RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE LYON
(PARTIE 1)

· Ressort: 162 communes, 41 cantons, 1 380 000 habitants (1990), 64 000 entreprises commerciales inscrites au registre du commerce dont 42 600 sociétés commerciales et 21 400 commerçants personnes physiques.
· Composition :
- président : M. Henri-Jacques Nougein (au tribunal depuis 1985). 64 magistrats.
· Recrutement :
présélection par les fédérations patronales locales. Règle convenue : au moins deux postulants pour un poste à pourvoir. En pratique, jusqu'à quatre postes. Sélection et classement des candidats sur une liste, à la suite d'entretiens avec le président et une commission.
· Age des magistrats -
entre 39 et 71 ans - 54 ans en moyenne.
·  Budget:
dotation de l'Etat : 117 000 francs - fonds de concours de la chambre de commerce et d'industrie : 100 000 francs.
· Personnel :
- 1 salarié du greffe, 2 fonctionnaires rémunérés par l'Etat, absence regrettée d'assistants de justice
· Greffe :
- 2 greffiers associés, 30 personnes au registre du commerce et des sociétés ; 20 personnes au service judiciaire
· Auxiliaires de justice :
4 administrateurs judiciaires, 5 mandataires liquidateurs
· Présence du parquet :
à toutes les audiences de procédures collectives, sauf sanctions.
· Une activité contentieuse en baisse tendancielle

 

1994

1997

· Affaires entrées

37 518

36 982

· Décisions rendues

39 728

35 702

dont A. Contentieux général

dont - ordonnances de référés

- injonctions de payer

- jugements rendus en formation collégiale

19 256

2 713

6 176

8 395

16 527

2 601

5 004

6 400

Dont B. Contentieux du redressement judiciaire

dont : ouvertures de redressement judiciaire

- ouvertures de liquidation judiciaire

- pourcentage de liquidations

- jugements arrêtant un plan

- ordonnance de juges commissaires

20 472

1 686

1 589

94,3 %

125

13 996

19 175

302

1 409

82,3 %

166

14 128

· Délai de délibéré fixé à douze semaines
Source : réponses du président au questionnaire adressé par la commission d'enquête

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de MM. Christian HASSENFRATZ, procureur de la République et Roger MONDONNEIX, procureur-adjoint près le tribunal de grande instance de Lyon (2 juin 1998 à Paris)

_ Audition de Mme Mireille GAZQUEZ, vice-présidente du TGI de Lyon (2 juin 1998 à Paris)

_ Audition de M. Henri-Jacques NOUGEIN, Président du tribunal de commerce de Lyon (3 juin 1998 à Lyon)

Audition de MM. Christian HASSENFRATZ, procureur de la République et Roger MONDONNEIX, procureur-adjoint près le tribunal de grande instance de Lyon

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 juin 1998 à Paris)

Présidence de M. François COLCOMBET, Président.

MM. Hassenfratz et Mondonneix sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, MM. Hassenfratz et Mondonneix prêtent serment.

M. HASSENFRATZ : Le ressort du tribunal de grande instance de Lyon porte sur la moitié du département du Rhône, soit 1 340 000 habitants. C'est le troisième parquet de France par rapport à la population.

Il s'agit d'un ressort très urbanisé, la seule communauté urbaine de Lyon comprenant cinquante-cinq communes et 1,2 million d'habitants. Par ailleurs, environ 65 000 entreprises relèvent de notre ressort : des sociétés pour deux tiers et des entreprises en nom personnel pour un tiers.

Le parquet est composé de vingt-cinq magistrats. Ses objectifs sont traditionnellement ceux des parquets, mais il est vrai que la lutte contre les violences urbaines, contre la toxicomanie et la délinquance des mineurs constitue un objectif particulièrement lourd dans ce périmètre urbain. Pour autant, la lutte contre la délinquance financière est également un des fleurons du parquet de Lyon.

La section financière n'est à l'heure actuelle composée que de quatre magistrats dont deux procureurs adjoints - M. Mondonneix en assure la direction - et deux substituts. Un cinquième magistrat a été, depuis quelques mois, mis à disposition des Communautés européennes en tant qu'expert, sans être remplacé.

L'activité de ces magistrats recouvre l'ensemble du secteur financier. Les deux substituts s'occupent plus particulièrement du droit du travail, du droit de la consommation et de l'environnement. Les deux procureurs adjoints s'occupent du « grand » financier et des relations avec le tribunal de commerce. Cela étant, les quatre magistrats de la section assistent aux audiences du tribunal de commerce, et ce à la cadence de deux audiences par semaine que nous assumons effectivement.

Cette section financière comprend également trois secrétaires et une assistante de justice. Ces effectifs, notoirement insuffisants, ne permettent pas de remplir toutes les tâches dans des conditions satisfaisantes. Nous attendons de meilleurs résultats quant à la gestion, dès lors que la section sera mieux informatisée. Un projet est actuellement à l'étude et en cours d'exécution, ce qui permettra d'assurer un meilleur enregistrement des affaires, un meilleur suivi notamment des enquêtes, mais également des procédures collectives et une meilleure exploitation des résultats. La quantification des moyens ne peut pas, pour l'instant, être assurée.

Par ailleurs, Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, envisage de créer sur Lyon un pôle économique et financier. Outre l'instruction assistée par ordinateur, nous avons demandé deux assistants de justice et deux à trois assistants spécialisés qui seraient mis à disposition par des administrations. L'objectif est de créer ce pôle économique et financier au début de l'année 1999.

Le tribunal de commerce de Lyon, deuxième de France, est composé de soixante-quatre magistrats. Deux greffiers titulaires de charge ont eux-mêmes la gestion de cinquante et une personne dont trente chargées du registre du commerce et des sociétés et vingt plus particulièrement chargées du judiciaire, dont cinq greffiers d'audience.

Ce tribunal de commerce rend annuellement environ 35 000 décisions dont la moitié relève du contentieux général et l'autre moitié des procédures collectives. En matière de redressement et de liquidation judiciaire plus particulièrement, le tribunal de commerce a prononcé, l'an dernier, 1 700 ouvertures de procédures dont 82 % de liquidations judiciaires.

La sélection, la formation, la compétence et l'indépendance des juges ne soulèvent a priori aucune observation particulière, mais j'entre peut-être déjà dans le vif du sujet. Les décisions rendues par ce tribunal de commerce sont de qualité. Très généralement, et je parle sous le contrôle de mon adjoint, il y a identité de vues entre le parquet et les juges consulaires. Les appels interjetés par le parquet sont exceptionnels.

Les chiffres vous ont été fournis par le président du tribunal de commerce. L'appel est interjeté pour peu de décisions puisque 7 % d'entre elles font l'objet d'une voie de recours et seulement 25 % des affaires soumises à la cour d'appel sont infirmées. Cela signifie que les affaires réformées par le deuxième degré de juridiction ne représentent que 1,5 % des décisions rendues.

Les rapports entre le parquet et le tribunal de commerce sont bons. Au demeurant, nous sommes installés dans le même bâtiment d'un nouveau Palais de justice mis en service voilà deux ans. La proximité géographique favorise évidemment les contacts.

Le parquet entend accomplir au mieux ses missions préventives au titre de la défense de l'intérêt général, économique et financier, ses missions de suivi des procédures et ses missions répressives.

En ce qui concerne la mission préventive, nous nous employons à croiser les informations susceptibles de mettre en évidence les difficultés des entreprises. Le parquet reçoit directement des signalements et ne manque pas de provoquer la saisine de la juridiction. Cette mission préventive est également assurée par le tribunal de commerce lui-même qui a délégué dix de ses juges pour recevoir les dirigeants d'entreprise. À ma connaissance, ils en reçoivent environ un millier chaque année pour voir avec eux s'ils sont ou non en état de cessation des paiements. Il y a donc corrélation entre les saisines d'office et les saisines du parquet.

S'agissant toujours de cet aspect préventif, force est de constater que le parquet est, de lege ferenda, largement absent de la loi du 1er mars 1984 concernant la prévention. La possibilité de provoquer une expertise sur une opération de gestion n'est jamais prise en compte. Peu de parquets procèdent, me semble-t-il, de cette façon. Par ailleurs, lorsque les commissaires aux comptes déclenchent l'alerte, ils en avisent, lors de la deuxième phase, le président du tribunal de commerce. Ils ne sont pas tenus d'en faire de même pour le parquet. De fait, des passerelles sont établies avec cette profession et nous sommes tout de même assez largement informés de leurs démarches.

En ce qui concerne la procédure de règlement amiable préconisée par la loi du 10 juin 1994, le parquet, là aussi, est finalement peu partie prenante. On en comprend tout de même les raisons. Nous sommes simplement informés de la saisine du président de la juridiction ainsi que de la désignation d'un conciliateur et, en principe, du résultat. C'est tout de même fâcheux sur le fond, puisque l'on sait que la quasi-totalité des affaires qui bénéficient d'un règlement amiable sont déjà en état de cessation des paiements. Elles devraient donc véritablement entrer sous notre contrôle.

Quant à la désignation des conciliateurs, je tiens à présenter une remarque sur une pratique lyonnaise dont je ne sais pas si elle vous est connue, à savoir la désignation quasi systématique d'anciens présidents de tribunal de commerce en qualité de conciliateurs.

J'ai demandé au président la raison pour laquelle il suivait cette voie alors que dans les juridictions, la voie habituelle est de désigner plutôt un administrateur. Le président m'a indiqué qu'il n'avait pas suffisamment confiance dans le corps des administrateurs.

Cette pratique est tout de même source d'interrogations dans la mesure où les honoraires perçus par ces magistrats ou ces anciens magistrats sont assez importants. Etablis sur la base de 1 000 francs hors taxe de l'heure, ils donnent lieu à des honoraires d'après M. le président Nougein de l'ordre de 15 000 francs à 25 000 francs en moyenne. Nous avons tout de même connaissance d'affaires dans lesquelles le défraiement est infiniment plus lourd, jusqu'à 150 000 francs.

Je signale cette pratique que je n'ai pas véritablement pu modifier, mais le fallait-il ?

M. le Président : La même pratique qu'à Paris !

M. HASSENFRATZ : Je ne suis pas certain que Paris ait adopté cette pratique à laquelle M. Mattei aurait mis un terme, d'après ce que j'ai entendu.

M. le Président : En tout cas, cette pratique a été de mise à Paris !

M. HASSENFRATZ : En effet.

M. le Président : Existe-il un compte particulier ?

M. HASSENFRATZ : Non, rien.

M. le Président : Est-ce affaire par affaire ?

M. HASSENFRATZ : Tout à fait !

En ce qui concerne plus particulièrement ces taxations d'honoraires, nous en sommes totalement exclus puisque ce sont les entreprises qui rémunèrent directement le conciliateur. Nous n'avons donc a priori pas vocation à le savoir. Quand nous procédons à des interrogations, nous pouvons effectivement avoir des éléments à ce sujet.

Nous ne remplissons pas suffisamment cette mission de prévention par rapport à d'autres juridictions. La pratique de la section financière du parquet de Strasbourg, que je dirigeais, consistait à instaurer des enquêtes de situation financière. Certes, cette pratique est assez discutable, mais elle était productive et nous permettait de saisir la Chambre commerciale du tribunal de Strasbourg.

En ce qui concerne le suivi des procédures collectives, le parquet est évidemment destinataire de tous les rapports prévus par la loi et le décret de 1985, ainsi que d'une copie des jugements qui interviennent. Chaque procédure donne évidemment lieu à ouverture d'un dossier tenu au secrétariat de la section financière.

Par ailleurs, comme je le disais tout à l'heure, les magistrats du parquet siègent systématiquement aux audiences d'ouverture et de suivi de procédures collectives. En revanche, et je n'ai pas voulu pour l'instant revenir sur cette pratique ancienne, les magistrats du parquet ne siègent pas dans les audiences de sanctions. Cette pratique est peut-être surprenante, mais elle est déjà ancienne. Dans la mesure où le tribunal investit bien ce domaine, nous n'y voyons pas d'inconvénient majeur. Nous considérons que l'objectif est, avant tout, d'être présents lorsqu'il est question de la survie des entreprises.

Pour les affaires plus importantes et celles qui appellent une vigilance plus grande, un rapprochement est opéré avec le juge-commissaire et les mandataires. Des réunions spéciales peuvent, le cas échéant, être tenues. Le parquet prend des conclusions à toutes les audiences. Il n'interjette que très exceptionnellement appel des décisions rendues. Il est vrai aussi que la loi du 10 juin 1994 donne à l'appel du parquet un poids considérable. L'aspect suspensif de cet appel peut rendre caduques des perspectives de cession ou de continuation. Nous n'y recourons donc qu'en dernier recours, mais j'ai le sentiment que les appels sont très peu nombreux.

Nous sommes convaincus que l'audience est une mine de renseignements. Nous devons donc y assister et les magistrats du parquet n'hésitent pas à intervenir dans les débats pour exiger des justificatifs, demander des auditions supplémentaires. Par exemple, en présence de plusieurs candidatures à la reprise, nous souhaitons, en général, que les candidats repreneurs se présentent et viennent oralement expliciter leurs propositions de reprise. Nous souhaitons véritablement être présents et avoir ce contact personnel avec les candidats repreneurs.

Nous veillons également au respect des délais.

Ce rôle exige évidemment beaucoup de disponibilité et un esprit de dialogue, mais dans l'ensemble, la collaboration de tous est assez largement assurée.

En ce qui concerne la mission répressive du parquet, nous provoquons des enquêtes dans environ 15 % des procédures. Ces enquêtes peuvent, le cas échéant, donner lieu à engagement de procédures correctionnelles. Cela étant, lorsqu'une suite pénale apparaît envisageable, nous privilégions la sanction commerciale, plus souple et plus rapide.

Il faut souligner à cet égard que les chambres correctionnelles de notre tribunal sont particulièrement chargées avec 1 000 affaires non fixées, dont moitié d'instruction. L'encombrement est important, notamment pour ce qui concerne la 5ème Chambre financière, celle qui devrait recevoir ces contentieux. Nous privilégions donc les circuits de dérivation.

En 1997, 192 sanctions ont été prononcées par le tribunal de commerce, chiffre à rapprocher des 1 700 décisions d'ouverture. Cette proportion de 15 % montre bien que ces sanctions ne sont pas symboliques. Peut-être pourrait-on faire davantage ? Ce chiffre se situe tout de même assez largement dans la norme supérieure des juridictions répressives.

M. le Président : Pourriez-vous parler du contrôle des mandataires ?

M. HASSENFRATZ : Je souhaiterais évoquer ce sujet ainsi que celui des greffes.

En ce qui concerne le greffe de commerce, la dernière inspection quadriennale qui a eu lieu en juillet dernier n'a rien révélé de particulier. Ce greffe fonctionne bien et il est plutôt performant. Lors de votre déplacement au tribunal de commerce de Lyon, vous verrez qu'il développe ses activités sur 1 000 mètres carrés et que ses aménagements sont très fonctionnels. Il est totalement informatisé et les formalités sont accomplies en quarante-huit heures. Par conséquent, ce greffe satisfait complètement à ses missions.

Très tôt, et c'est peut-être là que des interrogations peuvent se poser, le greffe s'est adapté, d'une part, à des exigences d'informatisation de ses moyens et, d'autre part, à la télématique et au Minitel.

Je sais que l'informatisation est une affaire qui pose quelques problèmes à la Chancellerie.

Vu la dimension du greffe de Lyon, très vite, l'intérêt de s'informatiser est apparu. C'est au début des années 80 qu'une réflexion a vu le jour à ce sujet. Il a donc fallu se doter d'un ordinateur très puissant dont le coût était considérable à l'époque : 1,7 million de francs. Les greffiers, pensant qu'ils ne pouvaient pas seuls réaliser cet investissement, se sont rapprochés de leurs confrères, notamment de ceux de Grenoble. Ils ont ainsi créé la société Amitel, une société anonyme de services informatiques. Elle a pris en compte pour un certain nombre de greffes de commerce la saisie informatique ; elle a mis en place des logiciels et la numérisation de tout ce qui est traité aux greffes de commerce, avec la reconnaissance de caractères.

