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N° 3386

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE
sur les CAUSES des INONDATIONS RÉPÉTITIVES ou EXCEPTIONNELLES
et sur les CONSÉQUENCES des IMTEMPÉRIES afin D'ÉTABLIR les RESPONSABILITÉS, D'ÉVALUER les COÛTS ainsi que la PERTINENCE des OUTILS de PRÉVENTION,
D'ALERTE et D'INDEMNISATION (1)

Président

M. Robert GALLEY,

Rapporteur

M. Jacques FLEURY,

Députés.

--

TOME II

AUDITIONS

La commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des imtempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ansi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation est composée de : M. Robert GALLEY, président, M. Maxime GREMETZ, M. Jean LAUNAY, vice-présidents, M. Philippe DURON, M. Christian KERT, secrétaires, M. Jacques FLEURY, rapporteur ; M. Stéphane ALAIZE, Mme Marie-Hélène AUBERT, Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, M. Jacques BASCOU, M. Jacques BRUNHES, M. Dominique BUSSEREAU, M. Jean DELOBEL, M. Paul DHAILLE, M. Alain FERRY, M. Jean-Pierre GIRAN, M. Francis HAMMEL, M. Patrick JEANNE, M. Thierry LAZARO, M. Daniel MARCOVITCH, M. Jacques MASDEU-ARUS, M. Vincent PEILLON, M. Jacques PÉLISSARD, M. Gilles de ROBIEN, M. Henri SICRE, M. Jean-Pierre SOISSON, M. Pascal TERRASSE, M. Michel VOISIN.

TOME SECOND

SOMMAIRE DES AUDITIONS

(suite)

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des entretiens de la Commission

(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

pages

_ M. Bernard ROUSSEAU, président de France Nature Environnement
(11 juillet 2001)
265

_ M. Christian TERRIER, directeur de l'ingénierie, et M. Jean-Paul GAUVIN, directeur de l'exploitation de la Compagnie nationale du Rhône
(11 juillet 2001)
273

_ M. Jacques MASSON, directeur de l'hydraulique, et Daniel DUBOIS, adjoint au directeur de la division de la production nucléaire d'EDF
(11 juillet 2001)
283

_ M. Michel RIOUX, président de l'association de défense des sinistrés et de protection des quartiers inondables du Mans
(11 juillet 2001)
292

_ M. Philippe BAFFERT, chef du bureau de la législation et de la réglementation au Service de la stratégie et de la législation à la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction  au  ministère  de  l'Équipement,  des  transports  et  du  logement
(11 juillet 2001)
305

_ M. Pierre MONADIER, coordonnateur de l'Inspection générale de l'équipement pour le bassin de la Loire (Conseil général des Ponts et chaussées)
(5 septembre 2001)
316

_ M. Bernard LENGLET, président du syndicat de communes de la vallée des Anguillères (département de la Somme)
(11 septembre 2001)
328

_ M. Yves COCHET, ministre de l'Aménagement du territoire et de l'environnement
(25 octobre 2001)
335

TABLES-RONDES

_ Table-ronde réunissant :

. bassin Adour-Garonne : M. Jean-Pierre POLY, directeur de l'agence

. bassin Artois-Picardie : M. Alain STRÉBELLE, directeur de l'agence

. bassin Loire-Bretagne : MM. Jean-Claude DEMAURE et Jean-Louis BESEME, président et directeur de l'agence,

. bassin Rhin-Meuse : M. Claude GAILLARD, député et président du comité de bassin, et MM. François BARTHELEMY et Daniel BOULNOIS, président et directeur de l'agence,

. bassin Rhône-Méditerranée-Corse : M. Henri TORRE, sénateur et président du comité de bassin, et M. Jean-Paul CHIROUZE, directeur de l'agence,

. bassin Seine-Normandie : M. Pierre-Alain ROCHE, directeur de l'agence.

(5 septembre 2001) 346

_ Table-ronde réunissant :

_ MM. Jean PALANCADE et Alain MIR, président et directeur de l'Association interdépartementale des basses plaines de l'Aude,

_ MM. Xavier de ROUX et Rémy FILALI, président et directeur de l'Institution interdépartementale pour l'aménagement du fleuve Charente et de ses affluents,

_ M. Guy PUSTELNIK, directeur de l'Établissement public interdépartemental Dordogne,

_ MM. Gaston ESCUDÉ et Michel AUZIÉ, vice-président et directeur du Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne,

_ M. Régis THÉPOT, directeur de l'Établissement public Loire,

_ M. Daniel BERTHERY, directeur de l'Entente interdépartementale pour la protection contre les inondations de l'Oise, de l'Aisne, de l'Aire et de ses affluents,

_ MM. Éric GUILLAUMIN et Benoît CORTIER, directeur et chargé de mission de l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône,

_ M. Marc FORÊT, directeur du Syndicat mixte d'études pour l'aménagement du bassin de la Saône et du Doubs,

_ MM. Pascal POPELIN et Jean-Louis RIZZOLI, président et responsable du service technique de l'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine,

_ M. Michel ALLANIC, directeur de l'Institution d'aménagement de la Vilaine.

(11 septembre 2001) 369

_ Compte-rendu du déplacement d'une délégation de la Commission dans la Somme
(11 et 12 juin 2001) 394

_ Compte-rendu du déplacement d'une délégation de la Commission dans l'Ardèche, le Gard et l'Aude
(8 et 9 octobre 2001) 403

Audition de M. Bernard ROUSSEAU,
président de
France Nature Environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 11 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Bernard Rousseau est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Bernard Rousseau prête serment.

M. le Président : Nous avons souhaité vous entendre car, de par vos fonctions, vous disposez d'une vue générale et d'un certain recul pour apprécier ce qui constitue l'un des objets de notre commission, à savoir évaluer le rôle des activités humaines, de toutes natures, dans la survenue des inondations et dans l'importance de leurs conséquences.

Vous nous direz également quelle est la part respective que votre organisation souhaite attribuer à la construction d'ouvrages de protection ou à ce que l'on appelle communément les mesures non structurelles.

M. Bernard ROUSSEAU : France Nature Environnement est une fédération d'associations de protection de la nature et de l'environnement qui existe depuis 1968. Reconnue d'utilité publique, elle regroupe 120 à 130 associations ou fédérations nationales, régionales ou départementales, soit au total quelque 3 000 associations, représentant environ 90 000 adhérents directs identifiés mais probablement dix fois plus si l'on considère le chevelu associatif.

France Nature Environnement est organisée en réseaux thématiques. En ce qui me concerne, président de la fédération nationale, je suis aussi responsable du réseau eau. Ces réseaux sont transversaux aux associations fédérées. Ils coordonnent les associations fédérées sur la thématique donnée, ainsi que leurs militants qui ont rarement une compétence directe dans le domaine considéré mais qui s'y intéressent. Ces personnes sont souvent nommées par l'État dans les structures de concertation. Pour ma part, je suis vice-président de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, membre du conseil d'administration du Comité national de l'eau et d'autres structures de cette nature.

Compte tenu des différents échelons - départemental, régional... -, pour France Nature Environnement, cela représente 80 à 90 commissions différentes : conseil national de la protection de la nature et structures de concertation en matière de déchets, de transport, d'énergie, etc. Les militants membres de ces réseaux participent aux travaux de ces structures tout en ayant une profession différente. D'ailleurs, j'y rencontre à cette occasion des élus, en particulier M. Éric Doligé.

Le réseau eau est concerné par les problèmes d'inondation. Il regroupe environ 250 personnes militantes et actives. Un directoire et quatre permanents épaulent le responsable politique.

En ce qui me concerne, j'ai participé au travail sur le bassin de la Loire au sein du groupe « Loire vivante ». À cette occasion, France Nature Environnement avait fait de l'animation avec le WWF. J'ai étudié la problématique inondation de manière approfondie sous l'angle de la justification des ouvrages. L'histoire de la Loire est intéressante. Initialement affaire de contestation associative, elle a permis de remettre à jour la réflexion sur la justification des barrages et sur les arguments pouvant les justifier. Ainsi, des crues de référence comme celles du XIXsiècle ont pu être étudiées en détail au travers des écrits du passé. Elles avaient été précédées par d'autres crues extraordinaires.

Dans le cas du bassin de la Loire, ces crues extraordinaires se produisent avec une probabilité d'apparition extrêmement faible, sauf que nous avons connu au XIXe siècle trois crues de même occurrence tous les dix ans. Cela relativise la pertinence du recours aux éléments statistiques pour caractériser les phénomènes. On peut les décrire ainsi mathématiquement mais dans la réalité, quand deux ou trois crues très importantes se succèdent, l'impact humain devient considérable. Cet aspect statistique traduit la difficulté de représenter des phénomènes aléatoires. D'ailleurs, quand un nouvel événement se produit, les périodes d'apparition des phénomènes s'en trouvent modifiées.

Quand on reprend l'histoire de l'aménagement de la Loire, on a le sentiment, en parcourant les écrits, que presque tout a été dit, redit, repensé, rediscuté, recontesté. L'avancée la plus intéressante est la création de l'équipe pluridisciplinaire plan Loire. Certes, nous avons formulé un certain nombre de critiques, mais celles-ci portaient davantage sur la forme et la méthode que sur la finalité. Ce travail de recherche d'informations et de réflexion a permis de rapprocher les points de vue.

On a toutefois noté la difficulté de faire diffuser cette réalité auprès des personnes concernées, c'est-à-dire celles qui habitent dans les vals inondables. On a aussi relevé que l'étude des cas concrets était peu développée. On a d'ailleurs évité de justesse la disparition de l'équipe pluridisciplinaire du plan Loire. Administrativement, il a été difficile de maintenir cette structure pourtant capitale, non seulement pour le bassin de la Loire mais aussi pour d'autres fleuves.

Les événements qui se produisent actuellement, aux mois de juin et juillet, montrent que des crues importantes peuvent se produire à tout moment. Cela avait déjà été observé il y a un siècle. Parfois, les quantités d'eau tombées sont tellement importantes que tout ce qui peut être submergé l'est. Naturellement, les actions humaines peuvent venir compliquer la situation mais, généralement, elles ne créent pas la situation.

Par exemple, lors de la crue du haut bassin de la Loire en 1980, la rivière Altier a subi une crue considérée comme millénale, qui a entièrement transformé sa physionomie. Sur des largeurs de cinquante mètres de part et d'autre, les berges ont complètement disparu. Des galets de trois à quatre mètres de diamètre, relativement ronds, sont apparus dans le lit, témoignant du passé géologique. Toute la question réside dans les quantités d'eau tombées dans un site particulier avec une pente importante. Ces événements ne se produisant pas d'une manière régulière, les actions humaines ne les intègrent ni culturellement ni techniquement. Nous prenons dès lors un certain nombre de risques.

Ainsi, il tombe dix à onze mètres d'eau par an, quasiment en un mois sur le versant sud de l'Himalaya, ce qui est considérable. Il est clair que les hommes tiennent compte de ces phénomènes qui se produisent régulièrement. Mais quand il se produit une crue centennale de la Loire ou de la Somme, nous avons tout oublié. On parle toujours de mémoire d'homme. Nous puisons dans notre passé proche, c'est-à-dire dans notre jeunesse, pour fabriquer un référentiel, mais pour ces phénomènes et pour l'aménagement du territoire, il faut utiliser une référence temporelle beaucoup plus étendue.

S'agissant du bassin de la Loire, on n'a pas tiré la leçon des catastrophes passées, dans la mesure où l'on a urbanisé massivement et détruit pratiquement toutes les voies d'écoulement secondaires de l'eau, permettant l'évacuation des crues résiduelles après que l'événement se soit produit. S'il survenait une crue importante dans les lits majeurs de la Loire, ses effets seraient encore aggravés car tout le système de fossés qui permettait d'évacuer l'eau et qui, au XIXe siècle, était entretenu et préservé a quasiment été éliminé, soit par l'urbanisation, soit pour d'autres raisons. Par conséquent, s'il se produisait un événement catastrophique, les inondations dureraient probablement beaucoup plus longtemps qu'aux siècles passés.

Cela montre qu'en matière d'aménagement, il convient d'instiller de la mémoire dans la technique et de faire en sorte que les acteurs concernés soient conscients de cette nécessité. J'ai moi-même organisé des débats publics à ce sujet avec la projection de transparents et en fournissant des données beaucoup plus précises. Quand vous dites à des personnes originaires du secteur que l'eau est montée un jour à tel niveau, ils vous disent que ce n'est pas vrai. Ils ajoutent même : de toute façon, ce n'est plus possible puisque l'on a construit des barrages et des digues. Il y a donc un refus de voir ces éventualités et aussi le caractère surprenant des hauteurs d'eau.

J'ai eu l'occasion de circuler dans la rivière Altier après la crue de 1980 qui avait atteint de nombreuses rivières, puisqu'elle avait pris naissance dans la Loire ardéchoise et lozérienne. En découvrant des sacs en plastique accrochés dans les arbres, on était effaré de la hauteur d'eau qui avait été atteinte. On a du mal à se représenter ce que sont sept à huit mètres de hauteur d'eau. Si l'on essaie d'extrapoler, on a une immense surface plane couverte d'eau.

La culture du risque nécessite un effort pédagogique constant. À mon sens, pour nos sociétés qui sont de plus en plus complexes, cela nécessite des acquisitions culturelles et pédagogiques. Puisque l'on sait transmettre l'art et la manière d'écrire et de parler, on doit aussi apprendre à transmettre des données de cette nature.

Concernant le régime d'inondations que nous connaissons aujourd'hui, on a évoqué le changement climatique. Il existe des présomptions mais on sait que ces événements-là se sont déjà produits dans le passé. Cela, ou pire, ne s'est-il pas produit il y a cinq cents ou mille ans ? Des recherches permettraient sans doute de faire le point sur cette question. Pour moi, il est clair que de tels événements se sont déjà produits. Il est possible que leur fréquence soit accrue dans la mesure où le changement climatique peut redistribuer les circulations gazeuses de la planète. Des spécialistes se penchent sur le sujet. Il existe des controverses scientifiques.

Comment, à partir de ce rythme incertain mais vécu aujourd'hui avec une fréquence un peu inquiétante, trouver des solutions à même de minimiser ces effets ? Il est clair que ces solutions ne seront pas construites en très peu de temps. Au siècle dernier, le nombre d'habitants dans les vals du bassin de la Loire était faible alors que l'on y trouve aujourd'hui 350 000 habitants.

On peut trouver des illustrations des petites variations climatiques en observant la hauteur de la nappe de Beauce. On y relève des périodes plus sèches que d'autres, des périodes beaucoup plus réalimentées que d'autres. C'est souvent sur des périodes de dix à quinze ans et l'on peut s'interroger sur le lien éventuel existant avec l'apparition des taches solaires et la modification du bilan thermique de la Terre et la répartition des précipitations. Peut-être est-on dans une période de plus fortes précipitations. Le début des années 1990 était une période très sèche. On tenait alors sur les problèmes de la sécheresse, un discours que l'on pourrait presque opposer à celui que l'on tient aujourd'hui sur les inondations à répétition.

Un autre aspect est lié au mécanisme hydrologique. Il est possible que l'on voie des pluies importantes, des écoulements torrentueux et impressionnants dans les rivières sans que l'eau ne s'attarde sur les sols, parce que la réserve de creux est importante. Tel fut le cas dans les années 1990 avec la nappe de Beauce. À raison de 15 % de creux dans la partie supérieure de la nappe de Beauce, il existait une capacité d'accueil du sous-sol importante. En période de faible réalimentation, lors des précipitations, une partie de l'eau est dispersée rapidement par ruissellement, une autre partie entre dans le sol et une autre repart dans l'atmosphère. En revanche, quand l'atmosphère est en permanence saturée, comme c'était le cas cet hiver, la partie qui repart dans l'atmosphère peut être faible, bien plus qu'à d'autres moments où l'on constate des pluies importantes, mais où l'eau repart immédiatement dans l'atmosphère ce qui peut réduire l'écoulement superficiel donc l'intensité des crues.

On est peut-être aussi en présence de mécanismes de rechargements cumulatifs des nappes d'année en année, dans une période de réalimentation telle que les nappes deviennent affleurantes. Plus grave, elles n'ont peut-être pas de capacité de vidange. Ce peuvent être des cuvettes où les capacités de vidange ont été éliminées par l'action humaine ou réduites par les événements climatologiques. En effet, le lit des fleuves s'élargit en fonction des événements qu'ils subissent.

On peut donc voir apparaître des situations liées à des conditions extrêmement rares. Par exemple, la grande crue du bassin de la Loire dans la Loire moyenne a nécessité la conjonction de plusieurs événements : fortes précipitations mais aussi réunion de l'arrivée des pluies de la Loire et de l'Allier au Bec d'Allier. Si les deux pics de crue sont décalés, on obtient une crue longue mais pas une crue de double intensité. Il faut aussi que certaines mécaniques thermiques et climatiques soient réunies, de sorte que les pluies tombent d'une certaine manière sur les deux bassins versants, qui ne restituent pas l'eau de la même manière et à la même vitesse. La conjonction de ces conditions est très improbable mais, quand elle se produit, c'est la catastrophe.

Il est également impressionnant de constater, dans la dernière période, l'installation de conditions climatiques, telles que celles apparues en Bretagne. Elles ne sont pas gouvernées par l'homme, du moins pas directement, mais les phénomènes ne sont pas totalement aléatoires puisqu'ils se reproduisent.

Quels moyens convient-il de mettre en _uvre pour s'accommoder de ces inondations ? À cet égard, prenons garde aux fausses solutions.

L'une d'entre elles, qui apparaît souvent pertinente à première vue, est la construction de barrages. Quelle est la fonction de ceux situés sur le bassin de la Seine ? Ils ont souvent plusieurs fonctions, précisément trois. Dans des conditions de précipitations qui, cet hiver, n'étaient pas extraordinaires - les pluies sont tombées davantage sur le Nord et la Somme que sur le plateau de Langres - les berges dans Paris ont été submergées. Apparemment, les barrages écrêteurs n'ont pas rempli leur fonction. Il faut savoir que ce sont surtout des ouvrages de soutien d'étiage. Si un barrage écrêteur-soutien d'étiage n'a pas pu être vidangé, il ne peut jouer son rôle d'écrêteur. Si on lui donne une capacité d'accueil, il est bon d'aller regarder les règlements d'eau pour savoir si son contenu correspond au volume total ou au volume d'accueil de crues.

En outre, à quels volumes les grandes crues sont-elles estimées ? Les crues de la Loire du siècle passé étaient seulement estimées entre 1,5 et 2,5 milliards de m3. La marge de man_uvre était tout de même assez large. Peut-on être plus précis ? Cela n'est pas facile un siècle et demi après l'événement. Doit-on faire confiance aux ingénieurs des Ponts de l'époque qui estimaient les données, ou bien doit-on faire de la projection ? Même si l'on fait mieux qu'avant, on reste dans le domaine de la prévision, avec les difficultés de calage que connaissent bien tous ceux qui font des modèles mathématiques. On a une meilleure connaissance, mais pas une connaissance absolue.

Le recours aux barrages doit être examiné avec beaucoup de précision, d'une manière moins partisane et beaucoup plus technique. La capacité d'accueil du barrage du Veurdre, que connaît bien M. Doligé, est d'environ 130 millions de m3. Si la crue de la Loire représente 1,5 à 2,5 milliards de m3, on ne peut retenir qu'une petite partie de la crue. Le barrage de Villerest, dont la capacité est de 240 millions de m3, comporte une tranche de 130 millions de m3 en soutien d'étiage, soit une capacité d'accueil de seulement 110 millions de m3. De plus, un règlement d'eau prévoit que cette capacité peut être augmentée, à certaines époques, de 20 à 30 millions de m3 supplémentaires. La performance théorique du dispositif est de quarante à cinquante centimètres plutôt modeste par rapport à des hauteurs d'eau de crues de sept à huit mètres. Mais le lit de la Loire s'étant abaissé, le niveau de crue s'établirait probablement aujourd'hui plus bas.

Cela concerne les crues dynamiques mais les crues de nappe, comme celles de la Somme actuellement, sont redoutables. On ne peut pratiquement rien faire pour les réduire, sinon agir convenablement en matière d'aménagement du territoire. Cela requiert des connaissances non seulement mathématiques extrêmement élaborées mais aussi des connaissances très banales de terrain. Qu'a-t-on fait sur le bassin versant ? A-t-on les débouchés hydrauliques pour éliminer de l'eau ? Comment gérer une remontée de nappe ? Comment bâtir les habitations ? Cela renvoie bien entendu à l'excellent rapport de M. Yves Dauge.

L'autre aspect de la connaissance du bassin de la Loire est la mise en lumière, par l'équipe pluridisciplinaire, d'un élément auquel on ne s'attendait pas. On s'est aperçu que l'abaissement du lit de la Loire suite à l'extraction des granulats - dont on sait que certains aspects, comme la végétalisation des parties qui ne sont plus mouillées, pouvaient être négatifs - fragilisait dans certains cas le pied des digues. La végétalisation des parties qui restent souvent sèches peut modifier le débouché hydraulique, entraînant des renforcements du niveau des crues ou des complications. Cet abaissement, qui peut apparaître comme positif d'un certain point de vue, est donc négatif d'un autre. Toutefois, cette connaissance doit nous permettre de définir les actions qui peuvent réduire le risque.

Cela montre bien la nécessité d'une connaissance approfondie et de la compilation d'informations et de l'identification des lieux qui peuvent poser problème. La période actuelle peut fournir l'occasion de dresser une cartographie qui viendrait compléter des cartographies de surfaces submersibles et autres déjà existantes. Un travail technique de connaissance pourrait être conduit par le département, la région ou l'agence de l'eau afin de lutter contre ces mécanismes et de corriger les erreurs qui ont été commises.

Enfin, nos sociétés complexes gèrent le plus souvent des problèmes à très court terme. Alors que le mandat des élus est limité à quelques années, cinq ou six ans, ces phénomènes s'analysent à l'échelle de la centaine d'années. Il existe des phénomènes humains et culturels considérables. J'ai écouté le discours des uns et des autres sur le bassin de la Loire. Il consiste à se demander s'il faut vraiment s'occuper d'événements complètement aléatoires qui ont une période de retour séculaire ou multiséculaire, alors qu'il y a des problèmes dont on doit absolument s'occuper dans l'immédiat. Cela mériterait débat, clarification et approfondissement.

De plus, les élus des communes inondables disent que si l'on fixait des règles contraignantes d'urbanisation, leur activité économique serait gravement touchée. Quand M. Michel Barnier, alors ministre de l'Environnement, était venu sur la Loire à Orléans, il avait été surpris de constater que l'on était en train de reconstruire en zone inondable une usine qui venait de brûler. Il avait estimé que l'on aurait pu mettre à profit l'occasion pour l'installer ailleurs. Cela se heurte fortement au fait que l'on a affaire à des communes autonomes, dont chacune a sa propre logique de développement. C'est un point essentiel.

J'ajoute que lors de la construction de routes et d'autoroutes, ces aspects sont totalement ignorés. On remblaie dans des zones inondables. Je ne suis pas persuadé que l'analyse ponctuelle d'un seul événement soit représentative de tout ce que l'on a fait en dix, vingt ou trente ans. Tous ces éléments cumulés finissent par avoir un impact et par être porteurs de complications futures. Comment inventer en matière d'aménagement du territoire - je renverrai presque à la DATAR - des méthodes qui tiennent compte de ces contraintes ?

Je conclurai sur un élément qui me paraît révélateur. Il y a quelques années, dans le Val de Cisse, près de Blois, une commune a construit une école en zone inondable. Cela a donné lieu à un conflit avec le préfet porté devant le tribunal administratif. Je crois que le préfet a perdu. Trois semaines plus tard, s'est produite une crue qui correspondait aux inondations de la Bretagne. L'école a été inondée. Si cela se produit une fois par siècle, est-ce acceptable dès lors que l'on a construit en respectant les normes ?

M. le Président : Vous avez évoqué à plusieurs reprises la nécessité de la mémoire. Pour vous, est-il nécessaire de créer un lieu de mémoire, où l'on rassemblerait toutes les informations - historiques, cartographies - et où pourraient être organisés des débats sur les points communs aux différents types d'inondations ?

Des constats ont été dressés sur les entretiens des lits, des digues... Pensez-vous qu'il existe une certaine évolution dans ce domaine ou bien le temps s'écoule-t-il sans qu'il se passe grand-chose ? Certains de mes collègues et certains intervenants ont souligné que, malgré tout ce qui a été observé en 1990 ou 1995, malgré les grandes inondations que l'on a connues récemment, il ne s'est pas passé grand-chose. Une inondation comparable aurait des conséquences identiques et produirait les mêmes dégâts. On a le sentiment de piétiner. Est-ce dû à la nécessité de réfléchir ? Avons-nous besoin d'autant de recul pour agir ?

M. Bernard ROUSSEAU : Je pense qu'il serait utile qu'un lieu de mémoire existe. Ce serait un point d'ancrage qui permettrait de propager une connaissance. Ce pourrait être aussi un lieu de fabrication de la connaissance. J'ai pu observer qu'il n'y avait pas de mémoire sur ces questions. Il est possible que les événements réactivent la mémoire. On est en train d'en prendre davantage conscience, car la climatologie nous rappelle à l'ordre. Quand le danger s'effacera, on se remettra à oublier. Cela doit entrer dans notre culture. Ce lieu doit disposer de relais, car certaines zones sont plus exposées que d'autres. C'est le cas de la Somme même si, de mémoire d'homme, on en avait perdu la trace.

Je sais que nous ne sommes pas très réactifs, mais pas seulement sur ce sujet. Sur de très nombreux sujets nous sommes immobilisés pour mille raisons. Je suis militant de l'environnement depuis une trentaine d'années. Le rythme de progression des quantités de nitrates dans la nappe de Beauce est aujourd'hui de 1 milligramme par litre et par an. Lorsque la première enquête approfondie a été publiée il y a trente ans, par le Bureau de recherches géologiques et minières avec une préface du préfet Paul Masson, ce rythme était déjà le même. Qu'a-t-on fait depuis lors ?

À mon sens, la question de la volonté d'être efficace est posée aux élus. Au fond, les élus sont responsables de tout, même si d'autres acteurs peuvent intervenir. Peut-être leur appartient-il de mettre en place des mécanismes permettant d'avancer. En tant que militant associatif représentant de la société civile et participant beaucoup à la pédagogie de l'environnement, je ne peux que militer pour les structures intermédiaires qui peuvent faire de la pédagogie et se greffer sur des organismes tels que des lieux de mémoire. Il est des débats qui sont peut-être difficiles à mener pour les élus. Je le comprends très bien. Des structures intermédiaires, comme les associations, pourraient les y aider.

Le domaine de l'environnement est gouverné par des sciences très différentes. On se heurte donc au cloisonnement des recherches, d'où la difficulté de coordonner les réflexions. En outre, cela contrarie de multiples intérêts. Il n'est donc pas étonnant que les choses n'avancent pas.

M. le Rapporteur : Avez-vous une connaissance des différentes approches internationales des problèmes d'inondations ? Avez-vous le sentiment que nous pourrions nous inspirer d'expériences étrangères ?

Concernant la gestion de l'eau, une tendance consiste à séparer les problèmes liés à l'eau comme ressource à ceux liés à l'eau comme risque. Quel est votre point de vue sur la question des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), dont la mise en _uvre est particulièrement lente ? Selon vous, les SAGE peuvent-ils être un outil convenable de prévention des inondations ?

Quelle est votre approche de la gestion des réseaux d'eau par grands bassins hydrographiques - agences de bassin, établissements publics territoriaux ? Quelles solutions préconiseriez-vous, puisque nous sommes ici pour rechercher des solutions non seulement techniques et administratives mais surtout législatives ?

M. Bernard ROUSSEAU : Il me semble que pratiquement tous les pays sont un peu dans la même situation. Aux États-Unis, on a essayé, avec l'efficacité américaine, de sécuriser le fleuve Mississipi avec des barrages et des digues. Les crues ont tout balayé, ce qui a beaucoup troublé tous les hydrologues du monde. C'était logique. Les événements sont tellement importants, les quantités d'eau en jeu si considérables que ces solutions ne sont pas adaptées. On en revient bizarrement au débat entre Saingeon et Comoy entre 1856 et 1866. On disait alors qu'il fallait construire quatre-vingts barrages pour protéger le bassin de la Loire, alors que leur fonctionnement corrélé eût été impossible.

L'équipe pluridisciplinaire est allée étudier des expériences étrangères, notamment lors des crues en Pologne. Un parallèle a été établi au terme duquel il est apparu que tous les pays étaient à peu près dans la même situation.

S'agissant de la gestion de l'eau et de la distinction entre le risque et la ressource, je considère que plutôt que de gérer de l'eau, on ferait mieux de gérer des milieux, c'est-à-dire des systèmes. L'eau ne fait que passer dans une rivière. Par des aménagements de bassin versant, l'on peut éliminer complètement les crues de faible ampleur.

On peut aussi créer de nouveaux problèmes. En Île-de-France, par exemple, l'effet urbain s'est cumulé au fil du temps. Chaque commune urbanise, aménage des parkings, imperméabilise les sols, jusqu'à l'excès. Selon moi, cela n'est pas géré. On n'a pas trouvé de réponse, mais je doute qu'on l'ait vraiment cherchée ou qu'on l'ait cherchée longtemps. Des responsables, élus ou fonctionnaires, ont exposé le problème, mais notre système organisé n'a pas su créer les mécanismes permettant de trouver les meilleures solutions.

Pour moi, en matière d'eau, ressource, risque et qualité sont indissociables : il y a la rivière dans son bassin versant. Par conséquent, toute solution passe d'abord par un SAGE, qui constitue l'entité géographique cohérente. Ensuite, il faut des hommes et des structures qui agissent sur le bassin versant. Vouloir régler les problèmes au seul niveau de la rivière est voué à l'échec. La loi sur l'eau de 1992 a ceci de positif qu'elle a créé les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Ils valent ce qu'ils valent, mais ils correspondent à une démarche à peu près rationnelle. Les SAGE, quant à eux, sont bien les outils adaptés à la gestion locale.

La difficulté, c'est que personne ne semble vouloir des SAGE. C'est trop compliqué. À cet égard, la loi sur l'eau ne me rassure pas beaucoup. La critique qui consiste à dire que les SAGE sont des usines à gaz n'est pas justifiée. Les problèmes de ressources, de qualité, d'inondation, de bassins versants, les problèmes humains forment une palette sacrément compliquée ! Il n'existe pas de solution simple à des problèmes hautement complexes. C'est pourquoi, le SAGE me paraît être une solution adaptée. Si les hommes se plaignent de subir tous ces inconvénients mais ne veulent pas s'en occuper, les SAGE ne progresseront pas. C'est pourquoi il convient de favoriser leur avancée.

Cependant, il importe de prévoir dès le départ le fonctionnement du SAGE. Lorsque le périmètre du SAGE nappe de Beauce a été arrêté, la commission locale de l'eau a été constituée - le sénateur Paul Masson en a été élu président - s'est réunie, a élaboré un règlement intérieur et a désigné son bureau. Mais ensuite, comment travaille-t-on ? Il n'y a rien de systématique. On parle d'établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), de communauté locale de l'eau, etc. Comme les gens ne sont pas sensibilisés, on ne peut pas avancer.

Il faut d'abord connaître les problèmes rencontrés, l'état du milieu, les informations disponibles, les études qui existent - il est inutile de refaire plusieurs fois la même chose - et celles qui font défaut. Le président de la commission locale doit disposer d'un secrétariat qui lui permette de travailler. S'il doit dépendre de la direction régionale de l'environnement ou de l'agence de l'eau, il ne peut guère être efficace dans les conditions actuelles. Ce travail de connaissance en amont du SAGE doit être l'occasion de faire de la pédagogie pour que la communauté locale de l'eau, éventuellement l'établissement public territorial, puisse se mettre au travail et élaborer un programme d'action.

Par conséquent, à mon sens, on a eu de bonnes idées mais on n'a pas pris les dispositions techniques à même de rendre le système immédiatement opérationnel. Car après, tout le monde se défile.

S'agissant des EPTB, je formulerai devant le président de leur association les réserves suivantes.

D'une part, si le découpage des agences de l'eau en bassins hydrographiques me semble pertinent - même si j'ai exprimé des critiques sur la composition des comités de bassin - il convient de s'interroger sur leur étendue. Un bassin comme celui de Rhin-Meuse, qui n'est pas trop grand mais qui doit faire face à de nombreux problèmes, fonctionne mieux qu'un grand bassin comme celui de la Loire ou d'Adour-Garonne.

D'autre part, pourquoi a-t-on besoin des EPTB ? Comment les EPTB pourraient-ils financer des travaux sur le SAGE nappe de Beauce qui concerne la région Centre et la région Île-de-France ? Cela suppose que les départements et les régions s'accordent pour lui fournir des moyens de financement. L'idée de base du SAGE, c'est que les habitants du périmètre sont concernés. Ils doivent cesser de considérer que c'est l'affaire de l'État ou de je ne sais qui d'autre. C'est à eux de faire le travail. Ils doivent être sensibilisés culturellement, ils doivent avoir une meilleure approche de la réalité. C'est à eux d'agir. Ils ne doivent pas être déresponsabilisés, même s'il peut y avoir des aides de l'État ou de l'agence de bassin.

Dès lors, comment l'EPTB doit-il intervenir ? Cela doit donner lieu à débat. Peut-on trouver une disposition technique à même de lui faire jouer tel ou tel rôle ? Je n'entrerai pas dans ce débat, mais il ne faudrait pas qu'il y ait chevauchement de rôles entre EPTB, agences de l'eau et comités de bassin.

Cela étant, je considère que la gestion par grands bassins doit être absolument conservée. Mais face aux critiques qui ont été formulées à l'encontre du fonds national de solidarité pour l'eau, je pense que l'État français doit néanmoins conserver une politique globale de gestion. Il est bon qu'il y ait des gestions bassin par bassin, mais il doit y avoir aussi un chef d'orchestre qui fixe de grandes orientations nationales.

M. le Président : Concernant la Loire, voyant que les SAGE ont quelques difficultés à se mettre en place, nous proposons de les aider dans le cadre de communautés locales. Comme vous l'avez dit, on assiste à des blocages.

M. Bernard ROUSSEAU : C'est regrettable, mais c'est un constat que nous faisons à peu près partout.

M. le Président : Monsieur le président, nous vous remercions.

Audition de M. Christian TERRIER,
directeur de l'ingénierie,

et de M. Jean-Paul GAUVIN,
directeur de l'exploitation de la
Compagnie nationale du Rhône

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 11 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Christian Terrier et Jean-Paul Gauvin sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. François Christian Terrier et Jean-Paul Gauvin prêtent serment.

M. le Président : Comme la commission d'enquête de 1994, nous avons souhaité entendre la Compagnie nationale du Rhône (CNR) en raison du rôle essentiel qu'elle joue dans l'aménagement et la gestion du Rhône.

La commission mesure chaque jour davantage l'enchevêtrement des compétences et des responsabilités en matière d'inondation tant les acteurs sont nombreux et leurs rôles pas toujours bien connus et peu coordonnés. Vous nous direz quel est exactement le rôle de la Compagnie nationale du Rhône et quelles sont ses relations avec les autres partenaires tels que l'agence de l'eau ou l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône.

Le fonctionnement de ses ouvrages est parfois controversé. Certains ont pu dire que leur existence a conduit à la disparition de nombreuses zones humides qui pouvaient servir à l'expansion des crues. Vous nous direz ce qu'il faut penser de ces critiques portées à l'aménagement aujourd'hui fort ancien du Rhône.

M. Christian TERRIER : Je vais vous présenter les missions de la CNR, le fonctionnement de nos aménagements et vous fournir des éléments statistiques sur les crues que l'on observe sur le Rhône avec des données relativement fiables depuis 1920 et des données sur des grandes crues depuis 1856. Je décrirai enfin nos relations avec un certain nombre d'acteurs que nous côtoyons quotidiennement sur le Rhône.

Dans le cadre de cette audition, nous avons travaillé sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles, ces dernières années, en lien avec le climat, l'environnement, l'urbanisme, l'utilisation des sols, l'établissement des responsabilités, les conséquences des intempéries, le coût et la pertinence des outils aptes à assurer face à l'aléa climatique la continuité de l'activité humaine dans le respect des sites et des paysages.

La CNR est une société anonyme d'intérêt général. Sa création repose sur les principes de la loi de 1921, visant à l'aménagement du Rhône du triple point de vue de la production d'énergie hydroélectrique, de la navigation et des usages agricoles, notamment l'irrigation. La Compagnie a été créée en 1933. Depuis la fin des années quarante jusqu'en 1986, elle a réalisé un ensemble d'aménagements, entre Génissiat, Seyssel et la mer, le premier ayant été le port Edouard-Herriot de Lyon. Aujourd'hui, la CNR gère aussi les deux écluses fluvio-maritimes de Port-Saint-Louis-du-Rhône et de Barcarin.

Ses missions, définies par la loi de 1921, ont été confirmées récemment par une mission interministérielle, la mission Achard. Le paysage électrique européen évoluant, la CNR va devenir après cinquante ans d'histoire commune avec EDF, le deuxième producteur français d'électricité, donc un acteur indépendant et de plein exercice dans ce domaine. Les principes de séparation avec EDF ont été arrêtés. La mission Achard a été chargée d'examiner comment pouvaient évoluer les missions de la CNR et ses cahiers des charges. La CNR est un concessionnaire qui agit en conformité avec un cahier des charges général et des cahiers des charges particuliers qui ont été rédigés à l'occasion de chaque aménagement.

Cette mission a confirmé les principes de la loi de 1921 et toute la pertinence de l'outil CNR. En revanche, dans le cadre de la révision des cahiers des charges, elle propose à un groupe de travail interministériel d'examiner comment des améliorations peuvent être apportées dans le domaine de la navigation et de la prise en compte des questions d'environnement. Celles-ci l'ont été progressivement au fil de la réalisation des différents ouvrages. On constate une évolution sensible entre Donzère-Mondragon, le premier aménagement réalisé sur le bas Rhône - je mets à part le cas particulier de Génissiat -, construit après la guerre, dans la période de reconstruction où l'argent était rare et où le beau était l'art industriel, et les derniers aménagements de Belley, Brégnier-Cordon et Sault-Brénaz. Si vous visitez la région, vous chercherez peut-être les usines car elles ont été complètement intégrées dans l'environnement. Depuis la fin des aménagements, l'on s'est demandé comment intégrer ceux exécutés les premiers. La mission Achard insiste sur cet aspect des choses.

Au titre des missions, je n'ai pas parlé de la protection contre les inondations. En effet, il n'est pas dans les missions de la CNR d'assurer la protection des riverains contre les inondations. La mission Achard l'a d'ailleurs rappelé en se fondant sur des réflexions engagées après les crues de 1993 et 1994, notamment en Camargue. Néanmoins, dans le cadre de l'aménagement global du Rhône, la CNR a, bien entendu, été amenée à se préoccuper de ces questions avec les services de ses deux ministères de tutelle, l'Industrie et l'Équipement, et avec toutes les collectivités riveraines du Rhône. Dans le cadre de toutes les enquêtes publiques, un certain nombre de leurs souhaits ont été pris en compte dans les cahiers des charges. Leur principe de base est que les aménagements ne doivent pas aggraver les niveaux de crue constatés à l'état naturel.

Je vais maintenant vous présenter le principe de fonctionnement d'un aménagement-type du bas Rhône, avec une écluse.

Le principe consiste à dériver une partie du débit dans un canal d'amenée vers une usine productrice d'énergie, à laquelle est accolée une écluse pour permettre le passage de la navigation et prolongée par un canal de fuite plus ou moins long. Il y a donc restitution entre le vieux Rhône, doté d'un évacuateur de crue, et à l'aval, le Rhône à son état naturel. Neuf mois par an en moyenne, le débit passe principalement par l'usine. Dans le vieux Rhône, un débit réservé, ou de salubrité, est maintenu pour permettre un écoulement à même de donner un aspect le plus proche possible de l'ancien Rhône, avec éventuellement des seuils en travers pour relever les niveaux. Dès que les débits deviennent supérieurs aux débits d'équipement de l'usine, le barrage ou l'évacuateur de crue s'ouvre et la partie excédentaire passe par le vieux Rhône. Ce barrage est donc bien un barrage évacuateur de crue.

Quel est l'effet de cet aménagement global sur les inondations ? À l'amont, des endiguements permettent de contenir l'eau dans la retenue. Ils sont généralement dimensionnés pour protéger contre un niveau de crue millénal. Dans la partie vieux Rhône, on retrouve un débit qui, en forte crue, est délesté de la partie passant par l'usine, soit un débit un peu inférieur à celui existant à l'état naturel. Dans la partie restitution, à l'aval immédiat d'un aménagement et en amont du suivant, sachant qu'il y a un aménagement environ tous les vingt kilomètres, on retrouve à peu près le Rhône naturel et les conditions d'écoulement naturel.

À l'état naturel, le Rhône disposait d'un certain nombre de zones d'inondation privilégiées. Elles ont été conservées. Sur l'ensemble de la vallée du Rhône, on en compte quatre importantes. Au niveau des retenues, elles peuvent être inondées, lorsque les débits deviennent importants, par des sections de contrôle d'inondation. Pour les petites crues, un grand nombre de zones sont protégées, mais pour les grandes crues, l'on retrouve quasiment un fonctionnement naturel et les zones d'inondation.

S'agissant des inondations, j'ai indiqué que l'aménagement du Rhône a permis de protéger un certain nombre de zones.

Pour l'ensemble du Rhône, environ 13 000 hectares ont été protégés des inondations. Ces protections se trouvent au droit des retenues où l'on a créé des endiguements et dans le vieux Rhône puisque l'on soulage le lit naturel du débit qui passe par le canal d'amenée et de fuite de l'usine. C'est comme si au droit du vieux Rhône et d'un canal usinier, l'on avait augmenté la section du fleuve, diminuant ainsi les hauteurs d'eau et réduisant les zones d'inondation.

Un certain nombre de surfaces ont été protégées. On entend, d'un côté, ceux qui veulent protéger davantage contre les inondations et qui trouvent que l'on n'a pas assez protégé, et, de l'autre côté, ceux qui souhaitent que l'on retrouve des zones d'inondation. Les uns et les autres ont sans doute raison. Les premiers souhaitent protéger des terrains en terme d'occupation des sols, les seconds souhaitent, au moyen de la récupération des zones inondées, soulager la rivière par des sortes de réservoirs qui permettraient de stocker de l'eau pour réduire les conséquences à l'aval.

Il convient de faire un calcul très simple. Il faut savoir que pendant les crues de 1993 et 1994 qui ont duré onze jours, 6,6 milliards de mètres cubes d'eau sont allés à la mer en 1993 et 6,1 milliards de mètres cubes en 1994, à comparer aux 40 à 50 milliards de mètres cubes annuels en année moyenne ou normale. Si les 13 000 hectares de terres protégées étaient inondés par un volume d'eau d'environ un mètre de hauteur, valeur sans doute exagérée car quelques centimètres suffisent pour qu'une zone soit considérée comme inondée, cela représenterait 0,15 milliard de mètres cubes. Autrement dit, ces zones représentant une infime partie de soulagement. De plus, lorsqu'elles sont pleines, elles n'ont plus d'efficacité.

Cela est dû au fait que les zones principales d'inondation ont été conservées. Pour les grandes crues, notamment en 1993 et 1994, les quatre zones que j'ai évoquées, qui sont destinées à être inondées en cas de grandes crues, ont été inondées. D'autres l'ont été, notamment la Camargue et la zone de Pierrelatte, au droit de Donzère-Mondragon, par rupture de petites digues syndicales, qui ne relèvent pas de la CNR et qui n'entrent pas dans la problématique d'aménagement du Rhône par cette dernière.

Les crues sont des phénomènes naturels. La pluie provoque des augmentations de débit, des débordements et des inondations. Lorsqu'elle a réalisé ses aménagements, la CNR avait pour obligation dans le cadre de ses cahiers des charges de ne pas augmenter le débit de la crue et même d'en minimiser les effets.

Les aménagements ont été faits de telle sorte que les zones qui sont inondées lors de grandes crues le sont dans des conditions moins dramatiques. Le principe est de commencer par les inonder doucement par des montées d'eau progressive avant l'arrivée de volumes d'eau importants. Lorsque se produit une inondation dans une zone qui n'est pas ainsi aménagée, il y a des déversements brutaux. Le débordement induit une dénivellation importante avec des effets significatifs sur le sol. L'aménagement a permis de modifier les conditions d'inondations afin que leurs effets soient moins graves.

La CNR assure bien entendu une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle dispose d'interconnexion avec le poste de surveillance hydraulique de Châteauneuf-du-Rhône et le poste centralisé de conduite de Génissiat où des opérateurs sont présents en permanence, d'un réseau de stations d'observation et de mesure tout le long du fleuve. Le dimensionnement des ouvrages sur les parties endiguées est prévu pour protéger contre les crues millennales, alors que la plupart des aménagements de rivière sont conçus pour protéger de crues centennales.

On observe le Rhône depuis 1856, année de crue de référence considérée comme de retour cent ans. Je livrerai à votre réflexion un certain nombre de données sur les crues décennales que j'ai synthétisées.

Dans la zone de Ternay, immédiatement à l'aval de Lyon, entre 1896 et 1943, sur une période de quarante-sept ans, on a constaté cinq crues décennales ou supérieures. Entre 1943 et 1957, sur quatorze ans, on a relevé quatre crues, soit une fréquence plus importante. Entre 1957 et 1983, sur vingt-six ans, il n'y a eu qu'une seule crue. Depuis, on a connu une seule crue importante, en 2001. On ne constate pas dans cette zone de crues exceptionnelles ou de retours de crues plus importants que sur toute la période précédente.

