N° 2298
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mars 2000.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à créer une commission d'enquête
sur la
gestion du consortium de réalisation (CDR).
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Georges SARRE, Jacques DESALLANGRE
et Jean-Pierre MICHEL,
Députés.

Banques et établissements financiers.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

I.- Des évolutions préoccupantes et une réponse inappropriée.
Une institution financière en crise.

Les pertes du Crédit Lyonnais en termes de résultat net ont été abyssales : 1,8 milliard de francs en 1992, 6,8 milliards en 1993 et 12,1 milliards en 1994 (source : ministère de l'Économie et des Finances). Elles ont rendu nécessaire une action de redressement à l'initiative de l'Etat actionnaire. Cette situation résulte d'une stratégie risquée et d'une conjoncture économique brusquement défavorable.
En 1993, M. Haberer est remplacé à la tête du Crédit Lyonnais par M. Peyrelevade.
En 1994, un premier plan de redressement en deux volets a été mis en place. D'une part, 41 milliards d'actifs douteux (en particulier immobiliers) sont transmis à une structure de cantonnement : l'Omnium immobilier de gestion (OIG). L'Etat se porte garant pour 12,4 milliards de francs. D'autre part, le Crédit Lyonnais est recapitalisé à hauteur de 4,9 milliards.
Une commission d'enquête parlementaire est alors constituée par l'Assemblée nationale afin de rechercher les causes des pertes de la banque publique. Elle conclut à des " erreurs d'analyse, de stratégie de la banque, des carences de gestion et de contrôle des risques, des fraudes internationales et des difficultés d'exercice du contrôle externe par ses actionnaires " (source : ministère de l'Économie et des Finances).
En 1995, les nouveaux commissaires aux comptes estiment que l'évolution défavorable d'importantes participations, la dégradation du marché immobilier, le défaut de rentabilité de certaines filiales et succursales imposent un effort de provisionnement de l'ordre de 50 milliards de francs, le résultat de la banque ne suffisant pas à couvrir les engagements.

Le consortium de réalisation (CDR) a-t-il contribué à alourdir
les pertes du Crédit Lyonnais?

Le gouvernement de M. Balladur décide en 1995 de créer une nouvelle structure de cantonnement destinée à réaliser certains actifs du Crédit Lyonnais.
Il y a là un choix lourd de conséquences pour l'avenir de la banque. Il consiste à séparer la " bonne banque " de la " mauvaise banque " afin de purger le bilan du Crédit Lyonnais et de s'épargner tout effort de recapitalisation direct de l'établissement. Comme le remarque M. Haberer, président de la banque de 1988 à 1993, " pour le gouvernement Balladur, la séparation de la "bad bank" a aussi un avantage budgétaire et donc politique. Au lieu d'une dépense immédiate, c'est-à-dire l'augmentation de capital d'environ 25 milliards pour solde de tout compte que propose le Trésor, la mise en cantonnement permet de ne rien verser, et d'étaler sur vingt ou trente ans l'amortissement d'un solde à financer (1). "
130 milliards de francs d'actifs nets (soit près de 190 milliards d'actifs bruts) sont cantonnés au sein du CDR, société par actions simplifiée détenue à 95% par le Crédit Lyonnais, refinancée par l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), lui-même refinancé par le Crédit Lyonnais. L'OIG est incorporé dans le CDR. Les objectifs fixés par l'Etat au CDR sont dans un premier temps d'ordre strictement liquidatif.
Le plan de 1995, approuvé par la Commission européenne le 26 juillet 1995 et par le Parlement par la loi du 28 novembre 1995, implique un refinancement de 130 milliards de francs accordé par le Crédit Lyonnais à l'EPFR. Le ministère des Finances relève alors une " charge financière (...) insoutenable pour le Crédit Lyonnais compte tenu d'une évolution moins favorable que prévue de son chiffre d'affaires et de celle des taux d'intérêt, au point de provoquer de nouvelles pertes récurrentes, incompatibles avec sa viabilité sur les marchés de capitaux et dommageables vis-à-vis de sa clientèle ".
En conséquence, une aide publique supplémentaire de près de 4 milliards de francs est décidée, au titre des exercices 1995 et 1996.
Au cours de l'été 1997, huit rapports sont réalisés par l'inspection générale des finances (IGF) dont un par pôle spécialisé du CDR (2).
En décembre 1997, M. Strauss-Kahn annonce une réforme du CDR. A ce stade, le CDR a déjà liquidé près de 120 milliards d'actifs du Crédit Lyonnais. Une logique de responsabilisation des dirigeants face aux résultats est imposée. Une structure à conseil de surveillance et directoire est mise en place à des fins de plus grande transparence.
Le nouveau président du conseil de surveillance, M. Raymond Lévy, entérine la nouvelle logique de fonctionnement du CDR. Il déclare notamment en novembre 1998 que " nous n'avons pas l'intention de nous bousculer pour vendre, ni de faire des cadeaux et nous espérons dans trois ou quatre ans arriver au bout d'une vie normale du CDR ". Selon M. Lévy, le CDR devrait constater " une perte finale de l'ordre de 100 milliards ".

II. - Un contrôle par l'Assemblée nationale
des décisions du CDR s'impose aujourd'hui.

Le CDR : un vice de constitution et des incohérences.