À l'heure actuelle, Amitel est une société importante qui regroupe vingt-cinq personnes - je ne sais pas s'il s'agit de vingt-cinq greffes ou de vingt-cinq associés - et elle emploie dix-neuf salariés à temps complet. Cette société développe donc des activités lourdes et elle est source pour les greffiers d'un profit personnel important. Je me contente de le signaler, sans émettre cependant de jugement de valeur sur la question. Il m'a été indiqué que pour 1996, les deux greffiers avaient chacun perçu 983 000 francs au titre des dividendes de la société Amitel.

Précisons que la Chancellerie nous avait demandé de faire procéder à une enquête sur cette société, laquelle n'a révélé aucune irrégularité. Elle avait tout de même le sentiment que les greffiers étaient les gérants de fait de cette société. Rien ne permet de l'affirmer en l'état actuel des investigations que nous avons développées. Ils avaient l'imprudence d'être administrateurs de la société et donc associés tout de même de près à la gestion. Je pense qu'ils ont perçu le problème, si bien que la structure sociale a été modifiée en une société à directoire et conseil de surveillance. Ils sont donc, à l'heure actuelle, membres du conseil de surveillance.

Tels ont les éléments concernant cette société prestataire de services pour le compte d'un certain nombre de greffes.

M. le Président : Cette société concerne Lyon, Grenoble et quels autres greffes ?

M. HASSENFRATZ : Un grand nombre de greffes de la région sont rattachés à Amitel, mais je ne dispose pas avec moi des éléments me permettant de vous donner davantage d'informations à ce sujet. En revanche, je pourrais vous les communiquer, si vous le souhaitez.

Cela pose également des problèmes avec l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) qui a créé sa propre société de saisie informatique. Les greffiers concernés n'avaient pas l'intention de faire travailler à façon cette structure dans la mesure où ils avaient eux-mêmes développé un produit. Il est vrai que ces greffiers ont peut-être eu le tort d'avoir raison trop tôt, leur société développant ses activités depuis seize ans.

M. le Président : La société facture-t-elle aux greffes ses prestations ?

M. HASSENFRATZ : Tout à fait !

M. le Président : Ces prestations sont payées à quel titre par les greffes ? Sur le profit que réalisent les greffiers ? Au prorata de quoi ?

M. HASSENFRATZ : Au prorata de la charge de la société par greffe. Le greffe de Lyon doit sans doute être le demandeur de près de la moitié des missions de cette société. Je suppose donc que les prestations de cette société lui sont facturées à due concurrence des prestations effectuées.

M. le Président : La facturation correspond-elle au coût réel ? A une opération commerciale ?

M. HASSENFRATZ : Il s'agit d'une prestation de service, mais je n'ai pas de renseignements particuliers à ce sujet. Nous avons demandé à la P.J. d'examiner ce qu'il en était et, a priori, aucune anomalie n'a été constatée.

M. le Président : Le problème est de savoir si juridiquement, un cabinet de notaires, par exemple, pourrait monter une société qui fournirait de l'informatique à tous les notaires de France et se payer dessus. C'est ainsi qu'il faut se poser la question.

M. HASSENFRATZ : Il s'agit de sous-traitance. Est-ce interdit ? Le greffier doit-il procéder lui-même à la numérisation et à la scannérisation des milliers et milliers de pièces du greffe ? Je n'en suis pas convaincu !

M. le Président : Cette société a-t-elle, dans ces conditions, accès à toute l'information ?

M. HASSENFRATZ : Elle reçoit, d'une part, les dossiers RCS et, d'autre part, les bilans et comptes déposés par les entreprises.

M. le Président : La question qui se pose est très simple : l'officier public et ministériel a-t-il le droit de passer ses dossiers à une société pour que cette dernière fasse le travail ? Ce n'est pas parce qu'il en est propriétaire que cela change quoi que ce soit.

M. HASSENFRATZ : J'entends bien ! Mais le greffier ne se dessaisit pas des documents en question. Il les remet à la société pour que celle-ci saisisse les données dont elle a besoin pour les traiter et il les récupère ensuite. Il reste donc bien détenteur de ses pièces et de ses archives. Il ne s'en dessaisit pas.

M. le Président : Des tiers ou seul le greffier peuvent-ils avoir accès à ces documents ?

M. HASSENFRATZ : Les tiers ne peuvent y avoir accès.

M. le Président : Les employés de la société sont pourtant bien des tiers par rapport à lui.

M. HASSENFRATZ : En effet, mais la différence entre le fait que ce soit des préposés d'une société commerciale travaillant exclusivement pour le compte des greffes ou le fait que ce soit des préposés du greffe est-elle significative ? Je n'en suis pas personnellement convaincu !

M. le Président : Le problème peut se poser parce que de toute façon, ils n'ont pas le même statut, ils ne dépendent pas des mêmes personnes et ils ne présentent pas les mêmes garanties. En cas de fuite, qui est responsable ?

M. HASSENFRATZ : Je pense que le greffier en reste responsable.

M. le Président : À cet égard, la situation est quelque peu particulière. Ensuite, s'est greffée la vente par Minitel.

M. HASSENFRATZ : En ce qui concerne les fournitures télématiques, nos greffiers ont été là aussi à l'avant-garde puisqu'ils ont créé, en 1984, Intergreffe qui a subi plusieurs modifications pour devenir un GIE en 1991. Il comprend actuellement trente-quatre greffiers adhérents.

Ce service archive également les données par scannérisation et numérisation, stocke le tout sur Cédéroms. Il met en oeuvre les services informatiques, ce qui permet effectivement aux utilisateurs par Minitel et Internet d'obtenir délivrance d'extraits. Il s'agit non pas du K Bis, mais d'extraits facturés pour un prix effectivement supérieur aux tarifs, sachant que le service rendu est de qualité supérieure puisqu'il permet à l'utilisateur d'avoir l'information sans avoir à se déplacer. Apparemment, les revenus issus de cette pratique télématique représentent 10 millions de francs. Par ailleurs, le chiffre d'affaires du greffe est de 30 millions de francs et le résultat, avant impôts, de 7,5 millions de francs.

M. le Président : Vous parlez bien du greffe ?

M. HASSENFRATZ : Tout à fait.

M. le Président : Y compris ces 10 millions de francs ?

M. HASSENFRATZ : Ces 10 millions de francs sont compris dans le volume général.

M. le Rapporteur : À ce prix-là, j'ai intérêt demain à trouver les dossiers bien rangés, monsieur le procureur !

M. le Président : Ces prix dépassent-ils de beaucoup le tarif autorisé ?

M. HASSENFRATZ : Je vous communiquerai le chiffre précis.

Telle est la situation pour ce qui concerne le greffe. Elle soulève effectivement des interrogations.

M. le Président : Apparemment, il s'agit d'une machine à faire de l'argent, mais qui fonctionne bien !

M. HASSENFRATZ : En effet !

M. le Président : La question qui se pose est de savoir si un officier public et ministériel a le droit ou non de le faire.

M. HASSENFRATZ : Une circulaire signée par M. Vigouroux voilà quelques mois tend à revenir sur certaines pratiques. Nous avons notamment demandé, conformément à la circulaire, de mettre un terme à celle consistant à ce que, en dehors des heures d'ouverture du greffe, le service téléphonique enregistré renvoie sur Intergreffe. En dehors de cela, nous avons tout de même, pour l'instant, le sentiment que ce service a été assez mal maîtrisé par la Chancellerie et il soulève effectivement, dans le contexte ambiant, des interrogations lourdes. Apparemment, le Ministère de la justice retarde d'une génération !

J'en viens au problème des mandataires et des administrateurs.

Notre ressort comprend quatre administrateurs et cinq mandataires, tous établis à Lyon.

Nous souhaitons évidemment contrôler au mieux leur activité et, à cet égard, nous ne faisons pas - loin s'en faut ! - un sans faute !

Plusieurs sources nous permettent de contrôler leur activité.

Le premier type d'information réside dans les rapports qu'ils établissent et dont nous sommes nécessairement destinataires au même titre que les juges-commissaires. Ces rapports sont relativement détaillés en cas de redressement judiciaire et période d'observation. Nous disposons là effectivement de nombre d'éléments sur la vie de l'entreprise. En revanche, ces rapports deviennent extrêmement laconiques, voire rares en période de cession ou de liquidation.

Les articles 29, 113 et 123 du décret de 1985 invitent les mandataires à nous transmettre des rapports d'abord dans le mois, ensuite dans les deux mois, enfin tous les ans, qui permettent de vérifier l'état d'avancement de la procédure.

Nous ne sommes pas équipés actuellement, comme je le disais en préambule, pour relancer les mandataires qui ne transmettent pas les rapports. Nous ne nous en rendons compte que lorsqu'une procédure pose question - soit parce qu'une réclamation est déposée, soit parce que nous envisageons d'engager des poursuites pénales à l'égard du commerçant ou du dirigeant mis en cause - et que nous constatons que le rapport n'est pas rendu dans les délais.

M. le Président : Que faites-vous dans ce cas-là ?

M. HASSENFRATZ : Nous adressons un courrier comminatoire au mandataire qui, en principe, répond dans des délais assez brefs. Mais nous ne disposons pas, comme je le disais à l'instant, d'un système de relance, si bien que cette carence apparaît lorsque d'autres problèmes sont posés par la procédure.

M. le Rapporteur : Vous répondent-ils toujours et de façon assez diligente ou avez-vous du mal à obtenir des réponses ? Je vous pose la question car elle se pose dans d'autres tribunaux.

M. MONDONNEIX : Ils répondent toujours, mais non sans mal ! En fait, cela dépend des mandataires. Il nous est même parfois arrivé de faire entendre certains par les services de police pour avoir des explications que nous ne parvenions pas à obtenir par courrier. Nous ne pensions pas développer d'autres relations que par voie de courrier avec des auxiliaires de justice, mais nous avons parfois été obligés, à titre exceptionnel, de procéder ainsi avec certains. D'ailleurs, ce sont toujours les mêmes !

M. le Rapporteur : Pourriez-vous, monsieur le procureur-adjoint, nous communiquer leur identité ?

M. MONDONNEIX : Les deux mandataires les moins diligents pour répondre sont essentiellement Me Dutilleul en ce qui concerne les administrateurs et Me Bauland s'agissant des mandataires-liquidateurs.

M. le Président : Ces retards sont-ils fréquents et à répétition ?

M. MONDONNEIX : Ils ne sont pas trop fréquents, mais pour ce qui concerne Me Bolland, cela s'est tout de même produit à plusieurs reprises l'année dernière.

M. HASSENFRATZ : Nous n'hésitons pas à intervenir énergiquement chaque fois que cela est nécessaire.

Le deuxième type d'information réside dans les états trimestriels qui permettent théoriquement de mesurer l'état d'avancement des dossiers, les diligences des mandataires, les capacités de traitement ou, a contrario, de mettre en évidence des retards injustifiés. Ces états permettent, par ailleurs, de vérifier l'importance des fonds détenus par les mandataires et ce qu'ils en font, notamment de savoir s'ils les déposent sur des comptes productifs d'intérêts et si ceux-ci bénéficient aux affaires et aux créanciers.

Ces états trimestriels sont des listings informatiques extrêmement volumineux et finalement peu exploitables et, de fait, peu exploités. Il s'agit donc d'une mission que nous n'avons pas réellement le temps d'assurer.

M. le Président : Vous posez-vous des questions à cet égard ?

M. HASSENFRATZ : Bien entendu, mais ces piles que nous recevons d'un mètre de hauteur, voire davantage, sont assez peu lisibles, et je parle sous le contrôle de mon collègue. Certes, quand notre attention est attirée sur une affaire, nous piochons dans la pile pour y retrouver l'information et poser des questions précises au dit mandataire, mais vous dire que nous nous livrons à un contrôle systématique et a priori serait complètement mensonger.

M. le Président : Avez-vous, par exemple, procédé à des vérifications pour les affaires accusant un certain retard pour savoir à quoi cela correspondait ? En avez-vous profité pour vérifier si les sommes étaient déposées ou devaient l'être ?

M. MONDONNEIX : Non, parce qu'en fait, lorsqu'une affaire fait difficulté, c'est-à-dire lorsque nous sommes saisis d'une réclamation à propos d'une affaire qui n'avance pas suffisamment vite, nous demandons effectivement des explications, mais nous ne nous trouverons pas nécessairement dans le temps où les états parviennent. Par conséquent, c'est souvent peine perdue de demander au secrétariat de nous rechercher un état car celui-ci n'est pas nécessairement enregistré.

M. le Président : Quel est, en général, l'objet des plaintes ?

M. MONDONNEIX : D'une façon générale, nous recevons assez peu de réclamations. Pour l'essentiel, elles concernent des mandataires-liquidateurs qui ne répartissent pas assez rapidement les fonds. En général, nous parvenons assez vite à débloquer la situation et nous ne transmettons quasiment pas de réclamations au parquet général. Nous ne transmettons que celles correspondant à un blocage ou qui n'ont pas reçu de réponses satisfaisantes. Une seule réclamation a été transmise, et ce en 1995. Depuis, il n'y en a pas eu d'autre.

M. le Président : Qui était concerné ?

M. MONDONNEIX : Me Sabourin dans l'affaire Baye.

M. le Président : En clair, d'une part, les rapports vous parviennent théoriquement de façon régulière, mais vous n'avez pas les moyens de savoir si on vous les a envoyés...

M. MONDONNEIX : Si, nous recevons les rapports.

M. le Président : ...et, d'autre part, les états sont inexploitables. C'est bien cela ?

M. HASSENFRATZ : En fait, si nous nous donnions le temps, nous pourrions les exploiter, mais gérer un parquet, c'est aussi faire des choix et ce n'est pas celui que nous avons opéré.

Je précise tout de même que nous avons procédé à la fin du mois de décembre 1996 à une totalisation des sommes effectivement retenues par les neuf mandataires dont j'ai parlé. Il s'agissait d'un montant tout à fait considérable d'environ 2 milliards de francs.

M. le Président : Cet argent était-il placé de façon régulière ?

M. HASSENFRATZ : C'était de l'argent des tiers, notamment pour de très grosses affaires qui justifiaient apparemment la rétention de fonds aussi importants.

À ce titre-là notamment, des assistants spécialisés nous seraient indispensables.

M. le Président : Vous considérez donc que le pôle économique pourrait servir à cela.

M. HASSENFRATZ : Notamment ; c'est-à-dire que les assistants spécialisés sont, en principe, des consultants qui devront nous aider d'abord à faire des choix, à sélectionner les affaires qui méritent que l'on s'y intéresse plus particulièrement et, ensuite, à limiter les missions d'experts ou d'enquêtes de police pour les rendre plus productives. Lorsque nos assistants ne seront pas mobilisés par des affaires lourdes, nous les emploierons à satisfaire ce type de mission.

En outre, nous recevons les attestations annuelles des commissaires aux comptes sur les vérifications de comptabilité, qui mentionnent, le cas échéant, des anomalies ou des irrégularités. Mais de fait, rien de significatif ne nous a été indiqué, sinon un point sur lequel je reviendrai dans un instant.

Enfin, nous recevons les informations recueillies lors du contrôle quadriennal. Deux rapports récents ont révélé des dysfonctionnements - des carences plutôt que des anomalies.

Durant ces dix-huit derniers mois, période depuis laquelle je suis au parquet de Lyon, nous nous sommes intéressés à deux problèmes.

D'une part, nous avons appris que deux anciens syndics ou mandataires conservaient des fonds, alors qu'ils n'étaient plus désignés, mais ils avaient encore des procédures à mener à leur terme. Nous avons déclenché des enquêtes de police judiciaire pour l'un et pour l'autre. Pour l'un d'eux, les fonds étaient toujours détenus à la Caisse des dépôts et consignation à la disposition de la procédure. Précisons que le mandataire en question ne se montrait pas particulièrement diligent pour répartir les fonds.

