RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
sur L'ACTIVITE ET LE FONCTIONNEMENT DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

TOME III
Comptes-rendus d'enquête sur le terrain

TRIBUNAL DE COMMERCE DE LYON
(PARTIE 2)

· Ressort: 162 communes, 41 cantons, 1 380 000 habitants (1990), 64 000 entreprises commerciales inscrites au registre du commerce dont 42 600 sociétés commerciales et 21 400 commerçants personnes physiques.
· Composition :
- président : M. Henri-Jacques Nougein (au tribunal depuis 1985). 64 magistrats.
· Recrutement :
présélection par les fédérations patronales locales. Règle convenue : au moins deux postulants pour un poste à pourvoir. En pratique, jusqu'à quatre postes. Sélection et classement des candidats sur une liste, à la suite d'entretiens avec le président et une commission.
· Age des magistrats -
entre 39 et 71 ans - 54 ans en moyenne.
·  Budget:
dotation de l'Etat : 117 000 francs - fonds de concours de la chambre de commerce et d'industrie : 100 000 francs.
· Personnel :
- 1 salarié du greffe, 2 fonctionnaires rémunérés par l'Etat, absence regrettée d'assistants de justice
· Greffe :
- 2 greffiers associés, 30 personnes au registre du commerce et des sociétés ; 20 personnes au service judiciaire
· Auxiliaires de justice :
4 administrateurs judiciaires, 5 mandataires liquidateurs
· Présence du parquet :
à toutes les audiences de procédures collectives, sauf sanctions.
· Une activité contentieuse en baisse tendancielle

 

1994

1997

· Affaires entrées

37 518

36 982

· Décisions rendues

39 728

35 702

dont A. Contentieux général

dont - ordonnances de référés

- injonctions de payer

- jugements rendus en formation collégiale

19 256

2 713

6 176

8 395

16 527

2 601

5 004

6 400

Dont B. Contentieux du redressement judiciaire

dont : ouvertures de redressement judiciaire

- ouvertures de liquidation judiciaire

- pourcentage de liquidations

- jugements arrêtant un plan

- ordonnance de juges commissaires

20 472

1 686

1 589

94,3 %

125

13 996

19 175

302

1 409

82,3 %

166

14 128

· Délai de délibéré fixé à douze semaines
Source : réponses du président au questionnaire adressé par la commission d'enquête

sommaire des auditions relatives aux déplacements effectués par la commission

_ Audition de MM.  BORNET, D'AUBAREDE, DAURES, PEILLON TAVERNIER, juges au tribunal de commerce de Lyon et de M. NOUGEIN, Président du tribunal de commerce de Lyon (3 juin 1998 à Lyon)

_ Audition de MM. BRAVARD et LAVAUD, greffiers du tribunal de commerce de Lyon (3 juin 1998 à Lyon)

_ Audition de M. DUTILLEUL, administrateur judiciaire, en présence de M. NOUGEIN, Président du tribunal de commerce de Lyon (3 juin 1998 à Lyon)

_ Audition de M. SAPIN, administrateur judiciaire (3 juin 1998 à Lyon)

_ Audition de MM. NANTERME, PEY, SAPIN, administrateurs judiciaires et de MM. BAULAND, DUBOIS, REVERDY, SABOURIN et WALCZAK, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises (3 juin 1998 à Lyon)

Audition de MM. BORNET, D'AUBAREDE, DAURES, PEILLON, TAVERNIER, juges au tribunal de commerce de Lyon et de M. NOUGEIN, président du tribunal de commerce de Lyon.

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 1998 à Lyon)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM. Bornet, D'aubarède, Daures, Peillon, Tavernier sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM. Bornet, D'aubarède, Daures, Peillon, Tavernier prêtent serment.

M. le Rapporteur : Nous avons posé de nombreuses questions de nature générale à M. le président Nougein, qui nous a donné des réponses précises et documentées. Nous voudrions avancer sur un certain nombre de dossiers qui sont pour notre commission d'enquête la matière première d'une analyse sur les décisions prises par les tribunaux de commerce.

Il est important pour nous de reconstituer le processus décisionnel, les conditions dans lesquelles fonctionnent les tribunaux de commerce, dont le vôtre. Nous travaillons sans généralisation, chaque tribunal ayant sa vie, son âme, ses errements, un milieu économique local donné, et parfois ses échecs retentissants.

Vous ne pouvez certes pas vous souvenir de toutes les décisions que vous avez prises, mais vous pourrez compléter et apporter les éléments qui vous feraient défaut, car les questions que nous souhaitons vous poser sont évidemment très précises et portent sur un certain nombre de dossiers que nous avons analysés un peu rapidement dans la matinée.

M. Jacky DARNE : Avant d'aborder les dossiers, je voudrais vous interroger sur la formation, puisque M. le président vient de nous dire que vous en assumiez la responsabilité. Pourriez-vous nous informer sur les actions de formation entreprises en 1997 ?

M. TAVERNIER : Les actions de formation sont de deux types : premièrement, la formation des nouveaux juges de la région, de début novembre à fin février, à raison d'un samedi tous les quinze jours, de neuf heures à treize heures. Cette année, cette formation regroupait vingt et un nouveaux juges de la région. La formation initiale, créée par le président Nougein, comprend un module que j'ai mis au point. Nous l'avons améliorée de façon à donner une formation juridique de base sur la rédaction et sur le fonctionnement du tribunal.

M. Jacky DARNE : A quelle circonscription exacte la région correspond-elle ?

M. TAVERNIER : À toute la région Rhône-Alpes, à l'exception de la circonscription de Grenoble qui avait sa propre formation puisque le président Petiot, qui était le président de cette circonscription et qui est décédé, assurait lui-même la formation. Nous regroupons donc Saint-Étienne, Villefranche, Tarare...

M. Jacky DARNE : Ces vingt-et-un juges représentaient la totalité des nouveaux juges de la région ou y avait-il des absents ?

M. TAVERNIER : Il y avait des absents de Grenoble ; ils ont envoyé un observateur. Je crois que l'année prochaine, nous aurons la totalité des juges.

M. Jacky DARNE : Cette formation, de novembre à février, représente six samedis.

M. TAVERNIER : C'est cela. Cela représente donc une trentaine d'heure puisque cela dure jusqu'à 13 heures 30 environ.

Un sacrifice pour les gens de la région...

M. Jacky DARNE : Et qui assure l'enseignement ?

M. TAVERNIER : Moi.

M. Jacky DARNE : Il n'y a pas d'intervention extérieure, de professeurs de droit, par exemple ?

M. TAVERNIER : Non, parce qu'il s'agit d'une formation de base, axée sur les procédures et surtout la rédaction du jugement qui est une chose difficile à faire sur le plan collectif.

M. Jacky DARNE : Cela, c'est pour les nouveaux. Qu'en est-il pour les anciens ?

M. TAVERNIER : Pour les anciens, nous faisons en principe un séminaire annuel, toujours au niveau de la région, sur un thème précis. Cette année, le thème était les procédures non judiciaires; l'année précédente, cela portait sur les procédures collectives.

M. Jacky DARNE : Combien de temps dure ce séminaire ?

M. TAVERNIER : Un vendredi complet et un samedi matin.

M. Jacky DARNE : Soit douze heures par an. Est-il ouvert à tous les juges ?

M. TAVERNIER : À tous les juges de la région.

M. Jacky DARNE : Quel était l'effectif présent ?

M. TAVERNIER : Nous avions une soixantaine de participants.

M. Jacky DARNE : La région compte combien de juges, environ ?

M. TAVERNIER : Près de deux cents.

M. Jacky DARNE : Cela représente donc près d'un tiers. Est-ce vous qui assurez également la formation ?

M. TAVERNIER : Non. Cette année, elle était assuré par des intervenants extérieurs : d'anciens présidents, le président Oriol, M. Rillet, un professeur de droit à la faculté de Saint-Étienne,...

M. Jacky DARNE : Vous n'utilisez pas le centre de formation de Tours ?

M. TAVERNIER : Si bien sûr. En plus.

M. Jacky DARNE : Qui s'y rend ?

M. TAVERNIER : Tous ceux qui le souhaitent.

M. Jacky DARNE : Peut-on avoir la liste de tous ceux qui sont allés à Tours l'année dernière ?

M. PEILLON : Quatre ou cinq juges.

M. Jacky DARNE : Combien de temps y sont-ils allés ?

M. PEILLON : Pour un séminaire, c'est-à-dire un jour ou deux. Jeudi, vendredi et samedi matin.

M. le Rapporteur : Quelles sont vos professions respectives et depuis combien de temps exercez-vous vos fonctions de juges ?

M. D'AUBAREDE : Je suis entré au tribunal de commerce en 1991. J'exerce des fonctions à la direction d'un cabinet de courtage d'assurance industrielle.

M. TAVERNIER : Je suis entré en 1986. Cela fait treize ans. J'étais PDG d'un groupe industriel de produits en béton. Je suis à la retraite depuis 2 mois.

M. DAURES : Je suis entré en 1983. Jusqu'au 1er janvier, j'étais cadre de direction d'une société d'assurance, responsable du contentieux, en particulier. Depuis, je suis à la retraite.

M. PEILLON : Je suis entré au tribunal en 1988 et je suis actuellement PDG d'une société industrielle spécialisée dans la fabrication de boules de pétanque.

M. le Rapporteur : Comment faites-vous pour gérer les conflits d'intérêt au quotidien, car Lyon, finalement, est un village ? Lorsque vous voyez apparaître vos propres banquiers, vos amis, ou vos concurrents, comment cela se passe-t-il ? C'est une question naïve, que le public se pose, qui touche à la crédibilité des tribunaux de commerce.

M. D'AUBAREDE : Dans de tels cas, je me récuse.

MM. TAVERNIER et PEILLON : On se dessaisit du dossier au profit d'une autre chambre.

M. TAVERNIER : Dans le cas des banques, c'est moins évident, parce que les grandes banques sont ce qu'elles sont. Nous sommes tous clients des grandes banques.

M. le Rapporteur : Dans le contentieux général, vous avez été président de chambre, vous avez certainement statué sur les litiges mettant en cause des parties que vous connaissez ?

M. DAURES : Ce sont des cas fort rares dans le contentieux général. Lorsque l'on connaît l'une des parties, on renvoie le dossier à d'autres chambres, mais ce sont des cas tout à fait rares. En seize ans d'exercice, je n'en ai pas rencontré beaucoup. Il ne faut pas oublier que l'on statue rarement en dernier ressort.

Lyon n'est pas un village, mais une grande ville. Le problème peut être plus sensible dans une petite ville. C'est le même problème pour les juges du TGI qui jouent au tennis probablement comme nous et qui peuvent avoir aussi des partenaires de tennis dans une procédure.

M. le Rapporteur : Ces juges n'ont peut-être pas des créanciers banquiers ?

M. DAURES : Nous avons une éthique, nous avons prêté serment. Si le cas se présente, nous sommes aptes à nous dessaisir d'un dossier. Sinon, ce serait une forfaiture. En tant que magistrat, c'est un aspect que j'ai présent à l'esprit, sinon je ne serais pas fidèle à mon serment. En seize ans, je crois avoir connu trois cas.

M. PEILLON : C'est une règle d'or également pour les procédures collectives. En tout cas, personnellement, lorsque je me sens concerné par un dossier, je me retire et j'en préviens le président Nougein.

M. Jacky DARNE : Vous avez des responsabilités - même si certains sont de jeunes retraités - de chefs d'entreprise ou de cadres.

En tant que cadres, votre fonction ici a-t-elle eu des incidences sur votre rémunération et comment gérez-vous votre temps entre le tribunal et votre emploi principal ?

M. TAVERNIER : J'étais PDG, je gérais mon temps comme je voulais. Je n'ai jamais eu l'impression que la vie du tribunal modifiait beaucoup mon rythme. Vous savez, comme tout PDG, vous pouvez travailler le soir, venir le samedi après-midi, le dimanche matin. J'ai toujours pu assumer les deux fonctions.

M. Jacky DARNE : Combien suivez-vous de dossiers, de procédures collectives, par exemple, en ce moment ?

M. D'AUBAREDE : En ce moment, j'en ai en stock 1100 à 1200, mais il y a deux particularités : la première est que M. Nougein m'avait demandé de reprendre tout un stock de dossiers d'un ancien juge, qui est décédé cette nuit, et qui a quitté le tribunal l'année dernière pour raison de maladie; la deuxième est que sur le nombre, les redressements prennent beaucoup de temps et les liquidations moins de temps puisque le rapport avec les mandataires lors d'une liquidation n'est pas comparable au travail effectué lors d'un redressement.

La moyenne qui avait été sortie, il y a deux ans par juge-commissaire était de l'ordre de 300 dossiers, tous confondus, redressement et liquidation.

M. TAVERNIER : Je suis incapable de le dire de façon aussi précise que M. D'aubarède, mais avec les anciens dossiers non clôturés, cela doit être du même ordre... Je suis l'un des plus anciens juges-commissaires. Nous gérons cela de façon à ce que les nouveaux juges-commissaires puissent se former. De temps à autre, le président Nougein me confie un dossier un peu plus sensible parce que j'ai un peu plus d'expérience. C'est assez difficile, nous manquons de secrétariat, nos moyens sont extrêmement faibles. Donc, pour le classement des dossiers et le suivi, nous ne sommes pas...

M. Jacky DARNE : Comment gérez-vous votre temps entre le dossier qui est ici et celui qui est chez vous ?

M. TAVERNIER : Certains juges qui ont énormément de temps continuent à refaire leur classement alphabétique et ont le double de tout. Pour les dossiers de redressement, j'ai un double, de façon à ce que, si c'est une poursuite d'activité d'un mois, je puisse me référer à la note précédente. Je ne classe plus les dossiers de liquidation.

M. Jacky DARNE : Le dossier du tribunal que je vous montre est-il complet ou des éléments se trouvent-ils ailleurs ?

M. TAVERNIER : Il n'y a pas d'autres éléments ailleurs.

MM. D'AUBAREDE et PEILLON :. C'est le dossier complet.

M. DAURES : Jusqu'au 1er janvier, mes dossiers étaient au bureau.

C'était un accord vis-à-vis de mon entreprise. Puisque nous représentons une branche professionnelle, je demandais, en tant que cadre de direction, l'accord de ma société avant de me présenter au tribunal puisque c'est elle qui sponsorise pour partie le tribunal.

M. Jacky DARNE : Donc, votre rémunération était maintenue ?

M. DAURES : Oui, ma rémunération était maintenue. C'était en complément du travail. J'ai la chance d'avoir une formation juridique depuis toujours, donc les problèmes étaient plus simples.

En revanche, ma secrétaire s'occupait des dossiers moins complexes, comme celui du cafetier avec actif zéro, passif zéro et aucun salarié dont le dépôt de bilan est simple à gérer.

Le classement des dossiers plus importants était fait par ma secrétaire; pour ma part, je les classe par ordre alphabétique. Il est clair qu'une partie du travail de secrétariat était assumée dans l'entreprise. En accord avec elle.

J'ai été désigné par les sociétés d'assurances, puisque nous avons à Lyon un groupement de sociétés d'assurances.

M. Jacky DARNE : Et combien avez-vous de dossiers ?

M. DAURES : 600 à peu près.

M. PEILLON : Je dois avoir entre 700 à 750 dossiers, mais je ne peux pas vous répondre de façon très précise.

M. Jacky DARNE : Bien sûr. Et vous passez combien de temps à votre fonction de juge au tribunal de commerce ?

M. PEILLON : Le minimum est d'une journée par semaine au tribunal. Lorsque le président Nougein me confie des dossiers plus importants de redressement judiciaire, cela peut prendre plus de temps.

Lorsque nous traitons des procédures collectives concernant des affaires importantes, comme Maxi-Livres dont vous avez peut-être entendu parler, il est évident que cela nous prend plus de temps, ne serait-ce déjà que la journée pour l'audience.

M. Jacky DARNE : En moyenne, à combien estimez-vous votre temps de travail hebdomadaire, que ce soit au tribunal ou à l'extérieur ?

M. PEILLON : Au minimum un jour, au maximum trois jours.

M. Jacky DARNE : Si l'on fait une moyenne arbitraire de deux jours, le temps de l'audience est-il compris ?

M. PEILLON : Y compris le temps de présence aux audiences.

M. Jacky DARNE : Entre les procédures collectives et le contentieux général, comment se répartit votre temps ?

M. PEILLON : Pour ma part, je ne fais que des procédures collectives puisque je suis président de la chambre des procédures collectives.

M. Jacky DARNE : Si l'on reprend les 700 dossiers, et même si l'on ne peut diviser aussi simplement parce que je comprends bien qu'il y a une grande différence entre les dossiers de liquidation et ceux de redressements, le temps que vous passez sur chaque dossier est forcément réduit. Donc, pour maîtriser vos dossiers, relancer le liquidateur ou l'administrateur, comment gérez-vous cela ?

M. PEILLON : C'est une question d'organisation.

M. Jacky DARNE : Justement, comment êtes-vous organisé ?

M. PEILLON : En ce qui me concerne, j'ai rendez-vous avec les mandataires à mon cabinet une fois par semaine. Nous faisons un point de tous les dossiers de redressement judiciaire en cours et de liquidation récente.

M. Jacky DARNE : C'est à ce moment-là qu'ils vous soumettent les demandes d'ordonnance ?

M. PEILLON : Cela dépend des cas. Il peut arriver que ce soit moi qui prenne des ordonnances ou ce peut être le mandataire qui me suggère et me demande mon avis sur telle ou telle ordonnance. Il n'y a pas de règle générale.

M. Jacky DARNE : Avez-vous l'impression de connaître tous vos dossiers ?

M. PEILLON : Les dossiers sensibles, oui; les petits dossiers de liquidation dont parlait le président Daurès, avec actifs zéro, passif zéro et zéro salarié, non.

En revanche, je peux vous dire où en est la procédure sur les dossiers de redressement judiciaire dont j'ai la charge.

M. le Rapporteur : J'ai examiné certains dossiers rapidement et vous me pardonnerez et corrigerez mes inexactitudes, mais nous sommes tombés par hasard sur le dossier de Maxi-Livres.

M. Jacky DARNE : Nous avons pris les fiches du 15 au 21 août 1997 de l'année dernière et nous sommes tombés sur Distic.

M. PEILLON : Vous avez dit que c'était de ma responsabilité...

M. le Rapporteur : Vous n'étiez pas président de la chambre ?

M. PEILLON : Si, mais au vu de l'importance de ce dossier, nous étions cinq juges. Je n'ai pris aucune décision; nous avons pris une décision collégiale, à cinq.

M. le Rapporteur : C'était ce que je voulais dire. C'était une décision collégiale. Je voulais dire que vous n'étiez pas juge-commissaire. C'était M. Le Marchand.

M. PEILLON : On ne peut pas être juge-commissaire et président de chambre.

M. NOUGEIN : Et M. Brunau était juge-commissaire suppléant.

M. le Rapporteur : Il ne sont là ni l'un ni l'autre.

M. NOUGEIN : C'est un hasard.

M. le Rapporteur : C'est intéressant parce qu'après tout ce que l'on a vu dans les autres tribunaux de commerce, nous sommes contents de voir un jugement très motivé qui donnait des chances à chacune des parties. Ce qui compte, comme le disait M. Dray, ancien premier président de la Cour de cassation, c'est non seulement l'indépendance d'un juge, qui va de soi, disait-il, mais aussi l'apparence d'indépendance. Il est vrai que dans cette affaire la manière dont la procédure a été menée donne le sentiment que chacun a pu avoir sa chance, que les positions des uns et des autres ont bien été entendues et que le tribunal a exercé sa souveraineté.

La question qui m'intéresse porte plus sur le fond. Aujourd'hui, six mois après la décision prise par le tribunal de confier à Omnium la continuation, surveillez-vous la suite, en dehors du fait que la procédure suit son cours ? Êtes-vous satisfait a posteriori de la décision qui a été prise, en tant que président de la chambre qui a statué ?

M. PEILLON : Je suis l'évolution du dossier parce que ce dossier est sensible et intéressant. Je le suis donc, ne serait-ce que par intérêt personnel.

Pour ce qui est de la procédure, nous avons rendu une décision. Il n'y a pas eu d'appel. Je n'ai, personnellement, plus mon mot à dire.

M. le Rapporteur : Je vous demande cela en tant que magistrat. Souvent l'on rencontre, dans le milieu professionnel, des magistrats qui regrettent d'avoir pris une décision, qui souffrent de n'avoir pas pris la bonne, qui regrettent qu'il n'y ait pas eu appel. Si c'était à refaire ?

