N° 1641

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXIÈME LÉGISLATURE

Rapport remis à M. le Président de l'Assemblée nationale le 3 novembre 1994.

Dépôt publié au Journal Officiel du 4 novembre 1994.

RAPPORT

DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1) SUR LES CAUSES DES

INONDATIONS ET LES MOYENS D'Y REMÉDIER

Président

M. Philippe MATHOT,

Rapporteur

M. Thierry MARIANI,

Députés.

TOME II

AUDITIONS

(1) Cette commission est composée de: MM. Philippe Mathot, président, Jean Bousquet, Guy Hermier, vice-présidents, Mme Emmanuelle Bouquillon, MM. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaires, Thierry Mariani, rapporteur; Mme Thérèse Aillaud, MM. Jean-Marie André, Daniel Arata, Henri-Jean Arnaud, Jean-Pierre Balligand, André Bascou, Jean-Claude Beauchaud, Dominique Bussereau, Lucien Degauchy, Jean Desanlis, Jean-Michel Ferrand, François-Michel Gonnot, Pierre-Rémy Houssin, Christian Kert, Jean-Bernard Raimond, Jean-Paul de Rocca Serra, Mme Marie-José Roig, MM. Yves Rousset-Rouard, Jean-Marie .Roux, Georges Sarre, Henri Sicre, Léon Vachet, Michel Vuibert, Michel Voisin.

Risques naturels

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(La date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

Pages

- M. Jean-Luc LAURENT, directeur de l'Eau au ministère de l'Environnement (ler juin 1994) 9

- M. Yves LE BARS, directeur général du CEMAGREF (8 juin 1994) 28

- M. Bertrand MUNCH, sous-directeur de la Prévention et des plans de secours à la direction de la Sécurité civile au ministère de l'Intérieur, et l'Amiral Guy RICHARD (8 juin 1994) 3 9

- MM. Marc SOLERY et Gérard BAUDOUIN respectivement président et directeur général
adjoint de Voies navigables de France (15 juin 1994) 54

- M. Henri LEGRAND, chargé de mission pour les risques majeurs à la Délégation aux risques
majeurs du ministère de l'Environnement, chargé de mission pour les risques naturels au ministère
de l'Environnement, ancien directeur de la prévention des pollutions et des risques et délégué aux
risques majeurs (15 juin 1994) . 69

- Colonel Michel MENARD, Centre d'opérations interarmées (COIA) (22 juin 1994) 80

- M. Jacques LECORNU, directeur de l' Exploitation de la Compagnie nationale du Rhône
(22 juin 1994) 93

- M. Pierre CORMORECHE, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture
(29 juin 1994) . 107

- M. Paul-Henri BOURRELIER, président de l'Instance d'évaluation de la politique publique de
prévention des risques naturels au ministère de l'Industrie (29 juin 1994) 118

- M. Georges TOUZET, directeur général de l'Office national des forêts (13 juillet 1994) 128

- M. Dominique MARBOUTY, chef du département des opérations à Météo-France
(21 septembre 1994) 139

- MM. Henry WOLF et Alain JACQ respectivement président et directeur général adjoint
de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs du bassin de la Seine
(21 septembre 1994) 152

Pages

- M. Jean ROYER, député, président de l'Etablissement public d'aménagement de la Loire et de
ses affluents (EPALA) (28 septembre 1994) 164

- M. Serge MAGNAN, délégué général de l'Assemblée plénière des sociétés d'assurance
dommages (28 septembre 1994) . 171

- MM. Charles PASQUA, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire,
et Daniel CANEPA, directeur de la Sécurité civile (28 septembre 1994) 179

- M. Michel BARNIER, ministre de l'Environnement (19 octobre 1994) . 193

TOME SECOND

SOMMAIRE DES COMPTES RENDUS DE DÉPLACEMENTS

Les comptes rendus des déplacements sont présentés dans l'ordre chronologique

des missions effectuées par la Commission

(La date des déplacements figure ci-dessous entre parenthèses)

Pages

- Déplacement dans le département des Ardennes (30 juin 1994) 205

- Déplacement dans les départements du Gard et des Bouches-du-Rhône (4-5juillet1994) 225

- Déplacement dans les départements de l'Oise et de l'Aisne (12 juillet 1994) 252

- Déplacement dans les départements de Charente et Charente-Maritime
(29 septembre 1994) 289

- Déplacement dans le département de Vaucluse (13 octobre 1994) 307

Audition de M. Jean-Luc LAURENT

Directeur de l'Eau au ministère de l'Environnement

(Extrait du procès-verbal de la séance du 1 er juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Jean-Luc Laurent est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Luc Laurent prête serment.

M. le Président: Monsieur le Directeur, je vous interrogerai d'abord sur le bilan des inondations, puis sur des problèmes plus spécifiques relatifs aux bassins, à la prévention, à l'alerte. Enfin, je souhaiterais que vous puissiez noua informer sur l'état actuel de la réflexion du ministère sur l'utilisation du budget de 10,2 milliards de F. qui, si j'ai bonne mémoire, sera affecté sur cinq ans à la prévention des crues.

Mais, comme vous me l'avez demandé, je vous donne d'abord la parole pour un bref exposé liminaire.

M. Jean-Luc LAURENT: Monsieur le Président, je vous remercie. Je souhaitais reprendre, en le développant un peu, le texte de la résolution créant votre Commission afin de pouvoir en mettre en perspective les différents éléments.

Il est certain que les inondations sont d'abord liées à des phénomènes de pluviométrie. J'ai remis cependant à la Commission des éléments qui montrent que la gravité de l'inondation vient de la coïncidence entre la nature des constructions humaines dans la zone inondable et la rapidité d'écoulement du flot. C'est donc à juste titre que l'on peut se poser la question de savoir quels sont dans les bassins versants les aménagements humains qui peuvent influer sur le degré de violence des inondations, d'autant qu'on a sana doute insuffisamment pris en compte le développement de ce phénomène. Nous nommes maintenant certains que l'urbanisation a une double influence: d'une part, l'imperméabilisation limite les capacités d'infiltration de l'eau, d'autre part, la substitution d'un sol bétonné à un sol cultivé permet à l'eau de s'écouler beaucoup plus vite, de sorte que pour un même phénomène pluvieux, le temps de concentration est plus court et donc le débit die pointe plus grand. Un certain nombre d'aménagements dans le secteur rural ont des effets similaires, même si l'ampleur des conséquences est sana doute moins grande.

Il me parait évident aussi que, par le passé, on a réalisé sur les cours d'eau des aménagements qui n'ont pas contribué 8 améliorer la protection: les rescindements de méandres, les travaux, même de lutte contre l'inondation, à vocation purement locale, peuvent déplacer le problème vers l'aval. On a aussi insuffisamment pris en compte la nécessité de ménager des zones d'expansion de crues qui permettent au flot de dissiper une partie de son énergie et de s'étaler en amont des villes.

Si un aménagement local destiné à rendre labourables des terres jusque là en prairie a comme conséquence de rendre inondable un secteur urbain, on voit bien que le bilan entre la richesse produite en amont et la richesse menacée en aval peut ne pas être favorable; d'autant que si cette terre labourable set inondable, il y aura entraînement des terres et sa rentabilité ne pourra peut-être pas être maintenue. Il est donc important d'avoir un minimum de vision globale sur un bassin versant.

Ce qui concerne l'alerte doit faire l'objet d'une attention particulière. Dans les bassina versants qui ne connaissent pas de crues torrentielles, par exemple ceux des fleuves du Nord, on peut déclencher une alerte avec 24 heures d'avance, ce qui permet aux habitants de mettre à l'abri leurs biens et, au moins, de garantir leur propre sécurité. C'est un point sur lequel un effort est fait depuis plusieurs années et je pourrai vous exposer les progrès attendus de l'achèvement de la couverture de la France en radera météorologiques. Je crois aussi qu'il est important que chaque département dispose de plans d'intervention développés permettant de traiter intégralement le phénomène, depuis la pluie jusqu'aux interventions des antennes de secours.

Je voudrais terminer en disant que le Gouvernement, à la suite d'un comité interministériel tenu le 24 janvier dernier, a décidé de développer la prévention par la restauration des cours d'eau et la protection des lieux habités pour essayer ainsi de mettre fin au phénomène un peu inquiétant de l'insuffisance croissante d'entretien des coure d'eau, notamment du fait de la déprise rurale.

Enfin, une précision sur les chiffres: le programme de travaux de prévention s'élève en effet à 10 milliards de F., mais il s'étale sur dix ana et il sera financé en moyenne - c'est variable suivant les postes - à hauteur de 40 % par des crédits budgétaires, transitant soit par des établissements publics, comme Voies navigables de France, soit par le budget de l'État, essentiellement celui du ministère de l'Environnement.

M. le Président: Je vous remercie. Je voudrais aborder tout de suite la question du bilan des inondations dans notre pays.

Depuis quelques années, en effet, certains bassina ont été fortement touchés, les uns ces derniers mois, d'autres il y a trois ou quatre ans et d'autres encore - par exemple celui de la Loire - de façon plus ancienne. Disposez-vous d'éléments permettant d'établir un bilan par bassin des inondations, en particulier des plus récentes?

M. Jean-Luc LAURENT : II faut d'abord reconstituer l'événement météorologique qui est à l'origine de l'inondation et établir la cartographie des zones qui ont été inondées. J'ai remis à la Commission les statistiques de pluviométrie qui permettent de restituer par rapport il la moyenne sur la même période les événements météorologiques de la période d'octobre 1993 il janvier 1994. J'ai choisi des périodes relativement étalées, c'est-à-dire des périodes de deux mois, parce qu'un bilan sur une période trop courte n'est pas significatif statistiquement. Il apparaît que des secteurs importante du territoire français ont connu en effet une pluviosité qui dépasse d'un facteur 2 la moyenne depuis 1945. Autrement dit, les événements de l'hiver dernier s'expliquent d'abord par une pluviosité abondante et durable.

Cela dit, on constate aussi, dans la vallée du Rhône, une aggravation évidente. La crue y est à peu prés centennale, en raison de phénomènes survenus sur les affluents du Rhône. Mais les conséquences ont été aggravées par la rupture de digues. Or, un rapport, fait à l'initiative des ministères de l'Intérieur, de l'Equipement et de l'Environnement - qui va être rendu public dans les jours qui viennent - explique très clairement ces ruptures par un défaut d'entretien. Le problème vient de ce que, depuis une loi de 1807, l'entretien des digues est de la responsabilité des propriétaires dont les terrains sont protégés, et que les associations syndicales constituées notamment nous le premier et le second Empire n'ont fonctionné que tant que l'État a veillé à ce que les propriétaires versent des cotisations à hauteur du montant des travaux nécessaires. Sans vouloir polémiquer, il est clair que, depuis plusieurs années, le budget de ces associations n'était pas suffisant pour assurer le simple entretien des digues. La conviction des cinq auteurs du rapport (inspecteurs généraux des corps techniques et du ministère de l'Intérieur) est que la structure des associations syndicales forcées n'est pas adaptée à des digues de l'importance de celles de la Camargue, sans qu'il faille pour autant en tirer une condamnation générale des associations syndicales, qu'elles soient libres ou forcées. Les auteurs du rapport préconisent de maintenir la participation financière forcée des propriétaires, mais de donner la maîtrise d'ouvrage à un syndicat mixte associant les communes et le ou les départements concernés. Outre le défaut d'entretien, il faut ajouter que la conception de ces ouvrages ne permet pas une intervention rapide, car les digues de Camargue - contrairement à celles de la Loire, pourtant anciennes elles aussi - ne sont pas surmontées d'une voie de circulation permettant le passage des engins susceptibles de faire les réparations nécessaires en cas de rupture localisée.

De plus, toujours dans le bassin du Rhône, les ouvrages de canalisation et de production d'énergie implantés sur le fleuve ont supprimé un quart des zones d'expansion de crues par rapport à l'avant-guerre. L'impossibilité pour le Rhône de dissiper une partie de son énergie en amont de la Camargue n'a donc pu qu'entraîner une pression supplémentaire sur les digues de la Camargue, ce qui a, dans un contexte relativement exceptionnel, aggravé encore la situation.

S'agissant des crues dans le secteur Nord de la France, elles sont survenues du fait de pluies de longue durée et, s'ils elles ont été durement ressenties par les populations, elles ont eu un aspect moins cataclysmique, les hauteurs d'eau constatées ayant été relativement modérées.

L'Etat doit sans doute faire un peu la critique de sa propre organisation, dans :a mesure où il y a eu parfois défaut d'information des populations, où certains plans d'intervention étaient insuffisamment mis à jour et où le dispositif d'annonce de crue n'était pas partout suffisamment modernisé. Je rappelle à cet égard que l'annonce de crue n'est pas une obligation de l'Etat mais des maires. Figure toutefois au budget du ministère de l'Environnement un chapitre spécial destiné à l'annonce des crues, à la fois en fonctionnement et en investissement, chapitre que l'Assemblée nationale et le Sénat ont bien voulu renforcer, en y affectant à plusieurs reprises des crédits de .réserve parlementaire.. Il me parait souhaitable que l'annonce de crue soit faite par des services de l'Etat. En revanche, il est indispensable que la chaîne d'information des populations qui part des services techniques et passe par le préfet, qui décide s'il y a lieu ou non de prévenir les maires, aboutisse aux maires, à charge pour ceux-ci de prévenir les populations, quitte à ce que le préfet, dans des conditions à déterminer dans chaque situation locale, les aide à convaincre les habitants d'évacuer les zones où c'est nécessaire. Cela fait plusieurs années que l'annonce de crue constitue une priorité budgétaire, mais il reste un certain nombre de départements dont la situation n'est pas complètement satisfaisante. Compte tenu de l'état de droit, il est normal que les systèmes d'annonce de crue soient cofinancés par l'Etat et les collectivités locales. `

L'annonce de crue classique, qui mesure les hauteurs d'eau dans les cours d'eau et, à l'aide de modèles, prévoit l'arrivée de l'onde de crue, est plutôt bien adaptée aux crues de plaine, comme celles que nous avons connues dans la moitié Nord de la France. Lorsqu'il s'agit de phénomènes météorologiques très brutaux que l'on rencontre dans le bassin méditerranéen, comme les crues de type cévenol su cours desquelles des hauteurs pluviométriques très importantes se déversent dans un délai très court sur une surface relativement limitée, si l'on attend de détecter le débit dans les cours d'eau, il est trop tard. Il faut donc détecter la concentration nuageuse qui va générer la pluie, ce qui relève de l'imagerie météo et suppose un réseau suffisamment dense de radars. 11 faut savoir en effet que si pour le travail courant de Météo France, la portée utile des appareils est de 150 km, pour celui consistant à prévoir le volume d'eau qui va tomber, la portée utile du même instrument n'est plus que de l'ordre de 80 à 100 km. Autrement dit, si la couverture de la France en moyens purement météorologiques est à peu près terminée, par contre, il reste des trous dans la couverture en radars hydrologiques et météorologiques. C'est pourquoi les crédits d'investissement destinés à cette action ont été portés de 18 à environ 25 millions de F. pour que le ministère de l'Environnement et Météo France puissent financer les quatre radars dont l'installation est urgente. Le premier sera implanté en Haute-Loire ; les choix des autres sites n'est pas encore arrêté, car nous connaissons certaines difficultés d'accès aux points hauts, du fait du régime de protection des sites classés et du contingentement des fréquences gérées par le ministère de l'Industrie.

Voilà un premier bilan sur les événements d'octobre et de janvier. En ce qui concerne la Loire, la dernière grande crue qui a affecté la Haute Loire en 1980 était du type crue cévenole. C'est pour cette raison que, dans le cadre du plan Loire, a été décidée l'implantation un radar hydro-météorologique dans ce secteur, en accord avec Météo France.

M. le Président : La Commission souhaiterait disposer d'un bilan chiffré des dégâts des dernières inondations. Quelles pistes pourriez-vous nous donner ?

M. Jean-Luc LAURENT: Il y a des bilans dans deux domaines. Le ministre de l'intérieur a fait une communication en Conseil des ministres présentant le bilan dans les domaines de sa responsabilité, notamment les dégâts subis par les collectivités locales. La direction de la Sécurité civile et le cabinet de M. Pasqua disposent d'éléments détaillés puisque le gouvernement a décidé de faire bénéficier les communes, essentiellement sur leurs biens non assurables, de la solidarité nationale.

Une autre source d'information est le Bureau des assurances à la direction du Trésor, ainsi que les sociétés d'assurance elles-mêmes, puisque la loi de 1982 sur les risques a créé un système de solidarité nationale alimenté par une taxe sur tous les contrats d'assurance, système qui permet aux particuliers d'être indemnisés quand l'état de catastrophe naturelle est déclaré, qu'ils soient ou non assurés pour les inondations. Les données chiffrées suc les indemnisations effectuées permettent une évaluation des dégâts. L'unité de compte doit être le milliard de francs pour les dégâts aux biens privés et la centaine de millions pour ceux causés aux biens relevant de la partie non assurable du patrimoine communal, mais je préfère ne pas citer de chiffres de mémoire et que vous les recueilliez auprès de leurs dépositaires.

M. le Rapporteur : S'agissant de la localisation des nouveaux radars, pourriez-vous nous dire entre quels sites - outre la Haute-Loire - le choix doit être fait ?

M. Jean-Luc LAURENT : II faut plutôt parler de zones. L'une couvre les Pyrénées Orientales, une autre le Var et il faudra certainement faire quelque chose en Corse, car celle-ci est trop loin du continent pour bénéficier de la protection de ses installations. Par ailleurs, il semble qu'il y ait un .trou. dans la couverture de certains affluents du Rhône: peut-être faudrait-il donc faire quelque chose légèrement au sud de Grenoble. Voilà les localisations approximatives, mais l'ordre dans lequel les radars seront installés n'est pas encore déterminé, l'idée étant d'en construire un par an.

M. le Président : Pouvez-vous donner quelques précisions sur le problème technique que vous avez évoqué d'encombrement des fréquences radars gérées par le ministère de l'Industrie ?

M. Jean-Luc LAURENT: Le problème est plutôt l'accès aux points hauts, qui sont assez occupés, avec les fréquences militaires et les relais hertziens. Or un radar génère beaucoup d'énergie, ce qui peut perturber les relais hertziens situés au même endroit. Ceci explique les difficultés qu'a Météo France à trouver des sites pour implanter de nouveaux radars.

M. Henri-Jean ARNAUD: Monsieur le Directeur, sur les cartes de pluviométrie que vous nous avez communiquées, on voit que la région pyrénéenne n'a pas été excessivement touchée par les grandes pluies su contraire du haut cours rhodanien. Je m'étonne donc que vous prévoyiez un radar dans les Pyrénées orientales avant d'en prévoir un dans la haute partie du Rhône.

M. Jean-Luc LAURENT : Ces cartes font apparaître la pluviométrie lors de deux événements seulement. Mais d'autres événements pluvieux ont été relativement graves dans les Pyrénées orientales. De plus, hors de l'arc méditerranéen, il n'y a pas de crues de type cévenol. La couverture radar du bassin rhodanien su nord de Lyon n'apporterait donc rien. Par contre, il est important que ce secteur-là bénéficie d'une couverture en matière d'hydrologie classique, c'est-à-dire de points de mesure de débit.

M. Henri-Jean ARNAUD : Je partage cette opinion, mais en partie seulement. En effet, dans toute la partie haut rhodanienne, le système de régulation des débits est constitué par une multitude de barrages tous situés en amont de Valence. Or, cette analyse de débit ne se fait que jusqu'au moment où tout passe en débordement. Dans la crue centennale que nous avons connue, nous avons assisté à un phénomène d'accumulation, de stockage et de relâchement brutal, qui a correspondu avec une pluviométrie exceptionnelle, pendant plusieurs jours. C'est-à-dire que nous avons eu une conjonction de phénomènes naturels et artificiels.

M. Jean-Luc LAURENT: Dans un tel cas de figure, le radar devrait permettre de gagner à peu près une heure. Pour éviter que se reproduise le phénomène réel - que vous décrivez, il serait souhaitable, à mon sens, que les gestionnaires d'ouvrages - c'est-à-dire les agents d'EDF, même pour ceux de la CNR -, soient mieux reliés aux PC de crise des préfets, de façon à ce qu'il n'y ait pas de man_uvres intempestives de vannes et qu'en tout cas, les préfets et les élus disposent des informations nécessaires dans ce domaine. Nous sommes donc en discussion avec EDF, principal gestionnaire de retenues et pratiquement le seul qui procède à des manipulations de vannes intempestives, sachant que les retenues des collectivités locales ont une vocation de soutien d'étiage ou de production d'eau potable, et ne donnent pas lieu à des lâchures brutales, contrairement à EDF qui peut y avoir recours pour satisfaire des besoins énergétiques de pointe. II y a un effort à faire pour que les réseaux de mesures dont dispose EDF bénéficient aux pouvoirs publics, que la gestion durant les périodes d'alerte météorologique donne priorité à la sécurité, et qu'il y ait transparence de l'information. C'est un point important sur lequel M. Barnier, dont l'attention a été appelée par un certain nombre de députés, m'a demandé d'être particulièrement attentif et j'ai programmé sur ce sujet une réunion de travail avec le responsable de l'hydraulique d'EDF.

M. Guy HERMIER : Vous avez évoqué un rapport sur la Camargue et le Rhône, élaboré conjointement par le ministère de l'environnement et celui de l'Intérieur. Pourrons-nous en disposer ?

M. Jean-Luc LAURENT: Oui, bien sûr. A la fin de l'année dernière, M. Michel Barnier a demandé un rapport sur les premiers incidents de Camargue; puis, le 24 janvier, le gouvernement a demandé un rapport sur la Camargue, incluant les incidents de janvier, et sur le Rhône. Du coup, la même équipe, composée d'ingénieurs généraux des corps techniques et d'inspecteurs du ministère de l'Intérieur, a écrit ce deuxième rapport au nom de trois ministres, MM. Pasqua, Bosson et Barnier. Le rapport sur la Camargue est disponible depuis quelques jours et le Gouvernement doit autoriser, sans doute la semaine prochaine, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à le rendre public en même temps que le mandat qu'il lui donnera pour le mettre en _uvre. En effet, au-delà de son intérêt technique, ce rapport préconise des solutions pour financer les travaux nécessaires. Le deuxième rapport, consacré au Rhône, sera disponible dans quelques semaines.

M. Guy HERMIER : La couverture de la zone Gard, Cévennes, Vaucluse et Bouches du Rhône doit-elle être assurée par le radar que vous pensez implanter dans les Pyrénées orientales ou l'est-elle déjà ?

M. Jean-Luc LAURENT: II y a déjà des radars. J'ai ici un document de Météo France sur lequel figurent les radars à vocation météorologique ayant un rayon de 220 km, supérieur à ce qui est nécessaire pour les besoins de surveillance des crues. Il y a déjà quatorze radars sur la France.

M. le Président : Je souhaite que nous laissiez copie de ce document. II serait également intéressant que la Commission puisse disposer dans les meilleurs délais des rapports Camargue et Rhône-Camargue.

M. Guy HERMIER : Comment expliquez-vous alors que plusieurs élus évoquent des défaillances dans le système d'alerte des crues, notamment lors des dernières que nous avons connues, dans la zone que je viens de citer ?

M. Jean-Luc LAURENT: Je ne me prononcerai pas sur l'exactitude de ces faits. La chaîne d'alerte est composée de plusieurs éléments: d'abord, la fabrication d'un signal; puis l'exploitation par les techniciens; ensuite, la décision par le préfet de prévenir les élus; enfin, la chaîne d'information des élus. Il faut améliorer chacun de ces maillons. Lorsque le réseau matériel ou informatique fonctionne bien mais que le. fonctionnaire chargé d'exploiter le signal est absent depuis six mois, cela crée un problème. S'il n'y a pas dpour lui verser des primes d'astreinte...

M. Guy HERMIER : Quand on voit l'importance des dégâts... si l'on pense qu'ils sont dus à l'absence d'un fonctionnaire...

M. Jean-Luc LAURENT : J'essaie d'être le plus clair et le plus transparent possible. Les postes en cause sont tenus par des agents qui n'appartiennent pas au ministère de l'Environnement mais travaillent pour lui au sein du ministère de l'Équipement et du ministère de l'Agriculture. Ces postes doivent être considérés comme prioritaires. Dans la situation actuelle, il peut y avoir des incidents et vous pourrez vérifier que, par exemple, sur l'Ouvèze, six mois avant les faits, le poste est resté vacant plusieurs mois. Il faut que l'organisation interne au sein des préfectures permette que les agents sachent exactement qui prévenir.

Il faut aussi que les préfectures soient équipées du matériel adéquat pour prévenir une centaine de maires. Mes collègues de la direction de la sécurité civile ont appelé l'attention de leur ministre sur le fait que les préfectures ont été équipées il y a une dizaine d'années de systèmes de répondeurs qui commencent aujourd'hui à tomber en panne. Ils ont donc des projets de renouvellement du matériel, fondés sur des téléphones à touches ou sur des automates d'appel.

Il faut savoir que dans certaines préfectures, même en mobilisant toutes les standardistes, on a eu du mal à prévenir tous les maires dans les temps.

M. Guy HERMIER : Vous confirmez que pour les zones dont j'ai parlé, ce n'est pas l'outil technologique météo qui est en cause, mais bien la suite de la chaîne ?

M. Jean-Luc LAURENT : II y a certains endroits où l'outil technologique n'est pas assez moderne et où nous projetons de le moderniser. Je veux simplement dire qu'il ne faut pas se focaliser uniquement sur l'outil technologique. Il faut que la chaîne fonctionne depuis l'outil technologique jusqu'au bout, c'est-à-dire l'information des maires. S'il y a une rupture dans la chaîne, le dispositif ne fonctionne pas.

M. Jean-Marie ANDRÉ : Vous qui êtes un technicien, vous savez mieux que moi que les difficultés ne se limitent pas à la Camargue puisque Nîmes, Vaison-la-Romaine sont concernées directement par les crues cévenoles. Je suis moi aussi stupéfait d'entendre que l'on peut expliquer, voire presque excuser, ce qui S'est passé à Vaison-la-Romaine et à Nîmes par l'absence d'un fonctionnaire. Allez expliquer aux gens qui ont perdu un de leurs proches que c'est parce qu'il manquait un fonctionnaire ce jour-là pour relever les appareils que s'est produite une telle catastrophe! Vous avez bien dit que dans cette région on ne peut pas baser l'alerte sur le cours d'eau lui-même mais uniquement sur la météorologie: le radar s'impose donc à l'évidence.

Par ailleurs, si j'ai bien compris, vous avez dit que les ouvrages de l'EDF construits depuis vingt ou trente ans avaient réduit d'un quart les zones d'épandage des crues ?

M. Jean-Luc LAURENT : Oui, mais, plus précisément, il s'agit d'ouvrages construits par la CNR et exploités par des agents EDF.

M. Jean-Marie ANDRÉ : Bien. Enfin, je voudrais parler des syndicats mixtes. Parmi les différents intervenants qui pourraient en faire partie, vous n'avez cité ni l'État ni les régions, alors que, selon moi, ils devraient s'ajouter aux collectivités qui en sont membres aujourd'hui.

M. Jean-Luc LAURENT : Qu'on me comprenne bien. Comme je dépose sous serment, j'ai souhaité être tout à fait clair, d'autant qu'il y aura bien un député qui finira par le savoir: il y a quelquefois des ruptures dans l'affectation des agents à certains postes. Soyons très précis: sur l'Ouvèze, le poste était pourvu le jour de l'accident, l'agent était en place. Simplement, six mois avant, il n'y avait eu personne pendant plusieurs mois. Je ne dis pas, je ne prétends pas que cela excuse quoi que ce soit. Je dis simplement que ces agents forment un des éléments de la chaîne, qu'ils doivent être bien formés et que lorsqu'ils obtiennent une mutation, ils doivent être remplacés dans des conditions garantissant le bon fonctionnement du service.

En ce qui concerne le syndicat mixte, il faut distinguer clairement le financement et la composition juridique. Je ne suis pas sûr que l'État doive faire partie du maître d'ouvrage qui doit comprendre les départements et les communes. Quant aux régions, la question reste ouverte. Ce qui a été décidé par le Gouvernement, c'est que l'État participera financièrement à hauteur de 20 %. Il faut aussi que les propriétaires participent au financement. C'est un problème d'équité et d'efficacité. L'outil juridique existe, c'est le décret du 21 octobre 1993, pris en application de l'article 31 de la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau qui a étendu des dispositions anciennes du Code rural, et qui permet aux collectivités locales de faire participer aux travaux d'aménagement des eaux ceux qui en bénéficient ou qui les rendent nécessaires. Une part importante des fonds doit donc venir des propriétaires directement protégés.

Il ne faut pas non plus que la structure juridique soit trop compliquée. Par exemple, la Camargue relève de deux régions, dont je ne suis pas sûr que l'on arrivera à les faire coopérer de façon efficace. Il faut être pragmatique dans la composition, exactement comme pour les syndicats de communes. En revanche, les clés de financement peuvent être différentes du tour de table juridique.

M. Jean-Marie ANDRE : II va être indispensable d'instituer une collaboration entre la région Languedoc-Roussillon et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, faute de quoi les digues seront plus hautes d'un côté et l'eau s'écoulera chez le voisin. C'est du reste ce qui s'est produit en Camargue: les digues étant plus solides sur la rive droite que sur la rive gauche, la Camargue a pris l'eau.

M. Jean-Luc LAURENT : Vous me permettrez peut-être de renverser votre argumentation et de dire qu'elles étaient mieux entretenues d'un côté que de l'autre ! Elles ont été très abîmées côté Camargue, y compris par les propriétaires.

M. le Rapporteur : Existe-t-il une carte nationale des risques? Depuis quand disposez-vous de statistiques sûres en matière de pluviométrie? Existe-t-il une carte qui serait fondée sur l'ensemble des statistiques dont vous disposez et qui permettrait ainsi d'identifier les zones qui sont les plus exposées ? Dans ce cas, pourrait-on en avoir communication ?

M. Jean-Luc LAURENT: La Délégation aux risques majeurs a publié il y a plusieurs années, une carte des risques relativement synthétique. C'est sur cette base que le Gouvernement a pu dire qu'environ 8.000 communes sont situées en zone inondable et doivent donc faire l'objet dexamen prioritaire en matière de plan d'exposition aux risques ou de plan de prévention des risques. Je peux bien sûr vous communiquer cette carte. Il serait peut être bon également que vous auditionniez le délégué aux risques majeurs qui est aussi directeur de la prévention des pollutions et des risques.

M. le Rapporteur: Depuis quand existe-t-il des statistiques fiables ?

M. Jean-Luc LAURENT : En matière d'hydrologie et de météorologie, on considère que les éléments les plus sûrs remontent à l'après-guerre, c'est-à-dire, selon les bassins versants, 1946, 1947, 1948, ou 1950. II existe des données météorologiques antérieures, de sorte que nous disposons quelquefois en matière de pluviométrie de séries qui remontent à 1880. En ce qui concerne les mesures de débit, la banque de données hydrologiques exploitée par le ministère de l'Environnement contient trente à quarante ans de données, toutefois avec des .trous. pour des raisons tenant à l'entretien de certaines stations. En outre, lorsqu'une station a été emportée par une crue, il faut parfois un an ou deux pour reconstituer les données.

M. le Rapporteur: Vous affirmez que dans le Vaucluse, dont je suis député, la météorologie manque de moyens techniques, qu'il y a des radars certes mais aussi de grandes zones d'ombre. Je peux en donner un exemple précis, celui de l'orage qui a touché Bollène le 30 septembre, dont les services locaux de la météo nous disent n'avoir absolument pas eu les moyens techniques de le prévoir puisqu'il était dans une zone d'ombre.

D'autre part, vous avez dit - et je l'apprends aujourd'hui - que le poste du responsable sur l'Ouvèze n'avait pas été pourvu pendant six mois. De qui dépend-il qu'il le soit?

M. Jean-Luc LAURENT: C'est su directeur départemental de l'Equipement de le réclamer, su préfet de l'aider et à la direction du personnel du ministère de l'Equipement de le lui fournir.

M. le Rapporteur: Donc cela dépend du ministère de l'Equipement.

M. Jean-Luc LAURENT : Ces agents travaillent pour le ministère de l'Environnement. Mais, comme vous le savez, ce ministère n'a pas de directions départementales. Pour qu'une direction départementale se justifie, il faut en effet un certain volume de personnels et la volonté actuelle du Gouvernement est donc plutôt de faire travailler ces agents de façon interministérielle. Qui plus est, les agents en question bénéficient ainsi du soutien logistique de la direction départementale de l'équipement, et ceci me parait un bon argument pour qu'ils y restent affectés.

M. Georges SARRE : Il existe tout de même des directions régionales de l'environnement?

M. Jean-Luc LAURENT: Oui, car pour assurer la fonction d'annonce de crue, la centralisation au niveau de chaque bassin est nécessaire. Par exemple sur la Loire, c'est le Directeur régional de l'environnement d'Orléans qui l'assure. En revanche, le travail sur le terrain est assuré par la DDE - c'est par exemple la DDE de la Haute Loire qui assure l'annonce de crue dans ce département - ou encore un service de navigation.

S'agissant des zones d'ombre, leur existence est due su fait que les ondes radar se propagent en ligne droite; cela dit, lorsqu'on voit arriver une perturbation, qu'on la voit tourner, on peut lancer au moins une pré-alerte. Il y a encore des améliorations à apporter à la liaison entre météorologie et services d'annonce de crues. Nous essayons de faire progresser au niveau local la coopération entre Météo France et le ministère de l'Environnement, qui est, par ailleurs, bonne.

M. le Rapporteur : En tant que maire, je reçois régulièrement des messages libellés ainsi - je caricature à peine : .orage des Pyrénées à la chaîne des Alpes pouvant aller de 20 millimètres à 200 millimètres -; que voulez-vous qu'un maire fasse avec cela ? Il prévient la population. De sorte qu'à une époque, tous les trois jours on faisait évacuer les maisons... Des télégrammes aussi imprécis rendent ingérable l'alerte de la population.

M. Jean-Luc LAURENT : Ce que vous décrivez, c'est le premier état de vigilance. Ensuite, avec le radar, vous pouvez suivre la perturbation sans avoir la certitude qu'elle va éclater. Dans une troisième étape, il faut suivre les premières gouttes d'eau. L'état de toute première alerte doit se borner à mettre en situation de vigilance et permettre d'éventuellement rappeler les fonctionnaires aptes à suivre la perturbation. On peut aussi informer les maires si on souhaite la transparence. En revanche, à ce stade, il n'est pas raisonnable que le maire informe les populations. Il peut en effet y avoir plusieurs semaines durant lesquelles, quatre à cinq jours par semaine, on a le même message. Il est donc important de ne pas lancer des alertes qui ne se matérialisent pas, car les gens finissent par ne plus y accorder la moindre attention, y compris lorsqu'il y a vraiment un risque.

M. Michel VOISIN: A propos des procédures d'annonce de crues, vous avez, pour les transmissions entre les préfectures et les mairies, évoqué le téléphone et indiqué que toutes les mairies n'avaient pas de fax. Je me souviens d'une période qui n'est pas si ancienne où c'étaient les gendarmes qui apportaient les télégrammes à chaque maire, ce qui rendait tout à fait les services escomptés; moi qui suis maire d'une commune de la vallée de la Saône, je peux vous dire que ce système fonctionnait très bien. Pourquoi l'a-t-on modifié ?

M. Jean-Luc LAURENT : Je ne connais pas assez l'organisation de la gendarmerie pour vous répondre. Je crois que le statut des gendarmes a un peu changé. Ils ont bénéficié de certains progrès sociaux et ils ne sont pas en alerte totale 24 heures sur 24. Et comme les phénomènes météorologiques peuvent arriver à n'importe quelle heure, le recours aux brigades semble ne plus être aussi facile. Mais il faudrait que vous demandiez su directeur de la sécurité civile ainsi qu'aux responsables des services de transmission du ministère de l'Intérieur ce qu'il en est exactement.

Mme Thérèse AILLAUD : Je voudrais revenir un peu sur les problèmes rencontrés en Camargue. Le débit du Rhône a été extraordinairement important 11.000 m3/seconde. On n'avait jamais vu cela; par ailleurs, si les digues étaient peut-être mal entretenues, c'est aussi qu'elles ne correspondaient plus du tout à ce pour quoi elles avaient été bâties. Elles avaient été construites en 1859 pour protéger les propriétés privées riveraines et elles sont devenues aujourd'hui des ouvrages de protection civile. Il est donc évident que dans le fonctionnement comme dans la gestion il faudra redéfinir les partenaires.

Je suis tout à fait de votre avis en ce qui concerne l'établissement de voies de circulation permettant un accès permanent aux digues. Je me demande aussi si on ne pourrait pas procéder comme dans le cadre des plans particuliers d'intervention qui donnent lieu à un gros travail de préparation à tous les niveaux afin de permettre à une commune ou à une communauté de communes de réagir très rapidement en cas d'urgence, avec des moyens extrêmement pointus. De toute façon, il faut qu'il existe un véritable service d'alerte permanent.

Enfin, je crois qu'il faut envisager l'installation de stations de pompage afin de permettre le rejet des eaux en cas de besoin, soit vers le Rhône, soit vers la mer. De façon générale, il me parait très important de mener une réflexion d'ensemble sur la gestion de l'eau et l'hydraulique.

M. Jean-Luc LAURENT: II me semble qu'au siècle dernier, on a connu sur le Rhône à peu près le même débit que l'hiver dernier avec les réserves d'usage sur la précision des mesures à l'époque. Je signale aussi que l'eau n'est pas passée par dessus les digues, mais au travers des digues. Si les digues avaient résisté, l'eau ne serait donc pas passée, comme le prouve le fait que les digues de l'autre rive, à peu près de la même hauteur, ont résisté parce qu'elles étaient mieux entretenues. Globalement - à l'exception peut-être de quelques endroits particuliers - ce n'est pas la hauteur des digues qui est en cause mais leur entretien. Je pense que, tout en restant des ouvrages privés, les digues devraient passer sous maîtrise d'ouvrage d'un syndicat mixte. A mon sens, il ne faut pas laisser espérer aux propriétaires qu'ils n'auront pas à intervenir financièrement. Je pense que la gestion des syndicats est critiquable, le mot est faible, même s'il n'est pas certain que l'on doive partager toutes les conclusions du président de la Chambre régionale des Comptes qui, d'après mes collègues du Ministère des Finances, s'est peut-être exprimé un peu hâtivement. Mais il est clair que le niveau des cotisations n'est en rapport ni avec celui des risques ni avec celui des richesses protégées. Cela veut dire que même si les communes sont incitées, y compris avec des crédits d'Etat, à intervenir, il faut que le montant des fonds dégagés par les propriétaires privés soit bien supérieur à ce qu'il est actuellement. Il est certain que le ministère des finances ne laissera pas engager des crédits d'État si les propriétaires ne participent pas de façon significative, ce qui est du reste parfaitement normal.

Vous avez évoqué les plans particuliers d'intervention: même si le nom du dispositif n'est pas le même, il faut à l'évidence qu'il y ait un plan d'alerte et de secours adapté à un secteur, sous la responsabilité du préfet. Qui plus est, si on a dépensé de l'argent pour un secteur, c'est qu'il présente un risque, et il serait alors logique de faire un effort d'information des populations, ne serait-ce qu'en leur apprenant la signification des sirènes et en leur indiquant les pointa où ils sont invités à se rassembler.

S'agissant des pompes, je ne suis pas certain que, pour faire face à un risque centennal, il faille en acheter à l'avance. Je crains qu'on ne s'aperçoive après 80 ans, par exemple, quand le risque se réalisera, qu'elles ne sont pas entretenues. De plus, ce sont des engins qui coûtent très cher alors qu'avec les moyens modernes d'affrètement, on peut transporter sur place les matériels nécessaires. Je pense qu'il vaudrait mieux aménager des points de pompage, avec un cuvelage où se concentrent un certain nombre de réseaux de drainage et recenser au niveau national ou régional les endroits où l'on peut se procurer le type de pompe souhaité.

Dans le cas spécifique de la Camargue, il faut peut-être réfléchir à une compartimentation intérieure c'est-à-dire à l'organisation des réseaux de drainage. Les auteurs du rapport que j'ai évoqué tout à l'heure se demandent s'il ne faudrait pas couper la Camargue en deux ou en quatre pour limiter les dégâts. Lancer une étude de ce type appartiendra tout d'abord au préfet, dès qu'on lui aura donné le mandat, et ensuite au syndicat mixte. La première urgence, c'était de réparer les digues qui ont été abîmées - certaines ont dû même être arasées pour faire passer les engins. Les travaux d'urgence sont faits. Mais il faut aussi engager une réflexion sur la gestion de l'eau en Camargue et sur la façon de réduire le risque. Il faut aussi impérativement que le préfet désigne un service chargé de la police des eaux, de façon à ce que ceux qui abîmeraient les digues, intérieures ou extérieures, ou les rigoles intérieures, fassent l'objet des sanctions prévues par la loi. II est nécessaire de revenir à plus de civisme, comme aux Pays-Bas où le respect des règlements sur l'eau est profondément ancré dans les mentalités.

M. Michel VUIBERT : Les documents sur la pluviométrie que vous nous avez fait remettre ont été établis sur une période de deux mois. N'aurait-il pas été souhaitable de remonter jusqu'au mois de novembre 1993, ce qui aurait permis de disposer d'une période de cinq mois ?

S'agissant par ailleurs de l'annonce des crues, je voudrais souligner l'intérêt qu'il y aurait à ce que les messages soient simplifiés, clarifiés, en un mot, compréhensible par les élus, car les cotes d'alerte qui sont actuellement transmises ne donnent pas de grande indication sur la gravité des événements à venir, comme on l'a constaté à la fin de l'année 1993 !

M. Jean-Luc LAURENT : J'aurais peut-être une proposition. Je pense effectivement qu'il faut améliorer l'information des élus et la qualité du dialogue. Je reconnais volontiers que, dans l'état actuel des choses, certains messages adressés aux mairies sont incompréhensibles. Par contre, le ministre m'a demandé de préparer, en liaison avec les services de l'Intérieur, avant le retour des périodes pluvieuses, une circulaire aux préfets leur demandant de réunir les maires concernés, pour leur expliquer exactement la nature des messages qu'ils sont susceptibles de recevoir, notamment en matière de cotes d'alerte. Les spécialistes savent bien qu'à quelques centimètres près le message change de nature, sa lecture doit donc changer. On peut penser qu'il serait utile que les messages transmis aux maires rappellent à quel niveau se trouve le point de seuil, su delà duquel il y a un risque de débordement. Mais les maires ont aussi besoin d'informations détaillées pour pouvoir, par exemple, les communiquer aux industriels.

M. Michel VUIBERT: Je voudrais souligner à nouveau l'impossibilité pour les élus de lire les informations qu'on leur donne. Ainsi par exemple, alors que l'on connaît la hauteur d'eau correspondant à une cote d'alerte de 100, on se retrouve avec une cote de 107 avec 93 cm d'eau de plus! Mais je crois que vous avez parfaitement compris la nécessité de donner une information claire aux maires et je vous en remercie.

M. le Président : II me semblerait intéressant d'établir des corrélations pour chaque commune entre une hauteur d'eau et un site topologique ou une habitation, de façon à dire aux maires, non pas .«l'eau va monter d'1,20 m». mais .l'eau va atteindre le niveau du portail de l'église., car une telle présentation parle parfaitement à tout le monde, à la population, aux élus, aux industriels.

Vous avez parlé tout à l'heure des problèmes dus au fait que certains postes de fonctionnaires chargés d'intervenir dans la chaîne d'alerte n'étaient pas pourvus. La Commission aimerait disposer de la liste de ces incidents ainsi que d'un état des postes à pourvoir actuellement.

M. Jean-Luc LAURENT: Je n'ai pas ces informations présentes à l'esprit.

M. le Président: La Commission souhaite que vous les lui communiquiez.

M. Jean-Luc LAURENT : Je ne suis pas le mieux placé pour cela, il faudrait demander ces documents aux services du ministère de l'Equipement.

M. le Président : Autrement dit, le ministère de l'Environnement n'est pas en mesure de disposer d'un état de la situation par l'intermédiaire des DIREN ? La question que je vous pose va dans le sens de l'intérêt de votre ministère.

M. Jean-Luc LAURENT : J'ai bien compris. Je regarderai si je peux le faire.

M. Guy HERMIER : Une des raisons ayant conduit à la constitution de la Commission, c'est le caractère répétitif des crues, en particulier depuis celle de Nîmes en 1988. Celle-ci avait donné lieu au rapport Ponton, et vous nous avez indiqué que deux rapports vont être publiés sur la Camargue. Y a-t-il eu d'autres rapports ou études sur les différentes catastrophes qui se sont produites depuis 1988 qui pourraient être utiles à nos travaux? Si oui, nous souhaiterions pouvoir en disposer.

M. Jean-Luc LAURENT: Au delà des études sur des événements ponctuels, sont actuellement menées des réflexions plus globales, tournées plutôt que vers l'analyse des catastrophes, vers les moyens de prévention. A l'initiative du délégué aux risques majeurs, une étude est en cours sur les crues torrentielles pour étudier les sites signalés par le rapport Ponton et déterminer précisément leur vulnérabilité de ces sites et la nature des mesures à prendre. Le travail n'est pas encore tout à fait terminé mais il est bien entamé. J'ai demandé su Conseil général du Génie rural, des eaux et des forêts (GREF), de rédiger un document destiné aux services sur la méthode de restauration des cours d'eau. J'ai apporté ce document à la Commission. J'ai également passé commande d'une étude au Centre d'études du machinisme agricole du GREF (CEMAGREF) qui a développé une méthode d'analyse de l'inondabilité à partir de l'occupation du bassin versant. Le Conseil général du GREF travaille aussi actuellement, mais le travail n'est pas terminé, sur les conseils juridiques à destination des services, sur l'organisation, sur des propositions à faire aux communes pour gérer un cours d'eau dans le cadre d'un syndicat de communes. Enfin, il existe, dans le cadre de la politique d'évaluation des politiques publiques, une instance d'évaluation de la politique de prévention des risques animée par l'ingénieur général Bourrelier. Cette instance va bientôt déposer un premier rapport d'étape.

Il me semble fondamental que dans la gestion des cours d'eau on préserve des zones d'expansion de crues parce que, quoiqu'on fasse - on l'a bien vu pendant les inondations aux Etats-Unis, sur le Mississippi -, quel que soit le système de digues, si on laisse se réduire les zones d'expansion de crues en amont, on sera toujours débordé. A moins d'adopter les techniques des Japonais, qui artificialisent totalement leurs cours d'eau et construisent les villes non pas derrière mais sur les digues, les autoroutes passant sur pilotis au-dessus des rivières, solution qui coûte extrêmement cher et dont le résultat n'est pas particulièrement esthétique.

L'autre voie, c'est d'essayer de faire la part de l'eau, comme on fait la part du feu, en maintenant des zones d'expansion de crues, en essayant de limiter l'expansion des villes dans les zones inondables et de restaurer l'entretien des cours d'eau. Il faut certainement réformer sur ce point le Code civil, aux termes duquel c'est aux riverains d'entretenir les cours d'eau. Le système était efficace à l'époque où il y avait un nombre suffisant d'agriculteurs et un certain civisme. Aujourd'hui, il faut créer un système dans lequel les municipalités riveraines d'une rivière se regroupent pour gérer celle-ci avec les outils techniques et juridiques adaptés.

M. le Rapporteur : L'agence de l'eau est-elle consultée lors de la réalisation de grands travaux, comme des lignes de TGV ?

M. Jean-Luc LAURENT : Le ministère de l'Environnement est consulté, pas l'agence de l'eau. Le ministre de l'Environnement est signataire des déclarations d'utilité publique des grandes infrastructures, comprises de façon assez large, puisque je traite actuellement avec la direction des routes le dossier d'une route nationale dans le Sud de la France. Les dossiers sont traités par deux directions su ministère de l'Environnement, celle de la nature et des paysages et celle de l'eau qui est concernée à la fois par l'écologie des cours d'eau et les inondations.

Les décisions .dans ce domaine résultent aussi d'arbitrages interministériels. Dans ce cadre, la politique de M. Michel Barnier est de faire intégrer la protection de l'environnement et la gestion des risques d'inondations le plus en amont possible. Cela sous-entend une certaine critique de la façon dont on procédait jusqu'à présent, mais ces dossiers mûrissent depuis plusieurs années, quelquefois une dizaine d'années. De plus, dans certains cas, comme le TGV-Méditerranée, même une fois le tracé de la ligne fixé, on peut encore modifier le contenu du risque d'inondation: mettre une partie de la ligne sur pilotis, comme l'évoquait le communiqué commun des deux ministres publié en février, ne change rien aux nuisances mais transforme complètement l'impact hydraulique du projet; sur ce point, même si la décision d'ensemble est déjà prise, le détail précis concernant l'hydraulique sera sanctifié au plan juridique par une autorisation .police des eaux. délivrée par le préfet au nom du ministre de l'Environnement, et le travail technique continue aujourd'hui entre le ministère de l'Environnement, la direction des transports terrestres et la SNCF.

M. le Rapporteur: Dans un dossier comme celui-ci, l'agence de l'eau n'intervient pas du tout ?

M. Jean-Luc LAURENT : Non, je crois d'ailleurs que ce n'est pas le métier des agences de l'eau.

Cela dit, il y a une évolution et le Gouvernement souhaite qu'elles s'investissent plus dans le domaine des inondations. L'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse rendait compte hier à son conseil d'administration de ses réflexions sur ce sujet. Je crois que les agences n'ont pas vocation à gérer la protection des lieux habités; par contre, il serait légitime qu'elles interviennent en matière de restauration des cours d'eau et qu'elles fournissent des expertises, plutôt que des études générales sur l'hydraulique générale d'un bassin versant.

Malheureusement, pour qu'elles puissent intervenir en matière de restauration des cours d'eau, il y a une difficulté juridique à lever. Aux termes d'un avis du Conseil d'Etat, les agences ne peuvent actuellement pas le faire à cause de la nature des recettes dont elles bénéficient, celles-ci portant essentiellement sur la pollution et les prélèvements d'eau. Il faudrait donc créer sans doute par simple modification du décret de 1966 organisant les agences - des redevances en matière de régime des eaux, de façon à faire cotiser ceux qui rendent nécessaire ou utile l'action de l'agence ou qui en tirent bénéfice, sachant que ce ne sont pas les mêmes en matière de régime des eaux et de pollution.

Cela est tout à fait concevable et fait du reste partie des pistes identifiées par le comité interministériel du 24 janvier, le Gouvernement ayant souhaité que, dans le cadre du septième programme, les agences investissent trois fois plus d'argent qu'aujourd'hui en matière de restauration des cours d'eau. II a donc demandé su ministre de l'Environnement d'étudier la création éventuelle d'un régime de redevance et a fixé le niveau global d'intervention - sachant que ce sont les organismes de bassin qui décideront le détail - à environ 200 millions de F. par an de crédits-agences. Il apparaît clairement aujourd'hui que permettre aux collectivités locales, notamment en milieu rural, de se lancer dans une politique active de restauration des cours d'eau suppose de mobiliser, outre des fonds d'Etat, ceux des agences, le recours à celles-ci faisant en outre profiter du réseau de compétences que constituent leurs agents.

M. le Rapporteur: Je reviens sur les grand travaux. Vous dites que vous n'avez pas été consulté en amont. Le serez-vous dans l'avenir ? Je pose cette question en pensant aux lignes TGV. Vous insistez en effet sur le maintien des zones d'expansion de crues. Or, dans la plaine de Caderousse, où les plans d'occupation des sols interdisaient pratiquement de faire des murets de 1 mètre de haut, on nous annonce que la ligne va passer sur un remblai de 8 mètres 1 J'ai donc du mal à comprendre.

M. Jean-Luc LAURENT: Il faut distinguer les affaires déjà engagées et l'avenir. J'ai essayé de vous décrire les modes de coopération entre les ministères de l'Environnement et de l'Equipement. Je peux vous dire aussi que par exemple, pour les routes, qui sont beaucoup plus nombreuses que les lignes TGV, nous avons créé un groupe de travail commun avec la direction des routes afin que celle-ci sache d'avance sur ses projets les sujets sur lesquels nous allons l'interroger, notamment en matière d'hydraulique et de sensibilité du milieu aquatique. M. Leyrit, directeur des routes, et moi-même avons comme objectif que le travail général de concertation en amont soit terminé avant la fin de cette année et que la direction des routes puisse donner aux sociétés d'autoroutes et aux directions départementales de l'Équipement des indications précises qui aient notre accord. La volonté du ministre est bien de mettre fin à des conflits administratifs. Du côté du ministère de l'Environnement, il s'agit de ne plus se borner à constater les erreurs et d'en rendre responsable le ministre de l'Équipement pour avoir conçu seul son projet. Par ailleurs, je vois bien, concrètement, que l'attitude de mes collègues de l'Équipement a changé, qu'ils acceptent de prendre en compte nos préoccupations, alors pourtant que leur poids est sans commune mesure avec le nôtre.

Bien sur, il restera des conflits, des cas où il faudra choisir entre abîmer un secteur agricole riche et commencer à frôler une zone inondable, des cas où il faudra recourir à des arbitrages du Premier ministre. Mais si l'on aboutit à ce que dans le projet initial on intègre les préoccupations d'inondation et qu'on évite les plus grosses erreurs, nous aurons fait un progrès réel.

M. Michei VUIBERT : Est-ce que le lieu privilégié, le support tout désigné pour un travail en commun ne serait pas, mais je ne sais pas si tous les bassins en sont pourvus, les ententes interdépartementales contre les inondations ?

M. Jean-Luc LAURENT: Vous pensez notamment à la Meuse?

M. Michel VUIBERT : Oui, et à l'Oise aussi.

M. Jean-Luc LAURENT: Cela me parait évident, même si toutes les rivières ne sont pas adaptées géographiquement; pour certaines, d'intérêt plus local, le bon outil sera plutôt un syndicat de communes. Cela dit, je pense que les ententes interdépartementales sont une bonne mécanique pour aboutir à des décisions cohérentes et éviter les travaux qui aboutissent à reporter les dégâts vers l'aval. II faut aussi que ces ententes intègrent la politique souhaitée par le Gouvernement, c'est-à-dire qu'il soit fait plus de prévention et que l'on ne dise pas toujours que tout est possible. On ne peut pas tout protéger en même temps, et il faut peut-être accepter que certaines zones du territoire soient inondables pour en protéger d'autres. Mais l'outil juridique qu'est l'entente interdépartementale est bon.

M. le Président: Vous serait-il possible de nous décrire l'état d'avancement de la répartition des 10 milliards de F. de crédits dont vous avez parlé et dont j'ai bien noté qu'ils s'échelonneront sur dix ans ?

M. Jean-Luc LAURENT : J'ai demandé il y a quelques jours aux préfets, le 3 mai 1994, de faire remonter les demandes. Nous avons bénéficié dès l'année 1994 d'une petite part des crédits prévus pour l'année prochaine, sous forme de décrets d'avance. Le montant des décrets d'avance étant forcément limité, nous avons donné priorité, pour le budget de cette année, aux dépenses les plus urgentes de renforcement des digues, notamment dans la vallée du Rhône, à la cartographie des zones inondables, aux études, ainsi qu'à des travaux locaux de désengorgement en amont d'une ville lorsqu'ils apparaissent urgents.

Nous avons aussi demandé aux préfets de faire remonter les demandes de crédits pour l'année 1995 de façon à ce que nous soyions prêts, dès le début de l'année, à les déléguer. Nous envisageons de les déléguer à l'échelon régional en laissant le soin aux préfets de région de faire une sous-répartition, car je ne crois pas que nous soyions capables depuis Paris de définir tous les besoins. Le ministre souhaite aussi conserver une petite partie des crédits à l'échelon national, de façon à pouvoir faire face à des besoins urgents qui apparaîtraient en cours d'année.

Nous avons l'intention de privilégier les départements et les régions où les préfets nous proposeront les projets les plus globaux possible. Si on étale les travaux sur dix ans, il va falloir gérer des files d'attente et donc créer un ordre de priorité. Le critère que je considère pour l'instant comme important est, pour chaque projet, la qualité de la réflexion globale. J'ai eu des échos très critiques d'un congrès de pécheurs sur les travaux sur l'Ornain. L'enquête n'est pas terminée et je ne suis pas sur que la critique soit juste, mais quand on constitue des seuils et des épis, et que, suite à l'inondation, la rivière passe derrières ces seuils ou ces épis, c'est peut-être que l'étude n'était pas suffisamment globale. Or on ne peut pas se permettre de gaspiller les crédits publics à faire des ouvrages à la fois traumatisants pour l'environnement et pensés de façon trop limitée.

M. le Président: Je tiens à vous remercier, monsieur le directeur, pour la clarté et la sincérité de vos propos. Je vous rappelle que la Commission souhaite vivement disposer des deux rapports sur la Camargue et la vallée du Rhône, de la carte d'exposition aux risques majeurs sur une période longue de la liste des incidents d'alerte dus au fait que des postes n'étaient pas pourvus, ainsi, surtout, que de l'état actuel de l'occupation de ces postes.

Audition de M. Yves le BARS

Directeur général du CEMAGREF

(Extrait du procès-verbal de la séance du 8 juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Yves le Bars est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'Invitation du Président, M. Yves le Bars prêle serment.

M. le Président: Monsieur le Directeur général, pourriez-vous pour commencer nous présenter votre organisme ?

M. Yves LE BARS: Le CEMAGREF est un établissement public scientifique et technologique qui compte environ 1.000 personnes. Il s'agit d'un centre de recherche finalisé dont l'activité couvre deux grands domaines: eau et environnement, territoire et agriculture.

Notre établissement comprend quatre départements scientifiques un département .gestion des milieux aquatiques. qui essaie de définir des règles de gestion intégrée des milieux aquatiques; un département .gestion des territoires. qui élabore des règles applicables à la gestion en montagne ou dans les zones défavorisées; un département .équipement pour l'eau et l'environnement. qui travaille sur les barrages et les digues; enfin, un département .équipement pour l'agriculture et l'agro-alimentaire. qui nous vaut d'être un centre de recherche sur le machinisme agricole. Les départements .gestion des milieux aquatiques. et .équipement pour l'eau et l'environnement. comptent chacun 180 personnes.

Le CEMAGREF a mis en place, conjointement avec le ministère de l'Environnement, un programme de recherche sur les risques naturels qui étudie les outils et les méthodes de lutte contre les risques.

Je suis également président du groupement d'intérêt public hydro-systèmes qui regroupe l'ensemble des organismes de recherche publics français engagés dans la recherche dans le domaine de l'eau, et président d'un réseau européen créé récemment, EURAQUA, qui comprend un organisme de recherche par pays membre de l'Union européenne.

Je voudrais maintenant vous présenter trois exemples d'expertises que le CEMAGREF a été amené à réaliser dans le domaine des inondations.

La première a été faite dans une petite vallée de Haute-Garonne qui a connu des inondations et où quatre communes souhaitaient définir une action en commun. La direction départementale de l'Agriculture nous a donc demandé d'engager une réflexion sur ce problème.

L'ingénieur que nous avons envoyé sur le terrain a d'abord constaté que l'urbanisation avait été menée de façon irréfléchie. Il a noté en particulier qu'un lotissement avait été réalisé à la confluence de deux rivières et que certaines maisons avaient été construites en dessous, non seulement du niveau des digues de protection, mais même du fond du lit de la rivière, cette situation n'était d'ailleurs pas unique dans la vallée. Il a constaté également qu'en raison d'une modification du lit d'une rivière principale, un certain nombre de protections avaient été destabilisées.

Trois types d'actions ont été envisagées afin de limiter les inondations: réduire les débits de pointe en écrêtant les crues, c'est-à-dire en créant des zones d'épandage en amont, accélérer l'écoulement des eaux en recalibrant la rivière en aval, installer des protections rapprochées dans les zones d'habitat.

Or, une fois testés, ces scénarios se sont révélés tous plus ou moins insatisfaisants parce que risquant d'aggraver les inondations en aval, de déséquilibrer le profil des cours d'eau et d'engendrer des érosions du lit ou des berges. Encore fallait-il également que les travaux soient économiquement justifiés.

Nous avons donc indiqué aux maires qu'il n'existait pas de solution miracle susceptible de résoudre leurs problèmes d'inondation.

Notre ingénieur a proposé que soient adoptées des mesures d'urgence : surélévation des digues d'un côté, abaissement de l'autre, afin de permettre l'épandage de la crue vers des terrains qui n'avaient pas besoin du même niveau de protection. Il a conclu à la nécessité de mettre en place le plus rapidement possible le schéma d'aménagement des eaux prévu par la loi du 3 janvier 1992 afin que les problèmes d'inondation soient mieux intégrés dans l'aménagement du bassin versant.

La deuxième expertise a été réalisée en Camargue.

Un ingénieur-chercheur du CEMAGREF d'Aix-en-Provence a été sollicité par la direction départementale de l'Equipement et par le préfet en pleine situation de crise: de grandes brèches étaient apparues dans les digues, justifiant le lancement de travaux importants. Il importait de localiser les petites brèches et de les traiter avant qu'elles ne s'agrandissent.

La tâche de l'ingénieur a consisté à repérer non seulement ces petites brèches mais aussi les .zones de renard. qui, de simples écoulements, se transforment en brèches par la suite.

Ayant constaté que nulle part les digues n'étaient d'une hauteur suffisante, l'ingénieur a conclu à la nécessité de réaliser des travaux d'urgence et de procéder à un nettoyage de l'ensemble des digues pour mieux localiser les .zones de renard.. Il a également proposé de réaliser un diagnostic complet des digues de façon à identifier les zones nécessitant des travaux de confortement et à définir leur degré d'urgence en fonction des enjeux.

Les principaux responsables des désordres dans les digues semblent être les animaux à poils ainsi que les racines des arbres et les végétaux morts. II faut donc définir des méthodes de surveillance adaptées à l'action de ces facteurs contribuant aux circulations d'eau.

La troisième expertise que nous avons réalisée concerne la crue de l'Ouvèze, en amont de Vaison-la-Romaine. A la demande du préfet, et conjointement avec un bureau d'études, le CEMAGREF a procédé à une analyse d'ensemble de la situation qui a mis en évidence trois faits. En premier lieu, le débit en aval du pont romain s'est élevé de 900 à 1 100 mètres cubes par seconde. Ensuite, la proportion d'eau de pluie qui ne s'est pas écoulée pendant la crue mais qui, soit a été stockée, soit s'est écoulée bien après, s'est située entre 70 et 50 %. Enfin, la crue est survenue dans un délai très rapide, ce qui a limité les capacités de réaction. La pluie a commencé à se manifester en amont du bassin versant entre 11 heures et 11 heures 40, puis elle a repris entre 13 heures et 15 heures et celui où la crue a atteint son maximum à 15 heures 40, la décrue s'est alors amorcée, la rivière rejoignant son lit en fin d'après-midi.

Quelles peuvent être les solutions aux risques d'inondation ?

Il faut d'abord noter que toute situation de risque résulte de la confrontation entre un aléa hydrologique, auquel on peut donner une probabilité, et une vulnérabilité liée à l'occupation du sol.

Dans le cas des récentes fortes crues, les causes liées à la situation des bassins versants n'ont eu qu'une importance négligeable ou secondaire: le parcellaire, la végétation, les techniques agricoles ou même les embâcles - c'est-à-dire les mélanges d'eau et d'arbres se mettant en travers d'un pont -, tous ces éléments, qui peuvent avoir des effets ponctuels importants, n'ont eu finalement qu'un rôle secondaire. En effet, une crue exceptionnelle se produit sur un sol saturé qui a déjà absorbé une première pluie et sur lequel pratiquement toute l'eau s'écoule. Si le coefficient de ruissellement a atteint 30 à 50 % à Vaison-la-Romaine, c'est parce qu'une première pluie avait saturé l'ensemble du sol. Il est vrai qu'un parking se sature plus vite qu'une forêt, un terrain nu agricole sur un sol peu perméable plus vite qu'une forêt sur un sol très perméable.

La gravité des inondations s'explique essentiellement par l'occupation du sol dans les zones inondées, et par la mauvaise résistance d'un certain nombre d'ouvrages: les routes peuvent ainsi avoir un rôle de retenue mais si elles cèdent, de graves problèmes peuvent se poser.

Lorsque des crues se produisent dans des petits bassins, le ralentissement dynamique est certainement insuffisant dans les lits amonts, dans les fossés et dans les ruisseaux. Dans l'hypothèse de crues rares et extrêmes, la gestion de l'eau excédentaire et l'occupation des sols en lit majeur doivent seules être prises en compte.

Que peut-on faire ?

En ce qui concerne la gestion de la crise, il faut savoir que les délais d'intervention sont brefs. Sur un certain nombre de sites repérés comme particulièrement vulnérables, des systèmes d'alarme utilisant des technologies adaptées peuvent être mis en place.

II est parfois possible de réaliser des protections rapprochées (digues ou recalibrage) mais il faut faire attention à ce qu'elles n'aggravent pas la situation en amont - en suscitant des inondations, ou en aval - en accélérant les flux.

Nous estimons donc que seule une gestion intégrée des rivières peut permettre une bonne protection contre les risques d'inondation. Il conviendrait en particulier de cartographier l'aléa, c'est-à-dire la probabilité de la crue. Nous avons ainsi défini, et testé dans des cas particuliers, des prototypes de méthodes permettant de calculer le niveau de risque acceptable.

Le principe de ces travaux est le suivant: nous nous efforçons de calculer la probabilité de l'inondation, puis nous recherchons les besoins spécifiques de protection de chaque espace. En comparant les aléas su niveau de risque admis, il est possible de repérer les zones qui sont sous ou surprotégées.

Une gestion à l'échelle du lit majeur de la rivière permet donc d'identifier les travaux permettant de gérer l'eau en excédent en cas de crue et d'optimiser les aménagements en testant leur impact.

En conclusion, la priorité pour l'Etat est de favoriser la mise en place des schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Les risques en matière d'environnement se posent à une échelle territoriale pour laquelle il n'existe pas d'autorité responsable, sauf celle de l'Etat. Il convient donc de veiller à ce que se constitue à l'échelle du problème l'entité maître d'ouvrage de l'action .

Même si l'élaboration d'une cartographie du risque se heurte à des blocages culturels, voire fonciers, il est important que l'Etat s'efforce d'en développer la méthodologie pour que soit clairement affiché l'aléa et la vulnérabilité liée à chaque parcelle. Il s'agit là d'un travail important qui suppose des mises à jour, des inspections sur le terrain, mais les services de l'Etat ont la possibilité de le réaliser.

Enfin, il est de ma responsabilité de directeur d'établissement de recherche de vous indiquer que l'effort de recherche dans le domaine de la gestion des eaux est insuffisant. Un effort de recherche et de développement doit être accompli pour appuyer les actions publiques. II est certain qu'en situation de crise il n'est pas très populaire d'avouer que l'on ne sait pas vraiment ce qu'il faut faire. Nous connaissons le .syndrome du trou dans le toit. : quand il pleut, il est impossible de réparer le trou; quand il ne pleut plus, la tâche est moins urgente.

Il n'en reste pas moins qu'il faut développer un certain nombre de prototypes en mettant l'accent peut-être davantage sur l'aspect développement que sur l'aspect recherche: les logiciels de propagation de crue, les méthodes de cartographie, les outils de négociation qui existent doivent être développés. Cela suppose une multiplication des tests et un transfert de compétences aux bureaux d'études et aux agents de l'Etat qui sont en charge de ces questions sur le terrain.

Un certain nombre de sites tests devraient également être étudiés afin de mieux connaître la génération des crues. De meilleures méthodes de réaction pourraient ainsi être définies. Ce travail doit se faire non seulement à l'échelon national mais aussi à celui de l'Union européenne.

M. le Président: Vous nous dites en substance que la cause principale des inondations est la saturation des sols. Pensez-vous néanmoins que les nouvelles techniques agricoles ou forestières ont une influence sur les phénomènes de saturation ?

M. Yves LE BARS: Oui, dans un sens ou dans un autre. Les travaux agricoles effectués selon les courbes de niveau ont un effet positif; lorsqu'ils sont faits dans le sens de la pente, ils augmentent les risques d'érosion et de ruissellement. Une forêt a une capacité de rétention supérieure à une terre labourée. Or la forêt s'est développée dans les bassins versants depuis ces dernières années. La rapidité de l'écoulement devrait donc avoir globalement diminué en raison d'une saturation plus grande des sols. Cela ne vaut pas, bien entendu, pour les zones où l'urbanisation est significative. Cependant, dans les grands bassins versants ruraux, je ne pense pas que la vitesse d'écoulement ait connu une forte accélération moyenne.

La question se pose de savoir si le drainage des sols agricoles accélère ou non l'écoulement des eaux. Il résulte de diverses études faites au CEMAGREF que cela dépend essentiellement de la nature des terres et des émissaires. Sauf en zones humides ou marécageuses, où l'écoulement des eaux peut être accéléré, le drainage agricole a plutôt un effet positif car il réduit le ruissellement des eaux. Par contre, si les fossés émissaires sont surdimensionnés, il peut y avoir aggravation des crues à l'aval. Selon la configuration initiale, l'un ou l'autre de ces phénomènes peut l'emporter:

M. Jean-Bernard RAIMOND: Les inondations qui ont eu lieu dans la région d'Aix-en-Provence sont généralement imputées au mode d'occupation du sol: si les eaux sont difficilement absorbées, c'est à cause de l'urbanisation (construction de routes, aménagements divers) qui a pour effet de saturer les sols. C'est la cause immédiate qui a été mise en avant pour expliquer le gonflement de ruisseaux en torrents.

M. Yves LE BARS: A propos d'urbanisation, je voudrais bien dissocier deux phénomènes. Dans les bassins versants, l'urbanisation peut entraîner une aggravation de la crue. Dans les lits majeurs, l'urbanisation a pour effet de faire oublier à l'homme d'aujourd'hui le fonctionnement naturel des cours d'eau: il ne sait plus notamment que le débordement d'une rivière ralentit l'avancée de la crue. Il faut donc faire un effort important pour rétablir la connaissance de ces mécanismes et des aléas auxquels les personnes sont confrontées. Les bureaux d'études devraient se mobiliser en ce sens. Ils ne le font malheureusement pas, parce qu'ils n'ont pas perçu le marché qui est en train de naître.

Lorsque l'on évoque les phénomènes d'urbanisation dans le déclenchement des inondations, il faut donc dissocier l'urbanisation du bassin versant de celle dans le lit majeur.

Mme Thérèse AILLAUD: Comme vous l'avez dit, nous avons effectivement recensé des trous d'animaux, notamment de renards, en Camargue. Je pense que les matériaux employés pour la construction des digues en 1944 étaient trop fragiles. Le choix des matériaux employés doit être revu afin que les digues deviennent de véritables protections.

II importe également de réaliser des travaux de drainage en Camargue et de s'occuper de l'évacuation des eaux. Il s'agit là d'un problème important pour la sécurité des populations et des terres agricoles, qui doit être étudié en fonction du système hydraulique et du système de drainage.

M. Yves LE BARS: La gestion intégrée des cours d'eaux - dont le CEMAGREF défend l'idée - et l'aménagement des rivières doivent se faire dans le respect de la diversité des milieux. C'est un des enjeux qui a été soulevé au sujet de la Camargue.

M. Jean-Marie ANDRE : Chacun sait ici que le Rhône est un des fleuves les plus difficiles, voire impossible, à maîtriser. Si les crues millénaires dépassent largement nos compétences, je voudrais évoquer les crues intermédiaires. Est-il prévu de mettre en place des bassins d'expansion normaux entre le barrage de Vallabrègue et la mer, et si la création de tels bassins est décidée, se situeront-ils sur la rive droite ou sur la rive gauche? La Camargue est-elle considérée comme un bassin pratiquement normal, ou n'y a-t-il rien de prévu dans cette région ?

M. Yves LE BARS: Malheureusement, votre question n'est pas de ma compétence, elle relève plutôt de la Compagnie nationale du Rhône. Notre centre de recherche n'a pas été amené à travailler sur ce grand bassin versant.

M. Léon VACHET: S'il est impossible d'empêcher les catastrophes, il n'en reste pas moins que nous en sommes tous responsables. Depuis 1945, on a fait n'importe quoi n'importe où. Ma commune qui n'avait jamais connu d'inondation est touchée par les crues depuis cinq ou six ans. On a construit un stade, des immeubles, une mine, sans prévoir des possibilités d'écoulement.

Il faut aussi parler de l'agriculture: on a par exemple construit des serres là où, auparavant, la terre pompait l'eau; on parle de débroussailler toutes les forêts, mais il ne faut pas oublier que la broussaille retient l'eau.

Nous sommes également responsables de ne pas savoir prévoir et conjurer les inondations que nous avons connues. Ainsi, à certains endroits, le milieu de la Durance est plus haut que la bordure de la route en raison des matériaux accumulés. Il faut donc essayer de régler les problèmes qui peuvent se poser et prévoir les catastrophes avant de continuer à faire des bêtises.

M. Yves LE BARS: C'est au niveau, non pas de la commune ou du département, mais du bassin que doit être réalisé un travail de planification important, sachant qu'il convient de parvenir à une harmonisation des différentes procédures de planification.

M. le Rapporteur : Ma commune a fait appel il y a plus d'un an à un cabinet d'études mais elle attend toujours les premiers résultats. Les centres universitaires que nous avons contactés ne nous ont encore pas fait connaître leurs conclusions, et un seul bureau d'études privé nous a livré un rapport en six mois. La situation devient intenable pour les élus car il est impossible de bloquer l'urbanisation d'une ville - ce que l'on fait depuis deux ans - en disant aux citoyens qu'il faut attendre de savoir jusqu'où l'eau va monter.

Par ailleurs, qu'entendez-vous par ralentissement dynamique insuffisant? J'ai cru comprendre qu'il s'agissait des problèmes des bassins d'expansion de crue. L'importance de ces bassins n'apparaît pas dans ma région chacun fait sur le territoire de sa commune de belles berges bien droites qui accélèrent le cours de la rivière, mais jamais on ne prévoit de bassins d'expansion de crue. II est logique d'envisager, comme vous l'avez fait, la réalisation de travaux à l'échelle du bassin mais lorsque le maire de Vaison-la-Romaine fait de longues berges bien droites, celui de Bedarrides, commune située à cinq heures en aval, proteste que l'eau y arrivera plus vite et plus rapidement. A votre avis, ne serait-il pas opportun d'imposer systématiquement des surfaces de bassins de rétention dans certaines régions? Les pouvoirs publics ne devraient-ils pas être plus directifs

Par ailleurs, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut constituer une entité maître d'ouvrage. La rivière qui traverse ma commune est à la limite entre le département du Vaucluse et celui de la Drôme. Des travaux réalisés étant dans le premier mais pas dans le second, il est facile de prévoir la direction que prendra la prochaine inondation.

M. Yves Le BARS: Le ralentissement dynamique doit se réaliser à différentes échelles ou niveaux d'action. Un lotissement pourrait ainsi se voir imposer d'assurer sur son territoire le ralentissement des eaux qu'il a accélérées.

S'il faut imposer des règles, celles-ci doivent être définies à l'échelle adéquate, en fonction de l'analyse technique qui peut être faite de la situation. Dans certains bassins versants, il peut être vital de prévoir un ralentissement dynamique pour chaque lotissement; dans d'autres, où les lotissements sont répartis en bordure d'une zone assurant elle-même un stockage momentané de l'eau, ce ralentissement dynamique peut ne pas avoir d'importance.

Il est vrai que pour l'instant les bureaux d'études ne se sont pas encore investis vraiment dans la solution de ces problèmes. Quant à imposer des règles de surface de bassins de rétention, peut-être faudrait-il que les agences de l'eau réfléchissent à des mécanismes financiers de compensation.

M. le Rapporteur: Dans les centres urbains, les POS imposent bien de prévoir un nombre donné de places de parking en cas de construction de logements neufs, et cette contrainte est maintenant admise par les promoteurs. On pourrait de la même façon prévoir un bassin de rétention de telle ou telle dimension en fonction de la surface du lotissement.

M. le Président: Pourriez-vous nous donner des exemples de travaux qui ont eu localement des effets appréciables sur le niveau des crues mais des conséquences néfastes en aval, faute de concertation ?

M. Yves Le BARS: Non, pas de mémoire, mais je pense pouvoir vous en communiquer.

M. le Président: Il serait intéressant pour nous que vous puissiez le faire rapidement afin qu'au cours de nos déplacements sur le terrain nous puissions examiner ce problème. Dans le département des Ardennes, j'ai la nette impression que certains travaux réalisés ont effectivement des conséquences désastreuses sur l'aval.

M. Yves Le BARS: Le premier cas que j'ai cité tout à l'heure entre dans cette catégorie puisque des travaux de recalibrage d'une rivière ont entraîné la déstabilisation du cours d'un certain nombre d'affluents qui ont fragilisé les protections.

M. Georges SARRE: Pensez-vous qu'il aurait été possible d'empêcher une ou plusieurs des inondations de l'automne et de l'hiver dernier dont les effets ont été dévastateurs

M. Yves Le BARS: Empêcher une inondation, au vu de l'ampleur des phénomènes, non. Nous ne pouvons pas empêcher l'eau qui s'écoule d'occuper un espace suffisant. Des ingénieurs de la CNR ont calculé que seul le lac Léman aurait pu ralentir la crue qu'a connu le Rhône cet hiver. Moyennant des travaux considérables, les masses d'eau peuvent être ralenties ponctuellement dans l'amont des bassins versants, mais lorsqu'elles sont dans le lit, c'est trop tard.

Si l'aléa pouvait difficilement être combattu dans cette situation, en revanche le risque, c'est-à-dire l'exposition à l'aléa, aurait pu être réduit. Cela nous ramène à la planification territoriale et aux décisions concrètes d'implantation d'activités.

M. Georges SARRE: Je suis d'accord avec ce que vous dites. Si on prend l'exemple de la Camargue, il est clair qu'on ne peut pas empêcher l'eau de tomber et que les moyens dont nous disposons sont limités. Cependant, le défaut d'entretien des digues me semble être une cause essentielle. Quels moyens conviendrait-il d'engager pour que les catastrophes constatées dans cette région ne se reproduisent pas ? A mon sens, un organisme devrait se voir confier la gestion des digues.

M. Yves Le BARS: Cette question dépasse mes compétences. Tout ce que je peux vous dire est que nous avons engagé, avec le ministère de l'Environnement, un travail technique de recherche, de développement et de formation sur la surveillance des barrages, qui a été étendu aux ouvrages linéaires que sont les digues.

M. Henri-Jean ARNAUD: Les digues et surfaces linéaires ont eu pour effet, au cours de ces dernières années, de supprimer une grande partie des bassins versants naturels. Dès que se produisent des précipitations prolongées, les débits connaissent une forte accentuation. Actuellement, ces problèmes de digues et de surfaces linéaires sont pris en charge alors que auparavant seule la surveillance des barrages était assurée.

S'agissant de l'imperméabilisation de surfaces importantes, notamment dans les agglomérations, je pense que quelques mesures peuvent être prises. Aujourd'hui toutes les intermédiations importantes se terminent dans des réseaux d'eau fluviaux, qui vont systématiquement dans les cours d'eau. Or, de grands puits perdus permettraient de ne pas amener vers les cours d'eau des volumes d'eau importants et donc, en cas de catastrophe naturelle, de ne pas aggraver les débits. Selon moi, la première mesure à prendre, d'une grande simplicité, serait d'exiger qu'il y ait un certain nombre de puits perdus.

M. Yves le BARS : Les crues d'orages, même si elles ne passent que par des réseaux pluviaux spécifiques, sont porteuses d'un certain nombre de pollutions (nettoyage des chaussées, hydrocarbures, etc ...) qui suscitent de vraies préoccupations. Il semble donc difficile de réintroduire telles quelles ces eaux dans le sous-sol. De plus, ces systèmes ne pourraient absorber les débits que dans certains milieux très particuliers, comme celui des graviers.

Un certain nombre de villes ont été amenées à construire des bassins de rétention des crues d'orages à l'amont ou à côté des stations d'épuration, pour permettre à ces dernières de traiter ce flux.

Nous ne disposons pas d'un nombre suffisant de bassins tests, de sites ateliers et de laboratoires de terrain susceptibles de fournir des ordres de grandeurs régionaux et d'améliorer la prévision et la qualification. Cela fait partie des axes de travail en matière de recherche et de développement.

Mme Thérèse AILLAUD: La CNR, qui est présente sur le Rhône en amont de Vallabrègue, doit également se développer en aval. Elle me parait être l'organisme le mieux à même de répondre aux questions techniques qui ont été soulevées tout au cours de l'hiver.

Je suis d'accord avec M. Georges Sarre pour souligner le défaut d'entretien des digues pour des raisons financières que nous connaissons bien.

M. le Rapporteur: Vous venez de dire que l'on manque de bassins tests. N'est-ce pas su CEMAGREF de faire les études? Est-ce vous qui prenez l'initiative de faire une étude sur un bassin, ou faut-il que vous soyez mandatés officiellement par une autorité ?

M. Yves Le BARS: En tant qu'établissement de recherche pour l'action, nous avons une double mission: une mission d'expertise pour traiter les cas difficiles dont nous sommes saisis; une mission de recherche (su titre de laquelle nous suivons des bassins tests représentatifs) associée. Notre financement est assuré à 60 96 par le ministère de la Recherche, 20 °b par le ministère de l'Agriculture, et 30 % par des contrats particuliers (ministères, activités territoriales, entreprises, bureaux d'études).

Les problèmes relatifs à l'eau appellent des interventions pluridisciplinaires. Il importe donc de définir un programme d'ampleur nationale et de mobiliser l'ensemble des organismes de recherche intéressés : le CEMAGREF,1'INRA pour les questions d'agronomie, le BRGM pour les questions concernant le sous-sol, la météorologie nationale, le CNRS pour la recherche de base et l'élaboration de modèles mathématiques nouveaux...

Un certain nombre de bureaux d'études qui actuellement ne sont pas financés de manière spécifique pour faire de la recherche pourraient également être associés à ces actions. Sur ces grands problèmes qui touchent à des questions concrètes d'organisation de la société, il serait bon que soient lancés de grands programmes susceptibles de mobiliser toutes les forces de la recherche.

Le CEMAGREF est responsable d'un certain nombre de bassins tests en France. Il coordonne l'action des autres organismes français gestionnaires des bassins versants tests du même type. Nous constatons que l'effort pourrait être plus important. Ix CEMAGREF est en lien étroit avec les pays d'Europe du Nord comme de Méditerranée.

M. le Rapporteur : Quels sont les bassins tests sur lesquels vous travaillez dans le sud-est ?

M. Yves Le BARS: Nous gérons en propre un bassin forestier dans le Var (Real Collobrier 83), un bassin de montagne qui nous sert en particulier à la mesure et à la prévention des érosions (Draix 04), un bassin dans le Rhône (Grezieus la Varenne) et collaborons avec le CNRS sur le bassin versant du Mont Lozère.

M. le Président: Quel est le coût de votre intervention dans le cas des quatre communes situées en vallée de Haute-Garonne ?

M. Yves Le BARS: Entre 100.000 et 200.000 F.

M. le Président: Cela reste dans la limite des budgets communaux.

M. Yves Le BARS: Le CEMAGREF n'est pas un bureau d'études. Nous avons réalisé ce travail uniquement parce qu'il s'agissait d'un cas difficile qui nous avait été transmis. Nous nous efforçons de faire de la recherche pour les bureaux d'études et de conduire avec eux des actions de recherche.

M. le Président: Nous vous remercions monsieur le Directeur général. Nous souhaiterions que vous puissiez nous adresser une liste des travaux qui, réalisés en amont, ont eu des conséquences sur l'aval. Peut-être pourriez-vous également nous communiquer la liste des bassins tests où vous faites des recherches.

M. le Rapporteur : Nous souhaiterions également disposer des rapports locaux que vous avez cités - je pense notamment à celui sur la Camargue - et d'éventuels rapports que le CEMAGREF aurait réalisés sur les événements récents.

Audition de M. Bertrand MUNCH

Sous-directeur de la Prévention et des plans de secours à la

direction de la Sécurité civile au ministère de l'Intérieur

et de l'Amiral Guy RICHARD

(Extrait du procès-verbal de la séance du 8 juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Bertrand Munch et l'Amiral Guy Richard sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Bertrand Munch et l'Amiral Guy Richard prêtent serment.

M. Bertrand MUNCH: Je vous remercie d'avoir souhaité entendre la direction de la Sécurité civile sur le thème des inondations. Je suis sous-directeur de la Prévention et des plans de secours, et mon domaine de compétence couvre à la fois les mesures de prévention stricto sensu et la réflexion sur l'organisation des secours en anticipation de la crise.

La direction de la Sécurité civile est avant tout le maître d'_uvre de l'organisation des secours lorsque survient une catastrophe, puisqu'elle est chargée par le gouvernement de mettre à la disposition des préfets les moyens de renfort nécessaires.

J'ai souhaité avec votre autorisation que soit également présent l'amiral Richard, qui appartient à ma sous-direction: d'abord parce qu'il s'occupe plus particulièrement des problèmes d'inondation et d'eaux continentales ; ensuite, et surtout, parce qu'il a fait récemment partie d'une mission interministérielle qui a étudié le problème des inondations dans la vallée du Rhône en aval de Lyon. Cette mission était composée également de représentants des ministères de l'Environnement, de l'Agriculture, et de l'Intérieur. Je me propose de lui passer tout de suite la parole.

Amiral Guy RICHARD: Je vais vous présenter des transparents synthétiques sur les différents types d'inondation. Le préavis d'alerte et d'organisation des secourt, dont disposent les autorités responsables est dans chaque cas très différent.

Les inondations de plaine, par débordements, sont des inondations dont on peut suivre l'évolution grâce aux informations fournies par les services d'annonce de crue. Le préavis est relativement important pour les actions à entamer.

Les inondations par ruissellement peuvent survenir en zone urbaine - comme à Nîmes en 1988 - ou en zone déboisée ou brûlée. Ces inondations apparaissent rapidement. Elles proviennent en général de phénomènes météorologiques de type orageux. Les problèmes d'intervention ne sont pas les mêmes que pour les inondations de plaine.

Les inondations de crues torrentielles peuvent être observées sur les torrents de montagne, c'est-à-dire sur des petits bassins où les phénomènes sont très rapides. Souvent, ces bassins ne sont pas équipés de services d'annonce de crues. En l'absence de système automatique, les informations sont peu nombreuses, les délais d'alerte très brefs et les conditions d'intervention difficiles. D'autres crues torrentielles peuvent être constatées dans le cas de rivières alimentées par des pluies de grande intensité (orages de type cevenol). Ce fut le cas à Vaison la romaine en 1992.

Le quatrième type d'inondations est constitué par la submersion des zones littorales, lorsque certaines parties de littoral ne sont plus protégées des mers en raison de l'importance des marées et des vents. C'est le cas à Saint-Malo où la digue pose un réel problème: la zone industrielle se trouve à un niveau inférieur à celui des plus hautes mers aux plus hautes conditions de marées. Autrement dit, si cette digue venait à rompre, toute une partie de la zone industrielle serait recouverte de 60 à 70 centimètres d'eau de mer.

Dernier type d'inondation, la rupture d'ouvrages hydrauliques ou de digues, qui constitue un phénomène particulier et très violent.

Je souhaiterais maintenant aborder la question de la prévention.

La prévention repose d'abord sur l'information préventive des personnes. Elle constitue, en vertu de la loi du 22 juillet 1987 relative à l'organisation de la sécurité civile et du décret du 11 octobre 1988 relatif su droit à l'information, une des missions de la Sécurité civile.

La prévention suppose également la prise en compte du risque d'inondation dans les opérations d'urbanisation. C'est un très grave problème. Un village situé le long du Rhône, qui s'était étendu depuis des siècles au fur et à mesure de l'attribution des permis de construire, a ainsi été recouvert de 2 mètres d'eau.

Les travaux de défense contre les inondations se font en général à l'initiative des particuliers, avec l'aide de l'Etat s'il s'agit d'un ouvrage d'intérêt général (loi du 10 juillet 1973 relative à la défense contre les eaux).

L'annonce des crues, qui est un autre volet des systèmes de prévention, repose fondamentalement sur les prévisions faites par Météo-France. Une circulaire, élaborée conjointement par la direction de la Sécurité civile et par l'établissement Météo-France l'année dernière, définit précisément les conditions dans lesquelles la Sécurité civile, les préfectures et les administrations intéressées doivent être informées des phénomènes météorologiques exceptionnels.

L'entretien des fleuves et des rivières constitue également une mesure de prévention que chacun devrait avoir présente à l'esprit. En effet, une rivière non entretenue crée, lors d'une pluie torrentielle, des embâcles énormes qui peuvent amener soit des détournements des champs d'inondation, soit des ruptures d'ouvrages comme cela s'est produit à Vaison-la-Romaine.

La planification des secours repose sur les plans ORSEC et sur les plans d'urgence qui sont définis par la loi de 1987 relative à la Sécurité civile et le décret du 6 mai 1988. La direction de la Sécurité civile est chargée des plans de secours spécialisés contre la pollution des eaux intérieures, contre les ruptures d'alimentation en eau potable, et contre les pollutions littorales.

Quelles sont les actions menées par le préfet d'un département où un plan Orsec a été déclenché, comme ce fut le cas en octobre 1993 ?

La première tâche est la mise en place et la coordination de l'ensemble des moyens de secours.

La deuxième est l'information du gouvernement, des élus, de la presse et de la population.

La troisième est de demander le concours de moyens extérieurs. Ces demandes se font très souvent par l'intermédiaire du centre d'opérations de la Sécurité civile situé à Levallois, qui peut obtenir des moyens nationaux et les diriger ensuite vers le préfet du département qui les a demandés.

La quatrième tâche consiste à assurer l'hébergement, le ravitaillement et la protection des populations.

La cinquième est de veiller au rétablissement des réseaux de transport, d'alimentation électrique, d'eau potable et de télécommunications. Nous bénéficions pour cela du concours des directions départementales concernées qui, en général, travaillent très vite, avec efficacité.

La sixième tâche est de recenser les dégâts causés aux communes sinistrées et de faciliter l'engagement des procédures d'indemnisation.

Enfin, la dernière consiste à assurer le versement de secours d'extrême urgence aux sinistrés en situation précaire.

Je vais maintenant vous présenter la manière dont les avis de crues sont transmis entre les différents intervenants. L'alerte en cas d'inondation provient du service d'annonce des crues qui signale au préfet que la cote de préalerte, puis la cote d'alerte, est atteinte. Il appartient dès lors au préfet du département concerné, d'une part de prévenir les communes de son département de l'état de pré-alerte, puis d'alerte, et d'autre part de faire en sorte que les maires des communes disposent d'un équipement leur permettant de suivre l'évolution de la crue.

Le préfet alerte les maires des communes concernées par l'intermédiaire du service départemental d'incendie et de secours et de la gendarmerie départementale. Les mairies sont informées de l'évolution de la crue par un équipement du type émetteur téléphonique et diffuseur. Ces émetteurs, dont l'entretien était jusqu'à présent assuré par les PTT, ne fonctionnent pas très bien. Cependant, je crois que cela doit changer. Il faudra remplacer ces émetteurs. Par ailleurs, une liaison permanente est maintenue entre la météorologie nationale et le service d'annonce des crues.

Je souhaiterais maintenant vous présenter un bilan chiffré des catastrophes naturelles survenues entre 1991 et 1994. Le nombre de dossiers étudiés s'est élevé à 73 en 1991, 159 en 1992, 854 en 1993 et 337 pour le premier semestre 1994. Le nombre de communes concernées a été de 6.574 en 1993, tous risques naturels confondus, et de 3.867 pendant le premier semestre 1994 pour les seules inondations. II s'est élevé, tous risques naturels confondus, à 2.102 en 1991 et 3.449 en 1992 et, pour les seules inondations, à 5.211 en 1993 et 3.762 pendant le premier semestre 1994.

M. le Rapporteur: Pourquoi le nombre de communes concernées pour les années 1991 et 1992 ne figure-t-il pas ?

Amiral Guy RICHARD: Parce qu'à cette période, le bureau des catastrophes naturelles du ministère de l'Intérieur ne traitait pas l'information comme elle est traitée aujourd'hui.

M. Bertrand MUNCH :Ce qui veut dire que nous ne savons pas discerner les inondations des autres types de catastrophes naturelles qui ont donné lieu à déclarations pour les années antérieures à 1993.

Amiral Guy RICHARD: Ce tableau vous présente les déclarations de plan ORSEC qui ont été effectuées entre 1990 et 1994 par les préfets dans un certain nombre de départements.

A la suite de la mission dont monsieur le sous-directeur parlait précédemment, nous avons étudié les actions à mener pour diminuer les effets des inondations. En matière d'eau, toute action se retrouve en aval et inversement. Un certain nombre de propositions peuvent être faites

- traiter les problèmes à l'échelle du bassin, ce qui suppose un renforcement des moyens en personnel des directions régionales de l'Environnement;

- mener des études pour mieux connaître le risque: si certains éléments, comme l'historique des cours d'eau et la configuration des lits majeurs, étaient mieux connus, on pourrait dresser des cartographies d'aléas du risque, ce qui permettrait d'élaborer des documents d'urbanisme plus clairs et plus normatifs;

- maîtriser l'utilisation des sols, car le nombre de permis de construire délivrés en zone inondable est très important;

- renforcer les systèmes de protection contre les crues. : il convient de restaurer les digues de protection des zones fortement urbanisées et préserver les champs naturels d'inondation. Lorsque ces champs n'existent plus en raison d'opérations de construction, l'inondation envahit des zones totalement inattendues et très souvent urbanisées;

- améliorer les outils de gestion des crues, en rendant automatique le déclenchement du préavis d'alerte;

- dégager des moyens financiers.

M. le Président: Vous avez fait allusion au plan ORSEC. J'ai vécu trois semaines fort désagréables en décembre et janvier derniers dans le département des Ardennes, où nous avons connu des inondations importantes. La population se demandait pour quelle raison on ne déclenchait pas le plan ORSEC. Je me suis ouvert de cette interrogation auprès du préfet qui m'a dit que cela ne servirait à rien si ce n'est à faire prendre en charge par l'Etat certains frais de déplacement des sapeurs pompiers.

Pouvez-vous nous préciser comment on déclenche le plan ORSEC, et nous expliquer pourquoi dans certains cas le déclenchement du plan ORSEC n'a pas d'effet positif mais plutôt paralysant?

M. Bertrand MUNCH: 11 faut distinguer d'une part les moyens et les techniques de commandement contenus dans le plan ORSEC, d'autre part la décision juridique et presque symbolique de le déclencher.

Dès le début de la crise, les préfectures doivent avoir recours aux mécanismes prévus par les plans ORSEC afin d'assurer la montée en puissance des moyens de secours et des moyens de commandement.

Il convient donc d'activer une cellule de crise à la préfecture, de disposer sur le terrain de postes de commandement opérationnels et de travailler en commun avec les élus. Les maires sont la première autorité de police concernée, l'Etat n'exerçant son autorité de police que lorsque le risque concerne plusieurs communes. Il faut également entretenir des relations avec la presse et l'ensemble des moyuens d'information.

Tout cela est contenu dans le plan ORSEC, il faut le mettre en place rapidement.

Comment décider si l'on doit ou non déclencher le plan ORSEC ?

Il est exact que la seule conséquence objective du lancement du plan ORSEC par le préfet est de mettre les moyens de secours de l'Etat à la charge de l'Etat. En l'absence de plan ORSEC, selon l'article 13 de la loi de 1987, l'ensemble du financement des secours incombe à la commune.

Dans les faits, l'application de ce texte tient compte cependant de la disproportion qui existe entre la capacité financière de la commune et les charges entraînées par la catastrophe. Ainsi, dans la pratique, qu'il y ait un plan ORSEC ou pas, l'Etat garde à sa charge l'intervention des moyens, notamment celle des unités de la Sécurité civile. Cela a été le cas lors des récentes catastrophes puisque l'Etat n'a pas envoyé de factures aux communes concernées.

Reste la question de savoir si vis-à-vis de la population il est opportun ou non de déclencher le plan ORSEC. Notre premier souci est de veiller à ce qu'il ne le soit pas dans un département moins touché qu'un autre où il ne l'aurait pas été. Du fait de sa charge symbolique, le plan ORSEC peut faire comprendre à la population que la situation est difficile à résoudre mais que l'ensemble des autorités publiques mobilisent leurs moyens. Cependant, le plan ORSEC peut également être compris comme le signe que les services publics ont été dépassés par les événements. C'est pourquoi son déclenchement doit relever de l'appréciation du préfet. Cela est fondamental.

Il n'en reste pas moins que le contenu du plan ORSEC date de 1952 et qu'il doit évoluer. Nous sommes en train de préparer des modifications qui portent plus sur des aspects de formation, de conseil, de réseaux, que sur des dispositions réglementaires.

M. René ANDRÉ: Etant député du Gard et maire de Beaucaire, je suis concerné directement par les crues du Rhône. Je voudrais d'abord signaler que les personnes sinistrées de mon département ont reçu une réponse aux déclarations de catastrophes naturelles deux mois plus tard que dans les Bouches du Rhône. Les causes de ce retard sont difficiles à leur expliquer.

Les secours d'urgence fonctionnent en général très bien, l'armée arrive rapidement et le préfet aide beaucoup les communes. Cependant, lors de la dernière crue, nous avons eu 45 mètres de boue dans notre ville, et cela a été suivi de pluies incessantes pendant pratiquement un mois. L'armée s'étant retirée au bout de huit ou quinze jours, c'est la commune qui a dû s'occuper de l'enlèvement de cette boue. J'ai envoyé su ministère la facture correspondant à cette opération. Je voudrais savoir qui va payer, sachant que si l'armée nous avait enlevé cette boue pendant la crue, les frais auraient été à la charge de l'Etat ?

En raison de la présence de cette boue pendant cinq mois, il a été impossible de recenser les dégâts réels. Il est donc très difficile d'en financer la réparation. Mais si on ne le fait pas, les possibilités d'écoulement seront moindres et la prochaine crue sera encore plus dévastatrice.

M. Bertrand MUNCH: S'agissant des catastrophes naturelles, vous avez pu constater sur les tableaux que nous vous avons présentés tout à l'heure, que le nombre de dossiers .catastrophes naturelles. a connu une très forte augmentation au cours des quatre dernières années.

