N 2042
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 décembre 1999.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux résidents étrangers non citoyens de l'Union européenne.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Gérard CHARASSE, Bernard CHARLES, Jean-Pierre DEFONTAINE, Robert HONDE, Jean PONTIER, Jacques REBILLARD, Jean RIGAL, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, MM. Alain TOURRET et Émile VERNAUDON,

Députés.

Élections et référendums.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Depuis près de vingt ans, plusieurs formations politiques ont inscrit à leur programme le droit de vote des étrangers aux élections municipales. Il est donc temps de passer à l'acte et de légiférer, enfin, pour établir ce droit.
Les résidents étrangers participent à la vie de la cité. Ils y demeurent, y travaillent et y acquittent des impôts. Leurs enfants, souvent nés en France, vont le plus souvent comme les jeunes Français à l'école publique, qui accueille chacun sans distinction d'origine ou de confession.
De plus, ces résidents étrangers sont souvent issus de pays qui ont des liens historiques étroits avec la France, comme les pays du Maghreb et d'Afrique. Leurs parents ou grands-parents ont souvent servi dans l'armée française et combattu pour la défense de la France lors de la Seconde Guerre mondiale.

Un facteur d'intégration

Peut-on continuer de laisser ces résidents étrangers à l'écart de la vie politique de la cité, à l'écart des consultations électorales municipales ? Une telle mise à l'écart ne risque-t-elle pas de les inciter à un repli communautariste, qui serait contraire à la conception même de l'Etat républicain ?
Est-il opportun de figer des étrangers dans leur condition d'étrangers et de prendre le risque de dérives communautaristes, qui représentent un danger pour la République ?
Est-il légitime d'exclure ceux-ci d'un scrutin qui concerne la vie quotidienne de tous au sein de la même commune ?
Peut-on maintenir cet " exil civique ", continuer de reléguer ces résidents étrangers à l'écart des bureaux de vote, leur imposer ce traitement différent, voire discriminatoire, et s'étonner ensuite de les voir tentés de se replier sur leur communauté d'origine au lieu de participer à la vie de leur commune ?
L'exercice du droit de vote est un facteur essentiel d'intégration à la société française. Voter ensemble, c'est participer à une communauté de destin.

Les législations étrangères - Le traité sur l'Union européenne

Plusieurs pays l'ont compris et accordent ce droit de vote aux étrangers résidant sur leur territoire depuis un certain temps. C'est la cas notamment de l'Irlande, depuis 1963, du Danemark, depuis la loi du 30 mars 1981, et des Pays-Bas, depuis la loi du 28 septembre 1989. De même, l'Espagne (art. 13, alinéa 2, de la Constitution) et le Portugal (art. 15, alinéa 4, de la Constitution) autorisent l'attribution de ce droit sous réserve de réciprocité.
Par ailleurs, le traité de Maastricht du 7 février 1992 sur l'Union européenne a institué une citoyenneté de l'Union. En conséquence, selon l'article 8, paragraphe 1, de ce traité : " tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'Etat membre où il réside ".
Cette disposition, qui résulte du principe de non-discrimination entre citoyens de l'Union, a été précisée par la directive du Conseil (94/80/CE) du 19 décembre 1994, qui fixe les modalités d'exercice de ce droit.
En conséquence, la France a révisé sa Constitution pour y inscrire ce droit à l'article 88-3, qui dispose :
" Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article. "
Dès lors, les ressortissants de l'Union européenne pourront, en 2001, voter aux élections municipales et être élus conseillers municipaux. Mais pas les résidents étrangers non communautaires issus de pays n'appartenant pas à l'Union européenne.
Certes, cette disparité de traitement peut s'expliquer par l'existence d'un lien institutionnel particulier entre les nationaux de l'Europe des Quinze, qui a institué par le traité de Maastricht une citoyenneté de l'Union.
Cependant, est-elle légitime ? Un résident marocain ou sénégalais, issu de pays liés à la France par une histoire commune, n'a-t-il pas autant vocation à participer aux scrutins municipaux qu'un Irlandais ou un Finlandais, dont les liens avec notre pays sont moins forts ? Et ne serait-il pas conforme au principe d'égalité, qui sous-tend notre ordre constitutionnel, que tous les résidents étrangers aient en France les mêmes droits civiques, qu'ils soient ou non ressortissants d'un Etat de l'Union européenne ?

Accorder le droit de vote et d'éligibilité aux municipales
à tous les résidents étrangers établis en France
de manière régulière depuis plus de cinq ans

L'article 3 de la Constitution dispose : " Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. "
Faisant exception à cette règle, l'article 88-3, cité plus haut, accorde, sous réserve de réciprocité, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux citoyens de l'Union européenne résidant en France.
Il convient d'élargir cette exception et de réviser l'article 3 de la Constitution pour permettre aussi aux étrangers non citoyens de l'Union européenne, établis en France de manière régulière depuis plus de cinq ans, de voter aux élections municipales et d'être élus conseillers municipaux dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 88-3 pour les résidents étrangers communautaires.
Une loi organique déterminera les conditions d'application de la présente loi constitutionnelle.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous présentons la proposition de loi constitutionnelle ci-après, qui a vocation à s'appliquer dès les élections municipales de 2001.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique

Avant le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
" Sous réserve de réciprocité, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux résidents étrangers établis régulièrement en France depuis plus de cinq ans. Les conditions d'exercice de ce droit sont les mêmes que celles prévues à l'article 88-3 pour les résidents étrangers citoyens de l'Union européenne. Celles-ci sont précisées par une loi organique. "


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