exposées par un mandataire de justice, ces pratiques ont également été expliquées à la commission par plusieurs membres du parquet de Paris.

    LES PARQUETS S'INTÉRESSENT AUX RELATIONS ENTRE LES MANDATAIRES ET LES BANQUES

M. Jean-Claude Marin, procureur-adjoint au tribunal de grande instance Paris fait état des recherches en cours sur les relations qu'ont entretenues certains mandataires avec certains établissements bancaires.

« M. Jean-Claude MARIN : (...) Une enquête préliminaire est en cours. Elle porte moins sur des rémunérations qu'auraient pu obtenir des mandataires de justice sur la base d'une sorte de contrat commercial consistant à privilégier tel et tel établissement de crédit pour l'ouverture des comptes professionnels et sur lesquels étaient affectés les comptes des entreprises gérées, mais plutôt sur les taux d'intérêt consentis sur des emprunts effectués par ces professionnels à titre professionnel ou privé, ce qui ne change pas la nature des faits. Cette enquête préliminaire a été confiée à la brigade financière de Paris. Il est précisé que le cas d'un certain nombre de ces professionnels est examiné par d'autres parquets, car, dans une logique d'action publique, il a été décidé de confier l'enquête au parquet qui avait connaissance des mandataires de justice plutôt qu'à celui du lieu du siège social du prêteur à taux zéro ou quasi zéro. Ainsi des enquêtes similaires sont menées par la Cour d'appel de Versailles, essentiellement. Cette enquête est en cours ; elle concerne pour Paris une quinzaine de professionnels, administrateurs judiciaires et mandataires à la liquidation des entreprises. On en attend les résultats.

M. le Rapporteur : Cette enquête a-t-elle été ouverte à la demande de l'administration fiscale ?

M. Jean-Claude MARIN : C'est une enquête ouverte à la suite d'une transmission sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale.

M. le Rapporteur : Quand a-t-elle été ouverte ?

M. Jean-Claude MARIN : Je n'ai pas la date précise en tête, mais je pense que c'est à la fin de 1996 ou au début de 1997. Le délai d'enquête peut paraître anormal, c'est un problème.

M. le Rapporteur : C'est un sujet qui, par ailleurs, passionne le législateur !

M. Jean-Claude MARIN : ..qui dépasse très largement votre commission d'enquête, mais sachez que la brigade financière de Paris est totalement submergée.

M. le Rapporteur : Je l'ai noté.

Si des charges doivent être retenues, dans quel délai déboucheront-elles sur la saisine de la juridiction d'instruction ou d'une juridiction de jugement ?

M. Jean-Claude MARIN : Il est trop tôt pour dire ce que fera le parquet au vu d'une enquête qui n'est pas terminée. On nous a promis que cette enquête verrait son aboutissement juste avant ou juste après l'été. J'ai tendance à dire que c'est au vu des résultats cette enquête que le parquet de Paris prendra une position qui peut n'être pas globale pour l'ensemble des professionnels : les situations peuvent être très différenciées.

Mme Fulgéras, chef de la section économique et financière du parquet du tribunal de grande instance de Paris, auditionnée le 7 mai 1998 par la commission, confirme les faits.

Mme Anne-José FULGERAS : Je ne vous ai pas parlé des prêts consentis par les banques aux mandataires ; ce n'est pas pour vous en cacher la teneur, mais simplement parce que deux informations ont été ouvertes à ce sujet. L'une en janvier, l'autre en février à Paris.

M. le Rapporteur : Merci de nous le signaler. On nous a dit qu'il y avait eu une quarantaine de redressements fiscaux et qu'une enquête préliminaire avait été ouverte, dont M. Marin nous a dit qu'elle était en cours et n'avait pas encore débouché sur l'ouverture d'une information judiciaire.

Mme Anne-José FULGERAS : C'est récent.

M. le Rapporteur : Vous avez choisi le critère de répartition par mandataire ou par banque ?

Mme Anne-José FULGERAS : Par banque. C'était un vrai problème de savoir si, au regard de l'intérêt de l'action publique, le critère de la banque était bien le meilleur. Il n'y avait aucun critère, aucun choix totalement satisfaisant. Nous avons fini par ouvrir deux informations judiciaires chez le même juge d'instruction, pour chacune des deux banques qui intéressent 25 ou 30 mandataires. Ils ont bénéficié de prêts consentis à des taux inférieurs à des taux de refinancement. La question est surtout de savoir si ces avantages ont pesé sur la façon dont ils ont exercé leur mission, ce qui constituerait une corruption active.

Il s'agissait d'une prime de fidélité, je pense. Je ne peux pas vous en dire plus. D'ailleurs, les informations ne font que commencer.

Une circulaire du garde des sceaux en date du 1er août 1978 avait déjà dénoncé de telles pratiques et la profession des syndics avait été invitée à ne plus considérer les intérêts produits par les comptes bancaires professionnels comme étant acquis personnellement par ses membres, mais à les répartir entre les masses des créanciers concernés conformément au principe d'accession, selon lequel « la propriété d'une chose mobilière ou immobilière donne droit sur tout ce qu'elle produit » (article 546 du code civil).