Lors du débat parlementaire relatif à la constitution de votre commission d'enquête, certains intervenants ont indiqué qu'ils avaient constaté une réduction des délais d'instruction des dossiers .catastrophes naturelles., qui, jusqu'à une date récente, étaient tout à fait incompréhensibles. Malgré l'augmentation de leur nombre, les délais de traitement de ces dossiers ont été réduits façon considérable, puisqu'ils sont aujourd'hui de l'ordre de 1 à 2 mois.

II est possible que, dans certains département comme le Vaucluse qui avait déjà été touché l'année précédente, les dossiers soient plus vite préparés.

Nous sommes conscients des problèmes posés par l'enlèvement de la boue. Je vous rappelle que, selon la législation, l'ensemble des secours est à la charge des communes. Le Premier ministre a pris l'initiative au mois de janvier dernier de réunir un comité interministériel sur les problèmes de risques naturels, et d'inondations en particulier.

Un bilan des dégâts a été fait le plus vite possible: il ne peut être fait trop tôt, car lorsque la boue recouvre encore les maisons, on ignore à combien s'élèvera le coût de remise en état; sil est fait trop tard, les habitants attendent une indemnisation et ne comprennent pas la raison du retard. Nous avons essayé de trouver un équilibre.

L'Inspection générale de l'Administration a effectué, pour le compte du ministère de l'Intérieur, deux missions - l'une en octobre 1993, l'autre au début de cette année - qui portaient spécifiquement sur ces problèmes financiers. A la suite de ces missions, le ministre de l'intérieur a pu présenter su Conseil des ministres un certain nombre de propositions: malgré le principe posé par la loi, l'Etat a procédé à une prise en charge financière exceptionnelle de ces dommages.

Cependant, si les dégâts concernent des particuliers, ils relèvent du dispositif .catastrophes naturelles. avec tous les problèmes que cela suppose. Un travail plus précis doit être effectué avec les assurances afin qu'elles prennent en compte, comme elles l'ont fait dans un certain nombre de départements, certains dossiers de sinistre.

Mme Thérèse AILLAUD: Je suis député de la Camargue et maire de Tarascon. En octobre 1993 nous avons eu à souffrir du déclenchement tardif du plan ORSEC. S'il avait été déclenché tout de suite, les dégâts auraient été moins considérables. En revanche, en janvier 1994, le déclenchement du plan ORSEC s'est fait immédiatement, à ma demande.

Vous dites que l'Etat n'envoie pas de factures. Pourtant, nous en avons reçu une pour l'intervention de l'armée, et nous devons l'acquitter même si nous serons remboursés. Ne pourrait-on pas, dès l'annonce de la crue, disposer immédiatement de l'armée sans attendre le déclenchement du plan ORSEC car les inondations de 1993 et de 1994 ont démontré que l'armée était très efficace ?

Il est également indispensable de revoir le plan ORSEC. Lors de la crue d'octobre 1993, les fonctionnaires ignoraient la manière dont les choses se passaient. En 1994, compte tenu de notre expérience, nous avons pu éviter d'importantes difficultés.

Je me demande s'il ne faudrait pas prévoir dans les communes sensibles comme Beaucaire, Tarascon, Arles l'équivalent des plans particuliers d'intervention qui sont mis en place dans les communes à risque technologique et industriel, afin d'apprendre aux différents responsables des communes mais aussi aux populations à vivre avec un fleuve, comme on leur apprend à vivre avec une avalanche.

M. le Président: Sur le même thème, où en êtes-vous des directives données aux préfets pour que, dès le mois de septembre prochain, les procédures d'alerte et d'information fonctionnent correctement? J'ai constaté des dysfonctionnements qui résultaient non pas d'un manque de compétence mais, semble-t-il, d'un défaut de préparation.

M. Bertrand MUNCH: Concernant la préparation des services de l'Etat, nous allons recourir aux outils classiques que sont les instructions et les circulaires. Nous préparons actuellement, avec le ministère de l'Environnement, une circulaire aux préfets qui va récapituler l'ensemble des dispositions à prendre dans l'hypothèse où l'automne 1994 serait aussi mauvais que les deux précédents.

Cependant, cette méthode n'est pas la meilleure pour faire passer les messages. Deux démarches sont en cours. L'une est d'informer les préfets de ce qui s'est passé dans d'autres départements. Nous avons ainsi diffusé il y a quelques semaines à l'ensemble des préfets pouvant être concernés une analyse sur le fonctionnement du système de commandement qui existait dans le Vaucluse lors des dernières inondations.

Notre deuxième objectif est de former aux méthodes de gestion de crise les préfectures et les services déconcentrés de l'Etat. Ainsi, nous formons actuellement les directeurs de cabinet de préfets qui sont responsables de la mise en place des cellules d'urgence - soit une trentaine depuis le début de l'année, ce qui représente un tiers des départements; début juillet, nous organisons un stage qui concerne une dizaine de préfets et qui abordera les problèmes de gestion de crise et d'organisation, de réflexion et d.

Concernant les plans particuliers d'intervention et du rôle des communes, nous croyons indispensable de concevoir la planification des secours non plus seulement comme une planification d'Etat mais aussi comme une planification des communes. Un certain nombre de grandes villes se sont déjà dotées de plans de secours communaux partant du principe que le maire est l'autorité de police et définissant des moyens qui sont ceux des services techniques de la commune et des sapeurs pompiers.

Ce travail réalisé par l'autorité municipale doit être cohérent avec celui qui incombe au préfet: lorsque chacun va de son côté cela ne mène nulle part.

M. René ANDRÉ: Je suis d'accord pour que les maires prennent leurs responsabilités, mais les plans communaux ne peuvent suffire à un fleuve tel que le Rhône.

M. Bertrand MUNCH: II ne s'agit pas de demander à une commune de faire face à la crue du Rhône, mais il me parait dépassé que l'intervention de l'Etat relève d'un statut différent de celle des communes. II y a une continuité dans tout cela.

Concernant les plans particuliers d'intervention et les risques technologiques, des actions ont été entreprises pour les établissements pouvant entraîner des accidents de type Seveso. Mais le problème est plus difficile à résoudre pour les risques naturels dans la mesure où il n'existe pas d'exploitant à qui l'on puisse les faire prendre en charge comme les risques technologiques par les industriels.

Par ailleurs, nous sommes convaincus de la nécessité d'informer la population. C'est pourquoi l'Amiral Richard insistait sur la nécessité d'établir des cartographies claires. Reste la question de savoir s'il est souhaitable de diffuser auprès de la population l'information dont on dispose. Faut-il entretenir dans la population ce sentiment d'insécurité qui peut les aider un jour à bien réagir mais qui peut peser sur la joie de vivre dans sa commune ?

Pour nous, en tant que représentants de la Sécurité civile, il est clair que l'information maximale est la meilleure. Mais même une information complète sur les risques technologiques au moyen de brochures et de conférences, n'a qu'un taux de pénétration et de durée très limité auprès de la population. Des enquêtes ont ainsi démontré qu'au bout d'un an et demi, les deux tiers de la population ont presque oublié l'existence du risque.

Mme Thérèse AILLAUD: On ne pourra pas reprocher aux élus de ne pas l'avoir fait.

M. Bertrand MUNCH: Quant aux relations avec l'armée, elles peuvent être améliorées. Nous y travaillons sur le plan technique. Mais ces questions nous dépassent car elles posent le problème des missions que doit assurer la Défense nationale.

Des évolutions sont perceptibles dans le Livre blanc sur la Défense nationale. Si l'on souhaite que les patrons des unités militaires aient la capacité à réagir vite, cela suppose que les missions stratégiques évoluent et qu'elles ne consistent pas seulement à défendre le pays contre les agressions extérieures.

Pour l'instant, le souci des chefs de corps est de maintenir la capacité opérationnelle de leurs unités à faire face à une agression extérieure. Si vous leur demandez de travailler quatre mois sur le nettoyage des boues, ils changeront de métier.

Mme Thérèse AILLAUD: On pourrait envoyer des jeunes gens ayant une formation en matière de prévention des risques faire leur service militaire dans des lieux à risque tel que le bord du Rhône ou des rivières dangereuses.

M. Bertrand MUNCH: J'enregistre votre suggestion. Je vous rappelle qu'il existe deux types de service national en relation avec la Sécurité civile: tout d'abord les unités d'instruction et d'intervention de la Sécurité civile qui comprennent 2.000 hommes, ensuite le service qui peut être effectué au sein du corps des sapeurs pompiers sur le modèle de ce qui existe pour la police nationale.

M. le Rapporteur: Sur l'organisation des secours, je vais dans le sens de ce que disait Madame Aillaud: la situation s'est nettement améliorée dans le Vaucluse parce que nous avions l'expérience de la précédente catastrophe.

II y a aussi un problème de formation des préfets. A Vaison-la-Romaine, le préfet en place lors de la catastrophe, par ailleurs très compétent, n'était pas sensibilisé aux problèmes d'inondation. Le préfet en poste au moment des inondations de 1993, qui était l'ancien directeur de la protection civile, a mis son expérience à notre disposition, ce qui a permis de réaliser de nets progrès.

Dans l'intervention de l'armée, on a pu constater également de grandes différences de niveau selon les unités. Lors des événements de 1993, le plan ORSEC n'a pas été déclenché. Lorsqu'on demande pourquoi, on nous répond. Quel en serait l'intérêt, si tout marche bien?. Vous avez dit que vous alliez faire plusieurs propositions pour réformer le plan ORSEC. Dans quel sens vont ces propositions ?

Par ailleurs, vous dites que la majorité des frais se rapportant aux secours sont à la charge de l'Etat. Cependant, des sociétés privées sont intervenues à deux reprises dans ma commune avec des suceuses pour aspirer la boue. Lorsque la boue est aspirée par les pompiers, le coût est. nul; lorsqu'il s'agit de sociétés privées, les factures sont très lourdes. Dans une même rue, les différences de situation peuvent être importantes. Existe-t-il une législation réglementant l'intervention de ces sociétés dans de telles circonstances ou n'existe-t-il aucun moyen de contrôle ?

D'après vous, l'équipement des pompiers, notamment en zone méditerranéenne, est-il suffisant pour lutter contre les inondations, car les pompiers, habituellement présentés comme les .soldats du feu», se sont depuis deux ans souvent transformés en .soldats de l'eau»

Ma dernière question s'adresse à l'amiral Richard qui a fait partie de la mission interministérielle sur le Rhône. Une enquête de ·50 millions de consommateurs» a démontré, preuves à l'appui, que sur plusieurs centaines de communes, très peu s'étaient dotées de plan d'exposition aux risques (PER), car on se rend compte que l'article Rl1l-3 du Code de l'urbanisme est plus facile à appliquer. Quels sont à votre avis les avantages et inconvénients des PER? L'article R1l1-3 permet-il d'aboutir à des résultats similaires ?

Amiral Guy RICHARD: L'élaboration des plans d'exposition aux risques est complexe. Elle suppose des études préalables longues et coûteuses. Ceci explique qu'entre le quart et le tiers des communes seulement se sont dotées de plans d'exposition aux risques, en particulier contre les inondations.

L'emploi du 8111-3 est manifestement beaucoup plus commode parce que la procédure est plus rapide pour un effet identique. Elle devrait être employée plus souvent qu'elle ne l'est. Quant à l'article R111-2, qui permet d'annuler un permis de construire en cours, il s'agit saris doute d'une procédure plus agressive mais efficace.

Les textes législatifs et réglementaires prévoient les moyens nécessaires pour contrôler l'urbanisation en zone inondable, mais il n'y a pas de volonté suffisante pour les appliquer avec toute la rigueur nécessaire. C'est pourquoi le Premier ministre, dans une lettre du 2 février 1994, a demandé que les articles R111-2 et R111-3 soient appliqués avec fermeté et diligence.

Concernant les entreprises, le ministère de l'Intérieur a conclu depuis 1980 une convention avec la Fédération nationale des établissements d'assainissement. Cette convention impose, dans le cas où l'on a recours à une entreprise pour ce genre de travaux, une tarification inférieure à ce que demanderait une entreprise dans un cadre purement privé. Cependant, cette convention n'est utilisable que lorsqu'il s'agit d'une pollution marine accidentelle par hydrocarbure touchant le littoral.

Les organismes intéressés et les ministères, dont celui de l'Intérieur, souhaitent vivement que la convention soit élargie aux cas d'inondations. Ceci permettrait d'imposer des tarifications plus faibles que celles des sapeurs pompiers, et plus acceptables par la préfecture et les communes.

M. Bertrand MUNCH: Concernant les PER, un avant-projet de loi a été mis au point, car il est nécessaire de simplifier l'outil et de l'alléger. Vous disiez que certains articles du code de l'urbanisme sont plus faciles à employer que les PER. L'objet de la réforme est bien d'aligner l'ensemble des procédures utilisables, y compris celles des PER, sur les procédures les plus souples.

La réforme du plan ORSEC, n'en est encore qu'au stade de la réflexion.

Il n'est pas souhaitable de se priver d'un outil dont chaque citoyen connaît, sinon le sens précis, du moins la force. II faut réutiliser le symbole ORSEC et rénover son contenu. Il importe en premier lieu de préciser le rôle de l'Etat, qui est de prendre en compte une situation catastrophique dés lors qu'elle dépasse le niveau ou les moyens d'une commune, et d'anticiper les réactions su niveau de la collectivité locale.

II faut ensuite définir les risques qui peuvent être facteurs de crise pour notre société. De ce point de vue, la question se pose de savoir si la typologie classique du plan ORSEC intègre l'ensemble des risques. Ainsi, s'il y a encore quinze ans, on savait vivre pendant 48 heures sans électricité, ce n'est plus possible aujourd'hui. Cette vulnérabilité des réseaux d'énergie et de communication me préoccupe. En Californie, les catastrophes naturelles ont entraîné la rupture des réseaux de communication et des réseaux informatiques et une paralysie des pouvoirs publics.

Troisième point, les plans départementaux n'ont pas bonne réputation et il n'est pas certain qu'ils soient toujours à jour et compréhensibles. L'idée est donc d'aider les préfectures, sans leur imposer des modèles, à se doter d'outils plus opérationnels. Nous sommes en train d'étudier dans quelle mesure ils peuvent être informatisés, étant entendu que ce n'est pas l'informatisation qui réglera les problèmes, parce que nous n'aurons pas la solution d'une crise en appuyant sur un bouton. En revanche, des outils intermédiaires devraient permettre de régler les problèmes de mises à jour .

Concernant les sapeurs pompiers, il est incontestable que ceux du midi de la France ont principalement vocation à lutter contre les feux de forêt. A travers l'Institut national d'études de la Sécurité civile, la formation des cadres sapeurs pompiers progresse, ainsi que la qualité de l'encadrement. Ceci permettra de disposer progressivement d'officiers sapeurs pompiers qui sauront répondre à une situation supposant une certaine technicité. On ne traite pas le déblaiement de la boue dans une région inondée comme on traite un feu de forêt ou une intervention à la suite d'un accident de voiture.

M. le Rapporteur: Et en ce qui concerne le matériel ?

M. Bertrand MUNCH: Concernant le matériel des sapeurs pompiers financé par les collectivités territoriales, un avant-projet de loi sur l'organisation territoriale des services d'incendie de secours préconise qu'un certain nombre de moyens de commandement, de matériel, de gestion et de formation des personnels soient mis en commun à l'échelle des départements.

Si nous nous orientons dans cette direction, ce n'est pas pour le plaisir de structurer mais parce que ces matériels spécifiques, qui ne sont pas utilisés très fréquemment, posent des problèmes d'amortissement et de technicité d'emploi, qui ne peuvent être résolus su niveau communal.

Deuxièmement, si cette année a été quelque peu particulière puisque plus de trente départements ont été concernés en même temps par les inondations, le nombre de départements inondés est généralement faible. Il faut organiser la mise à disposition des moyens à travers la France. Le développement des centres interrégionaux de sécurité civile, avec des états-majors qui fonctionnent jour et nuit et peuvent gérer ces moyens, doit permettre de mieux utiliser les matériels. Cela étant, il est incontestable que la grande majorité des matériels resteront des matériels sapeurs pompiers, donc financés par les collectivités territoriales.

Mme Thérèse AILLAUD: Lors des dernières inondations, les communes ont mis en _uvre des matériels parfois très lourds qui n'étaient pas adaptés aux besoins réels. II aurait fallu des matériels plus légers qui auraient permis d'accéder aux habitations inondées et de sauver plus rapidement les sinistrés. Une véritable réflexion doit être menée à ce sujet.

M. le Rapporteur: Dans le Vaucluse, quatre ou cinq jours avant, on cherchait encore des pompes.

M. Bertrand MUNCH: Cela montre bien que les différents niveaux d'intervention doivent se compléter et s'intégrer rapidement. Au niveau national, il est facile de trouver les pompes nécessaires, voire, pour la Camargue, d'aller chercher des pompes spécialisées à l'étranger.

Cela étant, si les moyens sont affectés depuis Paris, ils risquent d'être inadaptés, surcalibrés à certains endroits et pas assez à d'autres. Il faut que les décisions soient prises su niveau départemental, voire infradépartemental, ainsi que par les postes de commandement opérationnels.

Le système est en cours de construction: dans le sud-est, les outils existent; dans le reste de la France, des structures zonales auraient permis de mieux traiter les problèmes de matériel.

M. René ANDRÉ: Une coordination est nécessaire avec l'armée. Celle-ci dispose souvent d'un matériel important et adapté, mais qui n'a jamais été utilisé et qui est déjà obsolète par rapport aux travaux demandés. II faut, dans les régions les plus menacées, créer des centres permettant de faire face le mieux possible à des risques graves.

M. Bertrand MUNCH: Ceci rejoint la question relative su plan ORSEC. Notre gros problème est de savoir où trouver le matériel. Je prends un exemple: en France, il y deux ou trois endroits où l'on peut trouver des ponts de secours; si un pont est emporté par une inondation, il est fondamental de restaurer la voie dans des délais rapides, et pour cela, d'avoir pris des contacts préalables et préparé les moyens d'acheminement; il s'agit d'un problème technique important.

M. René ANDRÉ: Il faut que les préfectures puissent nous indiquer à quel endroit on trouve ce matériel. Pendant trois jours, nous avons manqué des pompes nécessaires à l'évacuation de la boue. C'est aberrant.

M. le Rapporteur : L'Amiral Richard a évoqué tout à l'heure l'absence de cartographie précise. Qui a en charge, su plan national, l'établissement d'une telle cartographie ?

Amiral Guy RICHARD: C'est le ministère de l'Environnement. Le problème est que cette cartographie n'existe pas. On ne connaît pas les limites des crues centennales ni cinquantennales de nos cours d'eau. Une cartographie des risques est plus facilement utilisable par la population. C'est pourquoi l'accent est mis sur ce moyen.

Le ministère de l'Environnement a élaboré récemment une circulaire qui accorde une part importante à la cartographie des risques. Il s'agira d'un document allégé par rapport su PER mais suffisant pour être inclus dans les documents d'urbanisation, et qui pourra faire foi pour arrêter certains projets ou empêcher certaines entreprises dangereuses.

M. Bertrand MUNCH: Le Comité interministériel du 24 janvier a traité cette question qui est de la compétence du ministère de l'Environnement mais pose un problème financier, car élaborer une cartographie colite cher. Des décisions ont été prises pour relever le niveau des dotations destinées à ce travail dont la réalisation devrait être accélérée.

M. le Rapporteur: Amiral Richard, vous avez effectué une mission dans le Sud-est. Pourrez-vous nous communiquer un exemplaire du rapport qui a été élaboré à la suite de cette mission ?

Amiral Guy RICHARD: Cette mission était constituée de cinq personnes: deux ingénieurs généraux des ponts et chaussées, qui dépendent de la mission extérieure du ministère de l'Environnement, un ingénieur général du GREF et un inspecteur général de l'administration du ministère de l'Intérieur, rédacteur du rapport de synthèse. Celui-ci a été terminé il y a quelques jours et envoyé au cabinet du ministre.

M. Bertrand MUNCH: Ce rapport vous sera remis dés que le ministre en aura eu connaissance.

M. le Rapporteur: Je vous remercie

Audition de M. Marc SOLERY

Président de Voies navigables de France

accompagné de M. Gérard BAUDOUIN

Directeur général adjoint

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

MM. Marc Soléry et Gérard Baudouin sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Marc Soléry et Gérard Baudouin prêtent serment.

M. le Président: Nous avons souhaité vous rencontrer dans le cadre de cette Commission d'enquête puisque, lors des inondations tant de l'hiver dernier que des années précédentes, les problèmes d'entretien des berges et des lits des cours d'eau ont souvent été évoqués, surtout pour les fleuves habituellement lents et réguliers.

Je vous demanderai de nous expliquer tout d'abord quelle est exactement la mission de Voies Navigables de France, de façon à ce que nous puissions bien cadrer les questions que nous vous poserons ensuite.

M. Marc SOLERY : Je vous remercie d'avoir invité Voies Navigables de France et de me convier à expliquer le rôle de cet établissement à l'égard du problème des crues et des inondations.

Voies Navigables de France est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1991, dont le budget annuel est environ de 850 millions de F. et qui a cinq missions essentielles.

Il faut d'abord rappeler qu'il a été mis en place à partir de l'Office de la Navigation créé en 1912 pour gérer ce que l'on appelle .le tour de rôle. c'est-à-dire l'exploitation commerciale des voies navigables et assurer, pour le compte de l'Etat, des fonctions d'information et de connaissance statistique. Voilà les deux premières missions dont a hérité VNF.

Ce en quoi VNF se distingue de l'ONN, c'est qu'il est aujourd'hui le généraliste des voies navigables, l'Etat lui ayant confié 6.800 km de voies navigables sur les 8.500 que compte l'ensemble du domaine navigable français. Ce qui n'entre pas dans sa compétence correspond d'une part aux voies navigables qui ne sont pas en réseau, d'autre part à celles qui ont été transférées aux régions ou concédées à des départements en vertu de la loi de 1983.

Dans ce cadre, VNF a pour mission d'entretenir, de restaurer, de moderniser le réseau. Il y a fort à faire à cet égard, car le réseau français de voies navigables est en mauvais état, comme l'ont montré les inondations récentes. Le sujet a d'ailleurs fait l'objet d'un comité interministériel début janvier dernier.

La quatrième mission de VNF est de développer, dans la perspective européenne, les liaisons à grand gabarit et les autres de façon à constituer un réseau européen, ainsi que de créer des ports fluviaux. Les missions tant d'entretien que de préservation du réseau ainsi dévolues à VNF en font, sous réserve des compétences attribuées à la Compagnie nationale du Rhône sur le Rhône et la Saône, le maître d'ouvrage de droit commun du réseau navigable français.

La dernière mission confiée à VNF est de prendre toutes initiatives pour développer l'activité et le trafic sur le réseau navigable.

Pour ce faire, VNF dispose d'un domaine constitué par 6.800 km représentant 80.000 hectares. S'agissant de ses ressources, la principale composante est, de très loin, la taxe hydraulique assise sur l'usage de l'eau, qui représente, selon les dernières estimations actualisées, 547 millions de F. sur un total de 850 millions de F. Sur ces 547 millions de F., EDF contribue à hauteur de 430 millions de F., soit environ la moitié de l'ensemble du budget. Les autres contributeurs de taxe hydraulique sont les industriels, les distributeurs d'eau et, à un titre très résiduel, les agriculteurs.

VNF bénéficie ensuite de recettes de péage assises sur le transport de marchandises et la plaisance, qui rapportent respectivement 45 millions de F. et 15 millions de F. Par ailleurs, l'établissement tire des recettes de la valorisation du domaine de 80.000 hectares dont il a hérité. J'avoue que j'ai un peu honte de citer le montant des redevances domaniales, qui s'élève aujourd'hui à 15 millions de F., car nous commençons seulement à exercer cette activité dont le champ de développement est important.

Enfin, l'Etat contribue à notre budget, mais de moins en moins, sa contribution étant aujourd'hui, après régulation budgétaire, inférieure à 90 millions de F., soit moins d'1/l0ème de nos ressources, ainsi que les collectivités locales, à hauteur de 75 millions de F., dans le cadre de cofinancements. Le solde est constitué de prestations particulières rendues par VNF et des produits financiers.

Voilà rapidement décrits les missions et les moyens de VNF, qui permettent de cadrer le rôle de cet établissement public dans la lutte contre les inondations. Les pouvoirs publics ont d'ailleurs pris conscience de ce rôle, puisque lors du comité interministériel de janvier 1994, l'Etat a autorisé, à titre exceptionnel, Voies Navigables de France à procéder sur deux ans, en 1994 et 1995, à un emprunt de 240millions de F., pour lui permettre précisément de réaliser des opérations de protection contre les inondations et les crues. Vous sera remis. un document décrivant les types de travaux qui seront ainsi rendus possibles.

Pour ce qui est du problème particulier des crues survenues à la fin 1993 et début 1994, je résumerai mon propos en rassemblant ces phénomènes sous quelques causes génériques.

On a d'abord observé des ruptures des digues, le cas le plus spectaculaire s'étant produit en Camargue. Ce que l'on a pu observer à cette occasion, c'est d'une part, le rôle principal joué par le défaut d'entretien, comme l'indique un rapport interministériel qui vient de paraître. Ce défaut d'entretien est l'illustration de la faillite d'un mode de gestion, puisque, alors que théoriquement les associations de propriétaires en étaient responsables, il est apparu que, côté Camargue, les digues n'étaient pas entretenues. Sans en tirer de conclusions excessives, je dois dire que l'on a observé en ce qui concerne le Petit Rhône un contraste étonnant entre un entretien défectueux côté Camargue, où les digues ont été brisées, occasionnant les dégâts que l'on sait, et un entretien satisfaisant côté Gard, où les digues ont tenu. A cet égard, on peut rendre hommage au maire de Saint-Gilles qui, presque par anticipation sur les événements, s'était substitué aux propriétaires défaillants.

On peut certes ajouter - le rapport interministériel que je citais y fait d'ailleurs référence - l'existence d'autres facteurs, tels des prises d'eau plus ou moins sauvages, l'action d'animaux, comme les rats musqués, les lapins, les blaireaux. Tout cela est vrai, mais ce ne sont là à mon avis que des phénomènes mineurs, la principale raison étant le défaut de gestion de ces digues.

Une des raisons qui peut expliquer cette situation, sans toutefois l'excuser, c'est que les propriétaires concernés se sentaient protégés par les aménagements réalisés en matière d'endiguement par la CNR en amont du Petit Rhône. Ils ont donc fait confiance à ces ouvrages, dont la destination principale n'était pas la protection contre les inondations, ceci pouvant expliquer dans une large mesure, la paresse, ou du moins le manque de vigilance dont ils ont fait preuve.

Une autre cause majeure tient à la modification du mode d'occupation des sols. Il s'agit d'une part, de l'extension de l'urbanisation, qui conduit à l'imperméabilisation de surfaces importantes et, dans certains cas, à la suppression de champs d'inondation par la réalisation d'endiguements, d'autre part, des pratiques culturales tels le déboisement et le remembrement qui suppriment les haies et créent des dispositifs de drainage, l'orientation des sillons dans le sens de la pente étant un facteur d'accélération des écoulements d'eau et donc d'aggravation du phénomène.

Il faut bien sûr tenir compte de l'intensité des phénomènes météorologiques. Ainsi, par exemple, sur l'Oise, en amont de Compiègne, on a eu une crue de période de retour centennale, et la digue de Fère, séparant l'Oise et le canal de la Sambre à l'Oise a été submergée, alors qu'elle est réputée insubmersible. Selon les services locaux de la météorologie nationale, l'intensité de la pluie n'avait une période de retour que de l'ordre de 25 ans.

A côté de ces causes prépondérantes, il y a des causes secondaires ou qui ont des effets locaux. Certains ouvrages sont ainsi parfaitement sousdimensionnés, comme le siphon de plusieurs dizaines de mètres permettant à la Somme de franchir le canal du Nord, qui, très insuffisant aujourd'hui, a provoqué des crues.

Peuvent également se produire des retards dans la man_uvre des barrages. Les barrages sont en effet souvent anciens et nécessitent - en particulier les barrages à aiguilles - un temps de man_uvre assez long, de l'ordre d'une heure, de sorte qu'ils ont été submergés avant qu'on ait eu le temps de les abattre. Ce fut le cas par exemple du barrage de Méry sur la Marne, qui n'a pas pu être abattu car la crue causée par un affluent, le Morin, est arrivée inopinément par l'aval. Compte tenu des écarts de cotes constatés avant et après le barrage, de 1 à 3 mètres, ce n'était d'ailleurs plus la peine d'intervenir.

Pour le cas du Rhône dont je ne vous cacherai pas que c'est le problème le plus important, il faut également signaler une anomalie très surprenante, qui a été soulignée dans le rapport interministériel que j'ai évoqué. Bien que son aménagement soit ancien et que, depuis 1930, la Compagnie du Rhône traite les questions qui y sont liées sous l'angle hydroélectrique, irrigation et navigation, on ne dispose toujours pas d'une étude d'ensemble d'hydraulique de ce fleuve. Ceci est dû au fait que cela n'entre pas dans les compétences de la CNR, mais surtout à ce que l'aménagement du Rhône n'a pas été réalisé d'une manière globale, en fonction d'un plan d'ensemble. Je pense que l'absence de vision d'ensemble du cours d'eau du Rhône a beaucoup contribué à faire sous-estimer les risques et à accroître le manque de vigilance. Toutefois je rappelle que le débit constaté lors des crues qui se sont produites au niveau de Beaucaire était de 9.000 à 10.000 mètres cubes par seconde, et qu'à ce niveau-là, on ne peut plus faire grand chose.

II a pu y avoir aussi, comme sur le réseau du Nord, des manques de coordination. II faut savoir par exemple qu'un certain nombre de stations de pompage, gérées par les syndicats de communes ou d'agriculteurs, drainent les terres agricoles en rejetant l'eau dans les canaux et que, faute d'une gestion unique ou coordonnée, certaines de ces stations ont continué à fonctionner pendant les crues. En l'absence d'études précises, on ne peut toutefois évaluer l'importance quantitative des conséquences de telles pratiques. Il n'en reste pas moins certain qu'il y a eu défaut de coordination su niveau de la gestion des crues, et je me rallie tout à fait aux propos des rapporteurs de la mission interministérielle, qui estiment nécessaire, non seulement sur le Rhône, mais également sur d'autres bassins, de développer des modes de gestion intégrés.

VNF intervient à plusieurs niveaux à titre préventif, tout d'abord en participant au schéma d'aménagement de la gestion de l'eau prévu par la loi sur l'eau, ensuite en réalisant, notamment grâce à l'emprunt de 240 millions de F., des travaux de restauration et d'entretien, qui contribueront avec le temps à améliorer l'état des canaux.

Enfin, il convient, en particulier sur le Rhône, que l'on dispose d'une étude d'ensemble du phénomène, à laquelle VNF prendra sa part.

M. le Rapporteur : Je suis très surpris quand vous dites qu'il n'existe pas de vision d'ensemble du Rhône, alors que dans ma région, c'est-à-dire le secteur Vaison-Bollène, la SNCF passe son temps à nous expliquer qu'elle a multiplié les enquêtes en vue de la réalisation des infrastructures nécessaires au TGV. N'y a-t-il pas là une contradiction ?

M. Marc SOLERY : J'ai seulement dit qu'il n'y avait pas d'études d'ensemble sur le cours d'eau. II y a bien des études ponctuelles ou partielles, mais aucune étude d'ensemble n'a jamais été réalisée.

M. le Rapporteur: Qu'entendez-vous par étude d'ensemble ?

M. Marc SOLERY : Une étude de l'hydraulique de l'ensemble du bassin. II existe des études ponctuelles qui ont été faites par la CNR à l'occasion de l'aménagement de barrages ou de digues, mais aucune étude globale comme cela a été fait pour la Saône. Ceci ne signifie pas que ce que dit la SNCF ou la CNR est inexact, je dis simplement qu'il n'existe pas de document d'ensemble, cette situation s'expliquant par la façon dont le Rhône a été aménagé, par ouvrages successifs, et par le fait que ce travail n'entrait pas dans les compétences de la CNR, qui aurait pourtant été bien placée pour le faire.

M. le Rapporteur: Quels sont les liens entre VNF et la CNR?

M. Marc SOLERY : En vertu de la loi de 1921, toujours en vigueur, la CNR est titulaire d'une concession à trois branches, d'une part, la production d'électricité, d'autre part, l'irrigation agricole, enfin, la navigation. C'est par le biais de cette dernière que nous sommes en relation, depuis, qu'en 1980, la CNR a vu entrer dans son capital les collectivités locales et qu'elle s'est vue confier la concession de la création des liaisons Saône-Rhin. Lorsque VNF a été créé, il a été substitué à l'Etat comme concédant de la CNR, sachant que, la concession étant définie par la loi, c'est un concessionnaire obligé dont nous sommes par ailleurs le financeur, car la CNR présente comme particularité de ne pas avoir de ressources. VNF s'est donc substitué à l'Etat, en totalité, pour le financement de la liaison à grand gabarit Saône-Rhin. Ceci n'empêche pas que l'Etat ait conservé des services de navigation qui sont mis à disposition de VNF et exercent donc le pouvoir du concédant vis-à-vis de la CNR. Je reconnais que cette situation est un peu compliquée, mais elle est sans incidence sur les inondations, car la CNR est complètement compétente pour la navigation sur la partie du Rhône concernée par le phénomène, exception faite de Port Saint-Louis.

M. Georges SARRE: Tout d'abord, quelles conséquences sont ou seront tirées de ce qui s'est passé en Camargue ? En particulier s'est-on fixé comme objectif la mise en place d'une autorité unique pourvue des moyens réglementaires, techniques et financiers nécessaires ?

Ensuite, comment VNF envisage-t-il de concilier la lutte contre les inondations, y compris dans Paris, avec le passage à 3.000 tonnes de la liaison Bray-Nogent-sur-Seine ?

Par ailleurs, VNF est-il en mesure de préciser la programmation précise de l'achèvement de la mise à grand gabarit de la Saône, compte tenu du rôle de cet aménagement pour la protection contre les crues dans le Val de Saône ?

Enfin, VNF peut-il estimer qualitativement et quantitativement l'intérêt de son programme de rénovation pour la lutte contre les inondations? Dans quelle mesure ce critère est-il pris explicitement en compte par VNF dans sa programmation ?

M. Marc SOLERY : Pour ce qui est de la question de l'autorité coordinatrice sur la Camargue, le simple constat de la défaillance des propriétaires riverains théoriquement chargés de l'entretien plaide pour la mise en place d'une autorité unique.

M. Georges SARRE: Qui est responsable de la surveillance de cet entretien ? Je suppose que c'est l'Etat, mais précisément, quelle autorité en est chargée ? Est-ce le préfet ?

M. Marc SOLERY : Je voudrais quand même rappeler que ce qui s'est passé en Camargue et dans le Gard se situe en dehors du domaine confié à VNF.

M. le Président: La question de Monsieur Sarre est tout à fait directe, et même si elle est étrangère à vos compétences, si vous avez des éléments d'information, il faut nous les communiquer.

M. Marc SOLERY : II n'y a aucune difficulté, mais il me parait nécessaire, la situation étant tellement compliquée, de préciser les rôles respectifs de VNF et de la CNR.

C'est un syndicat de propriétaires qui est responsable. Il est régi par une législation du même type que les associations syndicales ou les associations foncières urbaines ou de riverains et il est sous la tutelle préfectorale, sans que je sache précisément quelle est l'étendue de cette tutelle. Par ailleurs, je me suis laissé dire que la Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur avait fait des observations sur le gestion de ce syndicat, ce qui a fait dire à la presse que le problème des ressources n'était pas aussi clair que cela.

C'est donc clairement un syndicat qui était responsable et qui n'a pas fait ce qu'il fallait. Tout le monde est d'accord, pour constater sa défaillance en l'espèce, sans pour autant que j'aie à juger de ses raisons. Je constate en revanche, comme tout le monde l'a observé, que, du côté Gard, les initiatives des élus locaux et notamment du maire de Saint-Gilles ont traduit une volonté de substitution presque par anticipation, et que les digues ont tenu. Cette observation est aujourd'hui unanimement admise.

M. le Président: Pourriez-vous nous préciser le nom de ce syndicat?

M. Gérard BAUDOUIN: La plus importante des associations gérant les digues de Camargue s'appelle l'Association des chaussées de Grande Camargue. Elle compte 2.700 membres et gère 102 km de digues.

M. Marc S0LERY : Cette situation plaide donc, à l'évidence, pour la mise en place d'une autorité de coordination et de gestion dont la composition peut être discutée, sachant que VNF aurait un rôle à y jouer.

Pour ce qui est de la question relative à la liaison Bray-Nogent, il faut, avant d'y répondre, que je précise l'état d'avancement des travaux tendant à la faire passer à 3.000 tonnes. Les travaux sont aujourd'hui achevés pour passer à 1.000 tonnes, mais il reste des problèmes non pas tellement de gabarit mais de tirant d'air. La perspective du passage à 3.000 tonnes n'est donc pas aussi proche qu'on pourrait le penser, et de toute façon, elle donnera lieu à des enquêtes supplémentaires. Les travaux nécessaires, dont le coût est de l'ordre de 5 à 600 millions de F., ne sont pas programmés pour le moment et seront faits à horizon de 4 ou 5 ans. Ce n'est donc qu'à ce moment que sera traitée la question des ponts de Paris et de l'effet du changement de gabarit sur l'aval.

M. Georges SARRE : Je connais assez bien le dossier : la logique du passage à 1.000 tonnes entraîne mécaniquement le passage à 3.000. Je voudrais donc avoir une information plus précise sur la suite des travaux, c'est-à-dire le passage à 3.000 tonnes, qui me semble une priorité.

M. Marc SOLERY : A l'horizon des trois ans à venir, le passage à 3.000 tonnes n'est pas programmé, car VNF ne dispose pas des financements nécessaires à cette opération, qui demeure néanmoins une priorité dés lors que le trafic le justifierait.

A cet égard, une décision importante a été prise récemment, celle d'installer une usine de gazole à Nogent. Ceci va certainement conduire VNF à définir sa position sur la création d'un port de marchandises plus important à Nogent, qui constituerait un élément de poids à l'appui du dossier pour le passage à 3.000 tonnes, car une telle installation, qui permettrait de drainer le trafic de céréales à partir des silos situés dans un rayon de 50 km, accroîtrait le volume du trafic.

En ce qui concerne les inondations, il faut rappeler que celles-ci affectent surtout le lit majeur du fleuve, alors que VNF ne s'occupe que du lit mineur. Je ne pense donc pas que le changement de gabarit ait un effet important sur le débit du fleuve en aval.

Pour ce qui est de la Saône, comme vous le savez, les travaux de dragage sont actuellement interrompus en raison d'un arrêt du Conseil d'Etat confirmatif du jugement du tribunal administratif suspendant les travaux pour un motif de procédure. L'objet des travaux est de permettre le passage des bateaux de l'ordre de 2.000 tonnes, alors qu'actuellement le maximum est de 1.500 tonnes. La CNR a maintenant présenté un nouveau dossier, et on peut penser que dans quelques mois les travaux pourront reprendre, lorsque l'enquête dite .«Bouchardeau» aura été effectuée. La CNR étant concessionnaire de la Saône, c'est elle qui fait les études sous l'autorité du préfet de la Côte d'Or qui pilote l'opération.

Quant au programme que nous allons financer, il est défini sur 300 millions de F., sachant que les programmes vont toujours un peu su delà des crédits disponibles. Quatre objectifs sont poursuivis: réparer les dégâts, protéger contre les inondations, protéger les berges, enfin, améliorer la navigation, grâce à des travaux qui se répartissent selon leur nature en digues, berges, dragage, ouvrages divers.

M. le Président: J'ai pu constater pendant les crues de l'hiver dernier sur la Meuse l'existence de retards manifestes au niveau des barrages. Je voudrais donc savoir qui en a la responsabilité opérationnelle.

M. Marc SOLERY : Voies Navigables de France n'a pas de services propres sur le plan local: sont mis à sa disposition les services de navigation, qui sont des services spécialisés de l'Etat. Il y en a sept en France, dont un à Nancy qui est compétent sur la Meuse. C'est donc ce service qui est responsable sur le plan opérationnel, qui est le maître d'_uvre de VNF. C'est à lui que nous déléguons nos crédits et qui, pour notre compte, pilote les opérations sur place.

M. le Président : Pour parler concrètement, sil y a, comme je l'ai constaté, un manque de personnel manifeste pour man_uvrer ces ouvrages, ce sont donc bien les services de l'Etat qui en portent la responsabilité et non pas Voies Navigables de France ?

M. Marc SOLERY : Si l'affaire venait à être portée devant les tribunaux on verrait bien comment elle serait tranchée. C'est une question complexe. Tout d'abord, comme vous le savez, l'Etat a une politique de réduction de personnel, dont les services de navigation comme les autres subissent les effets, c'est-à-dire une diminution d'effectifs d'environ 2 % chaque année. Il y a un deuxième problème qui tient à la structure propre du service de navigation. Pour prendre le cas du service de Nancy, son directeur régional me disait récemment qu'il a 1.000 personnes sous ses ordres, dont 20 cadres de catégorie A. Cette situation est celle de tous les services de navigation qui, exception faite de celui de la Seine qui a une configuration un peu particulière, comportent beaucoup de personnels, et essentiellement des agents de catégorie C et D. Ceci est lié su fait qu'il y a de nombreux de barrages à aiguilles sur la Meuse, dont la manipulation nécessite beaucoup de personnel. Nous sommes donc dans une situation où pendant longtemps encore nous devrons faire fonctionner de tels ouvrages-car le remplacement des quelque soixante barrages à aiguilles prendra du temps -,alors que les services de l'État dont noua sommes les utilisateurs sont soumis à des réductions d'effectifs.

M. le Président: Pour en rester à la Meuse, c'est un fleuve de moins en moins utilisé pour le trafic marchandises, mais qui l'est pour le trafic touristique. Or, il apparaît à l'évidence que, depuis plusieurs années, aucun travail de dragage et d'entretien du fond du fleuve n'a été accompli, au moins dans le département des Ardennes - je ne sais pas ce qui se passe en amont, dans le département de la Meuse-. Les travaux entrepris par Voies Navigables de France seraient-ils directement proportionnels au volume du trafic marchandises ?

M. Marc SOLERY : Ce que vous dites sur la Meuse est parfaitement exact. La Meuse est un petit gabarit et, contrairement à la Moselle, qui, raccordée au Rhin, enregistre un trafic de 10 millions de tonnes par an, elle a vu son trafic marchandises se réduire. Comme cela se produit souvent dans de tels cas, c'est effectivement la navigation de plaisance qui s'y développe.

Il est vrai que les voies d'eau françaises souffrent d'un manque d'entretien important, mais il est évident que nous cherchons, tant que faire se peut, à draguer là où c'est économiquement nécessaire, en plus des considérations liées à l'environnement et aux inondations et à la sécurité. En effet, le dragage pose directement le problème du tirant d'eau et ce sont plutôt les transporteurs de marchandises qui en souffrent, les plaisanciers pouvant en général passer avec un tirant d'eau d'1,20mètre. Ceci ne veut pas dire que je sois satisfait de cette situation, mais l'effort de dragage porte effectivement surtout sur les itinéraires qui sont .économiquement efficaces. et nous avons une forte demande en ce sens.

M. Gérard BAUDOUIN : Pour éclairer la Commission, il me parait indispensable de rappeler quelques chiffres généraux.

Lorsque VNF a été créé en 1991, les ouvrages d'infrastructure lui ont été remis par l'Etat, mais sans qu'il ait été procédé à un état des lieux contradictoire. Depuis, nous avons mené des études pour guider la programmation des travaux, d'où il ressort que la facture s'élève à environ 5 milliards de F. uniquement pour la restauration du réseau, ce chiffre étant à rapprocher des 850 millions de F. du budget annuel de l'établissement.

Ces travaux concernent la remise en état d'un certain nombre d'ouvrages, notamment des barrages à aiguilles. Il s'agit là d'un système très ancien, constitué d'une série de poutres verticales bloquées par une poutre horizontale en travers du lit de la rivière et supportées par un câble métallique. Lorsqu'il faut relever le barrage, il faut manipuler les aiguilles une par une, travail tellement dangereux qu'il est aujourd'hui impossible de le confier à des entreprises privées qui estiment que les conditions de sécurité exigées par la législation du travail ne sont pas réunies. Il faut donc bien savoir que les agents de l'Etat qui opèrent ces manipulations travaillent dans des conditions très difficiles, et qu'il arrive que l'on ait à déplorer un mort.

II y a environ 200 barrages à aiguilles sur l'ensemble du réseau, et chacun nécessiterait entre 7 et 10 millions de F. pour être remis en état avec une technologie différente qui en réduirait la dangerosité.

Les dragages font partie de la remise en état du réseau. C'est vrai qu'ils sont beaucoup moins nécessaires pour la navigation de plaisance, sauf quand les abords des ouvrages -écluses ou barrages - sont eux-mêmes encombrés par des vases et qu'il faut intervenir puisqu'il y a un risque de blocage des portes. Le dragage, c'est du terrassement, et c'est une opération qui coûte très cher, alors qu'aujourd'hui les moyens sont limités.

Les dragages figurent en bonne place parmi les priorités de remise en état. Sur un programme de l'ordre de 300 millions de F., il est ainsi prévu 41 millions de F. de dragage, dont 34 sont indispensables pour résorber les dépôts créés par les inondations. En effet, lorsqu'un flux important intervient, il est très chargé en matières en suspension qui se fixent sur chaque ouvrage.

Des dragages sont effectués sur la Meuse, mais ils n'apparaissent pas toujours de manière évidente, car les chantiers ne font parfois que deux ou trois kilomètres sur un linéaire très long.

M. le Président: Le coût des travaux que vous avez indiqué est considérable, et hors de proportion avec vos ressources. Comment envisagez vous de les financer ?

M. Marc SOLERY : La réponse est contenue dans la question: la seule solution est d'étaler les travaux. Je voudrais expliciter le chiffre de 5 milliards de F. cité par M. Baudoin. Lorsque VNF a été créé il y a trois ans, la restauration de l'ensemble des voies navigables avait été évaluée à 2 milliards de F., de sorte qu'à raison de 200 millions de F. par an, elle pouvait être réalisée en dix ans. L'année dernière, nous avons, conjointement avec les services du ministère des transports, diligenté une enquête sur la vocation des voies navigables du réseau, destinée à éclairer les choix que nous devrons nécessairement faire, car nous avons le réseau le plus important d'Europe mais des ressources qui ne se comparent pas avec celles disponibles aux Pays-Bas ou en Allemagne.

Les 5 milliards de F. résultent de l'actualisation du chiffre de 2 milliards. L'enquête que j'ai évoquée, qui n'est pas encore complètement dépouillée, va nous amener à classer les voies navigables en fonction de leur trafic et de leur configuration générale et à prendre des décisions en conséquence.

En l'état actuel des choses, la réponse à votre question se résume donc à : on étale les travaux, et on répond à l'urgence de la façon la plus intelligente possible en fonction de ce que l'on connaît.

M. Jean-Marie ANDRÉ : En ce qui concerne le dragage, le Rhône ayant déposé à peu près 40 cm de boue sur les berges, je suppose donc qu'en aval et en amont du barrage de la Brègue, on doit retrouver l'équivalent dans le lit du fleuve. Vous dites que les digues ont été bien entretenues sur la rive droite, et c'est exact, en raison de l'existence d'un syndicat intercommunal, mais l'eau est tout de même arrivée à 70 cm des berges des digues. Comptez-vous draguer le Rhône en amont et en aval pour éviter la survenance de nouvelles crues qui seraient catastrophiques, sachant que nous avons connu, dans la région de Beaucaire-Tarascon, trois crues centennales en trois ans ?

Vous avez théoriquement un double rôle d'entretien et de développement, mais ne risquez-vous pas de favoriser l'entretien pour éviter de nouvelles inondations et de sacrifier ainsi le développement, dont il n'est pas nécessaire de souligner l'importance compte tenu de la situation économique actuelle? Je pense en particulier à cette fameuse écluse qui doit relier le Rhône su Canal du Rhône à Sète, l'ensemble étant relié au Canal du Midi. Lorsqu'aux termes du contrat de plan il apparaît qu'une partie du financement relève de VNF ou de l'État, il y a de quoi s'inquiéter, eu égard aux travaux que vous devez supporter par rapport à votre budget.

M. Mare SOLERY : Je vais essayer de vous rassurer« en commençant par la deuxième question sur le dilemme entretien/développement. Nous n'avons pas sacrifié le développement, qui constitue l'une de nos missions importantes et même l'une des justifications de la création de VNF. Pour la première fois cette année, nous avons ouvert une ligne .développement. dans notre budget, abondée à hauteur de 27 millions de F. pour l'ensemble de la France. Ce terme de développement recouvre plusieurs notions, en particulier l'aide aux embranchements fluviaux, lorsqu'il s'agit de développer l'activité économique, de maintenir ou de sauver un transport ou d'en créer un nouveau, par exemple le transport de déchets, ainsi que l'aide au développement des ports fluviaux. Tout cela ne coûte pas nécessairement cher, car nous avons entrepris une politique vigoureuse de partenariat avec des ports publics fluviaux, qu'il s'agisse des deux ports autonomes de Paris et de Strasbourg ou de tous les autres qui sont gérés par les chambres de commerce. Les ports publics fluviaux se sont constitués en une Association française des ports intérieurs (AFPI), dont VNF est membre associé, puis s'est créée une Fédération européenne des ports intérieurs, dont le Président est le directeur du Port autonome de Paris. En ce moment, nous développons en particulier un schéma de création de ports fluviaux sur le bassin du Rhône. Il ne s'agit pas de faire un port tous les kilomètres, mais d'organiser des plate-formes logistiques et multimodales, sachant qu'il y a le problème des ports de Lyon et de l'interface maritime-fluviale pour le port de Marseille.

Sur les 27 millions de F. affectés su développement, une dizaine ont été spécialement réservés pour le Rhône-Méditerranée, car nous sommes conscients que ne pas chercher à développer le trafic sur le Rhône et la Saône en relation avec les ports de Marseille, de Sète ou de Fos, serait la meilleure contre-publicité pour les voies navigables. Nous disposons là en effet d'une magnifique autoroute fluviale aménagée, et son trafic est inférieur à 4 millions de tonnes c'est ridicule et scandaleux, quand on sait que, pour la première année d'exploitation, le trafic sur Rhin-Main-Danube est déjà supérieur.

Il y a aussi un problème social et économique. L'offre de transport fluvial sur le Rhône a été représentée essentiellement par une compagnie, la Compagnie française de transport, et par une vingtaine de grands bateaux gérés artisanalement et réunis dans ldes maîtres bateliers du Rhône. Si l'on ne fait rien pour les aider directement ou indirectement, disparaîtra une offre de transport, ce qui serait une mauvaise chose à un double titre: d'abord pour le Rhône en tant que voie fluviale que l'on se propose par ailleurs d'aménager, d'agrandir et de relier au Rhin, ensuite parce que cela réduirait la concurrence et que la SNCF et les transporteurs routiers en profiteraient pour remonter leurs prix.

J'en parle d'une manière solennelle car j'affirme que la flotte artisanale du Rhône est aujourd'hui menacée de disparition vu la baisse du fret, due notamment à la disparition de certains trafics d'hydrocarbures.

J'en reviens aux dragages: il est évident - que nous draguerons le Rhône autant qu'il sera nécessaire pour contribuer à la mission de lutte contre les crues et inondations qui nous a été dévolue par le Gouvernement, et cela pourrait prendre place dans une programmation décidée sous l'égide d'une autorité à créer.

M. Gérard BAUDOUIN : Les dragages doivent être considérés de façon différente suivant qu'il s'agit de canaux ou de rivières navigables. Dans le cas de rivières navigables, comme le Rhône ou la Meuse, le dragage consiste à mettre aux normes de tirant d'eau le chenal navigable. Cette opération est réalisée à la fois de manière naturelle par l'effet de chasse d'eau provoqué dans le lit mineur de la rivière par le courant, et par les dragages aux points de concentration des dépôts, dans les courbes, pour maintenir le chenal navigable. Ce type dé dragage est effectué tous les ans et, en général, ne pose pas de problème.

Les dépôts sur les rives provoqués par les inondations - qui sont d'ailleurs souvent des limons fertilisants - méritent un traitement différent, qui relève de l'entretien général des berges et de leur maintien paysager.

M. Jean-Marie ANDRÉ : Vous ne parlez que du chenal navigable, mais sachant que seule une partie du Rhône est navigable, si c'est seulement celle-là que vous entretenez et si vous laissez la boue dans le reste du chenal, les inondations futures seront encore plus importantes!

M. Gérard BAUDOUIN. Je n'en suis pas tout à fait sûr, il faudrait interroger les ingénieurs de la CNR qui ont, à Lyon, un laboratoire d'hydraulique très spécialisé. Ce que je veux dire, c'est que le volume rendu disponible pour l'écoulement des eaux par un dragage sur le lit mineur est quantité négligeable par rapport au volume d'eau à évacuer en temps d'inondation. En temps d'inondation, ce qui importe c'est l'état du lit majeur et son encombrement, qui est provoqué par les constructions humaines. La gravité des inondations résulte de la conjonction des crues sur toutes les rivières en même temps, les rivières secondaires, sur lesquelles on peut toutefois réguler le flot par des interventions sur les barrages, ainsi que la rivière principale, en l'occurrence le lit principal du Rhône, sur lequel on ne peut pas agir de la sorte.

M. Jean-Marie ANDRÉ : Je suis désolé de vous dire que dans la mesure où le fond du lit a été surélevé de 40 centimètres, automatiquement, la prochaine crue sera de 40 centimètres plus élevée, ce qui signifie que même si on renforce la digue ou si on la rehausse, la Camargue sera encore plus menacée.

M. Gérard BAUDOUIN : Sur l'aspect purement hydraulique, c'est la CNR qui maîtrise tous ces éléments sur le Rhône et qui pourrait vous répondre plus précisément. Il y a sans doute des cas limités où effectivement les 40 centimètres peuvent jouer, mais il ne sont pas à l'échelle des débits.

M. Marc SOLERY : Cela montre une fois de plus la nécessité d'une coordination. En principe, les bords des rivières relèvent de la compétence des syndicats et de la responsabilité des riverains. Mais les textes qui le prévoient sont quelque peu oubliés notamment parce que les moyens à mettre en _uvre dépassent de beaucoup ceux qui peuvent être dégagés par les riverains. Ceux-ci se retournent alors vers les collectivités locales qui interviennent à titre subsidiaire.

M. Jean-Marie ANDRÉ : Plus nous entendons ici de personnalités compétentes sur le sujet des inondations, plus m'apparaît la nécessité d'une coordination entre toutes les parties concernées. S'agissant des autoroutes fluviales, il est évident que leur utilité dépend de l'irrigation qui en part. A cet égard, je rappelle que dans le livre blanc sur le Rhône, le projet d'écluse relayant le canal du Rhône à Sète au Rhône est classé comme un projet numéro 1.

M. Marc SOLERY : Pour en terminer avec le problème des rives, je voudrais citer un cas particulier: VNF a été amené à financer la protection des berges et des rives sur l'Oise de façon à préserver l'existence de l'île de Janville qui était mangée par les eaux.

Dans le cadre du développement du. Rhône, le canal du Rhône à Sète est prioritaire; j'ai mentionné l'interface maritime-fluviale avec Fos et Marseille, mais Sète est également prioritaire. Parmi les projets programmés par VNF, est prévu l'approfondissement du canal du Rhône à Sète pour passer à plus de 1.000 tonnes, ainsi que le financement de la digue destinée à garantir toute sécurité à la navigation fluviale.

Pour ce qui est du contrat de plan avec la région, se posent actuellement différents problèmes. Il faudra notamment convaincre la région et les collectivités territoriales de participer su financement de ces grands équipements comme elles le font pour les routes. Il n'y a pas de raison, en effet, pour que la région Languedoc-Roussillon et le département de l'Hérault - pour prendre les collectivités les plus intéressées -, qui financent les autoroutes, ne financent pas aussi le canal du Rhône à Sète, dès lors qu'il est démontré qu'il y a un trafic solvable et que des synergies peuvent s'établir.

Pour ce qui est du Canal du Midi, nous avons obtenu des trois régions concernées qu'elles financent les travaux d'infrastructure en allant au delà des travaux de restauration. Le cas particulier de l'écluse de Beaucaire doit être resitué dans le cadre général de l'opération menée avec les collectivités territoriales de la région Languedoc-Roussillon.

M. Le Président: Vous avez évoqué le problème de la coordination sur le plan européen. Je partirai une fois encore du cas de la Meuse, mais je pense que la question se pose de lai même façon pour les autres fleuves frontaliers. On s'est aperçu en période de crue, que, manifestement, il n'y avait pas eu de coordination entre la France et la Belgique, les Belges ayant adopté une attitude que je qualifierai de protectionniste qui a eu des effets en amont. Par ailleurs, les Belges font, juste après la frontière, des travaux sur le lit de la Meuse qui ont forcément des conséquences en amont. S'agissant enfin de la réparation des dégâts, VNF l'a effectuée dans mon département de manière exemplaire, des ouvrages importants ayant été refaits par ses soins dans des temps records, alors que les Belges ont traîné et traînent encore les pieds, de sorte que le trafic fluvial marchandises continue à se faire dans des conditions difficiles. J'aimerais donc savoir comment vous envisagez la coopération avec les pays étrangers qui, dans l'état actuel des choses, ne me semble pas évidente.

M. Marc SOLERY : Vous me posez une question redoutable. J'ai évoqué, tout à l'heure, en rappelant les missions de VNF, la création de voies à grand gabarit dans la perspective européenne. Existe donc en filigrane dans les textes un réseau européen dont VNF ferait partie en tant que maître d'ouvrage pour la partie française.

En ce qui concerne la coopération en matière d'inondations et de crues, c'est beaucoup plus compliqué, parce que lorsqu'il s'agit d'événements de cette ampleur, ce n'est pas VNF qui est au premier plan, c'est le préfet. Dans plusieurs endroits, les préfets ont d'ailleurs déclenché le plan ORSEC, ce qui montre bien que, lorsque la situation dépasse les moyens et les compétences de chacun, il est nécessaire de remonter au niveau de l'Etat. En outre, VNF n'a en la matière qu'une compétence d'attribution, à savoir l'intérêt des voies navigables, qui, pour, n'être pas sans lien avec les inondations, n'y est toutefois pas directement lié.

Je sais que la coopération internationale avec les pays étrangers pose souvent des problèmes. Le seul cas dont j'ai eu connaissance m'a été soumis par le Consul Général de France à Mayence qui m'avait saisi d'un projet de coopération avec la Rhénanie-Palatinat. J'ai alors demandé au directeur régional de Nancy, ayant la double casquette Etat et VNF, de prendre contact directement avec l'administration allemande et avec l'ambassade de France. Les contacts ont donc été établis à leur niveau et non à celui du siège de VNF. Pour ce qui est de la Belgique, le problème est d'autant plus compliqué que le fédéralisme belge entraîne une partition des administrations des voies navigables, la Wallonie et la Flandre en ayant chacune une; il se trouve par ailleurs que la plupart des accords en vigueur avec la Belgique, en particulier sur l'approfondissement de la Deule et de la Lys, ont été passés entre la France et la Belgique unitaire, non pas fédérale. Le résultat est qu'aujourd'hui, on ne sait plus très bien avec qui on traite. II faut donc beaucoup de patience pour faire progresser la coopération.

M. le Président: Je vous remercie.

Audition de M. Henri LEGRAND

Chargé de mission pour les risques majeurs à la Délégation aux risques majeurs

du ministère de l'Environnement, chargé de mission pour les risques naturels su

ministère de l'Environnement, ancien directeur de la prévention des pollutions et

des risques et délégué aux risques majeurs.

(Extrait du procès-verbal de la séance du 15 juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

puis de M. Guy Hermier, Vice-Président

M. Henri Legrand est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Henri Legrand prête serment.

M. Henri LEGRAND: Monsieur le Président, Messieurs les députés, je suis actuellement chargé de mission pour les risques naturels. J'ai eu pendant deux ans la responsabilité de la Direction de la prévention des pollutions et des risques et de la Délégation aux risques majeurs su sein du ministère de l'environnement; à la fin du mois de janvier dernier, le Ministre m'a chargé de coordonner la mise en place du programme de développement de la politique de prévention des risques que venait d'adopter le gouvernement.

Je souhaiterais préciser brièvement l'articulation des différentes administrations chargées d'intervenir dans ce domaine. II faut d'abord bien faire la distinction entre politique de prévention et politique d'intervention ; la première recouvre les actions menées pour éviter que les problèmes ne se posent et relève du ministère de l'environnement; la seconde s'applique en cas de catastrophe et relève du ministère de l'intérieur. Cela dit, les deux sont bien sûr très liées et nous sommes très régulièrement en relation les uns avec les autres.

L'organisation française de la prévention des risques est assez originale en Europe : dans beaucoup de pays européens, il n'y a pas d'administration chargée en tant que telle de cette mission, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de politique de prévention. La direction et la délégation aux risques majeurs sont chargées de la politique générale de prévention des risques et de la coordination des politiques particulières. En effet, un certain nombre d'administrations ont à prendre en compte les risques relevant de leur champ d'activité. Ainsi le ministère des transports doit se préoccuper des transports de matières dangereuses, la direction de l'eau du ministère de l'environnement des problèmes d'inondation.

M. le Président: Si j'ai bien compris, vous êtes donc plutôt chargé des questions de prévention ; vous faites des projections sur l'avenir, vous établissez des scénarios, des stratégies et vous essayez de mettre en face les moyens pour limiter les risques à venir, mais, en revanche, vous n'intervenez pas dans l'établissement des bilans.

M. Henri LEGRAND: Notre préoccupation est en effet la prévention, même si la mise en _uvre d'une telle politique conduit nécessairement à s'intéresser aux expériences passées. Notre démarche peut se résumer ainsi : déterminer les risques, puis élaborer et mettre en _uvre des mesures susceptibles de les réduire. Il existe deux types de mesures, d'une part celles qui tendent à la réduction des phénomènes eux-mêmes - ce qui n'est pas toujours facile dans le domaine des risques naturels -, d'autre part, lorsqu'on ne peut pas agir sur les phénomènes, celles qui consistent à en limiter les effets. Ce dernier volet est essentiel dans la politique de prévention des risques, dans la mesure où celle-ci consiste à faire en sorte que se trouve le moins grand nombre de personnes possible dans les espaces les plus exposés.

M. Le Président: Après les événements des dernières années, pouvez-vous nous dire où en sont actuellement vos réflexions et vos projets ?

M. Henri LEGRAND: Les événements dont vous parlez ont bien sûr amené à s'interroger sur la politique de prévention des risques. Il faut d'abord constater que, si depuis très longtemps l'on s'occupe des risques naturels pris séparément, ce n'est que depuis les années 1980 qu'a émergé la notion de prévention des risques en général. Cela signifie que nombre des outils de cette politique sont récents, que nos dispositifs sont parfois encore expérimentaux et qu'il y a donc certainement encore des efforts à faire pour parvenir à des instruments plus systématiques et d'application beaucoup plus générale.

Un de nos sujets de réflexion essentiel concerne les plans d'exposition aux risques (PER), qui apparaissent souvent comme l'outil symbolique de la politique de prévention des risques -bien qu'il ne faille pas la réduire à cela- et dont il nous a semblé souhaitable de faire un bilan. Notre conclusion est que cet outil n'a certainement pas atteint tous les objectifs qui lui avaient été fixés, explicitement ou implicitement, lorsqu'il avait été créé dans le cadre de la loi sur l'indemnisation des catastrophes naturelles de juillet 1982. II est du reste significatif que ce soit dans cette loi que ce dispositif a été inserré, ce qui le fait apparaitre comme un corollaire du mécanisme de solidarité institué pour l'indemnisation des catastrophes naturelles, voire comme l'instrument permettant de le moduler puisque, lorsque des PER sont établis, le principe général d'indemnisation comporte des exceptions pour les biens se trouvant dans des zones classées comme dangereuses.

Quand on a créé le dispositif des PER, on considérait qu'ils devaient couvrir toutes les zones où pouvaient apparaitre des risques, l'ordre de grandeur envisagé alors étant de 10.000. Or, dix ans après le premier décret d'application de 1984, il n'en existe qu'un peu plus de 300. Depuis le mois de juin, un nouveau recensement des communes dotées d'un PER ou d'un périmètre R 111-3 a été effectué: d'après ses résultats, il y a 326 PER approuvés et 371 périmètres R 111-3 soit au total 696 communes couvertes par un document réglementaire de prise en compte des risques naturels. Il y a en outre 90 projets de PER en cours d'élaboration qui ont dépassé le stade de l'enquête publique. On peut en conclure que l'objectif fixé initialement était sans doute trop ambitieux, car couvrir l'ensemble des zones où il existe des risques serait un travail énorme auquel on n'a peut-être pas suffisamment donné la priorité. De plus, ces plans se sont heurtés à un certain nombre de difficultés. Outre celles dues à la grande complexité de la procédure, d'autres tiennent à une certaine confusion avec des procédures très voisines existant précédemment: les périmètres dits de l'article R 111-3 que je viens d'évoquer, les plans de surfaces submersibles, les plans de zones sensibles aux incendies de forêts. Par ailleurs, il est difficile de faire comprendre aux populations l'action menée en matière d'exposition aux risques, dans la mesure où pour les personnes présentes dans la zone concernée, le plan d'exposition aux risques se traduit seulement par le fait que leur terrain devient inconstructible ou que leur sont imposées des prescriptions particulières en cas de construction, ainsi que par une limitation de l'effet des mécanismes d'indemnisation au titre des catastrophes naturelles. Une autre difficulté tient aux ressources dégagées pour l'établissement des PER: elles ont été de l'ordre de 160 millions de F. sur la période 1984-1993, somme qui, pour n'être pas négligeable, limite quand même les capacités d'intervention. II faut toutefois ajouter que le comité interministériel du 24 janvier 1994 a décidé d'affecter 40 millions de F. par an aux PER (puis aux PPR). Enfin, il n'est pas toujours facile de mobiliser sur les risques les moyens techniques dont dispose l'Etat, directement ou dans ses établissements publics, et l'effort se fait progressivement.

Dans le cadre du projet de loi sur la protection de l'environnement que vient de déposer le gouvernement pour mettre en _uvre le programme arrêté en janvier dernier, il a décidé de réformer ce dispositif en regroupant l'ensemble des outils existants que jévoqués en un seul appelé plan de prévention des risques. Le changement de terminologie d'«exposition». à .prévention. n'est du reste pas sans signification, le premier ayant une connotation de constat alors qu'il faut montrer qu'il s'agit surtout d'un outil de prévention. Le plan de prévention des risques sera élaboré selon une procédure simplifiée et déconcentrée, alors que dans certains cas, il faut actuellement un décret en Conseil d'État.

Cette réforme va s'accompagner d'un affichage plus clair de la priorité donnée aux zones soumises à des risques pour les personnes, dont le nombre est estimé à 2.000, d'où notre objectif .2.000 plans en l'an 2000.. Pour y parvenir, nous allons demander à chaque département de déterminer les zones à couvrir et de définir un ordre de priorité.

Un autre problème important en matière d'inondations est l'entretien des rivières. On constate que les rivières sont généralement moins bien entretenues aujourd'hui qu'autrefois, notamment les rivières non domaniales, dont la responsabilité relève des riverains, qui ont ont moins de facilité pour le faire ou y sont moins portés. Un programme de travaux d'entretien ou de protection, d'un montant d'une dizaine de milliards de F. sur 10 ans a donc été arrêté, ainsi que des outils juridiques destinés à inciter les riverains à établir des plans de gestion de leur cours d'eau, à l'instar de ce qui se fait déjà dans le domaine forestier. Et ce sont les endroits o3 auront été mis en place ces plans qui seront prioritaires pour la distribution des subventions nationales.

Voilà le deuxième grand volet de la politique que nous essayons progressivement de mettre en place.

M. le Rapporteur: Les PER continueront-ils d'exister ou non ?

M. Henri LEGRAND: Il est prévu de remplacer l'ensemble des outils existants, donc le plan d'exposition aux risques mais aussi tous les autres, par le plan de prévention des risques, étant entendu que les plans déjà adoptés continueront à produire leurs effet.

Le plan d'exposition aux risques pouvait comporter un nombre considérable de prescriptions, ce qui constitue une des raisons pour lesquelles on n'en a pas établi beaucoup. Il apparait maintenant qu'il vaut mieux avoir un outil modulable, comme le sera le plan de prévention des risques, qui permettra de prendre tout de suite les premières mesures qui paraissent utiles, sans que cela empêche, un ou deux ans après, de les compléter par des mesures supplémentaires qui peuvent être plus difficiles à définir. Si je ne me trompe pas, le délai moyen d'adoption des plans d'exposition aux risques est de 5 ans, sans compter tous ceux qui n'ont pas abouti, ce qui est extrêmement long. Il faut vraiment pouvoir prendre imméditement des mesures simples et avancer progressivement, de façon à pouvoir arrêter des dispositions particulières dans une zone particulièrement dangereuse même si l'on a pas encore pu couvrir l'ensemble du secteur. Cependant les plans actuels, quelle que soit la procédure selon laquelle ils ont été établis, continueront tous d'exister et seront simplement transformés en plan de prévention des risques.

M. Georges SARRE: Je voudrais vous poser sept questions.

Le transfert des services d'annonce de crues du ministère de l'équipement à celui de l'environnement a-t-il été utile pour la lutte contre les inondations ? Si oui, pourquoi ?

Pour quelles raisons les habitants de certaines zones à risques comme la vallée de l'Aisne n'ont-ils été prévenus de la montée de l'eau qu'au moment où celle-ci arrivait chez eux ? Ce fut le cas à Rethel, dans les Ardennes; cette situation s'est-elle produite ailleurs ?

Quelles dispositions sont ou seront prises pour que des permis de construire ne soient plus délivrés en zone inondable ?

Le système des compensations hydrauliques, aux termes duquel tout obstacle mis à l'écoulement des eaux doit être compensé afin que ses effets soient contrebalancés, est-il convenablement appliqué ?

Dans le cas de la Camargue, quelles conséquences sont-elles tirées des dernières inondations? En particulier, s'oriente-t-on vers la mise en place d'une autorité unique pourvue des moyens réglementaires, techniques et financiers nécessaires ?

Pouvez-vous nous préciser le rôle des agences de l'eau dans la lutte contre les inondations ?

Enfin, pour prévention et la lutte contre les inondations, quel est l'effort global consenti par notre pays et quelle est sa répartition entre l'Etat, les collectivités territoriales et les personnes privées ?

M. Henri LEGRAND: Je vais essayer de répondre aux questions que vous m'avez posées, étant entendu toutefois que certaines n'entrent pas directement dans mon domaine de compétence, et que je ne pourrai alors vous donner qu'une réponse partielle.

Je répondrai d'abord À la question relative au transfert du service d'annonce des crues. Lorsqu'ont été constituées les directions régionales de l'environnement, elles l'ont été par regroupement des délégations régionales à l'architecture et à l'environnement, des services régionaux de l'aménagement des eaux, et, là où ils existaient, des services hydrologiques centralisateurs. Il faut aussi rappeler, et cela rejoint la deuxième question, que l'annonce de crues n'est pas une mission obligatoire de l'État. De ce fait, les dispositifs d'annonce des crues ont été mis en place de manière assez variable, par démarche volontaire, lorsqu'a été constaté un accord entre l'État et les collectivités locales - le plus souvent les départements-. Cela explique que le territoire soit couvert de manière extrêmement diverse selon les cours d'eau et qu'il y ait 16.000 kilomètres de cours d'eau couverts par les 52 services d'annonce des crues; sur un total d'environ 300.000 kilomètres.

L'organisation de l'annonce des crues relève du préfet de chaque département. En créant les directions régionales de l'environnement, on a souhaité instituer un pôle cohérent et efficace dans tous les domaines concernant l'eau. L'organisation en matière détait, et reste encore en partie, assez éclatée. Il y a de nombreux services administratifs compétents en matière de gestion de l'eau et sur un même cours d'eau, la police des eaux est souvent assurée par des services différents selon les endroits. Cette globalisation ne peut être que bénéfique. Mais les efets n'en seront visibles que dans quelque temps, car la constitution des directions de l'environnement est à peine terminée et leur regroupement géographique pas toujours achevé.

M. Georges SARRE: Puis-je déduire de votre propos que ce transfert n'a pas encore été utile ?

M. Henri LEGRAND: Au stade actuel, on peut dire que cette opération n'a pas encore porté ses fruits. Cela dit, il ne s'agit pas seulement de regroupement su sein d'un même service: au niveau départemental, à défaut de fusion, des structures de coordination ont été mises en place, de manière à ce que les différents services intervenant en matière de police des eaux soient régulièrement réunis et travaillent ensemble ; cela aussi doit porter ses fruits et permettre des améliorations. Mais il serait difficile de prétendre qu'une réforme qui n'est pas encore achevée et n'est pas complètement opérationnelle a déjà permis de résoudre les problèmes.

L'alerte des habitants est une question qui relève plutôt de la direction de l'eau du ministère de l'environnement. Ce que je peux vous dire toutefois, c'est qu'un effort est fait actuellement pour mettre à jour et améliorer les mécanismes d'annonces des crues et les différentes procédures, en particulier par le resserrement des liens avec Météo France.

Un effort doit être consenti aussi en matière de modélisation. Nombre de crues sont des crues de plaine, qui se produisent avec un décalage important par rapport à l'événement pluviométrique qui en est à l'origine. Elles constituent donc un type de phénomène que l'on peut prévoir. Encore faut-il pour cela avoir modélisé le dispositif et l'écoulement. A l'heure actuelle, une telle modélisation n'a guère été faite que sur la Seine. II est prévu de mettre en place des dispositifs analogues sur les principaux fleuves, de manière à pouvoir mieux prévoir les montées des eaux.

S'agissant des crues torrentielles,du type de celle de Vaison-la-Romaine, il ne faut pas se faire trop d'illusions sur l'utilité d'un dispositif d'annonce de crues, tout simplement parce que le phénomène est très rapide. A l'heure actuelle, tout ce que l'on peut faire, et on le fait, c'est de prévoir le risque d'orages très violents, avec un préavis de quelques heures. Malheureusement, nos prévisions portent sur des zones extrêmement vastes et, finalement, l'annonce des crues elles-mêmes se fait essentiellement par l'observation de la montée des eaux. Or, je le répète, les délais sont en général beaucoup trop courts pour que le dispositif soit efficace, même s'il a pu l'être pour des villes plus en aval où les délais de préavis sont de 2, 3, 4 heures.

La délivrance des permis de construire en zone inondable est un très gros problème. La première urgence est de faire en sorte qu'on ne continue plus dans ce sens. A plusieurs reprises, des orientations ont déjà été données à cet effet; à la suite du comité interministériel du 24 janvier, ont été publiées deux circulaires, l'une interministérielle en date du 24 janvier, l'autre du Premier ministre en date du 2 février. La première précise les objectifs à prendre en compte en matière de prévention des inondations: .interdire les implantations humaines dans les zones les plus dangereuses., .préserver les capacités d'écoulement et d'expansion des crues., ce qui conduit à empêcher l'urbanisation de certaines zones pour conserver une capacité d'expansion des crues hors des zones habitées, enfin, .sauvegarder l'équilibre des milieux.. La circulaire du 2 février établit des mesures conservatoires. Elle a prescrit que soient relevées exactement pour la fin de ce semestre toutes les zones récemment inondées, et, su sein de ces zones, celles où la hauteur d'eau a été suffisamment importante -la hauteur de référence, modulable localement, étant fixée à un mètre -, et recommande d'examiner désormais avec un soin particulier les permis de construire sur ces zones et d'appliquer l'article R 111-2 du code de l'urbanisme qui permet, su cas par cas, d'en refuser la délivrance si la zone est considérée comme dangereuse. La circulaire n'interdit pas de délivrer de permis de construire dans les zones où il y a eu plus d'un mètre d'eau, car certaines sont trop vastes, mais elle exige un examen spécifique de chaque permis au regard de ces dispositions. Il s'agit d'une mesure conservatoire pour les zones où il y a eu des inondations importantes et qui ne sont couvertes ni par un PER ni par aucun autre plan de protection.

M. le Président: foui doit procéder à cet examen? Les services préfectoraux ?

M. Henri LEGRAND: La circulaire demande aux préfets d'alerter les maires puisqu'ils ont généralement compétence pour accorder les permis de constuire. Cela dit, l'examen de ces permis sera fait par la DDE, qu'elle instruise pour le compte de l`État ou pour celui des communes, la décision relevant, elle, de l'autorité compétente pour délivrer les permis. Et ce sont aussi les DDE qui ont pour l'essentiel procédé aux relevés des zones inondées ces dernières années.

En ce qui concerne le système des compensations hydrauliques, je ne suis pas persuadé qu'il était bien appliqué. La question relève du problème plus général de la police des eaux. Cela fait longtemps que l'on a du mal à faire appliquer la réglementation dans ce domaine, et l'un des objets de la loi sur l'eau de janvier 1992 et des réformes qui l'ont suivi était d'améliorer cette situation. De fait, une nomenclature des installations soumises à autorisation a été dressée; ainsi, l'autorisation peut être refusée ou acceptée et, dans ce dernier cas, parfois seulement sous réserve de la mise en place d'autres dispositifs permettant d'en compenser les effets. Ce mécanisme existait déjà partiellement, et fonctionnait sans doute inégalement. La réforme qui y a été apportée devrait porter ses fruits dans les années qui viennent.

En ce qui concerne lees agences de l'eau, il faut distinguer leur rôle actuel et celui qu'elles pourraient jouer un jour. En matière d'inondation, leur rôle actuel est très faible. La question avait été posée au Conseil d'Etat, il y a plusieurs années, de savoir si, sur le plan juridique, les agences de l'eau pouvaient intervenir en matière d'inondations; le Conseil d'Etat avait répondu qu'en l'absence d'une redevance assise sur les phénomènes liés aux inondations, ce n'était pas possible. Il y avait donc un obstacle juridique à l'intervention massive des agences de l'eau en matière d'inondation. Certes, les objectifs de certains ouvrages, interventions ou travaux, peuvent être mixtes, tendant à l'amélioration de la ressource en eau -domaine de la compétence des agences- et à la lutte contre les crues, auquel cas les agences peuvent les réaliser. Cependant, celles-ci ne peuvent pas intervenir spécifiquement en matière d'inondations, du fait de l'absence de redevance dans ce domaine. II est actuellement envisagé de réformer le cadre juridique actuel, de façon à étendre la compétence des agences de l'eau su domaine des inondations.

En ce qui concerne l'effort financier, je peux vous détailler les chiffres du programme arrêté pour la lutte contre les inondations. Globalement, il est de 10,2 milliards de F. sur 10 ans, financé à 40 % par la puissance publique, dont environ la moitié par l'État et la moitié par Voies navigables de France. Ce plan comporte trois volets: la restauration et l'entretien de tous les types de cours d'eau, soit 5,5 milliards de F. financés en moyenne à 55 % par l'État et Voies Navigables de France; des travaux de protection des lieux habités contre les crues, soit 3,9 milliards de F. financés en moyenne à 30 % par l'État ; enfin des travaux de restauration écologique, soit 850 millions de F. dont l'Etat apportera 20 %, le complément étant pris en charge par les agences de l'eau et les collectivités territoriales dans le cadre des contrats de rivières, lorsqu'elles en auront conclus.

M. Guy HERMIER: Vous avez indiqué que 10.000 communes pouvaient être exposées aux risques mais que l'objectif de 10.000 plans était certainement trop ambitieux. Combien y-a-t-il de communes comportant des risques naturels majeurs, notamment pour les personnes ?

M. Henri LEGRAND: On les estime à environ 2.000. II faut faire attention au vocabulaire: le chiffre de 10.000, cité vers 1984-1985, résultait d'un recensement fait auprès des préfets. Il leur avait été demandé de signaler les communes qu'ils considéraient comme soumises à des risques. Or ces risques pouvant être naturels ou techniques, ils incluaient ceux liée aux usines -sachant par exemple qu'il doit y avoir 300 ou 400 usines à risques de type Seveso en France - et ceux dus su transport de matières dangereuses, qui sont beaucoup plus diffus. Le recensement n'était du reste ni exhaustif ni parfait et il faut le réviser Régulièrement.

En ce qui concerne plus spécifiquement les risques naturels importants pour les personnes, l'estimation est de 2 000. Mais il faut tenir compte du fait que, paradoxalement, le renforcement de la politique de prévention des risques fait augmenter le nombre de communes considérées comme à risques. Je prendrai un exemple, en ce qui concerne les crues torrentielles. Nous avons engagé, après la catastrophe de Vaison-la-Romaine, un programme de lutte dans le sud de la France pour déterminer toutes les zones qui pouvaient être exposées à des risques de ce type. Des études importantes ont été lancées depuis l'été dernier et sont en train de s'achever: il est probable que leurs résultats feront mention de communes qui n'étaient pas considérées précédemment comme présentant des risques.

C'est pour ces raisons qu'il faut relativiser ces chiffres, un examen attentif aboutissant malheureusement à les réévaluer plus souvent à la hausse qu'à la baisse; mais c'est aussi pour cela que nous avons demandé que, dans chaque département, soit fait lde définir les secteurs prioritaires et de les hiérarchiser. En effet, des chiffres trop généreux englobent indistinctement aussi bien les communes où il y a des risques très importants pour les personnes que celles où peut exister un risque d'inondation relativement limité sans effet sur les personnes.

M. Guy HERMIER: Bref, si je comprends bien, il y 2.000 communes soumises à des risques importants, dont 550 ont un dispositif de prévention déjà établi.

M. Henri LEGRAND: Il y a 550 communes pour lesquelles il existe un plan d'exposition aux risques, ou un périmètre établi sur la base de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme. Le chiffre est différent si l'on inclut celles dotée de plans d'intervention type sécurité civile, ce qui est autre chose.

M. Guy HERMIER: Après les inondations de Nîmes, un rapport a été demandé à l'ingénieur général Ponton; s'est ensuite développée une polémique sur le fait que les conclusions de ce rapport, dont le but était de déterminer les communes exposées à des risques de crues torrentielles, n'avaient pas été communiquées à celles-ci, notamment Vaison-la-Romaine. Ce point appartient maintenant, hélas, à l'histoire, mais les 1.500 communes qui, selon votre estimation, peuvent encourir aujourd'hui un risque grave et ne sont pas couvertes par des dispositions de prévention, sont-elles correctement informées de la situation ?

M. Henri LEGRAND: Pour ce qui concerne le rapport dit Ponton rédigé à la suite de la catastrophe de Nîmes, il semble bien en effet que l'information ait été assez variable selon les départements. Nous souhaitons clairement qu'il y soit fortement remédié. Pour ce qui concerne le programme départemental que j'ai mentionné, la liste des communes à risques devra être dressée en étroite liaison avec les maires. Nous demandons aux préfets d'informer prioritairement ceux-ci sur le classement «à risques» de leur commune. Il en est de même chaque `fois que des dispositions sont prises ou des études faites permettant de définir des zones à risques. Par exemple, les conclusions des études qui ont été engagées à la suite de la catastrophe de Vaison-la-Romaine et les rapports qui en résultent seront évidemment communiqués à tous les maires concernés. Du reste, cela sera désormais fait de manière systématique afin qu'il n'y ait plus aucune ambigulté possible sur ce sujet. Sur les études en cours, des informations régulières sont certainement données, mais dans des conditions variables selon les endroits, et il sera procédé à une information systématique dès que les études correspondantes seront reçues, sans doute su cours de l'été. Le programme à 5 ans sera également communiqué aux maires et discuté avec eux.

Par ailleurs, d'autres mesures sont prises; après la catastrophe de Vaison-la-Romaine, le Parlement avait pris l'initiative de dispositions concernant les campings en zone dangereuse; le décret d'application, sur le point d'être publié, prévoit la définition par arrêté préfectoral des zones dangereuses pour les campings; les maires seront, là aussi, complètement informés, d'autant plus que c'est d'eux que relèvent les mesures de protection des campings.

En fin de compte, on ne peut pas dire qu'il y ait eu absence d'information. Cela dit, peut-être n'était-elle pas faite de façon suffisamment systématique, aussi essayons-nous de remédier à ce travers..

(M. Guy Hermier remplace M. Philippe Mathot à la présidence)

M. Christian KERT: Si un maire redoute qu'une inondation se produise dans sa commune, que lui, conseillez-vous en attendant que le dispositif que vous nous avez décrit soit complété et mis en place ?

M. Henri LEGRAND: Il est vrai, on l'a vu à l'automne 1992 avec la catastrophe de Vaison-la-Romaine mais aussi à l'automne 1993, qu'il existe, en particulier dans le sud-est de la France, des risques importants d'orages très forts et très localisés. L'un des problèmes posés par ces inondations de type torrentiel est que la notion de crues décennales, centennales, etc... que l'on applique aux inondations de plaines en fonction de leur fréquence de retour, est peu adaptée: les effets foudroyants et immédiats de l'évènement, rendant très difficiles les mesures de sauvegarde telle que l'évacuation, constituent une menace importante pour les personnes ; aussi la rareté de l'événement n'est pas un motif pour ne pas le prendre en compte. Contrairement au cas des risques qui ne portent que sur les biens, on ne peut pas faire un calcul de type économique comparant le coût de la prévention et le coût moyen des dommages sur une longue période, si l'on accepte qu'il y ait de temps en temps des inondations.

Par ailleurs, il faut souligner le point suivant: la chute d'un orage très brutal et dévastateur sur une ville ou un secteur déterminé n'a qu'une probabilité très faible, mais le fait qu'il tombe un tel orage quelque part dans le sud-est de la France a par contre une probabilité assez importante: cela arrive presque tous les ans. Le phénomène a donc une probabilité faible sur un point donné mais risque malheureusement de se produire assez souvent si l'on prend en compte une région assez étendue.

Pour esayer de se prémunir, on améliore les dispositifs de prévision météorologique en mettant en place des radars d'observation des pluies. A l'heure actuelle-les spécialistes de Météo France vous le diraient mieux que moi-on a atteint une capacité de prévision assez fiable, mais sur une zone large; autrement dit, on peut prévoir avec une grande certitude, avec 24 heures d'avance, s'il y a des risques importants d'orages, mais sans pouvoir prédire à quel endroit précis ils vont éclater. Dans ce domaine, la prévision météo reste donc limitée.

L'autre méthode de prévision, celle de l'annonce de crue, rencontre également très vite ses limites lorsqu'il s'agit de pluies torrentielles. Autant elle peut être efficace pour les crues de plaine se produisant sur plusieurs jours, autant c'est rarement le cas, pour les crues torrentielles, parce que le phénomène se développe beuacoup trop vite. Cependant, on peut parfois bénéficier de courtes heures de préavis. La politique de prévention dépendra donc de la configuration dans laquelle se trouve la localité concernée.

Par ailleurs, nous savons définir les zones sensibles dans lesquelles, en cas d'orage important, les conséquences peuvent être très graves. A l'intérieur de ces zones, il faut évidemment définir les secteurs plus particulièrement exposés, en particulier les campings: à Vaison-la-Romaine, la plupart des victimes étaient des usagers d'un camping.

Une fois cela posé, il faut distinguer deux cas. Si l'on dispose d'un préavis de quelques heures, il faut, dès que l'on sait que vont se produire, des orages, mettre en place un système de vigilance et d'observation afin de pouvoir déclencher l'évacuation si nécessaire. Dans le cas contraire, il faut sans doute envisager l'évacuation préventive des zones les plus sensibles dés que l'on a connaissance d'un risque d'orage important. Cela a du reste déjà été pratiqué. Ainsi, quelques jours après la catastrophe de Vaison-la-Romaine, dès que l'on a su qu'il risquait d'y avoir des orages importants le lendemain, on a fait évacuer les zones en limite de rivières. Dans certains cas, c'est sans doute la seule solution à l'heure actuelle.

M. Guy HERMIER, Président: La commission vous remercie des informations que vous lui avez apportées.

Audition du Colonel Michel MENARD

Centre d'opérations interarmées (COLA)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 22 juin 1994)

Présidence de M. Guy Hermier, Vice-Président

Le Colonel Michel Ménard est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, le Colonel Michel Ménard prête serment.

Colonel Michel RENARD : Je me propose, dans un premier temps, de vous rappeler les textes qui facilitent la coopération militaire dans le cadre de la Défense civile, d'autre part, l'organisation territoriale mise en place dans le cadre de l'Armée 2000 et enfin, je vous présenterai quelques exemples concrets sur les inondations qui se sont déroulées pendant l'hiver.

Les principaux textes qui régissent notre participation sont l'arrêté du 11 décembre 1992 relatif à la Défense militaire terrestre -terme qui sera transformé un peu plus tard en Défense terrestre-, la directive pour la planification de l'emploi des forces en Défense militaire terrestre, enfin, la directive pour l'emploi des forces armées que nous appelons la directive 250.

Je m'arrêterai un instant sur l'arrêté du 11 décembre 1992, dont j'ai extrait à votre intention trois articles. L'article permier dispose que .Dans le cadre de la Défense militaire terrestre, la coordination de l'action des forces armées et des organismes relevant du ministre chargé des armées est assurée sans discontinuité du temps normal à la mise en _uvre des mesures de défense opérationnelle du territoire dans les conditions précisées aux articles suivants du présent arrêté».

Ce qui est important dans ce texte, c'est qu'il n'y a pas de discontinuité entre le temps normal et le temps d'une crise. Tous les centres opérationnels sont en mesure d'intervenir à chaque instant en fonction du degré de gravité d'une crise.

Le texte dispose ensuite que: .Pour la mise en application des mesures de défense civile, les forces armées et les organismes concernés agissent conformément aux objectifs définis par l'autorité civile chargée de l'ordre public, après réquisition ou demande de concours..

Aux termes de l'article 2 .dans le cadre de leur mission de service public, les armées participent à la défense civile. Pour l'exécution de cette mission et sauf désignation d'une autre autorité par le Chef d'état-major des armées, le Général commandant la circonscription militaire de défense ou le Général commandant militaire de Ille de France est l'interlocuteur privilégié de l'autorité civile et coordonne lutilisation des moyens des armées auxquels il est fait appel».

Enfin, l'article 5 prévoit qu'en cas de circonstances exceptionnelles, telles qu'une catastrophe naturelle ou une catastrophe technologique, «le commandant de la CMD est habilité à exercer au plan militaire la coordination des formations stationnées ou implantées sur le territoire de sa circonscription..

Les modalités d'engagement des forces armées sont, comme je l'ai indiqué, régies par deux textes: l'instruction interministérielle du 18 janvier 1984 et la circulaire n 16 350 du 30 octobre 1981 relative à la participation des armées à des activités ne relevant pas de leurs missions spécifiques. Aux termes de ces textes, deux modes d'engagement sont prévus. Il s'agit tout d'abord des réquisitions qui concernent principalement la participation des armées su maintien de l'ordre et à certaines opérations de secours non planifiées.

II s'agit ensuite des concours, qui concernent la participation des militaires en renfort ou en remplacement des services publics de l'Etat normalement compétents, notamment dans le cadre de certaines opérations de secours.

La demande de concours est faite par écrit. Elle doit être motivée, elle doit préciser la nature, la durée présumée de l'intervention et l'importance du concours demandé.

La demande est instruite par les autorités territoriales. Si le préfet donne un avis défavorable, la demande est rejetée par l'autorité militaire. En effet, il n'y a pas que le préfet qui puisse faire une demande de concours.

S'il s'agit du remplacement d'un service public, en cas de grève en particulier, la demande est adressée directement au ministre de la Défense à qui il appartient de prendre la décision.

Les demandes de concours font l'objet d'une convention lorsqu'il s'agit de personnes physiques ou morales autres que l'Etat ou d'un protocole d'accord lorsqu'il, s'agit des services de l'État passé entre les armées et le bénéficiaire de la prestation, préalablement à son exécution.

En cas d'urgence, s'il est impossible d'établir ce protocole ou cette convention préalablement à l'exécution de la prestation, il est alors demandé au bénéficiaire de s'engager par écrit à rembourser les armées. Seul le ministre de la Défense est habilité à faire une cession gratuite ou à prévenir qu'il n'y aura pas de remboursement des dépenses occasionnées aux armées.

Voilà pour les textes qui régissent la participation des armées à la défense civile.

Je voudrais rappeler que la Défense civile organise l'effort de la Nation dans les actions de sécurité et de solidarité. Ces missions sont normalement dévolues su ministre de l'Intérieur qui dispose de moyens propres, tels que la Sécurité civile et la Police nationale. Parallèlement, le ministre de la Défense apporte son concours de façon permanente, avec les forces de la Gendarmerie nationale, et les unités spécialisées telles que les sapeurs-pompiers ou les marins-pompiers ainsi que les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile qui sont des moyens militaires mis à la disposition du ministère de l'Intérieur. Enfin, le ministre de la Défense apporte, lors de circonstances exceptionnelles, son soutien pour faire face aux catastrophes naturelles ou technologiques ou lors de menaces graves contre l'ordre public.

Les armées sont donc le dernier recours, mais surtout également la seule organisation permettant de mobiliser à grande échelle des moyens et des effectifs importants.

Je rappellerai brièvement l'organisation militaire territoriale. Le territoire métropolitain est découpé en neuf circonscriptions militaires de défense

Lille, Metz, Besançon, Lyon, Marseille, Bordeaux, Limoges, Rennes et, enfin, l'Ile de France avec Paris. La France est découpée en deux régions maritimes dont le commandement se trouve installé â Brest et à Toulon.

Enfin, la France est découpée en trois régions aériennes, région de Paris-Villacoublay, région atlantique et la région Méditerranée.

Je voudrais maintenant mettre en parallèle l'organisation du ministère de l'Intérieur et celle du ministère de la Défense.

Dans les armées, nous avons un système hiérarchique pyramidal en partant du sommet vers la base, le ministre de la Défense; l'Etat-Major des Armées, qui est un état-major opérationnel pour tout ce qui est engagement en cas de crise, avec le Centre opérationnel interarmées, qui gère l'ensemble des crises; au niveau de la zone de défense, le Général commandant la circonscription militaire de défense (CMD), qui peut armer un centre opérationnel de crise; enfin, su niveau départemental, le délégué militaire départemental, qui représente le général commandant la CMD et qui est également le conseiller technique des armées auprès du préfet de département.

Le système civil dépendent du ministère de l'Intérieur n'est pas hiérarchique au sens strict dans la mesure où un préfet de département n'est pas subordonné à un préfet de zone mais est directement sous les ordres du ministère de l'Intérieur.

S'il y a de nombreuses relations entre les préfets de zone et les généraux commandant les CMD, qui se connaissent, qui participent aux mêmes réunions, concernant le département, les préfets de département n'ont, eux, qu'un conseiller, lequel conseiller militaire n'a pas la connaissance de tous les moyens ni la possibilité de les employer.

Une harmonisation et une bonne coordination sont donc nécessaires entre le Général commandant la CMD et le préfet du département. C'est su Général de prendre contact avec tous les préfets dans la zone de défense.

En cas de crise dans un département, la demande de concours émane du préfet du département qui s'adresse su délégué militaire départemental, celui-ci la transmettant au général commandant la CMD.

Si la crise couvre plusieurs départements, comme cela a été le cas pour les inondations de l'hiver dernier, c'est le préfet de zone qui fait la demande de concours.

Le Général commandant une circonscription militaire de défense peut répondre favorablement à toutes les demandes de concours à l'exception de celles qui concerneraient l'emploi d'hélicoptères ou la fourniture d'engins blindés. La décision autorisant l'emploi d'hélicoptères est du ressort du ministre de la Défense, la raison essentielle tenant à un problème de contentieux. Pour éviter tout litige, en particulier en cas d'accident, il faut que tous les passagers qui n'appartiennent pas aux forces armées aient été autorisés à emprunter un aéronef militaire.

Quant aux engins blindés, l'autorisation est donnée par le Premier ministre. En effet, un engin blindé n'est pas obligatoirement un char de combat, il peut être également un engin de dépannage ou de levage. Mais un véhicule de dépannage monté sur chenilles est perçu avant tout comme un .char., d'où sa restriction d'emploi.

Pour répondre aux demandes de concours des préfets, il existe, endehors des heures de service, un système d'alerte par CMD. Nous disposons d'un certain nombre de sections, d'environ 30 hommes, en mesure d'intervenir sur l'ensemble du territoire de la CMD en moins de 6 heures.

Parallèlement à ces sections, il y a également un élément de l'aviation légère de l'Armée de terre, c'est-à-dire un ou deux hélicoptères, des éléments du Génie, un élément de dépannage et un élément de transport.

Je vais maintenant préciser l'organisation du commandement civil et militaire au niveau départemental en défense civile.

Lorsqu'une crise survient dans un département, le préfet met sur pied soit un centre opérationnel de défense, soit une cellule de crise qui, au départ, peut ne comporter que deux ou trois personnes, puis se développer selon l'ampleur de la crise.

Le rôle du colonel délégué militaire départemental est alors de conseiller le préfet, de prendre en compte ses besoins et de les transmettre au général commandant la CMD.

Dans de telles situations, sont mis en place un PC civil à base d'unités de sécurité civile ou de pompiers, ou encore d'autres moyens, ainsi qu'un PC de l'armée de terre ou un PC interarmées en fonction de la gravité de la crise.

Il faut noter que le Colonel ou le Général délégué militaire départemental ne peut pas commander ce PC : en tant que conseiller du préfet, il ne peut avoir les deux casquettes. Cette fonction est assumée par un élément de l'état-major de la CMD désigné par le général la commandant. Celui-ci reçoit une mission de coordination interarmées, c'est-à-dire qu'il peut s'adresser aux officiers généraux commandant une région aérienne ou une région maritime, et qu'il a aussi compétence à l'égard des établissements de la Délégation générale de l'armement.

Pour en venir plus précisément aux inondations, j'ai préparé cinq transparents (Ces documents figurent en annexe du présent procès-verbal).

Sur le premier transparent, figurent les départements sur lesquels nous sommes intervenus, ainsi que le nombre de personnels qui ont participé à la lutte contre les inondations, l'hiver dernier, par CMD. II faut noter que seule la CMD de Besançon n'est pas intervenue, et que c'est celle de Marseille qui a fourni le plus de personnels parce qu'il y a eu trois crises successives dans cette zone. Le total de l'ensemble des personnels militaires qui ont été déployés sur le terrain s'élève pour 9 jours d'intervention - en octobre et décembre 1993 et en janvier 1994 -à 9.015.