M. le Président : Qui était-ce ?

M. HASSENFRATZ : L'ex-maître Cotte, lequel est assez jeune puisqu'il est âgé de quarante-cinquante ans.

M. MONDONNEIX : Nous en avons eu connaissance lorsqu'il n'était plus en fonction.

M. HASSENFRATZ : Tout à fait !

Une autre affaire qui a eu des suites pénales était relative à un ancien mandataire, Me Gatt qui était retiré des affaires et qui avait quitté ses fonctions en restant comptable de 11,5 millions de francs pour 116 procédures non terminées. L'enquête a révélé qu'effectivement cet ancien mandataire a détourné à son profit personnel une somme de 1 356 000 francs par des chèques tirés à son ordre ou en règlement de travaux effectués à son domicile.

M. le Président : Avez-vous requis un mandat ?

M. HASSENFRATZ : Avant de vous répondre, je termine mon explication.

Par ailleurs, il a prélevé 760 000 francs supplémentaires à titre d'honoraires non taxés par les juges-commissaires. Cela a été compris dans la prévention. Nous avons pratiqué par enquête préliminaire parce que si nous passions à l'information, nous retardions très fortement le déroulement de l'affaire, laquelle a été poursuivie par voie de COPJ. Pour parvenir à son terme, il a fallu moins d'un an. L'intéressé a été condamné en décembre 1997 à deux années d'emprisonnement dont une partie ferme, à 400 000 francs d'amende et deux ans d'interdiction des droits. Il n'a pas été relevé appel de cette décision qui peut passer pour relativement clémente, mais les 1 356 000 francs avaient été restitués et l'intéressé était âgé de soixante dix-sept ans, ce qui pouvait poser des problèmes humains.

M. le Président : Est-ce le seul parmi les anciens syndics qui vous cause des problèmes ?

M. HASSENFRATZ : C'est la seule affaire dont j'ai eu à connaître depuis ma prise de fonction au parquet de Lyon.

Je ne sais pas s'il y a eu d'autres affaires...

M. MONDONNEIX : À ma connaissance, non. Il est vrai que je ne suis pas là non plus depuis très longtemps.

M. HASSENFRATZ : Ces affaires-là nous ont été effectivement révélées par un canal extérieur. Ce ne sont pas nos propres diligences qui nous ont conduits à prendre connaissance de ce problème. En fait, un créancier impayé - en l'occurrence les services fiscaux - s'est manifesté auprès de nous. Nous nous sommes rendu compte que des fonds importants restaient entre les mains de l'intéressé et c'est ce qui a provoqué le déclenchement de l'enquête. L'intéressé s'est « confessé » assez rapidement.

Un deuxième point auquel votre commission doit également s'intéresser, a soulevé notre attention, celui du recours anormal aux intervenants extérieurs, ce que l'on peut appeler la sous-traitance.

À cet égard, se présentent deux cas de figure.

D'une part, les mandataires lyonnais ont constitué depuis de nombreuses années une société civile de moyens, la SCTS basée à Villeurbanne et chargée de la gestion des salariés pour les procédures collectives. Cette société dispose de 220 mètres carrés de locaux et emploie quinze personnes. C'est donc elle qui gère tous les dossiers de salariés, mais les prestations sont assurées sur la base des honoraires perçus par les mandataires. À priori donc, aucune anomalie n'est relevée ; en tout cas, la pratique est ancienne et n'a soulevé, jusqu'à présent, aucune difficulté.

M. le Président : A qui profitent les bénéfices de cette société civile de moyens ?

M. HASSENFRATZ : Logiquement, elle n'a pas vocation à avoir de bénéfices.

M. MONDONNEIX : C'est également ce que je crois savoir et cette société fonctionne plutôt bien puisque les salariés sont payés dans des délais extrêmement rapides.

M. le Président : Par qui sont payées les prestations de cette société ?

M. HASSENFRATZ : Les mandataires eux-mêmes. Ce ne sont pas les entreprises qui supportent ce coût.

M. le Président : L'avez-vous tout de même vérifié ? Il n'y a personne qui se cache derrière ? Le système serait parfait, comme pour les greffiers !

M. MONDONNEIX : Normalement, oui, mais nous pouvons exercer de nouveaux contrôles !

M. le Président : Il serait souhaitable, en effet, de procéder à quelques vérifications.

M. HASSENFRATZ : Ce qui nous est également apparu ces derniers temps, c'est le recours à l'excès, par certains d'entre eux, à des sociétés de recouvrement de créances.

D'après l'explication qui nous a été donnée, il est plus efficace d'en passer par là. Or, autre problème, les frais étaient supportés non pas par le mandataire, alors que c'est tout de même l'essence de sa fonction, mais par la procédure.

M. le Président : Le juge-commissaire l'acceptait-il ?

M. HASSENFRATZ : Apparemment, il n'y voyait pas d'inconvénient majeur et les mandataires d'arguer qu'il s'agissait d'une pratique courante et ancienne à Paris. Peut-être vos investigations vous permettent-elles de confirmer cette proposition ?

M. le Président : Cela continue-t-il ?

M. HASSENFRATZ : Non !

Nous avons entamé un travail de réflexion qui était véritablement conduit de front par le tribunal de commerce et par le parquet. D'après un document d'étape des juges consulaires, il convenait « de privilégier le résultat économique de bon sens, tout en respectant au mieux la règle judiciaire qui a pour objet d'éviter l'excès ».

Nous avons considéré que cette formulation était pour le moins ambiguë et donnait à penser que l'aspect économique - et pour qui ? - prenait le pas sur la loi. Nous avons provoqué une réunion en juillet 1997. Finalement, un document que vous remettra le président Nougein si vous le lui demandez, a été préparé.

D'après ce document, « les mandataires sont compétents pour toutes les tâches qui leur sont confiées par la loi ». C'est un peu un truisme, mais il est peut-être bon de le rappeler.

Par ailleurs, et là nous n'étions pas complètement en phase, mais nous avons finalement accepté le système, le texte indique que « le mandataire peut demander le remboursement ». Cela suppose qu'il en fasse d'abord l'avance, sans laquelle la formule de remboursement n'aurait pas de sens. Cela suppose aussi que la demande de remboursement soit effectuée a posteriori.

Je pensais qu'il était de bonne méthode de tenir ce langage au mandataire : « Vous entendez avoir recours à des intervenants extérieurs, faites donc ! Mais vous travaillez sur vos deniers et vous n'êtes pas certain d'être remboursé puisque le juge-commissaire prendra position après coup ».

Le tribunal de commerce n'a pas finalement arbitré de cette façon. Pour éviter d'éventuelles difficultés « relationnelles » en cas de refus, il a exigé un accord préalable et écrit du juge-commissaire.

M. le Président : Cet imprimé était-il préparé à l'avance et ne restait-il qu'à le signer ?

M. HASSENFRATZ : À priori, je pense que non. Si c'était le cas, tout cela n'aurait aucun sens.

M. le Président : Le tout est de savoir si cela est motivé par des circonstances particulières.

M. HASSENFRATZ : Effectivement, la requête doit être écrite, dûment motivée. Le mandataire doit préciser dans sa requête les intérêts en jeu, les difficultés particulières qu'il rencontre, la durée et le coût prévisionnel de l'intervention. C'est sur ces bases-là que le juge-commissaire donne son accord ou le refuse.

Il est également précisé que cette autorisation préalable n'a pas lieu d'être lorsque le mandataire s'adresse à un professionnel exerçant un monopole. Lorsqu'il s'adresse à un avocat ou à un huissier, on se retrouve là dans un mode relationnel normal.

En ce qui concerne les recouvrements de créances, nous avons considéré que les motifs du recours à la sous-traitance ne pouvaient être que techniques. Nous pouvons penser, par exemple, à des recouvrements de créances sur l'étranger où des sociétés peuvent avoir un savoir-faire que ne maîtrisent pas les mandataires locaux. Les fonds recouvrés par l'intervenant extérieur doivent être versés sans délai au mandataire. Ce dernier renonce expressément à percevoir une rémunération quelconque pour la tâche sous-traitée.

Tel est le modus vivendi qui a été arrêté avec nos collègues.

M. le Président : Cela n'est pas tout à fait la lettre de la loi.

M. HASSENFRATZ : Cela ne contrevient pas à la loi ! Je pense - et c'est là que nous étions un peu en porte-à-faux - qu'il valait mieux les laisser travailler en ayant le risque de ne pas être remboursés, ce qui doit les conduire nécessairement à s'autocensurer très fortement.

M. le Président : N'ont-ils pas créé des sociétés dans lesquelles ils ont des intérêts pour faire le recouvrement ?

M. MONDONNEIX : À notre connaissance, non !

M. HASSENFRATZ : Il s'agissait a priori véritablement d'intervenants extérieurs. Cela étant, on peut s'interroger sur d'éventuelles gestions de fait et des intérêts occultes.

M. le Président : C'est une technique qui revient très souvent ! En réalité, cela revient déjà très cher et, de plus, on charge la barque exagérément.

M. HASSENFRATZ : On a tout de même le sentiment, de cette façon, de neutraliser l'opération puisqu'elle doit être, en principe, blanche par rapport à la procédure.

M. le Président : Nous sommes très intéressés parce que l'importante juridiction de Lyon nous étant présentée comme celle fonctionnant le mieux, chaque petit dépassement lyonnais nous laisse supposer qu'ailleurs.... ! Je ne parle pas de celle de Strasbourg, bien entendu.

M. HASSENFRATZ : En guise de conclusion très sommaire, dans les assemblées ou conférences, qu'elles soient nationales ou régionales, nous entendons les discours selon lesquels il est inutile de recourir à l'échevinage, lequel existe déjà en pratique par la conjonction siège-parquet. De manière très claire et formelle, nous pouvons tout de même dire que nous sommes juxtaposés à la juridiction, mais nous ne sommes pas intégrés à celle-ci.

M. le Président : Vous pouvez parler en connaissance de cause puisque vous avez vécu les deux systèmes, étant auparavant à Strasbourg.

M. HASSENFRATZ : En effet ! J'aurais d'ailleurs tendance à considérer que le système alsacien-mosellan est tout de même de très bonne qualité, mais je n'en dirai pas davantage ! En tout cas, l'intégration siège-parquet y est bien meilleure.

Nous avons tout de même le sentiment que le parquet est assez largement à l'écart de la sphère décisionnelle. Mes collègues qui siègent aux audiences commerciales me confient assez volontiers leur sentiment, à savoir que la décision est prise avant ou après, mais pas nécessairement pendant.

M. le Président : Tel est le secret du délibéré !

M. HASSENFRATZ : Oui, mais enfin... !

M. MONDONNEIX : On se pose la question du moment du délibéré.

M. HASSENFRATZ : Comme nous avons vu des dossiers annotés !

M. MONDONNEIX : Avec peut-être une forte influence du président même lorsqu'il ne siège pas dans la formation. Il s'agit peut-être d'une particularité des juridictions commerciales. En tout cas, à Lyon, nous avons le sentiment tout de même que le président est très largement derrière tous les dossiers, du moins les dossiers les plus sensibles, même s'il n'apparaît pas.

M. le Président : De toute façon, il a intérêt à ce que cela fonctionne bien !

M. MONDONNEIX : Bien sûr !

M. le Président : En résumé, vous vous considérez comme juxtaposés à la juridiction et, deuxièmement, vous estimez que le parquet est à l'écart de la sphère décisionnelle.

M. HASSENFRATZ : Ce qui est, après tout, normal.

M. MONDONNEIX : Il a bien fallu parfois rappeler à certains juges consulaires que l'on ne participait pas au délibéré, certains nous conviant à leur délibéré.

M. HASSENFRATZ : Les relations avec le tribunal de commerce sont formellement bonnes et confiantes. Mais soyons clairs : objectivement, elles sont lointaines. La présence du parquet est souhaitée ! Comme j'en ai fait part à mon collègue, le président m'a récemment adressé une lettre pour me signaler qu'il avait constaté qu'à certaines audiences, mes collègues ne siégeaient pas et que leur présence était souhaitable. Il est vrai que parfois des impossibilités de service empêchent des collègues de siéger.

M. le Président : Est-ce que l'on vous envoie le dossier à l'avance ?

M. HASSENFRATZ : Non !

M. le Président : Vous assistez aux audiences et vous écoutez.

M. MONDONNEIX : Nous avons le rôle des audiences évidemment, mais pour les affaires les plus importantes, il est évident que nous recevons par avance les projets de plan. En revanche, nous n'avons pas les dossiers concernant les dépôts de bilan.

Pour les affaires déjà en cours de redressement, avant d'examiner à l'audience le projet présenté par l'administrateur, nous sommes en possession du dossier.

M. le Président : Puisque le parquet et le tribunal de commerce sont installés dans le même bâtiment, tous les dossiers sont-ils accessibles la veille de l'audience, par exemple ? Sont-ils regroupés tous à un endroit où le substitut peut les consulter ?

M. MONDONNEIX : Nous devons en faire la demande. Il est évident que nous n'irons pas nous servir.

M. le Président : L'usage n'est pas de le demander ?

M. MONDONNEIX : En effet, l'usage n'est pas d'aller le demander.

M. le Président : Que se passerait-il si vous le demandiez ?

M. MONDONNEIX : Le dossier nous serait remis. Un de mes collègues l'a demandé une fois.

M. HASSENFRATZ : La présence du parquet est souhaitée surtout si elle conforte la position des juges. Elle est peut-être moins ardemment souhaitée si le parquet manifeste un point de vue différent, ce qui est objectivement assez rare.

M. MONDONNEIX : C'est assez rare en effet, mais il est vrai que c'est assez mal vécu. Nous avons le sentiment qu'une certaine unanimité est appréciée.

M. HASSENFRATZ : En ce qui concerne donc le siège, ne se pose aucune difficulté majeure, mais j'ai connu effectivement d'autres expériences. En me rendant aux audiences à Strasbourg, j'avais le sentiment d'avoir un véritable dossier sous les yeux et de pouvoir plus utilement défendre l'intérêt général au vu des éléments dont je disposais et dont mes collègues ne disposent pas à Lyon.

S'agissant des greffiers, tout a été dit, me semble-t-il. Ils bénéficient d'une rente de situation qui peut être jugée choquante.

Quant aux mandataires, leur mode de rémunération pose, à l'évidence, question. Les contrôles quadriennaux, insuffisants, devraient être plus fréquents, assurés en interne et développés par un corps d'inspecteurs spécialisés. Un seul magistrat de la Chancellerie ne peut évidemment pas surveiller plus de 480 études.

Si le législateur devait modifier la distribution des tâches, il serait souhaitable, bien que le problème ne se pose pas dans les mêmes termes à Lyon qu'ailleurs, que ce soit plutôt le parquet général qui soit investi de cette mission générale de surveillance des études dans la mesure où il a une distance plus grande. Je pense essentiellement aux petits tribunaux où les rapprochement sont très grands et les connaissances de certains vis-à-vis presque intimes. Il est bon, à mon sens, d'instituer un certain recul des agents de contrôle.

Je sais qu'actuellement, les tribunaux de commerce se trouvent dans l'oeil du cyclone, mais il ne faudrait tout de même pas rendre les juridictions et les mandataires responsables de la situation, de la déconfiture des entreprises et de la faible productivité des procédures. Cela résulte plutôt de la pratique des affaires, de la sous-capitalisation des entreprises, du crédit interentreprises qui est encore très important chez nous, du fait que les banques prêtent mais interviennent peu dans le capital-risque. Certaines entreprises font du capitalisme sans capitaux !

La conséquence ne peut être que la difficulté extrême d'apurer les dettes.

Par ailleurs, et c'est un truisme de le dire, les chefs d'entreprise répugnent à venir déclarer l'état de cessation des paiements. Bref, les juridictions sont saisies lorsque les jeux sont faits.

M. le Rapporteur : En ce qui concerne le comportement des mandataires, vous avez indiqué que la totalité d'entre eux maniaient environ 2 milliards de francs par an. Cela n'est pas étonnant puisque la totalité des mandataires sur le territoire français utilise 58 milliards de francs, ce qui correspond à deux points de TVA. C'est l'argent des entreprises en difficulté !

