No 1892
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 novembre 1999.
PROPOSITION DE LOI

relative à l'introduction de la mixité professionnelle comme principe général d'organisation des tribunaux et cours administratives d'appel.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. Claude GOASGUEN et Philippe HOUILLON,
Députés.

Justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La conception française de la justice administrative, c'est-à-dire le mécanisme de règlement juridictionnel des litiges auxquels l'administration est partie, repose sur l'institution d'une juridiction administrative séparée de la juridiction judiciaire.
Par l'institution du Conseil d'Etat et des Conseils de préfecture, qui deviendront les futurs tribunaux administratifs, c'est toute une conception de la justice administrative qui s'est trouvée concrétisée : une conception qui est typiquement française, et qui procède de la considération et de la conviction qu'un juge administratif doit être un juge ayant l'esprit de l'administrateur, un juge conscient que ses décisions doivent être un complément de l'action administrative.
En d'autres termes, cette conception procède de la considération que, statuer en matière de contentieux administratif, « c'est encore administrer ».
Ce principe explique que les magistrats administratifs professionnels relèvent, comme la majorité des fonctionnaires de l'Etat, du statut général de la fonction publique. En effet, ils sont formés et recrutés dans les mêmes conditions que les cadres supérieurs de l'administration active, c'est-à-dire par la voie du concours de l'Ecole nationale d'administration.
Par ailleurs, l'institution du « tour extérieur » est traditionnelle. Cette institution se traduit principalement par l'intégration de fonctionnaires de l'administration active dans les corps de magistrats administratifs. De même, les possibilités d'exercer des activités extérieures, en position de détachement (notamment, fonctions de directeurs de services administratifs ou d'entreprises publiques, fonctions gouvernementales ou mandats parlementaires) ou même sans détachement (cas des nominations dans les cabinets ministériels) sont largement utilisées.
A cela s'ajoute le fait que les membres des juridictions administratives sont, tout comme les fonctionnaires de l'administration active, soumis à « l'obligation de mobilité », instituée à l'égard des personnels recrutés par l'ENA par le décret du 30 juin 1972, et en vertu de laquelle ils doivent être appelés à exercer, pendant deux ans (dans les administrations centrales, le corps préfectoral, les services diplomatiques, les corps d'inspection, les entreprises publiques, les institutions internationales, etc.), des «fonctions différentes» de celles dont ils sont investis comme magistrats administratifs.
Ainsi donc, les juridictions administratives, par leurs compétences, leur composition et les règles qui les régissent, sont totalement investies par l'administration.
Il n'est pas contestable que le contentieux administratif exige une juridiction spécialisée ayant la connaissance technique de l'administration. Cette connaissance est plus aisée pour des juges qui sont en même temps par leur formation et leur carrière, à l'intérieur de l'administration. C'est en outre cette appartenance à l'administration qui concourt à ce que leurs interventions soient efficaces et mieux tolérées par elle que ne le seraient celles « d'un juge extérieur ».
Pour autant, la question est celle de savoir si cette monopolisation des juridictions administratives par l'administration elle-même assure aux justiciables une justice satisfaisante.
Du point de vue de la protection des citoyens et de la garantie de leurs libertés vis-à-vis du pouvoir administratif, ce système est de nature à susciter des craintes. L'existence d'un juge spécial et, par suite d'un droit spécial pour l'administration, ne signifie-t-elle pas privilège de juridiction et droit d'exception? Une telle conception ne sacrifie-t-elle pas les intérêts et les libertés de l'individu? N'est-elle pas anti-libérale ?
La présente proposition de loi vise donc à introduire la mixité professionnelle dans la composition des tribunaux et cours administratives d'appel afin de les ouvrir à « la société civile », de rendre le contentieux administratif plus transparent et davantage tourné vers les intérêts des citoyens. En effet, il n'est pas normal que dans un litige qui oppose deux parties, une seule, à savoir l'administration, ait le privilège du fort.
A cette fin, nous vous proposons que des représentants d'usagers, à l'image des associations de consommateurs, soient élus et siègent en tant que juges dans les tribunaux et cours administratives d'appel. Minoritaires, ces représentants siégeront à parité avec les membres appartenant au corps des tribunaux et le président, lui-même issu de la fonction publique, aura voix délibérative.
Pour ces raisons, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir voter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'article L. 2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est ainsi rédigé :
« Art. L. 2. - Chaque tribunal administratif et cour administrative d'appel se compose, en nombre égal, de membres appartenant au corps des tribunaux administratifs ou détachés dans ce corps dans les conditions définies par les lois et règlements en vigueur, et de représentants d'usagers élus, y compris le président.
En cas de partage égal des voix, le président, lui-même soumis au statut général de la fonction publique, a voix prépondérante ».

Article 2

Les conditions d'organisation de l'élection des représentants d'usagers sont déterminées par décret.
N°1892. - PROPOSITION DE LOI de MM. Claude GOASGUEN et Philippe HOUILLON relative à l'introduction de la mixité professionnelle comme principe général d'organisation des tribunaux et cours administratives d'appel (renvoyée à la commission des lois)


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