Certains mandataires effectuent des prélèvements sur des dossiers ayant un solde positif pour couvrir les sommes d'une affaire ayant un solde négatif. Cela signifie que le mandataire a engagé des dépenses pour le compte de l'affaire sans disposer des recettes correspondantes et les prélèvements opérés alors que la provision n'était pas suffisante sont réalisés sur les sommes gérées pour les autres dossiers. En réalité, une partie des fonds n'est pas représentée. De la même façon, il faut relever que des soldes négatifs sur un compte global qui produit intérêts ont pour effet de diminuer la base de répartition des intérêts pour les autres dossiers. Légalement, le professionnel devrait créditer le compte de l'affaire par une avance sur ses fonds personnels avant d'engager la dépense.

Par ailleurs, la Chancellerie, dans une circulaire récente aux procureurs généraux(12), initiative à laquelle il faut rendre hommage, a pu repérer un certain nombre de cas dans lesquels le compte crédité par les avances de l'AGS au vu des bordereaux de déclaration des créances salariales, en l'absence de fonds disponibles, enregistrait un solde positif sur une longue période, le mandataire omettant de retourner à l'AGS les sommes avancées au titre des salaires et qui n'ont pu être remises à leur bénéficiaire.

Des sanctions existent dans la réglementation

La seule disposition légale imposant au mandataire de déposer les fonds des créanciers sur un compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignations caractérise l'intention frauduleuse de malversation (Cour de cassation, chambre criminelle, 5 juillet 1993) et soumet l'intéressé aux rigueurs de l'article 207 de la loi n° 85-998 du 25 janvier 1985 qui punit cette malversation des peines de l'abus de confiance aggravé (7 ans d'emprisonnement, 5 millions de francs d'amende).

De ce point de vue, l'ambiguïté ou l'insuffisance du dispositif technique applicable au maniement des fonds par les mandataires de justice, parfois invoquée par les professionnels concernés, ne revêt qu'une importance relative, puisque le fait d'utiliser à leur profit, fut-ce une partie seulement des sommes perçues dans l'accomplissement de leur mission constitue l'élément matériel de l'infraction.

c) Des contrôles multiples et défaillants : une profession livrée à elle-même

La multitude des contrôles prévus pour encadrer la profession d'administrateur et celle de liquidateur n'existe que dans les textes. Elle n'a pas empêché les dérives constatées. La profession, aussi bien que les pouvoirs publics, sont coupables en ce domaine, ces derniers déléguant largement à la première la responsabilité de se surveiller elle-même : avec le succès que l'on connaît !

· Responsabilité et sanctions

L'engagement de la responsabilité des mandataires intervenant devant les tribunaux de commerce obéit au principe fixé par l'article 1992 du code civil : « Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion. Néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire. »

Le mandataire ne contracte donc qu'une obligation de moyens mais sa faute doit être appréciée avec une certaine rigueur, comme celle de tout professionnel rémunéré. L'action en responsabilité est de la compétence du tribunal de grande instance.

L'administrateur, quant à lui, encourt la responsabilité pénale du chef d'entreprise, sans pouvoir se dégager par une délégation donnée au débiteur qui n'est pas son préposé (Cour de cassation, chambre criminelle, 30 janvier 1996).

S'agissant des sanctions, il convient de noter que la Commission nationale d'inscription et de discipline, pour le cas des administrateurs, et les commissions régionales, pour le cas des mandataires à la liquidation, peuvent siéger en chambres de discipline et jouent, à ce titre, le rôle de « bras séculier » du parquet dans sa mission de contrôle. Elles prononcent les décisions de retrait des mandataires de la liste. Elles peuvent prononcer également des avertissements, des blâmes, des interdictions temporaires pour une durée n'excédant pas un an, mais aussi une radiation de la liste.

Tout mandataire interdit temporairement, radié ou suspendu provisoirement doit s'abstenir de tout acte professionnel. Il ne peut donc plus être désigné par le tribunal (articles 17 et 28 de la deuxième loi du 25 janvier 1985).

Les commissions de discipline ne peuvent être saisies que par le commissaire du Gouvernement, magistrat du parquet désigné à cet effet, dans un délai de dix ans à compter des faits reprochés (article 16 de la loi précitée).

Par ailleurs, l'article 207 alinéa premier de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 punit des peines de l'abus de confiance aggravé d'une part le fait pour tout mandataire de justice de porter volontairement atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur, soit en utilisant à son profit les sommes perçues dans l'accomplissement de sa mission, soit en se faisant attribuer des avantages qu'il savait n'être pas dus, d'autre part le fait de faire dans son intérêt des pouvoirs dont il dispose un usage qu'il sait contraire aux intérêts des créanciers ou débiteur.