C'est à l'Assemblée nationale qu'il revient d'établir si le CDR porte une responsabilité propre dans les pertes globales du Crédit Lyonnais.
Deux points en particulier doivent être élucidés : d'une part, la vocation strictement liquidative du CDR qui a prévalu de ses débuts à 1997 a-t-elle aggravé les pertes en imposant de céder les actifs à n'importe quel prix? D'autre part, comment justifier la présence d'actifs à forte rentabilité dans le portefeuille du CDR, alors que celui-ci avait pour raison d'être de purger le bilan du Crédit Lyonnais de ses actifs réputés douteux?
En premier lieu, y a-t-il un vice de constitution dans la conception même du CDR? Quand le CDR a été créé, l'Etat lui a imposé de céder 80% de son portefeuille en cinq ans, et 50% en trois ans. Cette contrainte est évidemment de nature à empêcher toute stratégie de cession se donnant pour objectif de profiter des meilleures conditions de marché. M. Michel Rouger, alors président du CDR, a pu ainsi déclarer en 1996 que " Le CDR est une machine à réaliser des pertes, sinon il n'existerait pas (1). " Fort logiquement, le premier exercice se solde par une perte courante de 21,4 milliards de francs en juin 1996.
A cela s'ajoute un facteur aggravant : ne pouvait-on prévoir que l'inscription d'un actif dans le périmètre du CDR serait de nature à provoquer une décote automatique, connaissant la contrainte de liquidation qui pèse sur lui?
Deuxièmement, comment se fait-il que parmi les actifs voués à une cession rapide se soient trouvés des actifs rentables, voire très rentables? Le CDR a ainsi géré des lignes de participation minoritaires dans d'importants groupes, cotés ou non (Bouygues, Framatome, Aerospatiale, Compagnie des Glénans, le holding de tête du groupe Bolloré, Fimalac, Artémis, le holding familial de François Pinault). On peut raisonnablement se demander si certaines de ces participations ont été cédées à leur juste prix.
Certains commentaires faits au sujet des rapports de l'IGF en 1997 résument ces interrogations légitimes : il a pu être affirmé que " cette enquête confirme que le péché originel du système est d'avoir créé avec le CDR un mécanisme officiellement chargé de brader des actifs, dont certains sont de purs joyaux (1) ".
Ces deux interrogations justifient que, s'agissant du patrimoine de l'Etat, l'Assemblée ouvre une enquête pour établir l'étendue et les responsabilités des pertes supplémentaires liées au CDR qui viennent s'ajouter aux pertes d'exploitation déjà considérables.

Axes d'investigation possibles.

Une gestion plus rigoureuse des cessions d'actifs du CDR était-elle possible?
La raison d'être de cette commission d'enquête fait écho à la déclaration de politique générale du Premier ministre, prononcée le 19 juin 1997 : " Il convient de faire retour à l'esprit républicain (...) plus que jamais, alors que la vie publique pâtit de l'individualisme et du règne de l'argent, il est indispensable de rétablir les règles de l'éthique républicaine. "
C'est pourquoi une commission d'enquête parlementaire peut retenir les axes d'investigation suivants :
Quels principes, quelles recommandations ont-ils prévalu lors de la conception originelle du CDR?
Quel(s) critère(s) a-t-il (ont-ils) servi à retenir certains actifs plutôt que d'autres pour les inclure dans la structure de cantonnement?
Quelles méthodes d'évaluation ont-elles été retenues pour fixer la valeur des actifs à vendre dans le cadre du CDR?
Tous les actifs cédés à ce jour par le CDR l'ont-il été à leur prix de marché?
Quelles sont les procédures de cession?
Le processus a-t-il donné lieu à des infractions pénales?
Concernant toutes ces questions, quelles sont les responsabilités exactes des protagonistes (dirigeants du CDR, autorités de tutelle, acquéreurs, banquiers-conseils...)?
C'est pourquoi nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, de voter la proposition suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête chargée d'examiner comment le Consortium de réalisation a accompli ses missions. Elle mesurera sa part dans les pertes globales du Crédit Lyonnais. Elle définira l'étendue et la cause des pertes réalisées par le Consortium de réalisation. Elle définira avec précision les décisions et les procédures qui en sont l'origine. Elle déterminera les responsabilités des dirigeants du CDR et de tous les protagonistes de ses missions. Elle s'attachera en particulier à faire la lumière sur d'éventuelles cessions d'actifs à un prix anormalement bas. Ses conclusions devront permettre à la représentation nationale de formuler des propositions tendant à améliorer ou réformer le fonctionnement du Consortium de réalisation, en particulier dans le sens d'une meilleure gestion des deniers publics.
(1) Jean-Yves Haberer, Cinq ans de Crédit Lyonnais (1988-1993), Paris, Ramsay, 1999, p. 329.(2) Le CDR a éclaté sa gestion opérationnelle de ses actifs en quatre sous-holdings spécialisées : CDR créances, CDR participations, CDR immobilier, CDR entreprises et CDR finance qui gère la trésorerie du groupe.
(1) " Le CDR a déjà perdu 21,4 milliards ", Sophie Fay in Les Echos, 12 juin 1996.
(1) " Bercy engage la réforme du CDR. La mission impossible du nettoyeur du Crédit Lyonnais ", Georges Quioc, in Le Figaro économie, 17 décembre 1997.


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