RAPPORT

FAITAU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME I
RAPPORT (SUITE)

DEUXIÈME PARTIE : UNE JURIDICTION À RÉNOVER (SUITE)

IV.-VERS LA RÉFORME DE LA LOI DE 1985 SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES 1

A.- FAUT-IL LÉGIFÉRER EN MATIÈRE DE PRÉVENTION ? 2

1.- Mobiliser, dans chaque tribunal, des moyens au service de la prévention 2

2.- Mettre en oeuvre les dispositions législatives sur le diagnostic d'entreprise 3

B.- UNE PROCÉDURE CLARIFIÉE, POUR CONFORTER LE RESPECT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE 3

1.- Mieux délimiter le champ des procédures collectives 4

a) Compétences territoriales 4

b) Durée des procédures 4

c) Extension du domaine de la procédure générale 5

2.- Privilégier la transparence de la procédure 5

3.- Préserver le droit d'expression du chef d'entreprise 6

4.- Restaurer le rôle du parquet 6

C.- TRANSPARENCE DES PLANS DE CONTINUATION ET DE CESSION 6

1.- Développer le recours aux experts en diagnostic d'entreprise 6

2.- Encadrer les délais et la publicité des offres 7

3.- Étendre les voies de recours 7

D.- REPRÉSENTATION ET INFORMATION DES CRÉANCIERS 8

1.- Évaluer le point d'équilibre entre les catégories de créanciers 8

2.- Renforcer leur information 9

a) Accès aux dossiers 9

b) Renouveau des contrôleurs 9

3.- Séparer l'évaluation et la liquidation de l'actif 10

IV.- VERS LA RÉFORME DE LA LOI DE 1985 SUR LES PROCÉDURES COLLECTIVES

Le rôle des mandataires et leurs relations avec les juridictions consulaires sont au coeur de la problématique actuelle des tribunaux de commerce. Il était donc inéluctable que la commission d'enquête reconsidère en profondeur l'économie de la deuxième loi du 25 janvier 1985, relative aux professions.

Elle n'avait en revanche pas pour objet de procéder à titre systématique à l'examen critique du dispositif de redressement et de liquidation judiciaires des entreprises, en vue d'une réforme de la première loi du même jour (n°85-98), telle que modifiée par la loi du 10 janvier 1994. La commission avait d'autant moins de raisons d'étendre le champ, déjà très riche, de ses investigations que l'office parlementaire d'évaluation de la législation a pris entre-temps une initiative en ce domaine.

À la suite d'une saisine de la commission des lois du Sénat durant la précédente législature, confirmée en octobre dernier, l'office a décidé, le 3 février 1998, de confier à un groupe d'experts la réalisation d'une étude tendant à dresser un bilan de la législation relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises. Le président de l'office, M. Jacques Larché, et la première vice-présidente, Mme Catherine Tasca, ont décidé de désigner comme experts : M. Henri-Jacques Nougein, président du tribunal de commerce de Lyon, Mme Micheline Pasturel, alors conseiller à la chambre commerciale de la Cour de cassation et M. Yves Chaput, professeur à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Le groupe devrait rendre ses conclusions en septembre prochain.

Sans aucune prétention à l'exhaustivité, la commission souhaite seulement contribuer au débat sur les lois de 1985 et 1994 en faisant part des réflexions recueillies au cours de ses travaux.

Au terme des travaux parlementaires sur la loi n°85-98 du 25 janvier 1985, le garde des sceaux de l'époque, M. Robert Badinter, avait souhaité que cette loi soit révisée après quelques années, à la lumière de l'expérience. S'agissant d'une législation complexe et portant sur des matières douloureuses et controversées, des ajustements sont difficilement évitables. Après deux projets sans lendemain, la loi du 10 juin 1994 a tenté d'apporter des correctifs. Le dispositif qui en résulte n'est pas pleinement satisfaisant. Comme l'a par exemple signalé le procureur-adjoint au tribunal de grande instance de Paris, la loi de 1994 « a peut-être trop déplacé le dispositif en faveur des créanciers privilégiés et des banques ». Dès lors, les créanciers chirographaires se trouvent en position de faiblesse.

Les travaux de la commission d'enquête ont montré que la réflexion devait s'orienter dans quatre directions.

