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mis en distribution
le 16 janvier 1998
N° 621
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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 janvier 1998.

PROJET DE LOI

portant création d'un conseil supérieur
de la déontologie de la sécurité,

(Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉ

AU NOM DE M. LIONEL JOSPIN,
Premier ministre,

PAR M. JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT,
ministre de l'intérieur.

Sécurité publique.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En vertu de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, la sûreté constitue un droit naturel et imprescriptible de l'Homme. De ce droit découle le principe selon lequel la sécurité constitue un droit dont doit pouvoir se prévaloir tout citoyen pour être protégé au quotidien.
Le besoin de sécurité et de tranquillité devient de plus en plus une revendication de chacun. Face à cette demande, les agents des services publics traditionnellement chargés de la sécurité ne sont plus les seuls acteurs à intervenir pour répondre aux attentes des individus. Des personnes privées assurent également un rôle important dans l'organisation de la sécurité intérieure, et en constituent une de ses composantes. Ainsi, il est désormais nécessaire, lorsqu'on évoque la sécurité intérieure, de prendre en compte l'ensemble des acteurs qui concourent à assurer la protection des personnes, des biens et des services. La loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 avait d'ailleurs fait de la sécurité un domaine partagé entre les institutions de l'Etat et les autres intervenants.
La diversité des agents qui participent ainsi à des missions de sécurité ne fait pas obstacle, au contraire, à ce qu'ils respectent un certain nombre de règles communes, professionnelles et morales, fondées sur des valeurs républicaines. Ce qui est demandé aux agents des services publics doit pouvoir, de ce point de vue, être exigé également des autres acteurs qui concourent à des missions de sécurité. Les règles de déontologie, destinées à un large éventail d'acteurs, dépassent le cadre classique de déontologie d'une profession ou d'un corps déterminé. Le respect de règles, de références et de valeurs communes s'impose à l'ensemble des corps des fonctionnaires, ainsi que des personnes privées concourant à la protection et à la sûreté du citoyen. L'uniformisation du comportement des différents acteurs doit être aussi une garantie pour tous les citoyens. En cela, la déontologie constitue un élément essentiel de la sécurité que se doit d'assurer l'Etat républicain.
La création d'un conseil supérieur de la déontologie de la sécurité répond à la volonté du Gouvernement de promouvoir le respect de la déontologie au sein de toutes les professions exerçant des activités de sécurité. Cette instance nouvelle a une compétence fonctionnelle qui lui permet ainsi d'intervenir dans l'activité des différents corps en charge de la sécurité. Cette autorité exerce son action sans préjudice des prérogatives conférées par la loi à l'autorité judiciaire. De même, la création du conseil supérieur de la déontologie n'a pas pour objet de modifier la répartition des compétences et notamment de lui transférer les pouvoirs disciplinaires dont dispose l'administration sur ses agents.
Enfin, l'institution de ce conseil supérieur de la déontologie, à l'instar de celle du médiateur de la République, permet de répondre à un besoin de transparence à l'égard des citoyens dans leurs rapports avec les différents intervenants en matière de sécurité.
Conformément à l'article 1er du projet de loi, le champ d'intervention du conseil supérieur de la déontologie de la sécurité est particulièrement large : il recouvre en effet l'ensemble des acteurs qui concourent à assurer la protection des personnes, des biens et des services. Sont ainsi concernés, outre les agents des administrations publiques dans la seule mesure, bien entendu, où ils assurent des missions de sécurité à savoir la police nationale, la gendarmerie nationale et les douanes, les agents des services relevant des collectivités locales tels que les agents de police municipale ainsi que des gardes champêtres, gardes-chasse et gardes-pêche. La compétence du conseil supérieur de la déontologie s'exerce aussi sur les agents privés chargés de missions de sécurité. A cet égard, est notamment visé le personnel d'entreprises privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds dans le cadre des lois et règlements en vigueur.
Dans la mesure où seules les fonctions de sécurité sont en cause, il est difficile de retracer le compte du nombre des personnes sur lesquelles le conseil aura compétence. Il est rappelé cependant, à titre indicatif, que la police nationale comprend 121 000 agents ; la gendarmerie nationale 98 500 ; les douanes 20 000 ; les polices municipales 12 500 ; les sociétés de surveillance et de gardiennage 90 000 salariés.
Le caractère indépendant de cette instance administrative nouvelle se reflète dans sa composition prévue à l'article 2 du projet de loi ainsi que dans son mode de désignation. Ses membres, en effet, sont désignés par les plus hautes autorités de l'Etat et les chefs de juridictions suprêmes. La durée de leur mandat, qui n'est pas renouvable, est une garantie supplémentaire d'indépendance.
