Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Avant-propos - Introduction - Première partie

SOMMAIRE

Pages

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : LE CONTEXTE GÉNÉRAL 22

I.─ LES ENQUÊTES PARLEMENTAIRES 22

A.- LA COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE AU FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ DE LA VIANDE OVINE ET BOVINE (AVRIL 1991) 23

B.- LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE SUR L'ENSEMBLE DES PROBLÈMES POSÉS PAR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉPIDÉMIE D'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE (JANVIER 1997) 24

C.- LA COMMISSION TEMPORAIRE D'ENQUÊTE SUR L'ESB DU PARLEMENT EUROPÉEN (FÉVRIER 1997) 26

D.- LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA TRANSPARENCE ET LA SÉCURITÉ SANITAIRE DE LA FILIÈRE ALIMENTAIRE EN FRANCE (MARS 2000) 28

E.- LES TRAVAUX DE L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (AUDITIONS DU 21 NOVEMBRE 2000) 30

II.- LES DONNÉES FONDAMENTALES 34

A.- LES DONNÉES RELATIVES AUX FARINES ANIMALES 34

1.- La notion de farines animales 34

a) La définition de la notion 34

b) Les conditions d'élaboration des farines animales 35

2.- Le recours aux farines animales 36

a) Le faible recours de l'élevage français aux farines animales 36

b) L'« utilité » des farines animales 39

B.- LES DONNÉES RELATIVES AUX MALADIES HUMAINES ET ANIMALES 42

1.- La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) est une encéphalopathie spongiforme subaiguë transmissible (ESST) que l'on doit considérer comme la forme humaine de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) 42

a) La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est une ESST 42

· Les caractéristiques communes aux ESST 42

· Des maladies animales à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob : une typologie des ESST et de leur transmissibilité 45

- Les maladies animales 46

- Les maladies humaines 48

b) La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob doit être considérée comme la forme humaine de l'ESB. 55

· L'agent pathogène de l'ESB et l'agent pathogène de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne font qu'un. 55

· Cet agent pathogène s'est sans doute transmis de l'espèce bovine à l'espèce humaine par la voie alimentaire 57

2.- Si le problème scientifique qui consiste à déterminer la nature de l'agent pathogène des ESST n'est pas aujourd'hui tranché, les connaissances actuelles permettent néanmoins de prendre des mesures efficaces s'agissant de la santé publique. 59

a) L'évolution et la formalisation de la théorie du prion 59

· De « l'agent transmissible non conventionnel » (ATNC) aux avatars pathogènes et non pathogènes de la protéine prion 59

· Dans la théorie du « prion seul », la PrPres est l'agent pathogène des ESST 62

b) La théorie du prion seul n'est pas considérée comme définitivement validée 63

c) Cette incertitude, qu'il faut chercher à réduire, n'empêche pas de mettre en _uvre des décisions efficaces s'agissant de la santé publique 65


Suite du rapport : deuxième partie

Sommaire du rapport


AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT

C'est à l'unanimité, dans un contexte pleinement consensuel, que l'Assemblée nationale a décidé, le 13 décembre 2000, de créer une commission d'enquête de trente membres sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique.

Sur la base d'une proposition déposée par nos collègues Jean-François Mattei, Jean-Louis Debré et Philippe Douste-Blazy, dont l'objet a été élargi par la commission de la production et des échanges, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, après l'avoir amendé, la résolution. Elle exprimait ainsi la volonté commune de faire toute la lumière sur une crise qui suscitait une inquiétude croissante des citoyens.

Cette unanimité - qui avait d'ailleurs également inspiré le Sénat quelques semaines plus tôt, lors de l'adoption d'une résolution comparable à la nôtre, quoique plus étroitement centrée sur le problème des farines - s'est retrouvée dans la constitution de notre bureau et la désignation du rapporteur : un président appartenant au groupe de l'Union pour la démocratie française, tandis que le rapporteur appartient au groupe socialiste, deux vice-présidents issus respectivement du groupe Radical, citoyen et vert, et du groupe communiste, deux secrétaires dont l'une est socialiste et l'autre appartient au Rassemblement pour la République ; enfin, un membre de la commission appartenant au groupe Démocratie libérale a été associé aux réunions du bureau.

Les clivages qui animent notre vie politique ont été dépassés pour conduire les investigations que l'évolution de la crise de la vache folle a rendues nécessaires. La perte de confiance de l'opinion, qui s'est brutalement exprimée à l'automne de l'année 2000, justifiait une telle démarche. Ce choix, qui nous a constamment inspirés, a conduit à l'adoption du présent rapport à l'unanimité.

La commission a décidé de travailler dans la plus grande transparence : les soixante auditions qu'elle a conduites ont été constamment ouvertes à la presse et diffusées sur le Canal Assemblée, tandis que la Chaîne parlementaire ou des journalistes de la presse nationale ou locale nous ont accompagnés dans certains de nos déplacements sur le terrain. Nous avons voulu apporter ainsi une première forme de réponse à l'immense attente exprimée par l'opinion publique et à l'émotion qu'elle a ressentie à l'automne dernier lors de la troisième crise de l'ESB, intervenue après celles de 1990 et de 1996.

Les investigations ont été approfondies en dépit du délai fort bref qui est accordé par la loi aux commissions d'enquête parlementaires : six mois. On relèvera que le groupe de travail britannique présidé par Lord Phillips a conduit ses investigations pendant trois ans et que les informations judiciaires ouvertes en France, dont certaines remontent à 1996, ne sont toujours pas closes.

Quoi qu'il en soit, le rapport dresse un constat lucide et sans complaisance de la situation actuelle et des causes de la crise. Traitant avec rigueur les éléments d'information recueillis, il s'est gardé de lire les faits et actes du passé, dont certains remontent à quinze ans, avec les connaissances d'aujourd'hui. Il s'est efforcé de déterminer si les décisions qu'imposaient les connaissances de l'époque ont bien été prises ou si, au contraire, elles ont été retardées ou insuffisamment respectées et contrôlées. Mais projeter dans une période du passé des connaissances qui n'ont été acquises que postérieurement à celle-ci aurait exposé nos travaux à une grave erreur de perspective dont nous avons entendu nous garder.

Si beaucoup d'interrogations subsistent sur les causes du fléau et sur les modes de contamination, du moins le rapport délimite bien les zones de certitude, laissant entrevoir celles où la connaissance doit encore progresser.

Comme on le verra, l'objet de notre enquête nous a conduit à effectuer un travail fortement pluridisciplinaire : santé publique et recherche scientifique, pratiques d'élevage et industries agroalimentaires, dispositifs de veille sanitaire et contrôles vétérinaires, structures administratives concurrentes et pratiques frauduleuses, procédés d'abattage et techniques de découpe, marché unique et réglementations divergentes, mesures nationales et résistance communautaire, puis impulsions communautaires et blocages de certains Etats membres. Mais nous entrons déjà dans le vif du sujet...

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

À l'automne 2000, une conjonction de faits, d'informations et parfois de rumeurs place l'affaire de l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) au c_ur de l'actualité.

Le 11 octobre, à l'abattoir de Villers-Bocage, les services vétérinaires stoppent un bovin suspect, dont le test aussitôt ordonné révélera quelques jours plus tard qu'il était atteint de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Signe d'un fonctionnement satisfaisant du dispositif de surveillance et de détection mis en place par les pouvoirs publics, ce fait
- qui intervient dans un contexte marqué par l'augmentation de cas d'ESB - est le point de départ d'une réaction en chaîne, alimentée par un certain nombre d'événements et de mesures confuses ou mal comprises que le rapporteur prendra soin de détailler dans une partie.

Il règne une confusion ambiante à propos de l'ESB qui fait l'objet durant cette période d'une surenchère médiatique, avec des titres qui dérapent (« la vache folle vendue dans nos hypermarchés », « la vache folle sur nos étals »), dont l'apothéose est la diffusion, à une heure de grande écoute, d'une émission télévisée montrant l'agonie d'une victime française de cette nouvelle et rarissime maladie humaine qu'est la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Ces images traumatisantes provoquent un véritable électrochoc dans l'opinion publique dès le lendemain de leur diffusion, une vague d'interdiction de la viande bovine gagne progressivement le pays, notamment dans les cantines scolaires, à l'initiative des maires, anticipant ou répondant à l'inquiétude des parents d'élèves.

Cette réaction en chaîne, dont le mécanisme est complexe, aboutit ainsi à la crise la plus grave et la plus durable que la filière bovine ait connu dans notre pays. La consommation de viande bovine s'est effondrée et cela a plongé toute la filière dans des difficultés qu'on n'avait plus connues depuis la crise de 1996. Par crainte des farines animales - dont l'utilisation est pourtant interdite depuis 1990 pour les bovins et depuis 1994 pour les autres ruminants - les consommateurs se sont reportés sur les viandes de porc et de volaille, dont l'alimentation contenait pourtant, en toute légalité, de telles farines.

Pour calmer l'émotion et tenter d'enrayer la crise, les pouvoirs publics prennent des décisions radicales : interdiction des farines animales pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage ; mise en place d'un dispositif de lutte contre l'ESB ; élaboration d'un plan d'aide à la filière bovine.

Des cas ayant été détectés en Allemagne, en Espagne, en Italie, le Conseil des ministres de l'Union européenne parvient enfin à prendre la décision d'exclure les organes à risque de la consommation humaine et de sécuriser les farines, mesures que la France avait prises depuis 1996 et qu'elle tentait vainement de faire adopter à l'échelle de l'Union européenne. Celle-ci décide enfin de suspendre pour six mois l'utilisation des farines dans l'alimentation animale, une mesure qui avait d'ailleurs été proposée, sans succès, par la France, à ses partenaires européens en juin 1999.

Toutes ces mesures ne dissipent pas l'angoisse de la population et la conduisent même à s'interroger sur la manière dont les autorités publiques ont géré l'affaire de l'ESB : pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour interdire les farines ? Y a-t-il eu des contaminations croisées et dans quelle proportion ? Qui est responsable ?

Afin de répondre aux exigences légitimes exprimées par l'opinion publique, des commissions d'enquête sont créées à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le 21 novembre 2000, le Sénat décide de s'interroger sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs.

En décidant, le 13 décembre 2000, la création d'une commission d'enquête, l'Assemblée nationale choisit d'élargir la réflexion en s'intéressant, outre aux farines animales, à la lutte contre l'ESB et aux enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique.

On rappellera, en effet, les termes de cette résolution :

Il est créé, en application de l'article 140 du Règlement, une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique.

Cette commission devra notamment :

- en ce qui concerne la santé publique : établir un bilan des recherches en cours, une estimation objective des risques et un état des ressources disponibles en termes d'information du public et de capacités de diagnostic ; formuler des recommandations visant à renforcer le système de veille sanitaire ;

- en matière de protection des consommateurs : vérifier, qu'à mesure de l'avancée des connaissances scientifiques concernant l'ESB, la chaîne alimentaire a fait l'objet de mesures de précaution appropriées ;

- en matière de recours aux farines animales : faire le point sur les données disponibles sur l'introduction en France de farines animales d'origine britannique et sur l'utilisation de farines carnées dans l'alimentation des bovins après les mesures d'interdiction prises par les pouvoirs publics ; examiner les problèmes que posent l'élimination des farines carnées et leur remplacement par la production de protéines végétales non génétiquement modifiées ; envisager les soutiens nécessaires aux cultures fourragères et la revalorisation de la prime à l'herbe ;

- en matière de lutte contre l'ESB : apprécier le dispositif de surveillance du troupeau bovin et se prononcer sur les diverses pratiques possibles en matière de tests et d'utilisation de leurs résultats ;

- étudier les diverses formes de production agricole et leurs effets sur la sécurité sanitaire de l'alimentation.

Ce texte nous a conduit à nous investir en premier lieu dans le domaine médical, afin d'évaluer le risque encouru par la population du fait de la consommation de viande bovine et d'apprécier l'état d'avancement des recherches en cours. Il nous appelait également à nous préoccuper de la sécurité de la chaîne alimentaire, autrement dit des mesures prises pour protéger le consommateur, et de celles nécessaires à son information, en particulier la traçabilité et l'étiquetage.

Le devenir des farines animales devait ensuite être clarifié, non seulement au regard des règles édictées en 1989, en 1990, en 1994, en 1996, en 1998, en 2000, mais aussi en termes de stockage et d'élimination de celles qui étaient, depuis peu, totalement prohibées dans l'alimentation des animaux d'élevage, y compris les monogastriques.

Il nous incombait également de nous pencher sur les produits de substitution, dans la mesure où ces farines représentaient un apport en protéines qu'il importait de combler « par la production de protéines végétales non génétiquement modifiées » et en soutenant les cultures fourragères.

L'aspect vétérinaire de la crise n'était pas oublié, puisqu'il nous était également demandé d'apprécier le dispositif de lutte contre l'ESB, les tests de dépistage mis en place depuis le printemps 2000 et l'utilisation de leurs résultats.

Enfin, nous devions nous interroger sur les pratiques agricoles et leurs effets sur la sécurité sanitaire de l'alimentation, autrement dit sur le modèle de développement agricole, national et communautaire.

Ce « cahier des charges », qui a constamment guidé les travaux de la commission, nous invitait à reprendre - tout en les exploitant - les travaux, recherches et investigations qui avaient déjà pu être effectués par notre assemblée et parmi lesquels on citera : le rapport de la commission d'enquête relative à la filière bovine (1991), qui présente l'avantage de nous replacer dans le contexte de l'époque au regard de l'ESB, considérée alors comme une sorte de méningite susceptible de peser sur une filière déjà en difficulté ; le rapport de la mission d'information commune aux six commissions permanentes, qui a travaillé en 1996, dans le contexte de l'émotion considérable causée par l'annonce du ministre britannique de la Santé, selon laquelle la transmission à l'homme de l'ESB, sous la forme d'une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avait déjà fait dix victimes au Royaume-Uni ; le rapport de la commission d'enquête sur la sécurité et la transparence de la filière alimentaire (1999-2000), qui a traité de l'ESB parmi d'autres dangers qui touchent à l'alimentation, tels que les hormones, les OGM, la dioxine, la listeria, la salmonellose ; enfin, le colloque organisé par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques le 21 novembre 2000, qui a rassemblé de nombreux experts, scientifiques, chercheurs, vétérinaires ou médecins qui ont, le cas échéant, prêté à nouveau leur concours à la commission d'enquête.

Si les deux derniers de ces travaux donnent un éclairage tout à fait actuel à la question de l'ESB, les deux premiers constituent des témoignages irremplaçables sur la manière dont la question était considérée à l'époque. Ils nous permettent d'échapper à une sorte d'illusion rétrospective consistant à considérer les mesures prises dans le passé à la lumière des connaissances d'aujourd'hui, dont on s'aperçoit d'ailleurs qu'elles ont sensiblement progressé dans tous les domaines, sauf celui de la gestion des crises, ce qui n'est pas la moindre des surprises dans une société où l'information et la communication occupent une aussi grande place.

Pour accomplir sa mission, la commission d'enquête a procédé à l'audition de plus de quatre-vingts personnes dans le cadre de plus de soixante réunions.

Afin de bénéficier de leur expérience, la commission d'enquête a entendu à titre liminaire les rapporteurs des précédentes enquêtes parlementaires qui ont porté, en tout ou partie, sur le même sujet : M. Jean-François Mattei, rapporteur de la mission d'information commune sur l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine (n° 3291 - janvier 1997), M. Daniel Chevallier, rapporteur de la commission d'enquête sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France (n° 2297 - avril 2000).

Elle a décidé d'entendre un grand nombre de personnalités scientifiques, vétérinaires, biologistes, neurologues, afin de faire le point sur les recherches en cours et les connaissances disponibles dans le domaine des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) et sur l'agent infectieux qui porterait et transmettrait le mal : le prion. Celui-ci reste d'ailleurs une hypothèse, tant il contrevient aux théories scientifiques classiques. La commission a aussi entendu le président de l'Académie nationale de médecine, des responsables de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), des professeurs à l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort et de Toulouse et des membres du réseau d'épidémiosurveillance de la MCJ.

Du Commissariat à l'Energie atomique (CEA), organisme à la pointe de la recherche sur le cerveau, nous avons entendu le directeur des sciences du vivant et le chef du département de neurovirologie, qui est parallèlement président du comité interministériel sur les ESST et les prions ; le responsable du groupe de recherche sur les prions et co-inventeur du test de dépistage de l'ESB mis au point par le CEA nous a également apporté son témoignage.

Au titre de l'INRA, la commission a bénéficié du concours du directeur scientifique du département nutrition humaine et sécurité des aliments, qui est en même temps président du comité scientifique directeur de la Communauté européenne, ainsi que ceux du chef du département élevage et nutrition des animaux et du chargé de mission auprès de la direction scientifique animal et produits animaux.

Dans un second temps, la commission d'enquête a procédé à l'audition de responsables administratifs : le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), le directeur général de l'Institut de veille sanitaire, le président de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales (MIEFA). Les directeurs généraux des ministères concernés ont été longuement entendus : le directeur général de la santé (DGS), celui de l'alimentation (DGAL), celui de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et celui des douanes et des droits indirects (DGDDI).