Le transparent suivant présente une estimation financière des coûts par circonscription militaire de défense. Nous arrivons à un total de 9,2 millions de F., uniquement pour les inondations, étant entendu, je vous le rappelle, que toutes nos prestations sont sujettes à remboursement.

Comme vous le voyez, la facture concernant la CMD de Marseille est très élevée - 8,1 millions de F.-, en raison de l'emploi de nombreux hélicoptères, en particulier en Camargue pour colmater un certain nombre de digues.

Je précise que toutes ces factures sont établies sur la base de textes officiels.

Avec les deux transparents suivants, j'ai tenu à vous montrer la différence de l'intervention des militaires dans la CMD de Lille et dans celle «Ille de France.

Le 23 décembre, en raison des crues dans la CMD de Lille, principalement dans les départements de l'Oise, de l'Aisne et du Nord, les préfectures ont formulé une demande de concours, et les armées ont fourni environ 150 personnes. On a pu noter ensuite une certaine diminution dans les demandes, puis à nouveau, le 29 décembre, une forte demande - c'est le jour où l'armée a été le plus utilisée.

L'intervention des armées a été différente dans la CMD de Ille de France, l'arrivée des crues y ayant été beaucoup moins brutale, puisque, avant d'arriver en région parisienne, elles étaient déjà dans l'Oise. La montée des demandes de concours a donc été progressive, son point culminant s'étant situé le 7 janvier.

Je signale une originalité dans les demandes de concours formulées par le préfet de police: nous avons fourni non seulement des personnels, mais également des matériels - P4 et Zodiacs - pour assurer des patrouilles mixtes avec la gendarmerie - en jeep ou fluviales - afin de protéger certaines habitations évacuées.

Le dernier transparent vous montre l'organisation du commandement déployé par la CMD de Marseille pendant les inondations en Camargue. La CMD de Marseille a délégué sur le terrain, en Camargue, un PC tactique auquel s'est joint un détachement de liaison de l'ALAT, car ont été engagés de nombreux hélicoptères appartenant à l'Armée de terre, à la Marine et à l'Armée de l'air.

Enfin, à ce PC tactique, on peut rattacher un détachement de liaison du Génie, ainsi que l'officier chargé de la communication régionale notamment avec la presse.

Le général commandant la CMD de Marseille était, d'une part, en liaison permanente avec les trois commandements : Toulon pour le commandement en chef en Méditerranée, Aix-les-Milles pour le commandement de la région aérienne Méditerranée, et la circonscription de gendarmerie; il était d'autre part en liaison permanente avec le préfet de zone, qui est en même temps préfet des Bouches-du-Rhône et avec le Centre interrégional de coordination de la sécurité civile (CIRCOSC) de Valabre.

Au niveau inférieur, le PC technique était, lui, en liaison avec le PC civil déployé sur le terrain. Ce PC civil comportait une cellule de coordination à la sous-préfecture d'Arles et auprès du Centre opérationnel départemental d'incendie et des secours (CODIS) d'Arles.

Mme Thérèse AILLAUD: Je voudrais vous dire que, sur le terrain, j'ai beaucoup apprécié l'intervention des hélicoptères, qui ont permis de colmater certaines brèches.

Néanmoins, ce qui s'est passé en Camargue l'hiver dernier a bien démontré que la mise en _uvre de l'intervention de l'armée était longue et compliquée, même si l'expérience des inondations d'octobre nous a permis de mieux réussir les opérations de secours lors de celles de janvier.

Ne serait-il dont pas possible d'envisager une convention qui prévoirait l'intervention immédiate de l'armée chaque fois que cela serait nécessaire ?

Colonel Michel MIGNARD : Madame le Député, pour répondre à votre question, je dirai qu'il y a deux sortes d'interventions. En cas d'urgence, tout d'abord, l'autorité militaire locale est habilitée, dans la mesure des moyens à sa disposition, à fournir immédiatement des moyens.

Je prendrai l'exemple tout d'abord des inondations dans la région de Noyon, où un régiment est implanté. Le colonel a réagi, sans attendre l'établissement d'une convention, il a immédiatement fourni ses moyens et les papiers n'ont été rédigés qu'après.

Chaque fois qu'il y a urgence ou danger, nous intervenons le plus rapidement possible. Encore faut-il le savoir. Nous avons donc besoin de renseignements préalables. Il faut à cet égard noter une amélioration de l'information, qui a fait suite à la demande des généraux commandant les CMD d'être renseignés sur un danger -étant entendu que ce n'est pas possible lorsque survient une catastrophe naturelle -.

Prenons l'exemple de Vaison-la-Romaine. Nous avons d'abord été alertés par le CODIS de Levallois-Perret qui nous a demandé des hélicoptères pour une intervention d'urgence. Nous avons alors renvoyé l'information vers la CMD de Marseille en demandant si les responsables étaient au courant qu'il se passait quelque chose dans leur secteur. Il nous a alors été répondu qu'ils ne l'étaient pas. Dans ce cas, l'information a donc suivi un cheminement inverse à la normale, puisqu'elle est partie d'en haut pour redescendre sur le terrain.

Nous avons des hélicoptères qui sont en alerte permanente pour intervenir en cas de disparition d'un aéronef. Cela étant, il n'y a pas de régiment d'hélicoptères partout. En outre, les armées sont engagées à l'extérieur. Il est donc difficile d'envisager qu'une autorité militaire locale puisse donner ordre à un régiment d'hélicoptères de décoller tout de suite. La seule autorité militaire qui est à même de connaître l'ensemble des moyens disponibles à un instant donné est le général commandant la CMD. C'est pour faire comprendre ces contraintes et améliorer le fonctionnement des procédures que le ministre de l'intérieur est intervenu auprès de tous les préfets pour présenter notre organisation et que le chef d'Etat-Major des armées a demandé aux généraux commandant les CMD d'avoir des relations plus étroites avec les préfets des différents départements de leur zone de défense.

Pour en revenir à votre question relative à l'éventualité d'une convention permanente, il me parait difficile, étant donné le petit nombre de nos régiments d'hélicoptères de maintenir un régiment en alerte en permanence, en vue d'une catastrophe évcntuellc. En revanche, dès l'annonce d'une catastrophe ou dès l'arrivée de renseignements, on peut mettre en pré-alerte ces hélicoptères. Cela a été le cas lors de la deuxième intervention en Camargue. Marseille, qui avait une certaine expérience, a pu réagir encore plus vite.

Il faut reconnaître que ce n'est qu'au fur et à mesure que nous serons su contact de telles calamités que nous pourrons adapter notre système d'intervention.

A l'heure actuelle, la CMD qui a le plus d'expérience, malheureusement, dans ce domaine, est celle de Marseille, qui a eu un certain nombre de catastrophes à gérer, tant en Corse qu'en Camargue ou dans le Vaucluse. Aussi a-t-elle été amenée à .plancher. devant les autres commandants de CMD, pour leur faire partager les leçons de ces expériences.

Enfin, je vous indique qu'en matière d'incendies de forêts, nous avons conclu une convention triennale concernant les incendies dans le sud-est et en Corse. Chaque année, de juin à septembre, nous détachons un certain nombre d'unités. S'y ajoutent un ou deux hélicoptères qui sont en alerte en permanence et des véhicules, de façon à rendre très mobiles les sections d'intervention mises en place pendant l'été.

M. Rémy ROUSSIN : En Charente, nous avons subi deux inondations, en 1982 et en 1993. En 1982, l'inondation a été relativement subite, rapide, et importante. En 1993, la montée a été plus progressive. Dans ce dernier cas, le Préfet n'a eu aucune difficulté à mettre l'armée en alerte car les besoins étaient connus assez à l'avance.

En 1982, en revanche, le délai de réaction de l'armée a été relativement long, comparé au caractère immédiat de l'intervention des pompiers puisqu'il a fallu su moins une bonne journée pour que tout se mette en place. C'est grave en cas de montée aussi subite.

Colonel Michel MENARD : Actuellement, sur le territoire de la métropole, il n'y a plus de répartition géographique des unités, le nouveau concept appliqué maintenant est celui de la projection à l'intérieur du territoire. Dans un département où sont implantés un certain nombre de garnisons, le délégué militaire départemental ou le préfet ne savent pas, à un instant donné, si les personnels sont dans leur quartier, en séjour en camp, envoyés en renfort en Yougoslavie ou en unités tournantes dans les DOM-TOM, ce qui peut expliquer qu'il y sit parfois un délai de réaction.

M. Pierre-Rémy HOUSSIN : Dans mon département, il y a une base aérienne extrêmement importante où sont présentes en permanence 2.000 personnes. Il pourrait donc y avoir une réaction très rapide, car ils ne sont pas en mission.

M. le Rapporteur: Les unités de la sécurité civile sont-elles incluses dans les statistiques que vous nous avez communiquées ?

Colonel Michel MENARD : Non, car elles dépendent du ministre de l'Intérieur et nos statistiques ne portent que sur les unités dépendant des Armées.

M. le Rapporteur: S'agissant du coût des opérations, les communes ont-elles eu à financer une partie des sommes dont vous avez fait état ?

Colonel MENARD : Non, je ne pense pas. Les chiffres que je vous si donnés résultent d'une estimation qui a été faite par chaque CMD, qui a calculé notamment les frais de déplacement et d'emploi des hélicoptères.

M. le Rapporteur: Je ne pense pas que vous puissiez me fournir toute de suite le réponse à la question que je vais vous poser maintenant, mais je vous demanderai de me l'adresser par écrit.

Je voudrais savoir quel a été exactement le coût du colmatage de la digue en Camargue par hélicoptères.

Je vous explique pourquoi. Je suis député du Vaucluse, département dans lequel des digues se sont également rompues. Elles ont été réparées par camion. Certes, c'est moins spectaculaire, mais les pouvoirs publics ont passé leur temps à noua expliquer que c'était beaucoup plus efficace.

A cet égard, un responsable que nous avons reçu ici, a insisté sur le fait qu'il était nécessaire de prévoir la possibilité pour les véhicules de passer sur les digues, ce qui n'existe pas toujours.

J'aurais donc aimé connaître le coût d'une opération de colmatage par hélicoptères, sachant qu'il aurait pu être économisé si les digues avaient été calibrées pour le passage des véhicules. Voilà la raison de ma question.

Colonel Michel MENARD : Je ne peux pas vous répondre sur ce point, en effet, mais je demanderai les informations à Marseille et vous les transmettrai.

L'action des hélicoptères sur les digues de Camargue a peut-être été spectaculaire, mais je crois quand même me souvenir que le bataillon du Génie de l'armée de l'air a construit une digue d'accès précisément pour permettre l'utilisation plus rapide de gros camions-bennes qui, charriant les débris beaucoup plus rapidement, sont parvenus à colmater les digues. Le transport par hélicoptère ne pouvait se faire que sous élinguage pour un poids de 500kg à une tonne.

M. le Rapporteur: Ne voyez dans mes propos aucune critique de l'opération, je souhaite simplement avoir les éléments statistiques de façon à faire des comparaisons de coût.

Colonel Michel MENARD : Je n'ai pas pris votre question comme une critique. Dans un premier temps, on a pensé que l'on pouvait parvenir à colmater avec les hélicoptères, car il y avait des difficultés d'accès pour les camions. Puis les pouvoirs publics et la direction départementale de l'Equipement ont d8 s'apercevoir que la noria serait trop longue et qu'il fallait procéder autrement. C'est pour cette raison sans doute qu'une voie d'accès a été aménagée.

Mme Thérèse AILLAUD: C'est tout à fait cela. Si les Puma sont entrés en action en octobre, c'est parce qu'il n'y avait aucune voie d'accès et donc aucun autre moyen de colmater la brèche de la digue de Figaris. Mais il est vrai que cela a coùté un certain prix. On en a donc tiré la conclusion qu'il fallait pour l'avenir constuire des voies d'accès permettant aux véhicules d'arriver jusqu'aux brèches.

Concernant le financement, je précise que les municipalités ont parfois fait l'avance des fonds, même si elles ont été remboursées ensuite. Ainsi à Tarascon, nous avons dû payer une facture à l'armée, qui nous a été remboursée, certes, mais nous avons quand même fait un débours.

M. le Rapporteur: Sur quelle période exactement sont établies les statistiques que vous nous avez communiquées, notamment celles sur le nombre de personnels militaires participant aux opérations ? Ma question a pour but de savoir si elles incluaient les inondations de septembre et octobre 1993.

Colonel Michel MENARD : Oui, oui. Je vous ai indiqué un total global par circonscription militaire de défense. Les dates de référence ne sont pas les mêmes pour toutes, mais je pourrai vous les communiquer.

M. le Rapporteur: Merci.

S'agissant maintanant de ce qui s'est passé à Vaison-la-Romaine, je voudrais savoir à quelle heure précisément l'armée a été alartée. La question est importante, car une trentaine de personnes qui étaient bloquées sur les toits sont mortes parce qu'aucun hélicoptère n'a pu arriver assez rapidement.

Colonel Michel MENARD : Aujourd'hui, je ne peux pas vous répondre. Comme je vous l'ai déjà dit, je me trouvais au Centre opérationnel à ce moment-là, et nous avons été alertés par le Centre opérationnel de la sécurité civile de Levallois Perret. Si je me souviens bien, le premier hélicoptère qui avait été demandé l'avait été pour transporter des personnels de la sécurité civile et du matériel, parce qu'il se passait quelque chose dans le département du Vaucluse. Et ce n'est qu'en coure de route que l'hélicoptère a été dérouté de sa mission initiale pour porter secoure aux personnes réfugiées sur les toits.

M. te Rapporteur: Personnellement, je n'étais pas sur place au moment des faits, mais on a beaucoup entendu dire qu'il y avait des hélicoptères de la protection civile à Vaison-la-Romaine -vrai ou faux, je n'en sais rien. En tout cas, il est exact qu'entre le moment où les premiers hélicoptères sont arrivés et où certaines personnes sur les toits ont disparu avec leur maison, il s'est écoulé un certain temps et qu'il aurait été possible, avec des moyens héliportés plus rapides, de sauver une vingtaine ou une trentaine de personnes.

J'aurais donc voulu connaître exactement le temps qu'il a fallu aux premiers hélicoptères pour arriver sur place, car il vaut mieux avoir une réponse précise que se fier aux nombreux bruits qui circulent dans ce genre de circonstances.

M. Yves ROUSSET-ROUARD: N'est-il pas possible d'utiliser les objecteurs de conscience à des lèches de sauvetage en cas d'incendie, d'inondations, etc. ?

Colonel Michel RENARD : Je ne suis pas compétent pour vous répondre sur ce point.

M. Yves ROUSSET-ROUARD : Ma question revient à savoir s'il existe des corps particuliers qui peuvent être utilisés spécifiquement pour les causes humanitaires, les incendies, les inondations ou autres catastrophes naturelles.

Colonel MENARD : Les corps particuliers qui existent sont les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile. Il y en a quatre actuellement, dont une en Corse. Mais je ne pense pas qu'il y ait d'objecteurs de conscience dans ces unités.

M. Guy HERMIER, Président : Mon Colonel, si j'ai bien compris, malgré la complexité des procédures en cas d'urgence, l'autorité militaire peut intervenir tout de suite ?

Colonel MENARD : Oui, la décision étant alors prise par le général commandant la CMD, qui n'a toutefois pas le pouvoir de faire intervenir les hélicoptères. Dans le cas des inondations de l'hiver dernier, lorsque le général était saisi d'une demande venant du préfet, il agissait à la fois vers le haut et vers le bas: il mettait les hélicoptères en pré-alerte, et il me téléphonait pour que l'autorisation officielle soit demandée au ministre. Tout cela se passait très vite, et ainsi on a pu gagner du temps.

M. Guy HERMIER, Président : Il semble qu'il y ait un problème de liaison entre les autorités civiles et les autorités militaires, puisque dans le cas de Vaison-la-Romaine, vous avez été averti par Paris et non pas par les autorités locales. II y a donc manifestement un problème de liaison entre les autorités civiles et militaires sur le terrain. Sans doute faut-il même envisager une amélioration des procédures au sein même de fermée.

Par exemple, il y a des moyens notamment en avions et parfois en hélicoptères, en permanence, pour les feux de forêt; ne peut-on pas imaginer sur le modèle de ce qui existe en matière de lutte contre les incendies-que dans des régions qui sont régulièrement sinistrées et où les crues, torrentielles, ne peuvent être prévues, qu'un certain nombre de moyens lourda soient en permanence en préalerte de façon à pouvoir intervenir très rapidement ?

Colonel Michel MENARD : Il pourrait y avoir un protocole d'accord établi à la demande du ministre de l'Intérieur, comme pour les feux de forêt. Mais c'est à un autre ministère d'en faire la demande.

M. Guy HERMIER, Président: Concernant l'organisation actuelle de l'armée, vous parlez de projection sur le territoire; c'est-à-dire que ce sont des moyens qui se déplacent ? Lorsque vous évoquez le concept de projection sur le territoire à propos de l'organisation de l'armée, cela signifie-t-il que les moyens se déplacent?

Colonel Michel RENARD : Oui, c'est cela.

M. Guy HERMIER, Président: Mais dans la zone Méditerranée, il y a suffisamment de forces pour intervenir, elles pourraient donc être mises en préalerte durant les périodes où il y a des risques d'inondation.

Colonel Michel MENARD -Cela peut être étudié, Monsieur le Président.

En ce qui concerne la répartition des hélicoptères, je vous rappelle que dans le cadre des missions SAR, certains sont déjà en alerte pour le sauvetage en mer et pour le cas de .crash. d'un aéronef, sachant que, dans ces cas, les moyens militaires sont directement mis en _uvre par les autorités civiles.

M. Guy HERMIER, Président: 11 y a tout de même bien un problème: s'il y a des moyens pour le sauvetage en mer ou pour un .crash. d'avion, cela vaudrait la peine de réfléchir à la possibilité d'un dispositif identique pour les inondations, qui sont plus fréquentes.

M. le Rapporteur: Quand la chaîne d'alerte se met en _uvre, cherche-t-on les moyens nécessaires seulement dans la circonscription à laquelle appartient la commune concernée, ou recherche-t-on si l'intervention de moyens en provenance de la circonscription voisine pourrait être plus rapide ? Je pose cette question en pensant au cas de Vaison-la-Romaine, qui relève de la circonscription de Marseille, mais qui, étant à l'extréme nord du Vaucluse, est toute proche de la circonscription de Lyon.

Colonel Michel MENTEURS : Je ne peux voua répondre, mais je pense qu'un général commandant une CMD doit y penser. En effet, dès qu'il nous fait part d'une demande de concours, formulée par un préfet, l'état-major des armées lui adresse un message particulier lui donnant une mission de coordination interarmées.

Ce message est également adressé aux généraux commandant les circonscriptions voisines. A supposer qu'ils n'aient pas été informés par l'état-major de la CMD concernée, ils le sont donc par ce message.

Il en va de même pour le préfet de zone de défense et les préfets des départements concernés qui sont également destinataires de ce message. Ils savent ainsi qui est l'autorité unique responsable de le coordination pour la mise en _uvre des moyens.

Dans le cas particulier de votre département, il n'est pas certain que les moyens de Lyon auraient pu intervenir plus rapidement, car il n'y a pas d'unité constituée dans chaque département.

M. le Rapporteur: Mon Colonel, pourrez-vous nous communiquer les chiffres des engagements en moyens militaires pour la CMD de Marseille en septembre et octobre 1993 ainsi qu'en janvier 1994 ?

Colonel Michel MENARD : Oui, bien sir.

M. Guy HERMIER, Président: Mon Colonel, nous vous remercions pour toutes les précisions que vous avez apportées.

Audition de M. Jacques LECORNU

Directeur de l'exploitation de la

Compagnie nationale du Rhône (CNR)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 22 juin 1994)

Présidence de M. Guy Hermier, Vice-Président

M. Jacques Lecornu est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions dénquite lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jacques Lecornu prête serment.

M. Jacques LECORNU : Je voudrais, en quelques mots, présenter le travail et les missions de la Compagnie nationale du Rhône, décrire plus particulièrement le fonctionnement des aménagements du Rhône en période de crue, au sujet duquel les interprétations les plus diverses ont été faites, puis revenir très sommairement sur les grandes crues d'octobre 1993. Quant aux éléments d'une politique de prévention, je préfère répondre à vos questions plutôt que voua exposer d'emblée mes positions sur cette très importante question.

La Compagnie nationale du Rhône est une société d'intérêt général créée par la loi en 1921 pour aménager le Rhône selon trois objectifs: production d'énergie électrique, développement de la navigation et aménagement hydroagricole, en liaison avec l'agriculture, tant pour l'assainissement que pour la mise en valeur des terres par irrigation.

La protection contre les crues ne fait pas explicitement partie des missions de la CNR, mais il va de soi qu'à aucun moment ses aménagements ne doivent provoquer une aggravation de la situation. A chaque étape de construction, ce point fait l'objet de vérifications sous la surveillance de l'autorité de police, et tous nos projets ont été approuvés par les administrations de tutelle, c'est-à-dire le ministère de l'industrie et le service de navigation Rhône-Saône, chargé de la police des eaux du Rhône. De plus, lors de la construction de chaque ouvrage, dans le cadre des enquétea et des procédures d'approbations des dossiers d'exécution, les collectivités locales ont posé de nombreuses questions et demandé certaines améliorations concernant la protection des crues.

Un schéma d'ensemble a ainsi été élaboré et mis en place au cours du temps, qui comprend aujourd'hui, de la frontière suisse à la mer, une chaîne de dix-huit aménagements.

Le Rhône est ainsi totalement aménagé sauf sur une petite zone à son extrémité proche de la frontière suisse ainsi que sur un secteur d'environ ?0 km de long à l'amont de Lyon, pour lequel il n'y a encore que des projeta.

Comment fonctionne un aménagement?

Un aménagement concerne un tronçon de Rhône, en général d'une vingtaine de kilomètres. Dans la partie amont du tronçon, on a procédé à un endiguement assez large du lit du fleuve -c'est la retenue-; puis parallèlement au coure naturel du fleuve, on a prolongé cette retenue par un canal de dérivation, dit canal d'amenée, à l'extrémité duquel on a installé l'usine et l'écluse ; enfin, pour faire communiquer, en amont de l'usine, la retenue et l'ancien cours du fleuve, on a construit un ouvrage que l'on appelle barrage, mais qui, en fait, est un évacuateur de crues.

Le fonctionnement du système est tout simple: en régime normal des eaux, c'est-à-dire d'eaux plutôt faibles, on dérive le débit du Rhône dans le canal d'amenée et on le fait passer su travers de l'usine pour lui faire produire de l'électricité, et ne laisser passer dans le vieux lit du Rhône, dit Rhône courtcircuité, que le débit dit réservé, pour la salubrité, les poissons, la dilution des effluents.

Bien entendu, la capacité d'absorption de l'usine est limitée. Pour des raisons économiques, on l'a, en général, calée au débit atteint neuf mois par an. Quand le débit du Rhône augmente, dans un premier temps, on sature l'usine. Arrive alors le moment où le débit dépasse sa capacité; comme la retenue ne dispose pas de capacité de stockage, il faut évacuer ce surplus en le faisant passer dans l'ancien Rhône par l'évacuateur de crues. Ainsi, c'est par le lit traditionnel que le surplus va s'écouler. A Vallabrègues par exemple, qui est le dernier aménagement au Sud, la capacité de l'usine est de 2400 m3/seconde ; or le débit de la crue a dépassé les 10.000 m3/seconde (9.800 m3/seconde au mois d'octobre et plus de 11.000 au mois de janvier. Au moment de la pointe de crue, 1/4 seulement du débit passait par l'usine, les 3/4 restants par le Rhône court-circuité. Ainsi, plus la crue est forte, plus le lit naturel du Rhône retrouve sa fonction naturelle d'évacuer la crue.

Ce système a évidemment des conséquences sur l'inondation et sur le comportement des riverains.

Regardons d'abord ce qui se panse aux alentours de la retenue. La retenue est endiguée - il y a, au total, sur l'ensemble du Rhône, en additionnant les deux rives, 360 km de digues - les digues étant insubmersibles, car on ne peut pas prendre le risque de les laisser être emportées par le flot. La retenue a donc pour effet d'éviter l'inondation des parties riveraines, les digues protégeant les terrains situés derrière elles.

Certaines zones sont néanmoins gardées inondables. Il y en a quatre dans la vallée du Rhône, dont celle de Vallabrègues. Dans ces cas-là, des déversoirs spéciaux sont aménagés de façon à permettre le débordement. C'est notamment le cas à Vallabrègues et à Valence.

Intéressons nons ensuite aux rives du vieux Rhône. On a vu que le débit qui passe par le vieux Rhône est le débit total diminué de celui qui passe par l'usine. L'aménagement, dans son fonctionnement, apporte donc aux rives du vieux Rhône une certaine protection, puisque le débit que celui-ci reçoit est plus faible que le débit total d'autrefois; cependant cette protection n'est pas complète, et au fur et à mesure que la crue augmente, devient de plus en plus marginale, puisque le débit passant par l'usine est fixe et ne représente qu'une petite fraction du débit total.

Enfin, à partir du confluent du vieux Rhône et du canal dit de fuite, qui restitue au Rhône l'eau turbinée par l'usine, le fleuve récupère la totalité du débit. Dans ces zones de .restitution. les conditions d'inondabilité sont quasiment identiques à ce qu'elles étaient avant l'aménagement.

Après aménagement, la vallée présente donc des situations assez contrastées: derrière les digues insubmersibles, la protection est totale; derrière les digues submersibles, elle est partielle, c'est-à-dire que l'inondation n'a lieu que pour certains niveaux très élevée de crues; le long du vieux Rhône, elle est partielle également, selon l'importance de la crue par rapport su débit total; enfin, dans les autres secteurs, il n'y a aucune protection.

Ainsi, en période de crue, des surfaces importantes sont inondées. C'est ce qui s'est passé aussi bien en octobre 1993 qu'en janvier 1994, environ 20.000 hectares de zones inondables, répertoriées comme telles, ayant été submergés dans la vallée du Rhône - hors Camargue - Ces zones se trouvent surtout le long des restitutions ou du lit du vieux Rhône. Je citerai notamment la zone du Rhône court-circuité de Donzère-Mondragon où lors de chaque épisode de crue, près de 10.000 hectares ont été submergés.

Voilà comment fonctionnent nos aménagements; je pense que cela méritait que l'on s'y attarde un peu.

Concernant les crues d'octobre 1993 et janvier 1994, l'événement essentiel qui les caractérise sont les apports tout à fait considérables reçus par le bassin.

Sur une carte de Météo France montrant les précipitations survenues les 5 et 6 janvier, on voit ainsi plusieurs zones dent le centre a reçu pendant cette période de 200 à 300 mm d'eau, alors que les précipitations annuelles y sont de 600 à 800 mm. Ces territoires ont donc reçu en quelques jours des cumula de précipitations correspondant au tiers du total annuel. Si l'on songe que les précipitations tombées sur Nîmes ou Vaison-la-Romaine, lors des catastrophes qui s'y sont produites, étaient aussi en leur centre de 300 à 400 mm, on voit que la crue de janvier résulte du cumul, sur le bassin du Rhône, de cinq à six épisodes de ce type. L'origine des phénomènes est donc les précipitations exceptionnelles reçues par le bassin: c'est bien la pluie qui fait la crue.

Naturellement, tout cela s'est traduit par des écoulements: sur un graphique retranscrivant la crue de janvier du Rhône au fil des différentes stations hydrologiques, dont Beaucaire et Viviers, on peut observer deux bosses elles correspondent aux deux crues survenues respectivement vers le à janvier et le 11 ou 12 janvier. L'analyse de la hauteur d'eau par station permet de constater que la crue n'a pas été provoquée par les affluente d'amont, mais au contraire par les affluents cévenols et surtout-c'est (énorme pointe enregistrée à Beaucaire par la Durance.

On ne peut pas analyser des crues sans se référer à l'histoire. De fait, nous disposons des enregistrements des crues, depuis 150 ans pour la station de Beaucaire, depuis plus de BO ans pour celle de Viviers et depuis un peu moins longtemps pour celle de Valence. Comparée aux crues historiques de 1856 et 1886, celle enregistrée à Beaucaire en janvier 1994, constitue la deuxième crue connue, ce qui nous fait dire qu'elle a une fréquence de retour de cent ans.

On pourrait également souligner l'importance des volumes qui ont transité dans ces épisodes de crues. J'ai insisté sur le cumul des précipitations. Ceux-ci se sont traduits dans les volumes d'eau qui se sont écoulés dans le Rhône durant la période critique, qui sont considérables comparés aux volumes annuels.

Par exemple, le volume annuel du Rhône à Beaucaire oscille entre 40 et 60 milliards de m3. En octobre 1993 et janvier 1994, dans chacune des périodes de dix jours, il s'est écoulé un peu plus de 6 milliards de m3.

Ce calcul permet d'amorcer la réflexion sur la prévention: quelle devrait être la taille d'un réservoir susceptible d'atténuer ces crues? Que faire d'un volume de 6 milliards de m3 survenant dans un tel laps de temps? L'importance du phénomène amène à le comparer aux grandes retenues françaises. Le barrage EDF de Serre-Ponçon, la grande réserve interannuelle, contient à peu près 1,3 milliard de m3. Pour pbuvoir effacer la crue en fécrétant, il aurait donc fallu disposer, à (amont de Vallabréguea, d'une capacité de stockage de ce type, et qu'elle soit vide.

Autrement dit, si fort entend traiter les crues dans la vallée du Rhône par des réservoirs écréteura de crues, cela suppose un volume tout à fait considérable, que fort ne peut pas trouver dans la vallée; celle-ci comporte déjà de grande réservoirs. Le premier est le Léman constitue, qui constitue un merveilleux écréteur pour la partie suisse du bassin, et dont (effet tampon est tout à fait positif. Cependant, le bassin suisse du Rhône ne représente que 10.000 km2 sur un total de 98.000 kmZ et, de toute façon, le Léman est trop en amont pour résoudre la question. Le second réservoir est le lac du Bourget, qui avec uns surface de 60 km2, permet de stocker quelques dizaines de millions de m3, mais on est loin du volume nécessaire.

Compte tenu de la configuration de la vallée du Rhône, le problème de la gestion des capacités du fleuve n'a donc pas de solution, ne serait-ce que parte qu'il n'y a nulle part de dépression intéressante.

Mme Thérère AILLAUD: On a dit beaucoup de choses sur le rôle de la CNR dans les inondations. En aval, on s'est notamment beaucoup plaint du fait qu'elle avait supprimé tous les bassins d'épandage permettant traditionnellement au Rhône en crue de se répandre et d'éviter ainsi de grosses, perturbations en aval. On lui reproche aussi d'avoir régulé les crues en amont, ce qui aurait aggravé la situation en aval. Pour avoir vu personnellement fonctionner le dévesoir de Tarascon, je peux vous dire que telle n'est pas mon opinion; cependant, en tant qu'élus, nous sommes constamment interpellée sur cette question; elle me parait à la fois fondamentale et non fondée, c'est pourquoi je voulais voua la soumettre afin que vous puissiez y répondre devant les membres de cette Commission.

Ma deuxième question concerne le déversoir de TarasconBesucaire. Ne pourrait-on pas l'améliorer pour éviter que se reproduisent des inondations telles que celles qu'a connues Tarascon, qui sont du reste les premières depuis la réalisation des travaux sur le Rhône.

Enfin, compte tenu de ses missions, ne pourrait-on pas imaginer que la CNR, déjà compétente jusqu'à Arles, puisas fétre jusqu'à la mer donc pour le delta du Rhône? A mon sens, en effet, le savoir-faire de la CNR pourrait lui permettre de jouer un rôle fondamental à l'avenir dans la gestion du Rhône jusqu'à la mer, notamment dans le delta qui a souffert des crues d'octobre et janvier derniers.

M. Jacques LECORNU : La question de l'aggravation liée à nos aménagements m'a en effet été partout posée, surtout dans le Sud.

Je voudrais m'adresser en particulier aux Camarguais pour dire qu'il y a eu des inondations ailleurs dans la vallée. Nous avorta établi, pour la crue d'octobre, une récapitulation hors inondations liées aux ruptures de digues en Camargue: les secteurs inondés à la suite du fonctionnement du schéma que je voue ai décrit ont représenté à chaque foie 20.000 hectares. Autrement dit, avec le système CNR, les surfaces inondables de la vallée restent inondables et utiles à l'atténuation du débit en aval. En particulier, à Donzère-Mondragon, on a inondé, à chaque fois, près de 10.000 hectares. J'ai apporté les cartes des champs d'inondation, qui, si on les compare ceux-ci à ceux de 1856, sont les mêmes.

On ne peut donc pas laisser dire que la CNR a supprimé les champs d'inondation du Rhône et ainsi été à l'origine d'une aggravation des crues. Quelques secteurs ont connu des améliorations, mais très limitées du point de vue des inondations. Celles-ci ont lieu partout: à l'aval des retenues, dans les secteurs de restitution et dans quelques zones où il y a des déversoirs et qui servent de bassins d'écrêtement avec le souci de l'aval.

Sur la question que vous me posez à propos de Vallabrèguea, il se trouve que la zone environnant Vallabrèguee reste volontairement inondable pour des crues très rares, de façon à ne pas aggraver à l'aval la situation de la ville d'Arles.

On peut donc dire qu'il y a une solidarité entre l'amont et l'aval l'amont continue de se faire inonder pour que la situation de l'aval ne soit pas aggravée.

M. Guy HERMIER, Président : Les zones inondables où sont situés des déversoirs sont-elles des zones habitées?

M. Jacques LECORNU : En principe, la construction y est interdite puisque la délimitation des zones inondables est parfaitement connue. Cela dit, il y a quelques hameaux dans certaines de ces zones, qui étaient habitées avant que la CNR intervienne.

M. Guy HERMIER, Président: Qui prend la décision de déverser ?

M. Jacques LECORNU : II s'agit en général de déversoirs passifs: lorsque le Rhône atteint une certaine cote, il saute par-dessus. La CNR a cependant aménagé sur le haut Rhône une aorte de polder où la vanne est calée à un niveau tel qu'il y a un moment où l'eau passe par-dessus. Il faut alors l'ouvrir pour accélérer l'épandage. C'est un polder de 2.000 hectares.

M. Guy HERMIER, Président: Les retenues sont également automatiques?

M. Jacques LECORN AU : Le fonctionnement d'une retenue est le suivant. Quand le débit est faible, elle reste quasiment étale; quand le débit augmente, on lui donne un sens d'écoulement en la faisant pivoter autour d'un point moyen. Cet automatisme a pour objectif de ne pas aubuierger les digues d'amenée, qui n'ont pas été conçues pour cela.

Ainsi, la retenue assure l'écoulement : tout ce qui arrive à l'amont doit sortir à l'aval. Une partie du débit passe par l'usine, une autre par le coure traditionnel du Rhône. Le crue elle-même passe entièrement par le vieux Rhône.

Mme Thérèse AILLAUD: Les stations de pompage ne peuvent-elles pas atténuer l'effet des crues ?

M. Jacques LECORNU : Il y a quelques stations de pompage, de ressuyage et de drainage derrière les digues, mais leurs capacités correspondent au débit des drains et sont donc sans rapport avec les volumes qui arrivent en cas de crue.

Quand le Rhône en crue passe par dessus la zone de déversement d'un secteur submersible, comme à Caderousae, que se passe-t-il ? A l'aval, il existe tout un réseau de drainage, comportant des exutoires pour évacuer l'eau. Cependant, il faut éviter qu'il y sit des courants trop violents, qui éroderaient les terres. Des dispositifs ont donc été installés pour fermer les exutoires, le temps de la montée de la crue. A la décrue, on les rouvre de façon à ·ressuyer. tranquillement la crue en évitant l'érosion.

Je rappellerai - les riverains du Rhône le savent bien - qu'en sua des aménagements de la CNR tels que je les si décrits, existent des digues de protection agricole extrêmement astucieuses, qui permettent de cultiver en tenant compte de l'inondation. Ces digues sont submersibles mais leur pente est un peu plus forte que celle du Rhône, de sorte que lorsque celui-ci monte, l'inondation, su lieu de se faire par l'amont, se fait par l'aval. Du coup, dans une première phase, l'inondation se fait sana courant. Ensuite, lorsque le Rhône devient plus fort, les terres sont déjà protégées par un matelas d'eau. A la décrue, c'est le phénomène inverse: les digues émergent, le courant ne passe alors plus dans la plaine, de sorte que la terre arable n'est pas enlevée; il y a même su contraire dépôt de limon, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours positif et peut même être dramatique pour certains types de culture.

En dehors de la Camargue, il y a donc sur le Rhône des centaines de kilomètres de digues submersibles à objectif agricole. Dans la plaine de Donzère, malheureusement, nombre d'entre elles se sont rompues. Cela a été l'une des causes d'aggravation de la situation, notamment dans le secteur de Pierrelatte: des ruptures de digues ont entraîné des écoulements directs depuis l'amont, ce qui s'est traduit par l'érosion des sols, voire un niveau d'eau supérieur dans la plaine alors que (inondation devait se faire par (aval. L'ensemble de ces aménagements destinée à faire venir l'inondation de l'aval ont été réalisés su siècle dernier, bien avant que la CNR n'existe.

Aujourd'hui, la vallée voit donc coexister le système CNR, dont je vous ai expliqué la structure et la gestion, des systèmes agricoles, qui sont dans un état tout à fait inquiétant, et, sur les affluents, notamment de rive gauche, des systèmes de protection souvent mis en place par des syndicats. Ces derniers endiguements sont en général calés sur des niveaux de-protection relativement faibles, et protègent au mieux de la crue centennale, parfois seulement des crues décennales.

A ce propos, je rappelle que les ouvrages de la CNR sont conçus pour la crue dont la fréquence de retour est millénale, c'est-à-dire que, chaque année, le risque collectif que l'on nous a imposé de prendre est de un millième, alors qu'en droit français la zone constructible est généralement calée sur la crue centennale, c'est-à-dire qu'un terrain est constructible s'il n'est inondé qu'une fois toua les cent ana.

Cela m'amène à souligner que, dans les deux cas de crues importantes que nous avons vécues en octobre 1993 et en janvier 1994, la CNR était très en-deçà de son seuil de danger, tant en ce qui concerne les crêtes de digues que, surtout, les évacuateurs. Le risque que nous courrons c'est de ne pas être apte à man_uvrer l'évacuateur correctement: étant donné que tout ce qui arrive doit sortir, il faut que l'évacuateur soit disponible. Notre gestion d'exploitation donne donc une priorité absolue à l'évacuateur, qui est équipé de dispositifs de sûreté considérables, incluant groupes électrogènes et présence permanente de personnels. C'est un point, important car un mauvais fonctionnement transformerait une catastrophe naturelle en catastrophe artificielle.

M. le Rapporteur: Je voudrais d'abord que vous me donniez quelques précisions sur la structure de la CNR, son financement et son bilan annuel.

M. Jacques LECORNU : La structure de la CNR est une question dont la presse s'est fait abondamment (écho. En tant que directeur de l'exploitation, je ne suis peut-être pas le plus qualifié pour donner des informations précises sur ce point. Je brosserai donc un tableau assez simple.

Selon les textes, la CNR est une société d'intérêt général à statut particulier, ce qui ne voua parait peut-être pas très précis. Son conseil d'administration comprend trente membres. C'est une société par actions, au capital de 36 millions de F., souscrit à l'origine par des compagnies d'électricité, une compagnie de chemin de fer, des collectivités locales - elles sont majoritaires - dont la Ville de Paris, le département de la Seine. Il y a environ 300 actionnaires publics parmi lesquels un certain nombre de villes: Tarascon, Pierrelatte, Port St-Louis du Rhône...

M. le Rapporteur: Quelles sont ses recettes et ses dépenses ?

M. Jacques LECORNU : Le chiffre d'affaires actuel est d'environ 1,8 milliard de F. par an, dont une très large part représente des charges de remboursement d'emprunts souscrite pour financer toua les aménagements réalisés au cours de l'histoire.

Les recettes sont fournies à 95 % par la vente d'électricité. La CNR dispose aussi de quelques autres ressources, de nature domaniale: taxes sur l'eau, locations de terrain, recettes portuaires, car elle a plusieurs ports dans la vallée, dont les parties publiques sont exploitées en liaison avec les chambres de commerce locales.

Le bénéfice est nul. Il ne peut en être autrement puisque, jusqu'à ces dernières années, les contrats de vente de l'électricité du Rhône correspondaient à un simple remboursement de nos charges.

M. le Rapporteur: EDF est-il un de vos actionnaires?

M. Jacques LECORNU : Oui, en tant que porteur de parts au moment de la nationalisation. EDF détient 16 % des parts. La SNCF est également actionnaire, ainsi que la ville de Paris, des collectivités locales, ces dernières représentant au total les deux tiers des actions.

M. le Rapporteur: EDF est-il l'actionnaire majoritaire?

M. Jacques LECORNU : Non, il n'y a pas d'actionnaire majoritaire. Si vous considérez l'ensemble des collectivités comme un tout, les actionnaires majoritaires, ce sont les collectivités locales. Les régions sont également entrées dans le capital, après la loi de 1980, lorsqu'il a été question de construire le canal Rhin-Rhône.

M. le Rapporteur: EDF est-il le plus gros actionnaire ?

M. le Rapporteur: Non plus. La SNCF a une part identique, EDF et la SNCF étant les deux plus gros actionnaires avec 16 % des parte. Cela dit, parmi les gros actionnaires, il y a aussi les départements du Rhône, des Bouches-du-Rhône, la plupart des départements de la vallée. Je vous adresserai la liste des actionnaires, car il sont nombreux.

M. le Rapporteur : Le bénéfice est nul, dites-vous, parce que le prix de (électricité est calculé pour qu'il corresponde simplement aux charges ?

M. Jacques LECORNU : Oui, la CNR a conclu des contrats de gestion d'électricité et, du reste, l'exploitation des centrales est faite en coopération avec EDF. La CN R est remboursée de ses charges.

M. le Rapporteur : Pouvez-voua préciser quelle est la responsabilité et, éventuellement, la participation financière de la CNR en matière d'entretien des digues le long du tracé du Rhône ?

M. Jacques LECORNU : Sur chaque aménagement, la CNR a un domaine propre, borné, sur lequel elle exerce des responsabilités pleines et entières; mais il y a aussi le territoire des riverains, en particulier toutes les digues installées sur le cours ancien du Rhône, qui appartiennent à des syndicats de riverains.

Je parle ici des aménagements hydrauliques - comme vous l'a souligné Mme Aillaud, la CNR n'exerce pas actuellement ses compétences en Camargue. La CNR ne se substitue pas aux collectivités propriétaires de digues, que ce soit des associations syndicales autorisées ou forcées, comme c'est le cas en Camargue.

Pour l'avenir, notre Assemblée générale du mois de novembre a émis le v_u que le champ des compétences de la Compagnie soit étendu à l'ensemble des digues de Camargue. Cette démarche a d'ailleurs été reprise par certains parlementaires du Vaucluse, qui ont demandé que, non seulement la Camargue, mais la totalité des digues, passent sous notre responsabilité.

A cet égard, les crues ont révélé une solidarité face à la catastrophe naturelle qu'elles constituent, et pour ma part -mais je m'aventure dans un champ qui n'est plus de ma compétence -, je pense qu'il serait raisonnable d'envisager une structure que l'ensemble des digues soient correctement maintenues moyennant des contributions des uns et des autres. Il faut non seulement une coordination technique, mais aussi une solidarité financière.

M. le Rapporteur : Dans l'état actuel des choses, il n'y a aucune participation financière de la part de la CNR ?

M. Jacques LECORNU : Non.

M. le Rapporteur : Les populations résidant dans les zones laissées volontairement inondables que voua avez évoquées sont-elles prévenues du caractère particulier du territoire sur lequel elles résident?

M. Jacques LECORNU : Oui.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des règles particulières à ces zones, ou bien sont-ce celles du POS qui leur sont applicables ?

M. Jacques LECORNU : C'est le règlement d'urbanisme qui s'applique. Cela dit, dans la vallée du Rhône, il y a des zones inondables définies par décrets, qui doivent se traduire au plan local dans les plans d'occupation des sols. Ces décrets partagent les zones inondables de la vallée en trois: la zone dite de grand débit où l'on ne doit pas construire, la zone utile à l'expansion dite .complémentaire. et une .zone de sécurité..

M. le Rapporteur : Ma quatrième question est relative à l'action de la CNR en matière d'alerte: su cas où la CNR voit se profiler un problème, qui prévient-elle ? Quand ? Comment ?

M. Jacques LECORNU : Nos consignes d'exploitation -c'est une exigence des autorités de police - comportent déjà le devoir de prévenir certains services qui, eux, ont la charge de l'annonce des crues. C'est ainsi que notre poste de

surveillance hydraulique de Montélimar émet des télex lorsque le débit du Rhône atteint certains niveaux.

De plus, eu égard à l'énorme demande d'informations auxquels nos postes de surveillance hydraulique sont soumis au moment des crues, nous avons bien conscience que notre réseau d'informations est tout à fait utile aux populations. Nous avons donc mis en place un service minitel, accessible au public, qui n'est certes pas un service de prévision, mais permet de donner en temps réel la situation exacte des débits. Ces services semblent avoir été extrêmement appréciés l'hiver dernier, puisque nos standards ont disjoncté. Nous avons donc, de fait, assuré une information directe du public sur la réalité des faits. Il ne s'agit pas là de la prévision de crue su sens administratif, laquelle est élaborée à partir d'une analyse de la météo et existe par ailleurs, mais nous nous sommes efforcée d'apporter une réponse concrète à la demande du public.

M. le Rapporteur: A qui faites-vous parvenir des télex ?

M. Jacques LECORNU : Aux services spéciaux d'annonce de crues d'Avignon.

M. le Rapporteur : S'agissant des annonces de crues, je pense d'ailleurs qu'il faudrait s'orienter vers un système donnant des informtions plus concrètes qu'actuellement.

Enfin, je voudrais vous demander comment et en quoi vous êtes consulté sur les grands projets. Je pense notamment su TGV, raison pour laquelle je m'intéressais à la part de capital de la CNR détenue par la SNCF. Je vais vous citer un exemple précis: à Caderousae, le POS comporte une disposition interdisant de construire le moindre mur dans la plaine, su point qu'à l'heure actuelle, la SPA se bat avec la DDE parce qu'elle a osé ériger un mur de 1,50 m pour que les chiens ne s'enfuient pas; or on s'apprête à construire dans cette même plaine des remblais de 8 à 10 m. Avez-vous été consultés sur ces projets? Avezvous émis un avis ?

M. Jacques LECORNU : La DRIR nous ayant consultée, j'ai rédigé un avis sur le TGV, faisant état des problèmes que cela posait. Mais nous ne sommes pas autorité de l'État.

M. le Rapporteur : La commission pourrait-elle avoir copie de cet avis sur le projet de TGV ?

M. Jacques LECORNU : La commission a le droit de tout savoir !

Il est vrai que le problème d'écoulement des crues est un de ceux que nous avons mis en première ligne. Cela dit, pour nous, la vraie crue, c'est la crue millénale.

Les techniciens de la CNR relèvent des constatations, les traitent statistiquement, les classent en fréquences recensées afin de nous permettre d'extrapoler; on a abouti ainsi à définir la crue millénale comme celle de 14.000 m3/s (contre 11.000 en janvier 1994).

Un bon projet aujourd'hui, dans la vallée du Rhône, c'est celui qui va au delà de la norme assurant la protection centennale et prévoit soit des ouvrages fusibles, soit des déversoirs de façon à ne pas transformer une catastrophe en drame.

M. le Rapporteur : Pouvez-voua noua indiquer le prix qu'EDF paie l'électricité que vous lui fournissez par rapport au prix auquel elle la vend ?

Ne peut-on pas envisager de dégager, dans le prix que voua paie EDF, une marge qui permettrait de financer l'entretien des digues ?

M. Jacques LECORNU: Le prix de revient moyen de l'électricité produite en France, essentiellement d'ailleurs par l'industrie nucléaire, est de l'ordre de 24 8 25 centimes, alors que celle que fournit la CNR est de l'ordre de 14 centimes, toutes charges comprises.

Quand on compare le prix moyen de production d'EDF su prix moyen auquel la CNR cède son énergie aujourd'hui, il est exact qu'il y a un écart important. Cet écart est d'ailleurs bien connu de l'ensemble des actionnaires de la Compagnie et du grand public, puisqu'un débat est ouvert la concernant: faut-il l'affecter au Rhône, au projet de canal Rhin-Rhône, aux projets hydroélectriques ? Il est d'ailleurs assez naturel que l'énergie produite par un ensemble d'ouvrages hydroélectriques, pour lesquels la dette nécessitée par l'investissement, au bout de trente ou quarante ans, est devenue faible, ait un prix de revient compétitif.

M. le Rapporteur : Par kWh et par unité fournie par la CNR, EDF gagne pratiquement 10 centimes ?

M. Jacques LECORNU : C'est une façon de présenter les choses... Je ne pense pas qu'EDF le perçoive de cette façon

M.le Rapporteur : On peut en revanche présenter les choses de la manière suivante : si le coût de l'unité électrique produite est de 25 centimes, c'est aussi, parce qu'une grande partie est d'origine nucléaire; or le coût de sécurité est inclus dans ce prix-18. Pourquoi ne pas inclure aussi un coût de sécurité dans le prix de l'électricité produite par (hydraulique ?

M. Jacques LECORNU : C'est une bonne question. Je pense que c'est une solution possible. En affirmant foui à l'heure, ce qui parait évident aujourd'hui, la solidarité de toua les riverains du Rhône face à des événements tels que ceux que l'on a connus, il est raisonnable d'imaginer un tel partage.

Mme Thérèse AILLAUD: Dans la nouvelle forme de structure juridique, c'est ce qui est envisagé. Cette solidarité parait tout à fait naturelle.

M. Guy HERMIER, Président : La CNR est-elle propriétaire des usines hdroélectriques qu'elle exploite ?

M. Jacques LECORNU : Le terme .propriétaire. est inexact en l'occurrence. Le propriétaire des chutes d'eau, c'est l'Etat. Mais l'État a donné à la CNR une concession valable jusqu'en 2023.

Mme Thérèse AILLAUD : Ce régime pose du reste des problèmes: les terrains appartenant à la CNR sont généralement des zones d'activité. Lorsque les entreprises décident de s'installer, elles veulent, acheter le terrain; quand on leur dit qu'il est concédé à la CNR et qu'en 2023 il reviendra à l'État, elles hésitent.

M. Jacques LECORNU : Voue me permettrez de compléter ce point en disant que nous avons trouvé des solutions pour éviter des locations.

Mme Thérèse AILLAUD : Je tente d'en trouver avec vous, c'est pour cela que je pose la question. Le problème peut se poser concrètement. En pratique, voua le savez, je suis confrontée à une demande très importante, qui mériterait que l'on trouve une solution juridique adaptée. ,

M. Guy HERMIER, Président: Pourquoi votre Assemblée générale a-t-elle émis le v_u d'être partie prenante pour la Camargue ?

M. Jacques LECORNU : C'est sous notre label .société d'intérêt général. que nous intervenons. Il est bien évident qu'au bout du compte, il va s'agir de charges. Cela dit, je crois qu'il faut aller jusqu'au bout de notre mission d'aménagement de la vallée du Rhône.

M. le Rapporteur : Si EDF payait à la CNR l'unité électrique à son prix de revient moyen de 25 centimes, quelle serait la marge annuelle dégagée ?

M. Jacques LECORNU : Il suffit de faire une simple multiplication. Il y a 16 milliards de kWh, 10 centimes de marge par kWh; la marge serait donc aujourd'hui de 1,6 milliard de F. Cela dit, la situation va évoluer: dans les années qui viennent, d'autres emprunta vont arriver à échéance, de sorte que les 14 centimes vont devenir 11, 10 centimes .... Par conséquent, la marge de 1,6 va s'accroît· e progressivement pour pratiquement doubler. Il y aura quand même un plancheur, qui sera sana doute de 6 à 7 centimes, car il faut assurer la maintenance et l'entretien.

M. Guy HERMIER, Président : Le prix est strictement proportionnel à la couverture de vos charges ?

M. Jacques LECORNU : Oui, c'est une convention de remboursement. Les contrats qui noua lient sont des contrats qui conduisent à la transparence financière.

M. Guy HERMIER, Président: Vous avez cité le chiffre de 360 km de digues.

M. Jacques LECORNU : Oui, c'est la longueur des digues actuelles de la CNR.

M. Guy HERMIER, Président : Qu'est-ce que cela représente par rapport à l'ensemble ?

M. Jacques LECORNU : La longueur du Rhône est de 510 km entre la frontière suisse et la mer. 80 km environ ne sont pas aménagés. Je dirai que c'est à peu près le fiera de la longueur du Rhône qui est endigué (il y a des digues de chaque côté). Autrement dit, les deux fiera du Rhône ne sont pas endigués, et par conséquent débordent et atténuent les crues.

M. Guy HERMIER, Président: Monsieur le Directeur, nous vous remercions pour ces informations.

Audition de M. Pierre CORMORECHE

Président de l'Assemblée permanente

des chambres d'agriculture (APCA)

(Extrait de la séance du procès-verbal du 29 juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Pierre Cormorèche est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Pierre Cormorèche prête serment.

M. Pierre CORMORECHE : Merci, Monsieur le Président, de le confiance que vous octroyez à notre assemblée en lui demandant de participer aux travaux de cette commission d'enquête. Les thèmes abordés dans la proposition de résolution qui l'a créée nous intéressent au plus haut point, après l'ensemble des catastrophes naturelles que nous avons connues au cours des dernières années. L'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, qui est composée d'élus représentante du monde agricole, propriétaires agricoles mais aussi forestiers, ainsi que salariée des différentes activités professionnelles, est à ce titre extrêmement intéressée par les problèmes d'hydraulique et d'environnement. L'exposé introductif que je me propose de vous faire portera sur le remembrement et les techniques agricoles, les conséquences de l'urbanisation et des grande aménagements, ainsi que sur les problèmes des ornes humides et de l'entretien des cours d'eau.

La situation que nous avons connue au cours des années qui viennent de s'écouler, a, dans bien des cas, fait l'objet de commentaires et appréciations qui ont très largement mis en cause l'agriculture et plus particulièrement les nouvelles pratiques agricoles maintenant généralisées sur l'ensemble du territoire.

On a tendance à rendre responsables des inondations les remembrements et un certain nombre de travaux d'hydraulique. Je voudrais dire que les zones qui ont connu les inondations les plus catastrophiques ne sont pas celles où les surfaces remembrées sont les plus importantes, et sont même souvent celles qui n'ont pas fait l'objet de remembrement. En particulier, toutes les zones méridionales, où les exploitations sont très diversifiées et où les travaux d'aménagement ont été les moine importants, sont celles qui ont le plus souffert. Là, l'agriculture a, en réalité, été autant victime que l'ensemble des autres secteurs d'activité.

D'autre part, les situations catastrophiques que nous avons connues sont dues soit à des précipitations importantes, exceptionnelles et imprévisibles concentrées dans le temps et sur des petits bassina versants au relief accidenté, soit i! des précipitations relativement longues sur de vastes bassina. C'est essentiellement dans ce second cas que l'agriculture contribue aux inondations à travers certaines de ses pratiques et aménagements, lorsque d'immenses secteurs sont ensemencés en cultures homogènes, en maïs par exemple, rendant possible un important écoulement d'eau, que le manque de couvert en hiver peut aggraver.

Mais à côté de l'agriculture, d'autres facteurs sont tout aussi essentiels. C'est le cas en particulier de l'urbanisation. Ainsi, dans le canton où se situe la ville dont je suis maire, tout prés de Lyon, nous avons connu ces dernières années des inondations catastrophiques du fait précisément de l'urbanisation importante qui, dans bien des cas, a éliminé les parties intermédiaires entre les plateaux et la plaine que constituaient des côtières boisées.

Au cours des dernières décennies, l'orientation politique donnée à l'agriculture s'est traduite par une intensification des systèmes de production et la réalisation d'aménagements agricoles importants. Il est évident que les moyens modernes ont perds aux agriculteurs et à des collectivités territoriales de réaliser un certain nombre de travaux pour l'évacuation des eaux qui ont fortement accéléré la vitesse de circulation de ces dernières. Ainsi, dans ma ville, qui est traversée par une petite rivière, la masse d'eau descendant du plateau versant, qui, il y a trente ans, mettait quatre jours pour s'évacuer, met aujourd'hui quatre heures. La proportion dans laquelle on a accéléré le passage de l'eau est donc considérable. II n'y a pas plus d'eau qu'auparavant mais son transit est devenu extrêmement rapide du fait des aménagements hydrauliques qui ont été réalisés dans des conditions d'ailleurs parfaitement légales, et même, dans la plupart des cas avec des aides publiques.

Je ferai part tout à l'heure d'un certain nombre de propositions destinées, sana remettre en cause les conditions dans lesquelles est exécuté un assainissement tout à fait normal dans le cadre d'une agriculture moderne, à définir des contreparties au niveau de l'évacuation.

Je voudrais dire maintenant quelques mots sur le problème du remembrement. Actuellement, en France, 45 % des surfaces agricoles utiles sont remembrées, surtout dans les régions de grandes cultures. Le rythme s'est beaucoup ralenti ces dernières années (-10 % sur les cinq dernières années), le remembrement étant maintenant surtout lié au tracé des grands ouvragea (autoroutes, TGV, etc.).

Le remembrement est évoqué comme un facteur aggravant des inondations. L'augmentation de la taille des parcelles supprime toutes sortes d'aménagements ayant une fonction hydraulique, comme les haies, quelquefois des parties humides qui étaient en fait des formes d'écrêtement. Il est vrai aussi qu'il augmente la distance de parcoure des eaux. Par ailleurs, le réseau hydraulique n'a pas toujours été bien pensé à l'origine pour assurer le bon écoulement des eaux, et je crois que l'on n'en mesure pas assez les conséquences. Toutefois, quand il tombe 20 millimètres d'eau il y a toujours une solution, mais quand il en tombe 200 millimètres, très rarement. Ce qui s'est passé ces jours derniers à Cannes montre que pour absorber 200 millimètres d'eau, il faut des aménagements spéciaux.

Par ailleurs, l'extension des surfaces labourées au détriment des surfaces en herbe dans le fonda de vallons ou sur les fortes pentes constitue un facteur aggravant non négligeable, il faut le reconnaître.

Pour autant, la contribution des remembrements aux inondations catastrophiques est fortement discutable. Comme je l'ai dit tout à l'heure, les zones les plus remembrées ne sont pas celles où les inondations causent le plus de problèmes. Les plus graves surviennent surtout dans les parties méridionales de la France, dans des régions où les précipitations sont beaucoup plus violentes, où le remembrement a été très peu mis en _uvre, où l'action de l'agriculture a d'ailleurs plutôt été d'implanter des haies brise-vent, et dans des vallées où il n'y a parfois même plus d'agriculture.

Par contre, nous considérons comme positive l'évolution récente de la législation relative aux aménagements fonciers. C'est le cas tout d'abord de la loi sur l'eau qui tend à une gestion globale et concertée de toute la ressource de l'eau. II en est de même de la loi .paysage. qui permet une préservation à titre conservatoire des haies et des bosquets, dont la protection peut être prononcée par le préfet lors des remembrements, ainsi que de l'obligation d'élaborer des pré -études d'aménagement global, qui conduira à définir des prescriptions à respecter dans les zones à risque.

Concernant les techniques agricoles, j'essaierai d'être bref. S'agissant tout d'abord du drainage, je crois que, contrairement à ce qui est souvent dit, et sans revenir sur les conséquences que j'ai indiquées tout à l'heure sur la rapidité de circulation des eaux, il a comme avantage de faire couler l'eau en profondeur et donc, dans la plupart des cas, de réduire la vitesse à laquelle cet écoulement se fait en surface. De ce point de vue, on ne peut donc pas le considérer comme un élément défavorable. En revanche, il n'en est pas de même quand le drainage concerne des zones humides et quand les aménagements en aval des zones drainées ne sont pas suffisamment bien prévus. Mais je reviendrai sur ces points tout à l'heure.

S'agissant de l'irrigation, je pense qu'en elle-même elle n'a pas de conséquences. Elle permet seulement d'apporter de l'eau en surface dans des conditions qui, contrôlées et mises en _uvre dans des conditions raisonnées, n'entraînent pas d'écoulement. Ce qui peut poser problème tient davantage 8 l'abandon de certains réseaux de canaux d'irrigation. Mais, dans la mesure où elle est réfléchie, l'irrigation peut contribuer, en particulier par des retenues collinaires, à faire des écrétoirs. Il est en effet possible de constituer des réservoirs qui, normalement, sont vides (hiver et sont remplis l'été pour faire l'irrigation, et qui peuvent être utilisés à certains moments pour participer à l'écrêtement des crues les plus fortes en automne.

Je voudrais maintenant aborder le problème de l'urbanisation. Je pense que, pendant un certain nombre d'années, les collectivités locales et les directions départementales de l'équipement n'ont peut-être pas pris suffisamment de précautions pour contrôler les conditions d'urbanisation. Il n'y a pas de doute que dans les zones très sollicitées en matière d'urbanisation, on a quelquefois laissé construire sur des terrains qui auparavant constituaient des zones intermédiaires protégeant contre l'écoulement. des eaux. II faut ajouter que beaucoup de propriétaires, individuellement, ont eu des comportements un peu irresponsables, en arrachant la végétation en bordure de torrent pour améliorer la qualité de leur terrain, ce qui favorise les éboulements et l'érosion des berges avec des conséquences parfois catastrophiques.

Je crois que les responsabilités sont très partagées entre les élue et l'administration. La décentralisation des procédures en matière d'urbanisme, le caractère quelque peu insuffisant des outils juridiques, les pressions sur les élus de la part des milieux économiques, se conjuguent pour créer des dysfonctionnements. Mais finalement les véritables difficultés tiennent d'une part au fait que les problèmes ne sont pas envisagés au niveau des bassins versants, d'autre part à l'insuffisance des moyens financiers dont disposent les collectivités locales.

Un mot des grands aménagements. L'aménagement des grands fleuves pose certainement des problèmes, car il touche à des écosystèmes complexes et se traduit par la réduction de zones alluviales. II faut mesurer les conséquences de tels aménagements sur un très vaste secteur. Par exemple, réduire le lit du Rhône dans la traversée de Lyon c'est automatiquement augmenter les inondations dans la zone au-dessus de Mâcon. et artificialiser le cours du Rhône dans toute la vallée au sud de Lyon, c'est accélérer le transit de l'eau vers la Camargue et aggraver les risques d'inondation de cette région.

Il faut évoquer par ailleurs la régression des zones humides dont le rôle dans la régulation des crues est indéniable. Au même titre que l'urbanisation et les infrastructures, l'intensification de la production agricole a conduit à réduire les zones humides par des assainissements, par exemple des marais en Charente et en Vendée, alors que ces zones contribuaient à la temporisation des écoulements.

Je voudrais également aborder le problème du non entretien des cours d'eau. La législation en la matière n'a pas évolué. Comme vous le savez, les coure d'eau appartiennent aux riverains, et ceux-ci ne s'occupent pas de leur entretien. Si les collectivités locales veulent intervenir, elles encourent le risque de conflits avec les propriétaires et si elles ne le font pas, les lits des coure d'eau se remplissent d'arbres morts et de gravats qui s'amoncellent. En tant qu'élu moi-même dans un canton traversé par des kilomètres de rivières ou de ruisseaux, je m'interroge sur la meilleure formule, soit des dispositions plus contraignantes pour les propriétaires, soit, éventuellement, une sorte de municipalisation de ces cours d'eau, de façon à pouvoir mieux les entretenir. Le projet de loi qu'a présenté récemment M. Barnier devrait améliorer un peu le système existant, mais je pense qu'il faut que nous allions vers des formules plus élaborées.

En conclusion, je voudrais formuler quelques propositions. Tout d'abord, il faut que les problèmes soient abordés au niveau des bassins versants, que tout programme d'action soit élaboré dans ce cadre qui doit constituer (unité de fonctionnement hydrologique. L'analyse des éléments liés à la climatologie, à la topographie, à (économie, à l'urbanisme peut conduire à préciser des équilibres entre les zones à protéger des crues et celles dont (inondation est acceptable. Elle peut conduire à des préconisations pour les pratiques agricoles sur des zones précises.

Je voudrais maintenant vous faire part d'une proposition tout à fait personnelle qui n'a pas encore été beaucoup débattue dans mon organisation mais à laquelle j'ai beaucoup réfléchi dans mon propre canton avec mes collègues maires. Beaucoup de communes souhaiteraient pouvoir elles-mêmes intervenir pour limiter les risques qu'elles encourent du fait des inondations, en se portant acquéreurs d'un certain nombre d'hectares destinée à constituer des zones de protection contre l'écoulement des eaux venant des parties hautes et s'écoulant dans les parties basses. Elles avaient imaginé qu'elles pourraient le faire en devenant propriétaires de terres et en faisant ensuite avec les agriculteurs un certain nombre d'échanges pour créer des jachères permanentes dans les zones à risques. II semble que cette formule ne soit pas compatible avec la réglementation communautaire sur la jachère dont le but est la réduction des volumes de production et non l'aménagement du territoire.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire une loi .franco-française · permettant la mise en _uvre d'un tel système? Je propose donc à votre Commission de réfléchir à la possibilité de prendre l'initiative de proposer à l'Assemblée nationale un dispositif selon lequel les biens fonciers acquis par une commune et destinés à la protection contre les inondations ne seraient pas considérés comme terres agricoles pour l'application de la législation fiscale et sociale.

Il faut par ailleurs inciter à (entretien des cours d'eau, notamment par les agriculteurs, de façon à rétablir le passage normal de l'eau.

D'autre part, il faut confier la gestion des ouvragea majeurs da protection contre les crues â des syndicats mixtes, de façon à mieux structurer (organisation de la protection contre les eaux.

En matière d'aménagement et d'urbanisme, le projet de loi sur le .développement du territoire. comporte des dispositions qui devraient améliorer la situation. `C'est le cas notamment de celle prévoyant l'élaboration, sous l'autorité de l'Etat, de directives d'aménagement dans certaines partie du territoire national, qui devrait permettre de prendre en considération les problèmes liée aux risques naturels et d'apporter de la cohérence aux aménagements inter-régionaux nécessaires. Me parait également important le renforcement du pouvoir du préfet à travers le caractère suspensif des demandes de sursis à exécution en matière d'urbanisme. Peut-être faudrait-il y ajouter un contrôle très strict des conditions de déboisement dans les zones à risques. En outre, il conviendrait de mieux articuler les outils juridiques relevant du droit de Peau (3DAGE, SAGE) avec ceux relevant du droit de l'urbanisme (POS, schémas directeurs).

Les conséquences des aménagements et des pratiques agricoles doivent être appréhendées en concertation avec les agriculteurs, de façon à définir avec eux des solutions qui rencontrent leur adhésion.

J'ai déjà évoqué l'intérêt que présenterait la possibilité d'utiliser la jachère dans la gestion du problème des inondations. Il faut réussir à faire faire un pas au: administrations, qu'elles soient nationales ou européennes, pour que, dans cet esprit, les jachères de longue durée bénéficient d'un certain nombre d'avantages.

Enfin, il faudrait renforcer les moyens affectés au système d'alerte de façon à éviter les catastrophes humaines ou matérielles que nous avons connues. A cet égard, je rappelle une disposition intéressante de la loi du à janvier 1995 prévoyant que le maire doit fixer des prescriptions en matière d'information, d'alerte et d'évacuation des occupants des terrains de camping dans les zones à risques. Ceci pourrait être à mon sens étendu à l'ensemble du territoire.

En conclusion, je dirai simplement que l'agriculture est une activité économique qui doit faire face à une concurrence sur les marchés de plus an plus forte, avec une protection communautaire de moins en moine importante. Les agriculteurs sont conscients de leur rôle primordial dans l'occupation et la gestion de (espace. Toutefois, l'efficacité économique qui leur est imposée ne leur permet plus de prendre en charge le coût de l'entretien du territoire. De toute façon, la prévention des inondations nécessite des mesures appliquées par bassin versant et non seulement individuellement.

J'insiste sur ce dernier point, car je ne pense pas que l'on peut se limiter À adresser des critiques à tous ceux qui sont responsables de tel et tel secteur. Il faut à mon avis que (ensemble de la Nation participe à la prise en compte des difficultés posées par les inondations, sachant que les moyens incitatifs et les réglementations doivent bien intégrer les exigences que les agriculteurs sont prêts à prendre eux-mêmes en considération.

M. le Président : Merci Monsieur le Président, mes collègues et moi-même vous remercions de la qualité de votre exposé et de vos suggestions. Sana nul doute votre proposition sur les jachères retiendra notre attention lorsque noua ferons notre travail de synthèse en vue de la préparation de notre rapport. Pour ma part, j'avoue que c'est la première foie que j'entends parler de cette suggestion qui me parait fort intéressante et que notre Commission ne manquera certainement pas d'approfondir.

M. le Rapporteur : Vous avez indiqué que les zones où se sont produites les catastrophes en matière d'inondation sont celles où il n'y a pas eu de remembrement. Pouvez-vous préciser en quoi selon vous le remembrement peut contribuer à limiter les effets des crues ?

Par ailleurs, j'aimerais connaître votre point de vue sur la façon dont les agriculteurs ont été indemnisés à la suite d'inondations.

M. Pierre CORMORECHE : Je n'ai peut-être pas exprimé de façon suffisamment précise mon point de vue sur le remembrement. Je suis moi-même agriculteur, et maire d'une ville où il y a peu d'agriculteurs. La tendance générale de ma population, c'est d'accuser les agriculteurs d'être responsables des inondations. Plus généralement, la grande presse met très souvent le remembrement en cause. Je dis seulement que les plus grandes catastrophes sont arrivées dans des zones qui ont été moins remembrées, et que l'on ne peut donc pas assimiler le problème des inondations de façon exclusive au remembrement. Je reconnais, comme je l'ai dit tout à l'heure, que (existence de surfaces importantes en cultures homogènes avec des écoulements de surface contribue aux inondations, c'est évident. J'ai ajouté aussi que ce qui y contribue le plus, ce sont les travaux hydrauliques assurant un écoulement plus rapide des eaux, qui ne sont pas nécessairement liés au remembrement.

En ce qui concerne les indemnisations, j'avoue que nous n'avons pas beaucoup travaillé sur ce problème, pourtant important. En tant que maire, je peux vous dire que je connais une dizaine de familles qui n'ont pas encore touché un centime à la suite des inondations. Sur le plan agricole, les inondations peuvent avoir des conséquences exceptionnelles, comme en Camargue, main d'autres, comme celles de la Satine, ont rarement des conséquences graves sur les cultures car elles sont limitées dans le temps.

M. le Président : N'étant pas moi-même agriculteur je souhaiterais que vous me donniez des précisions techniques. Dans la vallée de l'Aisne, où la culture est céréalière, j'ai très souvent entendu la remarque suivante, sur laquelle (aimerais avoir votre appréciation: on me dit que lorsque les aillons sont dans le sens de la pente, cela favorise l'écoulement des eaux quand il pleut et que ai l'on obligeait les agriculteurs if toujours cultiver selon des sillons perpendiculaires il la pente, on éviterait le problème. Est-ce envisageable sur le plan de la technique agricole ?

Par ailleurs, j'ai été très surpris de constater que, dans mon département, - aucun agriculteur n'avait demandé à être indemnisé au titre des catastrophes naturelles. Le fait pour les semences de rester sous l'eau plusieurs jours n'entraîne-t-il pas de conséquences pour les récoltes futures ?

M. Pierre CORMORECHE : En ce qui concerne le sens des cultures, plusieurs éléments interviennent. Si globalement, le travail selon les courbes de niveau est préférable, dans certaines situations, ce n'est pas le cas: sur terrains imperméables, afin d'éviter l'ennoiement des cultures, pour certaines cultures afin de favoriser un ensoleillement maximum, dans certaines configurations parcellaires afin de faciliter le travail de l'agriculteur dans le maniement des matériels. Par ailleurs, dans les terrains drainée, l'objectif est de favoriser l'écoulement de l'eau vers les draina. Cela n'implique pas de cultiver obligatoirement dans le sens de la plus grande pente. La procédure d'indemnisation su titre des catastrophes naturelles trouve peu à s'appliquer en matière agricole en cas d'inondation. Tout d'abord parce qu'en général les zones inondables ne sont pas cultivées, elles sont restées en prairies naturelles, ensuite, parce que s'agissant même de surface cultivées, il n'y a pas nécessairement perte de récolte du fait de l'inondation, dès lors que la décrue est rapide.

M. Pierre-Rémy HOUSS1N : Je voudrais faire une observation sur l'entretien de nos petite coure d'eau. Il est incontestable que les riverains ne font que très rarement ce qu'ils devraient faire, et que cela accentue les inondations. L'idée que vous avez évoquée d'une municipalisation de nos cours d'eau me parait intéressante car, actuellement, lorsque les collectivités se substituent aux riverains pour entretenir et améliorer les rives, ce sont des travaux pour tiers, sur lesquels elles n'ont pas le droit de récupérer la TVA. C'est un point sur lequel il faudrait trouver une solution.

M. Jean DESANLIS : Vous avez dit que les dernières catastrophes se sont produites dans des régions qui n'avaient pas été remembrées. Mais c'est parce que l'eau est tombée à cet endroit-là! Si elle était tombée sur la Beauce remembrée ou sur les collines du Perche remembré et drainé, cela aurait été peut-être encore plus catastrophique, parce qu'il est indéniable que le remembrement, qui se traduit par la suppression des haies et le fait que l'on laboure toujours dans le même sens, aboutit à ce que l'eau s'évacue beaucoup plus vite. J'ai l'expérience dans ma propre région, très rurale, que le remembrement est un facteur d'accélération de l'écoulement des eaux, surtout si s'y ajoute le drainage, qui, certes, dans un premier tempe absorbe l'eau, mais qui la restitue plus tard alors qu'autrefois l'eau restait en surface pendant très longtemps et s'évacuait petit à petit. II me parait certain que plus on draine les terres, plus l'eau arrive vite dans les vallées.

M. Pierre CORMORECHE : Les études qui ont été faites sur le sujet ne le démontrent pas. En particulier, sur des terres très imperméables, le drainage tempère un peu la rapidité d'écoulement.

M. .Jean DESANLIS : De quelques petites heures. Quatre heures tout su plus. Pas plus.

M. Pierre CORMORECHE : Ce qu'il faut, c'est que nous parvenions à faire des études par bassin versant de façon à mener une réflexion sur les possibilités d'évacuation de l'eau. Dans un certain nombre de cas, ce problème ne pourra être réglé qu'au moyen de bassins d'écrêtement, qui peuvent aussi avoir une fonction de drainage collinaire.

M. le Président : Comment réagirait le monde agricole il une législation plus contraignante en ce qui concerne l'entretien des berges, sachant que ce sont les agriculteurs qui sont propriétaires de la plupart des berges ?

M. Pierre CORMORECHE : Ce ne sont pas forcément les agriculteurs qui en sont propriétaires. Par exemple, dans le cas d'un fermier qui exploite une ferme sur laquelle se trouve un kilomètre de rivière, ce n'est pas lui le propriétaire des berges. Sur le fond du problème, je suis vraiment aux premières loges. Des rivières comme celle qui traverse ma commune ramassent le bassin versant sur dix kilomètres et, parallèlement, reçoivent des torrents. S'ajoutent donc .deux phénomènes: les précipitations elles-mêmes et les entraînements de gravats qui descendent des coteaux et s'amoncellent dans le fond de la rivière. Dans ce cas-là, ce n'est plus la berge qui est en cause, c'est tout le reste. Même si la berge est apparemment en bon état, il suffit que les animaux l'aient piétinée sur une très petite longueur pour faire la brèche par laquelle la rivière s'engouffre. Le problème des berges est donc un problème compliqué, tellement compliqué qu'on n'arrive pas à le résoudre. Dans ma commune, ont été vendues des maisons situées sur des zones où le constructeur avait arraché la haie, de sorte qu'une brèche s'est créée et que le torrent a emporté sur 15, 20, 30 mètres de large la totalité des terres. Je fais actuellement faire une étude hydraulique sur l'ensemble des rivières et des ruisseaux de tout mon canton, afin de voir comment nous allons pouvoir faire des .pièges à graviers. pour les retenir à certains endroits et comment nous pouvons entretenir la berge. Qu'appelle-t-on entretenir une berge ? Est-ce simplement ne pas la déboiser? C'est certainement important, mais pas suffisant. Comment la maintenir à un niveau suffisamment élevé pour éviter que ne se produisent des failles? Il ne suffit pas d'y mettre un peu de terre; il faut aménager de manière que les matériaux apportés soient suffisamment solidifiés pour pouvoir résister su passage de l'eau. Il y a vraiment beaucoup de problèmes. Si l'on ne change pas la législation, c'est-à-dire si c'est le propriétaire de la rivière qui doit entretenir sa berge, je ne vois guère de solution car s'il ne le fait pas, quels moyens avons-nous pour ly obliger ?

M. Jean DESANLIS : Vous avez pris l'exemple de terres exploitées par un fermier et comportant des berges pour l'entretien desquelles le propriétaire ne fait rien.

M. Pierre CORMORECHE : Pourquoi y ferait-il quelque chose ?

M. Jean DESANLIS : Voue dites qu'il ne faut pas déboiser les berges. Je suie tout à fait d'accord, mais il arrive qu'après une crue, un arbre ait basculé dans la rivière et que le propriétaire ne veuille pas y toucher, tout d'abord parce que cela lui est égal, car si la rivière déborde, ce n'est pas lui qui sera inondé, ensuite parce que l'opération est compliquée et coûteuse. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il faudra peut-être légiférer en la matière pour trouver une solution, en imposant des obligations aux propriétaires. Il y a aussi, lorsqu'il s'agit d'une rivière assez longue, la possibilité de créer un syndicat intercommunal de rivière qui, lui, peut prendre les mesures pour évacuer un arbre tombé dans l'eau. Mais lorsqu'il n'existe pas un tel partenariat entre les communes, on se trouve devant des situations inextricables qui ne font qu'aggraver les dégèle.

M. Pierre CORMORECHE : Et les conflits.

M. Jean-Bernard RAIMOND : Ma question s'adresse davantage à la Commission qu'à M. Cormorèche à qui je voudrais dire à quel point j'ai apprécié son exposé. La Commission a-t-elle demandé aux régions qui ont été affectées par les inondations de lui établir des diagnostics précis de ce qui s'est passé ?

M. le Rapporteur : Noua avons déjà reçu un certain nombre de documents, et nous allons compléter notre information en effectuant plusieurs déplacements dans les régions qui ont été touchées par les inondations ces dernières années.

M. Pierre CORMORECHE : Dans la plupart des cas, on arrive à bien analyser les raisons pour lesquelles les catastrophes se sont produites. La plus importante me parait bien être le manque de contrôle de l'urbanisation. On e ainsi laissé se développer des constructions dans des zones proches de rivières qui n'ont pas une goutte d'eau pendant trois cents jours, un tout petit peu pendant vingt jours, et beaucoup pendant dix jours de l'année. Je voudrais ajouter quelques précisions sur le reboisement. On parle beaucoup de la nécessité de re-forsatation dans des zones fragiles. Dans le secteur où j'habite, qui est une zone de côtières, les maires ont généralement respecté le principe de la côtière comme zone intermédiaire entre la partie plateau et la partie urbanisée aux fins de protection contre les risques naturels. Malheureusement, entre 1960 et 1990, personne ne se chauffait plus su bois, de aorte que les parties boisées sont devenues des futaies, sana aucune végétation au sol, qui ne jouaient plus du tout leur rôle pour absorber les eaux de ruissellement. Pour que soit assurée cette fonction d'absorption des eaux de ruissellement, il faut qu'il y ait une végétation répartie sur l'ensemble de la zone. Ce n'est dont pas uniquement par le boisement que noua pouvons régler le problème, encore faut-il qu'il s'agisse d'un boisement exploité dans lequel des coupes régulières permettent de disposer d'une végétation qui retient l'eau.

M. le Président : L'Assemblée permanente des Chambres d'Agriculture a-t-elle réalisé des études sur l'incidence des différentes essences en matière de ruissellement? J'ai ainsi souvent entendu dire que le reboisement en conifères facilite davantage le ruissellement que celui en feuillus, mais j'ai également entendu la thèse contraire.

M. Pierre CORMORECHE : Si nous avons des éléments sur ce sujet, je voua les transmettrai.

M. le Rapporteur : J'aimerais aussi que vous puissiez nous communiquer une note sur le problème des indemnisations que noua avons évoqué: pensez vous que le système actuel soit satisfaisant ou qu'il faille l'améliorer ?

M. le Président : Monsieur le Président, souhaitez-vous ajouter quelques mole?

M. Pierre CORMORECHE : Je souhaite que nous trouvions sur le plan législatif de vraies solutions car la législation actuelle est ancienne et manifestement inadaptée.

Ensuite, il faut réfléchir à des formules qui engagent les collectivités locales, par exemple pour la réalisation de réservoirs de rétention. Enfin, il faut peut-être s'orienter vers une utilisation particulière de la jachère aux fins de protection contre les inondations.

M. le Président : Nous vous remercions, Monsieur le Président, pour la très grande qualité de votre prestation. Soyez assuré que nous tiendrons le plus grand compte de vos remarques et propositions.

Audition de M. Paul-Henri BOURRELIER

Président de l'instance d'évaluation de la politique publique de prévention des

risques naturels su ministère de l'Industrie

(Extrait du procès-verbal de la séance du 29 juin 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Paul-Henri Bourrelier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'initiative du Président, M. Paul-Henri Bourrelier prête serment.

M. le Président : Pour commencer, je souhaiterais que vous nous expliquiez en quelques mots quelles sont vos fonctions exactes et votre mission au ministère de l'Industrie.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Je suie ingénieur général des Mines et membre du Conseil général des Mines qui est une inspection du ministère de l'Industrie, mais dont la fonction est largement interministérielle. Je suis également membre de la mission d'inspection spécialisée sur l'environnement, mine à disposition du ministère de l'Environnement par le Conseil général des Ponts et Chaussées.

Par ailleurs, j'exerce un certain nombre de fonctions en liaison avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Je préside notamment un Centre de recherche sur l'environnement industriel à Dunkerque. Ma fonction est donc naturellement interministérielle et me conduit à assumer les missions que les ministres veulent bien me confier.

M. le Président : Pourriez-vous nous préciser quels sont les rôles de l'instance d'évaluation que vous présidez actuellement?

M. Paul-Henri BOURRELIER : L'évaluation est une procédure créée par le gouvernement en 1990 dans le cadre de la modernisation de l'administration, qui est menée au moyen d'enquêtes réalisées chaque année sur quelques sujets fixés par un comité interministériel. En (occurrence, l'évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels a été décidée par le gouvernement en mars 1993, sur proposition du ministre de l'Environnement, en accord avec tous les ministères concernés. En raison du changement de gouvernement, l'instance n'a pris ses fonctions qu'au mois de décembre dernier; elle a donc actuellement six mois de travaux derrière elle. Le terme n'en a pas été fixé a priori, mais vu la complexité des questions abordées, ils ne seront probablement pas achevés avant deux ans. L'instance est composée de 31 membres et comporte quatre maires parlementaires, des représentants d'associations et des experte venant soit de l'administration, soit des milieux scientifiques ou techniques ou d'entreprises.

La première phase de ses travaux consiste à établir un état des lieux et des connaissances au moyen de consultations et d'auditions. Cette phase documentaire s'achèvera au mois d'octobre prochain par la présentation à (instance, et son adoption après discussion, d'un rapport d'étape qui devrait faire le point sur ce que nous savons aujourd'hui en matière technique, en matière scientifique, en ce qui concerne les comportements et les problèmes posés par les structures. Ensuite, nous procéderons à des enquêtes de terrain pour approfondir certains points. Je pense que dans un an environ, l'instance sera saisie du rapport final et discutera alors tant du jugement porté sur les politiques menées que des suggestions qui seront présentées.

L'évaluation des politiques publiques est une opération de réflexion en profondeur. C'est très différent des enquêtes ponctuelles que font le Conseil général des Ponts, des Mines, l'inspection des Finances, etc. L'objet de notre travail est de comprendre pourquoi les mécanismes fonctionnent ou ne fonctionnent pas et comment peut être envisagé (avenir.

M. le Président : Sur la question spécifique des inondations, où en sont actuellement vos réflexions ?

M. Paul-Henri BOURRELIER: A ce stade de nos travaux, je ne puis vous faire part que de mes réflexions personnelles puisque l'instance en tant que telle n'a pas encore été saisie du rapport d'étape.

Je ferai une remarque préalable en liaison avec mon observation précédente. La question des risques naturels donne lieu actuellement à de nombreux travaux au sein de l'administration: il y a eu récemment une enquête du Conseil général des Ponts; il y a votre Commission d'enquête; il y a la préparation d'un projet de loi qui sera présenté au Parlement dans les prochains mois. C'est une des raisons qui nous conduit à scinder notre travail en plusieurs phases et, s'il y a lieu, à prendre plus de temps, de façon à ne pas faire des doubles emplois. D'un autre côté, je pense que le fait qu'il y ait une pluralité d'approches est une excellente chose si on rassemble bien tous ces matériaux.

Sur le point de savoir si on a tiré les leçons des catastrophes précédentes, je crois que la réponse doit être nuancée. II y a eu chaque fois des enquêtes administratives, parfois judiciaires, parfois parlementaires, ainsi que des propositions. Malheureusement, il faut bien constater que, très vite, les rapports s'enterrent et qu'en définitive, si quelques décisions sont généralement prises assez rapidement, globalement notre système tire très mal les leçons de ces accidents. Pourquoi notre société n'arrive-t-elle donc pas à mettre en _uvre une véritable prévention ?

Je vous propose tout d'abord de réfléchir sur la chaîne de la prévention, qui comporte cinq maillons.

Le premier maillon est l'évaluation du risque. Sur ce point, il faut reconnaître que nos résultats sont tout à fait insuffisants, je dirais même médiocres.

Votre Commission se pose ainsi la question de savoir si les modifications des modes de cultures et l'urbanisation ont accru le risque inondation. On ne peut y fournir que des réponses vagues si l'on n'a pas procédé à une évaluation correcte, c'est-à-dire au moyen de modèles scientifiques. Mais aujourd'hui nous ne disposons pas de tels modèles, nous avons même plutôt régressé par rapport su passé. Dans l'état actuel des choses, je peux donc seulement répondre: certainement ces facteurs ont un effet, mais que l'on est incapable de chiffrer parce que cela supposerait qu'ait été accompli un travail scientifique qui ne l'a pas été.

En d'autres termes, on court après l'évaluation. On a l'impression chaque fois - ce fut le cas pour Nimes, Vairon la Romaine et les inondations de l'hiver dernier -, que l'on court après une évaluation que nous n'avons pas faite. Des travaux très intéressants ont été récemment engagés par le ministère de l'Environnement, tendant à une évaluation des zones de crues rapides sur 24 départements, mais ce n'est qu'un début du type de réflexions que noua devrions mener.

Par ailleurs, mais je reviendrai ultérieurement sur ce point, la compétence hydraulique en France s'est détériorée depuis une vingtaine d'années. Globalement, le constat que l'on peut dresser est donc plutôt un peu inquiétant.

Le deuxième maillon de la chaîne de prévention consiste en l'alerte et la prévision des crues. Là aussi, je pense très franchement que notre système d'alerte aux crues est bricolé et n'est pas à la hauteur de ce que permet aujourd'hui la technique en matière de réseau d'informations, avec les satellites, les radars, les systèmes de traitement en tempe réel de l'information et une modélisation correcte assurant une information précise des gens menacés.

Lorsqu'il s'agit de crues rapides, le système comporte tellement d'imperfections qu'il enregistre un pourcentage d'échecs important: une fois sur deux, il n'est pas assez efficace pour transmettre les informations dans les délais.

Par ailleurs, la prévision qui set donnée de la montée de la crue est imprécise, du fait de l'absence de modèles, ce qui entame largement la crédibilité de l'administration ou des maires vie-à-vis de leurs administrés. Ceci d'autant plus que, dans ce domaine, l'information est déjà soumise à l'aléa météorologique, qui, en situation perturbée, ne permet même pas la prévision à échéance de quelques heures.

En revanche, sur l'évolution de la courbe de crue, on peut être précis, il faut donc l'être.

Le troisième maillon de la chaîne concerne l'atténuation des effets des crues et comporte trois grands volets: les ouvrages qui assurent l'écoulement des eaux, c'est-à-dire les digues et barrages ; les dispositifs d'écrêtement des crues, en particulier les zones d'expansion; enfin, les restrictions à l'occupation des sols.

En ce qui concerne les ouvrages, il faut étudier de près les faite et nous revenons 18 à la question du modèle. Il faut savoir par exemple de quelles zones d'expansion de crues on dispose en amont pour la Saine. Les changements culturaux peuvent compliquer les choses, mais les facilitent quelquefois, par exemple la transformation de zones cultivées en friches, que les cultivateurs accepteront peut-être plus facilement de voir considérées comme zones de crue.

Par ailleurs, la maintenance des ouvrages a une importance majeure. C'est le grand problème qui est apparu avec la crue du Rhône en Camargue, à l'occasion de laquelle on a découvert subitement que la moitié des digues, construites su XIXème siècle, sont dans un état déplorable... Un système, cela s'entretient, cela se suit. II faut connaître ses faiblesses, de façon à savoir très vite, lorsque l'on est prévenu d'un risque de crue, où il faut procéder aux réparations nécessaires.

Je voudrais également citer le cas de la région parisienne. Une étude faite cet hiver montre qu'une partie des digues et des parapets qui ont été construits le long de la Seine depuis 1910, sont interrompus à certaine endroits parce qu'on a construit, par exemple, une bretelle d'échangeurs, ou que des transformateurs d'EDF se trouvent en zone inondable. Il faut donc procéder à un état des lieux.

S'agissant de l'occupation des sols, du travail a été fait. Mais 18 aussi, on est resté à mi-chemin. Le problème se pose d'abord en termes de politique globale. On est bien obligé, d'une certaine façon, de construire en zone inondable lorsque ce n'est pas trop dangereux, parce qu'on n'a pas le choix, etc. Mais il ne faut pas construire, bien sûr, dans les zones qui présentent de grands risques, surtout de crue rapide. Il faut donc parvenir à une optimisation et ai une circulaire de janvier dernier lève un peu le voile sur les idées du gouvernement en la matière, les choses restent encore extrêmement imprécises.

Le quatrième maillon de la chaîne de prévention est la préparation aux crises, qui est un domaine dans lequel les étrangers, notamment les Japonais et les Américains, font un effort considérable. En théorie, les préfets doivent adresser un dossier aux maires qui doivent l'afficher pour que leurs administrés en prennent connaissance.

En fait, une seule ville en France - Avignon - applique cette réglementation. Ce n'est quand même pas beaucoup... Au demeurant, le dispositif ne me parait guère satisfaisant, car qui lit les affiches? Est-ce que cela suffit? N'y a-t-il pas des moyens plus modernes? Ne faut-il pas plus associer les pompiers? A mon sens, en France, nous sommes donc assez mauvais en matière de préparation aux accidents.

Enfin, le dernier maillon de la chaîne est celui de la réparation après crise ou accident. C'est à ce moment-là que l'on refait les mêmes bêtises, que, par exemple, on reconstruit au même endroit. Or c'est le moment favorable pour repartir d'un meilleur pied, car les erreurs commises sont encore présentes à l'esprit de tous et les gens sont sensibilisés au problème. Rarement évoquée, cette phase de retour d'expérience est pourtant très importante car elle boucle la chaîne.

Globalement, le bilan technique point par point que je viens de vous présenter est plutôt décevant. Il faut comprendre pourquoi: ce n'est pas parce que l'administration n'a pas essayé, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu des enquêtes et des rapports, ce n'est pas parce que les loin ne sont pas bonnes. Les causes profondes sont à rechercher dans les difficultés de fonctionnement de notre société. Je pense que c'est dans cette direction que notre instance, une fois dressé le premier bilan, va orienter ses travaux. Pour le moment, je ne peux guère, sur ce thème, que formuler des interrogations.

La première série d'interrogations porte sur les points suivants: quel est le rôle de l'Etat? Quels sont ses objectifs? Quel est le rôle des maires et des collectivités locales? Quelles sont les fonctions à assumer? Comment se répartissent-elles ?

Si ces questions ne sont pas posées clairement, nous n'arriverons à rien. Un effort a déjà été engagé en ce sens, mais on doit aller nettement plus loin. Il n'est pas étonnant que la réorganisation des pouvoirs issue des lois de décentralisation demande du tempe. Nous avons donc encore à travailler dans le sens de l'harmonisation. Mais il est certain que ces problèmes ne sont pas simples à résoudre, d'autant que le même système s'applique aux grandes villes et aux communes rurales alors qu'il s'agit de réalités complètement différentes.

Le deuxième sujet de réflexion, ce sont les responsabilités personnelles. Notre société connaît actuellement une évolution importante sur ce point, comme en témoignent en particulier les modifications récemment apportées su code pénal, ainsi que la multiplication des mises en examen de différents responsables. Nous allons donc certainement vers une société de responsabilisation, alors que la loi de 1982 était plutôt le signe d'une société de solidarité. La responsabilité personnelle se situe à deux niveaux: celui des acteurs directs que sont les maires, les fonctionnaires, les experts. Je crois qu'il est excellent que les gens puissent avoir à répondre de leur action devant les tribunaux. Mais encore faut-il que cela ne les paralyse pas. II faut trouver le junte milieu. Car si les experts n'osent plus se prononcer, si les fonctionnaires ne donnent plus de conseils, de crainte, s'il y a accident, d'être mis en examen, alors il y a danger. Le second niveau de la responsabilité concerne les particuliers, qui sont actuellement les grands absents. Je vise là le système d'assurance. Il est bien évident que tout système de solidarité collective comme celui issu de la loi de 1982 a un effet déresponsabilisant. Je pense que, d'une façon ou d'une autre, nous devons passer à un système plus assuranciel. où l'assuré est personnellement acteur du système, ce qui n'exclut pas la solidarité en complément ou parallèlement.

Le troisième aspect est la compétence technique. A mon avis, on est actuellement dans un système d'émiettement et donc de dissolution de la compétence technique en matière hydraulique. Je le dis fortement, nous ne disposons pas aujourd'hui d'une force scientifique et technique en matière hydraulique. Il faut donc absolument trouver les moyens de reconstituer un outil suffisant.

Cette opinion est partagée par les agences de l'eau, la MISE et le Conseil général des ponts et chaussées, ainsi que par le CNRS qui, dans son rapport d'orientation quinquennal, a signalé la faiblesse en hydraulique.

Le quatrième sujet de réflexion doit concerner l'organisation de l'administration. A l'évidence, les structures sont trop compliquées, il faut simplifier. Il y a des efforts de regroupement. Je ne sais pas s'ils seront suffisants. En tout cas, ils traduisent bien le fait que dans le pansé, il y a eu par trop de complications et d'émiettement. Récemment, un préfet m'a dit: .Faites que l'on nous adresse deux fois, voire quatre fois moins de circulaires, mais qu'elles soient lisibles,compréhensibles par des particuliers..

Le dernier point est bien sûr l'aspect financier. Je crois qu'il ne faut pas poser la question de savoir si on a a de l'argent pour faire de la prévention. Le vrai problème n'est pas là. Car de toute façon, notre collectivité paiera pour les accidents naturels, en dégâts, en réparation des dégâts, en gestion de crises et en prévention. Ce qu'il faut considérer, c'est la somme totale qui est consacrée, bon gré mal gré, aux effets des risques naturels. Tout le problème, c'est de minimiser la dépense. Peut-être en faisant un peu plus de prévention pour dépenser un peu moins en réparations. Une telle démarche suppose d'avoir une vue claire de l'implication financière globale, mais, pour le moment, il n'y a aucune évaluation. II faut aller chercher les chiffres et reconstituer le total. Après, il faut se poser la question de savoir comment gérer cela au mieux. Depuis vingt ans,la fonction de gestion du risque s'est considérablement développée dans les grandes sociétés. A mon avis, l'Etat doit aujourd'hui se poser la question de savoir comment il gère les risques tel que le risque .inondation..

M. le Président: Je voua remercie. Voua venez de parler de la gestion du risque. Vous êtes vous posé la question de savoir si la prévention à tout crin, compte tenu des montants d'investissements en jeu, est vraiment la meilleure solution. Ne faudrait-il pas plutôt accepter de supporter le coût du risque ?

M. Paul-Henri BOURRELIER: Je suis entièrement de cet avis. On ne peut pas formuler des affirmations vagues et non fondées du genre. la prévention, c'est moine cher que la réparation. Je ne suis pas du tout favorable à une prévention à tout crin. Il faut la raisonner. Prenons d'abord les risques concernant les personnes. Je penne que dans un pays développé comme la France, le risque d'accidents mortels du fait d'inondations devrait être minime. Il est inacceptable, à mon sens, de ne pas contrôler ce risque. Or il existe, comme nous l'avons vu avec la catastrophe de Vaison-la-Romaine. Et un accident plus grave peut se produire demain dans une grande ville du Midi, car personne ne peut assurer que les études sur des villes comme Nice, Nimes ou Marseille nous garantissent la sécurité dans ce domaine.

Ensuite, il y a la prévention concernant les biens. Là, je pense que l'étude économique doit permettre de tracer la limite entre ce qui doit faire l'objet d'un système d'assurance, et ce qui, au contraire, doit faire l'objet de prévention. Prenons l'exemple des zones qui sont sujettes à des inondations toua les dix ans en deux ou trois inondations, on a payé plus que la construction; la prévention, qui est probablement de ne pas construire ou tout au moins de prendre certaines précautions, est donc justifiée. Par contre, se protéger contre des inondations ne présentant pas de risque pour les vies humaines et qui auraient lieu toua les trois siècles, est probablement une totale erreur économique. Cela pose le problème de savoir s'il faut continuer à construire des barrages sur la Loire, la Seine et dans l'ensemble du bassin du Rhône. La réponse n'est pas évidente, il faut étudier l'ensemble des données de façon à parvenir à une solution équilibrée.

Par contre, une société comme la nôtre doit absolument développer toutes les actions d'information et de formation de la population, de mobilisation et de préparation à l'alerte.