A.- FAUT-IL LÉGIFÉRER EN MATIÈRE DE PRÉVENTION ?

Tout doit être fait pour que la prévention des défaillances d'entreprise prenne le pas sur le redressement. C'est avant la mise en cessation de paiement qu'une action économiquement efficace peut être conduite. Or le système actuel n'est guère favorable à ces types d'actions, faute, tantôt de moyens, tantôt de volonté. La loi, en revanche, donne pour l'essentiel les instruments juridiques nécessaires. Ces instruments, il faut pleinement les utiliser.

1.- Mobiliser, dans chaque tribunal, des moyens au service de la prévention

La prévention fonctionne et se développe, les chiffres fournis par la Conférence générale des tribunaux de commerce en attestent (voir la première partie, II-A-2). Mais les travaux de la commission montrent également l'extrême diversité des pratiques en la matière, ce qui n'est pas surprenant, puisque la mise en oeuvre de la prévention est un pouvoir propre du président du tribunal.

· Dans certains juridictions, comme à Paris, qui disposent d'un large vivier d'anciens magistrats, la prévention est déjà un véritable « tribunal dans le tribunal », dans d'autres, une cellule fonctionne auprès du président, dans d'autres, comme à Auxerre, le président assure personnellement un rôle de conseil largement informel, dans d'autres enfin, le champ de la prévention est laissé en friche.

Comme les indicateurs d'alerte susceptibles de déclencher les procédures préventives sont gérées par le greffe, il est important que dans chaque ressort, celui-ci puisse mettre à disposition les moyens humains et informatiques nécessaires à une couverture systématique en fonction d'un large faisceau de critères.

· Au total, il convient de faire passer la prévention des difficultés des entreprises, du stade artisanal à l'échelle industrielle dans chacun des tribunaux de commerce. Les regroupements des juridictions contribueront à rationaliser les moyens, notamment des greffes, et à élargir le vivier des juges.

Il faudrait :

- une cellule permanente de prévention auprès du président de chaque tribunal ;

- des effectifs de juges consulaires accrus pour l'animer ;

- une prise en charge spécifique du coût de gestion pour les greffes ;

- une tarification des actes des mandataires ad hoc ;

- une incompatibilité du mandat ad hoc et de la conciliation avec la qualité de juge ou d'ancien juge consulaire, pour ne pas accréditer l'idée d'une entorse au bénévolat.

La mise en oeuvre de ces orientations, hormis la dernière, relève du pouvoir réglementaire, ou de l'initiative gouvernementale en matière budgétaire. Il va sans dire qu'elle suppose la mobilisation des tribunaux de commerce et sans doute une formation spécialisée des juges consulaires, pas seulement pour les présidents.

2.- Mettre en oeuvre les dispositions législatives sur le diagnostic d'entreprise

Il ne s'agit pas ici de changer la loi, mais de l'appliquer. La commission a constaté, en entendant les représentants de la Compagnie nationale des experts en diagnostic d'entreprise (CNEDE), à quel point ces auxiliaires de justice étaient laissés dans l'inactivité. Il est rappelé que ces experts peuvent être désignés en cas de règlement amiable, avant le dépôt de bilan. Or, leur désignation est extrêmement rare.

À défaut d'étendre au parquet le pouvoir de les désigner dans ce cas de figure, il serait vivement souhaitable qu'il veille auprès des présidents des tribunaux à ce que les cellules de prévention fassent appel à cette expertise peu coûteuse, qui peut être précieuse.

La proposition de la CNEDE de mettre en place un fonds destiné au financement du diagnostic préventif d'entreprise mérite réflexion. Un fonds national, ou des fonds locaux ? Plutôt que de contribuer au fonctionnement courant des tribunaux de commerce, les chambres de commerce et d'industrie et les unions patronales locales pourraient trouver un emploi plus judicieux des contributions de leurs membres en mutualisant, peut-être à l'échelon local, des sommes infiniment moindres au service de telles actions.

B.- UNE PROCÉDURE CLARIFIÉE, POUR CONFORTER LE RESPECT DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

Les soupçons à l'égard de l'institution trouvent souvent leur source dans les particularités d'une procédure qui donne des pouvoirs considérables au juge-commissaire et, de facto, aux auxiliaires de justice. Plusieurs aspects de cette procédure devraient être l'objet d'une réflexion, dans un esprit de renforcement du caractère contradictoire du processus judiciaire. Il n'est pas sain que trop d'intervenants aient le sentiment d'être exclus de la procédure, faute de pouvoirs ou d'information.