L'administration fiscale s'est aperçue qu'une quarantaine d'entre eux avaient utilisé à des fins personnelles les intérêts que produisaient cet argent et le maniement de ces fonds. Elle a saisi le parquet de Paris qui, après une enquête préliminaire un peu lente, a décidé d'ouvrir une information judiciaire contre certains d'entre eux.

L'administration fiscale a-t-elle dénoncé à votre parquet, au titre de l'article 40, certaines de ces pratiques dans votre ressort ? À votre connaissance, étiez-vous concernés d'une manière ou d'une autre ?

M. HASSENFRATZ : Nous n'avons eu aucune révélation au titre de l'article 40.

Vous dire que nous ne sommes pas concernés d'une façon ou d'une autre serait très imprudent ! À priori, nous n'avons connaissance d'aucun dysfonctionnement de ce type. Mais à Nanterre, il y a quelques années, était-on assuré de n'avoir aucun problème.

M. le Président : Le contrôle effectué quelques mois auparavant faisait apparaître que l'étude était blanche comme neige !

Vos mandataires et administrateurs ont-ils des intérêts à travers le monde ou ne travaillent-ils qu'à Lyon ?

M. MONDONNEIX : On connaît les mandataires de l'extérieur parce que nous recevons les états les concernant.

M. le Président : Le parquet de l'endroit où ils se trouvent doit savoir s'ils ont des cabinets secondaires. Il paraît, d'après une technique « élégante » qui m'a été expliquée, que lorsqu'un cabinet secondaire était installé, par exemple, à Nouméa, le parquet de Nouméa ne s'en mêlait pas. Le parquet de Nanterre était concerné, mais manifestement, ce dernier ne le savait pas.

Les vôtres ont-ils « essaimé » sur la Côte-d'Azur, en Corse ou ailleurs ?

M. MONDONNEIX : Nous ne le savons pas, mais nous pourrions le vérifier.

M. le Président : Je suppose qu'ils oeuvrent notamment sur Bourg-en-Bresse et Villefranche.

M. HASSENFRATZ : Certainement sur tout le ressort de la cour d'appel de Lyon. Cela étant, dans mon ressort antérieur, à Besançon, on ne pouvait plus faire appel à aucun administrateur de la région. Les administrateurs venaient donc de loin, notamment de Versailles, Strasbourg ou Lyon.

M. le Président : En guise de synthèse, la juridiction de Lyon a une tradition. Tant le parquet que le tribunal ont toujours veillé à éviter le scandale. Par ailleurs, les locaux sont communs, ce qui est une situation tout à fait exceptionnelle. Le président du tribunal de commerce est très attentif à ce que tout se passe au mieux. Vous êtes d'excellents magistrats, le seul petit point noir étant que vous n'êtes pas assez nombreux.

Bref, la situation est quasiment idéale.

Malgré tout, en ce qui concerne les mandataires et administrateurs, vous m'en répondriez pas comme de vous-mêmes ?

M. HASSENFRATZ : Bien sûr !

M. MONDONNEIX : C'est cela.

M. le Président : Il s'agit donc bien du point le plus inquiétant.

Par ailleurs, dans le secteur prévention, se sont développées des pratiques qui, comme un peu partout, sous couvert de grande générosité, profitent tout de même à certains.

M. HASSENFRATZ : J'ai posé la question au président du tribunal de l'assurance responsabilité des conciliateurs dans la mesure où l'on ne s'adresse pas à un corps de professionnels qui est assuré. Le président m'a garanti, étant personnellement assureur, qu'ils sont couverts par une assurance.

M. le Président : Est-ce lui qui les choisit ?

M. HASSENFRATZ : Absolument.

M. le Président : Personnellement ?

M. HASSENFRATZ : Tout à fait.

M. le Président : Comme à Paris, cela s'est donc développé à partir du pouvoir propre du président qui est responsable de tout. Est-ce lui qui les taxe ou est-ce fonction d'un barème ?

M. MONDONNEIX : Voulez-vous parler du règlement amiable ?

M. le Président : Oui.

M. MONDONNEIX : Dans ce cadre, c'est lui en effet qui les taxe.

M. le Président : Comment les taxe-t-il ? En fonction de quoi ?

M. MONDONNEIX : Une demande est présentée. Mais le coût, fortement incitatif, est de 1 000 francs de l'heure hors taxes.

M. le Président : Le problème des greffes n'est pas propre à Lyon, mais il s'y pose pleinement !

M. HASSENFRATZ : C'est vrai, mais c'est un greffe qui fonctionne remarquablement bien.

M. le Président : Par ailleurs, nous pouvons estimer que le tribunal s'est penché sur le problème des délégations de travail à des experts et intervenants divers. Nous pouvons le formuler ainsi, n'est-ce pas ?

M. HASSENFRATZ : Oui.

M. le Président : Cette réflexion est tout de même récente parce que le dernier protocole date de la fin de l'année dernière ?

M. HASSENFRATZ : Effectivement ; j'ai oublié de dire que ces pratiques nous ont été signalées par un commissaire aux comptes. Ce dernier indiquait un recours à des intervenants extérieurs qui lui paraissait peut-être anormal. C'est donc sur cette base-là que nous nous sommes saisis et que nous avons mené une enquête.

M. le Président : Tout à l'heure, nous recevions des justiciables qui se plaignaient d'avoir été taxés par des mandataires. Avez-vous connaissance de plaintes de ce type ?

M. HASSENFRATZ : Aucune !

M. le Président : Le recrutement des juges relève d'un système de cooptation ? Une seule liste ou plusieurs listes sont-elles présentées ?

M. HASSENFRATZ : Je ne vous donnerai pas lecture de la réponse que vous a faite le président à ce sujet et dont j'ai pris connaissance ! Apparemment, plusieurs candidats se présentent pour un seul et même poste. Au départ, il s'agit d'un renouvellement plutôt par cooptation, mais les candidats sont reçus, testés et a priori ceux qui sont choisis sont plutôt de qualité.

M. le Président : Vous ne relevez jamais aucune suspicion d'intérêts dans les affaires, quand il s'agit, par exemple, d'un représentant d'une banque qui juge ?

M. MONDONNEIX : La situation a pu se produire à une ou deux reprises. Nous avons dû intervenir pour demander que le juge se déporte.

M. le Président : Il a fallu que vous interveniez ?

M. MONDONNEIX : Oui.

M. le Président : Dans quelle affaire ?

M. MONDONNEIX : Je ne me souviens pas ! Ce n'est pas moi qui suis intervenu. Je l'ai su par un collègue.

M. le Président : Je vous pose la question parce qu'il s'agit d'un souci constant.

M. HASSENFRATZ : Bien sûr ! Ayant été destinataires de la procédure contre les juges d'Aurillac, nous avons donc vécu ce problème de l'intérieur. Au cours de réunions internes, j'ai vivement attiré l'attention des juges à cet égard en leur indiquant qu'il leur revenait véritablement de se déporter en cas de confusion d'intérêts et en leur indiquant que les faits étaient justiciables de poursuites non seulement disciplinaires, mais également pénales. Pour cette affaire, l'ordonnance de renvoi a été prise à l'encontre du président et d'un des juges d'Aurillac.

Audition de Mme Mireille GAZQUEZ, vice-présidente

du tribunal de grande instance de Lyon

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 2 juin 1998 à Paris)

Présidence de M. François Colcombet, président

Mme Gazquez est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Président, Mme Gazquez prête serment.

Mme Mireille GAZQUEZ : Monsieur le président, je préciserai, avant de débuter mon intervention, que j'ai exercé les fonctions de juge-commissaire au TGI de Bourgoin-Jallieu, dans l'Isère, qui fait également fonction de tribunal de commerce - les contentieux concernaient donc également les commerçants et les artisans.

Aujourd'hui, je m'occupe essentiellement des personnes morales de droit privé - qui relèvent de la compétence stricte du TGI - et je suis en relation constante avec les agriculteurs. J'exerce également les fonctions déléguées du président en matière de règlement amiable et de prévention des difficultés des entreprises et je suis, toujours dans le cadre de cette délégation, chargée des oppositions aux taxes des mandataires du tribunal de commerce. En effet, ce type de contentieux est jugé par le président du TGI.

M. le Président : Selon vous, les tribunaux de commerce fonctionnent-ils correctement ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Monsieur le président, je ne travaille pas au tribunal de commerce, je ne puis donc vous répondre. En revanche, je peux vous faire part de la façon dont le TGI fonctionne, des rapports que j'entretiens avec les membres du tribunal de commerce et vous donner mon avis sur les procédures que les mandataires utilisent avec le TGI, puisque ce sont les mêmes que celles utilisées avec le tribunal de commerce.

Mes relations avec les juges du tribunal de commerce sont évidemment cordiales, puisque nous travaillons sous le même toit. Nous avons décidé d'organiser des réunions communes et j'ai donc participé à ces réunions de formation avec les juges-commissaires, juges consulaires. Nous avons tenté, avec d'autres magistrats du TGI, notamment avec ceux chargés des procédures d'ordre et des contributions, avec certains avocats chargés des saisies immobilières, d'organiser des réunions communes avec les magistrats du TGI et les magistrats consulaires. Ces réunions se sont plutôt bien passées, mais elles sont restées très exceptionnelles et l'idée d'échevinage est loin d'être acquise. Il faut savoir que cela leur donne de l'urticaire et les rend tous démissionnaires dès que l'on en parle ! Même s'ils sont très aimables et tout à fait prêts à discuter avec nous. Dans les faits, cela fonctionne.

Aujourd'hui, en tant que magistrat du siège, je reste réticente et réservée quant à l'idée d'absorber les contentieux des tribunaux de commerce. Je ne pense pas, compte tenu de l'état actuel de l'organisation judiciaire, que nous puissions traiter ce genre de contentieux. Je ne vois pas l'intérêt, pour le justiciable, d'avoir affaire à un juge surchargé.

Cette idée ne me paraît donc pas très bonne, sauf à reconsidérer toute l'organisation judiciaire - les tribunaux d'instance, les tribunaux de grande instance et les tribunaux de commerce -  et à repenser la distribution des contentieux - on réfléchit actuellement, dans les TGI, à des modes alternatifs de règlement des conflits. Comme on ne peut pas tout régler, de nombreuses médiations et conciliations se mettent en place. Dans la mesure où il s'agirait d'une solution globale, on pourrait envisager de confier aux TGI la gestion de toutes les procédures collectives ; on réunirait ainsi, d'un côté, les commerçants et les artisans et, de l'autre, les personnes morales de droit privé et les agriculteurs. Ce sont les mêmes procédures et les mêmes mandataires et, pourquoi pas, les mêmes intervenants, les mêmes experts.

Cependant, je le répète, compte tenu de l'encombrement actuel des tribunaux, cette idée me paraît utopique, surtout quand je l'imagine à l'échelle lyonnaise.

M. le Président : Pourtant, cela fonctionnait à Bourgoin.

Mme Mireille GAZQUEZ : Parfaitement, mais Bourgoin, c'est Bourgoin !

M. le Président : Les juges professionnels arrivaient à gérer ce genre de contentieux.

Mme Mireille GAZQUEZ : S'agissant de la compétence des juges professionnels, il n'y a rien à redire. On peut tout à fait imaginer que les juges professionnels soient de bons juges-commissaires !

M. le Président : A Bourgoin, vous avez eu le sentiment que cela fonctionnait parfaitement.

Mme Mireille GAZQUEZ : Tout à fait. La lecture des bilans - dont on nous parle souvent -  n'est pas un exercice insurmontable ! J'évoquais tout à l'heure la formation des juges-commissaires ; sachez que les juges professionnels suivent également une formation - et un certain nombre de juges-commissaires ne savent pas lire un bilan, j'en ai été le témoin. Alors dire que les juges professionnels sont incapables de lire un bilan est un faux argument ; le problème n'est pas là. Il ne s'agit ni d'un problème de compétence, ni de disponibilité, ni d'intérêt, car il s'agit de fonctions passionnantes dans la mesure on l'on prend l'entreprise dans sa globalité, avec ses difficultés et qu'il y a un véritable travail de reconstruction, une aide à apporter. La difficulté est bassement matérielle et concerne l'organisation des services des juridictions de droit commun.

M. le Rapporteur : Il est souvent opposé aux partisans de l'installation de juges professionnels dans les juridictions commerciales l'argument de la culture économique. Ne prendraient-ils pas finalement des décisions fantaisistes, parce que le monde des juges professionnels évolue à huis clos ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Je juge des affaires de responsabilité médicale alors que je ne suis pas médecin. Je ne pense donc pas que, pour être un bon juge, on doive avoir la compétence professionnelle de celui que l'on juge.

La spécificité économique existe, certes, mais nous sommes entourés de personnes que nous pouvons consulter. Et pourquoi ne pas rattacher les spécialistes des tribunaux de commerce aux TGI ?

M. le Président : L'échevinage ne serait-il pas une réponse à ce problème ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Un échevinage repensé, oui  ; celui des juges départiteurs, non. Mais qu'entendez-vous précisément par échevinage : est-ce un juge professionnel qui se transporte pour présider une audience au tribunal de commerce ?

M. le Président : Non, je veux parler du système qui existe en Alsace-Lorraine, c'est-à-dire un système dans lequel il y a un juge professionnel et deux assesseurs - cette formation étant rattachée au tribunal de grande instance.

Mme Mireille GAZQUEZ : Je pense, d'une façon générale - c'est une banalité - que l'on s'enrichit au contact d'une personne différente.

M. le Rapporteur : Madame la vice-présidente, on parle de la célérité des tribunaux de commerce. On entend souvent dire qu'il s'agit de juges qui connaissent les exigences du temps : il faut aller vite, l'urgence est là. D'ailleurs, eux-mêmes nous disent qu'ils ont la justice la moins chère et la plus rapide. Qu'en pensez-vous ?

Mme Mireille GAZQUEZ : C'est totalement faux, puisque le délai de la procédure est fixé par la loi. La période d'observation d'un an renouvelable six mois est la même pour les tribunaux de commerce que pour les tribunaux de grande instance. En outre, il s'agit de procédures particulières, et je pense - au moins sur Lyon, car je ne peux pas faire une étude comparative sur toute la France - que nous jugeons, en matière de procédures collectives, aussi rapidement que le tribunal de commerce.

Quoi qu'il en soit, il existe un délai légal que nous ne devons pas dépasser et que nous respectons.

M. le Président : Pouvez-vous, maintenant, nous parler des mandataires ?

Mme Mireille GAZQUEZ : S'agissant des mandataires, un pouvoir disciplinaire doit être instauré auprès des parquets. Par ailleurs, il conviendrait de réformer leurs rémunérations. Le dernier décret comporte des effets pervers qui conduisent à des situations particulièrement injustes.

Je vous citerai, par exemple, l'article 15 concernant le droit fixe, qui conduit à rémunérer l'administrateur mais pas le représentant des créanciers, lorsqu'ils sont en double sur les procédures - cela en application d'une décision de la Cour de cassation. Le droit fixe doit donc être revu, non seulement quant à son évaluation, mais également quant à ses modalités d'application.

Je puis vous citer également le problème des créances contestées - les fameux 5 % sur les créances contestées. Si nous ne supprimons pas cet article, il conviendra de préciser les modalités de calcul pour éviter toutes les dérives actuelles : actuellement il suffit que l'on envoie une lettre circulaire pour que l'on nous réclame une taxe.

Je parlerai aussi des recouvrements d'actifs. Le système est pervers pour la raison suivante : pour un petit actif, le droit va être tel que l'actif servira exclusivement à payer les honoraires du mandataire, alors que, comme il est dégressif, sur un gros actif les créanciers pourront toucher des dividendes. Si nous devons conserver un tel système, il devra être non pas dégressif, mais progressif.