Dans la zone de Viviers, sur la partie centrale du bas Rhône, entre Lyon et la mer, entre 1931 et 1941, sur une période de dix ans, on a constaté sept crues parmi les plus importantes recensées. Entre 1941 et 1950, sur dix ans aussi, on n'en a subi que deux. Entre 1950 et 1960, toujours sur dix ans, on en a relevé six. Entre 1960 et 1988, sur une période de vingt-huit ans, on n'a relevé que quatre crues. Sur le Rhône, les crues de 1993 et 1994 ont surpris beaucoup de monde parce que l'on avait vécu une très longue période, de près de trente ans, avec très peu de crues. De plus, celles-ci étaient certes importantes mais relativement effacées par les aménagements du Rhône, car elles ont été contenues dans les endiguements et soulagées dans le vieux Rhône. Entre 1990 et 2001, période de onze ans, on a relevé six crues, soit pratiquement autant qu'entre 1930 et 1940 et qu'entre 1950 et 1960.

À Beaucaire, l'on fait à peu près la même constatation. Entre 1856 et 1951, on a relevé dix crues supérieures à la crue décennale. Entre 1951 et aujourd'hui, soit cinquante ans on n'a dénombré que quatre crues. Il n'y a donc pas eu de phénomène exceptionnel. Je réponds ainsi à une préoccupation exprimée. On entend beaucoup parler de l'effet du changement climatique. Sur le Rhône, on ne le constate pas.

Néanmoins, les crues sont-elles plus importantes, les débits plus soutenus ?

Sur ce sujet, nous avons fait réaliser un graphique assez parlant sur l'évolution de la crue centennale à la station de Beaucaire, à l'aval du Rhône. En exploitant un certain nombre de données dont on disposait en 1940 avec différentes méthodes statistiques, on obtient une courbe de débits correspondant à une certaine période de retour. Avec la méthode de Gumbel, qui est celle utilisée sur le Rhône, le débit de crue centennale était de 11 200 mètres cubes par seconde. Avec d'autres méthodes, on trouve des débits plus bas. La méthode retenue d'emblée par les ingénieurs de la CNR va dans le sens de la sécurité. En faisant des calculs identiques avec les données dont on disposait en 1960, l'on retrouve pratiquement le même débit. En poursuivant l'étude, on obtient une évolution assez régulière et l'on voit l'effet des deux dernières crues de 1993 et 1994, qui fait relever légèrement la courbe. La période 1960-1980 a écrasé la courbe et l'on retrouve aujourd'hui un point tout à fait normal.

Par conséquent, sur le Rhône, à une période de retour donnée, le débit de crue n'est pas plus important.

La sécurité des tiers étant pour nous une préoccupation majeure, j'évoquerai l'entretien et la maintenance des ouvrages.

La CNR réalise annuellement 30 à 40 millions de francs de travaux de dragage. Ils ont pour but, pour une faible partie, de maintenir un chenal de navigation conforme au gabarit contenu dans le cahier des charges, et pour une plus grande part, d'entretenir les lits du Rhône pour disposer d'une capacité d'évacuation des crues suffisante.

Sur ce point, au regard de la loi sur l'eau, nous avons des discussions approfondies et fructueuses mais qui n'ont pas encore abouti avec un grand nombre de partenaires - l'agence de l'eau, la direction régionale de l'environnement, la direction régionale de l'industrie, le service navigation, c'est-à-dire tous les services de l'État concernés - afin de définir une méthode d'entretien technico-administrative qui permette à la CNR de respecter les obligations de son cahier des charges tout en n'étant pas hors la loi. C'est un défi difficile, mais nous sommes sur le point d'aboutir.

Si l'on s'en tenait à la loi sur l'eau, on ne pourrait pas entretenir le Rhône correctement et, en période de crue, on aurait des problèmes d'inondation plus importants. Je tenais à le souligner parce que nous participons au comité national technique sur la gestion des sédiments. Les grands fleuves ont des dynamiques complètement différentes de celles des canaux du Nord. En terme de loi sur l'eau, on ne peut pas aborder la question de la même façon. Comme je le disais à un certain de nombre de nos partenaires et interlocuteurs, je préfère aller devant un tribunal administratif parce que je n'ai pas respecté la loi sur l'eau que devant un tribunal pénal parce que j'ai inondé des gens que je ne devais pas inonder.

Je tiens à vous présenter le communiqué de presse qui a été fait à l'issue des crues de janvier 1994, qui ont été un événement très fort pour la compagnie et pour toute la vallée du Rhône. Nous nous sommes beaucoup expliqué avec les collectivités locales et les riverains. Il fournit tous les éléments essentiels. Je vous en donne lecture.

« La vallée du Rhône a subi, le 8 janvier, la crue la plus importante connue dans sa partie aval, son débit a atteint 11 000 m3/s à Beaucaire, équivalent à celui de mai 1856, alors que celui d'octobre 1993 avait été de 9 800 m3/s. En quatre jours et demi, le volume d'eau qui a transité à Beaucaire a été de 3 milliards de mètres cubes, soit trois fois le volume du réservoir de Serres-Ponçon, plus grande retenue de France.

Cette crue a affecté particulièrement le bas Rhône à l'aval de Valence. Les pluies diluviennes se sont poursuivies, notamment sur les Cévennes et les Préalpes.

Dans la nuit du 10 au 11 janvier, le Rhône a connu une crue de moindre amplitude mais de montée très rapide qui a atteint 5 700 m3/s à Viviers. Ce soir, 11 janvier, le débit approche les 8 000 m3/s à Beaucaire.

Les aménagements du Rhône servent à des usages multiples. Ils ne sont pas des réservoirs de stockage, ils sont conçus pour laisser passer en période de crue les eaux comme à l'état naturel. Lors des grandes crues du fleuve, certaines zones autrefois systématiquement inondées le sont encore. Cette inondation plus rare qu'avant les aménagements se fait en des points répertoriés, prévus et connus. Dans ces zones la submersion se produit de manière moins dommageable pour les terres inondées. Globalement, les aménagements réalisés par la CNR protègent complètement plus de 13 000 hectares, soit un tiers des surfaces auparavant régulièrement inondées par le Rhône.

L'alerte des populations est assurée par les services de l'État, notamment la Protection civile. La CNR leur fournit toutes les informations dont elle dispose. Nous sommes un fournisseur de données.

De plus, la Compagnie nationale du Rhône a pris l'initiative de mettre au service du public un moyen d'information par Minitel : 3615 INFORHONE. Il donne les débits et les cotes régulièrement actualisés en un certain nombre de points du fleuve. Ce service a été intensivement utilisé : 2 900 consultations ont eu lieu au cours des journées des 7 et 8 janvier. Nous avions mis ce service à disposition du public au cours du deuxième semestre de 1992.

Les agents d'exploitation assurent sur le terrain une permanence sur les secteurs en situation de crise. »

Une telle mobilisation s'est produite en mars dernier, dans la région de Ternay, où des équipes étaient présentes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, notamment à Saint-Romain-en-Gal. Grâce à une surveillance permanente, on a pu un peu déroger aux consignes d'exploitation d'une station de relevage et éviter des inondations de parties basses, tout en assurant un niveau de sécurité optimale.

M. le Président : Vous nous avez dit que la loi sur l'eau est plus difficilement applicable à un grand fleuve aménagé qu'à des canaux. Quelles seraient pour vous les modifications ou les souplesses à lui apporter pour lui permettre d'être plus facilement applicable à l'ensemble des cours d'eau ?

J'ai cru comprendre que le fait qu'une société ait la responsabilité de l'aménagement du Rhône permet un entretien plus efficace et plus rapide et donc d'apporter de meilleures protections. Il est vrai qu'il existe deux sortes de fleuves : ceux qui sont très aménagés et ceux qui ne le sont pas du tout ou peu. Sur ces derniers, il est très difficile d'intervenir car il n'existe pas de règlement bien établi. Pensez-vous que l'on est mieux à même de protéger les populations ou de les informer sur le Rhône, dont vous suivez le cours de très près, que sur d'autres fleuves qui ne sont pas entretenus par une société ?

M. Christian TERRIER : Ma remarque portait sur un point particulier de la loi sur l'eau qui est l'entretien des canaux, des rivières et des fleuves. Je pense que la loi n'est pas adaptée à de grands cours d'eau comme le Rhône, la Seine ou la Loire. Je propose de continuer à travailler dans le cadre du comité national technique sur la gestion des sédiments, qui s'est emparé du problème au sein du ministère de l'Environnement, et de tenir compte de ses propositions relatives à la gestion des grandes rivières. D'ailleurs, le rôle de ce comité technique national est d'éclairer le législateur. Je ne suis pas sûr que l'on ait intégré dans le projet de loi sur l'eau certains travaux qui y ont été réalisés.

Concernant l'aménagement, le statut de la CNR est tel qu'elle peut gérer un ensemble d'aménagements dans un souci de protection globale, notamment par rapport aux inondations. Il s'agissait initialement d'organiser une production électrique permettant de financer l'aménagement avec une vision globale. Il n'y a pas de schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) sur le Rhône mais il en existe sur différents affluents.

Vous évoquiez parmi les partenaires l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône (IIRS). Nous avons lancé avec elle, et avec la direction régionale de l'environnement (DIREN), une étude hydraulique globale du Rhône, à la suite des crues de 1993 et de 1994 à la demande de M. Barnier.

L'IIRS est maître d'ouvrage avec nous de cette étude qui est bien avancée. Toute la partie hydrologie et hydraulique est réalisée. On en est à faire fonctionner les modèles mathématiques pour déboucher sur l'examen de l'occupation des sols. On sent bien que c'est là qu'il y aura le plus de discussions. La vallée du Rhône est occupée depuis très longtemps, elle est très urbanisée, elle a une agriculture assez riche. Il sera difficile de modifier beaucoup l'aménagement en ayant le souci de préserver au maximum des zones d'expansion de crues. Compte tenu des volumes d'eau qui s'écoulent pendant les grandes crues, on trouvera difficilement des zones tampons pour pouvoir soulager le débit du Rhône.

L'aménagement a été vu dans sa globalité, comme sur le Mississipi, sur lequel les données statistiques n'étaient peut-être pas aussi fiables. Le Rhône est le fleuve sur lequel il y a le plus de données dans le domaine de l'hydrologie, de l'hydraulique et même de l'environnement. Pour le Mississipi, l'on manquait sans doute de recul sur ces données. C'est sans doute pourquoi on y a connu une catastrophe.

M. le Rapporteur : Je vous poserai une question sur un point qui m'intéresse après les quelques jours que je viens de vivre dans le département de la Somme. Lors de son audition en 1994, votre prédécesseur évoquait les incidences des grands projets type TGV sur l'écoulement des eaux en cas de crue. Il soulignait le problème posé par la construction de remblais dans les plaines soumises aux crues. A-t-on tenu compte de cet avis lors des travaux du TGV Méditerranée ? Je vous pose la question parce que l'autoroute du Nord a joué un rôle d'accélérateur dans l'inondation de ma propre commune, ces deux derniers jours.

M. Christian TERRIER : Je vous répondrai très précisément. En terme d'impact hydraulique, la collectivité n'avait jamais fait autant d'études que celles réalisées sur le Rhône pour le projet de TGV. Les conditions fixées pour réaliser les ouvrages sont claires : ils ne doivent entraîner aucune aggravation. Tout a été réalisé dans cet objectif. Des mesures compensatoires ont été conçues. Je pense notamment aux ponts TGV qui traversent plusieurs fois le Rhône et dont la réalisation a été précédée de dragages très importants à l'aval pour compenser les surélévations de lignes d'eau. En outre, tous les remblais ont été dotés d'ouverture, de décharges, qui permettent d'éviter des effets en cas d'inondation.

Le projet TGV a fait l'objet d'études d'impact et hydrauliques approfondies avec le souci d'un impact pratiquement nul. Ce qui n'était pas le cas pour l'autoroute A7, pour un certain nombre d'aménagements de voirie et pour certaines voies ferrées traditionnelles.

M. le Rapporteur : Un plan décennal de restauration hydraulique et écologique du Rhône a été élaboré en 1999. Êtes-vous impliqué dans ce plan ? Si oui, quel est votre rôle ? Quelles mesures prennent en compte la prévention des inondations ? Disposez-vous d'un bilan de cette opération ?

M. Christian TERRIER : Nous participons techniquement et financièrement au plan décennal de restauration hydraulique et écologique du Rhône. Le financement de cette opération est assuré à hauteur d'un tiers par la CNR, d'un tiers par l'agence de l'eau et pour le reste pas les collectivités locales. Mais il concerne plus particulièrement l'environnement. Les principaux axes de ce plan sont : l'augmentation des débits réservés dans le vieux Rhône ; le développement d'un schéma migrateur permettant aux poissons de remonter et la restauration des annexes fluviales, c'est-à-dire les anciens bras du Rhône. Cela conduit à entretenir des bras anciens du Rhône qui vont dans le sens de l'écoulement des eaux. Mais ce plan décennal ne comporte pas de volet inondation.

M. Pascal TERRASSE : J'interviendrai à la fois comme membre de cette commission et comme président de l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône, qui deviendra d'ici quelques mois l'Institution du Rhône.

Il est évident que la CNR, société anonyme d'intérêt général, est en voie de transformation. La mission Achard propose un certain nombre d'orientations. Vous dites que votre société doit devenir à terme un producteur d'électricité indépendant et de plein exercice. Le décret de 1921, qui vous donnait un certain nombre de compétences en matière de production d'énergie, d'irrigation et de navigation, va demeurer. Toutefois l'État récupère une partie de la rente du Rhône, calculée sur le nombre de kilowattheures produits. Or cette rente, qui devrait servir à résoudre un certain nombre de problèmes, dont celui des inondations, ne revient pas nécessairement au Rhône. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Je partage entièrement votre analyse quant à la loi sur l'eau s'agissant notamment du Rhône. Je considère que telle qu'elle est conçue, elle est dangereuse pour les populations. Vous venez d'en apporter la confirmation et je m'en félicite. Aujourd'hui, la CNR, les pouvoirs publics, les décideurs locaux souhaitent voir effectuer des missions de dragage dans le bras mort du Rhône, ou vieux Rhône, mais c'est difficilement réalisable en raison de la loi sur l'eau. Les services de la navigation sont très réticents. Je pense que, dans le cadre de la prochaine loi sur l'eau, il conviendra de revoir les dispositions législatives afin de prévoir des dispositions spécifiques aux grands fleuves français.

Vous le savez, la loi Barnier prévoit que les zones soumises aux aléas les plus forts ne peuvent plus faire l'objet de constructions. Il a même été envisagé la disparition de certaines activités à caractère économique ou agricole. Qu'en est-il aujourd'hui ? Peut-on estimer que depuis l'entrée en application de cette loi, du lac Léman à la mer, des activités économiques ont disparu ?

Par ailleurs, il existe un zonage à proximité du Rhône. On trouve la zone A, qui est soumise aux aléas d'inondabilité les plus forts, la zone B et la zone C. Ce zonage a été déterminé par un décret au début du siècle dernier. Depuis, de nombreux aménagements ont été réalisés. Ne serait-il pas temps de revoir ce décret ?

Je ne partage pas votre point de vue sur le plan décennal. Je rappelle qu'il a été mis en place par l'État à la suite du débat que nous avions eu dans le cadre de la mission canal Rhin-Rhône. À l'initiative de certains parlementaires dont je faisais partie, la ministre de l'Environnement s'était engagée à mobiliser, à titre de compensation, des crédits importants - 300 millions de francs sur dix ans - pour conduire des actions en matière d'environnement. Aujourd'hui, en tant que membre du comité de pilotage de ce plan au titre du conseil régional, je constate qu'aucune action concrète n'a été engagée. Depuis 1998 ou 1999, je n'ai pas le sentiment que quelque chose ait été fait, en dehors des études, notamment par l'intermédiaire de la CNR.

Enfin, je crois que le bassin versant du Rhône nécessitera la mise en place prochaine d'un schéma d'aménagement et de la gestion de l'eau (SAGE). Comme vous l'avez évoqué, tous les affluents du Rhône ont mis en place leur SAGE et sont assainis. Seul le Rhône ne l'est pas. Comment développer des activités touristiques si ce fleuve n'est pas assaini ? Cela doit devenir à terme un grand projet d'aménagement pour le Rhône.

M. Christian TERRIER : La mission Achard a clairement rappelé les missions de la Compagnie qui, producteur indépendant de plein exercice, devra remplir ses missions dans le cadre de ses cahiers des charges. Il existe sur chaque kilowattheure produit sur le Rhône une taxe, la taxe hydro-électrique, dont le montant est passé de 8,48 à 5,5 centimes. L'État dit ce qu'il fait de cette taxe. En 1921, la notion de super bénéfice avait été évoquée avec une répartition entre les actionnaires, les collectivités et l'État. Cela relève du législateur. La CNR n'est pas partie prenante. La taxe lui est prélevée. Elle préfère qu'elle revienne sur le Rhône pour la raison évidente qu'elle a des missions à remplir sur le Rhône et que si cette taxe permet de les financer, cela simplifie le problème.

Concernant le plan décennal, il est vrai que l'on tourne un peu en rond autour du financement. Pour autant, on ne peut pas dire que rien n'a été fait. L'opération d'augmentation des débits réservés à Pierre-Bénite n'y figure pas, mais en était en fait une anticipation. À ce titre, on pourrait presque dire que le plan décennal a freiné une certaine dynamique à cause du financement. Les quelque 350 millions de francs que vous avez cités représentent la part CNR, mais au total ce plan représente 1 milliard de francs : 350 millions de francs pour la CNR, 350 milliards de francs pour les agences, le reste étant à trouver auprès des collectivités territoriales.

Quant aux zones A, B et C, elles sont assez anciennes. Le service navigation Rhône-Saône, pour le Rhône, est chargé de faire appliquer ces règles en matière d'urbanisme. Il examine actuellement la réactualisation de ces différentes zones.

S'agissant du SAGE, vous avez abordé la qualité de l'eau, sujet qui ne concerne pas directement la CNR.

M. le Rapporteur : Vous avez porté une critique sur la loi sur l'eau. Pouvez-vous me l'expliciter concrètement car je ne suis riverain ni du Rhône, ni de la Seine, ni de la Loire ?

M. Christian TERRIER : La critique porte sur un point particulier. Lorsque nous constatons la nécessité d'opérer des dragages d'entretien, notamment pour permettre l'écoulement des eaux en cas de crue, si l'on applique à la lettre la loi sur l'eau, il faut attendre un an ou plus pour commencer les travaux. Or, dès que nous constatons une opération à engager, elle devient urgente. Pendant un certain nombre d'années, nous avons pu invoquer la notion d'urgence, maintenant l'administration nous empêche de le faire. Pourtant, en tant que concessionnaire tenu au respect d'un cahier des charges, nous devons, dès que nous constatons une difficulté, faire en sorte de ne pas l'aggraver, alors que la loi sur l'eau oblige à recourir à des procédures très longues. D'où l'idée de fixer un cadre technico-administratif, d'intervenir immédiatement et de rendre compte a posteriori.

M. Paul DHAILLE : Vous avez dit que l'approfondissement du chenal pouvait être un moyen d'éviter des catastrophes. Que ce soit sur les petites rivières ou sur les fleuves, la doctrine actuelle tend à considérer que tout dragage ou curage n'a aucun effet sur le phénomène de crue puisqu'en approfondissant le lit, on ralentit le débit et l'on réduit l'auto-curage. Je l'ai entendu dire à de multiples reprises. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

M. Christian TERRIER : Je vais préciser mon propos. L'intervention par dragage se justifie lorsque l'on constate que des apports réduisent la section d'écoulement. Ce n'est donc pas un sur-creusement par rapport à l'état naturel. Il s'agit d'éviter que les inondations aient des effets plus importants. On enlève les apports pour retrouver des conditions d'inondation normales.

M. Paul DHAILLE : Je l'avais bien compris. Je ne me situais pas dans l'hypothèse où, par exemple, sur le chenal de la Seine, l'on passe de 10,5 à 11,5 mètres pour faire remonter des bateaux de tel tonnage à tel tonnage. Je faisais allusion aux dragages ou aux curages liés à l'apport de matériaux après de fortes pluies. J'ai toujours entendu répondre par les services de l'État, auxquels nous demandions l'autorisation de curer des rivières, que le rétablissement du chenal limiterait la vitesse de l'eau et empêcherait l'auto-dragage. C'est la première fois que j'entends l'avis contraire. Cela n'engage d'ailleurs que vous. Je suis sûr que des tas de gens diront le contraire.

M. Christian TERRIER : Il ne me gêne aucunement qu'il soit noté que pour que les conditions d'inondation normales soient rétablies, il faille enlever les matériaux venus se déposer en excès. Cela étant, chaque rivière a un profil différent. Il est vrai qu'en réduisant la section d'écoulement, l'on augmente la vitesse et l'on favorise l'auto-curage, jusqu'au profil d'équilibre lié au débit d'apport de l'amont. S'il y a auto-curage, il y a enlèvement de matériaux et tendance à retrouver la section d'équilibre. Mais avant d'y parvenir, on rehausse les lignes d'eau à l'amont, au risque de provoquer des débordements. Le dragage a pour vocation de rétablir immédiatement le profil d'équilibre et d'éviter, pendant un certain temps, des dégradations à l'amont.

M. Paul DHAILLE : Je suis un élu de la Seine où il n'y a que des ports autonomes. En existe-t-il sur le Rhône ? Si oui, quels sont les rapports entre les ports autonomes et la Compagnie nationale du Rhône ?

M. Christian TERRIER : Il n'y a pas de port autonome sur le Rhône. Il y a un port important - à Lyon - et des zones portuaires qui sont dans la concession de la CNR. Nous n'avons pas de relations avec des ports autonomes, mais des relations avec des gestionnaires de plates-formes portuaires qui peuvent être des chambres de commerce par exemple.

M. Paul DHAILLE : Puisque vous avez évoqué à la fois la Seine et le Rhône dans votre propos, pensez-vous que la présence d'un gestionnaire unique est une bonne solution pour la gestion et l'entretien d'un fleuve ?

M. Christian TERRIER : J'en suis parfaitement convaincu. La CNR s'est préoccupée de l'aspect environnemental. Elle a mis en place une charte d'environnement, un plan pluriannuel d'action pour l'environnement. Dans un contexte un peu particulier, notamment avec la relation économique très particulière qu'elle avait avec EDF, nous avons pu agir. Nous avons notamment réalisé l'augmentation des débits du vieux Rhône à Pierre-Bénite. Le jour où le plan décennal a été mis en place avec une foule d'acteurs qui tous ont de bonnes idées, on a eu le sentiment que tout se bloquait. La prise de décisions est difficile. Le problème des financements se pose aussi. Il est certain qu'un gestionnaire unique facilite grandement les choses.

M. Paul DHAILLE : À l'instar d'un certain nombre de membres de la commission, vous pensez que lorsqu'il y a différents intervenants, les priorités ne sont pas les mêmes. Entre la pêche, l'environnement, la navigation, l'agriculture, les intérêts peuvent être fortement contradictoires. Vous estimez qu'une autorité unique de gestion sur des grands fleuves et sur leurs affluents, dans la mesure où l'on parvient à classer les intérêts par ordre de priorité, est une garantie de bonne gestion ?

M. Christian TERRIER : L'exemple de l'aménagement du Rhône et de sa gestion est là pour le montrer.

M. Jacques BASCOU : Vous avez mentionné l'intérêt de mettre en place un SAGE. Qui dit SAGE, dit commission locale de l'eau. Comment l'intervention des usagers, de l'administration et des élus peut-elle s'articuler avec la vôtre ?

M. Christian TERRIER : Ce serait effectivement très compliqué à monter.

M. le Rapporteur : Vous ne gérez pas l'intégralité du cours du Rhône puisque la Camargue n'est pas de votre ressort, mais devant la commission d'enquête de 1994, la rénovation des digues de la Camargue avait été évoquée. Avez-vous réfléchi sur cette question et avancé dans ce domaine ?

M. Christian TERRIER : La question a été évoquée à la suite des crues de 1993 et 1994. La CNR n'avait pas spécialement vocation à y réfléchir. Après avoir examiné la question, elle a constaté que ses cahiers des charges n'en traitaient pas du tout. Dans le cadre de l'évolution des cahiers des charges, M. Achard a précisé que la protection contre les inondations ne figurait pas parmi les missions de la CNR et, par conséquent, que les digues de Camargue en étaient exclues. Les problèmes de fond sont, d'une part, la maîtrise foncière et, d'autre part, les financements.

M. le Président : On bute toujours sur les financements et la maîtrise foncière. En matière de fleuves et de rivières, ce sont des sujets difficiles à résoudre.

Audition de M.  Jacques MASSON,
directeur de l'hydraulique,

et de M. Daniel DUBOIS,
adjoint au directeur de la division de la production nucléaire d'EDF

(extrait du procès-verbal de la séance du 11 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

MM. Jacques Masson et Daniel Dubois sont introduits.

M. le Président leur rappelle le mode de fonctionnement de la commission et leur indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Jacques Masson et Daniel Dubois prêtent serment.

M. le Président : La commission d'enquête a souhaité entendre les responsables d'EDF pour deux raisons. La première tient à l'existence des barrages et divers ouvrages appartenant à l'EDF. Nous aimerions savoir comment leur gestion peut être conciliée avec la prévention ou la régulation des inondations. La seconde tient à l'incident de la centrale du Blayais survenu en décembre 1999. Vous nous direz comment EDF a pris en compte le risque d'inondation pour assurer la sécurité de ses centrales.

M. Jacques MASSON : Les ouvrages hydrauliques ont plusieurs finalités. Les usages les plus fréquents sont : la production d'énergie électrique, la constitution de réserves d'eau pour divers usages - irrigation, industrie, alimentation en eau potable -, la régulation des cours d'eau - soutien d'étiage, notamment dans le Sud-Ouest et écrêtement de crues - la navigation, le tourisme et les loisirs.

La gestion de ces ouvrages dépend des types de réservoirs utilisés, ce qui révèle déjà une contradiction. L'objectif est de rechercher un volume maximum pour la majorité des barrages et une hauteur maximum pour les réservoirs à vocation énergétique. On a intérêt à ce qu'un réservoir pour l'eau potable ou pour la production d'électricité soit le plus plein possible. En effet, plus haute est la chute, plus l'on produit de kilowattheures. Parallèlement, pour les barrages écrêteurs de crues, l'objectif est le creux maximum. On voit bien là toute la difficulté de la gestion multiple. Il s'agit pour nous de résoudre la contradiction entre ces deux types de gestion.

On distingue plusieurs types d'aménagements suivant les possibilités de modulation de leurs réserves. Le premier est le barrage en rivière, appelé barrage au « fil de l'eau », sans réserve d'eau. L'eau est turbinée ou évacuée. En cas de crue, on ouvre le barrage. Deuxièmement, si les apports moyens de la rivière remplissent la retenue en quelques heures, les ouvrages correspondants sont dits « d'éclusée journalière ». Enfin, les ouvrages dits de « réserve saisonnière » sont ceux des grands lacs des Alpes et des Pyrénées. On stocke au printemps, voire au début de l'été, et l'on turbine en hiver. La courbe type d'une grande retenue comme celle de Serre-Ponçon est la suivante : elle est pleine à la fin de l'été ; le volume se réduit ensuite progressivement parce que l'on turbine pour produire de l'électricité pour être au plus bas au printemps. Cette gestion permet de concilier la production d'électricité et les utilisations touristiques.

Lors de leur construction, les barrages sont équipés d'évacuateurs de crues dont l'objectif est de laisser passer l'eau qui ne peut être stockée dans le réservoir. Ils sont de deux types : à déversoir ou à vannes, lesquels permettent de mieux contrôler l'évacuation.

Pour gérer les ouvrages, nous avons besoin de prévisions. C'est pourquoi nous avons plus de mille points de mesure qui nous permettent de prévoir les apports à court terme. Au-delà de quelques heures, les éléments sont beaucoup moins fiables.

Quelle est l'influence des barrages sur les crues ? Le paramètre fondamental est le rapport entre le volume de la crue et le volume stockable. Si l'eau arrive dans un barrage déjà plein, nous ne pouvons que transmettre le débit à l'aval. Si la crue arrive à l'amont d'un grand barrage dans une période de creux, c'est-à-dire au printemps, elle peut-être atténuée. Les crues d'automne induisent de plus graves conséquences à l'aval car les réservoirs sont pleins. L'effet dépend aussi du type de réservoir. Avec un barrage « au fil de l'eau », nous n'avons pas de réserve, avec un ouvrage d'éclusée, nous avons une petite réserve, avec les grands lacs, nous en avons un peu plus.

Suivant le type de réservoir, l'effet sur le débit relâché lors d'une crue importante sera différent. Les petites retenues se remplissent très vite et nous n'avons d'autre solution que de renvoyer à l'aval l'eau qui arrive à l'amont. En aucun cas un barrage ne doit aggraver une crue. Il peut stocker de l'eau et diminuer l'importance de la crue, ou restituer à l'aval l'équivalent de ce qui arrive à l'amont. Pour des réservoirs plus importants, même lorsqu'ils sont à une cote haute, l'effet sera bénéfique et se traduira par une atténuation des débits.

J'étais en région Méditerranée au moment des crues de 1994. Il y avait une certaine incompréhension de la distinction entre notre gestion des barrages au fil de l'eau, qui doivent être ouverts tout de suite sous peine de noyer les rives à l'amont, et notre gestion des barrages d'altitude, où le stockage est possible. Mais dès qu'un tel barrage est plein, il devient « transparent », quelle que soit sa taille.

Pour les petites crues, de fréquence annuelle, le barrage joue un rôle important. De fait, on constate une diminution du nombre de crues de fréquence annuelle. Dans la vallée de la Durance, par exemple, les habitants se sont habitués, depuis quarante à cinquante ans, à ne plus subir de crue tous les ans. En revanche, pour des crues exceptionnelles, de durée de retour supérieure à dix ou cinquante ans, l'influence des barrages devient quasi nulle quand les réservoirs sont remplis. Ils induisent seulement un décalage dans l'effet de la crue.

Pour EDF, gérer la crue consiste en premier lieu à respecter les conditions de fonctionnement des ouvrages. Il importe de ne pas dépasser la cote des hautes eaux - un barrage en terre comme celui de Serre-Ponçon n'admet pas de surverse - et de ne pas évacuer plus d'eau qu'il n'en arrive.

En conclusion, la gestion énergétique des réserves n'aggrave pas les conséquences des crues. Si tel était le cas, cela signifierait une exploitation incorrecte de notre part. La gestion des barrages atténue en revanche souvent les effets des petites crues.

Nous avons eu un grand débat avec les élus bretons qui portait sur la possibilité d'anticiper et d'atténuer plus fortement les crues, c'est-à-dire d'augmenter la capacité d'un barrage comme celui de Guerlédan avant l'arrivée d'une crue. Nous testons cette nouvelle méthode. Cela a permis d'améliorer la situation lors des dernières crues mais nous utilisons cette méthode avec beaucoup de précautions dans la mesure ou l'anticipation revient à lâcher de l'eau à l'aval au moment où ce n'est peut-être pas le plus justifié. Si la réalisation n'est pas conforme aux prévisions, on envoie de l'eau à l'aval quand ce n'est pas nécessaire. Nous avons accepté, avec le concours des pouvoirs publics, d'expérimenter une telle consigne d'exploitation en Bretagne.

M. Daniel DUBOIS : J'évoquerais, pour ma part, la sécurité des centrales nucléaires. Je rappelle qu'elles sont au nombre de cinquante-huit réacteurs répartis sur vingt sites différents. La production est répartie entre trente-quatre tranches identiques d'une puissance de 900 mégawatts, vingt tranches d'une puissance de 1 300 mégawatts et quatre - les plus récentes - d'une puissance de 1 500 mégawatts.

Les principes de protection contre les inondations des sites nucléaires sont édictés dès la conception. Pour chaque site est établie une cote majorée de sécurité (CMS) égale au niveau de la crue millénale augmentée de 15 %. Cette cote correspond à une crue pouvant se produire tous les dix mille ans. Au titre des dernières règles de sécurité, on ajoute encore vingt centimètres. On obtient ainsi le niveau de calage de la plate-forme du site. Si elle n'est pas à ce niveau, il convient de construire une digue de protection.

Prises en compte à la conception, ces normes évoluent, d'une part, parce que les règles peuvent évoluer et, d'autre part, parce que l'environnement évolue. On connaît mieux la façon dont les crues peuvent se produire. De plus, le lit des fleuves subit des transformations. Il a donc été prévu de revoir tous les dix ans le calcul de la cote majorée de sécurité et, en conséquence, les protections.

J'en viens à l'événement du Blayais, du 27 décembre 1999, qui a provoqué une inondation d'une ampleur sans précédent sur un site nucléaire. Il convient toutefois de noter, comme cela a été abondamment évoqué à l'époque, notamment lors des discussions avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et son Rapporteur M. Claude Birraux, qu'il n'y a pas eu de conséquences sur l'environnement et que le refroidissement du réacteur a toujours été assuré. Néanmoins, un certain nombre de circuits de sécurité ont été indisponibles. Des pompes ont été noyées. Il fallait tirer le plus rapidement possible les enseignements de cet événement pour faire en sorte qu'il ne puisse plus se reproduire.

Nous avons immédiatement lancé un programme en trois phases.

D'abord, nous avons établi sur chaque site nucléaire un état des lieux des protections en place et nous nous sommes assurés que toutes les protections existantes étaient parfaitement opératoires. Sur le site du Blayais, ce n'était pas tout à fait le cas pour certains murs et certaines portes de galeries. Nous avons remis à niveau tous les sites dans les six mois qui ont suivi.

Ensuite, l'événement du Blayais ayant montré que les méthodes de calcul de hauteur d'eau, notamment pour les estuaires, n'étaient pas parfaitement au point, nous les avons revues à l'été 2000, puis nous les avons mises en _uvre sur tous les sites, en commençant bien entendu par celui du Blayais.

Sur ce site, les calculs ont montré qu'il était nécessaire de rehausser la digue d'un mètre et de lui adjoindre un mur anti-houle. À l'origine, on avait considéré que c'était plutôt un site de rivière mais la tempête a montré qu'il pouvait être atteint, de façon transitoire, par des vagues très importantes. On a donc ajouté, côté mer, un mur de 2,3 mètres de hauteur au-dessus de la digue qui a porté la hauteur totale de la protection à 8,5 mètres, contre 5,2 mètres lors de l'événement. Ces travaux ont été achevés en mars 2001. Côté marais, le rehaussement de la digue est en cours d'étude.

Des études identiques ont été lancées sur l'ensemble des sites nucléaires. Elles ont été faites sur les sites de Gravelines et de Golfech, ainsi que sur les sites de bords de Loire, Dampierre, Saint-Laurent, Chinon et Belleville. Sur ce dernier, le nouveau calcul de la cote majorée de sécurité a montré que la protection de ce site était aujourd'hui insuffisante et qu'il était nécessaire de construire une digue. La décision de principe a été prise et annoncée publiquement. Les études sur les autres sites ont été jugées moins prioritaires. Elles sont en cours et devraient être terminées en 2002.

Enfin, nous avons tiré de l'événement du Blayais des enseignements sur la capacité à gérer les crises de ce type, notamment quand l'accès des sites est inondé. Je rappelle que, dans le cas du Blayais, la route d'accès au site était totalement inondée.

À la suite de cet événement, EDF a eu à c_ur de lancer le plus rapidement possible un très vaste programme, non seulement au Blayais mais sur l'ensemble des sites pour éviter à l'avenir tout risque d'inondation. Le coût de programme est d'environ 1 milliard de francs, dont environ 25 % pour le site du Blayais.

Nous avons abondamment communiqué sur les suites de l'événement du Blayais. Un important travail a été effectué avec l'Office parlementaire. La mission réalisée a donné lieu à de nombreuses discussions. M. Birraux s'est déplacé sur le site et a tenu une conférence de presse. En outre, des communications ont été faites à la commission locale d'information. Il a été fait de même à la commission locale d'information de Belleville, avec une conférence de presse organisée au printemps dernier. Nous avons publié l'essentiel des données sur le site Internet d'EDF.

M. le Président : Monsieur Masson, vous avez évoqué votre dispositif de mesure. Il vous permet de suivre, à court terme, les évolutions climatiques et pluviométriques. Partagez-vous ce dispositif avec Météo-France ou avec d'autres réseaux d'alerte ?

J'ai noté la rapidité avec laquelle vous avez engagé la réflexion et les travaux au Blayais et dans les autres centrales. Cela est-il dû au fait que vous maîtrisez en totalité vos sites et que vous n'êtes pas gêné par la nécessité de faire intervenir plusieurs partenaires, ou au fait que vous avez le droit d'intervenir en urgence ? Bien souvent, pour ériger une digue sur un autre site, dix, quinze, voire vingt ans d'études, de réflexions, de recherche de financements sont nécessaires.

Vous avez évoqué la réflexion engagée sur le barrage de Guerlédan. Comme l'hydraulique ne représente que 15 % de la production totale d'EDF, ne serait-il pas souhaitable de généraliser ces mesures de précaution sur quelques sites particuliers ? Le pourcentage de perte de production hydraulique pour EDF serait tellement minime que le gain sur les risques d'inondation le mériterait peut-être.

M. Jacques MASSON : Les réseaux de mesures servent à la fois à prévoir le court terme - une rivière ayant de nombreux affluents, le débit du cours d'eau principal résulte de l'accumulation des débits des affluents - et le long terme, notamment en matière d'enneigement. Nous devons prévoir le volume d'eau d'une rivière dans les quelques heures à venir et la quantité de neige qui se transformera en eau au printemps, pour gérer les grands lacs.

Si l'on prévoit que les apports en eau liés à l'enneigement seront importants, nous avons intérêt, pour la protection contre les crues comme pour notre production d'énergie, à turbiner beaucoup pour réduire le niveau des réserves au maximum. Si les points de mesure indiquent un faible enneigement, nous avons intérêt à ne pas trop « creuser » pour disposer du remplissage au cours de l'été. C'est de plus en plus important dans la mesure où la plupart de nos retenues, l'été, servent au développement touristique. Ainsi, la retenue de Serre-Ponçon représente 40 % du chiffre d'affaires touristique du département des Hautes-Alpes.

Nous avons notre propre réseau de mesure. Météo-France a le sien, les directions régionales de l'environnement (DIREN) ont le leur. Un protocole de coopération au sein d'un réseau hydrologique prévoit la mise à disposition aux uns et aux autres des différentes mesures. Il n'y a pas de concurrence, il n'y a pas de développements séparés. Initialement, les développements étaient séparés parce que chacun cherchait à répondre à ses besoins propres mais, à mesure que le réseau s'est enrichi, nous avons conclu un accord avec Météo-France puis un protocole sous l'égide du ministère de l'Environnement.

Nous ne récusons pas l'expérience de Guerlédan mais ses limites sont, d'une part, l'insuffisance des prévisions - si nous avions des prévisions fiables à un ou deux jours, nous pourrions améliorer cette gestion anticipatrice - et, d'autre part, le rapport entre la capacité de la retenue et le volume d'eau qui arrive en cas de crue. Dans le cas de Guerlédan, nous ne pouvons que retarder la survenue de la crue et en atténuer la pointe.

M. Daniel DUBOIS : En ce qui concerne les centrales nucléaires, nous avons eu à c_ur d'aller vite puisqu'il s'agissait d'un problème de sûreté. D'ailleurs, les délais ont été discutés et vérifiés par l'autorité de sûreté.

Nous avons respecté les procédures administratives en matière d'autorisations. Fort heureusement, elles ont été instruites rapidement. Tous les moyens d'études sont des moyens propres à EDF. Ils requièrent des compétences particulières. Une équipe de notre division « recherche et développement » est spécialisée dans ce domaine. Elle possède un laboratoire à Chatou. Elle réalise des maquettes destinées à tester la validité des modèles et des calculs. En revanche, les travaux sont réalisés par des entreprises extérieures.

Quant au financement, la dépense d'un milliard de francs, élevée en valeur absolue, est étalée sur plusieurs années. Si les travaux ont été immédiatement effectués au Blayais, pour Belleville, la décision de réalisation de la digue vient d'être prise et il nous faudra un certain temps pour la mener à bien. Il s'agit donc d'une dépense d'un milliard de francs sur trois ou quatre ans, à comparer aux 20 milliards de francs du budget d'exploitation de l'ensemble du parc nucléaire. Le coût de ces travaux représente environ 1 % de ce budget, il n'a donc pas d'incidence notable sur le prix du kilowattheure.

M. le Rapporteur : À la suite de l'incident du Blayais, vous avez pris un certain nombre de mesures. Seront-elles suffisantes pour prévenir tout risque d'inondation ? Nous avons appris que le risque avait été précédemment un peu sous-évalué. J'espère qu'on l'a aujourd'hui bien évalué, voire surévalué. En attendant que tout cela soit mis en place, quelles dispositions sont prises pour assurer la sécurité des riverains en cas d'inondation ? Avez-vous revu le plan d'urgence interne, peu opérationnel lors de l'inondation ?

Par ailleurs, avant de procéder à des lâchers d'eau, comment informez-vous le public concerné et qui informez-vous ?

M. Daniel DUBOIS : La sécurité des riverains est bien entendu l'une de nos préoccupations majeures. Je précise qu'au Blayais, la digue est en place. Elle a été mise en place avant le redémarrage de la centrale. La protection est donc effective.

Pour celle de Belleville, nous venons de constater la nécessité d'installer une digue. Les centrales du Val de Loire sont déjà dotées de protections contre les inondations, constituées de bâtardeaux, c'est-à-dire de murs mobiles, digues provisoires, que l'on place devant les bâtiments avant l'arrivée de l'inondation. Il existe une différence entre les inondations qui ont lieu sur un fleuve et celles qui peuvent avoir lieu en bord de mer. Sur le littoral, elles sont dues au vent. Dans le cas de Blayais, il est manifeste que l'on n'a pas eu l'information météorologique suffisamment tôt. Sur les fleuves, on le sait un peu avant, ce qui donne le temps de placer des protections. Comme la protection actuelle n'est pas suffisante, en attendant que la digue soit construite, on va renforcer la protection en plaçant des bâtardeaux plus élevés.

Nous sommes par ailleurs en train de revoir les plans d'urgence internes, notamment concernant le risque d'isolement du site. C'est un des enseignements de l'événement du Blayais. On ne pouvait plus accéder au site. Les équipes qui conduisent la centrale n'ont pas pu être relevées durant la nuit de l'incident. Nous mettons donc en place des procédures permettant d'y accéder quelles que soient les circonstances, par exemple, par hélicoptère. Nous devons aussi être assurés de la fiabilité des moyens de télécommunication. Ils doivent résister en toutes circonstances, y compris en cas d'inondation. Je rappelle que, dans le cas du Blayais, ils se sont trouvés partiellement hors d'état de fonctionner. Nous avons également prévu de renforcer la capacité de gérer plusieurs incidents sur plusieurs tranches en même temps. L'inondation a ceci de particulier qu'elle concerne souvent toutes les tranches d'un même site.

Toutefois, je tiens à rappeler que, même dans le cas de cette inondation qui, certes, n'avait pas été prévue, le refroidissement du réacteur a toujours été assuré. Les centrales sont dotées de systèmes de redondances qui leur permettent de fonctionner malgré la perte de certains éléments de ce système.

M. Jacques MASSON : Il existe trois sortes de lâchers d'eau.

Le premier correspond au risque majeur, que l'on souhaite ne jamais connaître, à savoir la rupture du barrage. Nous sommes soumis à des plans d'alerte que nous sommes en train de réviser dans le cadre de l'établissement de plans particuliers d'intervention (PPI). Une procédure d'information des autorités, d'information des habitants avec des sirènes, a été élaborée à la suite de la catastrophe de Malpasset en 1959, pour tous les barrages d'une hauteur supérieure à vingt mètres, et d'une capacité supérieure à 15 millions de mètres cubes.

Le deuxième correspond aux crues. Si une montée des eaux nécessite l'ouverture d'un barrage, nous travaillons avec le service d'annonce des crues. Nous établissons une cellule de crise qui vient en appui de la cellule de crise constituée à la préfecture et alimente en informations le service d'annonce des crues. Il ne nous appartient pas d'informer directement la presse. Nous agissons en coopération étroite avec les responsables des cellules de crise.

Le troisième est le lâcher d'eau courant en exploitation. Nous nous y sommes vivement intéressés depuis le drame du Drac. C'est le lâcher d'eau quotidien.

La réponse à votre question est donc très variable. Nous diffusons depuis toujours des informations sur les risques, mais le drame du Drac a fait apparaître que ce n'était pas suffisant. Nous développons aujourd'hui l'information en direction des utilisateurs de la rivière. Pour ce faire, en période de forte fréquentation, notamment en été, nous embauchons plusieurs centaines de jeunes dont la mission est d'informer de l'existence d'un barrage en amont, de la possibilité de lâchers d'eau et des changements de niveaux de la rivière. Nous travaillons en étroite collaboration avec les offices de tourisme, les centres de vacances, les écoles, les colonies de vacances. Nous avons signé des conventions d'information réciproque avec les utilisateurs de l'eau organisés, notamment les pêcheurs. Nous avons considérablement développé notre collaboration avec les fédérations de pêche. Nous travaillons également avec les associations sportives, telles que les clubs de canoë-kayak.