Nous avons entendu le directeur de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires (BNEV) et le président du syndicat national des vétérinaires-inspecteurs de l'administration (SNVIA).

Élargissant son information, la commission d'enquête s'est inspirée d'expériences étrangères significatives et, le cas échéant, contrastées : elle a ainsi recueilli l'éclairage du premier secrétaire en charge des questions agricoles à l'ambassade du Royaume-Uni à Paris ; celui de la directrice du service des animaux au ministère suédois de l'Agriculture et du premier secrétaire en charge des questions économiques à l'ambassade de Suède à paris ; enfin, celui d'un haut fonctionnaire belge, inspecteur général de l'Agriculture, dont le témoignage a d'ailleurs débouché sur la mise en examen du dirigeant d'une entreprise de fabrication d'aliments pour animaux.

Nous avons naturellement reçu l'ensemble des organisations professionnelles agricoles : Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS), Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), Coordination rurale, Confédération française de la coopération agricole (CFCA), mouvement des exploitations familiales (MODEF), Confédération paysanne. Le point de vue du Forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l'environnement (FARRE) a également été entendu.

Les représentants des différentes filières ont été invités à donner leur éclairage sur la crise et les solutions à lui apporter : Fédération nationale bovine (FNB), ovine (FNO), porcine (FNP), de même que celle des producteurs de lait (FNPL) et celle des industries avicoles. Ces points de vue ont été complétés par celles de la Confédération française des entreprises bétail et viande (CEBV), du Centre d'information des viandes (CIV) et de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA).

La commission d'enquête a entendu les représentants des industries de fabrication d'aliments pour le bétail : la Fédération nationale des coopératives de production et d'alimentation animales (SYNCOPAC), le Syndicat national des industriels de la nutrition animale (SNIA). Elle a par ailleurs longuement questionné le syndicat des industries fabricant les coproduits (SIFCO), ainsi que le responsable de la société qui occupe le premier rang des producteurs d'aliments pour animaux en France.

Pour nous informer sur les substituts aux farines animales, nous avons entendu la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux, l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) et l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM).

Poursuivant ses réflexions du côté « aval », la commission a entendu les représentants du secteur de la distribution : le co-président de l'Association des centres distributeurs Leclerc (ACDLEC), le président de la Fédération des entreprises du commerce de distribution (FCD), celui de la Confédération nationale de la boucherie-charcuterie-traiteur française et celui du conseil d'administration d'ITM Qualité.

Soucieux d'avoir le point de vue du consommateur, nous avons reçu la directrice de l'Institut national de la consommation (INC), ainsi que des fédérations d'association de consommateurs : l'Union fédérale des consommateurs (UFC-Que Choisir ?), la Coordination, Consofrance.

Sous le bénéfice des informations ainsi rassemblées, nous avons recueilli la déposition des sept anciens ministres de l'Agriculture depuis 1986 et des cinq anciens ministres ou secrétaires d'Etat à la Santé depuis 1992. Ce cycle s'est achevé avec l'audition de plusieurs ministres en exercice : ceux de la Santé, de l'Agriculture, de la Recherche, enfin, celle du secrétaire d'Etat aux petites et moyennes Entreprises, au Commerce et à l'Artisanat.

Des délégations de la commission d'enquête se sont par ailleurs déplacées sur le terrain, dans les départements de la Côte-d'Or, de la Creuse, du Nord et des Côtes-d'Armor, pour examiner la manière dont les réglementations successives ont été appliquées. Nous nous sommes ainsi rendus dans des élevages, des abattoirs, des usines d'équarrissages, des sites de stockage de farines, des incinérateurs et des laboratoires, et nous avons rencontré plusieurs responsables des services vétérinaires. Nous avons également participé à une réunion de responsables des services départementaux groupés en pôle de compétences pour remédier aux cloisonnements administratifs.

Le rapporteur a obtenu par ailleurs nombre d'informations en adressant aux ministres chargés respectivement de l'Agriculture, de l'Économie et des Finances, du Budget et de la Défense, des questionnaires auxquels il a été répondu dans des délais permettant une exploitation des données recueillies et avec un degré de précision qui s'est révélé, dans la plupart des cas, satisfaisant.

Soucieux d'élargir le champ de vision de la commission d'enquête, le bureau de celle-ci s'est rendu à Strasbourg, où elle a rencontré le président de la commission de l'Agriculture du Parlement européen, M. Graefe zu Baringdorf, et plusieurs membres de celle-ci, parmi lesquels Mme Auroi, rapporteure d'un projet de directive sur les plantes fourragères et M. Ortega, qui fut rapporteur de la commission d'enquête du Parlement européen ; il a pu assister à un débat consacré à une déclaration de la Commission européenne sur le soutien à apporter aux protéines végétales destinées à se substituer aux protéines animales.

Le bureau a eu un entretien substantiel à Strasbourg avec M. Pascal Lamy, membre de la Commission européenne en charge du Commerce, avant de rencontrer à Bruxelles le commissaire en charge de l'Agriculture
- M. Franz Fischler - et celui chargé de la Santé et de la protection des consommateurs, M. David Byrne. Le bureau a également bénéficié du concours de plusieurs membres de la représentation permanente de la France auprès des Communautés européennes, parmi lesquels l'adjoint au représentant permanent, le délégué agricole et l'attaché agricole.

La commission d'enquête a enfin consacré trois réunions à l'examen du présent rapport, l'une en mai sur les grandes orientations de celui-ci, les autres en juin, sur le contenu même du projet que lui a soumis le rapporteur et sur les recommandations qui le concluent.

Les travaux de la commission d'enquête ont été affectés, dans une certaine mesure, par les procédures judiciaires en cours, certaines portant sur des plaintes déposées en 1996, d'autres ayant été ouvertes juste avant la création de la commission d'enquête ou même pendant ses travaux. Au cours de la semaine du 15 janvier 2001, en effet, des perquisitions ont été effectuées à la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l'alimentation (DGAL), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI). Ces opérations diligentées dans les ministères de la Santé, de l'Agriculture et des Finances, s'inscrivaient dans le cadre de l'information judiciaire ouverte le 22 décembre 2000 au tribunal de grande instance de Paris pour « homicide involontaire, atteinte involontaire à l'intégrité physique et mise en danger de la vie d'autrui ». L'ouverture de cette information judiciaire faisait suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée le 17 novembre 2000 par les familles des deux victimes françaises de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

On sait, par ailleurs, qu'à la date de la création de la commission d'enquête, le 13 décembre 2000, plusieurs autres procédures judiciaires étaient en cours, pour « tromperie sur l'origine et la qualité substantielle des marchandises et falsification des denrées », le cas échéant assorties de la circonstance aggravante de danger pour la santé humaine, et d'« introduction illicite sur le territoire national de viandes bovines et de produits d'origine animale ». Deux autres informations judiciaires étaient diligentées à Paris et à Nantes sur les conditions de fabrication ou d'importation de farines destinées à l'alimentation des animaux et d'emploi de ces produits pour l'alimentation des bovins.

Il était donc légitime de s'interroger, au regard des textes en vigueur, sur l'incidence que pouvaient comporter ces procédures sur notre commission d'enquête, dont l'objet est « le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique ».

L'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires dispose, en son article 6, que : « Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission d'enquête a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. ». De son côté, le règlement de notre assemblée prévoit que le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est notifié par le Président de l'Assemblée nationale au Garde des Sceaux. Si celui-ci « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue. » Enfin, « lorsqu'une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l'Assemblée, saisi par le Garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux. » (art. 141 du règlement).

On observera d'emblée que l'existence d'informations judiciaires au moment de l'examen de la résolution n'a pas empêché la création de la commission d'enquête. Le Garde des Sceaux, consulté par le Président de l'Assemblée nationale conformément au règlement, a en effet informé celui-ci des procédures en cours, avant de conclure de la manière suivante : « Je ne puis que vous laisser le soin d'apprécier si de telles procédures, qui n'ont pas pour objet d'évaluer les conséquences sanitaires des comportements visés, mais portent sur l'appréciation individuelle ou collective de responsabilités pénales, sont de nature à faire obstacle à la création de la commission d'enquête proposée. » (lettre du 1er décembre 2000).

Le Président de notre assemblée a donc jugé implicitement que les informations judiciaires en cours ne faisaient pas obstacle à la création de la commission d'enquête. Par la suite, lorsque de nouvelles procédures ont été ouvertes, postérieurement à la création de cette commission, le Garde des Sceaux n'a pas saisi le Président de l'Assemblée. Les perquisitions récemment intervenues n'ont pas, à ce jour, suscité un nouveau courrier du Garde des Sceaux.

L'existence de la commission d'enquête n'a donc pas été mise en cause par les procédures ouvertes depuis sa création, pas plus que la proposition de résolution n'avait été affectée par les procédures diligentées avant son examen par l'Assemblée nationale.

Cette situation, favorable à l'indépendance des travaux parlementaires, s'explique de plusieurs manières : en premier lieu, il a toujours été fait une application souple des dispositions de l'ordonnance et du règlement. Ainsi, l'existence d'informations judiciaires n'a pas empêché la création d'une commission d'enquête sur le Crédit Lyonnais (1994), sur la situation en Corse (1999) ou sur le naufrage de l'Erika (2000) ; en second lieu, il a été admis que, l'objet des commissions d'enquête étant généralement plus large que les incriminations motivant les poursuites judiciaires, la commission d'enquête s'abstiendrait de porter ses investigations sur les comportements précis visés par ces incriminations ; on note d'ailleurs qu'une commission d'enquête créée en 1999 a obtenu du Garde des Sceaux des informations qui lui étaient nécessaires, dans les limites fixées par le ministre : « Si le Garde des Sceaux peut donner à la commission d'enquête, parmi les renseignements concernant les informations judiciaires dont il a connaissance, ceux qui sont strictement nécessaires à la détermination par cette commission des limites de ses investigations, il ne peut communiquer de plus amples éléments, notamment à caractère nominatif, sans préjudicier au secret de l'instruction ».

L'objet des dispositions évoquées plus haut est, à l'évidence, d'éviter que le Parlement exerce des pressions sur l'autorité judiciaire à l'occasion d'une procédure en cours. Tel n'est pas le propos des commissions d'enquête, qui ont pour objet d'informer la représentation nationale et l'opinion publique sur une situation qui les préoccupe, et d'indiquer au Gouvernement les mesures qui pourraient êtres prises pour y faire face. Pour en revenir à la nôtre, on observera que l'examen des faits passés ne représente qu'une partie de sa mission, laquelle consiste en effet à faire le point sur les recherches en cours dans le domaine de la santé publique ; à vérifier que les mesures de protection des consommateurs ont été prises ; à traiter le problème du recours aux farines animales et celui de leur élimination et de leur remplacement ; à apprécier le dispositif de lutte contre l'ESB ; enfin, à tirer les leçons de l'expérience en termes de pratiques agricoles et de santé publique.

En revanche, on doit souligner que des documents saisis par Mme Bertella-Geffroy, juge d'instruction, n'ont pu être consultés par le rapporteur. Ainsi, nous avions demandé aux services du ministère de l'Agriculture une note sur les demandes de dérogation à l'avis aux importateurs du 13 août 1989, qui interdisait l'importation des farines carnées britanniques si elles étaient destinées à l'alimentation des ruminants. Une réponse négative nous a été opposée en mars 2001 : « Ces renseignements ne sont pas disponibles. Les documents qui ont pu être retrouvés à l'occasion des enquêtes effectuées notamment par la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et sanitaires ont été transmis à la justice dans le cadre de l'instruction ouverte après le dépôt de plainte effectué par deux familles des victimes françaises du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob » (1).

Sous cette réserve, l'incidence des procédures judiciaires en cours a donc été limitée. À l'inverse, l'activité de la commission d'enquête a eu pour effet d'accélérer une procédure judiciaire qui semblait en panne. À la suite, en effet, de l'audition par la commission d'enquête d'un inspecteur général de l'Agriculture belge, qui a mis en cause l'activité d'une société suspectée de se livrer à un trafic de farines animales dans un entrepôt du port d'Anvers, le dirigeant de cette société a été placé en garde à vue et mis en examen pour tromperie aggravée et importation illicite de produits d'origine animale.

Pour présenter la synthèse des travaux de la commission d'enquête, on évoquera dans une première partie les précédentes enquêtes parlementaires et les données fondamentales qui seront utilisées tout au long du rapport.

La deuxième partie, qui aura un objet rétrospectif, exposera de manière approfondie les trois crises de la vache folle, celle de 1990, celle du printemps de 1996, enfin celle, très différente, de l'automne de l'année 2000.

La troisième partie dressera un bilan de la situation actuelle, dans les différents domaines visés par la résolution de notre assemblée, en évoquant à la fois les incertitudes qui subsistent dans l'état des connaissances, les caractéristiques des dispositifs mis en place et, le cas échéant, les améliorations à leur apporter.

Dans une quatrième partie, nous tenterons de tirer les leçons des expériences passées et des difficultés actuelles, dans le domaine des pratiques agricoles et celui de la gestion des crises. Comme de coutume, la commission d'enquête présentera des recommandations susceptibles d'inspirer l'action de l'exécutif dans plusieurs domaines.

Nous devons, par respect pour la souffrance des victimes et de leur famille et pour que la crise subie par les éleveurs et toute la filière ne se reproduise plus, tirer les leçons de ces événements.

PREMIÈRE PARTIE : LE CONTEXTE GÉNÉRAL

I.─ LES ENQUÊTES PARLEMENTAIRES

Rappeler brièvement le contenu des précédentes enquêtes parlementaires nous parait présenter un double intérêt : d'une part, se situer dans le prolongement des investigations et des analyses consacrées au même sujet ; d'autre part, retrouver, grâce à ces travaux l'état des connaissances de l'époque, ce qui permet d'éviter une sorte d'erreur rétrospective consistant à regarder des faits passés à la lumière des connaissances d'aujourd'hui.

Nous évoquerons ainsi :

- le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale « relative au fonctionnement du marché de la viande ovine et bovine » présenté le 5 avril 1991 ;

- le rapport de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale « sur l'ensemble des problèmes posés par le développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine » présenté le 15 janvier 1997 ;

- le rapport de la « commission temporaire d'enquête en matière d'ESB » du Parlement européen, publié le 6 février 1997 ;

- le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale « sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France » publié le 29 mars 2000 ;

- le compte rendu de l'audition organisée le 21 novembre 2000 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur « l'état des connaissances scientifiques et médicales sur la transmission de l'ESB à l'animal et à l'homme ».

A.- LA COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE AU FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ DE LA VIANDE OVINE ET BOVINE (AVRIL 1991)

Cette commission d'enquête, présidée par M. Gaston Rimareix et dont M. Martin Malvy était le rapporteur, a été constituée postérieurement à la crise survenue en 1990 sur les marchés bovin et ovin. Elle était appelée à examiner plus particulièrement les conditions d'application des directives communautaires relatives à la production et à la commercialisation des viandes, les distorsions de concurrence existant dans ce secteur, ainsi que les grandes caractéristiques des filières de production animales.

Le « rapport Malvy » consacre un bref développement aux problèmes posés par la maladie de « la vache folle ». Cette maladie animale est évoquée, par ailleurs, à plusieurs reprises dans ce rapport pour rendre compte, parmi d'autres facteurs conjoncturels, de la baisse des prix ou de la fermeture des marchés d'exportation observées sur les marchés bovin et ovin.

Cette approche peut surprendre aujourd'hui, s'agissant d'un document publié en avril 1991, postérieurement à la survenue en France des deux premiers cas de « vache folle », auxquels le rapport fait d'ailleurs lui-même référence, postérieurement aussi à l'intervention des premières mesures visant à enrayer le développement de la nouvelle épizootie : arrêt de l'importation de farines animales pour les ruminants en provenance du Royaume-Uni et de l'Irlande (13 août puis 15 décembre 1989), interdiction d'incorporer des farines de viande et d'os dans les aliments pour bovins (24 juillet 1990).

Toutefois, les brefs passages consacrés à l'ESB, d'ailleurs désignée du sigle anglais « BSE » (bovin spongiform encephalopathy) qui était plutôt utilisé à l'époque, soulignent assez clairement l'ampleur des problèmes rencontrés. Il y est précisé ainsi que : « la Grande-Bretagne est très touchée par ce problème sanitaire, dans la mesure où l'épidémie s'est propagée très rapidement... Actuellement, 10 % des cheptels britanniques ont eu au moins un cas de BSE et 20 % des cheptels laitiers sont concernés... ».

Ce rapport présente le grand mérite d'avoir soulevé, dès cette époque, la question essentielle : « Le problème se pose de la transmission à l'homme, même si rien jusqu'à présent ne permet d'affirmer que cette maladie est transmissible à l'espèce humaine. Un programme de recherches a été demandé par le Gouvernement britannique sur ce sujet. ».

B.- LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE SUR L'ENSEMBLE DES PROBLÈMES POSÉS PAR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉPIDÉMIE D'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE (JANVIER 1997)

C'est en plein c_ur de la crise née de la révélation par les autorités britanniques, le 20 mars 1996, de dix cas de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et, ainsi, de la transmissibilité de l'encéphalopathie spongiforme bovine à l'homme, que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale décidait, le 18 juin 1996, de créer une mission d'information commune aux six commissions permanentes sur les problèmes du développement de l'ESB. Cette mission d'information, présidée par Mme Evelyne Guilhem et dont le rapporteur était M. Jean-François Mattei, rendra son rapport le 15 janvier 1997.