L'alinéa 2 de l'article précité dispose qu'est puni des peines de l'abus de confiance aggravé le fait non seulement pour les mandataires judiciaires de se rendre acquéreur pour leur compte, directement ou indirectement, des biens du débiteur mais encore de les utiliser à leur profit.

· La faillite de tous les contrôles

Conscients des enjeux, le législateur et le pouvoir réglementaire ont prévu de multiples cadres de contrôle, théoriquement sanctionnés par des mesures disciplinaires et des peines conséquentes. Outre le contrôle exercé par le juge-commissaire et les créanciers au travers des contrôleurs tout au long de la procédure, il convient de distinguer trois types de contrôle : celui exercé par la profession, le contrôle de la Chancellerie et celui exercé par les parquets.

Aussi nombreux qu'approfondis, les contrôles théoriques devaient permettre d'encadrer des professions aux missions délicates. Dans la réalité, la multiplication des « affaires » a révélé tout à la fois l'absence de responsabilité de la profession, l'inexistence d'une volonté forte de la part de la Chancellerie de contrôler ces professionnels et les procédures collectives en général, et la faiblesse de la culture économique et financière de parquets, mobilisés sur l'action pénale et malheureu-sement en panne de moyens.

- Une profession complaisante

En vertu des articles 54-16 à 54-23 du décret n° 85-1389 du 27 décembre 1985 modifié par le décret n° 91-1030 du 8 octobre 1991 relatif aux administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises exerce des contrôles réguliers sur les études. Une circulaire n° CIV 92/9 en date du 10 septembre 1992 est venue préciser les modalités de ce contrôle.

Chaque étude est soumise tous les quatre ans à un contrôle, qui porte sur l'ensemble de son activité. Elle peut en outre, à tout moment, être soumise de manière inopinée à un contrôle occasionnel qui porte soit sur une question particulière, soit sur l'ensemble de l'activité du professionnel. Ce contrôle occasionnel peut être demandé au bureau du Conseil national par les commissaires du Gouvernement près les commissions de discipline et par le magistrat chargé des inspections des mandataires.

Le contrôle est effectué par un ou deux contrôleurs qui sont désignés par le président du Conseil national, selon le cas, parmi les mandataires judiciaires ou les administrateurs judiciaires n'exerçant pas leur activité dans le même ressort de cour d'appel que le professionnel contrôlé et choisis sur une liste dressée à la fin du troisième trimestre de chaque année et soumise à l'agrément du garde des sceaux.

Cette catégorie de contrôle suppose une autorégulation de la profession qui ne s'effectue pas dans la réalité.

Même s'il n'est pas constitué en véritable ordre professionnel et s'il n'a pas de pouvoir disciplinaire propre, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises semble faire preuve d'une cécité étonnante.

Le récit fait de ce type de contrôle par M. Joël Rochard, inspecteur général des finances, lors de son audition par la commission est édifiant : « Les contrôles par la profession - vaste rigolade ! - sont effectués par deux personnes, des gens très sérieux de la profession. On panache : l'un vient de Paris, l'autre de province. Conclusion : il y en a toujours un qui vient de loin et le contrôle ne commence jamais avant dix heures le matin. Ils travaillent jusqu'à treize heures et le contrôlé invite les contrôleurs à déjeuner. On revient de déjeuner vers quinze heures et vers seize heures, celui qui habite loin doit repartir. Le contrôle d'une journée dure quatre heures !

On prévient les personnes du contrôle trois mois à l'avance, ce qui est une technique formidable pour faire disparaître les dossiers gênants !

Si le contrôlé ne souhaite pas montrer un dossier au contrôleur - pas forcément malhonnête, mais « pagailleux » dirais-je - il l'envoie aux archives quinze jours et conserve les dossiers ne posant pas problème.

Les contrôleurs disposent d'un dossier type et cochent. Ils envoient même par avance, avant le contrôle, le dossier-type au contrôlé pour qu'il puisse remplir les cases. Le dossier fait quarante pages. Si vous retirez tout ce qui est blanc, il ne reste plus que douze pages utiles, où figurent des informations telles que : « M. X s'est installé à telle date » ; « Il habite à tel endroit, il est marié, possède tel diplôme. » Ces pages ne présentent donc que peu d'intérêt.

Les dossiers sont envoyés aux archives et quand les contrôleurs retiennent un dossier figurant sur la liste, le contrôlé s'exclame : « Oh, catastrophe ! Je l'ai envoyé aux archives. Mais, qu'à cela ne tienne, j'appelle la société d'archivage et demande immédiatement le dossier. » On sait parfaitement qu'il ne pourra revenir dans la journée et l'on peut donc parfaitement ne pas être contrôlé sur les dossiers gênants. C'est là une méthode qui marche parfaitement !

En outre, en l'espace de quatre heures, le contrôleur ne peut jeter qu'un coup d'_il formel sur le dossier. Y a-t-il bien une sous-chemise ? Le jugement figure-t-il ? Y a-t-il une autre sous-chemise ? Les correspondances sont-elles introduites ? C'est un peu comme si, pour un contrôle technique d'une voiture, on examinait la propreté de la carrosserie en oubliant les freins.