M. Jean-Marie ANDRE : Je suis d'accord avec vous pour dire que, quoi qu'on fasse, on ne pourra pas prévenir la crue millénaire. Par contre, on peut prévenir les gens pour qu'ils se mettent à l'abri, de façon à éviter les pertes humaines et les dégâts matériels.

Par ailleurs, en ce qui concerne les crues habituelles, se pose aujourd'hui dans le cas de la vallée du Rhône qui m'intéresse particulièrement, un problème de digues. Sur la rive droite, elles sont gérées par un syndicat intercommunal, sur la rive gauche par les propriétaires. Personnellement, je pense qu'il faudrait créer un syndicat mixte. Tout à l'heure, vous disiez qu'il fallait que la prévention soit gérée par la société ; or la société c'est d'abord l'Etat, mais c'est aussi, naturellement, la région, le département et les communes. Or, aujourd'hui, interviennent uniquement, pour la rive droite les communes, pour la rive gauche, les propriétaires privés. Il faudrait que nous nous réunissions toue ensemble pour que, chacun apportant son obole financière, nous parvenions à mieux gérer ce problème des digues, en particulier en assurant, sinon une gestion commune des deux rives, au moins une coordination étroite entre les deux. Car si on renforce plus la rive droite que la gauche ou inversement, c'est un côté ou l'autre qui sera davantage inondé. L'Etat a un rôle important à jouer, mais je souhaiterais que l'ensemble des collectivités interviennent sur le plan financier et administratif.

M. Paul-Henri BOURRELIER : Je suie tout à fait de cet suie. Vont d'ailleurs dans le même sens les conclusions du rapport Dambre, qui propose de constituer un syndicat mixte, si possible interdépartemental, de façon à avoir une maîtrise d'ouvrage globale. Je pense que c'est une très bonne proposition.

M. Jean-Marie ANDRE : Je voudrais signaler à l'attention de la Commission que, selon certaines études, les inondations à proximité des sites nucléaires de Cadarache et de Marcoule conduisent à la pollution des terres, en particulier les rizières de Camargue.

M. le Président : Monsieur le Président, vous avez fait état tout à l'heure de la prolifération d'études et d'enquêtes sur les risques naturels, les inondations en particulier. Avez vous fait un point précis du nombre d'organismes qui travaillent actuellement sur le sujet ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : Je ne l'ai pas fait. Mais je ne pense pas que ce nombre soit excessif. II n'est pas étonnant que plusieurs études soient en cours en même temps, car il faut à la fois réagir vite lorsque se produisent des accidents et mener une réflexion en profondeur. Je pense sincèrement que les idées peuvent converger. Simplement, face à cela, l'administration est manifestement débordée. C'est pourquoi, pour ce qui concerne l'instance que je préside, j'irai lentement parce que je ne peux pas obtenir rapidement les documents. En outre, en France, nous avons véritablement un problème de méthodes de travail, car outre l'administration, des élus, des organismes publics, des entreprises privées ont mené des réflexions sur le sujet, mais pour disposer de l'ensemble de leurs travaux, il faut vraiment aller à la pèche.

M. le Président: Quel serait selon vous le moyen de remédier à cela?

M. Paul-Henri BOURRELIER : Vous me prenez un peu de court. En ce qui concerne les risques naturels, et particulièrement des inondations, se pose le problème des relations entre la direction de la Sécurité civile du ministère de l'Intérieur et le ministère de l'Environnement. Est-il raisonnable d'avoir deux pilles de responsabilité? II n'est vraiment pas nécessaire que sur un même problème il y ait à chaque fois deux circulaires. Personnellement, j'ai le sentiment que le pôle sécurité civile est très important. Ce que les gens voient, ce sont les pompiers qui vont les tirer par hélicoptère, l'agent d'assurance et le maire, bien s>Sr. Alors quelle est la place, dans ce contexte, d'une administration de l'environnement? En tout cas, il faut su moins qu'elle soit beaucoup plus proche. On commence à enregistrer des progrès dans ce domaine, avec le rapprochement, su niveau départemental, entre les directions de l'agriculture et de l'équipement. Par ailleurs, il y a des commissions auprès des préfets, et ceux-ci doivent assumer cette fonction de rapprochement des diverses administrations au niveau du département. Mais malheureusement, pour ce qui est des inondations, le département n'est pas le seul niveau pertinent: il y a aussi le bassin. On peut donc se poser la question de savoir pourquoi les agences de bassin n'interviennent pas plus dans ce domaine. En France, noua avons une organisation remarquable concernant la pollution de l'eau, avec les agences de bassin, créées par une loi de 1962, devenues aujourd'hui agences de l'eau. Leurs compétences se limitent aux actions sur la pollution, mais le budget de l'ensemble des agents de l'eau représente n fois celui du ministère de l'Environnement et de la protection civile réunis. N'est-ce donc pas là que devrait être rassemblée la compétence sur les bassins versants? En particulier, les bases de données sur les bassins versants pourraient être tenues par lés agences de bassin, en liaison avec les SAGE. Ce n'est qu'une piste de réflexion que je vous livre ici. Mais il faut absolument traiter ce problème plus sérieusement que nous ne l'avons fait jusqu'à présent.

M. le Rapporteur: Je me demande effectivement si le bon niveau pour traiter ce problème, ce ne sont pas les agences de bassin, car au niveau des communes et même du département, on ne voit qu'un aspect très limité du problème. Par ailleurs, vous avez dit au début de votre exposé que la connaissance a régressé en matière d'évaluation du risque. N'est-ce pas justement à cause de cet émiettement des responsabilités, de cette multiplication d'administrations et d'organismes qui s'occupent du même sujet ?

M. Paul-Henri BOURRELIER : Oui, je le pense. Peut-être si je été sévère en parlant de régression, mais j'ai quand même le sentiment que cela a piétiné. Par rapport à il y a vingt ans, les moyens techniques en matière d'information ont considérablement changé. Or, comment fonctionnent aujourd'hui les services d'alerte des crues? Il ne s'agit pas de mettre en cause les personnes, qui font ce qu'elles peuvent, mais les modes de calcul sont restés à peu près les mêmes qu'il y a trente ans. Le système n'a pas évolué, on lui a seulement ajouté des rustines. La cause est certainement une certaine dispersion à laquelle il faut remédier. Mais la situation n'est pas dramatique, car les compétences fondamentales sont là. Nous avons les hydrauliciens capables de remettre tout cela à niveau en très peu de temps si on le veut. Mais il faut s'organiser, cela ne peut pas se faire tout seul. Pendant dix ans, j'ai dirigé le BRGM, ce qui me permet de bien voir la différence entre d'une part, un établissement doté des moyens assurant la continuité de son action, d'autre part l. Il set évident qu'EDF, Météo France, les agences de bassins, ont les moyens de constituer des bases de données. Je ne suis pas certain qu'une administration, que ce soit la Sécurité civile, le ministère de l'environnement ou le Conseil général des Ponts et Chaussées, dont les moyens sont toujours sujets à variation budgétaire, soit en mesure de mettre en place la structure permanente de données sur les risques dont nous avons besoin. C'est mon impression, mais je ne veux pas préjuger du résultat des conversations et des réflexions des uns et des autres.

M. le Président : Si mes collègues n'ont plus de questions, nous allons mettre un terme à cette audition. Souhaitez-vous dire quelques mots en conclusion ?

M. Paul-Henri BOURRELIER: Je ne dirai qu'une seule chose: j'attends avec beaucoup d'intérêt le rapport de votre Commission, qui contribuera à nourrir la réflexion de l'instance d'évaluation. Je sens une convergence. J'espère que j'ai été convaincant en exprimant certaines idées. Je pense que réciproquement, ce qui sera dit par la Commission sera important et contribuera à nourrir la réflexion de l'instance d'évaluation.

Audition de M. Georges TOUZET

Directeur général de l'Office national des forêts (ONF)

(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 juillet 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Georges Touzet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Georges Touzet prête serment.

M. le Président: Monsieur le Directeur général, la Commission a souhaité voua entendre car les problèmes de reboisement ou de déforestation, la qualité de l'entretien des forêts sont très souvent citée comme ayant une influence sur la vitesse d'écoulement des eaux et sur le ravinement, donc sur la gravité des crues. Avant de voua interroger plus précisément sur ce sujet, je vous demanderai au préalable d'évoquer très rapidement les missions de l'ONF.

M. Georges TOUZET : Je vais faire un petit rappel chronologique. L'ONF a succédé à l'administration des eaux et forêts, extrêmement ancienne, qui a compté parmi ses attributions, à partir du dernier tiers du XIXème siècle, la restauration des terrains en montagne, mission qu'elle a pria l'initiative d'assurer à la suite d'inondations catastrophiques.

L'ONF n'a repris qu'une partie des attributions de l'ancienne administration des eaux et forêts. En ce qui concerne le sujet qui nous occupe aujourd'hui, il existe bien en son sein un service de la restauration des terrains en montagne (RTM). Cependant, une partie de la tache de ce service s'exécute sous l'autorité du préfet, donc, techniquement, sous celle des directeurs départementaux de l'agriculture et de la forêt. Autrement dit, les responsables du RTM relèvent en quelque aorte de deux hiérarchies: d'un côté fONF, et de l'autre, pour l'action et, en particulier pour tout ce qui concerne le risque, qui est une prérogative d'Etat, les services dépendant directement de l'autorité préfectorale.

L'ONF a pour tache d'abord de soutenir le RTM, de l'administrer et de (encadrer sur le plan technique. Il a aussi la charge de gérer les périmètres domaniaux, c'est-à-dire les reboisements effectués su cours du XIXème siècle. Établissement public industriel et commercial, l'ONF est maître d'_uvre pour un certain nombre de fonctions, autres que les fonctions régaliennes relevant de l'autorité des préfets, aux termes d'une convention avec l'État, notamment pour le RTM.

Il faut replacer les choses dans une perspective historique. Les années 1840-1868 ont été en France une période d'inondations très importantes. Celles-ci ont donné lieu à des polémiques diverses, à des prises de position techniques extrêmement contradictoires. Finalement, la loi de 1860 a été la première en Europe à prévoir le reboisement des montagnes. Cependant, on s'est aperçu assez rapidement que ai le reboisement était une méthode pour diminuer les écoulements d'eau catastrophiques, ce n'était pas une méthode absolue et ce n'était pas la seule: intervenaient aussi l'engazonnement, le génie civil, l'entretien des alpages, lés problèmes posés par la zone supérieure de la végétation; par conséquent cette loi a été complétée et modifiée en 1864, en 1882 et en 1920.

Sur ces bases ont été entreprisse nombre d'actions en matière de génie biologique et de génie civil, pour corriger, dans une certaine mesure, les écoulements d'eau catastrophiques (catastrophiques au sens où une catastrophe est un événement extraordinaire). 560.000 hectares ont été ainsi périmètres dans les zones de haute montagne, pour l'essentiel dans les Alpes et les Pyrénées. Sur ces surfaces étaient prévus des travaux à la charge des propriétaires, dont on s'est aperçu rapidement qu'ils dépassaient largement leurs capacités financières et qu'ils devaient par ailleurs s'inscrire dans un plan global. C'est la raison pour laquelle ils ont été rapidement pria en charge par l'État qui a même acquis 380.000 de ces 660.000 hectares, le reste étant pour l'essentiel des terrains communaux, de sorte que la quasi-totalité sont aujourd'hui des terrains publics. Sur ces 380.000 hectares périmètres, 260.000 hectares ont été reboisés. Le terme .reboisé. n'est du reste pas tout à fait exact parce qu'il laisserait à penser un retour à l'état boisé, alors qu'il est assez vraisemblable que la plupart de ces zones n'avaient jamais été boisées. Pourquoi la totalité n'a-t-elle pas fait l'objet du même traitement ? Tout simplement parce que les 380 000 hectares incluent des alpages, qui ont été longtemps utilisés et le sont parfois encore, ainsi que des terrains situés au-delà de la limite de la végétation.

En même temps, on a fait des travaux de génie civil de correction des torrents. On a établi une foule de petits ouvragea sur des petite torrents, en particulier dans les bassins versants, c'est-à-dire la partie la plus élevée du lit torrentiel. Pour résumer, disons que, de 1880 à peu prés à nos jours, 1.500 bassins torrentiels ont été traités de cette façon.

Par ailleurs, dans la période 1988-1992, noua avons fait une enquête sur les forêts classées .montagne. ; en effet, outre les 260.000 hectares dont je viens de parler - que l'on appelle .périmètres domaniaux acquis. -, quantité de forêts ont un rôle de protection. Nous avons relevé 4.600.000 hectares de forêts de montagne ou haute montagne ayant un tel rôle. Sur ce total, il y a 3 millions d'hectares de forêts publiques, répartis en un tiers de forêts domaniales et deux tiers de forêts communales.

Quels sont les avantages de la forêt pour le sujet qui nous préoccupe? La forêt intercepte une partie de la pluie. Elle supprime aussi le lessivage et l'abrasion du sol. Il faut savoir que dans les zones de sols un peu marneux, comme les zones de friche du sud des Alpes, une grosse averse peut enlever de 7 à 10 millimètres de terrain, que l'on retrouve sous forme de lave en bas et qui accroît l'énergie du flot. La forêt favorise la filtration, et par conséquent, réduit le ruissellement. Ce point a été beaucoup discuté dans les années 1860: certains pensaient qu'il fallait uniquement faire des travaux de génie civil, c'est-à-dire des barrages pour arrêter l'eau ou diminuer sa vitesse. A l'heure actuelle, le doute n'est plus permis puisque nous disposons de bassine versants expérimentaux. Je n'en citerai qu'un, c'est le bassin du Drex, en Haute-Provence, où un bassin témoin a été laissé à l'état naturel, un autre a été traité et un troisième a fait l'objet uniquement de travaux de génie civil. On constate après plusieurs lustres d'expérimentation que, dans la zone traitée, la pointe de crue est écrêtée à 80 %, le volume ruisselé diminue de 60 % par rapport à la zone non traitée et que la rétention avant écoulement, c'est-à-dire le laps de tempe qui s'écoule entre l'averse catastrophique et l'arrivée de la crue, est multipliée par trois, ce qui augmente sensiblement le lampa d'alerte.

Cela dit, ces effets incontestables ont des limites. Le sol forestier peut être comparé à une éponge: quand il est saturé, l'éponge est pleine, on ne peut plus arrêter l'eau et elle ruisselle. Cette limite varie évidemment suivant les sols. Disons qu'en moyenne, sur une période brève (en cas de précipitations étalées, ce peut être beaucoup plus), par exemple à l'occasion d'une forte averse de type méditerranéen voire subtropical comme nous en avons vues ces dernières années, un sol forestier peut absorber et retenir environ 100 millimètres d'eau; au-delà, l'eau ruisselle. Toutefois, elle ne se charge pas. Au-delà de son rôle d'éponge, la forêt continue ainsi de jouer un rôle, mais ce n'est plus de rétention. La forêt n'est donc pas une arme absolue. Cela dit, le coefficient de rétention d'un alpage bien entretenu est seulement de 60 % de celui de la forêt. Celle-ci présente donc bien un avantage, sans pour autant être l'arme absolue, comme en témoigne le fait que le bassin versant de Vaison-la-Romaine est boisé à 88 %. Au passage, j'indique qu'il existe des zones beaucoup plus dangereuses que Vaison-la-Romaine ou le Grand Bornand, où le forestier a fait tout ce qu'il pouvait faire. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'attirer, à une certaine époque, l'attention du Secrétaire d'État aux risques majeurs sur ce point.

Existe-t-il aujourd'hui des problèmes sur ces boisements? Il y en a effectivement et ils se posent à l'échelle de l'Europe. Ils sont de deux ordres. Il y a d'abord un problème technique. En effet, les boisements ont été effectués dans la période 1860-1880, ils ont donc cent ans. Ils n'avaient aucun caractère de production, mais personne ne peut empêcher une forêt de produire du bois. Si on veut la maintenir identique à elle-même dans le temps et dans l'espace, il faut exploiter le bois, sinon se produisent des phénomènes de sénescence et de mortalité. Or on n'a pas procédé à une telle exploitation sur ces boisements, dans lesquels les arbres sont restés extrêmement serrée et ont vieilli. De sorte qu'aujourd'hui, nous nous trouvons devant un problème de peuplement serré et vieilli qu'il faut régénérer. Autrement dit, il faut enlever ce qui existe, ce qui pose beaucoup de problèmes, car il n'y a pas d'accès à ces ornes. Il faut aussi pouvoir remplacer les arbres sans solution de continuité, c'est-à-dire sans détruire à aucun moment le couvert forestier. Le problème est donc double, économique et financier d'une part, technique de l'autre; cela dit, techniquement, il y a des solutions, même si subsistent des difficultés dans certaine cas, si bien que c'est l'aspect économique qui est le plus problématique.

Par ailleurs, la plupart des barrages ont été construits avant 1914 et ont été assez mal entretenue entre les deux guerres parce que l'administration des eaux et forêts n'était pas très argentée. De ce fait, nous devons maintenant procéder à une véritable campagne de réhabilitation de ces ouvrages, qui ne pose pas de problème technique mais suppose de dégager des moyens financiers.

Pour terminer, j'évoquerai les phénomènes qui se produisent en montagne et qui ont des effets non pas directement sur les inondations mais sur les glissements de terrain, sachant qu'en cas de grandes pluies, il y a un mélange désagréable entre glissement de terrain et eau. Or il s'est passé un certain nombre de choses ces temps derniers. D'une part, il y a les variations de l'écorce terrestre, les Alpes sont un milieu qui bouge, très peu - quelques dixièmes de millimètres par an -, mais qui bouge; cela finit par se traduire par des fentes en surface, des zones d'arrachement ou de glissement. D'autre part, la sécheresse a tendance à aggraver les failles, ce qui provoque, quand arrive l'eau, des arrachements et des glissements extrêmement importants comme celui qui s'est produit à Bercelonnette.

M. le Président : Etant élu du département des Ardennes, où la forêt est très présente et où l'ONF joue un rôle important, j'aimerais vous poser quelques questions sur les massifs anciens en moyenne, très moyenne et basse montagne. Dans ma région, la tendance des habitants ou des maires est de mettre en cause l'ONF parce qu'il remplacerait les feuillus traditionnels par des résineux qui accéléreraient l'écoulement des eaux. Pourriez-voua nous donner une réponse technique sur ce point? Les résineux retiennent-ils moins bien l'eau ? Le fait que sous les résineux il n'y ait pas de taillis ni de ronciers a-t-il ou non une incidence sur l'écoulement des eaux ?

M. Georges TOUZET : D'abord, l'ONF fait peu de changement d'essences et a très peu de place dans le processus d'enrésinement. Dans le quart Nord-Est, la technique mise en _uvre par l'ONF est su contraire celle de le conversion en futaies feuillues. Il arrive même qu'on le lui reproche, car elle se traduit par cent ans de capitalisation donc, pendu cette période, par des revenus assez faibles. Par conséquent, le changement d'essences n'est pas le fait de la forêt publique. A l'heure actuelle, la forêt domaniale se compose de près de 80 % de forêts de feuillus et de seulement 20 % de forêt résineuse, clora que la statistique nationale set de l'ordre de 60 % de forêt feuillue et 40 % de forêt résineuse. L'enrésinement a été l'_uvre de la forêt privée, aidée par le Fonds forestier national, pour des raisons d'ordre purement économique, car le tempe de retour en termes financiers pour un propriétaire est infiniment plus faible en résineux qu'en feuillus.

Pour en revenir à l'Ardenne, la forêt publique y est composée à 80-90 % de feuillus, on n'y a pas procédé à des changements d'essences, et l'enrésinement s'est porté essentiellement sur les domaines privés pour les raisons que j'ai indiquées.

Par ailleurs, étant associé à l'université de Louvain, j'ai travaillé avec les Belges sur les problèmes de rétention d'eau des peuplements. L'économie de l'eau à l'intérieur d'un peuplement de résineux est en effet très différente de ce qu'elle est dans un peuplement de feuillus. II suffit de réfléchir au fait qu'il y a des feuilles même en hiver et que le résineux fait fonction de parapluie. Lorsqu'il reçoit l'eau, une partie s'égoutte le long des feuilles, une partie ruisselle le long du tronc - c'est beaucoup plus important que dans les feuillus - et une partie s'évapore. Par conséquent, le ruissellement su niveau du tronc et de la couronne est beaucoup plus important que pour les feuillus, c'est parfaitement exact.

En revanche, pour ce qui arrive au sol, la rétention est pratiquement la même. Vous sues dit que sous les résineux il n'y a pas de ronciers ou d'autre végétation; mais c'est simplement parce que le sylviculteur n'a pas fait son travail ! Les inconvénients des peuplements résineux, notamment l'acidification, viennent du fait qu'ils n'ont pas été ouverte, éclaircie pour prendre le terme forestier. Si vous visitez les sapinières des Vosges, en particulier celles de la forêt domaniale, vous verrez qu'il y a des feuillus à l'intérieur, tout simplement parce qu'elles sont éclaircies à temps. En fait, un peuplement de résineux normalement éclairci, qui comporte un sous-étage, lequel s'installe très normalement dans le résineux comme il s'installerait dans un peuplement de feuillus, a une capacité de rétention globalement à peu prés du même ordre que ce dernier. Par contre, la capacité de rétention est beaucoup plus faible dans les peuplements trop fermés qui n'ont pas été éclaircis.

M. le Président : Les routes forestières ou plutôt les coupe-feu qui sont établie dans ce type de forêt ne sont-ils pas un facteur d'accélération du ruissellement en cas de fortes précipitations, sachant qu'en général ils sont longée de fossés de part et d'autre ?

M. Georges TOUZET : Les coupe-feu, a priori, n'ont pas d'incidence sur les inondations. L'expérience prouve qu'ils ne sont pas souvent très bien entretenus. Par conséquent, s'ils ne jouent pas très bien leur rôle de pare-feu, inversement ils ne se constituent pas en torrents, d'autant qu'ils sont généralement plate et aménagés dans les parties très hautes de façon à permettre aux pompiers d'arriver sur place.

Le problème des routes en milieu de montagne est autrement plus compliqué. Il est certain que la route est un facteur aggravant, en particulier pour les glissements de terrains. Pour les inondations en revanche, il ne semble pas que tel soit le cas, sauf dans des micro-stations, où il arrive, en particulier lorsqu'elles sont très urbanisées, que le réseau de routes conduisant à chaque maison se comporte comme un réseau de torrents. Le surface étant goudronnée, l'eau coule vite, s'accélère et finalement envahit les maisons construites en aval. Mais c'est un microphénomène. D'un point de vue global, la route a peu d'influence sur l'inondation. Elle peut en avoir ai (étude d'impact a été mal ou insuffisamment faite. Us routes anciennes peuvent en avoir sur les glissements de terrains parce qu'elles introduisent une solution de continuité.

M. le Président : Vous avez fait allusion su: problèmes économiques posés par la régénération de la forêt en zone de montagne. Pourriez-vous nous dire quel est le coût moyen à l'hectare lorsque vous devez intervenir en zone montagneuse ?

M. Georges TOUZET : Pour le moment, nous le faisons assez peu, parce que le coût est évidemment prohibitif ! En effet, cela suppose notamment que les ouvriers soient chaque jour amenés et redescendus par hélicoptère. C'est pourquoi nous n'entreprenons pas de telles opérations, sauf dans des zones qui nous paraissent très dangereuses. il faut savoir en effet qu'un arbre commence à périr par ses racines, et qu'avec le vieillissement, il s'accroche mal et peut se renverser, de aorte que, quand la forêt devient vieille, il peut se créer des arrachements, donc des zones d'érosion. Dans ces cas-là, nous avons fait quelques débardages et quelques extractions par hélicoptère. Disons qu'en gros, très approximativement, un reboisement qui coûte de l'ordre de 30.000 F. en plaine, colite à peu près 150.000 F dans ces conditions-là. Dans les quelques expériences où nous avons fait des débardages par hélicoptère, le seul débardage nous est revenu à peu près à 300 F/m3., alors que nous vendons le mètre cube entre 100 et 150 F.

M. le Président : Donc c'est une perte nette.

M. Georges TOUZET : Oui. Cela dit, ce n'est pas un problème économique, c'est un problème de moyens financiers. Il n'est pas question de faire tout partout. Mais il faut bien voir qu'on est amené à travailler dans des conditions extrêmement différentes de celles du XIXème siècle sur le plan des salaires et des conditions de confort pour la main d'_uvre, et qu'au XIXème siècle, il n'y avait pas de bois à débarder. Or il n'est pas question pour nous de le laiiser sur place, ce qui créerait une accumulation de matériaux qui, un jour ou l'autre, finiraient par descendre dans la plaine. Là, il y a un véritable problème financier qui n'a pas encore été abordé. Il faut être très franc. Des générations ont éludé cette question. Nous avons commencé à nous en préoccuper très sérieusement-il aurait fallu le faire avant, d'ailleurs-, pour faire une analyse. C'est la raison pour laquelle nous avons fait cet inventaire des forêts de montagne. En effet, les grands périmètres ne sont pas les seuls à être concernés; s'il n'y avait que leurs 200.000 hectares, cela ne serait pas grave. L'analyse est faite, et nous sommes maintenant en train d'identifier les endroits où il faut intervenir et d'établir le devis, qui sera très élevé.

M. le Président: Actuellement, vous n'avez pas encore d'estimation précise ?

M. Georges TOUZET : Non, pas encore. J'ai dit que le problème avait été éludé depuis 1930. Mais pour les forêts, l'unité de temps n'est pas tout-à-fait l'unité de temps commune. Nous n'avons pas le couteau sous la gorge mais nous n'avons pas cent ans devant nous. Le problème devra être résolu dans les 20-25 prochaines années.

M. le Rapporteur: En zone méditerranéenne, suite aux pluies torrentielles, nous sommes amenés à reconstituer les berges ou à recalibrer le lit de la rivière. D'après vous, existe-t-il une ou des espèces particulièrement adaptées pour stabiliser ces berges?

M. Georges TOUZET : Il faut faire très attention. Je ne voudrais pas sortir de ma spécialité; mais quand vous plantez ainsi des arbres, vous stabilisez des berges, certes, mais si se produit une crue qui dépasse leur niveau, les arbres deviennent une cause de freinage, finissent par être emportés et font des embâcles un peu plus en aval. Il faut faire très attention à cet aspect. Cela dit, certaines essences conviennent bien au boisement des berges, notamment l'aulne à feuilles en c_ur, surtout pour les zones suffisamment argileuses. Mais je ne suis pas sûr qu'un collègue de l'équipement approuverait complètement le boisement des berges, pour les zones en aval, bien sûr.

M. le Rapporteur : Dans la forêt méditerranéenne, quel pourcentage de forêt exploitez-vous? Tout à l'heure, évoquant Vaison-la-Romaine, vous avez indiqué que 85 % du bassin versant était boisé; mais c'est de la forêt quasiment inexploitée et inexploitable.

M. Georges TOUZET: Il faudrait presque philosopher sur le terme d'exploiter. On ne peut pas empêcher une forêt de produire du bois et une forêt doit être entretenue. Heureusement, la forêt méditerranéenne, compte tenu des conditions climatiques, produit assez peu de bois. Cela n'empêche pas qu'il faille l'entretenir, mais on y exploite relativement peu de bois. Mis à part les grandes sapinières au-dessus de Nice ou les peuplements de pins noirs établis au XIXème siècle au-dessous de Digne, la forêt méditerranéenne n'est donc pas exploitée au sens de la forêt de Tronçais ou des forêts normandes, même si elle est entretenue.

M. le Rapporteur : Je ne vois pas tellement quelle rentabilité peut dégager le bois issu de la forêt méditerranéenne.

M. Georges TOUZET : Si l'on n'exploitait que le bois rentable su sens économique, on n'exploiterait pas toutes les forêts, bien loin de là, y compris en plaine. C'est la raison pour laquelle je dis qu'on .intervient.. Alors que, dans les forêts de production, on intervient pour récolter du bois, dans des forêts de type méditerranéen ou des forêts d'accueil - je pense à certaines forêts périurbaines, en particulier aux environs de Paris -, on intervient seulement pour faciliter la régénération. Il s'agit alors d'une opération purement sylvicole qui, généralement, a un coût, et qui est destinée uniquement à permettre à la forêt de se reconstituer. Dans les taillis, en particulier dans les taillis de chênes méditerranéens, le problème est relativement peu important, précisément parce que la capacité de restauration de la forêt est relativement importante. Mais encore une fois, ce sont des zones où l'on ne peut pas dire que l'on exploite pour vendre du bois - on en tire un peu de bois de feu ou de produits de ce genre, c'est une opération sylvicole. L'intérêt de l'ONF, c'est qu'il permet de faire une péréquation entre les forêts. Ainsi, certaines forêts du Vaucluse bénéficient d'un entretien qui n'est absolument pas rentable, .payé. par les forêts de Tronçais ou de Belléme.

M. le Président : Pourriez-vous nous rappeler quel est le pourcentage de forêt privée en montagne?

M. Georges TOUZET : II y a un problème de définition de la montagne. Ce que je vais vous dire maintenant concerne uniquement la montagne à risques, qui n'est pas uniquement la haute montagne puisque, par exemple, elle inclut les Cévennes (mais pas les Vosges). Dans la montagne ainsi définie, la forêt représente 4.600.000 hectares, dont 3 millions, soit les deux tiers, de forêts publiques.

M. le Président : Jamais des propriétaires privés ne pourront en assurer l'entretien et la régénérescence. C'est manifestement hors de leurs moyens. Comment voyez-vous l'évolution des choses ?

M. Georges TOUZET: II faut d'abord préciser que la forêt de montagne n'est pas toujours très en pente et que, statistiquement, la forêt privée est moins pentue et relativement mieux desservie que les forêts publiques. Malgré tout, il est clair que les propriétaires privés ont beaucoup de mal à entretenir la forêt et le font d'ailleurs de moins en moine. Cela dit, il n'y a aucun rapport entre les chiffres que je vous ai indiqués tout à l'heure qui concernent les grands périmètres domaniaux du siècle dernier, c'est-à-dire des terrains situés très haut en altitude, et la statistique forestière dont je vous parle là.

M. le Président : Avez-vous déjà réfléchi à une éventuelle substitution de l'ONF aux propriétaires privés? Dans mon département, par exemple, qui ne fait pourtant pas partie des zones à risques, certaines forêts privées qui ne sont pas rentables sont laissées complètement à l'abandon. Or cela finit, par poser problème, en matière d'inondations, mais surtout, même dans des départements septentrionaux, en matière d'incendie. Une réflexion est-elle actuellement menée sur cette question ?

M. Georges TOUZET : A ma connaissance, non. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'ONF, bien qu'ayant le statut d'établissement public, est une sorte de société de services régisseur des forêts de l'Etat et des forêts communales. Certes, vis-à-vis de l'Etat il existe des dispositifs financiers qui assurent un certain équilibre; mais c'est une autre question. Les propriétaires des forêts, ce sont l'Etat, les communes, les acquisitions de forêts pour les inclure aux Domaines sont du ressort de l'État, pas de l'ONF. Bien sûr les dossiers sont instruits par l'ONF et, à ce titre, je peux vous dire que les moyens mis en _uvre depuis quelques années sont extrêmement faibles. En fait, on se limite à résorber les enclaves en forêt domaniale, il n'y a pas de politique d'acquisition.

M. le Président : Les textes vous permettent-ils d'intervenir en tant que prestataire de services pour des personnes privées ?

M. Georges TOUZET : La loi de 1991 le permet sous certaines conditions, mais les textes d'application ne sont pas encore tous parus. Cela étant, de toute façon, les dispositions de la loi Audiffret autorisent un propriétaire à recourir aux services de l'ONF.

M. le Rapporteur : Quand voua faites des coupes, sur la base de quels critères choisissez-vous la nature de la nouvelle plantation ? Replantez-vous systématiquement à l'identique ? Prenez-vous en compte le critère du ruissellement?

M. Georges TOUZET : En principe, dans la forêt publique, on ne replante pas, car la technique sylvicole mise en _uvre permet une régénération naturelle. On n'intervient en artificiel, c'est-à-dire en plantation, qu'en complément de la régénération, c'est-à-dire quand, pour des raisons diverses, la régénération ne s'est pas bien faite. Dans ces cas, nous intervenons en complément de régénération, avec bien entendu la même essence que l'essence principale. Cela dit, dans les périmètres domaniaux, ces peuplements complètement artificiels du XIXème siècle aujourd'hui très vieillis, se posent des problèmes de régénération. La gamme d'essences qui peut être utilisée dans ces cas-là est assez limitée. On essaie d'obtenir la régénération naturelle quand on le peut, et, quand on ne peut pas, on plante la même espèce.

M. Jean DESANLIS : Est-il possible, là où les feuillus sont de mauvaise qualité, de les remplacer par des essences différentes, par exemple de bons résineux qui sont de plus en plus recherchés maintenant, en semant de la graine par des apports de l'extérieur ? Cela donne-t-il un résultat intéressant ?

M. Georges TOUZET : Non. Cela a été expérimenté. En pratique, dans une forêt de feuillus, un tel semis - que l'on appelle le semis direct - ne donnerait pas grand chose, tout simplement parce que même si les feuillus ne sont pas très beaux, la richesse du milieu étoufferait presque immédiatement les résineux. Ii faudrait donc beaucoup de travaux. Cela a été fait en montagne, avec ce qu'on a appelé au XIXème siècle des reboisements sur poquets: on a aménagé des petites cuvettes sur la pente et on y a semé des graines de cèdres ou de pins. Certains boisements, dans l'Aude par exemple, ont été faits ainsi et ont parfaitement réussi. Le problème de la concurrence ne se posait pas en raison de la pauvreté du sol, la constitution d'une petite cuvette a permis d'accumuler l'humidité et les arbres se sont développés. Mais cette technique n'est plus utilisée car on ne trouverait plus personne pour faire un travail aussi dangereux ou que, si c'était le cas, les coûts seraient prohibitifs.

M. le Président : L'ONF intervient-il dans la construction et l'entretien des micro-retenues ?

M. Georges TOUZET : En principe, non. En revanche, le service du RTM, oui bien sûr. Nous en venons donc là à des tâches de service public. Les programmes généraux dans ce domaine sont décidée par le ministère de l'Agriculture et mis en _uvre par le service du RTM. Dans les forêts domaniales classées .montagne., il nous arrive d'entretenir des ouvrages tels que des retenues mais en général beaucoup plus en aval. C'est une activité très importante du RTM mais tout à fait marginale pour nous.

M. le Président: Seriez-vous à même de donner à la Commission une évaluation approximative du coût d'une micro-retenue moyenne, du type de celles qui permettent décréter en cas de crues importantes ?

M. Georges TOUZET : La retenue d'eau n'est pas, je le dis très clairement, un moyen très efficace de pallier les inondations. Les ouvrages auxquels j'ai fait allusion sont des barrages, en général petits, qui sont aménagés sur le lit torrentiel de façon à remplacer une pente uniforme et continue par une série de seuils. Ce type d'ouvrage ralentit la vitesse de l'eau, casse son rythme et diminue les transports, ce qu'on appelle l'embâcle, c'est efficace. En aval, les plates-formes de dépôt permettent de laisser l'eau s'étaler de façon à ce qu'elle puisse se décharger des transports solubles, qui sont très dangereux dans les inondations. En revanche, la retenue de type barrage, sauf à être très puissante, ne me parait pas très efficace. Quant à vous donner des prix moyens de barrages et d'ouvrages, je vous avoue que je ne le peux pas: autour d'une moyenne, la fourchette est tellement énorme que cela n'aurait pas de signification.

M. le Président : Vous nous confirmez qu'à votre avis, de petites retenues échelonnées sur les pentes ne sont pas efficaces ?

M. Georges TOUZET: Ce qui est efficace, ce sont les barrages aménagés sur le lit torrentiel qui cassent le rythme de l'eau. En revanche, si voua pensez à des retenues sous forme de petits lacs, je ne crois pas que ce soit efficace ; mais c'est à dire d'expert, et l'on trouvera toujours un expert qui dira le contraire.

M. le Président: Ma question s'adresse à l'expert.

M. Georges TOUZET : A mon avis cela n'est pas efficace. Mais l'expert en question n'a travaillé qu'en Afrique du Nord. Je ne suis pas un expert des hautes montagnes.

Cela dit, si cela vous intéresse, Monsieur le Président, Je peux verser au dossier une fiche, des annexes et un certain nombre de rapports qui ont été faits sur des études de bassins versants dans le cadre du RTM.

M. le Président: Je vous remercie, Monsieur le directeur général.

Audition de M. Dominique MARBOUTY

Chef du département des opérations à Météo-France

(Extrait du procès-verbal de la séance da 21 septembre 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Dominique Marbouly est introduit.

M. le Président lut rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'intention du Président, M. Dominique Marbouty prête serment.

M. Dominique MARBOUTY: Météo-France, établissement public à caractère administratif depuis le Ier janvier de cette année compte 3.500 personnes réparties sur (ensemble du territoire, dont 900 ingénieurs. Le budget de l'établissement public pour 1994 s'élève à 1 600 millions de F., dont 900 viennent d'une subvention de l'Etat et environ 350 du reversement d'une part des redevances aéronautiques.

Météo-France dispose de 180 stations réparties un peu partout, dont 18 effectuent des mesures en altitude grâce à des ballons, ainsi que de 15 radars.

Météo-France est un service public qui n'a pas de rôle régalien. Ce n'est donc pas lui qui décide de ce qu'il doit fournir.

Cet organisme a une forte implication internationale tant au sein de l'organisation météorologique mondiale qu'au sein d'organismes européens tels que le centre européen de prévision à moyen terme ou (organisme européen de gestion des satellites (EUMETSAT).

L'éventail d'activités de Météo-France est très large dans la mesure où l'établissement travaille aussi bien pour les médias que pour le secteur des transports ou pour la défense.

Je vais maintenant vous donner quelques indications relatives au fonctionnement technique de Météo-France.

La prévision météorologique repose d'abord sur l'observation. Elle nécessite des échangea internationaux de données fournies par l'ensemble des points mondiaux qui effectuent las mesures en altitude. A cette fin, elle utilise également les satellites. Il en existe deux grands types : les satellites géostationnaires forment une chaîne de cinq satellites située autour du globe, à 36.000 kilomètres de la terre, dont l'un, Météosat, est un satellite européen auquel la )Trente contribue pour une large part; les satellites à défilement, à orbite beaucoup plus basse, située à environ 800 kilomètres de la terre, qui font le tour du globe en deux heures et balaient l'ensemble du globe au cours de la journée.

Nous disposons en outre : d'un réseau de stations synoptiques destinées aux relevée et aux mesures au sol; d'un réseau climatologique, destiné à archiver les données permettant d'avoir une connaissance statistique du temps, constitué pour l'essentiel par des observateurs bénévoles; d'un réseau de radars de détection des précipitations, qui sont des outils très performante pour suivre les transports des zones précipitantes, encore que se posent un certain nombre de problèmes techniques tels que l'interaction avec le relief, le masquage.

L'observation réalisée avec l'ensemble des moyens que je viens d'évoquer permet de définir un état initial de l'atmosphère à partir duquel on va faire .tourner. des modèles numériques permettant de faire une prévision du tempe. Aujourd'hui on ne fait une prévision que sur quatre ou cinq jours. On sait qu'on ne pourra jamais la faire au-delà de quinze à vingt jours. En aval de ces modèles, un prévisionniste intervient pour analyser les résultats et donner la prévision.

Pour faire des prévisions à la journée, il est indispensable de récupérer toutes les observations sur l'Europe, le Proche Atlantique, l'Afrique du Nord ; pour des prévisions à trois jours, il faut y ajouter l'ensemble de l'Atlantique, l'Afrique, (ensemble du continent européen et une partie de l'Asie, l'Amérique du Nord, et à cinq jours il faut des données du monde entier.

La qualité des prévisions est en augmentation régulière. A titre indicatif, on considère que le taux de réussite du jour au lendemain est aujourd'hui de 90 96. Pour donner un autre ordre de grandeur, la qualité de nos prévisions à cinq jours est aujourd'hui la même que celles que noua faisions à deux jours il y a vingt ans. On a donc gagné trois jours de prévision en vingt ana. On continue à en gagner, mais c'est évidemment de plus en plus difficile et on sait qu'on ne fera jamais de prévision déterministe au-delà de quinze à vingt jours. Nous pourrons toutefois faire d'ici à quelques années des prévisions saisonnières, c'est-à-dire, par exemple au début de l'automne, annoncer si l'hiver sera globalement froid, globalement sec ou humide.

A l'heure actuelle, la prévision météorologique repose essentiellement sur les modèles de prévision, lesquels `ne sont utilisables qu'à partir d'une échéance de six heures. Les mesures sont faites dans le monde entier à partir des observations relevées à zéro heure, temps universel, récupérées et concentrées à Toulouse où l'on fait .tourner. les données. La prévision immédiate à très courte échéance repose encore très largement sur le décalage de ce qui set observé à zéro heure, sans qu'on ait (outil puissant permettant d'en simuler l'évolution. Dans le cas des orages, dont la durée de vie est très largement inférieure à six heures, nous ne disposons pas d'outils permettant de prévoir dans les heures qui suivent les pointe où ils vont se développer.

Le système actuel d'alerte météorologique est récent. Il repose sur deux types de message: le message ALARME, créé en 1989, et le message BRAM, créé en 1993, les deux par une circulaire commune du ministère de l'intérieur et de celui de l'équipement. Ces messages sont de la responsabilité des services météorologiques qui fonctionnent 24 heures sur 24. Le système ALARME, qui concerne les phénomènes les plus graves, dépend du service central de Toulouse; les messages BRAM sont les bulletins régionaux dépendant des sept centres régionaux.

La conception des bulletins ALARME et BRAM a été définie en liaison avec la Sécurité civile, à qui ils sont destinés. Ils comportent: un numéro d'identification; le nom du rédacteur; le destinataire - dans le cas de l'ALARME, le CODISC, dans le cas des BRAM, le CIRCOSC-;les références, car il s'agit parfois d'une mise à jour; le descriptif, à savoir l'identification du type de risque météorologique, la définition des périodes de validité et des zones concernées, l'évolution prévisible du phénomène, les, données chiffrées éventuelles accompagnées d'un commentaire. Enfin, en bas du message, il est demandé aux préfectures qui envisagent de prendre un certain nombre de mesures tel qu'un recours à l'évacuation, de contacter auparavant les centres départementaux, les CMIR, afin de préciser la situation dans leur zone.

De tels messages ne sont efficaces que dans la mesure où ils parviennent à des destinataires qui ont été préparés, c'est-à-dire qui savent les interpréter et qui sont en mesure de se mettre immédiatement en contact avec les services météorologiques pour demander des informations complémentaires.

En ce qui concerne l'annonce des crues, le circuit de la sécurité civile risque dans certains cas d'être trop long. On est donc en train de mettre en place d'autres types de messages d'alerte à destination des services d'annonce des crues. Il s'agira, d'une part, de bulletins d'alerte de précipitations pour prévenir de l'arrivée de fortes précipitations, d'autre part, de bulletins quotidiens de précipitations afin que les services des crues sachent s'ils doivent se mettre en vigilance.

II faut bien distinguer entre la prévision et la détection. Les messages d'alerte météorologique sont envoyés le plus à l'avance possible. Mais on n'est alors pas capable d'indiquer avec précision quels seront les bassins concernés. A réception de ce premier message, le service destinataire doit se mettre en vigilance et surveiller. Ce n'est qu'ensuite que pourront être envoyés de nouveaux messages, de détection, indiquant précisément sur quel bassin s'abattent les précipitations.

M. le Rapporteur : Selon vous, le rôle du radar est essentiel dans la prévision, même à moyen terme, des précipitations.

M. Dominique MARBOUTY: Il est essentiel pour détecter. La prévision est le résultat des modèles numériques. Le radar intervient ensuite pour constater qu'il y a bel et bien des précipitations à tel ou tel endroit. Il ne permet pratiquement pas aujourd'hui de faire des prévisions. Les prévisions faites à partir du radar sont inférieures à l'heure.

M. le Rapporteur: Le radar permet donc de détecter, mais pas de prévoir.

M. Dominique MARBOUTY: Absolument.

M. le Rapporteur: Mais sans radar, vous ne pouvez pas détecter.

M. Dominique MARBOUTY: Difficilement. On peut aussi détecter à partir de pluviomètres, mais le réseau synoptique est très lâche, ce qui ne permet pas de détecter sur de petite bassins.

M. le Rapporteur : Sans radar vous ne pouvez donc pas détecter. A l'heure actuelle, la surveillance de l'ensemble du Sud-Est est assurée par le seul radar de Nîmes tant que ceux prévus dans le Var et en Corse ne sont pas installés. Or Météo-France a décidé de réparer le radar de Nîmes qui ne fonctionne pas à l'heure actuelle. Si des précipitations devaient atteindre le département du Vaucluse, je me demande donc comment vous pourriez les prévoir. J'étais lundi dans les locaux de Météo-France à Marseille et j'ai appris avec effarement que le radar était tombé en panne durant une grande partie de l'été. Selon les journalistes, MétéoFrance a pris la décision d'arrêter le radar pour le réparer en ce moment alors qu'il s'agit d'une période qui est cruciale pour toua les gens du Sud-Est - je rappelle que noua sommes aujourd'hui le 21 septembre et que la catastrophe de Vaison-laRomaine s'est produite un 22 septembre-. Comment alors faites-vous pour détecter les précipitations en ce moment ?

M. Dominique MARBOUTY: Aujourd'hui, j'ai vérifié avant de venir, le radar est en fonctionnement.

M. le Rapporteur: Non, les responsables locaux de Météo-France ont déclaré hier aux journalistes que, le radar était arrêté trois jours pour réparations. Il faudrait que vous coordonniez...

M. Dominique MARBOUTY: Il était bien dans la môaaïque, j'ai regardé ce matin. Cela dit, le radar ne fait pas de prévision.

M. le Rapporteur: Non, j'ai bien noté qu'il s'agissait de détection.

M. Dominique MARBOUTY: Dans les zones où il n'y a pas de radar on peut utiliser plusieurs outils pour la détection: d'abord l'imagerie satellitaire, qui permet de suivre ..l'ensemble des masses nuageuses et en particulier, d'avoir une

indication sur celles qui risquent de donner de fortes précipitations; ensuite, les réseaux de pluviomètres, qui ne fournissent qu'un certain nombre de données.

Dans le sud-est, le réseau de stations automatiques est assez dense et permet de suivre les précipitations en temps réel.

M. le Rapporteur: Je répète ce que j'ai dit, et je suis formel: d'après votre responsable local, Météo France a décidé - je vous l'apprends et vous pourrez vérifier en sortant- de mettre le radar de Nîmes en réparation. Ce radar ne fonctionne pas et nous sommes le 21 septembre... En tant qu'élu, je dis que c'est très grave.

Par ailleurs, il m'a été confirmé lundi par les responsables météo de Marseille que le radar est tombé à plusieurs reprises en panne pendant l'été.

M. Dominique MARBOUTY : Oui, il y a eu plusieurs pannes pendant l'été. Si un radar a des problèmes de fonctionnement, il vaut mieux l'interrompre et le remettre en état que de risquer de voir son fonctionnement se dégrader dans les jours suivants.

M. le Rapporteur: D'accord, mais permettez aux élus que noua sommes d'être tout de même un peu inquiets, parce que c'est pendant la période où dans notre région on en a le plus besoin qu'il ne marche pas. C'est tout ce que je constate. (1)

D'autre part, que pensez-vous du projet SAFIR, qui est utilisé à l'heure actuelle par Météo France en Ile-de-France et qu'il est projeté d'utiliser dans d'autres zones ?

M. Dominique MARBOUTY : Le système SAFIR permet de détecter la foudre.Le réseau de détection de la foudre actuellement en place sur l'ensemble du territoire est le système METEORAGE, qui ne détecte que les impacts entre les nuages et le sol. Le système SAFIR est plus performant puisqu'il détecte aussi les foudroiements qui se produisent à l'intérieur même des nuages.

(1) à 1'issue de l'audition, le point suivant a été fait et transmis par M. Marbouty à M. le Rapporteur: le radar ~nctionne normalement. Par contre, un moteur présentait des signes de risque de défaillance. Il a donc été arrèté le 21 à 9 heures 15 pour réparation et remis en service l âpréa-midi même. En effet, des précipitations importantes étaient attendues pour le soir. II a donc été jugé préférable de procéder à cet arrêt préglable, afin de ne pas prendre de risque d'une panne pendant la période où le radar est utile.

On en a installé un à titre de test depuis trois ana sur l'Ile-deFrance, mais nous n'avons pas encore une idée bien arrêtée sur son intérêt en prévision. Dans quelques cas, la détection des impacts intranuages précède les impacts au sol et permet de gagner un quart d'heure à une demi-heure en termes de prévision. En revanche, il y a un certain nombre de contre-exemples, où des impacts au sol ou des fortes précipitations se produisent sans phénomènes précurseurs dé type intranuages. Nous n'avons donc pas encore pris de décision sur le point de savoir s'il faut généraliser un tel réseau.

M. le Rapporteur: J'ai assisté récemment, à Marseille, à une réunion consacrée à ce système.

Selon le responsable de Météo-France présent, SAFIR n'est pas la panacée mais un élément de plus dans la chaîne de décision. Mais voici deux chiffres: un radar coûte environ à millions de F. ;et le système SAFIR, pour couvrir toute la région sud-est, avec cinq stations, coûterait à peu près 6 millions de F., donc moine qu'un seul radar.

Par ailleurs, un responsable de Météo France a dit que si le 22 septembre 1992 - jour de la catastrophe de Vaison-la-Romaine - on avait disposé du système SAFIR, on aurait pu annoncer, une demi-heure à une heure à l'avance, que les pluies de plus de 300 millimètres que Météo francs avait prévues sur une très grande zone tomberaient sur le bassin de l'Ouvèze. Savoir une demiheure à une heure à l'avance où tombera l'eau, cela peut sauver des vies. Est-ce que vous confirmez ce point de vue ?

M.Dominique MARBOUTY : Oui, on aurait pu. Par contre, ce système ...

M. le Rapporteur: Ce système pourrait-il permettre de savoir une demi-heure ou une heure à l'avance exactement ...

M.Dominique MARBOUTY: Une heure, je ne pense pas. Il faut comparer su système qui existe, METEORAGE, qui détecte les foudroiements su sol, par rapport auquel il permet de gagner peut-être un quart d'heure. Mais de nombreuses précipitations se produisent sana qu'il n'y ait aucune activité électrique.

Honnêtement, on n'a pas encore aujourd'hui la maîtrise technique de ces systèmes. On est là dans le domaine de la prévision immédiate, qui est en pleine gestation.

M.Jean DE3ANLI8: Météo France peut informer, mais peut-il expliquer? Par exemple, pouvez-vous expliquer les raisons pour lesquelles nous connaissons actuellement une vague de pluie un peu inhabituelle, succédant à la vague de froid qui a saisi toute la France à la fin de la semaine dernière ?

M. Dominique MARBOUTY: Il y a une possibilité d'explication en termes de prévision, mais je ne pense pas que cela voua apportera la réponse que vous souhaitez. On pourra ainsi expliquer que si des précipitations se produisent à tel endroit, c'est parce que l'anticyclone était situé à tel endroit une semaine avant... Mais je pense que vous souhaitez connaître le mécanisme qui, sur le long terme, pourrait être à l'origine du type de temps que l'on connaît. Actuellement, on ne le sait pas, c'est l'objet des recherches qui, on (espère, permettront de faire des prévisions mensuelles.

Cela dit, les conditions météorologiques que l'on rencontre en ce moment ne sont pas exceptionnelles. On a toujours tendance à comparer le type de tempe qu'il fait à une période donnée à la .normale., c'est-à-dire en gros à la moyenne du temps constaté pour cette période. Mais le temps normal pour une période donnée, ce n'est pas uniquement la moyenne. Ainsi, il y a des mois de septembre particulièrement chauds, d'autres particulièrement froids ou humides, et la moyenne de tout cela donne telle température et telle pluviométrie. Mais il est très rare qu'un mois de septembre respecte cette valeur moyenne, il est en général au-dessus ou en-dessous.

M. Jean DESANLIS : A quelle échéance pensez-vous pouvoir dire par exemple aux viticulteurs: voilà ce qu'il va se passer la semaine prochaine ou la semaine suivante, de façon à ce qu'ils sachent s'ils doivent précipiter leurs récoltes ou attendre un petit peu ?

M. Dominique MARBOUTY : Les prévisions .déterministes. effectuées sur l'évolution du temps à partir de l'état actuel de l'atmosphère ne sont faites que jusqu'à une semaine. Plus précisément, on ne les diffuse que jusqu'à cinq jours, mais nos modèles de prévision tournent aujourd'hui jusqu'à dix jours. Mais entre cinq et dix jours, on ne les communique pas parce que ce n'est pas assez fiable.

Par ailleurs, on sait que, de toute façon, on ne pourra faire ce type de prévision au-delà de 15 à 20 jours, du fait de mécanismes physiques. Vous avez peut-être entendu parler de · l'effet papillon. : dans l'atmosphère, ce qui se panse à toute petite échelle, se transfère progressivement sur de plus grandes échelles. Ainsi, le battement des ailes d'un papillon génère une énergie qui est à une échelle de quelques centimètres, mais qui se propage et qui au bout d'un certain temps va engendrer des mécanismes de plus grande échelle, étant ainsi peut-être, d'une certaine façon, à l'origine de la création d'un orage, peut-être même, à terme, d'un cyclone... Pour faire de la prévision au-delà de quinze jours, il faudrait donc que dans les modèles, on simule tout ce qui se passe à toute petite échelle, ce qui est impossible, puisque cela supposerait que tout est déterminé, y compris nos propres mouvements.

En revanche, on pourra faire des prévisions moyennes. Car il y a des interactions entre des états de-l'océan et une très grande quantité de (énergie contenue dans l'atmosphère. De même, les variations du rayonnement qui nous arrive du soleil ont une influence très importante sur le temps qu'il fera dans quelques mois. En comprenant mieux ces mécanismes, ces interactions à très grande échelle, on espère pouvoir faire de la prévision moyenne du temps qu'il fera dans deux ou trois mois.

M. le Président: Vous nous avez dit que vos informations et vos prévisions étaient commûniquéea aux responsables de la sécurité civile et aux services d'annonces de crues. Est-ce vous et vos collaborateurs qui avez la responsabilité de cette transmission ?

M. Dominique MARBOUTY : C'est effectivement noua qui avons la responsabilité de la transmission des messages d'alerte aux services de la sécurité civile et aux services d'annonces des crues. Ensuite, l'alerte aux autorités locales est de la responsabilité des services préfectoraux.

M. le Président: Lors des inondations de l'automne et de l'hiver derniers, avezvous été amené à constater des dysfonctionnements au niveau des services d'annonce de crues ?

M. Dominique MARBOUTY: Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question.

M. le Président: Avez-vous toujours eu un interlocuteur ?

M. Dominique MARBOUTY: Oui, toujours. Nos interlocuteurs, ce sont, pour les services de sécurité civile, le CODISC au niveau national et les CIRCOSC au niveau régional. Je n'ai pas connaissance de cas où on n'y ait pas trouvé d'interlocuteur.

Actuellement, nous n'avons pas de contacta directs avec les services d'annonce des crues, ce sont les CIRCOSC ou les CODISC qui les préviennent. Mais on s'est rendu compte que ce système génère des délais qui peuvent être importants. C'est pourquoi noua sommes en train de préparer avec la direction de l'eau un mécanisme d'alerte directe entre nos services et les services d'annonce des crues.

M. le Président: Pouvez-vous développer un peu ce point? Un tel mécanisme a-til été expérimenté dans certaines régions ?

M.Dominique MARBOUTY : Aujourd'hui, nous envoyons simplement les messages d'alerte ALARME et BRAM aux services de la sécurité civile, CODISC et CIRCOSC, et il est de la responsabilité de ces services, ensuite, de les rediffuser, en particulier aux services d'annonce des crues. Par exemple, ce n'est pas nous qui recevons les accusés de réception des services d'annonce des crues; nous ne savons donc pas dans quel délai ces messages leur arrivent. Par les contacts que nous avons établis avec ces services d'annonce des crues, nous savons néanmoins que de tempe en temps, les messages arrivaient avec un retard trop important -une demi-heure, une heure -et qu'il serait donc bon de les prévenir directement.

M. le Président: Pouvez-vous nous dire où de tels retards vous ont été signalés ?

M. Dominique MARBOUTY: Nous avons formé un petit groupe de travail avec certains services d'annonce des crues, et il me semble que le représentant du service de la Dordogne nous a dit avoir parfois observé des délais qu'il considérait comme trop importants.

M. le Président: J'ai l'impression que les stations de Météo-France ne sont pas réparties de façon uniforme sur le territoire national, et que, paradoxalement, les zones de faible densité sont les zones à risque. Selon quels critères sont implantées vos stations d'observation ?

M. Dominique MARBOUTY : Les lieux d'implantation des stations d'observation sont pour une large part le résultat de l'histoire. Les services météorologiques ont été créée essentiellement pour répondre aux besoins de l'aviation civile et les zones d'implantation correspondent encore assez largement aux endroits où il y a des aéroports.

Cela dit, nous mettons en place actuellement un réseau de stations automatiques en temps réel dont l'implantation tient compte des risques spécifiques à telle ou telle région.

M. le Président: En ce qui concerne les zones couvertes par radar, il existe bien une zone blanche sur le sud-est?

M. Dominique MARBOUTY: A l'origine, les radars ont été déployée surtout pour répondre aux besoins de l'aéronautique. Puis ils ont été installés plutôt dans les zones où l'on savait que leur utilisation pouvait être la meilleure, c'est-à-dire les zones de plaines. II est clair que les zones de montagnes posent un problème difficile: il faut beaucoup plus de radars pour les couvrir, car ils sont tout de suite masqués par le relief, lequel génère des échos parasites qui rendent plus difficile d'utilisation le signal radar.

Le financement du réseau de radars, sur le budget propre de la direction de la météorologie, a été très très progressif. La faiblesse des moyens disponibles a donc conduit à préférer les zones telles qu'un seul radar permette de couvrir un rayon très vaste, de 200 km.

Mais une convention a été passée cette année avec la direction de l'eau du ministère de l'environnement, qui prend en charge le financement de radars complémentaires, essentiellement dans les zones où il existe des problèmes en matière d'annonce des crue». Trois radars sont prévus dans ce cadre: en Haute-Loire -il a été financé dès cette année-, dans le Var et dans les Pyrénées-Orientales.

M. le Rapporteur: Dans quel délai?

M.Dominique MARBOUTY : Sur les cinq ans à venir. Mais entre le moment où d'intégrer le radar de Bruxelles? un radar est financé et le moment où il est installé sur le terrain, il s'écoule un minimum de deux ans. Par exemple, le radar de Haute-Loire, financé sur le budget 1994, sera installé au mieux mi-1996. Cela tient d'une part aux délais de passation des marchés publics, d'autre part, aux délais de fabrication.

M. le Président: Combien faudrait-il de radars pour assurer un taux de couverture satisfaisant à 99 %, en faisant abstraction des contraintes financières ?

M.Dominique MARBOUTY : Tout dépend de l'échelle à laquelle on veut travailler. Pour le moment, nous travaillons à l'échelle synoptique, c'est-à-dire à une échelle minimum de la centaine de kilomètres. Sur cette base, nous considérons qu'il faut cinq radars supplémentaires.

C'est le même chiffre que le nombre de radars que le ministre de l'environnement va financer, mais c'est un peu un hasard. Les besoins de l'environnement sont concentrés sur le sud-est, alors que les cinq radars qui nous semblaient utiles auraient plutôt été destinés à couvrir l'ensemble du territoire français. Pour nous par exemple, il en faut un sur la Bourgogne et un sur le Poitou. A l'échelle synoptique donc, trois radars sur le pourtour méditerranéen sont suffisants pour répondre à nos besoins.

En outre, cela dépend des bassins que l'on veut surveiller. S'il s'agit de tout petits bassins, je ne sais pas répondre à la question que vous posez, le nombre de radars nécessaires serait considérable, car il s'agit de zones de montagnes où un radar ne peu couvrir qu'une zone très limitée.

M. le Président: Menez-vous des actions en coopération avec vos collègues belges, allemands ou suisses ?

M. Dominique MARBOUTY : Tout à fait. Déjà, pour couvrir le territoire français, nous récupérons les images des radars voisins qui peuvent nous intéresser. Sont notamment intégrés à la mosaïque un radar suisse et un radar installé à Jersey, et prochainement des radars espagnols. Nous venons en outre de passer des accords avec nos collègues belges et allemands pour recevoir le radar de Bruxelles et celui qui est installé en Sarre.

Jusqu'à présent, la récupération des images des radars frontaliers n'était pas totale parce que notre système n'était pas capable de recevoir des informations avec des protocoles de transmission différents. Le système technique informatique a donc été complètement modernisé pour le permettre. Il sera mis en service à la fin de l'année, l'opération devant être achevée à la fin du premier trimestre 1995.

M. le President: A la fin du premier trimestre 1995, on sera donc en mesure d'intégrer le radar de Bruxelles ?

M. Dominique MARBOUTY : Oui. J'ajoute que le radar des PyrénéesOrientales, qui va évidemment déborder sur l'Espagne, a fait l'objet d'une demande de financement complémentaire européen. Si cette demande est satisfaite, cela permettra probablement au ministère de l'environnement de financer d'autres radars.

M. Georges SARRE: Estimez-vous que le transfert des services de la navigation su ministère de l'environnement a été une bonne chose pour le fonctionnement du dispositif d'alerte ?

Par ailleurs, j'ai observé que quand des phénomènes préoccupants sont annoncés -en général par les grands médias-, il y a toujours une proportion effarante de gens qui ne suivent pas les conseils donnés. Le fait d'annoncer, dans telle commune ou dans tel département, de façon régulière, des catastrophes qui finalement -et heureusement- sont moins importantes que celles prévues, ne risque-t-il donc pas d'avoir des effets négatifs ?

Troisièmement, lors des Jeux olympiques à Albertville, des capteurs étaient disséminés sur l'ensemble du site, qui permettaient d'indiquer à quel moment les chutes de neige allaient se produire. En des lieux où régulièrement se produisent d'abondantes chutes d'eau ou de neige, des capteurs ne seraient-ils pas d'une plus grande efficacité que des radars, et leur coût -que j'ignore-serait-il supportable par la communauté nationale ?

Enfin, puis-je déduire de vos propos que les radars dont le ministère de l'environnement a décidé le financement ne correspondent pas aux besoins de Météo France ?

M. Dominique MARBOUTY : Personnellement, je n'ai pas d'avis -ce n'est pas que je ne veuille pas le donner- sur le transfert des services de navigation au ministère de l'environnement. Par contre je ne vous cacherai pas que nous avons eu et nous avons encore des problèmes dans nos relations avec les hydrologues. La principale raison tient au fait que nous n'avons pas le même métier ni la même organisation. La météorologie est très centralisée, alors que l'hydrologie est un système complètement éclaté, en raison du fait qu'elle ne repose pas sur un système fédérateur tel que la prévision numérique. En outre le secteur de la météorologie ne suscite pas de convoitise ou de volonté de contrôle puisqu'il se livre à un travail purement informatif. Ce n'est évidement pas le cas de l'hydrologie ou de l'hydraulique , laquelle est destinée à agir elle-même sur le parcours de l'eau. Le fait qu'un certain nombre d'acteurs doivent participer à la décision explique donc aussi cet éclatement. Et entre un système très centralisé et un système très éclaté, les relations ne sont pas toujours faciles.

Je constate cependant un progrès considérable depuis quelques années. Le dialogue que nous avons établi avec la direction de l'eau du ministère de l'environnement devrait déboucher dans les mois qui viennent sur des consignes précises organisant les relations entre les services locaux de météorologie et d'annonce des crues.

Les difficultés que nous rencontrons actuellement sont de deux ordres. Les premières tiennent su fait que les services d'annonce des crues ne sont pas des services permanents mais des services d'astreinte dépendant des DDE, qui ne s'activent qu'en cas de crue ou de prévision de crue. Tout se passe bien dans les zones très sensibilisées su problème des inondations, mais nous rencontrons davantage de difficultés dans les bassins où le phénomène ne se produit que très rarement.

La seconde difficulté est due su fait que les services d'annonce des crues ne couvrent que 20.000 km de cours d'eau sur les 200.000 km existants. Pour tous les petits bassins qui ne relèvent pas de la compétence d'un service des crues, nous n'avons donc pas d'interlocuteur, problème qui ne sera en toute hypothèse pas résolu par la mise en place d'un système très opérationnel avec les services d'annonce des crues.

J'ai déjà un peu évoqué la question de l'accoutumance au risque. Nous considérons que nos messages d'alerte sont destinés à des interlocuteurs préparés. Il faut que les gens sachent quel est l'état de l'art en météorologie et qu'ils comprennent bien que les messages ont pour objet de les inciter à se mettre en vigilance et à surveiller tel ou tel cours d'eau précédemment répertorié comme potentiellement à risque. L'alerte ne doit être adressée aux décideurs locaux ou su public que quand le phénomène est effectivement observé dans la zone concernée. C'est à ce moment-là que pourra intervenir l'observation par radar ou par les stations automatiques, qui aujourd'hui couvrent largement le territoire et dont la coordination est en projet.

Le matériel que vous avez vu lors des Jeux olympiques n'était pas une innovation, ce qui l'était, c'était la densité d'implantation. Mais ceci n'est réalisable que sur des opérations très ponctuelles comme les Jeux olympiques, car on a mis en place 25 stations sur la seule vallée de la Tarentaise et un centre de prévision de 70 personnes pour la durée des Jeux, en .pompant. évidemment sur tous les moyens de Météo-France à l'échelle nationale. Après les Jeux, ces réseaux de stations automatiques ont été redéployés selon un maillage plus làche mais de façon à nous permettre de disposer de mesures automatiques sur les points qui nous semblent les plus importants. Il est prévu de couvrir l'ensemble du territoire avec un total de près de six cents stations, les zones n'étant pas de taille homogène, davantage de stations étant nécessaires dans les zones de montagne. A mon avis, ce système complète le radar. Celui-ci donne la répartition spatiale qu'un réseau de stations automatiques n'atteindra que très difficilement. Mais l'interaction des deux permettra à terme de faire ce que l'on appelle la calibration du radar, c'est-à-dire d'avoir à la fois des mesures sol récupérées en temps réel et la mesure du radar. Ces deux mesures en corrélation permettront de faire des calculs de lame d'eau sur les bassins qui seront de bien meilleure qualité que ce qu'on fait sans aucune référence.

S'agissant du choix des implantations, a été créé il y a deux ans, un comité consultatif du réseau ARAMIS, qui associe l'ensemble des utilisateurs des données radar, de façon à décider avec eux quelles sont des priorités dans les choix d'implantation de radars. Présidé par un représentant du ministère de l'environnement, ce comité est composé de représentants du secteur routier, de l'armée, de l'aviation civile et de la sécurité civile. Les décisions d'implantation sont prises après avis de ce comité.

M. le Président : Je ferai une petite remarque, un peu amusée, pour terminer. Météo-France a installé il y a quelques années une station d'observation à Charleville-Mézières. Elle a été implantée dans le secteur le plus inondable du département et tous les ans, il y a un mètre d'eau pendant un mois, si bien que la station ne peut pas travailler.J'espère qu'à l'avenir vous tiendrez compte des cartes des zones inondables pour implanter vos stations, parce que la situation que j'ai évoquée a un effet tout à fait négatif dans l'esprit des populations, même si cela ne fausse pas vos mesures. Je vous remercie.

Audition de M. Henry WOLF

Président de l'Institution des grands lacs de Seine

et de M. Alain JACQ

Directeur général adjoint

(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 septembre 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

MM. Henri Wolf et Alain Jacq sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Henry Wol(et Alain Jacq prêtent serment.

M. le Président : Pour commencer, je souhaiterais que vous nous présentiez les missions de votre institution et que vous exposiez comment vous avez vécu les crues de ces dernières années.

M. Henry WOLF : L'institution que je préside présente l'originalité de réunir Paris et les départements de la petite couronne pour faire face aux difficultés et aux dangers suscités par les crues.

Je définirai d'abord l'institution, son fonctionnement, les coùts des opérations qu'elle a engagées et les dommages qu'elle a permis d'éviter. Je demanderai ensuite à M. Jacq d'apporter les éléments techniques qui relèvent davantage de sa compétence.

L'institution des grands lacs de est un établissement public regroupant les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, qui gère actuellement quatre grands barrages réservoirs: le barrage Pannecière-Chaumard situé près de Château-Chinon, le barrage Marne, le barrage Seine et le dernier construit, d'une capacité de 175 millions de m3, le barrage Aube près de Troyes.

Ces ouvrages ont une capacité totale de retenue de 830 millions de m3. Le principe de leur construction a été imaginé à la suite des grandes inondations de 1910 et 1924 dans la région parisienne, afin de diminuer le débit de la Seine et de la Marne.

En réalité, les premières réalisations n'ont vu le jour qu'à partir de 1950 et la dernière date de 1990, puisque c'est la date à laquelle a été inauguré le barrage Aube dont la retenue est de 175 millions de m3.

Les raisons qui ont déterminé la création de l'organisation sont le soutien des étiages, la production d'électricité et l'apport d'eau à la navigation.

La construction du barrage Aube a été établie à partir de données plus spécifiques. Outre la protection contre les crues, de tels ouvrages peuvent en effet s'inscrire dans le cadre d'opérations répondant à d'autres nécessités. L'EDF a ainsi participé pour 200 millions de F. su barrage-réservoir Aube, dont le coùt a été de 1,6 milliards de F., le financement en ayant été assuré par l'agence de l'eau à hauteur de 40 96, l'Etat 30 96, la région 10 96 et notre institution 20 %, ce qui veut dire que les départements y participent directement.

S'agissant du barrage-réservoir Marne, le coût total actutalisé est de 1,5 milliards de F. L'agence de l'eau a joué un rôle important dans son financement, et nous souhaitons qu'elle puisse continuer à apporter un concours technique et financier à tous les organismes qui ont en charge la construction des barrages pour réduire très sensiblement les inondations.

Chaque hiver, le risque de voir se produire une crue équivalente à celle de 1910 existe: d'après nos calculs, ce risque est centennal. Bien sùr cela ne veut pas dire qu'automatiquement tous les cent ans, se produira une catastrophe. Mais plus le temps passe, plus le risque existe.

Pour autant, nous n'avons pu éviter de déplorer de grandes inondations. Mais les récentes crues de la Seine et de la Marne, bien qu'inquiétantes, n'ont pas été trop dommageables.

M. Jacq va vous présenter de manière plus technique ce qu'ont apporté les quatre barrages construits. Je me bornerai à dire que, selon les simulations auxquelles nous avons procédé, si ces barrages n'existaient pas, nous aurions à déplorer en région parisienne ce que l'on a déploré dans le Sud-Est, sous réserve du fait que les données sont bien différentes dans les deux cas: dans le Sud-Est, les crues violentes et rapides rendent difficile d'éviter les drames humains, alors qu'en région parisienne les cours d'eau sont lents et les inondations arrivent par paliers, ce qui donne la possibilité d'informer les populations des risques encourus et de prendre quelques dispositions. Par contre, autant la décrue est relativement rapide dans le Sud-Est, autant elle est souvent excessivement longue en région parisienne, ce qui entrainerait, en cas d'inondation importante, des dommages matériels considérables.

M. Alain JACQ : Les barrages réservoirs sont situés à 150-200 kilomètres de la région parisienne en raison de l'imperméabilisation des terrains. L'imperméabilisation a été recherchée car ces ouvrages ont un double objectif: le soutien des étiages pendant la période comprise entre les mois de juillet et décembre, et l'écrêtement des crues pendant l'hiver et le printemps, sachant que les crues les plus importantes en région parisienne se produisent en janvier et février. Nos prédécesseurs ont choisi d'agir sur les débits très en amont au lieu de chercher à protéger la région parisienne par d'immenses digues et des travaux très importants qui auraient défiguré le paysage. A certaines périodes, il y a des contradictions entre les deux objectifs assignés à ces ouvrages: au fur et à mesure de la saison, ils se remplissent et leur capacité d'écrètement est donc moindre. En revanche, en janvier et février, la capacité de stockage est importante.

Nous avons fait une simulation sur la crue de 1910, dont les dégâts, estimés en valeur actuelle, se sont élevés à environ 10 milliards de F. L'hydrogramme se présente ainsi: il y a eu une montée des eaux entre mi janvier et début mars, la cote d'alerte, située à 3,20 m, ayant été dépassée durant toute cette période. A titre de référence, j'indique que les voies sur berge sont inondées à partir de la cote 3,40 m/3,50 m et que certaines zones de banlieue sont inondées dès que la cote d'alerte est franchie.

L'effet des barrages réservoirs existant actuellement est de réduire la hauteur des inondations de 90 cm. C'est peu par rapport à l'ampleur de la montée des eaux, qui est de 5,40 m par rapport à la cote d'alerte, mais c'est très important en termes économiques parce que l'augmentation des coûts des dégâts est plus que proportionnelle à celle de la montée des eaux.

Cet hiver, l'eau est montée à environ 4,40 m/4,50 m, mais, en région parisienne, cela ne s'est pas traduit par les mêmes effets que dans le bassin de l'Oise. Les barrages réservoirs ont diminué la hauteur d'inondation de 30 à 50 cm, ce qui est peu, parce que nous avons voulu garder des capacités de stockage au cas où surviendrait une nouvelle crue.

Nous savons que les risques sont très importants. Nous avons donc engagé une énorme étude, la première en France de cette ampleur et en niveau de détail, sur les 170 communes riveraines de la Seine et de la Marne, pour voir ce que donnerait la crue de 1910.

Cette étude a notamment fait apparaître que les dégats causés par une crue de l'ampleur de celle de 1910, estimés en valeur actuelle à 10 milliards de F., s'élèveraient aujourd'hui à environ 60 milliards de F., du fait du développement économique de la région. Le système d'indemnisation par les assurances ne pourrait pas prendre en charge des montants aussi importants. On ferait jouer probablement la réassurance - qui est aussï limitée- et la garantie de l'Etat, qui a les difficultés financières que l'on connaît.

Les collectivités locales seraient touchées également dans leurs équipements publics. Et se poseraient des difficultés très aigues pour le fonctionnement des services publics.Dans la configuration la plus dommageable,

Paris serait ainsi coupé d'électricité pendant quelques jours, d'où des problèmes pour le chauffage urbain, dont les équipements sont souvent situés en bordure de rivières, la RATP, et la SNCF, etc...

Nous allons étudier les effets des barrages réservoirs actuels, et faire des simulations sur nos projets. Nous diffuserons l'étude à tous les maires concernés et à toutes les associations qui nous l'ont demandé.

Les données de réalisation des barrages réservoirs ont complètement changé. Nous ne sommes plus du tout dans les mêmes conditions sociales, économiques, écologiques que lors de la construction des premiers barrages réservoirs, dont la région parisienne a quasiment imposé la réalisation avec l'aide de l'Etat. Nous devons maintenant procéder selon une méthode différente, en justifiant nos options, en étant transparents au niveau technique, en nous soumettant su schéma directeur d'aménagement de gestion des eaux et aux décisions de l'Etat, et en montrant les enjeux économiques et sociaux réels de l'affaire.

Le thème de la prévention prend à l'heure actuelle une importance croissante. La prévention est certes indispensable pour le futur, mais nous sommes confrontés à l'existence de plusieurs centaines de milliers d'habitants dans les zones inondables, et à plusieurs milliards de francs de dégâts potentiels. Nous posons donc le problème en termes politiques: faut-il ne rien faire? Faut-il laisser ces gens face À ce risque permanent ? C'est pourquoi nous allons étudier des projets - que nous ne ferons pas si nous n'obtenons pas l'accord des populations -, pour essayer de limiter encore le débit qui arrive en région parisienne.

M. Henri WOLF: Il faut absolument protéger des populations qui sont en difficulté, car, en amont de Paris, il y a des villes qui à tout moment peuvent être sinistrées gravement. Quand tout va bien, certains peuvent avoir tendance à penser qu'il y a d'autres urgences. Notre mission est de faire prendre conscience que la prise en charge du risque que court la région parisienne est une priorité.

Nous avons des projets de barrage sur l'Yonne, également près de Villers-le-Sec, dans la Marne. Ces projets ne pourront se réaliser que si l'institution présente des dossiers clairs à la population, si elle offre toutes les garanties aux élus et aux associations locales pour qu'ils puissent intervenir très largement en amont et participer avec nous au règlement des problèmes.

Je voudrais évoquer un point sur lequel il serait selon nous utile de légiférer, peut-être par voie d'amendement au projet de loi présenté par M. Barnier qui va être prochainement discuté à l'Assemblée: il nous semble qu'il serait intéressant de prévoir un dispositif permettant de mettre des terrains à disposition des organismes gérant les retenues d'eau tout en en laissant la jouissance à leurs propriétaires. M. Jacq va vous développer cette idée de façon plus précise.

M. Alain JACQ: Jusqu'à présent, pour les grands ouvrages, nous avons fait l'acquisition de terrains. Mais à l'heure actuelle, les sites possibles de barrages réservoirs dans le bassin de la Seine ne sont plus très nombreux, du fait de l'occupation humaine et des impératifs écologiques. Nous avons donc imaginé de créer des zones d'expansion de crues, en contrôlant cette expansion. Il y a des zones qui sont naturellement inondables, le long de tous les cours d'eau. Notre idée serait de les ·surinonder., au moment des plus graves inondations et où cela gène le moins les agriculteurs, par un système de digues, de vannes, ou d'espèces de casiers. Cela permettrait, de la façon la plus naturelle, la plus écologique possible, pendant quinze jours à trois semaines tous les quatre ou cinq ans, en tirant parti de cette zone naturelle d'expansion des crues, de protéger les agglomérations en aval.

Dans le bassin de la Seine, existe ainsi une zone dénommée La Bassée, en amont de Montereau, vaste de 16.000 hectares, qui est à l'heure actuelle occupée par des bourgs et des zones agricoles riches, mais aussi par des bois en déshérence, d'anciennes carrière d'extractions de matériaux, etc. Plutôt que d'acquérir des terrains, ce qui perturbe complètement le marché foncier et agricole, il s'agirait d'instituer une servitude d'utilité publique et d'indemniser les propriétaires chaque fois que nous procéderions à la surinondation.

Un dispositif du même genre a été mis en.place le long du Rhin par un accord entre l'Allemagne et la France, de façon à protéger les villes d'Allemagne contre les crues du Rhin au moyen de polders. Dans le système que nous souhaitons, ce serait nous qui présenterions et négocierions l'affaire - après l'accord de l'Etat, après enquête publique et étude d'impact-, et nous qui indemniserions.

Les premiers contacts que nous avons avec les élus de Seine-etMarne dans la zone de La Bassée ne sont pas négatifs: ils perçoivent bien l'intérêt de notre projet. Nous en avons aussi parlé avec le ministère de l'environnement, qui semble être favorable su principe. Nous avons rédigé une proposition de loi sur le sujet, dont je pourrai vous remettre le texte si vous le souhaitez.

M. le Président: L'idée que vous venez de présenter me parait effectivement avoir beaucoup d'intérêt, et je vous remercie d'avance de bien vouloir nous transmettre le texte auquel vous avez fait allusion.

Je voudrais tout d'abord vous demander comment, dans le passé, vous avez .vendu. les ouvrages aux populations? Je pense notamment su dernier barrage réservoir qui a été construit, celui de l'Aube.

M. Henri WOLF: Au départ, c'est toujours très difficile. En ce qui concerne le barrage Aube, nous avons pris très rapidement attache avec les élus des secteurs intéressés, et il y a eu de nombreuses réunions de concertation.

Il s'est trouvé que les zones en question ne connaissaient pas une forte activité. Les propriétaires, sans être ravis, n'étaient donc pas désespérés de voir leurs terrains vendus. Mais les associations de pécheurs et de chasseurs se sont bien sûr émues.

D'une manière générale, ce qu'il faut faire c'est présenter un dossier bien préparé, et aller dans le sens des demandes pour autant qu'elles soient justifiées. Nos projets ont ainsi été retenus parce que les élus et les associations se sont rendu compte que l'on apportait un plus, qu'il ne s'agissait pas uniquement de construire des retenues d'eau, mais aussi de participer au développement économique des régions intéressées.

M. Alain JACQ : Dans le passé, mes prédécesseurs ont eu à faire face à des attentats et à des problèmes très difficiles. Mais au fur et à mesure, les gens se sont rendu compte du type de réalisations et de la valorisation touristique qu'elles assuraient. Les lacs sont porteurs maintenant de migrations d'oiseaux, ils sont classés au niveau international. Toute une dynamique s'est engagée à partir de ces lacs. En outre, sauf le barrage du Morvan, les trois autres sont en dérivation du cours d'eau, dont l'impact est beaucoup moins négatif, car nous pouvons alors concéder l'aménagement touristique et de loisirs aux collectivités locales de l'amont.

Pour l'avenir, nous sommes confrontés aux difficiles problèmes de la région parisienne. On nous accuse de tous les maux, d'être impérialistes, de consommer trop d'eau, d'avoir construit dans des zones inondables. Nous battons notre coulpe: c'est vrai, tout cela. Mais nous essayons de faire des efforts, et nous voulons agir en termes de solidarité.

Par exemple, nous avons un projet de barrage dans le département de la Marne, pour le soutien des étiages. Nous avons commencé par rencontrer les principaux élus, puis nous avons élargi à l'ensemble du monde économique et associatif du secteur, et, depuis un an, des groupes de travail de cent personnes étudient les données de base et les impacts potentiels d'un éventuel ouvrage, alors même que nous avons dit n'être pas encore certains de pouvoir correctement le justifier.

Nous jouons donc la transparence, et même s'il y a des oppositions, quelques maires nous déclarant qu'ils ne discuteront jamais avec nous, la majorité est d'accord avec ce dispositif.

Nous contions même les études de base aux associations locales: la ligue de la protection des oiseaux fait ainsi toutes les études sur la faune et la flore, les pécheurs celles sur les poissons, la chambre d'agriculture les études économiques, toutes étant financées par nous évidemment.

Nous associons donc le plus possible les populations et nous intervenons très en amont: dans l'exemple que j'ai pris, ce n'est que dans deux ans que nous ferons les études d'impact et les enquêtes.

M. Henri WOLF: Avec le barrage Aube, nous avons apporté des éléments extrêmement importants au commerce et à l'économie locale. On a créé un port, un hôtel, des résidences en bordure du lac, et on a même disputé sur le lac des championnats de France d'aviron et de planche à voile. M. Robert Galley, députémaire de Troyes, qui n'était pas très favorable au barrage au départ -c'était normal- et a été excessivement exigeant - ce qui est son rôle de maire et de député- , a finalement inauguré le barrage avec nous: c'est qu'il a pensé que nous avions réalisé un travail sérieux et apporté à sa région un véritable plus.

Pour être honnête, il faut toutefois apporter un petit correctif. Nous avons eu l'occasion de visiter certaines retenues d'eau aux Etats-Unis, notamment dans le nord de New-York, et nous nous sommes aperçus que les Américains étaient beaucoup plus exigeants que nous: aux Etats-Unis, les retenues d'eau ne s'accompagnent pas de zones d'activités, de ports et d'hôtels. Les bateaux à moteur, même pour la surveillance, y sont prohibés, il n'y a que des bateaux à rames. Ceci qui veut dire que, lorsqu'on aura à construire d'autres retenues d'eau, les données écologiques seront tout à fait différentes de celles existant lors de la construction des ouvrages précédents, et qu'à l'évidence, il faudra davantage respecter le site et l'eau.

M. le Président: Je voudrais revenir sur votre proposition de zones d'expansion de crues. Il me semble difficile, dans des vallées telles que celle de la Seine, de trouver des zones suffisamment vastes sans la moindre trace d'urbanisation. Autant je conçois qu'on puisse dire à un agriculteur que pendant trois semaines, sa terre sera sous l'eau, autant il est difficile de concevoir d'inonder des bàtiments pendant trois semaines. Comment répondez-vous à cela ?

M. Alain JACQ : Il est hors de question évidemment de toucher à tout ce qui est sensible. L'idée générale, c'est d'avoir suffisamment d'espace .aménageable. de manière à disposer d'une capacité de stockage importante. Pour ce qui est de la région parisienne, le problème est davantage un problème de durée et de gestion correcte que de volumes. Les plus grosses inondations en région parisienne, se produisent lorsque les crues de l'Yonne viennent se superposer à celles de la Seine. Ainsi, si nous ne parvenons pas à convaincre les gens de l'Yonne qu'il faut faire des réservoirs dans ce bassin, notre idée est de pouvoir stocker les crues de la Seine de manière à pouvoir laisser passer celles de l'Yonne. Ceci pourrait se faire grées à des casiers discontinus situés dans une énorme zone, avec un système de tunnels et de vannes. Dans la zone de La Bassée que j'ai évoquée, il y a beaucoup de zones d'extraction de matériaux, terrains dont plus personne ne veut. Notre idée est de les récupérer pour en faire une utilisation momentanée. Il n'y a pas donc pas de dommages proprement dits. Il y a également d'immenses bois qui sont en déshérence, cela ne gênerait personne qu'ils soient inondables à certains moments. Bien évidemment, il n'est pas question de gêner les bourgs qui se situent sur les monticules et non pas dans les fonds de vallées. En toute hypothèse, nous nous mettrions en retrait dès que nous sentirions une situation humainement, socialement et économiquement sensible. Il ne s'agira pas d'aller en force.

M. le Rapporteur: Je partage totalement votre point de vue. En outre, je crois que l'on peut combiner dans certaines zones à la fois la jachère agricole, éventuellement des réserves de chasse et des zones d'épandage.

Savez-vous s'il existe ce genre d'études sur d'autres bassins? Avezvous des contacts dans vos études, dans votre réflexion, avec d'autres institutions, notamment la CNR?

M. Alain JACQ : Le plus gros établissement qui soit comparable au nôtre, c'est l'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), qui réalise uniquement des barrages réservoirs.

Il existe par ailleurs d'autres zones naturellement inondables et dont on pourrait tirer parti, par exemple sur le Gave de Pau, la Durance, la Saône. Il y en a aussi dans les vallées de l'Aisne et de l'Oise, où les projets de barragesréservoirs envisagés dans les années 70 ont été abandonnés du fait notamment de l'hostilité des agriculteurs, ainsi qu'en Charente.

M. le Rapporteur: Quand vous étudiez un projet de barrage, prenez-vous en compte, face au coût de l'investissement, le montant des économies réalisées du fait de la moindre amplitude de l'inondation ?

M. Henri WOLF: Nous avons un conseil d'administration qui comprend dix-huit membres, dont des élus de Paris et des départements limitrophes. Les projets sont préparés par les équipes de l'institution composées d'ingénieurs, de fonctionnaires et de spécialistes. Tout est passé su peigne fin. Le coût joue bien sûr un rôle important dans les décisions, et les différents conseils généraux, qui doivent donner un avis favorable à la réalisation des projets, sont particulièrement attentifs à cet aspect.

M. le Rapporteur: Vous n'avez pas exactement répondu à ma question. Aux Etats-Unis, comme nous l'avons appris lors de la mission effectuée par la Commission, un projet de barrage ne peut être accepté que si le montant des économies qu'il permettra de réaliser est supérieur à son coût. Procédez-vous à des calculs de ce type ?

M. Alain JACQ: Pour les anciens ouvrages, cela n'a pas été fait. Pour l'avenir, l'étude que nous menons sur le coût économique potentiel des inondations en région parisienne sans les barrages et avec les barrages répond à la préoccupation que vous exprimez. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le coût d'une crue de type 1910 sans les barrages serait aujourd'hui de l'ordre de 60 milliards de F. Avec les barrages réservoirs actuels, il ne serait que de 33 milliards de F., chiffre qui demande toutefois à être affiné. On économise donc 25 milliards de F. en diminuant de 90em la hauteur maximale des inondations. Nous avons bien l'ambition, c'est la loi qui nous y oblige et nous le ferons, de calculer combien rapporte chaque centimètre de crue économisé.

Jusqu'à présent, les barrages que nous construisions avaient un double objectif de protection contre les inondations et de soutien d'étiage. Nous obtenions des financements de l'Etat au titre du premier objectif, de l'agence de l'eau au titre de la seconde. Si nous réalisons des ouvrages destinés uniquement à l'écrêtement des crues, l'agence de l'eau, qui ne dispose pas à l'heure actuelle de recettes su titre des inondations, ne pourra pas nous aider.

Sur le site de La Bassée, l'agence de l'eau se laissera peut-être convaincre de nous aider, su titre de l'aménagement écologique que permettrait le projet. Ce sera un point à discuter en temps opportun. La charge résiduelle qui sera supportée par les conseils généraux en sera réduite d'autant. Car nos ressources, qui s'élèvent à l'heure actuelle à 80 millions de F. par an, proviennent exclusivement des budgets départementaux - Paris paie la moitié et chacun des départements de la petite couronne le tiers du restant -. Je précise que l'aménagement de La Bassée risque d'atteindre plusieurs centaines de millions de francs, en raison du coût des vannes et des digues ainsi que des indemnisations qui devront être versées chaque fois qu'on s'en servira. La charge nette qui nous incombe, même sur le plan interne, doit être appréciée par rapport aux avantages qu'on en tirera.

M. Henry WOLF: La question est bien posée mais il est difficile d'y répondre. Car c'est selon l'importance des crues qui se produisent que l'économie se réalise ou ne se réalise pas. Dans le cas d'une crue centennale en région parisienne, les dégâts se chiffreraient aujourd'hui à 58 milliards de F., alors que nous les avons évaluées à environ 33 milliards de F. avec les barrages. La différence est extrêmement sensible, rapportée au coùt de l'ensemble des barrages, soit près de 4,5 milliards de F.

M. le Président: Tout le problème, c'est de faire un investissement certain pour un événement aléatoire.

M. Alain JACQ : II est aléatoire, mais il est certain aussi. Nous ne travaillons pas pour le court terme, mais à une échelle de temps de plusieurs décennies voire d'un siècle. Le mieux est donc de raisonner en termes de coùt moyen. Nous évaluons sommairement le coût des dommages moyens annuels des inondations en région parisienne entre 1,5 et 2 milliards de F., ce qui n'est pas rien! Cet hiver, nous avons eu d'importantes inondations en Seine-et-Marne. On aura d'autres inondations lors de crues décennales, vingtennales, cinquantennales, etc.

Paris a connu un bon nombre de crues: Il y a eu en 1658 une crue équivalente à celle de 1910 et depuis trois siècles vingt à trente crues supérieures à sept mètres se sont produites en région parisienne. Un tel événement provoquerait d'importants dégâts. Le phénomène est aléatoire quant au moment où il se produira mais certain sur son principe.

M. le Rapporteur : Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'existait pas d'autorité compétente su niveau de la région en matière d'inondations. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de mettre en place .une autorité. qui aurait compétence pour les travaux et les aménagements liés à la protection contre les inondations? Si oui, les agences de l'eau vous sembleraient-elles les plus qualifiées pour assurer cette mission ?

M. Alain JACQ : Les riverains doivent se protéger contre les inondations et les collectivités locales peuvent s'y substituer. Il est important que FEtat joue le rôle d'arbitre en la matière. Il a dans les mains la prévention des risques, la cartographie des risques , ldes crues, la sécurité civile. Il est le seul à même d'évaluer globalement l'intérêt du niveau de protection choisi par les collectivités locales. En France, les niveaux de protection sont très divers. Certaines villes du Sud-Est sont très peu protégées. Celle qui s'est fixé l'objectif de protection le plus élevé est Grenoble, mais le programme très ambitieux qui doit être mis en _uvre pour l'atteindre n'est pas réalisé.

L'Agence de l'eau est un financeur ; elle ne peut pas être maître d'ouvrage. C'est aux responsables politiques en liaison avec les responsables économiques d'une région d'évaluer les besoins réels de la population et les risques de perturbation de l'activité économique.

M. le Rapporteur: A Pont-Saint-Esprit, dans le Gard, on a construit des digues importantes pour se protéger du Rhône. Sur l'autre rive, à Bollène, il n'y en a pas. Résultat: lors des dernières inondations, il y avait 1,50m dans les communes situées sur la rive gauche du Rhône et rien dans celles situées sur la rive droite. Ceci pour illustrer le fait qu'aujourd'hui, neuf fois sur dix les moyens ne sont pas coordonnés. Ainsi, je suis maire d'une commune riveraine avec le département de la Drôme. Pour lutter contre les inondations, je dispose d'une certaine somme pour l'aménagement du Lèze, alors que mes voisins de la Drôme n'en ont que le dixième. En clair, je vais aménager de mon côté et envoyer l'eau en face.

On peut toujours faire de beaux discours et avoir de beaux sentiments. Mais quand vous êtes maire, et que votre interlocuteur n'a pas d'argent, le choix est simple : ou bien vous ne faites rien en attendant que le voisin ait les moyens d'équilibrer l'autre rive et vous ne protégez pas vos propres concitoyens, ou bien vous protégez tout seul vos propres concitoyens.

Ne serait-il donc pas nécessaire qu'une autorité soit chargée de coordonner l'ensemble, qu'il s'agisse de l'agence de l'eau ou d'un autre organisme ?

M. Alain JACQ : L'effort de planification me paiait s'efectuer d'une manière raisonnable. On se donne collectivement comme objectif de fixer des niveaux de protection en cohérence, en en appréciant l'impact en rive gauche et en rive droite, en amont et en aval. La tentation a été grande pour la région parisienne de faire comme l'EPALA c'est-à-dire se poser comme le grand organisateur de l'aménagement des cours d'eau et de la protection des organisations sur l'ensemble du bassin. Mais ceci n'est finalement pas l'option qui a été retenue. Ainsi, par exemple, la Seine-et-Marne, qui est le premier département de la région parisienne à bénéficier de nos ouvrages, ne participe pas financièrement à l'opération.

M. Henry WOLF : La région parisienne pourrait être considérée comme exemplaire en la matière, mais l'importance de son potentiel économique et financier rend l'expérience très difficilement transposable.

Par contre, comme vous, je suis maire et je m'interroge. On a construit dans des zones inondables tout su long de ce siècle et bien avant , dans n'importe quelles conditions, en bordure de rivière, et aucun maire ne s'y est opposé. Sous la pression de leurs administrés, certains maires se montrent laxistes dans l'application du plan d'occupation des sols. Il serait bon que les textes législatifs et réglementaires soient améliorés de façon à ne pas laisser le maire seul face à certains éléments trop actifs au sein de leur population.

M. Alain JACQ: A l'heure actuelle nous prenons véritablement conscience des enjeux économiques des inondations. Nous contactons les départements membres de l'institution pour assurer une coordination entre nos travaux, qui agissent sur le débit, et les leurs, c'est-à-dire la construction des digues. Je ne vous cacherai pas que nous envisagerions mal que l'agence de l'eau, qui a une responsabilité plus financière et technocratique, viennent coiffer notre institution à un niveau politique. Nous essayons de parvenir à un accord global. Nous acceptons l'autorité de l'Etat parce qu'elle représente le pouvoir d'une collectivité supérieure, mais nous ressentirions très mal celle de l'agence, avec laquelle nous sommes au demeurant en désaccord sur de nombreux points. Elle ne peut pas raisonner de la même manière que nous su niveau local, même s'il y a des élus dans les comités de bassin et dans les conseils d'administration. Nous avons ainsi un désaccord profond su sujet de l'assainissement en région parisienne et dans un tel cas, nous en référons à l'Etat pour l'arbitrage.

M. le Rapporteur : Ce qui me gêne, c'est qu'à l'heure actuelle aucune autorité n'intervient sur un bassin pour empêcher de faire tels travaux parce qu'ils auraient des effets négatifs à un autre endroit du bassin.

M. Alain JACQ : Ce n'est pas le rôle de l'agence, c'est celui de l'Etat. J'ai été chargé antérieurement de la police des eaux su ministère de l'environnement. Nos moyens étaient peut-être insuffisants mais c'était bien à nous d'arbitrer. J'ai vécu toute la catastrophe de Nîmes et j'ai assisté à la préparation des études qui l'ont suivie, et c'était bien l'Etat qui disait: « attention, monsieur le maire de Nîmes, si vous envoyez toute l'eau en aval, ceux qui sont au-dessous vont tout recevoir. Donc, prévoyez des bassins intermédiaires ! »

M. Pierre-Rémy HOUSSIN : Comment est assuré le financement du fonctionnement de votre institution? Bénéficiez-vous d'une participation des collectivités ?

M. Henry WOLF: Nos dépenses de fonctionnement s'élèvent à près de 90 millions de F. par an. Le département de Paris en paie la moitié, les autres collectivités territoriales 16,66 % chacune.

M. Pierre-Rémy HOUSSIN : Lorsque vous avez évoqué votre idée de terrains dits de surinondation, vous avez notamment cité la Charente. Cela m'intéresse car nous sommes confrontés à un problème du mémé genre à Saintes où un canal de dérivation ne pourrait être utilisé qu'au moment de certaines crues. Il est vrai que le fait de geler des hectares et des hectares n'est pas forcément une bonne solution. Il nous faut des moyens législatifs et juridiques pour geler cette travée et nous permettre de contourner un barrage qui fait une retenue d'eau.

M. Alain JACQ : Le système que nous proposons pourrait tout à fait s'appliquer à ce cas.

M. Pierre-Rémy HOUSSIN : Vous construisez des barrages pour l'écrêtement des crues et pour le soutien d'étiage. Comment faites-vous pour concilier ces objectifs avec les intérêts économiques, touristiques en particulier ? Comment faites-vous pour traiter le marnage ?

M. Alain JACQ : La totalité des barrages couvre une superficie de 10.000 hectares. On peut aménager, à l'intérieur des plans d'eau permanents, des petits plans d'eau de quelques millions de m3, marginaux pour nous en termes de volume mais très importants sur le plan touratique, par exemple pour aménager des plages.

Par ailleurs, on ne lâche l'eau qu'à partir du mois de juillet. Donc, durant les mois de juillet et août, la surface de plan d'eau est très importante. Le marnage est faible : la hauteur d'eau totale ne dépasse pas quinze à vingt mètres. II y a parfois des difficultés, quand il y a des championnats du monde, par exemple. Mais grâce au dialogue, on arrive à trouver des arrangements.

M. Henry WOLF: C'est la raison pour laquelle j'ai précisé que lors des prochaines opérations que nous mènerons, notre politique sera tout à fait différente. La priorité doit être donnée aux opérations pour lesquelles le barrage ou la retenue d'eau a été construit.