1.- Mieux délimiter le champ des procédures collectives

a) Compétences territoriales

Les règles de compétence géographique des tribunaux fixées par l'article 7 de la loi mériteraient d'être clarifiées, en particulier pour les cas de défaillance de groupes de sociétés. Il est apparu que le ministère de la justice était parfois alerté pour aider en urgence à la solution de conflits de compétence qui ne pouvaient souffrir de délais d'appel, puis de cassation. De plus, étudiant des dossiers particuliers, la commission a constaté que certains justiciables étaient surpris de l'attribution des compétences, ce qui jetait le doute sur l'impartialité de la justice rendue.

Afin de limiter les risques de fraude, le CNPF préconise, par ailleurs, de porter de six à douze mois la période au cours de laquelle le changement de siège de l'entreprise ne remet pas en cause la compétence du tribunal de commerce.

b) Durée des procédures

Les parlementaires le voient bien au cours de leurs permanences locales : trop de procédures sont critiquées pour des délais d'achèvement excessifs, et parfois indéfinis. Cela pose en particulier la question de la redistribution des actifs récupérés à l'issue des procédures collectives. Ainsi que l'a indiqué M. Jérôme Deharveng, représentant de la Chancellerie : « Les actifs récupérés représentent des sommes considérables, sorties du circuit économique, du fait, non seulement d'une certaine lenteur des professionnels concernés, mais aussi d'impératifs posés par la loi. Le professionnel ne peut pas redistribuer les fonds qu'il détient tant qu'il n'a pas la certitude de pouvoir gérer la distribution des privilèges. Le dernier rapport de la Caisse des dépôts et consignations permet de constater que 56 milliards de francs étaient détenus à ce titre. Compte tenu des sommes qui devraient être versées à la Caisse des dépôts à la suite des projets en cours, ce montant sera sans doute dépassé. » La commission a rencontré le cas d'un actif de l'ordre de 5 millions de francs dont la distribution était gelée depuis des années, sous prétexte d'un contentieux fiscal qui, renseignement pris, portait sur une créance de 50 000 francs

· Interrogé sur les moyens de corriger cette situation, le même fonctionnaire évoquait l'idée d'une forclusion des créances nées après le jugement d'ouverture de la procédure, qui sont normalement payées par priorité : « Il faudrait peut-être créer une forclusion des créances dites "de l'article 40 " de la loi de janvier 1985, afin que dans l'année suivant la clôture de la procédure, le commissaire à l'exécution du plan ou le liquidateur y voie clair et sache où il en est dans la distribution des fonds. Cela lui permettrait de mettre en _uvre une disposition négligée qui est le versement de provisions. Tant que le liquidateur ne connaît pas l'étendue du super privilège des salaires, du privilège du Trésor et du privilège des créanciers de la période d'observation, il est très réticent à répartir les fonds et on le comprend parce que sa responsabilité professionnelle est engagée. »

Egalement dans le but de hâter le dénouement des procédures, l'association de justiciables SOS Liquidation propose une méthode totalement différente : fixer des ratios relatifs au nombre maximal de dossiers traités par mandataire, en fonction du nombre de leurs collaborateurs, afin de les inciter à clôturer des procédures avec plus de diligence. Ce type de dispositif est à utiliser avec mesure, s'agissant d'une profession comportant un nombre limité de membres.

À tout le moins, l'élaboration d'un dispositif de sanctions pécuniaires devrait permettre d'encadrer chronologiquement la procédure, comme l'a suggéré Mme Mireille Gazquez, vice-présidente du TGI de Lyon : « Je ne vous cache pas que les sanctions à la diligence sont très intéressantes, y compris pour les représentants des créanciers - nous l'avons bien vu avec l'article 100.

L'article 100 de la loi a prévu que le représentant des créanciers devait déposer l'état des créances dans un délai d'un an. S'il ne le respecte pas, il perd ses honoraires. Je vous prie de croire qu'au terme de ce délai d'un an tous les mandataires se réveillent et déposent l'état des créances ou sollicitent une prorogation. Je pense qu'il serait intéressant que l'on instaure des sanctions pécuniaires sur leurs honoraires en cas de non-diligence ».