Il ne suffit pas de vérifier la cohérence juridico-administrative du dossier ; il conviendrait également d'étudier en détail les comptes, les pièces de dépenses : cette dépense était-elle utile ? N'est-ce pas une dépense personnelle passée sur l'entreprise ? Ce travail n'est pas fait.

Le summum fut le contrôle de l'étude de M. Goulletquer. Deux contrôleurs, pourtant performants dans la profession, puisque l'un est vice-président de la Caisse de garantie et l'autre siège à la commission de discipline, par conséquent deux véritables experts, sont restés une journée à l'étude de M. Goulletquer sans s'apercevoir qu'il manquait 200 millions de francs. alors que c'était la seule chose à voir. Le reste est sans aucune importance. »

Les contrôles de la profession sont une catastrophe. C'est l'une des justifications des errements. »

Nous ne saurions mieux dire.

- Une Chancellerie dépassée et impuissante, un parquet sans moyens véritables

- Conformément à l'article 58 du décret n° 85-1389 du 27 décembre 1985 modifié relatif aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise (deuxième décret du 27 décembre 1985), le professionnel doit adresser à la Chancellerie, par le biais des procureurs, une attestation annuelle de sa comptabilité réalisée par un commissaire aux comptes dûment inscrit sur la liste des commissaires aux comptes habilités pour procéder au contrôle de la comptabilité des études. Cette attestation indique les montants des fonds gérés par catégorie de mission et mentionne toutes les anomalies ou irrégularités constatées.

Selon les articles 55 et 56 du décret précité venu préciser les dispositions des articles 12 et 28 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985, la Chancellerie procède à des inspections des études, fonction confiée à la mission d'inspection des mandataires de justice de la direction des affaires et civiles et du sceau. Le magistrat chargé de l'inspection peut prescrire, soit d'office, soit à la demande du commissaire du Gouvernement compétent une inspection. Il peut soit effectuer lui-même les inspections, soit les confier à des magistrats du parquet, auquel cas il en coordonne l'activité. Le magistrat-inspecteur peut se faire assister d'un commissaire aux comptes.

Enfin, de façon tardive, la Chancellerie a précisé le cadre d'intervention du ministère public pour la surveillance des mandataires (circulaire du garde des sceaux aux procureurs généraux près les cours d'appel, n° CIV 97/12 du 20 octobre 1997).

Etendu en théorie, le contrôle exercé par la Chancellerie est réduit à la portion congrue, faute de volonté, faute de moyens. Il faut relever la qualité des rapports de la Mission d'inspection des mandataires de justice. Ils sont extrêmement détaillés : formation et conditions d'entrée du mandataire dans la profession, composition et formation du personnel, adéquation des moyens (documentation, locaux, équipement informatique et bureautique), rentabilité de l'étude, examen du respect des diligences.

Mais trois bémols doivent être émis.

Un seul magistrat est affecté à la mission d'inspection. Le poste a été récemment vacant pendant plusieurs mois. Son titulaire change relativement souvent. Mme Dominique Devigne, magistrat à la direction des affaires civiles et du sceau, responsable de la mission d'inspection des mandataires de justice, a rappelé lors de son audition par la commission que depuis 1986, il n'y avait eu que 18 inspections assurées par un seul magistrat pour 481 mandataires.

L'inspection intervient souvent après qu'un contrôle ait déjà été effectué par le Conseil national et lorsque le scandale est déjà connu.

Les poursuites disciplinaires régulièrement réclamées par l'inspection restent relativement rares, même si leur nombre a eu tendance à augmenter ces dernières années.

Contrairement à ce qu'avaient envisagé certains(13), avant la publication des décrets d'application de la deuxième loi du 25 janvier 1985, aucun véritable service public d'inspection analogue à l'inspection générale des services judiciaires, placé sous l'autorité du garde des sceaux, n'a été mis en place.

- En vertu de l'article 12 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985, les administrateurs judiciaires sont placés sous la surveillance du ministère public. Cette disposition est étendue aux mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises par l'article 28 de cette même loi.

Le parquet doit à la fois apprécier l'exercice de la mission en vérifiant que le mandataire s'est doté de la structure lui permettant de faire face aux diligences attendues de lui et contrôler ainsi qu'il exécute dans des délais raisonnables les mandats qui lui sont confiés, et s'assurer de la représentation des fonds dont les mandataires sont dépositaires.

