N° 2218
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er mars 2000.
PROPOSITION DE LOI

relative à la mise en place d'une véritable responsabilité pour faute de l'administration fiscale et d'un droit général d'indemnisation pour les contribuables.

(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. François GOULARD, José ROSSI
et les membres du groupe démocratie libérale et indépendants (1),
M. Jean-Louis DEBRÉ
et les membres du groupe RPR et apparentés (2),
M. Philippe DOUSTE-BLAZY
et les membres du groupe UDF et apparentés (3),
Députés.

(1) Ce groupe est composé de : Mme Nicole Ameline, M. François d'Aubert, Mme Sylvia Bassot, MM. Jacques Blanc, Roland Blum, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Antoine Carré, Pascal Clément, Georges Colombier, Francis Delattre, Franck Dhersin, Laurent Dominati, Dominique Dord, Charles Ehrmann, Nicolas Forissier, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Claude Goasguen, François Goulard, Pierre Hellier, Michel Herbillon, Philippe Houillon, Denis Jacquat, Aimé Kergueris, Marc Laffineur, Jean-Claude Lenoir, Pierre Lequiller, Alain Madelin, Jean-François Mattei, Michel Meylan, Alain Moyne-Bressand, Yves Nicolin, Bernard Perrut, Jean Proriol, Jean Rigaud, Jean Roatta, José Rossi, Joël Sarlot, Guy Teissier et Gérard Voisin.
Impôts et taxes.
(2) Ce groupe est composé de : MM. Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle Alliot-Marie, MM. René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Gautier Audinot, Mmes Martine Aurillac, Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Édouard Balladur, Jean Bardet, François Baroin, Jacques Baumel, Christian Bergelin, André Berthol, Léon Bertrand, Jean-Yves Besselat, Jean Besson, Franck Borotra, Bruno Bourg-Broc, Michel Bouvard, Victor Brial, Philippe Briand, Michel Buillard, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM. Jean-Charles Cavaillé, Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean Charroppin, Philippe Chaulet, Jean-Marc Chavanne, Olivier de Chazeaux, François Cornut-Gentille, Alain Cousin, Jean-Michel Couve, Charles Cova, Henri Cuq, Jean-Louis Debré, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Yves Deniaud, Patrick Devedjian, Éric Doligé, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, Christian Estrosi, Jean-Claude Étienne, Jean Falala, Jean-Michel Ferrand, François Fillon, Roland Francisci, Pierre Frogier, Yves Fromion, Robert Galley, René Galy-Dejean, Henri de Gastines, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Jacques Godfrain, Louis Guédon, Jean-Claude Guibal, Lucien Guichon, Jean-Jacques Guillet, Gérard Hamel, Michel Hunault, Michel Inchauspé, Christian Jacob, Didier Julia, Alain Juppé, Jacques Lafleur, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Thierry Lazaro, Pierre Lellouche, Jean-Claude Lemoine, Arnaud Lepercq, Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Alain Marleix, Jean Marsaudon, Philippe Martin, Patrice Martin-Lalande, Jacques Masdeu-Arus, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Gilbert Meyer, Jean-Claude Mignon, Charles Miossec, Pierre Morange, Renaud Muselier, Jacques Myard, Jean-Marc Nudant, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM. Robert Pandraud, Jacques Pélissard, Dominique Perben, Pierre Petit, Étienne Pinte, Serge Poignant, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, Jean-Luc Reitzer, Nicolas Sarkozy, André Schneider, Bernard Schreiner, Philippe Séguin, Frantz Taittinger, Michel Terrot, Jean-Claude Thomas, Jean Tiberi, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Jean Valleix, François Vannson, Roland Vuillaume, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann.
Apparentés : MM. Pierre Aubry, Xavier Deniau, François Guillaume, Jacques Kossowski, Franck Marlin, Anicet Turinay.