C'est une question de conscience que je vous pose. Êtes-vous aujourd'hui satisfait de cette décision ?

M. PEILLON : Je suis satisfait puisque aujourd'hui, l'on n'en entend plus parler.

M. le Rapporteur : L'affaire respecte ses engagements.

M. PEILLON : Je vais vous répondre très franchement: Aujourd'hui, je reprendrai la même décision. Mais elle a fait l'objet de très longs débats.

M. D'AUBAREDE : C'est aussi mon point de vue, puisque j'ai participé à cette procédure.

En ce qui concerne la décision prise, je ne regrette absolument rien. Le juge-commissaire souffre parfois un peu de ne pas pouvoir suivre les effets, les conséquences des décisions prises.

M. Jacky DARNE : Le juge-commissaire n'est pas parmi vous ?

M. TAVERNIER : Non.

M. DAURES : La décision est collégiale et une fois rendue, c'est terminé. Je n'ai pas d'état d'âme. Je n'ai plus à en avoir. Nous avons essayé de ne pas nous tromper, nous avons rendu la décision en notre âme et conscience.

En revanche, au niveau du suivi, il y a un commissaire à l'exécution du plan et la loi prévoit des procédures très claires. On a mis en place une procédure au tribunal pour suivre l'exécution du plan. Normalement, le juge-commissaire est très rapidement dessaisi. Une fois la décision prise, il cesse ses fonctions.

J'ai eu un dossier aujourd'hui sur une affaire que j'ai cédée, qui rencontre des vicissitudes. Les salariés m'ont à nouveau saisi. La première chose que je leur ai dite est que je ne suis plus compétent juridiquement pour intervenir. C'était en fait un problème de droit du travail qui se posait.

Nous avons donc un commissaire à l'exécution du plan. Une procédure existe puisque le commissaire à l'exécution du plan doit, soit faire un rapport annuel dans le cadre du plan de continuation, soit faire des rapports ponctuels s'il y a un incident, au président du tribunal.

Nous avons demandé au commissaire à l'exécution du plan, de faire un rapport annuel, même si celui-ci consiste à dire qu'il n'y a rien à dire, que tout se déroule normalement.

Mais une fois la décision rendue, le tribunal est dessaisi et n'a plus la possibilité juridique d'intervenir.

M. Jacky DARNE : Je souhaitais avoir des explications sur la tarification.

M. TAVERNIER : Il y a un flou juridique. Un commissaire à l'exécution du plan est nommé, et, selon les lois de 85 et de 94, on ne sait pas trop ce que le juge-commissaire devient.

M. Jacky DARNE : À propos de la tarification des auxiliaires de justice en matière de continuation, je lis dans l'article 8 du chapitre I du décret 85 1990, "Rémunération des auxiliaires judiciaires et des commissaires à l'exécution du plan", que le juge-commissaire doit exiger un programme prévisionnel annuel des commissaires au plan.

Or, vous me dites que le juge-commissaire est dessaisi. Exigez-vous des mandataires un plan de travail annuel ? Comment expliquez-vous que vous ne travailliez plus sur la continuation du plan ? La loi est peut-être mal faite, c'est une de nos hypothèses, mais enfin, elle existe.

M. NOUGEIN : Je vais vous répondre très clairement sur ce point. Cela n'est jamais respecté, par personne, nulle part. Cela m'étonnerait qu'il y ait des tribunaux de commerce en France où l'on voit apparaître ces plans de travail prévisionnel. Mais ce n'est pas cela le plus important. Le plus important, c'est la façon dont les commissaires à l'exécution du plan exercent leur fonction. Je le dis devant la commission, j'ai été alerté à deux reprises, dont une fois par le président Peillon, sur des non-exécutions du plan, soit à propos de plans de continuation dont les dividendes n'étaient pas payés, soit à propos de plans de cession sur lesquels la rumeur laissait entendre que six mois après, le prix n'était toujours pas payé. C'est absolument inacceptable dans les deux cas.

Ce qui est surtout inacceptable, c'est que ce différé de paiement du prix ou des dividendes se fasse sans que le tribunal en soit informé. Qu'existent de bonnes raisons pour qu'une échéance ne soit pas honorée au jour J, qu'il y ait une bonne raison pour que le prix de cession ne soit pas payé, c'est une chose. Mais que cela se fasse sans l'accord du tribunal, c'est différent.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place une surveillance du suivi de l'exécution des plans, dont j'ai confié la responsabilité au président Daurès. Le secrétariat dispose d'un échéancier de tous les plans. Si par malheur, ou par accident, tel ou tel commissaire à l'exécution du plan oublie de faire son rapport, on le relance. Tous ces courriers sont analysés par le secrétariat. S'il n'y a pas de problème, ils sont classés; s'il y a problème, ils sont soumis au président Daurès et c'est lui qui, en fonction de la difficulté, renvoie le dossier devant le juge-commissaire pour convocation, convoque ou transmet le dossier si un problème gravissime se pose.

Il y a manifestement une carence dans le suivi de l'évolution des plans. Je n'en connais pas la raison, mais c'est le constat que nous avons fait.

M. Jacky DARNE : Des plans de cession ?

M. DAURES : Et des plans de continuation.

M. TAVERNIER : On est quand même saisi chacun dix fois par an de problèmes conduisant à convoquer les débiteurs pour des résolutions de plan.

Autrefois, les dividendes dans les plans étaient supposés quérables. Le créancier devait venir pendant dix, voire vingt ans pour quémander son dividende. Maintenant, le dividende est portable.

M. NOUGEIN : Au tribunal de Lyon, cela avait été imposé dans les jugements avant la loi.

M. TAVERNIER : À partir de 1987.

J'ai eu la semaine dernière une résolution de plan d'un dépôt de bilan fait en 1986, avant que le tribunal ait décidé que les dividendes étaient portables. À partir du moment où ils sont portables, le commissaire à l'exécution du plan est alerté par un créancier n'ayant pas reçu son dividende. À partir de là, à Lyon, le président Daurès est saisi et renvoie chez le juge-commissaire, qui convoque pour examiner la raison de ce retard. Si c'est un problème de trésorerie, c'est un échec en fin de parcours; on renvoie alors le dossier devant le tribunal et une nouvelle résolution est dûment prononcée.

M. NOUGEIN : Je veux bien que l'on aménage des exécutions de plan, mais je n'accepte pas que cela se fasse sans le contrôle et l'accord du tribunal.

M. DAURES : La procédure est simple : tout rapport du plan doit être adressé au secrétariat du greffe. Ceux qui posent problème sont scindés en deux. Si le juge-commissaire est encore en fonction, c'est vers lui qu'on les dirige, puisqu'il connaît le dossier. Si le juge-commissaire n'est plus en fonction, c'est moi qui me saisit du dossier, qui convoque le commissaire à l'exécution du plan pour en connaître les causes. Il est vrai que, dans la pratique, l'on s'aperçoit qu'il y a parfois des raisons économiques conduisant le commissaire à l'exécution du plan à être tolérant sur l'exécution - ce en quoi, il a absolument raison, quand on est confronté à la réalité des choses - mais il est tout à fait anormal que l'organe de justice ne le sache pas.

Auparavant, nous ne disposions pas des moyens de déceler cela de manière systématique. Maintenant, au moins une fois par an, le commissaire à l'exécution du plan doit répondre sur des points précis. On voit mal un commissaire à l'exécution du plan ne pas répondre.

M. le Rapporteur : Cela pose le problème des relations entre le tribunal et les mandataires.

Il est vrai qu'en lisant de façon comparative les rapports de l'administrateur judiciaire en cas de redressement et les décisions prises par le tribunal, on se rend compte de la part déterminante qu'il prend à la décision. En l'occurrence, dans l'affaire Maxi-Livres, le rapport de Me Pey semble être fondé sur une solution plutôt qu'une autre.

Tous : C'est la loi.

M. le Rapporteur : ... qui d'ailleurs est reprise par le tribunal dans les éléments de discussion. Cela a au moins le mérite de la clarté.

M. PEILLON : Dans le cas précis de Maxi-Livres, le délibéré a dû durer au moins une journée avant que la décision définitive entre les différentes propositions ne soit prise. Nous n'avons pas réussi à prendre une décision au bout de la première journée et nous avons donc été obligés de reporter la décision. C'est vous dire si l'avis de l'administrateur est important, si l'avis du juge-commissaire, qui n'est pas toujours le même que celui de l'administrateur, est également primordial. En dernier ressort, on ne prend pas toujours des positions identiques à celles défendues par l'administrateur ou par le juge-commissaire.

M. Jacky DARNE : Et l'avis du parquet ?

M. le Rapporteur : Il y a eu dans cette affaire un débat assez intéressant sur les deux offres en discussion. Puis il y a eu le débat sur les garanties offertes par l'un des offreurs au maintien des emplois, notamment la clause pénale.

Comment cette clause pénale a-t-elle été proposée ? Cela s'est-il fait à la barre ? Y a-t-il eu des problèmes sur la recevabilité de l'évolution de l'offre ?

M. PEILLON : Je crois me rappeler, sauf oubli ou erreur de ma part, qu'une des offres comportait une clause pénale sur le maintien des emplois et que nous avons demandé à l'offre concurrente de s'aligner sur cette proposition.

M. le Rapporteur : J'ai cru comprendre à la lecture que seul l'un faisait cette offre et que l'autre...

M. PEILLON : L'autre l'a faite à la barre.

M. le Rapporteur : J'avais cru comprendre en lisant le dossier que seul l'un acceptait une clause pénale. Les autres n'en proposaient pas. D'ailleurs, dans votre motivation, ils ne l'ont pas emporté sur la garantie des emplois.

M. PEILLON : En effet, je me rappelle. Il ne nous paraissait pas normal que, compte tenu de la société, on puisse la redresser sans, malheureusement, la restructurer.

M. le Rapporteur : Vous n'avez pas de mots assez durs sur ce qui représente le seul engagement valable dans un contrat passé entre une juridiction et celui qui veut reprendre une entreprise, à savoir la clause pénale. La surface financière est si importante que l'engagement pris de se laisser mettre à l'amende en cas de licenciements a une force et une valeur. Vous considériez que c'était une proposition quasiment démagogique et illusoire puisque votre analyse était...

M. TAVERNIER : Il vient de vous expliquer pourquoi.

M. le Rapporteur : Non, il vient d'y faire allusion. J'aimerais bien qu'il m'explique.

M. PEILLON : Pouvez-vous demander à un chef d'entreprise digne de ce nom de s'engager à maintenir des emplois sur une période de plusieurs années en toute certitude ? En tant que chef d'entreprise, je vous assure que celui qui s'engage à cela n'est pas un véritable chef d'entreprise, parce que vous ne savez jamais ce qui peut se passer. Vous ne connaissez pas la conjoncture, vous ne connaissez pas ce qui va se passer dans les années qui viennent.

C'est un jugement de chef d'entreprise, un jugement très personnel. Jamais je ne m'engagerai auprès de quiconque à maintenir les emplois sur une durée de huit ans. Je ferais tout ce qu'il faut pour les maintenir, mais je ne m'engagerais pas à le faire.

M. Jacky DARNE : Sauf s'il y a des réserves financières telles que le chef d'entreprise est capable d'assumer.

M. PEILLON : Mais, monsieur, vous ne pouvez pas savoir ce qu'en huit ans...

M. le Rapporteur : Je vous dis cela parce qu'il est rarissime de voir un engagement de ce genre.

M. NOUGEIN : C'est courant à Lyon.

M. le Rapporteur : Je ne l'ai vu qu'une fois à Auxerre.

M. NOUGEIN : Monsieur le Rapporteur, le président Peillon peut en témoigner, l'effort systématique est d'imposer les clauses pénales. Les gens les acceptent ou les refusent, tout comme nous demandons systématiquement aux personnes qui veulent obtenir un plan de continuation qui nous semble voué à l'échec la caution personnelle du chef d'entreprise. Mais la clause pénale est presque un réflexe automatique.

M. PEILLON : J'espère que cela deviendra une jurisprudence dans notre tribunal lorsque ce sera possible.

Si je devais m'engager en tant que chef d'entreprise à la barre d'un tribunal à reprendre une entreprise, je n'accepterais pas une clause pénale.

M. NOUGEIN : Et en tant que magistrats, nous essayons de l'exiger et de l'obtenir.

M. TAVERNIER : Nous sommes en contradiction avec nous-mêmes, en tant que juges et en tant que chefs d'entreprise.

M. DAURES : C'est toute la richesse du tribunal de commerce. Effectivement, nous avons tendance à exiger cette clause pénale lorsque nous sommes juges, mais il est parfois sain d'avoir un repreneur qui la refuse car reprendre une entreprise, c'est en assurer la pérennité. En tant que magistrats, nous essayons de défendre cette position au mieux; le président Nougein l'a dit. Ce n'est pas systématique, mais c'est fréquent; plus de la moitié des jugements comportent la clause pénale.

M. NOUGEIN : Vous savez, moi, l'histoire « Je rachète un franc et je garde les salariés »...

M. le Rapporteur : Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un franc.

M. NOUGEIN : ... je paie peu et je garde les salariés, on connaît la musique !

M. DAURES : D'autant qu'il y avait aussi un plan proposé par les cadres de l'entreprise qui la connaissent bien, qui envisageait lui-même des licenciements et précisait qu'il n'était pas possible de redresser la société sans une restructuration évidente.

M. le Rapporteur : Elle avait eu lieu dans la phase préparatoire.

M. DAURES : Dans le cadre de la procédure, mais pas suffisamment.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la clause pénale acceptée par Omnium Participation n'était pas réaliste ?

M. PEILLON : Je suis un peu ennuyé car je ne voudrais pas trahir le secret du délibéré. J'ai eu une position personnelle dans ce dossier, c'est vrai, mais au même titre que les quatre autres personnes avec lesquelles j'ai siégé.

M. Jacky DARNE : Un grand nombre de sociétés sont sous forme de SARL. Vous êtes-vous interrogé sur la réalité de ces sociétés commerciales ? S'agit-il de vraies SARL ? Est-ce un gérant de droit et pas un gérant de fait ?

M. NOUGEIN : Si nous avions su que l'on évoquerait Maxi-Livres, nous aurions dit au juge-commissaire concerné de venir.

Mais j'en dirai un mot parce que votre question va plus loin que cette affaire Maxi-Livres.

Le président Le Marchand avait un classeur énorme sur Maxi-Livres et l'organigramme des différentes sociétés était aussi de dimension fort conséquente.

Je vous réponds juste sur le principe. Maxi-Livres est l'exemple même du dossier où l'absence en droit français, et notamment en matière de procédures collectives, de régime juridique des groupes de sociétés est extrêmement pénalisant. Nous avons eu des interférences dans ce dossier avec des gérants de plates-formes régionales qui étaient des sous-holding, qui ont changé plusieurs fois d'avis, qui ont rendu la chose extrêmement difficile à gérer. Nous avons réussi avec beaucoup de difficulté et avec des incidents procéduraux importants puisque toute la partie ouest a réussi à échapper à la procédure.

M. Jacky DARNE : Cela faisait partie de mes questions. À mon avis, il n'est pas possible de traiter des dossiers pareils.

M. NOUGEIN : Cela tient au fait - peut-être, messieurs les députés, pourrez-vous faire quelque chose - que le droit français souffre de l'absence juridique des groupes de société. À travers le montage et l'architecture extrêmement complexes - c'est leur jeu - que mettent en place les conseils des entreprises, nous avons parfois de très grosses difficultés à gérer ce type de dossiers. L'absence de droit des groupes de sociétés est extrêmement pénalisant.

M. D'AUBAREDE : Je confirme avoir personnellement posé un certain nombre de questions pour bien me rendre compte de la réalité économique de certaines de ces sociétés. Il est vrai que le groupe Maxi-Livres a été monté par des juristes selon une architecture assez extraordinaire de SA, SARL, SCI...

M. Jacky DARNE : On valide de tels montages, qui sont artificiels. La réalité économique ne colle pas à la réalité juridique, c'est évident.

M. D'AUBAREDE : C'est certain.

M. NOUGEIN : Lorsque nous avons à gérer un dossier comme Maxi-Livres, notre problème consiste à essayer, à partir de cette architecture artificielle, de trouver les solutions économiques qui sauvent les emplois et les richesses, et à découvrir éventuellement des malhonnêtetés.

Parfois - sortons de Maxi-Livres - dans certaines affaires, nous sommes totalement bloqués parce que certains montages savamment organisés ont pour but de limiter la procédure aux actifs « pourris » pour continuer l'activité avec les bons.

Tant que le droit français n'aura pas évolué et que la Cour de cassation maintiendra une position aussi rigoureuse sur la confusion d'intérêts et les sociétés fictives - à mon avis, la Cour de cassation le fait exprès pour pousser le législateur à faire ce qu'elle estime n'avoir pas à faire, elle -, on risquera d'avoir des catastrophes.

On a failli aller à la catastrophe avec Maxi-Livres.

M. Jacky DARNE : Je n'ai pas eu le temps de regarder ce dossier dans le détail, mais il m'a semblé que l'expert-comptable nommé après la procédure collective a présenté des fonds consolidés, qui n'existaient pas avant.

M. DAURES : C'est exact.

M. Jacky DARNE : Or, il existe un texte en matière de fonds consolidés. Pourquoi les commissaires aux comptes ne poursuivent-ils pas ?

M. PEILLON : Pourquoi nous demandez-vous cela, à nous ?

M. Jacky DARNE : Mais le juge aussi a sa responsabilité dans l'affaire.

M. PEILLON : Non. Maxi-Livres est arrivé dans un tel état au tribunal que l'urgence était de sauver la société.

M. Jacky DARNE : Mais aujourd'hui ?

M. PEILLON : Aujourd'hui, cela dépend du parquet. Ce n'est plus notre problème.

M. Jacky DARNE : Vous disposez aussi d'un certain nombre d'outils, que vous mettez en oeuvre dans un certain nombre de cas. Ne me dites pas que seul le parquet est répressif. Vous avez des pouvoirs de sanction qui sont tout aussi importants, voire plus ; entre les deux mois avec sursis que peut prononcer le parquet et les dix ans d'interdiction de gérer, l'action en comblement de passif ou la déclaration de faillite personnelle que vous pouvez prononcer...

M. D'AUBAREDE : Contre les dirigeants, mais pas contre le commissaires aux comptes.

M. Jacky DARNE : S'il y a des gérants « bidons », ce sont de pauvres gars, il faut les innocenter. Mais il en est d'autres qui sont... je reste prudent car je n'ai pas épluché le dossier...

M. DAURES : Votre réaction m'interpelle. Vos réactions sont aussi les nôtres, mais, en tant que magistrats, nous sommes là pour appliquer la loi. Nous ne pouvons aller au-delà. Nous souffrons de ce que vous dites, mais il faut savoir qu'aujourd'hui, des structures se mettent en place pour échapper aux sanctions et nous ne pouvons rien faire. Notre action est donc tout à fait limitée. C'est au parlement de se saisir des vrais problèmes et à nous d'appliquer la loi ; nous appliquons la loi, toute la loi et rien que la loi.

M. NOUGEIN : En matière de sanctions, je crois que le tribunal est suffisamment répressif, quelle que soit l'importance du dossier, croyez-moi !

Dans l'histoire Maxi-Livres, je ne sais pas.

M. TAVERNIER : Le juge-commissaire n'est pas là, on ne va pas se substituer à lui.

M. Jacky DARNE : N'est-on pas plus sévère avec les petits qu'avec les gros ?

M. DAURES : Non, croyez-moi. J'ai des exemples précis en tête.

M. Jacky DARNE : Je ne veux pas parler de ce que je n'ai pas eu le temps de regarder, mais, toujours à partir des fiches du 15 août 1997, j'ai vu qu'il y avait des audiences importantes ce jour-là, que vous aviez arrêté plusieurs affaires, notamment pour insuffisance d'actifs.

Certaines étaient très vieilles: société Rhône-Alpes Chimie, 19 septembre 1990; Mme Charbet Michèle, née Granjean, 29 octobre 1990; sept ou huit procédures anciennes qui datent de 1985, 1988, 1981, 1987. Je sais bien qu'il faut du temps, mais quand même cela fait partie des petites affaires. J'en ai pris deux ou trois.

Prenons l'exemple de Mme Charbet. Le juge-commissaire était Me Ripamonti. Est-il toujours en activité ?

