N° 3100
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mai 2001.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
relative au vote des lois de financement
de la sécurité sociale.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Jean-Pierre DELALANDE,
Député.

Sécurité sociale.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
« Les lois ne doivent point être subtiles, elles sont faites pour des gens de médiocre entendement; elles ne sont point un art logique, mais la raison simple d'un père de famille. » Ces préceptes de Montesquieu (Esprit des Lois, Livre 29, chapitre 16) inspirent-ils les conditions de vote des lois de financement de la sécurité sociale? On peut, sans doute, se poser la question tant les lois de financement échappent aujourd'hui, comme beaucoup d'autres textes législatifs, mais plus que d'autres, à la logique simple souhaitée par Montesquieu. Après cinq années d'expérience, elles donnent parfois le sentiment de confiner tantôt à l'inutile, en affichant des données dépourvues de normativité, tantôt au pointillisme, lorsqu'elles concernent par exemple des mesures de démographie médicale à portée très limitée, tantôt encore au technocratisme, lorsqu'il s'agit de comprendre les circuits de financement ou ce qui est inclus dans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).
Depuis la révision constitutionnelle du 22 février 1996, la loi organique du 22 juillet 1996 et les modifications conséquentes des règlements des deux assemblées, jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 14 octobre 1996, le Parlement a été doté d'une compétence nouvelle et annuelle avec le vote de ces lois, ce dont on ne peut que se réjouir du point de vue du contrôle démocratique. Mais leur portée pratique gagnerait à être clarifiée et simplifiée. Portant sur des montants supérieurs à ceux qu'autorisent les lois de finances, et sur des dépenses qui, par nature, sont plus hétérogènes et moins maîtrisables que celles inscrites au budget de l'Etat, poursuivant à la fois des objectifs qualitatifs et quantitatifs, la procédure des lois de financement a-t-elle vraiment atteint, après cinq ans de rodage, toutes les ambitions de 1996? Ici encore, la réponse est incertaine. L'évolution tant du contenu des lois successives que du véhicule législatif lui-même était largement prévisible. Le constat est aujourd'hui assez facile à dresser, et la présente proposition de loi vise à remédier aux défauts les plus patents des conditions d'examen et de vote de ces lois de financement de la sécurité sociale.
Les principaux points concernent :
- la cohérence de ces textes législatifs;
- leur contenu et leur degré de normativité;
- le caractère lacunaire et approximatif de certaines données ;
- l'inutilité, annoncée dès 1996, du débat législatif organisé sur le rapport annexé à l'article 1er ;
- le caractère restrictif de la liste des annexes.
Au regard de leur cohérence. Ces lois devaient constituer des ensembles cohérents et ne jamais prendre l'allure de DMOS (1) mosaïques, peu conformes à l'idée de la loi cohérente, et exclure les « cavaliers sociaux ». Elles devraient répondre à un contenu minutieusement décrit par l'article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale, et être enfermées dans des délais de vote précis. Or, que s'est-il passé? La « mauvaise monnaie » législative n'a pas chassé la « bonne » : elles se sont mélangées. Depuis 1996, les textes portant DMOS ont presque totalement disparu, et le flux législatif qu'ils véhiculaient a été largement intégré dans les lois de financement. A la tendance naturelle du Gouvernement de se servir d'un projet dont le dépôt est obligatoire pour y faire figurer des dispositions plus conjoncturelles, se sont ajoutées les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel particulièrement peu opportune. Alors que sa décision sur la loi organique elle-même laissait pressentir une censure stricte des « cavaliers sociaux », il a fallu attendre sa décision sur la loi de financement pour 2001 pour trouver une réelle application de cette notion. Des dispositifs ayant un très faible impact financier ont été jugés, de manière étonnante, comme pouvant figurer dans les lois de financement. Cela a nui à l'unité de ces lois, qu'on a vu incorporer des dispositions sur les médic »aments génériques ou les prothèses dentaires, peu conformes aux idées générales qui avaient inspiré le législateur de 1996. La décision sur la loi de financement pour 2001 a fait évoluer les choses en censurant quelques cavaliers. Mais il demeure probable que le Gouvernement - quel qu'il soit - sera toujours enclin à « tenter le coup  » et à faire figurer dans ce texte ce qui ne doit pas y être. Une légère modification rédactionnelle permettrait sans doute au Conseil constitutionnel de mieux asseoir sa jurisprudence.
La normativité des lois de financement est également sujette à caution. Le noyau dur en est constitué par le plafonnement du recours aux ressources non permanentes de la part des régimes qui y sont autorisés par la loi. Or, il suffit que ce plafond soit situé assez haut pour que ce dispositif n'ait plus aucune portée pratique. Le Gouvernement prend d'autant plus de marge que tout dépassement de seuil nécessite une ratification du Parlement...
Quant à l'autre dispositif dont le caractère impératif est en principe indéniable : la fixation de l'ONDAM, on sait que le Conseil constitutionnel a admis, dans sa décision du 19 décembre 2000, que cette progression pouvait avoir pour base, non pas l'objectif voté, mais l'objectif constaté, ôtant ainsi toute pertinence au vote parlementaire, puisque celui-ci ne fixe qu'un objectif probable, dont la dérive sera intégrée à l'objectif suivant. En clair, il n'y a plus rien de contraignant pour le Gouvernement.
Le caractère lacunaire et approximatif des autres données : les chiffres des recettes et des dépenses ont une simple valeur d'affichage, puisqu'elles n'ont malheureusement pas été conçues comme impératives. En restant dans le cadre initial de la conception des lois de financement de la sécurité sociale, il paraît possible de procéder à deux améliorations :
- la première, la plus importante, consiste à faire coïncider le champ des recettes, qui concerne tous les régimes obligatoires, et celui des dépenses, qui ne couvre que ceux de ces régimes comptant plus de 20000 cotisants. On ne voit pas de justification au fait de ne pas pouvoir faire coïncider recettes et dépenses et de ne pas connaître, de la sorte, le montant du déficit, notamment pour le régime général. Curieusement, ce chiffre était, jusqu'à maintenant, simplement déduit de l'examen de la loi de financement, il ne figurait nulle part dans le texte;