Il conviendrait enfin d'imposer au Trésor public de déclarer ses créances dans le délai de 3 mois, comme n'importe quelle partie.

c) Extension du domaine de la procédure générale

Actuellement, la « procédure générale » ne concerne que 5 % des procédures collectives, celles qui concernent des entreprises de plus de 20 millions de francs de chiffre d'affaires et de plus de 50 salariés. 95 % des défaillances sont réglées sous le « régime simplifié » de la loi de 1985. Or, comme l'a déclaré M. Jérôme Deharveng à la commission : « Il est vraisemblablement souhaitable que la procédure simplifiée soit un peu restreinte et que la procédure générale englobe un plus grand champ d'entreprises. Peut-être serait-il bon d'abaisser le seuil à 10 millions de francs de chiffre d'affaires et à vingt salariés, afin de faire bénéficier de la procédure générale les grosses PME. La procédure générale représente actuellement 5 % des procédures. (...) La procédure générale présente un gros avantage, qui est la présence de l'administrateur judiciaire, capable notamment de gérer les dettes de la période d'observation. Elle présente un inconvénient, qui est la longueur de la procédure, qui peut durer jusqu'à vingt mois, au lieu de huit mois pour la procédure simplifiée. La procédure générale permet un bien meilleur contrôle. Le rôle de l'administrateur judiciaire est très important. »

2.- Privilégier la transparence de la procédure

· La Conférence générale des tribunaux de commerce, par la voix de M. Henri-Jacques Nougein, a rappelé son attachement à la procédure orale. Il est vrai qu'elle est le gage d'une justice légère et rapide. Cependant, après avoir consulté des dossiers conservés dans les greffes de divers tribunaux de commerce, la commission a constaté que son inconvénient était de rendre le contrôle malaisé, du fait d'un certain flou dans le contenu des dossiers. Pour les procédures collectives tout au moins, peut-être serait-il opportun, à la faveur d'un renforcement des moyens, de prévoir quelques éléments de procédure écrite.

· La publicité des audiences en chambre du conseil, au moins pour les affaires relatives aux procédures collectives, constituerait un grand progrès. Me Dominique de la Garanderie, bâtonnier de l'ordre des avocats, l'a ainsi appelée de ses voeux : « il conviendrait de généraliser la publicité des débats. Pour les procédures collectives, il serait souhaitable d'instaurer la publicité des audiences et des cessions. C'est déjà le cas à la cour d'appel, mais non dans les tribunaux de commerce. Il faudrait prévoir un élargissement des possibilités d'appel et des règles plus générales dans le domaine de l'appel ».

· Les modalités des cessions doivent être aussi transparentes que possible. M. Bernard Soinne a ainsi estimé : « Enfin, il est indispensable que les ventes d'immeubles soient publiques. J'ai lu ces temps derniers dans un article du Figaro concernant l'une des plus énormes faillites connue en France, qu'il fallait s'adresser au mandataire pour présenter une offre et racheter les actifs, soit 10 milliards de francs. (...) C'est un mauvais procédé. Il faut des enchères publiques. La vente publique purge tous les vices, chacun peut se présenter, pourvu que vous fassiez une publicité efficace. »

3.- Préserver le droit d'expression du chef d'entreprise

Comme l'a souligné M. Jacques Petit, au nom des experts en diagnostic d'entreprise, le droit à la parole du dirigeant de l'entreprise doit être assuré à tous les stades de la procédure. Il a à bon droit fait valoir que, du point de vue économique, l'insuffisance du chef d'entreprise n'est que l'une des nombreuses causes possibles de la cessation des paiements. Or la mise en redressement est toujours ressentie comme un désaveu du dirigeant, qui est largement mis sur la touche, même si la cessation des paiements n'est pas due à sa propre défaillance, mais par exemple à une crise de trésorerie liée à un choc extérieur.

Le moyen juridique d'assurer son droit d'expression serait d'ouvrir au chef d'entreprise des voies de recours contre les décisions du juge-commissaire et des facultés d'opposition à certains actes de l'administrateur.

4.- Restaurer le rôle du parquet

La commission a vivement ressenti, lors des nombreuses auditions de magistrats du parquet, combien, de façon quelque peu paradoxale, les lois de 1985 se sont traduites par un amoindrissement de leurs pouvoirs, par rapport au régime antérieur. Cette érosion se manifeste aux différents stades de la procédure. Le manque de moyens n'a fait qu'en aggraver les effets.