M. le Président: Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Jean ROYER

Député,Président de l'Etablissement

public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA)

(Extrait du procès-uerbal de la première séance du 28 septembre 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Jean Rayer est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatiues relatiuea aux commissions d énqutte lui ont été communiquées.

M. Jean ROYER : J'essaierai tout d'abord de vous présenter les missions et les réalisations de l'EPALA en fonction des préoccupations de votre commission. Cet établissement public, créé en 1984, rassemble six régions, quinze départements, dix-neuf villes de plus de trente mille habitants et onze syndicats intercommunaux de onze départements différents. Nous avons passé en 1986 un premier protocole, qui n'a malheureusement pas été entièrement maintenu, avec l'agence de l'eau et l'État. Il a été récemment remplacé par une charte signée avec les mêmes partenaires, portant sur la création d'ouvrages et l'aménagement des fleuves, ainsi que sur notre participation forte à un travail de protection et de revigoration de l'environnement le long des fleuves : nous travaillerons ainsi à soutenir la remontée des poissons migrateurs et à protéger 1a faune. Il s'agit donc d'une _uvre complète qui porte à la fois sur la sécurité des populations et sur la protection et la revalorisation de l'environnement.

Cette charte est signée, et nous pouvons maintenant construire le deuxième barrage de Naussac. Il accroîtra de 90 millions de m3 la retenue générale de ce plan d'eau sur la Lozère: c'est un ensemble de 1 100 hectares qui stocke l'eau quand il y en a trop, et qui la restitue quand c'est nécessaire à la vallée de la Loire par l'intermédiaire de l'Allier, ce que nous avons pu apprécier lors des périodes de sécheresse. Nous avons décidé, chaque fois que nous entreprendrons un ouvrage d'aménagement, d'entreprendre aussi un ouvrage de protection ou de revitalisation de l'environnement. Ainsi, à Vichy, nous avons passé un accord avec la Mairie, les pécheurs et l'État, pour assumer 50% des dépenses nécessaires pour recréer les passes à poisson, pour faciliter la remontée des saumons. Nous participerons à la reconstitution de cette espèce dans le haut val de l'Allier.

Pour ce qui est du Cher, nous avons l'autorisation de construire à Chambonchard, en amont de Montluçon, un barrage de 80 millions de mn, qui servira essentiellement à retenir l'eau pour la recéder en cas de besoin, non seulement à Montluçon, Vierzon et Tours, mais à l'ensemble du Val, afin de répondre tant aux besoins économiques, notamment agricoles, qu'aux besoins courants de la population. Ces deux barrages sont en préparation et nous entendons bien les avoir lancés tous deux en 1994/1995.

La troisième opération, celle de Le Veurdre, n'est pas supprimée, mais subordonnée à des études complémentaires qui devront être achevées su plus tard en 1998. La Loire doit être entretenue, réhabilitée et les digues consolidées. Ce travail a été abandonné depuis environ 150 ans, c'est-à-dire depuis la 6n de la navigation sur la Loire : lourde erreur que nous avons payée cher, notamment en 1856. Nous sommes maintenant engagés avec l'État dans la restauration du lit. Malgré cela, et à la suite de la remontée du lit consécutive à la diminution des prélèvements qui y sont opérés, on peut encore craindre des crues catastrophiques comme celles de 1856, qui totalisait les eaux de l'Allier et de la Loire, d'où un débit de plus de 6.000 m' par seconde qui exerce sur les digues un véritable travail de sape et les fait éclater. Pour éviter cela, même en restaurant le fond du lit et en essartant les iles, il faudra faire Le Veurdre. L'enjeu en est la protection d'environ 300.000 habitants sur les 100.000 hectares de zones inondables de la Loire moyenne. L'EPALA est persuadé que les études menées conjointement avec l'État, qui ainsi ne pourra douter de leur crédibilité, montreront la nécessité de cet ouvrage.

Le quatrième ouvrage, celui de Serre-de-la-Fare, en amont du Puy, est abandonné, su profit de solutions alternatives très discutables, que l'EPALA n'a pas acceptées. Nous avons contesté l'annulation de la déclaration d'utilité publique: depuis trois ans le Conseil d'État n'a pas donné signe de vie, ce qui est inadmissible. Si plus tard les collectivités locales veulent que cet ouvrage soit réalisé, et si l'État y consent, nous restons disponibles, pour le faire.

Pourquoi avons-nous.fondé l'EPALA? C'est l'aboutissement d'une longue lutte menée par les maires des villes grandes et moyennes pour que soient organisée la protection des populations et évitées les énormes inondations d'autrefois. En 1856 il y avait 1,40 mètre d'eau dans la partie remblayée de la ville de Tours, derrière les digues, et 5 mètres dans le parc Sud! Si cela se reproduisait, que pourrions-nous faire ? Quand on est conscient de cela, il faut savoir prendre les mesures qui s'imposent.

Votre cdmmission s'interroge sur les causes des inondations. Elles sont tout d'abord climatiques : dans le cas de la Loire, c'est la combinaison des chutes d'eau du régime cévenol sur les contreforts du Massif Central, et de celles du régime atlantique. En 1980, c'est un mur d'eau haut de 6 mètres qui a ainsi ravagé la Haute Loire et infligé à Brives Charensac un vérit#ble coup de bélier dévastateur. J'ai alors entendu le maire de cette ville me supplier de défendre les projets de barrage de la Haute Loire.

Une seconde cause tient à l'aggravation du ruissellement sous l'effet de l'urbanisation et de l'asphaltage ; dans les campagnes, à l'occasion du remembrement, on a redressé le cours des fossés alors que leurs méandres ralentissaient la progression des crues; on a supprimé les haies et l'on n'a pas remplacé les ormes morts. Il importe maintenant de réagir contre ces erreurs.

Troisième cause: le manque de constance dans l'effort pour organiser la protection et pour l'améliorer. Depuis 1162, les riverains de la Loire n'ont cessé d'établir des levées de terre pour se protéger contre les débordements du lit mineur. Actuellement, on compte 756 km de digues tout le long de la Loire moyenne et basse, qu'il faudrait restaurer et .remonter.. Mais cela ne peut se faire n'importe comment: pour être véritablement efficaces, les digues doivent comporter un rideau d'isolation étanche du rocher jusqu'au sommet de l'ouvrage. Or les digues anciennes ne tiennent que par quelques enrochements: tout le reste est de la terre.

A Tours, nous avons construit une digue le long du Cher selon ce nouveau principe et nous avons ainsi pu installer 20.000 habitants en toute sécurité dans une zone autrefois inondable. Cela cotte cher évidemment, car cela suppose des études mathématiques et des modèles techniques, mais la sécurité est à ce prix et nous avons fait la démonstration que cela était possible.

Enfin, il faut compter avec l'homme lui-même et avec ses erreurs. On a construit sans se préoccuper des crues possibles. Mais maintenant, on tombe dans le travers inverse, c'est-à-dire que l'administration et les techniciens refusent tout permis de construire, préférant publier des atlas qui ne font qu'inquiéter la population. On ne peut tout de même interdire la vie, qui s'est toujours développée le long des fleuves. II faut simplement suivre la voie de la sagesse et étudier pragmatiquement chaque situation locale. Et cela, on ne peut le faire dans le cadre d'un projet de loi global. Il faut être attentif aux faits et à l'expérience, plutôt qu'aux théories. Le bon sens et l'observation devraient permettre de sortir du dilemme machiavélique entre un aménagement organisé dans des conditions scandaleusesat l'élimination de toute vie humaine dans les vallées. Ce que nous avons pu faire à Tours, en bordure du Cher, prouve que la démarche est praticable: la nouvelle digue dépasse d'un mètre cinquante le niveau des crues historiques... Nos adversaires font valoir que c'est nous-mêmes qui avons défini cette marge de sécurité, mais comment pourrait-on se résigner à ne plus rien construire en édictant des prescriptions impossibles à respecter ?

M. le Président : Pourriez-vous nous préciser dans quelles conditions s'est constitué l'EPALA ?

M. Jean ROYER : Avant même sa création, les collectivités territoriales s'étaient associées en vue d'études et de travaux, dans l'ANECLA, puis dans Liger. Elles avaient même fondé une société d'économie mixte en vue d'entamer des travaux, mais rien n'a été possible tant que l'Etat n'a pas voulu s'en mêler.

En 1979 enfin, M. d'Ornano a demandé à un ingénieur des Ponts et chaussées, M. Chapon, de mener à bien une première enquête approfondie sur le bassin de la Loire. Lorsque ce rapport a été déposé, l'Etat a pris conscience de l'importance du problème et c'est alors d'ailleurs qu'a été constituée l'association Liger...

En 1982, à Roanne, M. Rocard, alors ministre de l'aménagement du territoire, a pris publiquement l'engagement d'aider les collectivités concernées à créer un établissement public. Les négociations ont été longues, car l'esprit de bassin n'est pas un mythe et il fallait surmonter aussi les divergences politiques, mais nous avons abouti en 1984. Bien étudiée, une liste bloquée a été adoptée en totalité et nous avons établi les statuts. Deux ans après, c'est-à-dire en 1986, nous signions un protocole d'action avec l'Etat. Gràce à une volonté commune des collectivités, de l'Etat et de l'agence de l'eau, l'EPALA est maintenant un des meilleurs instruments de décentralisation qui existent en France en matière. d'aménagement du territoire, et il a su résister à toutes les querelles...

M. le Président : Pour quelles raisons le protocole signé en 1986 n'a-t-il pas résisté ?

M. Jean ROYER : La première entorse à ce protocole est intervenue lorsque M. Lalonde a été nommé ministre de l'Environnement. Chacun connaît ses idées, que je respecte mais que je n'ai jamais partagées. Pour moi, un protocole signé par deux ministres d'un gouvernement, en l'occurence M. Auroux et Mme Bouchardeau, et par un préfet de Région engageait la parole de l'Etat. Mais les écologistes, notamment ceux de l'association .Loire vivante., étaient contre le principe même de tout barrage: pour eux, l'homme devait respecter totalement la nature et ne pas chercher à régler le débit du fleuve ou à en équilibrer le régime dans ces conditions, que pourrait faire un maire comme celui de Tours, vile .mésopotamienne. puisque construite à .la fois sur la Loire et sur le Cher? Nous nous sommes donc battus avec détermination contre de telles théories, faisant tout pour sortir du dilemme par le haut. Nous avons d'ailleurs en cela obéi à une sagesse qui est vieille comme le monde: n'y a-t-il pas 36.000 barrages sur la planète et 355 rien qu'en France ?

J'ai eu une conversation à ce propos avec M. Lalonde : il m'a avoué qu'il ne pouvait pas supporter les barrages et qu'il redoutait que ces ouvrages ne défigurent par exemple les gorges du fleuve. Je lui si fait valoir que 74 km de gorges pouvaient être préservés si l'on réalisait le barrage de Serre de la F are. Par ailleurs, les lacs de retenue ont aussi leur beauté et le cours des fleuves est bordé de sites très différents, magnifiques chacun à sa manière. Quant à la nature, ce n'est pas un équilibre auquel il ne faudrait jamais toucher, mais un ensemble de déséquilibres en continuelle évolution.

Toujours est-il que M. Lalonde a fait pression sur le Gouvernement afin qu'on réduise le nombre des barrages. Malgré notre résistance, le programme a donc été amputé. Le changement de majorité n'a pas modifié essentiellement la situation: je dirais même que la pression écologiste s'est encore accrue dans les entourages ministériels. Toutefois, nous ne nous avouons pas battus: nous ne nous sommes ni repentis ni résignés au repli et nous avons conservé notre unité.

Savez-vous que, pour le premier barrage, c'est le même tribunal administratif, celui de Clermont-Ferrand, qui avait d'abord refusé de suivre les écologistes qui demandaient l'arrêt des travaux, et qui a ensuite, annulé la déclaration d'utilité publique signée par le préfet de la Haute Loire sur l'ordre du ministre de l'Environnement... Nous avons donc déposé un recours devant le Conseil d'État... qui n'a jamais répondu. Ce sont là des procédés que je n'accepte pas dans le fonctionnement de la République.

Nous avons cependant signé la charte, car noua faisons passer l'intérêt général avant nos idées. Je suis en outre convaincu que son contenu pourra s'enrichir car j'ai tenu à y faire figurer un dernier article qui dispose qu'elle pourra être complétée si les évènements le justifient. Pour nous, rien n'est donc perdu.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner des précisions sur le budget de l'EPALA ? Les riverains acquittent-ils des cotisations ?

M. Jean ROYER : Le directeur de l'EPALA fera parvenir à la Commission un document comportant des extraits du dernier budget et précisant la nature des recettes ainsi que les moyens de contrôler les dépenses.

Pour ce qui est des recettes, des critères de répartition ont été établis, tenant compte du coût de fonctionnement et d'entretien des barrages existants ainsi que des investissements. Les départements doivent fournir une dotation annuelle à l'EPALA. les régions y contribuent pour 25 %. Les villes versent également une quote-part à l'établissement. Les départements qui le souhaitent peuvent souscrire des emprunts pour faire face à leurs obligations.

Le budget 1994 ainsi que les principes de financement de l'EPALA figureront dans le document qui vous sera transmis dans un délai de huit jours.

M. le Rapporteur : Comment avez-vous surmonté la réticence fréquente des collectivités locales à adhérer à ce type de structure ? Toutes y ont-elles adhéré ?

M. Jean ROYER : Non, toutes les collectivités intéressées n'ont pas adhéré à l'EPALA. C'est notamment le cas de la région Poitou-Charente pour des raisons que ni M. Monory ni Mme Cresson n'ont pu m'expliquer. Des vals comme celui du Loir ou de la Sarthe n'ont pas non plus adhéré alors qu'à l'évidence certains des ouvrages construits par l'EPALA ont des répercussions sur le haut lit de la Sarthe et du Loir. Mais je ne désespère pas de les convaincre d'adhérer.

Cela dit, l'EPALA regroupe déjà six régions, quinze départements et dix-neuf villes de plus de 30.000 habitants, ce qui est déjà beaucoup. Pour l'instant, notre souci premier est de maintenir l'unité de l'établissement.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner des précisions sur les coûts de construction et d'entretien des digues ?

M. Jean ROYER : Je n'ai pas les chiffres en tête. Il faut distinguer les coûts de restauration des anciennes digues et les coûts de construction des digues modernes dont l'étanchéité est absolue. Tous ces renseignements figureront dans une note technique qui vous sera transmise.

Quoi qu'il en soit, ce problème serait aisément résolu s'il existait, pour la réalisation de tels ouvrages, des prêts à très long terme et à très bas taux d'intérêt comme il en existait pour le logement social dans les années 1970, soit des prêts à 1,5 % sur 45 ans. On pourrait ainsi faire du bon travail et régulièrement. Mais ceci n'est qu'une petite saillie politique et financière!

M. le Président : Je souhaiterais que vous communiquiez à la Commission les références de vos bureaux d'études.

M. Jean ROYER : Ce sera fait et je vous indiquerai également les références du laboratoire EDF de Chatou qui a réalisé les études du système de protection avant la construction à Tours. ,

M. Henri-Jean ARNAUD: En ma qualité de président du syndicat d'équipement de l'Ardèche, je m'associe tout à fait à vos propos sur les rapports que nous avons entretenus avec le ministère de l'Environnement pendant quelques années. Alors que nous avions eu toutes les autorisations nécessaires pour la construction du barrage de Puy-Laurent et alors même que les travaux avaient commencé, de multiples recours ont été formés par des écologistes dont nous avons constaté qu'ils étaient appuyés sur des dossiers fournis par ce ministère, su sein duquel un .noyau dura défendu pendant longtemps une politique de -non construction.. Cela dit, après la suspension des travaux consécutive à l'arrêt du tribunal administratif de Montpellier, nous avons eu gain de cause devant le Conseil d'État et les travaux ont repris depuis un an et demi. Malheureusement, nous n'avons obtenu aucune indemnisation des frais imputables au retard.

J'en viens à une question plus technique. Vos barrages assurent-ils la totalité des retenues même en cas de fortes crues? Ou bien avez-vous besoin de zones de déstockage ou d'épandage ?

M. Jean ROYER : Nos barrages ont été conçus de manière à ce que le volume global de la retenue permette soit d'assurer un étiage correct pour l'alimentation en eau des populations et des activités économiques soit d'arrêter provisoirement des crues sans zones d'épandage.

M. Dominique BUSSEREAU : Né à Tours et élu de la région Poitou-Charentes, je vais intervenir auprès de cette région pour qu'elle revoie la question de son adhésion à l'EPALA.

M. Jean ROYER : Je vous en remercie. Si vous le souhaitez, nous pourrons avoir un entretien sur place avec les autorités concernées.

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur le Ministre, de la très grande qualité de votre intervention qui nous a donné matière à réflexion pour la rédaction de notre rapport.

M. Jean ROYER : Qu'il me soit permis de vous souhaiter bon courage. J'attends avec beaucoup d'intérêt les conclusions de vos travaux.

Audition de M. Serge MAGNAN

Délégué général de l'Assemblée plénière

des sociétés d'assurances dommages (APSAD)

(Extrait du procès-verbal de la première séance du 28 septembre 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Serge Magnan est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A I fnuitation de M. le Président, M. Serge Magnan prête serment.

M. le Président: M. le délégué général, pourriez-vous d'abord nous préciser quel est le rôle de l'Assemblée plénière des sociétés d'assurances dommages. Ensuite, compte tenu des inondations intervenues ces dernières années, pourriez-vous nous indiquer quelle est votre position sur l'indemnisation ainsi que sur l'évolution éventuelle des contrats ?

M. Serge MAGNAN: L'APSAD regroupe toutes les assurances à l'exclusion de celles qui concernent les personnes, ce qui inclut notamment les catastrophes naturelles. Toutes branches confondues, cet organisme recouvre plus de 8096 du marché. Les sociétés étrangères opérant en France lui sont associées.

L'APSAD est chargée de mener des études techniques portant notamment sur les tarifs de référence dans le respect du droit de la concurrence. Elle accomplit des tàches d'intérêt commun en matière de prévention et d'élaboration des clauses. Elle sert aussi d'interface entre les sociétés d'assurance et les pouvoirs publics.

M. le Président : Pourriez-vous nous dresser un bilan des indemnisations effectuées à la suite des crues ?

M. Serge MAGNAN : Je puis vous citer les chiffres officiels fournis par les sociétés d'assurances en application de la loi de 1982. Depuis août 1982 jusqu'à la fin de 1993, le coût total des catastrophes naturelles s'est élevé à 20,285 milliards de F. Les inondations représentent 13 milliards de F. Certes, le coût économique est bien supérieur, car certains biens sont exclus de la garantie des catastrophes naturelles et tous les dommages ne sont pas indemnisés, même si le système français est reconnu comme le plus libéral et le plus complet. La loi de 1982 a en effet mis en place un système original qui associe l'Etat aux compagnies d'assurance, et qui est fondé sur l'obligation d'assurance. Tous les contrats d'assurance de biens ouvrent droit à l'indemnisation des conséquences des catastrophes naturelles. Il serait impossible aux seules compagnies d'assurance de faire face à de tels sinistres, puisque pour leur part elles doivent fixer le taux de la prime en multipliant le taux de fréquence par le taux d'extension du dommage. Prenons l'exemple d'une maison d'une valeur de 1 million de F., exposée à une crue tous les vingt ans. Compte tenu des frais, la prime commerciale atteindrait ?.500 F., alors que le prix moyen d'une prime multirisques est inférieur à 100 F : inutile de dire qu'elle serait invendable. Mais le dispositif de 1982 fait participer aussi bien l'habitant d'un cinquième étage sur la Montagne Sainte-Geneviève que le propriétaire d'une maison située près d'un cours d'eau. L'exercice de la solidarité nous dote d'une assiette très large qui a permis en 1993 la récupération de 4,4 milliards de F. De 1982 à 1993, le système a fonctionné de manière satisfaisante, les primes encaissées étant supérieures aux sinistres payés, aux frais généraux et su coût de la réassurance. Il est vrai que les 39 milliards de F. de primes que nous enregistrons seraient insuffisants pour faire face à une inondation majeure de Paris que les experts évaluent à au moins 50 milliards de F. Un sinistre majeur survenant à Nice est évalué, lui, à 100 milliards. Cependant, notre système est envié par les autres pays, qui ne disposent pas, comme nous, d'une caisse centrale de réassurance qui intervient avec la garantie de l'Etat, ce qui nous permet d'offrir des garanties illimitées.

Le rôle que peuvent jouer les assureurs en matière de prévention n'est pas du tout le même dans le cadre de la garantie catastrophes naturelles que dans les autres branches. Par exemple, on peut refuser de garantir contre l'incendie certaines industries trop vulnérables, de garantir contre le vol une banque ou une bijouterie insuffisamment protégées, encore qu'au refus d'assurance on préfère l'encouragement à l'effort de prévention par le rabais de la prime. Ainsi, une grande surface convenablement protégée contre le risque d'incendie bénéficiera d'un rabais de 80%. La situation est différente s'agissant des catastrophes naturelles, par rapport auxquelles tous les biens sont garantis automatiquement. La loi de 1982 a fixé sur la base du principe de solidarité un taux unique, quelle que soit la nature du bien : c'est 9% pour tout le monde. Ce système simple permet de mesurer le niveau annuel de la prime et de faire face aux sinistres attendus, la caisse de réassurance pouvant intervenir en cas de grande catastrophe.

M. le Président : Des agents d'assurance nous ont signalé des faits qui nous paraissent graves: à la suite des dernières, crues, des compagnies notoires et solvables auraient modifié le montant des franchises et des primes, et seraient même allées jusqu'à résilier des contrats. Avez-vous en connaissance de tels faits ? Si oui, pouvez-vous nous les expliquer ?

M. Serge MAGNAN : Je n'ai jamais eu connaissance de sociétés qui auraient modifié des franchises en matière de catastrophes naturelles. Du reste, de telles décisions seraient sans effet, puisque les franchises sont prévues par les textes réglementaires d'application de la loi de 1982: elles sont de 1.500 F. pour les particuliers, de 10 % des dommages avec un minimum de 4.500 F. pour les entreprises. On ne peut pas aller contre la réglementation. Quelques affaires de résiliation de contrat ont été effectivement signalées, mais ces problèmes ont été résolus. Pour ma part, j'ai été ainsi amené à intervenir dans un cas de manière à ce que l'assurance soit garantie. Il est préférable que le consensus professionnel joue en la matière, pour ainsi dire que la profession fasse elle-même sa police, plutôt que d'en venir à modifier la réglementation ou la législation pour résoudre les difficultés qui peuvent se présenter. Aux termes de la loi actuelle, l'assuré, en cas de trois refus d'assurance, peut s'adresser au bureau central de la tarification qui obligera un assureur à prendre le risque. La législation est donc telle qu'un Français ne peut pas se trouver sans assurance.

M. le Président: J'ai là une lettre émanant de l'UAP, adressée à un de ses agents généraux. Il lui est demandé d'informer un assuré - un particulier dont l'habitation a été inondée à plusieurs reprises- qu'il ne pourra continuer à être assuré qu'à la condition d'accepter que sa prime soit augmentée de 28 % et que la franchise en matière de catastrophes naturelles soit portée à 15 % des dommages avec un minimum de 15.000 F., le refus d'une de ces conditions impliquant résiliation du contrat. Que dites-vous d'un tel courrier ?

M. Serge MAGNAN: Je n'ai pas qualité pour répondre su nom de fUAP, mais cette lettre, j'imagine, n'émanait pas du-siège mais d'une direction régionale. Il peut se produire à ce niveau des dérapages dus à des gens qui connaissent mal la réglementation et la doctrine professionnelle. Je pense qu'un cas pareil, porté à la connaissance du siège, doit vite rentrer dans l'ordre. En toute hypothèse, il s'agit de cas tout à fait particuliers: voyez le très petit nombre d'affaires qui sont. soumises su bureau central de tarification.

M. le Président: Je précise que l'agent d'assurance que j'ai cité a reçu sept lettres de cette nature en quelques semaines. D'autre part, des représentants d'une importante société mutualiste m'ont avoué recourir aux mémea méthodes. Nous aimerions donc savoir, au-delà du discours, ce qu'il en est de la position réelle des compagnies. J'ai entendu récemment un discours du type: cela nous coûte très cher, et nous allons essayer de .refiler le bébé. à l'Etat. Si cette tendance devait se confirmer, elle serait le signe d'un dysfonctionnement dans le raisonnement des compagnies d'assurance...

M. Serge MAGNAN : Le discours que vous rapportez m'étonne beaucoup, car ce n'est ni celui que nous tenons, ni celui que j'entends tenir par les responsables des sociétés. Je crois savoir de quelle société mutualiste vous parlez, elle n'appartient d'ailleurs pas à notre fédération. Elle a résilié des contrats, et elle a fait une certaine publicité à ce sujet, soulignant qu'elle espérait ainsi pousser les pouvoirs publics à construire plus de digues dans la région concernée. La fédération française des sociétés d'assurance a très clairement refusé cette position dans un communiqué. Nos sociétés sont associées avec les pouvoirs publics dans un régime d'indemnisation qu'elles trouvent excellent et qu'elles souhaitent voir appliquer dans sa lettre comme dans son esprit. Notre association professionnelle, en cas de difficulté, s'efforce toujours d'obtenir de ses adhérents qu'ils rentrent dans le rang. J'ai eu connaissance d'une seule affaire du type de celle que vous évoquez. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas d'autres, et vous en donnez la preuve en citant ce cas relatif à l'UAP.. Mais le nombre des bavures reste infinitésimal su regard des 50 millions de contrats qui ouvrent un droit à l'indemnisation des catastrophes naturelles. Ces quelques cas particuliers, sur lesquels l'association professionnelle interviendrait s'ils lui étaient signalés, ne doivent pas conduire à mettre en cause un régime qui donne satisfaction.

M. Henri-Jean ARNAUD : Je comprends tout à fait l'intérêt des sociétés d'assurance à maintenir le système actuel: il représente pour elles un petit pactole, et il faudrait des années vraiment très difficiles pour vider ce bas de laine. Il ne l'est toujours pas, puisque vous dites qu'il reste 4 milliards de F. Ce que nous aimerions, c'est que les quelques bavures qui peuvent se produire soient réglées par votre fédération. II n'est pas contestable que la loi de 1982 vous place jusqu'à présent dans une situation assez privilégiée. Nous souhaitons donc qu'il n'y ait aucun problème de désengagement ou de mutation de contrats. Que font en effet certaines compagnies? Elles ne sont pas assez suicidaires pour monter en ligne contre la loi de 1982 en résiliant des contrats dans le cadre des catastrophes naturelles: elles résilient des contrats annexes, portant sur les dégâts des eaux, les incendies, etc. Nous aimerions que votre fédération appelle sur ce point l'attention de certains de vos mandants. Vous dites qu'une décision telle que celle citée par M. Mathot ne vient pas du siège, mais on ne peut évacuer ainsi le problème, car les sièges sont responsables de leurs représentants régionaux.

M. Serge MAGNAN: Sur les chiffres: il est vrai que le régime est équilibré, voire un peu suréquilibré. Mais les évènements naturels ne peuvent être appréciés sur une période aussi brève que dix ans. Les pouvoirs publics ont d'ailleurs d4 dès octobre 1983 porter à 9 % le taux initialement prévu à 5,5 %. Qui peut donc dire qu'à long terme le taux actuel représente un .pactole. pour les sociétés? Ce qu'on peut constater, c'est que sur dix ans le régime est sain, peut fonctionner et que beaucoup de pays nous l'envient. Mais le réchaufement du climat annoncé par les scientifiques laisse craindre que les catastrophes naturelles s'aggravent dans l'avenir. Quoi qu'il en soit, le régime nous satisfait actuellement et satisfait nos clients.

Quant à votre suggestion d'intervenir auprès de nos adhérents sur les problèmes de résiliation, je suis tout à fait d'accord. Lors du désengagement de la mutuelle qui a été évoquée, nous sommes immédiatement intervenus auprès de nos sociétés pour que les gens de la région de Bollène ne restent pas sans garantie. La profession est tout à fait disposée à intervenir, et j'ai en mémoire un cas que nous avons réglé et qui concernait une société importante. Je ne peux malheureusement pas m'engager sur les résultats, puisqu'on ne peut pas couper la tète des présidents des sociétés s'ils ne suivent pas nos recommandations !

M. le Président : Quels sont les conséquences d'un non respect du code des assurances, et les moyens de recours dont dispose le citoyen ou l'entreprise ?

M. Serge MAGNAN : La solution la plus simple est déjà de revendiquer l'application du contrat. Si une délégation régionale prend, comme dans le cas que vous avez évoqué, une mesure contraire à la loi ou su règlement, il y a toute chance que l'affaire, portée devant le service clientèle de la société, trouve une solution. Et si même ce n'était pas le cas, nous avons un système de médiation: le médiateur obtiendra nécessairement de la société qu'elle applique la loi de 1982. Et si par impossible il ne l'obtenait pas, ce qui me parait incroyable, l'assuré pourrait porter l'affaire devant les tribunaux. Mais heureusement les sociétés d'assurance ont une autre moralité que celle-là! Songez que nous n'avons pas plus de 50.000 litiges par an sur 150 millions de contrats.

M. le Président : II semble, d'après mes informations, que le rapport sinistres/primes soit de 46 % pour la période 1982191. Ce chiffre vous parait-il cohérent ? Si oui, que deviennent les 54 % restants ?

M. Serge MAGNAN : Nous ne parlons plus en termes de rapport sinistres/primes, car il engendre des contresens : ainsi un quotidien écrivait il y a quelques semaines que nous avions encaissé 39 milliards de F. de primes, réglé 20 milliards de F. de sinistres, et donc mis 19 milliards de F. dans notre poche... Mieux vaut considérer les chiffres qui ressortent des états officiels. Les primes nettes ont représenté 39,2 milliards de F. entre 1982 et fin 1993 ; les sinistres payés, 20,3 milliards de N. ; les chargements, c'est-à-dire les frais généraux et les coûts d'intermédiation, 9,9 milliards de F. ; et le coût net de la réassurance a été de 4,8 milliards de F.. Voilà la situation réelle, que ne reflète nullement le rapport sinistres/primes.

M. le Rapporteur: Les frais de gestion que vous mentionnez semblent énormes.

M. Serge MAGNAN : Ils sont tout à fait comparables à ceux qu'on observe dans les autres pays d'Europe. Les coûts de l'informatisation sont lourds, ainsi que la fiscalité. Les sociétés s'efforcent de réduire leurs frais, notamment grâce à l'informatique.

M. le Rapporteur : La Commission pourrait-elle disposer de documents retraçant, année par année, les sommes collectées au titre de la loi de 1982 ? Pouvons-nous avoir ces entrées et sorties par département, ou à défaut par région

M. Serge MAGNAN : II est aisé de répondre à votre première demande, mais impossible de répondre à la seconde: toutes nos sociétés sont loin de nous alimenter en statistiques départementales. La mise en place de ces statistiques est lente, et sa rentabilité souvent mise en doute. Nous vous communiquerons bien sûr ce que nous avons, mais ce sera loin d'être exhaustif. Au niveau global en revanche, les chiffres des entrées et sorties sont publiés chaque année dans des états que je vous ferai tenir.

M. le Rapporteur: Vous avez chiffré les frais de fonctionnement à 9 milliards de F. Cependant, le système est bénéficiaire depuis qu'il a été mis en place, ce qui a dû donné lieu à certains placements: les revenus financiers ont-ils été réintégrés dans le fonds :catastrophes naturelles. ?

M. Serge MAGNAN: Cette activité n'est pas .cantonnée., c'est-à-dire qu'elle ne fait pas l'objet d'une gestion spécifique - ce qui est d'ailleurs une bonne chose car nous n'aurions pu sans cela indemniser les victimes de 1982 ou 1983. Toujours estil que, même s'ils apparaissent probablement dans les états comptables, les revenus financiers ne sont pas affectés spécialement aux catastrophes naturelles.

M. le Rapporteur: Vous affectez donc les dépenses, mais non les recettes. Vous retirez de la balance 9 milliards de F. de frais de gestion, mais vous ne réintégrez pas les bénéfices financiers 1

M. Serge MAGNAN : Vous avez sans doute raison et il est probablement possible de corriger la situation mais, je le répète, les sociétés ne pratiquent pas d'affectation dans ce cas. Toutefois, elles ont la possibilité de mettre à profit les années bénéficiaires pour constituer des provisions dans la limite de 300 % des primes et de 75 % de leur bénéfice. Il est vrai que la succession des sinistres depuis 1982 a grandement limité ce recours : selon la caisse centrale de réassurance, ses provisions n'atteignaient que 3,5 milliards de F. avant 1993.

M. le Rapporteur: Disposez-vous d'éléments d'information sur le pourcentage de personnes assurées ?

M. Serge MAGNAN : Malheureusement nous n'avons pas de statistiques sur ce point, mais selon des enquêtes, la proportion de titulaires de polices multirisqueshabitation - police qui est le support le plus courant de la garantie .catastrophes naturelles. - avoisinerait 95 %. Cela ne signifie toutefois pas qu'après chaque catastrophe, il ne reste que 5 % de personnes non indemnisées: si la région est riche, il peut n'y en avoir aucune; si, comme à Nîmes, l'inondation se produit dans des quartiers ouvriers, le pourcentage peut être nettement plus élevé.

M. le Rapporteur: Dans ce cas, les intéressés demandent que joue la solidarité. Pourrait-on envisager un système pour amener le pourcentage des assurés à 100 % ? Il me semble que le problème est d'ailleurs surtout aigu dans les H LM...

M. Serge MAGNAN : La question est délicate. Cela étant, s'il est vrai que les offices d'HLM ont quelque difficulté à faire respecter par leurs locataires l'obligation légale d'assurance, il s'agit en général d'immeubles élevés, peu touchés par les inondations, qui représentent 13 des 20 milliards de F. d'indemnisation versés su titre des catastrophes naturelles. Le problème le plus brûlant n'est donc certainement pas là.

Reste évidemment qu'il est souhaitable, d'une manière générale, de réduire la proportion des non-assurés. Le système mis en place en 1982 est un système fortement encadré, au sein duquel les sociétés d'assurance disposent de peu de liberté: le taux des primes est fixé, l'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêt ministériel, l'Etat intervient pour donner sa garantie... Il y a certainement moyen de trouver une solution, mais j'avoue que je n'en ai personnellement pas.

M. le Rapporteur : Un autre problème se pose avec les industriels et les commerçants qui ont négligé de souscrire une assurance .pertes d'exploitation.. En cas de sinistre, leurs dommages mobiliers sont indemnisés, mais faute de ces assurances complémentaires, ils sont souvent contrains rapidement de déposer leur bilan. Avez-vous une idée du nombre d'entreprises qui ont souscrit une police .pertes d'exploitation. ?

M. Serge MAGNAN : La proportion dépasse actuellement 30 %, gràce à un gros effort d'information. Nous ne sommes plus dépassés que par l'Allemagne, où le taux est de 37 %.

M. le Rapporteur: Ne faudrait-il pas envisager une amélioration sur ce point de la loi de 1982 ?

M. Serge MAGNAN : Cela semble difficile. L'assurance .pertes d'exploitation. est une assurance coûteuse car elle a pour objet de régler les salaires aux employés et de couvrir tous les frais supplémentaires engendrés par le sinistre tant que l'entreprise n'a pas retrouvé son chiffre d'affaires antérieur - ce qui peut prendre parfois plus d'un an. Le principe retenu par le législateur de 1982 est celui du .aide-toi, le ciel t'aidera., c'est-à-dire que ne bénéficient de la garantie que ceux qui ont souscrit une assurance spéciale. Dans ces conditions, il serait d'autant plus délicat de venir en aide à ceux qui ont négligé de souscrire un contrat pertes d'exploitation que le taux des primes catastrophes naturelles est le même pour tous, ce qui réduit notablement la charge. Il est dans l'esprit du régime de n'indemniser au titre des catastrophes naturelles qu'autant qu'il existe une garantie principale sur laquelle peut se greffer la garantie spécifique catastrophes naturelles.

M. le Rapporteur : J'entends bien que l'indemnisation des pertes d'exploitation doit dépendre du versement de la prime. Simplement; je me préoccupe de la multiplication des faillites. Ne pourrait-on envisager une mutualisation du risque, conformément à l'esprit qui a assuré le succès de la loi de 82 ?

M. Serge MAGNAN: Je n'ai pas réfléchi à cette question, mais je rappelerais que la première réaction des entreprises, dès 1982, a été de dire: nous payons déjà beaucoup de primes spéciales et voici que nous allons devoir payer pour les particuliers. Elles protestaient également contre l'application d'un taux uniforme, sans considération pour le risque réel. Pour notre part, notre position a toujours été d'appliquer le système .génial. de 1982 sans y toucher, pour faire simple.

Actuellement, les industriels ne demandent plus à bénéficier d'un régime spécifique: ils se sont aperçu que la répartition des indemnisations entre eux et les particuliers ne leur était pas défavorable. Mais si l'on veut faire jouer une certaine mutualisation entre les entreprises, il me semble que c'est à celles-ci de le prévoir. En ce qui nous concerne, nous n'avons en tout cas pas les moyens d'imposer à ceux qui se sont assurés une mesure qui profiterait à ceux qui ne l'ont pas fait. Nous continuerons les efforts d'information qui ont permis de réduire la proportion des entreprises n'ayant pas de police .pertes d'exploitation. et de nous faire passer su deuxième rang en Europe.

M. le Président : Je vous remercie et je compte sur vous pour transmettre au secrétariat de la Commission les documents demandés par le Rapporteur. Je vous demande également de porter à la connaissance des compagnies d'assurance les faits peu élégants que nous avons signalés tout à l'heure.

M. Serge MAGNAN: Vous pouvez compter sur moi.

M. la Rapporteur: Je tiens également à m'élever contre la conduite du GAN dans ma circonscription, toujours dans la même matière.

M. Serge MAGNAN : Nous n'attendrons pas bien longtemps pour envoyer aux sociétés une circulaire leur demandant l'appliquer le plus scrupuleusement possible les textes législatifs et réglementaires qui régissent un système que nous souhaitons soutenir au maximum.

Audition de M. Charles PASQUA

Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de

l'Aménagement du territoire

et de M. Daniel CANEPA

Directeur de la Sécurité civile au ministère de l'Intérieur

et de l'Aménagement du territoire

(Procès-verbal de la deuxième séance du 28 septembre 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

MM. Charles Pasqaa et Daniel Canepa sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées.

M. le Président: Monsieur le Ministre, notre commission traite d'un problème de fond qui touche beaucoup de nos circonscriptions puisqu'au cours des dernières années pas moins de 55 départements ont subi des inondations et crues catastrophiques. Le caractère répétitif de ce phénomène devient inquiétant et nous a incités à entamer cette enquête. Nous écouterons d'abord votre déclaration liminaire.

M. Charles PASQUA: II y a à peine un an, la France a connu une vague d'intempéries et d'inondations qui a touché plusieurs dizaines de départements. Le caractère récurrent de ces événements, puisque des départements ont été frappés à plusieurs reprises, l'ampleur des pertes humaines et matérielles, l'importance des opérations de secours déclenchées pendant cette période ont marqué l'opinion ainsi que les responsables de l'État et des collectivités locales et les ont conduit à s'interroger sur les mesures de prévention nécessaires pour éviter le renouvellement de telles situations catastrophiques.

La démarche de la commission d'enquête mise en place par l'Assemblée Nationale s'inscrit dans cette perspective et doit permettre, à partir d'une analyse de ces événements, d'en tirer toutes les conséquences, tant au plan de l'organisation des secours qu'en ce qui concerne la prévention des inondations. Le souci ainsi exprimé par la représentation nationale vient utilement conforter les efforts qu'a entrepris le gouvernement depuis le début de l'année dans ce domaine.

Pour compléter l'information de la commission et alimenter sa réflexion, le concours de mes services s'imposait puisqu'en vertu de la loi de 1987 sur la sécurité civile, ils préparent les mesures de sauvegarde et coordonnent les moyens de secours sur l'ensemble du territoire.

Compte tenu de l'action menée à ce titre par l'intermédiaire de la Sécurité Civile, l'analyse du Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire se décline en trois volets: la France a été frappée d'une catastrophe d'ampleur nationale, la réaction des pouvoirs publics a été efficace, le nécessaire effort de prévention qu'impliquent de tels risques est bien avancé.

Les inondations ont constitué pour la France une catastrophe d'ampleur nationale.

Depuis l'été 1993 jusqu'en janvier 1994, la France a donc subi une vague exceptionnelle d'inondations et de crues. Une première série d'intempéries a frappé le pays au cours de l'automne dernier, provoquant de multiples crues torrentielles et fluviales, ainsi que des inondations, des coulées de boues et des glissements de terrains. Cette première catastrophe qui a affecté le sud de la France a entraîné le décès de 22 personnes et a causé des dégâts encore plus considérables que ceux liés aux inondations de 1992, notamment en ce qui concerne les dégradations d'infrastructures et d'équipements publics. Le bilan de ces dégâts s'est élevé à plus de 3,6 milliards de F, dont 1,9 milliard de F. aux biens publics non assurés et 500 millions de F. pour l'agriculture. Proportionnellement, les biens privés (hors agriculture), ont été touchés dans l'ensemble de façon moins aigue qu'en 1992. Les dégâts aux voiries ont été particulièrement notables: 91 millions de F. pour la voirie nationale, 649 millions de F. pour la voirie communale. Les dégâts aux réseaux d'eau et d'assainissement, avec 147 millions de F., et surtout ceux aux digues et rivières, avec plus de 360 millions de F., ont été également considérables.

Quinze départements furent plus particulièrement touchés : le Vaucluse, la Corse du Sud, la Drôme, la Haute-Corse, l'Isère, les Alpes-Maritimes, la Savoie et les Bouches-du-Rhône ont connu chacun des dégâts aux infrastructures variant de 140 à 300 millions de F. Le Lot-et-Garonne, le Rhône, l'Ardèche, la Haute-Vienne, le Tarn-et-Garonne, l'Ain et la Dordogne ont été atteints à un moindre degré.

A partir du 20 décembre 1993, le pays a, à nouveau, été frappé par d'importantes inondations. Elles ont débuté sur une large frange nord-est du pays (bassin versant du Rhin et de la Meuse et affluents de la rive droite de la Seine) puis se sont étendues peu après au sud-ouest et, à partir du 6 janvier, su sud-est et au bassin rhodanien, déjà touchés précédemment. Faisant suite à un automne particulièrement pluvieux qui a détrempé les terrains, les précipitations hivernales et des phénomènes de radoucissement successifs qui ont fait fondre la neige ont provoqué la montée des fleuves.

Ce nouvel épisode s'est avéré également catastrophique. Neuf personnes sont mortes et quatre ont disparu, notamment lors du glissement de terrain de la Salle-en-Beaumont dans l'Isère.

En ce qui concerne les dégâts matériels, le bilan, effectué par la Direction de la Sécurité Civile dés le 21 janvier dernier,a été très lourd. Il s'élevait à prés de 3,7 milliards de F., dont 800 millions pour les infrastructures, 190 millions pour les réseaux, 750 millions pour les habitations, 1.600 millions pour les entreprises et 60 millions pour l'agriculture. Ces chiffres disent bien le caractère exceptionnel de cette seconde vague d'inondations catastrophiques qui ont frappé plus particulièrement une vingtaine de départements du nord (Ardennes, Meurthe-etMoselle, Moselle, Meuse, Nord, Pas-de-Calais, Oise, Aisne, Val d'Oise), du sud-ouest (Charente, Charente-Maritime, Gironde, Dordogne, Vienne) et du sud-est (Alpes de Haute Provence, Isère, Vaucluse, Bouches-duRhône, Drôme, Loire).

Face à ces inondations, la réaction des pouvoirs publics a été efficace.

Les pouvoirs publics ont tout d'abord apporté une réponse opérationnelle à la mesure de la catastrophe.

Compte tenu de l'ampleur de la catastrophe, les services de la Sécurité Civile ont immédiatement été amenés à intervenir dans la coordination et l'organisation des opérations de secours, notamment par le biais du Centre Opérationnel de la Direction de la Sécurité Civile (CODISC) et par l'envoi de renforts aux départements les plus touchés. Pour l'ensemble de la période septembre 1993-janvier 1994, la Direction de la Sécurité Civile est donc intervenue de façon massive avec ses Unités d'Instruction et d'Intervention de la Sécurité Civile (dont l'emploi représente l'équivalent de 30.089 hommes engagés pendant une journée) et ses hélicoptères (270 heures de vol). La participation des armées (15.733 hommes/jour) et de renforts de sapeurs-pompiers (6.604 hommes/jour) est également à souligner.

Le premier épisode qui a intéressé le Sud de la France s'est caractérisé par de fortes précipitations occasionnant des crues torrentielles, les plus graves étant situées dans les départements du Vaucluse, de Corse du Sud, de Haute-Corse et des Bouches-du-Rhône.

En particulier, les ruptures de digues dans deux départements (Bouches-du-Rhône et Vaucluse) ont posé d'énormes problèmes logistiques pour procéder aux réparations. Ce genre d'intervention était inconnu-ou oublié-des services de secours et de ceux de l'équipement. Il a fallu s'adapter aux réalités pour trouver la réponse convenant à la situation. Lorsque les mêmes causes ont produit les mêmes effets en Camargue le 6 janvier, la réponse a été plus efficiente.

Le deuxième épisode, débutant le 20 décembre, n'avait pas du tout le même caractère de crues torrentielles, d'autant plus qu'il intéressait des zones de plaines, où la montée des eaux était lente et prévisible. L'alerte météorologique s'est déroulée dans de biens meilleures conditions et il a été possible d'en tirer tous les effets bénéfiques escomptés.

La mobilisation des secours a été totale et rapide et en dépit du manque de prévision pour le premier épisode, l'alerte des populations a permis de limiter les pertes humaines. Nombre de victimes sont décédées par accident ou par imprudence, jamais par manque d'information de la part de la puissance publique.

L'ensemble des moyens de secours, Etat et collectivités territoriales confondus, a participé aux opérations: les sapeurs-pompiers locaux, les services techniques communaux, la Gendarmerie (départementale et mobile), les Unités d'Instruction et d'Intervention de la Sécurité Civile (UIISC), les hélicoptères de la sécurité civile, les Etablissements de Soutien Logistique de la Sécurité Civile (ESOL) ; sont également intervenus le Ministère de la Défense avec un nombre important d'hommes, de matériels en particulier des hélicoptères lourds pour les sauvetages et les ravitaillements de villages isolés; le Ministère de l'Équipement avec les Directions Départementales de l'Equipement et les entreprises privées requises pour la circonstance.

Cette période critique a permis de constater que malgré l'étendue du sinistre et son intensité, toutes les demandes de secours formulées par les Préfets ont été honorées grâce à une gestion fine des moyens (la réserve de sections des Unités d'Instruction et d'Intervention de la Sécurité Civile a baissé jusqu'à 5 au niveau national sur un total de 28).

La complémentarité des moyens de l'État (Défense, Direction de la Sécurité Civile, colonnes de sapeurs-pompiers mis à disposition) a donc montré sa pleine efficacité.

L'arbitrage rendu par la Direction de la Sécurité Civile dans l'attribution des moyens nationaux s'est déroulé dans de bonnes conditions. II a été grandement aidé par les Etats-Majors de Zone (EMZ) et les Centres Interrégionaux de Coordination Opérationnelle de la Sécurité Civile (CIRCOSCI lorsque ceux-ci existaient et remplissaient pleinement leur rôle.

Ils se sont avérés des relais indispensables. II faudra améliorer leur efficacité dans la recherche du renseignement.

La collaboration avec le Ministère de la Défense a été exemplaire, les moyens en hommes et en matériels n'ont jamais été comptés.

La mobilisation des pouvoirs publics sur le plan opérationnel a été complétée par la mise en _uvre rapide de dispositifs d'aides aux particuliers ainsi qu'aux collectivités les plus touchées par les inondations.

Grâce à sa connaissance des opérations en cours et à ses relations avec le réseau des préfectures, le CODISC a été en mesure de fournir en quelques jours des éléments de bilan au Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement.

La Sécurité Civile est intervenue dans l'indemnisation ou la réparation des dommages. Elle a, en premier lieu, assuré la répartition entre les différents départements et la délégation aux préfets de secours d'extrême urgence qui permettent de répondre aux situations humaines les plus ligues en attendant des aides financières plus lourdes: près de 5 millions de F. ont ainsi été distribués lors des inondations. II faut aussi y ajouter les secours d'urgence de la Communauté Européenne.

La Direction de la Sécurité Civile, et à travers elle, le Ministère, ont également été amenés à piloter la procédure de constatation de l'état de catastrophe naturelle qui se traduit par un arrêté interministériel qui permettra l'indemnisation des assurés pour leurs biens endommagés, pourvus qu'ils soient couverts par une assurance. Pour traiter dans les plus brefs délais les dossiers correspondants, la Direction de la Sécurité Civile a demandé aux Préfectures concernées de constituer en quelques jours des dossiers simplifiés, compte tenu de l'urgence de la situation et de l'ampleur de la catastrophe. Ces dossiers ont été soumis à la commission interministérielle compétente réunie en urgence: au 30 novembre 1993, 1.342 communes de quinze départements avaient été reconnues en état de catastrophe naturelle. Au 26 janvier 1994, 2.171 communes de dix-huit départements bénéficiaient déjà de cette constatation au titre des inondations de décembre et janvier. Compte tenu des dossiers complémentaires transmis depuis cette date, il apparaît au total que la procédure a bénéficié à 1.558 communes pour le premier épisode et à 2.873 pour le second.

Le gouvernement a confié une mission à un inspecteur général de l'administration pour évaluer les dégâts et coordonner leur indemnisation, notamment en ce qui concerne les infrastructures publiques. Cette mission, mise en place le 6 octobre dernier après la première série d'inondations, a conduit, au début du mois de décembre dernier, à dégager une enveloppe de 589 millions de F., dont 102,5 millions de F. ont été délégués aux Préfets par l'intermédiaire de la Direction de la Sécurité Civile de façon à financer de façon complète et immédiate les travaux d'extrême urgence.

A la suite du deuxième épisode pluvieux, le même dispositif a été reconduit. Il a débouché sur un nouvel effort budgétaire de l'Etat, à hauteur de 417 millions de F.

Au total, dans un contexte marqué par les contraintes budgétaires, l'Etat aura apporté un concours qui s'élève à plus d'un milliard de francs pour l'ensemble de la période. Il aura ainsi participé à la remise en état des équipements publics. A elles seules, la remise en état des rivières non-domaniales et la réfection des digues ont bénéficié d'une aide à hauteur de 127 millions de F. Enfin; les frais liés à la constitution de colonnes de renforts de sapeurs-pompiers envoyées dans les zones sinistrées ont été pris en charge à hauteur de 7 millions de F. par l'Etat.

De tels événements ont rendu nécessaire un effort de prévention qui est bien engagé. Conscient de l'ampleur de la catastrophe, dont le Premier Ministre a personnellement tenu à mesurer l'ampleur sur le terrain, le Gouvernement a décidé d'en tirer immédiatement les conséquences en termes de prévention. Dés le 24janvier dernier, une réunion des ministres concernés, présidée par le Premier Ministre, permettait de décider de plusieurs mesures destinées à donner un nouvel élan à la politique de prévention des risques naturels. Le dispositif arrêté au début de l'année est efectivement important puisqu'il couvre l'ensemble des aspects de la prévention des inondations identification des risques, maîtrise de l'urbanisation, alerte, programme de restauration et d'entretien des cours d'eau, expropriation pour risques naturels majeurs, neutralisation des risques supportés par les collectivités locales, étude spécifique à la vallée du Rhône.

Où en est la mise en _uvre de ces mesures, huit mois après ?

La mission interministérielle initiée par le Ministère de l'Intérieur pour étudier les inondations dans la vallée du Rhône en aval a rendu son rapport au printemps dernier. Elle a notamment proposé de privilégier une approche globale des problèmes au niveau du bassin, de développer les études pour mieux connaître le risque d'inondation, de maîtriser l'utilisation des sols, de renforcer les systèmes de protection contre les crues et d'améliorer les outils de gestion des crues.

En ce qui concerne l'identification des risques, 40 millions de F. ont été dégagés au début de l'année pour accélérer les études et les travaux cartographiques nécessaires. Pour rendre plus efficace la maîtrise de l'urbanisation en zone inondable, un projet de loi instituant le plan de prévention des risques a été élaboré et va être soumis à l'Assemblée Nationale. Ce plan, arrêté par le Préfet, permettra de définir des zonages adaptés aux risques, de contrôler les aménagements futurs, d'instaurer des servitudes d'utilité publique annexées aux plans d'occupation des sols. Il servira de base à la définition des plans de secours et à l'information préventive des populations. A titre transitoire, les préfets ont reçu pour instruction de s'appuyer sur l'article R 111-2 du code de l'urbanisme pour contrôler tout aménagement dans les zones qui ont été inondées par une hauteur d'eau supérieure à 1 mètre.

Des mesures prévues pour assurer la sécurité des campings ont pour leur part été prises. Un décret récent permet aux préfets d'imposer les dispositions de sécurité nécessaires, voire d'interdire les plus exposés.

Au titre de l'annonce des crues et de l'alerte, un système moderne et informatisé va être développé dans les préfectures. Il permettra la diffusion de l'alerte aux maires des communes menacées et leur information sur l'évolution des crues. Dès le mois d'octobre prochain, trois systèmes vont être expérimentés dans les préfectures de l'Ardèche, de l'Allier et de (Hérault par la Direction de la Sécurité Civile et la Direction des Transmissions et de l'Informatique du Ministère. L'installation du système retenu sera effectuée progressivement dans les départements à partir de 1995.

Enfin, la procédure d'expropriation pour cause de risques majeurs est inscrite dans un projet de loi préparé par le Ministre de l'Environnement.

De façon plus générale, le Ministère systématise les retours d'expérience sur la gestion des catastrophes et renforce la formation du corps préfectoral dans ce domaine. Il s'agit de développer une véritable culture de crise, par définition pragmatique et évolutive, parmi les responsables opérationnels.

Telles sont les précisions qui peuvent être apportées pour l'information de la commission. Elle doit être assurée de l'engagement entier du Ministère, notamment à travers la Direction de la Sécurité Civile, dans la politique de lutte contre les inondations, qu'il s'agisse de réduire les risques de catastrophes, d'intervenir de façon efficace dans les opérations de secours et de réparer des conséquences de ces événements.

Cela dit, les risques d'inondations perdurent. Je l'ai constaté à nouveau au cours de mon voyage en Lozère voilà 48 heures. A Mende, environ 400 habitations avaient été endommagées, et les voiries avaient subi de sérieux dégâts. Des orages de type cyclonique menacent toujours de se former au-dessus de notre territoire. J'ai pu l'expérimenter moi-même dans le département des Alpesmaritimes, où je me trouvais su moment de la catastrophe d'Auribeau. Les circonstances ont fait que des hélicoptères ont pu intervenir rapidement, mais dans des zones où, de mémoire d'homme, on n'avait jamais vu d'inondation. On connaît les crues trentenaires, cinquantenaires, séculaires même, dont on a conservé les traces ; mais pas celle dont je parle. Un survol d'une partie du territoire en hélicoptère m'a permis de constater l'existence de risques considérables. En effet, certaines vallées sont littéralement barrées par des conatruc? ions industrielles ou des habitations, en particulier dans les AlpesmaritLnes. Si des orages cycloniques survenaient, des incidents extrêmement sérieux seraient inévitables. C'est pourquoi, outre des mesures curatives, il est indispensable de prendre des mesures préventives. Aussi, le projet de loi sur le développement du territoire tend-il à renforcer les moyens accordés aux préfets en matière d'urbanisme et de POS. Ces mesures doivent absolument figurer dans la loi, car les maires subissent trop souvent des pressions de la part de leurs administrés pour obtenir l'autorisation de construire dans des zones à risques. C'est ce qui s'est produit, par exemple à Auribesu, ville que je connais bien. Là, différents facteurs se sont cumulés: à la suite d'incendies, de nombreux arbres morts sont restés sur place et la disparition de la végétation a entrainé la formation de ravines; quand des orages très importants se sont déclenchés, les arbres ont été déracinés, emportés, et se sont mélangés aux coulées de boue pour former de véritables barrages, qui, sous la pression des eaux, ont fini par sauter. Il s'est ensuivi un effet de flot imprévisible, dont la hauteur a dépassé 5 m et qui a tout balayé.

Beaucoup reste à faire dans le domaine de l'alerte. Le directeur de la sécurité civile s'emploie à peaufiner nos systèmes d'alerte, afin de prévenir mieux et plus vite les populations des risques liés au déclenchement d'orages exceptionnels. Mais on n'évitera pas des mesures contraignantes, en particulier l'interdiction de construire dans les zones inondables et dans les anciens lits des fleuves. Ces derniers sont particulièrement dangereux. Ainsi en Corse, à Solenzara, la rivière paisible s'est transformée en torrent furieux, a repris son cours ancien, et a pénétré jusqu'au port de plaisance, balayant tout sur son passage. Sur le petit aéroport de Propriano, j'ai vu un millier d'arbres recouvrant les pistes. Si les unités de l'armée et de la sécurité civile, celles des sapeurs forestiers et du génie n'étaient pas intervenues pour nettoyer les berges et les lits des cours d'eau, de nouvelles catastrophes se produiraient à coup sûr. A Propriano, j'ai vu l'espace séparant le lit de la rivière du pont qui la domine d'environ 10 à 15 m entièrement obstrué par un barrage de pierres, de boue, et de bois, ce qui a provoqué une inondation dans des endrois situés à une hauteur qui a priori rendait la chose inimaginable. Autrefois les agriculteurs, nombreux sur place, nettoyaient les berges. Cette époque est révolue. Ne nous faisons pas d'illusions: quelles que soient les mesures de prévention que nous prendrons, il restera impossible d'empêcher totalement le retour de catastrophes semblables à celles de l'an dernier. Songez que, depuis ma maison située à 2 km d'Auribeau, j'ai vu tomber, en 24 h, sur les collines alentour, une masse d'eau supérieure à 400 mm: c'est énorme!

M. le Président: En nous rendant sur le terrain, nous avons été frappés par les conséquences psychologiques de ces événéments sur les populations, amplifiées encore par la diffusion de certaines rumeurs. Nous l'avons constaté en particulier s'agissant du plan ORSEC. En effet, à l'occasion des crues, le plan ORSEC est déclenché dans certaines régions, mais pas dans d'autres. Les préfets et les responsables administratifs nous ont fourni des explications divergentes. J'ai cru comprendre que le déclenchement du plan permettait'de ne pas facturer aux collectivités concernées les secours extérieurs immédiatement mobilisés. Mais pour les gens, le plan ORSEC a une toute autre signification: il témoigne de l'attention que leur porte l'État. C'est pourquoi quand il n'est pas déclenché, les populations se sentent abandonnées. Mais, d'un autre côté, son déclenchement alimente les psychoses et les peurs. Dans quelles conditions décidez-vous donc de déclencher ou non le plan ORSEC ?

M. Charles PASQUA : Le plan ORSEC doit être déclenché lorsque le préfet, responsable de l'organisation des secours, considère qu'il ne dispose pas de moyens suffisants pour faire face à la situation. Dans le Vaucluse, par exemple, le préfet, ancien directeur de la sécurité civile et donc particulièrement compétent en ce domaine, n'a pas jugé utile de le déclencher.

Il est vrai que le déclenchement du plan ORSEC peut donner le sentiment que l'État prend conscience de la catastrophe, mais il peut aussi aggraver la psychose. C'est donc une décision qu'il faut laisser à la discrétion des préfets et de l'état-major de la Sécurité civile. Toujours dans le Vaucluse, le préfet n'a pas hésité à mobiliser presque immédiatement les éléments lourds de l'armée. Tout cela dépend des moyens disponibles sur place. Quand ils font défaut, mieux vaut déclencher le plan ORSEC. En toute hypothèse, la capacité de décision du responsable des opérations de secours doit être intacte: le préfet de département, éventuellement le préfet de zone, doivent avoir une entière liberté d'appréciation.

M. le Président : Nous avons eu parfois l'impression que la communication passait mal entre les cellules de crise, gérées par les directeurs de cabinet des préfets et les maires.

M. Charles PASQUA : Cela dépend aussi beaucoup des maires. Certains se sont immédiatement investis dans la communication mais aussi dans l'intervention sur le terrain, - je ne dis pas seulement cela pour faire plaisir à M. Marianid'autres pas.

Cela étant, nous sommes décidés à développer la .culture de crise. chez les préfets. A l'occasion de tout évènement important, on a intérêt à communiquer le plus possible pour donner les informations en temps réel et couper ainsi court aux rumeurs. Les préfets ne sont peut-être pas suffisamment rompus à cet exercice. Nous avons prévu de leur donner une véritable formation à la situation de crise.

M. le Président: Estimez-vous normal qu'en 1994 certaines mairies et certains maires ne soient équipés ni de téléphone, ni de télécopieur?

M. Charles PASQUA : Peut-être ont-ils encore des pigeons-voyageurs ! (sourires) Cela dit, y a-t-il encore vraiment des maires qui n'ont pas le téléphone ?

M. le Président: Absolument.

M. Dominique BUSSEREAU : C'est encore le cas dans cinq communes de ma circonscription.

M. Charles PASQUA : Mais c'est une circonscription assez arriérée... (nouveaux sourires).

M. Dominique BUSSEREAU : On peut en juger par ses élus!

M. Charles PASQUA : Je n'aurais pas osé le dire! (mêmes mouvements). Plus sérieusement, il s'agit sans doute de toutes petites communes.

M. Dominique BUSSEREAU : Effectivement, ce sont des communes de moins de 60 habitants.

M. le Président : Les maires sont cependant responsables de l'information des populations.

M. Charles PASQUA : Ils disposent aussi d'un pouvoir de police qui les conduit souvent à intervenir. Or, lors d'inondations graves, nous avons eu parfois toutes les peines du monde à joindre certains maires, qui avaient pourtant le téléphone! Il y avait cependant toujours un élu pour prendre le relais. Cela dit, il faudrait peut-être demander aux préfets de recenser les communes dépourvues de téléphone. En effet, les maires jouent un rôle important s'agissant d'informer et de rassurer les gens en cas de catastrophe, car ils sont su plus près de la population.

M. le Président : J'ai eu l'occasion de visiter trois fois par jour une cellule de crise: on y disposait d'informations qui auraient pu être communiquées alors que la population en était réduite à des rumeurs. Ne serait-il pas judicieux de prévoir un système de numéro vert ou de standard chargé d'informer les citoyens ?

M. Charles PASQUA : Je ne sais pas s'il faut aller jusque là mais il faut communiquer davantage. A cette fin, il faut former les gens, car la communication est presque aussi importante que l'action, alors que la tendance générale ne va pas dans ce sens. On pourrait imaginer un véritable système de mobilisation des radios locales. Il faut qu'existe dans les cellules de crise une antenne de communication orientée vers l'information des populations. C'est, du reste, déjà parfois le cas.

M. le Rapporteur : J'en reviens au problème de l'alerte. Ainsi que j'ai pu le constater dans mon département dans la nuit de vendredi à samedi où sont tombés 130 millimètres d'eau, les informations météorologiques sont tout à fait insuffisantes. Nous ne disposions, en l'occurence, que d'un télégramme donnant les mêmes informations pour 11 départements. En outre, le radar de Nîmes, qui est le seul à couvrir tout le sud-est, aurait dû être en réparation les 21, 22 et 23 septembre, même si finalement il a été remis en marche le 21 au soir! Tout cela est quand même surprenant!

M. Charles PASQUA : Nous ne gérons pas les radars. Mais c'est vrai qu'il y a encore beaucoup à faire sur le plan de la coordination. L'alerte des populations est capitale, surtout dans les régions comme la vôtre.

M. le Rapporteur: Le télégramme dont j'ai parlé précédemment et qui concernait 11 départements, prévoyait des hauteurs de pluie de 30 à 150 mm sans autres précisions. Autrement dit, Météo-France .refile le bébé. aux maires -c'est en tout cas leur sentiment! II faudrait que nous disposions d'informations complémentaires.

M. Charles PASQUA : Si elles existent! II y a toujours des éléments imprévisibles. L'autre jour, dans les Alpes maritimes, j'ai vu des masses nuageuses extraordinaires qui m'ont fait redouter un déluge. Or il n'est pratiquement pas tombé une goutte de pluie. Cependant, on pourrait peut-être affiner les prévisions.

M. Daniel CANEPA : C'est ce que nous avons essayé de faire. Nous avons passé des conventions avec Météo France de façon à améliorer le contenu des bulletins d'alarme qui, depuis quelques mois, devraient être un peu plus précis. Toutefois, il est vrai que Météo France vise souvent un peu large.

M. Charles PASQUA : Pourtant, à la radio, on dit souvent qu'il suffit d'appeler tel numéro téléphonique pour obtenir des précisions concernant un département particulier.

M. Daniel CANEPA : Mais les prévisions de Météo France ne descendent pas su niveau de la commune.

M. Charles PASQUA : Sans aller jusque là, M. Mariani a parlé de bulletin d'alerte couvrant une dizaine de départements. On pourrait au moins disposer d'informations su niveau d'un département ou, si possible, au niveau du bassin versant.

M. le Rapporteur : Le télégramme dont j'ai parlé allait du Tarn aux Alpes de Haute Provence!

M. Daniel CANEPA : En principe, on peut être plus fin.

M. Charles PASQUA : Essayez de l'être.

M. Dominique BUSSEREAU : Ne pensez-vous pas qu'il serait utile d'obliger les communes, à partir d'un certain seuil d'habitants ou selon leur situation, à élaborer un plan municipal d'urgence ?

M. Charles PASQUA : Il faudrait avant tout un plan d'alerte des populations.

M. Dominique BUSSEREAU : Il conviendrait peut-être de le rendre obligatoire dans certains cas par voie législative ou réglementaire. Il n'est pas inutile non plus que le préfet sache que telle ou telle commune rurale ne dispose pas du téléphone. Pour ce qui est de l'utilisation des radios locales, il faut que les préfectures vérifient que ce ne sont pas de simples antennes de radios de niveau national et comment il est possible d'y faire passer un message.

M. Charles PASQUA : En cas d'événement grave, on peut réquisitionner les moyens d'information.

M. Dominique BUSSEREAU : Vous avez annoncé deux projets de loi: l'un relatif aux plans de prévention des risques, l'autre aux procédures d'expropriation. Quand seront-ils soumis su Parlement? Les arbitrages financiers ont-ils déjà été rendus ? Enfin, en matière de prévention, ne faut-il pas remettre en cause certains acquis de la décentralisation et être beaucoup plus .dirigiste. ?

M. Charles PASQUA : C'est l'Assemblée qui a supprimé la possibilité d'intervenir que je voulais donner aux préfets dans le cadre du projet de loi sur le développement du territoire ! Alors qu'elle est indispensable...

Le projet relatif à la prévention des risques naturels, qui relève de la compétence de M. Barnier, devrait être prêt à l'automne. Il nécessite la mobilisation de moyens considérables et des crédits importants ont déjà été prévus.

M. le Rapporteur : Dans mon département, nombre de communes rencontrent beaucoup de difficultés pour obtenir les aides prévues pour la prévention des catastrophes naturelles, faute d'accord entre les différents intervenants: aussi l'agence de l'eau refuse les enrochements, mais la DDA les exige pour donner une subvention. Dans d'autres cas, la complexité des procédures aboutit à des délais beaucoup trop longs. Ainsi, dans ma commune même, nous attendons depuis un an et demi des crédits pour la réparation d'une station d'épuration parce que nous avons besoin d'une dérogation pour toucher ces fonds du FNDAE. Je pourrais ainsi multiplier les exemples qui montrent la nécessité d'accélérer les procédures. Ne pourrait-on envisager la création d'une autorité compétente pour tous les problèmes liés aux inondations et à l'écoulement des eaux pluviales ? On éviterait ainsi les conflits et on accélèrerait le règlement des dossiers.

M. Charles PASQUA : Je savais qu'il existait des freins, mais je n'imaginais pas que cela en était à ce point. Signalez-nous en tout cas les problèmes de ce genre et nous essaierons de les résoudre rapidement. Créer une autorité nouvelle? II en existe déjà beaucoup et le préfet, autorité interministérielle, est parfaitement habilité à intervenir, quitte à en référer à l'échelon supérieur en cas de besoin.

Il est évident d'autre part qu'il faut installer des cellules de suivi après chaque catastrophe, afin d'éviter que les choses ne s'enlisent.

M. le Président : Dans ma circonscription, une femme de 75 ans a refusé de se laisser évacuer par les sapeurs-pompiers. Le lendemain, on l'a retrouvée morte. Ne faudrait-il pas autoriser les sapeurs-pompiers à évacuer les gens de force en cas de danger?

M. Charles PASQUA : Le préfet a le pouvoir de les obliger à quitter les lieux et, pour cela, de recourir à la gendarmerie ou à la police. Mais il est exact que les pompiers n'ont pas ce droit et que nous avons eu à déplorer quelques décès de personnes qui avaient refusé de quitter leur maison. Faut-il les attraper par la peau du dos ?

M. Jean-Bernard RAIMOND: La région d'Aix n'a pas été la plus touchée par les inondations, mais beaucoup y ont mis en cause le bétonnage des sols, qui empêche l'infiltration normale de l'eau. A-t-on fait le même constat ailleurs et quelles mesures pourraient être préconisées pour remédier à cette situation ?

M. Charles PASQUA : Il suffit de survoler la France pour voir que notre pays n'est pas réellement submergé par le goudron. Il est toutefois indéniable que l'absorption de l'eau par le sol est entravée dans les villes. Mais on a inventé un nouveau procédé de revêtement.

M. Dominique BUSSEREAU : La chaussée absorbante !

M. Charles PASQUA : En effet. Mais cela coûte cher. D'autre part, il est clair que les réseaux urbains d'élimination des eaux de pluie sont insuffisants en cas d'orage de type cyclonique.

M. le Rapporteur: Je pense comme vous, Monsieur le Ministre d'Etat, qu'il faut revenir quelque peu sur la décentralisation et accroître les pouvoirs des préfets en matière d'urbanisme. D'autre part, il existait autrefois une dotation du ministère de l'Agriculture pour l'entretien des digues et des rivières. Elle a été supprimée lors de l'institution de la DGE et de la DGF. Ne serait-il pas utile de la rétablir? Ce serait une .carotte. pour inciter les collectivités à remplir cette mission.

M. Charles PASQUA : Le ministre de l'Environnement s'en préoccupe et le projet qu'il vous présentera bientôt comporte des mesures incitatives et répressives dans le sens que vous souhaitez.

M. Dominique BUSSEREAU : Puisque vous avez évoqué les chaussées absorbantes, ne pensez-vous pas qu'il faudrait les rendre éligibles à la DGE, su moins su profit des départements à risque

M. Charles PASQUA : Si l'on commençait par curer les fossés et par déboucher les regards, on ferait déjà un grand progrès 1 Ce que je vais dire est peut-être d'un rousseauiste impénitent, mais comment s'étonner qu'il y ait des inondations quand on a coupé les haies et nivelé à ce point les terrains ?

Les maires ont une responsabilité à assumer en cas de défaillance des riverains. Dans une zone que je connais, un ruisseau que j'avais toujours vu à sec a débordé de cinq mètres: on y avait laissé pousser des arbres, voire on en avait planté !

M. le Président: A l'approche d'un hiver qui verra probablement se reproduire les inondations, ne serait-il pas bon de montrer à la population que les choses ont avancé, que les problèmes ont été pris en compte ? Je songe à une sorte de répétition générale.

M. Charles PASQUA : En effet, il ne serait pas mauvais que, dans chaque département à risque, on fasse le point sur les mesures arrêtées et sur les décisions à prendre en cas de danger. Il importe aussi de .faire savoir..

M. le Président: Je vous remercie pour la synthèse que vous nous avez présentée et pour les éclaircissements que vous venez de donner. Revenant d'une mission d'étude aux Etats-Unis, je puis vous assurer que la France est en avance dans le domaine qui nous occupe.

Audition de M. Michel BARNIER

Ministre de l'Environnement

(Procès-verbal de la séance du 19 octobre 1994)

Présidence de M. Philippe Mathot, Président

M. Michel Barnier est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d énquéte lui ont été communiquées.

M. Michel BARNIER : En tant que ministre de l'Environnement, je suis très heureux à la fois de l'intérêt que l'Assemblée nationale a bien voulu manifester au sujet particulièrement grave des inondations en créant une commission d'enquête qui lui est consacrée, et de l'occasion que vous me donnez de m'exprimer à ce propos.

Les risques naturels, inondations, glissements de terrains, séismes, cyclones et incendies de forêt, sont une des premières compétences qui ont été confiées au petit ministère de l'Environnement - petit par sa taille administrative et par son budget. Depuis moins longtemps, il est en charge de la prévention des risques industriels et assure donc la tutelle de l'inspection des établissements classés.

Jusqu'à présent, nous agissions essentiellement par les outils de maîtrise de l'urbanisation dans les zones menacées. Nous disposions de quatre outils que vous connaissez bien: les plans d'exposition aux risques, dont 323 ont été approuvée à ce jour ; la procédure de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme, au titre de laquelle 372 schémas ont été approuvés ; les plans des surfaces submersibles permettant de maitriser la construction, 103 ayant été approuvées dans les zones d'expansion de crues; enfin, point qui n'est pas indifférent à notre sujet, les plans de zones sensibles aux incendies de forêt.

A ces quatre outils, on peut ajouter l'élaboration de normes techniques pour les séismes et les inondations, la gestion des dispositifs de surveillance et d'annonce de crues, ainsi que l'information du public.

Pour en finir avec ce panorama administratif et institutionnel, j'ajoute que les services de l'Etat -directions départementales de l'équipement et de l'agriculture, directions régionales de l'environnement- sont responsables de la définition et de la mise en place de ces plans.

Depuis quelques années, c'est surtout aux inondations que nous avons dù faire face. Elles sont de plusieurs types. Il y a d'abord les crues torrentielles, souvent mortelles, telles celles qui se sont produites à BrivesCharensac il y a une dizaine d'années, à Nîmes en 1988, où neuf morts furent à déplorer, à Vaison-la-Romaine -34 morts- en 1992 et au Grand-Bornand 23 morts -en 1987. Il y a aussi les crues de plaine, à l'instar de celles survenues au cours de l'hiver 1993, qui ont notamment touché l'Est et le Nord de la France. Ces dernières sont moins dangereuses, mais présentent certains risques pour les malades, les personnes fragiles, isolées ou àgées.

Quel constat peut-on tirer de cette situation, provoquée par les risques que je viens de décrire, et de l'utilisation des outils dont nous disposons ?

En premier lieu, il faut reconnaître une insuffisance d'application -c'est le moins que je puisse dire- des mesures de maîtrise de l'urbanisation, depuis de trop nombreuses décennies. Du côté de l'Etat et des collectivités locales, on a la mémoire courte, comme j'ai pu le constater lors des nombreuses visites sur le terrain que j'ai effectuées. Beaucoup de plans d'exposition aux risques n'ont ainsi jamais été approuvés: plus de 150 sont restés sans suite après avoir été prescrits, et très peu de plans de surfaces submersibles ont été approuvés depuis les années 60. Manque de volonté politique? Probablement. Manque de moyens aussi.

Ensuite, on remarque que des inondations en plaine ont eu des effets catastrophiques, alors que les précipitations ne présentaient pas un caractère absolument exceptionnel, comme à l'automne dernier. Quelles explications peut-on trouver à cette évolution grave et dramatique ? Une imperméabilisation constante et généralisée des surfaces; les effets du drainage des champs par l'agriculture; la modification des modes d'entretien; l'absence d'entretien écologique des rivières et des canaux; la suppression des haies; dans certains cas, le manque d'entretien des digues par ceux qui en bénéficient.

Enfin, le dernier constat est celui d'une insuffisance des réseaux d'alerte. Je crois utile et nécessaire de les augmenter, mais- aussi d'améliorer la chaîne de transmission de l'information jusqu'aux maires, et plus encore peut-être, de vérifier que les systèmes et les réseaux d'information sont opérationnels en permanence. Car les responsables des sapeurs-pompiers, les maires, les préfets, les directeurs de cabinet des préfets changent, il faut donc en permanence vérifier que les réseaux sont en état de fonctionnement.

Face à ce constat, illustré dramatiquement par tout ce qui s'est produit durant l'été et à l'automne dernier, le Premier ministre m'a demandé de préparer un plan national. C'est de ce plan que je voudrais vous entretenir, surtout pour vous dire où nous en sommes de sa mise en _uvre.

Nous avons décidé, premièrement, de simplifier les dispositifs de maîtrise de l'urbanisation, deuxièmement, d'augmenter les moyens pour permettre leur application. C'est ainsi que nous avons, dès 1994, accru de 25 millions de F. par an les crédits dont je dispose pour financer ces plans avec les communes. L'objectif que nous avons affiché dans le plan national de prévention consiste à terminer, en cinq ans, les 2.000 plans pour les 2.000 communes les plus exposées.

Troisièmement, nous avons une volonté politique affirmée de maîtriser l'urbanisation, comme le manifeste la circulaire sur ces problèmes des ministres de l'Environnement, de l'Intérieur et de l'Equipement, et celle du Premier ministre à tous les préfets de France.

Sur le problème particulier des campings -le cas de Vaison-laRomaine d'une part, celui du Grand-Bornand d'autre part ont démontré la nécessité de s'en préoccuper-, un décret a été publié cet été au Journal officiel pour permettre aux préfets d'y imposer des mesures de sécurité.

Quatrièmement, il faut améliorer le système d'annonce de crues l'objectif vise à financer en dix ans des investissements s'élevant à 380 millions de F., financés par l'Etat à hauteur de 60 %.

Par ailleurs, un plan d'entretien des cours d'eau a été défini. II convient d'entreprendre ce que faisaient autrefois spontanément et naturellement les agriculteurs lorsqu'ils étaient présents et nombreux, ce qui n'est plus le cas depuis des années. Certes, ce n'est pas l'entretien des cours d'eau qui empêchera les inondations, mais, facilitant l'écoulement des eaux, évitant les embàcles, les crues, qui se produiront de toute façon, seront moins graves ou moins dramatiques. Le plan d'entretien des cours d'eau s'élève à 10,2 milliards de F. sur dix ans, dont l'Etat s'est engagé à financer, d'une manière ou d'une autre, 40 %.

Ensuite -c'est l'une des propositions du projet de loi qui vient d'être adopté par le Sénat en première lecture et que l'Assemblée devrait examiner fin novembre-, je souhaite organiser la gestion des cours d'eau à travers des plans simples de gestion qui associeront les propriétaires des berges. Par ailleurs, les agences de l'eau pourront bientôt être mobilisées pour l'entretien des cours d'eau et la prévention des inondations.

Enfin, l'Etat a décidé d'inciter les différents partenaires locaux à moderniser les mécanismes de gestion des ouvrages de protection. C'est en particulier le cas de la Camargue, où nous allons, je l'espère, aboutir à la création d'un syndicat mixte de gestion réunissant les principales collectivités locales concernées.

Nous travaillons par ailleurs avec le ministère de l'Intérieur sur une idée à laquelle je tiens, mais qui n'est pas facile à mettre en _uvre, à savoir un mécanisme de mutualisation des risques encourus par les collectivités locales pour leurs propres biens. Si le dispositif institué par la loi de 1982 donne à peu prés satisfaction pour l'indemnisation des biens personnels privés, il n'existe en revanche pas de système permettant d'aider les collectivités, souvent modestes et peu fortunées, lorsque ponts, écoles ou bàtiments municipaux ont été détruits.

J'ai soumis au ministère de l'Intérieur l'idée d'une mutualisation sous la forme d'un fonds spécial auquel cotiseraient l'ensemble des communes de façon à pouvoir disposer de sommes suffisantes pour aider celles qui ont été touchées par de telles catastrophes.

Je voudrais aussi évoquer une autre disposition du projet de loi que vient d'adopter le Sénat à laquelle je tiens beaucoup. Comme vous le savez, il existe un certain nombre d'endroits en France où des catastrophes naturelles sont prévisibles, voire certaines, dans un délai qui va d'aujourd'hui à dix ou quinze ans, et il est certain que le jour où la catastrophe se produira, on n'aura pas le temps d'alerter et d'évacuer les gens, de sorte qu'il y aura forcément des pertes humaines. C'est le cas de la Séchilienne dans le Dauphiné ou de l'Hautil, carrière de gypse, dans le Val d'Oise. La Séchilienne est le cas le plus exemplaire: plusieurs dizaines de millions de mètres cubes se trouvent su-dessus d'un village de 94 maisons, et un jour, cette montagne tombera sur le village.

Le Sénat a bien voulu retenir, en l'adaptant sur le plan juridique ce n'était pas pour moi l'aspect le plus important- le mécanisme que j'avais proposé, créant une mesure nouvelle d'expropriation pour cause de risques majeurs prévisibles et une mesure d'indemnisation à travers un prélèvement sur lus recettes du fonds des assurances alimenté par les polices d'assurances. Aussi, prélèverons-nous une centaine de millions de francs sur les fonds disponibles su titre de la loi de 1982, sans augmenter le coût des polices d'assurances. Cela nous permettra de programmer la démolition, l'évacuation, l'indemnisation des habitants des villages, sans tenir compte du risque, car, aujourd'hui, leurs maisons ne valent plus rien. Par exemple, à la Séchilienne, plus aucun échange ne s'effectue depuis presque dix ans. Si nous ne voulons pas spolier la population, il faut lui offrir l'occasion et la possibilité de se déplacer dans des conditions normales.

Où en est-on de la mise en _uvre du plan dont j'ai rappelé les principaux aspects ?

Les moyens financiers actés par le Premier ministre se mettent en place. Ils sont prévus dans le budget 1995 du Ministère de l'environnement, puisque ce sont au total 200 millions de F. d'autorisation de programme qui sont consacrés à la prévention des risques. C'est la principale raison de l'augmentation du budget de l'environnement, qui s'accroitra ainsi de 6,596 en 1995. Cet accroissement des moyens permettra notamment l'implantation de plusieurs nouveaux radars. Celui de la Haute-Loire sera bientôt installé, le suivant est destiné à la partie du Vaucluse non encore couverte.

Sur le plan règlementaire, le décret sur les campings que j'ai déjà évoqué, a été publié le 13 juillet. Il permet aux préfets de prendre des mesures d'ordre pour, le cas échéant, obliger à des travaux ou évacuer les campings soumis à des risques non maitrisés. Nous avons par ailleurs lancé une très vaste étude destinée à identifier les communes soumises à un risque de crues torrentielles sur 24 départements du Sud-Est et du Sud-Ouest. II en ressort que ce sont prés de 380 communes qui sont soumises à de tels risques graves ou très graves et qui devront donc faire l'objet d'un PER, s'il n'est pas déjà élaboré.

Le dernier élément du plan est la traduction législative du principe arrêté par le Premier ministre de la fusion des quatre outils d'urbanisme existants, jusqu'à présent mal utilisés, en un seul, le plan de prévention des risques.

Voilà ce que je puis dire sur les mesures mises en _uvre par le Gouvernement avec beaucoup de détermination. C'est une affaire difficile. Encore une fois, les gens ont la mémoire courte. Comme beaucoup d'entre vous, je suis un vieil élu local. Je sais de combien de courage et de détermination il faut faire preuve pour réserver ou interdire des territoires qui paraissent bien exposés su seul motif de prévention. Mais l'on ne peut tenir deux langages. On ne peut pas continuer à dire à chaque inondation que la laissé construire là où on n'aurait pas dû, que l'on fait n'importe quoi depuis des années, et, à un moment donné, ne pas changer de politique.

Nous allons donc appliquer, certes dans le cadre de la plus grande concertation possible, mais avec beaucoup de rigueur, les mesures arrétées par le Premier ministre. C'est la raison pour laquelle le pouvoir des préfets est en ce domaine renforcé.

M. le Président: Merci, monsieur le Ministre. Vous avez remarqué, à juste titre, que la mémoire était quelque chose de volatile, ce que nous avons également noté lors de nos visites sur le terrain. Nous avons aussi constaté que les maires avaient tendance -surtout dans les régions du Nord de la France -,sous la pression de la population sinistrée et des associations locales de défense, à demander des mesures ponctuelles, qu'.il s'agisse de l'entretien de cours d'eau, de la construction de petites digues, toutes choses non concertées et toujours animées de la volonté de se protéger soi-même sans se préoccuper de ce qui peut se passer ailleurs.

J'ai la conviction que toute mesure de prévention doit concerner l'ensemble d'un bassin si l'on ne veut pas tomber dans des particularismes locaux. J'aimerais savoir si les 10,2 milliards de F. que vous avez annoncés pour l'entretien des cours d'eau pourront être utilisés pour financer non seulement le nettoyage et le curage des lits ou l'aménagement des berges, mais aussi la réalisation d'études hydrologiques sur la totalité du bassin, sur la base desquelles pourraient ensuite être définis des schémas directeurs.

M. Michel BARNIER: De telles études peuvent effectivement être financées sur ces crédits à hauteur de 4096. Monsieur le Président, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il faut arrêter le saupoudrage. II convient d'entreprendre des plans d'ensemble, comme nous avons commencé de le faire sur le bassin de la Loire. Demain, à Orléans, avec tous les acteurs du plan Loire, je dresserai le bilan, dix mois après, des travaux commencés dans le cadre d'un plan global.

S'agissant des petits cours d'eau, je suis favorable à ce que j'ai appelé le plan simple de gestion, c'est-à-dire l'obligation pour les riverains et propriétaires de se regrouper et de réfléchir ensemble.

M. le Président: Etes-vous également favorable à la constitution de syndicats ou d'associations regroupant plusieurs collectivités territoriales pour étudier ces problèmes ?

De ce point de vue, ce que nous avons vu en Charente, où deux départements et plusieurs communes se sont mises d'accord, m'a paru particulièrement intéressant. Sur la Loire, la structure très lourde de l'EPALA semble elle aussi relativement bien fonctionner.

M. Michel BARNIER : Je suis bien sûr favorable à ce type d'actions, parce que ce n'est pas l'Etat qui peut être maître d'ouvrage de l'ensemble du dispositif.

II faut avoir une vision globale et pluriannuelle de la protection des riverains d'un fleuve. Ensuite, il convient de décentraliser l'action. J'ai cité la Loire, où nous avons réalisé ce travail, ainsi que la Camargue, où, après avoir payé beaucoup de réparations, nous encourageons la création d'un syndicat mixte, regroupant le Conseil général et les communes directement concernées, qui sera chargé de la gestion des digues.

Je n'ai pas d'idéologie. Je ne veux pas être le Ministre d'une écologie décrétée. Je n'imposerai donc pas une seule méthode. Mais il est clair, que, plus on est nombreux à agir de façon concertée, départements territorialement concernés, communes, le cas échéant d'autres partenaires socio-économiques, mieux cela vaut.

M. le Président: Les préfets sont donc tout à fait ouverts à ce type d'initiatives.

M. Michel BARNIER: Bien sûr.

M. le Rapporteur : Je voudrais d'abord savoir à quel date sera opérationnel le radar du Vaucluse, dont vous avez dit qu'il serait installé après celui de la HauteLoire.

Par ailleurs, j'ai assisté récemment à Marseille à une réunion consacrée au système Safir, au cours de laquelle le responsable présent de MétéoFrance a dit, à propos de la catastrophe de Vaison-la-Romaine, que si ses services avaient alors disposé du système Salir en complément des radars, ils auraient pu connaître l'endroit où l'orage allait se produire une heure et demie à deux heures à l'avance, ce qui aurait permis de prévenir les populations. J'aimerais donc connaître votre position sur l'équipement éventuel de la région sud-est avec le système Salir, dont le coût serait de l'ordre de à millions de F.

M. Jean-Luc LAURENT : Salir est un système informatique développé par Météo-France qui lui permet de gagner en finesse dans la maille d'analyse météorologique pour les prévisions à court terme.

Je ne crois pas qu'il s'agisse là essentiellement d'un problème financier, les crédits ayant été inscrits par décision modificative votée lors du dernier conseil d'administration de l'établissement. Il s'agit surtout d'une question de développement intellectuel, touchant à la mise su point de la technique informatique utilisée par Saf r, qui figure parmi les plus avancées.

M. Michel BARNIER : En d'autres termes, le problème de Safir n'est pas lié à une question de crédits, Météo-France pourrait le prendre en charge sur son budget. Ce qui est en cause, c'est le caractère opérationnel ou non du système à une grande échelle. Je connais bien ces nouvelles technologies, car à l'occasion des Jeux Olympiques, nous avons installé en Savoie vingt-quatre stations météo pour établir des prévisions très fines, ce qui nous a d'ailleurs permis de n'avoir à reporter qu'une seule épreuve sur les dizaines prévues en plein air.

Quant au radar du Vaucluse, il sera opérationnel deux ans après l'engagement des crédits prévu pour 1995, ce délai étant nécessaire notamment pour assurer la mise au point du modèle informatique.

M. Pierre-Rémy HOUSSIN : Monsieur le Ministre, j'ai été très heureux de vous entendre prôner la collaboration entre l'ensemble des collectivités, car dans notre région, nous avons toujours essayé de la promouvoir, puisque nous avons été parmi les premiers à créer une institution interdépartementale et que nous renouvelons actuellement notre procédure d'annonce des crues.

Vous avez déclaré, monsieur le Ministre, que vous alliez engager un effort important en faveur de l'aménagement des rives. Les collectivités locales sont un peu choquées par la différenciation entre ce qui est domanial et ce qui ne l'est pas. Pourtant, un même cours d'eau comprend souvent une partie domaniale et une autre qui ne l'est pas. Un effort immense est engagé contre les crues, par exemple sur le fleuve Charente, aussi bien pour l'étiage que pour écrêter les crues, ce qui suppose d'aménager les rives. Or, depuis maintenant dix-huit mois ou deux ans, les services du ministère du Budget n'admettent plus que lorsqu'un syndicat intercommunal est chargé de l'aménagement des rives d'un cours d'eau non domanial, il puisse récupérer la TVA. Je voudrais savoir, monsieur le Ministre, si vous espérez pouvoir faire en sorte que cette règle soit modifiée, car elle bloque actuellement la réalisation d'un nombre considérable de travaux.

M. Michel BARNIER : Je ne pourrai malheureusement pas vous rassurer. Il s'agit d'une décision prise par le Premier ministre et qui s'impose d'une manière générale: il est nécessaire d'être propriétaire pour bénéficier du remboursement de la TVA. J'ai tout fait pour signaler les inconvénients d'une telle règle, mais je ne peux pas vous apporter une réponse qui vous satisferait.

M. Pierre-Rémy HOUSSIN : Les agriculteurs sont aujourd'hui de moins en moins nombreux et ils sont obligés de se consacrer à d'autres travaux qu'à l'entretien des rives. Il faut donc réfléchir aux mayens de se substituer à eux pour aménager les abords des cours d'eau. C'est essentiel.

M. le Rapporteur : Tout le monde s'accorde aujourd'hui à reconnaître que le régime juridique applicable aux rives des cours d'eau est totalement dépassé et que les riverains ne sont généralement pas en mesure d'entreprendre les travaux leur incombant, des syndicats se substituant de plus en plus souvent à eux. Comment voyez-vous l'évolution du droit en ce domaine ?

M. Michel BARNIER : Nous avons examiné précisément cette question à l'occasion du projet de loi sur la protection de l'environnement que l'Assemblée nationale examinera prochainement. La difficulté sur ce point tient au fait que nous touchons là au droit de propriété, matière sensible s'il en est.

L'outil que nous proposons dans le projet de loi est le plan simple de gestion, avec l'idée que l'Etat n'interviendra financièrement que dans ce cadre. L'on peut dire, d'une certaine façon, qu'il s'agit d'une forme d'encouragement à tous les riverains d'un même cours d'eau à se regrouper et à élaborer ensemble un plan simple de gestion. Mais nous n'avons pas voulu amputer le droit de propriété. Le problème se pose en des termes voisins à propos des friches, pour lesquelles il est tout aussi difficile de trouver une solution.

M. le Rapporteur: Dans ma circonscription, à l'issue d'une procédure ouverte sur la base de l'article 11.111-3 du code de l'urbanisme sur une quinzaine de commune le long de la vallée du Rhône, une commune a été déclarée quasiment en totalité inconstructible, au moment même où l'enquête publique diligentée par la SNCF concluait que la commune est parfaitemnt constructible sur les quelques mètres où doit passer le TGV! 11 y a là une incohérence totale dans l'attitude des pouvoirs publics. Je vois mal comment on pourrait sérieusement expliquer que les seuls mètres constructibles sur la commune seraient ceux traversés par le TGV.

Dans certains départements, on est passé d'un laxisme généralisé en ce domaine à un rigorisme peut-être un peu trop étroit. Ne pouvez-vous faire en sorte que les préfets fassent certes respecter la loi, ce qui est nécessaire, mais avec mesure ? Car dans des zones d'inondation de plaines, déclarer l'inconatructibilité totale là où l'on a coutume d'enregistrer trente à quarante centimètres d'eau est peut-être excessif. Ne vaut-il pas mieux dans un tel cas ïixer des normes de construction destinées à limiter les dégâts ?

M. Michel BARNIER : Dans l'exemple que vous avez cité, je comprends la réaction du maire et des populations mais il faut toutefois souligner que les deux procédures ne concernent pas tout à fait les mêmes équipements, même si je ne cherche pas à excuser ce défaut de coordination. Je ne reviendrai pas sur ce dossier que j'ai trouvé en arrivant au Gouvernement et que nous avons essayé de traiter aussi bien que possible. Je dirai seulement qu'au moment où la décision de réaliser le TGV Méditerranée a été confirmée, le Ministre de l'équipement et moi-même avons pris l'engagement que la ligne TGV nouvelle n'aggraverait pas le risque. Tel est le critère auquel je me .cramponne.. Je suis donc très attentif à ce que l'on me dit ici ou là. Mais la question de savoir si la construction de la ligne TGV, augmentera le risque pour les populations permanentes est d'un ordre tout différent - je ne dis pas totalement différent- que celle de savoir si l'on peut laisser construire des maisons d'habitation.

D'une manière générale, je demande aux préfets de faire preuve de pragmatisme. Mais il faut bien comprendre que, pour construire, l'on ne profitera désormais pas des mêmes facilités que depuis quinze ou vingt ans. Sinon il est inutile de continuer à tenir des discours sur la prévention.

Périodiquement, je fais le point avec les préfets, car je suis aussi soucieux des .effets de suivi. que des effets d'annonce, et j'utiliserai ces occasions pour leur rappeler que le renforcement de leurs pouvoirs doit aller de pair avec une manière pragmatique de les utiliser.

M. le Président: Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur l'idée que vuos avez évoquée de mutualisation des risques pour les communes ?

M. Michel BARNIER : C'est une idée que j'ai eue avant mon entrée su Gouvernement, car la Savoie est souvent touchée oar des catastrophes naturelles et j'ai été frappé par le fait que les communes, souvent les plus petites et les plus pauvres, qui avaient eu la malchance d'avoir un point détruit se retrouvaient seules avec un budget hypothéqué pour dix ans.

L'idée sur laquelle nous travaillons avec les ministères du budget et de l'intérieur est celle d'un fonds auquel toutes les communes de France cotiseraient. Elle n'est pas encore vraiment formalisée, et je suis preneur de vos réactions et suggestions.

M. le Rapporteur: Ne pensez-vous pas que les PER sont devenus un mythe ? La plupart des responsables que nous avons rencontrés dans les départements directeurs départementaux de l'équipement ou de l'agriculture- trouvent la procédure très longue à mettre en place. Moins décentralisatrice, la procédure prévue par l'article RI 11-3 du code de l'urbanisme s'avère cependant beaucoup plus rapide et opérationnelle.

M. Michel BAR NIER : Je suis conscient du problème, même si les chiffres comparés du bilan de l'application de l'article R 111-3 et des PER ne conduisent pas à une appréciation aussi contrastée. En fusionnant ces deux outils, nous allons essayer de cumuler leurs avantages sans pour autant cumuler leurs inconvénients. Le PER a une grande force, il est financé à 100 % par l'Etat mais il est lourd; la procédure de l'article R 111-3 a, elle, l'avantage d'une plus grande souplesse. Nous allons essayer d'additionner les avantages de l'un et de l'autre dans un seul dispositif: c'est l'ambition du plan de prévention des risques figurant dans le projet de loi que le Sénat vient d'adopter, qui sera un outil unique obligatoirement incorporé au POS.

M. le Rapporteur : EDF paye beaucoup moins cher l'électricité qui provient du Rhône, environ 17 centimes, alors que le kilowattheure lui revient ailleurs environ 35 centimes. Un prélèvement d'un seul centime par kilowatt permettrait de dégager 160 millions de F. par an, qui pourraient être consacrés à l'entretien des digues, l'avantage pour EDF restant considérable. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une idée saugrenue ou qu'il existe une chance d'impliquer un jour EDF dans l'entretien des digues du Rhône, étant entendu qu'elle dégage, par l'intermédiaire du fleuve, des profits substantiels?

M. Michel BARNIER : Comme vous le savez, nombreux sont actuellement ceux qui ponctionnent EDF ou qui en ont l'intention. Personnellement, je ne trouve pas incongrue la possibilité que vous avez évoquée. Elle est en discussion au sein du Gouvernement. Je n'ai pas de réponse pour l'instant. Je ne vous en dirai pas davantage sur le sujet, car l'important n'est pas l'avis du ministre de l'Environnement mais la position du Gouvernement; je me bornerai à ajouter que, non seulement je ne trouve pas l'idée incongrue, mais je pense même que c'est l'intérêt d'EDF.

M. le Rapporteur : En tant que parlementaire, je me permettrai de faire remarquer que, si ponction il devait y avoir, ce sont les régions ponctionnées par EDF qui devraient en bénéficier un peu! (Rires.)

M. Michel BARNIER : il faut quand même dire que ces régions bénéficient du produit de la taxe professionnelle payée par EDF.

M. le Rapporteur: L'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a fait savoir que, si elle était prête à contribuer à l'entretien des cours d'eau, en revanche, aucune ressource n'étant prévue à cet effet, elle n'entendait pas participer aux gros travaux de réfection des berges rendus nécessaires par les inondations de ces deux dernières années. En principe, l'Etat participe à hauteur de 20 % aux gros travaux. Je voudrais savoir si ce pourcentage est intangible ou s'il peut être modulé selon l'ampleur des dégâts, compte tenu notamment du fait que vous avez indiqué que l'Etat financerait d'une manière ou d'une autre environ 40 % des 10 milliards de F. qui devraient être consacrés à l'entretien des cours d'eau.

