N° 3548
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 janvier 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à la création d'une obligation alimentaire
entre
collatéraux.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Jean de GAULLE,
Député.

Famille.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La grande pauvreté touche aujourd'hui plus de 200 000 personnes en France et près de 2 millions de nos concitoyens ne peuvent vivre que grâce au Revenu minimum d'insertion. 6 millions d'autres dépendent des minima sociaux, et on estime d'une manière générale que 15 % des Français vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
En revanche, le revenu moyen a progressé dans notre pays de plus d'un tiers depuis quinze ans. Chacun s'accorde donc pour reconnaître qu'il est plus que jamais nécessaire de renforcer les liens de solidarité qui unissent nos concitoyens. Or, force est de constater qu'aujourd'hui la solidarité nationale, bien qu'efficace, n'est plus suffisante. Le cercle familial, premier échelon où la solidarité a naturellement vocation à intervenir, doit donc également être considéré comme une dimension majeure de la lutte contre la pauvreté et les exclusions.
Qu'en est-il, aujourd'hui, dans notre droit ? L'état des obligations au sein de la famille, instituées par les articles 203 à 211 du code civil, est, sur le fond, quasiment inchangé depuis la rédaction du code en 1804. Une obligation alimentaire pèse sur les ascendants au profit de leurs descendants en ligne directe, sur les enfants au profit de leurs ascendants et sur les gendres et belles-filles au profit de leur beau-père et belle-mère, dans certaines conditions.
Toutefois, à l'heure où la lutte contre la pauvreté et les exclusions a été définie par les pouvoirs publics comme une priorité fondamentale, il paraît surprenant de constater qu'une des omissions les plus choquantes de notre droit, datant de la rédaction du code civil, n'a toujours pas été rectifiée par le législateur. En effet, le droit français ne reconnaît toujours pas, aujourd'hui, d'obligation alimentaire entre collatéraux, alors que le droit romain et l'ancien droit consacraient cette obligation, tout comme, aujourd'hui, les droits italien, espagnol, suisse et ceux de plusieurs Etats d'Amérique latine.
Cette omission, dénoncée par plusieurs générations de commentateurs du code civil, est en outre en flagrante contradiction avec les principes fondateurs de notre République, qui fait de la fraternité la troisième composante de sa devise.
Depuis 1804, les tribunaux français ont toutefois tenté de remédier à cette carence en jugeant que les collatéraux étaient tenus d'une obligation naturelle entre eux, tendant aux mêmes fins. En conséquence, dès lors que le devoir de secours est exécuté spontanément entre frères et s_urs, l'obligation naturelle est novée en obligation civile, c'est-à-dire qu'elle fait naître cette dernière obligation à la charge de la personne qui avait commencé à fournir des aliments à un collatéral dans le besoin. Cette solution est hélas incomplète et insatisfaisante. En effet, elle présente le risque de surprendre le donateur ignorant l'étendue de son engagement, et fait l'objet d'un débat complexe au sujet de sa transmissibilité.
Il convient donc de combler ce vide du code civil et d'instituer une obligation alimentaire civile entre collatéraux. C'est l'objet de la présente proposition de loi.
L'institution d'une telle obligation aurait ainsi de multiples effets positifs. Les juridictions françaises ont eu à connaître, selon le professeur Jean Carbonnier, de 9 030 demandes d'aliments entre parents et alliés en 1996, dont trois quarts en ligne verticale et un quart en ligne horizontale. L'instauration de cette obligation permettrait donc de mettre fin à des situations choquantes et de renforcer les solidarités familiales, en allégeant ainsi d'autant la très lourde charge qui pèse aujourd'hui sur les mécanismes et institutions garants de la solidarité nationale.
Elle ne présenterait, en outre, pas l'inconvénient de faire peser une trop lourde charge sur des aînés de familles nombreuses. En effet, le principe de l'absence de hiérarchie entre les créanciers d'aliments et la possibilité reconnue à tout débiteur d'exercer un recours contre ses coobligés tendent à écarter cette hypothèse. La charge de l'obligation alimentaire est donc ainsi équitablement répartie entre tous les membres de la famille visés par le code civil.
Ayant pour objectif le renforcement des solidarités familiales, cette proposition de loi aurait un coût des plus réduits pour la collectivité.
Son utilité sociale peut apparaître évidente en vertu des principes qui régissent notre République, et, tout simplement, au regard du bon sens. Son adoption permettrait de contribuer utilement à la réinsertion sociale de nombreuses personnes en difficulté et s'avérerait être un outil efficace de lutte contre la pauvreté.
Pour ces raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir l'adopter.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

Il est inséré, dans le code civil, un article 205-1 ainsi rédigé :
« Les frères et s_urs doivent également et dans les mêmes circonstances des aliments à leurs collatéraux qui sont dans le besoin. »

3548 - Proposition de loi de M. Jean de Gaulle visant à la création d'une obligation alimentaire entre collatéraux (commission des lois)


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