Le Gouvernement a souhaité que la saisine du conseil supérieur de la déontologie de la sécurité soit la plus large possible. Ainsi non seulement toute personne physique ou morale pourra-t-elle, comme le précise l'article 4 du projet de loi, lorsqu'elle s'estimera victime d'un manquement à la déontologie commis par un ou plusieurs membres des services et organismes visés à l'article 1 saisir ce conseil mais également lorsqu'elle n'aura été que témoin d'un tel agissement. Cette dernière possibilité permettra qu'une affaire puisse être portée à la connaissance du conseil lorsqu'au-delà d'un intérêt particulier, l'intérêt général est en cause.
Le Gouvernement n'a cependant pas souhaité que cette saisine soit directe : les personnes désirant saisir le conseil devront, en premier lieu, s'adresser à un membre du Parlement. Les parlementaires sont en effet à même de discerner parmi les réclamations qui leur seront adressées celles qui relèvent de la compétence du conseil supérieur de celles qui peuvent trouver une solution par les voies habituelles. Il est prévu que ces mêmes parlementaires pourront, de leur propre chef, saisir le conseil supérieur de même que le Premier ministre.
Si le conseil supérieur peut être saisi sans difficulté, il dispose également, pour instruire les réclamations qui lui sont adressées de prérogatives importantes, détaillées à l'article 5 du projet de loi. Ainsi a-t-il, vis-à-vis des administrations et organismes publics, et des personnes physiques ou morales de droit privé concourant à la sécurité, le pouvoir de se faire communiquer toutes informations ou pièces utiles. Il pourra également convoquer et entendre tout agent public ou toute personne privée qu'il souhaite. Afin de l'assister dans sa tâche, le conseil supérieur pourra consulter toute personne dont le concours lui paraît utile mais également demander aux ministres compétents de saisir les corps de contrôle placés sous leur autorité, aux fins notamment d'enquête relevant de leurs attributions.
De plus, le conseil aura accès aux lieux où se sont déroulés les faits. Cet accès est toutefois subordonné à un préavis, et s'exerce dans les seuls locaux professionnels en présence des agents intéressés.
Après analyse des faits ayant donné lieu à une réclamation qui lui a été transmise, le conseil supérieur pourra en vertu de l'article 7 du projet de loi adresser aux autorités publiques et aux dirigeants des organismes ou entreprises concernés tout avis ou recommandation afin de remédier aux manquements à la déontologie constatés ou à en prévenir le renouvellement. Ces avis ou recommandations ne doivent pas rester lettre morte. Aussi le conseil supérieur peut-il les assortir d'un délai dans lequel les autorités publiques et les dirigeants des organismes ou entreprises concernés devront rendre compte de la suite qui leur a été réservée. En outre, et au vu de ce compte-rendu, le conseil supérieur pourra, s'il l'estime nécessaire, établir un rapport spécial qui sera publié au Journal officiel et dont le caractère particulièrement incitatif est incontestable.
Toutefois, il convient de préciser que, lorsqu'au cours de ses travaux le conseil supérieur constate des faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République compétent, conformément à l'article 8 du projet de loi. De même, lorsqu'au cours de sa mission, le conseil supérieur constate des faits laissant présumer l'existence d'une faute disciplinaire, doit-il les porter à la connaissance des personnes investies du pouvoir disciplinaire, et ce en vertu de l'article 9. Les autorités ou personnes ainsi saisies informeront le conseil supérieur de la suite donnée aux transmissions effectuées dans ce cadre. D'une façon plus générale, en tenant compte non seulement de l'ensemble des cas dont il aura été saisi mais également de la réflexion qu'auront pu faire naître ces derniers, le conseil supérieur pourra faire toute proposition au Gouvernement de modification de la législation ou de la réglementation en matière de déontologie, comme le prévoit l'article 10 du projet de loi.
Les avis et recommandations qu'émet le conseil supérieur s'ils ont pour premier destinataire l'autorité ou la personne concernée et pour utilité première celle d'amener ce destinataire à prendre les mesures de nature à remédier aux dysfonctionnements constatés, ne doivent pas pour autant demeurer confidentiels. C'est pourquoi le projet de loi prévoit, de manière il est vrai traditionnelle pour ce type d'instance, dans son article 11, qu'un rapport annuel soit remis au Président de la République et au Parlement et rendu public.
L'article 12 du projet de loi prévoit que les membres du conseil supérieur ainsi que les personnes auxquelles il aura fait appel sont tenus au secret professionnel.
L'article 13 du projet attribue au conseil supérieur des moyens financiers et lui permet de disposer de services.
Le projet de loi prévoit, à son article 14, qu'il sera applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte mais uniquement lorsqu'il s'agit d'agents exerçant des compétences relevant de l'Etat.