- la seconde tient à l'absence de prise en compte de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). Comment expliquer que ce qui touche à cette caisse, créée en même temps que les lois de financement elles-mêmes, dans le but exclusif de gérer la dette sociale, et dont l'activité est retracée dans une annexe à la loi de financement, ne peut faire partie des dispositions proprement dites de cette loi? C'est pourtant bien ce que prévoit le texte organique, lequel distingue « l'apurement de la dette » - qui ne figure que dans les annexes - du financement des régimes obligatoires qui figure dans la loi. Le Conseil constitutionnel a fait de ce texte une juste application en considérant que ce qui a trait à la CADES ou à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) est un cavalier social (décision DC n° 2000-437 du 19 décembre 2000). Comment expliquer au citoyen - comme d'ailleurs au Gouvernement - que de telles dispositions peuvent figurer en loi de finances, mais ne doivent pas figurer en loi de financement?
Quant au rapport présentant les orientations de la politique de santé et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier, rétabli lors de l'examen de la loi de 1996 à l'occasion de la deuxième délibération, contre l'avis de plusieurs députés spécialistes du sujet, il a été voulu, par le Gouvernement de l'époque, comme élément constitutif de la loi elle-même, débattu, donc amendable, législatif, donc non dénué de normativité. Désormais, il ne peut plus y avoir de doute. Outre que la lecture des rapports joints aux lois de financement laisse, elle-même, très perplexe : catalogue d'intentions, de formules aléatoires, souvent redondants par rapport aux articles du texte, aux annonces de mesures précises, emprunts au pouvoir réglementaire, sa forme trouverait mieux sa place dans un exposé des motifs. C'est fort justement que le Conseil d'Etat a, dans un arrêt Rouquette du 5 mars 1999, dénié toute valeur normative à ce texte pourtant débattu et amendé et dont la présence en loi de financement est actuellement obligatoire. Ainsi, deux solutions s'offrent au Parlement. Soit la suppression pure et simple du débat sur ce rapport, tout en le laissant figurer en annexe, soit conférer à ce document une réelle portée normative. La présente proposition retient la première solution.
5° A l'inverse, la liste des annexes aux lois de financement figure aujourd'hui de façon limitative dans la loi organique. Une annexe prévue par une loi de financement est donc inconstitutionnelle (décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998). Sur ce plan, il existe une différence notoire entre loi de financement et loi de finances. Ces dernières peuvent, en effet, être étayées par les informations données dans les « jaunes », annexes générales dont le dépôt n'est pas obligatoire et n'est pas assorti de délais. Ces « jaunes » sont créés par des lois ordinaires. Un même vecteur d'informations générales pourrait être retenu s'agissant des lois de financement. Faute de cela, toute évolution future de la liste des annexes nécessiterait une modification de la loi organique.
Enfin, nul ne peut se satisfaire des dates d'examen de la loi de financement de la sécurité sociale : ni le Gouvernement, conduit à scinder en deux actions simultanées ce qui pourrait parfaitement relever d'une action continue, ni les députés, ni les sénateurs, qui ne disposent pas du don d'ubiquité, ni le Conseil constitutionnel, souvent obligé de statuer dans des délais trop brefs sur deux textes à la fois. Exiger, à l'Assemblée nationale, d'examiner en séance la loi de financement immédiatement après la première partie de la loi de finances, et immédiatement avant la seconde partie de celle-ci, c'est exiger du législateur qu'il soit marathonien. L'article 47-1 de la Constitution permet parfaitement d'envisager d'autres dates. La réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale au mois de mai, les progrès accomplis en matière de comptabilité en droits constatés, l'existence d'une session continue, comme l'encombrement qui résulte du calendrier actuel, militent en faveur d'une autre date d'examen.
Le seul argument opposé au découplage de l'examen de la loi de finances et de la loi de financement est la cohérence qui doit exister entre ces textes. Or, la confusion créée par la situation actuelle prouve que cet argument ne tient pas. Il vaut mieux que chacun de ces textes puisse entériner une situation législative définitive. La simultanéité de l'examen des deux lois a conduit, en 2000, à l'annulation, pour des raisons purement juridiques, et ici encore incontestables, du transfert d'un reliquat de droits sur le tabac pour un montant de 3 milliards de francs. Cette même simultanéité a conduit à inscrire deux fois le même dispositif dans deux textes s'agissant de l'assiette de la CRDS. Ce ne sont là que des exemples, parmi d'autres, qui démontrent que, loin d'être un facteur de cohérence, la conjonction des débats est source d'incertitude juridique.
Au contraire, le débat de la loi de financement au printemps permettrait d'y voir simplement plus clair et serait plus respectueux des droits du Parlement. La loi de finances, en préparation, tiendrait compte de données irréfutables puisque promulguées. La négociation avec les professionnels des secteurs de la santé pourrait se dérouler sur la base de chiffres adoptés et non de chiffres présumés. Un bouleversement de l'équilibre, d'ailleurs improbable pendant le courant de l'été, pourrait donner lieu à une loi de financement rectificative éventuellement adoptée avant la loi de finances. On ajoutera que cette solution permettrait sans doute aux partenaires sociaux de disposer de plus de temps pour donner leur avis sur la loi de financement.
Dans cette perspective, l'ONDAM aurait toujours une valeur annuelle, mais serait fixé plus en amont par le législateur. Quant à l'appréciation des « besoins de trésorerie », dont les profils varient d'ailleurs beaucoup en fonction des mois, rien n'oblige à ce que l'exercice coïncide avec l'année civile. Enfin, la présence simultanée d'éléments dans la loi de finances et la loi de financement n'est pas un obstacle sérieux à cette solution. Rien n'empêche le législateur de tenir compte de l'exécution plutôt que de « répercuter » en octobre un chiffre figurant dans un projet, comme c'est le cas actuellement. Au demeurant, il faut constater que ce chevauchement ne concerne que quelques éléments de ces lois, comme le Budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA), qui disparaîtra peut-être en loi de finances si l'on tient compte de la volonté, parfois manifestée, de supprimer les budgets annexes.