Le choix de la formule de la mission d'information s'expliquait par le souci prioritaire d'analyse des causes de la crise et des leçons à en tirer ; cet objectif avait prévalu alors sur celui de la recherche d'éventuelles responsabilités, qui eût été plutôt celui d'une commission d'enquête. On soulignera l'apport à la réflexion sur l'affaire de « la vache folle » qu'a représenté le « rapport Mattei », du fait de la profondeur de ses analyses et de la justesse de ses propositions.

Le « rapport Mattei » contenait tout d'abord un historique de la crise ; y étaient rappelés le choc suscité par la révélation faite au Royaume-Uni de l'existence d'une forme atypique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, puis le séisme sur la filière bovine qui en était résulté. Ce séisme était grave, les revenus de certains éleveurs allant jusqu'à disparaître totalement ; ce séisme était injuste, eu égard notamment aux efforts menés par la France depuis vingt ans en matière de santé animale, eu égard aussi aux efforts de transparence du Gouvernement sur les données sanitaires et scientifiques de la crise ; ce séisme sur la filière bovine était enfin difficile à maîtriser, un mouvement de fond de baisse de la consommation de viande bovine venant s'ajouter à la crise conjoncturelle.

Ce rapport présentait aussi très clairement les incertitudes scientifiques entourant les maladies à prions, la nature de l'agent causal, ses méthodes d'inactivation, comme les modes de transmission de la maladie. Il faisait également ressortir plusieurs dysfonctionnements : d'abord celui de la recherche sur le prion, tardivement mobilisée, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) n'ayant semblé, par exemple, s'y intéresser qu'à partir de 1994, alors que l'ESB était identifiée au Royaume-Uni depuis 1988 ; la filière bovine était fragilisée « dans son organisation, sa structure, ses débouchés », l'offre y étant particulièrement complexe, du fait de la multiplicité des intervenants face à la demande intérieure en déclin depuis plusieurs années, cependant que la demande extérieure restait structurellement dépendante de certains marchés extérieurs ; les contrôles effectués sur les farines animales étaient défaillants, tant sur les conditions de fabrication que sur les circuits d'importation ; les chiffres d'importations de farines de viande et d'os de Grande-Bretagne fournis à la mission d'information étaient d'ailleurs très différents selon les administrations ; les réponses communautaires à la crise semblaient inadaptées, les instances européennes ayant fait passer les exigences du marché unique avant celles de la santé publique et les décideurs politiques de l'Union européenne ayant paru abdiquer devant les intérêts économiques.

Le « rapport Mattei » présentait ensuite de multiples propositions d'actions. Les exigences sanitaires nécessitaient d'abord une mise en _uvre adaptée du principe de précaution, dont la philosophie générale signifie que les incertitudes de la connaissance ne sauraient justifier l'inaction. Étaient suggérées également la constitution d'une autorité unique et indépendante, pleinement responsable de la sécurité sanitaire, et la dévolution d'un rôle plus important au ministre chargé de la santé publique et ce, afin de répondre réellement aux attentes de l'opinion. Il proposait d'engager une réflexion sur la notion même de crise, tant il est vrai que nos sociétés savent répondre aux situations d'urgence, mais pas à celles de crise, qui ont un effet de déstabilisation souvent lié à des facteurs irrationnels.

Ce rapport préconisait aussi une coordination des actions conduites par les organismes de recherche, afin de permettre la mise au point d'un test de dépistage pré-clinique. Dans le domaine agricole, il suggérait un développement de l'étiquetage et de la qualité des produits pour répondre aux attentes des consommateurs, ainsi qu'une extensification des modes d'élevage bovin.

Dans le domaine de la santé publique, le rapport proposait la création d'une cellule de veille et d'alerte et d'une agence de sécurité sanitaire. Il déplorait la réponse communautaire inadaptée, l'économie l'ayant emporté sur la santé ; il insistait sur la nécessité de renforcer les compétences de l'Union en matière de santé publique et de réformer les procédures d'expertise scientifique.

Plusieurs de ces recommandations ont été suivies d'effet, la plus significative étant la mise en place d'instances d'évaluation des risques sanitaires et la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), dont on mesurera dans ce rapport le rôle majeur.

C.- LA COMMISSION TEMPORAIRE D'ENQUÊTE SUR L'ESB DU PARLEMENT EUROPÉEN (FÉVRIER 1997)

Présentant pour la première fois les conclusions d'une commission d'enquête sur la base des pouvoirs d'enquête élargis que lui avait reconnus le Traité de Maastricht, le Parlement européen se livrait en février 1997 à une analyse approfondie des responsabilités du Royaume-Uni ainsi que des instances communautaires (Conseil des ministres et Commission européenne) face à la crise de l'ESB.

Présidée par M. Reimer Böge, cette commission d'enquête dont le rapporteur était M. Manuel Medina Ortega, avait pour objet « les allégations d'infraction du droit communautaire en matière d'ESB, sans préjudice des compétences des juridictions communautaires et nationales ».

S'agissant des responsabilités imputables au Gouvernement du Royaume-Uni, l'on citera précisément les conclusions de la commission d'enquête, qui estimait notamment :

- qu'« en choisissant d'adopter de nouvelles techniques de fabrication de farines animales, jugées plus rentables, certains industriels du secteur de l'alimentation animale portent une grande responsabilité dans la dissémination de l'agent pathogène » ;

- qu'« il est troublant, pour ne pas dire plus, que les producteurs d'aliments pour animaux du Royaume-Uni aient continué à exporter leurs produits à destination de pays tiers (les exportations vers l'Union européenne ont doublé après l'interdiction de 1988) en dépit de la présomption de l'existence d'un lien avec l'ESB... » ;

- qu'« il est étonnant que la responsabilité d'avoir fabriqué un produit défectueux, ce qui est à l'origine d'une catastrophe sur le marché de la viande bovine, n'ait pas été imputée de manière plus catégorique aux fabricants d'aliments pour animaux du Royaume-Uni » ;

- que « l'influence des idées britanniques sur la Commission a, à l'évidence, été accrue par la présence prépondérante d'experts et de fonctionnaires du ministère de l'agriculture britannique au sein du sous-groupe ESB du comité scientifique vétérinaire » ;

- que « les efforts britanniques en matière de recherche ont été influencés trop longtemps par la conviction que la maladie était une forme de la tremblante, ce qui a abouti à une absence de recherche dans le domaine des encéphalopathies spongiformes transmissibles et de leurs liens possibles avec la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme. » ;

- qu'« il est particulièrement grave que le Royaume-Uni n'ait jamais suffisamment honoré l'engagement qu'il avait pris d'identifier les troupeaux concernés par l'ESB, ce qui aurait constitué un pas décisif sur la voie de l'éradication de la maladie. ».

En ce qui concerne les responsabilités du Conseil des ministres, la commission d'enquête du Parlement européen dénonçait tout particulièrement le fait qu'« entre 1990 et 1994, le Conseil n'a eu aucune discussion sur l'ESB », l'inscription de cette question à l'ordre du jour de la session du Conseil des 18 et 19 juillet 1994 n'étant due « qu'à des risques de perturbations dans la commercialisation de la viande en provenance du Royaume-Uni. ».

C'est sur la Commission européenne que les critiques du rapport sont les plus sévères. Il lui était ainsi reproché :

- de s'être « préoccupée en priorité de la gestion du marché de la viande bovine face à des risques éventuels existant pour la santé humaine... et ce, au mépris du principe de prudence » ;

- d'avoir « tenté, malgré les multiples discussions des instances scientifiques, de minimiser le problème,... afin d'éviter des perturbations sur le marché de la viande » ;

- le fait « que la question de l'ESB a été suivie en permanence par le sous-groupe ESB du comité scientifique vétérinaire. Or, ce sous-groupe a presque toujours été présidé par un Britannique... » ;

- d'avoir été attentive « aux pressions politiques britanniques, afin qu'il ne soit procédé à aucun contrôle au sujet de l'ESB au cours des inspections générales effectuées entre juin 1990 et mai 1994 dans les abattoirs » ;

- de n'avoir pas « exercé de contrôle des conditions de fabrication et d'exportation des produits britanniques à partir de 1989 » ;

- de n'avoir « interdit l'utilisation de protéines de mammifères pour l'alimentation des ruminants qu'à compter de 1994, alors que le Royaume-Uni les avaient interdites dès 1988 » ;

- de n'avoir pas « respecté le mandat donné par le Conseil les 6 et 7 juin 1990 pour la réalisation d'un vaste programme de recherche ».

La commission d'enquête du Parlement européen indiquait aussi que « la Commission est coupable d'erreurs et de négligences graves qui, selon toutes les apparences, engagent clairement la responsabilité politique des commissaires et, en particulier, pour la période 1990-1994, celle des commissaires Mac Sharry et Steichen... ».

Au titre des recommandations, la commission temporaire demandait une diffusion optimale des résultats de la recherche, la transparence des débats qui se tiennent au sein des comités consultatifs, la mise en place d'une agence européenne d'inspection vétérinaire et phytosanitaire, le renforcement des mécanismes communautaires de contrôle et d'inspection, la définition claire d'une base juridique permettant aux instances de l'Union européenne d'intervenir dans le domaine de la santé publique.

Ainsi, les travaux de la commission d'enquête du Parlement européen sur l'ESB auront certainement beaucoup contribué, par leur rigueur, à une meilleure analyse de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine et des responsabilités des instances politiques.

Ces travaux auront conduit à un remaniement important des instances d'expertise placées auprès de la Commission européenne. Deux structures coexistaient, en effet, avant la survenue de la crise de 1996 : le comité scientifique vétérinaire, composé de membres nommés pour trois ans par la Commission européenne sur proposition des Etats, dont les membres ont pu apparaître avant tout comme les représentants de leur Etat et le comité vétérinaire permanent, composé de deux représentants des autorités vétérinaires de chaque Etat membre, dont la nature - organe politique ou technique - restait imprécise.

Ces deux instances qui dépendaient de la direction générale de l'Agriculture à la Commission (DG VI) ont été ensuite rattachées à la direction générale « santé et protection des consommateurs », ce qui en permet un meilleur encadrement et en renforce le caractère technique.

D.- LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA TRANSPARENCE ET LA SÉCURITÉ SANITAIRE DE LA FILIÈRE ALIMENTAIRE EN FRANCE (MARS 2000)

Le 7 octobre 1999, l'Assemblée nationale créait une commission d'enquête sur « la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France ».

La création de cette commission d'enquête, présidée par M. Félix Leyzour et dont le rapporteur était M. Daniel Chevallier, prenait place dans un contexte de forte inquiétude des consommateurs liée à une succession d'alertes alimentaires : affaire du « poulet à la dioxine », intoxications par le Coca Cola conditionné en cannettes, épidémies successives de listeria. Ce contexte était celui aussi d'interrogations touchant à l'efficacité des contrôles publics et à la bonne mise en _uvre de règles de traçabilité et d'étiquetage des produits alimentaires. Ce contexte était enfin celui de progrès décisifs en matière de sécurité alimentaire résultant de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999.

Il est compréhensible dès lors que le « rapport Chevallier », rendu public le 29 mars 2000, ne se soit pas concentré sur les seuls problèmes de la « vache folle ». Les analyses et suggestions contenues dans ce rapport portent non seulement sur « le redoutable dossier de l'encéphalopathie spongiforme bovine » (pages 95 à 103), mais aussi sur la question du recours aux aliments issus du génie génétique, les fameux organismes génétiquement modifiés (OGM), et sur celle de l'épandage des boues des stations d'épuration sur les terres agricoles.

Il faut souligner l'ampleur des investigations menées par cette commission d'enquête dont le rapport comportait de nombreuses propositions en matière de sécurité alimentaire : élaboration d'un code de l'alimentation permettant de remédier à la dispersion des textes applicables dans cette matière, transformation de la direction générale de l'alimentation en direction générale de la sécurité alimentaire disposant d'une autorité sur les autres administrations, conduite d'études sur les incidences des épandages des boues des stations d'épuration et sur la définition claire du régime de responsabilité applicable, poursuite des efforts de recherche sur les effets possibles des OGM, promotion du concept « d'agriculture raisonnée », soutien au projet de mise en place d'une « Autorité alimentaire européenne », définition d'un statut de l'expert de nature à garantir son indépendance.

La question de l'usage en alimentation animale des farines carnées a fait l'objet également d'un débat approfondi. La commission a finalement refusé, après l'avoir envisagé, de préconiser l'interdiction de ces farines pour tous les animaux ; elle se fondait sur le coût élevé d'une telle mesure en termes écologiques (la nécessité de stocker des quantités importantes de farines) et d'indépendance de nos approvisionnements (la nécessité d'importer des produits protéiques végétaux du continent américain, en particulier des tourteaux de soja, dont une part significative est à base d'OGM). Cette position, qui contraste évidemment avec celle qu'adopteront quelques mois plus tard les autorités nationales françaises puis les autorités communautaires, prenait place, il faut le noter, dans un contexte différent, antérieur à la crise de l'automne 2000 et où les exigences de l'opinion publique étaient incontestablement moins fortes.

Le « rapport Chevallier » suggérait néanmoins des mesures rigoureuses, s'agissant de l'utilisation des farines carnées par les animaux autres que les ruminants.

Il proposait ainsi pour ces farines :

- que leur composition soit élaborée à partir d'ingrédients inscrits sur une liste établie par la loi ;

- que leur fabrication soit effectuée dans des usines où ne transite aucun matériau à risque spécifié ;

- que des normes précises d'étiquetage soient les garantes des exigences ainsi définies ;

- que toute précaution soit prise pour éviter, tout au long de la chaîne de fabrication et de commercialisation, un risque de contamination croisée.

Le « rapport Chevallier » demandait également que la France n'admette plus à l'importation des farines ne répondant pas à ces différents critères et il appelait de ses v_ux un alignement des règles communautaires sur les exigences ainsi définies.

E.- LES TRAVAUX DE L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES (AUDITIONS DU 21 NOVEMBRE 2000)

Le 21 novembre 2000, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques organisait sous la présidence de M. Henri Revol, président de l'Office et de M. Jean-Yves Le Déaut, vice-président, une « audition sur l'état des connaissances scientifiques et médicales sur la transmission de l'encéphalopathie spongiforme bovine ».

Trois grands thèmes étaient retenus pour ces travaux ouverts par M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche : la transmission de l'ESB chez les bovins et les autres animaux, la fiabilité, la sensibilité et la disponibilité des tests de dépistage de l'ESB et enfin la transmission de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Chacun de ces thèmes faisait l'objet d'une discussion sous forme de « table ronde » précédée d'un exposé introductif effectué par un expert.

M. Jacques Robelin, chef du département « élevage et nutrition des animaux » à l'Institut national de recherche agronomique (INRA), qui sera entendu également par la commission d'enquête a fait ressortir la nécessité d'apporter, surtout aux vaches laitières, d'importantes ressources en protéines. Il a notamment estimé que « la crise de l'ESB qui a emprunté l'alimentation pour se développer doit enrichir notre expérience et nous rendre vigilants pour mieux détecter et évaluer de façon rationnelle les risques potentiels liés aux pratiques alimentaires, afin de donner des éléments pour une meilleure maîtrise de ces risques. ».

Directeur de recherche de médecine vétérinaire à l'Université de Cambridge, le Professeur Ian Mac Connell a, quant à lui, tenu des propos rassurants pour notre pays. Il a fait remarquer que la crise de l'ESB au Royaume-Uni a pu constituer dans ce pays une sorte de « Tchernobyl de la santé animale », mais que la situation française n'était pas du tout comparable, l'incidence de l'ESB n'y étant que de 2,7 cas par million de bovins (au Royaume-Uni, au pic de l'épidémie, l'on a pu compter 3 700 cas par million de bovins). Estimant que « les Britanniques ont commis beaucoup d'erreurs », le Professeur Ian Mac Connell a indiqué aussi que l'abattage des bovins de plus de 30 mois décidé par les autorités britanniques pose l'énorme problème de l'élimination des déchets animaux dans les trois ou quatre années à venir.

De façon rétrospective, il a souligné que la prohibition des farines décidée en 1988 n'avait pas été totale ; les agriculteurs « ont continué, a-t-il précisé, à utiliser les farines qu'ils avaient en stock et les fabriques n'ont pas complètement nettoyé leurs systèmes ». La maladie a concerné pour 79 % des cas, des troupeaux de vaches laitières et ainsi, tout particulièrement le sud-ouest de l'Angleterre, où ces troupeaux sont les plus nombreux.

À une question posée sur l'éventuelle justification de l'embargo français sur la viande de b_uf britannique, le Professeur Ian Mac Connell répondra négativement, estimant « qu'on peut parler d'une élimination de l'ESB dans le bétail de Grande-Bretagne de moins de 30 mois », les bêtes de plus de 30 mois étant, rappelons le, systématiquement écartées de la chaîne alimentaire.