M. DAURES : Il est parti depuis une dizaine d'années.

M. Jacky DARNE : Le dossier a-t-il été repris par l'un d'entre vous ?

M. DAURES : J'ai repris une partie de ses dossiers, mais je ne sais.

M. Jacky DARNE : Ce dossier date du 29 octobre 1990. Il se passe quelque chose en 1991 et 1992, puis il somnole jusqu'en 1997. Cela n'empêche pas la terre de tourner, ce n'est pas un gros dossier. Mais ce n'est pas une raison.

M. DAURES : Mais il doit sûrement y avoir une raison. Il y a probablement un actif et il y avait une procédure en cours.

M. Jacky DARNE : Dans le dossier, cela n'apparaît pas. Je le tiens à votre disposition.

Ce qui est le plus ennuyeux dans ce dossier, c'est qu'à deux reprises...

M. TAVERNIER : S'il y a une procédure prud'homale, cela ne sera pas dans ce dossier.

M. Jacky DARNE : Elle était seule, cette pauvre dame. Elle était coiffeuse.

M. PEILLON : Il y avait probablement un actif à récupérer.

M. Jacky DARNE : Regardez la liquidation. Recettes : 7 158,09 francs. C'est tout. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'en 1991 et en 1992, deux lettres de Savourin lui proposaient de vendre le fonds de commerce 140 000 francs. Puis, il n'y a pas de suites. Autrement dit, il y avait un élément d'actif. On n'en voit pas de trace.

Il y avait également un élément personnel, une maison, qui pouvait rapporter quelque chose. On n'en voit pas de trace non plus. Et l'on clôt en 1997, sans rien, avec 7 000 francs. C'est un dossier qui a dormi pendant sept ans, qui est repris et dans le dossier, on n'a rien. Comment suit-on ces dossiers ? Ce sont des petits dossiers, certes, mais ils constituent la très grande majorité. C'est la justice de proximité. Je ne comprends pas comment sont traités ces dossiers.

M. DAURES : Il s'agit d'une personne en nom propre.

Monsieur le député, je ne sais si cela vous arrive aussi, mais il m'arrive de recevoir des débiteurs en nom propre qui ont été artisan, taxi, coiffeur; ils ont soixante ans et vous devez faire vendre la maison. Ce n'est ni simple ni facile.

M. Jacky DARNE : Qu'on ne la poursuive pas pour sa maison !

M. DAURES : Mais on est obligé de le faire. Il faut comprendre que ces dossiers sont les plus difficiles pour un juge-commissaire.

M. Jacky DARNE : Il n'est cependant pas normal qu'un dossier de si faible ampleur dure sept ans.

M. DAURES : Il doit y avoir une raison juridique. Je peux difficilement vous répondre. Il faut examiner le dossier.

M. Jacky DARNE : Il n'est pas complet.

M. DAURES : C'est le mandataire qui a le dossier. Me Sabourin pourrait vous donner la raison.

M. TAVERNIER : Si vous avez eu dans cette opération une résiliation du bail du payeur, le greffe ne va pas la connaître.

M. DAURES : Le mandataire pourra vous donner la réponse.

M. Jacky DARNE : Vous me répondez que c'est une entreprise individuelle. Je suis d'accord. Mais j'ai aussi pris un exemple d'une société anonyme.

Rhône-Alpes Chimie, jugement déclaratif le 18 juin 1990, société anonyme, 250 millions de francs.

Franchement, on est dans un cas de figure très voisin. Il ne se passe rien. Par contre, les taxes, elles, existent : 182 000 francs pour cette affaire. Le solde de l'actif, 900 000 francs, est partagé le 13 novembre 1997 avec 4,916 millions de recettes, 3,977 millions de dépenses au bout de toutes ces années.

L'état des créances arrêté le 11 avril 1996. Apparemment, c'est complet, c'est définitif. Pourquoi a-t-on attendu un an entre cette date et la décision d'août 1997 ? Je ne sais pas. Le jugement étant d'août 1997, le compte est déposé le 13 novembre 1997. À chaque fois, cela prend trois ou quatre mois. On ne sait pas pourquoi, alors que les honoraires sont payés. Je demanderai cet après-midi à M. Sabourin. Qui était le juge-commissaire ?

M. TAVERNIER : Moi.

M. Jacky DARNE : Pourquoi ce dossier a-t-il duré sept ans ?

M. TAVERNIER : Parce qu'il y avait pas mal de choses à régler.

M. Jacky DARNE : Je ne veux pas vous mettre en cause, mais M. Pey, par exemple,...

M. TAVERNIER : Il devait être administrateur au début.

M. Jacky DARNE : Il encaisse le plein tarif au début : 30 000 francs. On recommence à la sortie et on refait un droit fixe. On paie quand même 210 000 francs sur cette affaire. Je ne sais si c'est le travail...

MM. TAVERNIER et PEILLON : C'est la loi.

M. Jacky DARNE : Vous avez des possibilités que vous n'utilisez pas.

M. NOUGEIN : Nous les utilisons, nous en avons fait la démonstration tout à l'heure.

M. TAVERNIER : Le tribunal de commerce de Lyon est quand même un des seuls tribunaux à ne pas accorder 5 % sur les créances.

M. Jacky DARNE : M. Nougein a raison de se féliciter de cela.

M. PEILLON : Nous ne sommes pas responsables des honoraires des administrateurs. Je refuse personnellement de porter cette responsabilité.

M. Jacky DARNE : La loi dit qu'il est alloué à l'administrateur judiciaire, pour toute procédure de redressement judiciaire, un droit fixe de 15 000 francs et que ce droit est réduit d'un tiers s'il s'agit d'une procédure simplifiée.

M. TAVERNIER : La réponse est que l'on ouvre peu de procédures simplifiées.

M. Jacky DARNE : Pourquoi ?

M. TAVERNIER : Parce que le délai de quatre mois est généralement insuffisant.

M. Jacky DARNE : Vous êtes les seuls à ne pas ouvrir de procédures simplifiées. Dans les tribunaux de commerce que nous avons vu, c'était presque toujours des procédures simplifiées.

M. PEILLON : C'est une bonne question.

M. D'AUBAREDE : En cas de procédure simplifiée, comme vous le savez, on ne nomme pas d'administrateur. Le liquidateur qui est chargé d'un régime simplifié et qui doit suivre le débiteur a le plus grand mal possible parce qu'il n'a pas l'autorité pour le faire. C'est l'une des raisons pour lesquelles le régime simplifié est souvent transformé en régime général.

M. NOUGEIN : Ce n'est pas pour les 5 000 francs.

M. DAURES : Il faut suivre le dossier. Nous optons pour le régime simplifié lorsque la personne qui dépose son bilan a de très petits moyens. C'est le juge-commissaire qui fait fonction d'administrateur, avec le liquidateur.

On ne peut faire cela que dans des cas très rares. Vous en faites un, deux ou trois par charité publique, mais ce n'est pas notre travail, ce n'est pas notre fonction. Voilà la raison.

M. TAVERNIER : Quand vous arrivez en chambre de procédure collective, que vous vous rendez compte que le débiteur n'a pas fait sa requête en prorogation de la période d'observation, qu'il n'a pas déposé son plan, c'est difficile à gérer.

M. Jacky DARNE : Je change de dossier. Je n'ai pas compris pourquoi vous allongiez systématiquement les délais de dépôt des états prévus de quatre mois pour les porter à un an et de douze à dix-huit mois. Entre la déclaration des créances et la vérification, vous multipliez dans un cas les délais par trois et dans d'autres par un et demi. Que cela se justifie dans des affaires comme Maxi-Livres, soit, mais ne pensez-vous pas que vous allongez systématiquement la procédure ?

M. NOUGEIN : Nous le faisons pour des raisons pratiques. Plutôt que d'avoir à trier suivant la nature du dossier, de reprendre des jugements, il a été décidé - c'est assez ancien - de prévoir dix-huit mois systématiquement.

M. NOUGEIN : Le système antérieur était de faire cela à la carte. Nous avons choisi un système qui a peut-être ses défauts, mais qui consiste à dire que puisque finalement, cela n'a pas beaucoup de conséquences, plutôt que de perdre du temps, dossier par dossier, à essayer d'évaluer le temps qu'il faut, il vaut mieux un délai de dix-huit mois pour tout.

M. D'AUBAREDE : Cela dit, je ne serais pas opposé à revenir là-dessus.

M. Jacky DARNE : Quand on fixe un délai maximum, il est conçu comme le délai normal. Qui en est victime ?

M. NOUGEIN : Personne parce que dans 95 % des cas, il n'y a rien à répartir. Pour les 5 % restants, les dix-huit mois sont nécessaires pour vérifier l'état.

M. PEILLON : Il faut rester pratique et voir l'état dans lequel les sociétés arrivent au tribunal.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Maxi-Livres, j'ai cherché le rapport de synthèse de l'administrateur judiciaire pour consolider l'analyse des comptes. Il n'y en avait pas. Ensuite, nous avons trouvé le rapport de Coopers et Lybrand. J'ai vu que les deux administrateurs judiciaires avaient été rémunérés à hauteur de 1,8 million de francs, considéré par le président Nougein comme une juste rémunération. Qui a payé Coopers et Lybrand ?

M. PEILLON : Je ne sais pas. Je n'étais pas juge-commissaire.

M. le Rapporteur : Je voudrais, monsieur le président, que vous le demandiez à M. Le Marchand.

M. NOUGEIN : Il vous le dira cet après-midi.

M. PEILLON : En tant que président de procédure collective, ce n'est pas mon problème.

M. NOUGEIN : Je vais attirer votre attention sur un problème que vous n'avez peut-être pas mesuré dans d'autres tribunaux.

M. le Rapporteur : Dans votre tribunal, vous pratiquez l'auto-contrôle mutuel et généralisé, cela se sent et nous l'apprécions. C'est pour cela que je vous pose la question.

M. PEILLON : Vous me posez une question à laquelle je ne puis répondre.

M. NOUGEIN : Vous n'imaginez pas à quel point, surtout sur ce type de dossier, l'esprit d'indépendance des magistrats les uns par rapport aux autres et par rapport à leur président est important.

On ne m'a pas consulté sur la solution à apporter, on n'a pas à le faire d'ailleurs. Je n'aurais pas eu l'audace d'aller voir mes collègues en train de délibérer en leur disant que mon opinion était telle ou telle; j'étais dehors, tout président que je suis.

Lorsqu'ils ont une décision à prendre, ils ne vont pas demander au juge-commissaire laquelle prendre.

M. PEILLON : Je voudrais que vous soyez persuadé que dans le dossier Maxi-Livres, la décision a été très difficile à prendre mais elle a été prise comme vient de le dire le président Nougein, en toute indépendance, comme pour tous les dossiers que l'on reçoit.

M. NOUGEIN : Dans un autre dossier qui concerne la société Mure, le tribunal a pris une décision délicate aussi, en tout indépendance. Un appel a été fait sur cette décision, avec mon accord. Ils n'avaient pas besoin de mon accord, mais on est venu me demander ce que j'en pensais. J'ai dit que c'était très bien de faire appel. Une tierce opposition a été faite sur ce jugement, que j'ai confiée au président Daurès. A aucun moment, il ne m'en a parlé. Il a fallu que je demande au secrétariat la décision qu'il avait prise.

M. DAURES : Nous avons des fonctions précises et tenons à notre indépendance. J'ai des responsabilités de juge-commissaire. Quand je reçois un dossier, que ce soit Maxi-Livres ou pas, je l'étudie, je le travaille, je le présente en chambre du conseil, je fais valoir mes arguments. La chambre du conseil prend exactement la décision qu'elle entend prendre, mais nous avons chacun notre indépendance et je n'accepterais pas qu'un de mes collègues s'immisce dans les fonctions qui sont les miennes. De même, qu'inversement, je ne le ferais pas. Sinon, c'est le copinage.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Mure, là encore, le mandataire désigné n'a rien vu des problèmes. C'était pourtant son travail.

Dans l'affaire AGDE Electronic, nous avons des rapports de Me Sapin, qui passe pour un professionnel incontestable. Je ne dis pas qu'il n'est pas contesté.

Ce qui est important, c'est la façon dont le tribunal a les moyens non seulement de son indépendance morale, mais aussi de son indépendance intellectuelle. Cette affaire Mure donnera lieu à des explications avec les mandataires.

Je note que l'administrateur désigné n'a pas dit quoi que ce soit et que l'on s'est retrouvé avec une décision contestable. L'un des créanciers a soulevé le problème...

M. DAURES : Le représentant des créanciers, Maître  Bauland, le premier.

M. le Rapporteur : ..., qui a repris les arguments de la BNP.

M. PEILLON : Il y avait deux administrateurs : Sapin et Picard.

M. DAURES : Un de Bourg et un de Lyon.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas vu de situation caricaturale dans votre tribunal mais il fait figure d'exception par rapport à ceux que nous avons vu et aux centaines de lettres que le président Colcombet et moi-même recevons. Je tremble pour Paris. Si c'est comme à Lyon, nous le dirons. Si ce n'est pas le cas, nous le dirons aussi.

Cette mise à plat était nécessaire. Nous avons le sentiment, malgré un contrôle des procédures de la part du tribunal, que parfois la force intellectuelle de certains mandataires l'emporte malgré vous.

M. NOUGEIN : Peut-être, monsieur le Rapporteur, le jeu est-il parfois pipé, mais ce n'est pas obligatoirement le fait des administrateurs; ils en sont eux aussi victimes.

M. DAURES : Dans le dossier Mure, vous avez pu observer que le parquet a demandé au tribunal d'approuver...

M. le Rapporteur : Le parquet a été prudent. Mais, attention, le parquet n'est pas le tribunal.

M. DAURES : Ce dossier est tout à fait intéressant sur le plan du fonctionnement d'un tribunal de commerce . Dans ce dossier, les organes de la justice ont parfaitement joué leur rôle, l'administrateur a d'autres préoccupations que le représentant des créanciers. Les administrateurs ont pu estimer que le plan de reprise économique, qui est l'objectif de la loi, était privilégié et le représentant des créanciers estimait, lui, qu'il y avait violation la loi. Le tribunal a statué.

On a eu une tierce opposition sur ce dossier. Si vous lisez bien la décision de la tierce opposition, elle n'était pas recevable sur des questions de forme. Sur le fond, le tribunal a dit que la position de la BNP n'était pas farfelue mais que malheureusement, compte tenu de l'appel, elle était dessaisie. Mais encore une fois, on ne peut agir que dans le cadre de la loi.

M. NOUGEIN : On est venu me voir après l'appel pour me dire que c'était une catastrophe, que la cour d'appel allait statuer fin juin. J'ai répondu que c'était peut-être une catastrophe, mais que l'état de ce dossier et la façon dont s'était déroulée cette affaire faisaient qu'à mon sens, il fallait que l'affaire soit purgée par la cour d'appel, quelles que soient les conséquences.

M. TAVERNIER : Je voudrais revenir sur ce que vous disiez à propos de la décision qui vous paraît soufflée par l'administrateur.

M. le Rapporteur : Ils ont le temps, vous ne l'avez pas.

M. TAVERNIER : Dans ma carrière de juge-commissaire, j'ai connu deux affaires où j'avais cinq repreneurs, qui reprenaient le même nombre de salariés, avec 50 000 francs de plus ou 50 000 francs de moins. Le tribunal a décidé. Il a reçu tous les repreneurs, ce que ne font pas tous les tribunaux. À la fin, le gagnant a été félicité par les quatre autres. C'était un témoignage de grande transparence.

M. DAURES : Quand nous avons plusieurs repreneurs, nous les recevons tous.

M. NOUGEIN : Il ne se fait pas de cession sans que ne soient prévues l'audition des repreneurs, des débats contradictoires, etc.

M. PEILLON : En chambre de procédures collectives, avant de prendre la décision, nous recevons les repreneurs en concurrence, qui viennent témoigner à la barre.

M. DAURES : Bien sûr, systématiquement.

Audition de MM. BRAVARD et LAVAUD,

greffiers du tribunal de commerce de Lyon.

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM. Bravard et Lavaud sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM. Bravard et Lavaud prêtent serment.

M. le Rapporteur : Le greffe de Lyon fait apparaître 19 millions de francs de chiffre d'affaires provenant des produits du greffe et 10 millions provenant des produits télématiques, soit un chiffre d'affaires global de l'ordre de 30 millions de francs dont 66 % provient des actes et 35 % de la télématique. On est très loin du chiffre d'affaires du greffe de Paris qui s'élève à 160 millions de francs. Cela permet de dégager 6,740 millions de francs pour chacun.

M. BRAVARD : Pas pour chacun, pour la SCP. Nous sommes deux.

M. le Rapporteur : À Paris, le chiffre d'affaires s'élève à 40 millions de francs. À l'extrême inverse le greffe de Die, minuscule ressort dégage un bénéfice de 110 000 francs

Pourriez-vous nous donner des éléments sur cet équilibre ? Quel était le prix d'acquisition de la charge ? C'est important pour connaître le niveau de rentabilité, comparer le résultat net, et les amortissements du capital investi.

M. BRAVARD : Tout à fait. Mais comme cela fait partie du capital, cela ne vient pas en déduction du bénéfice, mais de la trésorerie.

M. le Rapporteur : Une autre question porte sur les charges indues. Participez-vous au financement du secrétariat ? Participez-vous au fonctionnement du tribunal ?

M. LAVAUD : En ce qui concerne le secrétariat de la présidence, nous avons depuis le décret de 1995 mis à la disposition de M. le président, une personne à temps complet, conformément à nos obligations actuelles.

Deux autres personnes constituent actuellement le secrétariat du président. Il s'agit de personnes qui relèvent de la fonction publique de l'État, qui devront donc être remplacées par le greffier lors de leur démission ou de leur départ à la retraite.

M. le Rapporteur : Combien de personnes employez-vous ?

M. BRAVARD : Quarante-neuf en équivalent temps plein. En fait, cinquante personnes, dont cinq à 4/5ème de temps.

M. le Rapporteur : Payez-vous un loyer ?

M. BRAVARD : Pour le moment, depuis que nous avons déménagé en 1995, nous avons été autorisés par le premier président de la cour d'appel à occuper les locaux, mais la convention d'occupation précaire du domaine public n'a jamais été régularisée jusque là. Nous avons transmis, en son temps, tous les éléments voulus pour le faire.

M. LAVAUD : En avril 1995, juste après notre entrée dans les lieux, on nous a remis la convention d'occupation précaire du domaine public de l'État. Nous avons satisfait aux demandes de pièces complémentaires dans les jours qui ont suivi et, effectivement, ce dossier reste pour nous pendant, puisque cette convention n'a pas encore été signée.

M. Jacky DARNE : Quel loyer prévoyait la convention ?

M. LAVAUD : Elle ne le fixait pas.

M. BRAVARD : Elle fixait une contribution aux charges de fonctionnement du palais.

M. Jacky DARNE : Quel est le montant de cette contribution ?

M. BRAVARD : Cela n'a pas été fixé.

M. le Rapporteur : Cela n'a jamais été négocié ?

M. LAVAUD : Non.

M. Jacky DARNE : Qui doit gérer cela ?

M. LAVAUD : Le premier président de la cour d'appel, à notre connaissance, puisque c'est par la cour d'appel que ce dossier nous a été remis.

M. Jacky DARNE : Cela fait trois ans.

M. BRAVARD : Tout à fait.

M. LAVAUD : Nous nous sommes enquis de l'évolution de ce dossier.

M. BRAVARD : Récemment.

M. Jacky DARNE : Quelle est la surface utilisée par le tribunal de commerce ?

M. BRAVARD : Le greffe utilise pratiquement 1000 m² de bureaux, le tribunal deux niveaux correspondant à 500 m².

M. Jacky DARNE : À l'ancienne adresse, place de la Bourse, quelles étaient les conditions d'utilisation des locaux ?

M. LAVAUD : Nous avions une surface réduite de 500 m², avec de très mauvaises conditions d'archives et nous avions à régler nos charges locatives à la ville de Lyon, c'est-à-dire le chauffage, l'électricité. Le téléphone a toujours été à notre charge.

M. Jacky DARNE : On continue de constater que ces locations ne sont pas régulières ce qui, d'ailleurs, n'est pas de votre fait puisque vous avez fait les démarches.

M. BRAVARD : De toute façon, nous ne sommes occupants qu'à titre précaire.

Mais nous n'en sommes pas satisfaits parce que lorsque les locaux ont été réceptionnés par le greffe, il s'agissait de plateaux nus. Nous avons investi 4 millions de francs dans ces locaux, dont nous sommes occupants sans titre.