Nous expérimentons des systèmes d'alerte sonore, l'un dans les Alpes du sud et deux dans les Alpes du nord, qui retentissent lors des lâchers d'eau. Toutefois, la fiabilité de ces équipements, qui reposent sur des piles solaires, n'est pas entièrement garantie. Or le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Industrie considèrent que le développement de tels systèmes implique une fiabilité absolue, au risque de créer un sentiment de fausse sécurité. Nous avons aussi développé nos actions de prévention en collaboration avec la Sécurité civile, les collectivités et les communes. Le drame du Drac a été pour nous un tel choc que nous faisons le maximum pour qu'il ne se reproduise pas.

M. Paul DHAILLE : En période de crue, décidez-vous des lâchers d'eau suivant une procédure écrite ou bien les autorités, telles que le préfet, peuvent-elles intervenir dans la décision ?

M. Jacques MASSON : En cas de crue, chaque exploitant de barrage doit appliquer une consigne d'exploitation et s'y tenir. Cette consigne est approuvée par notre ministère de tutelle, le ministère de l'Industrie.

M. Paul DHAILLE : Donc, la consigne a été approuvée au préalable, elle n'est pas modifiable.

M. Jacques MASSON : Dès qu'il y a une crue, nous mettons en place un service continu. Quelqu'un est présent en permanence sur le barrage. Notre opérateur doit suivre strictement la consigne.

M. Paul DHAILLE : Et il ne peut pas y avoir d'intervention extérieure ?

M. Jacques MASSON : C'est une question intéressante car j'ai connu, lors des crues du Verdon de 1994 - c'était la première fois, depuis les vingt ans d'existence du barrage de Sainte-Croix, que nous déversions - des interventions extérieures, de l'administration et d'élus, auprès de nos exploitants. Ils s'étonnaient de ces lâchers d'eau. Notre exploitant applique la consigne et il n'y a pas d'intervention extérieure possible.

M. Paul DHAILLE : Lorsque vous construisez un barrage, je suppose qu'EDF achète les terres inondées. Mais qui est propriétaire des terres inondables à l'aval et à l'amont ?

M. Jacques MASSON : Lorsque nous construisons un barrage, c'est généralement sous le régime de la concession d'État. EDF achète les terres inondées et une bordure plus ou moins importante qui est la limite du domaine concédé. Nous achetons mais nous ne sommes pas propriétaires du domaine concédé. L'État reste propriétaire, mais pendant la durée de la concession, nous avons les droits et les obligations du propriétaire. À échéance de la concession, tout revient à l'État. Dans le dossier de demande de concession, une délimitation est faite pour le domaine concédé. Au-delà, les propriétaires restent les mêmes. Nous n'avons par ailleurs pas la propriété des cours d'eau.

M. Paul DHAILLE : Donc, en amont du barrage, vous êtes concessionnaire des terres inondées et des terres inondables. En aval, on revient dans la domanialité pure et simple.

M. Jacques MASSON : Tout à fait. C'est soit un cours d'eau domanial, soit un cours d'eau non domanial.

M. Paul DHAILLE : Si ce n'est, comme vous venez de le dire, qu'après un lâcher, la largeur du cours d'eau peut être beaucoup plus importante.

M. Jacques MASSON : Le cours d'eau est d'une largeur donnée, qu'on appelle le lit majeur. En période hors crue, il n'est utilisé que sur une certaine largeur. Pour un cours d'eau domanial, le domaine public fluvial couvre l'ensemble du lit tel qu'il a été défini avant que le barrage existe. Il n'est généralement mouillé que sur une largeur très faible. En cas de crue, le cours d'eau doit pouvoir recevoir l'ensemble de l'eau sans provoquer d'inondation.

Sur la Durance, en situation normale, quand le barrage de Serre-Ponçon retient l'eau, le lit est très large avec beaucoup de graviers et un peu d'eau. La section du lit a été calculée et déboisée afin qu'en cas de crue millénale, l'eau puisse s'évacuer. En tant que concessionnaires, nous avons l'obligation contractuelle de déboiser régulièrement le lit, les zones à essarter étant définies chaque année avec l'administration chargée de la police de l'eau, à savoir la direction départementale de l'équipement (DDE). Il convient de préserver le lit majeur même si, la plupart du temps, il est à sec.

Nous rencontrons par ailleurs un problème sur certaines retenues. Le niveau nominal de la retenue est à une certaine hauteur et la limite de la concession, donc des terres achetées, est supérieure de quelques mètres afin d'avoir une réserve supplémentaire en cas de crue vraiment exceptionnelle. Comme il s'agit d'une crue millénale ou décamillénale, cette tranche est utilisée par les collectivités ou les associations touristiques. L'autorisation n'est donnée qu'à titre précaire et révocable. Mais pour un événement qui a de fortes chances de ne pas arriver, cela nous posera quelque problème s'il vient à se produire.

M. Paul DHAILLE : Des études de nouveaux barrages ou de nouvelles retenues sont-elles en cours ? Si oui, prenez-vous aujourd'hui en compte les problèmes d'inondation ?

M. Jacques MASSON : Nous n'avons pas de barrage ou de retenue à l'étude. Nous avons, à Gavet, près de Grenoble, un projet de faible importance visant à remplacer six vieilles usines par une seule.

Cela étant, il est clair que nous traiterions différemment la conception de nouveaux ouvrages. Un projet de barrage résulterait d'une concertation dans le cadre d'une commission locale de l'eau, où les différents usages de l'eau seraient pris en compte. La plupart de nos ouvrages ont été réalisés il y a quarante à cinquante ans, à un moment où l'on considérait que l'usage de l'eau pour fabriquer de l'électricité était prioritaire. Nos concessions ont été presque exclusivement hydroélectriques, à quelques exceptions près, lorsqu'il y avait aménagement agricole. Un nouveau barrage serait nécessairement un ouvrage à buts multiples. Le dernier que nous avons réalisé, à Puylaurent, à la limite de la Lozère et de l'Ardèche, l'a été dans cet esprit. Il prend en compte les usages hydroélectriques, agricoles et l'alimentation en eau potable. On prendrait aussi sans doute en compte la dimension « crue », en prévoyant dans la retenue une tranche utile. Nous l'avons déjà fait dans la retenue de Saint-Cassien, construite par EDF pour compenser la destruction du barrage agricole de Malpasset, qui comporte une tranche agricole et une réserve destinée à absorber les crues.

M. Paul DHAILLE : Monsieur le Président, M. Dubois vous a rassuré sur les centrales nucléaires du Val de Loire. En Seine-Maritime, puis-je être rassuré sur les centrales de Penly et Paluel ?

M. Daniel DUBOIS : Penly et Paluel sont concernées par la deuxième série de calculs que nous sommes en train de refaire mais nous n'avons pas, a priori, d'inquiétude. Nous ne devrions pas avoir à réévaluer sensiblement la cote majorée de sécurité sur ces sites.

Je compléterai la réponse à votre question sur les plans d'urgence internes. Nous avons également revu les procédures d'alerte, en coopération avec Météo-France, les services de la navigation et l'ensemble des services de l'État. Une assez large concertation s'est développée pour tirer l'expérience de cette tempête et améliorer la prévisibilité de ce genre de phénomènes tout à fait exceptionnels.

M. le Président : Les barrages du sud comme celui de Saint-Cassien sont-ils dotés de protections anti-sismiques ?

M. Jacques MASSON : Il n'y a pas de protection anti-sismique mais tous les barrages ont été conçus pour résister à un risque sismique bien supérieur à celui que l'on connaît, même dans le sud de la France. Je me souviens d'une discussion que nous avions eue, il y a quelques années, après qu'un article de presse eût affirmé que le barrage de Saint-Cassien comportait une faille. Nous avions alors étudié de près le risque sismique. Nous avons établi que les deux ouvrages qui auraient le mieux tenu dans la région étaient le barrage de Saint-Cassien et le nouveau Palais des festivals à Cannes.

Cela dit, les indices de sismicité sont révisés régulièrement. Nous vérifions systématiquement que nos barrages sont hors de risque et nous n'avons jamais rencontré de difficultés.

M. Stéphane ALAIZE : Vous disposez manifestement d'un grand nombre de données en terme de retour d'expérience sur tous les cours d'eau sur lesquels vous avez des équipements hydrauliques. Ces éléments sont-ils transmissibles sur demande afin de contribuer à la réflexion en matière d'élaboration de plans de prévention des risques (PPR) ?

Vous avez fait état de zones à essarter, selon des procédures qui exigent de passer par les voies administratives normales. Avez-vous, là aussi, des données précises à fournir quant à l'efficacité des mesures prises et aux difficultés de mise en _uvre des procédures ?

M. Jacques MASSON : Nous avons, il est vrai, une base de données assez importante. Localement, nos collègues fournissent les éléments qui sont demandés par les administrations ou les autorités en cas de besoin. Ces données constituent un patrimoine. Si nous les partageons volontiers avec les administrations, en revanche, nous ne souhaitons pas, notamment en cette période de mise en concurrence, qu'elles soient utilisées par d'autres entreprises cherchant à développer leur activité dans le domaine de l'hydroélectricité. Si notre mission de service public nous conduit à fournir des éléments d'information dans l'intérêt général, notre statut d'entreprise nous impose de ne pas galvauder notre patrimoine.

En outre, nos données ne sont pas nécessairement celles recherchées pour l'élaboration des PPR. Nous connaissons notamment les débits turbinés par chaque usine, les débits de pointe en cas de crue mais nous ne connaissons pas toujours les débits d'étiage annuels. Notre objectif n'est pas de rassembler des données exhaustives sur les rivières mais des données pour notre usage.

L'essartement consiste à déboiser le lit de la rivière. Un retour d'expérience dans ce domaine ne peut s'envisager que rivière par rivière, vallée par vallée, on constate que les essartements doivent être faits, dans un cas, tous les trois ans, dans un autre, tous les cinq ans. Pour faciliter l'écoulement des crues, nous avons intérêt à ce que le lit soit le plus nu possible mais nous rencontrons des objections de chasseurs et d'associations de défense de la nature dans la mesure où ces zones où poussent un peu de végétation constituent des espaces d'accueil pour la faune. Pour les chasseurs, il faudrait maintenir des bouquets d'arbres afin d'accueillir le gibier, pour les écologistes, il faudrait préserver les zones humides. Il nous faut gérer des contradictions. Nous le faisons avec la DDE.

M. Stéphane ALAIZE : Rencontrez-vous des difficultés analogues avec l'administration en matière d'autorisations ?

M. Jacques MASSON : Il convient parfois de trouver un arbitrage entre ce que nous demandons, ce que souhaite la DDE et ce que veut la DIREN.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Michel RIOUX,
président de
l'association de défense des sinistrés et de protection des quartiers inondables du Mans

(extrait du procès-verbal de la séance du 11 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Michel Rioux est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Michel Rioux prête serment.

M. le Président : Au-delà des administrations et des différents acteurs compétents en matière d'inondations, la commission a souhaité entendre des représentants des sinistrés. Elle l'a fait lors de son déplacement dans la Somme et le fera lors de ses prochains déplacements.

Nous vous avons donc demandé de nous exposer votre expérience à la fois longue, puisque votre association a été créée en 1966 et relancée en 1995, et malheureusement riche puisque certains quartiers du Mans sont inondés chaque année.

Vous nous direz notamment ce que vous pensez des politiques de prévention menées dans votre ville, couverte par un plan de prévention des risques (PPR) depuis l'année dernière, de la façon dont sont gérées les crises et du fonctionnement du régime d'assurance.

M. Michel RIOUX : En tant que président de l'association des sinistrés des inondations de l'agglomération mancelle et des communes associées de la Sarthe, mon intervention portera sur la problématique du type d'inondation que nous subissons, - les inondations de plaine -, et sur la rigidité et l'inextricable complexité des procédures technico-administratives auxquelles nous sommes confrontés.

Afin de mieux situer nos difficultés, je rappellerai brièvement que le bassin hydrographique de la Maine dans lequel se situe, à peu près en son centre, la région mancelle, draine un territoire de 22 000 km² avec, au bout de la course des eaux, un seul couloir de 110 mètres de large comme exutoire, la Maine.

Rappelons également que la Maine recueille les eaux de trois cours d'eau principaux, que sont la Mayenne, la Sarthe et le Loir. Leurs affluents principaux et secondaires forment un chevelu très dense puisque, dans le département de la Sarthe qui a une superficie de 7 200 km², le réseau hydrographique s'étend sur 4 500 kilomètres de ruisseaux et de rivières, ce qui dénote une pluviométrie élevée.

En outre, d'une façon générale, les terrains des bassins versants de ces cours d'eau sont dans leur majeure partie de nature imperméable. Toutefois, les experts indiquent qu'en raison de la riche couverture végétale dont bénéficient ces bassins, les coefficients d'écoulement des cours d'eau sont convenables. Par conséquent, il se produit en général un bon lissage des précipitations, de sorte que les hydrogrammes de crues ne présentent que rarement des pointes aiguës et élevées.

Comme nous venons de le voir, aux dires des experts, il y a donc naturellement un équilibre convenable entre la capacité du lit mineur de nos cours d'eau, les coefficients d'écoulement des ruissellements des bassins versants et les volumes d'eau à charrier. Mais aujourd'hui, les mêmes experts n'omettent pas de mentionner : « à moins que des conditions exceptionnelles ne viennent modifier les caractéristiques hydrographiques - pluies de forte densité et de longue durée, sols gelés, etc. »

Il y a quelques années encore, ces conditions exceptionnelles se présentaient probablement tout aussi fréquemment qu'aujourd'hui mais, sans doute grâce au bon lissage naturel en question, la fréquence des crues était relativement faible, environ tous les trente ans. Au Mans, par exemple, des inondations marquantes ont eu lieu en 1881, 1910, 1930, 1966 et 1995 en saison hivernale, auxquelles il faut ajouter celle du 21 juin 1889, très exceptionnelle en période d'été.

Force est de constater que cette fréquence s'est considérablement accrue depuis 1995, puisque nous sommes désormais confrontés au problème des inondations tous les ans, voire plusieurs fois par an, comme nous l'avons encore vécu au cours de l'hiver 2000-2001, avec pratiquement cinq mois d'alerte quasi permanente.

Quel est le diagnostic ?

De nos jours, les conditions de ruissellement des eaux recueillies par les bassins versants ne sont plus comparables à celles d'antan. Une grande partie des capacités de rétention naturelle a disparu par suite de la suppression des talus et des haies, des zones humides, d'une grande partie du couvert végétal, et a été remplacée par des accélérateurs de mise en rivière des eaux : sols damés par les cultures de maïs, sillons dans le sens des pentes, drainages conséquents sans compensation, infrastructures diverses, tout-à-l'égout systématique, extension galopante des surfaces imperméabilisées.

Outre l'apport massif de ces eaux de ruissellement dans des temps très courts, il apparaît que ces nouvelles conditions ont, de plus, modifié les déphasages naturels entre pointes de crues des affluents et des cours d'eau principaux.

Au Mans, par exemple, d'après les études réalisées par le BCEOM et la Compagnie nationale du Rhône, il apparaît que depuis une vingtaine d'années, les montées de l'Huisne ont été couplées à des montées significatives de la Sarthe de façon très aléatoire. On constate en effet que la Sarthe a été en avance six fois sur treize et l'Huisne sept fois sur treize, avec des décalages parfois très faibles ; de l'ordre de une heure trente, soit des pointes de crues pratiquement concomitantes. D'où leurs conséquences gravissimes pour le Mans, situé à la confluence de ces deux rivières.

À ces accélérateurs de crues, s'ajoutent d'autres facteurs aggravants :

- insuffisance de l'entretien des lits, berges et ouvrages des cours d'eau qui n'ont plus aujourd'hui le même intérêt économique qu'hier ;

- pertes de charge au niveau des ponts et barrages qui limitent l'évacuation optimale des écoulements de crues ;

- remblais en zone inondable qui pénalisent de plus en plus l'étalement naturel des eaux - d'après Jean-Antoine Faby, de l'Office international de l'eau, en France, 40 000 hectares sont prélevés chaque année aux champs naturels d'expansion des crues, soit 1 % du territoire tous les dix ans ;

- irrégularité des profils en long et rétrécissements ponctuels du lit des cours d'eau qui, là encore, pénalisent le bon écoulement des eaux ;

- réseaux d'eaux pluviales qui peuvent drainer les nappes alluviales et, à l'inverse, provoquer des inondations par refoulement des cours d'eaux auxquels ils sont connectés.

En résumé, d'après les spécialistes, ces crues à répétition ont certes pour origine le niveau exceptionnel des précipitations qui pourrait d'ailleurs devenir une constante, mais aussi et surtout l'assèchement des zones humides, la transformation du paysage rural, les nouveaux modes culturaux, l'entretien inexistant des cours d'eau, l'artificialisation des sols, etc. Autant de transformations qui augmentent considérablement la vitesse et l'importance des ruissellements. Là où il fallait, il y a encore quelques années, huit jours de pluie avant d'être inondé, deux à trois jours de précipitations suffisent aujourd'hui pour provoquer les mêmes débordements.

Les conséquences de ces dérèglements sont nombreuses.

Sur le plan humain, tout d'abord, elles sont catastrophiques. À chaque alerte, c'est l'angoisse, la crainte de jour et de nuit de voir surgir l'eau dans les maisons avec son cortège d'incidences psychologiques, d'impossibilités de circuler librement, de pertes de patrimoine, de conséquences sur la santé.

De plus, à chaque fois, ce sont des travaux importants de mise hors d'eau des mobiliers, de nettoyage, d'élimination de l'humidité, de restauration immobilière qui sont régulièrement à refaire. En outre, colère et inquiétudes grandissent au fil des nombreux épisodes de crue.

En terme d'impacts économiques, c'est également très lourd. À titre d'exemple, d'après l'étude conduite par l'Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (ÉPALA) et ses bureaux d'études, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et le BCEOM, le coût des dommages de la crue de 1995 a été, sur l'ensemble du bassin de la Maine, de 800 millions à 1 milliard de francs, dont plus de 500 millions de francs dans la Sarthe. Encore, s'agit-il de chiffres planchers, puisque les bureaux d'études n'ont pu recueillir les chiffres partout où ils les avaient demandés.

Toujours pour la Sarthe et ses affluents, en 1995, 114 communes ont été touchées, 2 427 maisons, 100 entreprises, 320 commerces, 120 exploitations agricoles, plusieurs établissements publics.

Sur la seule agglomération mancelle, ce sont 1 648 logements, 121 activités économiques et 20 équipements publics qui ont été touchés. Si nous devions être victimes d'une crue centennale, 2 578 logements, 191 activités économiques et 23 équipements publics seraient inondés. Sans poursuivre dans ce catalogue des conséquences économiques des inondations, il faut cependant ajouter que des coûts similaires pour la collectivité toute entière se répètent à chacune des situations de crise.

Quels sont les enjeux ?

Face à ces lourdes conséquences humaines et économiques et en vue d'éclairer les choix des maîtres d'ouvrages potentiels, un calcul du nombre de logements, d'activités économiques et d'équipements publics susceptibles d'être épargnés en réduisant de cinquante centimètres la hauteur d'eau de crue, ce qui est tout à fait accessible, fait par un bureau spécialisé, a montré que 1 710 logements sur 2 578 en cas de crue centennale et 1 020 logements sur 1 648 en cas de crue type 1995 seraient totalement soustraits à ces crues pour la seule région mancelle. Il en va de même en ce qui concerne les activités économiques et les équipements publics.

On constate donc que les enjeux sont très forts et qu'ils méritent bien que très rapidement les outils d'alerte et de prévention réelle soient mis en place très concrètement sur le terrain. Cela suppose qu'au préalable les responsabilités soient clairement définies.

Après de longues études préliminaires, trois types d'actions ont été retenues pour combattre et limiter les effets des inondations. Elles relèvent de la prévision, de la prévention, au sens de la réduction de la vulnérabilité des zones inondables, et de la protection au sens de la réduction de l'aléa inondation.

Au titre de la prévision, le développement d'un réseau d'annonce de crues par télétransmission, au travers d'une cinquantaine de stations hydrologiques pour un coût de 13 millions de francs se met petit à petit en place, malgré de nombreuses difficultés administratives. À tel point que le préfet de région a dû saisir le ministre concerné pour une banale question de mise en place de personnels.

S'agissant de la prévention au sens de la réduction de la vulnérabilité des zones inondables, des plans de prévention des risques - PPR - ont été adoptés ou sont en cours d'élaboration pour l'ensemble de la Sarthe. Mais les PPR sont souvent présentés comme la panacée et comme le moyen de régler les problèmes des inondables. Or ce n'est absolument pas le cas.

Il est évident qu'il faut concevoir l'urbanisation autrement qu'en reproduisant les erreurs du passé, mais les PPR n'apportent aux personnes qui se trouvent déjà dans les zones inondables que des contraintes supplémentaires. En effet, il semble hors de question de racheter toutes les maisons concernées, bien que certains responsables n'hésitent pas à parler de délocalisation.

De même, les PPR n'apportent pas de solution à la perte de patrimoine des victimes de ces plans, pas plus qu'ils ne définissent de politique de réemploi et de valorisation des espaces gelés.

De plus, les PPR n'atteignent pas pleinement leurs objectifs puisque la loi prévoyait qu'ils soient assortis de mesures de sauvegarde qui, en fait, sont pratiquement occultées.

Les prescriptions et critères des PPR n'étant pas différenciés que l'on soit en présence de crues à caractère torrentiel ou de plaine, les servitudes qui en découlent sont fatalement inadaptées aux types d'inondations que nous subissons. Dans la Sarthe, nous avons eu les plus grandes peines à faire admettre au préfet que l'on ne pouvait pas geler complètement des quartiers alors que les PPR prescrivaient que sur l'ensemble des surfaces inondables, même au point zéro, les constructions étaient totalement interdites. L'on voulait sans doute faire la même chose pour Le Mans et pour Vaison-la-Romaine.

Enfin, les structures de contrôle des prescriptions PPR étant insuffisantes, il n'existe aucune garantie de la bonne application des prescriptions.

La seule vraie prévention pour les inondables, qui eux seuls sont au c_ur du problème, est celle qui consiste à mettre en place des aménagements de réduction de l'amplitude de la montée des eaux de crue par des actions localisées sur les secteurs à protéger, par des actions de retenue des eaux en amont et par l'implantation de petits aménagements de ralentissement dynamique des crues sur l'ensemble du réseau hydrographique d'un même bassin, partout où il existe des possibilités naturelles d'expansion des crues. Autrement dit, faire en sorte que l'étalement des crues soit réparti sur l'ensemble des parties basses des bassins versants, de l'amont à l'aval.

S'agissant des actions locales au niveau des zones fortement urbanisées, il convient de faciliter l'écoulement des eaux de crue en réduisant au maximum tous les points noirs et les facteurs aggravants - ponts, barrages, encombrement du lit des rivières, rétrécissements de tous ordres, mauvais état des rives, mauvaise conception des réseaux d'eaux pluviales - et de protéger les quartiers les plus vulnérables par des aménagements de rives, encore appelés endiguements.

L'agglomération mancelle et d'autres communes sarthoises se sont engagées résolument dans cette voie, mais les réalisations seront-elles menées rapidement à leur terme ? Rien n'est moins sûr.

Au-delà de ces dispositions minimales, toujours au niveau local, la protection des inondables ne se fera pas sans intégrer totalement le risque inondation dans les schémas d'aménagement et d'urbanisation de la commune, de la communauté de communes, voire dans le schéma directeur de toute une région. Pratiquement, il s'agit avant tout de préserver de toutes nouvelles constructions les zones non urbanisées susceptibles de recevoir l'expansion des crues, naturellement ou artificiellement.

Par ailleurs, dans le contexte actuel, l'assainissement pluvial ne peut plus être assuré dans les mêmes conditions qu'il y a seulement vingt ans, sans courir le risque de voir s'aggraver les inondations à court terme.

Il y a lieu tout d'abord de préserver les espaces nécessaires à l'implantation de vastes structures réservoirs qui soient à la mesure des espaces déjà imperméabilisés sans souci de l'évacuation des rejets. Il est en effet indispensable d'exiger que toute nouvelle viabilisation d'espace urbanisable soit soumise, avant tout morcellement, à une mise en place de bassins de régulation correspondant aux surfaces en jeu, comme ont pu être institués les coefficients d'occupation des sols en matière d'urbanisation.

Actuellement, en effet, il n'y a pas d'évaluation globale du risque. De nombreux projets de constructions et, par conséquent, d'imperméabilisation des sols à terme, sont présentés avec des surfaces inférieures au seuil légal de 5 000 mètres carrés, voire avec une surface de 4 999 mètres carrés, et, de ce fait, échappent à toute contrainte de rétention des eaux pluviales. En fin de compte, de grandes surfaces vont se trouver imperméabilisées et leurs eaux directement rejetées dans la rivière.

Les protections en amont, identifiées par les bureaux d'études, sont des retenues sèches d'écrêtement des crues. Elles ont pour objet de stocker temporairement une partie des eaux de crue et de réduire sensiblement les hauteurs des crues au niveau des agglomérations en aval.

En outre, les bureaux d'études préconisent de mettre en place des levées transversales dans les lits majeurs. Leur rôle sera de freiner l'écoulement des crues et, par conséquent, de produire à la fois un lissage des débits et d'éviter la concomitance des pointes de crues au niveau des confluences.

Aujourd'hui, quel est le point de la situation ?

Pour le bassin de la Maine, ces actions en amont ont fait l'objet d'études préliminaires et ont révélé que des solutions existent. Leur financement, de l'ordre de 100 à 200 millions de francs, ne pouvant être envisagé qu'avec le concours financier déterminant de l'État, les responsables territoriaux n'ont pas manqué de le solliciter.

Dans ce domaine, l'État a joué son rôle dans le cadre du XIIe contrat de plan et des avenants « inondation, tempête », de même que dans le cadre du plan « Loire grandeur nature ».

Bien qu'il reste à entreprendre l'étude de ralentissement dynamique des crues sur l'ensemble du réseau hydrographique de la Maine, les collectivités concernées disposent maintenant de bon nombre d'outils potentiels, y compris les moyens de les financer. Malheureusement, là n'est pas l'essentiel, car dans les faits, la mise en _uvre sur le terrain de ces solutions encourageantes et porteuses d'espoir se heurte à une multitude d'obstacles et de contraintes qui ont pour conséquence d'induire des délais de plusieurs années totalement insupportables.

Pendant ce temps, les causes de crues s'amplifient, les programmes d'action s'appauvrissent au fil des études et du temps, les inondables ne sont toujours pas protégés et, paradoxe extrême, les bonnes intentions de financement proposées par l'État ne peuvent être consommées dans les délais impartis.

L'empilement des lois, des procédures, des instances de concertation, des instances décisionnelles, la dispersion des responsabilités entre les nombreux ministères concernés et le fait que la lutte contre les inondations n'entre pas dans le champ des compétences des collectivités territoriales constituent des obstacles à la mise en _uvre des solutions.

Je ne dresserai pas le catalogue de l'empilement des lois et des procédures. Je me limiterai à en citer certaines :

- pas moins de cinq niveaux d'études correspondant aux multiples contraintes de la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique, nécessitant au minimum neuf ans de délai ;

- quatre lois et leurs cortèges de décrets correspondants à respecter (loi sur l'eau, loi Bouchardeau, protection de la nature, installations classées, etc.) ;

- quatre à cinq enquêtes publiques ;

- diverses autorisations et prises en compte de prescriptions de tous ordres ;

- procédures d'acquisition foncière ;

- actions judiciaires éventuelles.

L'instance de concertation par excellence est la commission locale de l'eau du schéma d'aménagement de la gestion des eaux (SAGE) de bassin, dont le rôle est de mettre autour d'une même table tous les intervenants concernés par les multiples usages de l'eau.

L'idée est très démocratique et très louable. Encore faut-il qu'elle puisse fonctionner avec généralement une soixantaine de représentants des collectivités locales, des usagers, des administrations et établissements publics et de l'État, et que tous ces représentants aient la volonté de s'entendre sur la validation rapide des projets, alors que bien souvent les antagonismes sont très forts.

De plus, cette instance de concertation n'a pas d'obligation de résultat et n'a pas les pouvoirs d'un maître d'ouvrage. Elle doit faire appel aux organismes reconnus comme tels ou créer l'entité juridique nécessaire. Au niveau local il faut, de plus, assurer la coordination entre les différents intervenants : collectivités territoriales, riverains, services techniques de l'État.

Les services déconcentrés de l'État, à eux seuls, sont très nombreux : préfecture, direction départementale de l'équipement, direction départementale de l'agriculture et de la forêt, direction départementale de l'action sanitaire et sociale, Protection civile, etc. Ils doivent être multipliés par deux ou trois, quand deux ou trois départements sont concernés, voire plus quand plusieurs régions sont en cause. À ces services départementaux, il convient d'ajouter les représentants régionaux des ministères, les comités de bassin, les agences de l'eau...

J'évoquerai maintenant le pouvoir des élus.

Les maires ont une responsabilité générale de sécurité publique. Pour l'assurer au mieux des intérêts de leurs administrés, les maires sont naturellement les maîtres d'ouvrage durables pour la gestion et l'entretien du patrimoine de protection.

Cette notion de bon sens doit les conduire à être, du même coup, les initiateurs des stratégies de réduction des aléas, en fonction d'une notion très ambiguë qui est celle de l'acceptabilité du risque. Pour l'inondable, cette notion n'existe pas alors que pour la collectivité, elle est définie par le coût qu'elle peut ou qu'elle veut supporter. C'est une question de classement des priorités qui devrait donner lieu à un véritable débat politique avec la population, mais qui n'a pas eu lieu pour le moment.

Les conseils généraux et régionaux n'ont ni compétences ni responsabilités particulières, autres que celles qu'ils veulent bien prendre au titre de la solidarité et du bon sens.

Dans ces conditions, la recherche d'une protection effective des inondables est devenue plus qu'un parcours du combattant, un véritable labyrinthe, sans que l'on puisse identifier les vrais responsables, hormis les maires.

Si le système est maintenu en l'état actuel, on peut donc craindre que les bonnes intentions exprimées par de nombreux élus, dont nous ne mettons pas la bonne volonté en cause, ne sombrent dans un discours démagogique totalement inefficace.

Face aux rigidités technico-administratives, à l'empilement des lois et procédures, parfois contradictoires, aux responsabilités non attribuées, à la recherche à tout prix d'un consensus, aux excès en tous genres, je voudrais vous faire quelques propositions.

En premier lieu, je suggère de confier l'ensemble de la lutte contre les inondations en France à un seul ministère et d'extraire de tous les lois et décrets une procédure d'exception de mise en _uvre des aménagements anti-crue simple, souple et rapide.

Il est également nécessaire de clarifier très nettement le rôle de chacun entre l'État, les collectivités locales et les autres intervenants et d'accroître les pouvoirs des préfets (mesures conservatoires anti-inondations, arbitrage au niveau des instances de concertation ou décisionnelles, accélération des prises de décisions...).

À titre d'exemple, nous avons eu avec le préfet de la Sarthe la discussion suivante. Les PPR imposent notamment de ne pas remblayer les zones inondables, mais comme ils ne peuvent être appliqués simultanément à l'ensemble des communes d'un même département, ceux qui les ont reçus sont tenus de respecter ces prescriptions mais pas les autres. Dès lors, bon nombre de promoteurs se sont empressés de remblayer des zones inondables pour être hors d'eau, le moment venu. Lorsque nous avons demandé au préfet de la Sarthe de prendre un arrêté pour interdire ces pratiques dans toutes les zones inondables du bassin de la Sarthe, qui sont connues, il nous a répondu qu'il n'en avait pas la possibilité. Il a dû recourir à un artifice qu'il a surnommé les « PPR turbo », c'est-à-dire des PPR par anticipation.

Nous proposons aussi de définir une véritable politique de prise en compte du risque inondation dans les schémas d'aménagement du territoire - nationaux, régionaux, locaux. Par exemple, dans la région mancelle, un schéma directeur vient d'être approuvé sans qu'il y ait une véritable volonté politique de préserver les espaces naturels d'expansion des crues.

Sur l'entretien des cours d'eau, il faut modifier l'article 31 de la loi sur l'eau, de façon que les collectivités ou les syndicats de rivière se substituent effectivement aux riverains aujourd'hui défaillants, en vue d'assurer l'entretien des lits, barrages et berges.

Concernant les PRI, il est nécessaire d'adapter leur réglementation aux différents types de crues. Il faut aussi créer des structures de contrôle de l'application des prescriptions des PPR et, d'une manière générale, du respect des arrêtés en vigueur. Par exemple, quand il y a des chaumages, des écourus sur nos rivières, les arrêtés préfectoraux rappellent aux riverains leurs obligations en terme d'entretien, mais ceux-ci n'en tiennent pas compte parce qu'ils n'en ont pas les moyens et ont perdu l'habitude de le faire. Ils reçoivent éventuellement une mise en demeure, et tout s'arrête là. Au fil des années, les gens ont bien compris. Quand ils reçoivent cet arrêté, ils le mettent immédiatement à la poubelle.

Réglementer de façon plus radicale la maîtrise des ruissellements est une priorité, selon le principe « zéro imperméabilisation, sans rétention de régulation ».

On ne peut pas admettre, en vertu du principe pollueur-payeur, que certains puissent s'exonérer à peu de frais, voire sans frais, de l'obligation de maîtriser les ruissellements issus des surfaces imperméabilisées ou encore de soustraire à l'expansion nouvelle des crues une partie des territoires inondables.

La loi prévoyait jusqu'à présent, que pour une surface supérieure à 5 000 m², l'on se devait de créer un bassin de rétention et de régulation des eaux recueillies sur les surfaces imperméabilisées. Or, dans le projet de loi sur l'eau, on porte cette valeur à 10 000 m². Pire, il prévoit également que des champs d'expansion naturelle de crues échappent à cette contrainte et que la redevance ne serait due qu'au-delà de cent hectares, en parfaite contradiction avec la volonté politique annoncée en vue de lutter contre les inondations.

Le mode d'indemnisation des victimes des inondations doit être réformé. À ce sujet, je rappelle au passage que, non seulement des taux de vétusté sont appliqués au mobilier et aux objets détruits, mais depuis septembre 2000, la franchise est passée de 1 500 à 2 500 francs et peut être multipliée par deux, par trois ou par quatre si la commune n'est pas couverte par un PPR. Autrement dit, les inondés sont plusieurs fois victimes : des inondations et du fait que l'État n'a pas pu ou n'a pas voulu mettre en place un PPR plus tôt.

Pour y parvenir, nous suggérons :

- soit de créer une loi-cadre véritablement adaptée à la lutte contre les inondations en visant tout particulièrement la protection rapide des victimes permanentes des inondations ;

- soit de compléter la loi du 2 février 1995, en y intégrant tous les aspects évoqués précédemment qui ne sont pas exhaustifs et d'amender le projet de loi sur l'eau, en particulier en ce qui concerne l'imperméabilisation des sols et la réduction des champs d'expansion des crues.

M. le Président : Monsieur Rioux, je vous remercie de votre présentation très fournie et complète. Vous nous avez transmis de nombreux éléments d'information et de réflexion.

Il y a un certain nombre d'années, les inondations se produisaient de façon relativement espacée, mais depuis dix ans, elles apparaissent tous les ans, voire plusieurs fois par an. On a le sentiment qu'il ne s'est rien passé de positif pendant cette période, voire que la situation s'est dégradée. Vous avez énoncé des causes d'aggravation des risques. Vous avez constaté que si les moyens financiers et la volonté semblaient exister, il apparaissait difficile de mettre en _uvre des actions sur le terrain.

M. le Rapporteur : Compte tenu de la répétition des inondations, on peut penser qu'il existe au Mans une culture du risque. Les habitants des zones inondables étaient-ils sensibilisés au risque d'inondation lors de l'achat ou de la construction de leur habitation ? Prennent-ils des précautions particulières pour adapter leur habitat ?

Comment jugez-vous la politique de prévention dans la ville du Mans ? Il existe maintenant un PPR. Les habitants ont-ils été associés à sa réalisation ? Ses prescriptions sont-elles bien connues de la population ? Son adoption a-t-elle eu des effets concrets ?

M. Michel RIOUX : Les gens ont nécessairement conscience du risque. Comme l'on est en présence d'inondations à répétition, ceux qui sont installés depuis quelques années ont acquis un certain nombre de réflexes. Ils savent les précautions à prendre. De plus, tous ceux qui viennent s'installer dans ces zones sont informés par les notaires, lesquels informent généralement les nouveaux acquéreurs.

Certains ont bâti en zone inondable, il y a seulement quelques années, avec la bénédiction des directions départementales de l'équipement. Inutile de vous dire qu'il est difficile de leur parler de culture du risque, dans la mesure où on les a invités, parfois même poussés, à s'installer dans ces secteurs. Il faut reconnaître que tout le monde était intéressé par le développement de lotissements et de nouvelles habitations dans ces zones. Puisque l'on avait connu, de 1966 à 1995, une période sans inondation, après quelques travaux effectués dans les années 1970, tout le monde était convaincu, à tous les niveaux, que le danger était derrière nous. La confiance aidant, même les directions départementales de l'équipement ont invité les gens à s'y installer. Ceux-ci sont donc aujourd'hui tentés de rappeler qu'on les a incités à construire en zone inondable.

Cela dit, un certain nombre de personnes ont le sentiment de vivre en zone inondable. Certains l'ignoraient un peu et se sont trouvés plongés dans la situation que l'on connaît depuis 1995. Les gens pouvaient supporter des crues de type trentennal mais, dès lors qu'elles deviennent annuelles, voire pluriannuelles, la situation devient intenable.

Quant à prendre des dispositions pour en limiter les conséquences, cela se fait couramment. Nous nous y sommes nous-mêmes employés en publiant une plaquette sur les précautions à prendre avant, pendant et après les inondations, afin d'en limiter au maximum les conséquences. Mais ce qui est le moins bien ressenti, ce sont les inondations à répétition. Il devient alors difficile de parler aux gens de culture du risque.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que pendant toute une période où il n'y a pas eu d'inondations, des travaux ont été réalisés. De quels types de travaux s'agit-il ? Certains ont pour effet de sécuriser les gens, parfois de façon irrationnelle, ce qui est pire que le mal en matière de culture du risque.

M. Michel RIOUX : Après les inondations de 1966, un curage très important du lit des rivières a été effectué dans la traversée du Mans, puisque l'on a retiré de l'Huisne et de la Sarthe quelques 250 000 m3 d'alluvions.

En outre, des barrages automatiques capables de s'effacer au fur et à mesure de la montée des eaux afin de faciliter au maximum leur écoulement avaient été installés dans la traversée du Mans. Malheureusement, tous ceux qui étaient prévus n'ont pas été mis en place, notamment en aval du Mans, là où il aurait été le plus important de les faire. Leur installation est d'ailleurs à nouveau recommandée dans les dernières études.

Je crois avoir indiqué comment sont ressentis les PPR dans l'agglomération mancelle. Les inondables ne se sentent pas du tout concernés puisque eux affrontent déjà le risque. À l'évidence, il s'agit de plans destinés à éviter l'extension des zones à risque. De plus, nous ne subissons pas d'inondations dont la montée peut revêtir un caractère catastrophique. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que l'on avait un peu confondu la situation de Vaison-la-Romaine et celle du Mans. Il n'y a pas véritablement de danger pour les personnes.

Du coup, quand les PPR sont arrivés en Sarthe, les préfets ont estimé, d'une façon pure et dure, qu'il ne devrait plus y avoir aucune construction dans la zone inondable centennale. Les habitants se sont élevés contre cette idée qui revenait à figer et à rendre inhabitables certains quartiers à l'avenir pratiquement nul.

Grâce à nos interventions et à celles des municipalités, nous avons réussi à faire comprendre aux préfets que l'on pouvait distinguer entre des zones recevant des hauteurs d'eau élevées, des zones recevant des hauteurs moyennes et des zones recevant des hauteurs faibles. Dans les premières, il va de soi qu'il n'est plus question de construire. Dans les zones intermédiaires, il est ménagé une possibilité d'extension pour des familles qui s'agrandissent. Il convient de préciser que les autorisations de telles extensions ont été accordées de façon très limitée et non pour des pièces habitables - pour un garage ou un local technique -, avec des prescriptions de niveau supérieur aux plus hautes eaux. Dans les zones d'aléa faible, il est possible de construire dans des « dents creuses » et non dans des secteurs totalement vierges d'urbanisation. Ces zones ont été préservées pour pouvoir en faire des champs naturels d'expansion de crues, disposition que nous aimerions voir étendre à l'ensemble de la région mancelle. Mais dans le schéma directeur, je ne suis pas sûr que l'on ait retenu toutes les possibilités d'expansion des crues, ce qui est regrettable.

M. le Rapporteur : Vous êtes donc victimes annuellement ou plusieurs fois par an de ce genre d'incidents. Comment êtes-vous indemnisés ? Comment cela se passe-t-il concrètement ? Quels sont les problèmes que vous rencontrez ?

M. Michel RIOUX : De ce point de vue, les problèmes ne sont pas très importants, bien au contraire. L'indemnisation se fait relativement bien. Une déclaration doit être faite dans les délais prévus. La compagnie d'assurance désigne un expert. Généralement, un consensus s'établit entre l'expert et le propriétaire. S'il est d'accord, le remboursement s'effectue sur cette base. À ceci près que sont appliqués un taux de vétusté, on ne sait d'ailleurs pas trop en fonction de quoi, et une franchise. Dès lors, les inondables sont loin d'être indemnisés correctement de leurs dégâts. La vieille salle à manger, le vieux réfrigérateur qui rendait bien service ne peuvent être remplacés avec les montants attribués. Mais, sauf quelques cas particuliers, il n'y a pas de problème majeur dans les relations avec les experts et les compagnies assurances.

M. le Rapporteur : Avez-vous connu des cas de reconstructions de maisons ?

M. Michel RIOUX : Récemment, à la suite des inondations de 2000-2001, une ou deux maisons en bordure de rivière menacent de s'écrouler. Il y a des difficultés parce que les experts et l'assurance considèrent que des confortements de rives auraient dû être faits par le riverain dans la mesure où l'on est dans un domaine privé et où les rives appartiennent aux riverains. On a demandé aux gens de quitter leur maison, mais ils ignorent de quoi leur avenir sera fait.

M. le Rapporteur : Je comprends que vous n'êtes pas favorable à l'évacuation de l'ensemble du quartier. Vous avez distingué trois zones, dont l'une est la plus périlleuse pour les biens. Pour celle-ci, êtes-vous favorable à ce qu'il y ait des incitations à reconstruire ailleurs ?

M. Michel RIOUX : Tout à fait. La délocalisation des personnes les plus exposées pourrait fort bien être envisagée dans ce cas-là. Nous y sommes très favorables. Il n'est pas sûr que les riverains en bordure directe de rivière le soient. Certains disent qu'ils sont venus vivre au bord de la rivière afin de bénéficier de sa présence au bout de leur jardin. Dans le même temps, ils souhaitent être protégés.

Il convient toutefois de préciser que les riverains directs de la rivière sont très peu nombreux en comparaison de tous ceux qui, vivant dans des zones fortement inondables, ne bénéficient pas directement de la présence de la rivière et en sont, au contraire, les victimes. De ce point de vue, beaucoup accepteraient d'être délocalisés. D'ores et déjà, à chaque fois que des terrains en bordure de rivière sont mis en vente, parce que leurs propriétaires savent qu'ils n'ont plus grande valeur immobilière dans la mesure où les PPR les ont figés, la ville du Mans s'en porte acquéreuse.

M. le Président : Vous avez dit que les quelques ouvrages qui sont prêts à être financés mais qui posent des problèmes administratifs, réduiraient la hauteur d'eau de cinquante centimètres, ce qui est suffisant pour les crues trentennales. Est-ce à dire que vous vous satisferiez de cet abaissement de cinquante centimètres ?

M. Michel RIOUX : Tout à fait, car nous avons conscience qu'il serait utopique de vouloir éradiquer les inondations. Une simple diminution de cinquante centimètres, ce qui est tout à fait raisonnable, permettrait d'atteindre les chiffres que j'ai cités tout à l'heure. Retenons que pour une crue du type de celle de 1995, mille habitations seraient totalement soustraites aux eaux et que d'autres en auraient également beaucoup moins.

M. le Président : Je pense que tout décimètre gagné est important pour l'inondé. Vous avez évoqué la complexité des lois, des procédures, des interlocuteurs. S'il ne devait rester qu'un interlocuteur, lequel verriez-vous ?

M. Michel RIOUX : Les deux interlocuteurs privilégiés sont le préfet et le président du conseil général. Le conseil général, et a fortiori, le conseil régional, semblent assez bien placés pour traiter le problème dans sa globalité sur l'ensemble d'un bassin. Certes, les actions locales sont utiles mais il importe de pouvoir engager rapidement des opérations sur l'ensemble d'un bassin afin que les protections des uns n'aggravent pas la situation des autres. Au niveau d'un département comme la Sarthe, le président du conseil général est déjà un bon interlocuteur, mais il conviendrait aussi de trouver un interlocuteur au niveau du bassin.

Toutefois, actuellement, le président du conseil général et le président du conseil régional n'ont pas de compétences propres dans ce domaine, en sorte que l'on ne trouve jamais de responsable. Ils se lancent dans des opérations au titre de la solidarité et du bon sens, mais rien ne les obligent à le faire.