Or la présence du parquet est l'alibi commode des dysfonctionnements de l'institution, quand elle n'est pas présentée comme une forme de pseudo échevinage de fait, utilisé comme un rempart contre la mixité des tribunaux de commerce.

Ce déséquilibre doit être corrigé. Reprenant en référence sur ce point le dispositif de la loi du 12 juillet 1967 complété en 1981, il convient de redonner au parquet les pouvoirs juridiques qu'il a perdus sans que tous en soient conscients.

Le renforcement des moyens humains doit être le corollaire de cette réforme. Les auditions de procureurs de la République d'Île-de-France ont montré que trop souvent le parquet en était réduit à gérer la pénurie de personnel, mais que son contrôle pouvait être réellement efficace lorsque, comme à Nanterre actuellement, la cellule financière avait les moyens de travailler.

C.- TRANSPARENCE DES PLANS DE CONTINUATION ET DE CESSION

Les risques d'atteinte à la déontologie de la part des auxiliaires de justice, des juges, sont tels que les règles d'adoption, rejet et modification des plans doivent faire l'objet de la plus grande transparence.

1.- Développer le recours aux experts en diagnostic d'entreprise

Seuls l'administrateur judiciaire et le juge commissaire ont la possibilité de désigner un tel expert, qui est rémunéré sur les fonds de l'administrateur. Cette dernière disposition contribue sans aucun doute à ce que, selon les ressorts, les experts en diagnostic ne soient presque jamais, ou absolument jamais, désignés. C'est ainsi que dans le ressort de la cour d'appel de Paris, aucun d'entre eux n'a jamais été désigné dans le cadre d'une procédure collective depuis l'entrée en vigueur des lois de 1985. Les mandataires préfèrent faire appel à des spécialistes divers, dont ils reportent les honoraires sur les entreprises. Cet usage très fréquent est d'un coût prohibitif.

Pourtant, les experts en diagnostic d'entreprise, peu coûteux car leurs missions sont brèves, et pluridisciplinaires, enrichiraient sensiblement l'information des juges et atténueraient leur dépendance vis-à-vis des données et des solutions fournies par l'administrateur.

Afin d'encourager l'application de la loi, il conviendrait d'ouvrir au parquet la faculté de désigner les experts en diagnostic. La vigilance doit être appelée sur le respect des articles 30 et 31 de la loi n°85-99 relatifs aux experts en diagnostic.

2.- Encadrer les délais et la publicité des offres

L'absence de tout formalisme dans les délais de communication des offres de rachat, l'absence trop fréquente de délai annoncé par le juge commissaire et de publicité, au moins a posteriori, sur les principales caractéristiques des offres est une source de difficultés. La commission n'a cessé de s'y heurter dès lors qu'elle a étudié des dossiers sur lesquels planaient des soupçons.

M. Bernard Soinne a attiré l'attention sur les inconvénients d'une jurisprudence de la Cour de cassation qui a admis « des engagements hors-plan » : la possibilité pour le cessionnaire de prendre à sa charge certaines dettes antérieures au jugement d'ouverture de la procédure, rompant ainsi l'égalité entre créanciers (1). Il semblerait à tout le moins judicieux de prévoir qu'une telle prise en charge soit annoncée lors du dépôt du plan.

3.- Étendre les voies de recours

La limitation des possibilités d'appel, particulièrement sur les décisions approuvant, rejetant ou modifiant des plans de continuation ou de cession répond à un motif de sécurité juridique qui garde sa valeur.

· Cependant, le dispositif actuel paraît aller trop loin en ce sens. L'Ordre des avocats et le CNPF se prononcent pour une ouverture plus grande des voies de recours, dont ce dernier propose de faire bénéficier les créanciers ou groupes de créanciers disposant de 15 % du montant des créances. Il convient d'examiner le caractère significatif de ce seuil en ce cas.

M. Bernard Soinne est également partisan d'une ouverture plus large, en citant l'exemple d'établissements bancaires qui l'ont consulté sur une situation dépourvue de toute voie de recours sur un plan de cession. Un délai de recevabilité de 10 jours à compter de la publication au BODACC pour la tierce opposition ne paraît guère réaliste, ni, comme il le fait remarquer, conforme aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme définissant un procès équitable.