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Si l'on cumule tous ces éléments, le vote des lois de financement n'apparaît plus que comme un exercice de style obligé, sans conséquences pour le Gouvernement et bien éloigné de la volonté initiale du constituant et du législateur organique.
Tels sont les motifs qui m'ont conduit à vous proposer d'adopter les modifications suivantes de la loi organique du 22 juillet 1996.
Les défauts de celle-ci sont aujourd'hui patents. Il ne paraît pas sage d'attendre, comme en matière budgétaire, plus de quarante ans pour procéder aux modifications qui s'imposent.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Article 1er

Le I de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« I. - Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale, de manière sincère :
« 1° Prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base, des organismes créés pour concourir à leur financement et, le cas échéant, à l'apurement de la dette;
« 2° Fixe, par branche, les objectifs de dépenses de ces régimes, y compris leurs dépenses en capital;
« 3° Évalue, le cas échéant, le déficit prévisionnel de chacun de ces régimes;
« 4° Fixe l'objectif national de dépenses d'assurance maladie;
« 5° Fixe, pour chacun des régimes ou organismes visés au 1°, les limites dans lesquelles ses besoins de trésorerie peuvent être couverts par des ressources non permanentes. »

Article 2

Le premier alinéa du III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement les conditions générales de l'équilibre financier des régimes et organismes mentionnés au 1° du I ou des dispositions améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. »

Article 3

L'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale est complété par un V ainsi rédigé :
«  V. - Le projet de loi de financement de l'année est accompagné d'annexes générales destinées à l'information et au contrôle du Parlement.  »

Article 4

Dans l'article L.O. 111-6 du code de la sécurité sociale la date du 15 octobre est remplacée par la date du 10 mai.

N°3100-Proposition de loi organique de M.Delalande relative au vote des lois de financement
de la sécurité sociale.(commission des lois)


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