M. Paul DHAILLE : Votre diagnostic et les solutions que vous proposez sont intéressantes, mais certains points me semblent contradictoires. La lutte contre les inondations, dites-vous, ne relève pas de la compétence du conseil général ni du conseil régional mais elle relève de la compétence des maires. Je ne suis pas certain que transmettre cette compétence aux régions ou aux départements apporterait une grande amélioration.

Comment l'intercommunalité du Mans est-elle organisée ? Existe-t-il une communauté d'agglomération ? Si oui, recouvre-t-elle assez largement les bassins versants ? Les intercommunalités ne seraient-elles pas les collectivités les mieux placées pour traiter ce type de problème ?

M. Michel RIOUX : Il existe au Mans une communauté urbaine qui ne couvre que sept à huit communes. Il est évident qu'en tant que président de cette communauté urbaine, le maire est très bien placé pour traiter le problème de la lutte contre les inondations sur le plan local. Il a la volonté de le faire. Il l'a fait et il continue de le faire. Mais j'ai indiqué tout à l'heure que plusieurs types de protections étaient envisagés : des protections locales mais aussi, et surtout, des protections en amont très éloignées du Mans. Elles consistent en des retenues d'eaux dites sèches d'écrêtement de crues situées à quarante ou cinquante kilomètres de la ville, parce que les bureaux d'études n'ont trouvé qu'à cet endroit-là une configuration naturelle qui permette de le faire. Entre ces retenues sèches et la localité du Mans, bon nombre d'autres petites localités ont besoin, elles aussi, de prendre des dispositions locales mais n'ont pas beaucoup de moyens pour le faire.

Le conseil général s'est senti dans l'obligation de s'en occuper. Il a lancé le processus de faisabilité de ces retenues en amont. Pour ce faire, il a initié la mise en place d'un maître d'ouvrage. Personne n'avait l'obligation de le faire. On voit mal qui aurait pu se mettre à la place du conseil général s'il n'en avait pas pris l'initiative. Sûrement pas les maires des localités du bassin, puisque les maires des communes où doivent être installées ces retenues destinées à protéger l'agglomération mancelle et d'autres communes jusqu'à la Maine, comme Sablé, n'y sont pas du tout favorables. On voit mal comment cette maîtrise d'ouvrage pourrait échapper au conseil général de la Sarthe.

M. Paul DHAILLE : Votre réponse fait toucher du doigt la complexité du sujet. Quand une commune de la vallée a été victime d'une inondation, il est certain que les communes du plateau se sentent peu concernées. Que le conseil général veuille s'engager financièrement, c'est bien. Mais, je ne pense pas qu'une responsabilité réglementaire résoudrait le problème.

Vous estimez que les prescriptions du PPR sont parfois trop draconiennes mais vous préconisez d'intégrer les risques d'inondation dans le schéma d'urbanisation, ce qui revient à édicter un certain nombre de règles. Bien que ma région ait été inondée, les plus grands risques auxquels elle est exposée sont les risques technologiques puisque nous avons vingt-six usines classées « Seveso ». Or lorsque l'on a une usine classée « Seveso », il est interdit de poser ne serait-ce qu'un Velux dans un périmètre de deux kilomètres tracé au compas. On ne peut pas prévoir un logement de gardien à l'intérieur de l'usine. Je comprends que l'on trouve les prescriptions trop draconiennes mais, s'il existe un risque, il y a obligation de la part de l'État et de la collectivité de prendre des mesures parfois très lourdes. J'ai le sentiment que vous souhaitez que des mesures soient prises et que vous jugez certaines mesures trop lourdes à supporter par le résident.

M. Michel RIOUX : Il est vrai que nous souhaitons voir prises des mesures draconiennes en direction des espaces non urbanisés de façon à ne pas prélever sur eux les possibilités d'expansion naturelle des crues. Soulignant le danger qui existe pour les habitants des zones inondables, vous dites que ceux qui s'y trouvent sont suffisamment exposés et qu'il ne faut pas en mettre davantage. Vous avez raison mais, comme je l'indiquais en préambule, Le Mans n'est pas Vaison-la-Romaine. Les inondations ne risquent pas de mettre en péril des vies humaines. Les crues arrivent lentement. Elles s'installent parfois durablement mais ne provoquent pas de danger vital pour les personnes.

Si nous avons souhaité un assouplissement de la réglementation des PPR, c'est tout simplement pour que les quartiers situés en zone de danger faible ou moyen puissent continuer à avoir une vie normale et ne soient pas purement et simplement abandonnés. Ou alors, il aurait fallu que l'État apporte simultanément des possibilités de délocalisation. Des gens auraient probablement accepté d'être délocalisés mais l'État ne l'a pas proposé. On allait, par des mesures draconiennes, condamner des zones importantes de l'agglomération mancelle en les vouant à devenir des quartiers qui auraient pu être squattés. Nous avons tout simplement demandé à l'État d'assouplir les règles du PPR, afin que là où quelques extensions sont possibles et là où les risques d'inondation sont relativement faibles, l'on puisse compléter quelque peu l'urbanisation sans pour autant, je le répète, prendre sur des zones vierges de nouveaux espaces d'urbanisation.

Tel était l'objet de notre demande qui, heureusement, a été acceptée. Nous ne voyons pas bien pourquoi, au niveau de l'État, on a mis dans le même ensemble des zones de crues torrentielles et des zones de crues de plaines.

M. Paul DHAILLE : Vous avez dit que personne n'entretient plus les cours d'eau. En l'occurrence, ce devraient être les riverains. Ce faisant, vous mettez le doigt sur un problème important. Vous avez ensuite proposé que les collectivités locales se substituent aux riverains défaillants. Je n'ai aucune opposition de fond avec vous. Mais si l'on exclut les problèmes financiers, il se pose tout de même un problème de droit. Pensez-vous que cette substitution puisse aller jusqu'à des mesures coercitives car il faudra pénétrer sur des terrains privés avec parfois des engins lourds ? Après que l'on a adressé la mise en demeure et qu'elle n'a pas été exécutée, la collectivité locale peut-elle prendre tous les moyens nécessaires à l'exécution de sa décision ? Cela remet en cause le droit du propriétaire que vous défendez vous-même.

M. Michel RIOUX : L'article 31 de la loi sur l'eau prévoit que les collectivités peuvent - et non doivent - se substituer aux propriétaires défaillants. Nous n'avons pas d'intérêt particulier d'un côté ou de l'autre. Nous disons simplement que c'est soit aux riverains, soit aux collectivités, locales, de le faire. On ne peut pas rester indéfiniment dans l'expectative et voir les rivières ne plus être entretenues par personne, les riverains considérant qu'ils peuvent continuer ainsi puisque personne ne leur demande de comptes, les autres disant que l'on ne peut pas adopter de mesures coercitives. C'est l'un ou l'autre. Soit, on exige des riverains qu'ils le fassent et on ne s'arrête pas à la mise en demeure, on a recours aux tribunaux pour exiger qu'ils fassent ce qu'ils devraient faire. Soit, on admet qu'ils ne peuvent pas le faire et c'est aux collectivités de présenter le choix aux riverains.

M. Paul DHAILLE : Monsieur le président, je suis entièrement d'accord avec vous, mais c'est un débat que nous avons depuis le début. Si ce n'est que le recours au tribunal exige deux ans de procédure, plus deux ans supplémentaires en cas d'appel et même davantage si le riverain est procédurier. Les délais sont fort longs. Pour ma part, je suis plutôt partisan des mesures coercitives lourdes, mais chacun doit être conscient que l'on est dans un État de droit.

Enfin, vous avez dit que les notaires signalaient le caractère inondable des biens dont ils assurent la vente. À ma connaissance, ils ne sont pas obligés de le faire. Il est proposé de faire figurer dans les actes de vente et dans les actes de location le fait qu'une propriété est inondable. Une telle mesure recueillerait-elle votre assentiment ?

M. Michel RIOUX : Les gens qui viennent s'installer en zone inondable doivent le savoir. Je ne vois donc aucune objection à ce que cela soit signalé. Cela dit, il faut bien reconnaître que ceux qui sont installés dans ces zones subissent une perte de patrimoine dès lors que leur immeuble ou leur terrain est déclaré comme étant en zone inondable. Pour un terrain, c'est plus facile à dire parce qu'il ne faut pas créer l'illusion d'une possibilité de construction. C'est beaucoup plus difficile dans le cas d'un immeuble. Je puis vous dire qu'au Mans, la grande majorité des notaires notent déjà dans leurs actes les immeubles qui se trouvent en zone inondable.

M. le Président : Toute la difficulté, que nous avions déjà soulevée lors d'une précédente audition, c'est de définir la zone inondable. C'est très différent selon qu'il s'agit de crues millénales ou de crues annuelles. Dans certains cas ou lorsque l'on sait que l'on est dans des zones de crues à répétition, il convient d'avoir une réflexion plus affinée. Pour nous, une zone inondable est une zone qui subit régulièrement des crues de 1,5 mètre. D'ailleurs, où se trouve géographiquement la zone inondée fréquemment ?

M. Michel RIOUX : Au c_ur du Mans, très près de la confluence entre l'Huisne et la Sarthe et, dans la périphérie, dans une petite commune en amont, Saint-Pavace.

Enfin, je voudrais redire que ce dont nous souffrons le plus, c'est de l'attente indéfinie de la mise en _uvre des procédures et de ne rien voir apparaître sur le terrain. Les déclarations de financement de la part de l'État sont toujours bien acceptées par les inondables, mais sur le terrain, l'on ne constate aucune action de nature à lutter contre les inondations, ce qui est intolérable.

M. le Président : Monsieur le président, nous vous remercions.

Audition de M. Philippe BAFFERT,
chef du bureau de la législation et de la réglementation au
Service de la stratégie et de la législation à la
Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction
ministère de l'Équipement, des transports et du logement

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 11 juillet 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Philippe Baffert est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Philippe Baffert prête serment.

M. le Président : La commission s'intéresse particulièrement au problème de la liaison entre les outils de prévention, tels que les plans de prévention des risques (PPR) et les règles d'urbanisme. De même, elle souhaite explorer les voies permettant d'améliorer les outils existant en matière d'occupation des sols ou d'aménagement de l'espace urbain, comme l'expropriation par exemple.

M. Philippe BAFFERT : Les réflexions sur cette question sont à la fois simples et compliquées. Les problèmes de droit posés par les relations entre le droit des sols, le droit de l'urbanisme et les problèmes d'inondation sont tranchés depuis longtemps. La vraie difficulté consiste dans la connaissance des risques.

La base du droit de l'urbanisme par rapport aux problèmes de risques, et pas seulement d'inondation, est l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, issu du décret de 1961 créant le règlement national d'urbanisme. Il prévoit que l'autorité compétente pour délivrer les permis de construire est tenue de les refuser, ou de ne les accorder que sous réserve de conditions particulières, « dès lors que les constructions, par leur situation ou leur dimension, sont de nature à porter atteinte à la salubrité et à la sécurité publique ». Depuis toujours, la jurisprudence du Conseil d'État a considéré, contrairement à l'idée initiale du texte, que cette interdiction ne s'appliquait pas seulement aux constructions de nature à créer des nuisances mais aussi à celles susceptibles d'en subir. Le Conseil d'État estime que l'administration, non seulement peut, mais doit refuser les permis de construire dès lors, par exemple, que le terrain est soumis à des risques d'inondation graves.

Ce texte s'applique sur toute la France, qu'il y ait ou non de plan local d'urbanisme - le nouveau document qui remplace le plan d'occupation des sols -, ou de carte communale. Quel que soit le document d'urbanisme qui s'applique, ce texte prévaut. Même si un document d'urbanisme a prévu une zone constructible, l'administration a donc, non seulement le droit, mais l'obligation de refuser le permis de construire, dès lors que la construction serait soumise à des risques d'inondation graves.

Cependant, le problème apparaît beaucoup plus complexe que ce principe simple. À partir de quand le risque d'inondation grave nécessite-t-il le refus d'autorisation ? Si les risques d'inondation font courir des dangers pour les personnes, on est tenu de refuser les permis de construire. S'agissant des inondations torrentielles, on n'a pas le droit de faire courir de risque pour les personnes. En revanche, lorsque le risque concerne seulement les biens, le problème est plus complexe. Va-t-on refuser un permis de construire parce que le terrain est soumis à un risque d'inondation lente tous les soixante ans ? C'est nécessairement un choix social, une question de bilan économique entre l'inconvénient d'avoir à procéder à une remise en état une fois tous les cinquante ou soixante ans et l'inconvénient de refuser les permis de construire systématiquement.

Après chaque inondation, nous avons la même pression dans les deux sens. Immédiatement après l'inondation, on considère qu'il est scandaleux d'avoir accordé les permis de construire, puis on reproche à l'administration d'être tatillonne. On le constate d'ailleurs actuellement pour les terrains qui ont été inondés récemment. La question de redélivrer des permis de construire se pose immédiatement. Il ne s'agit pas seulement d'un choix technique, mais aussi d'un choix politique et social. Jusqu'où peut-on accepter de courir le risque ?

Les documents d'urbanisme sont assez peu armés pour régler ce genre de problème. C'est pourquoi la loi Barnier avait créé les PPR. Dans les zones soumises à inondations, nous avons besoin, du point de vue de l'urbanisme, que les servitudes des PPR soient mises en place. Contrairement à ce qui se dit souvent ou à ce que beaucoup de gens croient, la création d'un PPR n'est pas de nature à augmenter l'inconstructibilité, mais plutôt à la réduire. Dès lors que l'on sait qu'il y a un danger, l'on doit refuser les permis de construire. Mais dès lors que l'on étudie, dans le cadre d'un PPR, la réalité du danger, on peut estimer que, dans telle ou telle zone, à condition de prendre telle ou telle mesure, des permis de construire peuvent tout de même être délivrés.

La règle d'urbanisme pose le problème du danger de façon assez générale, mais elle ne peut imposer un matériau particulier pour lutter contre les inondations. En revanche, le PPR peut à la fois imposer au demandeur, avant la délivrance du permis de construire, des études, notamment pour analyser la stabilité du terrain, et un type de matériau à utiliser.

Pour prendre l'exemple des risques d'avalanches, certains bâtiments risquent de subir non directement les effets d'une avalanche, mais des effets de souffle et de bruit qui risquent de déstabiliser ce bâtiment même si l'avalanche est déclenchée à l'autre bout de la vallée. Dans ces secteurs, les PPR liés aux avalanches n'interdisent pas de construire, ils imposent des tailles de matériaux, des épaisseurs de murs, des interdictions de fenêtres à tel ou tel endroit, etc., que nous ne pourrions pas imposer avec les documents d'urbanisme.

La mesure générale de précaution, que l'on doit prendre au nom du code de l'urbanisme, et l'étude plus fine vont de pair. Nous rencontrons actuellement le même problème avec les affaissements miniers. Dans des secteurs entiers, nous ignorons où des affaissements sont à craindre : on doit donc refuser les permis de construire. Les PPR miniers permettent de localiser plus finement les dangers et donc de savoir où il convient de refuser les permis et où il n'y a pas lieu de le faire. Malheureusement, ils nécessitent des études très compliquées, de sorte que même si l'on décidait d'y consacrer des moyens considérables, ils ne pourraient pas être réalisés du jour au lendemain faute d'un nombre suffisant de spécialistes.

Cela dit, les PPR n'empêchent pas les aléas. Dans le cas récent d'un glissement d'un massif montagneux, on venait de faire réaliser, par plusieurs bureaux d'étude, des expertises qui toutes concluaient à la présence de risques partout, sauf à l'endroit qui s'est effondré. S'agissant d'un glissement de terrain en Guyane, tous les bureaux d'études avaient déterminé un périmètre de risque. Les habitations avaient donc été construites au-delà. Il se trouve que le glissement a été beaucoup plus important que ne le prévoyaient les spécialistes.

Cela montre que l'on ne peut tout maîtriser et tout prévoir. C'est l'autre difficulté, aussi bien pour les documents d'urbanisme que pour les PPR. On le mesure actuellement dans la Somme. La réalisation d'une étude ne suffit pas à déterminer avec précision où sont réellement les dangers.

On connaît certaines situations. Sur la Loire et à d'autres endroits, on sait que la rupture de digues peut engendrer des catastrophes. Mais dans bien d'autres endroits, on n'a pas cette connaissance précise. Je me trouvais, il y a quelques jours, par hasard dans la Somme. Sur les plateaux, on voyait les fermes dégorger d'eau. Eut-on fait tous les PPR possibles que personne n'aurait pensé que cette zone était inondable. Je ne sais pas s'il s'agit de la conjonction de circonstances exceptionnelles ou d'une évolution telle que cette situation risque de se reproduire. On a beaucoup de mal à le savoir.

Cela dit, une fois que l'on a connaissance des risques, non seulement on se doit, le cas échéant, de refuser les permis de construire en application de l'article R. 111-2, mais on se doit d'en tenir compte dans les documents d'urbanisme.

Les plans d'occupation des sols (POS) résolvent mal la question des risques. Ils prévoyaient un zonage spécifique, dit ND, correspondant, à la fois, aux zones naturelles, préservées en raison de la qualité des paysages, et aux zones soumises à des risques naturels ou technologiques. Quand un secteur était soumis à de tels risques, on était obligé de le qualifier de naturel, ce qui peut s'avérer difficile. Aussi dans le POS d'une commune proche de Montpellier, qui comprend depuis toujours un secteur inondable en zone urbaine, on n'a pas classé en zone ND des terrains qui sont construits depuis le XIXe siècle, et je comprends qu'on ne l'ait pas fait.

Dans le cadre de la modification du code de l'urbanisme résultant du décret d'application de la loi solidarité et renouvellement urbain du 27 mars dernier, le Gouvernement a proposé, et le Conseil d'État a accepté, que les secteurs soumis à des risques ne fassent plus l'objet d'une zone particulière - naturelle, urbaine ou autre - dans les documents d'urbanisme, mais fassent l'objet d'un graphisme spécifique venant se superposer au zonage.

On pourra donc trouver dans un secteur urbain l'indication qu'une zone est dangereuse sous la forme d'un graphisme spécifique, comme c'est le cas pour les emplacements réservés ou les espaces boisés classés qui peuvent se situer dans n'importe quelle zone du POS. Dans plusieurs secteurs de la région parisienne, on trouve des zones inondables urbanisées depuis toujours. C'est le cas dans le Val-de-Marne, par exemple, où la dernière inondation date de 1956. Même en application de la loi Barnier, on ne pourrait pas évacuer et exproprier les gens, car il faut, pour ce faire, « un danger grave et imminent ». Des constructions existent. Certes, des mesures doivent être prises pour éviter que de nouvelles personnes soient soumises à ce genre de risque ou, à tout le moins, des précautions doivent être prises pour que les constructions ne soient pas dangereuses, mais il serait stupide, afin de prendre de telles mesures, de classer cette zone « naturelle », alors qu'il s'agit de longue date d'un tissu pavillonnaire de banlieue.

La nouvelle indication des secteurs de risque dans les documents d'urbanisme vise à permettre de les prendre en compte plus facilement. Il est vrai aussi qu'indiquer des risques quand ils apparaissent à la population assez faibles, - par exemple, quand on interdit de construire en bordure de Loire où il n'y a plus eu d'inondation depuis 1855 - nous soumet à une énorme pression. On fait valoir que l'on a construit des digues. Il y a un problème de pédagogie qui ne peut pas être réglé uniquement par le droit. Le droit ne tient pas longtemps face à l'opinion commune.

En résumé, la consigne claire donnée aux services instructeurs des permis de construire est de les refuser, s'ils ont connaissance d'un risque. Pour pouvoir être moins rigoureux, il est souhaitable de couvrir le plus rapidement possible ces secteurs de PPR, afin d'identifier précisément ce qui peut être fait et ce qui ne peut l'être. Ni l'instructeur du permis de construire, ni le maire qui le délivre, ne peut techniquement savoir ce qui peut se faire ou pas, si le danger est celui d'une inondation tous les mille ans, qui ne pose pas un vrai problème, ou d'une inondation beaucoup plus fréquente.

La mer montera-t-elle d'un mètre dans les cinquante ans à venir ? Nous rencontrons ce problème à l'île de Ré. Les techniciens sont en complet désaccord sur l'évolution du niveau de la mer d'ici cinquante ans dans les perthuis de Charente-Maritime. Que faire ? Comment le faire ? Nous avons besoin que ces études techniques soient réalisées, sinon les DDE instructeurs des permis de construire et les élus qui les délivrent se sentent un peu démunis, sauf dans les cas évidents. Malheureusement, les inondations ne surviennent pas toujours dans les cas évidents.

M. le Président : De nombreux intervenants ont évoqué la complexité des obstacles à surmonter, compte tenu de la multitude des lois, procédures, instances, ministères, collectivités concernés. Pour le simple citoyen, voire pour l'élu local, il est très difficile de s'y retrouver. Partagez-vous ce sentiment de complexité et considérez-vous qu'il existe des possibilités de simplification ? Si oui, lesquelles, et à quel niveau ? Est-il possible de définir un système plus compréhensible ?

M. Philippe BAFFERT : Je ne suis pas sûr que l'on puisse faire beaucoup plus simple. Du point de vue de l'urbanisme, c'est extrêmement simple. Ce qui est difficile, c'est la connaissance de la réalité matérielle des faits, la connaissance réelle du danger. À Roye dans la Somme, personne n'aurait eu l'idée de refuser les permis de construire. D'ailleurs, personne ne l'aurait demandé. C'est un des aspects qui rend les choses difficiles pour les services de l'État et pour la commune.

Par ailleurs, je ne sais pas trop comment traiter, par exemple, la situation des quartiers du Mans qui sont soumis à des inondations régulières. La loi Barnier prévoit que l'on peut exproprier sans faire perdre aux propriétaires la valeur de leurs biens, dès lors qu'il y a un danger grave et imminent pour les vies, ce qui n'est pas le cas car l'eau monte lentement. Si l'on voulait exproprier ces terrains, pour créer un vaste espace public autour de la Sarthe, on rencontrerait de sérieuses difficultés car les propriétaires seraient indemnisés au prix d'un terrain inondable. Le juge fixerait l'indemnisation à un niveau qui ne leur permettrait pas de se réinstaller ailleurs.

Je m'occupais de quelques POS dans le Vaucluse à l'époque des inondations de l'Ouvèze. Une commune avait fait des travaux. L'année suivante, la partie qu'elle avait protégée n'a pas été inondée mais le reste, qui n'avait jamais été inondé auparavant, a été submergé par un mètre cinquante d'eau. Les propriétaires à qui l'on a refusé de construire ont perçu pour se réinstaller ailleurs des indemnités ne couvrant pas la moitié des dépenses qu'ils avaient engagées. En prévoyant d'exproprier sans tenir compte du risque, la loi Barnier déroge considérablement aux principes de la comptabilité publique et des finances publiques. C'est parfaitement légitime lorsqu'il y a un danger pour les personnes. Mais quand il n'y a pas de danger pour les personnes, mais seulement un risque récurrent pour les biens, se pose un problème d'indemnisation qui dépasse le cadre du droit de l'urbanisme.

Le problème d'urbanisme est simple pour un quartier nouveau. On peut interdire les constructions. Il n'est pas toujours facile à faire respecter, mais il s'énonce facilement. Mais quand il s'agit de villes entières ou de secteurs importants déjà habités, où le risque revient relativement régulièrement, la solution technique n'est pas toujours simple. Du strict point de vue du droit de l'urbanisme, il n'y a pas de problème pour trouver un interlocuteur : quand le propriétaire a vu le maire et la DDE, il a vu tout le monde. À eux deux, ils peuvent intervenir dans le cadre du plan local d'urbanisme. Mais on ne réglera pas les problèmes uniquement avec ce dernier. Il convient d'établir un PPR qui permettra, comme je l'ai indiqué précédemment, de trouver des solutions plus adaptées. Mais les propos auxquels vous avez fait allusion concernaient un problème d'indemnisation qui ne relève manifestement pas des autorités qui élaborent les documents d'urbanisme. C'est un problème que l'on rencontre fréquemment et qui est difficile à résoudre. Je ne pense pas que la complexité soit liée à des stratifications d'administrations à ceci près que, lorsque les crédits manquent, les administrations se renvoient toujours les dossiers les unes aux autres.

M. le Rapporteur : Monsieur Baffert, en tant que représentant du ministère de l'Équipement, des transports et du logement, j'aurais bien voulu vous titiller un peu sur le fait que le maire de Roye n'a pas été prévenu d'une décision qui consistait à ouvrir une brèche dans l'autoroute inondée afin que l'eau puisse s'écouler dans la commune, aggravant et accélérant ainsi l'inondation dans la ville de Roye. C'est un sujet que j'aborderai en d'autres lieux, mais si j'avais eu un représentant des transports devant moi, j'aurais été un peu plus explicite, car je trouve un peu étonnant de prendre une telle décision sans en avertir la commune.

Comment s'articulent le PPR et le plan local d'urbanisme (PLU) ? Les communes sont-elles tenues de réviser leur PLU après l'adoption d'un PPR ? L'État a-t-il les moyens de s'assurer que les permis de construire respectent les prescriptions du PPR ? Que pensez-vous de la critique selon laquelle les PPR sont utiles pour maîtriser l'urbanisation future, mais inopérants sur l'existant ? Comment améliorer l'information du public sur les PPR ? Quelles sont les différences entre le PPR et le projet d'intérêt général (PIG) ?

M. Philippe BAFFERT : La relation entre les servitudes, d'une façon générale - pas seulement les PPR - et les plans locaux d'urbanisme a été modifiée par la dernière loi. Nous avions un système un peu hypocrite selon lequel les plans d'occupation des sols devaient obligatoirement être conformes aux servitudes. S'ils ne l'étaient pas, ils étaient illégaux. Mais, quand on instituait une nouvelle servitude, on n'avait jamais le temps de changer le plan d'occupation des sols rapidement, ce qui entraînait une illégalité sans effet direct.

Dans le texte actuel, la servitude est, comme par le passé, annexée obligatoirement au plan local d'urbanisme. Si le maire ne le fait pas, le préfet le fait par substitution. La servitude s'impose lors de la délivrance du permis de construire, même si le plan local d'urbanisme n'en a pas tenu compte. Il faut, en effet, laisser le temps à une commune de déterminer ce qu'elle va faire d'un secteur qu'elle croyait constructible et qui ne l'est plus. Dès lors que le secteur est en zone non constructible du PPR, les permis de construire doivent être refusés, même si l'on n'a pas eu le temps de modifier le plan local d'urbanisme. La nouvelle loi a laissé aux élus le temps de réagir, mais en rendant immédiatement opposable l'interdiction de construire.

Dans un souci de cohérence, même si l'on n'a pas dit qu'il faut avoir changé le PLU dans un délai de six mois ou d'un an, il est de l'intérêt général qu'il n'y ait pas de contradiction entre les deux. Si la contradiction demeure parce que les élus n'ont pas eu le temps de faire les études nécessaires, les deux règles se combinent de toute façon. Pour obtenir un permis, il importe de n'être ni contraire au PLU, ni contraire au PPR.

L'État a les moyens de veiller au respect des PPR. L'article 72 de la Constitution fait du préfet le gardien du respect de la légalité par les collectivités locales. Si un permis de construire est délivré en violation de la servitude, il doit être transmis au juge administratif dans le cadre du contrôle de légalité.

De ce point de vue, que certains le regrettent ou que d'autres s'en félicitent, je tiens à souligner que la critique des lenteurs de la justice que vous faisiez tout à l'heure risque d'être sérieusement atténuée avec le nouveau système de référé-suspension qui a été mis en place depuis le 1er janvier dernier. Si l'on défère au tribunal administratif le permis de construire d'un logement qui risque de poser des problèmes du point de vue de la sécurité, donc pour lequel il y a urgence, et qui ne respecte pas le PPR, il sera suspendu en huit à quinze jours. C'est constitutionnellement le rôle du préfet de saisir le tribunal administratif, sans compter les associations qui jouent un rôle de contrôle de légalité annexe.

La critique selon laquelle le PPR traite mieux le futur que le passé n'est pas fausse, mais elle correspond à une constatation de fait. Même si l'on modifiait la loi sur les PPR en vue d'intervenir sur le passé, il serait compliqué de faire des injonctions de travaux sur des constructions existantes. Cela peut s'imaginer. Il ne s'agirait pas de démolir mais de faire exécuter certains travaux permettant de mettre la construction à l'abri du risque. Mais entre interdire, diminuer, fixer des conditions à des constructions nouvelles et créer des injonctions de faire sur des constructions existantes, les procédures seraient nécessairement différentes. L'on devrait s'inspirer de procédures du type de la résorption de l'habitat insalubre ou du péril. Le péril permet d'ailleurs de le faire à condition qu'il soit imminent.

La complexité, la difficulté ou l'impuissance viennent peut-être en partie du fait que le problème est tellement délicat que personne ne sait vraiment comment le résoudre. Sur l'habitat existant, quand on connaît la solution technique, on peut généralement la mettre en _uvre. Le problème, c'est que l'on ne sait pas toujours quoi faire, ni comment le faire quand des quartiers ont été urbanisés dans des zones à risque. C'est d'ailleurs l'attitude du préfet de la Somme actuellement, qui a décidé de bloquer la délivrance des permis de construire en attendant que des études soient faites. Cela correspond exactement à ce que je disais tout à l'heure sur l'article R. 111-2. Sachant qu'il y a un danger et en l'absence d'études, j'attends. Mais cela ne pourra durer éternellement.

Les procédures du PPR et du PIG sont totalement différentes. Le projet d'intérêt général, qui est le grand succès du code de l'urbanisme, est une procédure qui permet de régler les conflits entre les collectivités territoriales ou entre l'État et les collectivités territoriales. Une commune fait un projet, elle est maîtresse de son document d'urbanisme, lequel dit le droit des sols pour tout le monde : pour la commune, pour la région, pour le département, pour l'autoroute, pour la route départementale, etc. Par exemple, si le département a un projet de route à un endroit donné, sur lequel la commune n'est pas d'accord et qu'elle n'inscrit pas dans son document d'urbanisme un emplacement réservé au profit du département, le conflit est tranché, depuis la loi de 1983, par un arrêté préfectoral qui déclare le projet d'intérêt général. Dès lors que le projet est déclaré d'intérêt général, la commune est tenue de l'inscrire dans son PLU.

On a utilisé le procédé des PIG pour intégrer, par anticipation, dans un plan d'occupation des sols, les futurs PPR. Le juge administratif a validé cette méthode bien qu'elle ait été critiquée par une partie de la doctrine. On savait que telle zone était inondable : le préfet a pris un projet d'intérêt général de protection. Sachant que cette zone était constructible dans le plan local d'urbanisme, il a demandé à la commune de modifier son plan local d'urbanisme. Cela revenait à notifier au maire que l'on avait une connaissance certaine que c'était inondable et que, s'il ne refusait pas les permis de construire en application de l'article R. 111-2, ils seraient déférés au contrôle de légalité. À chaque fois que l'on ne sait pas comment trancher un conflit, on a recours au PIG et cela fonctionne. Ce n'était pas indispensable mais cela a été utilisé et la Cour administrative d'appel l'a validé dans le cas d'un projet d'intérêt général de protection contre les inondations sur la Loire. Il avait été contesté devant les tribunaux qui ont estimé que l'on pouvait faire un PIG pour anticiper le PPR et imposer au POS de rendre inconstructible une zone dont on savait qu'elle était inondable.

Pour reprendre l'exemple de la Somme, je ne sais pas ce que fera le préfet mais, dans un premier temps, tant que l'on n'a pas approfondi la question de savoir si les inondations peuvent se répéter ou sont vraiment dangereuses, il est clair que l'article R. 111-2 l'autorise à refuser les permis de construire dans les zones qui ont été inondées, en vertu du principe de précaution. Ensuite, le PPR pourra fixer des zones où les permis de construire seront accordés, ou non, ou en fonction de prescriptions spéciales. En Seine-et-Marne, des maisons en bordure du Grand Morin ont un étage d'été et un étage d'hiver, avec la rivière en bas et la rue en haut. L'étage d'été est construit de telle sorte qu'il peut être inondé tous les ans, on en retire le mobilier à partir du mois d'octobre. Au printemps, on le nettoie au jet. Mais c'est un autre type de construction. Ce ne sont pas les constructions soumises au risque d'inondation telles qu'on les connaît.

M. le Rapporteur : Comment inciter les habitants à réduire la vulnérabilité des logements ? Doit-on passer par un système d'assurance ou d'indemnisation ? Je crois savoir que les PPR peuvent imposer des modifications dans la limite de 10 % de la valeur des biens.

M. Philippe BAFFERT : Oui.

M. le Rapporteur : De nombreuses communes ont-elles fait de telles prescriptions dans leur PPR ?

M. Philippe BAFFERT : J'applique les PPR, je ne les fais pas directement, je suis donc mal placé pour vous répondre. Il est néanmoins exact que l'habitat existant est la partie faible du système. Il n'y a pas de procédure de prescription de travaux. Pour ce faire, constitutionnellement, il faudrait prévoir une procédure qui donne plus de garanties qu'un simple PPR avec enquête publique. On ne peut, par un simple document d'urbanisme, imposer des travaux qui peuvent être considérables par rapport à la valeur des biens et qui risqueraient de porter atteinte au droit de propriété. Cette procédure serait considérée comme excessive par le Conseil constitutionnel s'il était saisi.

Il est possible d'imposer de telles obligations mais en les assortissant de compensations et de garanties. Des procédures existent dans ce domaine. Pour l'instant, il est vrai que ni les procédures d'urbanisme ni les PPR ne sont vraiment adaptés à la mise en place d'un système qui consisterait, au vu du résultat des études, à prescrire certains travaux. On cherche davantage à convaincre et à inciter par des subventions que d'agir de façon autoritaire. Le Conseil d'État a estimé qu'imposer des travaux dont le coût excéderait 10 % de la valeur d'un bien serait contraire au droit de propriété et à l'article 1er du protocole 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il faut trouver un équilibre entre les garanties que l'on donne aux particuliers, les financements et les limites que l'on fixe à la propriété.

M. le Rapporteur : Nous cherchons des moyens de nature à inciter les gens, soit à ne pas reconstruire sur place des maisons condamnées qui risquent d'être à nouveau touchées, soit à améliorer le bâti afin de lui permettre de résister.

Comment informer le public lors de la cession d'un immeuble ? On pourrait d'ailleurs inciter le propriétaire à réaliser un certain nombre de travaux avant de vendre son bien afin de rendre le bâti plus résistant.

M. Philippe BAFFERT : À chaque fois qu'un terrain figure dans un document d'urbanisme l'identifiant comme inondable ou dans un PPR, cela est indiqué dans le certificat d'urbanisme qui est joint aux actes de vente. Les ventes qui se font sans certificat d'urbanisme sont rarissimes.

M. le Président : Est-il obligatoire ?

M. Philippe BAFFERT : Il n'est pas strictement obligatoire. Le Parlement ne l'a pas souhaité, notamment parce qu'il y a des ventes pour lesquelles la question ne se pose pas. Pour démolir une construction, vous ne demandez pas un certificat d'urbanisme. Mais, en fait, les notaires demandent toujours un certificat d'urbanisme, ne serait-ce que pour se garantir. Leur devoir de conseil conduit les notaires à toujours demander un certificat d'urbanisme quand ils vendent un terrain à bâtir. Dans un secteur où l'on a identifié le risque d'inondation, soit par un PPR, soit par un graphisme dans le document d'urbanisme, le certificat d'urbanisme ne peut pas ne pas le mentionner.

M. le Rapporteur : Si je comprends bien, les notaires n'indiquent pas nécessairement dans l'acte que la zone est inondable mais ils joignent un certificat d'urbanisme qui répond à la question.

M. Paul DHAILLE : Cela veut-il dire que si une maison est envahie par les termites, vous êtes obligé de le déclarer, mais que si elle est inondable ou a été inondée, vous ne l'êtes pas.

M. Philippe BAFFERT : Pour les termites, c'est obligatoire dans une zone où l'on risque d'être infesté. C'est bien cela le problème. Si vous êtes dans une zone où tout le monde sait qu'il y a un risque d'inondation, l'absence ou la présence de déclaration ne change pas grand-chose. La question se pose pour les zones un peu marginales.

Sur cette question, je suis un peu sceptique. Depuis quatre ans, j'ai dû voir quinze propositions de documents à annexer aux actes de vente. Je pense qu'il y a un véritable danger à multiplier les annexes obligatoires dans les actes de vente. Elles déresponsabilisent les notaires, qui ont par ailleurs un devoir de conseil, sans informer réellement les particuliers. Elles risquent enfin d'aboutir à ce que, pour vice de forme, il sera très facile de faire annuler une vente. Il convient de trouver un équilibre entre les informations obligatoires, qui se multiplient et qui finissent par être contre-productives, et la nécessité d'informer. Aujourd'hui, à chaque fois que l'on a ce type de problème, l'on propose d'ajouter une mention obligatoire dans l'acte de vente. Il y a eu les termites, le saturnisme, le bruit des avions, etc. D'ici quelque temps, on devra annexer un Journal officiel entier à chaque acte de vente, ce qui n'informera pas davantage les gens.

M. le Rapporteur : La notion de vice caché ne peut-elle pas s'appliquer ?

M. Philippe BAFFERT : Certainement, et surtout le défaut de conseil de la part du notaire. Les notaires en sont très conscients. Il est moins gênant pour les professionnels chargés de donner des conseils de veiller à ne pas oublier d'insérer systématiquement, - c'est facile avec les machines à traitement de texte -, toutes les informations demandées plutôt que de risquer de se voir reprocher de ne pas avoir fourni une information utile. Il convient de s'interroger sur l'équilibre à trouver entre les informations obligatoires et la réalité de l'information.

Nous rencontrons d'ailleurs le même problème avec le certificat d'urbanisme. Nous y avons ajouté des informations supplémentaires. On est à la limite des informations assimilables et il faut veiller à ne pas en ajouter trop. La loi prévoit que les documents d'urbanisme doivent mentionner les risques d'inondation dans les zones constructibles, même de façon approximative - un tel zonage n'étant pas obligatoire pour les secteurs inconstructibles. Le PPR ira plus loin et le certificat d'urbanisme donnera une garantie supplémentaire.

Dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), on a augmenté les garanties données aux particuliers par le certificat d'urbanisme qui devrait mentionner les servitudes. L'aggravation d'une servitude ne sera pas opposable aux particuliers « sauf celles qui concernent la sécurité publique ». Ainsi, le défaut d'information engage la responsabilité de l'auteur de l'information mais ne peut pas donner un droit à obtenir le permis de construire. Il convient en effet de veiller à ce que l'oubli de l'information obligatoire ne renverse pas la charge de la preuve.

M. Paul DHAILLE : Pour nous, se pose la question de la jurisprudence des tribunaux. Si l'on est inondé, il est possible d'être indemnisé avec une franchise qui peut être plus ou moins importante. Or un certain nombre de dossiers arrivent devant les tribunaux, lesquels recherchent toujours les responsabilités. On peut considérer que les habitants de Roye, qui n'avaient jamais été inondés, ne pouvaient pas le prévoir. Mais, quelqu'un qui rachète dans le cas d'une maison qui a été inondée dix ans plus tôt, il importe de savoir s'il savait qu'une inondation s'était produite dix ans plus tôt ou si on le lui avait caché.

M. Philippe BAFFERT : Il faut informer sur les risques d'inondation. Normalement, toutes ces informations sont fournies par le document d'urbanisme que tout le monde consulte avant d'acheter un terrain et par le certificat d'urbanisme que les notaires annexent presque toujours dans les actes de vente. J'appellerais votre attention sur le fait que créer des obligations d'informations supplémentaires, à peine de nullité des actes de vente, risque d'être contre-productif par rapport à l'objectif qui est le vôtre.

Cette information est toutefois nécessaire. Je dirai même, et nous l'indiquerons dans nos circulaires, que son absence dans la note d'information d'urbanisme ou dans le renseignement d'urbanisme est de nature à engager la responsabilité de l'administration qui doit la délivrer, pour autant, bien entendu, qu'elle la connaissait avant. Il va de soi que, si l'on ne pouvait pas imaginer que la zone était inondable ou si l'on se trouvait, dans l'exemple que je citais tout à l'heure, à un endroit où l'on garantissait la solidité de la montagne, la responsabilité de l'autorité administrative ne saurait être engagée, sauf si l'étude était défaillante.

M. le Président : Vous nous disiez tout à l'heure qu'il suffit d'appliquer des textes existants relativement simples. Vous avez dit notamment qu'il suffisait d'appliquer l'article R. 111-2, s'il y a danger pour les personnes. Or dans la Somme, cet article ne semble pas pouvoir s'appliquer puisqu'il n'y a pas de danger direct pour les personnes. À partir de quelle limite considère-t-on qu'il y a danger pour les personnes ?

Vous avez dit aussi que l'on pouvait appliquer les textes relatifs à l'insalubrité. Ce n'est pas toujours simple car le propriétaire n'a pas la même notion du risque et ira facilement devant les tribunaux. Il ne faut pas croire que les textes, aussi bien faits soient-ils, soient faciles à appliquer sur le terrain.

M. Philippe BAFFERT : J'ai justement voulu dire que c'était très simple sur le plan juridique et compliqué dans la réalité pratique.

L'article R. 111-2 impose de refuser l'octroi du permis de construire en cas de danger pour les personnes et permet de le refuser en cas de danger pour les biens. Il peut imposer de le refuser lorsque le danger sur les biens atteint un certain niveau. Il est arrivé que des permis de construire soient annulés par les tribunaux alors qu'il n'y avait danger que pour les biens, mais un danger relativement répétitif. En cas de danger pour la personne, il n'existe pas de marge d'appréciation. On n'a pas le droit de considérer que le risque d'un mort tous les cent ans n'est pas grave en comparaison des accidents de la route.

En revanche, on délivre actuellement des permis de construire à côté de la gare Saint-Lazare ou de l'Assemblée nationale qui sont incontestablement des secteurs inondables. En 1910, il y avait un mètre d'eau au-dessus du niveau du sol. Nul ne peut affirmer que, si les conditions météorologiques de la crue de 1910 se reproduisaient, il n'y en aurait pas autant, car toutes les urbanisations et remembrements effectués compensent très certainement les trois lacs qui ont été créés pour réguler le cours de la Seine. On pourrait très bien connaître de nouveau une situation où l'Assemblée nationale serait inondée. Cela dit, personne n'est choqué que l'on ait délivré un permis de construire ici parce que l'inondation serait lente et que l'on aurait le temps de s'organiser.

Il existe donc une marge d'appréciation quand il s'agit d'un danger pour les biens, il n'en existe aucune pour les personnes. Dans la Somme, on pourrait trouver la combinaison d'un danger pour les biens et pour les personnes car, après avoir été inondé pendant un mois, un immeuble construit en pisé peut s'effondrer.

M. le Rapporteur : Revenons à la notion de danger pour les personnes. Ce dernier week-end, à Roye, il n'y a pas eu de déferlement, mais l'eau est montée très vite, au point qu'une personne a eu du mal à sortir de chez elle. Sa maison était submergée par l'eau venue intempestivement de l'autoroute. Il y avait là un véritable danger pour les personnes. Dois-je ou non renouveler le permis de construire ?

M. Philippe BAFFERT : La réponse réside dans l'article R. 111-2. Je reconnais que c'est très facile à écrire et très difficile à appliquer. On a toujours une marge pour apprécier la réalité du danger, en tenant compte néanmoins du fait que l'évolution sociale, celle des comportements et des mentalités conduisent les tribunaux à appliquer le principe de précaution de façon de plus en plus rigoureuse. Nous sommes donc bien obligés, les uns et les autres, de tenir compte du fait qu'il est certain que les tribunaux appliqueront le principe de précaution dans des conditions différentes de celles d'il y a cinq ans.

C'est précisément là où, du strict point de vue du droit de l'urbanisme, nous sommes un peu démunis. C'est pourquoi il importe d'aller plus loin par l'établissement d'un PPR. Je n'ai aucun doute sur ce point. La simple utilisation du code de l'urbanisme est un pis-aller. Elle permet de faire face aux nécessités en cas d'urgence. Le PPR est vraiment nécessaire pour préciser ce que l'on peut faire et ce que l'on ne peut pas faire, tant du point de vue de l'urbanisme que du point de vue de la construction. Il permet aussi de régler le problème du type d'évacuation imposé. La loi sur les paysages a mis en place tout un système de prévention des risques pour les terrains de campings. Ainsi, paradoxalement, on n'a pas le droit d'être aussi exigeant pour un terrain de camping que pour une construction en dur. Comme il est prévu que l'on ne peut interdire le terrain que si les méthodes d'évacuation ne fonctionnent pas, la contrainte n'est pas aussi forte que pour une construction permanente, dans la mesure où il ne s'agit que d'installations légères et où l'essentiel est que les gens puissent s'en aller.

Si le droit est simple, la réalité est tellement complexe que son application n'est pas aisée.

M. Jacques BASCOU : Vous avez fait allusion à la loi SRU. Celle-ci prévoit des schémas de cohérence territoriale (SCOT), qui font actuellement l'objet de réunions d'information organisées par les services de l'équipement à l'intention des maires. L'un des objectifs visés par les SCOT est la prévention des inondations.

Nos auditions ont mis en évidence la nécessité d'une vision globale, soit par les agences de bassin, soit par l'intermédiaire des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). En conséquence, les PPR ne sont-ils pas obsolètes ? Comment articuler les PPR avec les schémas de cohérence territoriale ?