M. Jacky DARNE : Ce n'est pas raisonnable.

M. LAVAUD : Le projet est là, mais il n'est pas régularisé.

M. le Rapporteur : La Chancellerie a organisé une simulation de diminution du tarif 3617, c'est-à-dire des produits télématiques.

Les résultats en simulation sur votre greffe, alors que votre résultat est de 6,741 millions de francs, pour l'année dernière, aboutiraient à une chute de résultat d'environ 5,5 millions de francs puisqu'en pratiquant le tarif qui est envisagé, votre chiffre d'affaires serait de 1 148 940 francs.

La commission d'enquête trouve particulier qu'un service public dispose d'un monopole sur l'information, monopole qui a un sens puisqu'il est justifié par la nécessité d'assurer une information authentifiée, sûre et incontestable, et que cette information fasse l'objet d'un commerce à travers un GIE.

M. Jacky DARNE : De plusieurs GIE.

M. BRAVARD : Nous appartenons à Intergreffe.

M. Jacky DARNE : Pas à Infogreffe.

M. BRAVARD : Nous sommes accessibles par Infogreffe par reroutage, mais nous ne sommes pas adhérents de ce GIE. Nous sommes adhérents d'Intergreffe.

M. le Rapporteur : Il est tout fait choquant qu'un commerce aussi lucratif puisse avoir lieu grâce à une rente de situation C'est la raison pour laquelle, nous envisageons des mesures importantes sur la question des profits télématiques des greffes. Quel est votre sentiment ?

M. BRAVARD : Il faut replacer cette question dans l'histoire. Lorsque nous avons créé ces services télématiques il y a une dizaine d'années, cela correspondait à une demande et à un réel besoin, auquel nous avons répondu.

Pendant longtemps, personne n'a trouvé à redire à cette diffusion d'informations par ce nouveau moyen. Puis, à une époque récente, la Chancellerie s'est émue des profits dégagés par cette télématique. Mais, parallèlement, pendant dix ans, la Chancellerie nous a dit que notre tarif ne serait pas revalorisé, puisque cette activité compensait largement cette stagnation.

Et l'on aboutit aujourd'hui, notamment dans les grands greffes, dont celui de Lyon, au fait que le résultat du greffe est inférieur à celui du produit télématique. Cela veut dire que si l'on arrête la télématique, l'activité traditionnelle du greffe sera déficitaire, c'est-à-dire que nous ne pourrons plus remplir notre mission de service public sans la télématique.

M. le Rapporteur : Ce n'est vrai que pour un seul greffe, celui de Paris.

M. BRAVARD : C'est vrai pour nous aussi, monsieur le député.

M. le Rapporteur : Les produits du greffe l'année dernière étaient de 20 millions de francs et ceux de la télématique de 10.

M. BRAVARD : Oui, mais le résultat...

M. le Rapporteur : Si l'on diminue le tarif télématique, il vous reste quand même de quoi équilibrer votre affaire.

M. BRAVARD : Vous avez là la simulation avec une augmentation de tarif.

M. le Rapporteur : Sans augmentation du tarif, vous gagnez encore 1,2 million de francs sur la SCP.

M. BRAVARD : Quand vous avez cinquante personnes à salarier, avec plus ou moins 1,1 million de francs, la situation devient rapidement déficitaire.

M. Jacky DARNE : À combien évaluez-vous le coût de la télématique ? Que faites-vous ? De la scannérisation de documents ?

M. LAVAUD : Il y a des frais techniques relatifs à la télématique, mais ces frais existent également pour notre activité interne. On peut donc considérer que nous aurions à supporter pratiquement les mêmes frais techniques sans télématique, qu'il s'agisse de numérisation, de saisie, etc.

M. Jacky DARNE : Depuis combien de temps êtes-vous greffier à Lyon ?

M. LAVAUD : Un peu plus de dix ans pour Me Bravard qui était notaire antérieurement et depuis janvier 1980 pour ce qui me concerne.

M. Jacky DARNE : Cela fait une longue période d'activité.

Tout au long de cette période, quelle a été l'évolution, aussi bien de la télématique que des travaux du greffe - je ne parle pas de la tarification mais du volume ? Pour la télématique, par exemple, au cours des dix dernières années, quelle a été l'évolution du chiffre d'affaires ? A-t-il augmenté ou pas ? Comment voyez-vous l'avenir de ce marché ?

M. LAVAUD : Nos activités ont bénéficié de l'évolution technologique de l'informatisation interne. En suite de quoi est apparue en 1987-1988 la télématique, qui est venue s'ajouter comme une conséquence de l'informatisation interne.

Vous citez des chiffres. Si l'on se situe vingt ans en arrière, effectivement, le greffe du tribunal de commerce de Lyon avait une activité classique presque deux fois moins importante, avec un personnel qui était de quarante-huit personnes. Aujourd'hui, son activité a doublé avec un effectif de cinquante personnes.

M. Jacky DARNE : En vingt ans, la productivité a-t-elle doublé ?

M. LAVAUD : Elle aurait doublé sur vingt ans.

M. Jacky DARNE : Pour l'activité classique. Pour l'activité télématique, quelle est la progression de 1996 à 1997, par exemple ?

M. LAVAUD : Pour la télématique, on assiste à une stagnation depuis 1996, et peut-être à une baisse en 1998.

M. le Rapporteur : Quel était le prix de la charge ?

M. BRAVARD : Nous avons été trois associés et la SCP a racheté les parts du troisième lorsqu'il est parti en 1993.

J'ai moi-même acquis mes parts en 1989 qui représentent un tiers pour la somme de 5 millions de francs. Nous avons racheté les parts du troisième associé pour la somme de 8,5 millions de francs.

M. le Rapporteur : Cela s'est valorisé.

M. LAVAUD : Oui, puisque, par comparaison, j'ai acquis en 1980 mes parts pour la somme de 3,5 millions de francs. Nous étions alors deux associés et avions constitué une société civile pour reprendre la charge à deux personnes.

M. Jacky DARNE : Faites-vous un travail de saisie pour la télématique pour d'autres greffes ?

M. LAVAUD : Non.

M. Jacky DARNE : Quel est le fonctionnement d'Intergreffe ?

M. LAVAUD : Intergreffe est un groupement d'intérêt économique composé de trente-quatre greffiers, à l'instar d'Infogreffe ou de Greftel. Il a été constitué en 1989. Il a été précédé de la constitution d'une société civile de moyens entre ces mêmes greffiers qui n'a pas duré et il a été constitué pour les besoins de la télématique de type 3629 ou 3614, permettant à cette entité de prendre auprès de France Telecom les abonnements voulus. Il a constitué le support juridique d'un numéro d'appel unique pour un groupe de greffiers souhaitant mettre en oeuvre ces services télématiques.

En ce qui concerne l'informatisation des greffes, différentes solutions ont été utilisées dans notre profession, soit par appel à des sociétés de service, soit par constitution de sociétés de services. Il est vrai qu'en 1982, longtemps avant l'apparition de la télématique, un certain nombre de greffiers de notre région ont constitué, pour pouvoir créer des logiciels adaptés et pour pouvoir investir dans des ordinateurs suffisamment importants pour prendre de l'avance, une société anonyme qui compte aujourd'hui vingt-cinq personnes.

M. Jacky DARNE : Donc, elle existe toujours. Cette société anonyme de vingt-cinq personnes est-elle propriété des greffes ?

M. LAVAUD : Des personnes physiques.

M. Jacky DARNE : Donc, vous-mêmes êtes actionnaires de cette société anonyme,...

M. LAVAUD : En effet.

M. Jacky DARNE : ... qui a ses propres comptes de résultat ?

M. LAVAUD : C'est cela.

M. Jacky DARNE : Les relations entre Intergreffe et cette société anonyme sont-elles réglées par une convention, ou par des contrats de prestation de services ?

M. LAVAUD : Par des contrats de prestation de services.

M. BRAVARD : Je voudrais revenir sur la question d'équilibre. Peut-être l'activité télématique a-t-elle entraîné une croissance importante de nos résultats mais on ne peut pas dire aux greffiers qu'ils doivent prendre en charge les locaux, payer une indemnité d'occupation, assurer le secrétariat du président, etc., et, en même temps, leur demander de maintenir le tarif tel qu'il est.

M. le Rapporteur : Nous sommes conscients de cette contradiction et c'est d'ailleurs pour cette raison que se sont constitués les résultats considérables et choquants pour les usagers qui ont besoin d'accéder gratuitement à l'information.

M. BRAVARD : Mais ce n'est pas une obligation de passer par ce canal. Pour l'usager, le greffe est ouvert de 9 heures à 17 heures sans interruption. Personne ne l'oblige à prendre ses renseignements sur Minitel.

M. le Rapporteur : Si, la commodité.

M. BRAVARD : Oui, mais il ne faut pas nous reprocher que ce soit un outil performant et moderne.

M. le Rapporteur : On ne vous le reproche pas. L'information aujourd'hui est de plus en plus rapide et de plus en plus gratuite. Elle s'acquiert facilement. Internet le démontre. Le Minitel arrive d'ailleurs en bout de souffle. Il n'est pas question de vous faire des reproches. Vous avez tenté de vivre sur un système qui, aujourd'hui, va être remis en cause. Aussi, je me demande si vous avez amorti vos investissements.

M. LAVAUD : Pas tout à fait.

M. BRAVARD : Il nous reste quatre ans d'amortissement.

M. le Rapporteur : Ce sont des amortissements sur dix ans.

M. BRAVARD : Sur huit ou dix ans, selon les cas.

M. le Rapporteur : Vous aussi, mon cher maître ?

M. LAVAUD : De la même façon pour notre SCP.

M. Jacky DARNE : Entre un greffe privé comme dans les tribunaux de commerce et des greffes d'État dans les autres juridictions, avez-vous fait des comparaisons d'efficacité, de volumes, de conditions de travail ?

L'idée que ce greffe puisse devenir public vous paraît-elle bonne ou non ? Et pourquoi ?

M. BRAVARD : Si l'on a choisi cette profession, cela ne peut pas nous paraître une bonne chose.

M. le Rapporteur : En clair, c'est la question de la nationalisation.

M. BRAVARD : C'est un problème de philosophie.

M. le Rapporteur : C'est un choix politique.

M. BRAVARD : Dans un tribunal de commerce, le juge-consulaire et le greffier représentent un binôme performant dans la mesure où il y a une complémentarité intéressante.

Il ne s'agit pas pour nous de comparer entre les greffes des tribunaux civils ou ceux des tribunaux de commerce, en disant que nous faisons mieux, mais la réalité est là. Vous pouvez demander à n'importe quel avocat. Il a dans les vingt-quatre heures son ordonnance de référé, dans les quarante-huit heures son jugement. L'efficacité est là. Je ne sais ce qui se passe ailleurs, mais l'expérience prouve que ce qui s'est passé en 1967 a quand même conduit à mettre, en général, une centaine de personnes là où il y en avait cinquante.

C'est un problème économique, mais aussi un problème philosophique. Il est vrai que nous concevons notre activité dans un cadre libéral.

M. le Rapporteur : Nous n'avons pas été convaincus par le libéralisme dans certains endroits du territoire. Nous avons vu des jugements qui n'étaient jamais signifiés, d'autres qui n'étaient pas tapés au bout de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans des tribunaux où la rentabilité est semblable à la vôtre en termes d'investissements.

M. BRAVARD : Peut-on généraliser ?

M. le Rapporteur : Non, on ne peut pas.

M. Jacky DARNE : Ce problème de la télématique est tout de même choquant. Nous avons à l'intérieur d'un service public une activité privée. Pourquoi ne pas filialiser dans des sociétés anonymes différentes ou dans le service public aux tarifs les plus modestes possibles ? Cette façon de gérer vous paraît-elle saine ? Est-il normal de voir, dans l'équilibre économique des greffes, une compensation entre une activité, qui est la télématique, et des actes classiques qu'un greffier doit assurer ?

M. BRAVARD : C'est un problème d'adaptation.

M. LAVAUD : C'est, en effet, une question importante et intéressante, mais à laquelle notre profession seule ne peut répondre. Il s'agit effectivement du dialogue qui peut, ou devrait, exister entre cette profession et son autorité de tutelle, la Chancellerie. Or, je dois constater que ce n'est que très récemment que le dialogue s'est ouvert sur les conditions de la diffusion télématique et de ses tarifs.

M. le Rapporteur : Nous le savons car nous avons interrogé la Chancellerie qui, depuis des années, se trouvait confrontée à une résistance de toutes les professions. À tel point que nous nous sommes étonnés d'avoir en face de nous des fonctionnaires magistrats à la Chancellerie qui s'étaient faits les porte-parole des dites professions.

Dans la simulation faite par la Chancellerie, pour les greffes de Paris, Lyon et Pontoise, 115 millions de francs de revenu sont exclusivement tirés de la télématique ; soit la moitié des sommes qui suffiraient à écheviner les deux tiers des tribunaux de commerce de France.

Et quand on parle d'échevinage, on nous oppose les contraintes budgétaires ! Aujourd'hui, les usagers du service public de la justice consulaire dépensent l'équivalent de ce qu'il suffirait de dégager budgétairement pour organiser l'échevinage sur tout le territoire c'est-à-dire offrir des garanties d'égalité à tous les justiciables et des garanties de qualité d'un service public.

Nous sommes là face à des masses financières et budgétaires considérables et nous ne pouvons pas rester immobiles devant tant d'années de conservatisme et de défense d'intérêts corporatistes. Les greffiers y ont joué leur rôle comme la Chancellerie. Chacun a sa responsabilité. Vos professions ont travaillé en silence au maintien du statu quo.

M. BRAVARD : Aujourd'hui tout le monde souhaite la réforme.

M. Jacky DARNE : Les services du serveur INPI représentent-ils un coût pour vous ?

M. LAVAUD : Nos relations avec l'INPI sont institutionnelles puisque l'INPI gère le registre national du commerce et des sociétés sur la base des transmissions qui lui sont faites par les greffes de France.

M. Jacky DARNE : Sur papier ?

M. LAVAUD : Sur papier jusqu'à présent et dans un avenir très proche, il est prévu une transmission électronique qui est en cours d'élaboration, de la même façon que nous transmettons à l'INPI les déclarations faites au registre du commerce et des sociétés puisqu'il est chargé d'assurer la tenue du registre national du commerce sur la base d'un double des déclarations, d'un double des actes déposés. Nous lui transmettons les taxes correspondantes que nous recouvrons pour l'INPI, de la même manière que nous le faisons pour les publicités au Journal officiel. C'est une de nos responsabilités résultant du texte qui organise le fonctionnement du RCS.

M. Jacky DARNE : Ultérieurement, s'il y a une transmission télématique, l'INPI pourra faire des économies parce que pour le moment le travail est fait en double pour rien.

M. LAVAUD : C'est effectivement l'un des objectifs de la transmission dématérialisée vers l'INPI.

M. Jacky DARNE : Indépendamment de la négociation avec la Chancellerie, c'est une concurrence qui devrait normalement, si vous ne changez pas de tarif, faire que votre chiffre d'affaires s'effondre. L'INPI devrait prendre des parts de marché. À cinq francs la minute au lieu de neuf francs, le consommateur, même peu averti, devrait utiliser un service à cinq francs.

M. BRAVARD : Vous simplifiez un peu le problème. En termes économiques, vous avez raison. En termes d'informations données, il y a une fiabilité et une rapidité qui font que nous avons des habitués qui viennent chercher l'information au greffe plutôt qu'ailleurs.

M. Jacky DARNE : Faites-vous du retraitement de données ?

M. BRAVARD : Non.

M. Jacky DARNE : Laissons la télématique, si M. le Rapporteur en est d'accord. La fonction de greffier est une fonction administrative de soutien au tribunal. Elle a aussi par la tenue d'un registre du commerce, une fonction de surveillance.

M. BRAVARD : La surveillance fait partie du domaine du juge.

M. Jacky DARNE : On constate qu'un certain nombre de sociétés omettent de déposer des pièces au greffe, en particulier leurs comptes annuels. Or, ceux qui ne déposent pas, sont certainement ceux qui mériteraient d'être le plus surveillés. Que font les greffiers ?

M. LAVAUD : Les textes nous donnent peu de moyens d'intervenir. Le greffe fait effectivement un rappel en cas de non-dépôt des comptes annuels, mais il se limite là puisque le texte ne lui donne aucune mission en ce sens.

M. Jacky DARNE : Il y a pourtant des amendes prévues. Qui peut les déclencher ?

M. LAVAUD : Le parquet.

M. Jacky DARNE : Alertez-vous le parquet pour qu'il recouvre ?

MM. LAVAUD et BRAVARD : Oui.

M. Jacky DARNE : Comment faites-vous la surveillance des dépôts ? Est-elle systématique ?

M. LAVAUD : Techniquement, nous avons les logiciels voulus pour effectuer ce contrôle.

M. BRAVARD : Elle est systématique, en plusieurs temps. Il y a d'abord une lettre de rappel du greffier. Ensuite, une lettre du juge commis à la surveillance du registre du commerce. Enfin, une transmission au parquet.

M. Jacky DARNE : Les astreintes par jour sont importantes. Ce devrait être incitatif.

M. BRAVARD : Nous sommes de votre avis, mais nous n'en avons pas les pouvoirs pour autant.

M. Jacky DARNE : Qu'en est-il de la surveillance des immatriculations ? C'est une préoccupation générale en ce qui concerne les entreprises. Pour les immatriculations avec prête-nom ou concernant des entreprises délocalisées qui se réinstallent, de quel système de surveillance disposez-vous pour apprécier si telle ou telle opération paraît douteuse ?

Travaillez-vous dans ce domaine ? En avez-vous les moyens ? Ou attendez-vous le deuxième ou troisième dépôt de bilan pour qu'apparaisse ce type de fraude ?

M. BRAVARD : Dans les grands tribunaux comme celui de Lyon, et sans doute dans d'autres, il existe quand même un système de régulation économique qui fait que le récidiviste est l'objet d'une sanction commerciale d'interdiction de gérer ou de faillite personnelle, qui, normalement lui interdit de se réinstaller.

Vous évoquez le problème plus complexe des prête-noms. Comment pouvons-nous - nous n'aurions même pas le pouvoir de l'empêcher si nous en avions les moyens -contrôler telle ou telle immatriculation d'un prête-nom ?

M. Jacky DARNE : Très bien.

M. BRAVARD : Même si comme vous, on a tout intérêt à ce que cela ne se produise pas.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions.

Audition de M. DUTILLEUL, administrateur judiciaire,
en présence de M. NOUGEIN, Président du tribunal de commerce de Lyon

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 1998 à Lyon)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Dutilleul est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation de M. le Rapporteur, M. Dutilleul  prête serment.

M. le Rapporteur : Maître Dutilleul, si nous avons souhaité vous entendre avant vos confrères, c'est moins pour vous poser des questions sur les dossiers que vous gérez au tribunal que pour vous entendre sur votre expérience et votre analyse de la situation actuelle et du fonctionnement du tribunal de commerce de Lyon que vous avez connu avant et après les réformes, avec différentes compositions de juges. Quel bilan en tirez-vous ? Quelles en sont les forces et faiblesses dans tous les domaines, que ce soit dans les désignations de mandataires et d'administrateurs, que ce soit dans le déroulement des procédures, dans l'indépendance de cette justice, dans la qualité ou l'efficience des procédures collectives aujourd'hui, puisque vous avez connu et pratiqué d'autres dispositifs législatifs. J'aimerais entendre vos réflexions à ce propos, qui alimenteront les propositions qui seront faites dans le cadre de ce rapport.

M. DUTILLEUL : Je vous remercie de me poser cette question, mais je peux répondre aussi sur des dossiers particuliers.

J'exerce ici depuis 1971. J'ai donc connu la fin de la procédure de 1955, et très bien connu la procédure de 1967 et celle de 1985 modifiée 1994.

Il faut revenir un peu aux idées inspiratrices de cette procédure, je ne parle pas de celle de 1955 mais celle de 1967, qui avait une vue essentiellement économique du problème, sortant de la notion morale du débiteur de bonne foi qui caractérisait le décret de 1955 ; une vue économique, car il s'agissait de se demander quelles étaient les entreprises que l'on pouvait sauver et celles qui ne pouvaient l'être sur le plan économique. L'ordonnance sur la suspension des poursuites est venue quelque mois après. C'est un ensemble de textes qui était fort intéressant.