En outre, s'agissant des administrateurs, leur droit est également calculé sur le chiffre d'affaires. Ils ont, de ce fait, tout intérêt à ce que la procédure dure le plus longtemps possible. S'ils la règlent en trois mois, leur droit sera calculé sur les trois mois de poursuite d'activité ; s'ils la règlent en douze ou dix-huit mois, le calcul sera plus intéressant. Il serait donc intéressant d'instaurer une prime à la célérité destinée à privilégier le mandataire soucieux de mener rapidement la procédure à son terme ; il toucherait alors un droit plus élevé. Je ne vous cache pas que les sanctions à la diligence sont très intéressantes, y compris pour les représentants des créanciers - nous l'avons bien vu avec l'article 100.

L'article 100 de la loi a prévu que le représentant des créanciers devait déposer l'état des créances dans un délai d'un an. S'il ne le respecte pas, il perd ses honoraires. Je vous prie de croire qu'au terme de ce délai d'un an tous les mandataires se réveillent et déposent l'état des créances ou sollicitent une prorogation. Je pense qu'il serait intéressant que l'on instaure des sanctions pécuniaires sur leurs honoraires en cas de non-diligence.

M. le Rapporteur : Nos projets sont encore plus ambitieux !

Vous qui avez à connaître des litiges portant sur les honoraires des mandataires, existe-t-il un conflit -  traditionnel - entre les juges-commissaires et les mandataires qui réclament leurs honoraires ?

Mme Mireille GAZQUEZ : En fait, il y en a assez peu. Lorsqu'il y a une contestation, ils s'arrangent entre eux - peut-être est-ce dû à la dualité de mes fonctions, car ils savent qu'ils vont me retrouver à la chambre des procédures collectives. Cependant, statistiquement, il y en a très peu.

M. le Rapporteur : Avez-vous connaissance de confrontations entre les juges-commissaires et les mandataires ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Oui, tout à fait. Les confrontations n'ont lieu que sur quelques modalités d'application de ce tarif.

M. le Rapporteur :Tentent-ils, par exemple, de faire prévaloir une interprétation restrictive qu'ils vous demanderaient de valider ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Non, pas du tout. Au contraire, le tribunal de commerce alloue le droit fixe de 15 000 francs aux deux mandataires, alors que je ne le fais jamais. Il alloue ces sommes systématiquement malgré la décision de la Cour de cassation, - et le justiciable ne le conteste pas.

M. le Président : Il n'applique pas la jurisprudence de la Cour de cassation !

Mme Mireille GAZQUEZ : Me semble-t-il, mais vous allez le vérifier demain.

M. le Rapporteur : Que retenez-vous, en tant que vice-présidente du tribunal de grande instance, de vos relations avec les mandataires - formation, recrutement, discipline, contrôle ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Je ne vous répondrai que sur le contrôle, le reste m'échappant complètement.

Nos relations avec les mandataires, lors des contrôles, dépendent en fait de la personnalité de ces derniers. Certains sollicitent presque tous les jours des instructions, d'autres travaillent d'une façon très indépendante et ne rendent pas compte. Or il serait souhaitable, pour le juge-commissaire, que tous les mandataires rédigent des fiches de diligence, notent leurs interventions et les rapportent. Ils ne respectent pas l'obligation de déposer rapport telle qu'elle est prévue dans la loi de 1985.

Là encore, s'il existait des sanctions pécuniaires, je suis persuadée que cela les inciterait à remplir leurs obligations légales. Je ne dis pas qu'ils ne remplissent pas leur mission, mais ils ne rendent pas forcément compte.

M. le Président : Quels sont les mandataires qui travaillent bien ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Votre question m'embarrasse, et je ne souhaite pas y répondre.

M. le Rapporteur : Nous allons rencontrer demain, à Lyon, quatre administrateurs. Or nous aimerions savoir, puisqu'il s'agit de collaborateurs du service public de la justice, ce qu'en pensent les juges.

Mme Mireille GAZQUEZ : Bon, et bien citez-moi des noms.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de M. Dutilleul ? Est-ce un homme compétent, digne des mandats qui lui sont confiés ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Maître Dutilleul est un homme âgé qui a été quelque peu écarté par le tribunal de commerce et que j'ai parfois nommé sur des dossiers difficiles. Je pense qu'il s'agit d'un homme compétent, mais qui, aujourd'hui, ne dispose plus d'une structure suffisamment étoffée pour faire face à des missions complexes et difficiles.

M. Le Rapporteur : Maître Sapin a, en revanche, une réputation qui dépasse le ressort du tribunal de Lyon, puisqu'on le voit dans des affaires nationales. Qu'en pensez-vous ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Je pense que c'est un homme compétent.

M. le Rapporteur : On a souvent constaté que les administrateurs étaient de meilleure qualité que les mandataires-liquidateurs - sur le plan intellectuel quant à leur ingéniosité, leur subtilité, leur créativité, ainsi que pour leur capacité à convaincre les tribunaux des solutions qu'ils proposent. De ce fait, l'on a souvent entendu dire que les juges des tribunaux de commerce se trouvaient entre les mains des administrateurs judiciaires, les uns étant radicalement incompétents et peu formés, les autres, maîtrisant à la fois l'économie et le droit, faisant la pluie et le beau temps. Que pensez-vous de ce diagnostic ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Il est évident qu'un administrateur qui a suivi les problèmes de l'entreprise et qui vient exposer son dossier devant le tribunal de commerce, va emporter la conviction des juges. Mais cela est également vrai pour les bons avocats qui savent entraîner les juges sur leur terrain. Il appartient donc aux juges d'être prudents et de vérifier les informations et, notamment s'il s'agit d'un plan de redressement par cession, de se faire communiquer l'intégralité des offres et d'entendre tous les repreneurs - ce que nous faisons systématiquement au TGI, même si un repreneur a été écarté dans un dossier.

M. le Rapporteur : S'agissant de l'analyse des offres concurrentes, prenez-vous un temps de réflexion pour analyser les documents financiers qu'ils vous remettent ? Car au tribunal de commerce, on a l'impression que les décisions sont prises ailleurs.

Mme Mireille GAZQUEZ : Nous mettons en délibéré à 15 jours, voire à un mois pour certains dossiers. Nous nous donnons la peine de lire l'intégralité des pièces.

M. le Rapporteur : Cette question est faussement naïve, pour ne pas dire provocatrice ! Mais nous aimerions savoir comment les choses se passent au TGI.

Mme Mireille GAZQUEZ : Nous examinons le bilan économique et social et nous entendons les mandataires. Pour les dossiers complexes, dont la solution ne nous apparaît pas évidente, nous entendons les différents repreneurs en chambre du conseil - même si les offres ont été déposées au greffe, la semaine qui précède -  puis, en dernier, le parquet. En fait, on laisse le repreneur vendre son projet devant le tribunal.

Je voudrais vous dire un mot sur les règlements amiables, les procédures de prévention. Il s'agit de procédures secrètes, confidentielles et, de ce fait, il existe des risques d'abus. Je souhaiterais que vous réfléchissiez à la personne que l'on désigne comme mandataire ad hoc ou conciliateur. Cette personne devrait appartenir à une profession reconnue, à un ordre, ou tout au moins à une liste établie près d'une cour d'appel.

M. le Président : Un ancien juge conviendrait ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Oui, s'il est inscrit sur la liste de la cour d'appel. Il est de jurisprudence constante que devant le tribunal de commerce de Lyon seuls d'anciens juges sont désignés en qualité de mandataire ad hoc ou de conciliateurs en application de la loi de 1984.

M. le Président : Ce sont toujours les mêmes ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Je ne sais pas. En outre, je ne sais pas s'ils sont assurés. Je vous vois sourire, mais cela a un intérêt. Imaginons qu'un tribunal, après une procédure de règlement amiable, fasse remonter la date de cessation des paiements et que nous devions rechercher la responsabilité. Pourquoi n'irions-nous pas rechercher celle du conciliateur ? L'assurance est donc importante, sinon ce sont les créanciers qui seront les victimes.

Enfin, il y a le problème de la tarification. C'est le président qui arbitre ; mais selon quelle base ? Pourquoi n'y a-t-il pas de tarification ?

M. le Président : Il s'agit en effet d'une question importante.

Dernière question, madame, avez-vous un rôle de formateur ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Non, j'ai simplement mené, en faveur des agriculteurs en difficulté, un certain nombre de formations pour les chambres d'agriculture, puisque cette procédure, démarrant un peu tardivement, avait du mal à se mettre en place - mais pas en matière comptable, j'en serais bien incapable.

M. Le président : En résumé, vous ne voulez pas que le TGI soit chargé de tout ?

Mme Mireille GAZQUEZ : Il y a, aujourd'hui, un besoin réel de redéfinir les contentieux qui doivent être soumis au TGI. En outre, il serait tout à fait illusoire de mettre en place l'échevinage à Lyon, nous ne pourrions pas l'absorber.

M. le Président : Ce que vous évoquiez, c'est la possibilité d'une division du contentieux commercial, les procédures collectives pouvant relever de l'échevinage.

Mme Mireille GAZQUEZ : Tout à fait. Je pense qu'il y a là une jonction facile à faire avec les personnes morales de droit privé.

M. le Président : Votre proposition est tout à fait raisonnable.

Mme Mireille GAZQUEZ : Mais elle ne recueille pas l'approbation de mes collègues juges consulaires !

M. le Président : Je vous remercie, madame, d'avoir accepté notre invitation.

Audition de M. Henri-Jacques NOUGEIN,
président du tribunal de commerce de Lyon

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 1998 à Lyon)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Nougein est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, M. Nougein prête serment.

M. le Rapporteur : La commission veut aller partout, y compris dans des tribunaux qui fonctionnent bien.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Sous réserve, mais il est vrai qu'a priori, il existe des tribunaux qui fonctionnent mieux que d'autres.

M. le Rapporteur : Lyon est l'un des grands tribunaux de France à l'instar de Paris.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ne le dites pas à Nanterre, qui se veut absolument le second.

M. le Rapporteur : Nous souhaitons de ne pas nous limiter aux petits tribunaux dont le ressort correspond à la ville la plus importante du département. C'était le cas des tribunaux de Saint-Brieuc, d'Auxerre ou de Toulon, que nous avons visités.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Mon expérience, non en tant que président de tribunal, mais pour avoir fait un peu le tour de France, est que les petits et moyens tribunaux, comme les grands, fonctionnent parfois très bien. L'ennuyeux, c'est que cela tient souvent à un homme, ce qui n'est pas bon.

M. le Rapporteur : D'une manière générale, c'est l'analyse de la commission. Nous avons le sentiment que le système ne peut reposer, tel qu'il est organisé que sur l'honnêteté, la diligence et le travail d'hommes. Si on les trouve, c'est tant mieux, si on ne les trouve pas, c'est un drame. Cela montre bien la fragilité du tribunal de commerce.

Nous voulions donc faire à Lyon le même travail qu'ailleurs, comme nous le ferons à Paris, car ce sont les deux tribunaux phares de l'organisation consulaire. M. Darne qui m'accompagne a participé à de nombreuses auditions et a été l'un des membres les plus assidus de la commission. Nous avons donc des points de comparaison et sommes en mesure de proposer des analyses, des diagnostics auxquels nous souhaiterions que vous réagissiez.

M. Jacky DARNE : Il est important de comprendre quelles sont les garanties d'autonomie et d'indépendance que donne le statut des juges. Vous aviez en partie traité cette question dans votre rapport.

J'aimerais revenir sur les candidatures et le choix des juges, ainsi que sur la façon dont vous-même exercez votre fonction de président puisque c'est en cette qualité que nous vous entendons ici.

Nous souhaiterions connaître votre organisation, votre méthode de contrôle. Dans un petit tribunal, les affaires sont moins nombreuses, le président peut être informé de tout. Dans un grand tribunal, il n'en est pas de même. Nous aimerions comprendre comment cela est organisé.

En ce qui concerne le recrutement, j'aimerais que vous m'indiquiez si vous pensez qu'il existe des différences de méthode. Vous avez des critères de sélection précis. Quels sont ces critères d'appréciation ? Quatre candidats pour un poste. D'où viennent-ils  ? Comment faites-vous la sélection suivant que l'on est cadre, salarié, patron ou commerçant  ? Enfin, comment portez-vous une appréciation sur les juges ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Pour ce qui est du recrutement, l'hypothèse de quatre candidats pour un poste, s'est confirmée puisque, cette année, pour quatre postes à pourvoir, nous avons douze candidats. Nous sommes en train d'examiner les candidatures. Ces candidats sont présélectionnés par toutes les organisations professionnelles.

M. Jacky DARNE : Lorsque vous dites « toutes les organisations professionnelles », je m'interroge sur le « toutes ». Comment faites-vous pour les contacter ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Elles s'organisent entre elles.

À vrai dire, cette présélection m'importe peu et, surtout, ce n'est pas à moi de régler les problèmes d'équilibre entre les organisations. C'est à elles de le faire.

M. Jacky DARNE : Mais comment ces candidatures vous parviennent-elles ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Elles sont centralisées. Il y a le GIL, qui fédère les différentes fédérations patronales - métallurgie, chimie, etc. - puisque les candidatures viennent de là. Mais, parallèlement, il y a la CGPME, l'Alliance.

Toutes les candidatures nous arrivent par l'intermédiaire du GIL, pour des raisons d'ordre pratique.

M. Jacky DARNE : D'ordre pratique ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Oui. Nous ne voulons pas qu'elles nous arrivent de tous côtés.

À la suite de la réception de ces candidatures, nous convoquons les candidats. Cela s'est fait la semaine dernière. Une commission, composée du vice-président du tribunal et de deux présidents de chambre, les a reçus. Vous verrez tout à l'heure un des membres de cette commission, le président Tavernier, qui est chargé de la formation. Il pourra vous expliquer comment cela se passe.

Tous les candidats sont reçus pendant vingt à trente minutes et ont un entretien avec cette commission, qui essaie de percevoir, autant que faire se peut dans ce laps de temps, leurs motivations, leurs capacités, etc.

Tout cela fait l'objet de fiches d'évaluation. Lorsque les membres de cette commission ont un doute, ils peuvent utiliser des tests psychologiques simples, dont le but est d'apprécier, par exemple, l'aptitude au raisonnement logique. À partir de cette audition, ils établissent une liste de préférence, dans l'ordre de classement de ce qu'ils estiment être la capacité des gens à assumer la fonction, étant entendu que de nombreux facteurs entrent en ligne de compte. La compétence ou le diplôme ne sont pas les seuls facteurs, il y a aussi le problème de la personnalité, car intégrer un tribunal de commerce, cela veut aussi dire, notamment au tribunal de Lyon, faire partie d'une équipe importante. Il faut que les gens aient la capacité humaine de s'intégrer, que ce ne soient pas des caractériels dont le comportement ou le caractère rendaient l'intégration trop difficile.

Nous en avons eu un exemple extrêmement récent. Il s'agissait d'un garçon de qualité, mais qui ne s'est absolument pas intégré dans le groupe. Cela fait partie des qualités nécessaires.

Parallèlement à cette étape, nous diffusons à l'ensemble des juges la liste des candidats pour recueillir leur appréciation. Par exemple, sur les candidats de cette année, j'ai déjà reçu une protestation d'un juge se demandant ce qu'un des candidats venait faire ici. Son cas a été réglé d'avance. C'est manifestement une personne dont la candidature n'aurait jamais dû être envisagée.

Puis, nous essayons de prendre des renseignements à droite et à gauche. Mon souci est, au-delà de la qualité des gens, de leur aptitude à remplir la fonction ou de leur faculté d'intégration, de ne pas voir entrer dans cette maison des gens dont la vie privée, qui leur appartient, puisse rejaillir un jour sur le tribunal. Par exemple, le monsieur qui passe ses nuits au casino, en soi, cela ne me gêne pas, mais cela me semble à la limite de l'acceptable pour quelqu'un qui doit remplir ce type de fonction. Par des renseignements divers, nous essayons donc de savoir si les gens ont la moralité qui correspond à l'idée que l'on se fait de la fonction.

