N° 2915
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er février 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux besoins budgétaires afin de traiter dans des délais brefs les atteintes aux lois sur les financements des partis politiques, sur l'usage de l'argent public et l'usage de biens sociaux.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. André GERIN,
Député.

Partis et mouvements politiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de résolution a pour but d'assainir la vie politique et de procéder à une vaste opération de salut public pour la moralité et la noblesse politique.
Peu de jours se passent sans que la presse - tous supports confondus - ne fasse l'écho des affaires politico-financières. Ainsi les citoyens apprennent que des fausses factures ont été faites au profit de tel ou tel parti, que des personnes ont profité de leur position pour améliorer leur confort personnel. De véritables réseaux sont mis à jour dans des régions entières. Il s'agit de copinage, de trafic d'influence, de délits d'initiés soit à des fins d'enrichissement personnel soit pour financer des partis politiques. Parfois des " marchés " avec l'étranger ont été organisés par certains protagonistes. En la matière, il n'y a ni de clivage politique, ni de frontière géographique.
Cela concerne des élus, des hommes politiques sans mandat, des responsables de haut niveau dans les institutions et dans les entreprises privées et publiques. Un juge s'empare d'une affaire qui dure plusieurs mois voire plusieurs années. Les rebondissements sont nombreux. Des élus, souvent très connus, sont emprisonnés. Ces affaires semblent sans fin. Les citoyens sont dégoûtés de constater que l'on a utilisé la plupart du temps l'argent public pour l'intérêt de quelques-uns. Ils disent que ce sont tous les mêmes, occupés juste à se faire réélire. Les chiffres de l'abstention gonflent ces dernières années pour toute élection confondue. Cette impression de corruption généralisée en est une cause. Elle s'ajoute à l'absence d'inventivité et de propositions politiques en faveur de la vie quotidienne, sociale et économique de la population.
Ces affaires ont provoqué une véritable pollution médiatique. Le personnel politique et les responsables d'entreprises concernés crient au scandale. Ils crient à la cabale des juges, des journalistes contre eux. Leur droit de la défense serait bafoué. Des règlements de comptes politiciens prennent les fameuses affaires comme support. Nous sommes tombés dans les caniveaux nauséabonds de la République.
Des gens très bien théorisent : alerte, plus personne ne veut devenir élu! Ils ont trop de responsabilités et ils sont accusés de choses dont ils ne connaissent rien. Haro sur la menace du gouvernement des juges. D'autres parlent de démission de tous les élus même au début de toute procédure, d'autres encore de repentance générale...
Il faut arrêter de se moquer de nos concitoyens, de se moquer des lois et des valeurs de notre nation.
Les juges ne veulent pas se venger du politique. Ils essaient simplement de faire leur travail. Leurs conditions de travail sont précaires. En fait, il manque de juges, de temps pour mener à bien l'instruction des affaires. C'est pour cela que les affaires traînent. Cette situation pourrit la vie politique. Ce phénomène est amplifié avec ceux qui font une affaire autour des affaires.
Il faut arrêter de nous faire marcher sur la tête. Il faut assainir la vie politique. Reprenons nos textes fondateurs et nos lois. Ainsi, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 stipule : " Les représentants du Peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; (...) "
Par conséquent, personne n'est au-dessus des lois. Il est d'autant plus inadmissible que des décideurs institutionnels et privés se soient permis de les outrepasser en prenant appui sur leur pouvoir. Il n'y a pas de délinquant plus honorable qu'un autre. Chaque individu qui a enfreint la loi doit être sanctionné en rapport avec l'infraction, le délit ou le crime. La bande de malfrats qui braque un buraliste pour quelques milliers de francs n'est pas plus ni moins honorable que l'élu d'une grande collectivité qui a procédé à des malversations de plusieurs millions de francs selon une organisation bien rodée. Va-t-on enfin faire mentir La Fontaine quand il décrivait la justice des riches et la justice des pauvres, en remettant les choses dans l'ordre de l'égalité de traitement, valeur héritée de notre Révolution?
Le temps est venu donc d'assainir la vie politique et de juger au plus vite les affaires. L'arsenal juridique est suffisant pour procéder à cette vaste opération de salut public et de moralité politique. Cette proposition a pour but de le démontrer. Il faut mettre en place les moyens pour que cet arsenal soit utilisé dans les plus brefs délais.
Tout d'abord voici l'état des lieux des dispositions juridiques.
De 1945 à 1990, aucun texte ne réglementait le financement des partis politiques. Chacun faisait ce qu'il voulait, se débrouillait comme il pouvait. Ce qui n'est pas interdit est permis. Une seule chose existait alors : la reconnaissance des droits politiques et de constituer des partis. L'article 4 de la Constitution précise : " Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. " Ainsi les entreprises finançaient des partis.