(3) Ce groupe est composé de : MM. Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, Pierre-Christophe Baguet, Jacques Barrot, Dominique Baudis, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Émile Blessig, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Bernard Bosson, Loïc Bouvard, Jean Briane, Yves Bur, Hervé de Charette, Jean-François Chossy, René Couanau, Charles de Courson, Yves Coussain, Marc-Philippe Daubresse, Jean-Claude Decagny, Léonce Deprez, Renaud Donnedieu de Vabres, Philippe Douste-Blazy, Renaud Dutreil, Jean-Pierre Foucher, Claude Gaillard, Germain Gengenwin, Valéry Giscard d'Estaing, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Bernadette Isaac-Sibille, MM. Henry Jean-Baptiste, Jean-Jacques Jegou, Christian Kert, Édouard Landrain, Jacques Le Nay, Jean-Antoine Léonetti, François Léotard, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, François Loos, Christian Martin, Pierre Méhaignerie, Pierre Micaux, Mme Louise Moreau, MM. Hervé Morin, Jean-Marie Morisset, Arthur Paecht, Dominique Paillé, Henri Plagnol, Jean-Luc Préel, Marc Reymann, Gilles de Robien, François Rochebloine, Rudy Salles, André Santini, François Sauvadet, Michel Voisin, Jean-Jacques Weber, Pierre-André Wiltzer.
Apparentés : MM. Raymond Barre, Jean-Louis Borloo, Mme Christine Boutin, MM. Dominique Caillaud, Alain Ferry.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Alors que le recouvrement et le contentieux de l'impôt sont systématiquement envisagés sous l'angle de la fraude fiscale, le respect des droits du contribuable lors des contrôles fiscaux et des redressements n'est que très rarement évoqué.
En effet, l'irresponsabilité de fait de l'administration fiscale est un des derniers îlots d'irresponsabilité de la puissance publique. Elle serait justifiée par la particulière difficulté de la matière fiscale, caractérisée par un droit particulièrement changeant, et les difficultés d'appréciation de la situation personnelle des contribuables.
Certains contrôles sur place et redressements ont pu mettre à jour des pratiques de harcèlement du contribuable ainsi qu'une relative mauvaise foi des agents du fisc, qui ont débouché sur des poursuites abusives. Ainsi, en matière de contentieux fiscal, l'administration ne gagne que dans 60 % des dossiers. Cette " malveillance fiscale " n'est à ce jour pas sanctionnée, sinon en droit, du moins en fait.
Chaque année, plusieurs dizaines de milliers de Français parmi les plus actifs sont soumis à un contrôle fiscal. 90 % d'entre eux sont soumis à des redressements. Certains redressements abusifs ont conduit des contribuables à aliéner leur patrimoine, ou des entreprises à payer l'équivalent de trois ans de chiffre d'affaires.
La responsabilité administrative tend aujourd'hui à admettre que toute faute commise par un agent public suffit à ce que la collectivité publique soit jugée responsable des dommages qu'elle a causés. Les règles posées par les articles 1382 et 1384 du code civil s'appliquent ainsi de plus en plus aux administrations publiques.
En effet, le contentieux administratif fait progressivement disparaître tous les interstices d'irresponsabilité de la puissance publique. Pourtant, alors que le contentieux fiscal est le premier domaine de recours devant le juge administratif, constituant ainsi plus du quart de son activité, la responsabilité de l'administration fiscale déroge en fait au droit commun du contentieux administratif.
Provenant à la fois de sources légales et jurisprudentielles, la responsabilité administrative en matière fiscale est aujourd'hui dénuée de réelle portée. L'administration fiscale dans un Etat de droit ne peut plus rester soustraite à toute responsabilité, et échapper à l'indemnisation de contribuables injustement redressés ou sanctionnés.
La loi prévoit certes une responsabilité pénale des agents du fisc (article 432-10 du code pénal), mais l'extrême difficulté de la charge de la preuve prive de toute portée cette disposition. Par ailleurs, obéissant au principe de légalité, la sanction pénale ne s'attache qu'à des infractions déterminées au préalable par la loi. Le harcèlement ou les poursuites abusives ne sont pas des incriminations pénales reconnues.
D'autres dispositions légales sont restées purement cosmétiques. La loi de 1979 sur la motivation des actes administratifs, le décret du 28 novembre 1983 sur l'opposabilité des documents administratifs aux administrés, et la charte des droits et obligations du contribuable, rendue obligatoire en 1988, n'ont pas eu les effets escomptés.
