N° 2841
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 janvier 2001.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête sur l'aptitude matérielle et humaine de la Direction générale de la santé à assurer ses missions de santé publique et de sécurité sanitaire.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
PAR M. BERNARD ACCOYER,
Député.

Santé.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les enjeux de santé publique et de sécurité sanitaire apparaissent de plus en plus clairement comme essentiels dans les sociétés modernes et nécessitent, de ce fait, de la part des responsables publics des efforts redoublés dans les domaines de la veille, de l'évaluation, de l'analyse et de la prévention.
Forts de cette conviction, c'est avec surprise que les commissaires des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale ont pu prendre connaissance d'un dossier à en-tête de la Direction générale de la santé du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, daté du 18 décembre 2000, affirmant notamment :
" Les personnels de la Direction générale de la santé en grève [...] alertent les responsables politiques sur l'incapacité de leur administration à prendre en charge leurs missions compte tenu notamment de l'insuffisance notoire de leurs effectifs [...] "
" Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sera dans l'impossibilité de mettre en _uvre les politiques de santé concernant, par exemple, la gestion des risques sanitaires de l'environnement, le plan de lutte contre le cancer, les mesures de lutte contre le SIDA ou contre les grossesses non désirées... [...] "
" Notre administration n'est pas en mesure de mettre en _uvre la politique de santé que vous définissez lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ni de préparer dans de bonnes conditions les projets de loi qui vous sont soumis.  "
Le journal Libération du 13 décembre 2000, dans un article intitulé : " Implosion généralisée à la Direction de la santé ", rapporte ces propos d'un fonctionnaire de la DGS : " La ministre de la Santé a lancé, il y a six mois, un plan cancer. Un plan magnifique, tout le monde le reconnaît. Mais il n'y a personne derrière. On n'a trouvé personne pour le présenter au dernier congrès. Résultat, le plan n'a pas avancé d'un iota... On ne veut pas demain se faire accuser par les associations de n'avoir rien fait. " A noter : le congrès en question n'était, en fait, rien moins que le MEDEC, salon à destination des médecins pour lequel la DGS ne pouvait envoyer aucun expert !
Interrogé par le Quotidien du Médecin le 15 décembre 2000, M. Robert Simon, chef du bureau Santé des populations, précarité et exclusion à la sous-direction santé et société de la DGS, illustre la gravité de la situation en déclarant : " Nous n'avons toujours pas l'outil administratif ad hoc pour proposer des politiques adaptées aux ministres et veiller à leur mise en _uvre [...] Avec 269 agents, équivalents temps plein, et une quarantaine de postes vacants depuis des années (51 en 2000), pour 7 sous-directions et 26 bureaux, la DGS nouvelle, voulue par Martine Aubry [...] ne pourra pas épargner à la France une faillite sanitaire. "
Et de poursuivre : " C'est la croix et la bannière pour publier "Action - Programme régional d'accès à la prévention et aux soins" (8 pages), trimestriel destiné aux travailleurs de nos services déconcentrés s'occupant des plus démunis. Globalement, les fonds manquent pour faire des études sur un problème de santé donné ou des évaluations des programmes et politiques de santé. En plus des 320 postes de fonctionnaires "existant en théorie" à la DGS, 70 autres seraient nécessaires, "dans un premier temps", avec un "plan pluriannuel de remise à niveau des DRASS et DDASS", incapables de bien remplir leur mission en raison d'un état squelettique [...] Dans ces conditions, il est tout à fait possible que nous ayons laissé passer des choses, au cours de l'année écoulée, qui amèneront certains de nos collègues devant les tribunaux. Nous courons à des désastres sanitaires. "
De telles déclarations ne peuvent laisser le législateur indifférent, surtout lorsque Mme Gillot, secrétaire d'Etat à la Santé et aux Handicapés, déclare elle-même, selon le journal Libération, " ils ont bien raison ".
Telle est d'ailleurs la position de nombreux acteurs de notre système de santé. Ainsi, le Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique et l'Union confédérale des médecins salariés de France ont affirmé leur soutien avec ce mouvement social sans précédent : " II y a urgence à faire de la santé publique un objet politique à part entière, à la hauteur de la place qu'elle occupe dans les préoccupations des citoyens, à donner à son administration de vrais moyens, à reconnaître la compétence et soutenir et démultiplier l'action des professionnels qui s'y dépensent et n'en peuvent plus de pallier les incohérences des politiques. "
Les personnels de la DGS relèvent avec pertinence dans le dossier adressé aux parlementaires : " Renforcer l'administration sanitaire et développer une culture de santé publique en France, ce n'est pas nécessairement accroître les dépenses de santé [...]. Cela permettra [...] de mieux définir où sont les besoins prioritaires, d'anticiper sur les crises, d'apporter une écoute nouvelle aux professionnels de santé et aux usagers, en un mot de mieux piloter le système de santé. "
Le précédent ministre de l'Emploi et de la Solidarité avait bel et bien conscience de l'état déplorable dans lequel se trouve cette direction. Au mois de septembre 2000, à la veille de son départ, était en effet annoncée une réorganisation du ministère. La DGS devait se voir confier l'élaboration d'une politique de santé publique et sanitaire " active " fondée sur une analyse des besoins, une hiérarchisation des priorités et une évaluation des principaux risques sanitaires et professionnels. En contrepartie d'une perte d'un certain nombre de ses prérogatives concernant l'organisation des soins devant être assumés par la Direction des hôpitaux, ses capacités d'expertise scientifique devraient être renforcées.
Or, en l'absence d'affectation des moyens nécessaires, la santé publique et la sécurité sanitaire de la population reposent sur une administration squelettique dont la structure et les missions n'ont jamais été repensées, ce qui est inacceptable en particulier depuis la mise en place de l'Institut de veille sanitaire et des agences des produits de santé et de la sécurité alimentaire.
Le professeur Joël Ménard, évoquant les raisons de sa démission de la tête de la DGS, indiquait d'ailleurs que les difficultés qu'il avait rencontrées pour mener sa politique au sein " de structures administratives complexes " avaient aussi compté dans sa décision.
En dépit de l'évidente urgence qu'il y a désormais à agir, le Gouvernement s'est contenté de faire recevoir les agents de la DGS par la directrice adjointe de cabinet du ministre, qui s'est cantonnée à indiquer que les quarante postes supplémentaires prévus pour l'année 2000 seront pourvus avant le 1er février 2001.
En ce qui concerne des enjeux de santé publique devenant chaque jour plus pressants, des risques sanitaires nouveaux jusqu'alors totalement inconnus illustrés par l'irruption de maladies émergentes aussi graves et inquiétantes que le Sida, l'ESB, les épidémies à Arbo virus, le Parlement ne peut rester dans le doute quant aux capacités de l'administration concernée d'y faire face dans les meilleures conditions.
La réaction du Gouvernement n'étant manifestement pas à la hauteur de ces enjeux, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de créer une commission d'enquête sur l'aptitude matérielle et humaine de la Direction générale de la santé à assurer ses missions de santé publique et de sécurité sanitaire, essentielles pour la Nation.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur l'aptitude matérielle et humaine de la Direction générale de la santé à assurer ses missions de santé publique et de sécurité sanitaire.
2841 - Proposition de résolution : commission d'enquête - missions de santé publique et de sécurité sanitaire (commission des affaires culturelles)


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