M. Michel BARNIER : Jusqu'à présent, le budget du ministère de l'Environnement, seul chargé de la prévention des risques, ne disposait quasiment d'aucun crédit à ce titre. II arrivait que pour financer des réparations, des crédits exceptionnels soient dégagés par redéploiement par le ministère de l'Intérieur. C'est ce qui s'est passé pour Vaison-la-Romaine. Mais au titre de la prévention, les crédits ne représentaient pratiquement rien. Nous les augmentons fortement, mais il est néanmoins impossible d'envisager aujourd'hui que l'Etat participe pour plus de 20 % su financement de travaux de prévention.

Par ailleurs, je vous confirme que nous allons autoriser les agences de l'eau à apporter 15 % ou 20 %, en sua de ce qu'octroie 1`Etat, sur leurs propres crédits. Pour cela, il faut un décret, qui est actuellement en préparation avec le ministère du Budget. Je pense que nous parviendrons à une répartition 35 %-40 % agences de l'eau-Etat. II ne faut pas oublier qu'en matière de prévention, nous partons quasiment de rien.

M. le Président : Les agences de l'eau bénéficieront-elles de ressources nouvelles ?

M. Michel BARNIER: Elles prélèveront des redevances.

M. le Président: Qu'en pensent les présidents des agences ?

M. Michel BARNIER : Les Présidents de conseil d'administration, que je rencontre souvent, ne sont pas opposés à l'idée de prélèvement d'une redevance, mais il convient que les choses soient très clairement identifiées, car nous traversons une période difficile s'agissant du prix de l'eau et des redevances acquittées dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Je voudrais évoquer un problème auquel je n'ai pas trouvé de solution mais sur l'importance duquel je me permets d'insister: continuer à dire que les rivières non domaniales sont de la responsabilité des riverains est devenu aujourd'hui inapplicable sur le terrain.

M. Michel BARNIER : Les lois sont faites pour l'ensemble de la France. La conclusion logique de votre propos serait d'écorner le droit de propriété. Dans certains cas, les propriétaires en seront très contents, voire demandeurs. Dans d'autres, ils protesteront et engageront des actions devant les tribunaux. Il faut donc faire très attention. L'outil que propose le projet de loi relatif su renforcement de la protection de l'environnement est le plan simple de gestion. Le projet comprend également un plan de transfert de compétences aux conseils généraux des cours d'eau domaniaux non navigables, sur la base du volontariat.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu'il y aura beaucoup de départements volontaires ?

M. Michel BARNIER : Oui, parce qu'actuellement de nombreux départements payent sans exercer de compétence. Ils préfèrent alors payer et décider.

Sans vouloir faire une présentation partisane, je crois pouvoir dire que c'est la première fois que le Gouvernement essaie d'appréhender le problème des catastrophes naturelles au moyen d'un plan pluriannuel et ambitieux, dans ses aspects réglementaire, financier, technique, voire technologique. Je ne dis pas que ce plan est parfait. Je serais probablement. d'accord avec vous si vous me déclariez qu'il est insuffisamment doté, dans la mesure où les besoins sont considérables. Mais c'est la première fois que se met en place une politique globale et pluriannuelle d'une certaine dimension.

M. le Président: Monsieur le Ministre, je vous remercie.

Déplacement effectué par la Commission

dans le département des Ardennes

le 30 juin 1994

Au cours de ce déplacement, ont été tenues quatre réunions de travail, successivement à la préfecture de Charleville Mézières, à Monthermé, à Warcq et à la sous-préfecture de Rethel.

Compte rendu de la réunion tenue

à la préfecture de Charleville Mézières

M. le Président a ouvert la réunion en indiquant que la présence dans les Ardennes d'une délégation de la commission d'enquête sur les inondations n'avait pas pour but d'étudier le problème spécifique de cette région, mais de tirer les enseignements de l'expérience qu'elle a connue en la matière, en ce qui concerne le dispositif d'alerte, l'organistaion des secours, l'indemnisation des dommages et la prévention.

M. Yves Henri, préfet des Ardennes, a tout d'abord présenté un bref historique des inondations qui ont affecté le département des Ardennes au cours de l'hiver 1993-1994. Les Ardennes ont connu au cours du mois de décembre 1993 des précipitations exceptionnelles qui ont entraîné une conjonction sans précédent de la montée des eaux dans différentes rivières. Phénomène classique dans le département, les crues ont alors revêtu une ampleur tout à fait inhabituelle, notamment parce que celle de la Meuse a été aggravée par la situation sur ses affluents. L'ampleur du phénomène, a indiqué M. Yves Henri, apparaît à travers le fait que 263 communes ont été classées .zone sinistrée. au titre des catastrophes naturelles sur les 460 que compte le département.

M. Jean-Luc Nevache, secrétaire général de la préfecture des Ardennes, est revenu sur la description du phénomène, pour préciser que celui-ci avait connu deux phases: une première montée des eaux à la mi-décembre, suivie d'une accalmie au cours de laquelle les précipitations, encore importantes, ont diminué un peu, puis une remontée du niveau à partir du 18 décembre pour culminer entre le 22 et le 26 décembre. Par ailleurs, la crue a .remonté. le fleuve, cette caractéristique inhabituelle ayant rendu plus difficiles la prévision ainsi que la mise en _uvre de mesures de précaution par les populations concernées. Ceci explique que les dégâts aient été d'une ampleur supérieure à ce qu'ils sont d'habitude.

M. Alain Mercier, directeur de cabinet du préfet des Ardennes, a exposé selon quelles modalités avait été mise en place et avait fonctionné la cellule de crise installée à la préfecture. Compte tenu des caractéristiques inhabituelles des crues de l'hiver dernier rappelées ci-dessus, la cellule de crise a été mise en place en catastrophe en 2 heures de temps. Elle a été montée à partir du principe du centre opérationnel départemental et elle a été constituée de manière très classique, de façon à rassembler l'ensemble des personnes aptes à assurer les interfaces nécessaires dans ce genre de situations. Elle était donc composée, outre de membres de l'administration préfectorale, de représentants de la DDASS, de la DDE, de la délégation militaire départementale, de la police et des pompiers, et elle a fonctionné 24 heures sur 24 pendant 6 jours, dans des conditions assez difficiles, les congés de fin d'année ayant toutefois permis dé disposer des locaux scolaires.

M. le Rapporteur a souhaité savoir pourquoi le plan Orsec n'avait pas été déclenché dans le département des Ardennes.

M. Yves Henry a indiqué que son prédécesseur en poste au moment de la crise l'avait envisagé mais qu'il n'avait pas obtenu l'autorisation de le faire.

M. Jean-Luc Nevache a ajouté que pour comprendre cette décision, il fallait aussi tenir compte des moyens existant sur place. Ainsi, du fait de la présence d'un régiment du génie basé à Charleville, le concours militaire a été acquis très vite et dans d'excellentes conditions, alors que c'est précisément l'un des objectifs majeurs du plan Orsec. D'autre part, la CRS 23 basée à Charleville était à résidence à cette période, et a donc été immédiatement rappelée, ce qui a permis de disposer immédiatement de 90 CRS. En outre, plusieurs régions ayant connu en même temps des phénomènes d'inondation, se posait au niveau national un problème de répartition des moyens. Il a donc sans doute été considéré que compte tenu de l'habitude des responsables du département des Ardennes à gérer ce type de situation et des moyens dont ils disposaient, ils étaient plus à même que d'autres de faire face sans le recours su plan Orsec.

M. le Président: après avoir rappelé qu'en principe le plan Orsec permet la prise en charge par l'Etat des secours extérieurs aux collectivités concernées, a demandé confirmation d'informations selon lesquelles, en tout état de cause, les secours extérieurs apportés pendant l'hiver 1993 dans les départements dans lesquels le plan Orsec n'avait pas été déclenché n'avaient pas été facturés aux collectivités bénéficiaires.

M. Yves Henry l'a effectivement confirmé. Il a ajouté qu'il n'était pas certain que le plan Orsec eut vraiment permis au département des Ardennes de bénéficier des moyens supplémentaires. A ce sujet, il a indiqué, répondant ainsi à une question souvent posée par la population, pourquoi d'autres régiments du génie stationnés à proximité n'étaient pas venus prêter main forte à celui basé à Charleville : tout d'abord parce qu'ils ne sont pas faits pour ce type de mission et ne disposent pas des matériels appropriés, ensuite parce que le plan de démobilisation et de recrutement des compagnies du génie - s'agissant des compagnies d'instruction - fait que les effectifs sont au plus bas au moment des inondations.

M. le Président a fait état du mécontentement exprimé par de nombreux maires du département sur le manque d'information dont ils ont bénéficié pendant la crise de la part des autorités de l'Etat.

M. Jean-Luc Nevache a rappelé que le système traditionnel d'information est celui du répondeur automatique réservé aux maires. Ce répondeur mis à jour régulièrement, jusqu'à 5 fois par jour au plus fort de la crise, donnait des informations relatives à huit points répartis sur l'ensemble du département. Il a reçu plus de 6.000 appels pendant la période de crue.

M. Alain Mercier a ajouté que la préfecture avait, pour la première fois, utilisé les radios locales pour faire passer des messages, notamment pour essayer de dissuader les personnes extérieures à Charleville de s'y rendre.

M. Jean-Luc Nevache a fait valoir que les maires se plaignent moins d'un manque d'information que de son insuffisante lisibilité et de son caractère trop peu prévisionnel. Ils estiment que l'information leur est délivrée en termes trop techniques et souhaiteraient que l'indication du niveau d'eau qui leur est donnée soit traduite de façon concrète pour leur commune. Les services concernés sont actuellement en train de travailler aux moyens d'améliorer le système en ce sens. Notant par ailleurs que les élus veulent disposer non pas tant d'une information immédiate, mais d'indications sur l'évolution de la situation dans les heures à venir, il a indiqué que n'existent pas actuellement les modèles mathématiques qui permettraient de traduire un volume de précipitations en niveau ddans une rivière considérée en tenant compte de l'ensemble de ses affluents. Il a reconnu que les tendances données avec le concours de la Météorologie nationale se sont révélées parfois très approximatives, voire inexactes. Il a signalé qu'était actuellement mis en place un système de relevé automatique des niveaux d'eau, de façon à constituer progressivement une base statistique permettant de fonder une prévision. Il a en outre attiré l'attention sur le fait qu'il est extrêmement difficile de prévoir toutes les hypothèses. Ainsi, par exemple, la crue de 1991 a eu des effets très importants dans la vallée de la Vence, affluent de la Meuse, car le sol étant gelé, l'eau n'a pas du tout pu s'infiltrer. Enfin, il a souligné les difficultés parfois rencontrées pour établir des relevés. Ainsi, à un point du département, l'échelle de relevés a été emportée par la crue, et à un autre point, l'état de la rivière était tel qu'il était trop dangereux de prendre les mesures.

En réponse à des questions du Président et du Rapporteur sur l'amélioration du système d'alerte, M. Yves Henry a apporté les compléments d'information suivants. Après avoir précisé que tous les fonctionnaires responsables étaient présents à leur poste durant la période des inondations, il a indiqué avoir tenu le 16 février 1994 une réunion rassemblant les différents responsables des services concernés, su cours de laquelle est apparue clairement la nécessité d'un système traduisant de manière lisible les informations transmises. Les services techniques sont donc en train de mettre au point, avec les collectivités locales, un système d'alerte compréhensible et facilement utilisable, dont M. Yves Henry a donné l'assurance à la Commission qu'il fonctionnera l'hiver prochain sinon en totalité, du moins en partie. Il a ajouté que, lorsqu'aura été réalisée, groupe de communes par groupe de communes, la traduction concrète des observations sur échelles auxquelles les services ont procédé, ceux-ci vérifieront que le système permet de communiquer rapidement et simplement avec les mairies, sachant que celles-ci devront ensuite s'organiser pour diffuser l'information.

Interrogé par ailleurs par M. le Rapporteur sur le délai dans lequel pourraient être mis su point les modèles mathématiques nécessaires pour traduire les volumes de précipitations en niveau d'eau dans les fleuves, M. Yves Henry a fait valoir que, plus qu'un véritable modèle mathématique, serait utile un dispositif permettant de donner aux interlocuteurs des services techniques une indication sur l'évolution de la crue fondée sur les relevés effectués lors des crues antérieures, pour autant que les conditions soient identiques. Il a indiqué que les services de la navigation travaillent pour améliorer la prévision, sur la base de projections des hauteurs de crues constatées sur des séries longues, faisant remarquer que la prévision était en tout état de cause plus difficile en cas de crue remontante du type de celle de l'hiver dernier.

M. le Président a ensuite abordé la question du programme de travaux prévus sur la Meuse dans les prochains mois. Il a fait référence aux propos tenus devant la Commission par le Président de Voies navigables de France, qui, d'une part, a reconnu l'intérêt de dragages réguliers pour prévenir les crues, d'autre part a précisé que le programme de dragage était défini en fonction de considérations économiques, priorité étant donnée aux fleuves ayant un trafic marchandises. II a souhaité savoir si ce que VNF avait laissé entendre du programme des travaux prévus sur la Meuse dans les prochains mois conduisait à confirmer cette présentation.

M. Yves Henry a estimé que si le responsable de Voies navigables de France avait présenté les choses de cette façon, c'est qu'il avait des raisons de le faire, compte tenu des obligations comptables et financières auxquelles est soumis cet établissement public. Rappelant que la Meuse n'est pas une voie à grand gabarit, il a jugé que d'un strict point de vue commercial, le trafic qui y est réalisé ne justifiait sans doute pas des travaux importants. Il a déclaré ne pas être au courant du programme de travaux envisagé par VNF pour la Meuse.

Il a indiqué par ailleurs que le SIVU constitué entre Charleville-Mézières et Warcq avait mis au point un dossier destiné à faire baisser le niveau des crues de 40 cm dans la boucle de Warcq, au moyen d'aménagement d'écluses et d'opérations de dragage, pour un montant total de 16 millions de F., chiffre qui donne une idée de l'ampleur des sommes qu'il faudrait engager pour obtenir des résultats significatifs sur la totalité du fleuve. La partie de ce programme tendant à l'élimination des atterrissements, c'est-à-dire des amas de sables et de graviers, sera réalisée courant 1994 car il s'agit de travaux soumis à simple déclaration, les travaux de plus grande ampleur supposant une enquête publique donnant lieu à une procédure nécessairement plus longue.

M. Jean Desanlis a souhaité obtenir des informations sur la collaboration avec la direction départementale de l'équipement de la Meuse, département situé en amont de celui des Ardennes, et sur les contacts avec les autorités belges.

En réponse, M. Jean-Luc Nevache a tout d'abord précisé que la coordination entre l'amont et l'aval ne concerne que la vallée de la Meuse, le service de la navigation étant chargé de l'annonce de crue pour toute la vallée de l'Aisne. Sur le fond de la question, il est rapidement apparu que, compte tenu du fait qu'il s'agissait d'une crue remontante, les informations en provenance de l'amont n'étaient pas très importantes sur le plan opérationnel, le niveau d'eau à l'entrée du département n'ayant pas eu d'incidence vraiment significative sur la crue. Il a indiqué que la préfecture des Ardennes était néanmoins en permanence en liaison avec celle de la Meuse qui lui donnait des informations sur l'évolution de la situation, de sorte que si elles avaient été utiles, les serivces des Ardennes en auraient bénéficié dans les meilleures conditions. Quant à la coopération avec les autorités belges, il l'a qualifiée de beaucoup moins formalisée, l'échange d'informations pouvant sans doute, selon lui, être mieux organisé.

A la suite d'une question de M. le Rapporteur, M. Yves Henry a abordé les problèmes de l'aide aux sinistrés et de l'indemnisation. Il a indiqué que la cellule mise en place pour répartir les crédits exceptionnels alloués aux préfets par le ministère de l'Intérieur avait permis de distribuer des secours immédiats à environ 200 familles.

S'agissant de l'indemnisation su titre des catastrophes naturelles, le mécanisme, lui a-t-il semblé, a très bien fonctionné pour les particuliers, mais il n'en a pas été de même pour les industriels. II a fait état de la pratique de certaines sociétés d'assurance qui n'acceptent de continuer à assurer les industriels qu'avec un mois de décalage, ce qui revient à dire qu'elles commencent à indemniser lorsqu'il n'y a plus lieu de le faire, la crue étant alors terminée, ou qu'elles appliquent une sorte de «franchise» de 30 jours.

Enfin, il a signalé que le département et les communes touchées ont bénéficié de 7,9 millions de F. de subventions.

Enfin, à la demande du Président, M. Yves Henry a exposé les grandes lignes de la politique de prévention mise en _uvre au niveau du département. Il a indiqué que, dans cette perspective, son premier souci était de définir précisément les zones submersibles. Il a rappelé que c'était en 1983 qu'avaient commencé les études destinées à l'élaboration d'un PER qui n'a vu le jour qu'en 1992, ce qui montre le caractère inadapté de cette procédure. Les services ont donc reçu l'instruction d'établir un plan des surfaces submersibles, qui, aux dires des spécialistes, peut être élaboré à partir des photographiés prises par satellite au moment des inondations. M. Yves Henry a regretté que l'établissement de ce plan ne soit pas considéré comme une priorité par la préfecture de région, mais estimé que lorsqu'il sera fait, il constituera un instrument efficace.

M. le Rapporteur s'étant étonné qu'il n'évoque pas l'article R 111-3 du code de l'urbanisme, il a précisé qu'il n'avait pas eu jusqu'à présent à trancher de cas relevant de ce dispositif, mais qu'il le ferait sans hésitation si cela se présentait.

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Le Colonel Philippe Rose, délégué militaire départemental , a tout d'abord rappelé qu'en tant que représentant du général commandant la circonscription militaire de défense dans le département, il exerce plusieurs fonctions: il est conseiller militaire du préfet, il joue un rôle important dans l'instruction des cadres de réserve, il exerce la surveillance du domaine militaire et il est responsable de la mobilisation des personnels de réserve en cas de crise.

M. le Président a fait état du souhait qu'auraient eu les populations touchées par les inondations de voir l'armée intervenir plus massivement. II a donc demandé des précisions sur les conditions d'intervention de l'armée dans des situations de ce type et s'est étonné de ce que - si l'on en croit les propos tenus précédemment par M. le Préfet-, une unité comme celle du 3e régiment du génie basé à Charleville-Mézières ne soit guère opérationnelle à une période de l'année où précisément elle pourrait être d'une grande utilité.

Le Colonel Philippe Rose a dit avoir bien perçu à la fois les critiques et les attentes qui se sont manifestées au moemnt de la crise de l'hiver 1993-1994. Il a précisé que l'engagement des moyens militaires dépendait exclusivement du général commandant la circonscription militaire de défense, et qu'il fallait bien avoir conscience du fait que les collectivités locales ne peuvent pas compter sur les unités basées sur leur territoire, car le Sème régiment du génie aurait très bien pu ne pas se trouver présent au moment des événements.

Cela étant, il a indiqué que dès la mise en place de la cellule de crise, les éléments présents de cette unité avaient été mis en alerte, que, parallèlement, pour assurer la coordination de l'action des différents moyens militaires, il avait été fait appel à cinq officiers de réserve du département et que la réaction immédiate de la circonscription militaire de défense avait été d'envoyer sur Charleville le 40ème régiment d'artillerie dont une quarantaire d'hommes étaient sur place dès le lendemain. En outre, tous les efforts ont été faits pour que toutes les demandes des collectivités locales remontent au centre opérationnel, afin que l'affectation des moyens soit coordonnée au mieux.

A propos du Sème régiment du génie, le Colonel Philippe Rose a ajouté qu'il n'était pas particulièrement apte à répondre aux besoins qui se manifestent en cas d'inondation. C'est en effet un régiment de division blindée, dont la mission est d'organiser la défense du terrain et le franchissement d'une division blindée, qui dispose d'engins lourds dont les contraintes d'utilisation particulières les rendent inadaptés dans de telles circonstances. En outre, à cette période de l'année, le régiment - qui est composé à 90 % d'appelés- est en .responsabilité opérationnelle différée ·, c'est-à-dire que les deux tiers de ses effectifs ont été libérés -fin octobre - et que les suivants ne sont pas encore incorporés. La compagnie qui aurait éventuellement pu être utile - celle de pontage de l'avant- ne disposait ainsi que de ses cadres, dont, en outre, une partie se trouvait alors en permission.

En réponse à une question de M. le Président, le Colonel Philippe Rose a fait état d'une réflexion actuellement en cours au niveau de l'état-major sur les moyens de faire en sorte que cette situation de sous-effectif ne se reproduise pas. Il a indiqué qu'en ce qui le concernait, il avait lancé un programme de formation des cadres car, pendant la crise, il avait été frappé par le fait que les maires manquaient d'informations et de conseils. C'est pourquoi il a décidé la mise en place, à compter du ler septembre prochain, d'un conseiller militaire dans les sous-préfectures et dans des localités d'une certaine importance situées dans les zones à risques. Par ailleurs, il a fait état de sa suggestion -dont il n'est pas certain qu'elle soit retenue - d'équiper l'armée de bateaux plats suffisamment motorisés, car les matériels dont elle dispose sont vétustes et, en'toute hypothèse, inadaptés à des missions de secours en cas d'inondations.

M. le Président lui ayant demandé de préciser l'action qu'il envisageait de mener en matière d'information en direction des maires, le Colonel Philippe Rose a précisé qu'il allait s'attacher à faire en sorte que les maires transmettent au centre opérationnel leurs besoins en termes, non de moyens,mais de résultats à atteindre, sachant que c'est aux militaires de définir les moyens les plus appropriés pour y parvenir.

Enfin, à la suite de questions de M. le Président et de M. le Rapporteur, le Colonel Philippe Rose a apporté les précisions suivantes sur l'aspect financier de l'intervention de l'armée. Il a rappelé que tout concours de l'armée est payant, sauf décision ministérielle contraire dont il pense qu'elle sera prise en l'espèce, mais dont il n'a pas eu connaissance. Il a ajouté que, dans le cas présent, les unités concernées n'ont pas encore été remboursées des sommes engagées dans la lutte contre les inondations, sans doute dans l'attente d'un règlement global au niveau des adminsitrations centrales.

Le Lieutenant-Colonel Jean Derboulles, directeur départemental des services d'incendie et de secours des Ardennes a tout d'abord rappelé que les inondations sont un phénomène habituel dans les Ardennes, mais qu'elles ont revêtu en décembre 1993 un caractère anormal qui en a rendu la gestion plus difficile, car elles ont eu une ampleur exceptionnelle et il s'est agi dcrue ·à l'envers., le nord du département ayant été inondé avant que le sud soit touché lui aussi, en raison du gonflement subit des affluents de la Meuse.

En ce qui concerne l'annonce, il a indiqué que les pompiers avaient reçu de très nombreux appels des maires ou de la population, et que, n'étant en possession que des informations officielles, ils n'avaient pas toujours pu leur répondre de façon satisfaisante, l'indication d'un niveau d'eau exprimé en mètres n'étant pas très parlante. Il s'est donc déclaré d'accord avec ceux qui ont estimé nécessaire de s'engager dans la voie d'une information plus imagée, plus parlante, fondée sur des points de référence locaux connus de tous et sur l'expérience des crues passées.

Il a noté par ailleurs que d'année en année, la population demandait de plus en plus d'assistanat, alors que les missions des sapeurs-pompiers sont de porter secours aux personnes en danger et aux biens ayant une importance vitale, le reste n'en faisant pas partie.

En ce qui concerne l'information, il a souligné l'incohérence existant entre le fait que tout le monde en demande davantage et que nombreuses sont les personnes qui, prévenues de la montée des eaux, refusent de quitter leur habitation, rendant ainsi les secours plus difficiles ou se mettant en danger de mort. Il en va de même des agriculteurs qui refusent d'évacuer leurs bêtes lorsqu'on les incite à le faire, mettant ainsi en péril les sauveteurs qui doivent ensuite mener les opérations de secours dans des conditions beaucoup plus délicates. Selon lui, la demande d'information est parfaitement légitime, encore faut-il que les gens en tiennent compte et suivent les conseils qui leur sont donnés.

En ce qui concerne l'organisation des secours, il a signalé que la période des fêtes de fin d'année est favorable pour les pompiers, contrairement à ce qui se passe pour l'armée, car le ralentissement de l'activité a pour double effet de diminuer le nombre de leurs interventions et de rendre leurs effectifs composés pour l'essentiel de volontaires - plus disponibles, les difficultés étant toutefois apparues dès que les congés de fin d'année ont été terminés.

Enfin, il a regretté que le département ne dispose pas actuellement d'un centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS) ni d'un centre de traitement de l'alerte (CTA) digne de ce nom, ce qui ne facilite pas la coordination des moyens.

M. le Président a estimé assez normal, à la fois qu'en situation de crise la population exprime une forte demande d'assistance, et que les pompiers fixent des priorités dans l'accomplissement de leurs missions. II a souhaité savoir si leur action pourrait se trouver gênée si des associations remplissaient ces tâches d'assistance.

Souhaitant que l'on ne se méprenne pas sur le sens de ses propos, le Lieutenant-Colonel Jean Derboulles a précisé que la mission des pompiers n'est pas seulement opérationnelle, dans la mesure où ils contribuent, par leur seule présence sur le terrain, à côté d'autres intevenants, à rassurer la population. Mais ils doivent nécessairement respecter certaines priorités. Quant à l'intervention d'associations, elle est mise en _uvre à Warcq depuis plusieurs années sans gêner en quoi que ce soit les pompiers dans l'accomplissement de leurs missions, bien au contraire.

En réponse à une question du Président sur l'incidence financière de l'intervention des sapeurs-pompiers pour les collectivités, le Lieutenant-Colonel Jean Derboulles a indiqué que le plan Orsec n'ayant pas été déclenché dans le département des Ardennes car des moyens suffisants existaient dans la zone de défense, le coût des moyens extérieurs engagés est donc en principe à la charge des collectivités bénéficiaires des secours, sauf si l'Etat en décide autrement.

Quant à la décision de ne pas engager le plan Orsec, elle lui a paru sage, car il n'était pas indispensable et il aurait entraîné des frais importants pour l'État. Il a ajouté que, du fait des économies ainsi réalisées, l'État avait versé une subvention couvrant le coût des secours extérieurs, de sorte que les communes ne se verront rien facturer à ce titre.

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M. François Penoy, Président de l'association d'union des faubourgs et des arches (AUFA), a indiqué que l'association qu'il préside avait été créée en 1991 à la suite des inondations qui avaient particulièrement affecté son quartier, et que son activité s'était ensuite élargie à tout le bassin de la Meuse. Ses principales missions, a-t-il poursuivi, sont de porter assistance aux populations pendant les inondations et de transmettre toutes les informations possibles sur l'évolution de la crue. Jugeant extrêmement importante la fourniture d'informations précises à de telles périodes.a reconnu qu'à Charleville la situation, de ce point de vue, s'était améliorée en 1993 par rapport aux années précédentes, même si elle reste encore imparfaite.

En ce qui concerne la prévention, il convient selon lui de réfléchir «à froid. aux moyens qu'il faudra mettre en _uvre lorsque la crise de produira, priorité devant être donnée à trois mesures. Tout d'abord, il faut agir au niveau des plans d'occupation des sols car les crues à répétition, de plus en plus rapprochées et de plus en plus graves, sont dues des travaux (notamment des remblais) que les POS ne devraient pas autoriser. Ensuite, il faut curer le fleuve à partir de l'aval, alors que, pour la Meuse, cela n'a pas été fait. Enfin, pour ce qui concerne l'amont, il faut faire des études pour savoir s'il est opportun ou non de construire un ou plusieurs barrages et où. D'une manière générale, il a estimé qu'il ne fallait pas hésiter à mettre le prix nécessaire dans la lutte contre les inondations.

Interrogé par M. Michel Vuibert sur le point de savoir si les informations que son association avait transmises aux maires pendant la crise étaient seulement les informations officielles sur les cotes d'alerte ou le résultat d'observations effectuées sur le terrain, M. François Penoy a indiqué qu'il était lui-même informé par la Préfecture, qu'il était en liaison permanente avec la DDE et avait des contacts avec les barragistes, ajoutant que son association disposait d'un registre sur les crues antérieures et avait bénéficié de l'assistance d'un ingénieur qui faisait la synthèse de toutes ces informations. M. François Penoy a estimé qu'il croyait pouvoir dire que, de cette façon, il avait délivré la meilleure information du département.

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M. Louis Auboin, Président du SIVU-Inondations Charleville-Mézières-Warcq, a tout d'abord présenté les raisons de la création et les missions du SIVU Les inconvénients des crues, habituelles dans la région, étant de plus en plus mal supportés par les riverains, les communes de Warcq et de Charleville se sont mises d'accord en 1992 pour créer un SIVU, avec l'objectif de mettre en _uvre les moyens permettant de faire baisser le niveau des crues de 40 cm. Il a indiqué que le comité du SIVU était composé à parité de représentants des deux communes et que la répartition des dépenses se faisait au prorata du nombre de foyers .pieds dans l'eau» de chaque commune, soit 200 à Warcq et 520 à Charleville. Se fondant sur des études réalisées avant sa création, notamment à l'initiative du maire de Warcq, le SIVU, a indiqué M. Louis Auboin, a pu très rapidement proposer des travaux tendant à l'amélioration des crues de la Meuse, pour un montant de 16,5 millions de F., dont le financement sera assuré à hauteur de 9,9 millions de F. par le FEDER et de 500.000 F. par l'Etat, le solde étant à la charge des deux communes. Ces travaux sont de deux types: d'une part des dragages de la Meuse destinés à débarrasser le lit du fleuve des atterrissements qui s'y sont formés, d'autre part le creusement de déviations destinées à amener une importante quantité d'eau à rejoindre le cours normal du fleuve.

Selon M. Louis Auboin, l'expérience de ce SIVU montre d'une part, qu'il est possible de mettre en _uvre la collaboration intercommunale sur des questions d'une certaine importance, d'autre part qu'il n'y a pas de fatalité à subir les inconvénients des inondations, et que, sans prétendre régler l'ensemble du problème, on peut faire quelque chose pour les réduire. Signalant qu'il existe sur la Meuse six autres SIVU ayant le même objet, il a souhaité qu'ils puissent travailler ensemble pour parvenir à une meilleure prise en charge globale de l'ensemble du bassin et, ainsi, à une plus grande efficacité.

M. le Président ayant fait état du reproche parfois fait su SIVU de résoudre les problèmes à un endroit donné en les reportant sur l'aval, M. Louis Auboin a indiqué que des études ont été menées sur le sujet depuis de nombreuses années, dont il ressort que les craintes, au demeurant légitimes, que Charleville et Warcq règlent leurs problèmes d'inondations su détriment de l'aval ne sont pas fondées et a insisté sur le fait que les travaux du SIVU n'entraîneront aucun inconvénient supplémentaire pour les communes situées en aval. Il a précisé que, concrètement, ils se traduiront par un débit d'eau supérieur de 2 m3 pour un débit de 750 à 800 m3, correspondant à une crue très importante, ce qui est donc absolument négligeable. Les maires et conseillers généraux concernés ainsi que les associations ont d'ailleurs eu connaissance de ces études.

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Compte rendu de la réunion tenue à Monthermé

M. Louis Keller, maire de Monthermé, a dit à la Commission n'avoir reçu qu'un seul message écrit, le 14 décembre, alors que la cote d'alerte avait été dépassée à partir du 20 décembre, les informations qu'il avait dû ensuite demander lui-même à la Protection civile s'étant révélées souvent complètement erronées. Il a pris comme exemple le cas du 20 décembre, où, à 19 heures, était annoncée une accentuation de la crue d'au plus 40 cm alors qu'en réalité l'eau a monté trois fois plus, de sorte que les précautions prises par les habitants sur la base des indications fournies se sont révélées tout à fait inadaptées au phénomène, et qu'il a fallu faire appel à l'armée pour dégager sept familles. Selon M. Louis Keller, s'il est évidemment préférable que l'information arrive le plus tôt possible pour se protéger efficacement, le plus important est l'exactitude de l'information transmise, car les mesures à prendre ne sont pas les mêmes selon que l'eau monte de 30 ou 80 cm.

M. le Président a fait état des réflexions en cours dans les services de l'Etat pour améliorer l'information des élus et de l'intention du Préfet des Ardennes de tester un nouveau système avant la survenance de nouvelles crues.

M. Louis Keller a manifesté son intérêt pour ces initiatives, dont il n'avait jusque là pas eu connaissance. Par ailleurs, il a fait part de ses très vives inquiétudes sur les conséquences néfastes que pourraient avoir sur le niveau des crues à Monthermé les travaux que va entreprendre le SIVU Charleville Mézières-Warcq. Enfin, il a critiqué l'insuffisance du dispositif d'alerte pour la commune de Monthermé. En effet, alors qu'elle est située au confluent de la Meuse et de la Semois qui ont des caractéristiques très différentes et dont la conjonction des crues, comme l'hiver dernier, est catastrophique, la situation sur la Semois n'est pas prise en compte dans le dispositif d'alerte.

M. le Président, tout en admettant qu'il faille rester vigilant sur les conséquences que peuvent avoir des aménagements du lit, comme ceux projetés par le SIVU, sur l'ensemble du bassin, a rappelé que les études réalisées sur le sujet concluaient en l'occurrence à une incidence négligeable, et estimé qu'il fallait donc se garder de trop alarmer les populations.

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M. Pierre Tassin, Maire de Givet, a exposé que le 20 décembre 1993, il avait été averti par la préfecture que la Meuse, qui était à 4,40 m depuis plusieurs jours, allait monter de 30 à 40 cm dans la nuit. Or le lendemain matin, l'eau était à 5,17 m, ce qui a notamment conduit à évacuer les malades d'une clinique dans des conditions difficiles, avec l'aide de l'armée, alors qu'une information exacte aurait permis une évacuation préventive.

M. le Président ayant fait état du décès, lors de l'inondation, d'une personne âgée dans la commune de Givet, M. Pierre Tassin a indiqué que les trois quarts des personnes dont les maisons avaient été inondées -au nombre de 400 à 500 avaient refusé de les quitter malgré les recommandations des pompiers. Il a précisé que la personne qui est décédée avait été prévenue et avait catégoriquement refusé de partir de chez elle, et que personne n'avait le pouvoir de l'y contraindre.

Interrogé. par M. le Président sur les conditions de l'indemnisation des dégâts, M. Pierre Tassin l'a qualifiée de loterie, expliquant que selon les enquêteurs auxquels ils avaient eu affaire, certains habitants ont eu la chance d'être bien et rapidement indemnisés, alors que d'autres n'ont encore quasiment rien reçu. Il a ajouté que les dégâts subis par la commune s'élevaient à environ 3 millions de F., pour l'essentiel en ce qui concerne les chaussées, et qu'elle n'avait encore touché aucune aide de l'État.

Enfin, M. le Président ayant fait état des propos tenus lors de son audition par la Commission par le Président de Voies Navigables de France, selon qui il est régulièrement procédé à des dragages sur la Meuse, M. Pierre Tassin les a vigoureusement réfutés, précisant que, depuis trente ans qu'il habite à Givet, il n'a vu qu'un seul dragage.

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M. Pierre Gendarme, Président de l'association de défense des riverains contre les inondations de la Meuse et de ses affluents (Adrima), a été invité par M. le Président à s'exprimer notamment sur les moyens qu'il pense devoir être mis en _uvre en matière forestière pour lutter contre les inondations. Il a exposé comment, selon lui, les conditions modernes d'exploitation de la forêt au moyen de routes facilitent, dès qu'il pleut, la création de véritables torrents transportant des alluvions qui se déposent dans les rivières. Rappelant que de 1958 à 1984, ne s'était produite aucune inondation, alors que depuis cette date elles surviennent de plus en plus fréquemment et avec une ampleur croissante, il a estimé qu'il s'agissait là des conséquences de la destruction du système forestier mise en _uvre depuis 50 ans. Il a suggéré que soient créées des retenues temporaires de 150.000 ou 200.000 m3, dont il a estimé le coût, pour 400 bassins, à environ 1 milliard de F., somme qui, rapportée aux 300 millions de F. versés par les compagnies d'assurance depuis 1984 au titre de l'indemnisation des dégâts des inondations, ne lui parait pas considérable.

Par ailleurs, M. Pierre Gendarme a signalé que de nombreuses personnes se plaignent de retards énormes dans l'indemnisation et que certaines avaient vu leurs contrats d'assurance résiliés à la suite du sinistre.

Abordant ensuite le fonctionnement du système d'annonce, il s'est déclaré furieux de la façon dont les choses se sont passées pendant l'hiver 1993 et peu optimiste pour l'avenir car le futur système Sardac, pour un coût de 280 millions de F., n'effectuera pas de la prévision mais permettra seulement la transmission automatique de hauteurs d'eau instantanées. Enfin, il a exprimé son inquiétude à propos des travaux envisagés par le SIVU de Charleville-Mézièers-Warcq, des études menées par des ingénieurs membres de l'association ayant conclu qu'ils se traduiraient par une augmentation de la hauteur des crues en aval d'environ 18 cm.

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M. Nicolas Parant, chef du service départemental de l'Office national des forêts a commencé par rappeler le rôle de la forêt dans le cycle de l'eau. Tout d'abord, a-t-il indiqué, les feuillages des arbres retiennent l'eau qui s'évapore ainsi en partie sans toucher le sol. Pour l'eau qui arrive jusqu'au sol, l'humus forestier joue un rôle d'éponge. En outre, le réseau racinaire facilite l'infiltration des eaux. Au total, la forêt joue donc selon lui un rôle très bénéfique pour réduire le ruissellement. Le bassin de la Meuse, très boisé, devrait donc normalement être relativement régulé.

M. Nicolas Parant a ensuite abordé la question des routes forestières, dont la responsabilité a été mise en cause dans l'aggravation ders inondations. Il a reconnu que les pistes forestières ont été récemment multipliées et qu'elles ont une fonction de drainage, mais insisté sur le rôle essentiel qu'elles jouent pour l'exploitation économique de la forêt. Cela étant, il a précisé que les pistes ne drainent pas l'eau qui tombe sur la forêt qu'elles traversent, mais seulement celle qui tombe directement sur elles, et que, ne représentant que 3 % de la surface forestière, elles ne peuvent en toute hypothèse que jouer un rôle négligeable, notamment par rapport aux routes.

Selon M. Nicolas Parant, l'ampleur inhabituelle des dernières inondations s'explique par les circonstances météorologiques exceptionnelles constatées en décembre 1993 lorsque chaque mètre carré de terrain reçoit 165 cm3 d'eau, l'eau ne peut que ruisseler.

S'agissant des solutions à mettre en _uvre d'une manière générale pour lutter contre les iondations, il en a identifié deux. La première consiste à ralentir l'écoulement des eaux pluviales avant qu'elles n'arrivent jusqu'aux rivières. Sur les moyens pour y parvneir, M. Nicolas Parant n'a pas voulu porter d'appréciation sur les retenues suggérées par M. Pierre Gendarme, et s'est borné à indiquer qu'il suffisait peut-être de développer les zones inondables. La seconde solution consiste à accélérer l'écoulement de l'eau dès lors qu'elle est parvenue dans le fleuve, en effectuant régulièrement des dragages.

En conclusion, M. Nicolas Parant a admis qu'il y avait eu dans le passé des politiques forestières discutables, par exemple, en 1936, le reboisement en conifères de zones humides dans des conditions peu satisfaisantes. Il a souligné qu'ajourd'hui, au contraire, on faisait très attention notamment à maintenir les zones humides, en raison de leur rôle écologique et de leur importance dans la prévention des inondations.

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Compte rendu de la réunion tenue à Warcq

M. Luc Pierquin, Maire de Warcq, après avoir rappelé que Warcq est l'une des communes les plus inondées de France, a présenté les conclusions du Livre Blanc élaboré par la municipalité pour retracer les efforts consentis depuis 1982 dans la lutte contre les inondations. Il a insisté notamment sur le fait que les habitants de Warcq ne s'étaient jamais résignés aux inconvénients résultant de la situation de la commune à un confluent, mais qu'ils avaient au contraire décidé de se mobiliser pour améliorer l'alerte et renforcer la solidarité. Il s'est félicité du partenariat mis en _uvre dans le cadre du SIVU constitué avec Charleville-Mézières et a souhaité que d'autres communes s'engagent dans la même voie. Enfin, il a souligné la nécessité de mener une réflexion globale et permanente dans le cadre d'une instance à créer qui devrait regrouper l'ensemble des parties concernées sur la totalité du bassin de la Meuse.

M. le Président a estimé remarquable l'action menée à Warcq en matière de solidarité et a demandé sur quelles bases celleci était organisée.

M.Luc Pierquin a indiqué que l'entraide n'avait pas été organisée jusqu'en 1983, mais qu'à la suite des brassages de population qu'avait alors connu la commune, il avait jugé utile d'écrire à tous les habitants pour leur demander dans quelle mesure ils pourraient participer à une action commune. Il a précisé que le mouvement comptait actuellement 95 personnes, avec des responsables par quartier reliés entre eux ainsi qu'à la mairie par talkie-walkie, et qu'une fois par an étaient effectués des exercices sur la Meuse.

M. le Rapporteur ayant souhaité obtenir des précisions sur le calendrier et le financement des travaux programmés par le SIVU associant Charleville-Mézières et Warcq, M. Luc Pierquin, après avoir souligné que la formule du SIVU permettait à la commune de conserver son indépendance, a indiqué que les travaux s'élevaient à environ 20 millions de F. et que les aides avaient été obtenues très rapidement de la Commission européenne car ledossier, en gestation depuis 1982, était très au point, et des crédits restaient disponibles au moment où il a été présenté.

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Compte rendu de la réunion tenue

à la sous-préfecture de Réthel

M. Pierre Lefèvre, Président de l'association des inondés du Gingembre, après avoir précisé que le Gingembre est un quartier de Rethel qui subit fréquemment des inondations, a indiqué que la population de ce quartier avait relativement mal vécu celles de l'hiver 1993, ayant été surprise par une montée de l'Aisne d'une ampleur et d'une rapidité exceptionnelles -90 cm dans la nuit du 22 au 23 décembre- sans avoir été prévenue de la probabilité d'un tel risque. L'association estime que le quartier devrait être protégé par une action de curage et de digage.

M. Jean Desanlis s'est enquis du point de savoir si la mairie avait été avertie de la possibilité d'une telle montée de l'eau.

M. Michel Vuibert, député des Ardennes, maire de Réthel, a indiqué avoir reçu un télégramme laconique dont il n'avait pas été fait une bonne lecture, car il ne se différenciait pas suffisamment de ceux adressés régulièrement à la mairie en période d'inondations et ne permettait pas de comprendre que l'eau risquait de monter de 93 cm en si peu de temps. Il a rappelé qu'à 6 heures du matin le 23 décembre 1993, une véritable vague a tout submergé en 2 ou 3 heures, transformant une inondation jusque là «normale. en inondation exceptionnelle, sans au demeurant que le phénomène ait pu être vraiment expliqué.

M. le Rapporteur ayant demandé si les habitants du quartier du Gingembre seraient disposés à participer financièrement à des opérations de protection contre les inondations, M. Pierre Lefèvre a précisé que ce ne sont pas les riverains qui sont proprpiétaires des terrains situés le long de l'Aisne, mais la ville.

M. le Président lui ayant fait remarquer que l'endiguement qu'il préconise aurait pour effet de déplacer le problème vers l'aval, M. Pierre Lefèvre a assuré en avoir parfaitement conscience, faisant valoir que les inondations posent quand même moins de problèmes dans des secteurs de prairies que dans des zones urbanisées.

Enfin, évoquant l'indemnisation des dommages subis à l'occasion du sinistre de l'hiver dernier, M. Pierre Lefèvre a indiqué qu'elle avait été opérée dans des conditions inégales, tant en ce qui concerne les modalités de remboursement que la rapidité de traitement des dossiers, mais qu'à sa connaissance tous les foyers touchés avaient maintenant été indemnisés.

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M. Jean-Paul Davesne, président de Nature et avenir a souligné la nécessité de ralentir le cycle de l'eau pour lutter efficacement contre les inondations, et a condamné l'ensemble des pratiques actuelles qui vont dans le sens exactement inverse. Il a admis qu'en 1993 la pluviométrie sur les Ardennes avait été exceptionnelle pendant 10 jours, mais a estimé qu'il n'était pas normal pour autant qu'elle ait eu des conséquences aussi catastrophiques. Selon lui, plusieurs facteurs contribuent à aggraver la situation: le drainage, la disparition des zones humides, le curage des fossés et des rivières, les semelles de labour, les labours dans le sens de la pente, à la suite notamment des remembrements, les déboisements intempestifs, la suppression des talus, souvent à l'occasion de remembrements.

Il a présenté les propositions de son association destinées à prévenir les inondations: substituer des jachères sur les zones humides situées en bordure des rivières, boiser les fonds de vallées et les berges, encourager la création de haies et de talus, imposer des mesures compensatoires lorsque doivent impérativement être réalisés des travaux ayant pour effet d'accélérer le cycle de l'eau.

M. le Président l'ayant interrogé sur les modalités de financement de telles opérations, M. Jean-Paul Davesne a indiqué que, pour la plupart, elles ne coûteraient pas très cher et que leur mise en _uvre créerait un grand nombre d'emplois, faisant valoir qu'il est préférable de financer des «emplois verts» plutôt que d'indemniser des chômeurs.

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M. Guy Camus, agriculteur, maire de Nanteuil, a été sollicité par M.le Président de donner son avis sur la proposition de jachères inondables formulée devant la Commission par M. Pierre Cormorèche, Président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Il s'y est déclaré favorable si les agriculteurs pouvaient choisir les terres à mettre ainsi en jachère, mais a réservé son jugement dans le cas contraire. Il a ajouté qu'en toute hypothèse il fallait prendre garde à ce que des vallées entières ne soient considérées comme impropres à l'agriculture.

Interrogé ensuite par M. le Président sur l'influence de l'orientation des sillons sur l'écoulement des eaux, M. Guy Camus a estimé qu'elle était négligeable, la principale différence selon lui étant entre les prairies, où l'eau reste, et les terres cultivées, où elle s'infiltre. Il a par ailleurs souligné l'intérêt qu'il y aurait à enlever les graviers qui encombrent le lit des rivières. En effet, leur accumulation gêne l'écoulement de l'eau et finit par avoir pour effet de modifier le cours de la rivière par effondrement des berges. Il a donc vivement regretté que les particuliers ne soient pas autorisés à procéder à l'enlèvement de ces graviers, qui peuvent être très utiles notamment aux agriculteurs. Il a d'ailleurs noté qu'à la hauteur de la commune de Viry, la rivière débordait beaucoup moins, la raison en étant selon lui qu'étant navigable à cet endroit, elle a sans doute été creusée. II s'est demandé également s'il ne serait pas utile de créer de petites retenues sur les affluents de l'Aisne, à supposer que cela ne nécessite pas des investissements trop importants.

M. le Président a remercié l'ensemble des intervenants.

Déplacement effectué par la Commission

dans les départements du Gard et des Bouches-du-Rhône

les 4 et 5 juillet 1994

Au cours de ce déplacement, ont été tenues trois réunions de travail, successivement à Nîmes (Gard), à Beaucaire (Gard) et à Charleval (Bouches-du-Rhône)

Compte rendu de la réunion tenue à Nîmes

Après que M. Jean Bousquet vice-président de la commission d'enquête et maire de Nîmes, eut souhaité la bienvenue aux membres de la commission et aux représentants des services de l'État participant à la prévention et à la lutte contre les inondations, M. Guilhem Fabre, maire adjoint de Nîmes, a présenté les particularismes géographiques du site de Nîmes. Il a relevé que la garrigue environnante était incisée de six vallons principaux, dénommés cadereaux, qui sont secs onze mois par an, mais se transforment en véritables torrents lors de fortes précipitations. La zone de piémont est fortement urbanisée, la plupart des cadereaux ayant été couverts. Ceux-ci se déversent en aval autour du Vistre, et les pentes étant relativement faibles, les eaux s'évacuent difficilement.

M. Michel Desbordes, directeur du laboratoire d'hydrologie mathématique à l'université des sciences et techniques du Languedoc Roussilon, a ensuite présenté l'événement pluvio-orageux du 3 octobre 1988.

Il a mis en évidence l'importance et la durée (6 à 7 heures) des précipitations survenues ce jour-là. Si ce type de phénomène orageux n'est pas exceptionnel pour le LanguedocR,oussillon puisqu'il se produit environ une fois par an, la probabilité pour qu'il survienne dans un même lieu est très faible, la période de retour étant de 100 à 150 ans.

II a indiqué que la gravité du phénomène nîmois s'expliquait par la structure particulière du système hydrologique un amphithéâtre ramassé où les délais de mobilisation de l'eau sont relativement courts - et par la forte cadence des précipitations : les deux vagues de pluies survenues à partir de 7 h 30 se sont abattues sur des terrains qui avaient été saturés par une première pluie tombée entre 4 et 7 heures et sur des cours d'eau dont la crue était déjà amorcée.

M. Michel Desbordes a enfin relevé que des précipitations de ce type avaient été observées en d'autres lieux comme Narbonne en 1989, Orange en 1991, Vaison-la-Romaine en 1992 ou Arles en 1993. Il l'a imputé au hasard et aux aléas climatiques - qui font que des années de précipitations peuvent succéder à des années de sécheresse - plutôt qu'à un réchauffement global du climat.

M. Jean Bousquet a alors souligné la violence particulière de l'orage survenu le 3 octobre 1988. Cette précipitation a touché l'ensemble de la ville - et non, comme d'habitude, une zone particulière - sur un terrain qui avait été imbibé par un orage moyen survenu trois jours auparavant après une année de sécheresse, de sorte que les rues ont été obstruées par la boue. Une telle conjonction d'éléments était sans doute tout à fait exceptionnelle.

M. Michel Desbordes a indiqué que le risque dépendait d'une part de l'aléa climatique, d'autre part de la vulnérabilité du site qui tient à la topographie des lieux, à l'organisation du réseau hydrographique et surtout à la nature des implantations réalisées dans la zone.

M. Jean-Charles Rey, directeur de l'urbanisme opérationnel de la mairie de Nîmes, a exposé la situation de la ville en matière d'urbanisme. Il a rappelé que pendant les années soixante, la garrigue avait été .mitée. de voies d'accès, souvent confondues avec les cadereaux, et gagnée par l'urbanisation. Par ailleurs, la voie ferrée Tarascon-Montpellier - qui est en talus sur une bonne partie du tracé -, le boulevard sud et l'autoroute A9 tous deux surélevés- ont constitué autant de barrières artificielles freinant l'écoulement des eaux. Enfin, les cadereaux à l'intérieur de la ville, qui étaient autrefois à ciel ouvert, ont progressivement été couverts par la voirie. Cette urbanisation, qui n'a pas pris en compte les phénomènes naturels, a eu pour conséquence d'accroître les risques pesant sur les biens et les personnes.

M. Jean Poudevigne, directeur de l'unité fonctionnelle hydraulique de la mairie de Nîmes, a ensuite présenté le réseau pluvial de la ville dont il a souligné le caractère inadapté. Il a indiqué que la capacité maximale de débit du réseau était très inférieure aux débits constatés le 3 octobre dont l'occurence moyenne était de 5 ans, cette capacité ayant été encore réduite ce jour-là par des matériaux qui avaient obstrué les grilles situées à l'entrée des réseaux souterrains. Par ailleurs, les cadereaux étaient obstrués par des canalisations installées au fil du temps par GDF, France Telecom ou les concessionnaires de l'eau. Des contacts ont été pris avec ces organismes pour que ces ouvrages soient dégagés.

M. Jean-Louis Géraud, directeur du cabinet du préfet, est intervenu pour présenter le dispositif d'alerte et de secours. Le plan ORSEC - qui était le seul dispositif de secours existant à l'époque - a été déclenché par le préfet le 3 octobre 1988 à 11 heures, après que le directeur départemental des services d'incendie et de secours l'eut informé de la situation. Les hélicoptères, qui sont intervenus dès les premières heures de la catastrophe, ont permis d'éviter le pire et de sauver des dizaines de personnes réfugiées sur le toit de leurs maisons.

M. Jean-Louis Géraud a ensuite rappelé qu'il n'y avait pas eu d'alerte pour cette catastrophe et que tout le monde avait été surpris. Un bulletin météo spécial en date du 2 octobre annonçait un risque de pluie de forte intensité (80 mm) mais ne précisait pas sa localisation sur le pourtour méditerranéen. Rien ne permettait donc de prévoir l'intensité de la précipitation sur le bassin de Nîmes.

Il s'est déclaré frappé moins par l'absence d'alerte - qui est d'une certaine façon inévitable pour un phénomène de ce type que par le manque d'informations sur la nature et l'importance de la catastrophe après qu'elle se soit produite. Il a insisté sur l'isolement des pouvoirs publics du fait de la coupure des liaisons téléphoniques - les salles de transmission des centraux principal et secondaire avaient été inondées- et de leur non suppléance par des réseaux hertziens, seul le système REGIS entre la préfecture et le ministère de l'Intérieur ayant continué à fonctionner.

M. Jean-Louis Géraud a conclu en rappelant que les événements pluvio-orgageux de 1988 et 1990 avaient conduit à réactualiser le plan'ORSEC et à élaborer un règlement opérationnel d'alerte en cas d'inondation par ruissellement sur la ville de Nîmes. Elaboré en juillet 1991, puis réactualisé en septembre 1993, ce plan d'alerte constitue un bon exemple de partenariat entre l'Etat et une collectivité locale.

M. le Président a fait état des propos du directeur de cabinet du préfet des Ardennes selon lequel le seul intérêt du plan ORSEC est d'ordre budgétaire, et a demandé son opinion à M. Jean-Louis Géraud sur le plan ORSEC. Celui-ci a confirmé les propos rapportés par le Président. Il a indiqué que le premier souci du préfet après une catastrophe était de mettre en place une cellule d'urgence destinée à coordonner les secours, et que le plan ORSEC n'était qu'un outil supplémentaire de mobilisation des moyens. Par ailleurs, contrairement à une idée reçue, son déclenchement n'entraîne pas de facto un transfert des charges financières des collectivités locales vers l'État.

Revenant sur les propos de M. Jean-Louis Géraud sur l'absence d'informations précises fournies par la météo, M. le Rapporteur a demandé si les systèmes d'alerte avaient évolué depuis 1988.

M. Jean-Louis Géraud a répondu par l'affirmative: un dispositif nouveau a été mis en place qui gradue le niveau d'alerte en fonction de l'importance des précipitations (en dessous de 40 mm, entre 40 et 60 mm, plus de 60 mm).

M. le Rapporteur a rappelé que le radar de Nîmes avait été totalement inefficace lors de l'inondation survenue en octobre 1993 sur Bollène.

M. Jean Bousquet a alors souligné la nécessité de mettre en place un système de communication fiable. Rappelant que, le 3 janvier 1988, il était impossible de communiquer avec la préfecture et les pompiers, il a évoqué la situation des familles restées sans nouvelles de leurs enfants partis à l'école, privées d'électricité, dans l'état de panique que l'on devine.

M. Jean-Louis Géraud a abondé dans ce sens. En raison de la défaillance des équipements téléphoniques, les pouvoirs publics étaient eux-mêmes complètement isolés. Depuis, des travaux ont été effectués pour mettre hors d'eau la plupart des systèmes de communication.

M. Jacques Kimpe, directeur général des services municipaux de la mairie de Nîmes, est alors intervenu pour décrire le régime des astreintes municipales. Modifié après la catastrophe du 3 octobre 1988 en liaison avec les services préfectoraux, il prévoit la mobilisation des cadres territoriaux, l'appel aux entreprises, la coordination avec la préfecture et l'alerte de la population. Un bulletin météo spécial est désormais adressé par Météo France lorsqu'apparait le moindre risque.

M. Jacques Kimpe a poursuivi en présentant l'organisation de l'administration pendant le sinistre. Revenant d'abord sur la situation des familles privées de nouvelles de leurs enfants partis à l'école, il a souhaité que des dispositions soient prises avec l'Education nationale pour assurer une meilleure information des partents dans ce genre de circonstances.

Il a ensuite présenté les nouvelles structures mises en place au sein de la mairie peu après la catastrophe pour assurer le ravitaillement de la population, le stockage et la distribution des vêtements, le relogement et la restauration des sinistrés : un centre de gestion et d'assistance juridique a été créé à l'attention des personnes dépourvues de toute police d'assurance (environ 50 96 de la population dans les quartiers défavorisés), à l'égard desquelles a joué la solidarité.

Le territoire de la commune a été divisé en 14 secteurs, ce qui a facilité l'intervention en faveur des personnes restées à l'écart, seules dans leur habitation, au milieu des eaux.

M. Jacques Kimpe a ensuite présenté le système d'évaluation du préjudice pour les particuliers et les entreprises et a souhaité la création d'un logiciel national qui permette de traiter l'information en temps réel. Il s'est également prononcé en faveur de la conclusion d'accords nationaux avec les entreprises, définissant les priorités dans l'envoi d'équipements de secours.

Il a conclu en soulignant le travail accompli par la commission chargée d'examiner les 5.000 dossiers de demande d'aide, qui, composée d'élus municipaux de toutes tendances, a fonctionné dans des conditions de transparence et de lisibilité permettant à 3.000 foyers d'être remeublés dans les huit jours.

M. Jean Bousquet a souligné la rapidité avec laquelle ce système s'est mis en place et estimé que les zones à risque devraient toutes prévoir un dispositif de ce type. Rappelant que l'arrivée des touristes à partir du quatrième jour avait créé une gène, il a souhaité que la-préfecture puisse, dans ces circonstances, isoler la ville.

M. Guy Hermier a souhaité des précisions sur l'intervention des compagnies d'assurance et l'indemnisation des personnes non assurées.

M. Jacques Kimpe a indiqué que l'objectif était de parvenir à une indemnisation identique pour les assurés et les non assurés et que la solidarité avait pallié l'absence de couverture par une assurance. Il a indiqué que sur des dégâts estimés à 4 milliards de F., les assurances avaient déboursé 1,9 milliard de F., ajoutant qu'il n'y avait pas eu de difficultés réelles avec les compagnies d'assurance et que le dispositif avait bien fonctionné.

Il a souligné que les dons reçus - plus de 70 millions de F. -ont été entièrement affectés aux particuliers, ils n'ont pas été utilisés par la collectivité pour réparer ses propres dégâts.

A M. le Rapporteur qui demandait des précisions sur la composition de la commission d'attribution des secours, M. Jacques Kimpe a indiqué qu'elle comprenait les associations caritatives. Afin d'éviter tout abus, les dossiers de demande étaient affectés d'un matricule et un règlement d'attribution des aides avait été préalablement approuvé par l'ensemble des associations et par les membres de la commission.

M. le Rapporteur l'ayant interrogé sur les modalités d'indemnisation des artisans et commerçants, M. Jacques Kimpe lui a précisé qu'un dispositif complexe d'évaluation des dégâts avait été mis au point avec l'aide d'experts. Il a indiqué que beaucoup d'artisans n'avaient pas d'assurance .pertes d'exploitation» et que les chambres consulaires et les services de l'Etat - par l'intermédiaire de fonds structurels existants-ont participé à leur indemnisation.

M. le Rapporteur s'étant déclaré surpris qu'un traitement identique ait été réservé aux assurés et aux non-assurés, M. Jacques Kimpe a précisé que cette question, sur laquelle les avais étaient partagés, avait suscité un débat interne. Mais à l'examen des dossiers, il est apparu que les non-assurés étaient des personnes à la limite de l'exclusion et qu'il était difficile, en leur refusant toute indemnisation, d'aggraver encore leur situation. Répondant à M. Guy Hermier, il a précisé que les compagnies d'assurance n'étaient pas intervenues en faveur des non-assurés.

M. le Président a déclaré comprendre la décision prise par la mairie de Nîmes mais il a noté que, dans son département, le nombre de dossiers de non-assurés ne s'élevait qu'à quatre ou cinq et s'est interrogé sur cette disparité. Rappelant que les offices nationales d'HLM devraient exiger une police d'assurance, il s'est demandé si des contrôles étaient effectués.

M. Jacques Kimpe a déclaré ne pas connaître la raison de la disparité géographique ainsi constatée. Il a précisé que les offices d'HLM exigent effectivement une quittance d'assurance, mais que la plus grande partie des non-assurés étaient soit des propriétaires occupants à faible revenu, soit des propriétaires qui louaient sous le régime de la loi de 1948 et ne se préoccupaient pas des questions d'assurance.

M. Guy Hermier a souhaité savoir ce qui avait été fait à Nîmes en matière d'aide financière immédiate.

M. Jacques Kimpe a indiqué qu'avait été créée une association du type loi de 1901 -Nîmes-Solidarité- placée, à la demande de la mairie, sous le contrôle de la chambre régionale des comptes, en raison de l'inadaptation des règles de comptabilité publique et a précisé que les aides en argent avaient été limitées su maximum.

M. Jean Bousquet s'est prononcé en faveur de la création d'un fonds commun des assurances qui débloquerait des aides d'urgence. Il a également défendu l'idée d'une participation des compagnies d'assurance à l'effort de prévention dans les zones à risque, qui, en outre, aurait sans doute pour effet de faire souscrire des contrats à des personnes qui ne sont pas assurées.

M. le Président a jugé logique que les assurances participent aux actions de prévention, le problème étant toutefois de déterminer les zones à risques où elles interviendront.

M. Jean Bousquet a par ailleurs évoqué la nécessité de réviser le décret du 10 mars 1972 qui limite la participation de l'État à 10 96 du financement. Les 100 millions de F. débloqués par l'État n'ont pas pu être utilisés car la ville aurait dû débourser 900 millions de F., ce qu'elle n'avait pas les moyens de faire.

M. Jacques Kimpe a indiqué que ce décret de 1972 soulevait deux problèmes. D'une part, selon un principe d'antériorité, l'intervention est suspendue à l'autorisation administrative d'attribution de la subvention. D'autre part, cette subvention est versée au fur et à mesure de la réalisation des travaux et sur présentation de justificatifs. Dans une situation d'urgence, il faudrait prévoir que les fonds puissent être débloqués tout de suite.

M. le Président a estimé qu'il s'agissait là d'une suggestion intéressante qui pourrait faire l'objet d'une proposition de la Commission.

Le Commandant Jean-Paul Morin, chargé des opérations au centre opération de la direction de la Sécurité civile (CODISC), après avoir évoqué les efforts menés depuis vingt ans par les sapeurs-pompiers pour se préparer à faire face aux risques d'inondation et de feux de forêt, a exposé le déroulement des secours pendant la journée du 3 octobre 1988. Il a d'abord indiqué qu'il lui avait été difficile de traverser la garrigue pour rejoindre son commandement et qu'il n'avait pu arriver au CODISC que vers midi.

II a ensuite indiqué que le CODISC -situé près d'un caderesu -avait été inondé dès à heures du matin. En conséquence, les liaisons radio et les liaisons téléphoniques étaient coupées. Bien qu'isolées de leur centre de commandement, certaines unités de sapeurs-pompiers ont pris l'initiative de demander des renforts à leurs collègues du nord du département ou de l'Hérault.

Il a signalé que les colonnes de renfort avaient eu du mal à pénétrer dans Nîmes à cause des flux d'eau et des difficultés d'accès. Il s'est par ailleurs posé la question de savoir si les hélicoptères de la sécurité civile, qui se sont tout de suite portés au secours des victimes, n'auraient pas dû plutôt effectuer un premier repérage de la situation pour évaluer le sinistre.

Le Commandant Jean-Paul Morin a ensuite souligné que le commandement s'était relativement vite structuré comme le pévoit le plan ORSEC, Nîmes intra-muros a été divisé en quatre secteurs et placé sous le commandement du chef de corps, Nîmes extra-muros sous le commandement du CODISC et du commandant Marin, le commandement de l'ensemble étant assuré par le Colonel Mercier, directeur du service départemental d'incendie et de secours.

Il a souligné que l'existence d'un commandement unique était un fait positif. Il a noté que l'expérience acquise en matière de feux de forêts ainsi que l'existence d'une structure de transmission conséquente avaient permis aux services de secours de réagir rapidement. Il a conclu en indiquant que son commandement s'était assez vite structuré puisque le premier ordre de transmission avait été mis en place 17 à 18 heures après le sinistre.

M. Guy Hermier ayant demandé si la localisation du CODIS en zone inondable avait été modifiée, le Commandant Jean-Paul Morin a répondu par la négative: le CODISC est toujours en zone inondable mais il a été placé su plus haut de l'immeuble où se trouve le service départemental d'incendie et de secours. Des dispositions ont été également prises avec France Telecom pour sécuriser le réseau téléphonique, de sorte qu'en cas d'inondations, 70 96 des liaisons radio peuvent maintenant être assurées.

M. Guy Hermier s'est également inquiété des très grandes difficultés à assurer les liaisons radio et s'est étonné de la longueur du délai qui s'est écoulé avant que les premiers ordres aient pu être donnés.

Le Commandant Jean-Paul Morin lui a répondu que ce n'étaient pas les premiers ordres qu'il avait évoqués mais un ordre complémentaire de transmission, précisant que malgré l'absence de communication, un embryon de réseau radio fonctionnait de sorte qu'il n'avait pas été totalement privés de liaison.

Après avoir souligné le nombre important d'·à peu près. contenus dans les propos du Commandant Jean-Paul Morin, M. Jean Bousquet a jugé inquiétants les faits rapportés. Il a espéré que des modifications étaient intervenues depuis. Il s'est étonné de l'arrivée tardive du Commandant à 12 heures sur les lieux de la catastrophe et de la mauvaise information sur la réalité du sinistre.

Le Commandant Jean-Paul Morin a rappelé que même en son absence, le CODISC n'était pas dépourvu de commandement. Il a indiqué que des renseignements avaient été transmis su CIRCOSC de Vallabres qui mentionnaient l'existence de fortes précipitations sur Nîmes et l'engagement des sapeurspompiers dans les opérations de .sauvetage mais ne fournissaient pas d'évaluation précise de la situation. Mais, fort de son expérience des feux de forêts, le CIRCOSC avait décidé d'envoyer douze colonnes de renfort.

M. le Rapporteur a noté qu'à Pertuis dans le Vaucluse, la caserne des sapeurs-pompiers avait été également inondée en premier. Cela s'explique par l'attitude des communes qui ont, pour ces installations, cédés à titre gratuit des terrains qui ne sont pas en hauteur. Il a demandé s'il y avait eu un recensement des casernes ou des CODISC situés en zone inondable.

Le Commandant Jean-Paul Morin lui a répondu par la négative. M. le Rapporteur ayant-ensuite demandé communication des bandes des transmissions radio du CIRCOSC de Vallabres, le commandant lui a indiqué qu'il devait s'adresser à la direction de la sécurité civile du ministère de l'intérieur.

M. Guy Hermier a souhaité obtenir des précisions sur les mesures qui avaient été prises pour assurer les liaisons.

Le Commandant Jean-Paul Morin a indiqué que des liaisons radio-électriques avaient été aussitôt établies avec la gendarmerie et que,ans les semaines qui ont suivi, un réseau commun a été mis en place avec la DDE tandis que le réseau commun existant avec l'ONF a été fiabilisé.

Répondant à M. le Président, le Commandant JeanPaul Morin a indiqué que les sapeurs-pompiers étaient départementalisés à 80 96 et à 100 96 pour le commandement et l'organisation des secours. M. le Président lui demandant si la situation aurait été différente en l'absence de départementalisation, le Commandant Jean-Paul Morin a souligné l'intérêt à disposer d'un état-major structuré coordonnant l'action de tous les sapeurspompiers.

M. le Président l'ayant interrogé sur les renforts de sapeurs-pompiers volontaires provenant des petites communes avoisinantes, le Commandant Jean-Paul Morin lui a indiqué que, dès à heures du matin, il avait appelé ses collègues d'Alès et qu'une colonne de renforts comprenant aussi bien des volontaires que des professionnels avait été envoyée.

M. Guilhem Fabre, adjoint délégué au maire, a ensuite présenté les grandes lignes du plan de protection contre les inondations (PPCI) de la ville de Nîmes. Ce plan prévoit une série d'aménagements -mise en place de bassins de retenue en amont afin de freiner les écoulements d'eau (cinq bassins ont été réalisés sur la vingtaine prévue) ;

- aménagement des cadereaux et des drains pour faciliter les écoulements en ville;

- mise en place de bassins de rétention en aval. Les infrastructures existantes -les autoroutes, le nouveau stade des Costières -ont été aménagées afin de servir de retenues.

Il a ensuite indiqué qu'un effort était mené pour mettre au maximum les cadereaux à ciel ouvert. Il a enfin vivement critiqué l'attitude du commissaire enquêteur qui a donné un avis défavorable à la deuxième demande d'utilité publique, ce qui bloque le lancement du PPCI. Répondant à M. Guy Hermier, il a souligné que la position du commissaire enquêteur n'était en rien justifiée sur le fond du dossier

M. Patrick Scheurer, secrétaire général adjoint aux équipements structurants de la ville de Nîmes, a exposé les principales étapes de l'élaboration du PPCI. Une première solution consistant à construire des tunnels en toit au-dessus de la ville permettant de réceptionner les eaux en amont et de les évacuer à l'Est et à l'Ouest, a été abandonnée. Ce dispositif très lourd aurait coûté 4,5 milliards de F. et l'Etat a refusé de débloquer les financements nécessaires. Un deuxième projet, plus raisonnable, a alors été élaboré qui vise à protéger les zones urbaines à 40 ans et les zones rurales à 100 ans.

La ville de Nîmes aurait souhaité disposer de la maîtrise d'_uvre sur l'ensemble du bassin (Nîmes et Vistre-Rhôny) mais elle n'a pas obtenu satisfaction: un syndicat intercommunal ayant été créé pour la région du Vistre-Rhony, la ville de Nîmes a la maîtrise d'_uvre sur son seul bassin. M. Patrick Scheurer a indiqué que la coordination avait réussi à être assurée, mais que les procédures d'intervention avaient été alourdies.

Il a ensuite décrit les principales étapes de la mise en _uvre du PPCI. La première demande de déclaration d'utilité publique, relative à la partie amont du bassin de Nîmes, a fait l'objet d'un avis favorable du commissaire enquêteur; mais la deuxième, relative à la partie aval, s'est vu opposer un avis défavorable d'un autre commissaire enquêteur. Après avis du Conseil d'État, le préfet a émis une déclaration d'utilité générale - qui ne vaut pas déclaration d'utilité publique - et demandé à la mairie de Nîmes de procéder à la mise en _uvre du plan, caderesu par cadereau. M. Patrick Scheurer a souligné que cette procédure était à la fois coûteuse en frais d'études et longue, comme en témoigne le fait que la déclaration d'utilité générale pour le premier cadereau n'a toujours pas été faite.

Répondant à M. le Président, MM. Patrick Scheurer et Guilhem Fabre ont précisé dans quelles conditions étaient décédées les victimes. Ils ont ajouté que leur nombre aurait été moins important si certaines imprudences n'avaient pas été commises, mais qu'en revanche, si la crue était survenue quelques heures plus tôt, pendant la nuit, ses conséquences auraient pu être encore plus dramatiques.

A M. Guy Hermier qui lui demandait si des premiers travaux avaient déjà été réalisés, M. Patrick Scheurer a indiqué que quelques travaux d'urgence avaient pu être effectués dans le cadre de procédures dérogatoires.

Selon le schéma retenu à l'époque par le ministre de l'Environnement, M. Brice Lalonde, la ville de Nîmes est maître d'ouvrage général de l'ensemble des études tandis que chaque mettre d'ouvrage (DDE, DDR, ASF, SNCF) conduit les travaux dans son domaine particulier et élabore son propre montage financier. Le contrôle de l'exécution des travaux est effectué par le cabinet d'étude Merlin qui est le maître d'_uvre du PPCI. M. Patrick Scheurer a ensuite présenté le montage financier du projet. Son coût global s'élève à 670 millions de F. valeur 1989, dont 526 millions de F. sont à la charge de la ville de Nîmes. Compte tenu des subventions que la ville a pu obtenir de l'État, de la région, du département et de l'Agence de l'eau, la mise en _uvre du plan de prévention exige de la ville des investissements de 40 millions de F. par an pendant 10 ans, ce qui est très important pour une commune. Le ministre de lTnvironnement a été saisi d'une nouvelle demande de participation de l'État à ces projets.

Tout en comprenant les hésitations de l'État à subventionner les projets de prévention des risques engagés par les villes, il a proposé qu'après une catastrophe naturelle, les projets soient examinés par une commission spécifique qui propose au cas par cas su gouvernement de débloquer des financements en fonction de la nature du risque et de la capacité financière de la commune. Par ailleurs, il a souhaité que l'armée participe à la prise en charge des travaux, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Répondant à M. Guy Hermier, M. Patrick Scheurer a indiqué que, du fait des problèmes de procédure, les travaux ne pourraient être engagés que dans douze mois. Mais, dans le cadre de procédures dérogatoires, des travaux d'urgence ont pu être réalisés à hauteur de 100 millions de F. (88 millions de F. pour les travaux proprement dits et 12 millions de F. pour les études).

M. Guy Hermier a relevé qu'il aura fallu sept à huit années, à partir de la catastrophe, pour mettre en _uvre le plan de prévention et une dizaine d'années pour trouver une solution.

M. Patrick Scheurer a confirmé cette présentation: les travaux se dérouleront su rythme d'une autorisation par caderesu tous les six mois et la ville en compte huit.

M. le Rapporteur et M. le Président l'ayant interrogé sur l'attitude des services de l'État, M. Patrick Scheurer a indiqué que les dossiers étaient préparés avec eux, qu'il y avait une très bonne coopération et que les services de l'Etat n'avaient jamais manifesté la volonté de retarder la procédure. Il a insisté sur le fait que c'était uniquement le caractère indadapté de la procédure qu'il avait mis en cause.

Après que M. Guilhem Fabre eut brièvement présenté les deux systèmes d'alerte, Calamar et Noé, M. Gilles Leblanc, directeur départemental de l'équipement, a évoqué l'ensemble des réseaux techniques d'alerte sur l'ensemble du département. Ces réseaux, mis en place par l'Etat et le département, sont constitués de 31 stations automatiques qui collectent des données sur les précipitations et les hauteurs des cours d'eau. Ces données sont ensuite transmises par radio au centre d'annonce de crues. Si pour les bassins versants dont les délais de réponse sont supérieurs à trois heures, le dispositif est efficace, il est en revanche inopérant pour détecter ou prévoir des phénomènes pluvio-orageux très localisés comme celui du 3 octobre 1988. Certaines communes sont donc vulnérables aux inondations par ruissellement faisant suite à une pluie torrentielle survenue sur un petit bassin versant.

M. Gilles Leblanc a ensuite décrit les deux réseaux mis en place depuis les événements d'octobre 1988. Le premier, dénommé Noé, est un réseau d'observation pluviométrique sur les caderesux. Son objet est de collecter les informations nécessaires à une meilleure connaissance hydraulique des cadereaux afin de mettre su point un modèle mathématique de relation pluie/débit et de créer un outil de gestion de la crise. Ce réseau, qui est constitué de 17 stations installées dans la ville, sera intégré au réseau du Vistres géré par la DDE. Sa réalisation est prévue pour fin 1994.

Le deuxième réseau, dénommé Calamar, est un système d'observation des phénomènes nuageux créé fin 1992 par la DDE du Gard, qui exploite les images radar transmises par le réseau Aramis de Météo-France. Les expérimentations qui ont été faites lors des pluies de septembre 1993 sont très encourageantes. Lorsque le réseau Noé sera en service, les images radar pourront être .calées. en temps réel à l'aide des mesures collectées au sol. Il sera alors possible d'articuler la connaissance des débits avec une meilleure prévision des phénomènes pluvieux.

M. Gilles Leblanc a conclu en indiquant qu'il y avait peu d'exemples en France de procédures d'alerte en cas d'inondations par ruissellement. Grâce à ce dispositif, différents types d'alerte de l'information simple par Radio-France Nîmes jusqu'à l'utilisation des sirènes du réseau national - pourront être déclenchées en fonction du niveau de prévision. La prévision locale de Météo-France sur une zone inférieure à 100 kmz restant encore aléatoire, des systèmes locaux de collecte des données et de prévision permettent d'avoir des informations plus précises.

Après que M. François Bressant, de la direction départementale de l'Equipement, eut présenté les spécificités techniques du réseau Calamar et ses résultats en matière de prévision, M. Guy Hermier a demandé quel était le délai entre les mesures réalisées sur un cadereau et l'apparition de la crue.

M. Gilles Leblanc a indiqué que, grâce au réseau Noé, le délai entre l'apparition de la crue et le déclenchement de l'alerte était d'une demi-heure. L'objectif est de connecter le système d'observation au sol et les radars afin d'améliorer la relation entre la prévision du phénomène météo - la pluie avant qu'elle tombe - et l'écoulement des eaux de ruissellement. Miser sur les radars sans les mesures su sol constituerait selon lui une aberration.

A M. Guy Hermier qui lui demandait si l'on pouvait anticiper l'alerte avec des systèmes plus perfectionnés de radar, M. Gilles Leblanc a rappelé que Météo-France voulait se doter de cinq à sept radars sur l'ensemble du Sud-Est ainsi que d'un radar porté sur avion. Répondant à M. le Président, il a confirmé que les réseaux de transmission et les conditions d'alerte avaient été améliorés par rapport à la situation prévalant en octobre 1988.

M. Jean-Charles Rey, directeur de l'urbanisme opérationnel de la mairie de Nîmes, a ensuite présenté les mesures d'urbanisme qui ont été prises depuis 1988. Il a indiqué que la procédure de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme avait été utilisée de préférence à toute autre, et que le POS avait été révisé sur trois secteurs.

Faisant remarquer que l'autoroute A9 faisait obstacle à l'écoulement des eaux, M. Guy Hermier a demandé pourquoi cet élément n'avait pas été pris en compte au moment de la construction de cet ouvrage.

M. Jean-Charles Rey a indiqué que les voies avaient été surélevées parce que les inondations provenaient surtout des crues par débordement du Vistre, reconnaissant que l'on s'interrogeait aujourd'hui sur l'intérêt d'une telle surélévation.

M. Gilles Leblanc a admis que les études préalables à la construction de l'A9 avaient sous-estimé l'ampleur du risque inondation. En 1988, l'autoroute a servi de bassin de rétention en amont. Le choix qui a été fait d'urbaniser la partie Sud impose d'installer des bassins de rétention en aval de l'autoroute.

M. le Président lui ayant demandé quel était le surcoût de la construction des ouvrages d'autoroutes sur pilotis - comme c'est systématiquement le cas aux Etats-Unis - M. Gilles Leblanc a précisé que construire une ligne de TGV sur viaduc coûtait 70 millions de F. par 500 mètres.

M. Jean-Louis Blanc, président du directoire de la Compagnie nationale d'aménagement de la région du Bas-Rhône et du Languedoc, a présenté un projet de programme communautaire pour le financement des plans de lutte contre les inondations dans le pourtour méditerranéen. Après avoir rappelé l'existence du Comité des Régions, créé par le Traité de Maastricht et présidé par M. Jacques Blanc, M. Jean- Louis Blanc a indiqué que les régions avaient défini un certain nombre de thèmes d'actions communes, parmi lesquels celui de l'eau. Un document définissant un programme communautaire de protection contre les inondations a été élaboré par la région Languedoc-Roussillon et approuvé par 40 régions méditerranéennes. Ce document a été présenté à la Commission européenne qui n'a pas encore pris de décision.

M. le Président ayant posé la question du financement, M.Jean-Louis Blanc lui a répondu que différents types d'études ou de travaux pouvant faire l'objet de subventions communautaires avaient été identifiés: mise en place de réseaux de connaissance et d'alerte; développement d'un système d'information géographique; amélioration de la gestion des ouvrages, les canaux qui servent d'exutoires aux crues devant être remis en état; programme de reboisement.

A l'invitation de M. le Président, M Franck Perriez, préfet du Gard, a conclu les débats en faisant part de son sentiment que les choses se mettaient en place. Faisant allusion à l'avis du Conseil d'Etat sur la déclaration d'utilité publique et aux modalités de versement des aides financières, il a regretté que des problèmes de procédure continuent à se poser, rappelant que le rôle du représentant de FEtat est de faire en sorte que l'application de la loi ne soit pas un obstacle à l'exercice de la démocratie. Il a également jugé que l'organisation des secours posait des problèmes de coordination, notamment lorsque les pompiers font venir des renforts d'autres départements. Enfin, il a indiqué que la mise en place d'une salle opérationnelle en préfecture ainsi qu'une série d'exercices et des moyens techniques supplémentaires avaient permis d'améliorer l'efficacité du dispositif.

M. le Président a remercié l'ensemble des participants et levé la séance.

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Compte rendu de la réunion tenue à Beaucaire

M. Jean-Marie André, député du Gard et maire de Beaucaire, a souhaité que soit abordée dans un premier temps la situation du Rhône. Il a rappelé que, lors de la crue survenue à Beaucaire en janvier 1994, le débit avait atteint 11.000 m3 d'eau par seconde, soit légèrement en dessous du niveau d'une crue millénaire (14 à 16.OOOm3), ce qui justifiait selon lui la nécessité de prévoir des zones d'épandage pour protéger les populations contre ce type de phénomène. Il a souhaité qu'un effort soit accompli en faveur de l'entretien, du rehaussement et du libre accès des digues situées entre Beaucaire et la mer qui sont de la compétence du syndicat des digues du Rhône. La formule juridique la plus appropriée semblant être celle du syndicat mixte, il a préconisé la création soit d'un syndicat mixte unique pour la rive droite et la rive gauche, soit de deux syndicats pour chacune des deux rives, l'impératif étant qu'en tout état de cause l'action des différents responsables soit coordonnée. Quant aux financements nécessaires, ils devraient selon lui être fournis par les communes, les départements, les régions et l'Etat, ce dernier finançant à 100 % - il ne faudrait pas l'oublier les digues sur la Loire.

Après s'être déclaré favorable à ce que les POS tiennent compte des crues centennales, il a souhaité que l'Etat, le département et la région - même si cela ne fait pas a priori partie de sa compétence - participent à l'indemnisation des dommages. Il a évoqué la contamination des nappes phréatiques et des terres par des radio-éléments provenant des centrales nucléaires de Cadarache et de Marcoule et déposés par les crues du Rhône, suggérant que la commission d'enquête tente d'obtenir des précisions sur le niveau de toxicité de ces éléments et leurs conséquences sur les terres inondées.

Après que M. le Président eut indiqué que cette radiotoxicité éventuelle devait de toute façon se situer bien en-dessous du seuil de tolérance, il a passé la parole aux autres intervenants.

M. Gilles Dumas, président du syndicat des digues du Rhône, a d'abord relevé que les dernières inondations n'avaient pas soulevé de problème d'alerte et de vigilance : les riverains avaient été avertis en temps voulu par la DDE et chacun savait à quoi s'en tenir, les mémoires des populations n'ayant pas été occultées.

Il a ensuite procédé à l'analyse de trois propositions faites dans son rapport par la mission interministérielle Dambre sur le Rhône. Elle propose tout d'abord de créer une structure interdépartementale de gestion des digues afin que l'Etat ait une vue homogène du développement du delta du Rhône et qu'une rive ne se renforce pas au détriment de l'autre. Rappelant que le département du Gard avait accompli des efforts importants en ce sens depuis une dizaine d'années, il a indiqué qu'un syndicat mixte de gestion devrait bientôt y être créé. Selon lui, un .mariage. avec le département des Bouches-du-Rhône pourra éventuellement être envisagé lorsqu'un effort analogue de gestion des digues aura été accompli de ce côté-là du Rhône. Il a estimé que, pour l'instant, une structure de coordination pourrait être créée entre les deux départements, mais pas une structure de gestion.

Concernant la répartition du financement de l'entretien et du confortement des digues, a-t-il poursuivi, le rapport Dambre propose qu'une partie des bénéfices tirés de l'exploitation du Rhône bénéficie en retour aux populations locales et permette de diminuer le niveau des nuisances. Cela signifie, en clair, qu'un prélèvement devrait être opéré sur EDF - qui profite des travaux d'aménagement faits par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) pour facturer l'électricité à un certain prix - afin que des moyens financiers soient dégagés et affectés su confortement des digues.

Rappelant que le rapport Dambre souhaitait un prolongement sur dix ans des travaux d'urgence entrepris depuis le printemps 1994, il a souhaité que le programme recommandé par l'Etat soit poursuivi.

S'agissant des PER, il a estimé que les maires répugnant à déclarer que leur commune est exposée aux risques, l'État devait donc jouer un rôle plus coercitif dans l'élaboration de ces plans. Il a par ailleurs fait état d'une jurisprudence élaborée par le tribunal administratif de Grenoble, excluant la responsabilité de l'État et des communes pour les événements dits .imprévisibles. dont la périodicité est supérieure à 100 ans et souhaité qu'une période beaucoup plus longue soit retenue comme norme de référence.

Sur la question des digues, il a indiqué que l'État n'avait pas payé en 1992, 1993 et 1994 ses cotisations aux syndicats des Bouches-du-Rhône et du Gard, et qu'il avait de ce fait failli à la loi, rappelant que les sommes dues par l'État devaient financer les travaux de renforcement des digues des Bouches-du-Rhône là où précisément des brèches sont justement apparues. Il a également mis en cause la décision prise en 1970 de façon unilatérale par un ministre, de réduire la participation de l'État à la gestion des digues de 33 à 20 96. Le motif invoqué était que les travaux effectués par la CNR en amont de Vallabrègues avaient permis de diminuer les risques d'inondation en aval. Or la CNR affirme aujourd'hui que ces travaux n'ont pas modifié le régime des grandes crues du Rhône, ce qui est confirmé par le rapport Dambre. Il y a là, a-t-il souligné, une incohérence. Il a tenu cependant à saluer l'attitude exemplaire des services de l'État et de l'armée su moment des inondations dans le Gard.

A M. le Rapporteur qui l'interrogeait sur les moyens financiers du syndicat, M. Gilles Dumas a indiqué que le budget annuel s'élevait à 750.000 F., 500.000 F. provenant des onze communes, 250.000 F. étant versés par le département. Il a noté que ce régime intercommunal, mis en place sous l'impulsion du préfet lorsque les propriétaires riverains avaient ont mis «la clef sous la porte» il y a une dizaine d'années, permettait d'instaurer une solidarité de fait entre les acteurs locaux. Il a précisé que l'assiette des cotisations, qui reposait auparavant sur la valeur des seules terres agricoles, intégrait désormais une partie du patrimoine des communes qui sont évalués grâce à la matrice des impôts locaux trois communes payent plus que les huit. autres. Il a souhaité que l'État ne prenne pas totalement en charge l'entretien des digues afin que les acteurs locaux soient responsabilisés et s'est félicité que le département, l'État et la région du Bas-Rhône-Languedoc travaillent ensemble à la protection contre les inondations.

Après avoir précisé que le syndicat n'était pas endetté, il a indiqué que le montant des travaux qu'il peut financer sur ses seules ressources s'élève à 400.000 F. par an, ce qui correspond à 1 km de digues, et que pour conforter les 52 km de digues, des travaux de 60 millions de F. devraient être engagés.

M. Jean-Claude Festor, directeur départemental adjoint de l'équipement, a souligné la climatologie particulière du Rhône dont les affluents sont soumis à des crues de nature différente qui peuvent être de type continental, océanique ou méditerranéen.

Il s'est également félicité du bon fonctionnement du dispositif d'annonce des crues. Il a rappelé que l'alerte avait été donnée la veille de la crue et que, grâce aux informations fournies la veille par le syndicat sur les points faibles des digues, les services avaient pu intervenir rapidement et engager les moyens nécessaires là ou il le fallait.

II a cependant regretté un petit manque de coordination entre les services chargés de l'annonce des crues, la DDE des Bouches-du-Rhône pour le Rhône et la DDE du Gard pour les affluents. Il s'est également inquiété d'une perte de mémoire collective en ce qui concerne les risques d'inondation, qui conduit notamment à ce que des constructions ou des activités agricoles pérennes soient installées dans certaines zones à risque.

Après avoir rendu hommage au système hydroélectrique qui protège les zones habitées contre les crues moyennes, M. Marco Cacciuri, maire de Vallabrègues a rappelé que 1.100 hectares avaient été noyés sur les 1.200 que comprend la commune. Il a remercié la CNR d'avoir annoncé la crue en 1993 et en 1994 et d'avoir mis en place un logiciel qui permet de suivre l'évolution des crues et de retrouver la mémoire des inondations. Il s'est inquiété de l'absence de réponses aux demandes d'indemnisation provenant du Gard et de la mise en place du remblai de TGV dans la plaine inondable. Selon lui, les dispositions de la loi de 1992 sur l'eau qui réglemente les opérations d'infrastructure en zone inondable n'ont pas été respectées.

Il a précisé que, contrairement à une idée reçue dans les administrations, la poche de Vallabrègues n'était pas une cuvette en pente douce constituant une zone d'inondation où l'eau arrive doucement: au contraire, la vitesse atteinte par les eaux du Rhône y est très importante.

Il a confirmé l'information dont a fait état M. Jean-Marie André selon laquelle les aménagements du Rhône auraient fait disparaître un quart des bassins d'épandage.

M. Christian Gimenez, directeur de l'agence CNR d'Avignon, a rappelé que les aménagements réalisés par la CNR sur le bas Rhône avaient été soumis à une déclaration d'utilité publique selon un cahier des charges approuvé par l'État. Ces aménagements hydroélectriques sont transparents su regard du problème des inondations, effectués au fil de l'eau et dépourvus de capacité de rétention. Selon lui, le terme de barrage est d'ailleurs inadapté, il vaudrait mieux parler d'évacuateur de crue. Il a indiqué que les lignes d'eau constatées sur l'ouvrage de Vallabrègues, lors des dernières crues, étaient en tous points inférieures aux lignes d'eau naturelles.

Il a convenu que ces aménagements avaient modifié le régime des crues du côté de Vallabrègues et des communes en amont. Autrefois, a-t-il expliqué, les plaines étaient noyées par l'amont. Si les ouvrages ont permis de protéger les communes contre les petites et les moyennes crues, il était nécessaire d'aménager des stockages d'eau contre les grandes crues. C'est pourquoi un grand déversoir a été prévu en aval de l'usine de Vallabrègues quia débité entre 500 et 600 m3/s d'eau le à janvier 1994.

M. Christian Gimenez a donc insisté sur le fait que si l'eau arrive désormais beaucoup plus vite en aval du Rhône, son niveau est moindre. Il a également signalé que, près de Beaucaire et de Fourques, ont été effectuées des opérations de dragage énergétique dont l'objectif était double: augmenter la chute d'eau en aval de l'usine de Vallabrègues ; abaisser les lignes d'eau en cas de petite et moyenne crue, cet abaissement étant .effacé. lorsque survient une grande crue.

En réponse à M. le Rapporteur, il a précisé que son agence était compétente sur les régions Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur, et que la CNR ne participait pas à l'aménagement des digues, son rôle ayant consisté à rependre les ouvrages de navigation laissés par l'État lors de chaque aménagement.

Répondant à M. le Président, il a indiqué que Mat avait délégué la gestion du domaine public fluvial à Voies navigables de France, qui constitue donc un intermédiaire entre l'État et la CNR.

M. le Président l'ayant interrogé sur le point de savoir s'il n'estimait pas cette structure trop lourde, M. Christian Gimenez a répondu qu'un système est toujours d'autant plus facile à gérer que les échelons intermédiaires sont moins nombreux.

M. Jean-Marie André a alors demandé quel était le rôle de la CNR sur la zone comprise entre le barrage de Vallabrègues et la ville de Beaucaire.

Après avoir rappelé qu'aucun aménagement n'avait été effectué sur cette zone, M. Christian Gimenez a indiqué que le rôle de la CNR était d'y contrôler l'entretien du domaine public fluvial apporté en concession par l'Etat et de vérifier que ce domaine permet aux crues de passer sans que leurs conditions d'écoulement soient aggravées. Il a ajouté qu'un site industriel et portuaire protégeant le sud de l'agglomération de Beaucaire contre tout déversement faisait également partie de la concession et était donc entretenu par la CNR.

M. Jean-Marie André lui ayant demandé si cette zone était toujours considérée comme une zone d'épandage des eaux, M. Christian Gimenez lui a répondu que la zone de Beaucaire n'avait pas été modifiée par les aménagements et restait donc effectivement une zone submersible. Il a ajouté qu'elle avait même été légèrement améliorée par l'usine de Beaucaire qui dérive une partie du débit du Rhône.

M. Gilles Dumas a souhaité que le niveau de garantie soit calé sur l'hypothèse d'une crue centennale, alors que ce n'est pas le cas dans le Gard. Il a également rappelé que 10.000 hectares de bassins d'expansion avaient été perdus en amont de Beaucaire. Il s'est demandé si l'État aura le courage de désigner les zones de débordement des crues lorsque le niveau de garantie est dépassé. Enfin, il a souhaité que la puissance publique se préoccupe sérieusement des risques et ne fasse pas comme aux États-Unis où l'État se contente d'organiser les secours.

M. le Président a douté qu'il soit judicieux de rendre publics les lieux d'expansion des eaux.

M. le Rapporteur a émis l'idée que le prix de vente de l'électricité vendue par la CNR à l'EDF soit légèrement augmenté afin de dégager des moyens supplémentaires en faveur de l'entretien des digues.

M. Jean-Claude Gimenez a estimé ce raisonnement valable et indiqué que si le législateur et les ministères de l'Industrie et des Transports le décidaient, la CNR était prête à participer à l'entretien des digues syndicales et agricoles.

M. le Président a souhaité que soit abordée la situation du Vistre et du Rhôny.

M. Michel Chantre, chef du service aménagement et urbanisme à la direction départementale de l'équipement du Gard, a exposé comment étaient pris en compte les risques d'inondation dans les politiques d'aménagement à partir de la situation du Vistre et du Rhôny. Après avoir décrit les différents types de crues qui touchent le département, il a indiqué qu'une cartographie des zones inondées pour les cours d'eau les plus importants avait été élaborée à partir des relevés de terrain et de photos aériennes réalisés après chaque crue. Par ailleurs, a-t-il poursuivi, des études hydrauliques spécifiques ont été commanditées soit par l'Etat, soit par les collectivités locales, soit par d'autres organismes, à l'occasion d'opérations d'aménagement, sur des cours d'eau comme la Cèze et le Gardon, le Vidourle, le Vistre et le Rhôny. Plus récemment, le ministère de l'Environnement a fait réaliser une étude sur les pluies torrentielles et le ruissellement urbain. Les risques d'inondation sont ensuite pris en compte au moment de l'instruction des demandes d'occupation des sols (permis de construire, autorisations de lotissement), et de l'élaboration des documents d'urbanisme ou de documents spécifiques.

M. Michel Chantre a rappelé que trois plans de surfaces submersibles avaient été mis au point dans le département sur l'Ardèche en 1959, sur le Rhône en amont en 1982 et sur le Rhône en aval en 1991. Il a ajouté qu'un périmètre de surfaces inondables, en application de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme, était en cours de délimitation, précisant que lorsque les procédures auront été achevées, fin 1994-début 1995, ce seront 66 communes, représentant plus de 50 % de la population, qui disposeront d'un document spécifique prenant en compte le risque d'inondation.

Il a ensuite présenté les modalités d'élaboration du périmètre élaboré en application de l'article R 111-3 sur le VistreRhôny. Une étude hydraulique globale sur l'ensemble du bassin a été élaborée après les crues d'octobre 1988 par le syndicat mixte d'aménagement du Vistre-Rhôny qui en avait confié la réalisation au BCOM. Cette étude a permis de définir le mécanisme d'écoulement et de caler la crue centennale qui a été prise comme référence pour l'élaboration du périmètre. Le document final devrait être adopté pendant le mois de septembre au terme d'une procédure qui aura pris environ quinze mois.

M. Michel Chantre a ensuite énuméré les principes qui ont guidé la mise au point du périmètre d'urbanisme. Dans les zones à risque élevé (hauteur d'eau supérieure à 1,50 m), aucune construction nouvelle n'est autorisée; seuls les aménagements de constructions existantes et les bâtiments publics sont admis. Dans les zones à risque moyen (entre 1,50 m d'eau et la crue centennale), deux secteurs sont distingués: les étendues agricoles ou naturelles où sont seules autorisées les constructions nécessaires à leur mise en valeur; les secteurs urbanisés où les constructions nouvelles sont admises si certaines précautions sont prises, notamment en ce qui concerne les hauteurs de plancher. Sur 2.300 hectares concernés par la crue centennale, 2.200 seront interdits d'urbanisation. Les travaux de protection seront réalisés en priorité sur les 100 hectares restants.

M. le Président a ensuite passé la parole aux différents maires présents.

M. Joseph Serrano, maire de Codognan, a souhaité la création d'un deuxième siphon à partir du canal du Rhône et la dérivation de la nationale 113 au sud du canal du bas Rhône.

M. Michel Chantre a pris bonne note de ces observations qui ont trait à des dossiers bien connus. Sur le deuxième siphon, des discussions ont déjà été engagées et il semble important d'aboutir à sa réalisation. Sur la déviation de la nationale 113, les problèmes hydrauliques seront intégrés. A M. Joseph Serrano qui insistait sur la nécessité de ne pas réduire les zones d'épandage, il a indiqué que les parties au contrat de plan recherchaient la neutralité hydraulique des ouvrages.

M. Joseph Serrano a également rappelé que des études avaient été faites su moment de la construction du canal du Bas-Rhône mais que l'on s'était limité à la construction d'un siphon.

M. le Président a relevé que des ouvrages de protection pouvaient avoir ailleurs un impact négatif sur le régime des crues et nécessiter des travaux de compensation. De toute évidence, a-t-il souligné, la question des inondations soulève des enjeux politiques forts en termes de vie quotidienne, d'aménagement du territoire ou de réseau routier.

Après avoir décrit les dégâts causés par la crue du Rhôny en octobre 1988 qui a donné lieu à la constitution de 700 dossiers de sinistrés pour 10.000 habitants. M. Raymond Fontaine, maire de Vergeze, a regretté que l'on n'ait fait que des études depuis six ans. Il a fait trois propositions: déplacement de la nationale 113 le plus au sud possible afin d'aménager une zone d'expansion des eaux; révision du siphon sous le canal du Bas-Rhône qui souffre d'un vice de conception ; construction au nord de la commune de Vergeze d'un petit barrage écrêteur qui ralentirait le Rhôn y .

