N° 3632
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir la laïcité
et la
neutralité du service public de l'éducation.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par M. Jacques MYARD,
Député.

Education.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La montée de l'intolérance fondée sur le développement du communautarisme au sein de la société française est un phénomène marquant et inquiétant à plus d'un titre. De plus en plus, on constate une dérive revendicative qui se fonde sur des critères d'appartenance, ethniques, sexuels, religieux, linguistiques ou politiques. Ces revendications communautaristes se nourrissent des faiblesses de l'Etat dont les piliers sont fragilisés et dont l'autorité est fortement érodée. Elles sapent l'unité de la République et ont tendance à prendre d'assaut l'école qui devrait en constituer le socle et le rempart.
Les attentats du 11 septembre 2001 commis par des fanatiques se réclamant de l'Islam et l'aggravation du conflit du Proche-Orient alimentent naturellement les passions et les rivalités. Il serait illusoire de croire que notre pays est à l'abri de ces tensions, alors qu'il compte plus de 4 millions de musulmans, l'Islam étant la deuxième religion de France. On observe ainsi la montée d'un islamisme militant, certes minoritaire parmi les musulmans de France, qui revendique un Islam « orthodoxe », référent identitaire exclusif, et s'incarnant dans des réseaux d'activistes radicaux. A la suite de ces événements, la multiplication d'incidents mettant en cause des Français de confession israélite ne laisse pas d'être préoccupant. En outre, le sort réservé aux femmes dans cet islam radical, qui s'impose de plus en plus dans certains pays, rencontre des échos certains en France.
Il convient de réagir pour éviter que ne se développent plus avant les comportements ethnicistes, communautaristes, ces intifadas au c_ur de la société et notamment de l'espace scolaire, au mépris des valeurs fondatrices de la République. A l'heure où certains sont tentés de voir dans ces événements l'avènement du « choc de civilisations » prédit par le professeur Samuel Huntington, il importe d'empêcher que l'école ne se transforme en un terrain d'affrontements communautaires alors que les incidents se multiplient dans les établissements scolaires. Pour ces raisons, il est urgent de réaffirmer les principes fondateurs de la République.
Le principe de laïcité consacré par la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat est reconnu dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 et par la Constitution de 1958 : son article 2 dispose que la France est « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La laïcité rejette toute forme de discriminations fondée sur des signes distinctifs contraires à l'union et à la cohésion de la nation. Selon l'article 225-1 du code pénal, la discrimination est « toute distinction opérée entre des personnes à raison d'une appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Elle proscrit les prétentions particularistes ou revendications identitaires d'individus ou de groupes quels qu'ils soient. Le respect du principe d'égalité de tous, sans distinction d'origine, de race et de religion, tel que l'affirme la Constitution de 1958 et son préambule, est une garantie essentielle du pacte républicain.
Si la liberté d'expression et de croyance, corollaires de la laïcité, sont des principes intangibles qui doivent être respectés, l'école ne saurait être le lieu de pressions politiques, religieuses ou philosophiques. Elle doit être à l'abri de telles dérives qui portent atteinte à la neutralité de son service public qui marque légitimement les limites à apporter à l'expression des particularismes de toutes sortes. L'école est le lieu par excellence où s'apprend la liberté de l'esprit.
Ces principes sont au c_ur de l'institution scolaire tels que l'établirent, avec les lois Ferry de 1882 et 1886, les pères fondateurs de l'école.
A cet égard, le port du voile, « le foulard islamique », est emblématique des tensions évoquées plus haut. Cette pratique est le symbole d'une discrimination sexuelle qui va contre le mouvement des sociétés vers l'émancipation féminine; le tchadri imposé aux Afghanes par les Talibans démontre de façon spectaculaire son caractère inégalitaire, attentatoire à la dignité et à la liberté des femmes. De surcroît, cette pratique place les jeunes filles voilées devant des difficultés considérables lorsqu'elles auront à s'engager dans un métier, favorisant par là-même un repli identitaire nuisible à leur assimilation. Le port du voile heurte profondément le principe de laïcité qui fait de l'école un lieu de neutralité, une enceinte privilégiée qui assure et protège la liberté des élèves. Enfin, il est porteur de profondes incertitudes pour les enseignants et chefs d'établissement chargés de résoudre les difficultés liées au port du foulard et qui, abandonnés aux revendications éparses des particularismes, clament leur désarroi.
La jurisprudence du 27 novembre 1989 par laquelle le conseil d'Etat déclara, en substance, que le port par les élèves de signes religieux, notamment le voile islamique, n'est pas en lui même incompatible avec le principe de la laïcité, pourvu qu'il ne soit pas ostentatoire, n'a pas résolu de façon satisfaisante cette question ; quarante-neuf contentieux ont été portés devant le Conseil d'Etat entre 1992 et 1999, dont quarante et un ont abouti à l'annulation des décisions prises par l'administration.
Cette jurisprudence du Conseil d'Etat est décalée par rapport à la situation qui dérive aujourd'hui dangereusement vers des affrontements. La définition d'un cadre juridique rappelant aux élèves que la laïcité garantit leur liberté de conscience et leur droit à manifester leur foi, dans la stricte limite de l'ordre public scolaire, est susceptible, en outre, d'interprétations et d'applications diverses qui se traduisent par des écarts de pratique entre les établissements. Les circulaires ministérielles prises par la suite, en 1989 et 1994, n'ont pas permis de dégager une ligne générale claire et ferme sur le port du voile islamique.
Il est en conséquence urgent que le législateur rappelle fermement les principes de laïcité qui fondent la République.
Le port du voile doit être clairement prohibé car il est ostentatoire par nature. Une telle interdiction vaut pour l'affichage de toute marque distinctive dès lors qu'il est ostentatoire et traduit une volonté prosélyte. Pour cette même raison, cette interdiction ne s'applique pas à des objets de petite dimension et arborés discrètement, tels que croix ou médailles chrétiennes, hexagrammes de Salomon ou mains de Fatma.
C'est en redonnant leur vigueur aux principes fondamentaux de notre Constitution que l'école réussira l'assimilation de tous, quelles que soient leurs origines.
Tels sont les motifs pour lesquels je vous demande, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Le premier alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il assure sa mission dans le respect des principes de neutralité et de laïcité qui s'imposent à l'ensemble de la communauté éducative. »

Article 2

L'article L. 511-2 du code de l'éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le port de tout signe ostentatoire d'appartenance ou de prosélytisme religieux, philosophique ou politique dans l'enceinte des établissements d'enseignement est contraire aux principes visés au premier alinéa de l'article L. 111-1 et est puni, sans préjudice des sanctions disciplinaires applicables, de l'amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. »
__________
3632 - Proposition de loi de M. Jacques Myard visant à garantir la laïcité et la neutralité du service public de l'éducation (commission des affaires culturelles)


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