Les mandataires de justice doivent régulièrement envoyer un certain nombre d'informations aux parquets :

- rapport sur le déroulement de la procédure et la situation de l'entreprise (dans les deux mois du jugement d'ouverture dans le cadre du régime général en vertu de l'article 29 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 modifié relatif au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, dans le mois du jugement d'ouverture dans le cadre de la procédure simplifiée conformément à l'article 113 de ce même décret) ;

- information du procureur par le liquidateur sur les opérations de liquidation tous les trois mois (article 150 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises) ;

- sur demande du procureur et à tout moment, et en tous cas une fois par an, rapport du liquidateur indiquant les différentes opérations de liquidation des actifs, le montant des sommes versées à la Caisse des dépôts et consignations, l'état des répartitions faites aux créanciers (article 123 du décret précité) ;

- information du procureur par le débiteur ou l'administrateur, à chaque fin de période de poursuite d'activité ou à tout moment à la demande du ministère public sur les résultats d'exploitation, la situation de trésorerie et la capacité du débiteur à faire face aux dettes nées postérieurement au jugement d'ouverture (article 57 du décret précité) ;

- en cas de continuation d'activité, à la suite d'un contrat de location-gérance, renseignements fournis par l'administrateur sur l'exécution par le locataire-gérant de ses engagements et des résultats de l'exploitation en précisant les sommes reçues du locataire gérant (article 59 du décret précité) ;

- communication par le commissaire à l'exécution du plan de cession avec location-gérance de toute atteinte aux éléments pris en location-gérance ainsi que de tout défaut d'exécution des obligations du locataire-gérant (article 109 du décret précité) ;

- information par le commissaire à l'exécution du plan sur l'inexécution du plan de la part du débiteur, du cessionnaire ou de toute autre personne (article 67 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, article 94 du décret précité);

- transmission par les mandataires au procureur de toute information relative à des faits générateurs de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer (article 168 du décret précité).

Aussi importante que soit la masse d'informations contenues dans ces documents, elle est difficilement traitée par les parquets qui manquent de moyens et sa compréhension est souvent rendue difficile par la présentation même des documents. Ainsi, les états trimestriels(14) présentent un caractère véritablement ésotérique et leur exploitation appararaît particulièrement compliquée.

    LES MANDATAIRES NE FACILITENT PAS LE CONTRÔLE DU PARQUET

Lors de leur audition par la commission, Mme Drouy-Ayral, procureur-adjoint au tribunal de grande instance de Marseille et M. Kiriakides, procureur au tribunal de grande instance de Carcassonne font état des difficultés qu'ils rencontrent à exercer un contrôle effectif sur les mandataires de justice.

Mme Danielle DROUY-AYRAL : Avez-vous eu les états trimestriels ? J'en ai un exemplaire dont j'aimerais que vous preniez connaissance puisque c'est à partir d'eux que nous sommes, normalement, censés effectuer nos contrôles.

(...)

M. Achille KIRIAKIDES : Il y a effectivement ces états trimestriels mais je n'osais pas y faire allusion parce qu'ils sont pratiquement inexploitables, sauf à constater l'ancienneté de certaines procédures. Il existe un autre moyen qui permet parfois « d'avoir la puce à l'oreille » ce sont les réclamations ou les récriminations des justiciables sur l'activité des administrateurs ou des mandataires.Personnellement, j'attache beaucoup de prix à ces réclamations que j'examine avec soin.

J'ai pu remarquer, ce qui rejoint une observation sur l'insuffisance des mandataires et des administrateurs, que nombre d'entre eux négligeaient de répondre aux réclamations - justifiées ou non, peu importe - des justiciables. Des salariés, des personnes placées en liquidation judiciaire écrivent et réécrivent sans être honorées d'une réponse, ce que je trouve inadmissible !

M. le Président : Vous faites des remarques ?

M. Achille KIRIAKIDES : Oui, je demande des explications mais j'ai moi-même parfois des difficultés à les obtenir. Je n'y parviens pas toujours mais j'insiste. Sur ce point, je suis têtu et tenace ! En dernier lieu, d'ailleurs, je convoque.

En outre, le ministère public peut avoir accès aux documents déposés au greffe. Cela concerne notamment les opérations suivantes :

- remise des comptes relatifs aux opérations de recettes ou dépenses faites à la Caisse des dépôts et consignations par l'administrateur et le représentant des créanciers au greffe du tribunal, dans les deux mois qui suivent l'achèvement de leur mission (article 88 du décret précité) ;

- remise des comptes du commissaire à l'exécution du plan au greffe dans les deux mois qui suivent l'achèvement de sa mission (article 94 du décret précité) ;

- dépôt au greffe des comptes du liquidateur dans les trois mois de la clôture des opérations de la liquidation judiciaire, comptes faisant apparaître le détail des opérations de réalisation des actifs et de répartition du prix (article 168 de la loi précitée et article 153 du décret précité).

Enfin, le parquet est destinataire des décisions arrêtant les émoluments des professionnels concernés dans les quinze jours de leur prononcé.

Le parquet n'a pas aujourd'hui les moyens de son ambition, après n'avoir, pendant longtemps, manifesté aucune ambition en matière de contrôle des mandataires de justice, alors même qu'avant la réforme de 1985 il disposait de moyens importants pour contrôler les syndics. Alors, le procureur, dans son ressort, pouvait pénétrer dans le cabinet d'un syndic, le cas échéant accompagné d'un expert-comptable, et effectuer les contrôles qu'il jugeait utiles, ce que M. Yves Bot, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre a vivement regretté lors de son audition par la commission.

