N° 2381
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 mai 2000.
PROPOSITION DE LOI
modifiant les règles d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus du sida.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,
Députée.

Santé.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'arrêt rendu le 26 janvier dernier par la Cour de cassation dans le délicat contentieux de l'indemnisation des victimes du drame du " sang contaminé " ne saurait laisser les parlementaires indifférents, dans la mesure où il donne de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 instituant un fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus du sida une interprétation qui aboutit à un résultat contraire à celui voulu par le législateur.
Dans cet arrêt, la juridiction suprême a considéré qu'un hémophile atteint du sida n'avait plus d'intérêt pour agir devant les tribunaux judiciaires en vue d'obtenir une indemnisation plus élevée que celle qu'il avait précédemment acceptée du fonds, au motif que cette acceptation valait renonciation à toute action en justice ultérieure du chef du même préjudice. Les magistrats se sont fondés sur le fait que l'article 47 de loi du 31 décembre 1991 confie au fonds le soin d'assurer la réparation " intégrale " des préjudices subis : ils en ont déduit que le requérant, en acceptant l'offre d'indemnisation faite par le fonds, s'était implicitement considéré comme intégralement dédommagé et n'avait donc plus de préjudice " résiduel " à faire valoir devant les tribunaux.
Ce raisonnement n'est pas juridiquement contestable. Il fait appel à un principe général énoncé par l'article 2052 du code civil, selon lequel " les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort ". Même si le terme de " transactions " peut, au cas particulier, paraître déplacé, il faut bien admettre que l'accord passé entre le fonds et la personne indemnisée entre effectivement dans le champ d'application de l'article 2052.
Mais la justesse du raisonnement s'arrête là : la Cour de cassation n'a pas voulu admettre que le législateur avait entendu déroger à cet article 2052, alors que le texte de la loi et, surtout, les travaux préparatoires à son adoption ne laissent guère de doute sur cette intention.
L'article 47 de la loi, qui définit le rôle du fonds d'indemnisation et la procédure applicable, ne prévoit, il est vrai, aucune dérogation expresse à l'article 2052 du code civil. Mais toutes ses dispositions la sous-entendent : comment, sinon, comprendre le sens du paragraphe VI, qui fait obligation à la victime d'informer le fonds des procédures juridictionnelles en cours et le juge, " si une action en justice est intentée ", de la saisine du fonds ? Comment, sinon, comprendre le sens du paragraphe IX, qui prévoit la subrogation du fonds, à due concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime à l'encontre du responsable du dommage ?
Le fonds lui-même ne s'y est pas trompé et a inscrit, sur la décharge qu'il fait signer au malade acceptant son offre d'indemnisation, le texte suivant : " J'ai pris connaissance des dispositions de l'article 47, paragraphe VI, de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 qui me font une obligation d'informer le fonds de toute action en justice, en cours ou à venir (...). "
Mais à supposer que la rédaction de la loi puisse présenter une incertitude, la lecture des travaux parlementaires préparatoires permet d'établir sans ambiguïté l'intention du législateur : tout au long des débats, les parlementaires n'ont pas cessé d'exprimer leur souci de corriger le grave défaut que le dispositif d'indemnisation mis en place en 1989 présentait à leurs yeux et qui résidait précisément dans l'interdiction faite aux personnes indemnisées de se pourvoir ensuite en justice dans le but d'obtenir une meilleure indemnisation.
Il suffit, pour s'en convaincre, de se reporter par exemple au Journal officiel des débats à l'Assemblée nationale du 10 décembre 1991, page 7460. On peut y lire la réponse adressée par le ministre des Affaires sociales et de l'Intégration à un député l'interrogeant sur ce point : " Je crois que nous sommes bien d'accord sur le fond. Il n'est pas question qu'une indemnisation qui aurait été offerte par le fonds et acceptée par la victime ou ses ayants droit fasse obstacle à une meilleure indemnisation qui serait décidée par un tribunal suivant l'état de la procédure. Comme le fonds n'est pas une juridiction, il n'y a pas d'autorité de la chose jugée. Dès lors, rien n'empêche un tribunal, quel qu'il soit, qui serait saisi ultérieurement, d'accorder une indemnité supplémentaire. Le fonds serait subrogé à hauteur des sommes qu'il aurait versées. "

***

Confronté à une décision de la Cour de cassation, qui, quelle qu'en soit la motivation juridique formellement impeccable, apparaît contraire à son intention, le législateur se doit d'intervenir pour mettre un terme à la situation nouvelle créée par cette décision.
Plongés dans le plus complet désarroi, les malades ne comprennent pas, alors qu'ils ont le sentiment d'avoir agi en toute bonne foi, conformément à la loi - ils ont d'abord accepté la proposition d'indemnisation du fonds pour pouvoir faire face immédiatement aux conséquences de leur état, se réservant la possibilité de porter ensuite leur dossier devant la justice, possibilité que le texte même de la décharge qu'ils ont signée mentionne expressément -, la justice leur répond qu'ils n'ont plus aucun droit à faire valoir et que leur démarche est contraire à la loi !
C'est pourquoi la présente proposition de loi invite la représentation nationale à modifier l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 afin de lever les ambiguïtés de rédaction qui ont pu donner lieu à cette jurisprudence.
L'article 1er supprime de la définition du rôle du fonds d'indemnisation, telle qu'elle figure au paragraphe III de l'article 47, la notion de " réparation intégrale " du préjudice subi : il n'assurera plus, désormais, que la " réparation du préjudice subi ", à charge, le cas échéant, pour les tribunaux, d'accorder, en complément des sommes versées par le fonds, une indemnisation supplémentaire en vue de garantir une réparation totale.
L'article 2 insère au sein de l'article 47 un paragraphe V bis (nouveau) qui, pour rendre la loi tout à fait explicite, prévoit expressément que l'acceptation de l'indemnisation offerte par le fonds ne fait pas obstacle à une éventuelle action en justice concomitante ou ultérieure en vue d'obtenir une indemnisation plus élevée.
L'article 3 confère aux dispositions qui précèdent un caractère interprétatif afin de leur donner un effet rétroactif à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1991 et de les rendre applicables, le cas échéant, à des affaires qui auraient fait l'objet de jugements définitifs antérieurement à l'adoption de la présente proposition de loi.

***

En conséquence, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante :

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Dans le premier alinéa du III de l'article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions d'ordre social, le mot : " intégrale " est supprimé.

Article 2

Il est inséré, au début du V du même article, un alinéa ainsi rédigé :
" V. - L'acceptation de l'offre d'indemnisation ne fait pas obstacle à d'éventuelles actions en justice concomitantes ou ultérieures du chef du même préjudice. "

Article 3

Les dispositions de la présente loi sont de valeur interprétative et s'appliquent nonobstant toute décision de justice passée en force de chose jugée.

Article 4

Les charges résultant de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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