N° 3334
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2001.
PROPOSITION DE LOI
modifiant l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945
relative à l'enfance délinquante.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Jean-Pierre MICHEL et François COLCOMBET,
Députés.

Droit pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les procédures qui s'appliquent devant les juridictions répressives appelées à juger un mineur délinquant sont pour l'essentiel les mêmes que celles régissant la procédure devant les juridictions jugeant les majeurs.
Une exception notable réside toutefois dans la publicité restreinte des débats, édictée, concernant le tribunal des enfants, par le second alinéa de l'article 14 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante et étendue à la cour d'assises des mineurs par le huitième alinéa de l'article 20 de cette même ordonnance.
La chambre criminelle de la Cour de cassation ne se lasse pas d'en rappeler le caractère absolu.
Ainsi, la haute juridiction a-t-elle jugé à plusieurs reprises que :
« la publicité restreinte imposée à la cour d'assises des mineurs comme aux autres juridictions pour enfants par les article 14 et 20, alinéa 8 de l'ordonnance du 2 février 1945, est une condition essentielle de la validité des débats devant cette juridiction» .
Plus encore, la haute juridiction a même eu l'occasion d'affirmer que :
« il s'agit là d'une règle d'ordre public à laquelle il ne saurait, en aucun cas, être dérogé»  (arrêt du 6 janvier 1993, Bulletin criminel n° 10).
Il s'agit là d'une exception notable à un principe fondamental de notre procédure pénale qui est la publicité des débats : si le juge décide « au nom du peuple français»  , il est essentiel que celui-ci puisse contrôler la manière dont le juge rend ses décisions. En outre, cette règle de la publicité des débats est d'autant plus indispensable que le début de la procédure - l'enquête et l'instruction sont secrètes. Il faut donc un motif élevé pour que ce principe de base puisse ne pas être appliqué ; en l'occurrence, il s'agit de la nécessité de protéger les mineurs délinquants et de préserver leur avenir.
Cette nécessité disparaît complètement lorsque la personne poursuivie pour des faits pour lesquels elle était mineure au moment de leur commission est majeure au jour où elle est jugée et lorsqu'elle fait expressément la demande que le procès soit public.
Le temps qui s'écoule entre la commission des faits et leur jugement peut avoir diverses causes que sont la complexité du dossier, le délai d'audiencement, une procédure exceptionnelle comme la révision de la condamnation pénale plusieurs années après son prononcé. Depuis la loi du 15 juin 2000 qui organise l'appel des arrêts rendus par la cour d'assises, on rencontrera de plus en plus de mineurs qui comparaîtront après l'âge de dix-huit ans devant la cour d'assises jugeant en appel.
Il est donc logique d'introduire dans l'ordonnance du 2 février 1945 une exception à la règle absolue de la publicité restreinte des débats imposée aux juridictions répressives pour mineurs délinquants.
Au demeurant, d'ailleurs, cet absolutisme n'est absolument plus justifié au regard de l'article 6, paragraphe premier, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Ce texte pose en principe que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.» 
L'exigence de publicité dans la procédure pénale participe donc au plus haut point du droit au procès équitable édicté par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Bien plus qu'un simple principe de procédure, l'exigence de publicité des débats et du prononcé du jugement est une garantie de démocratie fondamentale, ainsi que se plaît souvent à le rappeler la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg :
« La publicité de la procédure des organes judiciaires visés à l'article 6-1 protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public : elle constitue aussi l'un des moyens qui contribuent à préserver la confiance dans les cours et tribunaux.
« Par la transparence qu'elle donne à l'administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l'article 6-1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention... La cour reconnaît pleinement la valeur de la publicité de la procédure pour des raisons du genre de celles qu'indique la commission ;» 
Dès lors, une lecture combinée des articles 306 du code de procédure pénale, 14, alinéa 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 démontre que l'exception au principe de publicité des débats édictée par l'article 14 de l'ordonnance du 2 février 1945 n'est justifiée, au regard de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que par la seule minorité des prévenus ou accusés, l'article 306 répondant aux autres exceptions prévues par l'article 6.
En définitive, il paraît naturel que l'absolutisme du principe de publicité restreinte cède devant celui, de valeur normative identique, de la publicité des débats dans l'hypothèse spécifique où une personne poursuivie pour des faits pour lesquels elle était mineure au moment de leur commission a atteint la majorité au jour des débats et en fait la demande.
D'ailleurs, dans un arrêt récent du 25 octobre 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que des mineurs, au moment des faits, ne bénéficiaient pas des règles protectrices de l'article de l'ordonnance de 1945 s'ils étaient majeurs au moment du déroulement de leur garde à vue.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'adopter.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Après le deuxième alinéa de l'article 14 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le mineur poursuivi a atteint la majorité au jour de l'ouverture des débats, il est procédé comme il est dit à l'article 306 du code de procédure pénale, si le prévenu, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l'ouverture des débats, en fait expressément la demande.» 

Article 2

Le huitième alinéa de l'article 20 de l'ordonnance du 2 février 1945 précitée est ainsi rédigé :
« Les dispositions des premier, deuxième, troisième, cinquième et sixième alinéas de l'article 14 s'appliqueront à la cour d'assises des mineurs. » 
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N° 3334- Proposition de loi de M.J.P. Michel modifiant l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.(commission des lois)


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