Au fil du temps notamment au travers des campagnes électorales dispendieuses, les partis ont eu de plus en plus besoin d'argent. Le phénomène a pris une telle ampleur que le législateur a dû voter la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques. C'est une avancée importante. Des plafonds sont fixés, par exemple 50 000 F par an pour les personnes physiques, 10 % du plafond électoral prédéterminé ou 500 000 F maximum pour les personnes morales. Les notions de mandataires financiers, de compte de campagne et d'association sont créées. Les comptes de campagnes sont transmis à une commission nationale.
Dans le même temps a été institué le financement des partis politiques par l'Etat selon leur représentativité au Parlement et selon les résultats aux élections législatives. Les parlementaires des groupes communistes avaient voté contre. Ce vote est toujours pertinent. Les choix politiques sont du domaine du volontariat des citoyens.
La loi de 1990 comporte des ambiguïtés. Ses règles permettaient encore des abus et des difficultés d'interprétation lorsque les juges devaient statuer. Le législateur légiféra à nouveau en 1995. Est née la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique. Les choses sont enfin clarifiées. Les personnes morales, privées ou publiques n'ont plus le droit de financer sous quelque forme que ce soit les partis et les campagnes électorales. Les dons versés par une personne physique sont limités à 30 000 F.
Toute ambiguïté est levée avec la loi de 1995. A partir de ce moment il est possible d'assainir la vie politique.
Pour ceux aujourd'hui qui demandent une nouvelle amnistie, ils oublient qu'elle a déjà eu lieu. Il est bon de rappeler que dès après la première loi de 1990, le gouvernement de l'époque a fait voter une amnistie pour tous les faits commis avant 1990. Tous les groupes l'ont votée sauf les groupes communistes. Ce fut un acte honorable car cette loi s'apparente pour beaucoup à une auto-amnistie. Moralement c'est indécent vis-à-vis du droit commun, vis-à-vis de nos concitoyens à qui la vie ne fait pas autant de cadeaux.
Depuis 1995, la France possède l'arsenal juridique suffisant pour régler ces affaires politico-mafieuses. Afin que celles-ci soient traitées et jugées, il faut doter la police de policiers, d'inspecteurs, de personnel administratif, pour mener à bien le travail d'enquête, d'investigation. La justice a besoin de magistrats, de juges d'instruction, de greffiers, de personnel administratif pour pouvoir instruire les dossiers et juger. Police et justice doivent avoir les moyens spécifiques pour traiter les affaires. L'objectif est de travailler de manière sérieuse, complète, dans des délais rapides et avec obligation de résultats rendus publics. Les délinquants de haut vol et de bas étage doivent être mis hors d'état de nuire.
Pour ce faire, une évaluation dans chaque ministère doit être conduite en termes de moyens humains et matériels. Le rapport de la commission a pour finalité de permettre au gouvernement de prendre des mesures d'urgence dans un projet de loi de finances rectificative avant juillet 2001.
Police et justice font partie des missions régaliennes de l'Etat. Il n'y a donc aucune contrainte budgétaire pour expliquer des restrictions quelconques. Il s'agit de bousculer le ronron budgétaire consistant à reconduire des enveloppes sans rapport avec la réalité des missions à accomplir. Il est intéressant de connaître le poids de la justice dans le budget de la nation pour 2001. Elle pèse 29,092 milliards de francs, soit 1,68 % du budget général. La comparaison avec le budget des anciens combattants est édifiante. Ce dernier est crédité de 23,792 milliards de francs, soit 1,37 % du total. La cagnotte fiscale acquise grâce à la croissance de ces trois dernières années sera judicieusement utilisée pour ces missions.
Dans le respect de toutes les lois - droit de la défense, loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence, loi sur le financement des partis - il est grand temps que nous, représentants des électeurs et de la population, rendions sa noblesse à la vie politique en l'assainissant. Il n'y a pas de risque de judiciarisation de cette dernière comme certains veulent le faire croire. Le risque est ailleurs. Il est dans la désaffection des citoyens, dans la vie politique officielle. Ce vide encourage tous les extrémismes, toutes les corruptions. Ce discrédit rejaillit sur tous les élus alors que la plupart sont dévoués à la chose publique dans une action de terrain, bien loin - il est vrai - des feux des médias et bien peu ou mal payés. Pour redonner à la vie politique l'éthique, la transparence, la notion du respect de l'intérêt général et des gens, nous devons donner les moyens à la justice et à la police d'aller au bout de leur travail dans de bonnes conditions de travail et de diligence.
Sous le bénéfice de ces observations, Mesdames et Messieurs, il vous est demandé de bien vouloir adopter l'article unique de cette proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Il est créé une commission d'enquête parlementaire de trente membres afin d'évaluer les besoins en termes de moyens en personnel et matériel nécessaires aux ministères de la justice et de l'intérieur, pour le traitement et le jugement de toutes les affaires politico-financières dans des délais rapides. Elle doit rendre son rapport le 30 avril 2001 au plus tard.


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