N° 2066
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 janvier 2000.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur le naufrage du navire Erika et ses conséquences, afin de renforcer la sécurité des transports pétroliers et d'améliorer les moyens de lutte contre les pollutions marines.

(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. Jean de GAULLE, André ANGOT, Jean-Charles CAVAILLÉ, Louis GUÉDON, Michel HUNAULT, Charles MIOSSEC, Serge POIGNANT et Didier QUENTIN,

Députés.

Déchets, pollution et nuisances.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le dimanche 12 décembre 1999, à 6 heures du matin, le navire Erika, naviguant sous pavillon maltais et convoyant, dans ses soutes, près de 30 000 tonnes de fioul lourd chargées à la raffinerie TotalFina de Dunkerque, lance un appel de détresse, au large de la pointe de Penmarc'h. Le mercredi 23 décembre, à l'aube, les premières galettes de produits pétroliers échouent sur les côtes du Sud-Finistère et du Morbihan et marquent le début d'une nouvelle marée noire dont nous pouvons, d'ores et déjà, craindre le lourd impact écologique, social, touristique et économique.
L'enchaînement des événements qui se sont déroulés pendant ces onze jours ou dans les heures qui les ont immédiatement précédés est largement connu. Il laisse néanmoins poindre un véritable malaise au regard des conditions de sécurité des hommes et des marchandises transportées en mer, mais aussi face à l'action de l'ensemble des autorités et services concernés. Ceux-ci ont, en effet, semblé parfois impuissants devant ce qui peut et doit être estimé comme une nouvelle catastrophe écologique.
Tout d'abord, les ennuis rencontrés par l'Erika dans des conditions climatiques délicates mais n'ayant rien d'exceptionnelles obligent à s'interroger sur la réglementation des transports maritimes, et notamment sur celle des produits pétroliers. Les mesures prises depuis le désastre de l'Amoco Cadiz en 1978 ont permis d'éviter nombre de marées noires mais elles s'avèrent encore insuffisantes, tant au plan national qu'au niveau mondial. La réaction des autorités françaises aux premiers échanges intervenus entre le navire sous pavillon maltais et la préfecture maritime de Brest, la veille du naufrage, pose la question d'une assistance renforcée aux navires, dès l'apparition des premières difficultés. Ses modalités mériteraient, pour l'avenir, d'être redéfinies pour ne plus laisser flotter le moindre doute sur les décisions prises à terre par nos services portuaires. L'accroissement et la modernisation des moyens de remorquage et de secours disponibles pourraient l'accompagner.
Dans le même temps, les règles édictées par l'Organisation Maritime Internationale, créée en 1948 et mise en place en 1958 dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies, ne sauraient échapper à une très large remise en cause. Elle viserait notamment à mieux prendre en compte la précarisation du transport maritime induite par la mondialisation. La progression des pavillons de complaisance, la distinction de plus en plus fréquente entre l'affréteur, l'armateur et le propriétaire d'un navire rendent en effet désormais très difficile l'application des normes en vigueur et la recherche des responsabilités.
Certains pays, dont les Etats-Unis, appliquent d'ores et déjà une réglementation plus stricte en matière de transport pétrolier. Ils n'auraient d'ailleurs pas permis la circulation d'un navire tel que l'Erika à proximité de leur littoral. L'extension à l'échelle internationale de leurs choix dans ce domaine pourrait être envisagée, à l'aune des leçons que nous devrons tirer du naufrage de ce bâtiment de plus de vingt-cinq ans, qui avait pourtant subi récemment plusieurs contrôles. La représentation nationale pourrait s'y intéresser utilement et, probablement, inviter le Gouvernement à promouvoir cette réforme dans le cadre de son action diplomatique.
La prévention d'éventuelles marées noires passe certainement par cette plus grande sécurisation du transport maritime mais aussi par un renforcement des moyens de suivi et de lutte contre les pollutions marines. Les premières estimations des autorités compétentes se sont, de ce point de vue, avérées pour le moins optimistes. Toutefois, la minoration des risques de pollution des côtes semble ne pas avoir retardé le déclenchement des plans " Polmar-mer " puis " Polmar-terre ". Et l'ampleur de la pollution ne paraît résulter, dans ces conditions, que de l'insuffisance des mesures prises et des techniques mises en _uvre. Cette carence fut particulièrement forte pour ce qui est du pompage de la nappe. Des divers procédés utilisés, seuls ceux fournis par nos partenaires scandinaves, allemands et britanniques ont, semble-t-il, obtenu de véritables résultats. Les caractéristiques des produits libérés par l'épave étaient pourtant proches de celles de la cargaison du pétrolier malgache Tanio, échoué au large de l'île de Batz en mars 1980. Depuis lors, la France aurait sans doute pu se doter d'une palette plus large de moyens de pompage afin de pouvoir réagir plus rapidement et limiter la quantité de produits pétroliers susceptibles de gagner la côte.