Sur le terrain de la responsabilité administrative, des progrès notables ont pu être notés, puisque depuis l'arrêt (CE 27 juillet 1990, Y Bourgeois) et l'arrêt (CE 29 décembre 1997, commune d'Arcueil), la jurisprudence a caractérisé pour l'administration fiscale le régime de la faute lourde atténuée. Cela signifie qu'en principe, la responsabilité de l'administration fiscale ne peut être mise en jeu qu'en cas de faute lourde. Cette condition est justifiée par les difficultés particulières de l'exercice des missions fiscales. Mais la faute simple est suffisante dans des cas d'opérations qui se rattachent aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt qui ne comportent pas de difficultés particulières tenant à l'appréciation de la situation matérielle des contribuables.
Pourtant, les comportements fautifs de l'administration fiscale, s'ils sont avérés et prouvés, n'ouvrent pas la possibilité au contribuable d'obtenir des dommages et intérêts. La responsabilité de l'administration fiscale n'ouvre pas de droit à indemnisation. L'administration fiscale bénéficie donc d'une impunité de fait. En effet, l'article L. 207 du Livre des procédures fiscales constitue un verrou légal qui empêche le juge administratif d'étendre sa jurisprudence et de reconnaître une indemnisation en cas d'abus des poursuites de l'administration ou de redressements injustifiés. En cas de préjudice grave, la " franchise de responsabilité " (René Chapus) des services fiscaux ne peut plus rester la norme.
Ainsi, si une réclamation contentieuse est accordée en totalité ou en partie, l'administration ne sera condamnée qu'à rendre les sommes indûment perçues, majorées d'intérêts moratoires. Non seulement ces intérêts ne permettent pas de constituer une indemnisation véritable du préjudice subi, mais ils sont également liquidés au taux de l'intérêt légal, soit 4,5 % l'an. Le contribuable qui se voit infliger le " prix du temps " par l'administration doit, lui, payer 9 % l'an. Cette inégalité entre l'administration et le contribuable doit aujourd'hui prendre fin, car elle n'est justifiée par aucune sujétion particulière de la puissance publique.
En définitive, la loi et la jurisprudence ont consacré le principe d'autonomie du droit fiscal, aussi bien dans l'établissement ou dans l'interprétation de la norme fiscale que dans le régime de responsabilité.
C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à remédier à cet état de fait.
L'article 1er et l'article 2 instituent un véritable droit à indemnisation des contribuables quand un préjudice matériel (aliénation du patrimoine, liquidation judiciaire) ou moral (harcèlement administratif, vérifications à répétition) a pu être établi et sanctionne une faute de l'administration fiscale. Cet article prévoit la fin de la loi écran qui interdisait au juge administratif de procéder au versement de dommages-intérêts dans le cadre de recours fiscaux.
L'article 3 donne une base légale à la responsabilité des services fiscaux, qui peut être engagée sur faute simple, ce qui harmonise le contentieux fiscal avec les autres branches du contentieux administratif.
L'article 4 dispose que le régime des intérêts moratoires pratiqués par l'administration est aligné sur le régime de l'intérêt légal. Cet article met fin à l'inégalité de traitement entre l'administration et le contribuable concernant le prix du temps. Le " prix du temps " pratiqué par l'administration a été fixé au taux de 0,75 % par mois, soit 9 % l'an, ce qui représente un intérêt usuraire pratiqué sur les contribuables, surtout quand on connaît le taux de base bancaire et les taux d'intérêt pratiqués aujourd'hui par les banques.
L'article 5 prévoit un assouplissement de la majoration automatique de 10 % lorsque les contribuables ont laissé expirer le délai qui leur était imparti pour régler leur cotisation d'impôt. Durant les 15 premiers jours suivant l'expiration du délai, la majoration serait ramenée au taux de 5 %. Elle permettrait aux contribuables de bonne foi de ne pas tomber sous le couperet d'une sanction de 10 %. Passés les 15 jours, la majoration revient au taux de 10 %. Est prévue également une progressivité des sanctions en cas de non-paiement consécutif aux différentes mises en demeure.
L'article 6 prévoit la création d'une commission chargée d'établir une enquête statistique annuelle sur les résultats des contrôles fiscaux, et les raisons qui les ont motivés, ainsi qu'un état des principaux cas de non-conformité à la loi fiscale.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
TITRE Ier
DE LA RESPONSABILITÉ DE L'ADMINISTRATION FISCALE
Article 1er