Ces textes sont surtout venus à un moment où l'on était au coeur des « trente glorieuses » ; c'était avant le premier choc pétrolier. Les procédures auxquelles j'ai pu être confronté alors étaient relativement moins nombreuses à la fois en nombre et en importance qu'à partir de 1974 après le premier choc pétrolier. On peut dire qu'alors, les tribunaux ont été non pas submergés mais envahis par une masse de procédures dues à la chute d'entreprises qui, souvent, avaient vécu dans la facilité du boom économique et qui n'étaient absolument pas préparées aux restrictions qu'a apportées le choc pétrolier.

Le deuxième phénomène qui a marqué cette période est que la génération des entrepreneurs - j'insiste sur ce terme - qui avaient monté leur entreprise dans les années 45-50, est arrivée à l'âge du remplacement. Je parle essentiellement des PME car, dans les grosses entreprises, le problème se pose différemment et sur Lyon, il n'y en a pas eu énormément, même si la région en a compté quelques unes. Ce changement de générations a été un phénomène qui a accru les dépôts de bilan parce que, très souvent, les fils arrivaient à un âge déjà mûr avec des parents qui avaient fondé leur entreprise ; ceux-ci étaient des parents à poigne, qui avaient gardé leur fils sous leur tutelle et leur autorité, jumelant l'autorité parentale et celle du chef d'entreprise. C'est ainsi qu'une fois le père parti, nous avons vu nombre de ces nouveaux chefs d'entreprise tenir un an ou deux, sans être capables de prendre la suite de leurs parents.

Le choc pétrolier conjugué à ce phénomène de changement de génération ont été à l'origine de nombreuses procédures.

Nous avons connu ensuite la période de 1975 à 1982 - les premiers mois du septennat de François Mitterrand -, où de nombreuses entreprises importantes ont disparu ou se sont transformées. Dans la région, nous avons vu disparaître ou se modifier complètement le secteur du textile et du bâtiment. Il existait à l'époque des entreprises de deux ou trois cents personnes indépendantes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Elles sont toutes intégrées dans de grands groupes.

Dans le textile, n'ont réussi à sortir leur épingle du jeu que les entreprises qui vivaient sur un créneau bien particulier. L'ouverture des frontières et la concurrence de l'Est ont fait que les entreprises françaises n'ont pas pu suivre le rythme. Le VIIème Plan avait bien prévu une diminution des effectifs du textile d'environ 100 000 personnes. Cela s'est fait par la fermeture d'entreprises entières. Cela a d'ailleurs été la volonté ou la politique exprimée par un organisme gouvernemental qui avait à l'époque beaucoup plus d'importance que de nos jours, le CIASI devenu le CIRI, pour lequel les secrétaires généraux que nous voyions à l'occasion des différents dossiers importants - M. Trichet ou le président de la Société générale - estimaient que, puisqu'il devait y avoir une réduction d'effectifs, peu importait que des entreprises disparaissaient et qu'il fallait aider les entreprises repreneuses mais ne pas chercher à relever une entreprise qui tombait. Tel était le climat à cette époque.

Puis, viennent les années 80, et nous assistons à un nouveau changement d'attitude politique, même si celui-ci s'était déjà amorcé du temps où M. Barre était Premier ministre, avec les réformes de M. Badinter ; ce changement d'attitude s'est caractérisé par la prise en compte du problème de l'emploi, le chômage commençant déjà à se manifester. L'exemple étranger, celui des États-Unis notamment, où la loi sur la faillite n'empêche absolument pas un ancien entrepreneur de remonter une entreprise, a conduit à considérer que les entrepreneurs étaient les mieux à même de créer une entreprise parce qu'ils en avaient déjà eu une et connaissaient les ennuis d'un dépôt de bilan, ce qui pouvait éviter de nouveaux ennuis.

C'est ainsi que la suppression totale de la reprise des poursuites dans le cas d'une clôture pour insuffisance d'actifs, modification assez nette dans l'état de poursuite des sanctions est intervenue.

M. Jacky DARNE : Vous le regrettez ?

M. DUTILLEUL : Oui, je le regrette, pour la simple raison que, sur le plan pratique, je crains que ce ne soit pas très efficace. Pour quelques uns qui savent tirer les leçons de leurs difficultés, beaucoup ont appris à tirer les ficelles pour savoir comment bénéficier d'une aide avant de lâcher du lest et déposer à nouveau le bilan alors que la menace de la poursuite des sanctions et des poursuites individuelles est loin d'être négligeable. Dans la loi de 1967, elles existent toujours et les poursuites peuvent reprendre.

Cela se traduit d'ailleurs par la coexistence des deux lois puisque cela a été atténué de façon très nette par le biais des lois fiscales qui ont vite rétabli à leur profit la possibilité de poursuivre les chefs d'entreprise qui laissaient leur société endettée vis-à-vis du fisc. Ce furent des dispositions additionnelles aux lois de finances des années 1988 ou 1989. Le fisc a retrouvé assez vite sa possibilité de poursuite.

Dans les lois Badinter, l'option essentielle était que les entreprises soient créatrices d'emplois. Il fallait donc donner aux entreprises en difficulté la possibilité de repartir, celle de passer la main - c'est le plan de cession - ou de diminuer les passifs - c'est toute la législation assez stricte des déclarations de créances, relevés de forclusion, forclusion rapide, etc.

Indépendamment de cette idée principale, les fondements de la loi de 1985, vous le savez bien, s'appuyaient véritablement sur trois motifs. Il s'agissait du maintien de l'entreprise et du maintien des emplois et, derrière ces deux conditions, de l'apurement du passif. Je passe sur la littérature qui a été faite à ce moment-là pour expliquer qu'un apurement n'était pas un paiement.

Il s'est rapidement avéré que bon nombre de tribunaux, et celui de Lyon y a été très sensible, n'ont appliqué qu'avec une certaine réticence les objectifs de la loi qui étaient très généreux. Ils ont été plus réalistes en se demandant si maintenir ou créer des emplois dans des entreprises en difficulté n'aboutissait pas dans une économie de marché à en supprimer ou à empêcher d'en créer ailleurs, dans d'autres entreprises.

Je vais vous en donner un exemple extrêmement clair. Je rencontrais dernièrement un fabricant d'outillage spéciaux pour l'automobile de la région de Givors. Il disait que créer une entreprise d'automobile à Valenciennes, c'était très bien, mais que cela conduirait Peugeot et Renault à lui demander moins d'outillages. Les emplois qui seront créés là-bas, ce sera autant qui vont disparaître dans notre région.

M. Jacky DARNE : Vous avez tracé un panorama général de l'évolution de la législation et du contexte macro-économique qui permet de comprendre les disparitions d'entreprises mais pourriez-vous répondre plus précisément sur votre perception du fonctionnement du tribunal de commerce de Lyon dans ses aspects les plus concrets, de désignation, de gestion des procédures, de délais, de relations entre les professionnels que vous êtes et les juges. Quel est votre sentiment ? Comment cela évolue-t-il ? A votre avis, qu'est-ce qui est durable dans ce fonctionnement ?

M. DUTILLEUL : Il est à la fois difficile de critiquer son tribunal...

M. Jacky DARNE : Faites comme si M. Nougein n'était pas là.

M. DUTILLEUL : Je n'ai pas peur de M. Nougein, d'autant que n'ayant plus de désignation sur le tribunal de Lyon depuis dix-huit mois...

M. Jacky DARNE : Comment cela se fait-il ?

M. DUTILLEUL : Si vous regardez ma date de naissance, non pas M. Nougein, mais son prédécesseur vous expliquera que, sur le plan économique, il y avait un nombre peut-être trop important d'administrateurs pour le travail à faire, et qu'ayant passé 65 ans, il fallait que je prévoie de ne plus avoir de missions de la part du tribunal de Lyon. Cela étant - M. Nougein ne serait pas là, je le dirais de la même façon -, M. Nougein n'a pas voulu revenir sur cette position, ce que je comprends à certains points de vue. Il en a cependant atténué certains aspects qui auraient pu être brutaux et je reste en très bon rapport avec le tribunal de commerce de Lyon et ses juges.

M. Jacky DARNE : Combien avez-vous de collaborateurs ?

M. DUTILLEUL : A l'époque, j'avais huit collaborateurs, aujourd'hui, j'en ai trois. Cela n'est pas lié à cette affaire, mais je vous l'indique. Je dois terminer certains dossiers sur Lyon, des dossiers d'administration ou de commissariat au plan, et je continue mon activité avec d'autres tribunaux de commerce et le tribunal de grande instance, mais je suis passé en un an et demi de huit à trois collaborateurs...

M. Jacky DARNE : Mais pas en raison de l'absence de désignation du tribunal de commerce de Lyon ?

M. DUTILLEUL : Dans la mesure où il n'y avait plus de désignations, il est bien certain que... C'est comme un réservoir qui n'est plus alimenté, il continue à fournir pendant un certain temps, dans la mesure où il reste du liquide dans le réservoir.

Le fonctionnement du tribunal, je ne peux l'apprécier; je ne peux que le comparer à celui d'autres tribunaux de commerce avec lesquels j'ai été amené à travailler. Or, la comparaison est faussée parce que mes contacts avec les autres tribunaux, que ce soit Paris ou d'autres de la région, ont été beaucoup plus épisodiques. Cependant, je résumerai ma position en disant qu'ici, pendant vingt-cinq ans, j'ai été heureux parce que le tribunal de Lyon est un grand tribunal, il a donc un nombre de juges important. Mes propos concernent uniquement les juges-commissaires, le contentieux général j'en ai comme tout le monde, mais ce n'est pas là l'essentiel. Comme syndic d'abord, avec des liquidations et les règlements judiciaires, puis, quand il a fallu opter, comme administrateur judiciaire, avec le redressement, je peux dire que j'ai toujours trouvé chez les juges-commissaires avec lesquels je travaillais ce qu'essentiellement, je recherchais.

Je ne cherche pas chez un juge-commissaire qu'il soit un juriste. C'est mon métier et il y a des avocats qui connaissent parfaitement la matière. Je raisonne en me disant que je suis dans un hôpital où je ne rencontre que des malades, les entreprises en difficulté, ou plutôt de futures accouchées parce qu'en fin de compte, notre métier est souvent un métier de passage d'une situation à une autre. Ce que je demande à mon juge-commissaire c'est de me dire comment lui, homme normal, homme qui vit dans la rue, qui rencontre des gens malades mais aussi des gens bien portants, réagit devant telle ou telle difficulté, parce qu'à force de fréquenter des entreprises en difficulté, on finit par considérer que l'entreprise en difficulté est quelque chose de normal. Bien sûr, toutes en connaissent, mais plus ou moins. Il y a des aspects positifs et des aspects négatifs.

La grande nuance entre l'administration judiciaire et la liquidation pour le syndic que j'ai été pendant de années est qu'en ne faisant que de l'administration judiciaire, on rencontre des gens qui sont moins malheureux, parce qu'ils ont un espoir. Je crois que le rôle de l'administrateur judiciaire est de faire du chemin avec l'entreprise qui lui est confiée pour essayer de l'amener au mieux au plan, au pire de l'aider à vivre au mieux les difficultés traversées. Cet aspect psychologique est pour moi l'aspect déterminant.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, puisque vous êtes là, pour quelle raison n'est-il plus désigné par le tribunal ?

M. NOUGEIN : Comme le disait M. Dutilleul, mon prédécesseur M. Tamalet avait estimé que trois ou quatre administrateurs, cela faisait trop et que M. Dutilleul ayant un certain âge, il se passerait de lui. Je ne suis pas revenu sur cette décision. Je vous ai expliqué ce matin pour quelles raisons dans d'autres domaines, il était nécessaire qu'il y ait une continuité de l'action du tribunal dans les décisions prises. Dans le cas de Me Dutilleul, j'ai essayé d'accompagner au mieux cette décision.

Audition de M. SAPIN, administrateur judiciaire

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 1998 à Lyon)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

M. Sapin est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation de M. le Président, M. Sapin prête serment.

M. le Rapporteur : Vous avez de nombreux dossiers dans ce tribunal et nous avons eu l'occasion de procéder à des analyses de votre travail et d'explorer les relations que vous entretenez avec ce tribunal qui semble vous accorder sa confiance.

Nos questions portent d'abord sur le travail d'administrateur. La commission fait la différence, au sein de la profession de mandataire judiciaire, entre les mandataires liquidateurs et les administrateurs judiciaires, et est consciente du rôle déterminant que jouent les administrateurs judiciaires dans le redressement des entreprises, y compris dans la prévention. Pour quelles raisons, à votre avis, le tribunal ne vous confie-t-il pas des mandats ad hoc pour le travail de prévention. Pensez-vous être en mesure de remplir de telles fonctions ? Pour quelles raisons semblent-elles réservées, dans les grandes juridictions comme celles de Lyon ou de Paris, à d'anciens présidents de tribunaux de commerce ?

Nous aborderons ensuite d'autres questions mais, si vous le permettez, commençons par celles qui fâchent, en présence du président Nougein.

M. SAPIN : Je ne pense pas qu'il y ait des questions qui fâchent. Il peut y avoir des différences d'appréciation sur l'opportunité ou non de désigner des administrateurs judiciaires dans les procédures de prévention.

Les textes de la loi de 1994, qui a réactualisé celle de 1984, sont clairs sur ce point : il n'existe aucun monopole d'aucune profession pour les fonctions de conciliateur ou de mandataire ad hoc.

Il s'agit donc là d'une volonté du président du tribunal de commerce de ne pas nous confier ces missions et de préférer les confier à d'autres. Cette position a été adoptée par le tribunal depuis plusieurs mandats. Elle n'est pas partagée par tous les tribunaux puisqu'il nous arrive d'être désignés comme mandataire ad hoc ou conciliateur dans des tribunaux périphériques.

Quant aux raisons pour lesquelles le tribunal de commerce de Lyon ne souhaite pas nous confier ces procédures, sans vouloir botter en touche, je dirai que c'est au tribunal de vous les donner.

M. le Rapporteur : Nous avons sa réponse mais nous souhaiterions avoir la vôtre.

M. SAPIN : Ou, du moins, mon sentiment...

M. le Rapporteur : Il vous juge incapable de le faire ?

M. SAPIN : Lorsque nous avons posé cette question aux précédents présidents, la réponse qui nous a été faite était que l'on considérait que l'image de l'administrateur judiciaire était plus « judiciaire » qu'amiable. Il a donc été considéré qu'il était risqué, pour certaines entreprises, de confier des mandats ad hoc ou de conciliation aux administrateurs. Je ne pense pas que les hommes soient en cause; c'est plutôt une question d'étiquette et d'image.

Si c'est cela, je le regrette, bien entendu, d'autant plus que ce ne seraient pas nos qualités personnelles qui nous interdiraient d'accéder à ce genre de mandats, puisque, je l'ai déjà dit, les positions des tribunaux de commerce varient sur ce point. Certains pratiquent la désignation d'administrateurs, d'autres ne le font pas.

Ma conception est que la mission de l'administrateur est de sauver les entreprises et qu'il existe une continuité dans la démarche de sauvetage des entreprises. On ne peut pas dire que le sauvetage de l'entreprise commence à tel moment et s'arrête à tel autre selon l'intervenant. Pour moi, la démarche de redressement et de sauvetage de l'entreprise est une démarche continue. Le bon praticien des difficultés des entreprises est celui qui connaît parfaitement bien les procédures de prévention et parfaitement celles de redressement judiciaire parce que les deux doivent être maîtrisées par celui qui va donner un diagnostic sur l'entreprise et lui appliquer la meilleure des médecines. C'est la raison pour laquelle nous pensons que les administrateurs judiciaires sont capables de remplir ce genre de mission.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Mure, vous étiez administrateur.

Conformément à la loi, vous présentez un certain nombre d'orientations et exprimez des préférences sur des offres concurrentes. Un problème apparaît par la suite. Nous pensons, j'aimerais que vous réagissiez là-dessus, qu'en fait, le tribunal n'a pas les moyens d'investigation ; il n'a ni la compétence ni l'expertise. Il ne l'a que si vraiment il se mobilise, comme cela peut être le cas sur certains dossiers plus particuliers. Mais, en général, il délègue ce travail à l'administrateur judiciaire. Cette expertise vous l'exercez à plein temps avec des collaborateurs et, parfois, des intervenants extérieurs. Il est évident que votre avis a beaucoup d'importance, parfois même un poids plus lourd - nous l'avons constaté dans d'autres ressorts - que celui du parquet.

Dans cette affaire, nous avons été surpris de la façon dont les administrateurs judiciaires, vous-même et Me Picard, ont proposé au tribunal d'arrêter le plan de redressement en faveur de l'offre Collon, qui fut ensuite très contestée, alors que les éléments du débat étaient déjà apparus, le représentant des créanciers ayant déjà signalé des anomalies qui deviendront, plus tard, des éléments de contentieux dans ce dossier.

Certes, le tribunal peut ne pas entériner les décisions et chaque fois que nous interrogeons les administrateurs judiciaires ou les mandataires, ils répondent que le tribunal a décidé, s'accordant ainsi une sorte de quitus de responsabilité sur des décisions qui ont été lourdement non pas influencées, mais inspirées par une analyse, un diagnostic, qui arrive - l'un des juges que nous avons entendus ce matin utilisait cette expression - comme « prémâché » par l'administrateur judiciaire.

A travers ce dossier qui est un exemple concret, je voudrais connaître votre avis sur notre réaction et, de manière plus générale, sur l'influence que vous exercez sur les tribunaux.

M. NOUGEIN : Monsieur le rapporteur, si je peux me permettre une observation, c'est une affaire qui est en appel. Il ne faudrait pas que cela interfère...

M. le Rapporteur : Notre commission n'a aucune limite, sauf le secret d'une instruction pénale; cette affaire n'est pas en instruction au tribunal de grande instance; nous avons décidé depuis le début des travaux de la commission d'ouvrir à la presse l'ensemble des questions que nous nous posons. Si ces questions avaient été posées en plein jour, ou même à huis clos, avant que la commission ne s'en saisisse, nous n'en serions pas là.

Nous souhaitons respecter la loi, c'est-à-dire ne nous limiter qu'aux contraintes que la loi nous fixe. La cour d'appel fera ce qu'elle voudra et les parties se saisiront de toutes les déclarations des uns et des autres qui, si j'ai bien compris, ont déjà toutes été faites sur le tapis vert du tribunal.

Mais la commission n'était pas là ce jour-là, ni la presse d'ailleurs ; c'est la raison pour laquelle, nous nous informons.

M. SAPIN : Sur le dossier Mure, je parle de mémoire,...

M. le Rapporteur : Cette affaire comptait combien de salariés ?

M. SAPIN : Près de 400 salariés, si je ne me trompe, pour les affaires en redressement judiciaire.

En fait, elle en avait beaucoup plus, mais elle avait deux activités. Une activité, dans laquelle je ne suis d'ailleurs pas intervenu, était la pause des ronds à béton. Dans ce domaine, soit vous fabriquez avec une forme un peu particulière - si vous voulez faire un viaduc, vous ferez des tressés de ronds -, soit vous posez. Pour cette partie de l'activité, essentiellement centrée dans l'ouest de la France, aucune solution n'a été trouvée et elle est passée en liquidation.

M. le Rapporteur : Avec un millier de salariés.

M. SAPIN : C'est cela.

Il restait l'activité fabrication des armatures. Pour cette activité importante, nous avons cherché, avec Me Picard, des repreneurs car les anciens actionnaires ne souhaitaient pas présenter de plan, quel qu'il soit. L'issue était donc claire, c'était une cession.

Nous avons donc activement recherché des repreneurs. Nous avons fait des dossiers de présentation extrêmement complets, que nous avons fait circuler dans le monde entier. Certains sont partis aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne mais, en définitive, nous n'avons trouvé personne.

Nous nous sommes demandé pourquoi. La réponse est que ce métier est complètement sinistré et que les prix de vente sont systématiquement, dans le domaine des travaux publics, très en-dessous des prix de revient. Personne n'a voulu se lancer sur ce marché à une échelle aussi importante que l'était l'ensemble Mure.

Nous n'avons eu que deux types de propositions. Il y avait une dizaine de sites en France, qui faisaient l'objet, d'une part, d'une proposition globale d'un groupe d'industriels lyonnais menés par MM. Collon et Bene, des gens qui ont bonne presse financièrement et qui n'ont jamais démérité dans leurs affaires qu'ils ont toujours menées à bien, à notre connaissance. Cette proposition globale reprenait à peu près trois cents personnes sur les quatre cents qui étaient concernées par la fabrication d'armatures, soit une perte du quart.