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du ministre de l'intérieur,

Vu l'article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi portant création d'un conseil supérieur de la déontologie de la sécurité, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, sera présenté à l'Assemblée nationale par le ministre de l'intérieur qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article 1er

Le conseil supérieur de la déontologie de la sécurité, autorité administrative indépendante, est chargé, sans préjudice des prérogatives que la loi attribue notamment en matière de direction et de contrôle de la police judiciaire, à l'autorité judiciaire, de veiller au respect de la déontologie dans les services et organismes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République.
Sont concernés, à ce titre, lorsqu'ils concourent à une activité de sécurité, les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la douane et des polices municipales.Sont en outre concernés les gardes champêtres, les gardes-chasse et les gardes-pêche.
Le conseil est également compétent à l'égard de toutes personnes physiques ou morales de droit privé assurant, pour le compte d'autrui, à titre permanent ou occasionnel, des activités de sécurité ou de protection prévues par les dispositions en vigueur.

Article 2

Le conseil supérieur de la déontologie de la sécurité est composé de six membres, nommés pour une durée de six ans non renouvelable :
- le président, désigné par le Président de la République,
- un sénateur, désigné par le Président du Sénat,
- un député, désigné par le Président de l'Assemblée nationale,
- un conseiller d'Etat, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat,
- un magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation, désigné conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près ladite Cour,
- un conseiller-maître désigné par le premier président de la Cour des comptes.
La qualité de membre du conseil est incompatible avec l'exercice de fonctions ou d'activités dans le domaine de la sécurité ou de la protection.
Les parlementaires membres du conseil cessent d'y exercer leurs fonctions lorsque prend fin le mandat au titre duquel ils ont été nommés.
Si, en cours de mandat, un membre du conseil cesse d'exercer ses fonctions, le mandat de son successeur est limité à la période restant à courir. Par dérogation au premier alinéa, le mandat de ce dernier est renouvelable lorsqu'il a commencé moins de deux ans avant son échéance normale.

Article 3

Le conseil établit son règlement intérieur.
En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante.

Article 4

Toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu'ils constituent un manquement aux règles de la déontologie, commis par une ou plusieurs des personnes mentionnées à l'article 1er, peut, par réclamation individuelle, demander que ces faits soient portés à la connaissance du conseil supérieur de la déontologie de la sécurité. Ce droit appartient également aux ayants droit des victimes.
La réclamation est adressée à un député ou à un sénateur. Celui-ci la transmet au conseil, si elle lui paraît entrer dans la compétence de cette instance et mériter son intervention.
Le Premier ministre et les membres du Parlement peuvent, en outre, saisir de leur propre chef le conseil de faits mentionnés au premier alinéa.
Le conseil ne peut être saisi par les parlementaires qui en sont membres.
Une réclamation portée devant le conseil supérieur de la déontologie de la sécurité n'interrompt pas les délais relatifs à la prescription des actions en matière civile et pénale et aux recours administratifs et contentieux.

