N° 3488
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2001.
PROPOSITION DE LOI

instituant une «Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits».

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Yves FROMION,
Député.

Cérémonies publiques et fêtes légales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le 28 septembre 1958, à une écrasante majorité, les ressortissants des territoires africains et malgache sous dépendance française se prononçaient en faveur des dispositions du référendum constitutionnel qui leur ouvrait la voie de l'autodétermination et de l'indépendance.
Le général de Gaulle, à qui revient d'avoir su mettre la France en accord avec son temps, avait ainsi engagé notre pays dans la voie pacifique de la décolonisation institutionnelle.
En quelques mois, les peuples du continent africain, appelés à disposer d'eux-mêmes, accédaient à la reconnaissance internationale dans le cadre de leurs nouveaux pays dotés de frontières et d'institutions viables.
Sans doute bien des malheurs auraient été évités si les responsables de la rébellion algérienne avaient alors accepté « la paix des braves » qui leur était offerte par la France. On sait qu'il n'en fut rien. Néanmoins, l'évolution ultérieure du conflit algérien ne pouvait que s'inscrire dans le droit fil des perspectives tracées par le référendum du 28 septembre 1958.
La recherche d'une issue au conflit algérien, ardemment souhaitée par notre peuple, aboutit dans un premier temps aux Accords d'Evian et puis au cessez-le-feu proclamé le 19 mars 1962. L'indépendance de l'Algérie n'intervint que le 2 juillet 1962, après plusieurs mois d'intenses violences dont les principales victimes furent d'une part les harkis de nos forces supplétives et de nombreux concitoyens musulmans massacrés par dizaines de milliers, et d'autre part la communauté « pieds-noirs » contrainte de fuir la terre qui l'avait accueillie, qu'elle avait fécondée et à laquelle un attachement charnel la liait.
Dans un contexte particulièrement douloureux, la Ve République mettait un terme à un chapitre long et contesté de l'histoire de France, récit des ambitions expansionnistes successives de nos monarchies et de nos républiques. Conquêtes territoriales, objectifs politiques, économiques ou stratégiques, aspirations religieuses, humanistes ou civilisatrices, le mouvement colonial, auquel la France prit part, fut tout cela.
Les polémiques, les oppositions partisanes ou idéologiques, les à-peu-près et les contresens historiques qui entourent, aujourd'hui encore, l'évocation de la colonisation et de la décolonisation, disent assez notre difficulté collective à évoquer ce que la République appelait « la Grande France » ou encore « l'empire colonial ».
Pourtant c'est notre histoire. Notre responsabilité consiste à l'assumer telle qu'elle fut. Il faut rappeler que la colonisation n'a pas été, comme on tendrait à le faire croire parfois, l'affaire d'aventuriers, d'affairistes ou de traîneurs de sabres. Ce fut essentiellement l'_uvre de la République prenant le relais d'initiatives antérieures ; c'est donc à elle d'en rendre compte.
C'est pourquoi la République qui a créé les troupes coloniales, l'école coloniale, la médaille coloniale, la médecine coloniale, les chemins de fer coloniaux, le ministère des colonies, etc. doit assurer à tous ceux qui l'ont alors servie, notamment par le don de leur vie, une place et une considération égales dans la mémoire collective.
Le temps est donc venu de porter un regard lucide, courageux, honnête sur notre histoire coloniale. Cela relève du devoir de mémoire.
Telle est la raison qui conduit l'auteur de la présente proposition de loi à demander au Parlement d'instaurer une Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits.
Une telle initiative doit permettre à nos concitoyens et aux générations à venir de prendre l'exacte mesure de ce vaste mouvement de colonisation qui a concerné, par ailleurs, nombre de pays européens.
Cette Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits ne répond pas à un souci de repentance mais de recherche de la vérité historique.
Il est clair que la France ne peut prétendre à l'exemplarité ni invoquer une quelconque prescription de l'Histoire pour les erreurs et les abus commis sous le régime colonial.
Mais le souci d'équité commande de donner sa juste dimension à l'action civilisatrice de la République dans les territoires qu'elle avait soumis : éradication de l'esclavage, pacification et administration, éducation, action sanitaire, développement des infrastructures, ouverture au progrès scientifique et technique...
Prétendre faire la balance entre ce qui fut positif et négatif est un pari absurde.
Faire le procès par contumace des générations qui nous ont précédé est tout aussi absurde.
La République a le devoir d'éclairer le jugement de l'Histoire sur ce qui fut fait et de préserver de l'oubli comme de l'injustice ceux qu'elle avait mandatés pour le faire. Obéir à ce devoir, telle est notre responsabilité aujourd'hui.
Le choix d'une date dans le calendrier des commémorations nationales pour instaurer la Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits est nécessairement délicat et sujet à débat.
La fin de la guerre d'Algérie a évidemment une portée symbolique. Mais nul n'ignore le différend profond qui oppose les tenants et les adversaires du choix du 19 mars, anniversaire du cessez-le-feu, pour honorer nos morts en Algérie. Comment une commémoration nationale peut-elle s'imposer sur un fond de discorde et d'antagonisme irréductibles ?
La Journée nationale qu'il est proposé d'instaurer doit nécessairement transcender chacun des épisodes qui marquèrent le long chapitre de l'histoire coloniale, mais aussi transcender les générations et les éventuels clivages.
Cette commémoration, inversement, ne doit pas être perçue comme exclusive d'initiatives déjà prises, ou qui pourraient l'être, par des organisations d'anciens combattants pour honorer à telle date de choix leurs compagnons d'armes tombés au champ d'honneur, par exemple en Indochine ou en Algérie.
Parce que l'instauration de la Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits se veut une approche sans concession de notre histoire rien n'interdira à la France, lorsque le temps sera venu, d'y associer les peuples issus de la colonisation.
Rares sont évidemment les dates qui répondent aux exigences posées. Il en est une pourtant qui, plus que toute autre, s'impose par sa force symbolique : le 28 septembre, parce que le 28 septembre 1958, à une quasi-unanimité, dans une étonnante communion, les peuples de France et des territoires encore dépendants adhérent ensemble à la réforme constitutionnelle qui mettait en _uvre le principe républicain du droit sacré des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est bien ce jour-là que le peuple français, à l'invitation du général de Gaulle, hors de toute considération partisane, seul face à son destin, décida de mettre un point final à son histoire coloniale.
Parce que ce fut la volonté de notre peuple, il est demandé au Parlement d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

La République française institue une Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits.

Article 2

Cette journée, ni fériée, ni chômée, est fixée au 28 septembre.
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3488 - Proposition de loi de M. Yves Fromion instituant une «Journée nationale de réflexion sur l'histoire de la colonisation et de recueillement en souvenir de toutes les victimes de ses conflits» (commission des affaires culturelles)


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