Mme Corinne-Ida Lasmezas, du Service de neurovirologie de la direction des sciences du vivant du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), a dressé un tableau des modes de transmission de l'ESB à l'animal. Elle a pu préciser ainsi qu'« un gramme de cerveau de bovin infecté suffit à infecter une vache par voie alimentaire. Celle-ci développe alors la maladie selon une durée moyenne de cinq ans et demi. » ; elle a fait remarquer qu'« il existe une différence de répartition de l'infectiosité entre le bovin et le mouton avec une distribution plus large de cette infectiosité chez le mouton. ».

L'Office a également entendu le témoignage de M. Maurice Wacselaire, éleveur producteur de lait dans le département des Vosges, disposant d'un troupeau de 39 vaches laitières et d'autant de génisses ; une de ses bêtes a été frappée par l'ESB, alors que l'éleveur indiquait qu'il n'avait jamais acheté de farines de viandes, ce propos étant corroboré par ses fournisseurs d'aliments, que la vache malade était née dans son exploitation et que son troupeau était « fermé », aucun animal n'ayant été acheté à l'extérieur. Les experts consultés ont fait valoir qu'il était très difficile d'expliquer de manière sûre un pareil cas et M. Marc Savey, directeur du service de la santé animale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), a estimé que « le vrai problème devant nous tous, aussi bien au Royaume-Uni que dans d'autres pays, n'est plus le contrôle du mode épisodique de la maladie, mais de vivre avec une maladie qui va persister à bas bruit certainement pendant très longtemps. ». Et M. Savey d'insister sur les risques « d'une espèce de persistance, qui est une grande loi des maladies infectieuses en général. ».

Abordant ensuite la question des tests de dépistage de l'ESB, M. Jean-Yves Le Déaut a mis l'accent sur le progrès considérable que représente pour la détection de la maladie chez l'animal, l'existence, si elle était définitivement avérée, d'un marqueur spécifique de la forme pathologique du prion. M. Thierry Baron, responsable de l'unité de virologie de l'AFSSA, M. Jacques Grassi, chef des services de pharmacologie et d'immunologie à la direction des sciences du vivant du CEA et M. André Manfredi, contrôleur général des services vétérinaires, ont rappelé les étapes de la mise au point des différents tests de dépistage aujourd'hui pratiqués, en soulignant les caractéristiques et les limites. M. Grassi a insisté sur le fait que les tests de dépistage mis au point, ayant pour but de permettre des études épidémiologiques mais aussi d'éliminer les animaux contaminés de la chaîne alimentaire, ne peuvent détecter la forme anormale de la protéine du prion que trois à neuf mois avant l'apparition des signes cliniques de la maladie. Il a rappelé aussi que c'est en phase terminale que les animaux portent la charge infectieuse la plus importante.

M. Jean-Yves Le Déaut a fait remarquer que les consommateurs seraient peut-être totalement rassurés, si les tests de dépistage concernaient non pas les seuls animaux à risque, mais tous les animaux abattus. Il a souligné aussi que l'enlèvement des organes du système nerveux central, lesquels présentent la plus forte infectiosité, constituait sans doute la mesure la plus significative pour lutter contre l'encéphalopathie spongiforme bovine.

M. Dominique Dormont, président du « comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles et les prions » (CIESST) a exposé les premiers résultats auxquels parviennent les scientifiques sur la question de la transmission de la maladie bovine à l'homme ; il a indiqué que les analyses biochimiques et neuropathologiques permettent de considérer que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est liée à l'exposition de l'homme à l'agent bovin.

Intervenant sur les questions de recherche, le Professeur Ian Mac Connell a montré que les financements doivent nécessairement être assurés sur une longue période. « Vous ne pouvez pas, a-t-il estimé, étudier des maladies qui ont une période d'incubation de cinq ans avec des crédits sur trois ans. Vous ne pouvez pas étudier des maladies à virus lents avec de l'argent rapide. ».

Mme Annick Alpérovitch, responsable de l'unité de recherches épidémiologiques en neurologie de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a rappelé que la France avait su mettre en place dès 1992 un système d'épidémiosurveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et utilisait depuis 1997 un test consistant en la recherche d'une protéine dans le liquide céphalorachidien, qui permet de porter le diagnostic de la maladie.

M. Jean-Philippe Deslys, responsable du groupe de recherche sur les prions et co-inventeur du test du CEA, a fait remarquer que les multiples incertitudes touchant aux maladies à prions conduisaient les experts eux-mêmes à de sensibles désaccords, qui ne devraient pas empêcher les pouvoirs publics de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé publique. Il a estimé aussi que c'est un « panel » très large de mesures qui pouvait permettre de lutter efficacement contre la maladie de « la vache folle » : élimination des organes du système nerveux central, élimination du troupeau dès l'apparition d'un cas clinique, maintien de l'embargo sur les produits bovins britanniques, mise en place de tests de dépistage sur les animaux entrant à l'abattoir.

Le Professeur Ian Mac Connell a insisté sur l'application des mesures de prophylaxie. Après l'interdiction des farines animales au Royaume-Uni, a-t-il indiqué, « il a fallu six à huit ans avant de s'assurer que tous les éléments des farines animales avaient été éradiqués. ».

Ces travaux, qui ont eu lieu trois semaines avant la création de notre commission d'enquête, ont permis à celle-ci de gagner un temps précieux et de connaître d'emblée les données essentielles, dans leur développement le plus récent, des problèmes qu'elle allait aborder.

II.- LES DONNÉES FONDAMENTALES

A.- LES DONNÉES RELATIVES AUX FARINES ANIMALES

La responsabilité des farines carnées dans la survenue de l'ESB est un fait largement reconnu. Les Britanniques font connaître aux autres pays en mai 1988 l'existence de cette nouvelle maladie, en révélant à l'Office international des épizooties (OIE) la présence de 455 cas de vaches atteintes. Ils indiquent à l'OIE, en mai 1989, que les études épidémiologiques menées conduisent à incriminer l'usage des farines animales.

M. Jean-Philippe Deslys, responsable du groupe de recherche sur les prions au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) estime également que « l'hypothèse de la contamination par voie orale est la plus vraisemblable aujourd'hui ». L'interdiction d'administrer des farines animales aux bovins décidée par les dirigeants du Royaume-Uni le 18 juillet 1988 a permis, en 1993, soit cinq années plus tard, délai qui correspond à la durée moyenne d'incubation de la maladie chez l'animal, un renversement net et durable de tendance de la courbe, jusque là ascendante, des cas de « vache folle » dans ce pays.

Mais que sont donc précisément ces farines animales ? Et quels sont les éléments du débat sur leur utilisation dans l'alimentation animale ?

1.- La notion de farines animales

a) La définition de la notion

M. Daniel Griess, chef du service « alimentation et nutrition animales » à l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse l'a précisé à la commission d'enquête : « Les farines sont obtenues par dessiccation ou déshydratation thermique de la totalité de l'organisme de l'animal, d'une partie de cet organisme ou de certaines de ses productions non consommées par l'homme. Nous avons donc affaire à une industrie qui récupère des déchets non consommés par l'homme et, par conséquent, à un ensemble relativement hétérogène de produits. ».

Le terme de farines animales est un terme générique très large, qui recouvre plusieurs types de produits, selon les matières premières qui ont servi à leur fabrication.

On distingue ainsi :

- les farines de viande et d'os, autorisées dans l'alimentation des bovins jusqu'au 24 juillet 1990 et dans celle des porcs et volailles jusqu'au 14 novembre 2000 ;

- les farines de volailles fabriquées à partir des déchets des ateliers de découpe ;

- les farines de poissons obtenues à partir de poissons pêchés spécialement dans ce but ou de l'utilisation de sous-produits de l'industrie agroalimentaire ;

- les farines de plumes ;

- les farines de sang.

Quant aux graisses animales, elles résultent de la cuisson des farines de viande et d'os, cependant que les farines de creton proviennent de l'utilisation du résidu de la fonte des graisses.

Ces distinctions et la précision des termes ont leur importance. Ainsi, l'arrêté du 14 novembre 2000 prévoit que l'emploi des farines de viande et d'os et celui des graisses sont suspendus dans l'alimentation des animaux « dont la chair ou les produits sont destinés à la consommation humaine ». Aujourd'hui, suite en particulier à l'intervention d'un autre arrêté en date du 13 février 2001, les farines de volailles, de porcs et de poissons restent autorisées pour l'alimentation des animaux de compagnie, les farines de poissons l'étant pour les poissons eux-mêmes.

De la même façon, alors que se développe en juin 1996 une polémique très sensible sur la réalité d'importations frauduleuses par la France de farines de viandes et d'os en provenance de Grande-Bretagne, polémique dont le « rapport Mattei » viendra se faire l'écho, certaines données chiffrées transmises par les services officiels donneront à penser que les importations litigieuses pourraient concerner pour une part des « farines de volailles » et des « farines de plumes » alors autorisées.

b) Les conditions d'élaboration des farines animales

Les farines animales n'ont pas été données aux animaux à l'état brut, beaucoup d'agriculteurs pouvant ainsi affirmer très logiquement n'en avoir jamais vu. Les farines sont incorporées - dans une proportion de 2 à 8 % selon les fabricants d'aliments et les espèces auxquelles ils sont destinés - dans des aliments industriels pour animaux, qui se présentent sous la forme de granulés, comportant en sus des produits alimentaires d'origine végétale.

Il faut remarquer aussi que les farines animales ont été fabriquées à partir de plusieurs types de substances, un point dont on verra toute l'importance dans la suite du rapport, lorsque l'on abordera les problèmes que pose le « tri des farines » et les moyens de lutte contre l'ESB. Les matières ou matériels à risque spécifiés concernent les produits et sous-produits animaux présentant un danger réel pour le consommateur animal ou humain. Il s'agit pour l'essentiel des organes du système nerveux central. Ces MRS font partie des « matières à haut risque », considérées comme dangereuses pour la santé des animaux et de l'homme, du fait que leur origine est difficile à déterminer ; ces dernières comprennent également les produits d'animaux morts, non inspectés ou issus d'abattages d'urgence. Les matières « à faible risque » désignent les surplus de production, les denrées ayant dépassé les dates limites de consommation ou encore de poissons pêchés en vue de la fabrication des farines.

Les farines animales à bas risque sont soumises à un traitement thermique consistant, depuis une directive du 18 juillet 1996, à les porter à la température de 133 degrés sous une pression de 3 bars et pendant une durée de 20 minutes. Cette mesure a été mise en _uvre par la France à compter de l'arrêté du 6 février 1998, dans des conditions qui sont développées plus loin (deuxième partie).

La réduction par les Britanniques au début des années 80 des normes de « chauffage » des farines animales est souvent présentée comme la cause profonde du déclenchement de l'ESB. Mais cette explication « monofactorielle » de la crise a été mise en doute devant la commission d'enquête par le Dr. Dominique Dormont, président du comité interministériel sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions, ainsi que par M. Pierre Louisot, Professeur à la faculté de médecine de Lyon-Sud. On verra, de la même façon, que l'on ne sait toujours pas déterminer actuellement avec précision la température exacte qui est susceptible d'inactiver le prion.

2.- Le recours aux farines animales

a) Le faible recours de l'élevage français aux farines animales

Contrairement à une idée répandue, les farines animales n'ont représenté qu'une part limitée de l'alimentation des animaux d'élevage.

Notons tout d'abord que la proportion de ces farines animales entrant dans la composition des aliments concentrés est, selon les informations données au rapporteur, de 2 % à 8 %. Cette proportion était d'ailleurs moins élevée pour les bovins que pour les autres espèces.

De surcroît, ces aliments concentrés ne représentent eux-mêmes qu'une proportion de l'ordre du quart de l'alimentation totale des ruminants.

composition moyenne d'un aliment pour animaux

(en pourcentage)

composant

quantité

Céréales (maïs, blé, orge)

46

Tourteaux d'oléagineux (soja, colza, tournesol)

25

Graines protéagineuses (pois)

9

Coproduits des industries céréalières

9

Fourrages déshydratés (luzerne, pulpes de betteraves)

3

Farines animales

3

Minéraux

3

Mélasse de betterave et de canne

1

Huiles et graisses

1

Source : syndicat national des industries de la nutrition animale.

graphique

La critique selon laquelle les animaux d'élevage ont été largement nourris de farines carnées avant la suspension de l'emploi de celles-ci par l'arrêté du 14 novembre 2000 a été d'ailleurs réfutée par plusieurs experts.

M. Jacques Robelin, chef du département « élevage et nutrition des animaux » à l'INRA, a insisté sur ce point lors de son audition par la commission d'enquête : le recours par les éleveurs bovins aux farines carnées est resté tout à fait limité. Ainsi, un manuel de référence sur l'alimentation des bovins, ovins et caprins mis au point en 1978 par le département « d'élevage des ruminants » de l'INRA (« le livre rouge »), ne consacrait, dans un ouvrage de près de 400 pages, que quelques lignes aux farines animales ; sur les quelque sept cent aliments répertoriés dans cet ouvrage, treize lignes seulement étaient consacrées à ces farines. Le « livre rouge » indiquait également, s'agissant des bovins et des farines carnées que, « compte tenu de la forte dégradabilité dans le rumen et de la mauvaise digestibilité des protéines qui ne sont pas dégradées dans le rumen, on se demande si c'est un aliment particulièrement judicieux. ».

De surcroît, « les farines animales étaient uniquement utilisées au profit des vaches laitières » a estimé M. Daniel Griess devant la commission d'enquête. M. Griess indiquait ainsi que « le lait contient 32 à 35 grammes de protéines par litre. A titre d'exemple, une vache qui donne 5000 litres de lait en trois cents jours exporte l'équivalent de la teneur de son organisme en protéines. Il faut donc compenser cette déperdition. ». À l'inverse, les animaux du troupeau allaitant, ceux de race à viande, ont beaucoup moins besoin de protéines animales, les compléments alimentaires qui leur sont apportés n'ayant pas pour objet d'accroître de façon importante leur rendement laitier, mais simplement de donner aux femelles, à la fin de leur gestation, des réserves adipeuses avant la mise bas.

Si les bovins n'ont donc que très peu recouru aux farines animales, qu'en a-t-il été des autres animaux d'élevage ? Les petits ruminants (ovins, caprins), comme M. Bernard Martin, président de la Fédération nationale ovine l'a démontré à la commission d'enquête, n'ont jamais été, avant l'interdiction d'administrer ces substances aux ovins et caprins prévue dans un règlement communautaire du 27 juin 1994, d'importants consommateurs de farines carnées. La production ovine est, en effet, une production traditionnelle qui « fait appel aux produits de l'exploitation, essentiellement des fourrages, des grains et, éventuellement, quelques apports extérieurs sous forme d'aliments complets mais, pour des raisons physiologiques, qui sont essentiellement à base végétale. Dans l'ensemble, l'élevage ovin n'appelle pas et ne nécessite pas l'emploi de farines animales. ».

Les porcins étaient, jusqu'à la décision du 14 novembre 2000 suspendant le recours aux farines animales, faiblement consommateurs de farines carnées ; celles-ci étaient utilisées pour le porc charcutier pendant la période précédent l'abattage, mais ni chez la truie, ni chez le porcelet, car les farines étant des produits de récupération, leur utilisation pour ces animaux posait des problèmes sanitaires, des colibacilles ou des salmonelles étant susceptibles de proliférer pendant le stockage.

C'est la production de volailles qui aura en définitive le plus recouru aux protéines animales, la part de celles-ci dans l'alimentation avicole étant en moyenne de 2 ou 3 % ; les poules pondeuses étaient principalement concernées, ainsi que les dindes (jusqu'à 5 % dans le cas de celles-ci). On peut remarquer ainsi que, même pour la production avicole, les proportions demeuraient faibles ; il faut rappeler, d'ailleurs, qu'une part significative (évaluée à 15 %) de la production de volailles se fait sous signes de qualité (les poulets de Bresse, par exemple) et que les cahiers des charges des produits sous labels interdisent strictement le recours aux farines de viande.

Le recours de l'élevage français aux farines animales est d'autant plus faible que l'incorporation des farines de viandes et d'os dans les aliments pour bovins est en toute hypothèse interdite depuis le 24 juillet 1990, soit depuis plus de dix années et, qu'ainsi, l'administration éventuelle à ces animaux de farines de viande et d'os n'a été due qu'à des actes de fraude ou à des phénomènes de « contaminations croisées ».

Tous ces éléments tendent ainsi à montrer que l'usage des farines de viandes en élevage n'aura jamais connu l'ampleur que l'on a parfois soupçonnée.

b) L'« utilité » des farines animales

Le second procès instruit contre les farines animales vise à en faire reconnaître le caractère « contre nature » : en les donnant au bétail, l'on aurait « rendu carnivores des animaux herbivores ». Cette opinion a été exprimée devant la commission d'enquête par Mme Anna Tofftén, directrice du service des animaux au ministère de l'agriculture de Suède. Si elle est évidemment intéressante et tout à fait respectable, cette analyse n'a pas convaincu tous les membres de la commission.

L'usage des farines carnées a pu être considéré comme obéissant à une certaine logique ; on rappellera les propos tenus par notre collègue M. Daniel Chevallier lors de son audition par la commission d'enquête : « les animaux ne se sont pas transformés en carnivores, il ne s'agit pas de cannibalisme, cette expression est totalement erronée. Ils consomment certes des protéines d'origine animale, mais cela ne pose aucun problème. Le problème provient du fait que ces farines animales ont pu, à un moment donné, être préparées à partir d'animaux malades contaminés par le fameux prion, lequel n'était pas détruit soit par voie thermique, soit par un autre traitement. C'est ce prion qui a été le véhicule de la contamination et non les acides aminés ou les protéines contenues dans l'alimentation. ».