Répondant à M. le Président, M. Raymond Fontaine lui a indiqué que ce barrage n'aurait aucun impact négatif sur l'environnement car l'eau se déverserait sur le vignoble.

M. Jean-Claude Festor a estimé qu'un doublement de la capacité du siphon serait insuffisant compte tenu des débits qui ont été enregistrés en octobre 1988. Il faudrait selon lui revoir la logique de l'aménagement retenu et utiliser le siphon pour faire passer le canal du Bas-Rhône sous le Rhôny et non l'inverse.

M. Alain Danilet, député du Gard, a souligné que des travaux d'aménagement étaient également nécessaires sur le Vidourle.

M. le Président, après s'être déclaré frappé de la complexité de la situation hydraulique de ce département et de l'ampleur des enjeux économiques en cause, a remercié l'ensemble des participants pour la qualité de leurs propositions et l'esprit de synthèse dont ils ont fait preuve.

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Compte rendu de la réunion tenue à Charleval

M. André Pia, maire de Charleval, a d'abord remercié l'ensemble des participants de leur présence, et plus particulièrement M. Léon Vachet qui suit de très près les problèmes posés par l'inondation de la Durance survenue en janvier 1994.

M. Léon Vachet, député des Bouches-du-Rhône et maire de Chateaurenard, s'est félicité de la visite que les membres de la Commission viennent d'effectuer sur la Durance. Cette visite leur a permis de constater l'ampleur des extractions réalisées depuis une quinzaine d'années, les seuils qui ont été établis afin de maintenir la nappe et les conséquences de ces travaux sur les inondations. Il a rappelé que l'objet des travaux réalisés par le syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance - qui regroupe 31 communes - n'était pas d'extraire n'importe où, n'importe comment en réalisant une sorte de chenal au milieu de la rivière, mais de protéger un minimum la région des inondations. Or, a-t-il poursuivi, un projet de décret prévoit l'arrêt immédiat des extractions sur la Durance. Une rencontre a été organisée avec le ministère de l'Environnement, le 17 mai dernier, afin d'attirer l'attention sur la gravité des conséquences d'une telle mesure, qui, en outre, coûterait cher à l'Etat, le syndicat mixte bénéficiant d'une concession de l'Etat pour ces travaux.

M. Léon Vachet a insisté sur la nécessité de terminer les travaux entrepris et d'araser le lit de la Durance, ce dernier étant parfois plus élevé que les bordures des terres, précisant qu'il ne s'agissait pas de faire des «citadelles. pour que l'eau aille se déverser ailleurs. Les inondations survenues en Camargue, a-t-il affirmé, n'ont pas pour origine la Durance mais plutôt un défaut d'entretien des digues. Evoquant la situation du barrage de Serre-Ponçon où les eaux sont souvent libérées su dernier moment, il a estimé que la crue pourrait être limitée si les eaux étaient mieux régulées. Il a indiqué par ailleurs que sous la pression des écologistes, le canal qui relie l'usine de Saint Chamard à l'étang de Berre est fermé dès que l'eau est sale et s'est félicité qu'au moment de la crue de la Durance, le préfet de région l'ait maintenu ouvert.

M. Daniel Conte, président du syndicat mixte d'aménagement de la Durance, a indiqué que les travaux entrepris par le syndicat avaient pour objet d'une part de sortir les .déchets. qui avaient été jetés par les riverains dans la Durance, d'autre part d'aménager le lit de la rivière, les activités des carriers ayant abouti à abaisser le niveau de la nappe phréatique su détriment des agriculteurs. Après avoir rappelé que le lit de la Durance restait parfois plus elevé que les rues, il a insisté sur la nécessité de continuer les travaux d'arasement afin de se protéger contre les inondations de 1.200-1.300 mètres qui surviennent 1 à 2 fois par an. Il a indiqué qu'en janvier dernier EDF avait ouvert ses barrages, ce qui avait permis d'écrêter les eaux de 700 m3 seconde et d'éviter une crue centennale. Il a regretté que les canaux aménagés par EDF qui prennent l'eau dans la Durance ne soient pas suffisamment importants pour un village de 150 maisons situé à l'intérieur du barrage. En effet, a-t-il expliqué, alors que lorsque ces aménagements n'existaient pas, l'eau pouvait s'écouler dans la Durance, elle risque maintenant, en cas d'inondation, de sauter le barrage et de noyer le village.

M. Henri Pignoly, Secrétaire général du syndicat mixte d'aménagement de la Durance, a indiqué que l'arrêté évoqué par M. Léon Vachet était à la signature du ministre. Il a indiqué que la Durance représentait un cas particulier su regard de la politique globale en matière d'aménagement des rivières, qu'il n'est pas question d'infléchir, car son charriage est important, le syndicat mixte dispose d'une concession de l'Etat, enfin, une charte a été adoptée qui constitue une sorte de contrat entre le syndicat et Mat.

M. Henri Pignoly a souligné qu'il ne s'agissait pas de prolonger indéfiniment les travaux d'extraction mais d'achever ceux qui avaient été prévus. L'Etat doit respecter sa signature. Or les discussions en cours avec certains services, notamment les directions régionales de l'industrie et de l'environnement, n'ont pas permis d'aboutir, l'information semblant ne pas remonter vers les ministères.

M. Roland Meyer, sous-préfet d'Arles, a alors rappelé que le rapport de la mission interministérielle sur le Rhône avait mis en lumière l'absence de connaissances sur le fonctionnement hydraulique de la Durance et des autres affluents. Selon ce rapport, une étude hydraulique globale serait utile pour savoir s'il est nécessaire d'interrompre les extractions de matériaux sur la Durance. Selon lui, ce problème doit être étudié avec la préfecture avant qu'il ne soit trop tard. Il a noté que la mission interministérielle avait également critiqué l'utilité des digues «en épis» existant sur la Durance, dont l'objectif n'est pas de protéger contre les inondations mais d'étaler les crues et d'augmenter la surface des terres agricoles.

M. Caupedlande, qui dirige une entreprise d'extraction, a indiqué que les demandes d'autorisation pour continuer les travaux avaient été déposées il y a presque un an mais que le dossier n'avançait pas parce que l'administration anticipait la mesure d'interdiction. Il a souligné que cette vision à court terme posait de graves problèmes aux entreprises et aux collectivités qui devaient planifier leurs travaux.

M. le Président a souhaité que le ministre de l'environnement prenne quelques mois de réflexion avant de prendre sa décision.

M. Léon Vachet s'est déclaré surpris de la proposition faite par la mission interministérielle sur le Rhône de réaliser une étude globale sur le fonctionnement de la Durance. Selon lui, le ministre doit sans attendre différer sa décision.

M. Jean-Marie Durand, Directeur technique du syndicat mixte d'aménagement de la Durance, a approuvé M Léon Vachet, estimant que le fonctionnement hydraulique de la Durance est parfaitement connu, des études ayant été réalisées lors de la construction du TGV, de l'autoroute ou des barrages depuis 1952.

M. Pierre Serre, maire de la Roque d'Antheron, a évoqué les problèmes juridiques que pouvait poser l'articulation entre le syndicat mixte et les syndicats intercommunaux.

M. Daniel Conte, Président du syndicat mixte d'aménagement de la Durance, a souligné la nécessité d'entreprendre des travaux afin d'empêcher la Durance de sortir de son lit, travaux qui, selon les études réalisées, ont été évalués à 38,6 millions de F. Si l'extraction peut être poursuivie, ces travaux seront financés par les départements, la région, et pour une petite partie, par l'État. Dans le cas contraire, des subventions importantes de l'État seront nécessaires, le syndicat mixte étant alors privé des ressources tirées de la vente des matériaux (9 F. par tonne de graviers).

M. Vincent Navarro, Secrétaire général adjoint du syndicat mixte d'aménagement de la Durance, a rappelé que l'ensemble des travaux hydrauliques avait nécessité des emprunts qui restent à rembourser, alors que les dossiers qui ont été déposés sont toujours en cours d'examen. Le syndicat a déjà préfinancé ces travaux d'urgence à hauteur de à millions de F., mais il n'a pas les moyens de faire plus pour engager les travaux de sécurité.

M. le Président a remercié l'ensemble des participants de la clarté de leurs explications et s'est félicité de constater que tout le monde s'était pris en mains pour engager les travaux de prévention nécessaires.

Déplacement effectué par la Commission

dans les départements de l'Oise et de l'Aisne

le 12 juillet 1994

Au cours de ce déplacement, ont été tenues trois réunions de travail, successivement à la préfecture de Compiègne (Oise), à la préfecture de Laon (Aisne) et à Chauny (Aisne).

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Compte rendu de la réunion à la préfecture de Compiègne

Pour commencer, M. Raymond Capitaine, ingénieur d'arrondissement du service de la navigation de la Seine, a exposé les modalités d'intervention de son service pendant les crues, à la fois dans le dispositif d'annonce de crue, mission effectuée au nom de l'Etat, et pour la gestion de la voie d'eau, mission effectuée su nom de Voies navigables de France.

S'agissant de l'annonce des crues, il a rappelé que la mission de son service est de prévoir les hauteurs d'eau 24 heures à l'avance, les cotes à venir sur les stations aval étant déduites de celles relevées par les stations-amont, sur la base d'abaques préalablement établies.

Il a fait état des deux types de difficultés rencontrées, les premières tenant aux limites de la prévision possible dans la partie amont du bassin, les secondes dues su fait que, les cotes atteintes cet hiver étant au-delà de ce qu'on avait connu jusqu'alors, les calculs des abaques n'étaient pas d'une grande utilité.

Il a souligné que, malgré ces difficultés, son service avait tout de même réussi à prévoir par extrapolation les hauteurs d'eau dans le sud du bassin, notamment à Compiègne, de façon assez précise et avec 3 ou 4 jours d'avance.

Abordant ensuite les leçons à tirer de ces inondations, M. Raymond Capitaine a indiqué qu'il serait urgent d'augmenter les équipements de mesure sur le terrain. Il s'agirait en premier lieu d'augmenter de huit le nombre de limnigraphes - appareils électroniques mesurant la cote d'eau dans le lit de la rivière et transmettant automatiquement l'information - installés sur l'Oise et plusieurs de ses affluents. Il conviendrait en second lieu d'implanter deux pluviographes dans la partie amont du bassin. Les crédits nécessaires pour financer l'ensemble, soit 900.000 F., ont été demandés il y a deux mois au ministère de l'environnement.

En réponse aux questions posées par MM. Philippe Mathot, Président, Thierry Mariani, Rapporteur et François-Michel Gonnot, M. Raymond Capitaine a apporté les éléments d'information suivants.

Le service de la navigation ne dispose pas actuellement d'une assistance informatique dans son travail de prévision. Cela fait toutefois partie de ses projets, d'autant que l'augmentation des équipements de mesure va le conduire à gérer beaucoup plus de données dans le même laps de temps qu'auparavant. L'objectif est donc de disposer d'un outil informatique qui donne presque instantanément la prévision en fonction des données, ce qui nécessite la modélisation climatique de l'ensemble du bassin. Le service technique central des ports maritimes et des voies navigables, installé à Compiègne, qui dispose d'un logiciel de ligne d'eau, serait prêt à effectuer gratuitement les études nécessaires. Quant au recueil des données topographiques indispensables à la construction du modèle, son coût est estimé à 600.000 F. Ce travail est l'affaire d'une année, le système dans son ensemble pouvant être opérationnel dans 2 ans. La modélisation informatique du bassin permettra une mise à jour permanente du dispositif de prévision en fonction des modifications topographiques qui peuvent intervenir. Elle donnera également le moyen de connaître facilement l'impact des projets d'aménagement sur les inondations à venir, sans qu'il soit besoin pour chacun d'effectuer une étude de profil.

Le service est par ailleurs en train d'élaborer en coopération avec les maires des documents dénommés .mémoire de la crue., sur lesquels figurent en face de chaque hauteur d'eau la conséquence pratique pour la commune (voir document en annexe), l'objectif étant de doter chaque commune menacée d'une telle fiche. Ce travail pourrait être achevé dans quelques mois.

Puis M. Raymond Capitaine a présenté le deuxième volet de l'intervention du service de la navigation, c'est-à-dire la gestion de la voie d'eau pour le compte de VNF. Il a indiqué que, du fait des hauteurs d'eau et des vitesses de débit atteintes, les infrastructures de VNF en Picardie ont subi de nombreux dégâts, le total des opérations de réparation se montant à 40 millions de F. programmés sur 1994 et 1995, pour la remise en état de certaines digues, le curage des aqueducs et des contrefossés, et le dragage de l'Oise canalisée pour la remettre au gabarit actuel.

M. François-Michel Gonnot ayant demandé si ce programme n'incluait pas également le rattrapage d'une maintenance qui aurait dû être faite avant la crue, M. Raymond Capitaine a convenu que, ces dernières années, il n'y avait pas eu d'investissements très importants sur les anciens canaux comme ceux de la Sambre à l'Oise et de Saint-Quentin, l'envasement du premier n'ayant toutefois guère de conséquences en matière de crues dans la mesure où le canal n'a pas pour fonction d'évacuer l'eau de crue. Il a indiqué que les évènements qui se sont produits n'étaient pas dus à des défauts d'entretien mais au niveau exceptionnel de l'eau.

Il a ainsi exposé comment l'Oise est passée par-dessus la digue de la Fère, qui sépare le canal de la Sambre à l'Oise, et a débordé dans le canal, entraînant le remplissage des biefs en aval de la digue et le débordement de l'eau par dessus les digues. Il a également présenté le processus différent qui a été observé à Apilly. On y trouve, l'un à côté de l'autre, l'Oise et un canal latéral bordé d'un contrefossé chargé de récupérer les eaux de ruissellement de la vallée, un siphon faisant passer les eaux du contrefossé sous le canal pour leur fait rejoindre l'Oise. Pendant la crue, l'eau de l'Oise était montée à un tel niveau qu'elle empruntait le siphon et faisait ainsi déborder le contrefossé. Il a donc fallu ouvrir des déversoirs en aval pour faire repasser l'eau du contrefossé dans le canal d'abord, puis dans l'Oise. Selon M. Capitaine, on a fait ainsi jouer au canal latéral à l'Oise un rôle qui n'était pas le sien et, contrairement à ce que pensent les riverains, la situation d'Apilly aurait été pire s'il n'avait pas existé, puisque le niveau de l'Oise était supérieur à celui du contrefossé.

Enfin, M. Raymond Capitaine a indiqué que les travaux de dragage réalisés sur l'Oise canalisée s'élèvent à 2 millions de F. par an, non pour la lutte contre les crues mais pour la navigation, les envasements dus à la crue conduisant à les porter à 4 millions 4e F. en 1994 et 6 millions en 1995.

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M. Joseph Gonthier, directeur du service interministériel de défense et de protection civile du département de l'Oise a tout d'abord décrit le fonctionnement du système d'alerte lors des dernières inondations.

Après avoir rappelé que la loi ne charge le préfet de prévenir les maires que de ce que la cote d'alerte est atteinte et qu'il appartient ensuite au maire de se renseigner sur l'évolution des phénomènes en appelant un répondeur automatique alimenté par les services de la préfecture, il a exposé les difficultés posées par l'application de cette procédure. La première concerne l'information des maires et tient à l'insuffisance de l'équipement en télécopieurs ainsi qu'au caractère limité des informations fournies par le répondeur. Il est donc nécessaire de constituer, avec des cadres issus des officiers de réserve ou de la préfecture, une cellule spécialisée qui puisse donner aux maires des précisions et des conseils, ce que faisait autrefois le service de la navigation.

La deuxième difficulté concerne la compréhension des messages, dans la mesure où ils indiquent des cotes et des prévisions exprimées en hauteur d'eau, à charge pour les maires d'en déduire les conséquences concrètes pour leur commune.

De ce point de vue, les documents .mémoire de l'eau» qui devraient prochainement être inclus dans les plans spéciaux de sécurité (PSS), devraient rendre de gros services.

Enfin, l'alerte de la population, qui réglementairement est faite par le maire, passe en réalité bien souvent par les media locaux qui ne reprennent pas toujours l'intégralité des communiqués de presse officiels, faisant ainsi disparaître la gradation des messages. Le service de la protection civile a donc l'intention de préciser dans les conventions qu'il a signées avec les media que ces messages doivent être reproduits intégralement. Interrogé par M. Philippe Mathot sur le point de savoir si les gendarmes sont intervenus lors de l'alerte pour prévenir les maires, et plus particulièrement s'ils se sont rendus sur les lieux dans le cas des mairies qui n'ont pas le téléphone, M. Joseph Gonthier a indiqué que cette mission leur était impartie par la loi et qu'il n'avait pas connaissance de cas où elle n'aurait pas été remplie.

En réponse à deux questions de M. François-Michel Gonnot, M. Joseph Gonthier a ensuite donné les informations suivantes sur les raisons du non-déclenchement du plan ORSEC et sur les modalités de l'engagement de l'armée dans les secours.

S'agissant du plan ORSEC, M. Joseph Gonthier a estimé que, dès lors qu'il n'y a pas atteinte grave à l'intégrité des populations, il n'est pas nécessaire d'y recourir dans le cas des inondations de 1993, la mise en _uvre du PSS inondations donnait selon lui les mêmes moyens pour faire face à la situation que le plan ORSEC, qui n'aurait donc absolument rien changé sur le plan opérationnel. Il a fait remarquer que les autres départements touchés par les inondations, en amont ou en aval, n'avaient pas non plus déclenché le plan ORSEC.

En ce qui concerne les relations de l'armée et des autorités civiles dans l'organisation des secours, M. Joseph Gonthier les a qualifiées d'exemplaires au niveau de la cellule de crise installée à la préfecture. Il a néanmoins reconnu que, sur le terrain, les militaires avaient parfois constaté un certain flottement de la part de leurs interlocuteurs sur les missions qu'il était envisagé de leur confier, en raison notamment du fait que les maires ignorent souvent que les militaires n'ont qu'une obligation «de bras» et que c'est aux mairies de fournir le matériel. Une circulaire en préparation sur ce point devrait à l'avenir éviter de nombreux malentendus, car les élus ont trop souvent tendance à croire que les militaires disposent de moyens très importants et à leur demander ce qu'ils ne peuvent pas faire.

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Le colonel Serge Hardy, directeur départemental des services d'incendie et de secours de l'Oise, a insisté sur la nécessité à laquelle il a été confronté de faire comprendre le caractère exceptionnel de l'alerte su début de la crue de l'hiver dernier. Pour ce faire, le message d'alerte officiel a été accompagné de consignes opérationnelles aux centres de secours situés sur les rives et des sapeurs-pompiers ont été remettre le message officiel aux maires. Malgré cela, certaines personnes ont voulu rester sur place, notamment par crainte des vols, et se sont retrouvées encerclées par l'eau, certaines en état d'hypothermie, ce qui a conduit le service à effectuer 3.300 opérations dans ce seul secteur de l'Oise.

S'agissant de la collaboration entre les pompiers et l'armée, le colonel Serge Hardy a estimé que le dispositif mis en place avait été très efficace.

A propos de l'attitude des personnes qui refusent de quitter leurs habitations, il a indiqué qu'il n'existait aucun moyen de les y contraindre, l'évacuation d'office ne pouvant être effectuée que lorsque la personne concernée est hors d'état d'exprimer son avis, et qu'il n'était pas favorable à l'attribution aux pompiers de moyens de contrainte qui ne correspondraient pas avec leur image de marque.

Interrogé par le Rapporteur et M. François-Michel Gonnot sur le rôle et les moyens du CODIS et des centres de secours, il a indiqué que les demandes reçues par le CODIS sont traitées en différé: elles sont stockées, puis analysées et renvoyées, groupées, aux centres de secours pour traitement, l'ensemble étant géré par informatique, et précisé que, pendant la crise de l'hiver dernier, tous les centres de secours du département ont été mobilisés et ont participé aux opérations. Il a insisté sur l'importance de l'aspect psychologique de l'intervention des pompiers, qui calment les populations et donnent des conseils pour monter les dossiers d'indemnisation.

Enfin, en réponse à une question du Rapporteur sur la départementalisation des sapeurs-pompiers, il a fait valoir que, dans leur esprit, les pompiers de l'Oise existent déjà en tant que corps départemental. Selon lui, regrouper les 21 centres de secours gérés par des structures intercommunales en un seul établissement public ne changerait rien à la responsabilité des maires, les facteurs humains lui paraissant plus importants que les structures.

M. Paul Ripoche, délégué régional de l'agence de l'eau Seine-Normandie à Compiègne, a tout d'abord précisé que l'agence de l'eau n'intervenait pas directement en matière d'inondation, seuls 2 % de son budget - soit 70 millions de F. - y étant consacrés, affectés à l'aménagement et l'entretien des rivières, actions prioritaires à mener pour prévenir les inondations. Il a rappelé que si l'agence ne peut intervenir de façon plus importante en matière d'inondation, ce n'est pas parce que cela n'entre pas dans son domaine de compétence, mais, selon un avis du Conseil d'État, parce qu'elle ne perçoit pas de redevances pour cette action. Et la réflexion qui a été engagée pour créer à la fois une redevance et une action en matière d'inondations ne pourra pas se concrétiser avant le début du septième programme quinquennal, en 1997.

M. Paul Ripoche a ensuite présenté l'Entente-Oise, dont la délégation régionale de l'agence de l'eau assure le secrétariat. Cette structure, créée il y a 25 ans; est constituée par le regroupement des six départements du bassin de l'Oise (Val d'Oise, Oise, Aisne, Ardennes, Meuse, Marne) pour lutter contre les inondations. Elle avait le projet de construire plusieurs barrages mais la construction du premier s'est heurtée à une forte opposition agricole qui a conduit à abandonner la déclaration d'utilité publique.

Actuellement, l'entente coordonne les moyens des six départements en matière d'inondations. Dans les faits, ce sont les aides de l'agence de l'eau qui transitent par elle, pour asurer une bonne coordination des travaux d'aménagement de rivières dans le bassin, de façon à éviter que soient réalisés des travaux bénéfiques à une localité, mais catastrophiques à l'aval ou à l'amont.

L'Entente a entrepris de définir à nouveau son rôle, tant en matière d'annonce de crue que pour l'étude des crues, la prévention et la protection par la réalisation d'ouvrages, soit directement soit en soutenant des collectivités locales.

Pendant la crue, l'agence de l'eau a endossé la maîtrise d'ouvrage de la prise de photos aériennes et apporté sa part au financement des relevés de la crue. A l'avenir, elle devrait surtout assurer la coordination de la réflexion et des moyens des départements.

Répondant à des questions du Président et de M. François-Michel Gonnot, M. Paul Ripoche a apporté les précisions suivantes.

L'existence d'un barrage-réservoir en amont aurait pu avoir un léger effet écrêteur, mais certainement pas un impact suffisant pour éviter les crues de l'hiver dernier. Pour ce faire, il aurait fallu une série de plusieurs barrages, comme l'avait prévu le premier plan de l'Entente, dont la mise en _uvre a été interrompue dès le début.

S'agissant de l'attribution éventuelle aux agences de l'eau de compétences et de ressources en matière d'inondations, il a indiqué que les agences étaient prêtes à intervenir davantage dans leur rôle traditionnel d'apport de financement et de coordination de travaux, et qu'une réflexion s'était engagée su sein d'un groupe interagences animé par l'agence Rhin-Meuse sur la question de l'assiette des redevances qui financeraient ce surcroît d'interventions.

Il a affirmé que sont sans aucun fondement les allégations de certains media, se faisant l'écho des écologistes, selon lesquelles des retenues d'eau importantes auraient été opérées dans l'Oise -certains barrages n'ayant pas été relevés par les services de la navigation -, afin d'éviter que la région parisienne soit inondée.

Environ une semaine avant que la cote maximale soit atteinte dans leur secteur, tous les barrages sur l'Oise et l'Aisne avaient été .effacés», c'est-à-dire que leurs structures avaient été démontées. De plus, l'influence des barrages sur la crue est très faible, comme le montre le graphique annexé, établi pour le barrage de Creil.

En toute hypothèse, le confluent entre l'Oise et la Seine est situé à plus de 50 kms en aval de Paris, trop loin pour que la politique que certains imaginent avoir été suivie puisse avoir un sens pour la protection de la capitale.

Enfin, l'agence de l'eau peut intervenir pour aider les communes inondées par les réseaux de collecte des eaux à les ordonner. Ceci prend la forme d'études de diagnostic de réseau, prises en charge par l'agence à 70 96, qui aboutissent en général à des travaux, inscrits dans des programmes pluriannuels au financement desquels l'agence participe également, selon des critères définis par son conseil d'administration.

M. Robert Ternacle, maire du Meux et représentant de l'Union des maires de l'Oise, a estimé que les maires avaient été très bien avertis de l'évolution de la crue par les services de secours, soit par télécopie, soit par téléphone, mais que le caractère très exceptionnel de la crue, la date et les conditions atypiques de sa survenue avaient pu être déstabilisateurs. Il a reconnu que les communes avaient réagi différemment en fonction de leurs capacités techniques à traduire en termes de risques les hauteurs d'eau. Certaines, très organisées, comme Compiègne, ont mis en _uvre, par le biais de leurs services techniques, une très bonne prévention, alors que d'autres se sont trouvées plus désorganisées par cet événement exceptionnel. Pour y remédier, il faudrait sans doute, selon lui, mener une action de pédagogie et développer l'intercommunalité.

Abordant les incidences financières des inondations, M. Robert Ternacie a rappelé les diverses aides dont ont pu bénéficier les communes. La région a ainsi mis à leur disposition deux enveloppes de 5 millions de F., l'une, versée immédiatement, destinée à aider les personnes et à contribuer aux dépenses en matériel, l'autre, en cours d'instruction, permettant d'engager des travaux de réfection de voirie ou de bords de rivières ; elle a également fourni des aides aux compagnies consulaires pour les avances de trésorerie aux agriculteurs et aux entreprises. Quant au conseil général, il a pris en charge 2,5 millions de F. correspondant aux frais d'intervention des ecours. S'agissant des 11,4 millions de F. dégagés par l'Etat, cette dotation, qui devrait pour lbénéficier à l'arrondissement de Compiègne, n'a pas encore été versée.

Cela étant, la majeure partie des coûts a néanmoins été supportée par les communes, qui ont dû prendre en charge le coût considérable de la réfection de leurs équipements.

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M. Henri Tournier, directeur général de la chambre de commerce et d'industrie de l'Oise, a abordé en premier lieu le problème de l'alerte. Il a fait valoir que les entreprises doivent être prévenues plus tôt que les particuliers, eu égard au volume de matériel et d'outillage à mettre à l'abri, et suffisamment finement, de façon à pouvoir mettre en _uvre les moyens adaptés à la situation, l'organisme qu'il dirige ayant du reste l'intention de faire en sorte que les entreprises inondables soient équipées de parpaings et de palettes en permanence.

Il a suggéré que les services publics alertent le gardien qui surveille en permanence les locaux de la chambre de commerce, celui-ci déclenchant alors l'envoi par télécopie de toute une série de messages d'alerte préenregistrés. Un tel système permettrait une alerte très précoce et répondrait ainsi à la demande des entreprises de pouvoir réaliser à temps le travail de mise hors d'eau.

M. Henri Tournier a ensuite évoqué l'action menée par la chambre de commerce et d'industrie après les inondations. Dès le lendemain de la décrue, ses représentants se sont rendus dans chacune des 160 entreprises pour remettre à leurs responsables un document leur expliquant leurs droits en matière d'assurance et les difficultés des contrats pertes d'exploitation.

D'autre part, avant même que le décret déclarant l'état de catastrophe naturelle ait été pris, la chambre de commerce a fait savoir aux compagnies d'assurance que ses représentants étaient déjà passés auprès des entreprises concernées, de sorte que l'Oise a été inscrite en tête des listes de tournée des experts. En outre, elle s'est occupée du traitement des dossiers des petites et moyennes entreprises.

La chambre de commerce et d'industrie a également formulé des propositions pour aider les entreprises touchées par les inondations. La première consistait à mettre à disposition des entreprises inondées l'équivalent d'un mois ou un mois et demi de chiffre d'affaires, sous forme, non pas d'indemnité, mais d'une avance du Crédit d'équipement des PME (CEPME) pour leur permettre de reconstituer leurs fonds de roulement. La deuxième était que les compagnies d'assurance paient directement su CEPME ou à la banque par subrogation le montant de l'indemnisation, le solde positif éventuel étant transformé en crédit classique de restructuration de fonds de roulement. Mais ces suggestions ont été ignorées.

S'agissant de l'aide financière apportée aux entreprises sinistrées, la chambre de commerce a travaillé en liaison directe avec le CODEFI, de sorte que l'avance remboursable a pu être distribuée très vite, sachant qu'un traitement personnalisé des dossiers a permis de n'utiliser les sommes disponibles qu'à hauteur des besoins réels, soit environ 40 % de l'enveloppe globale. D'autres procédures ont également été utilisées: ORAC, prêts du FDES, reports de dettes sociales.

M. Henri Tournier a par ailleurs fait état du souci de la chambre de commerce et d'industrie de répondre à une préoccupation des filiales des grands groupes installés dans la région. Celles-ci craignent que d'autres unités du groupe obtiennent du siège que ne leur soit pas confié le développement de nouveaux produits en raison de leur caractère perpétuellement inondable. Pour éviter cela, il faut d'abord que les sièges sociaux des entreprises ayant des unités dans la vallée de l'Oise soient informés d'ici à la fin de l'année des conclusions des études sur les inondations, des travaux prévus pour éviter l'inondation de leurs unités et de l'échéancier de leur réalisation. Ensuite, il faut que ces travaux fassent l'objet d'un plan d'ensemble, de façon à ce que les travaux de protection effectués par une entreprise n'aggravent pas les conséquences de la crue ailleurs.

Enfin, en réponse à une question du Président, il a évoqué les difficultés d'application de l'assurance pertes d'exploitation pour les entreprises travaillant en .juste à temps., dont la perte de chiffre d'affaires ou de marché qui ne se manifestera qu'à moyen terme ne sera donc pas prise en compte alors qu'elle résulte de l'impossibilité de respecter le juste à temps pour une livraison donnée. .M. Henri Tournier a souligné l'étonnante capacité qu'ont eu les entreprises de la région à combler les retards dus à la crue. Il a néanmoins fait état d'un cas dans lequel l'usine n'est pas repartie tout de suite. La compagnie d'assurance a alors demandé au groupe international de prouver que la moindre production de l'usine de Compiègne n'avait pas été compensée par un accroissement de la production d'autres usines du groupe.

Par ailleurs, le .juste à temps. s'étant généralisé dans les grands groupes, les assureurs considèrent qu'il revient aux sous traitants de constituer un stock tampon, et pour les grands groupes, qu'il leur appartient de prouver que la rupture d'approvisionnement leur a vraiment été dommageable.

Enfin, il a signalé que certaines compagnies d'assurance proposent des contrats dans lesquels, moyennant une petite surprime, les critères et conditions de la perte d'exploitation sont définis plus clairement.

M. le Président a remercié de leurs explications l'ensemble des intervenants.

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Compte rendu de la réunion tenue à la préfecture de Laon

Mme Sophie Horn, déléguée départementale de Météo-France, a présenté les principales caractéristiques des phénomènes météorologiques constatés en décembre 1993. Ce mois a connu le passage de nombreuses perturbations pluvieuses d'origine océanique qui ont touché l'ensemble des régions situées au Nord de la Seine. Les hauteurs d'eau relevées en 24 heures ont été importantes, sans pour autant être exceptionnelles, les plus fortes valeurs l'ayant été le 20 décembre. Par contre, les cumuls pluviométriques réalisés sur plusieurs jours sont, eux, exceptionnels, notamment du 11 su 20 décembre: ce cumul a ainsi été à Roupy de 99 mm, soit plus de quatre fois la quantité moyenne, et presque le double du précédent record relevé en décembre 1979. Les cumuls mensuels sont eux aussi exceptionnels: en décembre 1993, on a ainsi relevé 165 mm à Roupy, alors que la plus forte valeur précédemment relevée depuis 1945 était de 144 mm, en décembre 1966.

Une analyse sur l'ensemble du département confirme le caractère exceptionnel de décembre 1993, mois au cours duquel il y est tombé le triple des précipitations moyennes.

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M. Erie Vangheluwen, ingénieur des travaux ruraux à la cellule hydraulique de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt, avant de présenter des tentatives d'explication des inondations dans le département de l'Aisne, a rappelé les principales caractéristiques du réseau hydrographique de l'Oise et de l'Aisne dans le département de l'Aisne.

Pour une superficie de 8.000 km2, le département est parcouru par 4.500 km2 de cours d'eau. On peut y distinguer quatre bassins hydrographiques principaux: celui de l'Escaut, qui y prend sa source et y parcourt seulement 7,5 km; celui de la Meuse, qui y a un tout petit bassin versant de 180 km2 d'un comportement hydrologique très proche de celui de l'Oise en amont du département ; celui de la Somme,. dont le comportement hydrologique est radicalement différent des autres, enfin, celui de la Seine, avec trois de ses principaux affluents, l'Oise, l'Aisne, qui se jette dans l'Oise à Compiègne, et la Marne, dans le sud du département. La superficie de bassin versant la plus importante est celle de l'Oise. Le département de l'Aisne est plutôt en amont du bassin versant de l'Oise, mais en aval de celui de l'Aisne.

L'Aisne prend sa source dans le département de la Meuse, avant de traverser la Marne puis les Ardennes; or, en décembre 1993, il est tombé dans la Meuse environ 300 mm d'eau, ce qui est considérable; cela dit, quand il pleut beaucoup sur le département de la Meuse, il se passe un certain temps avant que cela se fasse sentir sur le débit de l'Aisne dans le département de l'Aisne.

L'Oise prend sa source en Belgique et traverse brièvement le département du Nord, avant d'arriver dans celui de l'Aisne. Celui-ci est donc très en amont de la vallée de l'Oise, et, là aussi, de fortes précipitations se sont produites sur l'amont du bassin versant.

S'agissant du sol, les parties amont des bassins de l'Oise et de l'Aisne sont constituées de terrains très imperméables alors que plus en aval les terrains sont perméables. Cela dit, l'Oise a beau traverser cette région, elle subit quand même les conditions pluviométriques et géologiques de l'amont de son bassin versant; pour l'Aisne, c'est encore plus net puisque l'amont de son bassin versant est de 5.000 km2.

M. Erie Vangheluwen a ensuite présenté les conclusions qui peuvent être tirées des hydrogrammes, c'est-à-dire des graphiques retraçant les débits dans le temps. Sur l'Aisne, on a constaté une montée progressive de l'eau avec un décalage, normal, entre deux stations de mesure situées le long du fleuve. En revanche, l'étude des hydrogrammes sur l'Oise fait apparaître une première crue sur les stations amont, puis un deuxième pic, très important, correspondant à la crue du 20 décembre, puis un palier suivi d'une nouvelle progression, due aux pluies tombées en une nuit sur des sols saturés. Enfin, on a constaté que la deuxième crue se produisait sur une station située en aval mais plus à l'ouest en même temps que sur les stations amont, alors que la première y avait été enregistrée avec plusieurs jours de décalage. Ceci est dQ au fait que l'origine de la deuxième crue à cet endroit n'est pas la progression vers l'aval de la crue constatée en amont, mais la pluie tombée plus tôt sur une partie du bassin plus à l'ouest. Ce phénomène explique que les riverains ont vu déborder l'Oise partout en même temps.

Puis il a abordé le problème, de l'alerte, notant d'abord que le dispositif d'annonce de crue, fondé sur plusieurs stations de mesure, est insuffisant pour l'amont du bassin, une amélioration significative supposant l'installation de réseaux de mesure pluviométrique dans les Ardennes, voire en Belgique. Il a d'autre part regretté le manque de finesse de l'information dispensée, qui se limite à signaler le franchissement de la cote d'alerte sans indication sur la hauteur de la crue prévue.

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M. Daniel Herment, chef du service des affaires civiles et économiques, de défense et de la protection civile, a présenté les dispositions prises dans le département de l'Aisne pour faire face à la catastrophe qui l'a frappé en décembre 1993.

C'est le 21 décembre su matin qu'il est apparu nécessaire de mettre en place une structure de coordination au sein de la préfecture de l'Aisne. A la demande du préfet, a donc été installée, en moins d'une heure, la salle opérationnelle de la préfecture, prééquipée pour accueillir une cellule de crise associant l'ensemble des services concernés: préfecture (protection civile, cabinet, transmissions), service départemental d'incendie et de secours, gendarmerie, police, délégation militaire départementale, direction départementale de l'équipement (DDE), direction départementale des affaires sanitaires et sociales (MAS), direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (MIRE), inspection d'académie.

La cellule de crise a été constituée sur le modèle d'un COD (centre opérationnel de défense), regroupant plusieurs cellules spécialisées: l'une pour l'ordre public (gendarmerie, police, renseignements généraux), une autre chargée de la protection des

populations (académie, DDAS, protection civile, pompiers, militaires), la troisième s'occupant des problèmes économiques.

Cette cellule de crise a entretenu des relations permanentes avec les différents services sur le terrain pendant à jours d'affilée, 24 h sur 24.

Par ailleurs, il a été fait appel à l'état-major de la protection civile, qui a tenu le numéro vert mis en place lors de l'aggravation de la situation sur Soissons, notamment en matière d'eau potable, et a reçu plus de 1.100 appels en 48 heures.

Enfin, a été installée une cellule communication qui a diffusé un communiqué de presse toutes les 6 heures pendant la durée de la crise.

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Le Lieutenant-Colonel Pierre Patet, directeur départemental des services d'incendie, a exposé les modalités de la mise en _uvre des opérations de secours sous l'autorité des maires et du préfet. Pour préserver les vies humaines, protéger les sites vitaux et les outils de travail, ont été réalisées des évacuations parfois dans l'urgence- de personnes en difficulté (1.200 dans la vallée de l'Oise, dont un centre hospitalier pour personnes âgées à la Fère, 120 dans la vallée de la Serre), ainsi que des missions de reconnaissance dans les zones inondées et de ravitaillement de personnes isolées ayant refusé l'évacuation.

Dans la vallée de l'Aisne, où la crue a été plus lente et plus longue, il a été possible de faire de la prévention, en effectuant des évacuations à l'avance et sans urgence, en neutralisant des stockages de produits dangereux, et en menant des actions de protection sur tous les sites sensibles.

S'agissant de l'organisation du commandement, le dispositif mis en place a été du type ORSEC, bien que le plan ORSEC n'ait pas été déclenché. A la tête de la coordination des secours, se trouvait le PC fixe installé à la préfecture, relié su Centre opérationnel d'incendie et de secours (CODIS); lui-même relié aux deux PC opérationnels des sapeurs pompiers pour la vallée de l'Oise et celle de l'Aisne accueillant les commandants opérationnels des opérations de secours, en liaison très étroite avec les cellules de crise des communes.

Au total, 1.250 des 2.006 sapeurs pompiers de l'Aisne ont participé à un titre où à un autre à ces opérations.

Il faut y ajouter les moyens apportés par les autres services: gendarmerie, police, moyens militaires, SAMU, secouristes de la .Croix rouge, ambulanciers privés...

Le lieutenant-colonel Pierre Patet a ensuite fait état des difficultés auxquelles les pompiers ont été confrontés. Certaines étaient d'ordre technique. Ainsi, le faible délai d'avance de la mesure de la crue de l'Oise dans l'amont du bassin et l'absence de mesure dans la vallée de la Serre empêchaient d'anticiper l'évolution du phénomène. Par ailleurs, les conséquences sur le terrain des hauteurs d'eau annoncées n'étaient pas faciles à évaluer.

D'autres difficultés étaient d'ordre psychologique. Malgré les messages d'alerte diffusés dans des délais normaux, il y a eu, dans la vallée de l'Oise surtout, peu d'évacuations anticipées, en raison de l'accoutumance des populations aux alertes répétées. Selon le lieutenant-colonel Pierre Patet, il faut donc certainement réfléchir à un meilleur dispositif de sensibilisation des populations aux alertes graves. Les pompiers ont aussi été confrontés à quelques refus d'évacuation, qui les ont conduits à mobiliser des moyens spécifiques pour une surveillance accrue et le ravitaillement des isolés.

Les dernières difficultés rencontrées étaient d'ordre structurel. Le service reposant à 90 % sur le volontariat, il a eu beaucoup de mal à tenir dans le temps, nombre de sapeurs pompiers ayant eu des problèmes avec leurs employeurs, encore que le fait que la crue soit survenue en période de vacances a rendu les choses plus faciles.

M. le Président l'ayant interrogé sur les raisons du non-déclenchement du plan ORSEC, le lieutenant-colonel Pierre Patet a indiqué qu'à son avis, du fait que les maires ont pu conserver la direction des opérations de secours dans de bonnes conditions, le PC-fixe mis en place devait plutôt tenir le rôle, comme cela a été le cas, d'un fournisseur de moyens, d'un appui logistique, et d'un outil de coordination. Par ailleurs, le fait que le plan ORSEC n'ait pas été déclenché n'a guère eu d'incidence sur le plan financier. En effet, le plan ORSEC n'entraîne la prise en charge par l'État que des moyens provenant de la même zone de défense, alors qu'en l'occurence il avaient été fournis par une autre. A son avis, le seul changement qu'aurait induit le plan ORSEC aurait concerné le commandement il aurait donné au préfet la direction des opérations de secours, alors que cette fonction a été assurée par les maires des communes concernées, le préfet s'étant borné à un rôle de coordination et d'appui logistique.

Le Commandant Philippe Duchemin, Commandant en second du groupement de gendarmerie de l'Aisne, et Commandant par interim de ce groupement pendant les inondations, a tout d'abord présenté les missions confiées à la Gendarmerie lors des inondations de 1993. La Gendarmerie est chargée en premier lieu d'une mission d'alerte des édiles, que la progressivité de la montée des~eaux lui a permis de remplir dans les meilleures conditions. Elle a aussi pour mission de renseigner les autorités sur l'évolution de la crue, la viabilité des itinéraires, la délimitation des zones sinistrées, et le recensement des personnes évacuées. Elle informe par ailleurs les autorités administratives et judiciaires sur la situation des établissements commerciaux et industriels envahis par les eaux, notamment sous l'angle des effets induits des inondations: fermeture d'établissements, licenciements, chômage technique, pollution éventuelle. Enfin la gendarmerie a dù assurer une mission de protection des personnes et des biens, pour éviter les pillages.

Il a ensuite exposé les difficultés rencontrées en matière de personnel, de moyens d'intervention et de transmissions. S'agissant du personnel, les évènements se sont produits pendant les vacances de fin d'année, alors qu'un tiers des effectifs était déjà parti en permission. Ainsi, dans chaque compagnie, soit l'officier, soit l'adjoint était absent. A titre indicatif, pour le_ département de l'Aisne, la gendarmerie départementale et la gendarmerie mobile ont consacré 1.033 jours-gendarmes aux missions liées aux inondations, un jour-gendarme étant évalué dans ces circonstances à 15 heures de travail environ.

Pour ce qui est des moyens, le groupement de gendarmerie n'est pas doté de barques, ni de moyens nautiques et il a dù faire appel à ceux des pompiers et de l'armée de terre pour des missions ponctuelles. En revanche, l'emploi de l'hélicoptère de la Gendarmerie a été particulièrement utile et apprécié pour certaines missions de surveillance et de secours.

En ce qui concerne les transmissions, les problèmes ont été dus à la présence de zones d'ombre radioélectrique et à l'absence de PC mobile, problèmes qui devraient néanmoins être réglés d'ici quelques mois.

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M. Jean-Pierre Collin, commissaire divisionnaire, directeur départemental de la sécurité publique, a indiqué en quoi avait consisté l'intervention des services de sécurité publique - soit 380 agents - dans le dispositif de lutte contre les inondations.

Tout d'abord, les messages d'annonce de crues sont transmis par la préfecture selon les cas aux services de gendarmerie ou de police qui en font part immédiatement aux maires concernés, à charge pour ceux-ci de prendre les dispositions nécessaires. L'accomplissement de cette mission n'a pas rencontré de difficulté, en raison du petit nombre de municipalités à joindre.

Les services de police ont également participé aux opérations de secours. Ils ont ainsi contibué à assurer le départ des personnes des zones dont l'évacuation avait été décidée, la présence d'un policier renforçant alors l'incitation au départ et permettant de vérifier que personne n'a été oublié et que les habitants eux-mêmes ont pris le minimum de dispositions nécessaires pour assurer une protection suffisante de leurs biens. Ils ont en outre assuré la garde des zones évacuées pour éviter les vols, soit à bord de barques ou de véhicules appartenant aux sapeurs-pompiers, soit, après bouclage des quartiers inondés, avec une garde statique des barrières.

Les services de police ont aussi participé à l'évacuation de l'hôpital de La Fère en permettant aux ambulances de ne pas s'arrêter et en renseignant le médecin-régulateur sur la montée des eaux de l'Oise. Enfin, ils ont mis ou fait mettre en place les mesures nécessaires pour permettre aux services de secours, notamment les sapeurs-pompiers, d'intervenir le plus rapidement possible: cette tâche s'est révélée très difficile en zone fortement urbanisée, Soissons en particulier, notamment du fait de la présence des très nombreux curieux.

Enfin, lorsque les gens ont été autorisés à rentrer chez eux, les services de police locaux ont patrouillé tous les secteurs concernés pour vérifier qu'il n'y avait pas eu de vols, étant précisé qu'aucune plainte pour vol n'a été déposée pendant cette période.

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M. Jean-Marie Delacroix, directeur des actions interministérielles à la préfecture de l'Aisne, a consacré son intervention aux conséquences économiques des inondations de décembre 1993.

Il a indiqué que d'importants centres économiques du département de l'Aisne ayant été touchés, avait été mise en place par M. le préfet de l'Aisne une cellule de crise économique, composée de représentants des différents services concernés de l'État et du département, des chambres consulaires, des assurances et de la Banque de France.

Cette instance informelle, qui s'est réunie six fois, a dressé un premier bilan des dégâts, chiffré à plus de 640 millions de F. (soit 500 millions de F. pour l'industrie, 50 millions de F. pour le commerce, 50 millions de F. pour l'artisanat et 40 millions de F. pour l'agriculture) au vu des éléments fournis par les chambres consulaires.

Ces constatations ont conduit M. le Préfet de l'Aisne à saisir dès le 19 janvier 1994 MM. les ministres de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, de l'Économie, de l'Industrie, des Entreprises et du développement économique, du Travail et du Budget pour leur faire part de la gravité de la situation.

Par ailleurs, afin de cerner de façon plus précise les dommages subis, M. le Préfet de l'Aisne a lancé le 25 janvier 1994 une enquête auprès des différentes communes sinistrées pour répertorier les unités touchées et le montant des dégâts subis.

Enfin, le ministère des Entreprises et du développement économique a demandé le 14 mars 1994 de lui faire parvenir une liste détaillée et une estimation précise des dégâts subis par les artisans et commerçants, ce qui a été fait.

M. Jean-Marie Delacroix a ensuite présenté le bilan économique des inondations qui a pu être ainsi dressé. Elles ont affecté de manière importante l'activité économique du département de l'Aisne car ont été particulièrement touchées des zones à vocation industrielle, ainsi que des centres-villes commerçants. Les coopératives et les entreprises agro-alimentaires, très présentes dans l'Aisne, ont également subi de gros dommages.

Les dégâts ont été d'autant plus importants que le sinistre est survenu pendant la période de fin d'année, c'est-à-dire à un moment où les commerçants réalisent une part non négligeable de leur chiffre d'affaires et où le niveau de leurs stocks est au plus haut.

La remise en état des sites de production s'est traduite par plus de 25.000 heures de chômage pour plus de 600 salariés, ce qui a entraîné pour l'Etat, su titre de sa participation à l'indemnisation du chômage partiel, une charge supplémentaire de près de 570.000 F.

Certaines entreprises connaissent encore actuellement de sérieuses difficultés à reprendre une activité normale, au point qu'elles pourraient être conduites au dépôt de bilan. D'autres songent même à quitter les zones d'activités où elles sont installées en raison de leur caractère inondable.

Enfin, même si, dans la plupart des cas, les entreprises sinistrées ont été indemnisées par les compagnies d'assurances, ces indemnisations ne couvrent généralement pas les pertes d'exploitation ou s'avèrent largement insuffisantes en raison de l'application des coefficients de vétusté ou de pertes de marchés qui ont pu intervenir entre temps.

M. Jean-Marie Delacroix a ensuite évoqué les aides apportées aux entreprises, qui ont pris plusieurs formes. Tout d'abord, a été mis en place un dispositif qui a permis à une dizaine d'entreprises de disposer de délais plus importants pour régler leurs dettes à l'égard du Trésor public. De leur côté, la région de Picardie et le département de l'Aisne ont voté des aides exceptionnelles. Le Conseil régional a mis en place un système d'avances remboursables au ler octobre 1994 pour un montant global de 15 millions de F. pour le département de l'Aisne. Le Conseil général a voté un crédit de 5 millions de F. afin de favoriser le réinvestissement rapide, sous la forme d'une bonification d'intérêts de 5 %, pour une durée maximum d'un an, sur les prêts destinés à financer la remise en état ou le remplacement des équipements électriques ou électroniques de production.

M. Daniel Herment, chef du service des affaires civiles et économiques de défense et de la protection civile, a pour sa part évoqué les effets sociaux de la crise.

Il s'est tout d'abord félicité qu'il n'y ait pas eu de décès pendant la crise, trois décès par imprudence s'étant toutefois produits après la crue: une personne qui longeait les berges de l'Oise a glissé dans l'eau, et deux personnes âgées, qui empruntaient pendant la décrue une route fermée à la circulation, ont basculé dans une poche d'eau qu'elles n'avaient pas vue.

Il a rappelé que de nombreuses évacuations avaient été opérées: sur le bassin de l'Oise, il y a eu 1.200 évacuations d'urgence, 400 personnes ayant dû être hébergées dans des centres d'accueil souvent installés dans des établissements scolaires. Sur le bassin de l'Aisne en revanche, les évacuations ont été préventives, de sorte qu'il n'a pas été nécessaire de mettre en _uvre un dispositif d'hébergement d'urgence. Une partie de la population a, en outre, subi des perturbations du fait des dommages enregistrés par le réseau d'eau potable, le réseau téléphonique et le réseau électrique.

M. Daniel Herment a ensuite dressé la liste des aides apportées à la population. Dès les derniers jours de décembre, la direction de la Sécurité civile a débloqué une somme de 150.000 F., répartie dans 17 communes entre 72 bénéficiaires, pour permettre aux plus démunis d'acheter des produits de première nécessité.

La deuxième action de l'Etat a consisté à faire reconnaître le plus vite possible l'état de catastrophe naturelle dans les communes sinistrées. La Direction de la sécurité civile a mis en _uvre une procédure nouvelle pour faire traiter en priorité les dossiers des départements les plus touchés. Alors que les inondations se sont terminées le 3 janvier, un premier arrêté a ainsi pu être publié au Journal officiel le 15 janvier, complété par des arrêtés publiés en février, mars et avril. Dans le département, 240 communes sur 816, soit près du tiers, ont été reconnues en état de catastrophe naturelle.

Enfin, dès la mi janvier, la préfecture a saisi le Fonds de secours aux victimes de sinistres et calamités, qui a pour objet de verser une aide aux personnes non couvertes par les assurances, qui représentent en moyenne 10 % des sinistrés. L'arrêté devrait être signé prochainement, le département de l'Aisne devant recevoir entre 110.000 et 150.000 F.

Par ailleurs, la Commission de l'Union européenne a délégué un crédit d'environ 450.000 F. à la Croix rouge française qui a réparti cette aide entre les différents départements touchés par les inondations, l'Aisne devant bénéficier à ce titre d'environ 30.000 F.

Comme cela a déjà été indiqué, le Conseil général et le Conseil régional ont également attribué des aides aux sinistrés, respectivement 5 et 2,5 millions de F. Il faut ajouter que les communes et plusieurs organismes sociaux ont aussi subvenu à tous les besoins urgents.

Enfin, des aides importantes ont été décidées ou vont l'être par l'Etat, le Conseil général et le Conseil régional pour assurer la réfection de la voirie communale et départementale ainsi que celle des réseaux d'eau et d'assainissement.

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Après avoir rappelé les principes du régime de garantie contre les calamités agricoles institué par la loi du 10 juillet 1964, M. Hugues Jeudy, directeur départemental de l'agriculture et de la forêt, a indiqué que le pourcentage minimum de pertes de récolte exigé pour bénéficier des aides du fonds de garantie n'a été constaté dans aucun cas à la suite des inondations de 1993, mais qu'une vingtaine de dossiers ont été présentés au titre des pertes de fonds pour des dommages divers (clôtures arrachées, stocks de paille et de foin emportés par l'inondation, animaux noyés).

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M. Erie Vangheluwen, ingénieur des travaux ruraux à la cellule hydraulique de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt, s'est attaché à présenter les mesures qui pourraient permettre de prévenir des inondations du type de celle de 1993, le préalable nécessaire à la recherche de telles solutions étant de comparer la crue de 1993 à celles qui l'ont précédée et d'examiner l'incidence qu'a pu avoir l'occupation des sols du bassin versant sur les conditions d'écoulement.

Sur la base des données sur les hauteurs d'eau de l'Oise, de la Seine et de l'Aisne depuis 1920, on a estimé, pour la station d'Hirson, la fréquence de retour d'une crue équivalente à celle de décembre 1993 de 40 ans seulement et conclu que la hauteur d'eau de la crue centennale serait d'un mètre de plus qu'en décembre 1993. Autrement dit, l'évènement enregistré l'hiver dernier n'est pas si rare qu'on a pu le penser, et l'évènement rare pourrait avoir une gravité très supérieure.

En ce qui concerne l'incidence de l'évolution de l'occupation des sols du bassin versant, en l'état actuel de la méthodologie, il est très difficile, sur des bassins versants aussi vastes, d'établir des liens entre la nature de l'occupation des sols et l'écoulement des eaux. L'étude des recensements de l'usage des terres agricoles de 1970, 1979 et 1988 fait apparaître des évolutions de plus ou moins 15 % de la proportion des prairies, cultures, forêts, mais cet écart n'est pas suffisant pour rendre compte des hauteurs d'eau enregistrées. Il n'empêche que sur des bassins versants plus petits, l'occupation des sols peut avoir des conséquences non négligeables, notamment en période d'orage.

Abordant les mesures destinées à prévenir les inondations, M. Eric Vangheluwen a tout d'abord évoqué l'idée de certains de stocker l'eau en amont grâce à des bassins écrêteurs de crue. Mais les volumes d'eau qu'il serait possible de stocker de cette façon seraient sans commune mesure avec ce qui serait nécessaire pour empêcher une crue comme celle de décembre 1993.

Une autre solution envisagée consiste à évacuer l'eau plus vite. Mais les agglomérations étant situées à l'aval des bassins de l'Aisne et de l'Oise, cela aboutirait, pour améliorer la situation en amont, à l'aggraver en aval, dans des zones habitées.

Une autre piste de réflexion concerne les protections de proximité. Les lits majeurs de l'Aisne et de l'Oise sont dynamiques il est indispensable d'y maintenir des champs d'inondation pendant les périodes de crue pour éviter des catastrophes en aval. Une solution est donc d'y protéger des installations existantes, sous réserve que ces aménagements n'aggravent pas la situation en amont ou en aval.

M. Erie Vangheluwen a par ailleurs insisté sur la nécessité de réviser les modes d'information de la population. En particulier, après la grande alerte, il n'y a pas de procédure d'avertissement supplémentaire si l'eau monte plus haut. Il faudrait pouvoir disposer d'une information en continu sur la crue et sur la décrue.

II a en outre estimé indispensable de mettre en place un dispositif d'annonce de crue sur les cours d'eau qui n'en ont pas. Un bon réseau d'information sur l'Oise doit en effet être composé non seulement d'un système de mesure des hauteurs d'eau dans la rivière, mais aussi d'un système d'évaluation de l'eau qui tombe, car l'Oise reçoit de nombreux petites affluents qui ont une grande influence sur son débit.

Enfin, serait selon lui très utile un dispositif permettant de déterminer, à partir d'une cote constatée en amont, quelle cote sera atteinte en aval, prévision que l'on n'est pas en mesure de faire avec précision aujourd'hui.

M. Georges Schminke, ingénieur du service de la navigation de la Seine, chargé de la police de l'eau dans les départements des Ardennes et de l'Aisne, a présenté les moyens préventifs de lutte contre les inondations étudiés en 1990 pour le compte de l'Entente interdépartementale pour les secteurs de la haute vallée de l'Aisne et de ses affluents, par un bureau d'études extérieur à l'Administration.

En ce qui concerne le diagnostic de la situation, cette étude a mis en évidence les principaux points suivants: instabilité des lits et dégradation des berges, modifications préoccupantes des paysages agraires (déboisement, colonisation du lit majeur par les cultures, recul des prairies), manque de solidarité entre les différents partenaires des structures locales et interdépartementales. S'agissant des scenarios d'aménagement possibles, l'étude a fait le point des enjeux qui doivent préalablement être identifiés et des nécessaires actions de sensibilisation et de mobilisation des différents partenaires. Elle a préconisé la mise en place d'outils de gestion et de coordination pour atteindre l'objectif prioritaire, la réalisation de sites expérimentaux en matière de retenues, par la mise en _uvre d'opérations exemplaires de retenues collinaires sur l'Aire et l'Aisne amont.

Cette étude a en outre fait l'inventaire de tous les types d'actions possibles pour retenir l'eau, les a chiffrées, et a établi sur ces bases huit acenarios (figurent dans les encadrés ci-après la liste des solutions avec leur coût ainsi que les huit scenarios).

L'examen comparatif des avantages et inconvénients des différents scénarios avaient conduit le comité technique de pilotage à proposer la mise en _uvre du scénario 6 prévoyant les retenues collinaires principales et des dispositions de rétention partielle avec des aménagements des lits majeur et mineur, d'un coût d'environ 324,8 millions de F., complété d'aménagements ponctuels portant l'opération à 338 millions de F. Mais l'absense de financement n'a pas permis d'aller au-delà de cette étude.

En réponse à une remarque du Rapporteur estimant cet exposé contradictoire avec celui d'un précédent intervenant selon qui des retenues collinaires n'auraient pas permis d'absorber les deux vagues de crue et n'auraient donc servi à rien, M. Georges Schminke a nié qu'il y ait contradiction: l'intervention précédente évoquée par le Rapporteur avait mis l'accent sur le volume global de la crue, alors qu'il s'agit là de mesures préventives ayant pour but d'écrêter une crue, pas de la contenir. Il a donc confirmé qu'effectivement, la crue de décembre 1993, compte tenu de son

volume et des circonstances particulières dans lesquelles elle s'est produite, n'aurait pas pu être contenue.

Les solutions de base

Solution A : Dispositions préventives de rétention généralisées, diffuses, réparties selon l'intérêt hydrologique sur l'ensemble des communes, sous-bassins et départements

- Pour traiter l'ensemble des bassins (volume d'eau retenu, 19 millions de m3) ...................................................................................................137MF

- Pour traiter seulement les secteurs à forte restitution (volume d'eau retenu 19 millions de m3) .................................................................. 65 MF

Solution B : Retenues collinaires localisées avec trois niveaux d'objectifs de crues éprincipaux apports: volume d'eau retenu, 35 millions de m3 . ...................................................................................................................... 212 MF

les plus efficaces :volume d'eau retenu, 50 millions de m3 .337 MF

- les 23 retenues en totalité :volume d'eau retenu,76 millions de m3 .......................................................................................................................580 MF

Solution C : Barrages réservoirs (à titre comparatif) envisagés par les études précédentes sur l'Aire volume d'eau retenu,17 millions de m3 ..100 MF

Solution D : Aménagements du lit majeur se résumant à des digues submersibles associées à des fossés drainants (on retrouve là un objectif très précis pour l'utilisation du sol)

- sur 42 km.............................................................................. 27 MF

-sur 160 km .............................................................................60 MF

Solution E : Améliorations des capacités d'écoulement du lit mineur, selon trois solutions variantes et une compôsition hybride portant sur :

-des nettoyages, rattrapage d'entretien et reprofilage partiel .18 MF

- une restauration limitée aux tronçons .primaires. de l'Aisne

moyenne, complémentée par des coupures sèches .................11 MF

- une augmentation des gabarits pour un objectif de 40 à 60 m2

de section ..............................................................................15 MF

- une association des travaux de rattrapage, d'augmentation des

gabarits et des coupures sèches ..........................................35,5 MF

Auxquels s'ajoutent le traitement de ripisylve, recépage et plan-

tations (il s'agit du. traitement de la végétation des rives) .....13 MF

Les huit scénarios

Scénario 1 : les dispositions préventives de rétention généralisée, diffuse, répartie selon l'intérêt hydrologique sur 1 ensemble des communes, sous-bassins et départements.

Coût ....................................................................................37,3 MF

Scénario 2: les retenues collinaires sur les 60 sites retenus dans les bassins élémentaires amont (c'est le scénario coûteux).

Coût .....................................................................................580 MF

Scénario 3 : les aménagements du lit majeur en grande partie sur l'Aisne moyenne et les accroissements des capacités d'écoulement du lit mineur (combinaison de trois variantes).

Coût ....................................................................................95,5 MF

Scénario 4 : les dispositifs de rétention généralisée (en totalité) associés aux aménagements des lits majeur et mineur.

Coût ...................................................................................232,8 MF

Scénario 5: les retenues collinaires les plus efficaces et des dispositions de rétention généralisées sur les secteurs à forte restitution (on rejoint les points sensibles).

Coût ......................................................................................400 MF

Scénario 6 : les retenues collinaires principales et des dispositions de rétention partielle avec des aménagements des lits majeur et mineur.

Coût ....................................................................................24,8 MF

Scénario 7 : deux barrages réservoirs sur l'Aire et l'Aisne amont (donné à titre comparatif).

Coût ......................................................................................230 MF

Scénario 8 : deux barrages réservoirs, des retenues collinaires en aval et rattrapage d'entretien du lit mineur (à titre comparatif, avec le même niveau d'efficacité que les scénarios précédents).

Coût ...................................................................................509,4 MF

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M. Raymond Capitaine, responsable de l'arrondissement Picardie au service de la navigation de la Seine, a fait le point des nombreux dégâts subis par les infrastructures de VNF pendant les inondations de 1993 du fait de l'importance des hauteurs d'eau et des vitesses d'écoulement, notamment les canaux anciens et à faible trafic, tels ceux de SaintQuentin et de la Sambre à l'Oise.

La digue de La Fère, en particulier, qui sépare l'Oise de ce dernier canal, a été submergée. L'eau de l'Oise est arrivée à un tel niveau qu'elle est passée par dessus la digue et a débordé dans le canal. Les biefs en aval de la digue se sont alors remplis d'eau. Les écluses ont été ouvertes, mais du fait qu'elles étaient trop étroites pour évacuer l'ensemble de l'eau, celle-ci est passée par dessus la digue du canal, donnant l'impression que c'était le canal qui débordait. Une ouverture dans la digue de la branche de La Fère du canal de Saint Quentin a alors été réalisée par les services de la navigation, ce qui a permis de remettre une partie de l'eau dans le lit de l'Oise.

M. Raymond Capitaine a ensuite présenté les grandes lignes du programme de remise à niveau et de consolidation des infrastructures et des digues proposé à VNF, pour un montant d'environ 40 millions de F. (dont plus de 18 millions de F. pour le département de l'Aisne) qui sera financé sur 1994 et 1995. Les principales opérations prévues à ce titre dans le département de l'Aisne sont: la consolidation et la remise en état de la digue de la Fère et la restauration de diverses autres digues, des curages d'aqueducs et de contrefossés, et le renforcement de la digue de Marizelle.

M. Erie Vangheluwen, après avoir indiqué que le département de l'Aisne est traversé par 4.500 km de cours d'eau, dont la majorité sont soit non navigables, soit non domaniaux, a rappelé que l'entretien de leurs berges relève donc soit des riverains, soit, en cas de défaillance de ceux-ci, des syndicats intercommunaux ou associations syndicales, dont la quinzaine que compte le département est loin de couvrir le linéaire de l'ensemble des cours d'eau.

Il a précisé qu'en tout état de cause, la restauration ou l'entretien régulés des cours d'eau n'aurait absolument pas permis d'éviter la crue de décembre 1993. En revanche, cela permet, sur des secteurs bien définis, de limiter l'impact de crues faibles à moyennes. Aussi a-t-il insisté sur la nécessité, avant de lancer des programmes de restauration, de s'inquiéter de l'impact utile de ceux-ci.

Enfin, il a replacé la question de la restauration des cours d'eau dans le cadre d'une analyse des crues en termes de scénarios possibles dans l'avenir. Traditionnellement, on comparait les crues aux crues passées, mais les outils dont on dispose aujourd'hui permettent de plus en plus de se projeter dans l'avenir. On peut essayer d'étudier par exemple ce qui se passera en cas de conjonction à leur confluent de deux crues de l'Oise et de la Seine, de l'Oise et de l'Aisne, ou s'il pleut sur l'Ouest du bassin en même temps que les eaux d'amont y dévalent. Dans l'impact de ces évènements, la gestion des cours d'eau joue aussi son rôle et il est important de l'intégrer.

Mme Caroline Lavallart, ingénieur des travaux publics de l'Etat au service urbanisme et habitat de la direction départementale de l'équipement, a présenté les principales dispositions relatives à l'occupation du sol en zone inondable, qui, à côté de la protection par les digues, constituent un élément essentiel du dispositif de prévention des inondations.

Elle a tout d'abord exposé le régime du plan d'exposition aux risques, dont l'originalité est d'établir un lien entre la prévention et l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. Ses objectifs sont l'affichage du risque et la prescription de mesures techniques de prévention. Son champ d'application couvre les risques naturels, donc notamment les inondations.

Le PERI constitue une servitude d'utilité publique devant être respectée dans les documents d'urbanisme et par les autorisations d'occupation du sol. Il s'impose à toute personne publique ou privée souhaitant intervenir dans le secteur concerné et, même éventuellement à des constructions déjà existantes.

Il définit une zone rouge, une zone bleue à risques et une zone blanche sans risque prévisible. Il fixe des dispositions applicables aux biens et activités existant en zones bleue et rouge (forte incitation à réaliser des travaux de prévention (recommandations relatives aux matériaux à employer, aux aménagements intérieurs, aux équipements extérieurs, aux réseaux et à l'évacuation des personnes et des biens). Il réglemente l'installation de toutes constructions et installations nouvelles, qui sont interdites en zone rouge et soumises à autorisation sous condition en zone bleue.

Dans le département de l'Aisne, un plan d'exposition aux risques d'inondation de la vallée de l'Oise moyenne, c'est-à-dire en aval de la Seine, a été prescrit par arrêté préfectoral du 23 juillet 1986 dans la continuité amont de celui du département de l'Oise. Il concerne 23 communes, soit 44.873 habitants. Publié en octobre 1991, il a fait l'objet d'études complémentaires en 1992 et 1993 à la suite des résultats de l'enquête publique. A la suite des inondations de décembre 1993 et janvier 1994, le choix des zonages s'est trouvé partiellement remis en cause et doit à nouveau être soumis à enquête publique, du fait aussi du changement de réglementation intervenu en mars 1993. En outre, un PERI est prévu dans le cadre de la réalisation du contrat de rivière de l'Oise amont.

Mme Caroline Lavallart a ensuite expliqué comment les documents d'urbanisme pouvaient jouer un rôle de prévention des inondations.

Le risque inondation est pris en compte dans les plans d'occupation des sols, les schémas directeurs, les plans d'aménagement de zone au moyen de prescriptions de degré et de nature différents adaptés à l'échelle de ces documents.

Le premier acte de la procédure d'élaboration des documents d'urbanisme est le .porter à connaissance» par lequel l'Etat doit identifier le risque naturel prévisible et le faire connaître lorsqu'il communique aux collectivités toutes les informations ou prescriptions comme devant être mises en _uvre dans les documents d'urbanisme.

Au cours des phases ultérieures, le représentant de l'Etat peut notifier les modifications éventuelles des documents si les propositions concernant les risques ne sont pas prises en compte.

C'est à travers le plan de zonage et par les limitations sélectives de l'utilisation future des sols que le plan d'occupation des sols peut jouer un rôle de prévention passive contre les inondations.

En effet, le POS prend en compte tant les espaces déjà urbanisés que les espaces d'urbanisation future ou encore les espaces naturels. Dans les espaces déjà urbanisés, le POS vise tous les travaux soumis à permis de construire. Dans les espaces d'urbanisation future, le POS peut prévenir les risques en affectant sélectivement le sol aux seules activités non susceptibles de compromettre la sécurité ou l'hygiène. Dans les zones naturelles, le POS interdit ou limite le droit de construire notamment en raison des risques. Dans tous les cas, cette limitation peut être modulée, selon les risques, de l'interdiction pure et simple de construire à l'autorisation d'utiliser le sol sous réserve de certaines modalités de construction (surélévation, pilotis...).

Plusieurs dispositions donnent à l'Etat un pouvoir d'autorisation d'occuper le sol.

L'article 8.111-2 du Code de l'urbanisme permet à l'Et2 . , lorsqu'il est détenteur de la compétence pour délivrer les autorisations d'occupation du sol, de les refuser ou de les accorder, sous réserve de prescriptions spéciales, si leur situation ou leurs dimensions sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Cet article s'applique au·,~ii aux autorisations de lotir et aux déclarations de travaux.

L'article 8.111-3 du Code de l'urbanisme permet à l'État, en présence d'un risque naturel, d'établir un périmètre de risque à l'intérieur duquel les permis de construire et autres autorisations d'utiliser le sol pourront être subordonnés à des conditions particulières. La mise en _uvre de ce dispositif suppose un minimum d'études techniques préliminaires, car il faut être en mesure de définir un périmètre judicieux et de déterminer les cotes de la crue de référence pour établir les recommandations à faire dans ces périmètres.

Dans les vallées du département de l'Aisne, toutes les principales agglomérations urbaines sont couvertes par des plans d'occupation des sols, mais ce n'est pas forcément le cas dans les zones non urbaines.

A l'occasion des dernières inondations, la DDE a collecté un maximum d'informations sur le terrain et un important travail a été mené pour homogénéiser ces données et permettre leur meilleure utilisation possible. Actuellement, elles servent de référence pour émettre des avis sur les diverses autorisations d'occupation du sol.

Enfin, Mme Caroline Lavallart a noté que la maîtrise de l'occupation du sol dans la zone de grand débit du champ d'inondation pose aussi les questions de l'impact cumulé de nombreux projets ou des conditions d'exploitation des carrières sur l'évolution des inondations. Selon elle, la mise en _uvre d'un modèle mathématique prévoyant l'évolution des inondations en intégrant les projets successifs pourrait permettre de suivre de façon satisfaisante l'évolution de l'occupation du sol, qu'il s'agisse de permis de construire, d'installations classées, de remblais ou de carrières en cours d'exploitation, de façon à prévoir plutôt que de subir.

En réponse à une question de M. Jean Desanlis sur le problème de l'entretien des berges des cours d'eau non domaniaux en cas de carence des riverains, M. Éric Vangheluwen a précisé les deux cas de figure qui se présentent dans le département de l'Aisne.S'il existe des structures intercommunales qui se sont substituées aux riverains, elles font le travail à leur place. Dans le cas contraire, est mise en _uvre la procédure de curage aux frais des riverains. prévue par le code rural. Dans un premier temps, l'administration demande au propriétaire de faire le travail dans un certain délai. Si, passé ce délai, le travail n'est pas fait, un arrêté préfectoral impose au propriétaire de le faire à ses frais. Les travaux sont alors réalisés par une entreprise, payée grâce à une avance votée par le Conseil général, les sommes versées étant ensuite récupérées auprès du propriétaire par le percepteur.

M. Eric Vangheluwen a précisé que cette procédure, régulièrement mise en _uvre dans le département, si elle a une certaine efficacité, n'apporte pas vraiment de solution pour l'entretien régulier des cours d'eau car elle ne concerne que des opérations ponctuelles.

Mme Emmanuelle Bouquillon a souhaité savoir, d'une part s'il était envisagé de fournir aux maires la traduction des hauteurs d'eau en cotes NGF - c'est-à-dire en altitude-, d'autre part si la construction d'un canal à grand gabarit aurait pu créer un réservoir d'eau capable d'atténuer la crue.

Sur le premier point, M. Raymond Capitaine a reconnu qu'existait un problème de lisibilité des cotes transmises par les services de la navigation, même si les maires, notamment des communes rurales, en ont suffisamment l'habitude pour en déduire les conséquences pour leur commune. Pour améliorer la compréhension de l'information, les messages transmis pendant les dernières inondations indiquaient la hauteur d'eau et le nvieau NGF correspodant.

S'agissant du deuxième point, M. Raymond Capitaine a distingué deux aspects. En premier lieu, il est certain que le fait de passer des rivières au grand gabarit facilite l'écoulement, comme on l'a bien vu cet hiver, la crue ayant été beaucoup moins forte à l'aval de Compiègne, où l'Oise est au grand gabarit, qu'à l'amont. La création d'un réservoir est une chose différente. En effet, un canal consomme de l'eau, par évaporation, infiltration et fonctionnement, puisqu'à chaque ouverture d'écluse, l'eau passe à l'aval. Pour remédier à cela, il y a deux solutions, soit pomper l'eau de l'aval vers l'amont pour compenser celle qui s'échappe, soit créer un réservoir. Le groupe de travail Oise-Aisne a évoqué la possibilité de créer un ou des réservoirs pour servir à la fois à la gestion du canal à grand gabarit en période d'étiage et à écrêtement des crues. C'est une solution envisagée, mais les études hydrauliques ne sont pas encore faites.

M. le Président a remercié les différents intervenants de les i à explications.

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Compte rendu de la réunion tenue à la mairie de Chauny

M. Marcel Lalonde, maire de Chauny, a présenté un bilan des dégâts infligés à la ville de Chauny par les inondations provoquées par la crue de l'Oise et surtout par le débordement du canal de Saint-Quentin, les dix derniers jours de l'année 1993. Elle a été la ville la plus sinistrée du département de l'Aisne; plus de 500 habitations ont été inondées et évacuées, 1.800 à 2.000 personnes sinistrées et évacuées, plus de 300 personnes hébergées en structures d'accueil, 600 à 700 habitations ont été fortement endommagées et 1.028 déclarations de sinistre ont été enregistrées en mairie dont 70 concernant des entreprises, des artisans et commerçants. Le potentiel économique a été gravement atteint: la zone industrielle sud a été presque totalement inondée, la quasi totalité des entreprises et groupes industriels sinistrés, les commerces et les activités artisanales et de sous-traitance fortement touchés. Les infrastructures routières, les bâtiments et équipements publics ont égalemnt subi d'importants dégâts.

Les sinistres ont été globalement évalués à environ 400 millions de F., dont 100 millions de F. pour les dommages mobiliers et immobiliers subis par les particuliers, 100 millions de F. pour les sinsitres des collectivités et services publics et 200 millions de F. de préjudices économiques.

S'y ajoutent les pertes indirectes, non indemnisées, des entreprises et des commerces non situés dans les zones inondées.

Les inondations ont causé de gros dégâts sur le réseau d'assainissement et les installations de traitement des eaux usées gérés par le SIVOM Chauny-Tergnier-La Fère, le coût des réfections nécessaires ayant été évalué à 40 millions de F.

Il a insisté sur les conséquences économiques et sociales désastreuses d'un tel phénomène pour un bassin d'emploi qui connaît un taux de chômage de plus de 15 % actuellement et dont l'axe économique a été sinistré.

Il a estimé que, malgré la mobilisation des élus locaux et des acteurs socio-économiques, une véritable amélioration de la situation suppose que la solidarité nationale s'exerce envers cette région.

Il a constaté que, plus de six mois après les événements, aucune explication rationnelle n'a été formulée sur les causes de cette catastrophe, de sorte que la population continue à se poser les mêmes interrogations : ces inondations ont-elles été dues uniquement à des éléments naturels impossibles à dominer ? Ces événements étaient-ils prévisibles? Toutes les dispositions ont-elles été prises ? Les moyens de prévention des risques ont-ils été bien appréciés ? L'entretien des voies navigables n'est-il pas en cause ? Les moyens d'alerte sont-ils adaptés? La population se pose aussi la question de savoir si la région n'a pas été «sacrifiée» au bénéfice de la protection de la région parisienne.

Quant à la gestion de la crise, on se demande pourquoi le plan ORSEC n'a pas été déclenché et si les moyens du plan rouge étaient suffisants.

M. Marcel Lalonde a tenu par ailleurs à souligner le caractère exemplaire du comportement des populations, à saluer les actes de solidarité et de courage de tous ceux qui se sont particulièrement dévoués dans ces circonstances, et à remercier tous ceux qui ont directement participé aux opérations de secours.

Pour l'avenir, il a revendiqué au nom de la population de sa commune le droit à la protection des entreprises, des habitations, des biens et des équipements collectifs. Il a estimé nécessaire d'entreprendre des grand travaux et de prendre des mesures préventives - barrages, champs d'inondation, exutoires, curage des voies navigables, restauration des berges, dispositif d'annonces des crues-afin que pareille catastrophe ne se reproduise pas.

Il a fait observer que ce sont les anciens quartiers et les zones d'activités traditionnelles qui ont été touchés, ce qui empêche d'imputer les conséquences des inondations à des opérations d'urbanisation récentes incontrôlées, voire anarchiques, comme ce peut être le cas ailleurs.

Il a développé le point de vue selon lequel, dans la région, les solutions passent essentiellement par la régulation des voies navigables, estimant qu'un réel problème de fond se pose quant à l'entretien des voies d'eau, qui relève soit des riverains dans le cadre des'obligations fixées par le code civil, soit de l'État au travers du service de la navigation, administration dont tout le monde reconnaît le manque patent de moyens financiers, techniques et humains.

Il a par ailleurs fait état de ses inquiétudes quant à l'urbanisation à venir du secteur de sa commune, dans la perspective de son développement. Selon lui, les administrations semblent vouloir établir officieusement comme référence les niveaux des eaux constatés lors des dernières inondations, et considérer les zones dernièrement inondées comme soumises aux dispositions contraignantes de la zone bleue du plan d'exposition aux risques d'inondation (PERD. Il a ainsi exprimé la crainte que la population soit ainsi deux fois victime des inondations en étant maintenant bloquée dans son développement si des conclusions hâtives sont tirées de données insuffisamment analysées.

Enfin, il a abordé l'organisation des secours et les indemnisations.

Après avoir rappelé que ses concitoyens avaient terriblement souffert de cette épreuve sur le plan matériel et financier mais aussi d'un point de vue psychologique, il a souligné que, malgré l'intervention de l'État, ce sont les collectivités locales qui se sont trouvées en première ligne pour résoudre l'ensemble des problèmes qui se posaient.

Il a fait état du sentiment qu'a eu la population d'être lâchée lorsque «la caravane des gros moyens. (Armée, CODIS, Gendarmerie) s'en est allée alors que la décrue n'était même pas amorcée, le choix du plan déclenché n'étant bien sûr pas étranger à cette situation.

Insistant sur le fait que la commune avait dû compter sur ses propres forces, il a rendu un hommage particulier aux membres du personnel communal, du Centre communal d'action social, de la Croix-Rouge et à tous ceux qui se sont particulièrement dévoués auprès de la population durant cette période.

Il a porté un jugement globalement positif sur la mise en _uvre des procédures d'assurance suite su constat de l'état de catastrophe naturelle prononcé dans des délais rapides, tout en faisant remarquer que les pertes enregistrées par les particuliers et les entreprises n'en demeurent pas moins très importantes du fait des modalités de remboursement, la situation des non-assurés et des professionnels ayant subi des pertes indirectes étant encore plus préoccupante.

Enfin, il a fait le point des diverses aides dont a bénéficié la population. Outre l'hébergement et la restauration des sinistrés et diverses aides matérielles, près de 1,5 million de F. a été distribué à 531 foyers au titre des secours d'urgence dont 486.600 F. par l'État, 537.550 F. par le centre communal d'action sociale, 63.123 F. par la Croix-Rouge, 57.900 F. en bons d'achat sur le compte Chauny-inondations, le solde au titre des secours attribués par les organismes de prévoyance, des caisses de retraite, de la CAF, des chambres consulaires, du secours catholique, ainsi que des dons et participations, versés au compte du CCAS, provenant de la région, des communes, syndicats et associations, organismes sociaux, entreprises et particuliers.

Pour conclure, il a exprimé le souhait que les causes de cette catastrophe soient enfin expliquées, que les travaux nécessaires à la protection de la commune soient entrepris, que des mesures préventives soient prises et que des aides soient allouées de façon à permettre une réparation intégrale des dommages.

Puis, en réponse à des questions du Président et du Rapporteur, M. Marcel Lalonde s'est exprimé sur les trois points suivants. Tout d'abord, il a fait état de sa crainte de voir le secteur de sa commune délaissé par les grands groupes pour l'implantation de leurs unités. Ensuite, il a vivement souhaité que les techniciens compétents en la matière puissent donner l'explication d'un phénomène a priori incompréhensible, à savoir le débordement d'un canal. Enfin, il a évoqué la situation des personnes non assurées, que la commune a aidées comme les autres, voire plus dans certains cas, notant que la préfecture avait débloqué 143.000 F. de crédits pour l'ensemble du département, ce qui représente un effort appréciable mais fait peu par personne.

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M. Yves Yhuel, premier adjoint su maire de Besutor, après s'être associé pleinement à l'ensemble des propos tenus par M. Marcel Lalonde, a indiqué que, dans sa commune, l'eau du canal avait atteint 48,28 m en janvier dernier, alors qu'avant l'arrêt de la centrale EDF en 1984, elle n'était jamais monté jusqu'à la hauteur du radier de la centrale, soit 48,10 m.

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M. Jean-Luc Cardon, secrétaire général de la mairie de Besutor, s'est demandé si, au cas où la centrale d'EDF aurait encore été en activité, les services de l'État auraient laissé déborder volontairement le canal jusqu'à la cote de 48,28 m, ce qui aurait alors entraîné son arrêt. Il a exprimé la vive inquiétude de la municipalité sur la possibilité de reconvertir la friche industrielle créée par le démantèlement de la centrale et y accueillir des entreprises alors qu'il paraît inévitable que la zone en question sera à nouveau inondée.

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M. Michel Objois, maire de Liez, a indiqué que sa commune a connu, elle, des coulées de boue qui l'ont envahie en quelques heures, phénomène sur lequel il a demandé une étude à la Direction départementale de l'agriculture, qui vient de lui en transmettre les résultats. Elle lui conseille de négocier à l'amiable avec les propriétaires terriens la reconstitution de réseaux de fossés et de drainage des champs mais cela lui semble difficile à réaliser car il n'y a plus qu'un ou deux cultivateurs sur une zone de 600 ou ?00 ha, tout le territoire de notre commune ayant changé de mains en trois ou quatre ans. Il s'est d'ailleurs étonné que personne n'ait encore pu nous expliquer pourquoi le canal a débordé, s'écoulant dans le Rieu qui, de ce fait, a lui aussi débordé.

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M. Gérald Naberès, maire de Condren, a précisé qu'à Condren, si depuis des siècles les prairies qui bordent l'Oise sont périodiquement inondées, jamais le canal n'avait débordé. Il a déclaré partager les préoccupations exprimées par M. Marcel Lalonde, faisant notamment état de son inquétude quant aux perspectives d'avenir du bassin d'emploi.

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M. Jacques Desallangre, maire de Tergnier, a fait état d'une note de la direction départementale de l'équipement, selon laquelle les problèmes qu'a connus la commune de Tergnier ont pour origine des eaux pluviales dont la plus grande partie n'a pas pu être retenue en infiltration directe dans les sols, et qui, mélangées à la couche superficielle de terre végétale ont contribué à former des boues qui se sont concentrées dans le fossé. Cette note indique ensuite que les eaux provenant du bassin agricole arrivant non retenues dans les parties agglomérées, une première solution consisterait à les .tamponner».

Sachant qu'n aval, ces eaux .non tamponnées» ont pour exutoire le contrefossé, M. Jacques Desallangre a exprimé le souhait que le service de la navigation réponde sur le point de savoir si le canal de la Sambre à l'Oise ne mériterait pas d'être curé, car en raison de la faiblesse du trafic, les boues s'y accumulent, et fasse connaître la périodicité d'entretien du contrefossé et la qualité des travaux qui y sont effectués.

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M. Alain Colpin, représentant les écologistes indépendants de Picardie, a tout d'abord présenté l'explication donnée par les écologistes à ce qui s'est passé: trois années pluvieuses et, début décembre, une saturation complète des terrains. Dès lors, le choix est entre soit ne rien faire en espérant l'arrêt des pluies, soit commencer à évacuer l'eau vers l'aval par le canal; mais cette dernière solution est impraticable, puisqu'il n'y a pas de réservoir susceptible de recevoir le surplus d'eau. Si l'on avait drainé vers l'aval dès le début de décembre, on aurait pu éviter les inondations, mais plus tard il n'y avait pas de solution. Pour tout dire, les écologistes ont la conviction que la Picardie a été sacrifiée pour épargner la région parisienne.

Par ailleurs, il y a eu des retards dans l'alerte: l'eau est montée dans les maisons à partir de minuit, mais nombre de gens n'ont été alertés que vers 5 ou 6 h.

Pour l'avenir, M. Alain Colpin a exprimé la crainte que les industries s'en aillent et que les assureurs augmentent les primes ou résilient les contrats.

En matière de prévention, les écologistes demandent la mise en place d'un dispositif d'annonce des crues, la création de champs d'épandage des inondations, l'entretien et la restauration systématique des berges, une meilleure maîtrise de l'urbanisme, notamment à travers le PERI, la création de réserves d'eau de pluie.

M. Jean Desanlis s'étant étonné qu'il sit souhaité la mise en place d'un dispositif d'annonce de crue, alors qu'il semble avoir bien fonctionné partout, M. Alain Colpin a expliqué qu'il entendait par là non seulement une organisation destinée à assurer le sauvetage mais un véritable dispositif éducatif, faisant par exemple profiter la population des divers relevés. Pour nous, un tel dispositif c'est la mise en place d'une capacité d'information générale.

Enfin, M. Jean Desanlis lui ayant demandé s'il pensait que les maires avaient bien informé la population, M. Alain Colpin a précisé qu'il n'avait rien à reprocher à la gestion municipale, mais que c'était le raisonnement des techniciens que les écologistes mettaient en cause: début décembre, selon lui, un bon hydrologue devait savoir que les terrains n'étaient plus capables d'absorber la moindre goutte d'eau; or il a continué à pleuvoir.

M. René Carpentier a ajouté que la crue était venue par un ruisseau dont les crues sont fréquentes et dont les causes sont toujours les mêmes, soit le surbaissement de la berge du fossé à proximité du centre hospitalier, soit des entraves dans le fond du lit. Il a estimé que des travaux de curage étaient donc indispensables mais qu'en raison de leurs coüt, il serait bon qu'ils soient au moins subventionnés par l'Etat ou le Conseil général.

M. le Président a remercié l'ensemble des intervenants.

Déplacement effectué par la Commission

dans les départements de la Charente et

de la Charente-Maritime

le 29 Septembre 1994

Au cours de ce déplacement, ont été tenues trois réunions de travail, successivement à la préfecture d'Angoulême (Charente), à Brives-sur-Charente (Charente-Maritime) et à la souspréfecture de Saintes (Charente-Maritime).

Accueillant la délégation de la Commission su Conseil général de la Charente en tant que Président de celui-ci et de l'Institution interdépartementale du fleuve Charente et de ses affluents, M. Pierre-Rémy Houssin a tout d'abord retracé l'histoire de 17nstitution interdépartementale: elle a vu le jour après la sécheresse de 1976, à l'initiative de M. Marcilhacy, alors que les problèmes envisagés étaient surtout l'étiage et la sécheresse ; la participation des départements de la Vienne et de la CharenteMaritime a été obtenue très vite. De 1978 à 1982, beaucoup d'études ont été lancées. En 1982, lorsqu'il est lui-même devenu président de l'Institution, alors que rien ne le prédisposait à occuper une telle fonction, étant élu d'un canton assez éloigné du fleuve, il a constaté avec un certain effarement que, si des mesures très rapides n'étaient pas prises en matière d'inondations, une véritable catastrophe se préparait. Puis, l'inondation de 1982 a rappelé à tous l'urgence des travaux à faire. L'Institution a donc décidé de ne pas travailler seulement sur les questions d'étiage mais aussi sur l'écrêtement des crues. De plus, elle s'est attachée à mobiliser l'ensemble des partenaires pour mieux gérer le fleuve, de sorte qu'a pu être signé, avant la loi sur l'eau, un protocole d'accord assez original sur la gestion du fleuve Charente.

S'agissant des travaux en matière d'inondation, M. Pierre-Rémy Houssin a précisé qu'ils ont commencé en 1982-84. Un contrat relatif à l'écrêtement des crues du fleuve a été signé par l'État, la région et l'Institution. En matière d'écrêtement, en moins de 10 ans, 45 millions de F. ont été investis (réparation d'ouvrages d'art, d'écluses, mise en place du système d'annonce de crue, barrages). Parallèlement, l'aménagement des rives de la Charente a été entrepris, 100 millions de F. y ayant été affectés ainsi qu'à des ouvrages d'art sur la partie domaniale du fleuve Charente, en plus du contrat de plan. De plus, en 1984, dans le cadre d'un contrat de plan, a été construit le barrage de Lavaud, barrage d'étiage d'une capacité de 12 millions de m3 destiné à respecter les contrats passés avec les irrigants qui avaient beaucoup investi, mais qui a aussi son importance en matière de crue, car ce qui est retenu au fil de l'eau n'inonde pas l'aval. La création d'un deuxième barrage, pour 14 millions de m3, est en cours. Une deuxième enquête vient de se conclure par un avis favorable et l'Institution espère avoir d'ici le mois de décembre l'aval de l'État pour commencer les travaux.

En 1984 a aussi été entamée la rénovation du système d'annonce de crue, aux termes d'une convention entre l'État, la région et l'Institution. Le montant des travaux s'est élevé à 4 millions de F. (50 % à la charge de l'État, 30 % à celle de la région, 20 % à celle de l'Institution). Aujourd'hui, 13 stations automatisées sont reliées à deux terminaux, l'un à Angoulême, l'autre à Rochefort.

En une dizaine d'années, ont ainsi été consacrés à l'aménagement du fleuve plus de 200 millions de F.

Enfin, M. Pierre-Rémy Houssin a expliqué qu'il avait pris conscience, lorsqu'il avait pris la direction de cette institution, qu'aucun résultat ne pouvait être obtenu tant que toutes les parties n'auraient pas été réunies autour d'une table pour réfléchir ensemble. Sur ce fleuve, comme sur les autres, certains intérêts sont convergents, d'autres ne le sont pas, et la conciliation entre eux n'est pas facile.

Cependant, a-t-il, poursuivi, les gens ont compris petit à petit que s'ils ne travaillaient pas ensemble, ils en subiraient tous les conséquences. C'est ainsi qu'a pu être signé le protocole évoqué plus haut, qui définit le débit minimum, et donc, par exemple, les débits d'alerte déclenchant automatiquement des restrictions à l'irrigation. Il s'est félicité que cette année, pour la première fois, toute la saison se soit passée sans conflit entre les usagers de l'eau. Mais il faut savoir que seul le deuxième barrage permettra de maintenir un débit minimum à Angoulême de 3m3/s.

Enfin, il a admis qu'il faut maintenant réfléchir aux moyens de limiter les inondations en Charente-Maritime, précisant toutefois que, bien qu'elle ait financé un canal de désengorgement et lancé une réflexion scientifique et technique, l'Institution a l'impression que sa marge de man_uvre est limitée, eu égard aux caractéristiques géographiques et à ses moyens financiers.

M. le Président l'ayant interrogé sur les relations entre l'Institution et les agences de l'eau, M. Pierre-Rémy Houssin les a qualifiées d'excellentes, la coopération entre elles étant permanente. L'agence Adour-Garonne a ainsi beaucoup aidé l'Institution pour élaborer le protocole entre les usagers, lequel a servi de modèle pour l'élaboration du SDAGE (Schéma départemental d'aménagement et de gestion des eaux), ainsi que pour les études relatives aux deuxième barrage et à la modélisation du bassin. Par ailleurs, plusieurs innovations de l'Institution ont ensuite été généralisées par l'agence.

A une question de M. Jean-Claude Besuchaud sur les aménagements destinés à écrêter les crues en amont d'Angoulême, il a répondu que les études ont toujours montré que de tels aménagements n'étaient pas efficaces sur la partie amont du fleuve, le fait que le fleuve ne soit pas domanial sur la partie amont posant en outre beaucoup de problèmes à l'Institution.

En conclusion, M. Pierre-Rémy Houssin s'est déclaré certain que les conséquences de la dernière crue ont été bien moindres que si n'avaient pas été réalisés de travaux, sauf peut-être en ce qui concerne Saintes où il faudra trouver une solution.

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Compte rendu de la réunion tenue

à la préfecture d'Angoulême

M. Jacques Barthélémy, Préfet de la Charente, a résumé la gestion, par les services de l'État placés sous l'autorité de son prédécesseur, de la crue de décembre 1993, l'une des plus fortes du siècle.

Il a exposé qu'à partir du début du mois de décembre, le service d'annonce des crues avait mis en place un répondeur pour signaler aux populations la situation du bassin de la Charente, le message étant renouvelé deux fois par jour et quatre fois lorsque l'eau a été très haute. Selon lui, ces informations ont permis aux riverains, aux services techniques des villes, qui ont fait un travail qu'il a qualifié de remarquable, ainsi qu'aux différents services concernés de l'État ou du département, de se tenir prêts et de prendre les mesures conservatoires et préventives qui s'imposaient.

Il a indiqué par ailleurs que le 3 janvier, avait été constituée à la préfecture une cellule de crise qui a fonctionné jusqu'au 11 janvier, comprenant le SDIS, la DDE, la DDAS, le service de protection civile, le délégué militaire départemental, la police et la gendarmerie, et aussi les services techniques du conseil général, les élus concernés et des représentants des compagnies d'assurance. L'information du public était assurée par la diffusion régulière de communiqués de presse, la participation de la presse à la cellule de crise favorisant la circulation de l'information.

S'agissant des interventions sur le terrain, M. Jacques Barthélémy a exposé qu'elles avaient été d'abord été l'affaire essentiellement des sapeurs-pompiers et des services municipaux, les militaires n'étant intervenus qu'ensuite, lors du nettoyage.

Il a précisé que les effectifs et les matériels avaient été prépositionnés dès le début de la crise en fonction de l'importance de la crue prévue, ce qui a permis de les gérer su mieux, sachant que l'effectif des sapeurs-pompiers est principalement composé de volontaires. A partir du 13 janvier, date de la décrue, les effectifs et matériels ont été engagés par les communes touchées pour effectuer le nettoyage et la remise en état et aider su retour, à une vie économique normale.

Enfin, il a fait remarquer que le dossier d'indemnisation, établi avec le concours des mairies, a été rapidement instruit, puisque la commission interministérielle compétente a statué le 10 février, l'état de catastrophe naturelle ayant été déclaré dans 89 communes.

M. Bertrand Bouchaudie, ingénieur à la direction départementale de l'équipement, a précisé que les communes concernées en Charente par les inondations sont principalement celles situés sur la Charente et la Vienne ainsi que sur certains affluents qui ont des réactions plus vives que la Charente, et indiqué que la crue de 1994 a été plutôt plus importante qu'en 1982 sur l'amont du bassin versant et plus faible sur l'aval.

M. Pierre-Rémy Houssin a alors fait remarquer qu'entre 1982 et 1994 des travaux importants d'aménagement des rives et de construction d'ouvrages d'art ont été faits en aval, facteurs, selon lui, d'un meilleur écoulement des eaux d'Angoulême à Cognac. II a estimé que, sans ces travaux, la ville de Jarnac aurait baigné dans 50 cm d'eau supplémentaires, la gravité des conséquences pour la ville de Saintes étant, elle, liée, à des facteurs géographiques difficiles à contrer. En revanche, à l'amont, le barrage de Lavaud, qui a une influence locale sur les crues, a été utile.

M. le Président a ensuite posé plusieurs questions sur le fonctionnement de la cellule de crise, en particulier sur les modalités de participation de la presse à ses travaux.

M. Jean-François Lambert, directeur du Service interministériel de défense et de protection civile (SIDPC), a répondu que la cellule de crise était dirigée par le directeur du cabinet du préfet. S'agissant de l'association de la presse, il a précisé que si elle n'était pas présente en permanence à toutes les réunions, elle était conviée lors de tous les déplacements et bénéficiait d'un point de presse tous les jours et de nombreux contacts téléphoniques, de sorte que l'information était pratiquement continue.

Le Colonel Jean-Yves Delannoy, chef du service départemental d'incendie et de secours, a indiqué que la presse n'avait pas souhaité asister à toutes les réunions, la majeure partie du travail effectué par la cellule de crise ne présentant guère d'intérêt pour le grand public. Il a ajouté, en accord avec M. JeanFrançois Lambert, que la présence permanente de la presse nuirait à l'efficacité des services.

M. Jacques Barthélémy a suggéré que le travail de la cellule de crise soit divisé en deux temps. D'abord une discussion à laquelle il ne parait pas nécessaire que la presse assiste parce qu'il faut que les services puissent critiquer entre eux leur action et qu'il n'est pas forcément bon que les indications ou reproches que le préfet aurait à leur faire le soient devant la presse.

Dans un deuxième temps, une fois les décisions prises sur ce qui doit être fait, la cellule de crise pourrait présenter de façon synthétique à la presse le point journalier de ce qui s'est passé, sur la base d'un document écrit.

Un tel système permettrait selon lui à la fois que les chefs de service puissent parler librement et que la presse dispose quotidiennement d'un état des lieux, de façon à ce que, dans l'intérêt de tous, elle puisse donner des informations correctement étayées et répondant aux angoisses de la population.