Ouvrir la faculté d'appel ne déboucherait probablement pas sur une multiplication des procédures. Même lorsque l'appel est possible, il est rarement utilisé, en raison de l'impératif d'urgence en cas de défaillance d'entreprise, et aussi du fait des lenteurs de la justice. Il conviendrait dès lors d'obliger les cours d'appel à statuer dans un délai rétréci et fixé par la loi.

· Il importera d'ouvrir des voies de recours spécifiques aux représentants des salariés qui sont actuellement les grands oubliés de la procédure. Faute de moyens juridiques de se faire entendre, le risque est en effet qu'ils recherchent une issue dans des mouvements sociaux qui ne feraient qu'aggraver la situation de l'entreprise.

· Comme en ce qui concerne le parquet, le renforcement des moyens humains des cours d'appel doit accompagner le développement des procédures. M. Guy Canivet, premier président de la cour d'appel de Paris, a ainsi estimé : « En matière de procédures collectives, si l'on voulait que les cours d'appel aient un contrôle utile, il faudrait leur donner des moyens d'investigation identiques à ceux dont disposent les tribunaux de commerce, c'est-à-dire que l'on ait dans les formations d'appel un magistrat qui fasse fonction de juge-commissaire, qui puisse reprendre la procédure, avec des moyens propres d'investigation. Or, les cours d'appel ne disposent pas de ces moyens. Elles exercent un contrôle a posteriori de la décision du tribunal de commerce par rapport aux éléments contenus dans le dossier au moment où elles se prononcent. »

D.- REPRÉSENTATION ET INFORMATION DES CRÉANCIERS

Les liquidations étant les procédures les plus fréquentes, qui comportent de grands risques de contagion à d'autres entreprises, elles suscitent des doléances nombreuses et pressantes.

L'article 27 du décret n°85-1388 du 27 décembre 1985 prévoit que le mandataire-liquidateur, en tant que représentant des créanciers, prend toute mesure pour les informer et les représenter. Toutefois, le CNPF a fait part à la commission du vif mécontentement de ses membres, qui en tant que créanciers, ont le sentiment de n'être ni représentés, ni informés par le mandataire-liquidateur.

1.- Évaluer le point d'équilibre entre les catégories de créanciers

·  Avant de redéfinir leurs modalités de représentation et d'information, il conviendra de procéder à une expertise approfondie de l'équilibre établi par les lois de 1985 et 1994 entre les différentes catégories de créanciers, selon le niveau de garantie dont ils disposent.

Au cours des auditions auxquelles elle a procédé, il est apparu à la commission que la réforme de 1994 avait fait pencher la balance de façon assez nette en faveur des créanciers titulaires de sûretés, en particulier banques et établissements de crédit, au détriment des chirographaires. Or les entreprises locales, partenaires de celles mises en cessation de paiement, sont généralement dans ce dernier cas. C'est pourquoi sa préférence va plutôt aux dispositifs assurant un droit d'information égal à l'ensemble des titulaires de créances reconnues.

Cette appréciation sur le point d'équilibre du système de protection des créanciers permettra d'éventuels ajustements.

· Ceux-ci devront s'accompagner de la clarification de certains aspects techniques du texte. Les représentants des mandataires de justice ont en particulier attiré l'attention de la commission sur ce que les porte-parole de l'association syndicale professionnelle d'administrateurs judiciaires ont qualifié d'« imperfection de la loi de 1985 ». Il s'agit, dans l'article 40 relatif aux obligations de gestion de l'administrateur après l'ouverture de la période d'observation, de l'obligation qui lui est faite de rembourser par priorité le régime d'assurance des créances salariales. Ce dispositif implique que les dettes de l'exploitation de l'administrateur ne sont pas toujours couvertes, alors que l'article 40 est précisément réputé assurer leur remboursement intégral. Les administrateurs ont fait valoir auprès de la commission combien ce dispositif, mal compris des contractants et des créanciers, était source de malentendus et de suspicion sur la gestion de l'administration judiciaire. Une clarification sera donc nécessaire sur les droits et obligations de chacun. Le vice-président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises a apporté les précisions suivantes sur ce mécanisme, après avoir souligné ses liens avec les délais liés aux difficultés de connaître le montant des créances privilégiées, notamment fiscales :