    LE PARQUET N'A PAS LES MOYENS DE SON AMBITION

M. Yves BOT, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre : je considère que le pouvoir de contrôle du parquet est inférieur maintenant à ce qu'il était par rapport au temps où les mandataires s'appelaient les syndics. A l'époque, dans son ressort, le procureur pouvait  « débouler », si vous me permettez cette expression, dans le cabinet d'un syndic, le cas échéant d'ailleurs après avoir emmené avec lui un expert-comptable, et appliquer les pouvoirs de contrôle qui sont les siens.

Maintenant, ce n'est plus possible. Se pose donc un réel problème parce que le schéma du contrôle de la profession n'apporte pas les garanties assurées par celles d'autres professions réglementées, telles que les notaires.

M. le Président : Plusieurs personnes nous ont dit que c'était le modèle à suivre.

M. Yves BOT : Il est clair qu'à une époque, la profession notariale a été secoué par de nombreux scandales. Il semble qu'elle se soit bien reprise.

La circulaire du 20 octobre 1997 a demandé aux procureurs généraux près les cours d'appel de signaler à la Chancellerie tous les manquements professionnels graves constatés. Elle précisait en outre que, s'agissant des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises les parquets devaient adresser aux procureurs généraux un rapport sur les agissements répréhensibles et que les commissaires du Gouvernement devaient assurer un rôle de coordination et d'impulsion pour l'engagement des poursuites, tandis que s'agissant des administrateurs judiciaires, le commissaire du Gouvernement près la CNIDAJ devait être destinataire de la copie des rapports adressées par les procureurs généraux à la Chancellerie.

Pour de nombreux parquets, la circulaire du garde des sceaux du 20 octobre 1997 est difficilement applicable, faute de moyens humains et parfois de compétence. La commission a déjà fait remarquer dans le présent rapport que la présence des parquets devant les tribunaux de commerce était plus ou moins bien assurée. Or, il est difficile de surveiller les mandataires de justice si l'on ne suit pas régulièrement l'activité des juridictions consulaires.

Signalons une nouvelle fois encore l'avis d'un spécialiste, M. Joël Rochard : « Le parquet théoriquement contrôle. Cela varie d'un parquet l'autre. (...) En effet, les cartes des tribunaux de grande instance et des tribunaux de commerce ne coïncident pas et quand un procureur s'intéresse au tribunal de commerce, il ne se sent pas responsable de la régularité des procédures, mais est plutôt intéressé par la possibilité que ces substituts auraient de trouver des affaires pénales au passage. Les représentants du parquet sont animés par une vision pénale et répressive, non par la volonté de suivre le fonctionnement des procédures collectives. Le travail du parquet se limite souvent aux pointages auxquels doivent procéder les mandataires (...). Il ne sert strictement à rien de lire une balance si l'on ne connaît pas le dossier. C'est un travail effectué en fait par les greffiers. Une fois par an, le commissaire aux comptes certifie les soldes, le certificat devant être déposé au parquet. Le travail consiste très souvent en un simple recensement des documents. Un dossier est ouvert et on relance l'administrateur judiciaire qui n'a pas envoyé les documents. À Paris même - c'est un paradoxe -, cette tâche a été déléguée et c'est le syndicat des mandataires qui ramasse les copies pour les confier au parquet ! »

Cependant, tous les parquets ne sont pas entièrement démunis, comme l'a rappelé, lors de son audition par la commission, M. Jean-Amédée Lathoud, procureur général de la République à la cour d'appel de Riom.

    APPLIQUER LES TEXTES EN VIGUEUR !

M. Jean-Amédée LATHOUD, procureur général près la cour d'appel de Riom : Pour exercer une surveillance sur les procédures collectives, j'ai été amené à réunir les sept procureurs, à commenter avec eux et à travailler avec eux les circulaires de la Chancellerie qui me paraissent extrêmement utiles. (...)

À la suite de cette réunion, j'ai été amené à faire rédiger une note méthodologique et une note d'orientation pour les procureurs de façon très pratique pour leur demander de faire des représentations périodiques sur les rapports qui viennent ou qui ne viennent pas émanant des mandataires.

J'ai également été amené à effectuer des visites sur le terrain afin de voir ce qui fonctionnait et ne fonctionnait pas au niveau des secrétariats de parquet à propos de ces rapports de mandataires liquidateurs.

J'ai, en outre, insisté sur l'examen des suivis des états périodiques et si je ne suis pas encore parvenu à totalement convaincre les mandataires-liquidateurs, ces derniers ont néanmoins compris qu'ils ne pouvaient se contenter de nous servir la formule « procédure en cours ». À la seconde lettre sans réponse c'est d'ailleurs la police et la gendarmerie qui les entend car je ne les convoque pas : je crois qu'il faut qu'ils comprennent clairement qu'ils doivent venir d'eux-mêmes.