Il a poursuivi en analysant la revue de presse de la période des inondations faite par les services de l'Etat. Dans un premier temps, la presse s'est intéressée au travail des services municipaux, aux précautions des habitants, puis on voit apparaître l'action des services publics qui viennent en renfort de l'action municipale. Le préfet alors en fonction avait en effet décidé de ne pas déclencher le plan ORSEC, car il considérait suffisant que l'Etat vienne en renfort de l'action des maires, compte tenu de la forte mobilisation des services municipaux et de la population. Par ailleurs, il pensait maîtriser suffisamment la situation sans avoir besoin de renforts extérieurs au département. Enfin, il estimait que le rôle normal de l'Etat est de venir seulement en renfort de l'action des élus locaux, premiers responsables de la lutte contre les fléaux aux termes du code des communes.

M. Dominique Busseresu s'est déclaré intéressé par ces propos, car il a été reproché su préfet de Charente-Maritime de ne pas avoir déclenché tout de suite le plan ORSEC. En fait, pour les populations, le plan ORSEC est symbolique de la reconnaissance d'une crise et son déclenchement a un aspect quasi mythique. Il faudrait expliquer à la population qu'il existe d'autres plans aussi efficaces, de façon à éviter cette sorte de psychose qui conduit à reprocher aux autorités de ne rien faire tant que le plan ORSEC n'a pas été déclenché.

Il a par ailleurs souhaité savoir comment s'était organisée la collaboration interdépartementale, le fleuve Charente traversant successivement le département de la Charente puis celui de la Charente-Maritime.

Le Colonel Jean-Yves Delannoy a indiqué que l'action avait été coordonnée par le CIRCOSC (Centre interrégional de coordination opérationnelle de la Securité civile de Bordeaux). Il a par ailleurs fait remarquer qu'en Charente, n'ont jamais été mobilisés sur le terrain plus de 20 9o de l'effectif du personnel et 50 % des bateaux, et qu'il n'avait donc pas été nécessaire de recourir aux moyens nationaux.

Il a ajouté qu'en revanche, il avait été fait appel aux militaires aux moments forts du nettoyage. Ils ont été réquisitionnés sur place (30 militaires du premier RIMA d'Angoulême à Angoulême, et 30 de la base aérienne de Cognac à Cognac), ce qui a permis d'éviter de procéder à des déplacements de troupes qui entraînent des frais supplémentaires.

Par ailleurs, compte tenu du fait que le département de la Charente était engagé sur son territoire, le CIRCOSC ne l'a pas sollicité pour apporter des renforts à ses voisins. En revanche, il y a eu en permanence des échanges de renseignements avec le CIRCOSC et la Charente-Maritime.

Le Colonel Jean-Yves Delannoy a aussi fait remarquer que l'expérience de 1982 avait permis aux services de secours d'anticiper à tout moment la situation à plus de 48 h.

Enfin, il a estimé très utile la présence des services du conseil général dans la cellule de crise, notamment du fait de leur connaissance du réseau routier départemental.

M. Pierre-Rémy Houssin a signalé que l'annonce des crues se fait sur l'ensemble du bassin du fleuve Charente, et souligné le coût élevé de toutes les interventions.

M. Jean-Pierre Stacquet, directeur départemental de l'équipement, a précisé qu'en matière d'annonce de crues, la coordination se fait par le biais de la DDE de la Charente qui a joué le rôle de service hydraulique centralisateur.

En réponse à une question du Président, il a indiqué que le service d'annonce de crue est organisé sur la base d'une permanence par roulement assurant la présence d'un responsable à tout moment, à la fois su niveau central et à celui des observateurs de crue.

M. Pierre-Rémy Houssin a noté que la crue de l'hiver 1993-1994 a été beaucoup mieux supportée par la population que celle de 1982, du fait de l'information permanente dont elle a bénéficié, qui lui a permis de prendre les dispositions nécessaires.

M. Michel Caillaud, directeur du cabinet du préfet, a souligné la maîtrise que l'expérience de 1982 avait donné aux services, M. Jean-Claude Besuchaud élargissant cette remarque à l'ensemble de la population, qui a eu besoin en 1993 de beaucoup moins d'assistance que onze ans auparavant.

M. Pierre-Rémy Houssin a insisté sur la nécessité d'une cartographie très précise des zones dangereuses et d'inondation. Depuis les inondations del904 et de 1962, nombre de granges dans les zones inondables ont été transformées en logements, et, en 1982, leurs habitants, qui njamais vu de crue, ont demandé des comptes. Si les gens veulent construire, il faut qu'ils soient informés des risques qu'ils prennent.

Abordant la question de l'aide des militaires, M. le Président a noté que la population comprend mal de ne pas pouvoir bénéficier immédiatement de l'aide de l'armée en cas de catastrophe naturelle.

Le Lieutenant-Colonel Michel Grivel, délégué militaire départemental, a répondu qu'il y avait un déphasage entre, d'une part ce qu'attendent les personnes sinistrées, d'autre part la réglementation et l'organisation actuelle de l'armée.

L'armée, a-t-il précisé, est organisée en circonscriptions militaires de défense, celle dont relève le département de la Charente comportant 13 départements. Le délégué militaire est le représentant du général dans le département et le conseiller du préfet pour la défense. N'ayant pas de capacité de décision, mais devant informer son général, il doit être lui-même averti le plus tôt possible. En Charente, le délégué militaire départemental a été averti tôt, ce qui est heureux car la circonscription avait affecté des soldats su ramassage des détonateurs échoués sur les plages, et la moitié de l'effectif d'un régiment partait en Yougoslavie. Le général, averti lui-même assez tôt, a donc pu, en modifiant son plan d'emploi, réserver des militaires pour les inondations.

Le Lieutenant-Colonel Michel Grivel a ensuite évoqué plusieurs points concernant les coûts de l'emploi de l'armée.

Il a d'abord fait remarquer que sur le plan financier, bien souvent la décision n'est pas du ressort des «rités militaires mais elle est prévue par la réglementation. Ainsi, tant que le plan ORSEC n'est pas déclenché, il n'y a pas de réquisitions mais des demandes de concours. Par ailleurs, si la réquisition est généralement gratuite, les textes, qui prévoient que le remboursement se fait en général de ministère à ministère ou est laissé à la charge du requis, comportent ainsi une part d'incertitude. A partir de l'instruction de 1989, plus restrictive que celle de 1994, il a cependant observé que le coût peut rester modéré si quelques précautions sont prises, ce qui, selon lui, a été le cas en Charente.

D'abord, a-t-il expliqué, il est préférable que les militaires apportent leur concours à des services dépendant du même ministère; ainsi, pour le délégué militaire départemental, il est facile de travailler avec la gendarmerie. De fait, quand il a fallu surveiller les maisons inondées et évacuer sur Cognac, c'est à la disposition des gendarmes qu'il a fait mettre des flotteurs d'un régiment d'infanterie de marine; ainsi n'y a-t-il pas eu d'incidence financière extérieure au ministère de la défense. Pour les mêmes raisons, il a considéré qu'il ne faut pas détacher de militaires auprès d'une commune, qu'il faut aussi rester en complémentarité avec les services départementaux, et notamment le SDIS, enfin, qu'il faut employer les unités à proximité de leur cantonnement, ce qui a été fait systématiquement.

S'agissant des missions, il a rappelé que l'armée a pour mission de porter assistance aux personnes et aux biens, et que, de ce point de vue, il existe un décalage entre la réglementation et les aspirations de la population, des élus, voire du préfet. Pendant la crue, les risques concernent les personnes: l'armée peut donc intervenir immédiatement. En revanche, une fois la crue stabilisée puis la décrue amorcée, il n'y a plus de risque pour les personnes, ce qui rend l'intervention de l'armée beaucoup plus délicate à mettre en _uvre, alors que c'est à ce moment qu'elle est attendue, pour prévenir le pillage des maisons ou interdire la circulation. Il a fait aussi observer que ces dernières missions se rapprochent de celles de la police, pour lesquelles l'armée n'a pas vocation à intervenir. Ainsi en Charente, pour ce type de missions, l'armée s'est toujours mise sous l'autorité de la gendarmerie. Elle a ainsi pu effectuer des missions de transport des gendarmes pour la surveillance des maisons évacuées, rendant ainsi les patrouilles des gendarmes plus nombreuses et efficaces.

Il a aussi fait aussi part à la Commission des initiatives prises en Charente. Après avoir rappelé que les moyens des sapeurspompiers sont beaucoup plus performants dans toutes les missions de protection de populations que ceux dont disposent les militaires, il a indiqué que l'armée était en conséquence intervenue surtout en renfort de personnel, la technique ayant consisté, sur les moyens des pompiers, à affecter des équipes mixtes composées de trois sapeurspompiers, professionnels et volontaires mêlés, et trois militaires. Le travail de surveillance du chef de section était peut-être rendu ^mis doffocoem, mais la rentabilité de l'emploi des militaires était bien supérieure, car c'est bien quand les pompiers manquent de bras que les militaires peuvent les aider, et ce système le permettait.

M. Jean-Pierre Stacquet est revenu sur la politique de prévention des crues suivie dans le département. Après la crue de 1993-1994, la DDE ·a entrepris un programme quinquennal destiné d'abord à cartographier les risques liés aux crues. Trois bassins prioritaires de risques ont été définis. En priorité 1 se trouvent l'aval de la Charente, entre Mansle et Cognac, et les agglomérations d'Angoulême, Mansle, Jarnac, Cognac, c'est-à-dire les lieux où les dégâts les plus importants ont été constatés. La cartographie y est déjà engagée ou doit l'être prochainement. En priorité 2, pour laquelle la cartographie sera entamée en 1995, on trouve la Vienne et quelques zones entre Angoulême et Jarnac, le reste se trouvant en priorité 3, pour laquelle la cartographie sera achevée en 1999. Le coût des études de la priorité 1 est de 350.000 F., le financement en étant assuré par le ministère de l'environnement à hauteur de 200.000 F. et par la DDE pour le reste, celui des études de la deuxième priorité de 650.000 F., celui de la troisième priorité de 600.000 F.

M. Bertrand Bouchaudie a exposé que la cartographie aboutit à distinguer deux zones: une dite à risque fort, définie par la présence, lors d'une crue centennale, soit de plus d'un mètre d'eau, soit d'un fort courant empêchant l'intervention de secours, et une zone dite à risques moins importants, correspondant à des terrains également submergés par une crue centennale, mais ne posant pas de problème d'accès des secours. Il a ajouté que dans une deuxième phase, la cartographie devrait permettre d'aboutir à la mise en place d'un plan de prévention des risques, comportant des contraintes en matière de constructibilité.

M. Jean-Claude Besuchaud a signalé que la commune de Gond-Pontouvre dont il est le maire a intégré dans son POS des zones dites UBI (zones urbanisables inondables). Il peut en effet être difficile de créer des zones où les propriétaires n'ont même pas le droit de réparer, sans compter que certains préfèrent être inondés de temps en temps mais profiter de la situation agréable dont ils bénéficient l'été!

M. le Président a cité le cas d'une commune de l'Oise, où le zonage envisagé rend inconstructible la quasi totalité de la commune et estimé que les services de l'Etat doivent agir raisonnablement.

M. Jean-Pierre Stacquet a précisé qu'en Charente, les pentes étant très faibles et les montées très progressives, la DDE ne vise absolument pas l'inconstructibilité mais des mesures accompagnant la constructibilité. Il a ensuite évoque le deuxième volet des programmes de son service, la modernisation du système d'annonce des crues. Dès cette année, un crédit de 1,5 million de F. du ministère de l'environnement permettra à la DDE de s'équiper du système dit Noë II, beaucoup plus sûr et performant que le précédent, qui était l'un des premiers systèmes automatisés, et qui, datant de 1984, commence à s'user.

Enfin, il a annoncé qu'en relation avec la DDE de Charente-Maritime, ses services sont en train de réfléchir à une modélisation du fleuve Charente pour améliorer l'actuel système de prévision des crues. Une étude, d'un coût de 3 à 4 millions de F., est sur le point d'être lancée sur le sujet.

M. Claude Barthélémy a répondu par la négative au Rapporteur qui lui demandait s'il avait eu à déférer au tribunal administratif des permis de constuire que des maires auraient délivrés sans tenir compte du caractère inondable des terrains.

M. le Rapporteur ayant souhaité savoir si une personne qui demande un permis de constuire dans une zone sans danger mais inondable est systématiquement avertie ou non, M. Jean-Pierre Stacquet lui a précisé que tel était le cas, la mention étant portée sur le permis qui précise même la cote.

M. le Président a remercié l'ensemble des intervenants.

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Compte rendu de la réunion tenue à Brives-sur-Charente

Après que M. François Lamelot, sous-préfet de Saintes, eut rappelé brièvement l'ampleur de l'inondation de 1994 et l'action des services de l'Etat, améliorée par l'expérience de 1982, M. le Président a demandé aux maires présents quelle appréciation ils portaient sur la transmission de l'information par,les services préfectoraux et quelles difficultés ils avaient pu rencontrer, tant avec l'administration préfectorale qu'avec leurs administrés.

Selon M. Jean-Claude Léné, premier adjoint su maire de Brives-sur-Charente, les chevauchements entre administrations ont entraîné de grosses difficultés et les maires ont eu l'impression d'un grave manque de synchronisation.

Mme Christiane Rouxel, maire de Rouffiac, a abondé dans ce sens, citant un cas dans lequel, dans la même matinée, la gendarmerie, puis la préfecture avaient téléphoné pour demander un même renseignement tel que la hauteur d'eau ou le nombre de maisons sinistrées, et cela au moment où dans l'urgence les élus devaient eux-mêmes assurer leur rôle d'information et de prévention vis-à-vis des habitants.

Pour M. Michel Celerier, maire de Saint-Sever de Saintonge, l'inconvénient réside surtout'dans la superposition des données et il faut déplorer que l'administration ait comme réflexe plutôt de demander des renseignements que de proposer des services. Il cite l'exemple d'un problème de transport scolaire auquel il a été impossible pendant plusieurs jours de trouver une solution en s'adressant de service en service et qui n'a finalement pu être résolu qu'après un coup de colère.

Selon M. Xavier de Roux, député de la CharenteMaritime, maire de Chaniers, il n'y a pas eu de gros problèmes de coordination et l'action a été correctement menée, mais la grosse difficulté a été l'absence d'annonce de crue. Eu égard à la topographie de la région, 10 ou 20 cm d'eau en plus se traduisent par de nombreuses maisons supplémentaires touchées ou à évacuer. Il a l'impression qu'en Charente-Maritime la population et les élus ont été beaucoup moins bien informés qu'en Charente.

Il a par ailleurs regretté l'attitude de la SNCF, qui a refusé de remettre en service un passage à niveau fermé, mesure qui aurait permis l'évacuation de trois villages, laquelle n'a finalement pu être réalisée qu'après rehausseemnt de 2 m d'une route...

M. François Lamelot a expliqué que durant cette période il n'avait pas réussi à imposer à la SNCF autre chose qu'une injonction de ralentissement des trains, et qu'il n'a pas pu arriver à ses fins sur le dossier évoqué par M. Xavier de Roux, en raison des problèmes de responsabilité civile invoqués par la SNCF. D'autre part, il a confirmé les propos de Mme Christiane Rouxel et de M. Jean-Claude Lainé, selon lesquels les maires ont été sollicités de façon répétitive par plusieurs autorités administratives. Cela tient su fait que les services n'étaient alors pas dans une configuration d'urgence absolue, où n'existe qu'une seule autorité centralisatrice. Chaque service traitait donc les problèmes de son ressort, les uns pour s'enquérir de la hauteur d'eau, les autres pour rappeler aux maires leurs responsabilités aux termes du code des communes et se préparer ainsi à l'arrivée de l'inondation.

S'agissant de l'annonce de crue, M. Pierre-Rémy Houssin a précisé que le réseau d'alerte est en cours de remplacement par un système plus performant, centralisé à Angoulême mais répercutant sur Rochefort, en Charente-Maritime. Il a affirmé qu'en tout état de cause, le réseau actuel permet la prévision à 24 heures.

M. Xavier de Roux a souhaité qu'à l'occasion du changement de système, le maillage du réseau soit resserré afin que les habitants de l'aval du fleuve disposent de données plus fines tant sur le moment exact d'arrivée de la crue que sur son ampleur réelle.

Sollicités par M. le Président d'exposer les problèmes éventuels qu'ils ont rencontrés en matière de secours, Mme Christiane Rouxel et M. Xavier de Roux ont répondu que les secours avaient très bien fonctionné.

M. le Président a ensuite demandé aux maires présents s'ils avaient eu connaissance de problèmes d'indemnisation.

M. Jean-Claude Lainé a. évoqué le problème des personnes qui ont été inondées deux ou trois fois et que les assureurs refusent désormais de couvrir.

M. le Président a rappelé que l'application de franchises dépassant les montants prévus par le code des assurances est illégale et que la survenance trop fréquente d'un risque catastrophe naturelle ne pouvait pas motiver la modification d'un contrat responsabilité civile en raison du caractère particulier du système légal de couverture de ce risque.

M. Dominique Busseresu, à travers le cas d'un agriculteur-éleveur très souvent inondé et qui souhaiterait déménager son exploitation, a noté qu'il n'existe pas de dispositif d'aide à des entreprises situées en zone inondable qui souhaiteraient déménager et que celles-ci n'ont donc pas forcément les moyens de se mettre en situation d'échapper au risque.

Mme Christiane Rouxel a évoqué la question de la praticabilité du réseau routier en période d'inondation, soulignant que le désenclavement des populations en cas d'inondation n'est pas toujours possible lorsque toutes les routes menant à un village sont coupées. Notant que les demandes concernant le plan de desenclavement faites dès 1982 n'ont toujours pas été prises en compte, elle a déploré qu'à côté des plans d'urgence et d'évacuation, il n'y ait pas de plan pour permettre la vie pendant l'inondation.

M. le Président a remercié tous les participants de leurs interventions.

Compte rendu de la réunion tenue

à la sous-préfecture de Saintes

M. le Président ayant demandé aux maires présents d'exposer les difficultés qu'ils ont rencontrées pendant les inondations pour remplir leur mission, M. Jean-Marie Lonceint, premier adjoint su maire de Saintes, a indiqué qu'elles avaient été moindres qu'en 1982, l'expérience acquise à cette occasion ayant permis de disposer des réponses à une bonne part des problèmes qui ont pu se poser.

M. Marcel Vallet, adjoint su maire de Saintes, a ajouté que les différents services avaient tous tiré les leçons de 1982 dès avant les inondations de 1993, en déplaçant leurs équipements inondables (postes EDF, centraux téléphoniques, station de pompage...), de sorte que la question de la desserte générale de la ville ne s'est pas posée.

M. Pierre Sebastiani a confirmé que l'expérience de 1982 avait servi de référence, tant pour les services que pour les populations, qui n'ont pas cédé à l'affolement. Du point de vue de l'administration, il a signalé qu'il fallait distinguer deux périodes, la première avant le plan ORSEC, la seconde sous le régime ORSEC.

Durant la première, c'est le sous-préfet de Saintes qui était chargé de coordonner les services de l'Etat dans son arrondissement, la liaison avec les services dé la mairie se faisant de façon tout à fait satisfaisante.

Puis le préfet a déclenché le plan ORSEC lorsqu'il est apparu que les sapeurs-pompiers locaux étaient épuisés et ne suffisaient donc plus pour faire face à la crise. La cellule de crise de la préfecture a fonctionné à plein, puisqu'il fallait gérer, outre les services du département, des effectifs extérieurs à celui-ci.

Ayant fait état des ambiguïtés qu'il perçoit dans le plan ORSEC, perçu, selon les cas, surtout comme un instrument économique permettant de se faire rembourser certaines dépenses, comme un instrument d'aide aux secours, ou encore comme un instrument psychologique, M. le Président a- souhaité connaltre l'avis de M. Philippe Marchand sur la question.

Selon M. Philippe Marchand, conseiller général, ancien ministre de l'intérieur, le plan ORSEC est tout cela à la fois. C'est un instrument psychologique essentiel: l'annonce du déclenchement du plan ORSEC est ressentie par la population comme quelque chose de très rassurant, comme la preuve que l'Etat a pris conscience de la catastrophe et va agir. En outre, le plan ORSEC donne aussi des moyens supplémentaires, parfois indispensables.

Cela dit, en tant qu'élu local et victime lui-même des inondations, M. Philippe Marchand a souligné que la véritable préoccupation des riverains ne concerne pas l'alerte ni les secours, car, sur le plan technique, tout s'est très bien passé, mais de savoir si des travaux vont être effectués sur le cours de la Charente, notamment en aval de Saintes, pour limiter la montée des eaux. Il a reconnu que des efforts ont déjà été faits, mais a insisté sur le fait qu'il restait encore beaucoup à faire.

Mme Françoise Lacaille, maire des Gonds, a contesté que tout se soit très bien passé sur le plan technique. Elle n'a pas eu de communication avec les services, son équipe n'a jamais été conviée à la moindre réunion d'information. Elle a donc dû se débrouiller toute seule avec les pompiers bénévoles et la sécurité civile, et si les choses se sont bien passées, c'est parce qu'ils ont réussi à faire face, seuls. Elle aurait souhaité avoir des informations sur la montée des eaux et être tenue au courant de ce qui était fait ailleurs, d'autant que sa commune a été la plus touchée en proportion du nombre d'habitants. D'ailleurs, lorsque la commune a bénéficié de l'aide des militaires, après le déclenchement du plan ORSEC, les sauveteurs des Gonds étaient absolument épuisés.

M. Philippe Marchand a souligné la différence d'attitude entre les maires de petites et moyennes communes et ceux de grandes villes. Alors que les uns souhaitent un déclenchement rapide du plan ORSEC, les autres sont partisans de le retarder le plus possible afin de conserver la maîtrise du processus de secours, cette position pouvant être adoptée parce qu'ils ont, eux, le personnel nécessaire.

M. le Président s'est déclaré d'accord avec cette analyse, qui confirme l'importance de la question du plan ORSEC, notamment à l'égard des maires des petites et moyennes communes.

M. Pierre Duhard, maire de Courcoury, commune de 600 habitants, a déclaré, comme Mme Christiane Lacaille, qu'il avait dû se débrouiller seul. En ce qui le concerne, il téléphonait à Angoulême puis à Pons pour se renseigner sur les hauteurs de crue effectives et prévisibles, dont il déduisait les hauteurs à venir à Courcoury, puis décidait des maisons à évacuer ou à protéger. Selon lui, il faudrait que les maires reçoivent deux fois par jour par télécopieur les hauteurs de crue et la pluviométrie sur plusieurs points, et ce dispositif serait suffisant pour que tout se passe au mieux.

M. le Président, après avoir indiqué que ces propos confortent la Commission dans l'idée qu'il faut repenser la chaîne d'information en utilisant les moyens de communication modernes, a demandé aux maires présents s'ils avaient eu des difficultés en matière de secours aux personnes et aux biens.

Le lieutenant de sapeurs-pompiers Billot, du centre de secours principal de Saintes, a estimé que, sauf à Courcoury où il a fallu employer un hélicoptère, tout s'est bien passé, ces propos faisant l'objet d'une approbation générale.

M. Marcel Vallet a précisé comment avaient été réparties les tàches : le parti a été pris de ne faire pénétrer dans les maisons que du personnel en uniforme, les services municipaux n'intervenant qu'à l'extérieur.

M. Xavier de Roux a indiqué que la solution contraire avait été retenue à Chaniers. Puis il est revenu sur la nécessité de la coordination des secours, car au bout d'une semaine, le personnel civil et les bénévoles étaient épuisés. Pour le reste, selon lui, la gendarmerie a très bien fait son travail, la preuve en étant qu'il n'y a eu ni vols ni pillage, alors que 72 maisons étaient abandonnées.

M. Pierre Sebastiani a ajouté qu'à Saintes, les CRS avaient été aussi efficace, l'absence de vols ayant contribué à rassurer beaucoup la population. Il a fait état des difficultés dues au grand nombre de badauds venus en fin de semaine prendre des photos et gêner les secours su lieu de les aider.

Le Commandant des sapeurs-pompiers Robert a évoqué les problèmes supplémentaires rencontrés pendant la décrue, liés à des pollutions diverses dues notamment à des citernes que leurs propriétaires avaient oublié de signaler.

M. Pierre-Rémy Houssin a rappellé les actions actuellement menées par l'Institution qu'il préside: modernisation et amélioration du réseau d'alerte, engagement de près de 50 millions de F. dans le cadre d'un plan d'écrêtage des crues entre Angoulême et Saintes. Il a fait remarquer que sur Saintes et sa région, près de 12 millions de F. ont été engagés. De plus, il a confirmé que le comité technique et le conseil d'administration doivent se réunir prochainement pour examiner les futurs travaux possibles, sachant que dans cette partie de son cours, le fleuve n'est qu'à 7 m au dessus de la mer et qu'il n'y a pas de solution technique miracle.

M. le Rapporteur a interrogé le préfet sur l'état de la cartographie des risques et l'utilisation des articles R 111-2 et R 111-3 du code de l'urbanisme.

M. Pierre Sebastiani a indiqué qu'il existe en effet des PERI intégrés dans les POS (à Saintes et aux Gonds) ainsi que des périmètres de risques sur les communes à l'amont de Saintes, créés en 1991 et 1992.

A la question de M. le Président de savoir si à Saintes, l'application de l'article R 111-3 posait problème, M. Marcel Vallet a répondu par la négative, ajoutant que la ville dispose d'un PERI qui sera recalé dès que la cartographie des risques sera connue.

M. Pierre Péraud, ingénieur à la DDE, chargé de l'hydraulique, a indiqué que l'étude des risques sur la commune de Saujon et sur la rivière Boutonne avait été demandée mais que, pour des raisons budgétaires, la première ne pourrait être réalisée cette année.

Il a déploré que, pour les mêmes raisons budgétaires, certains éléments intéressants risquent d'être perdus: au moment de la crue, les hausses de crue ont été marquées, mais le service n'ayant pas les moyens d'envoyer des géomètres les relever, les marques vont disparaître.

Enfin, sur l'information des maires, il a précisé qu'après la crue de 1982, un arrêté interministériel relatif aux schémas départementaux d'annonce de crue avait prévu l'organisation de celle-ci par les services. Il a remarqué que la prévision partait bien par télécopie à l'attention des maires, mais qu'en raison du fait qu'elle transite par la protection civile, celle du lendemain n'était reçue par les maires qu'après 17 heures. De ce fait, certaines communes n'hésitaient pas à appeler directement ses services.

Pour remédier à cela, il est envisagé, dans le nouveau schéma de prévision automatisé, de brancher un répondeur directement sur le système informatisé disposant d'un numéro privilégié et permettant aux maires d'accéder directement à l'information. Il a ajouté que cette solution permettrait de résoudre le problème de l'encombrement des standards téléphoniques qui s'est manifesté pendant la dernière crise, le standard du service ayant alors littéralement sauté, ce qui avait conduit à installer une ligne rouge pour pouvoir communiquer avec la préfecture.

M. Jean-Marie Lonceint, premier adjoint au maire de Saintes, a fait remarquer que les aides de l'État au titre de la solidarité nationale avaient été particulièrement modiques, Saintes ayant reçu environ 250.000 F. pour 9 millions de F. de dégâts.

M. Alain Bougeret, conseiller général, a fait remarquer que ce sont les POS qui doivent être en adéquation avec les PÉRI et non l'inverse par modification du lit majeur des fleuves.

Après avoir approuvé cette dernière réflexion, M. le Président a remercié les participants et levé la séance.

Déplacement effectué par la Commission

dans le département du Vaucluse

le 13 octobre 1994

La Commission, en présence de M. Joël Lebeschu, préfet de Vaucluse, a entendu successivement des hauts fonctionnaires de l'État dans le département, des élus et des responsables d'associations.

Elle a d'abord entendu M. Jean-Claude Pauc, directeur départemental de l'équipement, et M. Aldo Massa, son adjoint.

M. Jean-Claude Pauc a indiqué que suite aux inondations, de nombreux travaux avaient été engagés par la direction départementale de l'agriculture, de sorte que l'ensemble des cours d'eau du département pouvant présenter des risques est couvert par des études. Il a ajouté que la direction départementale de l'équipement avait elle aussi procédé à des études sur l'urbanisation des zones inondables et les risques qu'elle engendre. En effet, a-t-il pousuivi, après les inondations de 1992, une réflexion avait été engagée pour transformer les POS de toutes les communes concernées. Etant donné la difficulté qu'il y avait à évaluer le risque engendré par l'Ouvèze, a dû être menée au préalable une étude très lourde qui se termine en ce moment. En revanche, les zones inondables du Rhône et les dangers que pouvaient faire courir ses crues étant mieux connu, le processus initialement prévu pour les zones de plaine de l'Ouvèze a été d'abord appliqué au Rhône; les crues de l'an dernier ont montré la pertinence de ce choix.

Il a expliqué que le processus avait commencé en novembre 1993 par une réunion avec tous les élus concernés sous la présidence de M. le Préfet, qui avait permis de fixer les lignes principales de l'application sur leur territoire de la procédure prévue par l'article R 111-3 du code de l'urbanisme, qui a l'avantage d'être plus légère que les PER ou les plans d'intérêt général (PIG). La procédure du PIG, utilisée dans le Lubéron, n'a pas été retenue en l'occurence du fait de sa grande lourdeur. Quant à la procédure de l'article R 111-3, a-t-il ajouté, elle est entièrement dans les mains du préfet et permet de plaquer sur le POS des dispositions contraignantes relatives aux risques. Son inconvénient est qu'elle ne comporte pas de réflexion globale sur l'avenir de la commune alors que la réforme du POS, au contraire, permet de choisir par exemple entre l'inconstructibilité et l'endigage. En fait, cet inconvénient ne paraît pas très important dans le cas des inondations du Rhône, le risque étant clair et les positions globales généralement établies.

Il a précisé aussi que le projet de réflexion sur l'application de l'article R 111-3 avait été amendé -d'où son retard - par une étude lourde commandée à la CNR par la SNCF pour le passage du TGV, étude qui avait intégré les crues de 1993 et 1994. Cette étude a concerné surtout le nord du département où la situation était délicate, une très forte proportion de communes se trouvant dans la zone inondable du Rhône. Il a ajouté que le processus devrait aboutir à une approbation à la fin de l'année.

L'ensemble du département devant être couvert par ce type de procédures, M. Jean-Claude Pauc a indiqué que la prochaine zone couverte serait le bassin de l'Ouvèze, si le rendu des études le permettait: en effet, si l'on sait bien travailler sur le risque d'inondation de plaine, tel n'est en revanche pas le cas pour le risque d'inondations torrentielles, beaucoup plus délicat à appréhender du fait de la difficulté à mesurer la force du courant. Enfin, il a précisé que les études sur la Durance, jusqu'à présent inexistantes sur l'amont, devaient être rendues au plus tard à la fin de l'année 1995.

M. Léon Vachet a alors fait remarquer que, sur la Durance, l'inondation avait été moins forte dans les zones où des matériaux étaient extraits que dans les autres. Il a été demandé si les matériaux encombrant le lit de la Durance jusqu'à le faire monter plus haut que les berges ne pourraient pas être partiellement extraits à peu de frais, par exemple pour les remblais du TGV, de façon à permettre un meilleur écoulement de l'eau.

M. Jean-Claude Pauc a répondu que les matériaux du lit de la Durance étaient des matériaux rares et très nobles, qu'il ne fallait pas gaspiller dans des remblais. Sur le principe de l'extraction de matériaux, il a admis qu'il était possible que les études fassent apparaître qu'on pouvait de nouveau en extraire de la Durance mais qu'à titre personnel il n'en était pas sûr, ajoutant que l'hydraulique est une science complexe et qu'il s'avère souvent que des solutions a priori de bon sens engendrent des catastrophes. A ce propos, il a fait remarquer que les deux bureaux d'études qui travaillent aujourd'hui sur l'Ouvèze, qui sont dans leur domaine les deux meilleurs en France, voire dans le monde, rencontrent des difficultés colossales pour dire ce qu'il faudrait faire sur cette rivière.

M. Léon Vachet a insisté sur la nécessité de curer le lit de la Durance et de continuer l'extraction des matériaux pour protéger les populations.

M. Jean-Claude Pauc a ensuite présenté la rénovation du système d'annonce des crues. Il a indiqué que jusqu'à présent, il n'y avait pas d'annonce des crues proprement dit en dehors du Rhône et de l'aval de ses affluents, le système, pour une large part manuel, fonctionnant avec des observateurs rémunérés pour aller relever des échelles et téléphoner la cote observée au service.

Un projet d'automatisation, a-t-il expliqué, était dans les cartons depuis un certain temps mais n'avait pas été mis en _uvre car les collectivités locales ne dégageaient pas les financements nécessaires. Néanmoins, après la crue de l'Ouvèze, lT,tat a décidé de le financer à 100 96 et il est maintenant en partie opérationnel. C'est un système qui met en _uvre des relations téléphoniques entre des limnimètres et des limniphones disposés sur l'ensemble du réseau ainsi que des liaisons entre les appareillages du service d'annonce des crues du Vaucluse et ceux des autres intervenants (CNR, DIREN, autres départements). Il a indiqué que la fragilité du système était la liaison téléphonique.

M. le Rapporteur a rappelé alors les propos tenus devant la Commission par M. Jean-Luc Laurent, directeur de l'eau au ministère de l'Environnement, selon qui la chaîne d'alerte n'était pas complète quelques semaines avant la crue de l'Ouvèze.

M. Jean-Claude Pauc a contesté cette affirmation, précisant que ce n'est pas parce qu'un poste est vacant - ce qui peut arriver dans toute administration - qu'une chaîne de responsabilité est rompue. Il a affirmé avec force que la chaîne n'avait pas été rompue. Il a reconnu que le dispositif était fragile dans la mesure où il reposait sur un système d'astreinte imposé à des techniciens 24 heures sur 24, tout su long de l'année. Cette astreinte leur impose, dès que se produit un événement, de se mettre en vigilance, c'est-à-dire de rester en relation constante avec le service d'annonce des crues; il leur faut alors surveiller l'évolution de la rivière régulièrement, plusieurs fois par jour, même le week-end, et, le cas échéant, si la crue atteint certains paliers, rester sur place, la nuit entière si nécessaire.

Or, a-t-il continué, les conditions de ce travail ne sont pas statutairement correctes. Les agents qui en sont chargés sont des agents de la DDE, qui y effectuent par ailleurs un travail permanent, et l'astreinte est rémunérée par une prime de 125 F. par mois, à laquelle s'ajoute un jour de congé de temps à autre destiné à compenser les astreintes de week-end... C'est dérisoire. Il a conclu en indiquant que, lors de la vacance d'un poste, comme celle dont a parlé M. Jean-Luc Laurent, les fonctionnaires d'astreinte devaient assurer chacun un peu plus de présence pour la compenser et toujours pour une rémunération aussi ridicule.

M. le Rapporteur a pris acte de cette déclaration. Il a ensuite demandé si les maires tenaient compte ou non des conséquences de la crue de 1992 dans l'attribution des permis de construire.

M. Jean-Claude Pauc a répondu que cela dépendait des cas et que certaines en tenaient peu compte. Il a précisé que les services de l'État avaient émis un avis défavorable à la délivrance du permis de construire du centre ·A c_ur joie» à Vaison la Romaine.

M. Joël Lebeschu a fait remarquer, à propos de la reconstruction de ce centre dévasté par la crue de l'Ouvèze, qu'il avait demandé au maire de rapporter le permis de construire et que, celui-ci ne l'ayant pas fait, il avait déféré le permis au tribunal administratif, devant qui l'affaire aujourd'hui est pendante.

M. le Rapporteur a observé que les travaux de reconstruction étaient néanmoins terminés. Il a ensuite demandé combien de permis avaient été déférés su tribunal administratif depuis 1992.

M. Joël Lebeschu a précisé qu'il y avait plusieurs listes: celle des demandes pour lesquels les services ont convaincu le maire de ne pas accorder le permis, celle des permis qui ont été retirés ou non accordés après menace du préfet de les déférer au tribunal administratif, et celle des permis effectivement déférés, au nombre d'une dizaine. II a ajouté que les communes qui posaient aujourd'hui problème étaient celles de Pertuis, Aubignan, Bédarrides, Lapalud et Vaison, et s'est demandé si la prise de conscience du danger avait été bien réelle.

M. Jean-Claude Pauc a ajouté qu'en matière de permis de construire, s'exerçait une pression très forte sur les services de l'État.

M. le Rapporteur a demandé si la DDE était d'accord sur la définition du périmètre de la zone de résorption de l'habitat insalubre de Vaison.

M. Jean-Claude Pauc a répondu par l'affirmative et a indiqué que le maire s'était finalement rangé à l'avis des services de l'État. Il a ajouté que des conflits existaient aussi avec des communes du nord du département où les normes que la DDE essaye désormais d'imposer vont à l'encontre des projets des communes.

A une question de M. le Rapporteur, M. Aldo Massa a ensuite répondu que les études relatives su passage du TGV en zone inondable étaient accessibles au public. Il a expliqué que l'État avait imposé à la SNCF que le TGV soit, pour ainsi dire, «hydrauliquement transparent», le niveau d'eau en période de crue ne devant pas après la construction varier de plus de 5 cm en plus ou en moins par rapport à l'état antérieur. Pour lui, les études effectuées à ce sujet par la SNCF sont sûres et honnêtes, tant sur le Rhône que sur la Durance.

M. Joël Lebeschu a ajouté qu'il avait demandé que les règles et les propositions d'urbanisme soient sur les berges du Rhône les mêmes dans les quatre départements de l'Ardèche, du Gard, de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône.

M. Aldo Massa a rappelé que l'intérêt de la procédure de l'article R 111-3 du code de l'urbanisme était précisément de permettre la mise en _uvre d'une même doctrine dans plusieurs communes d'un, voire de plusieurs départements, alors que le POS, procédure communale, pouvait aboutir à l'application de règles différentes selon les communes.

M. Joël Lebeschu a ajouté que la procédure de l'article R 111-3 laissait au préfet la charge de l'impopularité éventuelle de la mesure.

M. le Rapporteur a demandé pourquoi si peu d'études hydrologiques avaient été faites avant 1992.

M. Joël Lebeschu a indiqué que des études avaient été faites bien avant la catastrophe de Vaison, par exemple le PER de Bedarrides, qui a échoué en 1985, et que le Vaucluse n'avait donc pas attendu les catastrophes pour en lancer. En revanche, la catastrophe de Vaison a provoqué le lancement d'études lourdes avant que le plan mis en _uvre par le ministère de l'environnement n'oblige les autres départements à en faire autant.

A une question de M. le Rapporteur lui demandant s'il considèr:ait que le PER était encore un bon instrument, M.Jean Claude Pauc a répondu que ce n'était pas un instrument d'urb..iisme, car il traite moyennement bien le bâti existant et assez mal le reste. Selon lui, le PER est davantage une procédure d'assurance que d'urbanisme, comme en témoigne d'ailleurs le fait qu'il a été créé par une loi sur les assurances. En outre, a-t-il conclu, les PER supposaient des études très lour,ics qui ne peuvent pas effectivement être réalisées.

M. Aldo Massa a émis la crainte que la nouvelle procédure du plan de prévention des risques soit excessivement lourde, surtout si la procédure de l'article R 111-3 était en contrepartie supprimée.

M. Joël Lebeschu a estimé qu'il y avait un vrai problème de communication en matière de gestion des catastrophes. Ainsi, par exemple, entend-on dire souvent que le rapport Ponton avait cité Vaison la Romaine; mais ce rapport portant sur le ruissellement urbain, pas sur les crues des rivières, il ne pouvait pas prévoir la catastrophe de Vaison. Il a aussi fait remarquer que l'idée répandue selon laquelle les PER permettaient de détruire l'existant était fausse, ceux-ci permettant seulement de faire des améliorations dans la limite de 10 % de la valeur de la construction existante.

A propos du futur plan de prévention des risques, il a estimé que l'existence d'un document unique était une bonne chose.

Enfin, il a affirmé que si la gestion des catastrophes n'était globalement pas trop mauvaise, c'était en raison de l'unité de commandement assurée par le ministère de l'Intérieur, alors que la multitude de ministères intervenant en matière de prévention rendait possible la réalisation de gains de productivité.

Il a aussi rappelé que le budget de l'ensemble du ministère de l'Environnement (1,5 milliard de F. environ) était égal à celui de la Sécurité civile et pas à plus du double du seul budget de la lutte contre les feux de forêt.

Interrogé par M. le Rapporteur sur le statut juridique des berges, M. Jean-Claude Pauc a jugé la question très délicate dans le Vaucluse, la tendance est de faire basculer la responsabilité des berges des personnes privées sur les collectivités, mais il y a aussi des régions sans problème où les riverains font partie d'un syndicat d'entretien. Ces dernières sont plutôt des régions de plaines, où les travaux sont moins chers et la tradition d'entretien plus forte. Aussi ne serait-il pas facile, selon lui, de concevoir une loi applicable à l'ensemble de la France qui ferait basculer la propriété des cours d'eau et de leurs berges, car il s'agit d'un sujet très sensible dans certaines régions. Par ailleurs, il ne serait pas évident de dissocier les droits sur l'eau des devoirs. Une autre difficulté, a-t-il ajouté, tient au fait que le principal intéressé par la protection n'est pas forcément le riverain, mais qu'en pratique, il est souvent impossible d'identifier ce bénéficiaire.

Invité par le Rapporteur à faire part de ses suggestions éventuelles, M. Jean-Claude Pauc a insisté sur les difficultés que rencontrent aujourd'hui les services techniques dans l'accomplissement de leur mission: étant sûrs du grave danger présenté par certains cours d'eau, ils doivent attirer l'attention des maires sur ce risque, mais, en l'absence d'études précises, ils ne peuvent guère donner davantage d'indication ni sur la nature exacte du risque ni sur les moyens de le contrer.

M. le Rapporteur ayant demandé quel était le prix de l'étude réalisée sur l'Ouvèze, M. Jean-Claude Pauc a répondu qu'il était compris entre 2,5 et 3 millions de F., payés intégralement par l'État.

M. le Rapporteur ayant rapproché ce chiffre des 40 millions de F. prévus par la loi de finances pour 1995 pour ce type d'études, en a conclu que çes crédits permettaient de financer une vingtaine d'études comme celle de l'Ouvèze.

M. Jean-Claude Pauc a noté que d'autres études très coûteuses avaient déjà été effectuées, notamment sur la Loire, ce fleuve étant suivi depuis très longtemps car c'est le seul dont l'État soit responsable de la protection, mais que la première carte des risques concernant la Loire n'avait été publiée qu'en novembre 1992.

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La Commission a ensuite entendu M. Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'agriculture et de la forêt, et M. Laurent Bellanger, chef du service hydraulique et forestier à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF).

M. Vincent Le Dolley, après avoir rappelé que ni lui ni M.Laurent Bellanger n'étaient en poste au moment des événements de Vaison, a indiqué que c'était surtout après la catastrophe que la DDAF avait été très sollicitée pour essayer de trouver des solutions imm·;diates, de façon à donner aux populations le sentiment que l'on était capable d'éviter une aggravation des difficultés ou un renouvellement de la catastrophe.

Selon lui, l'important, dans de telles situation, est de disposer immédiatement des crédits qui permettent de donner très rapidement des instructions aux entreprises et aux services, ce qui fut le cas en l'espèce.

Il a insisté sur l'importance de l'effectif de personnel nécessaire pour agir de la sorte. Selon lui, il est donc fondamental que les services de l'Etat conservent un niveau de personnel suffisant pour faire face à des catastrophes qui ne sont pas forcément prévisibles. En l'occurence, les effectifs ont permis d'affecter immédiatement à l'hydraulique, domaine un peu délaissé jusque là, 4 ingénieurs et 5 techniciens normalement spécialistes de l'irrigation. Il a ajouté que, parallèlement aux travaux d'urgence, des études lourdes avaient été engagées. Pour conclure sur le type d'action menée aujourd'hui par la DDAF, il a indiqué que celle-ci continuait encore largement à répondre au coup par coup aux sollicitations venues du terain, mais qu'elle voyait s'approcher le moment où elle pourrait programmer ses travaux sur la base d'études solides ayant par ailleurs vocation à servir de support à l'aménagement urbanistique.

S'agissant des problèmes d'organisation, il a fait état de l'action menée actuellement pour organiser les maîtres d'ouvrage en syndicats étagés, l'échelon le plus élevé étant constitué par des syndicats de bassin des affluents, syndicats eux-mêmes constitués de sous-ensembles plus petits -ainsi dans le bassin du Lez, il y a plusieurs syndicats, que l'on est d'ailleurs en train de fédérer -.

En ce qui concerne l'organisation des services, M. Vincent Le Dolley a déclaré que M. le Préfet avait proposé d'accélérer la constitution de deux niveaux d'organisation des services de l'Etat. Ainsi, il existe aujourd'hui une mission interservices de l'eau, constituée des trois services départementaux s'intéressant à ce problème, et un deuxième niveau, que l'on peut définir comme un pôle de compétence en matière d'eau, regroupant, outre ces trois services, des services de niveau institutionnel différent -agence de l'eau, direction régionale de l'environnement, direction régionale de l'industrie, service de la navigation du Rhône -, qui ne peuvent pas être aussi souvent présents mais qui travaillent en commun régulièrement. La coordination des deux niveaux, a-t-il continué, est assuré à la DDAF, ce qui est utile à la fois pour l'organisation et le suivi des études, et pour la programmation financière.

M. le Rapporteur lui a alors demandé s'il ne considérait pas qu'il faudrait une véritable instance unique au niveau d'un bassin -peut-être les agences de l'eau- et non de simples structures de coordination.

Selon M. Vincent Le Dolley il apparaît de plus en plus clairement que les limites institutionnelles n'ont pas de sens eu égard aux impératifs de la protection contre les inondations et que les gens sont assez intelligents pour faire ce travail en commun.

Pour ce qui est d'une autorité unique par bassin, M. Vincent Le Dolley a déclaré qu'il voyait mal les agences de l'eau remplir des missions régaliennes, et qu'à son avis, la police des eaux ou de l'aménagement devait relever de l'autorité du préfet s'appuyant sur des services techniques forts. Selon lui, l'agence de l'eau doit rester ce qu'elle est avant tout, c'est-à-dire un instrument financier destiné à inciter à la mise au point des programmes communs entre les collectivités différentes. Pour conclure sur ce point, il a dit n'être pas favorable à ce que la même structure soit à la fois instrument financier, instrument technique et instrument régalien, le choix devant plutôt être celui de plusieurs entités ayant des rôles séparés et se retrouvant dans des pôles de compétence.

Invité par le Rapporeur à faire part de ses suggestions sur le statut des rivières non domaniales, M. Vincent Le Dolley a noté que, dans ce domaine, on parlait beaucoup des riverains et peu des bénéficiaires. Selon lui, on a trop facilement tendance à vouloir transférer la responsabilité aux collectivités, c'est-à-dire aux contribuables, qui devraient se substituer aux riverains du fait de leur implication insuffisante en oubliant les bénéficiaires, qui tirent profit des travaux, et ce d'autant plus que c'est eux qui les ont rendus nécessaires. Ainsi, a-t-il poursuivi, quand on bâtit dans une zone inondable qu'il faut ensuite protéger par une digue, ceux qui ont intérêt à cette protection sont les habitants de cette zone, et non le riverain propriétaire de la berge sur laquelle sera construite la digue. Il serait donc logique, si l'on fait financer la protection par les personnes privées, que contribuent ceux qui ont intérêt à la protection.

M. le Rapporteur a alors demandé aux intervenants leur avis sur la réglementation actuelle.

M. Joél Lebeschu a souligné la nécessité de raisonner, comme cela est fait dans le Vaucluse, par bassin versant. Il a par ailleurs fait remarquer qu'aux termes du code rural, les riverains devaient entretenir les cours d'eau, sans qu'il soit prévu que cette action doive sérer dans un programme de travaux global. Or, un riverain qui fait des travaux isolément peut provoquer des catastrophes, si bien que l'on peut considérer comme heureux qu'il ne les fasse pas. Il en a conclu que la réglementation actuelle était bancale.

M. Vincent Le Dolley a rappelé qu'il fallait différencier le travail d'entretien (curage, abattage des arbres pour éviter les embâcles) des travaux d'aménagement qui impliquent une autorisation de police des eaux.

M. le Rapporteur a déclaré qu'il ne voyait pas comment on pouvait échapper à une collectivisation des travaux d'aménagement des rivières. Faisant valoir en effet que les eaux de pluie qui ruissellent des toits des maisons arrivent dans les rivières et les grossissent, il s'est demandé quelle justification il y avait à contraindre le seul riverain, ce qu'en pratique on ne fait d'ailleurs pas.

MM. Joël Lebeschu et.Vincent Le Dolley ont rappelé la nécessité d'organiser les communes en syndicats intercommunaux de bassins versants, le problème évoqué ci-dessus à propos des riverains d'amont ou d'aval se posant dans les mêmes termes à propos des communes.

Selon M. Vincent Le Dolley, il faut trouver un moyen, dès lors qu'une majorité - à définir - de communes sera favorable à la constitution d'un tel syndicat, d'obliger les autres à y adhérer.

M. Joël Lebeschu a observé que la situation actuelle résultait du fait qu'il ne s'était rien passé de grave depuis 30 ou 40 ans, mais qu'il ne fallait pas attendre pour la faire évoluer.

Puis M. le Rapporteur a demandé aux intervenants d'évaluer les conséquences sur les crues de l'évolution culturale et de la déforestation.

Selon M. Laurent Bellanger, le plus grave est la suppression du couvert végétal ou herbeux. Ainsi, a-t-il expliqué, dans certaines communes, le remplacement de la forêt ou même d'une prairie par de la vigne a eu des conséquences spectaculaires l'eau a ruisselé en torrents de boue su lieu de s'infiltrer. Pour lui, il faudrait conserver de l'herbe entre les pieds de vigne, d'autant que la mécanisation oblige à planter la vigne dans le sens vertical pour éviter que les machines ne soient déséquilibrées par les dévers.

M. Vincent Le Dolley serait partisan de prévoir des aménagements de compensation, de façon à ce que, lorsqu'on a accéléré l'eau sur un secteur, on soit obligé de mettre en place un dispositif ralentisseur. Ainsi, chaque demande d'autorisation de défrichement doit faire l'objet d'une autorisation su titre de la police de l'eau, comme on le fait d'ailleurs systématiquement aujourd'hui.

Il a ajouté qu'aujourd'hui la sensibilité sur les problèmes de l'eau était telle que la DDAF ne pouvait pas répondre de façon suffisamment complète à toutes les lettres qui lui sont adressées sur le sujet. Il a indiqué avoir privilégié le travail avec les syndicats et intersyndicats et l'efficacité de la protection d'ensemble, au risque de ne pas répondre à tous.

S'agissant de la définition du niveau de risque, il a estimé qu'il ne fallait pas agir sans souci des proportions: il n'y a pas de sens, selon lui, à dépenser pour la protection d'un bien des sommes sans rapport avec sa valeur économique. Il a affirmé qu'il fallait hiérarchiser les risques, les risques agricoles devant être assumés à l'échelle agricole, c'est-à-dire faire l'objet d'une protection contre la crue décennale ou de quinze ans, les risques humains sans danger, telle l'inondation d'une maison, à l'échelle de leur amortissement. Selon lui, il faudrait établir un lien entre la durée d'amortissement des ouvrages et le niveau de protection contre le risque que l'on peut leur donner. II a précisé que ce raisonnement ne valait pas dès que la sécurité des personnes est en cause.

M. Laurent Bellanger a ensuite évoqué le problème de l'intervention de la DDAF sur les berges. Pour y réaliser des travaux, il faut souvent passer sur des terrains privés, ce qui suppose de bénéficier d'une servitude dont l'instauration est soumise à une enquête d'utilité publique. Il souhaiterait que pour gagner du temps la servitude soit, pour de tels cas, instituée d'office par la loi.

M. le Rapporteur a indiqué que l'examen du projet de loi sur l'amélioration de la protection de l'environnement pouvait peut-être permettre d'aller dans ce sens.

M. Vincent Le Dolley a alors évoqué de nouveau la question de l'organisation de la protection des bassins versants. Pour lui, il faudrait raisonner presque en termes de subsidiarité en considérant que pour un niveau de projet, il y a un niveau adéquat de maîtrise d'ouvrage. Ainsi, si un petit affluent du Lez est bien maîtrisé par un syndicat intercommunal ou même une commune, il n'y a pas d'avantage à en faire remonter la gestion au niveau de l'agence de bassin ou d'un système de gestion de l'ensemble des bassins versants. Il est partisan de ne pas multiplier les superstructures lointaines car responsabiliser les acteurs implique que la maîtrise d'ouvrage soit assez proche du terrain.

M. Joël Lebeschu a approuvé ces propos, à la condition que la maîtrise d'ouvrage proche du terrain s'intègre dans une stratégie globale définissant les niveaux de risque. Il a ajouté que la procédure en cours des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR), dont sont chargés les sapeurs pompiers, est le préalable à la décentralisation des responsabilités.

M. le Rapporteur a suggéré que, dès lors que les maires demandent le classement de leur commune en zone sinistrée, ils délimitent sur une carte les parties sinistrées, ce document étant ensuite opposable lors de l'instruction des demandes de permis de construire. Cette procédure aurait selon lui l'avantage de laisser l'initiative aux maires et non aux services de l'État.

M Joël Lebeschu a manifesté son intérêt pour cette proposition, qu'il a estimée toutefois difficile à mettre en _uvre, car il n'y a pas équivalence entre les définitions de la zone sinistrée et l'inconstructibilité.

M. Laurent Bellanger a fait observer que l'hydrologie allait sûrement réaliser encore des progrès et que d'ici 30 ans il faudrait sans doute refaire toutes les études. Par ailleurs, il a indiqué qu'après une grosse crue, comme celle de 1992, les berges sont fragilisées, si bien qu'une pluie même raisonnable pouvait produire une grosse crue et de gros dégâts.

M. Vincent Le Dolley a alors abordé la question des moyens financiers, déplorant qu'il n'y en ait pas, même pour les travaux urgents de protection contre les crues. Il a insisté sur le fait qu'il fallait de l'argent, qu'il vienne de l'agence de l'eau ou d'autres.

M. Laurent Bellanger s'est demandé, à propos des projets visant à créer une redevance perçue par les agences de l'eau, s'il était logique de faire jouer principalement la solidarité de bassin versant et de faire ainsi payer, par exemple, les habitants de la Saône pour les inondations de Camargue ou de l'Ouvèze.

M. Vincent Le Dolley s'est déclaré partisan d'une solidarité nationale, qui a toutefois l'inconvénient de supprimer la relation entre la contribution acquittée et les travaux qu'elle permet de réaliser.

M. le Rapporteur a rappelé que la principale raison du succès de la loi de 1982 est d'avoir fondé l'indemnisation des catastrophes naturelles sur la solidarité nationale.

M. Laurent Bellanger s'est alors demandé s'il ne faudrait pas un régime mixte, associant la solidarité nationale, pour les .coups durs», et une solidarité plus régionale par exemple au niveau du bassin versant, pour les travaux courants d'entretien.

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La Commission a ensuite entendu M. Géard Bouby, délégué départemental de Météo-France. Il a d'abord rappelé que les épisodes pluvio-orageux survenus ces dernières années étaient classiques dans la région méditerranéenne. Il a ajouté que Météo-France tentait en permanence d'améliorer sa prévision par rapport à la catastrophe de Vaison-la-Romaine mais que l'institution rencontrait là ses limites.

Il a rappelé que la plupart des prévisions de MétéoFrance étaient basées sur le calcul numérique appliqué à l'observation faite par mailles. Or, a-t-il ajouté, pour une maille de 60 km de côté, l'approximation pour le lendemain est de trois fois la taille de la maille, soit 180 km. Il est donc très difficile à l'échéance de 24 heures de prévoir précisément la localisation de l'évènement. Ce qui a été fait pour Vaison la Romaine est ainsi, selon lui, ce que l'on peut espérer de mieux dans un futur immédiat. La veille de la catastrophe, a-t-il rappelé, avait été diffusé un message ALARME comportant une prévision portant sur un espace beaucoup plus vaste que le Vaucluse. Le matin, le chef prévisionniste a centré l'événement sur la vallée du Rhône. A l'échelle de 24 heures, il n'y a pas, selon lui, moyen de faire mieux.

M. le Rapporteur a alors fait état de propos tenus par le responsable de Météo-France pour le Sud-Est, selon qui, s'il avait disposé du système Safir, il aurait pu annoncer une heure plus tôt que l'orage allait éclater sur le bassin de l'Ouvèze, et prévoir la quantité d'eau. Il a précisé que le système coûtait à millions de F.

M. Gérard Bouby a fait remarquer qu'il parlait, lui, de la prévision à 24 heures.

Mme Marie-José Roig a demandé alors si un délai d'une heure avait un sens en termes opérationnels.

M. Joël Lebeschu a indiqué qu'un délai d'une heure ne donnait pas grand chose d'un point de vue opérationnel, 3 ou 4 heures étant le minimum nécessaire.

M. le Rapporteur a fait remarquer que les orages ne pourraient jamais être prévus plus de quelques heures à l'avance et qu'une heure de plus permet par exemple faire évacuer les campings si on y a installé un système d'alerte.

M. Joël Lebeschu a répondu que, à condition d'avoir un système d'alerte automatique, cela serait possible aujourd'hui car les gens sont maintenant sensibilisés à cette question, mais qu'en septembre 1992, ils n'y auraient pas cru. Il a évoqué le cas d'un camping à risque, où, l'année dernière, malgré une alarme, il a fallu employer l'autorité pour faire sortir les campeurs qui s'y refusaient. Il a ajouté qu'en moins de deux heures de délai, il n'était pas possible de réagir sur une population de plusieurs milliers d'habitants.

Il a indiqué que la préfecture disposait d'un système expérimental pour prévenir l'ensemble des maires. Le premier essai de fonctionnement de ce dispositif a permis de joindre les trois quarts des maires du département en deux heures, résultat déjà satisfaisant mais qui peut certainement être amélioré.

M. le Rapporteur a souhaité savoir dans quel délai Météo-France pouvait localiser un événement orageux.

M. Gérard Bouby a répondu qu'il n'était pas possible de descendre en dessous d'une heure. Il a alors rappelé qu'il existait deux types d'orages: ceux liés à des lignes de grains, ce que l'on appelle des fronts froids, qui se déplacent et dont l'intensité est constante, donc prévisible, et ceux se régénérant localement, dont l'intensité, variable, peut être constatée su moyen de radars, mais ne peut pas être prévue, pas plus du reste que leur durée.

A cette difficulté, a-t-il précisé, s'en ajoute une autre l'orage peut tomber sur un seul bassin ou se disperser sur plusieurs. Ainsi, a-t-il conclu, une multiplicité de facteurs interviennent qui font que tantôt l'événement aura des conséquences catastrophiques, tantôt il sera sans gravité. De ce fait, il a dit craindre de ne pas pouvoir toujours localiser un grave orage une heure à l'avance.

M. le Rapporteur a alors demandé des précisions sur l'interruption du radar de Nîmes pour révision pendant trois jours, un an jour pour jour après la catastrophe de Vaison, en pleine saison des orages.

M. Gérard Bouby a répondu que lui-même et ses collaborateurs avaient tenté de faire valoir que le moment était peut-être mal choisi.

M. Joël Lebeschu a ajouté que la préfecture était intervenue pour le faire remettre aussitôt en marche. Il a ajouté qu'il avait demandé que l'ensemble du Vaucluse soit couvert par un radar.

M. Gérard Bouby a observé qu'en effet le radar de Nîmes était celui qui, de toute la France, avait le plus d'échos fixes et qu'un nouveau radar serait le bienvenu.

A une question de M. le Rapporteur sur les délais de mise en service, il a répondu en citant l'exemple du radar de HauteLoire, pour lequel l'appel d'offres est en cours de dépouillement, la maîtrise d'_uvre sera terminée à la fin du premier semestre 1996 et l'installation est prévue pour juin 1996.

M. le Rapporteur a demandé si, lorsque serait installé le radar couvrant le Vaucluse, Météo-France pourrait localiser les évènements orageux avec deux heures de délai.

Selon M. Gérard Bouby, ce sera possible pour les sites couverts par le radar, sachant que Météo-France raisonne en termes de fortes probabilités. Ainsi, pour un orage tel que celui qui est tombé sur Valréas le 30 septembre 1993, on pourra dire une heure à une heure et demie avant qu'il y a de fortes probabilités pour qu'il se produise à tel endroit. Il a rappelé qu'avec le radar actuel cet orage avait été décelé sur Mondragon, sans que l'on sache s'il venait du Sud-Ouest ou s'il s'était formé sur place, ce qui nuisait à la prévision.

M. le Rapporteur a demandé si l'intensité des précipitations pourrait être prévue. Les messages actuels, y compris les BRAM, prévoient des fourchettes considérables, .par exemple de 20 à 200 mm, et sur une zone géographique très étendue, jusqu'à quinze départements.

M. Gérard Bouby a répondu que Météo-France savait que des messages trop vagues nuisaient à sa crédibilité mais que, dans certains cas, il n'était pas possible de faire mieux.

M. Joël Lebeschu a demandé quels moyens devraient être mis en _uvre pour que les messages soient aussi précis que ceux délivrés lors du tournoi de Roland Garros.

M. Gérard Bouby a indiqué que le relief de la région parisienne était beaucoup moins difficile que celui du Sud-Est et que la précision des messages de Roland Garros était due à ce que la prévision était faite à un quart d'heure seulement, ce qui n'est pas opérationnel pour la sécurité.

M. Joël Lebeschu a souhaité savoir quel avantage apporterait sur le plan opérationnel l'installation d'un nouveau radar dans le Vaucluse.

M. Gérard Bouby a affirmé qu'il y aurait beaucoup moins d'écho fixe, de sorte que les orages seraient beaucoup plus facile à déceler dès leur arrivée ou leur formation. S'agissant en revanche de leur intensité, il a rappelé qu'elle ne pouvait pas être prévue pour les orages qui se régénèrent sur place et qu'en tout état de cause, le radar était un moyen non de prévision mais d'observation.

M. le Rapporteur a noté que le système Safir couplé avec les radars permettait une prévision avec un délai supplémentaire.

M. Gérard Bouby a admis que, dans cette optique, cet équipement pouvait être intéressant. Il a ajouté qu'il existait un réseau de stations automatiques de mesure de la pluie dans le Vaucluse, propriété du conseil général et géré par le SIRAM, mais que la maintenance de ces stations, qui présentent un grand intérêt pour les inondations, était faite avec des moyens insuffisants et que bon nombre d'entre elles, installées depuis près de 10 ans, étaient en bout de course.

En réponse à M. le Rapporteur, M. Gérard Bouby a ensuite indiqué qu'il y avait un responsable de Météo-France par département et que l'équipe dont il disposait pour la prévision comportait quatre personnes en plus de lui-même. Il a convenu, suivant M. le Rapporteur, que cet effectif était faible et conduisait à ce qu'en principe il n'y ait pas de permanence la nuit, sauf parfois pendant les périodes à risque, sans qu'il soit possible de supporter longtemps cette charge supplémentaire, la surveillance étant alors assurée par le centre régional d'Aix-en-Provence. Il a fait remarquer que, de ce fait, l'installation d'un radar supplémentaire n'apporterait d'amélioration que pour le jour, car la surveillance nocturne continuerait à être assurée par Aix, c'est-à-dire donc à un échelon qui ne permet pas la détection de particularités locales.

M. Joël Lebeschu a demandé si serait envisageable, pour résoudre le problème de la surveillance de nuit, une convention avec la base aérienne.

M. Gérard Bouby a exprimé la crainte que cette idée soit difficile à mettre en pratique, en raison de la forte réduction des effectifs de radaristes militaires. Enfin, à la demande du Rapporteur, il a évoqué les difficultés que causent à Météo-France l'augmentation considérable du nombre des procédures d'indemnisation pour cause de catastrophe naturelle car les dossiers doivent comporter un rapport météo dont la constitution mobilise des moyens, aux dépens d'une meilleure prévision.

La Commission a ensuite entendu le Colonel Yves Caumes, chef du service départemental d'incendie et de secours. Il a expliqué que pour bien organiser les secours, il fallait pouvoir anticiper, et donc disposer de renseignements, obtenus notamment de Météo-France, qui doivent ensuite être structurés. Ainsi, en septembre 1993, Météo-France. ayant annoncé un épisode difficile pour le nord du département, les services de secours ont anticipé en mettant des moyens en position sur Valréas et Orange, ainsi qu'une organisation de commandement pour faire face à l'afflux des troupes.

Il a ajouté qu'il avait fait suivre à tous les officiers d'Etat-Major des stages pour organiser un PC opérationnel spécifique en cas d'inondations, car celles-ci mettent en jeu, non seulement les sapeurs-pompiers, mais aussi les services techniques des communes. Il faut en effet, a-t-il poursuivi, s'appuyer en matière d'inondations sur le commandement, la structuration, la logistique.

En réponse à une question de M. le Rapporteur, il a indiqué que l'imprécision des renseignements fournis par la météo était source de difficultés, dans la mesure où, quand il ne se passe rien, les maires se plaignent d'avoir été alertés à tort. En revanche, a-t-il poursuivi, s'agissant du délai, les bulletins d'alarme actuels BRAM ou ALARME, qui sont délivrés 24 heures à l'avance, suffisent pour l'organisation des secours.

M. Joël Lebeschu a souhaité savoir si les choses se seraient passées différemment, lors de la catastrophe de Vaison la Romaine, si les services de secours avaient été alertés une heure plus tôt.

Le Colonel Yves Caumes a répondu qu'avec une heure d'avance, les secours auraient pu se rendre suffisamment nombreux au camping et au parking pour les faire évacuer, au besoin par la force:

En réponse à M. le Rapporteur, il a indiqué par ailleurs que depuis trois ans les investissements avaient été gelés et qu'aujourd'hui 86 % de son budget était consacrée aux salaires, ce qui ne permet pas aux services de secours d'assurer leurs missions. Sur le plan de l'organisation, a-t-il poursuivi, des groupes d'intervention inondation ont été créés, dotés non seulement de moyens tous terrains mais aussi d'embarcations supplémentaires, et des moyens nouveaux sont testés, comme des véhicules sur coussin d'air.

Une organisation calquée sur celle utilisée en cas de feux de forêts a été mise sur pied, quatre véhicules de sapeurspompiers commandés par un patron formant un groupe autonome, de façon à éviter la dispersion des moyens.

Il a par ailleurs évoqué le problème que posent les nombreux lotissements construits sur des terrains inondables, qui sont inondés dès qu'il y a un gros orage, ce qui conduit les pompiers à pomper l'eau pendant des journées entières. Il a donc suggéré que soit imposé aux constructeurs de tels lotissements d'y installer des pompes.

M. le Rapporteur a fait observer qu'il était difficile, plusieurs années après la construction, de renvoyer les habitants vers le lotisseur.

Le Colonel Yves Caumes a ensuite décrit le système d'alarme utilisé pour prévenir les maires. Il s'agit d'un système automatique, pouvant composer trois numéros successifs par maire, qui transmet une synthèse du message BRAM ou ALARME, visée par le préfet. Lors de son premier essai, il a été opérationnel, seuls trois maires n'ayant pu être prévenus par ce moyen, ce qui a conduit le préfet à leur envoyer les gendarmes.

M. Joël Lebeschu a précisé que la préfecture était certaine d'avoir contacté le maire lui-même dans les trois quarts des cas, mais que dans un quart des cas, elle ne savait pas qui avait effectivement été prévenu, ajoutant que le fonctionnement du système allait s'améliorer.

Le Colonel Yves Caumes a évoqué ensuite le système d'alerte directe de la population mis en place par la commune de Bollène, qui, selon lui, fonctionne très bien sur le plan technique, mais qui pose deux problèmes: les gens se plaignent de ne pas avoir été avertis ou de l'avoir été trop tôt ou trop tard et le standard de la mairie a été paralysé. Il a ajouté que s'il était maire, il ne ferait pas le choix d'un tel système mais se battrait pour obtenir des diffuseurs d'alerte (bande enregistrée diffusée par des véhicules circulant dans les rues), signalant que les sapeurs-pompiers en achetaient pour leurs unités de façon à ce qu'elles puissent les mettre à disposition. Il

a ajouté qu'à défaut de ce type d'appareil, le meilleur système était selon lui la sirène.

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La Commission a ensuite entendu M. Bruno de Carmantrand, délégué de l'Agence de l'eau Rhône-Méditer-ranée-Corse.

M. Bruno de Carmantrand a évoqué d'abord la question des interventions de l'agence en matière d'inondations. Elles ne font pas partie, a-t-il indiqué, des préoccupations premières des agences, créées par la loi du 16 décembre 1964 pour agir en matière de pollution, de prélèvement d'eau et de régime des eaux. En fait, c'est à la pollution que les agences ont consacré l'essentiel de leurs actions. Une redevance sur la pollution a été instaurée, payée sous la forme d'une contrevaleur, dont le produit représente environ 65 96 des recettes de l'agence. Une deuxième redevance, a-t-il poursuivi, est celle dite de prélèvement, redevance proportionnelle prélevée sur le nombre de mètres cubes pompés, dont le produit représente environ 25 96 des recettes de l'agence. Le Conseil dTtat, dans un avis, a considéré qu'une redevance perçue pour une fin précise devait être utilisée à cette seule fin, ce qui limite l'action des agences sur les cours d'eau à un simple complément de celle de traitement de l'eau et de maintien des volumes d'eau, pour un pourcentage compris entre 2 et 3 96 du budget de l'agence, soit 45 millions de F. pour l'agence Rhône-Méditerranée-Corse. Cette somme, a-t-il précisé, est d'abord consacrée à des actions d'entretien, l'agence incitant à la création de maures d'ouvrages communs à l'ensemble d'une rivière, voire d'un bassin versant, pour assurer une homogénéité d'action. Le second axe de l'action menée dans ce domaine par l'agence, a-t-il poursuivi, est de doter ces structures intercommunales de personnels permanents qui puissent avoir une action continue. Au total, l'agence contribue ainsi à la continuité de l'entretien, à la fois dans l'espace en favorisant la cohérence des actions menées, et dans le temps, en permettant leur régularité, condition de leur efficacité.

M. Bruno de Carmantrand a indiqué en outre que les agences avaient lancé une politique d'études - en y participant financièrement à 50 °Yo -destinée à éviter les actions trop ponctuelles qui pourraient avoir des répercussions sur la rive opposée ou l'aval. Ces études, a-t-il poursuivi, débouchent sur plusieurs catégories de travaux. Il y a d'abord des travaux de simple restauration, consistant à reprendre quelques ouvrages à la marge; ces ouvrages étant nécessaires pour l'équilibre de la rivière, indépendamment de tout problème de crue, les agences considèrent donc qu'elles peuvent les aider de la même façon que des travaux d'entretien. Mais il existe une autre catégorie de travaux, généralement très lourds, dont le sort n'est pas réglé et qui pose problème dans le Vaucluse. Il s'agit de ceux qui relèvent de la prise en compte des dégâts des crues. Dans de tels cas, a estimé M. Bruno de Carmantrand, l'agence n'a pas la possiblité juridique ni financière d'intervenir. Quant à la dernière catégorie de travaux, ceux qui sont strictement définis comme destinés à la lutte contre les inondations, c'est-à-dire réalisés préventivement au titre de l'aménagement global d'un cours d'eau et visant à mettre des populations à l'abri d'un risque de crue qualifié par une fréquence de retour, il n'est absolument pas prévu, en l'état actuel des financements, que les agences y participent.

M. Bruno de Carmantrand a ensuite exposé les réflexions en cours au sein des agences de l'eau sur le rôle qu'elles pourraient être amenées à jouer en matière d'inondations. Il a indiqué que, dans le cadre de la préparation du septième programme quinquennal qui débutera en 1997, des réflexions interagences avaient été engagées; lors d'une première réunion, une liste d'une vingtaine de types d'interventions possibles sur les cours d'eau a été établie, qui devront faire l'objet d'études plus poussées destinées à préciser si elles sont intéressantes et si elle sont juridiquement susceptibles d'être insérées parmi les politiques de l'agence.

II a ajouté qu'une deuxième piste de réflexion, à échéance plus lointaine, avait été lancée, sur la nature du système financier qui pourrait être mis en place pour permettre aux agences d'intervenir dans le domaine de la protection des rivières et de la lutte contre les inondations. .

M. Bruno de Carmantrand a alors développé l'état actuel des réflexions des agences sur les inondations. Il s'agit tout d'abord d'une analyse des causes du phénomène, qui sont d'une part l'intensité de la pluie, d'autre part l'aggravation du ruissellement par diverses activités humaines. La deuxième piste de réflexion concerne le bénéfice que peuvent tirer des travaux certaines personnes. Selon le code rural, c'est le riverain qui est responsable des divers menus travaux d'entretien. Cette responsabilité légale permet de fonder juridiquement l'existence d'une taxe établie sur la base de la surface riveraine, lorsque le riverain ne réalise pas ces travaux. Par ailleurs, on peut aussi soutenir que ce sont les bénéficiaires des protections (digues, barrages en amont) qui pourraient être soumis à une redevance.

M. Bruno de Carmantrand a précisé que la réflexion sur le choix. de la base à donner à une éventuelle redevance n'en était encore qu'à ses prémices. Il a ajouté que la redevance ne frapperait probablement pas les seuls riverains mais chaque hectare de terrain où l'eau ruisselle, sans doute en fonction de son taux de ruissellement, ruissellement, et que dans une telle configuration les autorités collectrice:. pourraient être les communes, car le code rural leur permet déjà i de faire des travaux à la place des riverains.

Il a ensuite évoqué une expérience montée par l'agence et la commune de Prades (Pyrénées Orientales) qui l'avait sollicitée pour l'aider à financer l'aménagement d'un petit cours d'eau qu'elle ne pouvait pas elle-même financer par emprunt. Le système élaboré a consisté à créer une redevance assise sur le foncier bâti et non bâti, la commune versant à l'agence 3 %o du montant des impôts sur le foncier bâti déclaré à l'agence par le percepteur.

La Commission a ensuite entendu MM. Robert Metge et Pierre Tourel, respectivement président et vice-président du conseil départemental de la Croix-Rouge française en Vaucluse.

M. Robert Metge a indiqué que, lors de la crue de l'Ouvèze en 1992, la Croix-Rouge avait été prévenue très vite. Ses relais ayant été foudroyés, elle en a installé de nouveaux très rapidement t et, au début, ce sont ses installations qui ont permis les transmiss ons Il a précisé que la Croix-Rouge était autonome, tant en matière, de communication que de transports ou d'eau potable.

Il a expliqué ensuite que la Croix-Rouge avait fait ce que les autres ne faisaient pas, en travaillant avec la DDASS, et en relayant les pompiers pour le transport des blessés. A la demande de la DDASS, son activité la plus importante a été le traitement de l'eau potable. Dès le lendemain de la catastrophe, l'unité de traitement de l'eau de la Croix-Rouge était à Vâison pour fabriquer de l'eau en sachets et des semi-remorques qui lui avaient été prêtés transportaient de l'eau de source qui lui avait été donnée. Il a précisé que 1.500 volontaires s'étaient relayés sur le terrain.

Il a a ajouté que, par la suite, la Croix-Rouge avait recueilli 54 millions de F. du public, lesquels s'ajoutaient à 6 millions de F. de la CEE et 3 millions de F. de FEtat.

Il a indiqué que la Croix-Rouge avait donné 2.000 F. d'aide d'urgence en espèces par personne. Ensuite, a-t-il poursuivi, elle a mis en place des commissions d'attribution et établi des critères d'attribution faisant intervenir la gravité des sinistres, les revenus et le quotient familial des sinistrés.

Il a ajouté que le conseil général avait créé un fonds d'aide aux entreprises sinistrées, auquel la Croix-Rouge avait donné 2,850 millions de F.

M. le Rapporteur a souhaité savoir comment s'était passée la coordination avec les différents services de secours officiels et avec les autres associations caritatives.

M. Robert Metge a indiqué que la Croix-Rouge avait invité les autres associations pour organiser la coordination et que presque toutes étaient venues. Selon lui, ce qui n'a peut-être pas très bien réussi a été la coordination des fonds.

M. le Rapporteur s'est souvenu avoir entendu dire que la DDASS, puis la Croix-Rouge, puis d'autres encore étaient successivement venus demander aux sinistrés les mêmes renseignements.

M. Pierre Tourel a répondu que cet état de choses n'avait pas duré, un formulaire unique ayant été mis au point en quinze jours.

M. Robert Metge a indiqué que la Croix-Rouge avait aussi essayé d'aider psychologiquement les sinistrés. Il a par ailleurs estimé qu'il fallait sans doute responsabiliser les gens en matière d'assurance. La Croix-Rouge a ainsi dû expliquer à certains que s'ils étaient assurés pour 100.000 F., le montant de l'indemnisation ne pourrait pas être supérieur, même si leurs biens valent beaucoup plus.

M. le Rapporteur a alors émis l'idée que figure sur les appels de cotisations le montant du capital pour lequel l'assuré est couvert.

M. Robert Metge a estimé l'idée excellente.

La Commission a alors entendu MM. André Borel, maire de Pertuis, Bernard Dévé, maire de Villesure, JeanPierre Genton, maire de Bollène, Claude Haut, maire de Vaison-la-Romaine, Maurice Lovisolo, maire de La Tour d'Aygues, et André Tort, maire de Bedarrides.

M. André Borel, maire de Pertuis, a affirmé qu'en matière d'urbanisme si, dans le passé, le laxisme avait été certain, le risque était maintenant le contraire. Il a évoqué notamment la question des zones industrielles ou artisanales,. dont les maires se demandent ce qu'elles vont devenir. Selon lui, il ne faudrait pas que les communes soient sinistrées deux fois, une fois par l'eau et une autre sur le plan économique.

Il a souligné l'importance pour les maires de la rapidité des décisions prises par l'Etat, car les administrés s'en prennent souvent à eux alors qu'ils n'y peuvent rien.

A une question de M. le Rapporteur relative à l'indemnisation des dommages causés par l'inondation de 1993, M. André Borel a répondu qu'en matière de voirie, si l'on faisait le total des aides et de l'indemnisation, sa commune n'avait pas particulièrement à se plaindre. Il a en revanche fait part de son inquiétude sur l'urbanisation et les gros travaux nécessaires su confortement des berges qui doivent être réalisés par les syndicats d'aménagement des rivières.

Il a indiqué par ailleurs que, pour sa commune, le gros problème était celui des eaux pluviales, Pertuis ayant frôlé la catastrophe trois fois en dix mois. A ce propos, il a reconnu que l'urbanisation de la commune n'avait pas été réfléchie, ajoutant cependant qu'il avait lancé les projets de maîtrise du réseau des eaux pluviales dès 1990, à peine un an après son élection. Le problème, selon lui, est désormais financier, le coût des travaux à effectuer se montant à 45 millions de F., somme colossale pour une commune de 16.000 habitants, qui ne peut pas assumer une telle charge si aucune aide ne lui est apportée.

M. le Rapporteur a fait remarquer qu'il n'existait en effet aucune aide pour les réseaux des eaux pluviales, et que luimême, à Valréas, se trouvait face à un programme de travaux de 55 millions de F. sur lequel il n'avait pu engager que 12 millions de F.

M. André Borel a estimé que demander aux riverains déjà sinistrés par les crues d'assurer l'entretien lui paraissait impossible et qu'il fallait donc modifier la loi et raisonner désormais en termes de bassin versant.

M. Bernard Dévé, maire de Villesure, a indiqué que dans la commune dont il était maire, une association syndicale d'arrosage avait été créée pour gérer les arrosages agricoles, la récupération des eaux de pluie, l»assainissement et aussi l'entretien du torrent. Cette association, compétente pour l'ensemble du territoire communal, bénéficie du produit d'une cotisation versée par les habitants, qui ne diffère guère, en fait, d'un impôt.

En réponse à une question de M. le Rapporteur, M. André Borel a indiqué qu'en matière d'urbanisme, la seule solution n'était pas l'interdiction de construire, et a attiré l'attention sur l'intérêt de mesures telles que la fixation de conditions de contruction particulières et la mention du caractère inondable de la zone sur le permis de construire.

M. Claude Haut, maire de Vaison-la-Romaine, a estimé qu'il fallait d'abord fixer des conditions techniques relatives à la solidité et aux conditions d'utilisation des bâtiments.

M. André Borel a estimé qu'il fallait différencier les constructions situées .dans la vague. et celles implantées dans des zones inondables, certes, mais sans gros risque, évoquant à ce propos les abords de la Durance. En réponse à une question de M. le Rapporteur, il a précisé qu'il existait une cartographie des zones inondables de la ville de Pertuis, avec indication du niveau (les eaux.

M. Maurice Lovisolo, maire de La Tour d'Aygues et président du syndicat du bassin de l'Eze, a évoqué les problèmes d'entretien des cours d'eau.

Il a d'abord fait état des modifications des bassins versants. Selon lui, le bassin versant de l'Eze a été considérablement modifié par l'évolution de ses utilisations, le remplacement de la polyculture par la monoculture de la vigne ayant entraîné un désherbage qui a considérablement accru le ruissellement. Un syndicat a donc été créé, qui a commencé des travaux en 1988. A son avis, les problèmes tiennent aux modifications très importantes du bassin versant, à l'absence d'entretien des rivières depuis 50 ans, et à l'existence de constructions dans le lit majeur de la rivière. Il a donc estimé qu'à moyen terme, le remède était de traiter avec les agriculteurs pour tenter de limiter le ruissellement et de réfléchir à la possibilité d'acheter et de démolir les maisons présentant le plus de risques.

M. Maurice Lovisolo a alors abordé les questions financières. Il a attiré l'attention sur le fait qu'après des orages violents, les communes se trouvaient face à d'énormes travaux de restauration, qui selon lui ne devraient pas être financées par elles, car elles n'en ont pas la capacité.

M. le Rapporteur a demandé alors comment l'Etat pourrait accepter l'argumentation d'une commune qui estimerait ne pas pouvoir participer à des travaux de restauration alors qu'elle finance des travaux d'entretien ou de construction de gymnases.

M. Maurice Lovisolo a répondu, qu'en cas de gros orage, une structure intercommunale ne peut plus demander de contributions aux communes pour restaurer les berges de cours d'eau, qui appartiennent su demeurant au domaine privé, parce qu'elles dépensent déjà beaucoup pour leurs propres travaux de voirie.

M. le Rapporteur ayant évoqué l'idée d'une taxe à la surface, M. Maurice Lovisolo a estimé qu'elle frapperait principalement les agriculteurs, dont on connaît la situation financière difficile.

M. André Borel a alors fait remarquer qu'une telle taxe devrait frapper les surfaces en fonction de leur taux de ruissellement, c'est-à-dire beaucoup plus fortement les toitures et autres surfaces imperméables.

A une question de M. le Rapporteur, M. Jean-Pierre Genton, maire de Bollène, a répondu que si la responsabilité des berges était transférée au secteur public, cette cession devait être gratuite. Il a surtout souligné que l'important était de savoir qui payait. Selon lui, on pourrait envisager que l'entretien courant soit fait par les communes, comme c'est du reste plus ou moins le cas actuellement, mais il faut admettre que les communes ont du mal à faire face aux dépenses consécutives à une catastrophe. Il a cité l'exemple de sa commune où 44 millions de F. de travaux ont été effectués. Une fois défalquées les différentes aides et assurances, 23 millions de F. restent à la charge de la commune pour les seuls dégâts liés à la rivière, lesquels viennent s'ajouter à l'investissement annuel en travaux. Aussi ne peut-il même pas imaginer les conséquences financières qu'aurait une nouvelle catastrophe de ce type qui se produirait à brève échéance.

Aussi lui parait-il nécessaire qu'en cas de catastrophe, s'exerce la solidarité nationale.

Répondant à M. le Rapporteur, M. Jean-Pierre Genton a abordé la question du système d'alerte installé à Bollène. Peu satisfaite des bulletins météo, pas assez précis, la commune fait vérifier les cotes sur la rivière. La dernière est à Suze-la-Rousse, commune à partir de laquelle le Lez ne reçoit presque plus d'affluents, arrive à Bollène en deux heures, délai qui offre une capacité d'action non négligeable. Pour l'alerte des populations, un dispositif spécifique a été mis en place, qui a relativement bien fonctionné, 79 % des gens l'ayant bien compris, cette mesure étant réalisée su moyen d'une touche du clavier sur laquelle les habitants devaient appuyer. Quant à la vitesse de l'alerte, il a indiqué que 100 appels prenaient 20 minutes, que ces 100 premières personnes pouvaient elles-mêmes en appeler immédiatement 100 autres et, qu'ainsi, en une demi-heure, 1.000 personnes pouvaient être prévenues. Il a ajouté que parmi les 21 % de personnes enregistrées comme n'ayant pas compris le fonctionnement du système, en fait deux tiers étaient absentes, si bien que la mauvaise compréhension n'était en réalité le fait que d'un tiers seulement.

A une question de M. le Rapporteur lui faisant remarquer que les organisations officielles de secours étaient plutôt sceptiques sur l'intérêt du dispositif, il a convenu qu'il ne s'agissait effectivement pas d'une panacée, ajoutant qu'il pensait rédiger une fiche mémoire pour l'accompagner, exactement comme en matière de feu de forêt, toute la difficulté résidant selon lui dans le libellé du message.

Il a précisé par ailleurs que la responsabilité du déclenchement du système relevait du maire ou, à défaut, d'un autre élu, en tout cas pas du corps des sapeurs-pompiers.

Abordant la question des secours, il a indiqué que l'essentiel était la rapidité de réaction, qui suppose des moyens financiers adaptés, et s'est demandé s'il ne faudrait pas, au sein du budget de l'État, créer une ligne budgétaire spécifique à l'urgence.

M. le Rapporteur a observé qu'un fonds était en cours de création pour répondre à ce souci.

M. Claude Haut a considéré qu'il était logique que les communes participent financièrement à l'entretien des rivières. Il a repris la différenciation faite précédemment entre l'entretien et l'aménagement, auxquels les communes devaient participer, comme elles l'ont d'ailleurs toujours fait, et les travaux consécutifs aux catastrophes, qu'elles ne peuvent assumer.

S'agissant de la catastrophe du 22 septembre 1992, il a expliqué que Vaison avait reçu 100 millions de F., somme certes considérable, mais que, le montant des travaux s'élevant à 170 millions, il restait 70 millions de F. à la charge de la commune, somme que, eu égard à sa taille, elle ne pouvait pas supporter, quelle qu'an été par ailleurs l'aide reçue des particuliers.

Il a par ailleurs émis l'idée d'un remboursement anticipé de la TVA pour ce type de travaux, ce qui allégerait d'autant la charge des communes.

Il a également évoqué les grandes difficultés qu'a rencontrées sa commune pour obtenir des prêts bancaires, indiquant qu'il ne parvenait pas à obtenir un prêt à court terme pour financer un lotissement de 30 lots, dont 15 déjà vendus, construit dans le cadre d'une procédure de résorption de l'habitat insalubre destinée à reloger des sinistrés.

Il a souhaité que, comme l'Etat, les collectivités locales calculent leurs aides en fonction d'un pourcentage des travaux financés, su lieu de fixer un chiffre absolu. Il a fait remarquer que sa commune avait reçu beaucoup plus d'aides que les autres en chiffres absolus, mais moins en pourcentage du volume des dégâts, et que cela avait créé des difficultés financières supplémentaires.

Enfin, M. Claude Haut a évoqué les travaux d'urgence pour souhaiter que priorité soit donnée à la protection des zones bâties par rapport aux zones agricoles.

S'agissant de sa ville, il a signalé que deux ans après la catastrophe, les habitants ne pouvaient toujours pas se raccorder à l'égoût, celui-ci ayant été emporté et ne pouvant être rétabli car, tant que les études ne seront pas finies, on ne sait pas où sera la berge.

Revenant sur la question de l'alerte, M. André Tort a déclaré ne pas comprendre que l'état actuel des techniques ne permette pas des délais de prévision d'au moins 4 à 5 heures. Il a insisté sur le caractère très vague de certains bulletins météo, qui obligent à téléphoner en amont pour tenter de se renseigner. Il s'est cependant réjoui de la très récente installation de deux stations automatiques en amont de l'Ouvèze, à Vaison et Etreaupont, reliées aux sapeurs pompiers de Vaison, mais dont la commune n'avait pas encore pu profiter.

M. le Rapporteur a confirmé que la prévision des orages ne pouvait être faite qu'à très court terme.

M. André Tort a aussi évoqué l'importance de l'entretien des rivières et a mentionné la nécessité de construire des seuils entre Vaison et Bédarrides et de créer, moyennant indemnisation éventuelle des agriculteurs ou achat de terres, des zones d'épandage des crues pour protéger la ville. Il a regretté l'insuffisante coopération entre les communes du bassin versant. Enfin, il s'est plaint de l'excessive sévérité des réglementations actuelles en matière d'urbanisme. Admettant que certaines zones devaient être interdites de reconstruction, il s'est toutefois élevé contre la trop grande tendance de l'Etat à refuser de:. permis de construire.

La Commission a ensuite entendu les représentants de plusieurs associations de sinistrés.

M. Jean-Paul Nabonne, président de l'association des professionnels sinistrés de Vaison la Romaine, s'est d'abord soucié de la protection de la berge de la rive droite de l'Ouvèze pour la zone artisanale, estimant qu'une protection était souhaitable mais que des digues n'étaient peut-être pas le meilleur moyen, car elles n'éviteraient pas l'inondation du fait du ruissellement. Il a souhaité que M. Cotton, entrepreneur sinistré de Vaison, s'exprime sur ses préoccupations représentatives de celles de la plupart des professionnels se trouvant dans sa situation.

M. Cotton a fait remarquer que, depuis deux ans, les entrepreneurs de cette zone n'avaient pas été tenus au courant des projets envisagés, la DDA lui ayant simplement indiqué qu'elle procéderait à des travaux qui abaisseraient le niveau des eaux de 50 cm, alors que, selon lui, la solution était de faire sauter un barrage à usage agricole situé à l'aval de l'Ouvèze, qui remonte l'eau d'un mètre à un mètre cinquante.

M. Jean-Paul Nabonne a évoqué la situation du quartier Theos, dont les habitants avaient été expropriés et non contraints à construire une digue.

M. le Rapporteur a pris note de la différence de traitement entre les deux rives, l'une expropriée et indemnisée, l'autre pas. Il a demandé aux intervenants quels problèmes ils avaient rencontrés après le sinistre et comment, à leur avis, la réglementation pouvait être améliorée.

M. Cotton a répondu que les prêts qu'ils avaient pu obtenir étaient systématiquement à court terme, 6 mois maximum, ajoutant qu'étant, en ce qui le concerne, installé dans des bâtiments en leasing, il n'avait pas pu obtenir de prêt pour la réfection de ses locaux.

M. Jean-Paul Nabonne a aussi évoqué le problème du cautionnement, une caution étant très difficile à obtenir quand on a tout perdu. Il a suggéré la possiblité de créer un fonds de garantie à cet effet. II a signalé par ailleurs que lorsque l'on reconstitue l'outil de travail suite à un sinistre, la taxe professionnelle augmente, ce qui revient à être imposé sur les sommes versées au titre de l'indemnisation par les compagnies d'assurance.

M. Cotton a soulevé la question du mode de répartition des aides récoltées par des associations, l'absence de critère légal de répartition, par exemple le nombre d'emplois à protéger, pouvant conduire à ce qu'un petit artisan touche autant qu'une entreprise. Il a estimé souhaitable que la chambre régionale des comptes puisse exercer un contrôle sur les sommes versées par les associations. Il a fait remarquer que certaines procédures étaient absurdes: ainsi certaines sommes ont été placées et sont versées sur sept ans, par trimestre, alors que c'est maintenant que les entreprises en ont besoin.

M. le Rapporteur a noté que, dès lors qu'il s'agissait de fonds versés par des associations, il était difficile d'établir des règles contraignantes de versement, soulignant que le problème principal était d'aider les gens tout en faisant en sorte qu'ils ne quittent pas la commune après avoir touché l'aide.

M. Jean-Paul Nabonne a déploré l'insuffisance d'assistance juridique aux sinistrés.

M. Claude Martin, vice-président de l'association des particuliers sinistrés de Vaison la Romaine, a exposé les difficultés des sinistrés de Vaison. Selon lui, le seul vrai problème subsistant aujourd'hui est que les personnes ayant souscrit des emprunts ont utilisé les sommes obtenues pour les rembourser et n'ont pas toujours pu ensuite recourir de nouveau à des emprunts, par exemple parce qu'ils étaient trop âgés. Il a aussi évoqué le cas des particuliers dont la maison n'a pas été démolie dans le cadre d'une opération de résorption de l'habitat insalubre et qui voudraient maintenant être protégés.

M. Jean Tromel, président de l'association de défense des sinistrés de Bollène, a abordé la question de l'entretien des digues: à Bollène des propriétaires ont proposé de céder les berges à la municipalité pour le franc symbolique car ils n'ont pas les moyens d'entretenir le lit.

M. le Rapporteur a souhaité connaître l'avis des intervenants sur le système d'alerte de Bollène.

M. Jean Tromel a répondu que les sinistrés s'étaient battus pour avoir un système d'alerte et que celui qui avait été installé lui paraissait techniquement correct. Il a jugé qu'il n'était toutefois pas assez rapide car il n'a permis d'appeler en une heure que 200 personnes, alors que 1.200foyers ont été inondés, mais il peut sans doute être amélioré en étant branché sur un gros central téléphonique.

En revanche, l'utilisation du système a posé problème la pointe de la crue du Lez est survenue à 6 heures du matin et le système n'a été mis en alerte qu'à 7 h 45. Certaines personnes n'ont ainsi été informées que vers à h 30 voire plus tard. Le maire a avoué avoir procédé à une expérimentation en grandeur réelle, ce qui a stressé certaines personnes.

M. Claude Martin a suggéré qu'il faudrait des points de mesure situés plus en amont, assurant un décalage de 5 heures par rapport à Vaison, ce qui permettrait de ne déclencher l'alerte qu'à bon escient.

M. Jean Tromel a évoqué le problème de la reconstruction dans les zones inondées. Dans le centre de Bollène, seulement 4 commerces ont rouvert. Ce point est d'autant plus délicat que les actes notariés indiquent désormais si les biens sont situés en zone inondable.

M. Joël Lebeschu a fait remarquer que cette mention allait bientôt figurer dans le POS.

M. le Rapporteur a rappelé qu'à son initiative avait été adopté l'an dernier un amendement au projet de loi de finances accordant des déductions fiscales pour les travaux faits dans le périmètre d'une zone sinistrée.

M. Jean-Pierre Roux a évoqué les problèmes liés à la structure d'entretien des berges et l'interdépartementalité du Lez.

M. le Rapporteur a répondu qu'en tout état de cause, il ne pouvait être question de transférer l'obligation de l'entretien des berges aux communes sans l'assortir d'un droit de passage. S'agissant du Lez, il a indiqué que les trois structures qui le géraient actuellement avaient décidé récemment la création d'une structure commune.

M. Jean Tromel a regretté que les associations de sinistrés ne soient pas associées de près aux travaux faits sur les rivières. Il a admis que, dans l'ensemble, l'indemnisation des dégâts avait été correcte. Il a dit avoir été surpris par le nombre de personnes qui n'étaient pas assurées alors qu'elles remboursaient de gros emprunts, et qui ont tout perdu avec la catastrophe.

M. Cotton a dit qu'il était lui-même sous-assuré, son activité ayant connu une forte croissance sans que sa compagnie d'assurance, prompte à lui vendre des produits nouveaux, n'ait pensé à lui proposer de réévaluer le capital assuré, ce qu'il aurait facilement accepté. Il dit avoir suggéré à des professionnels de faire parvenir aux entreprises assurées, à l'échéance du contrat, une sorte de dossier de mise à jour où figureraient clairement le montant des capitaux couverts.

M. le Rapporteur a noté que cette proposition pouvait également s'appliquer aux particuliers, et qu'elle ferait partie des propositions qu'il soumettrait à l'approbation de la Commission.

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La Commission a enfin entendu M. Joël Lebeschu, Préfet du Vaucluse.

M. Joël Lebeschu a d'abord fait remarquer qu'en matière d'organisation des secours, le système français était performant grâce à l'unité de commandement des moyens. En revanche, s'agissant de la prévention, des améliorations sont selon lui à apporter, notamment autour de la notion de niveau de risque acceptable, fondée sur l'idée qu'il est moins cher de prévenir que de guérir. Or, selon lui, le principal problème actuellement est l'éparpillement des moyens de prévention entre de nombreux ministères. A son avis, il faudrait davantage d'unité dans la définition de la politique de prévention, un ministère étant chargé par exemple de piloter l'ensemble.

Pour lui, la gestion de l'après-crise devrait également être améliorée. A son avis, la culture de secours est une culture de retour d'expérience de catastrophe. Il faut tirer profit de l'expérience passée: ainsi, en Vaucluse, au moment des inondations de Bollène en 1993, les réactions ont été bien meilleures qu'en 1992 parce que l'expérience de la catastrophe de Vaison la Romaine avait été mise à profit.

Il a ajouté qu'il fallait procéder à une information des maires sur la gestion de l'après-crise, poursuivie après le retour à la normale, à travers des séminaires, suivis psychologiques, conférences, lettres, sachant que toute action de ce type doit s'adapter au public qu'elle souhaite toucher et ne peut donc être définie de façon uniforme.

Enfin, il a estimé indispensable de réfléchir à un droit de la crise adapté aux situations d'exception, qui serait en quelque sorte l'équivalent de l'article 16 de la Constitution en matière de sécurité civile, le but du dispositif étant d'éviter de faire appel à des ministères nombreux et à des procédures complexes ou à des missions trop longues. Par exemple, à Vaison, il a fallu 11 mois pour régler le dossier des sinistrés car il a fallu inventer un système, dit de résorption de l'habitat insalubre, qui n'existait pas.

Enfin, après avoir suggéré que la cartographie numérisée de l'IGN puisse être mise à disposition des services de l'État chargés de tâches de sécurité civile pour être utilisée comme fonds de carte et comme base de données pour les études hydrauliques, M. Joël Lebeschu a conclu en indiquant qu'un droit de la crise permettrait aussi de banaliser le caractère exceptionnel des circonstances et d'éviter notamment que, comme c'est trop souvent le cas, les sinistrés ne se trouvent face à un véritable «mur administratif» au lendemain des catastrophes.

M. le Président a remercié tous les intervenants pour les informations et les points de vue dont ils avaient fait part à la Commission.

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N° 1641 (10ème législature).- Rapport de M. Thierry Mariani au nom de la commission d'enquête sur les causes des inondations et les moyens d'y remédier (tome II).


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