Puis, une réunion a lieu chaque année avec les organisations patronales au cours de laquelle est établie la liste qui, aujourd'hui, est une liste unique. Dans le passé, plusieurs listes étaient présentées en concurrence. En fait, cela dépend beaucoup des relations entre les organisations patronales. Il ne m'appartient pas d'intervenir en la matière. Aujourd'hui, il existe un accord entre toutes les organisations patronales de la région pour présenter une liste unique.

Dans l'établissement de cette liste, l'opinion du président du tribunal est prépondérante. Si je mets mon veto sur un nom, on n'en discute même pas.

M. Jacky DARNE : Sur les douze candidats, pour les quatre postes libres, vous aurez donc une liste de quatre noms ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Nous en retenons quatre.

M. Jacky DARNE : Qu'en est-il ensuite du système d'élection ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ensuite, nous suivons le système administratif : la liste est déposée à la préfecture et les électeurs votent. Ils ont une liste unique. En revanche, ils ont la possibilité de rayer des noms. Et ils en rayent ! Les banquiers sont généralement rayés, pas systématiquement, mais certains le sont au moins dix ou vingt fois. Certaines personnalités un peu connues ont été, dans le passé, rayées. Ensuite, le classement, se fait en fonction du nombre de voix obtenues par rapport au nombre de votants.

M. Jacky DARNE : Quel est le taux de participation ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Il est important, de l'ordre de 50 à 60% dont la moitié vote par correspondance. Le vote par correspondance a permis une meilleure participation.

M. Jacky DARNE : Vous nous avez indiqué dans votre rapport la répartition des juges par âge. Pourriez-vous nous donner leur répartition par statut : retraités, cadre, chefs d'entreprise, etc. ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je n'ai pas le chiffre exact ici. Nous dirons 60% de chefs d'entreprise et 40% de cadres, et sur le total, 20% de retraités à peu près.

Nous avons fixé une règle qui veut qu'en principe, nous n'acceptons pas comme candidat à un premier mandat des personnes ayant dépassé 55 ans. Nous ne voulons pas de gens qui rentrent au tribunal à la veille de la retraite. Un mandat de juge, c'est 12 à 16 ans, il n'est pas possible de commencer à 65 ans, car nous nous retrouverions avec des personnes déconnectées de la réalité des choses et des affaires.

Dans un tribunal, il est utile d'avoir des personnes qui ont du temps disponible, mais aussi il faut aussi des personnes jeunes. C'est ainsi que nous arrivons à une moyenne d'âge des juges de 54 ans.

M. le Rapporteur : Combien de cadres de banque compte votre tribunal ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Cinq à six.

M. Jacky DARNE : En activité ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ou qui viennent de cesser leur activité.

L'année dernière, pour des raisons de circonstances, deux banquiers se sont présentés; cela a suscité des réticences.

M. le Rapporteur : Pourquoi ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Parce qu'un tribunal est composé de chefs d'entreprise et que les relations entre les chefs d'entreprise et les banquiers ne sont pas toujours excellentes. Nos collègues sont extrêmement attentifs au fait qu'il n'y ait pas de surreprésentation. C'est vrai des banquiers comme des autres professions, bâtiment, métallurgie ou autres. C'est extrêmement important car il serait très mauvais qu'une profession ou une activité soit surreprésentée.

M. Jacky DARNE : Comptez-vous des membres de professions libérales parmi vous ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Relativement peu... Il faut des professions libérales comme la mienne, je suis courtier d'assurances. Je suis commerçant juridiquement, j'exerce un peu comme un expert-comptable.

Un de nos collègue a aussi une activité libérale; il est chef d'entreprise mais conseil d'entreprise parallèlement. Mais c'est très rare, cela ne peut être que très rare.

M. Jacky DARNE : Et les experts comptables ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : A Lyon, il n'y a pas d'experts comptables. Je peux en parler savamment, j'ai d'ailleurs reçu hier après-midi des représentants du conseil de l'ordre - une visite protocolaire - et nous avons à nouveau évoqué cette question. Dans ce tribunal, pas sous ma présidence mais sous celle de mes deux prédécesseurs, la question de la présence d'experts comptables a été évoquée en assemblée générale - c'est tout à fait exceptionnel - et les deux fois à l'unanimité, l'assemblée générale du tribunal a refusé le principe d'accepter des experts comptables en son sein.

J'aurai, personnellement, une position plus nuancée car j'admets mal, par principe, l'exclusion d'une profession. Si une profession pose problème, il faut qu'elle soit consciente que la présence de ses membres dans le tribunal soulève une difficulté. Mais, ensuite, c'est une affaire d'hommes. Dire que l'on ne veut pas d'experts comptables ou de banquiers me choque, sur le principe.

Mais il est vrai que, pour les uns comme pour les autres, se pose un vrai problème et l'expérience que nous avons faite avec des banquiers montre bien qu'ils ne peuvent pas gérer des procédures collectives.

Nous en avons fait l'expérience avec l'un de nos collègues, M. Derouy, directeur de banque. Il a été juge-commissaire pendant quinze jours. Nous lui avons d'abord confié une épicerie, puis un dossier plus important ; il nous a dit qu'il ne pouvait pas le traiter parce qu'il connaissait les acteurs. La démonstration était faite que les banquiers ne peuvent pas s'intéresser aux procédures collectives, pour des raisons déontologiques évidentes.

M. le Rapporteur : Et dans le contentieux général ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Le problème est moins aigu. Quand un juge est concerné, naturellement, il se déporte. C'est très facile dans un tribunal comme celui-ci. Il est suffisamment grand. Quand de semblables difficultés se présentent, elles se résolvent facilement.

Mais, un juge-commissaire a un pouvoir juridictionnel propre qui le place en première ligne. Lorsque des banquiers rentrent, je le leur dis. Si un jour, les experts comptables rentraient - ce ne sera certainement pas sous ma présidence -, il faudrait leur expliquer que tout un pan d'activité leur est fermé, en raison de notre conception des choses. C'est un peu gênant quand on pense à ce qu'ils pourraient apporter du point de vue de leurs compétences personnelles. Mais c'est le raisonnement qui a poussé mes collègues à refuser par principe, pour le moment en tout cas, le recrutement d'experts comptables.

En ce qui concerne les conséquences de l'origine des juges sur leur fonction, comment vous répondre ?

Certains juges chefs d'entreprises ont peut-être des réflexes particuliers lors d'une procédure collective, devant tel ou tel dossier. Face aux problèmes psychologiques très durs que vivent les chefs d'entreprise, ils sont peut-être plus accessibles à certains raisonnements. Cela ne veut pas dire qu'à l'inverse, les cadres soient des machines à juger et voient les choses de manière très déshumanisée. Pas du tout.

Je ne peux honnêtement pas dire qu'il y ait une différence de perception des problèmes selon que les gens sont patron de leur entreprise ou cadre d'une entreprise. De plus, à Lyon, il est très rare que les cadres d'entreprise appartiennent à de grandes structures. Ce sont tous des employés de PME, par exemple, tels que des directeurs des relations humaines, c'est-à-dire qu'ils sont très proches de la réalité. Ce n'est pas, comme cela peut arriver ailleurs, des gens qui sont dans des hiérarchies tellement complexes et déshumanisées qu'ils ne connaissent plus la réalité des choses. A Lyon, même les cadres sont, en général, assez proches de la réalité du terrain.

M. Jacky DARNE : S'agissant des procédures internes d'organisation et de suivi des dossiers, combien y a-t-il de juges ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Théoriquement 64, mais ce nombre n'est jamais atteint.

M. Jacky DARNE : Le nombre de dossiers est important...

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Nous devrions être plus nombreux. Si vous comparez notre activité à celle de Marseille qui compte 80 magistrats, nous devrions être plus d'une centaine.

M. Jacky DARNE : Quelle est l'organisation du travail, comment les dossiers sont-ils affectés à chaque juge ?

Comment concevez-vous votre travail de président ? Quelle responsabilité ? Quelle organisation ? Quels mécanismes ? Quels contrôles ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : En ce qui concerne l'affectation des dossiers, qu'il s'agisse du contentieux général ou des procédures collectives, 99% - c'est une image, ce n'est pas un pourcentage rigoureux - des dossiers sont affectés à l'aveugle soit par le secrétariat, soit par le greffe. Je n'interviens pratiquement jamais.

En matière de contentieux général, il peut m'arriver d'intervenir lorsque l'on me signale un dossier particulièrement difficile ou complexe pour l'affecter à certains juges plutôt qu'à d'autres.

En matière de procédures collectives, l'année dernière, sur 700 procédures, je suis peut-être intervenu dix fois. Je choisis les juges-commissaires auxquels les dossiers seront confiés parce que tous les juges-commissaires n'ont pas la même compétence. Mais cela reste - et je tiens beaucoup à ce que cela reste - marginal.

Je suis extrêmement attentif à ce que cette règle soit respectée par tout le monde, à savoir que des juges qui pourraient avoir un intérêt particulier à tel ou tel dossier ne cherchent pas à se faire désigner.

M. le Rapporteur : Cela s'est-il déjà produit ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'est très rare, mais cela peut arriver.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu des cas ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'est très rare, mais cela peut arriver. J'y suis attentif.

M. le Rapporteur : Comment gérez-vous cela psychologiquement et juridiquement ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Cela se gère très simplement. Lorsque cela se produit, j'interviens et rectifie la désignation du juge, je redistribue le dossier et je fais savoir à tout le monde, comme j'ai eu l'occasion de le faire extrêmement récemment puisque j'ai même fait une circulaire écrite, qu'en aucun cas, une désignation ne pouvait se faire autrement que par le circuit automatique du personnel de greffe et du secrétariat. Il ne pouvait y avoir de dérogation à ce principe sans mon accord exprès et préalable.

Je dis parfois en plaisantant que la fonction d'un président est de dire non. Si l'on voulait résumer en deux mots, ma réponse serait celle-là. Pour être plus précis, il faut être toujours vigilant, ne pas être naïf et dire pratiquement toujours non, parce que tout ce que l'on me demande, tout ce qui attire mon attention suppose en général une réponse négative. Donc, de la vigilance, de la rigueur et le pouvoir de dire non. Je ne peux être plus clair.

Il ne faut pas être innocent, nous avons des pouvoirs considérables. Nous sommes au centre de jeux d'intérêt qui sont tout sauf innocents. Il est donc extrêmement important que le président de la juridiction et les personnes en qui il a confiance soient attentifs à tout risque de dérapage.

M. Jacky DARNE : Lorsque vous indiquiez votre volonté qu'un juge ne soit pas désigné s'il est en relation avec telle société ou telle entreprise, cela suppose que vous en soyez averti.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Cela suppose que je sois informé. Mais vous n'imaginez pas le nombre d'informations que je reçois de tous côtés.

M. Jacky DARNE : Malgré tout, on ne peut pas, chaque fois qu'il y a un retard judiciaire dans un dossier, une ambiguïté, remonter au président.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Le retard dans un dossier, c'est une faute négligeable, un peu secondaire. Le plus grave à mon sens, c'est le risque de confusion d'intérêts. Sans doute des choses m'échappent-elles. Je n'ai pas la prétention de tout voir et de tout contrôler. Je dis simplement que je dispose d'une multiplicité d'informations ; celles-ci ne viennent pas seulement de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur, elles peuvent être motivées par la jalousie des uns par rapport aux autres. Il faut commencer par trier ces informations parce que certaines mises en cause extérieures de juges étaient dues à des campagnes d'intoxication fantastiques.

Je ne dois pas tout prendre pour argent comptant. Il est de ma responsabilité de trier, de recouper, de chercher à comprendre.

En tout cas, dès qu'il y a la moindre hésitation, le dossier est retiré au juge ou, s'il est difficile de le lui retirer, je fais en sorte de... comment dire ?...de court-circuiter toute tentative de dérapage. Et surtout, on délocalise.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Si vous craignez que sur un dossier, un juge n'ait pas toute l'objectivité nécessaire et qu'il soit difficile de lui retirer le dossier parce que l'on n'a pas de preuve, on peut parfaitement faire passer des messages à l'auxiliaire de justice, du style : « Mon attention a été attirée sur tel dossier, je vous demande de me tenir personnellement et directement informé de son évolution. »

M. le Rapporteur : Une sorte de droit d'évocation.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : En général, les gens comprennent très vite et si un auxiliaire de justice constate une anomalie commise par le juge dans son dossier et que le président du tribunal lui a fait comprendre - c'est tellement rare - qu'il suivait personnellement le dossier, il n'y aura pas de dérapage.

M. le Rapporteur : Pour résumer, vous êtes l'organe de régulation, de contrôle et de police permanent, interne au tribunal. Tout repose donc sur votre personnalité, la vision que vous avez de votre mandat. Il n'est pas inexact de le dire ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Dans toute organisation, le rôle du responsable est essentiel. J'ajoute que dans un tribunal comme celui de Lyon - cela complète ma réponse à la question de M. Darne - certaines fonctions sont déléguées. A Lyon, on ne peut pas tout faire, tout voir. Par contre, je lis tous les courriers qui me sont envoyés, j'y réponds personnellement, sauf cas exceptionnels. Mais si je ne réponds pas, c'est que j'ai de bonnes raisons de ne pas répondre. Autrement, je réponds à tous les courriers, même à ceux qui semblent les plus anodins.

Il y a quand même toute une équipe, toute une structure. Le vice-président n'est pas inactif - vous ne le verrez pas aujourd'hui puisqu'il est à l'étranger -, et nous avons des juges délégués, des présidents de chambre. Le système repose beaucoup sur les présidents de chambre que j'ai voulu beaucoup responsabiliser quand j'ai pris mes fonctions. Nous avions auparavant au tribunal une tradition qui voulait qu'à l'ancienneté, tout le monde devienne président de chambre.

Mon prédécesseur avait commencé à modifier cette règle et je l'ai suivi dans cette voie. Maintenant la règle, qui a été adoptée par l'assemblée générale du tribunal, est que les fonctions de président de chambre ont une durée limitée à quatre ans, de façon à ce que les gens ne demeurent pas président de chambre éternellement et bloquent les tableaux. On devient président de chambre si le collège des présidents de chambre en exercice estime que telle personne qui, dans l'ordre chronologique, doit l'être, a la capacité pour l'être. Certaines personnes ne l'ont pas été.

M. le Rapporteur : Siégez-vous parfois ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je n'en ai malheureusement pas le temps. Je le regrette parce que j'ai été pendant quatre ans juge chargé du contrôle et de la coordination des référés. J'ai fait beaucoup de référés, c'était une matière qui m'intéressait beaucoup. Honnêtement, je n'ai plus le temps.

De temps en temps, pour le symbole, je préside une audience de procédure collective.

M. le Rapporteur : Vous est-il arrivé de transformer la composition d'une juridiction au vu d'un ... d'un certain nombre d'éléments d'un dossier ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Non.

M. le Rapporteur : Ou vous-mêmes de décider d'évoquer l'affaire et de prendre la présidence ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : De prendre la présidence de l'affaire, jamais, car je pense que c'est une mauvaise chose.

Nous pouvons parler d'un dossier que vous avez vu ce matin, qui est le dossier Maxi-Livres.

Maxi-Livres est une affaire qui me semble exemplaire. Dès le départ, ce dossier, par rapport à son impact médiatique dont je ne m'explique pas les causes, d'ailleurs...

M. le Rapporteur : Elle a défrayé la chronique locale ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Et nationale. On en a parlé dans Les Échos. Il est vrai qu'il s'agissait d'une grosse affaire, comptant mille salariés, cotée en Bourse, avec des dirigeants qui avaient obtenu des crédits très importants des banques, qui n'étaient pas contentes...

Pour des raisons que j'ignore, cette affaire a eu un impact médiatique quasi immédiat alors que d'autres affaires dont nous avons eu à traiter qui étaient tout aussi importantes, sinon plus, en termes de conséquences économiques, n'ont pas été aussi « couvertes ». Ce sont les mystères de la gestion médiatique.