Des circulaires telles que celles du procureur général près la cour d'appel de Riom, en date du 12 janvier 1998, démontrent le nouvel intérêt porté par les parquets à la surveillance des procédures collectives et en particulier des auxiliaires de justice que sont les mandataires-liquidateurs et les administrateurs judiciaires (évolution du nombre de dossiers, délai des procédures, examen des fonds détenus par le mandataire sur les comptes bancaires autres que ceux ouverts à la Caisse des dépôts et consignations, contrôle de la répartition des intérêts perçus sur les comptes ouverts à la Caisse des dépôts et consignations).

- Des contrôleurs et des juges commissaires peu présents

L'institution par la première loi du 25 janvier 1985 de créanciers contrôleurs et l'extension de cette institution par la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises n'ont pas permis de pallier l'insuffisance des autres contrôles. Ces contrôleurs sont chargés de surveiller le bon déroulement du redressement judiciaire, afin notamment d'éviter les lenteurs inutiles. Ils sont désignés par le juge commissaire.

Ils n'ont que des pouvoirs d'information et de consultation. Ainsi, ils peuvent à tout moment présenter des observations au mandataire judiciaire qui les communique au juge-commissaire et au procureur de la République (article 46 de la première loi du 25 janvier 1985). Ils sont informés et consultés lors des principales étapes de la procédure, notamment lorsque le tribunal se prononce sur le plan de redressement. Mais ils donnent un simple avis. Enfin, ils peuvent demander au juge-commissaire de saisir le tribunal afin de procéder au remplacement de l'administrateur ou du mandataire (article 12 de la loi précitée), ainsi que demander la cessation de l'activité du débiteur et l'ouverture de la liquidation judiciaire afin d'éviter l'accumulation d'un passif (article 36 de la loi précitée).

Mais les contrôleurs ne disposent d'aucun pouvoir de décision. Ils ne peuvent pas exercer de voies de recours. Ils sont soumis au choix du juge-commissaire.

Or, le contrôle exercé par le juge-commissaire notamment dans les petits tribunaux, ne peut être que restreint. Habitué à voir toujours les mêmes mandataires, le juge-commissaire finit par entériner ou oublie de refuser tous les projets de décision que ces derniers lui présentent. C'est une des conséquences de la situation de dépendance du juge à l'égard des permanents de la justice consulaire, déjà analysée.

Si le législateur semble avoir mesuré la nécessité de contrôler des professions qui manipulent des fonds très importants qui ne leur appartiennent pas, force est de constater que les contrôles institutionnels n'ont pas fonctionnné.

· L'absence de sanctions

Il convient de souligner enfin les carences des poursuites disciplinaires et la complaisance dont fait preuve la profession à cet égard.

Les explications données par M. Joël Rochard sur le fonctionnement de la commission nationale de discipline des administrateurs judiciaires sont de ce point de vue très éclairantes.

« La commission se caractérise par un taux d'absentéisme très élevé. Il faut battre le rappel. Il est arrivé un certain après-midi que le quorum n'ayant pas été atteint - l'administrateur judiciaire et les avocats étaient là -, il a fallu reporter la séance à dix-sept heures. Nous avons siégé de dix-sept heures à vingt-deux heures.

Les désignations des membres de la commission sont assez étranges. Les administrateurs judiciaires sont théoriquement élus ; en fait, ils sont nommés par le Conseil national. Il y a trois ans, il y avait quatre candidats pour trois sièges. Conclusion : la seule femme candidate fut écartée, et les trois hommes ont été gardés - tout simplement ! Le milieu est très machiste.

Cette année, à l'occasion du renouvellement, ce fut beaucoup plus simple : trois sièges pour trois candidats. D'autres candidats ayant voulu se présenter ont reçu des coups de téléphone du Conseil national pour les en dissuader. Parmi les candidats désignés - qui ne pouvaient qu'être élus -, figure l'un des deux contrôleurs glorieux de l'étude Goulletquer, M. Jean-Marie Becquet.

Les onze membres désignés ont tous des suppléants. Il se trouve que, dès 1986, une habitude bizarre a été instituée : les administrateurs judiciaires viennent systématiquement avec leur suppléant, qui sont donc toujours six. En matière administrative, avec un quorum réduit à cinq en séance l'après-midi, on découvre que sont présents plus d'administrateurs judiciaires dans la salle, trois seuls votant, mais les trois autres participant aux délibérés, la délibération indiquant : « M. Untel sans voix délibérante. »

Le jour où l'administrateur de Bobigny - affaire que vous évoquiez - est passé devant la commission, il a, comme pour un meeting politique, bourré la salle et fait venir les administrateurs judiciaires et suppléants. Il avait contacté les personnalités qualifiées et les suppléants. Il avait littéralement rempli la salle. La déontologie gêne peu...