Cette proposition globale était confrontée à une série de propositions partielles faites par de petites entreprises concurrentes proches de chacun de ces sites. Cela concernait certains sites, mais d'autres n'étaient pas repris dans cette série de propositions partielles.

Lorsque nous avons dû prendre position, nous avons longuement hésité. Après avoir consulté l'ensemble des comités d'entreprises - on nous reproche de temps en temps de ne pas assez associer le personnel, mais je me souviens avoir tenu dans cette affaire une dizaine de réunions avec des comités d'entreprises -, il est apparu que majoritairement, le personnel préférait une solution globale, les laissant en quelque sorte tous ensemble, plutôt que d'aller l'un vers tel partenaire local, l'autre vers tel autre.

C'est en définitive ce qui nous a fait pencher pour la solution globale. Il nous semblait difficile d'aller contre la volonté du personnel dans cette affaire et, bien qu'elle soit financièrement inférieure à la proposition des repreneurs partiels additionnés, il nous a semblé préférable de conserver l'unité de l'entreprise.

Cette solution présentait, de plus, l'avantage de ne léser aucun site. Dans les propositions partielles, certains sites étaient complètement abandonnés - je pense notamment à un site situé près de Nice.

C'est donc l'aspect social qui a été déterminant dans notre position.

J'ajoute que nous étions partagés; le dossier n'était pas simple et, dans cette affaire, le tribunal a pris des précautions particulières puisque cinq juges étaient à l'audience. Celle-ci a d'ailleurs commencé à 8 heures 30 pour s'achever à 13 heures 30. Tous les repreneurs ont été reçus, ce qui n'est pas une obligation du tribunal, mais ce qu'il peut faire dans des cas difficiles.

M. le Rapporteur : Et les réquisitions du parquet ?

M. SAPIN : Les réquisitions du parquet était en faveur du groupe Collon.

M. le Rapporteur : Il y avait des réserves.

M. SAPIN : Oui, mais les réserves, c'est bien mais, à un moment, il faut bien prendre position, on ne peut pas dire "oui, mais" ou "non, mais". On doit opter pour telle ou telle solution. Le parquet a conclu en faveur du dossier Collon.

Tous les repreneurs ont été entendus. Cela a joué parce que certains repreneurs partiels n'ont pas fait grosse impression. Il y a certainement des éléments subjectifs qui interviennent. Le tribunal, mais je ne sais quelles étaient ses motivations profondes, a vraisemblablement lui aussi préféré la solution Collon parce qu'elle était majoritairement soutenue par les salariés, qu'elle avait l'aval du parquet et qu'elle avait une légère préférence des administrateurs.

M. le Rapporteur : Et puis, patatras !

M. SAPIN : Pourquoi dites-vous "patatras" ? Parce que le représentant des créanciers a fait appel ?

M. le Rapporteur : Oui.

M. SAPIN : Mais ce n'est pas forcément « patatras » !

M. le Rapporteur : Expliquez-nous ça.

M. SAPIN : Le représentant des créanciers a fait tierce opposition devant le tribunal et a fait appel devant la cour. La procédure est d'ailleurs, me semble-t-il, appelée par la cour d'appel dans les jours qui viennent.

M. le Rapporteur : Ce bel agencement, qui avait l'accord de tous,...

M. SAPIN : Non, pas de tous. Le représentant des créanciers avait clairement dit non.

M. le Rapporteur : On se retrouve avec une remise en cause, peut-être, devant la cour d'appel pour des raisons graves, signalées par le parquet à l'époque sur lesquelles vous ne dites pas un mot dans votre rapport.

M. SAPIN : Sur le prêt de un million ?

M. le Rapporteur : Non, je reprends les termes du jugement qui sont assez éloquents. Le parquet est à un moment cité par le tribunal et voici comment le tribunal entend les réquisitions du parquet : « Le ministère public dans ses réquisitions déplore que l'offre Collon soit "téléguidée" par M. Pitance. » Le mot téléguidé est d'ailleurs entre guillemets tellement cela semble évident...

M. SAPIN : Vous me demandez mon sentiment profond : ce n'est pas exact.

M. le Rapporteur : C'est pour cela que vous n'en avez pas dit un mot dans votre rapport ?

M. SAPIN : Si, cela a été signalé... Qu'est-ce que c'est que ce téléguidage ? Soyons concret, le téléguidage, c'est que la holding Mure ayant un intérêt majeur à ce que l'ensemble de ses sites - elle est propriétaire de sites immobiliers - soient loués à un repreneur global a, dans le plan de financement du repreneur, accepté de participer au financement.

Contrairement à ce que vous venez de dire, dans le rapport que nous avons fait avec Me Picard, il est parfaitement indiqué qu'un prêt est consenti par la holding Mure à la société nouvelle. Ce prêt n'a jamais été caché et a même fait l'objet d'une longue discussion devant le tribunal.

M. le Rapporteur : Cela n'a pas été analysé comme un obstacle ?

M. SAPIN : Je ne l'analyse pas comme un obstacle. Si j'étais à la place de la société holding et que l'un des repreneurs vienne me dire qu'il reprend l'ensemble des sites industriels, et donc, qu'il va verser un loyer, alors qu'en tant que holding, j'ai à faire face à des endettements bancaires significatifs, et qu'il me demande pour l'aider à boucler son plan de financement de lui prêter un million, je m'interrogerais sérieusement. Si cela m'était présenté comme une nécessité pour pouvoir boucler le plan de financement, je ferais certainement ce qu'a fait le président de la holding Mure. Je ne suis pas, bien sûr, à sa place. Il a pris ses responsabilités, ce sera l'objet du débat devant la cour. Je ne sais pas ce que va décider la cour, mais, en tout état de cause, je ne pense pas que ce téléguidage soit aussi évident que vous l'évoquez.

M. le Rapporteur : Ce ne sont pas mes mots. Je n'invente rien, je ne suis d'ailleurs pas en mesure d'avoir un diagnostic personnel. Je ne peux l'exercer qu'à travers l'analyse d'autres protagonistes, qui posent là une grave question.

Le tribunal nous a d'ailleurs paru un peu embarrassé ce matin par la tournure des événements. C'est bien légitime car j'ai senti quelques scrupules dans cette juridiction. Que cette affaire tourne au vinaigre est peut-être à mettre sur le compte d'objections un peu vite balayées, de la façon dont vous le faites d'ailleurs, avec beaucoup d'assurance.

Nous allons suivre cela. Nous rendons notre rapport au mois de juillet...

M. SAPIN : Vous aurez l'arrêt de la cour.

M. le Rapporteur : Je souhaite qu'il me soit envoyé par vos soins.

M. SAPIN : Aucun problème.

M. le Rapporteur : J'aurai grand plaisir à le lire ainsi que vos commentaires qui l'accompagneront.

Dans cette autre affaire, AGDE Electronic, j'ai noté également un grand engagement de votre part. Je ressens là votre style et votre personnalité, dans cette façon de vous engager avec force sur un certain nombre d'orientations.

A mon avis, l'analyse des offres était tout à fait sommaire; aucun élément ne permet au tribunal de peser dans un sens ou dans l'autre, en dehors des éléments chiffrés qui apparaissent obligatoirement dans un rapport d'administrateur judiciaire. Dès que j'ouvre un dossier de procédure collective, je regarde le rapport de l'administrateur. Or, j'ai eu beaucoup plus d'éléments dans le jugement que dans votre rapport. Il manque le dessous des cartes, comme l'on dit. Votre engagement sur certaines orientations ne s'assortit pas des arguments pour l'étayer.

M. SAPIN : Vous m'embarrassez beaucoup parce que c'est un dossier ancien, qui date de deux ans ; je me souviens qu'il y avait deux branches d'activité. La partie électronique, qui occupait 150 personnes, a été cédée à un groupe qui s'appelait, me semble-t-il, Martek.

M. le Rapporteur : En effet, Martek et Quante.

M. SAPIN : La seconde - c'était l'affaire du sénateur Trégouët, si j'ai bonne mémoire - était une affaire de sous-traitance textile qui n'avait rien à voir avec de l'électronique et était complètement indépendante, qui a été cédée à une Scop qui s'est constituée derrière. Là aussi, il a dû y avoir entre 70 et 100 emplois sauvés.

C'est donc un dossier où il y a eu pas mal d'emplois sauvés.

Pour ce qui est des raisons, excusez-moi, mais je ne peux pas vous répondre sur les raisons qui m'ont fait prendre position sur...

M. le Rapporteur : C'était mon sentiment.

M. SAPIN : Je ne m'en souviens pas exactement, mais je me souviens que nous avons reçu avec le juge-commissaire, qui était M. Ginies si ne me trompe, tous les repreneurs à plusieurs reprises et que nous avons eu, sur ce dossier, la même vision des choses. Je doute fort que cela n'apparaisse pas dans les conclusions de mon rapport.

Cela étant, je veux bien reprendre mon rapport pour savoir ce qu'il en est. Vous m'auriez posé la question ce matin, j'aurais pu réunir les éléments...

M. le Rapporteur : Vous souvenez-vous du montant des honoraires que vous avez reçus dans cette affaire ?

M. SAPIN : Je ne m'en souviens pas.

M. le Rapporteur : 263 000 francs.

M. SAPIN : Hors taxes ou TTC ?

M. le Rapporteur : TTC.

M. SAPIN : C'est possible.

M. le Rapporteur : Cela vous paraît-il normal ?

M. SAPIN : Oh, oui. Dans un dossier où il y avait au moins 200 salariés, cela ne me paraît pas anormal. Il y a eu une exploitation, on a au moins sauvegardé 130 emplois en électronique et vraisemblablement 80 ou 100 dans l'activité textile. Cela ne me paraît pas du tout anormal.

C'est une affaire qui a dû durer trois ou quatre mois.

Elle faisait quand même près de 100 millions de chiffre d'affaires.

M. le Rapporteur : C'est fonction du chiffre d'affaires ?

M. SAPIN : C'est indexé sur le chiffre d'affaires, ce qui ne me semble pas anormal, d'autant que si vous reprenez le montant hors taxes, cela fait...

M. le Rapporteur : 220 000 francs.

M. SAPIN : Pour combien de taxes en tout ?

M. le Rapporteur : 218 000 francs hors taxes.

L'ouverture est du 15 janvier, le jugement du 10 avril.

M. SAPIN : Ce n'est malheureusement pas la norme. La norme, malheureusement, statistiquement, des honoraires d'administrateurs est de 60 000 francs par dossier.

M. le Rapporteur : Et dans l'autre affaire que nous évoquions tout à l'heure ?

M. SAPIN : Scop Textile ?

M. le Rapporteur : Non, Mure. Vous avez reçu des honoraires ?

M. SAPIN : Pas encore. Non.

M. le Rapporteur : Combien cela va-t-il coûter à l'entreprise ? Vous n'avez pas encore fait votre demande de taxes ?

M. SAPIN : A mon avis, dans un dossier comme celui-là, avec Me Picard, nous allons prendre à deux sur la dizaine de sociétés, une somme de l'ordre de 120 000 francs à deux...

M. le Rapporteur : Par société ?

M. SAPIN : Oui.

M. le Rapporteur : Pour douze sociétés ?

M. SAPIN : Oui, 1,2 million à deux.

M. le Rapporteur : L'équivalent du prêt ?

M. SAPIN : Cela n'a strictement rien à voir.

M. le Rapporteur : Il paraît !

M. Jacky DARNE : Je ne pose pas de question sur dossier parce que je n'ai pas regardé de dossiers à votre nom ce matin. Mais, dans un hebdomadaire lyonnais, j'avais lu un entretien que vous aviez accordé. En réponse à une question vous demandant si vous subissiez des pressions, vous répondiez que « quand on a un dossier politiquement sensible, on a des coups de fils discrets de certains ministères, d'élus. On répond poliment, mais cela ne change rien ».

Vous en dites trop ou trop peu. A quoi faisiez-vous allusion ? Dans quelles circonstances avez-vous subi des pressions de ministères ou d'élus ? Comment démontre-t-on que cela a un effet ou pas ? Que pensez-vous de la relation qu'il est normal que votre profession entretienne avec des élus et des ministères ?

M. SAPIN : Le mot « pressions » était dans la question posée. En ce qui concerne les contacts que nous avons dans les affaires délicates avec les maires ou élus, ce n'est pas à vous que je vais dire que c'est inutile, surtout dans des dossiers géographiquement isolés car il faut bien distinguer ce qui se fait dans les grandes villes, où le monde politique intervient peu, de ce qui se fait dans des communes plus isolées où le monde politique intervient plus parce qu'il est soucieux de l'emploi, et c'est bien légitime.

Nous répondons toujours aux demandes d'information, aux questions et nous assistons toujours aux réunions que tel ou tel responsable de collectivité organise pour ses affaires qui mettent en jeu l'emploi dans un lieu plus ou moins isolé. Néanmoins, la solution aujourd'hui n'est plus apportée par les politiques ou par le pouvoir. Les choses ont bien changé de ce point de vue entre l'époque où j'ai commencé le métier et maintenant.

Lorsque j'ai commencé, l'un des mes dossiers était celui des ARCT à Roanne. J'étais administrateur provisoire des ARCT. Tous les mois, j'allais chercher un chèque de un million de francs à la Banque de France parce qu'il y avait une volonté politique de sauver les ARCT. C'était dans les années 77. Dans ces affaires, nous étions un peu « aux ordres ». Nous exercions nos fonctions très normalement, mais la solution ce n'était pas nous qui la proposions, c'était le pouvoir politique ou les hauts fonctionnaires qui la choisissait. C'était l'époque glorieuse du Ciri, du Ciasi. Il est clair que nous subissions alors des pressions.

Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Nous avons des élus, légitimement soucieux du sort des entreprises qui sont sur leurs circonscriptions ou leurs communes, qui posent des questions, mais ce n'est pas parce qu'ils vont dire qu'ils souhaitent telle solution plutôt qu'une autre que cela modifiera notre analyse économique du dossier. Nous devons avoir un oeil de technicien économique sur un dossier et donner un avis.

Très normalement, nous écoutons les observations mais si elles ne sont pas conformes à ce que nous pensons profondément, nous ne pouvons pas y donner suite.

Les choses ont bien changé entre ce qui se passait dans les années 75-80 et ce qui se passe de nos jours. Il faut dire qu'à l'époque, des prêts directs étaient consentis par les autorités aux repreneurs et lorsque l'on prête à l'un plutôt qu'à l'autre, la solution s'impose d'elle-même.

M. Jacky DARNE : En tant que maire, je suis assez souvent insatisfait du peu d'attention prêté aux dimensions locales et aux déséquilibres économiques qui peuvent résulter de telle solution plutôt que de telle autre. Des éclairages peuvent parfois être donnés par un environnement local sur des situations où la rationalité n'est pas évidente. On le voit bien dans des dossiers de reprise qui sont cités.

L'arbitrage entre la solution financière qui paraît un peu meilleure et la solution industrielle qui peut paraître un peu plus fragile mais plus intéressante en termes d'emplois, obéit à des logiques qu'il n'est pas facile d'apprécier. La comparaison de plans n'est pas évidente et on a souvent l'impression que l'approche financière est privilégiée par rapport d'autres.

Par exemple, dans ma commune, il y a eu le cas de Majorette. N'est-ce pas vous qui avait suivi ce dossier ?

M. SAPIN : Si.

M. Jacky DARNE : De mémoire, quand on a donné la préférence à Idéal Loisirs, ni les salariés, ni la place locale n'étaient favorables à cette solution. Et la démonstration a été faite de l'incapacité d'un commercial à gérer une boîte industrielle. La solution allemande actuelle est d'un tout autre intérêt. J'ai vraiment le sentiment que le dialogue collectif à l'occasion de cette première cession aurait été bénéfique.

A l'inverse, des pressions peuvent être le fruit de pur favoritisme, et aboutir à trancher en faveur de quelqu'un qui n'a pas le meilleur dossier. C'est alors inacceptable.

Je fais donc la différence entre une juste concertation, que je trouve nécessaire - à laquelle la mobilisation de l'argent public peut aussi contribuer, parce que les plans négociés avec la direction du travail sont aussi là pour cela et il convient dès lors que l'administration et les élus soient mobilisés sur la façon de construire des réponses industrielles dont nous avons eu des exemples tels que Bailly - et les solutions inacceptables parce que résultant de pressions et de favoritisme.

Aussi ma question était-elle de savoir s'il s'était parfois exercé des pressions par favoritisme et nuisant à la qualité des décisions.

A l'inverse, ne négligez-vous pas trop le juste partenariat avec les administrations ou des élus ?

M. SAPIN : A ma connaissance, chaque fois qu'un élu ou une administration souhaite organiser une table ronde sur des dossiers sensibles, je pense pouvoir parler collectivement pour notre profession, jamais nous ne refusons d'assister à une réunion de concertation. Au contraire, nous en sommes demandeurs puisque c'est finalement par l'intermédiaire de ces réunions que le message économique, si nous avons un message économique à faire passer, peut être diffusé. Je respecte tout à fait votre remarque et partage votre sentiment; nous aussi, sommes demandeurs de telles réunions.

En ce qui concerne les pressions, nous ne sommes plus à une époque où...

M. Jacky DARNE : Donc, vous n'en avez pas. Si l'on sait que des hommes politiques ou des ministères interviennent d'une façon tendancieuse, il faut les dénoncer. Il faut mettre de la morale dans les affaires aussi.

M. SAPIN : Nous ne sommes plus à cette époque mais nous l'avons été il n'y a pas si longtemps que ça.

M. Jacky DARNE : Pas si longtemps que ça ?

M. SAPIN : Je ne peux pas vous donner un nombre d'années exact. Mais je reprends votre exemple, sur le dossier Majorette, il y avait, me semble-t-il, une intervention assez forte du Ciri...

M. Jacky DARNE : En faveur d'Idéal Loisirs.

M. SAPIN : Oui.

M. Jacky DARNE : Et vous l'approuviez ?

M. SAPIN : Oui, je n'ai pas fait d'obstacle à cette démarche parce que vous parliez du dossier Thirion, mais je vous rappelle que le groupe Thirion a eu de grandes difficultés après.

M. Jacky DARNE : Je n'étais pas maire à cette époque et mon information n'était que par le comité d'entreprise et des salariés. Or, comme vous le savez, le syndicalisme n'était pas le fort de l'entreprise Majorette.

Il n'y avait que ces deux candidats ?

M. SAPIN : C'étaient les deux principaux.

M. Jacky DARNE : Idéal Loisirs n'enthousiasmait pas.

M. SAPIN : Mais la décision n'a été critiquée par personne, sauf instantanément pas les salariés qui, en définitive, ont conservé leur emploi.

M. Jacky DARNE : Leur nombre a quand même été divisé par deux.

M. SAPIN : Bien après ! Quatre ans après.

M. Jacky DARNE : Après la période Idéal Loisirs. La solution de Triumph Adler est passée par un dépôt de bilan ?

M. SAPIN : Sans dépôt de bilan. Cela s'est fait en interne. Mais à l'évidence, c'est une solution industrielle. On a en face de soi des industriels et pas des commerciaux, un groupe qui a des fonds et qui est intéressé.

M. Jacky DARNE : J'ai vu que des administrateurs ont créé des banques de données sur Minitel sur les affaires à reprendre...

M. SAPIN : Sur Internet. Nous sommes à l'origine de cela.

M. Jacky DARNE : Cela me semble positif. Vous évoquiez le cas de Mure dans lequel vous avez effectué un travail de diffusion du dossier très important. Est-ce que cela a été fait pour Majorette ? Est-ce aujourd'hui systématique ? Ne pensez-vous pas que la façon d'aborder les dossiers de cette ampleur reste trop confidentielle ?

M. SAPIN : Je vous réponds très clairement. Pour Majorette, plus de cinquante dossiers de présentation ont été distribués partout, jusqu'aux États-Unis, je vois encore Toys'R Us écrivant pour demander des informations.

Pour tous les dossiers significatifs, nous nous appliquons à faire un dossier de présentation de la même façon.

Mais, vous savez, un repreneur à un moment donné n'est pas forcément repreneur après. Je vais vous donner l'exemple d'un dossier que vous n'avez pas cité, mais qui illustre parfaitement ce propos.

C'est un dossier qui s'appelle Benoît, de fabrication d'amandes, de cacahuètes et de pop-corn.