M. Philippe BAFFERT : Les PPR ne sont pas du tout obsolètes. On ne peut pas imaginer résoudre le problème à l'échelle d'une agglomération, d'autant moins que le périmètre des SCOT est variable, puisqu'il est proposé par les élus. Dans certains secteurs, il est assez vaste, dans d'autres, il est restreint et donc peu à même de répondre au problème d'écoulement des eaux pluviales. Ces schémas n'ont pas pour objectif de devenir le document unique qui règle tous les problèmes : inondations, urbanisme, déplacements urbains, habitat. Des documents plus précis et plus détaillés, chacun dans son domaine, conserveront leur utilité. Par exemple, le schéma de cohérence territoriale ne décidera pas des investissements à réaliser en matière de transports en commun qui relèvent de la compétence d'établissements publics plus petits. Il serait inconcevable qu'un grand syndicat mixte, couvrant tout le secteur rural, décide à la place de l'autorité ordonnatrice de transports urbains, de créer une ligne de tramway par exemple !

Le schéma de cohérence territoriale a pour objectif de réunir les élus qui élaborent ces politiques, afin que la politique d'urbanisme n'ignore pas celle de l'habitat, celle des déplacements ou celle de prévention des risques. Votre collègue Patrick Rimbert, le rapporteur de la loi SRU, expliquait qu'il était saisi de projets de voirie qui allaient à l'encontre de sa politique de transports en commun et de parkings de dissuasion. Les voiries prévues par le département étaient contradictoires avec sa politique de transports en commun. Ces politiques s'ignoraient, car chacun faisait son propre projet dans son coin.

L'ambition - peut-être très grande - des schémas de cohérence territoriale, c'est d'être un lieu dans lequel les décideurs de toutes ces politiques doivent se rencontrer pour mettre en commun les grandes orientations qu'ils auront à appliquer. Il est évident qu'à cette échelle, on ne décidera pas si tel terrain est constructible ou si tel autre ne l'est pas. En revanche, on tiendra compte des problèmes d'inondation dans les politiques de l'habitat.

À l'occasion de la discussion du projet de loi sur l'eau, le Parlement aura sans doute l'occasion de rechercher une meilleure prise en compte des eaux de ruissellement dans l'urbanisme. Ces politiques sont tellement complexes que l'on ne peut imaginer pouvoir disposer d'un document de planification capable de tout régler. Le schéma de cohérence territoriale est avant tout un lieu de rendez-vous et de confrontation, plus que de travail et de décision. Il en va de même à tous les niveaux de l'administration des collectivités territoriales. C'est le même conseil municipal qui vote tous les plans, mais si un adjoint conçoit celui de l'urbanisme, un autre le PPR, un autre le programme de l'habitat et un autre le plan de déplacement, on n'aura pas toujours la cohérence voulue, faute d'avoir un lieu où les gens peuvent se rencontrer. Le schéma de cohérence territoriale, c'est le chapeau, l'introduction ou le rapport de présentation de tous les plans. Il définit une politique d'ensemble. Chacun doit ensuite justifier qu'il la respecte. Mais ce n'est pas ce document qui fixe les règles précises.

Par ailleurs, il faudra un certain temps, car les élus sont en train de discuter des périmètres. Beaucoup seront mis en place pour le 1er janvier prochain. Un sénateur a demandé si le Gouvernement n'avait pas l'intention de reporter cette date. Il lui a été répondu négativement car il vaut mieux définir le périmètre maintenant pour ne pas le reporter à une date indéterminée, compte tenu notamment des échéances électorales de l'année prochaine. Les périmètres pourront d'ailleurs être très facilement modifiés ultérieurement, puisque la nouvelle procédure de modification est très simple. Les premiers seront sans doute restreints pour des raisons de réticences, mais ils s'agrandiront probablement ensuite.

Puis des études seront engagées. Les dispositions transitoires de la loi SRU, qui ont d'ailleurs été complétées par le Parlement par rapport aux dispositions initialement prévues par le Gouvernement pour les rendre plus souples, sont destinées à laisser le temps aux collectivités de faire ces études pendant les cinq à six ans à venir. Il ne faut donc pas compter sur les schémas de cohérence territoriale pour assurer une coordination dans le domaine qui vous intéresse. Cela étant, comme on va mettre en place les syndicats mixtes chargés d'élaborer les schémas, ce lieu de rencontre permettra, avant même l'approbation des schémas, des confrontations et donc cette négociation nécessaire. Il se fait souvent des choses beaucoup plus intéressantes dans l'étude préalable aux documents d'urbanisme que lors de leur phase ultérieure d'approbation. En tout cas, le schéma ne se substituera ni aux PLU ni aux PPR.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Pierre MONADIER,
coordonnateur de
l'Inspection générale de l'équipement pour le bassin de la Loire
(Conseil général des Ponts et chaussées)

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 septembre 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

M. Pierre Monadier est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Pierre Monadier prête serment.

M. Pierre MONADIER : J'ai rédigé un rapport sur les conditions d'intervention des services déconcentrés de l'équipement pour la mise en _uvre du plan interrégional « Loire grandeur nature ».

Je résumerai le rapport en trois parties. D'abord, je rappellerai brièvement la consistance du plan. Ensuite, je rendrai compte de l'évaluation de l'organisation des compétences et des capacités actuelles des services de l'Équipement, en insistant sur les aspects relatifs aux crues et aux inondations. Enfin, je présenterai les propositions du rapport.

Concernant la consistance du plan « Loire grandeur nature », un premier plan a porté sur la période 1994-1999. Prévu initialement pour la période 1994-2003, c'est-à-dire dix ans, il a été revu au bout de six ans pour faire place à un second plan.

Ce premier plan, adopté par le gouvernement en janvier 1994, visait à concilier le développement économique et la mise en valeur de l'environnement. Il concernait essentiellement les lits majeurs de la Loire et de l'Allier et assez peu les autres affluents. Il visait trois objectifs principaux : la sécurité des populations face aux risques d'inondation ; la satisfaction des besoins quantitatifs et qualitatifs en eau ; la restauration du patrimoine naturel. Il comportait une enveloppe de 2 040 millions de francs, tous financements réunis.

À mi-parcours, fin 1999, le bilan de la première phase apparaît satisfaisant, même s'il est contrasté suivant les thèmes retenus. Le montant des dépenses autorisées s'est établi à 1 290 millions de francs.

Le second plan a été défini par un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 23 juillet 1999. Il s'organise en quatre chapitres dont la consistance tient compte des enseignements du premier plan : sécurité des populations ; situation de la ressource en eau le long des vallées ligériennes ; restauration du milieu naturel aquatique et des espaces ruraux des vallées ; mise en valeur du patrimoine naturel, paysager et culturel des vallées.

À ce plan initial, un avenant concernant la seule région des Pays de la Loire a été signé le 28 février 2000, afin de tenir compte des enseignements des catastrophes de fin décembre 1999.

Le montant de ce programme d'action est de 2 060 millions de francs, tous financements réunis, dont environ 780 millions de francs de crédits budgétaires.

Au titre de la sécurité des populations, il prévoit 1 040 millions de francs d'investissements répartis sur les actions suivantes : réduction de la vulnérabilité des territoires ligériens ; mise en place des plans de prévention des risques (PPR) et développement de l'information préventive ; renforcement des moyens d'alerte ; renforcement des moyens de secours ; restauration et suivi du lit ; travaux de protection consistant, d'une part, dans le renforcement des levées de la Loire, pour un montant de 534 millions de francs, et, d'autre part, dans la mise en _uvre de protections localisées de zones urbaines, pour 239 millions de francs.

Concernant la situation de la ressource en eau le long des vallées ligériennes, 160 millions de francs sont prévus, principalement pour des actions alternatives à la réalisation abandonnée du barrage de Chambonchard et l'amélioration de la gestion des ressources en eau. Il s'agit de l'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et de la poursuite des études relatives à l'estuaire de la Loire.

Je passerai rapidement sur la restauration des milieux aquatiques naturels et des espaces ruraux des vallées, qui représentent 300 millions de francs.

Enfin, la mise en valeur du patrimoine naturel, paysager et culturel des vallées représente 560 millions de francs.

En ce qui concerne l'organisation mise en place, le préfet de la région Centre, préfet coordonnateur de bassin Loire-Bretagne, est chargé de la préparation et de la mise en _uvre du plan. L'organisation des services de l'État a été définie par une note du préfet de région du 29 novembre 1999, qui précise également le rôle de l'Équipe pluridisciplinaire Plan Loire grandeur nature. Celle-ci intervient essentiellement en tant qu'appui méthodologique et scientifique. Je rappelle que le préfet coordonnateur est assisté par un chargé de mission interministériel et par la direction régionale de l'environnement (DIREN) Centre, qui assure, en outre, le secrétariat permanent du plan.

Pour atteindre les objectifs généraux retenus, les investissements, notamment en matière de protection, devront se poursuivre au rythme prévu sur la période 2000-2006 durant une période d'une vingtaine d'années, jusqu'à l'horizon 2020.

J'en viens à l'évaluation de l'organisation des compétences et des capacités actuelles des services déconcentrés de l'Équipement, qui constitue le centre du rapport.

Deux remarques préliminaires s'imposent. En premier lieu, fondé sur la qualification professionnelle, la bonne volonté et la capacité de travail de quelques agents, le dispositif en place dans les services de l'Équipement est, pour un certain nombre de domaines du Plan Loire grandeur nature, extrêmement fragile, qu'il s'agisse des possibilités d'intervention ou de sa pérennité. En second lieu, la plupart des opérations réalisées dans le bassin de la Loire ont incontestablement un caractère interdépartemental, voire interrégional. L'échelle géographique adaptée à l'appréhension et au traitement des problèmes est incontestablement celle du bassin.

Je ne reprendrai ici que les domaines du plan qui comportent un appel notable aux services de l'Équipement et qui intéressent essentiellement la sécurité.

Concernant la mise en place des PPR et le développement de l'information préventive, les directions départementales de l'équipement (DDE) disposent d'unités spécialisées dans l'aménagement, l'urbanisme et l'habitat, suffisamment étoffées et compétentes pour traiter convenablement les problèmes posés, même si la charge d'élaboration des PPR à un rythme soutenu se révèle lourde. Un rôle d'animation et de coordination efficace et apprécié de tous les intervenants est assuré par la direction régionale de l'équipement (DRE) du Centre.

S'agissant du renforcement des moyens d'alerte, le dispositif d'annonce des crues sur le bassin de la Loire n'appelle pas de critiques notables. Les services de l'Équipement disposent, au plan tant de l'organisation que du nombre et de la qualification des agents, d'équipes suffisantes pour gérer convenablement les services d'annonce des crues. Seul le cas de la direction départementale de l'équipement (DDE) du Loiret, compétente sur une partie très importante de la Loire moyenne, entre le département du Loiret et la limite du département de Loire-Atlantique à Ancenis, posait des problèmes en raison de l'insuffisance des effectifs. Ceux-ci sont résolus depuis le transfert du service d'annonce des crues de cette zone à la DIREN Centre à compter du 1er janvier 2001. Malgré tout, un certain nombre d'améliorations du dispositif d'annonce des crues du bassin de la Loire reste néanmoins souhaitable.

En ce qui concerne le renforcement des moyens de secours, il existe des plans de défense, c'est-à-dire de surveillance et de réparation des levées, établis par certains services en vertu de textes très anciens. Ces plans se trouvent dans des états d'adaptation aux situations et aux besoins actuels très différents selon les départements. Mais, même dans les départements où le plan est réputé à jour, de sérieux problèmes se posent quant à son adaptation aux effectifs et qualifications actuels des agents des DDE, aux risques pour le personnel, aux conditions de travail qu'impliquerait sa mise en _uvre et à l'efficacité des mesures qu'il comporte eu égard aux moyens modernes de surveillance et d'intervention.

S'agissant de la restauration et du suivi du lit de la Loire, un document méthodologique bien fait a été établi à l'initiative de la DIREN de bassin pour les travaux de restauration du lit de la Loire. Il est apprécié par tous les services qui s'occupent de ces problèmes et est largement utilisé pour la définition des opérations à effectuer et l'établissement des dossiers de consultation d'entreprises.

Ces travaux peuvent néanmoins soulever quelques difficultés techniques. Mais ils posent surtout des problèmes portant sur la programmation rationnelle des interventions, sur leur homogénéité dans le temps et dans l'espace, sur la pertinence écologique des travaux à réaliser, ainsi que sur les consultations à mener auprès des collectivités territoriales et des associations de protection de la nature.

Bien que les études soient largement confiées à des bureaux d'études spécialisés, les services de l'Équipement ne disposent pas seuls des personnels compétents en quantité suffisante. La présence d'une cellule « écologie » dotée de solides qualités de communication au sein de la DIREN de bassin serait de nature à améliorer la qualité des interventions et leur acceptation par les collectivités territoriales et les associations.

Les effectifs affectés à cette mission par les DDE et le service maritime et de navigation de Nantes s'établissent aujourd'hui entre 0,4 et 3,8 agents équivalent temps plein par an.

Il existe deux catégories de travaux de protection de la Loire : le renforcement des levées, essentiellement domaniales, et les aménagements localisés relevant des collectivités territoriales pour protéger les lieux habités. Concernant le renforcement des levées de la Loire - le point le plus important -, les aménagements engagés mais pas encore forcément réalisés, pour la période 1994-1999, ont représenté un montant de 300 millions de francs et ont porté sur les parties les plus faciles : zones en dehors des agglomérations, confortements classiques, enlèvement de végétation sur les levées, etc. Le montant des travaux prévus pour la période 2000-2006 a été porté à 534 millions de francs. Les renforcements doivent se poursuivre au même rythme pendant au moins une vingtaine d'années.

Ces travaux soulèvent des problèmes techniques nettement plus délicats que les premiers. Les principaux sont les suivants : diagnostic sur les renforcements de corps de levées qui ont déjà été effectués ; interventions en zones urbaines, dans des emprises limitées ; renforcements de pieds de levées pour lesquels les solutions techniques ne sont pas évidentes ; réfection et création de déversoirs fusibles.

Pour les protections localisées, les collectivités territoriales doivent pouvoir trouver des partenaires à même d'assurer la maîtrise d'_uvre ou l'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Les services de l'Équipement pourraient jouer ce rôle, sous réserve qu'ils disposent des compétences et de moyens en personnels suffisants.

Les effectifs que peuvent dégager les DDE et le service maritime et de navigation de Nantes pour ces travaux varient aujourd'hui de 0,9 à 9,1 agents équivalent temps plein selon les services.

En conclusion, sur ce point central, les services de l'Équipement ne disposent pas actuellement, ni quantitativement ni qualitativement, des agents permettant de définir et de conduire convenablement ces travaux de renforcement des levées et de protections localisées.

J'en viens aux propositions pour l'amélioration des conditions d'intervention des services de l'Équipement. J'en formule une douzaine dans mon rapport qui visent tout à la fois à assurer des prestations techniques de qualité irréprochable, eu égard à l'ampleur des enjeux en termes de vies humaines et de biens exposés, à respecter les enveloppes de crédits arrêtées et à mener à bien les opérations retenues dans les délais fixés. Ces mesures concernent l'organisation des services, la coordination des actions des services, les effectifs affectés à la mise en _uvre du plan et l'adaptation de certaines dispositions particulières.

La première proposition - une des plus importantes - consiste en la création d'une unité fonctionnelle d'études pour les aménagements du bassin de la Loire, notamment pour les travaux de renforcement des levées.

Plusieurs solutions apparaissaient a priori possibles : le renforcement de chaque DDE en personnel, qui aurait été inutilement dispendieux et n'aurait pas assuré une homogénéité au niveau de la région et du bassin ou la création d'un service unique chargé de traiter intégralement l'ensemble des problèmes des travaux de protection, qui aurait abouti à décharger complètement les services locaux, ce qui n'est pas non plus souhaitable eu égard aux bonnes relations qu'ils entretiennent avec les collectivités territoriales et les associations.

J'ai estimé préférable de mettre sur pied une unité légère dont la mission se limiterait aux études des aménagements, à l'élaboration des dossiers d'appels d'offres et à une assistance aux services déconcentrés pour la réalisation et la réception des travaux. La maîtrise d'ouvrage, l'instruction des dossiers, la passation des marchés, la surveillance et la réception des travaux resteraient assurés par les services territorialement compétents.

J'ai donc proposé la création d'une unité fonctionnelle d'études, qui interviendrait d'abord pour les DDE du Loiret, du Loir-et-Cher, d'Indre-et-Loire et de la Nièvre, ensuite, pour les DDE du bassin de la Maine (Sarthe, Mayenne et Maine-et-Loire), enfin pour le service maritime et de la navigation de Nantes. Elle s'intéresserait en priorité aux opérations relevant de la maîtrise d'ouvrage de l'État, mais pourrait également s'intéresser aux opérations relevant de la maîtrise d'ouvrage des collectivités territoriales, si celles-ci le souhaitent.

Les missions de cette unité seraient plus précisément les suivantes :

- fournir aux services déconcentrés les prestations d'ingénierie dont ils ont besoin, en matière de conception des aménagements et de préparation des dossiers d'appel d'offres, mais également une aide à l'examen des propositions, une aide à la surveillance, à la réception des travaux et pour le suivi des ouvrages ;

- assurer l'homogénéité des aménagements au regard de leur conception et de la réduction des risques qu'ils apportent ;

- établir des projets-types pour les ouvrages courants et des documents techniques à l'intention des services intéressés ;

- effectuer des études techniques et environnementales préalables à la conception proprement dite des aménagements ;

- apporter des conseils techniques aux services déconcentrés sur toutes questions techniques, relatifs non seulement aux travaux de protection mais aussi aux travaux à caractère hydraulique ou géotechnique, concernant le plan Loire grandeur nature ;

- dispenser aux différents intervenants de ce plan les formations techniques nécessaires.

Dirigée par un chef d'unité, cette unité comprendrait une cellule « ouvrages », une cellule « hydraulique », une cellule « géotechnique » et un bureau de dessin. Son effectif devrait être d'une quinzaine de personnes, dont quatre ingénieurs et sept techniciens.

Cette unité pourrait être rattachée à la DDE du Loiret qui, basée à Orléans, occupe une position centrale auprès du préfet, de l'Équipe pluridisciplinaire, de la DIREN, etc.

Cette unité serait saisie à l'initiative des services déconcentrés. Son programme annuel de travaux serait fixé par un comité directeur comprenant tous les services utilisateurs.

Deux autres mesures sont des ajustements de moindre importance. Une légère redistribution des attributions entre le service maritime et de la navigation de Nantes et la DDE du Maine-et-Loire est souhaitable afin d'assurer un contact local. C'est d'ailleurs en partie réalisé. Il convient également de confirmer le rôle de la DDE de la Nièvre pour la gestion, la restauration et l'aménagement des voies navigables du bassin de la Loire. Cela ne concerne pas directement la sécurité, mais cela permettrait d'avoir une structure qui s'occuperait clairement de ces questions.

Une quatrième mesure vise à ce que les services déconcentrés de l'Équipement aient plus souvent recours au réseau technique, plus particulièrement aux centres d'études techniques de l'équipement (CETE), notamment au laboratoire régional de Blois qui avait une bonne compétence dans le domaine des levées de la Loire mais qui l'a perdue par suite de plusieurs départs à la retraite. L'effectif de ce CETE doit être restauré.

Cela vise aussi le Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF), qui doit poursuivre activement sa collaboration avec la DIREN Centre en matière de développement d'outils méthodologiques. Il doit également continuer ses prestations d'ingénierie et la fourniture de conseils pour la restauration des ouvrages de navigation et des barrages mobiles et développer substantiellement ses interventions en matière de travaux de protection.

Enfin, le Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU) est compétent et peut apporter d'utiles indications en matière de mise en place des PPR.

La cinquième mesure, très importante, a trait à la définition des modalités d'approbation des projets techniques de protection. Il n'existe pas de procédure d'instruction et d'approbation des projets, hormis les instructions réglementaires figurant dans la loi sur l'eau mais qui n'ont pas un caractère technique. Cette proposition a pour objet de soumettre désormais les projets à une procédure d'instruction technique rigoureuse, destinée à garantir la qualité, l'efficacité et le coût des ouvrages.

Pour les projets dont la maîtrise d'ouvrage incombe à l'État, indépendamment des procédures réglementaires éventuellement à suivre en application de la législation et de la réglementation en vigueur, il est proposé que, systématiquement, les avant-projets sommaires et les projets soient soumis à une approbation formelle, selon des modalités à préciser, du chef de service ou du chef d'unité. Les projets seraient systématiquement assortis de l'avis du CETMEF, si leur montant prévisible excède 3 millions de francs ou un autre seuil à redéfinir, ou s'ils présentent des difficultés techniques particulières ou des enjeux importants.

S'agissant des projets dont la maîtrise d'ouvrage incombe aux collectivités territoriales, il est proposé que les dossiers soumis à l'autorité préfectorale pour obtention de subventions de l'État aient, sur le plan technique, la consistance de projets ou d'avant-projets sommaires au sens que je viens d'indiquer, et soient accompagnés de l'avis d'un organisme de contrôle qualifié et indépendant. La décision préfectorale accordant la subvention ne doit intervenir qu'après un avis sans ambiguïté et nettement favorable de l'organisme de contrôle.

La sixième mesure vise à la pérennisation de la mission d'animation et de coordination en matière d'élaboration des PPR, qui est actuellement assurée par la DRE du Centre. Il est souhaitable que cette mission soit pérennisée. Un travail très intéressant est en cours et doit pouvoir être poursuivi. La situation est actuellement fragile car une seule personne s'occupe de l'élaboration de ces PPR.

La septième mesure a trait à l'amélioration des performances des services de l'Équipement et de la DIREN de bassin en matière de moyens d'alerte. Il s'agit principalement de l'annonce des crues. J'ai indiqué tout à l'heure que cela fonctionnait correctement, notamment après le transfert à la DIREN Centre du service d'annonce des crues de la Loire moyenne, mais plusieurs améliorations peuvent encore être apportées.

La huitième mesure vise à la mise à jour et à l'adaptation des plans de défense. Prescrits par des textes anciens, ces plans ont pour objet d'assurer, en temps de crue, la surveillance des levées de la Loire et les interventions d'urgence qui pourraient se révéler nécessaires pour en maintenir ou rétablir l'intégrité des levées. Leur mise à jour est indispensable en vue de les adapter à la situation actuelle.

Je me bornerai à mentionner la neuvième mesure qui concerne l'amélioration indispensable de la circulation des informations entre services.

La dixième mesure, qui vise au renforcement de la cellule de mesures et de bilans, concerne essentiellement l'estuaire de la Loire.

La onzième mesure concerne la clarification et la formalisation des conditions de programmation et de mise en _uvre du plan Loire grandeur nature. Plusieurs suggestions visent à améliorer la concertation entre les différents partenaires, notamment ceux concernés par les dispositifs de sécurité. Nous y reviendrons si vous le souhaitez.

La douzième, et dernière mesure, concerne l'amélioration des procédures liées aux fonds de concours. Elle dépasse le cadre de la mission qui m'a été assignée. De gros problèmes de mise en _uvre des fonds de concours apportés par les collectivités territoriales pour la réalisation des opérations sont sources de conflits entre les différents partenaires et de retards très importants dans le déblocage des crédits. Quelques mesures seraient de nature à apporter des améliorations. Le préfet de région est intervenu auprès des autorités de tutelle. Il a partiellement réussi à faire évoluer la situation.

M. le Président : Monsieur l'ingénieur général, j'ai souhaité que vous veniez nous présenter votre rapport et vos propositions parce que vous avez travaillé sur le plan Loire grandeur nature, l'un des plans importants de gestion d'un bassin, mais vos remarques sur le fonctionnement et l'amélioration des procédures peuvent être considérées comme d'ordre général.

Après qu'un plan a été mis en place, qu'un second a été préparé et des crédits votés, vous constatez un manque de moyens humains.

Pour la petite histoire, le préfet coordonnateur du plan Loire nous a réunis le 17 juillet. Nous avons essayé de faire le bilan, au bout d'un an et demi, de la réalisation de la deuxième partie du plan Loire grandeur nature et nous nous sommes aperçu que nous en étions toujours pratiquement au point zéro, alors que nous devons atteindre 700 millions de francs d'investissements. Il nous faut donc accélérer l'allure puisqu'il ne nous reste plus beaucoup de temps pour arriver au terme qui nous est fixé. Lorsque le préfet a demandé aux représentants de tous les services de l'État concernés comment ils entendaient agir, tous ont répondu qu'ils n'avaient pas les moyens en personnels nécessaires. Dans ces conditions, nous avons dû constater que nous ne pouvions pas avancer davantage.

Le préfet a alors dit, peut-être par inadvertance, que le rapport Monadier expliquait bien qu'il convenait de renforcer les moyens en personnel. C'est ainsi que j'ai découvert votre rapport. La DIREN a confirmé qu'une quinzaine de personnes était nécessaire et que pas une n'était attendue dans l'année. J'ai demandé au préfet communication du rapport. Il m'a répondu que c'était impossible. J'ai le plaisir de constater dans la lettre du vice-président du conseil général des ponts et chaussées que votre rapport était communicable six mois après avoir été remis officiellement, c'est-à-dire à partir du 20 juin. Je ne l'ai pourtant obtenu que grâce à votre présence aujourd'hui.

Aujourd'hui, les services de l'État n'ont pas les moyens de mettre en place le plan Loire grandeur nature, dont on fait grand cas, dont on est très fier, que l'on met toujours en avant en indiquant que l'on a inscrit 700 millions de francs d'investissements pour régler, dit-on, tous les problèmes de nos concitoyens riverains de la Loire et de ses affluents.

Bien souvent, les moyens humains ne sont pas suffisants. Non que les capacités n'existent pas - nous avons constaté qu'il existe des gens tout à fait compétents pour résoudre ces problèmes - mais parce que nous sommes dans un système si complexe qu'il incite à l'inaction.

Au cours de cette réunion, le préfet s'est borné à se tourner vers le président de l'établissement public et député que je suis et à lui dire, devant toute l'assistance : « C'est au député d'obtenir, au moment où les ministres vont recevoir leur lettre de cadrage budgétaire, les vingt personnes nécessaires pour réaliser le plan ». Par ailleurs, les collectivités inscrivent des crédits dans leurs budgets, lesquels ne peuvent pas être utilisés, ce qui pose par la suite des problèmes budgétaires avec les chambres régionales des comptes.

Que dois-je faire ? Dois-je continuer à travailler sur ce dossier ? Doit-on dire aux personnes que l'on réunit régulièrement que l'on ne doit plus parler du plan tant que l'on n'a pas trouvé les personnels ? Ceci explique peut-être cela. Certains de mes collègues ici présents ont dit qu'après qu'une rivière eût débordé, il y a dix ans, dans leur département, on a organisé des missions, établi des plans, mais que, dix ans après, on en est encore au même point.

Si, au travers de ce dossier, des règles du jeu pouvaient être dégagées, qui soient faciles à mettre en _uvre pour d'autres bassins, nous aurions quelque peu avancé.

M. Pierre MONADIER : S'agissant de ce qui ne relève pas strictement des travaux de défense sur la Loire, grâce aux ajustements opérés en leur sein, je pense que les DDE et la DIREN ont dégagé les effectifs à même de mettre en _uvre les PPR d'inondation dans des délais raisonnables. En revanche, en ce qui concerne les ouvrages de protection contre les inondations, il manque une unité spécialisée dotée d'effectifs suffisants.

Dans le cadre de la préparation de la loi de finances de 2002, il est prévu une augmentation substantielle des effectifs de la DIREN Centre. De plus, à la suite de la diffusion de ce rapport, des réunions internes au ministère de l'Équipement ont été organisées, avec la direction du personnel, en vue de dégager, dans le projet de loi de finances pour 2002, sinon la totalité, du moins une partie des effectifs prévus, afin de franchir une première étape dans la mobilisation des quinze à vingt personnes requises. Le rapport n'a donc pas échoué au fond d'un tiroir, comme cela peut arriver, puisque des réponses à ses propositions sont à l'étude.

Toutefois, le résultat ne peut pas être immédiat car il faut trouver des gens non seulement en nombre mais aussi en qualité, ce qui est plus difficile. Ce ne sont pas des travaux que l'on peut confier à un ingénieur qui sort de l'école. Il faut trouver quelqu'un d'expérimenté.

M. le Rapporteur : Nous nous interrogeons sur l'adéquation des moyens humains aux besoins. En ce qui concerne la Loire, vous avez répondu qu'il n'y a pas les moyens humains suffisants.

M. Pierre MONADIER : Pour une grosse partie du programme qui a trait aux ouvrages de défense.

M. le Rapporteur : Cette situation est-elle générale ?

M. Pierre MONADIER : En ce qui me concerne, je l'ai également constaté en Bretagne où l'insuffisance est plus qualitative que quantitative. Il y a des gens en nombre à peu près suffisant, mais dont les qualifications ne correspondent pas toujours aux problèmes particuliers qu'ils ont à traiter. Dans la Somme, à la DIREN et à la DDE, les effectifs sont, en quantité et en qualité, insuffisants. La situation est donc variable mais la tendance générale est à une nette insuffisance quantitative et surtout qualitative.

M. le Rapporteur : Je suis inquiet d'apprendre l'existence d'une insuffisance qualitative des moyens humains. N'a-t-on pas fait ce qu'il fallait pour obtenir les gens compétents ou bien est-ce que les gens compétents n'existent pas ?

M. Pierre MONADIER : Ces sujets n'ayant plus été d'actualité pendant un certain temps, il n'y a actuellement pas suffisamment de personnes qualifiées en matière d'hydrologie, d'hydraulique et de travaux de protection contre les inondations, aussi bien au ministère de l'Environnement, qu'au ministère de l'Agriculture ou au ministère de l'Équipement. La situation est meilleure en matière de prévention des risques ou d'urbanisme.

M. le Rapporteur : J'ai le sentiment que, sauf lorsque se produit un incident particulier, l'opinion publique n'est pas sensibilisée au risque d'inondation. Les politiques n'étant généralement que les porte-parole de l'opinion publique, on n'arrive pas à mobiliser les moyens nécessaires.

De plus, des pertes d'énergie et des pertes de synergie peuvent se produire. Ainsi, la police de l'eau est assurée, ici, par les DDE, là, par les directions départementales de l'agriculture. Des compétences parallèles d'administrations différentes peuvent nuire à l'efficacité. L'avez-vous constaté ? Peut-on y remédier ?

M. Pierre MONADIER : La compétence en matière de police de l'eau est effectivement assez éparpillée. Tous les ministères en sont conscients. Des réflexions sur une rationalisation sont en cours. Actuellement, le problème est tout de même réglé département par département par un arrêté préfectoral généralement assez bien conçu. Le conseil général des ponts et chaussées est en train de réaliser une enquête à ce sujet pour ce qui concerne le ministère de l'Équipement.

M. le Rapporteur : Vous avez souligné que, dans le bassin de la Loire, le dispositif est fondé sur des gens ayant une connaissance du terrain et que s'ils partent en retraite ou sont affectés ailleurs, celui-ci s'effondre. Retrouve-t-on cette situation dans d'autres départements et dans d'autres régions ?

M. Pierre MONADIER : Comme vous l'avez dit tout à l'heure, les priorités en matière d'eau mettent les inondations à un rang relativement modeste. J'ai constaté lors de la préparation du SAGE du bassin de la Vilaine que la première préoccupation concerne les étiages, la deuxième la qualité de l'eau et la troisième seulement les inondations. On peut donc trouver des gens compétents, mais il leur faut le temps de s'adapter aux priorités définies par les administrations et les politiques.

M. le Rapporteur : Quand on dispose de ces compétences, il faut essayer de les garder.

M. Pierre MONADIER : S'agissant des PPR pour la vallée de la Loire, une personne à la DRE assure un travail remarquable de coordination, d'harmonisation, d'animation. Si cette personne est mutée ou part à la retraite, plus personne ne fera ce travail. Dans les DDE, et en partie dans les DIREN, les problèmes qui nous intéressent reposent sur quelques individus, qui sont en général de très bonne volonté, très travailleurs, mais qui ne disposent que de capacités de travail limitées. Les départs en retraite et les mutations peuvent provoquer des fluctuations importantes de l'activité des services en cause.

M. le Rapporteur : Comment y remédier ?

M. Pierre MONADIER : Dans l'administration, et cela n'est pas propre à l'Équipement, il est bon pour l'avancement de changer régulièrement d'activité et d'implantation géographique. Il n'est certainement pas souhaitable qu'une personne reste vingt-cinq ans au même endroit.

En revanche, il serait bon que les gens qui exercent des responsabilités techniques importantes restent suffisamment longtemps au même endroit pour avoir le temps d'exercer leur activité correctement pendant un certain nombre d'années. Cela commence à se mettre en _uvre mais la prise de conscience n'est que progressive.

M. le Rapporteur : Il faut aussi laisser le temps à ces personnes de former quelqu'un d'autre, qui prendra le relais après leur départ.

M. Pierre MONADIER : On n'en est pas là. Généralement, le successeur arrive pour boucher le trou béant depuis quelque temps et non pour travailler en doublon avec son prédécesseur pendant un certain temps, ce qui serait l'idéal.

M. le Rapporteur : Même si elle n'est peut-être pas ressentie comme telle actuellement, la lutte contre les inondations demande des compétences très spécialisées.

M. Pierre MONADIER : Dans les écoles de formation d'ingénieurs
- ponts et chaussées, travaux publics de l'État, génie rural, des eaux et des forêts -, il existe des modes en fonction des promotions. Après les difficultés que nous avons connues l'hiver dernier, plus de spécialistes seront peut-être formés. Ce n'était pas le cas ces dernières années. Les élèves se dirigeaient plus volontiers vers d'autres options.

M. Robert GALLEY : Je me suis trouvé dans une situation analogue à celle que vous connaissez aujourd'hui lorsque, en 1968, M. Georges Pompidou, alors Premier ministre, m'a donné trois mois pour réaliser le plan routier breton. Je ne sais pas si vous imaginez ce que cela représentait. Je me suis adressé à l'administration du ministère et l'on m'a dit que l'on n'en avait pas les moyens. J'ai donc demandé que l'on choisisse quelques personnes responsables des bureaux d'études. Nous avons sous-traité et nous avons obtenu un projet de plan en quatre mois. Je ne comprends pas pourquoi les fonctionnaires qui, je n'en doute pas, sont en nombre très limité ne sous-traitent pas un certain nombre de leurs dossiers.

Le problème s'est également posé pour les autoroutes alpines. Là encore, j'ai insisté pour que l'on délègue à des bureaux d'études tout en gardant la responsabilité du projet.

Qu'est-ce qui aujourd'hui empêche les responsables de l'Équipement de sous-traiter au Bureau de recherches géologiques et minières, ou à d'autres, en un mot, de démultiplier leur action au travers du recours à la sous-traitance ? Il est évident que cela risque de coûter plus cher, mais pourquoi y renoncer en cas d'urgence ?

Si l'année prochaine, en Île-de-France, survenait une inondation de l'ampleur de celle de 1910, on s'étonnera de la lenteur de mise en _uvre des travaux. S'il se produit un énorme problème de pluviométrie sur la haute vallée de l'Allier, de la Loire ou du Cher, mettant la région d'Orléans ou de Tours dans une situation tragique, je crains, monsieur l'inspecteur général, que l'on nous demande pourquoi l'on n'a pas agi plus rapidement.

M. Pierre MONADIER : Monsieur le ministre, je partage entièrement votre point de vue. Ce n'est pas une équipe de quinze personnes dont quatre ingénieurs qui va faire le travail elle-même. Il s'agit bien entendu de sous-traiter très largement aux bureaux d'études et laboratoires que vous avez mentionnés. Malheureusement, pour pouvoir sous-traiter, il faut des gens suffisamment compétents pour définir les spécifications de façon raisonnable, suivre les travaux de façon stricte et réceptionner les prestations.

Il s'agit d'avoir des équipes qui soient capables d'animer la réalisation d'études par des bureaux privés. En matière de sous-traitance, on en arrive aujourd'hui à des aberrations. Dans certains domaines, dont celui-ci, les gens ne sont même plus capables de rédiger des spécifications correctes pour définir des études puis apprécier la qualité de ce qui leur est remis. Mes propositions visent à remédier à ce problème.

M. Thierry LAZARO : Dans un pays où environ 10 % de la population est au service du public, je ne puis qu'être effrayé que l'on soit en permanence confronté à des problèmes de personnels. En outre, le jeu de chaises musicales auquel se livrent les responsables pour des raisons d'avancement est préjudiciable. Les interlocuteurs mettent un temps important à se plonger dans la réalité régionale, puis ils s'en vont au bout de deux ou quatre ans.

Il faut reconnaître qu'à moins d'être touché directement, l'on considère rarement la protection contre les inondations comme une priorité. Pourtant, le problème du bassin de la Loire est connu et reconnu. On sait depuis de nombreuses années que c'est une zone à risque. Le plan Loire grandeur nature peut donc être pilote. Vous avez avancé des sommes qui me paraissent colossales.

En tant que représentant de la région du Nord-Pas-de-Calais, qui n'est pas véritablement considérée comme à risque, mais où l'on a quelques inondations, je suis donc particulièrement inquiet. Je suis l'élu d'une petite région, La Pévèle, irriguée par deux rivières, l'une petite, la Naviette, qui a inondé ma commune à deux reprises, l'autre, un peu plus importante, la Marcq. Nous avons lancé un PPR d'inondation il y a quelque temps. Entre juillet dernier et décembre, tout le monde s'y est mis, mais, depuis les élections municipales, tout s'est arrêté. J'ai l'impression que notre plan est déjà rangé dans les placards.

Quand des gens sont touchés, il s'ensuit un traumatisme que l'on peut, sans l'exploiter à outrance, utiliser. Je crains qu'à défaut de relais efficace, notamment de la part des services de l'État, l'on ne puisse guère progresser. Sachant que, si je devais attendre un geste de l'État, cela risquait d'être long, j'ai organisé des réunions de travail et de concertation dans ma commune, afin d'envisager une action sur la Marcq. La direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF), qui est, me semble-t-il, un partenaire important dans notre secteur, n'a pas daigné participer à la réunion. On m'a répondu qu'il s'agissait d'un problème de personnel. Je trouve cela inadmissible et je l'ai dit à qui de droit.

Si, sur un sujet aussi important que celui de la Loire, j'entends le président Doligé dire que sur certains sujets, on est toujours au point zéro, depuis dix ans, nous avons tous des raisons de nous inquiéter.

M. Pierre MONADIER : Je le répète, les inondations ne sont pas un sujet prioritaire en dehors des quelques mois qui suivent un sinistre. En Bretagne, on a constaté qu'à la suite des inondations de 1995, de très bons rapports proposaient une série de mesures qui n'ont eu aucune suite. Dans les propositions du rapport concernant la Bretagne, nous avons repris un certain nombre de points déjà avancés en 1995.

Les PPR d'inondation sont tout de même un domaine où le ministère de l'Équipement fournit un effort conséquent. Dans les services que je suis amené à inspecter, les directeurs départementaux de l'équipement ont opéré, au sein de leurs effectifs, des arbitrages favorables. Ils s'efforcent de produire les plans à un rythme que j'estime à peu près correct. La tendance est plutôt à la rigueur dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport, vous notez une absence de lien entre les DDE et le réseau technique de l'équipement. À qui en incombe la responsabilité ? S'agit-il d'un phénomène général ?

M. Pierre MONADIER : Cela n'est pas propre au ministère de l'Équipement. Les gens ont tendance à vouloir régler eux-mêmes les problèmes et ne savent pas utiliser convenablement les compétences disponibles à l'intérieur d'un réseau. J'ai dirigé pendant de longues années un service technique. Nous étions assez souvent obligés d'aller constater sur place des problèmes techniques, dont on pensait qu'ils n'étaient pas réglés pour le mieux. Il existe un problème de relations entre les différents services d'une même maison, qui s'améliore peu à peu. Cela dit, des instructions relativement fermes enjoignent aux services locaux de recourir aux services techniques qui sont à leur disposition.

M. le Rapporteur : Quel est votre sentiment sur la procédure des PPR ? Vous me répondrez certainement que, là aussi, les moyens humains sont insuffisants. Pensez-vous que les services de l'Équipement ont la capacité de contrôler le respect des prescriptions des PPR après leur élaboration et leur adoption ?

M. Pierre MONADIER : La procédure des PPR est très intéressante. Elle doit contribuer à réparer un certain nombre d'erreurs qui ont été commises en matière d'implantations et d'urbanisme dans les années passées. On s'est aperçu, par exemple, en Bretagne et dans la Somme, qu'en matière d'urbanisme, certaines choses n'auraient jamais dû se produire. À cause du laxisme des uns et des autres, on a pu implanter des unités importantes et des habitations dans des zones dont tout le monde savait qu'elles étaient inondables. Cette procédure doit permettre de réagir contre ce genre d'erreurs et d'aboutir à des dispositions d'urbanisme et de préservation des sols qui soient correctes. Des études techniques permettent de mettre en évidence un certain nombre de points. Il faut, je pense, en respecter les conclusions.

Les services de l'Équipement et les services de l'Environnement se sont attelés à cette tâche avec beaucoup d'ardeur et de méthode. Les réglementations d'urbanisme sont un domaine pour lequel les services de l'Équipement disposent d'une compétence certaine. Naturellement, les études ne sont pas en majorité réalisées directement par les services, mais c'est un cas où les services ont la capacité de sous-traiter.

Dans la vallée de la Loire, par exemple, 70 à 80 % des gens concernés par les inondations sont déjà couverts par un PPR. Il reste un certain nombre de communes pour lesquelles la priorité est moins grande. En Bretagne, la procédure est bien repartie après les inondations de 2000-2001.

M. le Rapporteur : Vous évoquez la nécessité d'améliorer la procédure de mise en place des fonds de concours. Pouvez-vous expliciter votre point de vue ?

M. Pierre MONADIER : C'est une question à laquelle s'est heurté le préfet coordonnateur du bassin de la Loire. Il a demandé à plusieurs reprises au ministère de l'Environnement et au ministère de l'Économie et des finances d'accélérer les procédures, mais l'on se trouve dans une situation inextricable.

À la suite d'un entretien avec des responsables de la DDE, j'ai dressé la liste des procédures nécessaires pour obtenir des fonds de concours pour les opérations déconcentrées. C'est invraisemblable. Il faut d'abord que les crédits budgétaires soient délégués, puis affectés. Ensuite, il faut discuter avec les représentants des collectivités locales. Après quoi, il convient de reprendre toute la procédure. La demande d'autorisation de programme provisionnelle correspondant aux fonds de concours doit remonter vers l'administration centrale. On va donc deux fois vers l'administration centrale, avec toutes les étapes afférentes. On en arrive ainsi à des délais de dix-huit mois à deux ans entre le moment où l'on décide de lancer une opération et le moment où le financement - autorisation de programme budgétaire et fonds de concours - est en place et où les marchés peuvent être signés. J'ai fait faire le relevé : j'ai dénombré environ trente étapes.

M. Robert GALLEY : La réalisation des barrages-réservoirs de l'Aube et de la Marne a pris quarante ans. Par conséquent, dix-huit mois, c'est un délai raisonnable dans ce cadre.

M. Pierre MONADIER : On devrait au moins pouvoir demander simultanément les autorisations de programme budgétaires et les autorisations de programme provisionnelles afin de ne pas avoir à renouveler la procédure. Le ministère de l'Équipement le fait en matière routière et en matière de voies navigables. J'ignore pourquoi cela est possible à l'Équipement mais pas à l'Environnement.

Pour leur part, les services de l'Environnement et les services de l'Équipement ont consenti des efforts considérables, depuis deux ans, pour la mise en place des différentes étapes du plan Loire grandeur nature, mais ils se heurtent à ce problème.

M. le Président : À ce problème viennent s'ajouter les problèmes d'étude, de réalisation, d'appel d'offres, les difficultés administratives et climatiques. Si la réponse n'intervient pas à la bonne saison, il faut attendre un an de plus pour engager les travaux.

M. Pierre MONADIER : D'autres procédures permettraient de gagner du temps. Les études ou certaines acquisitions de terrains devraient pouvoir être financées exclusivement sur crédits budgétaires, quitte à récupérer les fonds par la suite avec les fonds de concours.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Bernard LENGLET,
président du syndicat de communes de la vallée des Anguillères
(département de la Somme)

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 11 septembre 2001)

Présidence de M. Jean LAUNAY, Vice-président

M. Bernard Lenglet est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Bernard Lenglet prête serment.

M. le Président : Nous avons pu constater que, en matière d'inondations, les acteurs sont nombreux et leur rôle pas toujours bien coordonné. En matière d'entretien des cours d'eau, se pose notamment la question centrale de la désignation d'un maître d'ouvrage adapté. Au cours de deux tables-rondes, nous avons réfléchi à l'identité de ce maître d'ouvrage indispensable : agences de l'eau ou établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) ? Vous nous ferez part de votre expérience de président d'un syndicat de communes et nous indiquerez si, à votre avis, il s'agit d'un outil efficace.

M. Bernard LENGLET : Je suis le président du Syndicat de la Vallée des Anguillères dont le territoire se situe sur une partie de l'est du département de la Somme. Pendant 30 ou 40 ans, les communes riveraines de la Haute Somme entretenaient la rivière, mais dans des conditions désordonnées et sans cohérence hydraulique. Elles ont pris conscience, dans les années 1988 et 1989, de la nécessité de se fédérer pour mettre en place un système de réhabilitation de la rivière entre Ham et les portes de Corbie.