Dès le départ, mon attention a été attirée par cette affaire, par son impact médiatique et aussi par - je ne sais comment vous l'expliquer, parce que ce sont des choses que l'on ressent mais qu'il est difficile de transcrire - une ambiance qui n'était pas bonne. On en parlait trop. Des gens qui n'étaient pas concernés directement...

M. le Rapporteur : Qui ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Pas au tribunal lui-même, mais dans le microcosme lyonnais.

M. le Rapporteur : Pas les politiques ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Non, pas les politiques. Je n'ai aucun rapport personnel avec des hommes politiques quels qu'ils soient, élus locaux ou nationaux. Mais dans le milieu économique, des banquiers, etc., dans les cocktails, je trouvais que l'on parlait beaucoup trop de Maxi-Livres. Mon attention a donc été attirée et j'ai été extrêmement attentif au déroulement de l'affaire, sans m'en mêler à aucun moment.

M. le Rapporteur : Sur quels critères avez-vous choisi le juge-commissaire ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : En fonction de sa compétence et de ce que j'estimais être sa grande rigueur morale. Il n'y a pas que lui dans ce cas, mais peut-être que sur ce dossier, je n'en aurais pas choisi d'autre, non en raison d'une moindre rigueur morale, mais peut-être parce qu'ils étaient jugés plus influençables.

M. le Rapporteur : Le juge-commissaire était M. Lemarchand.

M. Jacky DARNE : M. Peillon était président de la juridiction.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Il régnait donc une ambiance qui, sans être malsaine, n'était pas, à mon sens, celle dans laquelle doit se dérouler un dossier. Le dossier était très compliqué à gérer. La procédure s'est déroulée normalement.

Je ne m'en suis pas mêlé, je me suis tenu au courant. Puis, est venu le moment de la décision et c'est là que je suis intervenu. C'est la raison pour laquelle je pense que le président doit être toujours en retrait par rapport à ces dossiers, sauf dans des cas exceptionnels.

Puis, est venu le moment de désigner la formation de jugement. J'ai voulu prendre toutes les précautions possibles et imaginables pour ce dossier que je sentais difficile, où je savais qu'il y avait des risques, non de dérapage mais d'interventions, de dysfonctionnements, où les relations entre les différents repreneurs étaient tendues.

J'ai donc confié la présidence de la formation de jugement à M. Peillon puisque c'est lui le président de la chambre spécialisée qui gère cette matière. Pour le reste, je lui ai dit de composer la chambre comme il le souhaitait. Il m'en a parlé naturellement et nous avons essayé de prendre les juges qui nous apparaissaient les plus sereins et les plus compétents, en fonction de leur disponibilité.

Pour répondre à votre question, cela ne me choque pas que sur des affaires très exceptionnelles, le président intervienne pour constituer une formation de jugement spéciale.

Mais cela reste l'exception. Je disais tout à l'heure que j'étais intervenu peut-être une dizaine de fois au cours de l'année écoulée pour désigner des juges-commissaires sur 1700 dossiers. Je suis peut-être intervenu deux ou trois fois l'an dernier, ou même depuis que je suis en fonction, pour faire une formation de jugement spéciale pour traiter telle ou telle affaire.

M. le Rapporteur : Cela fait combien de temps que le plan de continuation a été décidé ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Six mois à peu près.

M. le Rapporteur : Êtes-vous a posteriori satisfait de la décision ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : La décision prise n'est pas mon problème. La manière dont la décision a été prise, la méthode utilisée alors...

M. le Rapporteur : Mais sur le fond, pensez-vous que le tribunal se soit trompé ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je n'ai pas d'avis. Je ne m'en suis absolument pas occupé. Je n'ai en aucun cas participé. On ne m'a pas demandé mon avis.

En revanche, j'ai été extrêmement satisfait de la manière dont s'est déroulée l'audience, qui a commencé à 8 heures 30 le matin et fini à 19 heures. Elle me semble avoir été tenue de manière absolument exemplaire sur le plan du respect du contradictoire. Tout le monde a été entendu. Tous les incidents ont été notés. Je n'ai pas entendu un mot de reproche sur la manière dont le tribunal avait traité cette affaire. Que la décision ait plu ou déplu - elle a sûrement plu à l'un et déplu à l'autre - c'est le problème de la souveraineté et de la décision du tribunal, d'autant que je ne m'en suis absolument pas mêlé.

Il m'importait avant tout - et il était essentiel que je sois en retrait, pour contrôler les éventuels dérapages - que l'audience se déroule dans de bonnes conditions, qu'il n'y ait pas d'incidents ou que ceux-ci soient vite désamorcés, que tout soit d'une transparence complète, que tous soient entendus, qu'en cas d'incident, celui-ci soit tranché, que ce soit exemplaire sur le plan de la conduite procédurale. J'ai la faiblesse de penser que ce fut le cas.

M. Jacky DARNE : Je voudrais maintenant évoquer une activité que vous assumez personnellement, et qui est importante, celle des procédures amiables.

Je sais bien que vous êtes chargé d'une réflexion en ce domaine et notre commission d'enquête, qui s'intéresse à un champ plus large que le fonctionnement du tribunal de commerce, se doit d'évoquer ces procédures.

Aussi, ma première question portera sur le risque que présente aujourd'hui cette procédure amiable, qui est en réalité utilisée pour éviter l'ouverture d'une procédure collective. Le tribunal n'étant pas saisi, ne pensez-vous pas qu'il y a un risque de détournement de procédure ?

Comment, dans l'exercice de cette activité, vous protégez-vous contre une telle dérive ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Sur le plan du principe, il y a bien sûr un risque que des dossiers qui pourraient être traités dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire, ne soient détournés de cette procédure légale, qui a le mérite de la transparence, pour être traités dans le secret et la confidentialité.

Ce risque, selon mon expérience et ma pratique, je suis tout à fait prêt à l'assumer parce que les résultats obtenus avec ces procédures sont exceptionnels.

J'ai une conviction qui n'est pas récente, mais est antérieure à mon entrée en fonction et que j'ai expérimentée de nombreuses fois : on ne règle pas comme il faut les difficultés d'une entreprise dans un cadre judiciaire. Le cadre judiciaire, c'est le moyen d'apurer des dettes, de céder des actifs, de régler le sort d'une entreprise morte, ou quasiment morte.

Comment peut-on, quand on sait ce qu'est une entreprise, imaginer que l'on puisse la faire revivre - ce n'est pas une critique mais un constat - enfermée dans un cadre légal ?

La véritable solution à la survie de l'entreprise, à la préservation des richesses et des emplois est la prévention. On arrive par les règlements amiables et par les mandats ad hoc, peu importe la méthode, à des solutions exceptionnelles, dans des situations où, à l'évidence, l'ouverture d'une procédure signifierait la mort de l'entreprise.

J'ai eu à traiter des cas où il y a eu interférence avec la puissance publique parce qu'il faut des agréments, etc., et où l'on savait que le dépôt de bilan entraînerait le retrait immédiat de l'agrément. Il y avait des centaines d'emplois en jeu. Évidemment, cela ne se sait pas parce que c'est confidentiel.

Comment fait-on ?

On essaie là aussi d'être rigoureux. Par contre, là, il n'y a pas d'écran entre le président et la conciliation, si ce n'est le conciliateur. Il est évident que le président suit cela de très près et que parfois il n'en dort pas la nuit.

M. Jacky DARNE : Il y a une contradiction entre ce que vous dites et ce que j'ai observé sur 1997.

J'ai demandé à votre secrétariat de me sortir l'ensemble des dossiers de règlement amiable. Il y en a vingt-huit. Dans ces vingt-huit, en réalité, il y a la série des hôtels qui correspondent à je ne sais combien de dossiers réels. Par rapport aux 1700 procédures collectives qui sont ouvertes ici, une proportion de l'ordre de 1 % n'est-elle pas dérisoire ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Pas du tout.

M. Jacky DARNE : De plus, on se rend compte que, sur certains dossiers, il a fallu six mois pour constater l'échec. Est-il alors intéressant d'envisager ces procédures ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Vous rapportez les procédures de prévention à l'ensemble des procédures collectives mais ce n'est pas ainsi qu'il faut comparer. Sur les 1700, 90% sont malheureusement des liquidations judiciaires. Il faut donc plutôt rapporter cette vingtaine à 100 ou 150 dossiers qui font l'objet d'un redressement judiciaire.

Je constate que dans les grands tribunaux de commerce, - c'est en train de devenir vrai à Lyon -, l'on aboutit à autant de solutions par les règlements amiables ou les mandats ad hoc que l'on prononce de plans de continuation. Vous pourrez vérifier en d'autres lieux cette appréciation que je vous donne.

Il faut considérer la manière dont on aborde ces règlements amiables. Une vingtaine seulement, dites-vous, mais il faut voir que je suis très vigilant sur les conditions d'ouverture des règlements amiables... Je peux me tromper, ce n'est pas moi qui négocie. Ensuite, il y a un créancier, un débiteur. Ils se mettent d'accord ou pas. Mais à Lyon, cela échoue relativement peu souvent parce les conditions d'ouverture sont strictes.

Les choses se passent de la manière suivante...

M. Jacky DARNE : Prenez l'exemple de l'hôtellerie.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : En l'occurrence, ce qui va se passer au niveau de l'instance judiciaire sera ce qui ne s'est pas passé au niveau du règlement amiable, ce qui apporte de l'eau à votre moulin. Quelqu'un est venu me voir en me disant qu'il voulait essayer de discuter avec les banquiers, parce que c'était cela le problème : trop de dettes, trop d'argent prêté. J'ai pensé qu'il n'y avait d'autre risque de mettre face-à-face les banquiers et le chef d'entreprise, que celui d'aboutir à un accord.

L'accord, pour des raisons diverses, n'a pas abouti. Dans le cas du redressement judiciaire, les banquiers verront leur créance étalée dans le temps ou seront obligés de la réduire s'ils ne veulent pas tout perdre.

Sur le plan pratique, je suis le seul à gérer les procédures de prévention à Lyon. La matière n'est pas déléguée. Il y a des juges chargés de la prévention, ils reçoivent...

M. Jacky DARNE : C'est la raison pour laquelle je vous interroge avant.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ce n'est pas la peine de leur poser la question, ils sont incapables de répondre; c'est une matière qui est uniquement entre mes mains.

Il y a des juges délégués à la prévention, ce sont eux qui font les entretiens préventifs, mais la matière des règlements amiables et des mandats ad hoc, relève du président.

M. Jacky DARNE : Je souhaiterais quelques petites précisions. Comment choisissez-vous le mandataire ad hoc, et comment établissez-vous sa rémunération ? Il reçoit 15 000 francs, par exemple, pour le rapport que j'ai lu, alors qu'il me semble que l'essentiel du travail a été fait par le rapport d'expertise comptable. Le mandataire fait un rapport que je ne veux pas qualifier parce que je ne veux pas porter de jugement qualitatif, mais cela vaut-il 15 000 francs ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'est une très bonne question, que me posent d'ailleurs régulièrement les administrateurs judiciaires, car vous savez sans doute qu'à Lyon, nous ne faisons pas appel à des administrateurs judiciaires.

M. Jacky DARNE : En l'espèce, c'était M. Gaussorgues.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : M. Gaussorgues a eu deux dossiers. Vous êtes tombés par hasard sur ce dossier, mais il en a eu deux ou trois et, depuis un an, il n'en a plus parce qu'il ne veut plus en faire. M. Gaussorgues était l'ancien vice-président du tribunal. Il s'est arrêté pour des raisons personnelles.

Comment sont-ils désignés ? A Lyon, il y a une tradition, qui me convient très bien, selon laquelle on ne désigne pas d'administrateur judiciaire et on s'adresse aux anciens magistrats du tribunal. Actuellement, il y a deux anciens présidents du tribunal et deux anciens présidents de chambre. Ce sont des gens qui ont une très grande expérience de la chose et qui, d'ailleurs, ne sont pas désignés uniquement par le tribunal de Lyon, mais par bien d'autres tribunaux.

Je les choisis en fonction de leur personnalité, de leurs compétences, en essayant d'adapter celles-ci à la nature du problème. Dans certains dossiers se posent des problèmes techniques complexes de restructuration d'entreprises, ou des questions de conflits entre actionnaires. Il n'est pas évident que les dossiers soient interchangeables. Dans certaines situations, il faut des gens plus diplomates que fonceurs, etc.

S'agissant de leur rémunération, les 15 000 francs que vous évoquiez correspondent au montant prévisionnel qui ouvre toutes les procédures, sauf cas exceptionnel. Cette rémunération, c'est évidemment moi qui la taxe. Mais il ne faut pas oublier que l'on est dans une procédure amiable, qu'elle résulte en définitive d'un accord entre le débiteur et la personne que j'ai nommée, puisqu'ils en discutent entre eux, que sur les rémunérations de ces personnes, depuis que je suis en fonction, je n'ai jamais eu une seule observation, à l'exception des avocats qui considèrent que ces rémunérations sont trop basses par rapport aux honoraires qu'ils demandent pour ce type de procédure et qui font pression parfois sur les mandataires en ce sens.

Je sais bien que dans d'autres tribunaux, des non-professionnels ont été honorés à des hauteurs, j'allais dire faramineuses. En fait, je n'en sais rien ; je ne connais pas les dossiers, mais les chiffres semblent extraordinaires.

A Lyon, l'honoraire moyen doit être de l'ordre de 25 000 à 30 000 francs. J'ai taxé une seule fois un honoraire important, qui m'avait été proposé à 100 000 francs pour un dossier sur lequel le conciliateur avait travaillé six mois à plein temps; j'ai dit que c'était insuffisant par rapport au travail fait et je l'ai taxé à 150 000 francs.

N'oubliez pas que ces gens n'ont pas besoin de cet argent pour vivre, ils sont à la retraite. Sur ces sommes, ils supportent des charges sociales très importantes car ils sont obligés de s'inscrire et de cotiser à tous les organismes de travailleurs indépendants. Cela ne se fait pas dans la clandestinité. Ils paient des impôts très importants. Tout cela pour dire que ce n'est vraiment pas un problème d'argent et que très souvent, ils n'arrivent même pas à se faire honorer.

M. Jacky DARNE : Le tarif du greffe ne fait pas plus l'objet de précisions que celui du mandataire ad hoc ou du conciliateur. Par exemple, sur ce dossier, le greffe demande une provision de 1500 francs.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Vous me l'apprenez. Je n'en savais rien.

M. Jacky DARNE : Il y a une note de 15 000 francs résultant de votre ordonnance et, par ailleurs, le greffier demande une provision de 1500 francs. Je ne dis pas que le greffier n'ait rien fait, mais il n'y a pas de tarification. Il y a donc un vide juridique sur ce point.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je ne sais pas sur quoi s'appuient les greffiers.

M. Jacky DARNE : Donc, si j'ai bien compris ce dossier, les hôtels sont actuellement en ...

M. Henri-Jacques NOUGEIN : En règlement judiciaire.

M. Jacky DARNE : En ce qui concerne le deuxième dossier de procédure amiable que j'ai regardé, un certain M. Tamalet était désigné...

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'était mon prédécesseur. Il a eu deux dossiers, puis, il a arrêté.

M. Jacky DARNE : Dans ce dossier, le tarif est le même. C'est le rapport de l'année précédente. Il s'agit d'une affaire qui était il y a dix ans en règlement judiciaire. Est-il normal d'utiliser une procédure amiable dans un dossier dans lequel on est en train d'apurer un passif vieux de dix ans ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : À mon avis, toute méthode légale - légale, bien sûr - qui permet de sauver une entreprise est une bonne méthode.

M. Jacky DARNE : Je ne sais pas si le rapport est complet ou non. Mais lorsque vous avez pris cette ordonnance, qui date du 16 janvier 1997, vous avez écrit que le mandataire ad hoc, M. Tamalet, avait deux mois pour déposer son rapport et vous avez indiqué un tarif. Mais, dans le dossier, il n'y a pas le rapport.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Non, parce qu'ils ont déposé le bilan une semaine après.