Sur ce dossier, nous n'avons eu aucun repreneur pendant six ou sept mois. Nous avons diffusé des dossiers dans le monde entier parce que c'était de l'agro-alimentaire, donc forcément des groupes mondiaux. Un repreneur possible, une société allemande, avait demandé un dossier puis avait dit qu'il n'était pas intéressé.

Le temps passe. Il restait deux fabricants indépendants de cacahuètes et de pop-corn en France, un qui était en dépôt de bilan chez nous et l'autre dans la région de Mâcon, me semble-t-il. On apprend que le concurrent du groupe allemand rachète ce dernier indépendant qui était in bonis. La nouvelle fait le tour du petit monde des fabricants d'arachides et, huit jours après, j'avais un coup de fil du groupe allemand pour racheter cette affaire dont il ne voulait pas trois mois avant.

Les décisions d'investissement des grands repreneurs ne sont pas définitives. Il n'y a pas de logique parfaite dans tout cela.

Pour Majorette, nous aurions préféré avoir Triumph Adler tout de suite, mais il n'a pas fait de proposition à ce moment-là. Il a fait une proposition ensuite, peut-être parce que Majorette était intégrée dans un groupe, Idéal Loisirs, plus important sur le plan du volume d'affaires. Idéal Loisirs faisait près de 2 milliards de francs de chiffre d'affaires alors que Majorette ne faisait plus que 500 millions de francs. Cela a peut-être plus intéressé Triumph Adler de reprendre Majorette dans Idéal Loisirs.

Voilà le genre de réponse que je peux vous faire. Il n'y a pas de loi mathématique en la matière, mais sachez que nous nous attachons pour tous les dossiers importants à faire des dossiers de présentation, qui sont diffusés le plus largement possible.

Audition de MM. NANTERME, PEY, SAPIN, administrateurs judiciaires

et de MM. BAULAND, DUBOIS, REVERDY, SABOURIN et WALCZAK mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 juin 1998)

Présidence de M. Arnaud MONTEBOURG, Rapporteur

MM. Bauland, Dubois, Nanterme, Pey, Reverdy, Sabourin, Sapin et Walczak sont introduits.

M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation de M. le Rapporteur, MM. Bauland, Dubois, Nanterme, Pey, Reverdy, Sabourin, Sapin et Walczak prêtent serment.

M. le Rapporteur : Nous avons expliqué à vos deux confrères qui ont été entendus auparavant que nous savions faire la différence entre mandataires-liquidateurs et administrateurs judiciaires. La commission a trop peu entendu d'administrateurs judiciaires. C'est une des raisons pour lesquelles nous souhaitions en entendre deux qui travaillent avec le tribunal.

Les questions que nous nous posons concernent la façon dont les procédures sont administrées ; est-ce vous qui contrôlez le tribunal ou le tribunal qui vous contrôle ? Puis, se pose la question fâcheuse des revenus qu'il va falloir que nous abordions librement.

M. Jacky DARNE : Quelles sont les conditions de fonctionnement de vos études quant au nombre de dossiers, endormis ou vivants ? Quel type de personnel employez-vous ? Quel effectif ? Dans quelle mesure connaissez-vous personnellement des dossiers ? Comment les gérez-vous ? Êtes-vous le manager ? Quelles tâches effectue le reste du personnel ?

M. REVERDY : Je suis mandataire judiciaire. Le nombre de dossiers dont j'ai à connaître est de l'ordre de 300 annuellement. Le nombre de dossiers en stock est de 1 000 environ.

L'effectif de mon étude en équivalent plein temps est de 14 personnes. Trois collaborateurs suivent les dossiers directement ; nous les supervisons. Nous allons à toutes les audiences et voyons les dossiers avec les collaborateurs qui les reçoivent. Ensuite, nous intervenons dans toutes les signatures de requête, dépôts de requête, répartition des fonds aux créanciers, etc.

M. Jacky DARNE : Quel est votre chiffre d'affaires ?

M. REVERDY : Je ne peux pas vous dire, je peux vous transmettre la déclaration de mes bénéfices non commerciaux.

M. Jacky DARNE : 120 millions ou 300 000 francs ?

M. REVERDY : De l'ordre de 7 millions de francs.

M. BAULAND : Je suis mandataire. J'ai également 300 dossiers de liquidation et de redressement judiciaire par an. En stock, actuellement, je dois avoir quelque 1 800 dossiers puisque j'ai repris l'étude de Me Cote, parti en 1994.

L'étude compte 15 personnes, dont cinq collaborateurs affectés au traitement des dossiers. Cette étude est peut-être gérée différemment de celle de mes confrères, puisque j'ai spécialisé certains collaborateurs sur des points précis. J'avais récupéré ce stock de dossiers de mon prédécesseur ; il m'a fallu embaucher deux personnes et demi pour suivre toutes les procédures ouvertes avant 1994.

Tous les anciens dossiers sont donc entre leurs mains. Les nouveaux dossiers arrivent à l'étude, sont distribués par mes soins et mes collaborateurs reçoivent le débiteur. En cas de difficulté majeure, je suis présent à l'étude et reçois donc le débiteur avec mon collaborateur et cela donne lieu à un rapport sommaire, une fiche remplie par mon collaborateur qui me donne les grands points de l'affaire et un rapport au juge-commissaire prévu par la loi.

J'ai aussi, autre particularité, une personne affectée uniquement au traitement des clôtures. Ce ne sont pas les personnes qui suivent le dossier et qui le clôturent ; ils suivent la vie du dossier. La personne chargée de le clôturer en vérifie l'état, voit si toutes les diligences ont été effectuées.

M. Jacky DARNE : Cela veut donc dire que chaque collaborateur gère entre 250 et 300 dossiers.

M. BAULAND : Non, parce que sur les 1 800 dossiers, près de 600 sont les anciens dossiers de mon prédécesseur.

M. Jacky DARNE : Vous ne les gérez pas, ceux-là ?

M. BAULAND : Ce n'est pas que je ne les gère pas, mais ils ne sont pas distribués de façon égalitaire entre les collaborateurs. Certains dossiers anciens sont traités au fur et à mesure de leur reprise.

Les dossiers vivants, environ 300 par an, sont répartis sur quatre collaborateurs. Cela fait donc 75 dossiers suivis par chaque collaborateur sur l'année.

M. le Rapporteur : Avez-vous le temps de répondre à tous les débiteurs, de répondre à toutes les lettres ?

M. BAULAND : Notre téléphone est accessible à toute heure. Nous répondons aux lettres. Il y a bien quelques retards par ci par là, mais, en général, nous ne sommes pas sous les feux de la rampe avec des demandes incessantes présentées auprès du tribunal en retard dans les règlements et dans les réponses à donner aux créanciers.

M. le Rapporteur : Quel est votre chiffre d'affaires ?

M. BAULAND : Environ 7 millions de francs.

M. PEY : Je suis administrateur. Je traite en moyenne une cinquantaine de dossiers vivants annuellement. Mes statistiques sur les onze dernières années d'exercice sont de 449 dossiers, ce qui confirme ce chiffre.

J'ai également de façon constante 150 à 160 plans soit de cession soit de continuation en exécution, c'est-à-dire le suivi annuel pour les plans de continuation et le suivi de quelques mois, voire quelques années, pour les plans de cession pour mener les dossiers au...

M. Jacky DARNE : Vous en avez 160 ?

M. PEY : Très exactement 158 au moment de la communication de ce chiffre à monsieur le procureur sur demande de la Chancellerie, c'est-à-dire au 1er avril 1997.

Je travaille avec un collaborateur direct sur les dossiers vivants en cours de redressement judiciaire. Nous travaillons en binôme, c'est-à-dire que ni mon collaborateur ni moi-même ne suivons seuls les dossiers, pour qu'il y ait une permanence et une constance dans le suivi des dossiers. J'ai un collaborateur de bon niveau également pour l'exécution des plans de continuation ou de cession à partir de l'arrêté du plan par le tribunal. Le dossier change de main à ce moment-là. Il reste sous mon contrôle au sommet, bien sûr, mais il change de collaborateur pour qu'il y ait un oeil nouveau sur la procédure d'exécution.

M. Jacky DARNE : Quel est l'effectif total de l'étude ?

M. PEY : L'effectif total de l'étude est de sept collaborateurs.

M. Jacky DARNE : Dont ?

M. PEY : Dont deux collaborateurs de haut niveau.

M. le Rapporteur : Quel est votre chiffre d'affaires ?

M. PEY : 5 millions de francs.

M. Jacky DARNE : Comment faites-vous pour suivre le plan de continuation ? Avez-vous un système informatique spécifique ? Quel type de rapports entretenez-vous avec l'entreprise ? Je disais ce matin aux juges que l'une des obligations - que personne ne respecte - consiste à établir un plan annuel de travail pour les plans de continuation et de les transmettre au juge-commissaire. Quelle méthode utilisez-vous et quelles relations entretenez-vous avec les juges-commissaires qui, d'après ce que j'ai entendu ce matin, se considèrent en réalité comme dessaisis ?

M. PEY : Pour les plans de continuation, nous assurons dans un premier temps un suivi annuel, puisque l'échéance est annuelle, mais nous devançons l'échéance; quelques semaines avant cette date, l'informatique - c'est un programme personnel - nous avertit. Nous sortons un état, par quinzaine en principe, de l'exécution de tous les plans de continuation et nous regardons la périodicité des échéances pour l'ensemble des plans. Cela nous permet de déclencher un contrôle systématique auprès du dirigeant et de ses services comptables et financiers et, dans le cas des sociétés anonymes, auprès du commissaire aux comptes.

Nous convoquons en principe le dirigeant de la société pour discuter avec lui car c'est au travers de cette discussion que nous sentons si son entreprise est en bonne santé ou s'il a des problèmes. À la suite de ce contrôle, nous adressons un compte rendu au tribunal. Il nous a été demandé d'ailleurs au cours des réunions de travail avec le tribunal d'informer également le juge-commissaire, qu'il soit encore ou ne soit plus en fonction au sens de la loi.

En ce qui concerne les plans de cession, le contrôle est différent puisque nous allons, à l'instar de la liquidation, jusqu'à la réalisation totale des actifs. Donc, nous signons dans un premier temps les actes, nous en encaissons les prix, dans des délais très brefs. Nous avons fait un gros travail pour essayer de nous améliorer dans ce sens. Aujourd'hui, tous les actes sont signés dans un délai de trois mois et la plupart dans le délai d'un mois. Les actes découlent du jugement d'arrêt de plan de cession et nous poursuivons la réalisation des actifs dans les formes de la loi pour les actifs dits résiduels et les encaissements des comptes clients.

À cet égard, nous faisons également un compte-rendu régulier au moins une fois par an. J'ai là une fiche standardisée dont je pourrai vous laisser un modèle. Il s'agit d'un plan de cession, mais je dois aussi avoir un plan de continuation à vous donner.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Maxi-Livres, vous étiez avec Me Nanterme ?

M. PEY : Nous étions coadministrateurs.

M. le Rapporteur : J'ai plusieurs questions à vous poser. Nous en avons longuement parlé avec les magistrats. J'ai cru comprendre que vous étiez favorable à Omnium Participations, pour des raisons qui ont rencontré l'assentiment du tribunal, mais peut-être pas celui des salariés.

M. PEY : Ils avaient leur propre projet.

M. le Rapporteur : C'est leur droit.

M. PEY : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Ils pouvaient être opposés à la solution finalement choisie. Êtes-vous aujourd'hui satisfait de la décision, vous qui suivez le respect par Omnium de ses engagements ? Ne considérez-vous pas qu'il y a un nuage dans le ciel ?

M. PEY : Je répondrai de façon immédiate que j'estime que le choix a été le bon. Non parce que c'est celui du tribunal auprès duquel j'exerce et parce que c'est la thèse que je défendais il y a maintenant six mois, mais parce que jusqu'à la dernière phase de ce dossier, nous pensions tenir plusieurs bonnes solutions. Je persiste à penser que l'autre n'était pas mauvaise même s'il nous est apparu que la solution dite « industrielle », était mieux assurée de notre point de vue par le groupe Omnium.

En ce qui concerne mes fonctions et mon contrôle en qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation, je peux vous confirmer que mensuellement, depuis le mois de décembre, je rencontre à mon cabinet à Lyon, le dirigeant, assisté de son expert-comptable conseil, qui est M. Moneget...

M. le Rapporteur : Je ne vous demandais pas si vous faisiez votre travail.

M. PEY : Qui me justifie pas-à-pas...

M. le Rapporteur : Ma question ne vous concernait pas. Elle concernait Omnium. Respecte-t-il ses engagements ?

M. PEY : Omnium a totalement respecté ses engagements sur deux points majeurs. D'une part, il n'a pas, comme il était prévu - ce fut son engagement à la barre au tribunal - procédé à des restructurations entraînant des licenciements. D'autre part, il a payé régulièrement et immédiatement les créances superprivilégiées, comme il s'y était engagé, qui étaient relativement importantes. Nous lui avions également demandé de faire toute diligence - Me Dubois, représentant des créanciers, pourra mieux vous répondre sur ce point - pour que la vérification des créances soit faite dans un délai rapide pour la simple raison que le premier paiement des créanciers doit intervenir au 30 juin et que nous estimions qu'il ne fallait pas que le repreneur puisse se prévaloir...

M. le Rapporteur : Les créanciers seront-ils payés au 30 juin ?

M. PEY : Oui.

M. le Rapporteur : Il y avait une garantie à peu près équivalente offerte par les deux offres en concurrence : Omnium Participations et Appax.

M. PEY : À peu près.

M. le Rapporteur : L'un proposait une clause pénale, l'autre pas; cela ne vous a pas paru décisif ?

M. PEY : Pas en regard des autres paramètres de l'offre d'Omnium qui nous semblait meilleure.

M. le Rapporteur : Cette clause semblait avoir rassuré les salariés.

Il se serait agi d'une promesse démagogique et illusoire...

M. PEY : Qui a été faite d'ailleurs en dernière minute à la barre.

M. le Rapporteur : Sous l'exigence du tribunal.

M. PEY : Je ne sais plus si c'était sous l'exigence du tribunal, mais en tout cas elle a été faite dans le feu de la discussion à la barre.

M. le Rapporteur : Pour quelles raisons cela n'a-t-il pas été exigé d'Omnium Participations ?

M. PEY : Il semblait par ailleurs que son offre offrait toutes les garanties. Les garanties bancaires ont été fournies avant l'audience...

M. le Rapporteur : Oui, mais les garanties bancaires, ce ne sont pas les salariés.

M. PEY : Ce qui a milité en faveur d'Omnium par rapport à Appax, c'est le fait qu'il s'agisse d'un industriel qui faisait cela pour son compte personnel sans intention de revente. Les représentants d'Appax ont clairement dit, au cours des innombrables réunions qui ont eu lieu avec le juge-commissaire, qu'ils cherchaient la plus-value et que le moment venu, à plus ou moins longue échéance, en fonction des résultats obtenus, il risquait de revendre.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport, il n'y avait pas d'analyse consolidée du groupe.

M. PEY : Nous avons donné les bilans consolidés, qui n'intégraient pas certaines sociétés périphériques, les dernières acquises par le groupe Maxi-Livres. Je parle des filiales notamment de...

M. Jacky DARNE : Les comptes consolidés existaient dans le dépôt de bilan, ou est-ce à l'occasion du dépôt de bilan...

M. PEY : Ils existaient pour les plates-formes et les filiales magasins de distribution du concept de vente de livres neufs à prix réduits. Mais la consolidation n'existait pas pour les sociétés de stockage et...

M. NANTERME : de distribution pour les sociétés d'édition.

M. Jacky DARNE : Sur ce point, respectaient-ils la loi ?

M. PEY : Oui.

M. Jacky DARNE : Vous êtes sûr ?

M. PEY : Oui, puisqu'ils avaient un délai pour consolider. Il s'agissait de reprises récentes. C'était notamment l'activité de « laisser sur place » qui s'appelle TDS, qui est un concept...

M. NANTERME : Ils étaient sous la surveillance de la COB.

M. Jacky DARNE : Je connais la COB. Elle intervient, mais elle ne sait pas tout.

On a vu la taxation de vos honoraires ramenés à 1,8 million de francs. Coopers et Lybrand a fait un rapport. Est-ce vous qui l'avez payé ?

MM. PEY et NANTERME. Non.

M. PEY : Il y a eu plusieurs rapports Coopers et Lybrand. Nous vous répondons d'une manière très vive et très nette parce que c'est un sujet qui a fait l'objet...

M. NANTERME : Effectivement, il y a eu plusieurs rapports qui ont été faits à la demande du ou des dirigeants du groupe. Certains ont été faits pratiquement un an avant le dépôt de bilan et se sont étalés sur toute l'année 1996-1997.

M. Jacky DARNE : J'en ai un en date du 10 avril, qui est donc postérieur à l'ouverture de la procédure.

M. NANTERME : Non. Ce n'est pas nous qui l'avons...

M. PEY : Dans l'ensemble des dossiers Maxi-Livres, nous avons accepté de prendre en charge dans le cadre de l'exploitation, uniquement les honoraires des conseils habituels de l'entreprise, de l'expert-comptable. Nous n'avons pas fait appel à un expert-comptable extérieur.

M. le Rapporteur : Qui s'élevait à combien ?

M. PEY : Disons 1 million de francs, pour aller jusqu'aux bilans qui sont sortis. Nous avons fait faire tous les bilans...

M. le Rapporteur : Pour le commissaire priseur, tous les experts-comptables, l'avocat...

M. PEY : Je parle de l'expert-comptable. Nous pourrions vous donner des chiffres plus précis.

M. le Rapporteur : Il nous les faudrait.

M. PEY : L'expert-comptable a coûté sans doute un million de francs. Nous lui avons demandé toutes les situations de l'ouverture de la procédure société par société, puisque c'était une obligation, ne serait-ce que vérifier le passif, et...

M. le Rapporteur : C'était l'expert-comptable de la société ?

M. PEY : C'était l'expert-comptable de l'ensemble des sociétés, l'expert-comptable historique.

M. Jacky DARNE : Pensez-vous que cela préserve votre capacité d'analyse ? Entre votre rapport au tribunal et celui fait par l'entreprise, quelle est l'importance de votre valeur ajoutée, de votre critique ? Vous sentez-vous indépendants ?

M. PEY : Totalement indépendants. Ce dossier illustre le fait que le rapport fait par les conseils du dirigeant concomitamment ou antérieurement à l'ouverture de la procédure, ce qui est le cas du rapport que vous citez, est pour nous un point de vue que nous n'avons pas complètement partagé. Quand vous aurez lu ce rapport et le nôtre, vous...

M. Jacky DARNE : Pas complètement. Mais en partie tout de même.

M. PEY : Vraiment pas complètement. Sinon, nous n'aurions pas recherché les solutions que nous avons recherchées. On voulait au départ nous orienter vers un plan de continuation sans recapitalisation.

M. Jacky DARNE : Ne regrettez-vous pas qu'il n'y ait pas - c'était prévu par la loi mais ce n'est pas utilisé - d'experts en diagnostic ? Cela réduirait vos honoraires, je vous l'accorde, mais cela ne semble-t-il pas une bonne démarche ? Pourquoi l'échec de cette profession ?

M. NANTERME : Le texte fixe une mission aux experts en diagnostic qui, dans la plupart des dossiers, hormis certains dossiers exceptionnels...

M. Jacky DARNE : Je parle de celui-ci, par exemple.

M. NANTERME : Maxi-Livres n'est pas un bon exemple. Maxi-Livres est une grosse épicerie, si vous me permettez l'expression. Il y a des exemples plus difficiles, notamment en matière industrielle où la connaissance de l'administrateur dans certains domaines industriels ou de production industrielle nécessite peut-être effectivement un intervenant extérieur.

Dans d'autres dossiers, il n'est pas nécessaire d'avoir un expert en diagnostic. En réalité, le bilan économique et social et le diagnostic de l'expert en diagnostic, c'est la même chose.

M. Jacky DARNE : Je suis d'accord. C'est pour cela qu'il faut se partager les honoraires et non les ajouter. Vous me dites que c'est la négation de votre profession.

M. NANTERME : Je dis qu'il y a une antinomie entre les missions qui sont confiées à ces deux professions. Dans la plupart des dossiers, si l'administrateur n'est pas capable de faire le diagnostic économique et social de l'entreprise, je ne vois pas à quoi l'expert en diagnostic pourra servir. Le législateur a peut-être mal défini les missions respectives des uns et des autres, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas qu'il y ait, pour certains dossiers, des experts en diagnostic.