Un syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) a donc été mis en place. Il regroupe aujourd'hui 30 communes riveraines de la Haute Somme. Une partie de la rivière a un statut particulier mais, globalement, la rivière fait partie du domaine privé des communes ou appartient à des propriétaires privés. D'où la difficulté de mettre en place un système cohérent et allant dans le sens de l'intérêt général.

Ce syndicat a été créé en 1989, avec une compétence « étude », une compétence « réhabilitation de la rivière », c'est-à-dire le désenvasement. Nous avons extrait de la rivière 1 265 000 m3 de vase lors des dix dernières années. Nous travaillons également le dossier des berges par un renforcement qui n'est pas forcément lourd, avec des pieux de châtaignier, des planches de chêne et du géotextile pour renforcer certains côtés. Nous utilisons également des méthodes plus douces, telles les fascines. Nous avons mis en place une équipe d'entretien qui s'est révélée indispensable après avoir constaté une forestation du marais. Pour redonner vie aux roselières et aux coulottes, six personnes travaillent depuis deux ans et demi.

Autre compétence : les vannages. Nous fonctionnions à partir d'un contrat de rivière Haute Somme que je présidais. Ce contrat de rivière était moteur et concernait deux départements, partant de la source pour arriver pratiquement aux portes de Corbie. De cette façon, nous avons pu obtenir des fonds importants : des financements européens du FEDER, de la région, du département, de l'État et de l'agence de l'eau.

Procéder à des travaux de réhabilitation du lit de la rivière et redonner une dynamique aux courants maîtres étaient pour nous une absolue nécessité.

Nous avons distribué un document composé de 14 fiches techniques pour sensibiliser les gens sur le marais ou sur la rivière. On y apprend comment gérer les étangs en haute Somme, gérer les problèmes liés aux roselières. Ces conseils, repris sur des affiches, feront partie de la campagne de sensibilisation de cet hiver.

Un nouveau tour de table financier va bientôt permettre de continuer les travaux. Ce contrat de rivière ne comportait qu'une ligne assez modeste au niveau des vannages - l'affaire est encore un peu complexe - qui ont néanmoins particulièrement bien résisté aux inondations de cet hiver.

Les Romains avaient mis en place un système hydraulique très ingénieux dans cette partie de la Haute Somme. Ce système a été ensuite conforté par les moines au cours des siècles, puis entretenu par les poissonniers de la Haute Somme. C'est maintenant notre vocation de continuer cette action d'entretien. En l'occurrence, il s'agit d'une succession de biefs coupés par des chaussées avec des dénivelés allant de 50 à 150 centimètres. Les vannages sont régulés par leurs propriétaires. Notre idée est de vérifier si les ouvrages sont en bon état. Nous avons commencé à en réhabiliter quelques-uns avec une ligne budgétaire du contrat de rivière. Nous allons à nouveau demander 5 millions de francs pour mettre à plat ces travaux sur la cinquantaine d'ouvrages concernés, répartis sur 15 à 17 biefs.

Nous souhaitons mettre en place l'automatisation partielle. La démarche date de deux ou trois ans et nous pratiquons une concertation forte avec tous les acteurs de la vallée. Un consensus semble se faire aujourd'hui. Jadis, les propriétaires étaient des poissonniers. Maintenant, avec le jeu des successions, ce n'est plus le cas et même le conseil général de la Somme est propriétaire d'un vannage.

Au début, nous sommes donc partis d'un contrat de rivière, et nous avons mis en place un syndicat très actif qui a fédéré les communes. Ce système est intéressant car il concerne à la fois le domaine privé des communes et les propriétaires privés. Tous ont compris que désenvaser la partie communale en laissant la partie relevant des particuliers de côté était ridicule. Nous avons donc mis en place un système de boîte aux lettres : nous ne connaissons que les communes. Lorsque, dans une commune donnée, des propriétaires privés sont présents, ils paient leur quote-part à la commune qui nous la reverse, selon des conventions établies au préalable.

Il y a un problème en matière de TVA car nous fonctionnons toutes charges comprises au niveau des propriétaires privés qui n'ont pas pu bénéficier du fonds de compensation de la TVA. Mais le système a néanmoins bien fonctionné.

Nous avons pensé que si nous avions réussi à mettre cela en place dans une micro-région, nous pourrions essayer de faire de même à partir de plusieurs structures de terrain responsabilisées et coordonnées au niveau de la rivière par une structure de type syndicat mixte. Nous y réfléchissons avec le préfet de la Somme et le conseil général.

Pour être complet, nous nous rencontrons dans les prochains jours pour créer les fondations de ce futur syndicat. Il ne s'agit pas d'imposer un système tout fait, mais on constate que dès l'instant où l'on arrive à mettre autour d'une table tous les gens d'une région et en leur montrant l'intérêt d'une fédération des efforts de chacun, cela fonctionne.

Pour nous, la rivière n'a pas été trop agressive pour les riverains de cette région de la Somme. Je ne sais pas s'il faut faire une relation avec ce qui s'est passé au cours des dix dernières années. Nous pensons quand même que cela a dû contribuer : le système hydraulique a joué son rôle, en raison de sa configuration et de son entretien.

Ensuite, nous devons considérer la liaison avec le canal du Nord et le canal de la Somme. La Somme est une rivière régie par une multitude de statuts : elle est en partie propriété de l'État, en partie déclassée, les propriétaires riverains possèdent la moitié de la rivière. C'est fort complexe, mais la création d'un syndicat départemental, qui ne serait pas maître d'ouvrage, pourrait être fédérateur. Une certaine contrainte serait peut-être nécessaire, car il y a déjà eu, dans le passé, des tentatives sur des affluents de la Somme qui n'ont pas fonctionné.

Quant au schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), nous agissons pour essayer d'en créer un depuis quelques années. En effet, ayant la structure de base, c'est-à-dire le contrat de rivière Haute Somme, nous imaginions tout naturellement mettre en place un SAGE. Nous avons appris ces derniers jours que le préfet a pris les mesures nécessaires pour que le SAGE Haute Somme démarre rapidement dans de bonnes conditions. Nous allons ensuite mettre en place une communauté locale de l'eau (CLE).

M. le Rapporteur : Vous souhaitez un syndicat sur l'ensemble du cours de la Somme. Ce serait en quelque sorte l'équivalent d'un EPTB, avec d'abord une vocation d'animation et d'étude ?

M. Bernard LENGLET : Il y a une approche d'étude, mais selon les projets de statuts.

« Le syndicat mixte a pour objet principal :

- d'organiser dans le respect du milieu naturel et des procédures réglementaires la mise en _uvre cohérente des travaux nécessaires à la protection des biens et des personnes contre les conséquences des inondations ou des niveaux élevés des nappes. Il est notamment chargé de faire réaliser toute étude nécessaire à l'élaboration d'une stratégie globale d'aménagement du bassin versant de la Somme et de ses affluents, axé sur les phénomènes hydrauliques et hydrologiques du bassin versant, écoulement superficiel et souterrain, au travers notamment de la mise en _uvre de SAGE et de contrats de rivière ;

- de proposer aux maîtres d'ouvrages potentiels, dans le cadre de leurs compétences, la programmation de travaux d'aménagement et d'entretien entrant dans le cadre de cet objectif, d'en faciliter et d'en suivre la mise en _uvre ;

- de recueillir et d'assurer la diffusion, auprès des services publics, des collectivités et des citoyens, des informations concernant les risques naturels liés à la pluviométrie et à l'hydrologie et des dispositifs de prévisions des hautes eaux. ».

Ce n'est pas un acteur en termes de travaux, mais un coordinateur des futurs maîtres d'ouvrage.

M. le Rapporteur : Le syndicat mixte couvrira-t-il l'ensemble du bassin versant ?

M. Bernard LENGLET : Oui. Lors de la réunion à Amiens, j'avais noté que l'Aisne était également concernée. Notre SAGE dépasse également la limite départementale.

M. le Rapporteur : La question de savoir si vous êtes favorable à la création d'un EPTB ne se pose plus, car c'est ce à quoi vous participez dans le cadre des discussions avec le préfet.

Dans le département de la Somme, nous avons connu des polémiques concernant les relations entre le canal du Nord, le canal de la Somme, etc. Vous êtes responsable d'un syndicat. Vous nous avez dit tout à l'heure que vraisemblablement, sans que vous puissiez le démontrer, les travaux que vous aviez réalisés avaient contribué à limiter les dégâts sur la haute Somme.

Quelle est votre appréciation générale du problème que nous avons vécu dans ce département en ce début d'année ?

M. Bernard LENGLET : Chacun sait que le problème est à 90 % climatique avec des cumuls de précipitations exceptionnels. Le chargement de la nappe ne s'est pas fait en quelques jours ou en quelques mois, mais sur plusieurs années. Vous êtes d'ailleurs également concernés sur le plateau.

Cela met en exergue un certain nombre de désordres qui auraient pu ne pas avoir de conséquences graves s'il n'y avait pas eu ce problème de pluviométrie. Pour prendre l'exemple d'une éponge saturée d'eau, si vous y faites couler de l'eau, celle-ci s'écoule mal, mais si vous tracez un sillon dans l'éponge, l'eau va s'écouler dans le sillon même si le dessous est saturé.

À côté de tout cela, un vrai problème d'entretien demeure. Sur les photos, on voit que nous étions avec des coulottes envahies par les arbres, les courants maîtres n'étaient pas dragués. Après avoir fait tout cela, nous avons senti la vie qui revenait sur le marais.

Ce sont des sommes considérables qu'il faudrait investir pour aller plus loin. Il faut donc procéder par étape. Nous avions choisi de privilégier les courants maîtres de manière à donner une dynamique à la rivière, à éviter la forestation et à pouvoir travailler sur les berges. Tout cela dans le respect de la nature.

Je développe la thèse que l'homme a une place importante à prendre dans la nature. Il est hors de question de mettre en place des sanctuaires. Il ne faut pas non plus, à l'image de ce que nous avons fait pendant une génération, consommer la rivière, en prenant tous les droits sans jamais s'intéresser à nos devoirs.

Nous avons un patrimoine exceptionnel et méconnu. Les belvédères d'Eclusier-Vaux et de Frise sont méconnus alors qu'ils sont extraordinaires.

M. le Rapporteur : Pour en revenir à votre propre syndicat, rencontriez-vous des difficultés financières, juridiques ? Quelles étaient vos ressources financières ? Nous pourrions essayer d'en tirer les leçons au plan législatif.

M. Bernard LENGLET : Financièrement, cela fonctionne très bien. Notre tableau de bord est tenu avec rigueur. Nous faisons des appels d'offres. Ensuite, nous montons des dossiers de demandes de subvention - car c'est fortement subventionné - et les communes abondent. Quant à l'administration générale, elle ne représente pas grand-chose. Depuis trois ans, nous disposons d'une chargée de mission.

M. le Rapporteur : Vous avez réussi à associer les communes riveraines. Nous avons reçu ce matin un certain nombre d'EPTB, et nous avons eu l'impression que cela relevait de l'exploit. Parmi eux, rares étaient ceux qui associaient les communes parce que, financièrement, cela posait des problèmes pour celles-ci. Vous avez pourtant réussi à le faire sur une zone relativement importante. Des communes ont donc réussi à se mobiliser sur l'entretien d'une rivière.

M. Bernard LENGLET : Oui et elles sont fières de leur syndicat.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu à faire face à de gros investissements ?

M. Bernard LENGLET : 25 millions de francs pour le désenvasement et 8 millions de francs pour les berges. Nous ne sommes pas loin de 40 millions pour un contrat de rivière prévu au départ à 60 millions de francs et qui s'est terminé à 50 millions de francs.

M. le Rapporteur : Comment s'organisent vos rapports avec les propriétaires privés pour l'entretien des cours d'eau ?

M. Bernard LENGLET : De manière systématiquement tripartite : le syndicat, la commune et le propriétaire qui est soit la commune, soit un particulier. Nous signons une convention. Par exemple, nous programmons 100 000 francs de désenvasement chez un particulier. Le calcul est vite fait. Il y a environ 70 000 francs de subventions. Restent 30 000 francs que la commune va nous verser après avoir reçu la somme du propriétaire.

Dans un premier temps, quand nous avons mis en place le syndicat, nous avions institué une participation de solidarité : chaque commune payait une cotisation globale de 9,50 francs par habitant pour l'administration générale et les études. Pour les travaux de désenvasement et de réhabilitation de la rivière, nous étions subventionnés à 80 %. Restaient 20 % à trouver : 14 % revenaient au propriétaire et 6 % aux communes qui payaient une cotisation de 45 francs par habitant. Ce système a fonctionné pour le désenvasement. Nous l'avons supprimé. Aujourd'hui, les 20 % non subventionnés doivent être payés par le propriétaire.

Cette solidarité a été un peu difficile à mettre en place, car certaines communes ont beaucoup d'étangs et peu d'habitants, ou l'inverse. Mais des villes, comme Péronne, ont joué le jeu et ont payé, ainsi que les propriétaires. C'est vrai qu'il a fallu de nombreuses réunions pour parvenir à ce résultat.

M. le Rapporteur : Peut-être que, en Haute-Somme, les propriétaires ont un intérêt économique à l'entretien de la rivière, en raison du tourisme et de la pêche. Cela dit, cet intérêt diminue et les propriétaires seront donc de moins en moins disposés à participer à l'entretien de la rivière.

M. Bernard LENGLET : C'est certainement vrai entre Amiens et la baie de Somme. Ce sera le problème.

M. le Président : Répétez-vous, pour votre action sur les berges, le même type de convention avec les propriétaires privés ?

M. Bernard LENGLET : Dans la convention, nous glissons, en outre, quelques petites contraintes pour promouvoir un meilleur environnement. Quand on aménage une berge, nous disons que toute forme de mitage, « d'habitat léger de loisir » ou de construction illégale est à démonter. Cela fait partie de la règle du jeu.

M. le Rapporteur : Comment jugez-vous vos relations avec les services de l'État ?

M. Bernard LENGLET : Pour ce qui est de l'accompagnement pour la réhabilitation de la rivière, désenvasement ou aménagement des berges, nous travaillons d'abord avec la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Au niveau des vannages, la maîtrise d'_uvre est confiée à la direction départementale de l'équipement (DDE). Tout cela se passe très bien. En particulier, au niveau du désenvasement et des berges, une complicité s'est installée depuis plus de dix ans. Ainsi, on ne peut pas faire la différence entre les gens qui se sont attelés à cette tâche, qu'ils soient fonctionnaires de l'État ou élus. Les gens sont compétents. Nous avons des vice-présidents qui sont des gens du cru, qui connaissent le marais, et les agents de la DDAF reconnaissent qu'ils apprennent beaucoup à leur contact.

Nous avons entrepris cette action avec des gens passionnés. Le secret de la réussite est de se lancer avec passion. Si les gens ne s'identifient pas à ce qu'ils font, les communes et les propriétaires vont leur tourner le dos. Il faut susciter l'intérêt.

Il y a également l'agence de l'eau qui n'apparaît pas en tant que maître d'_uvre, mais comme conseil. Je suis très attaché à ce que cela se passe bien avec elle.

Il y a d'autres structures comme le conservatoire des sites de Picardie avec lequel nous avons également de bonnes relations.

Les choses se passent donc bien.

M. le Rapporteur : Il n'y a aucun plan de prévention des risques (PPR) dans la Somme. En éprouvez-vous le besoin, au vu de votre expérience ?

M. Bernard LENGLET : J'habite dans l'île de Frise. Je n'ai pas été inondé mais, de façon générale, il est évident qu'il faut mettre en place quelque chose. Dans le cadre des communautés de communes, il faut utiliser la compétence obligatoire du schéma directeur pour prendre en compte la gestion des risques.

M. le Rapporteur : Quelles sont vos relations avec le conseil général, le conseil régional, les services de l'État ?

M. Bernard LENGLET : J'ai le sentiment que les gens avec qui nous travaillons ont comme nous le souci de l'intérêt général. Cela dit, je ne suis pas venu pour vous dire que tout va bien. Nous avons aussi des frottements, des problèmes à régler. Parfois, on trouve dans certaines structures des personnes qui critiquent nos démarches.

Avant les inondations, nous avons parfois été mis en garde sur la présence de fougères rarissimes à tel endroit par exemple, ou sur les risques d'intervention de nos équipes dans les marais en raison de la période de nidification. Il nous a fallu faire comprendre qu'il n'était pas possible de mettre notre équipe d'entretien au chômage pendant six mois à cause de la nidification. Nous avons simplement choisi d'autres zones de travail. De temps en temps, cela frotte un peu. On reçoit un e-mail de telle ou telle structure, comme Picardie Nature, nous reprochant d'aménager un pied de hutte.

Il faut aussi que vous sachiez que notre syndicat est reconnu. Nous allons sans doute assurer la direction du comité de pilotage de Natura 2000, ce qui prouve que nous avons une forte préoccupation environnementale. Nous ne sommes donc pas prêts à tout casser. Ce n'est pas l'esprit de notre syndicat. Nous gardons toujours en tête cette action de juste place de l'homme dans la nature.

M. le Rapporteur : Comment jugez-vous les événements intervenus depuis le début de l'année ?

M. Bernard LENGLET : Cela va accélérer et généraliser la prise de conscience. Il faut utiliser cela comme un levier. C'est une souffrance, mais il faut s'appuyer sur ce qui s'est passé pour trouver des solutions convenables et d'avenir. Il faut être rigoureux et méthodique, en ne s'imaginant pas que l'on va tout régler immédiatement.

Par ailleurs, il y a un problème de méconnaissance de l'hydraulique. Je sais que l'on met en place une approche mathématique, dont M. Hubert est à l'origine. Par exemple, je pense que nous avons obtenu que le fameux déversoir d'Epénancourt se transforme en vannage d'Epénancourt, afin d'avoir une gestion plus fine des niveaux d'eau.

Autre idée : nous avons de grands biefs et il nous faut pouvoir baisser les niveaux d'eau. Pour ce faire, il faut enlever de la vase pour avoir suffisamment d'eau pour la pêche, etc. Dans de grands bassins entre Péronne et Athies ou vers Ham, on peut imaginer de continuer à extraire de la vase pour baisser les niveaux d'eau. De cette façon, l'automne arrivant avec la pluie normale, on pourra retenir de l'eau.

Pendant les inondations, nous avons demandé à nos gens de retenir le maximum d'eau avec le système de vannage, c'est-à-dire 40 centimètres sur 2 000 hectares, soit 8 millions de m3. On peut aller plus loin si l'on arrive à baisser les niveaux par désenvasement pour être en mesure de retenir, le cas échéant, l'eau venant d'ailleurs.

Notre syndicat a travaillé sur la rivière Somme et non pas sur ses affluents. Depuis longtemps nous souhaitons aller plus loin. Cela implique de faire évoluer notre syndicat en syndicat mixte.

M. le Rapporteur : Il y a eu des tentatives sur l'Ancre.

M. Bernard LENGLET : L'Ancre et l'Hallue. J'en parlais avec l'initiateur de cette tentative, l'ancien président du conseil général, M. Fernand Demilly, qui est meurtri de cet échec. Je lui ai dit que cette fois nous allions réussir.

M. le Président : L'évolution en syndicat mixte concernera-t-elle aussi l'entité départementale ?

M. Bernard LENGLET : Oui. Le syndicat mixte départemental en projet ne sera pas acteur principal, mais seulement chef d'orchestre de syndicats existants ou à créer le long de la Somme. L'idée est de mettre en place six ou sept groupes structurés et coordonnés par une structure départementale ou bi-départementale.

Lors de cette réunion organisée à Amiens, un conseiller général émit l'idée de faire un syndicat unique, reprenant toutes les compétences d'entretien des cours d'eau. J'y suis totalement opposé : ce serait une grave erreur, parce que l'on n'obtiendra pas la responsabilisation des gens du cru. C'est très important, on ne gagnera que comme cela. Ce n'est pas vrai que pour la rivière, c'est vrai aussi de manière générale.

M. le Président : Monsieur le président, nous vous remercions.

Audition de M. Yves COCHET,
ministre de l
'Aménagement du territoire et de l'environnement

(extrait du procès-verbal de la séance du 25 octobre 2001)

Présidence de M. Robert GALLEY, Président

M. Yves COCHET est introduit.

M. le Président lui rappelle le mode de fonctionnement de la commission et lui indique que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Yves COCHET prête serment.

M. le Président : La commission a considéré que votre audition lui permettra de vous poser un certain nombre de questions nourries par l'ensemble de ses travaux. Elle sera ainsi le point d'orgue de son travail. Cette audition va, par ailleurs, être l'occasion d'aborder le projet de loi sur l'eau. Le volet consacré aux inondations a, en effet, laissé la plupart d'entre nous sur sa faim. Ce sera un des points sur lequel vous aurez l'occasion de vous exprimer.

M. Yves COCHET : Il s'agit d'analyser ensemble les causes, les conséquences et les politiques mises en _uvre pour prévenir les inondations, d'autant que les événements de ces quinze derniers jours montrent l'actualité de ce sujet. En effet, plusieurs départements ont été, une nouvelle fois, touchés par de graves inondations - le Gard, l'Hérault, la Drôme, la Haute-Loire - avec des conséquences dramatiques et des pertes humaines.

Il y a un peu moins d'un an, la Bretagne et la Somme étaient fortement touchées par des inondations qui ont beaucoup marqué nos esprits, même si toutes ces crues ne sont pas comparables dans leur typologie. L'année précédente encore, l'Aude et la Haute-Normandie avaient subi des inondations catastrophiques.

Je ne sais pas si cette loi se perpétuera dans le futur, mais il semble évident que, chaque année, nous sommes confrontés à des inondations aux conséquences plus ou moins importantes ou spectaculaires.

Le premier constat que nous pouvons établir, c'est que l'être humain ne maîtrise pas totalement la nature, et notamment le climat. Les intempéries et les inondations qui en résultent sont un phénomène naturel, même s'il peut être aggravé par certaines interventions humaines ou, au contraire, atténué par d'autres. En tout cas, nous ne pouvons imaginer avoir une totale maîtrise de ces phénomènes naturels, et notamment des phénomènes climatiques.

C'est d'ailleurs cette règle qui guide les quatre axes de la politique de mon ministère.

En premier lieu, puisque nous ne pouvons pas totalement maîtriser les inondations, la meilleure protection est de ne pas construire dans les zones fortement inondables et d'adopter des règles particulières de construction dans les zones faiblement inondables.

C'est sur cette logique qu'est bâtie la politique de prévention des inondations. Je tiens d'ailleurs à souligner que ce principe fonde la politique de ce ministère depuis 1994, année de lancement du programme décennal de prévention des risques naturels, ce qui montre qu'elle est partagée au-delà des clivages politiques.

Les plans de prévention des risques (PPR) permettent de prescrire des règles d'urbanisme, de construction, de gestion qui s'appliquent au bâti existant et futur et permettent ainsi d'éviter l'aggravation des risques en cas de crues. Nous ne sommes pas au bout de nos peines et leur généralisation demeure l'une des priorités de mon ministère.

Au 1er septembre 2001, plus de 2 800 communes ont été couvertes par un PPR. L'élaboration d'un PPR est en cours dans près de 4 000 communes supplémentaires. Les crédits, qui y sont consacrés par mon département ministériel, ont été largement augmentés depuis quatre ans. En 1997, ils s'élevaient à moins de 50 millions de francs (7,6 millions d'euros) alors qu'en 2001, ils dépassent les 100 millions de francs (15,2 millions d'euros). Cette politique est efficace, mais elle doit se poursuivre, puisque l'objectif à atteindre est de 5 000 communes couvertes par les PPR en 2005. Cet objectif doit être atteint.

Le deuxième axe de notre politique repose sur le même constat, à savoir l'impossibilité de maîtriser totalement les phénomènes naturels. Il est donc nécessaire de développer à la fois les moyens d'information de la population sur les risques, et les moyens d'alerte en cas de survenue d'un tel événement.

Le premier volet, celui de l'information des populations, repose sur la connaissance du risque et la mémoire des événements. La connaissance du risque passe par la réalisation - en cours - des cartographies des zones inondables et par l'élaboration, sous la responsabilité de chaque préfet de département, de dossiers communaux permettant d'informer les élus et les populations.

Au-delà de ce qui existe dans chaque commune, chaque grand bassin hydrographique doit pouvoir mettre en place de véritables pôles de compétences chargés d'organiser la mémoire du risque et ainsi améliorer la diffusion des informations auprès de l'ensemble des acteurs, privés ou publics.

Pour améliorer encore l'information auprès des populations, le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) du 9 juillet 2001, qui s'est tenu à Limoges, a pris la décision d'étudier la possibilité d'imposer que figure, dans tous les actes relatifs aux transferts de propriété ou d'occupation des terrains et des bâtiments, une information relative aux risques naturels. Je suis très favorable à une telle disposition.

Le deuxième volet de l'information porte sur l'alerte en cas de crise. L'enjeu est de déceler, le plus rapidement possible, la catastrophe qui risque de survenir, afin de pouvoir donner l'alerte le plus tôt possible et mettre ainsi en sécurité les habitants concernés.

Pour ce faire, le ministère de l'Environnement a participé, à hauteur de 70 %, soit 40 millions de francs (6,1 millions d'euros), au financement d'un programme de cinq radars hydro-météorologiques installés sur le quart sud-est de la France, zone de crues de type torrentiel, c'est-à-dire les plus soudaines et les plus violentes. Mon ministère lance un programme complémentaire de cinq nouveaux radars, avec un appui financier de 40 millions de francs (6,1 millions d'euros). Le choix de l'emplacement de ces cinq nouveaux radars fait actuellement l'objet de discussions avec Météo-France.

Météo-France, dans le domaine de l'élaboration des messages d'alerte, a également fait des avancées importantes. En effet, depuis le 1er octobre 2001, elle diffuse une carte de vigilance très claire et facilement accessible pour le public.

Par ailleurs, le suivi des écoulements et la modélisation hydraulique peuvent également permettre de prévoir et d'annoncer les crues, tant les crues brutales telles que dans le sud-est, que des phénomènes plus lents, notamment les crues de la Loire, de la Seine ou en Bretagne l'an dernier.

Ainsi, nous avons consacré 50 millions de francs (7,6 millions d'euros) par an pour l'amélioration et le fonctionnement de l'annonce de crues. Ce fonctionnement mobilise l'équivalent de cent quarante agents à plein temps. Le rôle de l'État est ici de fournir aux maires et aux populations des informations qui permettent cette alerte. Je signale que c'est une action volontaire de notre part et non pas une obligation légale. Nous l'avons entreprise parce que cela relève d'une véritable responsabilité collective. Toutefois l'État n'a pas l'exclusivité en ce domaine. Nous avons décidé de créer à Toulouse, en liaison avec Météo-France, un centre d'appui hydro-météorologique qui sera opérationnel en 2003 et qui regroupera plus d'une vingtaine d'ingénieurs et de techniciens.

On ne doit pas se résigner à subir les inondations. Il faut, au contraire, essayer de contenir au maximum ces phénomènes, d'où le troisième axe de notre politique.

La première règle est d'éviter d'aggraver le phénomène de crues par des modifications intempestives qui seraient liées à nos activités et donc d'éviter tout ce qui accélère l'écoulement des eaux de pluie vers les cours d'eau. Il s'agit de l'imperméabilisation des sols, soit par l'urbanisation, soit par les infrastructures routières. Un grand nombre de techniques permettent, aujourd'hui, de lutter et de limiter cette imperméabilisation, lors d'opérations d'urbanisme. De plus, la rétention de l'eau de pluie le plus en amont possible doit être encouragée.

La loi sur l'eau de 1992 propose d'ores et déjà des outils et permet d'exiger des aménageurs la maîtrise quantitative, voire qualitative, des eaux pluviales. Ainsi les communes peuvent délimiter, sur leur territoire, des zones sur lesquelles le stockage des eaux pluviales, avant rejet dans le réseau ou dans le milieu naturel, est rendu obligatoire. Malheureusement, cette disposition est trop peu utilisée. De même, au-delà d'une certaine surface imperméabilisée, le service en charge de la police de l'eau peut imposer des contraintes sur la régulation des débits rejetés.

Dans le projet de loi sur l'eau, qui a largement tenu compte de votre rapport, Monsieur le Président, nous avons proposé la création d'une nouvelle redevance sur les surfaces imperméabilisées.

En ce qui concerne les zones rurales, une prise de conscience se fait jour sur les effets néfastes du remembrement excessif. Il faut corriger les excès du passé par des mesures agri-environnementales ou des contrats territoriaux d'exploitation qui, selon la loi d'orientation agricole, prennent en compte cette problématique d'écoulement des eaux.

Le troisième facteur aggravant de l'intervention humaine est la suppression des zones humides et de nombreux champs d'expansion naturelle des crues, par l'urbanisation ou le remblaiement des zones inondables, voire l'endiguement de terres agricoles naturellement inondables. Il est indispensable d'y mettre fin. De nouveau, dans le projet de loi sur l'eau, est inscrite une possibilité, pour les collectivités ou l'État, d'instaurer des servitudes d'utilité publique indemnisables pour la reconstitution de ces champs d'expansion des crues dans les zones non construites. C'est un outil qui sera très utile dans la prévention des inondations.

Le manque d'entretien des cours d'eau peut également avoir des effets négatifs. Si le cours d'eau est domanial, l'entretien est de la responsabilité du ministère de l'Équipement ou du ministère de l'Environnement. S'il est non-domanial, il revient aux propriétaires d'en assumer l'entretien. La responsabilité des riverains de cours d'eau est limitée au bon écoulement des eaux, mais la responsabilité juridique de la construction des ouvrages spécifiquement destinés à assurer la protection des populations et des activités implantées dans les zones naturellement inondables revient aux personnes qui bénéficient de ces protections. Toutefois, très souvent, on constate que les propriétaires n'assument pas leur responsabilité et que la puissance publique doit se substituer à eux.

Le quatrième axe porte sur l'amélioration de la protection et la réduction de la vulnérabilité des structures implantées en zone inondable.

En résumé, le domaine d'intervention du ministère de l'Environnement est le suivant :

- il assure la maîtrise d'ouvrage et finance l'entretien des rivières domaniales non navigables ; à titre d'exemple, pour la Loire, nous consacrons plus de 100 millions de francs (15,2 millions d'euros) par an, dans le cadre du plan Loire ;

- il intervient par des aides financières ou des subventions en soutien aux investissements réalisés sur les rivières non domaniales ; sur 1994-1999, mon ministère a consacré 1,7 milliard de francs (259,2 millions d'euros) à ce type d'intervention ; pour la période 2000-2006 les interventions du ministère s'effectuent dans le cadre des contrats de plan État-Régions ; nous prévoyons plus de 300 millions de francs (45,7 millions d'euros) par an pour l'entretien, la restauration des cours d'eau, la préservation des zones naturelles d'expansion des crues et la protection des lieux habités contre les débordements.

Uniquement sur la protection des lieux habités, nous allons y consacrer 40 millions de francs (6,1 millions d'euros) supplémentaires, dès 2001, par rapport aux 300 millions (45,7 millions) que j'évoquais. Un effort particulier sera consenti pour la Somme et la Bretagne, suite à une décision du CIADT du 9 juillet dernier. Des actions innovantes ont été également développées à la suite des inondations de l'Aude. Des financements publics sont accordés aux travaux de réduction de la vulnérabilité, tels que le relèvement de certains murets, ou le déplacement des compteurs électriques. Ces actions peuvent sembler anodines, mais elles sont très importantes lorsqu'il s'agit de réhabiliter les habitations ou les locaux dégradés par les inondations.

L'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) verse également des aides consacrées à ces actions de réduction de la vulnérabilité, de même que le Fonds national pour l'aménagement et le développement du territoire (FNADT), mis en place dans l'Aude pour aider à la relocalisation hors zones inondables de certaines entreprises. Un dispositif comparable est prévu dans la Somme pour le relogement, hors zones inondables, des personnes inondées.

Tels sont les quatre axes principaux. Les moyens financiers se sont considérablement renforcés depuis 1997. Ils pourront l'être encore plus avec le fonds de prévention des risques naturels majeurs, parfois appelé « fonds Barnier », dans le cadre des dispositions prévues par le projet de loi sur l'eau.

Le projet de loi sur l'eau prévoit également d'ouvrir aux agences de l'eau la possibilité d'intervenir contre les inondations, par l'octroi de subventions. C'est une nouveauté qui, d'ailleurs, fait suite à une des propositions de votre rapport, monsieur le Président. Peut-être faut-il aller plus loin, et c'est pourquoi je resterai ouvert aux amendements que vous pourrez faire en ce domaine.

Je terminerai sur deux points. Tout d'abord, une maîtrise efficace ne peut se faire qu'à l'échelle d'un bassin versant et non d'une commune. Dans le cas contraire, le risque est grand de reporter les problèmes d'une zone à l'autre. Seule une collaboration entre les collectivités peut permettre d'arriver à une maîtrise efficace de ces problèmes.

Le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) est un bon outil de planification au niveau du bassin. Il convient donc de le dynamiser, ce que nous faisons dans le projet de loi. J'espère que le débat parlementaire nous permettra d'aller plus loin. La constitution d'établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) permettra également d'assurer la maîtrise d'ouvrage et de travaux dans ce cadre cohérent.

Par ailleurs, nous constatons, pour le regretter, une implication moins forte que jadis des riverains des cours d'eau non domaniaux. La loi actuelle permet aux collectivités de se substituer aux riverains défaillants, éventuellement à leurs frais, sous réserve de la mise en _uvre d'une procédure de déclaration d'intérêt général qui implique une enquête publique. Faut-il aller plus loin en ce domaine ? C'est un point qui pourra être abordé lors de la discussion du projet de loi sur l'eau.

M. le Rapporteur : Lors du dernier CIADT, qui s'est tenu le 9 juillet à Limoges, a été annoncée la création d'un centre hydro-météorologique. Pourriez-vous nous préciser le rôle et la mission de ce centre ?

M. Yves COCHET : Il s'agit d'un centre technique national qui rassemblera, dès 2002-2003, des experts en hydrologie et en météorologie. Ce centre, qui sera rattaché à la direction de l'eau et implanté à Toulouse, a pour objectif de faciliter les synergies entre Météo-France et les diverses équipes scientifiques. Il comprendra vingt à vingt-cinq agents.

La première vocation de ce centre sera d'apporter un appui méthodologique à l'ensemble des cinquante-deux services d'annonce de crues, déjà en place sur le territoire national. Par exemple, il s'attachera à élaborer des modèles de prévisions opérationnels, avec l'aide de chercheurs du CEMAGREF, du Laboratoire central des ponts et chaussées, du Centre d'études maritimes et fluviales, du Centre d'études techniques de l'équipement, etc.

Sa deuxième vocation sera d'apporter un appui, en temps réel, aux maires et aux populations en cas d'alerte et aux services d'annonce des crues, tout en coopérant avec les services centraux de Météo-France, de manière à mieux utiliser l'ensemble des informations.

Sa troisième vocation sera de produire des cartes de vigilance hydrologique en complément des cartes de vigilance météorologique qui sont accessibles sur le site de Météo-France.

M. le Rapporteur : J'observe que ce centre ne compte aucun géologue et que le BRGM n'est pas associé. Compte tenu de l'expérience de la Somme, il nous semble regrettable qu'il n'y ait pas une coopération entre les hydrologues, les météorologues et les géologues car l'intervention des géologues serait fort utile.

M. Yves COCHET : Vous avez raison. Dans la Somme, la pluviométrie n'avait pas été d'une exceptionnalité extraordinaire, mais les sols étaient déjà gorgés. Ce type de crue est bien lié à l'hydrogéologie. Peut-être conviendra-t-il, en effet, de combler l'absence de géologues dans ce centre implanté à Toulouse. Néanmoins, dans le cas de la Somme, le BRGM avait été associé, car nous savions qu'il s'agissait d'une crue de nappe. C'est une remarque dont nous tiendrons compte.

M. le Rapporteur : Envisagez-vous de créer un lieu national de capitalisation des connaissances, des retours d'expérience, de la mémoire ? Faut-il le créer au niveau national ou au niveau des bassins ?

M. Yves COCHET : Je serais plutôt favorable à une création à l'échelon du bassin, car cela parait être le meilleur périmètre. D'ailleurs, nos propres services, les directions régionales de l'environnement (DIREN), qui sont le maître d'ouvrage dans la réalisation d'atlas de zones inondables, travaillent à cette échelle. On peut concevoir l'existence d'une structure nationale, mais l'échelle du bassin me paraît la meilleure. Ces centres seront des lieux d'enseignement du retour d'expérience et de développement de la mémoire du risque. Cette recommandation avait été proposée dans le rapport Dauge, et nous la suivons.

M. le Rapporteur : L'équipe pluridisciplinaire du plan Loire constitue une expérience qui intéressait notre précédent président. Mérite-t-elle d'être généralisée aux cinq autres grands bassins hydrographiques ?

M. Yves COCHET : Cette équipe, qui existe depuis 1995, a montré son intérêt, avec des scientifiques venant de cultures différentes et apportant des connaissances complémentaires sur le fonctionnement des grands fleuves en période de crue. Outre son caractère pluridisciplinaire, cette équipe présente l'avantage de rassembler des personnes d'origines administratives différentes.

Créer une telle structure sur les cinq autres grands bassins poserait énormément de difficultés d'ordre juridique et administratif. En particulier, la Cour des comptes a émis quelques critiques sur la constitution de telles équipes. Peut-être une des solutions passerait-elle par l'inscription, dans le statut des agences de l'eau, d'une habilitation à constituer de telles équipes. Ce point pourra être discuté lors du débat sur la loi sur l'eau.

M. le Rapporteur : J'en viens aux PPR. Vous avez rappelé l'action de votre ministère dans ce domaine et les sommes mobilisées pour favoriser le développement des PPR. À l'occasion des auditions, nous avons entendu un certain nombre de critiques, d'une part sur la procédure d'élaboration elle-même, car elle ne laisse guère de place à la concertation avec les collectivités locales, d'autre part, sur le contenu, qui se préoccupe rarement de l'habitat existant.

Le troisième type de critique concerne le fait que les PPR sont élaborés commune par commune, et non pas au niveau du bassin versant. Que pensez-vous de ces critiques et allez-vous modifier les PPR ?

M. Yves COCHET : Les PPR sont des outils tout à fait intéressants, même si les critiques, que vous formulez, le sont aussi. Elles sont divergentes, dans la mesure où elles proviennent souvent des personnes qui subissent les PPR.

Il se trouve que, par un parallèle que je souhaite faire et que j'avais déjà indiqué lors du débat sur le risque industriel, la semaine dernière à l'Assemblée nationale, nous élaborons actuellement, à l'image des PPR, les PPRT, c'est-à-dire les plans de prévention des risques technologiques.

Pour répondre à vos critiques, la concertation existe déjà dans les textes qui régissent les PPR. En effet, le préfet peut recourir à différents types d'enquêtes pour établir un véritable dialogue avec les collectivités locales. D'ailleurs, le projet de loi sur la démocratie de proximité, actuellement en navette, offre quelques garanties supplémentaires. Je pense que c'est avant tout à l'État qu'il revient d'élaborer les PPR, mais nous rappelons fréquemment aux services départementaux de l'État l'importance de cette concertation et la nécessité de séances de formation avec les élus et les populations.

La concertation existe donc déjà. Mais ce n'est pas toujours facile à mettre en _uvre, car il est difficile de dire aux maires ou aux populations qu'ils vivent dans des zones à risques. En général, les gens ne veulent pas en entendre parler.

Par exemple, on distribue des livrets aux maires qui doivent ensuite les distribuer aux populations. Les maires s'interrogent sur la façon de le faire, car cela n'est pas fait pour rassurer les populations. Cependant, je pense que nous devons passer à une culture de la sécurité, tant pour les risques naturels qu'industriels. Il vaut, en effet, mieux avoir des populations, des élus et des services avertis et conscients des dangers potentiels. Il faut ainsi une sorte de citoyenneté écologique face aux risques. Il faut apprendre à maîtriser le risque. L'adhésion à la démocratie est déjà un facteur d'abaissement du risque. Plus les élus, les citoyens et l'administration seront conscients de leurs responsabilités, plus la sécurité sera assurée. On peut tenter d'augmenter la sécurité avec toutes sortes de procédures, mais la réponse ne peut rester uniquement technique.

Concernant votre seconde question, le PPR peut actuellement prescrire des règles de construction et d'urbanisme pour l'habitat futur, même pour l'existant, mais, dans ce dernier cas, dans la limite de 10 % de la valeur des biens. Dans le Val-de-Marne, le Val d'Authion, le Tarn-et-Garonne, des prescriptions sont relatives aux constructions neuves, comme des cotes minimales de planchers ou l'existence d'un niveau refuge dans les habitations. D'autres PPR contiennent des dispositions relatives aux habitations existantes, comme à Cassis avec des mesures d'étanchéité et de déplacement de clôtures qui feraient obstacle à l'écoulement des eaux. Cela peut donc être extrêmement précis.

La solution n'est pas d'accumuler les prescriptions techniques, les directives, les lois ou les règlements. Les moyens du ministère sont limités. Des organismes agréés pourraient, peut-être, appuyer le contrôle du respect de telles normes.

Enfin, les PPR devraient être réalisés à l'échelle du bassin versant. Il n'y a pas contradiction. Un SAGE peut définir un ensemble d'actions pour une rivière et un PPR qui peut être l'une de ces actions. Nous recommandons d'ailleurs des PPR avec une approche de bassin. Actuellement, cent soixante PPR, correspondant à mille trois cents communes, relèvent d'une approche intercommunale.

M. Jean LAUNAY : Est-ce la raison pour laquelle les chiffres que vous donniez tout à l'heure sur le nombre de PPR et de communes concernées ne coïncident pas ?

M. Yves COCHET : En effet, nous évoquons le chiffre de cinq mille PPR en 2005, mais, si l'on considère le nombre de communes potentiellement inondables, elles sont onze mille.

M. le Rapporteur : Vous avez déclaré que la procédure de mise en demeure individuelle est assez mal adaptée pour pallier la carence de nombreux riverains dans l'entretien des rivières et des cours d'eau. Quelles solutions préconisez-vous pour surmonter le fait que ces propriétaires n'assument pas leurs responsabilités ? Lorsqu'une inondation intervient, les maires peuvent plus légitimement agir. Mais lorsque la mémoire des événements s'est effacée, cela devient relativement difficile. Pourrait-on envisager des formules qui donneraient plus d'autorité et de légitimité aux élus pour se lancer dans de telles opérations ?

M. Yves COCHET : Cela existe déjà, puisque l'article L. 211-7 du code de l'environnement permet aux collectivités de se substituer aux riverains et, éventuellement, de leur demander le remboursement des dépenses de restauration ou d'entretien.

On peut prendre l'exemple du débroussaillement à proximité des habitations. Les associations ont un rôle à jouer. Ainsi, je suis membre d'une association, « Eaux et Rivières de Bretagne », qui vient plusieurs fois par an débroussailler les cours d'eau. C'est un travail qui crée du lien social, même avec les gens du village. Il ne s'agit pas de stigmatiser les propriétaires parce qu'ils ne l'ont pas fait ou mal fait. Au préalable, un travail pédagogique est mené auprès d'eux. On les prévient et on va débroussailler avec eux. Cela se fait depuis une trentaine d'années. Toutefois, dans ce domaine, la loi d'orientation forestière, récemment adoptée, permettra à la commune de procéder d'office à des travaux aux frais des propriétaires défaillants. Les propriétaires pourront également se regrouper au sein d'une association syndicale autorisée. En matière d'entretien des cours d'eau, de telles dispositions existent déjà de longue date, mais elles ne sont pas utilisées. La procédure la plus adaptée reste celle de l'article L. 211-7 du code de l'environnement.

M. le Rapporteur : Je ne suis pas sûr que cela soit très efficace. De plus, l'expérience montre que, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, il vaut mieux que le travail soit fait par des professionnels. Il semble que le projet de loi évoque une nouvelle structure pour l'élaboration des SAGE, un groupement d'intérêt public de développement local. Est-ce vraiment opportun ? En France, nous avons cette habitude de multiplier les structures. S'il était possible de l'éviter en créant une structure unique disposant d'une compétence suffisamment large pour que des concurrences ne s'établissent pas, ce serait une bonne solution.

M. Yves COCHET : Dans le projet de loi sur l'eau, nous nous sommes beaucoup inspiré du rapport de M. Galley. Par exemple, certaines redevances portent sur de nouvelles opérations conduisant à une réduction importante des champs d'expansion naturelle des crues, lorsqu'elle est supérieure à 100 hectares. Par ailleurs, nous proposons, dans ce projet de loi, de mobiliser le « fonds Barnier » en vue de contribuer au financement des interventions des agences en matière de prévention des inondations.

L'élaboration de SAGE suppose qu'il existe une structure porteuse qui assure la maîtrise d'ouvrage des études. Il peut s'agir de structures existantes comme les EPTB qui constituent une structure adaptée, car ils permettent de faire participer d'autres partenaires que les seules collectivités locales à un groupement pour la coordination et l'intervention dans le bassin versant. Cela permet une maîtrise d'ouvrage des actions d'intérêt commun, à l'échelon tant communal que départemental. Les commissions locales de l'eau peuvent donc leur confier la conduite des études préalables aux SAGE.

Le projet de loi ouvre également la possibilité de mise en place d'une structure plus souple qu'est le GIP d'intérêt local.

M. le Rapporteur : Comment inciter le développement des EPTB là où ils n'existent pas ?

M. Yves COCHET : C'est aux élus d'utiliser cette faculté. A défaut d'EPTB, le projet de loi prévoit la possibilité de créer des groupements d'intérêt publics pour assurer la maîtrise d'ouvrage des SAGE.