« Les fonds sont consignés à la Caisse des dépôts et ne nous appartiennent pas. La priorité des priorités reste les salariés, qui sont payés sur un compte à part. Les mandataires de justice disposent d'un compte spécial à l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés (AGS) : ils reçoivent les fonds, les reversent et remboursent. Notre priorité consiste, non pas à payer les salariés, mais à rembourser l'AGS. Nous envoyons les fonds disponibles de façon quasi systématique. C'est de là que naissent des phénomènes de blocage. Pourquoi ? Parce qu'il existe toute une série de créances privilégiées qui s'entrechoquent et se font concurrence, telles les créances fiscales, et qui souvent n'étant pas arrêtées de façon définitive, bloquent la redistribution. Si jamais nous distribuons trop vite, nous nous retrouvons bloqués par l'administration fiscale. Dans toutes les procédures, monsieur le député, nous rendons compte à l'administration fiscale pour que celle-ci passe les créances en non-valeur. Chaque fois que nous devons procéder à une répartition, l'administration fiscale nous demande nos raisons, que nous devons expliciter : nous payons le loyer pour maintenir un fonds de commerce, nous payons une assurance. Et parfois nous ne sommes pas certains de vendre l'immeuble pour lequel on est assuré, parce que se posent des problèmes de réalisation. Il n'y a donc pas de moyenne en ce qui concerne ces fonds. Ils sont à la Caisse des dépôts et produisent des intérêts, versés uniformément à l'ensemble des professionnels par la Caisse des dépôts pour le compte des affaires. »

2.- Renforcer leur information

L'information des créanciers est un point central.

La responsabilité des mandataires est l'une des principales garanties apportées par la procédure. Or l'engagement de cette responsabilité est quasiment impossible en pratique, faute d'informations fournies aux créanciers pour en juger. Certains mandataires, peut-être en raison d'une charge de travail excessive, opposent une fin de non recevoir aux demandes d'explication, et l'on a cité à la commission des cas où seule la saisine du parquet permettait d'obtenir une réponse.

a) Accès aux dossiers

Dans ces conditions, ce sont d'abord des réponses de nature concrète qu'il convient d'apporter. C'est ainsi que l'association SOS Liquidation préconise :

- au moins pour les créanciers dont la créance a été reconnue, un accès périodique aux documents comptables, dans l'étude du mandataire liquidateur ;

- la transmission obligatoire au greffe d'une partie des informations relatives aux opérations de liquidation.

b) Renouveau des contrôleurs

Au carrefour de l'information et de la représentation des créanciers, il conviendrait de réfléchir aux moyens de favoriser un recours plus fréquent aux contrôleurs désignés parmi les créanciers. Il serait souhaitable de leur interdire la présentation d'offres de reprise, et d'exclure la désignation comme contrôleur de personnes en procès avec l'entreprise, ou leur représentant. M. Jean-Luc Vallens a en effet donné à la commission des explications très précises sur les limites actuelles de l'institution ancienne des contrôleurs, que la loi de 1994 n'est pas parvenue à remettre en usage habituel.

« Il y a, de temps à autre, quelques contrôleurs : quand j'étais juge-commissaire, j'en avais nommé plusieurs, non pas de ma propre initiative, mais bien parce que j'étais saisi de demandes, et parce que, vis-à-vis de certaines entreprises en difficulté, il était intéressant d'en avoir. Cela a été le cas pour une entreprise du bâtiment en dépôt de bilan où il y avait deux contrôleurs, l'un banquier et l'autre fournisseur de béton. C'était important parce que cela permettait au juge d'accéder à des informations dont il n'aurait pas pu disposer par le mandataire, soit parce que ce dernier ne les possédait pas, soit parce qu'il ne les transmettait pas.

