N° 627
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 janvier 1998.
PROPOSITION DE LOI
tendant à faire respecter le principe de laïcité
dans les
établissements publics d'enseignement.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Jean-Louis BERNARD, Jean Antoine LEONETTI
et François LOOS,
Députés.

Enseignement.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La République a su faire de la laïcité de l'espace public, et tout particulièrement de l'école, un fondement unificateur de notre société.
La neutralité qu'implique la laïcité ne doit pas conduire à transformer la société en une mosaïque de communautés où chacun apporterait sa loi, ses coutumes, ses traditions, ses croyances et ses rites transformant la vie sociale en champ clos où bien vite s'affirmerait le droit du plus fort au détriment de la force du droit.
La laïcité de l'école signifie la mise entre parenthèses, pendant le temps et dans le cadre scolaire, des convictions partisanes, religieuses, ou des aléas de l'origine familiale ou sociale. Si «la République respecte les croyances», les croyances doivent respecter la République.
Le Parti radical a toujours été à l'avant-garde du combat pour la laïcité, conçue comme la garantie pour chaque citoyen du plein exercice de sa liberté individuelle grâce au développement de son esprit critique.
L'école doit rester le lieu de neutralité qui permet à chaque enfant de former son jugement et d'exercer sa rationalité à l'abri des pressions extérieures de tous ordres.
En 1883, Jules Ferry donnait aux instituteurs la consigne suivante : «Ne pas toucher à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience d'un enfant.»
Les lois du 28 mars 1882 impliquaient une stricte neutralité des programmes éducatifs et des enseignants. Il est temps aujourd'hui de légiférer sur la toute aussi nécessaire neutralité de l'usager du service public de l'enseignement.
Dans son avis du 27 novembre 1989, le Conseil d'Etat déduit de l'ensemble des règles législatives et internationales la liberté pour les élèves de manifester leur foi à l'intérieur même des établissements publics d'enseignement, y compris par le port d'insignes religieux.
Cette liberté est encadrée par de nombreuses limites : respect du pluralisme et de la liberté d'autrui, obligation d'assiduité, respect des activités d'enseignement et des programmes, soumission à l'ordre public (santé et sécurité), respect plus général des missions et du fonctionnement normal du service public d'éducation.
Sont évidemment interdits les actes de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande.
Enfin, c'est aux écoles, dans le cadre du règlement type départemental, de définir les modalités d'application de ces principes.
L'application de cet avis du Conseil d'Etat dans le cadre des circulaires Jospin et Bayrou, d'une part, et dans les arrêts des juridictions administratives, d'autre part, aboutit à autoriser le port de signes religieux dans les établissements scolaires et à ne censurer que les actes contraires à la discipline de l'établissement ou à l'interdiction de tout prosélytisme.
Depuis 1992, les juridictions administratives ont en grande majorité annulé les exclusions d'élèves qui refusaient de fréquenter leur établissement d'enseignement sans faire disparaître leurs signes d'appartenance religieuse.
Mais, le 27 novembre 1996, le Conseil d'Etat a confirmé vingt-trois mesures d'exclusion d'établissements scolaires de jeunes filles. Ces sanctions rectorales étaient fondées sur d'autres griefs que le port d'un signe religieux : «mouvement de protestation perturbant gravement le fonctionnement de l'établissement», «actes de pression et prosélytisme»... « méconnaissance de l'obligation d'assiduité».
Par contre, le Conseil d'Etat a le même jour refusé six exclusions fondées exclusivement sur le port d'un signe religieux.
Les efforts du Conseil d'Etat pour relativiser le principe de la liberté de conscience, sanctionnable en cas de trouble au fonctionnement normal de l'établissement scolaire, ne suffisent pas à effacer l'ambiguïté d'une position trop théorique.
Pour les Radicaux, la laïcité est un principe fondamental d'organisation de la société; elle permet l'intégration et favorise la vie en commun des diverses populations soumises aux lois de la République. Elle doit être tout particulièrement présente dans la vie scolaire puisque l'école a pour première mission de former le citoyen, de transmettre des savoirs en libérant l'individu. La neutralité est donc indispensable à l'exercice des missions d'éducation.
Elle implique la neutralité des enseignants et de l'enseignement, bien sûr, mais surtout aujourd'hui la neutralité parallèle des usagers, c'est-à-dire celle des élèves.
Alors que l'action éducative doit avoir pour priorité la cohésion sociale, en permettant à des jeunes de cultures différentes de s'intégrer à la société, le législateur doit soutenir la communauté éducative et lui donner les outils nécessaires pour bien exécuter la mission qu'il lui confie.
Ainsi, il convient de légiférer pour préserver la laïcité au sein des établissements scolaires et donner un fondement législatif aux règlements des établissements et aux décisions des chefs d'établissement.
C'est pourquoi nous vous proposons de modifier l'alinéa 1 de l'article 10 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, de manière que les obligations des élèves impliquent de leur part un comportement et des choix vestimentaires respectueux des principes de laïcité et de neutralité propres aux lieux d'enseignement public, de sorte qu'un élève ne soit exclu ou ne s'exclut lui-même de la communauté éducative.
Nous refusons d'assortir cette disposition de sanctions pénales et laissons aux seules sanctions disciplinaires scolaires le soin de régler les litiges.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Le premier alinéa de l'article 10 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation est ainsi rédigé :
«Les obligations des élèves consistent dans l'accomplissement des tâches inhérentes à leurs études; elles impliquent de leur part une attitude générale, un comportement et des choix vestimentaires respectueux des principes de laïcité et de neutralité propres aux activités et aux lieux d'enseignement public; elles incluent l'assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements.»

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627 - Proposition de loi de M. Jean-Louis BERNARD tendant à faire respecter le principe de laïcité dans les établissements publics d'enseignement


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