M. le Rapporteur : Vous évoquiez l'utilisation des ressources du fonds Barnier, qui semble avoir été orientée vers l'élaboration des PPR. Se pose la question du financement d'une politique de délocalisation ou d'amélioration de l'habitat, au moment de la reconstruction. Ces problèmes se posent d'ores et déjà dans mon département. Aux personnes expulsées qui ont été temporairement relogées, il va falloir dire aujourd'hui soit de reconstruire sur place - ce qui n'est peut-être pas la bonne solution -, soit de construire ailleurs.

Dans ce dernier cas, ils vont se trouver dans l'incapacité de reconstruire car ils n'en auront pas les moyens, les assurances ne couvrant pas la différence entre le coût des travaux de remise en état sur place et la reconstruction ailleurs. Nous sommes aujourd'hui totalement dépourvus face à la misère de nos interlocuteurs.

Comment pouvons-nous, éventuellement avec l'appui de ce fonds, développer une politique qui consisterait à prévenir, en évitant que l'on reconstruise ou que l'on laisse des bâtiments dans des zones inondables ?

M. Yves COCHET : Au préalable, je vous donnerai quelques indications quant à l'utilisation passée du « fonds Barnier ». Ce fonds de prévention des risques naturels majeurs a déjà financé 151 millions de francs (23 millions d'euros) d'expropriation, 139 millions de francs (19,8 millions d'euros) d'études et de travaux pour deux grands glissements, la Séchilienne dans l'Isère, et la Clapière, dans les Alpes-Maritimes, 82 millions de francs (12,5 millions d'euros) pour l'élaboration et la mise en _uvre des PPR. Les 34 millions de francs (5,2 millions d'euros) restants constituent les frais de gestion.

Est-il possible de délocaliser avec des sommes aussi peu importantes ? Je suis fier de ce que mon ministère a fait, mais les ressources actuelles du fonds étant d'environ 130 millions de francs (19,8 millions d'euros) par an, nous n'irons pas très loin. Le secrétariat d'État au Logement a peut-être d'autres dispositions financières. Je rappelle que, en ce qui concerne la Somme, c'est le FNADT qui a été mobilisé et non le « fonds Barnier ».

Dans l'état actuel des choses, faire plus en matière de délocalisation supposerait de délaisser les autres missions du fonds, c'est-à-dire les expropriations, les études et travaux et les grands glissements qui restent problématiques. On peut également imaginer un amendement parlementaire qui proposerait d'augmenter considérablement l'abondement de ce fonds.

M. le Rapporteur : Vous avez dit, à juste titre, que la meilleure prévention est de construire ailleurs que dans les zones susceptibles d'être inondées. Si on veut inciter les habitants qui sont dans ces zones, et à qui on explique qu'ils risquent d'être inondés de nouveau, à construire ailleurs, il faut mettre en _uvre une procédure d'expropriation type « fonds Barnier ». C'est très difficile car ce sont souvent des personnes à revenus modestes, qui vivent dans leur maison depuis toujours. En d'autres termes, en l'absence de toute procédure de ce type, nous allons être conduits à leur laisser la possibilité de se réinstaller là où ils sont, jusqu'à la prochaine inondation. Peut-être y a-t-il un travail à réaliser avec les assurances ?

M. Yves COCHET : Cela me paraît difficile dans la situation actuelle. Le coût des assurances va augmenter dans de nombreux secteurs. Nous avons déjà versé plus de 150 millions de francs (23 millions d'euros) pour les expropriations au titre du « fonds Barnier ». Il faudrait bien sûr faire davantage, car de plus en plus de personnes seront concernées si ces inondations se renouvellent.

En matière de risques technologiques, nous envisageons, pour les habitations des personnes situées près des usines type Seveso, un rachat ou une servitude d'utilité publique indemnisable qui serait à la charge de l'exploitant, qui rachèterait directement les maisons et les groupes scolaires les plus proches des installations. C'est plus simple en matière de risque technologique, puisque l'on sait qui est à l'origine du risque. C'est plus difficile dans le cas d'un risque naturel. Le principe qui a présidé à la création de ces procédures et du « fonds Barnier » est bon, mais je crains que ses ressources ne soient pas actuellement à la hauteur des besoins.

M. le Rapporteur : Lors d'un déplacement de notre mission en Ardèche, nous avons pu constater que des arbres poussaient dans le lit mineur de la rivière. Ainsi, chaque fois que la rivière Ardèche subit une crue, l'eau est détournée de son cours, les embâcles s'installent et l'inondation est aggravée.

L'un des membres de la Commission, M. Stéphane Alaize, dénonçait les difficultés que les collectivités rencontraient pour obtenir l'autorisation de traiter la rivière afin d'éviter que ce phénomène d'embâcle ne se reconstitue à chaque inondation. Il semble qu'il y a une véritable difficulté à traiter ce problème. On se heurte vraiment à une multitude d'oppositions, sans doute légitimes, qui conduisent à un véritable blocage.

M. le Président : J'ajouterai que, dans le lit de la rivière, il y a des tonnes de gravier qui forment des monticules. Or, on n'a pas le droit d'enlever des gravats dans une rivière au-delà de mille mètres cubes. C'est donc une impossibilité pratique de restituer le cours de la rivière dans son lit naturel.

M. Yves COCHET : Concernant la question du lit des rivières, c'est vrai que des avis divergents sont émis par les associations de protection de la nature, les pêcheurs et ceux, et ils sont tous nombreux, qui interviennent sur les rivières. Nous avons également le problème, cher à M. le Président, des micro-centrales hydrauliques. Nous avons donc mis en place un groupe de travail sur ce thème. Comme vous le savez, le projet de loi sur l'eau prévoit une procédure d'urgence sans enquête publique. Par ailleurs, comme je l'ai dit, l'article L. 211-7 du code de l'environnement permet de se substituer aux propriétaires, en l'absence d'urgence, au moyen d'une déclaration d'intérêt général qui peut être utile dans les cas que vous évoquiez.

M. Jean LAUNAY : Vous avez qualifié les EPTB de bons outils. La loi sur l'eau de 1964 mentionnait déjà la nécessité d'une structure de ce type, sans en citer le nom. Or, les décrets d'application ne sont jamais sortis.

L'examen du projet de loi en janvier, si le calendrier est tenu, peut être l'occasion d'une reconnaissance juridique et effective des EPTB, au-delà de ce qui leur est déjà reconnu comme capacité à intervenir sur les bassins versants et à fédérer les actions des départements, voire des régions.

Au sein de la Commission, la question d'une simplification des structures a été posée, par exemple par un regroupement entre les EPTB et les agences de l'eau. Cette idée n'était pas très raisonnable. Pour autant, il convient de structurer et de renforcer le volet territorial de ce projet de loi sur l'eau. Pourrait-on, dès lors, envisager une concertation entre votre cabinet et notre Commission afin d'inclure dans le projet de loi sur l'eau, d'éventuelles préconisations tirées de notre travail ?

M. Yves COCHET : Je réponds immédiatement de façon favorable à votre demande. Il est évident que nous serions sourds et aveugles si nous ne tenions pas compte de votre rapport au cours du débat parlementaire et de la discussion des amendements qui pourraient être issus de vos travaux. Mon cabinet et mon ministère sont à votre disposition pour en discuter avec vous, ou le Président ou le Rapporteur.

Concernant les EPTB, les établissements de bassin prévus par la loi de 1964 étaient des établissements publics d'État, ce qui n'est pas la bonne solution territoriale. Les EPTB actuels, constitués sous forme de syndicats mixtes ou d'ententes interdépartementales, sont mieux adaptés.

Il existe par ailleurs des aides pour inciter à leur création. Par exemple, le projet de loi sur l'eau indique que ces établissements auront la possibilité de percevoir des recettes propres. Il s'agit des recettes qui découleraient de la participation financière des bénéficiaires de leurs actions ou de la constitution d'un domaine public fluvial propre dont ils pourront faire contribuer les utilisateurs. C'est ce que fait déjà Voies navigables de France sur le domaine navigable qui lui est confié.

Le deuxième levier, c'est la capacité des EPTB à faire valoir leur utilité auprès des collectivités locales, voire auprès de tous les acteurs de la gestion de l'eau. Le troisième levier, ce sont les aides apportées par les agences de l'eau. Ce levier a été utilisé par le passé et a facilité la création d'EPTB.

M. le Président : Nous avons senti, lorsque nous avons reçu les agences de l'eau et les comités de bassin, une très grande réticence de leur part à devenir maître d'ouvrage, probablement parce que leurs ressources actuelles ne sont pas faites pour cela et sont trop limitées.

Dès lors, ne peut-on pas décider que, dans toute circonstance, un EPTB sera le maître d'ouvrage unique ? On lui en donnerait les moyens financiers, et les agences de l'eau lui apporteraient leur assistance, en tant que maître d'_uvre.

M. Yves COCHET : Je suis d'accord avec vous, les EPTB doivent être principalement, mais pas exclusivement, maître d'ouvrage. Le groupement d'intérêt public est une autre structure pertinente, pour les SAGE notamment. En tout le cas, le rôle des agences de l'eau n'est pas d'être maître d'ouvrage : elles apportent de l'aide, sans être directement impliquées dans les actions opérationnelles.

M. le Président : Nous avons été très frappés de la volonté qui est la vôtre d'investir des centaines de millions de francs dans ce domaine. Si M. Éric Doligé avait été présent, il vous aurait certainement posé la question suivante. Sur le terrain, il existe des difficultés concrètes pour consommer les crédits. Par conséquent, nous avons l'impression que vous vous donnez beaucoup de mal afin que l'État mette beaucoup d'argent, mais que les moyens humains ou techniques, en quantité et en qualité, font défaut pour effectivement le dépenser.

M. Yves COCHET : C'est le problème assez général des procédures budgétaires au sein de mon ministère. Même s'il devient petit à petit un ministère de plein exercice avec ses corps propres de fonctionnaires, ce ministère est encore récent et ne dispose pas encore de ses propres agents partout.

Nous avons fait un effort à l'égard des catégories B et C qui relèvent maintenant largement du ministère de l'Environnement, mais nous avons encore des agents qui viennent d'autres ministères, principalement l'Agriculture et l'Équipement.

Ainsi, lorsque nous essayons de dépenser nos crédits, nous avons plus de quatre cents ordonnateurs secondaires et la maîtrise de ce processus est très difficile pour nous. Par ailleurs, pour des raisons politiques, notre ministère a reçu beaucoup d'argent en 1997-1998, mais nous avons constaté qu'il n'y avait pas suffisamment d'agents pour dépenser convenablement les crédits attribués. Maintenant, même si nous sommes encore en croissance budgétaire de 7 % cette année, nous insistons sur la création d'emplois. En effet, il ne suffit pas d'avoir des crédits supplémentaires, encore faut-il pouvoir les dépenser dans de bonnes conditions. De plus, comme nous travaillons souvent avec des collectivités locales, les projets peuvent durer plusieurs années. Il y a donc nécessité de prévoir des reports de crédit. On le voit pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) : nous avons du mal à dépenser ses crédits, parce qu'elle contractualise beaucoup avec les collectivités locales ou les industriels. Le circuit entre la budgétisation initiale et la dépense finale peut prendre trois ou quatre ans. C'est pourquoi nous avons diminué en 2001, et de nouveau en 2002, le budget de l'ADEME. En revanche, nous allons augmenter ses effectifs pour qu'elle soit plus opérationnelle.

Enfin, notre budget prévoyait la création de trois cents postes supplémentaires, mais avec la catastrophe de Toulouse, nous allons passer à quatre cents postes. Les effectifs du ministère proprement dit, hors établissements publics, passeront ainsi à 3 500 personnes, alors qu'ils n'étaient que de 2 400 en 1997. Ce sont donc 1 100 emplois supplémentaires, soit 45 % d'augmentation, qui ont été créés en cinq ans.

L'augmentation de ces effectifs concerne principalement les agents de terrain, dans les DIREN et les DRIRE, pour l'inspection des installations classées. Plus précisément, pour le plan Loire, nous aurons dix personnes supplémentaires en 2002 et l'effort se poursuivra dans les prochaines années.

M. le Président : Monsieur le Ministre, nous vous remercions.

Table-ronde réunissant
les présidents et directeurs des agences de bassin

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 5 septembre 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

Cette table ronde réunit :

- bassin Adour Garonne : M. Jean-Pierre Poly, directeur de l'agence,

- bassin Artois-Picardie : M. Alain Strébelle directeur de l'agence,

- bassin Loire-Bretagne : MM. Jean-Claude Demaure et Jean-Louis Beseme, président et directeur de l'agence

- bassin Rhin-Meuse : M. Claude Gaillard, député et président du comité de bassin, et MM. François Barthelemy et Daniel Boulnois, président et directeur de l'agence,

- bassin Rhône-Méditerranée-Corse : M. Henri Torre, sénateur et président du comité de bassin, et M. Jean-Paul Chirouze, directeur de l'agence,

- bassin Seine-Normandie : M. Pierre-Alain Roche, directeur de l'agence.

M. le Président rappelle aux participants que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, tous prêtent serment.

M. le Président : Avant l'été, notre commission a entendu les représentants des administrations compétentes et un certain nombre d'experts ou de spécialistes qui nous ont fourni des informations précieuses sur l'ensemble de notre champ d'investigation.

Ces auditions nous ont permis de constater que pour l'essentiel, les mesures à prendre pour prévenir ou pour réduire les conséquences des inondations sont très largement identifiées.

Nous avons également pu constater qu'en matière d'inondation, les acteurs sont nombreux et leurs rôles pas toujours bien coordonnés. Dès lors, la question de la mise en _uvre effective de ces mesures et, donc, de la désignation de maîtres d'ouvrages clairement responsables est essentielle.

Les agences de l'eau sont des acteurs incontournables en matière de politique de l'eau. L'enjeu de cette table-ronde est d'examiner, avec vous, dans quelle mesure elles pourraient jouer un rôle plus actif en matière de prévention des inondations, même si elles ne sont pas restées inactives.

Je souhaite que cette-table ronde soit surtout tournée vers l'avenir et que nous ne nous appesantissions pas sur le présent ou le passé récent, même si celui-ci peut éclairer les éventuels obstacles au développement des actions futures.

Pour nourrir notre discussion, nous disposons, outre des éléments transmis par les agences en réponse à notre questionnaire écrit, d'un document précieux : le rapport du groupe de travail inter-comités de bassin, élaboré par notre collègue M. Robert Galley, qui explore un certain nombre de pistes et fait quelques propositions.

M. Jean-Pierre POLY : Contrairement sans doute aux autres bassins, dans le bassin Adour-Garonne, les préoccupations en matière de prévention des crues et d'inondations le disputent aux préoccupations en matière de soutien des étiages en période de sécheresse. La ressource connaît un déficit structurel important, de l'ordre de 300 millions de m3 en ce qui concerne les eaux de surface, en année moyenne, à la fois pour satisfaire aux besoins socio-économiques et assurer un étiage décent et compatible avec la vie aquatique. Ces 300 millions de m3 sont à comparer aux 2,4 milliards de m3 prélevés dans les eaux de surface du bassin, pour un tiers par les usages domestiques, un tiers par les usages agricoles et un tiers par les usages industriels.

L'agence de l'eau et les instances qui l'accompagnent sont davantage tournées vers la prévention des inondations que vers la protection, même si la prévention n'est pas toujours l'objectif prioritaire poursuivi.

Ces préoccupations se concrétisent, à travers le programme d'interventions de l'établissement public, par l'élaboration de la cartographie des zones inondables, qui est une priorité forte de notre schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Totalement achevée dans la région Midi-Pyrénées, elle est moins avancée dans les autres régions, notamment la région Aquitaine et la région Poitou-Charente. L'agence a contribué par voie de fonds de concours au financement assuré par l'État de ces travaux. C'est un document essentiel pour l'élaboration des plans de prévention des risques (PPR).

Nous intervenons aussi pour l'amélioration de la connaissance du comportement hydrologique et hydraulique des bassins versants. En termes d'études préalables, les projets sont systématiquement financés par subvention au taux de 50 % par l'agence de l'eau. Ces études constituent dans la plupart des cas un préalable nécessaire à notre intervention en matière de travaux de restauration et d'entretien des cours d'eau. C'est un domaine dans lequel les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), très présents en Adour-Garonne, avec lesquels nous avons tissé des liens contractuels importants au fil du programme en cours, se montrent très actifs, aussi bien en ce qui concerne la coordination qu'en ce qui concerne la maîtrise d'ouvrage des programmes de travaux. Je rappelle que sur le bassin Adour-Garonne, l'ensemble des cours d'eaux principaux - Garonne, Adour, Dordogne, Charente, notamment - sont placés sous l'égide d'un établissement public territorial de bassin, et que chacun de ces établissements dispose d'un accord de coopération avec l'agence de l'eau.

Dans le cadre d'un accord pluriannuel correspondant à la durée de notre programme d'intervention, nous pouvons, à la faveur d'opérations déconcentrées stimulant l'innovation ou favorisant les projets pilotes, mettre en _uvre certains objectifs prioritaires du SDAGE de concert avec ces EPTB, lesquels sont très engagés, notamment dans le domaine du soutien des étiages. Les EPTB sont ainsi systématiquement les maîtres d'ouvrage pour l'élaboration des plans de gestion des étiages, afin d'équilibrer la ressource et les prélèvements sur la base d'objectifs de débits raisonnables en été. Ils sont également déterminants et moteurs pour la mise en _uvre de programmes comme ceux relatifs à la reconquête des poissons migrateurs - emblématiques en Adour-Garonne -, à l'élimination des déchets flottants, à la gestion des éclusées mais pas, jusqu'à présent, à la prévention des inondations dans notre bassin.

Dans le domaine des dispositifs d'alerte, notre établissement n'a pas apporté de financement direct jusqu'à présent, hormis par le biais d'une contribution, de 2 à 2,5 millions de francs ces deux dernières années, à la direction régionale de l'environnement (DIREN) de bassin et à l'ensemble des DIREN du bassin pour la modernisation de leur réseau d'annonce de crues par l'équipement en matériels de télémesure et de télétransmission.

Nous agissons pour la préservation des zones d'expansion de crue avec des objectifs variés : réhabilitation du fonctionnement des vallées alluviales sur le bassin Adour-Garonne, restauration de la dynamique fluviale et préservation des zones humides associées. C'est un domaine dans lequel nous intervenons aussi bien au niveau des études préalables que des travaux de réhabilitation ou des acquisitions foncières. Notre contribution reste modeste, de l'ordre de plusieurs millions de francs par an toutefois, au titre du programme de l'agence, mais elle dépend strictement de la demande puisque, à ma connaissance, aucun projet n'a été refusé.

Plus classique, plus traditionnelle et conforme aux pratiques des précédents programmes est notre participation à des travaux de restauration, de réhabilitation et d'entretien des cours d'eau. Notre politique s'est façonnée au cours du temps puisque nous intervenons maintenant dans le cadre d'actions coordonnées pluriannuelles en favorisant les maîtrises d'ouvrage sur des périmètres cohérents - généralement des syndicats de communes - et en coordonnant les financements de l'établissement public à l'échelle du département. Nous avons incité chaque département, avec l'aide financière de l'agence, à se doter d'une cellule d'assistance technique à l'entretien des rivières afin d'assurer une programmation pluriannuelle cohérente et de faire converger les financements multiples en ce domaine.

Nous nous sommes plutôt retirés ces dernières années d'une participation systématique à des travaux d'entretien réguliers. Nous nous sommes recentrés sur les travaux de restauration, car les moyens de l'établissement ne nous permettaient pas de prendre des engagements à long terme de ce type. Il convient aussi de responsabiliser les acteurs locaux pour un entretien durable dès lors que la puissance publique a participé à la remise à niveau du cours d'eau en fonction de ses objectifs. Dans le secteur de l'entretien des rivières, nous avons très largement accompagné le programme national des emplois-jeunes puisque nous avons financé environ la moitié des quelque mille emplois-jeunes mis en place avec l'aide de l'agence à ce jour dans le domaine de la gestion et de l'aménagement des rivières.

Bien entendu l'agence répond au coup par coup aux demandes de remise en ordre des dégâts causés par les intempéries. Tous les désordres que nous avons connus fin 1999, aussi bien à la suite des tempêtes de la fin d'année que des inondations violentes qui ont secoué le Tarn et l'Aude, ont fait l'objet de financements. La participation exceptionnelle de l'agence à ces travaux a été de l'ordre de 50 millions de francs sur les années 2000 et 2001.

S'agissant des perspectives d'avenir, je pense que les agences de bassin sont bien disposées à l'égard d'un renforcement de leur rôle dans la prévention des crues et des inondations, pour autant que soient parallèlement mises en place des recettes permettant le financement de ce programme sans mobiliser uniquement la participation financière des consommateurs d'eau et pour autant que les agences de bassin ne soient pas invitées à endosser purement et simplement la responsabilité de la puissance publique en matière de protection des biens et des personnes.

S'agissant des financements publics soulignons la nécessité, d'ailleurs reconnue par la direction de l'eau me semble-t-il, de mieux coordonner les efforts de chacun. Le fonds national de solidarité sur l'eau par exemple, approvisionné par les agences, participe au financement de projets d'ores et déjà pris en charge directement par nos établissements. Nous avons également des marges de progrès dans la coordination des financements.

La proposition d'instauration d'une redevance pour modification du régime des eaux s'analyse de façon différente, puisque selon le projet de loi, l'effet générateur est lié aux obstacles, aux dérivations, aux éclusiers ou au stockage en lit mineur. Il permettra de dégager des recettes qui, même si elles ne sont pas préaffectées, seront très largement réinvesties et au-delà dans le renforcement de nos activités en matière de réhabilitation des cours d'eau, de protection et de gestion des zones humides et d'accompagnement des programmes d'entretien. Cela me paraît acquis. Les débats d'orientation du comité de bassin sur ce sujet l'ont clairement démontré.

Nous sommes beaucoup moins avancés, comme dans les autres bassins me semble-t-il, sur les perspectives d'intervention qui pourraient être ouvertes par la mise en place de redevances liées à l'imperméabilisation ou à la réduction des zones d'expansion de crue en lit majeur. C'est un dossier sur lequel le rapport du président Galley a ouvert, toutefois, des pistes prometteuses.

M. Alain STRÉBELLE : Le bassin Artois-Picardie, petit bassin de moins de 20 000 km², présente la particularité de ne pas avoir de grands cours d'eau. En revanche, il possède un réseau dense et ramifié, très interconnecté, avec des sens d'écoulement qui peuvent s'inverser suivant les périodes. Pour des raisons historiques, il est fortement aménagé en canaux pour le transport de marchandises. Il comporte une forte densité de population. 90 % de nos quatre mille kilomètres de cours d'eau sont alimentés par la nappe. Lors d'événements pluvieux très importants comme ceux que nous avons connus ces deux dernières années, l'on peut voir brusquement inondées des zones asséchées de longue date.

Depuis le VIe programme, nous intervenons en matière de cartographie en participant au financement de l'établissement de l'atlas des zones inondables du bassin et, lors de crues, à l'établissement de la cartographie des zones inondées. Ce printemps, nous avons ainsi réalisé une cartographie des zones inondées par la Somme qui sera un outil appréciable pour l'élaboration des PPR par les collectivités locales.

Depuis plusieurs années, depuis la création du SDAGE et dans le cadre de l'élaboration des SAGE, nous intervenons systématiquement dans tout ce qui relève de la connaissance des régimes hydro-géologiques et hydrauliques des bassins versants concernés. Pour agir et entreprendre, il faut d'abord connaître et comprendre. C'est pourquoi nous intervenons très en amont sur les études. L'intervention de l'agence se monte à 3 à 4 millions de francs par an pour des études qui représentent généralement un montant deux fois plus élevé, puisque notre taux de participation est de 50 %.

Au titre de nos activités traditionnelles, je citerai aussi la préservation des champs d'expansion des crues. Depuis 1995, ils font l'objet d'une attention constante de notre part, comme en témoignent le SDAGE et les SAGE en cours d'élaboration sur notre territoire.

Bien qu'elle ne soit pas présentée comme un moyen de lutter contre les inondations, la partie historiquement la plus importante de notre intervention concerne l'entretien et la restauration des ouvrages et des cours d'eau. Il est évident qu'un cours d'eau bien entretenu participe à un bon écoulement des eaux. Depuis une dizaine d'années, au travers des travaux d'entretien et, plus récemment, des emplois-jeunes, nous intervenons dans ce domaine à hauteur de 10 à 11 millions de francs par an.

Nous agissons aussi pour la protection des personnes et des activités contre les crues en fonction des incidents. Depuis 1999, nous avons été conduits à intervenir ponctuellement sur les inondations des bassins de la Lys et de l'Aa. Nous interviendrons sur les suites des inondations de la Somme. Plus qu'une politique définie d'une manière pérenne, c'est l'événement qui motive notre intervention.

Nous sommes donc très axés sur la cartographie des zones inondables ou des zones touchées par les inondations, sur les études permettant de connaître les phénomènes hydrauliques de nos différents bassins versants et sur l'entretien et la restauration des ouvrages, le reste de nos interventions étant ponctuel et en fonction des événements. Globalement, au cours des cinq dernières années, l'intervention de l'agence sur le problème général des inondations se limite à environ 30 millions de francs par an sur un budget annuel d'intervention de 900 millions de francs. Hormis en 1999, 2000 et 2001, nous n'avons pas connu de phénomènes d'inondation très importants, mais seulement quelques phénomènes très localisés ne concernant que quelques habitations.

Eu égard à la particularité de notre bassin, nous tirerons très peu de recettes des nouvelles redevances pour la modification du régime des eaux et l'imperméabilisation. C'est vrai que nous avons globalement peu de besoins. Ceux-ci concernent surtout les études. L'examen de notre atlas des zones inondables montre que moins de 0,5 % du territoire pourrait être classé en zone inondable.

Il faut peut-être faire autre chose que des études et que de l'entretien de cours d'eau en matière d'inondation. Nous attendons qu'une politique se dessine. Les événements de la Somme nous permettront peut-être de forger une véritable politique en ce domaine au niveau du bassin. Il est clair que nous continuerons d'intervenir dans nos domaines traditionnels - étude, préservation, ouvrages d'expansion des crues -, mais nous n'interviendrons ni dans la réparation des dégâts, ni en tant que maîtres d'ouvrage, parce que nous n'en avons ni l'ambition ni la possibilité. Nous agirons en coordination avec l'ensemble des acteurs économiques locaux, sachant que nous n'avons pas d'EPTB sur notre territoire. Peut-être va-t-il s'en constituer un autour de la Somme à la suite des récents événements. Le préfet Cadoux y travaille.

J'ajoute que notre territoire étant relativement petit, couvrant la région Nord-Pas-de-Calais et une partie de la région Picardie, la coordination entre services de l'État et conseils généraux est assez simple. Il existe une proximité très forte. Historiquement, les relations sont partenariales. Sans les formaliser au travers de structures, nos relations contractuelles sont très bonnes.

M. Jean-Claude DEMAURE : Nouvellement arrivé dans l'agence de bassin, je limiterai mon propos à quelques observations liminaires avant de donner la parole à Jean-Louis Bésème, le directeur de l'agence.

Je suis ligérien et j'habite sur les bords de la Loire depuis un certain temps. Ce fleuve a une image ambiguë. Considéré à juste titre comme « le dernier fleuve sauvage d'Europe », il est aussi de longue date, depuis le XIe siècle, l'un des fleuves les plus endigués. Fleuve sauvage, il est soumis à des débordements. Fleuve endigué, il doit protéger ses populations.

De plus, il subit régulièrement, outre les crues exceptionnelles du type cévenol du haut bassin ou les crues brutales de la Sèvre en aval, des crues fluides, petites ou moyennes, en sorte que la mémoire des crues est encore bien ancrée chez les populations riveraines dans une grande partie du bassin, peut-être moins en région Centre.

C'est sans doute la raison pour laquelle, à la suite du premier plan Loire grandeur nature de 1994, un outil particulier - dont Jean-Louis Bésème exposera les motivations, la philosophie de fonctionnement et les résultats -, l'Équipe pluridisciplinaire plan Loire grandeur nature, que vous connaissez bien, monsieur le président puisque l'établissement public Loire, ex-Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (ÉPALA), en est un des acteurs principaux, a apporté une méthode d'analyse et des premiers résultats précieux. Cet outil pourrait sans doute être étendu à l'ensemble du bassin et être utilisé comme méthode d'analyses, voire comme modèle, pour d'autres.

Enfin, puisque je suis universitaire d'origine, j'ai récemment collaboré avec une équipe de recherche du CNRS installée à l'Institut de géographie de l'Université de Nantes, qui dispose d'un des laboratoires français les mieux équipés en analyse d'images satellitaires, notamment pour les zones humides. Ces chercheurs, qui ont travaillé dans pratiquement tous les pays du monde, se penchent actuellement sur le parc de Brière pour délimiter précisément les zones humides. Comme nous avons connu des événements pluvieux importants cette année, nous aurons sans doute là des éléments d'appréciation plus objectifs et plus faciles à utiliser qu'une analyse métrologique du territoire.

M. Jean-Louis BESEME : Le président Demaure vient de présenter les caractéristiques du bassin. Il est vaste et hétérogène, puisqu'il comprend la Bretagne. Or les problèmes de crue en Bretagne sont relativement récents et restent présents dans nos mémoires. Sur la Loire, il subit des crues cévenoles qui peuvent être dévastatrices, de grandes crues océaniques que nous n'avons heureusement pas connues depuis longtemps et des crues qui reviennent régulièrement sur l'Ouest, Bretagne et Pays de la Loire.

Le bassin est sauvage - les digues ne sont pas naturelles mais elles sont tellement anciennes qu'elles font partie du paysage - et assez peu aménagé en comparaison du Rhône canalisé, du Rhin et d'autres fleuves. Ce caractère sauvage est important et nous cherchons à le préserver.

En termes de structures, ce bassin est particulier. Le bassin de la Loire constitue les deux tiers du grand bassin hydrographique Loire-Bretagne avec l'ÉPALA, devenu Établissement public Loire, le reste étant réparti entre trois autres EPTB de dimensions beaucoup plus faibles, ceux de la Vilaine, de la Sèvre Nantaise et de la Sèvre Niortaise.

J'évoquerai l'action de l'agence assez brièvement afin d'éviter les redites avec mes collègues, car les agences sont tout de même relativement proches. Dans le domaine de la prévention des inondations, nous sommes intervenus un peu à la marge - l'Équipe Loire mise à part -, et avec des sommes relativement modestes en comparaison du budget global des agences, de 30 à 40 millions de francs par an. Environ 30 % des crédits sont consacrés aux études et 50 % à des actions de restauration et d'entretien des cours d'eau.

Certes, cela ne concerne pas directement les inondations mais, vous le savez, un entretien régulier est un gage de bon écoulement des petites crues. Il est évident qu'en cas de crues très importantes, comme celles qui se sont produites en Bretagne, cette action est insuffisante. Il s'agit principalement de remise en état des cours d'eau. Restés longtemps sans entretien, ils nécessitent un très important travail de rattrapage.

Comme d'autres agences, nous hésitons à nous engager dans l'entretien courant, considérant à la fois que nous avons des moyens limités à consacrer à ce genre d'action et que celle-ci relève de la responsabilité des riverains et des maîtres d'ouvrages. Nous le faisons tout de même, dans le cadre de contrats globaux pluriannuels étalés sur quatre à cinq ans et portant sur des périmètres relativement étendus. Ils prévoient à la fois des travaux assez lourds de remise en état et d'entretien avec un engagement fort des maîtres d'ouvrage de façon partenariale.

Nous consacrons aussi quelques crédits, limités, sur les réseaux de mesure, sachant que nous ne finançons pas les réseaux d'annonce de crue proprement dits. Les réseaux de mesure sont souvent à plusieurs usages et ils permettent d'avoir une connaissance des écoulements, notamment en période d'étiage. À ce titre, nous finançons, sur le réseau CRISTAL sur la Loire, une partie des équipements et une partie du fonctionnement.

La spécificité du bassin Loire-Bretagne est l'existence d'une Équipe pluridisciplinaire travaillant sur l'aménagement de la Loire. Il s'agit d'un partenariat entre l'État, l'établissement public Loire et l'agence, qui implique très fortement l'agence, non seulement parce qu'elle en cofinance une partie du fonctionnement, mais aussi et surtout parce qu'elle en assure le portage administratif et technique. Initialement mise en place pour une durée limitée en 1994 à la suite d'une décision de l'État, cette équipe a été, compte tenu de son intérêt, reconduite et quasiment pérennisée lors du dernier comité interministériel concernant la Loire, en 2000.

Après avoir concentré son action sur la Loire moyenne, cette équipe pluridisciplinaire est en train d'élargir son champ d'action à l'ensemble du bassin, à la fois vers l'amont et vers l'aval. Elle est composée de sept personnes de bon niveau, principalement des ingénieurs. Elle réunit des compétences assez diverses. Elle n'a pas vocation à se substituer à l'État et aux maîtres d'ouvrage, collectivités ou groupements de collectivités. Elle intervient en termes d'élaboration de stratégie, d'études, d'appui technique, de communication.

L'ensemble des partenaires s'est montré tout à fait satisfait par ce montage assez original et très partenarial. Le comité de pilotage, composé de représentants de l'État, de l'établissement public et de l'agence, est un peu le conseil d'administration de l'Équipe Loire. Un comité technique suit les travaux de l'équipe au jour le jour. L'agence de l'eau en assure le portage administratif, c'est-à-dire qu'elle a embauché le personnel, le rémunère, l'encadre administrativement et passe les contrats d'étude sur ses crédits en se faisant ensuite rembourser par ses partenaires.

Pour la première période de cinq à six ans, le budget global de l'Équipe Loire s'est tout de même élevé à 50 millions de francs, une moitié étant consacrée au fonctionnement proprement dit, l'autre à des études.

Pour l'avenir, les réflexions de l'agence sont au même niveau que celles décrites par mes collègues des autres bassins. Nous attendons d'y voir un peu plus clair, de recevoir des directives un peu plus précises et de voir ce qui ressortira du projet de loi sur l'eau qui a été récemment adopté par le Gouvernement.

Se posent en effet des questions de principe. Quel rôle entend-on voir jouer par les agences ? Si nous considérons - j'insiste sur ce point -, que nous n'avons pas vocation à assurer des maîtrises d'ouvrage de travaux, en revanche, et l'expérience de la Loire est là pour le montrer, les agences peuvent intervenir de façon fructueuse en matière de réflexion, de stratégie, d'études et de cadrage général. L'autre question qui se pose est celle des moyens financiers que nous pourrons y consacrer. Cela renvoie aussi au projet de loi sur l'eau et au rapport de M. Galley.

M. le Président : Notre commission d'enquête a reçu le responsable de l'Équipe pluridisciplinaire. Puisque vous avez signalé que l'agence assurait le portage, je tiens à rappeler que cela n'a pas été facile à mettre en place. Si cette expérience fructueuse devait être étendue à l'ensemble du territoire national et pérennisée, il est certain qu'il faudrait trouver des solutions pour le portage. Les petites difficultés, tracasseries administratives et luttes qui ont dû être menées pour parvenir à pérenniser des structures que tout le monde considère comme indispensables montrent la complexité administrative qui bien souvent va à l'encontre de la volonté des acteurs concernés.

M. François BARTHELEMY : Je commencerai par fournir quelques éléments sur les actions réalisées par l'agence de l'eau Rhin-Meuse, ces dernières années, dans le domaine des inondations et dans des domaines connexes, laissant au président Gaillard le soin d'évoquer la partie la plus difficile, à savoir les orientations à retenir pour les prochaines années. Je répéterai sans doute un peu ce qu'ont dit les représentants des autres bassins car, bien que les situations géographiques soient fort différentes, les règles d'intervention sont comparables.

Depuis la préparation du VIIe programme, des études liées à la connaissance des problèmes d'inondation ont été réalisées. Au cours du VIIe programme, des études, des cartes de zones inondables, des prises de photos aériennes lors d'épisodes de crue ont été réalisées. Ce sont des éléments essentiels pour connaître les phénomènes de crue et en conserver la mémoire. En effet, la mémoire des crues est fondamentale. Hormis sur la Loire où des maisons portent encore la marque de la crue de 1846, l'on est frappé de constater que des crues beaucoup plus récentes sont sorties de la mémoire collective. Cela montre bien la nécessité, lors de chaque événement, d'en garder toutes les traces afin de ne pas l'oublier.

Nous sommes également intervenus en matière de réseau d'annonce de crue, avec les mêmes limites déjà signalées. Nous avons effectué des études plus spécifiques liées à l'établissement public concernant la Meuse. Force est de reconnaître que les financements correspondants attribués par l'agence depuis 1995 restent assez modestes, de l'ordre de quelques millions de francs par an.

Le volet le plus important pour lequel l'agence est intervenue est la restauration et l'entretien des rivières, volet à vocation multiple puisqu'il intéresse non seulement les inondations mais aussi la protection de l'environnement. C'est là que les aides les plus importantes ont été attribuées. Au cours du VIIe programme, les travaux financés s'élèvent à 260 millions de francs, dont 100 millions de francs apportés par l'agence. En revanche, l'agence ne s'est pas engagée dans des aides aux travaux d'hydraulique et de protection. Les aides actuellement prévues concernent non les travaux de protection des biens et des personnes, mais la restauration de zones inondables. Dans ce domaine, l'agence devra intervenir de façon substantielle au cours des prochaines années.

S'agissant du champ de réflexions prospectives en cours, je laisse la parole à notre président du comité de bassin.

M. Claude GAILLARD : En complément de ce qu'a dit le président Barthélémy et dans cette position inhabituelle pour moi, je voudrais faire l'état des lieux de nos propres réflexions en essayant de répondre à votre préoccupation concernant les inondations.

Depuis la création des agences, nous pouvions intervenir en ce domaine mais nous ne l'avons guère fait. Dans les années 1994, nous avons eu un débat à ce sujet entre les agences sans aller trop au-delà, d'autant que le Conseil d'État était d'une grande prudence, à défaut d'être réticent. La philosophie était : pas d'intervention nouvelle sans recettes nouvelles. Des réflexions collectives ont été depuis organisées sous l'autorité amicale et collégiale de notre collègue M. Robert Galley.

Aujourd'hui, en travaillant sur le VIIIe programme, on sent bien qu'il va falloir franchir une étape, dont l'importance sera définie par le législateur. Il conviendra d'intégrer à la fois la question du coût, de la responsabilité, du conflit d'intérêt avec les problèmes d'environnement - la lutte directe contre les inondations peut avoir des effets pervers et nocifs en termes d'environnement -, de la maîtrise d'ouvrage, laquelle se dilue quand elle est très large, ainsi qu'un regard particulier sur la solidarité, puisque nous avons constaté dans notre bassin, qui est petit et donc devrait être plus facilement solidaire, que les inondations sont peut-être le thème sur lequel la solidarité était la moins évidente. Pour simplifier, certains disaient : nous avons réalisé des travaux depuis des décennies, au nom de quoi devrions-nous payer pour les autres, d'autant que cela ne relève pas véritablement de notre compétence ?

La solidarité en matière d'inondation est certainement le maillon faible de la chaîne de solidarité qui existe dans l'ensemble des comités de bassin. À titre d'illustration, l'Établissement public d'aménagement de la Meuse et de ses affluents (EPAMA) a des projets à hauteur de 300 à 400 millions de francs. Quand la ville de Nancy, dont je suis l'élu, a été inondée, elle a initié des travaux d'environ 500 millions de francs, avec un co-financement de l'État, de la région, du département et de la communauté urbaine. Par conséquent, la prise en compte des problèmes d'inondation a eu lieu d'une façon différente. Selon les collectivités aujourd'hui, la donne est différente.

Par ailleurs, nous avons organisé, le 31 mai et le 1er juin dernier, un colloque sur l'eau et la santé. Nous avons alors découvert qu'il était nécessaire de rassembler plus largement, autour des agences et des comités de bassin, sur des thèmes très complémentaires, à savoir l'eau, l'environnement et la santé. Il nous est apparu qu'en regard des initiatives nationales, il serait intéressant de faire franchir une étape à nos comités et agences de bassin afin qu'ils deviennent des « ensembliers de compétences ». Nous avons un certain nombre de compétences techniques - chimiques, hydrauliques ou autres -, nous pouvons avoir un certain nombre de compétences en matière de problèmes de santé et nous pourrions être un relais régional des agences qui ont été créées récemment en matière de sécurité sanitaire, d'environnement et autres.

Chacun comprend bien que tout cela est lié à la philosophie que nous pouvons avoir les uns et les autres et que vous, législateurs, aurez sur la décentralisation et l'évolution de l'organisation de notre pays.

Comme tout se tient, il convient de prendre conscience d'un appauvrissement des compétences techniques au profit des grands groupes. Les gestions déléguées aboutissent à ce que, au sein d'une des directions départementales de l'environnement ou de l'agriculture, voire au sein des services techniques des grandes communes, la compétence a tendance à se perdre. Il n'est pas inintéressant de réinventer une notion de service public, en dotant un peu mieux les agences de bassin, car il me semble que la parité des compétences est indispensable pour gérer au mieux les intérêts fondamentaux de notre pays. Connaissant tous mon appartenance politique, vous apprécierez, je l'espère, ce propos.

Pour les inondations, il faut garder à l'esprit l'attitude de nos concitoyens. Personne ne fait la différence entre comité de bassin et agence de bassin. Tout le monde est convaincu que je suis le patron de l'ensemble et que M. Boulnois est mon collaborateur. C'est parfois le cas aussi chez les élus. Aux yeux de tous, nous avons une triple mission, assurer la protection des grandes réserves d'eau potable, traiter les effluents et prévenir les inondations. Aujourd'hui ce troisième volet, qui apparaît évident pour nos concitoyens, ne relève pas vraiment de notre compétence. Mais comme nous avons une organisation hydrographique par bassin, il est assez illogique que nous ne soyons pas chargés de la réflexion en ce domaine et que nous n'ayons pas de responsabilité opérationnelle. Certes, nous avons cette réflexion par les SDAGE et les SAGE, qui apportent un certain nombre de réponses, mais expliquer à nos concitoyens que globalement, le problème des inondations n'est pas vraiment notre problème apparaît en décalage par rapport à l'évolution de notre société.

C'est pourquoi nous pensons qu'il convient de déléguer une plus grande compétence aux agences et aux comités de bassin pour réfléchir sur des schémas et réorganiser un certain nombre de maîtrises d'ouvrage puisqu'il nous apparaît que c'est là où nous avons la meilleure capacité et la plus grande cohérence. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve mais, en tout état de cause, dans le projet de loi sur l'eau, une partie de la compétence sera ramenée au niveau national. C'est bien ou ce n'est pas bien, tout cela sera défini dans l'hémicycle, le moment venu. Nous en avons longuement débattu avec la ministre, Mme Voynet, et nous verrons comment tout cela va évoluer.

Nous voulons bien assurer certains financements mais nous souhaitons que l'on dote les six agences, afin qu'elles puissent assumer des responsabilités en matière de risque. Au même titre qu'il existe des risques en matière de santé, il existe des risques en matière d'inondation et l'on ne comprend pas que la puissance publique ne les ait pas davantage appréhendés. C'est pourquoi nous considérons qu'il conviendrait, dans le cadre du projet de loi sur l'eau, de réfléchir aux nouvelles compétences et aux nouvelles responsabilités que nous souhaitons donner aux agences de bassin et que nous regardions jusqu'où nous pouvons aller. On ne peut pas demander au consommateur, nous semble-t-il, de payer la lutte contre les inondations, si ce n'est à la marge. Je rappelle les prélèvements que nous avons subis en 1996 du fait du gouvernement de M. Juppé, de l'ordre de 100 millions de francs. La porte avait été entrouverte ; elle a été largement ouverte depuis. Que l'on prélève 5 % - voire 8 ou 10 % pourquoi pas ? - mais la nécessité de recettes financières particulières nous apparaît clairement aujourd'hui.

Telles sont les grandes orientations qui sont les nôtres en ce qui concerne la compétence des agences, en vue d'une efficacité accrue sur les problèmes d'inondation. Dans la mesure où, je le répète, la solidarité n'apparaît pas évidente et où il n'existe pas de financements, nous avançons à un rythme trop lent par rapport à la réalisation de travaux qui, vous le savez, sont consommateurs de beaucoup d'argent.

Voilà, quel est l'état des réflexions du président et d'une bonne partie de ses collègues du comité de bassin.

M. Henri TORRE : Les exposés des orateurs précédents montrent, et cela sera confirmé par M. Chirouze, que, dans le domaine des inondations, les interventions des agences de l'eau ne sont qu'accessoires et relativement modestes. Les agences de l'eau financent des études, participent à l'entretien des rivières et à la remise en état de certains ouvrages, y compris parfois de digues, alors qu'elles n'auraient pas à le faire. Mais comme l'État n'a pas beaucoup d'argent et que nous sommes des gens de bonne volonté, nous sommes naturellement tout disposés à examiner avec lui les problèmes qui se posent de façon particulièrement aiguë.

Mais il importe aujourd'hui de déterminer dans quelle voie nous devons nous orienter et comment le faire. Jusqu'à nouvel ordre, et je ne vois pas de changement prévisible dans ce domaine, les agences de l'eau sont des établissements publics, lesquels ne peuvent pas endosser la responsabilité régalienne qui incombe à l'État. Or, c'est à l'État qu'il appartient d'assurer la défense des biens et des personnes et de veiller à l'aménagement du territoire.