Dans les faits, très peu de créanciers demandent à être nommés contrôleurs, et cela pour plusieurs raisons : d'abord, parce que cela demande un investissement de temps car il faut être présent ; on peut prendre un avocat et lui demander d'être contrôleur lui-même à condition qu'il soit d'accord, mais tout cela a un coût qu'il appartient au créancier de payer ; ensuite, parce que l'on peut s'interroger sur l'opportunité d'être nommé contrôleur en cas de créance moyenne ; enfin, parce que les juges-commissaires n'apprécient pas beaucoup que des personnes extérieures accèdent à la procédure, que les administrateurs et les mandataires judiciaires n'aiment guère les contrôleurs et surtout parce qu'il y a dans la loi un vice que l'on devait rectifier en 1994, mais à la suite du passage en commission mixte paritaire, cela n'a pas été fait. En effet, les contrôleurs acquièrent des informations privilégiées sur les entreprises en difficulté. Or, ils peuvent être de futurs repreneurs d'entreprise ce qui pose un problème. On n'est pas loin du délit d'initié puisque l'on se trouve face à des créanciers, qui sont en mesure d'obtenir davantage d'informations que celles qu'ils auraient eu en tant que simples créanciers du fait que tous les livres leur sont ouverts et qui, au cours de la période d'observation, peuvent venir présenter des offres de reprise de tout ou partie des actifs dont ils connaissent bien la substance.

Sur ce point, on comprend que les juges-commissaires - et je les rejoins - rechignent à nommer contrôleur un créancier qui a virtuellement la possibilité de se porter acquéreur.

De la même manière, on peut hésiter à nommer contrôleur quelqu'un qui a un procès contre le débiteur au moment du dépôt de bilan. »

XW3.- Séparer l'évaluation et la liquidation de l'actif

D'autres propositions tendent à séparer l'évaluation de l'actif, qui est une mission de nature comptable, et sa liquidation, mission commerciale. Il s'agit d'éviter que l'évaluation soit biaisée par le fait que le liquidateur y trouve un intérêt personnel.

Le CNPF propose par exemple de confier la liquidation à un organisme ad hoc. Elle pourrait être assurée par un auxiliaire de justice, qui prendrait la suite d'un expert comptable ou d'un commissaire aux comptes chargé de valider les comptes de la procédure.

Cette scission permettrait de garantir la publicité sur le résultat de l'audit. L'intervention de deux professionnels indépendants devrait renforcer la présomption d'impartialité. Il conviendra de veiller à ce qu'elle n'alourdisse pas la procédure.

    CONCLUSION

Au terme de ses travaux, la commission est parvenue à la conclusion que la crise que traverse aujourd'hui la juridiction consulaire est profonde et générale. Elle ne se limite pas en effet, comme on pouvait le penser, aux petites juridictions mais frappe aussi les plus grandes comme Bobigny, Nanterre ou Paris.

Cette crise trouve ses racines dans un système, fonctionnant dans l'opacité et reposant sur un petit nombre de personnes - juges, greffiers, mandataires - davantage attachées à leurs prérogatives et soucieuses de préserver leur pouvoir et, pour certaines, leurs revenus, que prêtes à admettre qu'il est légitime de vérifier si leur action répond aux attentes des justiciables, des entreprises et des pouvoirs publics.

D'aucuns ont reproché à la commission ses méthodes inquisitoriales et ont parfois refusé de répondre aux questions posées. Cette attitude est révélatrice de la volonté de rester à l'abri des observations et des critiques de ceux qui n'appartiennent pas au monde clos de la justice consulaire.

Le constat auquel la commission est néanmoins parvenue est évidemment inquiétant. Loin de correspondre au tableau dressé par le Président de la Conférence générale des tribunaux de commerce qui vantait la rapidité, le caractère peu dispendieux et les décisions éclairées de la juridiction consulaire, les observations faites par la commission ont révélé que les juges et ceux qui les entourent, greffiers et mandataires, sont au centre de jeux d'intérêts propices à l'apparition et au développement de la corruption, d'autant plus que les contrôles dont ils devraient être l'objet se sont avérés défaillants.

Le rapport que doit établir la mission d'enquête sur les tribunaux de commerce créée conjointement par la ministre de la Justice et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie le 13 mai 1998 apportera d'autres éléments complémentaires et, nous croyons le savoir, tout aussi inquiétants.

L'heure n'est donc plus à la réflexion ni aux tergiversations. La situation impose de ne plus céder au chantage à la démission comme cela fut le cas en 1983.

C'est maintenant au Parlement et au garde des sceaux de mener la bataille pour une réforme en profondeur des juridictions consulaires.

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La commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 30 juin 1998 et l'a adopté.

Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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() Bernard Soinne, « Le bateau ivre », revue des procédures collectives.