M. le Rapporteur : Vous avez renoncé à des honoraires d'un montant de de 3 millions de francs - cela apparaît dans une ordonnance du président Nougein -, pour les ramener à 1,8 million de francs.

M. PEY : C'est très simple. J'ai amené mon dossier de greffe parce que je souhaitais en parler...

M. le Rapporteur : En deux mots.

M. PEY : Dans ce dossier, pour reprendre l'expression de mon confrère Nanterme, nous nous sommes rendu compte immédiatement que Maxi-Livres était, contrairement à certains autres dossiers plus petits en chiffre d'affaires et en effectif, une grande épicerie : on achète des livres en lots et sous différentes formes à quatre ou cinq sources d'achat et on les revend avec un concept bien défini.

M. le Rapporteur : Donc, vos honoraires n'étaient pas justifiés.

M. PEY : Nous avons estimé de plus que la structure du groupe qui était montée était complètement aberrante. Nous continuons à le penser. Il est dans les projets du repreneur de fusionner les SARL à 50 000 francs de capital qui ne sont en fait exploitantes que d'un seul magasin avec un salarié, voire deux. Nous avons estimé que nous ne devions pas succomber à l'avantage que nous donnait cette situation par rapport au tarif fixé par le décret du 27 décembre 1985. D'entrée de jeu, nous avons dit au juge-commissaire que nous n'appliquerions pas le tarif d'une façon stupide en disant « autant de structures, autant de droits fixes ».

De plus, comme il existait au sommet de cette pyramide une société qui jouait le rôle de centrale d'achat, le chiffre d'affaires, deuxième élément de la rémunération de l'administrateur, allait se trouver cumulatif puisque l'on allait prendre sur le chiffre d'affaires de la société au sommet qui vendait - c'était son chiffre d'affaires - aux sociétés du bas, qui vendaient au public, avec en plus, en stade intermédiaire...

M. Jacky DARNE : Si l'on avait pris les comptes consolidés comme base de tarification, on aurait évité cet inconvénient.

M. PEY : Absolument.

M. Jacky DARNE : Cela aurait été logique.

M. PEY : Mais, monsieur le député, pour reprendre votre remarque, si vous prenez comme référence les comptes consolidés, l'application du tarif que nous avons proposé au tribunal...

M. Jacky DARNE : 1,8 million.

M. PEY : Oui, peut-être même plus près de 2,2 millions. Nous nous sommes livrés à différents calculs.

M. le Rapporteur : Cela crée les conditions d'un précédent dans le tribunal.

Je vous pose cette question parce que le président du tribunal de commerce vous a écrit, au mois d'août 1997, sur la façon de réglementer l'appel à des intervenants extérieurs.

Il a été admis que l'on pouvait trouver un accord sur la modération des honoraires et le contrôle du dossier. Le 4 novembre 1997, vous avez tous répondu, d'une part, que vous étiez embarrassés par la renonciation à l'application d'un tarif et, d'autre part, que vous alliez en parler au Conseil national. Apparemment, il n'y a pas eu de réponse. Le Conseil national n'a-t-il pas répondu ?

M. NANTERME : Le texte existe. Nous ne l'avons pas inventé puisque je vous rappelle que la profession n'a pas été associée à l'édification de ce barème. Il est prévu par le texte qu'au-delà d'une certaine somme...

M. le Rapporteur : Heureusement encore que les professions ne font pas la loi !

M. NANTERME : Non, mais elles peuvent être entendues.

M. le Rapporteur : Écoutées au moins.

M. NANTERME : Il est prévu qu'au-delà d'une certaine somme, le président arbitre les honoraires, ce qui est parfaitement normal. Le cas de Maxi-Livres est un bon exemple. Si l'on applique le tarif strictement, on aboutit, nous le disons nous-mêmes, à une bêtise. Il est évident que nous n'allons pas appliquer ou faire appliquer une bêtise, ce serait suicidaire.

M. PEY : Sur ce dossier, dès le premier jour, nous avons dit que nous nous livrerions à des calculs pour que la rémunération soit adaptée au travail.

M. Jacky DARNE : J'ai relevé dans le numéro des Petites Affiches du 15 au 21 août quelques affaires qui avaient fait l'objet d'une décision de clôture pour insuffisance d'actifs.

Parmi elles, celle concernant la SA Rhône-Alpes Chimie relevait de votre responsabilité. J'ai posé la question aux juges ce matin, mais je n'ai pas eu le temps d'approfondir. J'ai été étonné de la durée de cette affaire. Le jugement déclaratif est intervenu le 18 juin 1990 et il ne s'est pratiquement rien passé pendant cinq ou six ans. L'opération a été close en août 1997, alors cette affaire laissait un solde de trésorerie de l'ordre de 900 000 francs et que vos honoraires étaient de 182 000 francs. Ce n'était donc pas un dossier négligeable.

Ma question est simple : pouvez-vous me dire les raisons qui ont fait que ce dossier a duré aussi longtemps ? Je m'interroge aussi sur la capacité du tribunal à maîtriser un dossier par rapport à vous.

M. PEY : Je n'ai pas la fiche avec moi puisque cette affaire a été clôturée.

De mémoire, je peux simplement vous dire que si cette affaire n'a pas été clôturée, c'est qu'il y a une bonne raison. Je pourrais communiquer à votre commission les éléments précis sur ce dossier.

M. le Rapporteur : Oui.

M. PEY : Il faut savoir que dans bon nombre de dossiers, nous avons des instances en cours. J'ai actuellement...

M. le Rapporteur : S'il y a une bonne raison, en tout cas, elle n'apparaît nullement dans le dossier du tribunal.

M. PEY : Mais c'est normal. Il y a certainement un volumineux contentieux.

M. Jacky DARNE : Je ne comprends pas. Le juge ne vous demande pas où vous en êtes de ce dossier.

M. DUBOIS : Cela ne se passe pas forcément par courrier. Nous rencontrons les juges toutes les semaines.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas un dossier vivant.

M. Jacky DARNE : Maître Sabourin, qu'en est-il de ce dossier Rhône-Alpes Chimie ?

M. SABOURIN : Il s'agit d'un redressement qui a été converti en liquidation judiciaire. C'était effectivement un redressement géré par Me Pey. On a procédé à la clôture.

De mémoire, j'ai engagé la vérification du passif sur le tard dans la mesure où, à la fin du dossier, un dividende devait être versé aux chirographaires, ce qui n'était pas prévu à l'origine.

M. Jacky DARNE : À mon avis, on aurait pu le faire six ans plus tôt. Entre le 11 avril 1996, date de l'arrêt de l'état des créances, et août 1997, date du jugement, je n'ai rien vu se passer.

M. SABOURIN : Parce qu'à l'origine il y a un prêt pour les chirographaires.

M. Jacky DARNE : Mais entre le 11 avril 1996 et août 1997 ?

M. SABOURIN : Avant, il y avait le recouvrement du compte clients.

M. Jacky DARNE : Entre le 11 avril 1996 et août 1997, quinze mois se sont écoulés et ces 900 000 francs qui dorment auraient été aussi bien dans les comptes du créancier.

M. NANTERME : Le mandataire, je parle d'une manière générale, n'a aucun intérêt à ce que le dossier traîne puisque nos honoraires sont pris à la fin. Un dossier qui ne dure que six mois est intéressant. Si un dossier traîne, c'est dû soit à un problème de recouvrement, soit à un problème d'instance.

M. le Rapporteur : Ce sont des arguments qui nous ont déjà été donnés.

M. Jacky DARNE : Si je prends un autre exemple : Michèle Chalmet, un dossier incompréhensible, maître Sabourin, ouvert en 1990 avec 7 000 francs de recettes et dépenses. Deux pièces qui permettraient apparemment de vendre un fonds de commerce de 140 000 francs et une maison personnelle d'un autre montant avec une demande d'ordonnance au juge sans rien. Cette affaire a été close aussi en août 1997. Vous en souvenez-vous ?

M. SABOURIN : S'il y a un immeuble, si la procédure dure longtemps c'est à cause de l'état de colocation et du transfert de la radiation des hypothèques. Mais je ne peux pas...

M. Jacky DARNE : Regardez la fiche du tribunal. Il y a un ordre chronologique, franchement !

M. NANTERME : Si vous veniez dans nos études vous verriez que nos dossiers ont trois ou quatre fois la taille de ceci.

M. Jacky DARNE : Mais cela pose un problème, que peut faire le juge avec cela ?

M. le Rapporteur : Comment voulez-vous que le juge contrôle votre travail ? On ne peut pas contrôler nous-mêmes le travail du juge, puisque lui-même est incapable de nous répondre.

M. DUBOIS : C'est le dossier du tribunal que vous avez, ce n'est pas le dossier du juge.

M. le Rapporteur : Les juges n'ont pas de dossiers particuliers; cela nous a été confirmé ce matin.

M. BAULAND : C'est une erreur.

M. Jacky DARNE : Je n'ai pas trié, j'ai pris août 1997 et j'ai regardé. J'ai ainsi un dossier d'un monsieur Moise Jean, géré au départ par Me Gatt et repris ensuite par M. Walczak. C'est un dossier ouvert en 1981, qui se termine en 1997.

Si vous regardez le dossier du tribunal : 3 novembre 1981, proposition je ne sais quoi ; 8 janvier 1982, jugement ; 24 juillet 1997, ordonnance de clôture de liquidation. Il s'agit d'une personne qui n'était même pas inscrite au registre du commerce, et qui aurait pu être poursuivie à ce titre. Cela fait réfléchir. Je sais bien, c'était Me Gatt, qui a disparu, qui était en charge du dossier. Mais même en reprise, la poursuite de l'activité pouvait être envisagée.

M. WALCZAK : J'ai repris le dossier. Le souvenir que j'en ai est qu'il s'agissait d'un dossier qui avait été clôturé par extinction de passif, ce qui écartait toute solution de sanction, hormis les sanctions pénales que l'on aurait pu évoquer, mais j'ai été désigné en 1981.

Pour ce qui est du retard de clôture, MM. Moïse et Vernes souhaitaient, quand j'ai succédé à Me Gatt en 1992, remettre en cause des opérations immobilières effectuées en 1972, 1973 et 1974. Je m'en suis longuement entretenu avec mon juge-commissaire qui était, si je me souviens bien, M. Tavernier.

M. Jacky DARNE : Oui, il y a eu D'Aubarède, puis Desorgue et Tavernier.

M. WALCZAK : J'ai clôturé le dossier avec M. Tavernier.

M. Jacky DARNE : Regardez ce dossier. Il n'y a rien.

M. NANTERME : C'est le dossier du greffe.

M. le Rapporteur : Voulez-vous nous dire où se trouvent les dossiers dans ce tribunal s'ils ne sont pas au greffe ? Qu'est-ce que cela veut dire : « C'est le dossier du greffe » ? Cela veut dire qu'il y a trois sortes de dossiers, les vôtres, ceux du greffe et un troisième fantomatique et virtuel ?

M. NANTERME : Venez voir nos dossiers dans nos études et vous verrez que nos dossiers ont une autre consistance. Ici, vous n'avez que les pièces officielles de la procédure.

M. le Rapporteur : C'est la démonstration que le tribunal n'a pas les moyens d'exercer son contrôle sur les procédures. En effet, cette procédure le démontre : le quotidien de la justice commerciale n'est pas assuré. Voilà notre sentiment. Jacky Darne a pris, au hasard, une dizaine d'affaires à partir des Petites Affiches lyonnaises, nous sommes tombés sur un échantillon de dossiers qui dorment et qui, à l'évidence font l'objet du plus grand intérêt dans vos cabinets ! Que voulez-vous que cela nous fasse que ce soit dans votre cabinet ! Ce n'est même pas dans le dossier du juge. Qui dirige la procédure : est-ce le mandataire ou le tribunal ? C'est le tribunal. Mais si celui-ci n'a pas tous les éléments pour piloter le dossier... Vous nous dites que vous vous voyez toutes les semaines, que vous parlez de ces 700 dossiers. La preuve que non ! Pendant sept ans, on n'a jamais dû parler du dossier de Transit qui est ici évoqué par Jacky Darne.

M. NANTERME : Cela paraît improbable.

M. le Rapporteur : Cela paraît tout à fait convaincant. En tout cas, c'est notre conviction.

M. SAPIN : Je suis quand même très surpris que dans le dossier du greffe, il n'y ait pas les pièces officielles.

M. le Rapporteur : Il n'y a rien. Regardez vous-même.

M. SAPIN : Il y a forcément les ordonnances, les jugements qui sont rendus.

M. le Rapporteur : Vous les avez à votre disposition. Vous nous ferez toutes observations écrites sur ces dossiers.

Nous aimerions avoir les réactions de chaque mandataire concerné et vous nous apporterez vos dossiers. De très nombreuses informations passionnantes n'ont pas dû être transmises.

M. Jacky DARNE : Qu'en pensez-vous ?

M. SAPIN : Il est vrai qu'au vu de ce dossier, l'on ne peut pas retracer la procédure. En revanche, il serait très facile de prévoir que dans le dossier du greffe, il y ait une copie de toutes les ordonnances rendues.

M. le Rapporteur : Cela, mon cher maître, ne relève pas du législateur mais du bon sens !

M. SAPIN : C'est une question d'organisation.

M. Jacky DARNE : Ce qui m'étonne, c'est ce dossier Charbet. Il y avait de l'actif à récupérer d'après les éléments qui sont là. Or, on n'en a pas récupéré.

Franchement, je n'ai pas choisi ces dossiers. Je ne viens pas en procureur. Ce qui m'intéresse, c'est de comprendre comment on peut faire évoluer la justice commerciale pour qu'il n'y ait pas de dysfonctionnements. Très franchement, si vous regardez ce dossier, on se dit que cela ne va pas.

M. le Rapporteur : Encore une question, à Me Dubois. Dans Maxi-Livres, vous étiez le représentant des créanciers.

Nous avons constaté que pour chacune des filiales, vous aviez reçu des droits « gradués », comme l'on dit pudiquement, plus des droits fixes et gradués pour la société-mère. Pouvez-vous nous dire quelle est la somme totale des honoraires que vous avez reçus ?

M. DUBOIS : Dans Maxi-Livres, il y avait cinquante-cinq dossiers. Pour ces cinquante-cinq dossiers, j'ai reçu une somme de 950 000 francs hors taxe.

M. le Rapporteur : Quel est votre chiffre d'affaires ?

M. DUBOIS : 7,5 millions de francs.

M. le Rapporteur : Maître Sabourin ?

M. SABOURIN : 8 millions de francs.

M. le Rapporteur : Vous êtes tous à des niveaux de rentabilité équivalents, avec 15 collaborateurs en moyenne.

Combien de bénéfice reste-t-il à la fin de l'année ?

M. BAULAND : Une somme qui figure sur notre déclaration de revenus.

M. PEY : Que l'on peut vous transmettre.

M. le Rapporteur : Vous pouvez nous les transmettre avant la fin de la commission d'enquête.

M. PEY : Sous quarante-huit heures.

M. le Rapporteur : Le parquet nous a indiqué que, pour certains d'entre vous, il lui est impossible d'obtenir réponse à ses lettres et qu'il est obligé de faire usage de la police et de la gendarmerie.

De qui s'agit-il ? (Étonnement collectif.)

Nous avons entendu deux procureurs du TGI de Lyon M. Lathoud et M. Hassenfratz. Ils nous ont tous deux dit qu'il était impossible d'obtenir réponse et qu'il fallait parfois employer la menace d'envoyer la police et la gendarmerie pour obtenir réponse. Ce sont des divagations de deux procureurs ?

M. BAULAND : Avez-vous des cas précis ?

M. le Rapporteur : Nous, mais nous allons les demander.

M. BAULAND : Je n'ai pas souvenir d'avoir été convoqué à un commissariat de police ou une gendarmerie.

M. le Rapporteur : Maître Dubois ?

M. DUBOIS : Non.

M. le Rapporteur : Maître Pey ?

M. PEY : Non.

M. le Rapporteur : Maître Sapin ? Non. Maître Sabourin ? Jamais. Maître Nanterme ?

M. NANTERME : Quand le procureur m'écrit, je lui réponds sous vingt-quatre ou quarante-huit heures.

M. le Rapporteur : Alors, ces deux procureurs sont des farfelus professionnels ?

M. NANTERME : Vous posez une question. Je vous réponds.

M. Jacky DARNE : Nous n'avons pas le temps de poser toutes les questions, mais il est vrai que des commissaires aux comptes estiment qu'il est très difficile d'avoir des réponses à des courriers et ont des difficultés à exercer leur mandat lorsque l'activité ou les documents comptables sont transmis. Je sais bien que vous pouvez en dire autant de certains commissaires aux comptes.

En ce qui concerne la réponse au courrier, c'est une observation très fréquente, que ce soit de la part de créanciers, de tiers divers qui estiment qu'avoir des réponses de mandataires ou d'administrateurs est très difficile. Partagez-vous ce sentiment ? Si ce n'est pas le cas, comment l'expliquez-vous ?

M. PEY : Nous répondons aux commissaires aux comptes, mais certains font le « forcing » pour, en cours d'exercice, faire des diligences uniquement pour des questions d'honoraires. Il faut quand même le dire. Toutes les fois que nous avons des exercices terminés, en redressement judiciaire, nous encourageons le dirigeant à clôturer ses comptes, à procéder aux vérifications légales du commissaire aux comptes. Nous payons le commissaire aux comptes et, souvent même avons des discussions avec lui. Malheureusement, on rencontre de plus en plus de commissaires aux comptes qui, pour des raisons alimentaires, exigent de faire un travail qui n'est plus justifié.

M. Jacky DARNE : Eux estiment que leur responsabilité de professionnel est engagée.

M. PEY : La loi ferait bien de ne pas être muette sur ce sujet parce qu'en matière de redressement judiciaire, il n'y a pas de spécification particulière.

M. Jacky DARNE : Nous devons nous arrêter là, mais, monsieur le Rapporteur, je pense que c'est l'un des points sur lesquels il faut que nous fassions des propositions.

M. PEY : Tout à fait. Cela simplifierait les procédures.

M. Jacky DARNE : Je considère que la façon dont on exerce aujourd'hui le contrôle des comptes à partir d'un dépôt de bilan, donc d'une dessaisie partielle ou totale des dirigeants, pose un problème. Soit le commissaire aux comptes se plaint de ne pas pouvoir faire et d'assumer une responsabilité, soit on lui demande de démissionner ; il démissionne dans des conditions qui ne sont pas forcément normales parce qu'il pourrait déceler un certain nombre d'anomalies qui pourraient faire l'objet de révélations ou de non-certification de comptes.

Nous n'avons pas le temps de développer, mais êtes-vous d'accord avec moi ?

M. PEY : D'ailleurs, la situation est très gênante vis-à-vis des commissaires aux comptes.

M. Jacky DARNE : Alors que la loi existe. Il y a un texte et une responsabilité des uns et des autres.

M. WALCZAK : Effectivement, la remarque est objective. Même en liquidation, l'arrêté des comptes permettrait de faire sensiblement diminuer les passifs privilégiés, donc de travailler dans l'intérêt des chirographaires quand il y a lieu. Ce serait à déterminer, bien évidemment, en fonction des réalisations d'actifs espérées, mais c'est une remarque qui n'est pas négligeable, sachant que le Trésor public procède à un redressement fiscal quand il y a une ouverture de procédure, donc, grève sensiblement le passif et diminue d'autant les répartitions éventuelles aux autres créanciers.

M. Jacky DARNE : Pensez-vous que l'on pourrait supprimer les dépôts de bilan si les droits d'alerte que chacun peut exercer permettaient effectivement d'éviter des procédures collectives au profit des procédures amiables ?

M. PEY : Amiables, je ne sais pas, mais en ce qui concerne les ouvertures judiciaires, celles que nous connaissons le plus souvent, on éviterait des catastrophes ou l'on en diminuerait l'amplitude si les difficultés étaient appréciées en amont. C'est plus au niveau de la diminution de l'amplitude des dépôts de bilan, du montant du passif, des conséquences sociales, de l'importance des restructurations que nous intervenons. Il faut savoir que plus l'entreprise attend, plus nous pratiquons une restructuration importante.

M. le Rapporteur : Messieurs, je vous remercie de vous être prêtés à nos questions. On dit souvent que les parlementaires sont éloignés des réalités. C'est un reproche que l'on ne pourra pas nous faire lorsque nous ferons nos propositions. J'attends avec impatience tous les éléments de réponse que vous devez nous envoyer, de manière à ce que nous puissions en tenir compte dans les propositions que nous ferons.



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