Le principe même d'un recours aux farines de viande et d'os pouvait répondre de fait à de multiples besoins : il constituait une solution commode au problème de l'élimination des déchets animaux ; il permettait surtout d'apporter aux animaux d'élevage les protéines nécessaires à leur développement, et ce, à un coût réduit en termes de prix, tout en sauvegardant l'indépendance de nos approvisionnements.

En permettant la récupération pour l'alimentation du bétail des produits inaptes à la consommation humaine (ce que l'on appelle « le cinquième quartier »), la formule des farines animales a pu représenter une solution satisfaisante au problème aigu du recyclage des déchets animaux. Les farines carnées étaient utilisées depuis plus d'un siècle pour nourrir les animaux d'élevage, mais leur essor a commencé dans les années 70. La disparition des petites structures d'abattage, où les bouchers tuaient eux-mêmes les animaux et désossaient les carcasses et la constitution d'abattoirs industriels ont posé un problème d'élimination des déchets. Ce phénomène a été évidemment accentué par la démultiplication de la consommation de viande que l'on a observée en France et, plus largement, en Europe, depuis les années 60.

« La forte augmentation de production de viande, dans les années soixante-soixante-dix à soixante-quinze », précisait M. Jacques Robelin devant la commission d'enquête, « a généré une augmentation de la production des déchets. Une tonne de carcasse de bovins produit environ huit cents kilos de déchets. L'augmentation de ces déchets a fait ressortir la nécessité de les éliminer et, en corollaire, de diminuer les coûts. ».

M. Daniel Griess a très clairement énuméré les avantages offerts par ces substances : elles contiennent en moyenne 50 % des protéines, ce pourcentage étant même de 70 à 72 % dans le cas des cretons. Par comparaison, les produits végétaux de nutrition du bétail présentent des teneurs moindres en protéines (44 % pour les tourteaux de colza, 39 % pour le tournesol, 35 % pour le lin et le lupin, 21 % pour le pois) ou ne sont pas efficaces (le tourteau de colza renferme des principes antithyroïdiens qui sont éliminés par le lait).

La qualité des protéines animales est par ailleurs intéressante, comme l'a montré là encore M. Daniel Griess ; ces protéines sont riches en un acide aminé qui fait particulièrement défaut dans les céréales, la lysine. Et les farines animales renferment des éléments minéraux, notamment du calcium et du phosphore, ainsi que des oligo-éléments comme le zinc et le cuivre.

Il faut citer, sur ce point, le témoignage de M. Pierre Louisot. Dès lors que « l'alimentation animale, comme celle de l'homme exige des apports nutritionnels équilibrés et optimisés..., le fait d'introduire dans l'alimentation animale des amino-acides par le biais de protéines qui les contiennent de façon optimale pour une espèce donnée apparaît comme une excellente idée utilisée depuis plus d'un siècle. ». Grâce aux FVO, « on a donné aux vaches, en supplément de leur alimentation quotidienne, les amino-acides les plus nobles dont elles avaient besoin, en leur fournissant des protéines parfaitement biodégradables d'origines extrêmement diverses. ».

Le dernier avantage qu'a semblé représenter le recours aux farines animales réside dans le fait que celles-ci étaient des produits de recyclage et donc autochtones, obtenus à un faible coût, très souvent inférieur à celui des tourteaux de soja dont on a vu qu'ils offraient, par ailleurs, un rendement protéique moindre. En outre, le continent européen étant structurellement dépendant des importations dans le secteur des produits protéiques végétaux (le taux de cette dépendance s'élève aujourd'hui à 85 %), la mobilisation des ressources en protéines animales locales pouvait s'avérer particulièrement judicieuse. Nul doute, d'ailleurs, que la crise du soja de 1973-1974, due au fait que les autorités américaines, victimes de mauvaises récoltes, cesseront d'exporter leur soja vers l'Union européenne, aura beaucoup contribué à révéler aux pays d'Europe leur grande fragilité et incité à recourir à ces protéines animales recyclées.

Malgré les mérites intrinsèques que pouvaient avoir ces protéines d'origine animale, les risques qu'elles présentaient du fait de la disparité critiquable des règles sanitaires applicables en Europe, des possibilités non-maîtrisables de « contaminations croisées » et de l'incertitude touchant à la qualité des contrôles ont finalement conduit à la mesure d'interdiction générale.

Ce chapitre peut être provisoirement clos par le point de vue de M. Daniel Abenhaïm, directeur général de la Santé, qui a estimé qu'« en 1999-2000, de toute façon, les farines animales étaient condamnées à moyen ou long terme, dans la mesure où beaucoup de questions se posaient déjà à leur sujet. » et celui de M. Christian Babusiaux, responsable de 1985 à 1996 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour qui « il aurait fallu prévoir une interdiction totale des farines au niveau communautaire plus tôt. ».

De son côté, le ministre de l'agriculture et de la pêche, M. Jean Glavany, a rappelé, lors de son audition par la commission d'enquête, qu'il avait lui-même proposé au Conseil des ministres de l'agriculture des Quinze en juin 1999 de décider de l'interdiction des farines animales et que c'est l'opposition de nos partenaires de l'Union européenne qui a empêché que cette mesure intervienne plus tôt.

Les farines animales sont considérées comme l'une des causes
- selon un processus qu'il convient maintenant d'aborder - de certaines des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST).

B.- LES DONNÉES RELATIVES AUX MALADIES HUMAINES ET ANIMALES

1.- La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est une encéphalopathie spongiforme subaiguë transmissible (ESST) que l'on doit considérer comme la forme humaine de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB)

a) La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est une ESST

· Les caractéristiques communes aux ESST

Avant d'aborder plus précisément dans la partie suivante le problème relatif à la nature exacte des agents pathogènes des ESST, le rapporteur assimilera dans les développements qui suivent lesdits agents pathogènes aux protéines prions dites anormales, résistantes à l'action des protéases, et qui s'accumulent en plaques dites « florides » dans le cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Depuis environ une trentaine d'années, les médecins et les vétérinaires regroupent un certain nombre de maladies, humaines et animales, sous l'appellation d'encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles, en raison de certaines caractéristiques qui leur sont communes.

Il s'agit d'encéphalopathies, c'est-à-dire de pathologies de l'encéphale, ce terme regroupant la partie du système nerveux central contenu dans la boîte crânienne, partie qui comprend le cerveau, le cervelet et le tronc cérébral. S'il est vrai que la maladie se développe exclusivement dans ces organes, il convient de souligner que, selon l'ESST, d'autres organes du corps peuvent être porteurs de charges infectieuses.

Ces encéphalopathies sont spongiformes. Cet élément tend à décrire l'altération due à l'infection sur les organes de l'encéphale. Ainsi, ceux-ci acquièrent au fur et à mesure du développement de la maladie un aspect spongieux, en raison des trous provoqués par l'agent pathogène.

Elles sont subaiguës. Il n'est pas aisé de définir le sens de ce terme avec précision. Ainsi, selon un article de la revue la Recherche (2), coécrit par Corinne-Ida Lasmézas, Jean-Philippe Deslys, Olivier Robain et Dominique Dormont, les ESST « évoluent lentement, d'où le terme de « subaiguës ». ». Par contre, selon le docteur Jean-Philippe Brandel, neurologue et membre du réseau d'épidémiosurveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le terme subaiguë signifie que « ce sont en général des maladies à évolution rapide ». Dans son rapport d'information, Jean-François Mattei explique que si les ESST sont qualifiées de subaiguës, c'est parce qu'elles évoluent « d'un seul tenant » (3).

Selon l'un des dictionnaires existants des termes de médecine, le terme subaiguë s'emploie dès lors qu'une maladie est « d'évolution relativement rapide, intermédiaire entre aigu et chronique » (4). Selon ce même ouvrage, le terme aigu s'entend d'une maladie « d'évolution courte » (5) et le terme chronique s'entend d'une maladie « qui dure, qui évolue longtemps » (6).

Il ne peut être simple de qualifier la durée d'évolution de maladies qui sont, précisément, assez différentes de ce point de vue. Ainsi, s'agissant des ESST atteignant les être humains, on peut relever que la durée qui sépare les premiers signes cliniques d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique du décès du patient varie entre deux et six mois, alors que cette durée, dans le cas d'un syndrome de Gertsmann-Sträussler-Scheinker, varie entre deux et huit ans.

On retiendra que les ESST constituent des maladies qui évoluent de l'apparition de leurs premiers signes cliniques jusqu'au décès du patient ou de l'animal, de façon continue, sans rémissions et sans améliorations, pendant une durée variable selon la maladie considérée.

Enfin, les ESST sont transmissibles. Cela signifie que les charges infectieuses à l'origine d'une ESST chez un être vivant sont susceptibles de provoquer une ESST chez un autre vivant et ce, sous certaines conditions.

Il faut, en premier lieu, un moyen de transmission adéquat. Un mode naturel de transmission peut être suffisant. Ainsi l'ESB est transmissible de bovin à bovin par la voie alimentaire, comme l'illustre la contamination de nombreux cheptels en Europe par l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins. Il est, heureusement, parfois nécessaire de mettre en _uvre une infection expérimentale pour révéler le caractère transmissible des ESST. Ainsi, le porc a pu être infecté par l'agent pathogène de l'ESB uniquement par des injections simultanées intracérébrale, péritonéale et intraveineuse dudit agent.

Il existe, par ailleurs, quel que soit le moyen de transmission considéré, une quantité d'agents infectieux propre à chaque ESST, en-deça de laquelle la transmission de l'infection n'a pas lieu. En d'autres termes, la transmission d'une ESST ne se concrétise chez un être vivant que dès lors qu'une dose minimale de matériel infectieux est introduite dans son corps.

A partir de ces deux paramètres, le mode de contamination et la quantité d'agents infectieux choisis, il est possible d'élaborer des schémas de transmission. Un schéma de transmission doit, a priori, permettre de répondre à la question de savoir si l'être vivant dans le corps duquel est introduite par un mode de contamination donnée une certaine dose d'agents infectieux issus d'un autre être vivant développant une ESST, va lui-même développer une ESST.

Ainsi, le schéma de transmission selon lequel un bovin développe une ESB dès qu'il ingère, dans les conditions habituelles de l'élevage, une quantité très limitée de cerveau d'un autre bovin infecté par l'agent pathogène de l'ESB, est aujourd'hui solidement établi et vérifié. Il constitue, par ailleurs, l'explication fondamentale de la progression de l'épizootie d'ESB au Royaume-Uni dans le courant des années 1980, en soulignant que les compléments alimentaires protéiques donnés aux bovins étaient fabriqués à partir d'animaux morts et, ainsi, à partir du système nerveux central propre à chacun d'eux.

Un schéma de transmission aboutira d'autant plus effectivement à une infection que la dose d'agents infectieux sera importante, que les espèces respectives de l'être vivant infecté et de l'être vivant duquel est issu l'infection sont peu ou ne sont pas différentes et que le mode de contamination introduit l'infection plus près du système nerveux central de l'être vivant infecté. La transmission des ESST est ainsi observé, par ordre décroissant d'efficacité, par injection intracérébrale de matière contaminée, par injection intraveineuse, par injection intra-péritonéale (7), par injection sous-cutanée et par voie orale, s'agissant des transmissions expérimentales. Par ailleurs, la transmission par la voie naturelle alimentaire constitue, heureusement, un mode de contamination moins « efficace » que les transmissions mises en _uvre par des injections expérimentales.

On peut ajouter que les caractéristiques propres à chaque agent pathogène déterminent aussi les résultats des schémas de transmission. En effet, on observe, dans les conditions expérimentales, que l'efficacité de la transmission d'une ESST d'une espèce à une autre varie selon la souche de l'agent pathogène qui est à l'origine de la maladie chez la première de ces deux espèces.

Enfin, les résultats des schémas de transmission dépendent en partie de facteurs génétiques. En premier lieu, l'analogie entre les séquences de codons formant les gènes codant pour la protéine prion chez l'espèce infectée et chez l'espèce à laquelle on inocule l'infection, constitue un facteur favorable à la transmission. En second lieu, la sensibilité d'un être vivant au développement d'une ESST varie selon le matériel génétique qui lui est propre. Ainsi, il existe une sensibilité génétique au développement de la tremblante du mouton chez les ovins et, a contrario, il existe des moutons génétiquement résistants à une ou certaines souches de la tremblante.

Les variations propres à chacun de ces paramètres, à savoir la voie de contamination, la dose infectante, les caractéristiques propres à l'agent pathogène, ainsi que le matériel génétique des êtres vivants initialement infectés et auxquels l'infection est inoculée, permettent de définir un point à partir duquel l'infection est effectivement transmise. Ledit point permet, in fine, de situer ce qu'il convient d'appeler la barrière d'espèces s'agissant des ESST.

· Des maladies animales à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob : une typologie des ESST et de leur transmissibilité

Jean-François Mattei, rapporteur de la mission d'information évoquée, a réalisé une étude approfondie concernant les ESST animales et humaines, en étudiant notamment leurs manifestations cliniques (8). Nous réexaminerons cette typologie en précisant, le cas échéant, les connaissances relatives à la transmission expérimentale ou naturelle de chacune des ESST. Les données relatives à la situation épidémiologique de l'ESB, d'une part, et des maladies de Creutzfeldt-Jakob chez l'être humain, d'autre part, seront respectivement évoquées dans le cadre de l'étude concernant la lutte contre l'ESB et à la suite de la description du réseau européen d'épidémiosurveillance des maladies de Creutzfeldt-Jakob.

- Les maladies animales

S'agissant des maladies animales, la tremblante du mouton et de la chèvre est observée dans certains troupeaux d'ovins depuis 1730. Sa transmissibilité est avérée depuis qu'en 1938 deux vétérinaires français sont parvenus à inoculer l'agent de la tremblante à des chèvres saines. La transmission de la tremblante de la mère à l'agneau ou à la brebis est avérée, sans que l'on sache s'il s'agit d'une transmission in utero ou au moment de la naissance. La transmission de la tremblante par la vaccination du cheptel a aussi pu être constatée, il y a plus de trente ans en Ecosse et il y a deux ans en Sicile.

Il reste, comme l'a précisé Jeanne Brugère-Picoux, professeur à l'école vétérinaire d'Alfort, « que la tremblante existe depuis plus de deux siècles, sans que l'on sache exactement comment se contamine le mouton dans le milieu naturel ». La persistance de l'agent pathogène de la tremblante dans l'environnement naturel, notamment dans les sols, constitue une hypothèse envisagée.

Il faut noter que la transmission de la tremblante a pu être constatée expérimentalement par l'inoculation à un mouton sain de 400 millilitres du sang d'un mouton malade. Par ailleurs, il est acquis que l'inoculation de l'agent de la tremblante par voie expérimentale à la souris, au rat, au hamster, au bovin, au macaque et au vison aboutit au développement d'une ESST chez chacun de ses animaux.

Enfin, selon un document remis aux membres de la commission d'enquête par Mme Jeanne Brugère-Picoux, la question est posée de savoir si certaines maladies naturelles observées chez certains animaux sauvages n'ont pas pour origine un passage, par un mode de transmission naturelle, de l'agent pathogène de la tremblante aux animaux atteints par lesdites maladies. Il s'agit du vison, sporadiquement atteint par l'encéphalopathie spongiforme du vison (ESV) et du cerf (9), atteint par la maladie du dépérissement chronique. Il ne s'agit que d'hypothèses parmi d'autres, dont la plus vraisemblable est l'existence d'une ESST propre à chacune de ces espèces.

Les premiers cas d'ESB ont été identifiés comme tels à la fin de l'année 1986 par le central veterinary laboratory de Weybridge, en Angleterre. Les premiers animaux atteints par la maladie ont développé les premiers signes cliniques à compter de l'année 1985. Dès le début de l'année 1988, le schéma de la transmission de l'ESB d'un bovin malade à un autre bovin par l'ingestion, au cours de l'élevage, par le second, de protéines issues du premier, au travers des farines animales, est considéré comme acquis par les quelques scientifiques britanniques intéressés par l'émergence de l'épizootie d'ESB.

Mais il faut souligner que d'autres voies naturelles de contamination d'un bovin sain par un bovin malade ont été évoquées comme hypothèses. La contamination d'un veau par sa mère au cours de la gestation ou au cours des premiers jours de vie dudit veau est considérée comme probable. De nombreuses personnes évoquent, par ailleurs, l'existence d'une « troisième voie » de contamination, qui ne recouvre, à l'heure actuelle, aucun vecteur de transmission clairement et scientifiquement établi. Cependant, il s'agit davantage de questions posées que d'une réponse apportée. Il reste que l'hypothèse d'une persistance de l'agent pathogène dans l'environnement, envisagée s'agissant de la tremblante, l'est aussi pour l'ESB.