Les prévisions effectuées quant à l'évolution de la nappe laissent également songeur : le lieu d'impact initialement prévu (l'île d'Yeu) n'a été atteint que quatre jours après le littoral du Morbihan et du Sud-Finistère qui aurait d'ailleurs dû être épargné selon les différents prévisionnistes. Les conditions météorologiques extrêmes subies alors dans la région expliquent, pour partie, cet état de fait. Mais cette situation résulte, aussi, d'une insuffisante prise en compte des courants marins. Des études poussées dans ce domaine seraient sans doute nécessaires pour l'avenir. Des estimations géographiques exactes contribuent en effet à une meilleure mobilisation des moyens matériels et humains de collecte des produits pollués. Ainsi, l'on aurait certainement pu éviter les regrettables insuffisances constatées en Bretagne aux premières heures de la pollution des côtes si l'étendue du sinistre avait été mieux estimée de prime abord.
L'efficacité des barrages flottants déployés et les conditions de ramassage des galettes de fioul devront, d'autre part, être évaluées très précisément car elles pourraient être très sensiblement améliorées et renforcées. L'immersion partielle du polluant a, en effet, rendu certaines barrières de protection inopérantes. Quant aux moyens de collecte sur les plages, ils ont trop souvent manqué aux nombreux bénévoles qui se sont mobilisés.
L'examen des causes et conséquences du naufrage de l'Erika pourrait être, enfin, l'occasion de s'interroger sur deux problèmes connexes, fréquents dans de telles circonstances. D'une part, le " dégazage " en mer de navires profitant de la présence d'une nappe de pollution pour cacher leurs propres rejets. D'autre part, le retraitement des produits pollués collectés. Ces deux aspects délicats sont, aujourd'hui, insuffisamment pris en compte. Les pouvoirs publics ne disposent probablement pas toujours des moyens adéquats mais semblent aussi, parfois, faire preuve d'une certaine inertie. Les résidus de sable et de pétrole mélangés, enfermés dans deux citernes de béton de La Rochelle, depuis la catastrophe de l'Amoco Cadiz survenue il y a plus de vingt ans, en témoignent fâcheusement.
Ces différentes questions intéressent les services publics directement impliqués mais aussi l'ensemble des personnels navigants dont les conditions de travail sont parfois effroyables, les secouristes qui firent preuve une fois encore d'un courage remarquable, les techniciens et spécialistes des luttes antipollution, les pêcheurs, ostréiculteurs et mytiliculteurs directement pénalisés dans leur activité, les hôteliers et personnels du secteur touristique dont la saison est compromise, les nombreux bénévoles qui se sont mobilisés pour nettoyer les plages et sauver des milliers d'oiseaux mazoutés et toute la population riveraine particulièrement choquée par ces événements. Elles ne sauraient être examinées dans le cadre restreint d'inspections et d'évaluations administratives. Elles doivent, au contraire, faire l'objet d'une étude approfondie et sans tabous puis d'un véritable débat.
C'est pourquoi je vous demande, Mesdames, Messsieurs, de créer, au sein de notre Assemblée, une commission d'enquête parlementaire et, à cette fin, d'adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est institué une commission d'enquête parlementaire de trente membres, chargée d'examiner les événements qui ont conduit au naufrage de l'Erika, le dimanche 12 décembre 1999, au sud de la pointe de Penmarc'h. Elle s'intéressera également à l'ensemble de ses conséquences, aux moyens mis en _uvre pour les prendre en compte et à la responsabilité de toutes les parties prenantes.
Cette commission d'enquête parlementaire sera, par ailleurs, chargée de tirer de ces faits toute proposition utile au renforcement de la sécurité des transports pétroliers en mer et à l'amélioration de la lutte contre les pollutions marines.
Ses travaux et ses conclusions seront publiés dans un rapport qui sera discuté en séance publique à l'Assemblée nationale.


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