N° 3110
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juin 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission d'enquête sur les
dysfonctionnements de la justice dans l'application des peines.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Christian ESTROSI,
Député.

Justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les statistiques de la délinquance pour 2000 ont mis en évidence une large poussée de l'insécurité dans notre pays. Toutefois, ces statistiques semblent loin de la réalité, tant le nombre de faits délictueux ou autres incivilités ne sont pas pris en compte (1).
En jetant un simple regard sur les statistiques officielles, en apparence 67,5 % des faits donnent lieu à une poursuite judiciaire.
Mais la comparaison entre les statistiques du ministère de l'Intérieur (2) et celles du ministère de la Justice (3) montrent que 57,8 % des condamnations définitives à des peines de prison ne sont pas exécutées.
A cela s'ajoute 72,5 % de classement sans suite, en amont, c'est-à-dire avant tout déclenchement de la procédure pénale pour « affaires non poursuivables (4) » (infractions mal caractérisées, motifs juridiques, défaut d'élucidation, non-transmission de plaintes, simple consignation sur la main courante de la police ou sur le carnet de déclaration de la gendarmerie), soit pour raisons d'opportunité (20 à 40 %) (5), soit en aval (35,5 %), c'est-à-dire les « affaires poursuivables (4) ». Ainsi, sur les 4932196 procèsverbaux reçus par les tribunaux, et sur les 4586813 affaires traitées, 3734746 en 1999 n'ont donné lieu à aucune poursuite pénale.
(1) L'Etat ne retraçant que les faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires.
(2) Statistiques de la délinquance pour 2000.Source ministère de l'Intérieur.
(3) Annuaire statistiques de la justice pour 2001.La documentation française.
(4) Sources « La justice pénale en 2000 ». Ministère de la Justice.
(5) Rapport d'information n° 513 du sénateur Hubert Haenel « Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée ».
Or, les statistiques actuelles ne sont pas en mesure de produire une information sur la nature des affaires dont sont saisies les parquets, ni sur les motifs du classement sans suite.
Toujours selon les sources officielles, il résulte donc que sur les 852067 faits ayant reçu une réponse pénale (sur 4932196 procès-verbaux dressés), 50,6 % ont donné lieu à une condamnation devant un tribunal, 4,7 % ont fait l'objet de procédures alternatives aux poursuites (1).
(1) Injonction, médiations pénales, rappels à la loi, stages, travail d'intérêt général.
Selon les magistrats, la réponse pénale réelle, c'est-à-dire exécutée, est extrêmement faible au regard du nombre de personnes condamnées. Ainsi, 43178 personnes ont été incarcérées sur une décision définitive ou comparution immédiate, pour un total de 102341 condamnations définitives à de la prison ferme, soit un taux d'inexécution de 57,8 %. Et si l'on prend en compte les personnes placées en détention provisoire dans l'attente d'un jugement et des personnes déjà détenues pour une autre cause au moment de leur condamnation, le taux d'inexécution atteint 70 %, soit 30900 condamnés.
Ces données, qui peuvent être critiquables, mettent néanmoins en évidence le chemin à parcourir pour que notre pays dispose d'une justice efficace.
Ainsi, l'absence de moyens, l'absence d'outil fiable ne rendent service qu'aux délinquants et augmentent le sentiment d'impunité, sentiment d'ailleurs confirmé par Madame la garde des Sceaux.
Ce qui représente un frein non négligeable à la mise en place d'une politique pénale efficace, qui réponde aux attentes légitimes des citoyens, qui permette aux magistrats d'assurer leurs missions sereinement, et de donner aux parlementaires la possibilité de connaître véritablement les incidences de mesures qu'ils ont voté, et de celles qu'ils vont être amenés à voter.
Enfin, il semble que les procédures de sursis ne soient jamais relevées et que les sursis avec mise à l'épreuve ne fassent l'objet d'un suivi que dans 25 % des cas.
Par ailleurs, selon une étude rendue publique par le ministère de la Justice (1), « 42 % des victimes d'une infraction pénale estiment que cette expérience a altéré leur image de la justice », et entre 77 % des victimes estiment que la justice n'est pas assez répressive.
Parce que cette situation remet en cause la bonne marche de la République et qu'il convient d'assurer l'égalité de tous devant la loi.
Parce que les magistrats se sentent impuissants pour assurer la meilleure application de loi dans le respect des droits de chacun.
Cette résolution vise à permettre une parfaite information de la représentation nationale et à étudier les raisons de ce grave dysfonctionnement des services judiciaires.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête de trente membres sur les dysfonctionnements de la justice en matière d'application des peines.
Cette commission vise plus particulièrement à mettre en évidence les freins à l'application des condamnations pénales.

N°3110- Proposition de résolution de M.Estrosi tendant à la création d'une commission d'enquête sur les dysfonctionnements de la justice dans l'application des peines.(commission des lois)


© Assemblée nationale