L'ESB s'est transmise par la voie naturelle, c'est à dire par l'alimentation, à de nombreuses autres espèces animales. Le lien entre l'encéphalopathie spongiforme du chat, dont les premiers cas sont répertoriés en 1990 au Royaume-Uni, et l'ESB est désormais établi. Par ailleurs, des tigres, des pumas, des ocelots (10) ainsi que des guépards, retenus en captivité dans des zoos du Royaume-Uni, ont été atteints par des encéphalopathies spongiformes alors qu'ils avaient été nourris par des carcasses de bovins. Le lien entre ces maladies et l'ESB n'est pas contesté.

L'apparition de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob constitue, bien sûr, le passage, par la voie naturelle, de la barrière d'espèces le plus dramatique, s'agissant de l'agent pathogène de l'ESB. On précisera plus loin dans cette partie l'état des connaissances actuelles concernant le lien entre l'ESB et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

L'ESB a été transmise par voie expérimentale à la souris, au mouton, à la chèvre et au vison et ce, par la voie orale. Pour ces espèces, l'éventualité de la contamination par l'alimentation, par exemple dans les conditions de l'élevage, se pose avec acuité. La transmission de l'ESB au porc a été possible selon les modalités décrites ci-dessus, mais jamais par la voie orale-expérimentale. L'injection intracérébrale de l'agent pathogène de l'ESB a permis la transmission de la maladie à certains singes comme le macaque et le ouistiti. Il est vraisemblable que la voie orale serait efficace. Un singe rhésus a d'ailleurs été euthanasié en 1992 en France, présentant des symptômes et des caractéristiques histologiques analogues aux singes contaminés, par la suite, de manière expérimentale, par l'agent pathogène de l'ESB.

Il faut noter, comme le relève certains scientifiques (11), que, s'agissant de l'ESB, « le caractère infectieux...est au premier plan et la génétique de l'hôte joue un rôle très discret, alors que dans la tremblante il est important : les études épidémiologiques n'ont pas retrouvé de différence de susceptibilité [à l'ESB] selon les races de bovins et des moutons génétiquement résistants à la tremblante sont infectables par l'agent de l'ESB. ». La protection contre la transmission que constitue la barrière d'espèces semble ainsi moins solide s'agissant de l'ESB.

- Les maladies humaines

S'agissant des maladies humaines, la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique constitue l'ESST la moins rare. Au regard des connaissances scientifiques actuelles, il n'est pas possible de déterminer l'origine des cas constatés, ni même de recueillir un faisceau d'indices permettant d'expliquer certains d'entre eux. C'est pourquoi, d'ailleurs, elle est qualifiée de sporadique.

Dans le cadre d'une action concertée européenne, appelée Biomed 1, une étude épidémiologique a été menée dans cinq pays, l'Allemagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. La note de presse de l'INSERM du 9 avril 1998 précise que « de 1993 à 1995, un questionnaire, intégrant des informations sur les antécédents médicaux, les comportements alimentaires et les pratiques professionnelles, a été soumis à l'un des proches de 405 sujets déclarés atteints de MCJ sporadique (l'état du patient ne permet pas, en général, qu'il soit interrogé lui-même). Tous les patients inclus dans l'étude ont été formellement diagnostiqués non atteints du nouveau variant de la MCJ décrit en 1996. Parallèlement, les épidémiologistes ont soumis ce même questionnaire à 405 individus issus d'une population contrôle. »

« L'analyse comparative des réponses apportées par les deux groupes n'a pas mis en évidence d'association entre la MCJ sporadique et un antécédent chirurgical ou de transfusion sanguine, la consommation de b_uf, veau, agneau, fromage ou de lait. Une association faible mais significative est apparue pour certains facteurs : la consommation de viande crue ou de cervelle, l'exposition aux engrais fabriqués à partir de débris d'animaux (cornes et sabots), la pratique d'activités mettant en contact avec des peaux, des cuirs, des fourrures. »

« Les chercheurs soulignent que cette étude est une première étape, de nombreuses questions restant en suspens. En particulier, on peut se demander si les facteurs pour lesquels une association a été trouvée ne sont pas plus généralement le reflet d'un comportement ou d'une habitude dont la nature reste à déterminer. En outre, on peut s'interroger sur l'existence de biais inhérents à toute étude épidémiologique, particulièrement celles qui se fondent sur des témoignages indirects. Enfin, les auteurs remarquent que même s'il existait un lien direct entre ces facteurs de risque et la MCJ, ils ne pourraient expliquer qu'un petit nombre des cas sporadiques, de l'ordre de 3 à 4 cas par an pour la France. ».

Les résultats complets de cette enquête ont été publiés dans la revue The Lancet (12). Des relations partielles sont donc établies, de façon hypothétique, entre certaines expositions et certains cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique. Elles sont cependant présentées par les chercheurs qui ont mené cette enquête comme sujettes à caution et, à tout le moins, très partiellement explicatives. De façon générale, ces observations ne remettent pas en cause le constat selon lequel les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique n'ont pas une ou des causes déterminées.

La maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique est transmissible, par voie expérimentale. Ainsi, dès 1968, le médecin américain Carleton Gajdusek, qui a étudié le premier la maladie du Kuru - qui sera évoquée plus loin - parvient à transmettre au chimpanzé la maladie, humaine, de Creutzfeldt-Jakob sporadique et ce, par injection intracérébrale d'extraits de cerveaux de patients atteints par ladite maladie.

Les maladies de Creutzfeldt-Jakob iatrogènes sont liées aux cas sporadiques, puisque les premiers sont la manifestation, médicale (13) et accidentelle, de la transmissibilité des seconds au sein de l'espèce humaine.

Trois vecteurs de transmission iatrogènes ont pu être constatés. La greffe de cornée constitue le premier et le plus rare de ces vecteurs. Un seul cas peut être considéré comme définitivement avéré. Le deuxième vecteur concerne les greffes de dure-mère, celle-ci étant l'une des trois méninges. Les méninges sont les membranes qui entourent le cerveau et la moelle épinière. Dans ces deux premiers cas, il faut noter que la transmission a eu lieu soit par l'utilisation d'un matériel médical contaminé lors d'une intervention chirurgicale antérieure sur un patient porteur de l'agent pathogène, soit par la greffe d'un organe contaminé par l'agent pathogène de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le donneur étant porteur dudit agent. On peut remarquer que la greffe concerne des organes proches du système nerveux central, lieu où l'action infectieuse de l'agent pathogène se réalise. Cette proximité constitue le facteur décisif de la contamination. En cela, les causes et les effets des cas iatrogènes de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'être humain peuvent être comparées aux transmissions expérimentales réalisées chez les animaux par la voie intracérébrale.

La transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob par l'injection d'hormone de croissance préparée à partir de l'hypophyse d'êtres humains décédés constitue le troisième vecteur de transmission à l'origine de cas iatrogènes de ladite maladie. Les premiers cas de cette maladie sont apparus en 1988 et plus précisément en 1991 s'agissant de la France.

Il faut par ailleurs évoquer les cas génétiques de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Dans ces cas, l'infection est due à l'existence d'un gène anormal dont l'expression entraîne directement la maladie. Le matériel génétique du patient produit lui-même l'agent pathogène à l'origine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce gène anormal et directement pathogène est soit issu d'une mutation génétique, soit appartient au patrimoine génétique de personnes apparentées. De cette façon, les membres de certaines familles, qui demeurent heureusement rares, développent des maladies de Creutzfeldt-Jakob sur trois, voire quatre générations.

Il faut rattacher aux cas génétiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob deux autres ESST qui ont la caractéristique d'être, elles aussi, présentes potentiellement dans le matériel génétique de personnes apparentées. Il s'agit, d'une part, du syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker et, d'autre part, de l'insomnie fatale familiale. En 1995, soit trois ans après la découverte de cette dernière, il a été prouvé qu'elle était transmissible à la souris.

S'agissant de ces maladies dites génétiques ou familiales, il faut noter que « ...paradoxalement, ces formes d'allure génétique sont aussi transmissibles horizontalement (expérimentalement, à l'animal de laboratoire), ce qui prouve la présence d'un agent de type infectieux. » (14). Cela signifie certainement que, si la présence de l'agent pathogène d'une ESST peut avoir pour origine le matériel génétique du patient, le développement de la maladie peut en être indépendant. Le paradoxe est donc issu du fait que ledit agent pathogène a une origine génétique mais peut demeurer actif dans le corps d'un être vivant dépourvu du matériel génétique nécessaire à sa production initiale.

Une place spécifique doit être accordée à la maladie du Kuru (15) qui a touché un nombre important des membres de la tribu des Fore en Papouasie Nouvelle-Guinée. Le docteur Carleton Gajdusek a clairement établi le vecteur de transmission de cette maladie. Le cannibalisme post mortem infectait les membres vivants de cette tribu par la voie de leur alimentation. Il s'agissait, notamment, parmi eux, des femmes et des enfants, auxquels le cerveau des membres décédés de la tribu était réservé, cerveau qui constitue l'organe dans lequel l'agent pathogène des ESST est le plus présent.

Carleton Gajdusek a d'abord attribué à la maladie du Kuru une origine strictement génétique. Il a en effet observé des prédispositions au développement de la maladie dans certaines parties de la population concernée par les pratiques cannibales décrites. Au sein de ces groupes plus particulièrement touchés par la maladie, il observe, par ailleurs, des prédispositions familiales. Cependant, in fine, l'équipe de Carleton Gajdusek publie des résultats d'expériences en 1966 dans Nature, qui montrent que le chimpanzé est sensible à l'agent pathogène de la maladie du Kuru par injection intracérébrale de tissus du cerveau de personnes décédées des effets de ladite maladie. Cette maladie est donc transmissible. Ces résultats aboutiront à une réévaluation des connaissances relatives à la maladie de Creutzfeldt-Jakob et à la tremblante du mouton, dont les ressemblances cliniques avec la maladie du Kuru sont établies rapidement. Elles seront ainsi désormais considérées avant tout comme des maladies transmissibles, dont la rapidité du développement dépend du matériel génétique de l'être vivant infecté par leur agent pathogène.

Il reste à évoquer la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. On développera dans la partie suivante les éléments qui permettent d'affirmer qu'il s'agit d'une nouvelle maladie, qu'elle a pour origine le passage à l'espèce humaine de l'agent pathogène de l'ESB et que ledit passage a suivi la voie alimentaire. Il s'agit à ce stade de préciser les aspects cliniques et anatomiques de la maladie.

La première particularité de cette maladie est le jeune âge des personnes atteintes. Alors que les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique se déclarent, en règle générale, chez des patients dont l'âge est supérieur à soixante ans, les personnes atteintes par la nouvelle variante de cette maladie sont très souvent âgées de moins de trente ans (16). Les causes du jeune âge des patients atteints de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob demeurent inconnues.

L'expression clinique de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est elle aussi spécifique. Selon le docteur Jean-Philippe Brandel, la maladie « débute de façon très particulière par des troubles du comportement, espèces de signes psychiatriques tout à fait non spécifiques, mais sévères. Ce sont des dépressions très sévères avec des retraits sur soi, des états délirants, une symptomatologie très lourde, se traduisant parfois par des douleurs des membres inférieurs ou des quatre membres. ». Les premiers signes de la maladie se manifestent ainsi par la dépression, l'anxiété, l'apathie, des comportements de retrait et des états délirants.

Les symptômes sensitifs douloureux et persistants, telles que des douleurs franches au contact ou telles qu'une diminution ou une exagération de la sensibilité, constituent les premières manifestations physiques de la maladie. Surviennent ensuite des symptômes nerveux tels que l'ataxie, qui est définie comme une incoordination des mouvements volontaires, la chorée, qui est le nom donné aux manifestations nerveuses caractérisées par des contractions convulsives des muscles, la dystonie, qui est un trouble de la tonicité, et la myoclonie, que l'on définit comme un ensemble de contractions musculaires brusques, semblables aux secousses provoquées par le choc électrique, involontaires, non systématisées, se répétant à des intervalles variables.

La démence, c'est à dire la régression irréversible des capacités intellectuelles, intervient plus tard dans l'évolution de la maladie. Celle-ci s'étend sur une durée plus longue que la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, souvent supérieure à un an.

S'agissant de la durée de la maladie, de l'âge des patients et des signes cliniques propres à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, Jean-Philippe Brandel observe que « la similitude clinique est plus proche entre la nouvelle variante et les cas de Creutzfeldt-Jakob iatrogènes par hormone de croissance qu'entre la nouvelle variante et la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique. ».

Malheureusement, toujours selon le docteur Jean-Philippe Brandel, « l'état des patients ne s'améliore jamais...ce sont des maladies toujours mortelles, pour lesquelles nous n'avons à l'heure actuelle aucun traitement. ».

La constatation de signes cliniques évoqués ne permet pas cependant d'établir un diagnostic définitif de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Un élément supplémentaire de diagnostic peut toutefois être apporté par la présence de protéines prions résistantes aux protéases, après le traitement d'une biopsie d'amygdales chez le patient pour lequel on suspecte ledit diagnostic.

Il faut noter que cette présence est recherchée dans les amygdales pharyngées, qui est l'un des organes constitutifs des tissus lymphoïdes. L'ensemble des tissus lymphoïdes est constitué des cellules et des organes dont dépendent les réactions d'immunité spécifique. S'agissant des cellules, il s'agit des lymphocytes, c'est à dire des globules blancs, qui sont présents dans le sang, la lymphe, le tissu conjonctif et surtout dans les organes lymphoïdes, organes où lesdits lymphocytes naissent, mûrissent et se transforment. Les organes lymphoïdes sont le thymus, la moelle osseuse, les ganglions lymphatiques, les amygdales, l'appendice, ainsi que les plaques de Peyer, qui sont une accumulation de follicules clos formant sous la muqueuse de la dernière partie de l'intestin grêle des saillies plus ou moins notables.

La nouvelle variante de la MCJ est l'unique maladie de Creutzfeldt-Jakob pour laquelle on détecte la présence de l'agent pathogène dans certains tissus lymphoïdes, c'est-à-dire hors du système nerveux central (17). Plus précisément, il est détecté dans les amygdales pharyngées et dans l'appendice. Cette caractéristique permet donc d'établir un diagnostic de forte probabilité de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il s'agit cependant d'une caractéristique inquiétante, au regard du risque supposé de présence de son agent pathogène dans le sang des patients ainsi que dans celui des personnes qui, le cas échéant, sont en phase d'incubation de la maladie. En effet, selon Dominique Dormont, « on voit mal comment il y a une dissémination de l'agent infectieux aux formations lymphoïdes secondaires sans passage, à un moment au moins, dans la circulation sanguine. ».

L'examen au microscope de la structure tissulaire du cerveau du patient pour lequel on suspecte un cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob constitue la seule preuve permettant de diagnostiquer de façon certaine cette maladie. Cet examen histologique doit permettre de constater la présence d'une spongiose, qui sont des vacuoles optiquement vides dans les prolongements nerveux, ainsi que la présence de dépôts extensifs de la protéine prion résistante aux protéases en plaques amyloïdes, dites plaques « florides » ou en marguerite. Le nom de ces plaques se rapporte à la forme des lésions observées dans le cerveau et le cervelet des patients décédés de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cet examen n'est possible que post mortem.

Nous avons évoqué les cas génétiques de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il s'agit des cas dans lesquels le matériel génétique de l'être vivant qui développe cette maladie code de manière endogène l'agent pathogène à l'origine de ladite maladie. Il est nécessaire de distinguer cet élément des connaissances relatives aux prédispositions génétiques, propres à chaque être vivant, de développer une ESST, dès lors qu'il est porteur de son agent pathogène.

Le gène qui code pour la protéine prion, gène qui se trouve chez l'homme sur le bras court du chromosome 20, possède au niveau de son codon 129 ce que Dominique Dormont nomme « un polymorphisme silencieux ». Cela signifie que ce codon peut coder pour des compositions différentes du 129ème acide aminé de la protéine prion, sans qu'il soit possible de distinguer de conséquences d'ordre psychique, intellectuel ou physique chez les êtres humains, selon que leur matériel génétique code pour l'une ou l'autre desdites compositions. (voir infra « l'évolution et la formalisation de la théorie du prion »).

Comme le précise Dominique Dormont, « selon le patrimoine dont vous héritez de vos parents, vous pouvez être homozygote méthionine-méthionine, valine-valine ou hétérozygote méthionine -valine ; 50% de la population humaine est homozygote, 50% hétérozygote. ».

Il résume ensuite le problème de la prédisposition génétique au développement des maladies de Creutzfeldt-Jakob, chez l'être humain, de la façon suivante : « Un certain nombre de laboratoires, dont celui de John Collinge en Grande-Bretagne et le mien, avaient montré au début des années 1990 que l'homozygotisme au codon 129 était un facteur de prédisposition à la maladie de Creutzfeldt-Jakob, sporadique et iatrogène. Cela s'est confirmé par la suite, puisque tous les cas aujourd'hui recensés de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont homozygotes méthionine-méthionine au codon 129. C'est encore un des facteurs qui rend toute projection dans l'avenir difficile : les homozygotes valine-valine sont-ils résistants à la maladie ou ont-ils simplement une période d'incubation plus longue ? Les hétérozygotes sont-ils totalement résistants ou ont-ils eux aussi une période d'incubation encore plus longue ?

C'est d'ailleurs ce qui a été constaté pour l'hormone de croissance : les homozygotes avaient une période d'incubation courte et les hétérozygotes, une période d'incubation longue.