Tous les administrateurs judiciaires se connaissant, il leur est difficile de se déporter s'ils connaissent quelqu'un. Un jour, une personnalité qualifiée nous a dit : "Mais je connais maître Untel. Il a redressé mon entreprise il y a dix ans. Il est formidable ! Je suis venu pour voter pour lui." Les seuls à s'être déportés furent le président de la commission, le commissaire du Gouvernement et moi-même.

(...) La commission disciplinaire effectue un travail difficile. Les parquets n'envoient qu'un nombre limité d'éléments d'informations ou saisissent la commission en disant : « M. Untel est épouvantable. » Dans la mesure où nous travaillons sur pièces, il nous faut les bons documents, ce qui n'est pas toujours le cas. Les administrateurs judiciaires pratiquent de très nombreuses manoeuvres dilatoires.

(...) Les petites affaires nous arrivent solennellement et les affaires importantes sont incomplètes.

Les administrateurs judiciaires, ténors de la profession, trouvent des défenseurs, et les administrateurs judiciaires et personnalités qualifiées ont toujours des indulgences. Les administrateurs judiciaires ne sont véritablement devenus fermes qu'en 1997 quand Sauvan et Goulletquer leur ont coûté très cher. Ils ont été fermes en radiant deux personnes. »

S'agissant des mandataires-liquidateurs qui relèvent, eux, de commisions régionales, il indique :

« Le cas des mandataires liquidateurs est différent, mais pose également un problème. Les commissions de discipline étant régionales, dans les petites cours d'appel, à Pau, à Agen, à Bastia, par exemple, il y a deux, trois, quatre mandataires. On inscrit un nouveau sur la liste tous les trois ans. Il n'y a pas d'affaires disciplinaires ; certaines commissions ne fonctionnent donc jamais, ce qui est regrettable. »

Compte tenu du faible nombre de décisions rendues en matière disciplinaire(15), seules les solutions pénales semblent devoir être efficaces et permettre l'assainissement de la situation. Encore faudrait-il que les mandataires ayant subi une condamnation pénale en premier ressort ne soient pas désignés par le tribunal, quand bien même cette condamnation n'a pas acquis un caractère définitif. Le fait que les mandataires condamnés au pénal en première instance continuent d'être désignés par les tribunaux à Nanterre et à Bobigny ne peut qu'accroître le trouble chez les justiciables et jeter la suspicion sur l'institution tout entière. La justice doit être rendue dans la sérénité. Que penser d'un tribunal qui confie des mandats de justice à des personnes condamnées, ne fut-ce qu'en première instance ?

Pour conclure momentanément sur ce chapitre des mandataires de justice, il suffira de citer M. Maurice-Antoine Lafortune, avocat général à la Cour de cassation, ancien membre de la commission nationale d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires, qui a écrit à la commission en complément de son audition : « La situation est aujourd'hui malsaine pour l'administration d'une bonne justice favorisant effectivement la prévention et le traitement des difficultés de l'entreprise ».

Il estime en outre que « le statut des mandataires de justice (...) est déficient et permet toutes les "fantaisies" et les dysfonctionnements préjudiciables au fond du droit » et que le mandat de justice délivré par les tribunaux aux mandataires est « exploitable et exploité par les "professionnels spécialisés" en matière de procédures collectives. Il est utilisé au service de leur activité professionnelle et pour la "prospérité" de leurs cabinets principaux, secondaires et non au service de l'administration de la justice et dans l'intérêt de la prévention ou le traitement des difficultés de l'entreprise, objets devenus très secondaires. » Tout est dit.



© Assemblée nationale

() E. Rochard, in La Tribune Desfossés, 27 mars 1985.

() Décret n° 86-1176 du 5 novembre 1986 portant application aux professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles.

() Décret n° 93-892 du 6 juillet 1993 pris pour l'application à la profession d'administrateur judiciaire de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme e sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

() Arrêté du 16 octobre 1986 modifié par un arrêté du 8 octobre 1991.

() Décret n° 86-1176 du 5 novembre 1996 précité.

() Décret n° 93-1112 du 20 septembre 1993 pris pour l'application à la profession de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme e sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

() Arrêté du 16 octobre 1986.

() Article 11 de la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985  modifiée par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990.

() Yves Guyon, Droit des affaires, entreprises en difficultés, redressement judiciaire, faillite, Paris, 1997, page 180.

() NDLR : les fonctionnaires dépendant du ministère chargé des finances.

() Huit à Paris, un à Avignon, un à Montpellier.

() Circulaire n° CIV 97/12 du 20 octobre 1997.

() Michel Olivier, « Le nouveau statut des administrateurs judiciaires et mandataires-liquidateurs dans leurs fonctions dans les entreprises en difficulté », in Gazette du Palais, 25, 27 et 29 juin 1985.

() Voir exemple en annexe.

() Pour les administrateurs judiciaires, depuis 1995, la commission nationale de discipline n'a prononcé que deux interdictions temporaires, une suspension provisoire et trois radiations.