J'avais reçu ces gens qui m'avaient dit avoir un problème d'actionnaires. Passons sur les détails, c'était des histoires familiales. Et ils me demandaient si l'on pouvait résoudre ce problème. J'ai désigné M. Tamalet, qui s'est tout de suite rendu compte qu'il n'y avait rien à faire. Il me l'a dit. Point final. Il n'a même pas fait de rapport.

M. Jacky DARNE : Et il a reçu 15 000 francs quand même ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Il s'agit d'une ordonnance qui ordonne la consignation au départ, mais je suis certain qu'il n'y a aucune ordonnance de taxation dans ce dossier. Il a pris zéro franc, zéro centime. Il aurait été inconcevable qu'il prenne de l'argent pour une affaire comme celle-là.

Vous parliez de M. Gaussorgues. Dans un dossier qui concernait une petite entreprise, alors qu'il avait beaucoup travaillé, M. Gaussorgues a dû prendre 6000 ou 7000 francs, alors qu'il y avait une ordonnance de consignation de 15 000 francs. Il en a discuté avec le chef d'entreprise qui lui a dit qu'il concevait qu'en raison du travail accompli, on puisse lui demander de tels honoraires, mais que s'il lui demandait les 15 000 francs, il ne pourrait pas les payer car ils lui manqueraient pour régler autre chose.

Non, vraiment, ces gens ne font pas cela pour de l'argent. Je n'ai jamais eu la curiosité de le leur demander, mais je sais comment cela se passe. Si l'on fait le bilan du temps qu'ils y passent, des frais qu'ils engagent - car dans certains dossiers, ce sont des allers-retours toutes les semaines à Paris - et de ce qui leur reste une fois payés tous les organismes sociaux obligatoires, c'est vraiment pour le plaisir et l'intérêt qu'ils y portent.

M. Jacky DARNE : Je vous demandais cela parce qu'il y avait une perte de 5,5 millions sur des capitaux propres...

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Sur Surgis ? Oui, mais je vous l'ai dit, dans cette affaire, il s'agissait d'actionnaires, de frères qui étaient en conflit. Ils sont venus me voir pour essayer de résoudre leur problème avec une personne extérieure. M. Tamalet, en une heure, a vite compris et leur a conseillé de déposer le bilan.

Le hasard a fait que vous êtes tombés sur deux échecs. Heureusement, il y a aussi des résultats positifs qui sont assez extraordinaires.

M. le Rapporteur : Je voudrais aborder la question des rapports avec les mandataires, puisque le parquet que nous avons auditionné a fait état d'un certain nombre de règles informelles ou écrites établies entre le tribunal et les AJMJ. J'ai moi-même vu dans le dossier Maxi-Livres une intervention de votre part sur le montant des honoraires des deux administrateurs judiciaires, dont vous constatiez que les émoluments pouvaient légalement s'élever à une hauteur de plus de 3 millions de francs. Vous avez obtenu un accord de ces deux administrateurs ramenant leurs honoraires à 1,8 million de francs.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Nous n'aurions pas obtenu cet accord, cela aurait été pareil. Comme vous le savez, au-delà de 400 000 francs, j'ai la faculté d'intervenir. Mais c'est aussi bien d'obtenir l'accord des gens.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que cette somme ait été excessive ou méritée ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je ne peux décemment pas renier ma signature.

M. le Rapporteur : Oui, mais il y a la loi.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : La loi permettait 3 millions.

C'est un dossier dans lequel tout le monde a fait un travail très important. Cela a été négocié très étroitement entre le juge-commissaire et le mandataire. Je pense que cette rémunération était correcte. C'est la raison pour laquelle je l'ai acceptée.

J'ai connu de nombreux problèmes en ce qui concerne les rémunérations. Mon prédecesseur avait réduit la rémunération d'un mandataire qui pensait qu'avec moi cela se passerait mieux. Il n'avait sans doute pas compris que l'on avait une idée de la fonction et de la continuité de la fonction et que ce n'était pas parce que les hommes changeaient que l'appréciation pouvait changer. J'ai eu un gros problème avec un mandataire sur un point qui me parait scandaleux. Sur des histoires comme Maxi-Livres - ce n'est pas d'eux qu'il s'agit - vous avez 80 personnes morales, qui en fait constituent la même unité économique; le mandataire dit que c'est 80 fois 15 000. Mon prédécesseur a refusé, j'ai refusé et, ensuite, on fait de la procédure. On va au TGI, puis à la cour d'appel.

J'ai aussi connu un problème important, hérité de mon prédécesseur, avec un mandataire qui n'est plus en exercice. Maître Gatt, pour ne pas le nommer, avait soumis à mon prédécesseur des taxations d'honoraires sur des affaires très anciennes. Mon prédécesseur lui avait dit tout net qu'il refusait et acceptait de ne lui en payer que la moitié. Maître Gatt a refusé.

M. le Rapporteur : Qui est maître Gatt ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Maître Gatt est un ancien syndic, actuellement à la retraite.

Le dossier m'est parvenu, on m'a soumis le problème. Même cause, mêmes effets. M. Tamalet avait pris une position, il était hors de question que j'en prenne une différente. Nous avons essayé de discuter et n'y sommes pas parvenus. Entre-temps, maître Gatt s'est fait justice lui-même puisqu'il a prélevé sur les fonds dont il avait le contrôle les sommes correspondantes. Il a été pris et condamné, c'est bien fait pour lui.

N'empêche que maître Gatt continue à nous soumettre ses honoraires et que je vais être obligé de les taxer. Je prends beaucoup de précautions. J'ai fait ressortir tous les dossiers par le secrétariat du greffe pour vérifier si les actions et les dossiers qu'il indique sont bien à son nom. Pour le moment, nous échangeons des correspondances. Mais je vais être obligé de taxer. Si je ne taxe pas, il va attaquer l'État. Il a droit à ces sommes. Que ce soit choquant, certes, mais la loi ne prévoit pas de prescription. Il a droit, même dix ans après, aux sommes prévues par la loi. Simplement, lorsque j'aurai tous les éléments, je vais me faire le plaisir de rendre une ordonnance motivée, cas par cas, rappelant l'historique. Mais, cela ne changera rien puisqu'il a droit à ces sommes.

S'agissant de la rémunération des mandataires, vous savez ce que j'en pense sur le plan général. J'ai cité ces deux exemples parce qu'ils illustrent les difficultés que l'on peut rencontrer, avec certains heureusement, pas avec tous. Il y a d `autres exemples. Dans les dossiers que vous avez vus, à ma connaissance, ils ont accepté de diminuer leurs honoraires de moitié. Ce sont des gens intelligents qui, pour leur grande majorité, sont capables de comprendre les choses.

Mais, le tarif me paraît inadapté.

Je suis frappé par le fait que ce tarif date de 1985 ; tous les dix ans, on dit qu'il est inadapté. Cela veut peut-être dire qu'il y a un vrai problème sur la détermination des modalités de rémunération des mandataires. Si c'était simple, on aurait certainement trouvé la solution depuis longtemps.

A Lyon, les AJMJ sont des gens très raisonnables. Il y a très longtemps que, par convention avec nous, la rémunération de 5 % sur les créances contestées a été abandonnée.

Ce qui m'a beaucoup irrité, ainsi que mes prédécesseurs, c'est le recours à la sous-traitance, aux intervenants externes.

M. le Rapporteur : Où en êtes-vous sur ce point ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Un peu d'histoire : il y a dix ans, le président Tollet prenant ses fonctions a convoqué les administrateurs et les mandataires pour leur dire : « Si j'ai bien compris, vous avez un organisme qui gère les créances salariales. C'est très bien, mais c'est la procédure qui paie cet organisme et vous, vous percevez vos rémunérations. » Le président Tollet, quinze jours après son entrée en fonction, leur a donné dix jours pour régler cela : « Vous gardez votre organisme; il fonctionne bien. Mais je ne veux plus voir un centime sortir de la procédure. Si vous estimez que vous devez faire appel à des intervenants extérieurs, c'est très bien, mais c'est vous qui les payez de votre poche. »

Mais les hommes étant ce qu'ils sont, le recours aux intervenants extérieurs a repris. Non seulement on a fait intervenir des personnes extérieures pour faire le travail des administrateurs - je n'ai reçu qu'une seule lettre, mais j'imagine que cela s'est produit plusieurs fois -, mais on leur a confié la mission juridique d'admettre des créances. On marche sur la tête !

Nous avons donc remis sur le chantier le problème des intervenants extérieurs dans le cadre d'une cellule de concertation permanente, étant entendu que le problème du traitement des salariés est réglé depuis longtemps. Ils ont un organisme, et c'est très bien, dont on n'entend pas parler et il n'y a pas un centime qui sort de la procédure pour le financer. Un juge, que vous verrez tout à l'heure, M. D'Aubarède, est chargé d'examiner ces sujets avec eux et d'essayer d'aboutir à des solutions consensuelles sur telle ou telle question, étant entendu que si l'on n'aboutit pas à des solutions consensuelles, on prend des décisions d'autorité.

Mais il existe un dialogue permanent avec les mandataires et les administrateurs au cours duquel, très librement, ils échangent des opinions pour essayer d'améliorer les choses. Cela peut porter sur des choses importantes comme ce dont nous parlions, ou sur des points de détail concernant le fonctionnement des audiences, la présentation des dossiers, etc. Nous venons d'achever une étude assez longue pour mieux gérer le problème des sanctions et la gestion de la procédure des sanctions.

Donc, en ce qui concerne la rémunération des intervenants extérieurs, il est hors de question que j'admette que les mandataires fassent intervenir des gens payés sur la procédure ou par prélèvement sur les créances recouvrées, ce qui revient au même, alors que, par principe, ils sont rémunérés pour le faire. Certains m'ont fait observé qu'ils n'étaient pas compétents pour le faire. Cela m'a fait bondir et j'ai dit à mon interlocuteur que je n'admettais pas qu'un professionnel me dise ouvertement qu'il n'était pas compétent pour remplir la fonction qui lui est confiée par la loi.

Nous avons abouti à un document, que je vais vous remettre, précisant que toute intervention extérieure doit faire l'objet d'une ordonnance du juge-commissaire, sur requête motivée du mandataire, faisant ressortir les intérêts en jeu. En particulier, en matière de recouvrement de créances, l'accord préalable du juge-commissaire est requis dans tous les cas. La sous-traitance ne peut être que technique ; les fonds recouvrés par l'intervenant extérieur doivent être immédiatement adressés au mandataire et le mandataire judiciaire renonce expressément à percevoir une quelconque rémunération au titre de la tâche sous-traitée...

M. Jacky DARNE : Cela concerne donc les mandataires. Mais cela vise-t-il également les administrateurs ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Tout le monde.

Ce document date de septembre 1997. Je vais vous donner copie de la lettre qu'ils m'ont adressée collectivement le 4 novembre 1997, dans laquelle ils indiquent qu'avant de me faire part de leur position, ils interrogent leur conseil national. Je ne sais s'ils ont des problèmes de transmission, mais je n'ai pas eu de nouvelles depuis le 4 novembre 1997.

M. Jacky DARNE : Sur le dossier Maxi-Livres, notre Rapporteur a évoqué la taxation de 1,8 million. Le travail d'expertise comptable, ou son équivalent, a-t-il été payé par l'administrateur ou est-il en sus ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je suis incapable de vous répondre.

M. Jacky DARNE : J'ai regardé cela rapidement. Il s'agit de Coopers et Lybrand. Le travail des administrateurs qui font leur rapport reprend à l'évidence le travail initial. C'est la raison pour laquelle je voudrais savoir,...

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je ne sais pas.

M. Jacky DARNE : ... car la somme de 1,8 million de francs ne se justifie pas de la même façon selon les cas.

Ce n'est pas pareil non plus - ce n'est pas le cas de Maxi-Livres - quand, dans certains cas, le rapport de l'administrateur n'est que la photocopie du rapport d'audit.

Vous êtes donc d'accord avec moi ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Tout à fait. Pour en finir avec la question, il me semble que la loi devrait être claire et incontournable en la matière pour que les règles soient les mêmes partout.

M. le Rapporteur : C'est l'un des objets de cette mission.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Les administrateurs d'ici peuvent se dire qu'ils sont moins bien traités parce que Nougein les paralyse, alors qu'ailleurs ils font ce qu'ils veulent.

M. Jacky DARNE : Vous disiez tout à l'heure que vous aviez beaucoup de courrier.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Oui, venant de salariés.

M. Jacky DARNE : J'ai demandé à votre secrétariat de me donner le courrier que vous aviez reçu entre le 1er et le 15 octobre.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Malheureusement, on ne peut pas vous le donner. C'est impossible pour des raisons de classement. Nous n'avons pas de classement systématique. Tout le courrier que je reçois est traité et classé, soit par personne concernée, soit par thème. Votre demande peut être satisfaite, mais il faut une journée pour reprendre tous ces courriers.

M. Jacky DARNE : Vous me dites que le courrier est traité. Il se trouve que dans les rares courriers que l'on m'a donnés, un est resté sans réponse.

Une salariée écrit  : « Monsieur, une entreprise a déposé son bilan et n'exerce plus. Nous sommes salariés, sans emploi, le patron a été mis en prison. » Vous interrogez le parquet qui vous dit que l'on ne connaît pas cet homme, qu'il n'est pas en prison. Mais les salariés attendent, ils n'ont pas de réponse.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Ils n'ont pas de réponse parce que dans ce cas particulier...

M. Jacky DARNE : Parce que le parquet n'a répondu que le 29 septembre ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Quand on répond au courrier, on répond dans les vingt-quatre heures. Je n'ai pas répondu à ce courrier parce qu'un seul salarié avait écrit.

Il faut aussi faire le tri. Je reçois parfois des dénonciations de salariés qui relèvent de la vengeance personnelle, qui ne reposent sur rien.

Cette personne écrit que son patron est en prison. Je demande au parquet, ils ne connaissent pas. Je prends donc cette lettre comme celle de quelqu'un de pas trop sérieux et je ne réponds pas. C'est tout.

Mais vous avez pu voir que, généralement, je réponds. Je conseille de saisir le conseil des prud'hommes, de s'adresser à un avocat ou de saisir le tribunal par voie d'assignation.

Là, il s'agit d'une lettre anonyme. Je ne réponds jamais aux lettres anonymes.

M. Jacky DARNE : Il y a aussi cette lettre de salariés de Vaux-en-Velin qui écrivent que leur entreprise est fermée depuis que le Supermarché Casino s'est implanté. Elle devrait être en dépôt de bilan et elle ne l'est pas. Dix jours après leur courrier, la procédure est lancée.

En réponse à une autre personne qui a une difficulté de paiement, vous lui dites de procéder par assignation.

M. Henri-Jacques NOUGEIN : C'est une réponse que l'on fait fréquemment.

M. Jacky DARNE : « En réponse à votre courrier du 16 septembre, il vous appartient de saisir le tribunal par voie d'assignation. » C'est la réponse à une entreprise qui explique que le loyer n'a pas été encaissé depuis 1996, ni aucune provision trimestrielle sur 1997. Et vous dites qu'il faut assigner.

Ne s'agit-il pas de courriers, qui devraient vous permettre d'ouvrir des procédures amiables ou d'ouvrir une procédure d'office.

Combien de procédures collectives ouvrez-vous d'office ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : Je n'ai pas le chiffre en tête.

En général, quand on reçoit une lettre de salarié ou de créancier, le secrétariat vérifie si nous n'avons pas de signalement par ailleurs, s'il ne s'agit pas d'une société qui est déjà sur les listings, qui fait l'objet d'une procédure de prévention. Et très souvent, lorsqu'il s'agit de demandes multiples je fais convoquer le chef d'entreprise par la cellule de prévention.

Malheureusement, vous ne retrouvez pas ces courriers parce qu'ils sont dans les dossiers de la prévention.

M. Jacky DARNE : Il faudrait donc reprendre les dossiers de la prévention ?

Les ouvertures d'office sont-elles rares ?

M. Henri-Jacques NOUGEIN : J'en signe une ou deux par semaine, mais je vous donnerai le chiffre précisément.



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