La même chose a été observée dans le cas du Kuru.... Les enfants qui développaient un Kuru étaient très majoritairement homozygotes au codon 129, alors que les adultes qui faisaient un Kuru après un temps d'incubation beaucoup plus long étaient hétérozygotes.

Nous pouvons donc craindre une apparition éventuelle de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans les dix, quinze ou vingt ans, des homozygotes valine-valine, puis des hétérozygotes. Mais nous n'en avons aucune preuve. ».

Il apparaît ainsi que le génotype propre au codon 129 du gène codant pour la protéine prion détermine la durée d'incubation s'agissant de la maladie du Kuru et des cas iatrogènes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liés à l'injection de l'hormone de croissance préparée à partir de l'hypophyse de personnes décédées. Chacun des spécialistes entendus par la commission d'enquête a estimé probable l'hypothèse selon laquelle il en serait de même s'agissant de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, sans exclure cependant, faute de preuves scientifiquement fondées, que le génotype du codon 129 puisse avoir un autre rôle dans le cas précis de cette maladie.

b) La nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob doit être considérée comme la forme humaine de l'ESB.

Le lien entre l'ESB et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob constitue une certitude pour l'opinion publique. Les phénomènes de psychose collective concernant la viande bovine en sont les manifestations les plus visibles.

Du point de vue de la méthode scientifique, ce lien ne peut pas être aujourd'hui irréfutablement et strictement établi. En effet, il n'est pas possible, bien sûr, d'élaborer puis de mettre en _uvre un protocole scientifique, dont le principe serait de constater que des êtres humains nourris par des extraits bovins contaminés par l'ESB développent une ESST sans qu'il soit possible de constater quelque différence clinique, biochimique ou histologique que ce soit, entre ladite ESST et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Cependant, les scientifiques et les spécialistes entendus par la commission d'enquête sont unanimes pour affirmer que le lien évoqué peut et doit être considéré comme absolument certain.

· L'agent pathogène de l'ESB et l'agent pathogène de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne font qu'un.

La premier élément qui permet de suspecter l'identité des agents pathogènes de l'ESB et de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est d'ordre épidémiologique. Il a notamment été expliqué par Jean-Philippe Brandel : « La nouvelle variante est survenue d'abord en Grande-Bretagne et c'est également en Grande-Bretagne que l'exposition de la population a été la plus forte. Plus de 180 000 cas de bovins ont été reconnus infectés en Grande-Bretagne, alors qu'en France, nous en sommes environ à deux cents. C'est en Grande-Bretagne que l'on a vu apparaître les premiers cas humains de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. ».

Lors de la journée de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques consacrée aux maladies à prions le 21 novembre 2000, Dominique Dormont a exprimé la même idée de manière simple : « Vous avez une similitude épidémiologique de la répartition de la maladie humaine et de la maladie animale ».

Par ailleurs, dès 1996, des chercheurs français sont parvenus à infecter des primates avec l'agent pathogène propre à l'ESB. L'examen histologique des cerveaux des primates décédés du fait de l'ESST développée par eux à cette occasion, montre une similitude avec les lésions spécifiques observées post mortem sur les cerveaux des patients humains atteints par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il y a donc, selon Dominique Dormont, « similitude neuropathologique des deux maladies », soit l'ESB et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Cette similitude est aussi observée entre l'agent pathogène de l'ESB ayant infecté un primate et l'agent pathogène de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez un être humain, s'agissant des propriétés physico-chimiques respectives desdits agents. Ces propriétés sont mise en évidence par des procédés électrophorétiques qui permettent la migration de molécules ou de particules ayant une charge électrique, sous l'effet d'un champ électrique créé en plaçant deux électrodes dans une solution. Ainsi, par l'utilisation de ces procédés, on observe que les migrations respectives de chacun des agents pathogènes évoqués sont les mêmes, alors que les migrations propres à chacune des autres maladies humaines de Creutzfeldt-Jakob sont différentes.

Un quatrième argument a été présenté par Dominique Dormont lors de la journée évoquée de l'OPCST : « Est arrivé [récemment] ce qu'à titre personnel je considère comme l'argument ultime, à savoir le travail d'une scientifique d'Édimbourg qui, par une technique lourde et sophistiquée, dissèque les propriétés biologiques des souches de prion. Elle a démontré que la souche correspondant à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob était très différente des autres souches connues de maladie de Creutzfeldt-Jakob mais en revanche était strictement identique à la souche de l'encéphalopathie spongiforme bovine. ».

Il a ajouté à cette occasion qu'il n'avait vu « aucun papier publié au cours des quatre dernières années qui amène un argument allant contre l'identité de l'agent de la nouvelle variante et de l'encéphalopathie spongiforme bovine. ».

Par ailleurs, les études rétrospectives concernant l'existence éventuelle de cas anciens, datant d'avant 1996, de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et non répertoriés comme tel n'ont pas permis de révéler de tels cas. Comme l'explique Dominique Dormont, « ...en 1996, lorsque les Britanniques ont rapporté les cas de nouvelle variante, l'une des premières choses que nous avons faites a été de réunir tous les neuropathologistes européens, australiens et américains et de leur demander de repartir dans leurs collections et de réexaminer les cas archivés avec les techniques modernes. Aucun n'a trouvé cela. Il y avait même à la Pitié-Salpétrière des chercheurs qui disposaient de collections de cerveaux provenant d'autopsie de sujets morts jeunes de démences inexpliquées ; là encore, ils n'ont pas trouvé de lésions pouvant faire penser à la préexistence de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. ». Ces constatations renforcent la présomption selon laquelle cette maladie est, d'une part, nouvelle et, d'autre part, intimement liée à l'épizootie d'ESB constatée au Royaume-Uni, préalable aux premiers cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Il faut conclure de ces observations que les agents pathogènes des deux maladies ne font qu'un et que cet agent pathogène unique s'est transmis de l'espèce bovine à l'espèce humaine par la voie alimentaire.

· Cet agent pathogène s'est sans doute transmis de l'espèce bovine à l'espèce humaine par la voie alimentaire

L'idée selon laquelle l'agent pathogène de l'ESB s'est transmis à l'espèce humaine par la voie alimentaire demeure aujourd'hui une hypothèse. Néanmoins, un cheminement schématique peut être établi dont chacun des chaînons, cependant, n'est pas connu avec certitude.

En premier lieu, l'agent pathogène ingéré doit pouvoir s'introduire dans le milieu intérieur, c'est à dire franchir, à un endroit ou à un autre du chemin alimentaire naturel, les parois afin de s'introduire dans le corps de l'être vivant infecté. Cette absorption a lieu au niveau de l'intestin. Certaines cellules, dites cellules M, sont chargés, à cet endroit du corps, de transporter certains éléments alimentaires dans le milieu intérieur. Cette migration par les cellules M demeure aujourd'hui une hypothèse.

Une fois la barrière digestive passée, il est prouvé que l'agent pathogène est présent dans les formations lymphoïdes associées au tube digestif, les plaques de Peyer, et dans les formations nerveuses associées audit tube, les plexus de Meisner.

Dès lors, deux hypothèses peuvent expliquer la manière dont l'agent pathogène parvient dans le système nerveux central. La première voie est celle d'une transmission et d'une réplication de l'agent pathogène dans les organes lymphoïdes, le transport de l'agent entre ces organes étant assuré par les cellules lymphoïdes. Dominique Dormont décrit ainsi ce cheminement : « le premier signe de réplication serait le tissu immunitaire associé au tube digestif. A partir de ce tissu et grâce aux cellules du système immunitaire qui circulent, il va y avoir colonisation des organes lymphoïdes secondaires. ». Les amygdales pharyngées constituent l'un de ces organes secondaires. Cette hypothèse permettrait d'expliquer pourquoi la protéine prion résistante aux protéases, spécifique à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, est détectée dans cet organe.

Le passage aux tissus nerveux aurait lieu, à partir des organes lymphoïdes évoqués, selon Dominique Dormont, de la façon suivante : « Dans ces organes, une population cellulaire réplique le prion, ce sont les cellules folliculaires dendritiques. Il semblerait, car les preuves ne sont pas apportées, que, près de ces cellules folliculaires dendritiques au sein des ganglions lymphatiques, il y ait de petits filets nerveux, et que la transition, l'entrée dans le système nerveux se fasse au niveau de ces contacts entre cellules du système immunitaire et les nerfs du système sympathique. ». Ainsi introduits dans le système nerveux, les agents pathogènes atteindraient la moelle épinière en remontant dans les axones, c'est-à-dire les prolongements des cellules nerveuses présentes dans cet organe. Lesdits agents peuvent dès lors infecter l'ensemble du système nerveux central.

Il faut relever deux éléments dans cette hypothèse de cheminement. En premier lieu, si les cellules du système lymphoïdes permettent le transport de l'agent pathogène entre les organes dudit système, il est difficile d'imaginer que ce transport ne se fasse pas par le système sanguin. En second lieu, si le transport de l'agent pathogène, au sein du système nerveux, est initié par les cellules des nerfs sympathiques, cela signifie que lesdits agents pathogènes sont présents dans le système nerveux périphérique. D'ailleurs aucun des spécialistes entendus par la commission d'enquête n'a affirmé que cette hypothèse était exclue. Par contre, il est certain que cette présence n'est pas détectable avec les moyens scientifiques aujourd'hui disponibles. De plus, il n'a jamais été mis en évidence, quel que soit le protocole expérimental mis en _uvre, que les tissus d'un bovin atteint par l'ESB, contenant des éléments du système nerveux périphérique, notamment le muscle, soient infectieux et permettent la transmission de la maladie.

La seconde hypothèse de cheminement permettant d'expliquer comment l'agent pathogène atteint le système nerveux central après le franchissement de la barrière digestive évoque uniquement un passage par les cellules nerveuses. Ainsi, l'agent pathogène serait conduit aux cellules de la moelle épinière directement à partir des plexus de Meisner, qui sont donc les formations nerveuses associées au tube digestif.

Théoriquement, les deux chemins sont envisageables. Selon Dominique Dormont, « il est probable que les deux mécanismes coexistent. ».

Lors de la journée sur les maladies à prions, Dominique Dormont a par ailleurs évoqué une troisième hypothèse. En effet, selon lui, « certains auteurs évoquent aussi la possibilité d'une perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Même si cette hypothèse semble moins probable, il ne faut pas la rejeter. ». Cela signifie que l'agent pathogène serait transporté dans le système nerveux central par le sang qui irrigue le cerveau. Il s'agit, là encore, d'une hypothèse qui induit la présence de l'agent pathogène dans le sang. Elle est cependant considérée comme la moins probable.

2.- Si le problème scientifique qui consiste à déterminer la nature de l'agent pathogène des ESST n'est pas aujourd'hui tranché, les connaissances actuelles permettent néanmoins de prendre des mesures efficaces s'agissant de la santé publique.

a) L'évolution et la formalisation de la théorie du prion

· De « l'agent transmissible non conventionnel » (ATNC) aux avatars pathogènes et non pathogènes de la protéine prion

Carleton Gajdusek, qui a étudié la maladie du Kuru en Papouasie Nouvelle-Guinée, a tenté à la fin des années 1960 de décrire la nature de l'agent infectieux des ESST. Il a prouvé, respectivement en 1966 et 1968, que cette maladie et la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique sont transmissibles au chimpanzé. Il recevra, à ce titre, le Prix Nobel de médecine en 1976. A la fin des années 1960, il cherche à savoir si, pendant la période d'incubation de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez le chimpanzé, le cerveau de cet animal subit des dysfonctionnements. Or, à cette époque, les spécialistes de l'étude de l'électroencéphalogramme du chimpanzé sont des médecins militaires français. Ceux-ci s'intéressaient à ce sujet afin de mener des études concernant l'effet des rayonnements sur le cerveau.

Ce contact permet d'initier la recherche française sur le sujet des agents pathogènes des ESST. On constate, en effet, dès cette époque, que l'agent pathogène des ESST est extrêmement résistant aux radiations gamma et aux radiations par ultraviolet, qui consistent à bombarder avec des photons une cible qui, en l'espèce, est l'agent pathogène considéré. La capacité infectieuse de l'agent pathogène est ainsi conservée après des irradiations qui, par ailleurs, aboutissent à la destruction des cellules, des virus, qui sont composés d'ADN, ou encore, des bactéries.

Par ailleurs, à la fin des années 1970, il apparaît que la résistance à la chaleur de l'agent pathogène des ESST est très forte. Dès lors, l'Organisation mondiale de la santé préconise l'utilisation de l'autoclavage à 136 degrés Celsius pendant dix-huit minutes pour obtenir une inactivation compatible avec la sécurité microbiologique des produits d'origine biologique utilisés dans le domaine médicale. A tout le moins, cette résistance à la chaleur est incompatible avec les éléments connus concernant la résistance des virus ou des bactéries.

Plus tard, à partir de 1991, il est constaté que la taille de l'agent pathogène est très inférieure aux tailles constatées classiquement s'agissant d'un virus conventionnel.

Ces constatations conduisent les scientifiques à nommer l'agent pathogène des ESST « agent transmissible non conventionnel » (ATNC). Cette appellation traduit en fait la perplexité de la communauté scientifique devant un agent pathogène que l'on parvient à définir uniquement en précisant qu'il est atypique et ce, au regard des agents pathogènes connus comme les virus ou les bactéries.

Dès 1967 les scientifiques Alper et Griffith émettent l'hypothèse selon laquelle l'ATNC aurait une nature uniquement protéique. Ladite hypothèse est présentée de nouveau en 1970 par le scientifique Raymond Latarget. Cependant, c'est Stanley B. Prusiner qui a fait de cette hypothèse existante « à bas bruit », l'hypothèse centrale de la recherche sur les ESST, à compter de l'année 1982. Il a reçu le Prix Nobel de médecine, au titre de ces travaux sur les ATNC, en 1997.

Stanley Prusiner parvient à extraire du cerveau de hamsters infectés par la tremblante du mouton une fraction qui, une fois purifiée, contient principalement une protéine. Cette protéine conserve le pouvoir d'infecter un être vivant auquel elle est inoculée. Il met en lumière que cette protéine s'accumule dans le cerveau des êtres vivants atteints par une ESST et qu'elle résiste à l'action des protéolyses qui, classiquement, permettent la destruction des autres protéines.

Stanley Prusiner propose d'appeler cette protéine « prion », pour proteinacceous infectious particle, que l'on pourrait traduire par particule infectieuse de nature protéique. Selon lui, l'agent pathogène des ESST est la protéine prion qui, par ailleurs, sera désormais notée PrP.

Il faut, à ce stade, préciser ce qu'est une protéine. En termes organiques, une protéine est une chaîne d'acides aminés. Un acide aminé est un composant qui contient deux éléments fonctionnels, un acide et une amine. La fonction acide d'un acide aminé peut se lier avec la fonction amine d'un autre acide aminé et ce, par une liaison peptique, soit par l'élimination d'une molécule d'eau à l'extrémité de l'un ou de l'autre desdites fonctions. L'ordre précis des acides aminés dans la chaîne qu'ils forment, ainsi que la disposition de cette chaîne dans l'espace, déterminent une protéine.

L'élaboration des protéines est permise par les informations contenues dans les gènes des êtres vivants. Ces gènes sont constitués de chaînes d'acides nucléiques dont la transcription code la définition de l'ordre des acides aminés qu'il est nécessaire d'assembler afin d'obtenir la protéine. Les acides aminés sont eux-mêmes issus soit d'une synthèse interne au corps de l'être vivant, soit de l'alimentation. D'ailleurs, la raison pour laquelle les farines animales ont été utilisées dans l'alimentation des animaux d'élevage est que lesdites farines contiennent des acides aminés indispensables à ces animaux, puisque leur corps est dans l'incapacité de les synthétiser.

On compte environ 100.000 protéines dans le corps humain. Certaines d'entre elles assument des fonctions essentielles dans le fonctionnement biologique de ce corps. Ainsi, l'insuline est une protéine synthétisé dans le pancréas qui permet de réguler le taux de glucose dans le sang et favorise l'utilisation dudit glucose par les tissus. L'hémoglobine est une protéine du sang, qui lui donne sa couleur rouge et qui, surtout, joue un rôle fondamental s'agissant du transport de l'oxygène dans le corps.

Constater la présence d'une protéine dans le corps d'un être vivant ne constitue donc en rien une surprise. La surprise de la PrP est qu'une protéine puisse être pathogène. En 1985, Stanley Prusiner constate que le matériel génétique de chaque mammifère code pour la PrP. Autrement dit, la PrP est présente dans le corps de chaque mammifère et ce, sans être pathogène. Une modification de la structure tridimensionnelle de la PrP semble être un élément suffisant pour que celle-ci devienne pathogène. A partir du constat selon lequel la PrP est présente dans le corps des mammifères sous une forme non pathogène, cette forme sera notée PrPc pour protéine prion cellulaire, tandis que la forme pathogène de la PrP sera notée PrPres pour protéine prion résistante à la dégradation de cette protéine par les enzymes qui permettent la dégradation de la PrPc.