L'article L. 207 du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé :
" Art. L. 207. - Lorsqu'une réclamation contentieuse est admise en totalité ou en partie, et qu'un préjudice matériel ou moral sérieux a été reconnu lors de l'instance, le contribuable peut prétendre à des dommages-intérêts ainsi qu'à des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208. "

Article 2

Dans la première phrase du premier alinéa de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, après les mots " et donnent lieu ", sont insérés les mots : " au versement de dommages-intérêts le cas échéant, et ".

Article 3

Après l'article L. 207 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 207 bis ainsi rédigé :
" Art L. 207 bis. - L'attribution de dommages-intérêts au contribuable est conditionnée à l'existence d'une faute de l'administration. Néanmoins, la responsabilité de l'administration peut être engagée pour faute simple. "

TITRE II
DES SANCTIONS PÉCUNIAIRES
Article 4

Le premier alinéa de l'article 1727 du code général des impôts est ainsi rédigé :
" Le taux de l'intérêt de retard est égal au taux de l'intérêt légal visé à l'article 1907 du code civil. "

Article 5

I. - Dans la dernière phrase du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, le taux : " 10 % " est remplacé par le taux : " 5 % ".
II. - Après le premier alinéa du 3 de l'article 1728 du code général des impôts, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
" 10 % lorsque le document n'a pas été déposé dans les quinze jours suivant le délai d'expiration prévu. "
III. - Dans le deuxième alinéa du 3 de l'article 1728 du code général des impôts, le taux : " 40 % " est remplacé par le taux : " 30 % ".
IV. - Dans le dernier alinéa du 3 de l'article 1728 du code général des impôts, le taux : " 80 % " est remplacé par le taux : " 60 % ".

Article 6

Le 1 de l'article 66 de la loi de finances pour 1976 (n° 75-1278 du 30 décembre 1975) est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
" Cette publication retrace les résultats d'une enquête statistique annuelle comportant examens contradictoires de personnes physiques et vérifications de comptabilité d'entreprises portant sur un échantillon choisi au hasard, représentatif de l'ensemble des contribuables, en vue d'apprécier le taux de non-conformité des déclarations d'impôts et des comptabilités d'entreprises aux dispositions fiscales en vigueur. Cette enquête retrace les principales raisons de non-conformité constatées.
" Une commission composée d'un député, d'un sénateur, de trois représentants de l'Etat, de trois représentants des contribuables et de trois personnalités qualifiées choisies parmi les membres des professions assurant des prestations de conseil en matière fiscale et comptable, est chargée de préciser les modalités de cette enquête et d'en contrôler l'application. "

Article 7

Les charges et pertes de recettes pour l'Etat sont compensées, à due concurrence, par la création de taxes additionnelles aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
2218 - Proposition de loi de M. François Goulard relative à la mise en place d'une véritable responsabilité pour faute de l'administration fiscale et d'un droit général d'indemnisation pour les contribuables (finances)


© Assemblée nationale