Article 5

Le conseil recueille sur les faits portés à sa connaissance toute information utile.
Les autorités publiques doivent prendre toutes mesures pour faciliter la tâche du conseil. Elles communiquent à celui-ci, sur sa demande motivée, toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission telle qu'elle est définie à l'article 1er.
Le conseil peut demander dans les mêmes conditions aux ministres compétents de saisir les corps de contrôle en vue de faire des études, des vérifications ou des enquêtes relevant de leurs attributions. Les ministres informent le conseil des suites données à ces demandes.
Les personnes privées mentionnées à l'article 1er et leurs préposés communiquent au conseil, sur sa demande motivée, toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission.
Les agents publics ainsi que les dirigeants des personnes mentionnées au précédent alinéa et leurs préposés sont tenus de déférer aux convocations du conseil et de répondre à ses questions. Les convocations doivent mentionner l'objet de l'audition.
Les personnes convoquées par application de l'alinéa précédent peuvent se faire assister du conseil de leur choix. Un procès-verbal contradictoire de l'audition est dressé à la suite de celle-ci.
Le conseil peut consulter toute personne dont le concours lui paraît utile.

Article 6

Les membres du conseil ont accès aux lieux où se sont déroulés les faits mentionnés dans la réclamation prévue à l'article 4.
Cet accès est subordonné à un préavis adressé à l'autorité hiérarchique ou à l'employeur et, si elle est distincte de celui-ci, à la personne pour le compte de laquelle est exercée l'activité de sécurité ou de protection. Il s'exerce dans les seuls locaux professionnels, en présence des agents intéressés.

Article 7

Le conseil adresse aux autorités publiques et aux dirigeants des personnes privées mentionnées à l'article 1er intéressés tout avis ou recommandation visant à remédier aux manquements constatés ou à en prévenir le renouvellement.
Les mêmes autorités ou personnes concernées sont tenues, dans un délai fixé par le conseil, de rendre compte à celui-ci de la suite donnée à ces avis ou recommandations.
En l'absence d'un tel compte-rendu ou s'il estime, au vu du compte-rendu qui lui est communiqué, que son avis ou sa recommandation n'a pas été suivi d'effet, le conseil peut établir un rapport spécial qui est publié au Journal officiel de la République française.
Le conseil informe l'auteur de la saisine des suites de celle-ci.

Article 8

Le conseil supérieur de la déontologie de la sécurité ne peut connaître de faits donnant lieu à une enquête judiciaire ou pour lesquels une information judiciaire a été ouverte ou des poursuites judiciaires sont en cours.
Le conseil ne peut remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle.
Si le conseil estime que les faits mentionnés dans la saisine laissent présumer l'existence d'une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale.
Le procureur de la République informe le conseil de la suite donnée aux transmissions faites en application de l'alinéa précédent.

Article 9

Sans préjudice des dispositions de l'article 7, le conseil porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire, les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires. Ces autorités ou personnes informent le conseil de la suite donnée aux transmissions effectuées en application du présent article.

Article 10

Le conseil supérieur de la déontologie de la sécurité peut proposer au Gouvernement toute modification de la législation ou de la réglementation dans les domaines de sa compétence.

Article 11

Le conseil supérieur de la déontologie de la sécurité remet chaque année au Président de la République et au Parlement un rapport sur les conditions d'exercice et les résultats de son activité. Ce rapport est rendu public.

Article 12

Les membres du conseil, ses agents, ainsi que les personnes que le conseil consulte par application du dernier alinéa de l'article 5, sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions, sous réserves des éléments nécessaires à l'établissement des rapports prévus aux articles 7 et 11.

Article 13

Les crédits nécessaires au conseil pour l'accomplissement de sa mission sont inscrits au budget des services du Premier ministre. Le président est ordonnateur des dépenses du conseil. Il nomme les agents du conseil.

Article 14

La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer et dans la collectivité territoriale de Mayotte, à l'exception des personnes mentionnées à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 1er.

Fait à Paris, le 14 janvier 1998.

Signé : LIONEL JOSPIN

Par le Premier ministre :
Le ministre de l'intérieur,
Signé : JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT.

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N° 621.- Projet de loi portant création d'un conseil supérieur de la déontologie de la sécurité (renvoyé à la commission des lois).


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