N° 3365
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 octobre 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la création d'une commission d'enquête relative à la disparition de l'entreprise Moulinex, à la responsabilité de ses dirigeants, de ses administrateurs, de ses actionnaires et du secteur bancaire.

(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée

par M. Alain TOURRET, Mme Laurence DUMONT, MM. Philippe DURON, Louis MEXANDEAU et Mme Yvette ROUDY,

Députés.

Entreprises.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le 22 octobre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre rendait un jugement sans appel qui «autorise les licenciements des personnels non repris» de l'entreprise Moulinex. Ce jugement sonne le glas de l'empire industriel fondé dans les années 1930 par Jean Mantelet. Sur neuf usines, quatre vont disparaître. Cela représente 3257 personnes. Il s'agit incontestablement d'un gâchis humain et économique pour la Basse-Normandie et plus particulièrement le Calvados - qui paient le principal tribu de cette faillite. Si les répercussions pour la région sont exceptionnelles, elles le sont encore plus du fait des conséquences économiques qu'auront à supporter fournisseurs et sous-traitants. La faillite du «fleuron industriel» bas-normand concerne 90 entreprises, représentant 100 millions de francs de créances. Un millier d'emplois indirects sont concernés. Cette faillite est la plus importante depuis celle de Creusot-Loire en 1984.

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C'est à partir de 1978 que le groupe familial Moulinex amorce seul la fabrication de fours à micro-ondes, alors que le marché est dominé par l'industrie asiatique déjà performante. Le dépôt de bilan est évité en 1985. En 1988, l'entreprise est exsangue, les plue-values financières n'ont bénéficié qu'à quelques-uns. L'endettement est de 3,5 milliards de francs. De nouveau, en 1994, le choix retenu est celui des financiers. Fragilisée, l'entreprise va voir se succéder à sa tête de nouveaux investisseurs. Le choc social sera violent. Les 2600 suppressions d'emplois sur trois ans n'apporteront qu'un court et inacceptable répit à Moulinex.
Depuis 1998, tout s'accélère. Un troisième plan social est mis en _uvre. Une holding familiale - El Fi -, propriétaire italien du groupe Brandt, s'intéresse à ce qu'il reste de Moulinex. Alors qu'une solution industrielle semble s'esquisser, il n'en est rien. Ce groupe italien propose de fusionner Brandt et Moulinex. De nouvelles considérations financières vont précipiter l'échec. Quelle transparence dans ce dossier? « Les Nocivelli ont pris soin de rapatrier avant la fusion le trésor de guerre de Brandt, 120 millions d'euros, et ils refusent de financer le plan social du nouveau P-DG, qu'ils ont pourtant nommé, Patrick Dupuy (1) ». Même constat quelques années avant, lorsqu'en 1988 les dirigeants d'alors empocheront, à trois, 60 millions de francs de plus-value. En 1996, un nouveau P-DG, qui a pour mission d'accélérer la restructuration, permet le doublement de la valeur de l'action. Le spéculateur américain Georges Soros croit pouvoir profiter de l'embellie... Mais le P-DG, M. Naouri, se retire du capital en janvier 1998. La plus-value sera de 320 millions de francs!
Les responsabilités des P-DG successifs et du milieu bancaire ont mené des familles dans l'incertitude et une entreprise vers la banqueroute. L'Etat, comme les collectivités, a été amené à soutenir des dirigeants qui n'ont vu, pour la plupart, que leur intérêt personnel. Qu'en est-il de l'action de ces dirigeants, dont le plus médiatique, M. Blayau ? « Début 1999, M. Blayau se rend ouvertement à l'évidence : Moulinex ne pourra pas s'en sortir seul. «L'avenir passe par de grandes alliances (...). Les enjeux sont trop importants, pour les salariés et les actionnaires, pour continuer à prétendre, président en tête, mener une stratégie autonome à long terme (2). » La crainte du démantèlement? Les syndicats s'en inquiètent dès cette période. « On m'a accusé de vouloir vendre Moulinex à Seb », se souvient encore aujourd'hui P. Blayau. Il avait, à vrai dire, déjà tenté de faire racheter son groupe par Philips, un an plus tôt, dans le plus grand secret. Le P-DG passera l'essentiel de 1999 à chercher des partenaires. Il pense les avoir trouvés, en janvier 2000, lorsqu'il annonce son troisième plan social. « Moulinex doit céder ses micro-ondes à Whirlpool, ses aspirateurs au polonais Zelmer, ses moteurs électriques au hongkongais Johnson Electric (1). »
Le dépôt de bilan, le 7 septembre 2001, sanctionne cette politique. Les banques ont refusé d'aller plus loin dans le soutien à l'entreprise, décidant sa disparition. La logique financière a eu raison de la vision industrielle.
Depuis maintenant quinze ans, l'entreprise Moulinex est en proie à d'importantes difficultés économiques. Les dirigeants successifs ont, à grands renforts de plans sociaux, de licenciements et autres restructurations, affaibli lentement cet outil de production. Les administrateurs, les actionnaires, mais aussi les banques, ont été associés à cette sinistre opération dont aujourd'hui nous pouvons mesurer la triste efficacité. Face à cette casse et au démantèlement des sites Moulinex de Basse-Normandie, il est nécessaire de faire tout la lumière sur les responsabilités des uns et des autres.
En effet, ce besoin d'éclaircissement participera à l'information des ex-salariés des différents sites, mais aussi des pouvoirs publics. Aujourd'hui, il incombe à l'Etat de venir en aide aux victimes de ce gâchis. Si chacun s'emploie dorénavant à utiliser des superlatifs pour qualifier la situation qu'entraîne la disparition de Moulinex, c'est à l'Etat que revient la lourde charge de restructuration des sites et d'accompagnement social des salariés licenciés.
Nous avons aujourd'hui, encore plus qu'hier, besoin de connaître toute la vérité sur les responsabilités des dirigeants de cette entreprise, en remontant aussi haut qu'il le faudra. Il est ainsi impératif d'établir les connexions qui ont existé entre les dirigeants de Moulinex et les responsables des collectivités locales. De même, il est nécessaire d'établir les liens entre les postes de responsabilité occupés par ceux-ci et les avantages procurés par l'entreprise. C'est à la représentation nationale qu'appartient ce devoir moral envers les salariés licenciés pour établir la transparence nécessaire à la poursuite de la mission de l'Etat. Tout dirigeant, actionnaire ou administrateur de Moulinex doit assumer pleinement sa propre responsabilité. L'Etat, aujourd'hui sollicité, ne peut se substituer à ces derniers.
La vérité sera brutale, voire douloureuse. C'est à ce prix que nous pourrons construire un nouvel avenir à ces salariés, à leurs familles, à notre région.
Face à une situation locale dramatique et au regard de ces observations, nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur l'ampleur et la responsabilité des dirigeants, des administrateurs, des actionnaires de l'entreprise Moulinex et du secteur bancaire.

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