Il faut noter que l'ordre chronologique dans lequel Stanley Prusiner a réalisé ses découvertes de 1982 et 1985 a entraîné une confusion sémantique qui tend à perdurer. Le terme prion, qui désigne un agent infectieux protéique, est créé en 1982 pour désigner ce que Stanley Prusiner constate en purifiant un cerveau atteint d'une ESST. Dès lors et jusqu'à aujourd'hui, le terme prion est utilisé de façon régulière pour désigner l'agent pathogène des ESST. Or ce terme va s'appliquer à compter de 1985 à des protéines non infectieuses codées par le matériel génétique de chaque mammifère. Le discours des scientifiques selon lequel le prion est présent chez chaque être humain tend ainsi parfois à alimenter des craintes, alors que ledit discours n'évoque que la PrPc. Il n'en reste pas moins vrai que le terme prion a été construit en partie à partir du mot infectious, qui signifie infectieux, alors qu'il désigne en partie des protéines qui ne sont pas infectieuses.

La PrPc est codée chez l'homme par un gène du bras court du chromosome 20. On retrouve la PrPc dans le système nerveux central de chaque être humain, notamment au niveau des synapses, qui sont les lieux de connexion entre deux neurones. Elle est par ailleurs présente à la surface des lymphocytes, des monocytes-macrophages et des cellules folliculaires dendritiques. Il s'agit de cellules du système lymphoïde et, pour les dernières, de cellules des organes lymphoïdes. La fonction de la PrPc n'est pas connue avec précision. Les souris transgéniques auxquelles a été enlevé le gène qui code pour la PrPc, non seulement ne sont pas infectables par une ESST mais, de plus, vivent de façon normale sans PrPc. Il semble que l'on a pu cependant observer des anomalies dans leurs transmissions synaptiques ainsi que des troubles dans leur physiologie du sommeil.

· Dans la théorie du « prion seul », la PrPres est l'agent pathogène des ESST

Dans la théorie imaginée par Stanley Prusiner, La PrPres possède deux caractéristiques dont les fonctions conjuguées induisent le développement de l'ESST :

- en premier lieu, la PrPres n'est pas dégradable par les enzymes qui permettent habituellement la dégradation des protéines du corps. Elle ne peut donc être éliminée par ce moyen, de façon naturelle. Il faut noter que cette caractéristique serait due uniquement à la structure tridimensionnelle de la PrPres. Celle-ci serait constituée, en proportion, d'un plus grand nombre de feuillets β que d'hélices α, au regard de la structure tridimensionnelle de la PrPc. Le repliement en feuillets β induirait une plus grande résistance aux protéases, qui sont les enzymes permettant la dégradation des protéines. Cette caractéristique de résistance aux enzymes est d'ailleurs utilisée par les tests rapides post mortem existants s'agissant des bovins. En effet, la constatation que des protéines issues du cerveau d'un bovin ont résisté à l'action d'une protéase qui dégrade la PrPc permet de soupçonner la présence de PrPres ;

- en second lieu, La PrPres aurait la capacité d'assurer la modification de la structure tridimensionnelle des PrPc avec lesquelles elle est en contact, afin qu'elles adoptent la structure tridimensionnelle de la PrPres. Pour Stanley Prusiner, le simple contact entre la PrPres et la PrPc implique la transformation de la structure tridimensionnelle de la seconde en la structure tridimensionnelle de la première. Certains auteurs ont évoqué l'existence d'une molécule « chaperonne » ou « X » dont la fonction serait de permettre à la PrPres de modifier les PrPc en PrPres. Enfin, une autre hypothèse protéique a été évoqué, selon laquelle la PrPres intervient lors des clonages réplicatifs de PrPc afin que les protéines-clones adoptent la structure tridimensionnelle de la PrPres. Dans cette théorie, la prédisposition génétique évoquée, qui a été constatée s'agissant de la durée d'incubation de certaines maladies humaines, pourrait être précisée : l'homozygotisme au codon 129 induit une structure tridimensionnelle de la PrPc plus facilement transformable en une structure tridimensionnelle de la PrPres, que l'hétérozygotisme.

La conjugaison de ces deux fonctions aboutit à une accumulation de PrPres dans le système nerveux central. En effet, la PrPres n'est pas dégradable et transforme les PrPc en PrPres. Ainsi serait expliqué les dépôts de PrPres que l'on retrouve dans le cerveau et le cervelet des êtres vivants atteints d'une ESST. Cette accumulation en dépôts aurait in fine comme conséquence la mort cellulaire des neurones par apoptose, c'est à dire la fragmentation de la cellule aboutissant à sa disparition par phagocytose. Autrement dit, la cellule nerveuse organiserait sa propre disparition, luttant en cela contre l'accumulation de la PrPres qu'elle considérerait comme une présence hostile. Les neurones ainsi éliminés laissent place à des vacuoles, soit des trous, ce qui permet ainsi d'expliquer le fait que la présence desdits trous est constatée dans le cerveau des êtres vivants atteints d'une ESST.

Des expériences menées in vitro ont permis une validation partielle de cette théorie. Ainsi, l'apoptose de certains neurones du rat (18) a été obtenu à partir d'un fragment de la PrPres obtenu par synthèse moléculaire en laboratoire après que ledit fragment eut été mis en contact avec les neurones évoqués.

b) La théorie du prion seul n'est pas considérée comme définitivement validée

La première faiblesse de la théorie du prion est qu'elle est surprenante. Sa validation remettrait en cause l'idée, qui avait été considérée comme scientifiquement acquise et validée, selon laquelle il ne saurait y avoir d'actions pathogènes sans l'intervention d'un être vivant dont la fonction même est d'être pathogène. Autrement dit, il ne peut y avoir de maladies sans l'intervention d'un parasite, être vivant végétal ou animal qui vit aux dépens d'un autre être vivant, d'une bactérie, être unicellulaire autonome doté d'un seul chromosome, ou d'un virus, brin d'ADN qui va s'intégrer au matériel génétique des cellules de l'être vivant infecté afin de coder pour sa propre réplication et d'exercer ainsi son action pathogène.

A tout le moins, un agent pathogène contient classiquement des fragments de matériel génétique qui constitue le support de l'action pathogène. Dans l'hypothèse du prion, l'agent pathogène n'est qu'une protéine dont l'action pathogène relève uniquement de sa structure tridimensionnelle. L'absence d'un être vivant distinct expliquerait l'un des signes cliniques observables lors de l'incubation puis du développement d'une ESST, à savoir l'absence totale de réactions immunitaires de la part de l'être vivant infecté, alors même, par ailleurs, que les premières réplications de l'agent pathogène ont lieu dans le système lymphoïde, soit le système immunitaire. On ne peut guère considérer l'apoptose des neurones comme une réaction immunitaire contre l'accumulation de la PrPres ; cette réaction a pour effet principal d'accélérer l'évolution de la maladie.

L'élément le plus surprenant est que l'action pathogène de la PrPres serait due à un phénomène strictement mécanique relatif aux structures tridimensionnelles de la PrPres et de la PrPc.

Il existe, par ailleurs, des constatations scientifiques qui tendent à poser la question d'un autre agent pathogène distinct de la PrPres. Quatorze éléments ont ainsi été rassemblés par certains spécialistes pour montrer que la théorie du prion, d'une part, n'est pas vérifiée du point de vue scientifique et, d'autre part, peut être contestée (19). Le rapporteur estime que les points suivants sont les plus démonstratifs :

« La détection de la PrPres n'est pas une constante dans le cerveau d'individus ou de malades infectés. La protéine pathologique est en particulier absente chez certains patients atteints d'insomnie fatale familiale (IFF) et chez certaines souris inoculées avec l'ESB. D'autre part les protéines qui s'accumulent dans d'autres maladies amyloïdes ne sont pas infectieuses (maladie d'Alzheimer). ». Il existe ainsi des ESST dont le développement a lieu sans dépôt de PrPres, ce qui tend à montrer qu'un autre agent pathogène en est à l'origine. Il existe des maladies pour lesquelles le dépôt de protéines n'est pas infectieux. Cela tend à montrer que, dans le cas des ESST, un autre agent pathogène donne ce caractère infectieux aux protéines ;

« Le fait que le gène de la PrP joue un rôle primordial dans la susceptibilité aux ESST ne signifie pas que la protéine est l'agent infectieux. ». Si le matériel génétique de l'être vivant infecté qui code, notamment pour le 129ème acide aminé de la PrPc, joue un rôle s'agissant de la durée d'incubation de la maladie, cela ne signifie pas que la modification tridimensionnelle des PrPc soit uniquement le fait de la PrPres ;

« Les différentes mobilités électrophorétiques de la PrPres qui ont été décrites peuvent n'être que la conséquence de la réplication de différentes souches d'ATNC et donc ne constituer qu'un simple marqueur. De plus, la relation de cette variabilité avec la structure tridimensionnelle de la protéine reste à démontrer. ». Chaque type d'agent infectieux, s'agissant des ESST, possède une signature électrophorétique qui lui est propre. La même maladie, par exemple la tremblante ou la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, peut posséder plusieurs souches d'agents infectieux qui possèdent respectivement leur propre signature électrophorétique. Dans le cadre de la théorie du prion seul, chacune de ces signatures correspond à une structure tridimensionnelle différente de la PrPres. Il n'est pas cependant impossible que ces structures tridimensionnelles différentes selon chaque souche, selon les maladies, voire au sein de la même maladie, soient issues, au préalable, de la forme que donne un agent pathogène distinct de la PrPres à celle-ci. De plus, le lien entre une signature électrophorétique et une structure tridimensionnelle de la PrPres, sur lequel la théorie du prion s'appuie, n'est pas définitivement prouvé. On peut noter, enfin, que le scientifique Kurt Wüthrich, qui est un biophysicien suisse et qui a publié des travaux décrivant entièrement la structure tridimensionnelle de la PrPc, estime que la théorie du prion est fausse, notamment s'agissant de la capacité pathogène d'une éventuelle modification de la structure tridimensionnelle de cette protéine ;

« L'identification de nombreux virus a souvent été extrêmement laborieuse. Par exemple, la détection du virus de l'hépatite C en microscopie électronique a nécessité de nombreuses années, malgré des titres infectieux très élevés. ». Aujourd'hui, aucun procédé de microscopie ne permet de « voir » une PrPc et donc, a fortiori, sa structure tridimensionnelle, qui demeure acquise en théorie.

Dominique Dormont a résumé ainsi le doute scientifique qui subsiste concernant la théorie du prion seul : « Pour prouver l'hypothèse du prion, il faudrait fabriquer par génie génétique la protéine normale (PrPc) dont il faudrait ensuite modifier la structure tridimensionnelle in vitro dans un système acellulaire pour enfin l'inoculer à l'animal afin d'obtenir une maladie et montrer que cette maladie est transmissible. Cette expérience n'est pas encore réalisée aujourd'hui. ». Autrement dit, il faut prouver qu'une PrPres fabriquée in vitro, à partir de la modification in vitro de la structure tridimensionnelle d'une PrPc elle-même fabriquée in vitro, peut, à elle seule, provoquer une ESST réellement transmissible.

Le doute subsiste donc sur le rôle de la PrPres dans le développement des ESST. Des hypothèses alternatives ont donc été évoquées, qui ne remettent pas en cause le rôle fondamental de la PrPres. L'hypothèse du virino consiste à imaginer qu'un virus, à tout le moins un agent porteur d'une information génétique propre, est « camouflé » à l'intérieur d'une coque dont la paroi serait constituée de PrPres. L'information génétique permettrait, par exemple, de mettre en _uvre la transmissibilité de la maladie ou de modifier la structure tridimensionnelle des PrPc.

c) Cette incertitude, qu'il faut chercher à réduire, n'empêche pas de mettre en _uvre des décisions efficaces s'agissant de la santé publique

La question de la nature de l'agent pathogène des ESST ne saurait être limitée à un problème scientifique théorique. En effet, le bon sens tend à considérer que, plus ledit agent sera connu avec précision, s'agissant de sa nature et des mécanismes pathogènes qu'il met en _uvre, plus les décisions de santé publique concernant la lutte contre les ESST et, parmi elles, la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, devraient s'avérer efficaces.

Dans ce cadre, le rapporteur approuve la position de principe exprimée par Dominique Dormont : « [...] on doit considérer aujourd'hui, en toute rigueur scientifique, le prion comme l'hypothèse la plus probable, mais [...] on ne peut pas éliminer des hypothèses alternatives.[...]

Mais à ce jour, personne n'a trouvé ni un autre agent ni autre chose qui pourrait être associée à la protéine. Ce n'est pas pour cela qu'il faut éliminer ces hypothèses. S'il y a bien une attitude à avoir par rapport à ces maladies, c'est l'absence totale de dogmatisme. Il faut savoir que c'est un domaine ouvert. C'est la raison pour laquelle il faut s'appuyer sur ce que l'on connaît et, bien que nous ne connaissions pas la nature exacte de l'agent, nous savons depuis longtemps quelle est sa sensibilité à la chaleur ou à divers traitements chimiques car nous savons la mesurer dans des essais chez la souris et le hamster.

L'absence de connaissances de l'agent infectieux n'empêche pas d'avoir une idée de ses propriétés biologiques et de l'efficacité d'un certain nombre de méthodes d'inactivation. ».

C'est pourquoi il est possible et nécessaire de mettre en _uvre des mesures concernant la santé des êtres humains et des animaux. A titre d'exemple, on peut relever que :

- les connaissances relatives à la localisation de l'agent pathogène permettent de retirer des chaînes alimentaires humaine et animale les organes infectieux des bovins ;

- les connaissances relatives aux cas iatrogènes de maladie de Creutzfeldt-Jakob ainsi qu'à la résistance à la chaleur de l'agent pathogène d'une ESST permettent de prendre des mesures concernant le traitement des instruments chirurgicaux afin d'éviter la transmission des maladies de Creutzfeldt-Jakob chez l'être humain.


() Par lettre en date du 6 juin 2001, la directrice générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture a indiqué au président de la commission d'enquête que c'est par erreur que la communication de ces informations avait été refusée. Elle a joint à ce courrier des formulaires d'octroi et de refus de dérogation. Ces documents, adressés dans des délais qui rendaient difficile leur exploitation, ne permettent pas d'établir le bilan du régime des dérogations institué par les avis aux importateurs des 13 août et 15 décembre 1989. Cette lettre et ces formulaires figurent en annexe au présent rapport.

() Corinne-Ida Lasmézas, Jean-Philippe Deslys, Olivier Robain et Dominique Dormont, « l'agent secret des maladies à prions », La Recherche, n° 299, juin 1997 (page n° 46).

() Jean-François Mattei, « de la « vache folle » à la « vache émissaire » », rapport d'information, Xème législature, n° 3291, page 30.

() « Dictionnaire des termes de médecine », Le Garnier Delamare, chez Maloine, 23ème édition, page 845.

() Op. cit., page 36.

() Op. cit., page 182.

() Il s'agit d'une injection dans la cavité péritonéale qui est délimitée par la paroi abdominal et la paroi viscéral

() Jean-François Mattei, « De la " vache folle " à la " vache émissaire " », rapport d'information, Xème législature, n° 3291, pages 31 à 41.

() La maladie du dépérissement chronique aurait, par ailleurs, touché l'élan, le daim, le grand kudu et le chevreuil.

() Un ocelot est un grand chat sauvage à pelage roux tacheté de brun.

() Corinne-Ida Lasmézas, Jean-Philippe Deslys, Olivier Robain et Dominique Dormont, article précité, page 51.

() C.M. Van Duijn, N. Delasnerie-Laupretre, C. Masullo, I Zerr, R. de Silva, D.P.W.M Wientjens, J-P. Brandel, T. Weber, V. Bonavita, M. Zeidler, A. Alpérovitch, S. Poser, E. Granieri, A Hofman, R.G. Will, « Case-control study of risk factors of Creutzfeldt-Jakob disease in Europe during 1993-95 », The Lancet, n° 9109, pages 1081 à 1084.

() le mot iatrogène signifie, étymologiquement, que l'infection est provoquée par les actes du médecin.

() Corinne-Ida Lasmézas, Jean-Philippe Deslys, Olivier Robain et Dominique Dormont, article précité, page 48.

() le mot « kuru » signifie frisson dans l'idiome des tribus atteintes par la maladie. Il révèle ainsi l'un des éléments de la clinique de cette maladie au cours de laquelle les personnes infectées étaient saisis de tremblements.

() Dans les deux cas cependant, il existe des exceptions. Des cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique ont été diagnostiqués chez des patients âgés de moins de quarante ans, mais lesdits cas demeurent rarissimes. Par ailleurs, un patient atteint de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est décédé au Royaume-Uni à l'âge de soixante-quatorze ans.

() Il faut noter que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob partage cette caractéristique avec la tremblante du mouton et avec l'ESST développée par le mouton infecté expérimentalement par voie orale avec l'agent pathogène de l'ESB.

() Il s'agit de neurones de l'hippocampe du rat développés en culture. L'hippocampe est une aire cérébrale dont les fonctions sont rattachées à la mémorisation et à l'apprentissage, s'agissant notamment des informations spatiales, chez l'homme. Les résultats de ces expériences ont été publiées par l'équipe du professeur Forloni en 1993.

() Corinne-Ida Lasmézas, Jean-Philippe Deslys, Olivier Robain et Dominique Dormont, article précité, pages 52 et 53.


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