Si l'on souhaite obtenir une plus grande efficacité sur le terrain, il conviendra de renforcer les pouvoirs des EPTB. Dès lors que les agences de l'eau ne peuvent pas être maîtres d'ouvrage de travaux - et cela est souhaitable -, il faut en trouver d'autres en liaison avec l'État. Il faut donc avoir des EPTB mieux organisés et ayant des compétences plus étendues.

Nous intervenons, par exemple, dans le domaine des études. Dans le SDAGE, nous examinons aussi ce qui doit être fait pour les inondations, en liaison notamment avec la protection des zones d'expansion des crues. Nous avons un rôle important, mais nous n'aurons jamais de rôle véritablement opérationnel. Il convient donc de prévoir qui peut intervenir et avec quels moyens financiers. Je me tourne là vers le Président Galley. Pour avoir des moyens financiers supplémentaires, il faudrait le prévoir dans la loi sur l'eau. Or, je doute que la loi sur l'eau donne une responsabilité aux agences dans ce domaine. Ce serait d'ailleurs un peu contraire aux principes fondamentaux. Il faut donc trouver plusieurs formules.

Où trouver l'argent dans la mesure où l'État ne fait pas son devoir dans ce domaine ? Il a été envisagé de le prendre sur le fonds des catastrophes naturelles. On pourrait aussi envisager d'en prendre une partie sur le fonds national de solidarité sur l'eau (FNSE), bien qu'il ait été prévu initialement qu'il interviendrait dans les domaines traditionnellement liés aux agences. Mais ce que dit un texte, un autre texte peut l'aménager. Sinon, les agences de l'eau continueront à faire des études, à agir de façon ponctuelle et le problème restera entier. Il faut donc traiter le problème des structures et celui du financement.

Lorsque M. Yves Dauge préparait son rapport, il m'avait demandé de lui apporter mon témoignage. Nous avions conclu tous les deux qu'il ne fallait pas bercer nos concitoyens d'illusions parce que l'on ne pourrait jamais faire face à toutes les situations. Il faudrait des investissements gigantesques qui, dans une certaine mesure, porteraient atteinte à l'environnement, ce que nous ne souhaitons pas. Nos concitoyens doivent donc être conscients qu'il existe des risques d'inondations, que nous devons faire le maximum pour y pallier, mais qu'on ne doit en aucun cas penser que l'on arrivera à faire face à toutes les difficultés.

J'observerai aussi que les situations locales sont totalement différentes d'un bassin à l'autre. J'ai demandé à faire partie de la commission d'enquête sur les inondations dans la Somme, parce que je pensais pouvoir y apporter mon expérience. Or, ce département a connu des inondations catastrophiques avec un débit de seulement 50 m3/s, alors qu'il y a six mois, en face de chez moi près de Valence, j'ai connu des pointes de 6 000 m3/s sans provoquer d'inondation. Il faudrait donc conforter les connaissances par des études, non seulement géologiques mais aussi topographiques. Tout le monde a été étonné de ce qui s'est produit dans la Somme et personne, à ma connaissance, n'a apporté d'explication valable.

J'ajouterai que dans notre région, nous réalisons sur le fleuve Rhône une étude qui va coûter 12 millions de francs. Comme elle n'avait pas de porteur, il a fallu que le préfet de région et moi-même demandions aux départements de constituer une sorte d'entente et de la confier à un organisme indépendant. Cela a été fait, mais même dans le domaine des études, nous avons un problème de support juridique qui est loin d'être résolu.

M. Jean-Paul CHIROUZE : J'insisterai d'abord sur les différences de situations hydrauliques entre les bassins. Si les crues de la Saône durent plusieurs semaines, les crues des Gardons cévenols ne durent que quelques heures. Il existe aussi des différences en terme d'aménagement du territoire. En région méditerranéenne, se posent essentiellement des problèmes de choix entre urbanisme et environnement, alors que dans le cas de la Saône, c'est aussi un problème de choix entre agriculture et environnement. En caricaturant un peu, tous les problèmes de crues de la Saône que nous avons à gérer depuis plus de quinze ans sont liés à un choix de développement agricole : faut-il développer la culture du maïs dans la plaine de Saône ? Les enjeux économiques liés au développement agricole sont hors de proportion par rapport aux enjeux d'intérêt public liés à la gestion des inondations.

S'agissant de nos interventions financières, l'agence Rhône-Méditerranée-Corse ne finance pas l'établissement d'atlas des zones inondables, notamment par souci de non confusion avec la responsabilité régalienne de l'État. Comme l'a dit le président Torre, nous finançons les études de connaissance générale mais pas la cartographie des zones inondables qui est prise en charge par l'État.

En ce qui concerne l'entretien des rivières et des champs d'expansion de crue, nous intervenons comme les autres agences. Nous intervenons également pour la réparation de certains dégâts de crues catastrophiques au titre de la solidarité de proximité. Quand il se produit des événements dramatiques comme ceux de l'Aude en 1999, qui avaient fait de nombreuses victimes, il est évident que l'agence ne peut ignorer ces situations personnelles. De façon exceptionnelle, au titre de la solidarité de proximité, l'agence a décidé d'octroyer des aides financières pour réparer des équipements en matière d'eau potable et d'assainissement et des ouvrages de rivière. C'est pourquoi le président Torre a dit que ces aides se situaient en marge de notre programme d'intervention.

J'insisterai sur les interventions financières de l'agence dans le domaine de l'animation et du conseil, pour la mise en place d'approches globales par sous-bassin versant. Depuis plusieurs années, l'agence finance des chargés de mission pour toute initiative locale visant à constituer un SAGE ou bâtir un contrat de rivière. Il existe quelque 120 chargés de mission sur l'ensemble du bassin. Cette action s'est révélée très efficace pour enclencher des processus d'approches globales des problèmes par bassin versant. C'est ainsi que le bassin Rhône-Méditerranée-Corse compte aujourd'hui une vingtaine de SAGE en cours d'élaboration. C'est un mode d'intervention qui ne relève ni des travaux ni des études, mais qui apparaît très utile pour l'intérêt général.

Puisque vous nous avez questionnés sur l'avenir, je conclurai par deux propositions.

La première vise à la promotion des approches locales coordonnées. Les réflexions en cours dans le cadre de la préparation du VIIIe programme envisagent des dispositions financières plus incitatives à la mise en place des approches par bassin versant, soit en conditionnant les financements à l'existence préalable d'un SAGE ou d'un contrat de rivière, soit en les modulant afin d'encourager toute démarche de coordination locale par bassin versant.

La seconde relève de l'approche des SAGE. Dans la logique de ces schémas, qui englobent tous les aspects de la gestion de l'eau, le volet inondation est important. Dans les SAGE méditerranéens, notamment dans les régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Languedoc-Roussillon, ce volet est très important. C'est même parfois celui qui a généré l'initiative d'un SAGE. Les SAGE formulent des recommandations ou des prescriptions en matière de gestion des inondations, en identifiant, par exemple, les choix possibles en matière de préservation de champs d'expansion de crue. Ces démarches sont difficiles parce qu'elles conduisent à des négociations au sein des commissions locales de l'eau et induisent des choix d'aménagement du territoire difficiles, entre la meilleure protection de certains secteurs et l'affectation d'autres aux champs d'expansion de crue. Ils conduisent entre partenaires des commissions locales et les élus à des négociations importantes qui permettent de conclure sur des préconisations qui doivent être prises en compte dans les plans d'occupation des sols. Il s'agit donc d'un outil qui peut aller jusqu'à des contraintes en matière d'aménagement du territoire.

En outre, il conviendrait de prendre un peu de recul par rapport à notre expérience des SAGE, afin de chercher à mieux articuler cette procédure avec les PPR qui relèvent d'une logique régalienne de sécurité et d'alerte des populations. Si dans le cadre d'un SAGE, il y a bien une implication des élus, dans le cadre d'un PPR, la mobilisation des élus n'est pas la même. Comme la négociation est absolument nécessaire, il apparaît souhaitable de tirer des enseignements des expériences vécues pour voir comment articuler les deux démarches.

M. Pierre-Alain ROCHE : Le bassin Seine-Normandie présente deux problématiques assez fortement contrastées. Les grands fleuves et les grandes rivières sont dotés d'ouvrages régulateurs importants, qui cumulent une capacité d'environ 850 millions de m3. Ces ouvrages à buts multiples servent à la fois au soutien d'étiage et à la protection contre les crues et n'apportent donc pas une protection absolue, l'ensemble ayant été motivé, bien entendu, par la protection de la région Île-de-France.

De ce point de vue, le fait que nous n'ayons pas connu ces dernières années de grandes catastrophes en Île-de-France, grâce à la conjonction favorable des crues des affluents, a certainement joué un rôle dans l'affaiblissement de la culture du risque. J'ai l'impression qu'il s'est instauré un sentiment de protection absolue extrêmement néfaste. Les efforts consentis par l'Équipe Loire afin de restaurer une culture du risque méritent beaucoup d'attention, car je crains que nous n'ayons une image tout à fait fallacieuse du niveau de sécurité.

Ces ouvrages n'ont pas été financés par l'agence de l'eau mais par l'État, au titre de la protection contre les inondations, l'agence y ayant, cependant, contribué très significativement au titre du soutien des étiages.

Un certain nombre de projets importants sont à l'étude par deux grands EPTB, l'Entente Oise-Aisne et les Grands lacs de Seine. Il ne s'agit pas de grands barrages mais d'ouvrages respectueux de l'état des cours d'eau, qui visent à réguler les crues dans les grandes vallées. Aux effets certainement moins spectaculaires que les grands barrages, ils sont fondés sur une meilleure compréhension de l'ensemble de leurs fonctionnalités.

Pour ces projets sur l'Oise-Aisne et la Bassée sur la Seine, il est clair que les collectivités vont solliciter l'accompagnement de l'agence mais aujourd'hui, nous ne pouvons leur apporter qu'une réponse négative, ce qui mettra en difficulté leur réalisation.

La deuxième dimension importante pour notre bassin est celle du ruissellement, non seulement en Île-de-France mais aussi dans d'autres grandes agglomérations du bassin. Des orages et des pluies significatives aboutissent à des nuisances très importantes, à la fois en terme de qualité des eaux - les eaux pluviales étant particulièrement polluantes - et de sécurité de nos concitoyens. En milieu rural ou semi-urbanisé, notamment dans toute la Normandie, nous connaissons des problèmes d'engouffrement dans les karsts, avec des répercussions importantes pour l'ensemble des populations : coupures d'eau pour plusieurs centaines de milliers d'habitants, inondations régulières et fréquentes. Je rejoins là ce qu'a dit Jean-Paul Chirouze : nous sommes dans une recherche d'équilibre entre les problèmes agricoles, avec la maîtrise de l'occupation des sols, et les problèmes d'urbanisation ou d'infrastructures et d'impact de celles-ci. De même, dans le secteur du champagne, le ruissellement sur les collines occasionne régulièrement des difficultés importantes dans les bourgs de fond de vallée.

Nous intervenons de façon très modeste sur les questions d'eaux pluviales. Le niveau global des aides apportées aux collectivités à leurs projets de rétention ou de maîtrise des eaux pluviales est ridicule en comparaison aux aides apportées dans de nombreux autres domaines. S'il est assez facile de boucler le financement d'un aménagement urbain, l'aménagement d'une place par exemple, de même l'on peut trouver des moyens pour l'épuration des eaux, en revanche, on ne trouve à peu près rien pour financer la maîtrise des eaux pluviales. Cette situation conduit les collectivités à ne pas faire ce qui serait nécessaire. Le problème n'est pas spécifique au bassin Seine-Normandie, je crois que tous les praticiens le rencontrent en permanence. Le secteur de la maîtrise des eaux pluviales, par l'absence des aides européennes et d'autres mécanismes d'incitation, est aujourd'hui le parent pauvre des investissements publics.

Nous intervenons pour l'entretien et la restauration des cours d'eau, comme nos collègues, à un niveau relativement modeste. Nous agissons beaucoup en coordination avec les grands maîtres d'ouvrages structurés : les Grands lacs de Seine pour les grands ouvrages de régulation, l'entente Marne et l'entente Oise-Aisne, qui sont les trois grands EPTB de notre bassin. Nous montons avec eux des programmations d'activités conjointes de myriades de petits syndicats d'entretien et d'aménagement de cours d'eau. Il est évident que ces grands maîtres d'ouvrage sont extrêmement précieux pour les politiques de bassin.

Dans le secteur de la Seine-Maritime où nous avons de plus petits cours d'eau côtiers et des problèmes de ruissellement extrêmement importants, nous avons, conjointement avec le préfet de Haute-Normandie, consenti un effort considérable de portage et de conviction pour faire émerger des structures à l'échelle des petits sous-bassins qui n'existaient pas. Il y avait auparavant une multitude de responsables. Aujourd'hui la plupart de ces structures sont constituées, ce qui est un immense progrès. Elles vont pouvoir mener à bien des procédures de SAGE. Néanmoins, énormément de temps est nécessaire avant que les structures puissent mettre en _uvre des projets opérationnels. Ce délai se heurte à la demande sociale qui exige, bien entendu, des réponses beaucoup plus immédiates.

Dans la Seine-Maritime et la Champagne, nous avons été amenés à intervenir de façon exceptionnelle sur des questions de maîtrise de ruissellement, d'occupation des sols, au travers des systèmes de sur-redevances locales sur la consommation d'eau potable, pour ce que l'on appelle dans notre jargon les « zones d'action renforcée ». Ce dispositif a été accepté par le comité de bassin dans ses débats antérieurs, faute de mieux et faute de capacité à intervenir de façon satisfaisante, par l'absence d'une redevance spécifique. Ceci a été toléré par le Conseil d'État, dans la mesure où il s'agissait de dépenses relativement marginales par rapport aux flux financiers globaux manipulés par l'agence. Il est évident que ce n'est pas sur une telle base que nous pouvons étendre notre action dans ces domaines, les moyens financiers étant par définition cantonnés.

J'ai déjà évoqué l'animation et le conseil à propos de l'émergence des structures locales. C'est pour nous un rôle majeur auprès de l'ensemble des collectivités pour faire aboutir leurs projets.

Le comité de bassin Seine-Normandie est plus particulièrement sensibilisé à la maîtrise des inondations, en particulier grâce à l'action du président Galley. En ce domaine, il importe de clarifier les rôles de l'État et des agences en matière d'intervention, entre le financier et le régalien. Si l'on considère que les agences sont l'outil financier, pourquoi ne pas prévoir que l'ensemble des financements relatifs à cette mission relèvent de leur responsabilité, plutôt que de maintenir les cofinancements complexes existant sur de nombreux projets d'entretien de cours d'eau ? À l'inverse, les agences n'intervenant absolument pas dans l'alerte, l'organisation des secours et toutes les missions opérationnelles, on ne saurait envisager de leur transférer toutes les missions régaliennes de l'État.

Concernant les financements, trouver des recettes significatives - on a évoqué des chiffres de quelques centaines de millions de francs par an - suppose de trouver d'autres mécanismes que ceux prévus par le projet de loi, dans la mesure où l'assiette actuellement envisagée est extrêmement étroite puisqu'elle ne touche que les imperméabilisations ou les ouvrages nouveaux.

L'idée a été émise au travers d'une multitude de rapports, notamment le rapport de M. Bourrelier pour le Commissariat général du plan sur les politiques de prévention des risques naturels, de compléter la loi de 1982, qui a instauré, dans un esprit de solidarité, le régime d'assurance catastrophes naturelles, par un système de modulation selon le degré d'exposition aux risques, qui permette de dégager des moyens nouveaux pour la prévention et d'alimenter ainsi l'intervention des agences. Cette proposition a été reprise dans le projet de loi de façon relativement générale. En effet, si l'intervention du « fonds Barnier » est envisagée en matière de prévention et plus seulement en matière d'études, en revanche, il n'est pas explicitement indiqué que ce fonds servira à alimenter l'intervention des agences de l'eau. Ce n'est peut-être pas de nature législative. En tout cas, ce n'est pas extrêmement lisible en ce qui concerne les financements qui peuvent être réunis pour une intervention significative des agences dans les années à venir.

M. le Président : Vous avez naturellement abordé des sujets identiques : le financement, la maîtrise d'ouvrage, la complexité des coordinations, la responsabilité, la mémoire. Chacun a évoqué le projet de loi sur l'eau, sujet important aussi bien pour les agences que pour les EPTB en matière d'inondation.

M. le Rapporteur : De nombreux sujets ayant été déjà abordés dans les interventions, j'essaierai d'éviter les répétitions. Cela étant, on sait à peu près quelles sont les solutions à apporter en matière d'inondation, mais nous cherchons à définir qui doit le faire et comment le financer.

Je vais reposer à chacun d'entre vous une question d'ordre général. Quel rôle pourraient jouer les agences de bassin ? Peuvent-elles être maîtres d'ouvrage ? Si oui, dans quelle limite et dans quelles conditions de financement ? J'ai senti des différences de doctrine à ce sujet. Si elles ne peuvent pas l'être, qui peut être le maître d'ouvrage le plus efficace au niveau des bassins versants ? Les EPTB ou d'autres organismes, sachant que nous sommes soucieux de trouver une cohérence convenable entre les différents acteurs ?

Quand on n'est pas un spécialiste de ces questions, on est étonné de découvrir au fil des auditions le nombre des acteurs qui interviennent dans des domaines parallèles et on découvre que le problème principal est leur mise en cohérence. Certes, selon les régions et les départements, on trouve des réponses spontanées : on a créé tel ou tel organisme, mais il apparaît qu'il y a encore beaucoup d'effort à faire.

Concernant les conditions de financements, plusieurs d'entre vous ont évoqué l'intervention du Conseil d'État qui aurait empêché les agences d'instituer de nouvelles redevances. Pourriez-vous m'apporter des précisions sur ce point de jurisprudence ?

M. Claude GAILLARD : On peut s'inspirer de l'expérience de l'Établissement public de la métropole lorraine (EPML), qui a pour vocation de réaliser des acquisitions foncières pour anticiper l'avenir. Il a été doté de compétences nouvelles pour devenir aménageur dans le cadre de la reconversion des bassins de Longwy et de Pompey, à la suite des décisions de fermeture des usines sidérurgiques prises en 1984. N'ayant pas en son sein de techniciens, il doit sous-traiter, mais il est devenu maître d'ouvrage pour aménager ces grandes friches industrielles et ces grandes réserves foncières. Il s'agissait à l'époque d'éviter les plus-values foncières consécutives à des investissements publics. Il existe aussi un établissement de ce type dans le Nord. L'exemple mérite, à mon sens, d'être étudié.

Je pense que l'agence doit naturellement rester le porteur de la réflexion, puisqu'elle dispose de la compétence nécessaire sur l'ensemble du bassin hydrologique. De plus, je rappelle que la création des préfets de bassin a beaucoup simplifié les choses. Mais, l'agence a principalement pour but d'aider financièrement, en incitant à la création de maîtrises d'ouvrage spécifiques. Par exemple, on peut concevoir la création d'une maîtrise d'ouvrage sur la Meuse avec un certain nombre de collectivités. De même, une maîtrise d'ouvrage s'est créé à Nancy, avec l'ensemble des acteurs. Chaque fois, il y a création de maîtrise d'ouvrage ou prise en compte par une des collectivités d'une maîtrise d'ouvrage de façon volontaire. Pour la zone géographique que je connais, la maîtrise d'ouvrage des grandes opérations universitaires prévues dans le contrat de plan est à définir : on se bat pour l'obtenir, ou la refuser, entre la région, le département et la communauté urbaine.

L'idée d'une maîtrise d'ouvrage structurée avec l'ensemble des partenaires me paraît adaptée. Nous avons beaucoup de collectivités et nous n'avons eu de cesse d'en ajouter de nouvelles - les pays par exemple -, lesquelles ont souvent créé des agences d'urbanisme qui mènent leur propre réflexion. C'est pourquoi créer une maîtrise d'ouvrage adaptée au cas par cas me paraît la solution la plus facile. L'agence, qui est dotée de capacités de réflexion, d'outils opérationnels, pourrait dès lors moduler son aide en fonction de la réalité du consensus réalisé.

M. le Président : Plusieurs d'entre vous ont signalé que leur agence n'avait pas la capacité à être maître d'ouvrage. Souhaitez-vous d'ailleurs l'obtenir ? Estimez-vous qu'un tiers peut être maître d'ouvrage, comme c'est le cas aujourd'hui ?

M. Henri TORRE : Le rapporteur a parfaitement posé le problème : qui doit faire quoi et avec quels moyens ? Je pense que les agences de l'eau peuvent être maîtres d'ouvrage en matière d'études. On me dit qu'en Artois-Picardie, elles se sont aussi portées acquéreurs de terrain. Je ne souhaite pas personnellement qu'elles deviennent maîtres d'ouvrage de travaux. Je considère que celle-ci doit appartenir à des groupements de collectivités locales, et non pas à un établissement public, quel qu'il soit. En revanche, grâce à la compétence des agences et à la réflexion issue des travaux des comités de bassin et en liaison avec les préfets, nous pouvons aider fortement à mettre en place des EPTB qui seront compétents et qui auront la capacité pour effectuer les travaux nécessaires. À mon sens, il ne faut pas sortir de ce schéma.

M. Pierre-Alain ROCHE : Pour aller dans le même sens, je rappellerai que les agences de l'eau sont des établissements publics de l'État. Par conséquent, considérer que l'État puisse être maître d'ouvrage de travaux de protection hydraulique, au travers d'établissements publics, reviendrait à transférer une responsabilité des collectivités locales à l'État. L'hypothèse d'une maîtrise d'ouvrage par les agences de l'eau supposerait de les transformer en établissements publics de collectivités locales. Ce faisant, on remettrait en cause des pans entiers d'interventions des agences de l'eau qui ne sont pas tournées uniquement vers la maîtrise d'ouvrages publics mais aussi vers les industriels, les agriculteurs, c'est-à-dire vers les différents usagers. Une maîtrise d'ouvrage par l'agence poserait donc un problème de positionnement général, hormis pour des acquisitions foncières dans des zones humides ou d'autres dispositions extrêmement spécifiques. La maîtrise d'ouvrage de travaux doit, me semble-t-il, être assurée par des structures émanant des maîtres d'ouvrage naturels que sont les collectivités territoriales.

S'agissant du Conseil d'État, celui-ci a fait valoir que les aides des agences aux travaux de protection contre les inondations ou d'entretien des cours d'eau ne pouvaient représenter qu'une faible part de leurs interventions, car celles-ci étaient assurées par des recettes émanant des consommateurs d'eau. Ce n'était donc pas un arrêt contre le fait que les agences perçoivent des redevances liées à l'imperméabilisation des terrains, mais un arrêt destiné à restreindre la part de l'activité des agences dans ce domaine, compte tenu du fait qu'aucune redevance n'a été instaurée pour ce faire.

M. Jean-Paul CHIROUZE : Sachant qu'une maîtrise d'ouvrage ne peut s'appuyer que sur les collectivités territoriales, son instauration nécessite un projet attractif. Comment s'initie un tel projet ? L'examen des structures de bassin existantes montre qu'elles peuvent avoir trois origines : soit elles ont germé à partir des syndicats de riverains qui étaient en charge de l'entretien des cours d'eau - il y a peu d'exemple de réussite d'une telle évolution -, soit elles résultent de projets d'aménagement - une bonne partie des ententes ont été constituées pour des projets de barrages ou de grands aménagements à vocation multiple -, soit elles découlent de la constitution d'un SAGE. L'on en revient ainsi à la commission locale de l'eau instituée par la loi de 1992, qui pourrait se transformer en communauté locale de l'eau. Ce troisième type de structure, qui aborde le problème de façon globale par nature, n'est pas facile à initier car soit le projet n'existe pas, soit il n'est pas attractif, en raison parfois de désaccords importants.

Se pose donc bien la question de l'émergence du projet. C'est pourquoi, j'insistais tout à l'heure sur le rôle des chargés de mission car la maturation d'un projet peut se traduire par la constitution d'un syndicat mixte ou d'une entente interdépartementale. La structure juridique se trouve facilement dès lors qu'il existe un projet identifié.

Je ne reviendrai pas sur le point de vue émis par le président Torre et par mon collègue Pierre-Alain Roche quant à la maîtrise d'ouvrage de travaux par les agences. Je pense que tout le monde le partagera pour les raisons qu'ils ont évoquées. À titre personnel, je pense qu'elles peuvent jouer néanmoins un rôle de catalyseur. Je prendrai l'exemple de la Saône. Il y a une quinzaine d'années, des conflits très forts opposaient agriculteurs, associations de protection de la nature et collectivités sur des choix d'aménagement du territoire au regard des crues de la Saône. Personne ne voulait s'emparer de la question. L'agence a alors pris l'initiative de réaliser, sous sa maîtrise d'ouvrage mais dans le cadre d'un accord indispensable avec l'État, quelques études destinées à mettre les éléments du problème sur la table. Son intervention était conçue pour rester transitoire, et elle devait ensuite se retirer. Après ces études, s'est constitué un syndicat mixte Saône-Doubs qui a élaboré un projet. Une structure a été créée sur cette base. Depuis dix ans, ce syndicat mixte a élaboré un plan de gestion de la Saône, dont l'agence se trouve naturellement partenaire financier.

M. le Rapporteur : J'ai compris que vous ne souhaitiez pas assurer la maîtrise d'ouvrage. Le président Gaillard est favorable à un rassemblement des compétences et des connaissances afin de faire naître des projets, qui ne viennent pas tout naturellement de la base. Le rôle de l'agence pourrait être d'inciter à l'élaboration de tels projets. Mais, je n'ai pas très bien compris pourquoi la collaboration de l'État est absolument nécessaire. Ce rôle des agences consistant à encourager à l'élaboration de projets, à soulever les problèmes et à essayer d'apporter des réponses ne pourrait-il être institutionnalisé ?

M. Jean-Louis BESEME : L'idée qui est largement répandue au sein du comité de bassin Loire-Bretagne, c'est qu'il ne faut pas que les agences aient la maîtrise d'ouvrage en matière de travaux. Je puis vous dire, pour l'avoir constaté lors de rencontres internationales, que le système français des agences est un modèle très apprécié par de nombreux pays qui ont tendance à le copier. Ce n'est pas le seul système : il y a des pays où des structures, qui ressemblent à des agences, ont la maîtrise d'ouvrage. Or ces pays considèrent généralement que le système français est meilleur. Je crois que nous avons un bon système. La répartition des rôles est clairement établie entre des établissements publics de l'État, qui font de la planification et surtout de l'incitation financière, et des collectivités qui ont la maîtrise d'ouvrage. Nous avons tout intérêt à le conserver.

En ce qui concerne les études, il convient d'être précis car le terme est vague. Lorsque l'on dit que les agences peuvent assurer la maîtrise d'ouvrage d'études, il s'agit d'études générales à caractère très stratégique. Il n'est pas souhaitable que les agences prennent en charge toutes les études. Lorsque l'on en arrive à des études plus fines, portant sur l'échelon local ou la réalisation d'un projet particulier, ce n'est plus aux agences d'en être les porteurs.

L'implication de l'État complique les choses. On le voit bien sur la Loire, bien que ce soit un exemple assez atypique. Compte tenu de l'histoire, des problèmes rencontrés, des conflits qui se sont manifestés, il y a eu une implication très forte de l'État. Le plan Loire est un plan largement voulu par l'État, puisqu'il a été décidé en comité interministériel. Ce n'est pas le cas sur tous les cours d'eau français. La forte implication de l'État a rendu la gestion des opérations plus complexes, puisqu'interviennent les collectivités locales, avec un EPTB, et l'agence. On a créé de toutes pièces cette équipe pluridisciplinaire qui est un succès mais avec toutes les difficultés de gestion que l'on connaît. L'agence s'est portée maître d'ouvrage, cela fonctionne bien, mais je ne suis pas certain que ce soit reproductible dans tous les bassins. La Loire est un exemple, mais ce n'est pas le seul modèle auquel on puisse se référer.

M. le Président : Il ne faut cependant pas conclure : dès qu'il y a l'État, c'est complexe. C'est un partenaire fort, indispensable et avec lequel on peut travailler sur ces sujets. Mais, l'essentiel est de surmonter cette complexité pour être plus efficace.

M. Jean-Claude DEMAURE : Monsieur le président, je n'interviendrai pas en ma toute nouvelle qualité de président de l'agence de bassin Loire-Bretagne mais comme Béotien, citoyen, usager, riverain, consommateur.

Les riverains, consommateurs ou usagers entendent parler depuis quelque temps de nouveaux dispositifs mis en place par les comités de bassin, à savoir les SAGE. On a fait de la pédagogie pour les faire connaître. On a annoncé la mise en place de commissions locales de l'eau, qui doivent être les outils opérationnels de la mise en place du dispositif. Est-ce que l'on ne risque pas d'ajouter encore de la complexité en inventant, sur des bassins déjà dotés de dispositifs, quelque chose de nouveau, tel que des EPTB là où il n'y en a pas ? N'a-t-on pas, au contraire, intérêt à éclaircir autant que faire se peut quelque chose qui est déjà compliqué ? Quelqu'un a dit qu'il existait une confusion, même parmi les journalistes, entre comités de bassin, établissements publics, agences, etc.

Nous devrions avoir comme ligne de conduite de tout faire pour ne pas ajouter à ce qui existe déjà. Avec la nouvelle loi, ne devrions-nous pas chercher à nous appuyer sur ce que l'on a déjà eu beaucoup de mal à mettre en place et à faire comprendre aux gens, à l'amender, à le faire évoluer, plutôt que de créer une couche supplémentaire ? C'est peut-être une réflexion de Béotien, mais je crains que l'on ne s'engage à nouveau dans la construction d'une « usine à gaz ».

M. Pierre-Alain ROCHE : Pour répondre au président Demaure, les cas cités par Jean-Paul Chirouze visaient des EPTB créés à l'échelle des SAGE et porteurs de cette politique. Il ne s'agissait pas de structures instituées sur d'autres périmètres. De façon générale, les SAGE souffrent d'un problème de structure porteuse, d'un problème d'opérationnalité, que des entités de type EPTB peuvent résoudre. Tout dépend de l'échelle géographique concernée.

On a évoqué l'intervention des agences sur les études et le passage de relais à une structure idoine. Il faut que les agences aient la capacité d'accompagner financièrement les collectivités après que celles-ci aient pris la responsabilité du projet. Si nous nous contentons de faire des études et, après toutes les concertations, implications et animations possibles, de livrer un produit en considérant que notre rôle s'arrête là, cela fonctionnera peut-être dans certains cas où l'échelle territoriale est pertinente mais dans la plupart des cas, cela risque d'échouer. L'idée d'une intervention financière possible des agences reste donc pertinente pour faciliter cette prise de responsabilité par les collectivités locales. Cela fait pleinement partie de notre rôle. On ne saurait imaginer de cantonner l'intervention financière à la seule maîtrise d'ouvrage des études. Ce que nous disions pour la maîtrise d'ouvrage n'était pas vrai pour la question de l'accompagnement financier.

M. Jean-Pierre POLY : Je vous confirme que, dans un bassin comme le nôtre, les EPTB occupent le terrain. Avec la bénédiction de l'État et les encouragements de l'agence, ils sont actuellement les maîtres d'ouvrage pour l'élaboration de nos plans de gestion des étiages. On se situe bien là dans une logique de projets. Ils interviennent dès le départ, avec l'accompagnement financier de l'agence, dans l'établissement de protocoles de gestion, qui démontreront la nécessité ou pas d'établir en amont du bassin tel ou tel grand ouvrage afin de soutenir les étiages, ouvrages dont ils seront les maîtres d'ouvrage naturels. Dans un bassin comme le nôtre, on considère, au niveau de l'agence tout du moins, qu'à l'instar de ce qui se passe dans le traitement des étiages, les EPTB pourraient jouer un rôle majeur en matière de crues et d'inondations.

M. Jean-Paul CHIROUZE : Bien qu'horribles technocrates, nous sommes aussi un peu citoyens. On est toujours tenté par les structures simples, homogènes et uniformes au niveau national. Pourtant, je tiens à insister sur la grande diversité des situations.

Du côté de l'agence Rhône-Méditerranée-Corse, nous regardons avec beaucoup d'intérêt l'existence d'EPTB dans le bassin Adour-Garonne. Pour des raisons historiques, nous n'avons pas du tout l'équivalent. Nous ne pouvons donc pas envisager de transposer une architecture uniforme d'un bassin à l'autre. Qu'on le veuille ou non, il nous faut faire avec l'histoire et les structures existantes.

C'est pourquoi, nous considérons qu'il vaut mieux prévoir des incitations particulières afin de faciliter l'organisation de projets à partir des structures existantes. Je l'évoquais dans le cadre des réflexions de l'agence sur le VIIIe programme. C'est un vrai choix qu'il appartient au comité de bassin de trancher. Faut-il aller vers des dispositifs incitatifs beaucoup plus structurants et volontaristes, notamment, en modulant les aides en fonction de l'existence préalable ou non d'une structure cohérente par bassin versant ? On le fait déjà un peu, mais on pourrait imaginer d'aller plus loin. Si l'on va au bout de cette logique, cela aura d'autres conséquences, notamment pour les projets spontanés des communes. C'est un débat de politique locale. C'est pourquoi, dans les mois à venir, des réflexions vont s'engager sur ce sujet au niveau du comité de bassin.

M. Henri TORRE : Je constate que personne n'a plaidé en faveur de la nécessité de voir les agences devenir maîtres d'ouvrage. M. Roche a d'ailleurs souligné que c'est impossible du point de vue juridique. Dans la première partie de notre discussion, chacun a souligné que les interventions des agences de l'eau n'étaient qu'accessoires. Dans la mesure où nous voudrions passer de l'accessoire au plus conséquent, une modification législative sera nécessaire dans le cadre de la loi sur l'eau.

M. le Rapporteur : Il existe un certain nombre de régions où les SAGE ne sont pas encore mis en place. C'est le cas de mon secteur. Si des structures ont permis la mise en place des SDAGE, en revanche, ce n'est pas le cas pour les SAGE. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles on a des difficultés à les créer. Comment les agences peuvent-elles favoriser la mise en place des SAGE ? Les représentants de l'agence Rhône-Méditerranée-Corse ont dit qu'il existait un problème de cohérence entre les SAGE et les PPR. Êtes-vous tous d'accord sur ce point ? Quelles dispositions législatives peut-on prendre pour améliorer les choses ?

M. Daniel BOULNOIS : Dans le bassin Rhin-Meuse, deux SAGE ont été approuvés, dans le département du Haut-Rhin, l'un sur la Largue, l'autre sur la Thur. Dans les deux cas, les procédures ont abouti parce qu'il y a eu une volonté politique locale très forte de porter le projet et de le mener à bien dans des délais raisonnables. On rejoint ainsi le domaine des inondations. S'il y a un projet - je reconnais que les inondations sont plus un projet subi que choisi - et un véritable intérêt pour le bassin versant considéré, il n'y a pas beaucoup de risque d'échec, dans la mesure où le syndicat intercommunal ou tout autre structure porteuse du projet a toutes chances de se créer.

En l'état actuel de la loi de 1992, tant qu'une structure ne se met pas en avant pour faire avancer la réflexion sur le SAGE et drainer les financements nécessaires, on piétine. Un certain nombre de périmètres de SAGE sont aujourd'hui définis, mais la réflexion n'avance pas faute de ce moteur. Le projet de loi sur l'eau apporte un élément de réponse puisqu'il prévoit, dès l'institution du périmètre, la constitution d'une communauté locale de l'eau, personne morale permettant notamment d'obtenir des financements. Nous espérons que ce sera un élément accélérateur des procédures car nous sommes tous conscients que c'est au niveau des bassins versants et des sous-bassins versants qu'un certain nombre de choses peuvent correctement se régler. Le principe de subsidiarité s'applique pleinement en ce domaine.

M. Pierre-Alain ROCHE : S'agissant de la coordination des SAGE et des PPR, il convient de revenir à la façon dont sont nés ces différents outils. Le SAGE est un outil de la politique de l'eau, le PPR est un outil d'une politique des risques et de l'urbanisme. Ils sont donc issus de légitimités assez différentes. Lors de la discussion du projet de loi de 1992, le Gouvernement était très réticent à l'idée d'une telle coordination, craignant qu'elle ne complique encore l'émergence extrêmement difficile des PPR. La procédure d'élaboration de l'ancien plan d'exposition aux risques était, en effet, une procédure extrêmement complexe de dialogue entre un État, assurant le porté à la connaissance, et une collectivité qui avait ensuite à le transcrire dans ses documents d'urbanisme.

Il existe donc un conflit de légitimité entre deux champs d'intervention sur l'aménagement du territoire, une politique de l'eau par bassin versant - que nous percevons, de notre point de vue, comme intégratrice - mais qui est aussi une politique sectorielle, et une politique de l'urbanisme qui intègre des contraintes liées aux risques mais qui est un outil d'une autre nature.

À la lumière de nombreuses années d'expérience d'application parallèle de ces deux logiques, nous constatons que les divergences de principe de départ ont produit des résultats mal coordonnés à l'échelle des bassins versants. Animé du souci de répondre rapidement aux préoccupations d'urbanisme des communes, on a développé une politique de PER puis de PPR en ignorant l'échelle plus large du bassin versant. Revenir aujourd'hui sur l'articulation réglementaire, voire législative, de ces deux outils est une obligation pour mettre en cohérence les principes généraux de lois différentes, qui se sont superposées sur des objets, qui s'ils ne sont exactement les mêmes, s'interpénètrent.

M. Robert GALLEY : J'interviendrai comme président du comité de bassin Seine-Normandie, puisque je n'ai pas la chance aujourd'hui de me trouver de l'autre côté.

Les grandes crues de la Seine sont bien connues. La première a eu lieu en 1658, la deuxième en 1794 et la troisième en 1910. Nous approchons donc de la prochaine crue. Comme le disait M. Pierre-Alain Roche, nous vivons en Île-de-France dans des conditions de sécurité relatives. Nous avons les bassins réservoirs de l'Aube, de la Marne et de l'Yonne. Nous disposons d'une capacité de stockage de 850 millions de mètres cubes. Mais à condition que les bassins soient vides. Or, rien ne dit que les crues interviendront à ce moment-là. Au contraire, elles surviennent souvent au printemps, au moment où ils se remplissent. Nous avons calculé que le volume d'eau, qui avait conduit à avoir un mètre d'eau dans la cour de l'Assemblée nationale en 1910, était d'environ 3 milliards de mètres cubes. Autrement dit, comme le disait M. Roche, nous vivons dans une fausse sécurité. Nous n'avons fait qu'une très faible partie du chemin dans le domaine de la protection et de la prévention.

Monsieur le Rapporteur, je vous suggère de mentionner dans le rapport de la commission d'enquête quelques éléments de ce type, afin de montrer que notre rôle n'est pas superfétatoire et que nous avons à traiter un problème essentiel dans la vie de la Nation. Je propose que nous ne nous contentions pas de constats mais que nous allions aussi loin que possible dans les propositions.

Par ailleurs, je rappellerai qu'on a décidé d'opérer un prélèvement de 500 millions de francs sur les agences pour différents motifs. On a pris ainsi 140 millions de francs à l'agence Seine-Normandie. Nous savons que ces fonds ont été très bien utilisés mais ne peut-on envisager un renforcement de nos moyens qui nous permettrait, par exemple, de consacrer chaque année 100 millions de francs à la prévention des inondations ? Au fil du temps, on pourrait entreprendre des actions sérieuses. Les sommes qu'il serait ainsi possible de mettre en _uvre sur la durée, en cofinancement avec les collectivités locales, me paraissent être à la hauteur du problème.

M. Maxime GREMETZ : Contrairement au président Galley, je ne suis pas un spécialiste et j'ai tout à apprendre dans ce domaine. Après les inondations que nous avons connues dans la Somme, je me demande donc quel rôle a joué l'agence de bassin Artois-Picardie dans la prévention ? Pourquoi n'existe-t-il pas de PPR ?

On s'est demandé si les agences devaient être maîtres d'ouvrage, si elles devaient réaliser des études. On s'est interrogé sur leur lien avec les collectivités territoriales. Tout cela m'amène à une question simple pour bien comprendre les choses : quelle est la mission des agences ?

M. Alain STRÉBELLE : Je tiens d'abord à préciser que je ne suis directeur de l'agence de l'eau Artois-Picardie que depuis deux mois. De plus, je l'étais à temps partiel. Je ne le suis à temps complet que depuis cette semaine puisque j'ai désormais un successeur au ministère de l'Environnement, où j'exerçais auparavant mes fonctions dans le domaine des déchets.

Dans la Somme, il n'existait pas de service d'annonce de crues, car l'État estimait que les risques d'inondation ne justifiaient pas sa mise en place. La situation de la Somme est particulière, puisque l'inondation est due à un trop-plein de la nappe.

M. Maxime GREMETZ : Schématiquement !

M. Alain STRÉBELLE : Le débit de la Somme est encore aujourd'hui de l'ordre de 65 m3/s, alors qu'il devrait être, en période d'étiage, de 30 à 40 m3/s. Le niveau piézométrique de la nappe est très élevé, ce qui inquiète les experts car, avec une pluviométrie normale cet hiver, le débit de débordement sera de nouveau dépassé. Je pense toutefois que les travaux de curage, de renforcement des endiguements et de suppression de points noirs, comme les ponts sur le Doigt à Abbeville, faciliteront l'écoulement, de sorte que le débordement ne se produise plus à 80 m3/s mais à 90 ou 100 m3/s.

Je vous l'accorde, l'État n'avait pas pris la décision de créer un service d'annonce de crues sur la Somme. L'atlas des zones inondables ne montre d'ailleurs qu'une zone sensible mineure, de deux à trois mille hectares entre Amiens et Abbeville. Or, six mille hectares ont été effectivement inondés.

De plus, la prévision des inondations dans la Somme nécessite la combinaison de l'étude de la pluviométrie, du débit de la rivière, du niveau de la nappe et de l'évolution de la zone non saturée de celle-ci. C'est un problème complexe qui va requérir une modélisation particulière. L'État, via la DIREN de Picardie, financera intégralement l'étude.

Comme l'indiquait mon collègue M. Roche, les PPR relèvent du pouvoir régalien de l'État. Ils sont pilotés, au sein du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement, par la direction de la prévention des pollutions et des risques, plus particulièrement par la sous-direction de la prévention des risques naturels qui met à disposition des instances locales des crédits et des compétences. Au niveau régional, les DIREN sont chargées de la mise en place des PPR. Les agences de l'eau n'interviennent donc aucunement dans les PPR. Nous sommes intervenus dans la Somme, au plus fort de l'inondation, afin d'établir au moyen de vues aériennes une cartographie précise, commune par commune, des zones inondées. Cet outil, destiné à mieux connaître le phénomène des inondations et à identifier les obstacles à l'écoulement des eaux, servira naturellement aux collectivités locales et à l'État, lorsqu'il s'agira de se pencher sur les PPR de la Somme.

Comme ancien responsable de la direction de la prévention des pollutions et des risques, je puis vous dire qu'en dépit de la taille relativement limitée de la zone comportant un risque d'inondation potentiel, le directeur actuel, M. Philippe Vesseron, avait appelé l'attention du préfet de la Somme, il y a deux ou trois ans, sur l'absence totale de PPR dans la Somme.

Je le répète, les PPR ne sont pas dans nos attributions. Jusqu'à présent, nous avons seulement participé à l'entretien d'ouvrages d'expansion de crue, à savoir un certain nombre d'étangs en amont de la Somme, en vue de constituer des zones tampons en période de forte pluviométrie ou de très haut niveau de la nappe.

M. Maxime GREMETZ : L'agence a-t-elle appelé l'attention des pouvoirs publics sur l'absence de PPR ? Rien ne lui interdit de le faire ! Je n'ai jamais vu un rapport de l'agence Artois-Picardie traitant longuement de la Picardie. Quels sont les rapports de cette agence avec le préfet de région Picardie ?

M. Alain STRÉBELLE : Ayant travaillé en préfecture, je ressens naturellement la nécessité, lors des grands événements comme ceux de la Somme, de travailler en coordination avec le préfet, même si je ne suis pas placé sous son autorité directe. Je ne puis examiner toutes les demandes de financement de travaux, qui me parviennent du conseil général de la Somme, que sous l'« autorité » du préfet et en concertation avec les collectivités locales.

Ce n'est pas à l'agence de l'eau de soulever le problème de l'absence de PPR. Mais pour avoir exercé des fonctions au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement, je puis vous dire que la sous-direction des risques naturels possède une cartographie exacte des zones à risque. C'est à son niveau que s'effectue la mise en alerte des préfets et des collectivités. Certes, le PPR est élaboré au niveau local par les services déconcertés de l'État, mais l'opération est pilotée au niveau national de manière très centralisée.

M. Pierre-Alain ROCHE : Je sortirai de mon rôle de directeur de l'agence de l'eau pour apporter mon témoignage d'ancien directeur départemental de l'équipement du département de la Somme.

Effectivement, nous avions, les uns et les autres, une perception du risque inondation dans le bassin de la Somme beaucoup plus modeste que ce qui s'est produit. À mon arrivée, envisageant l'hypothèse de création d'un service d'annonce des crues, j'avais été frappé par la simultanéité de la montée des niveaux sur l'ensemble du bassin. L'établissement d'une prévision se fait généralement d'amont en aval, alors que dans la Somme, la montée se produit parfois d'abord par l'aval. J'étais donc perplexe sur la capacité de prévision de l'événement. Il est clair que si j'avais poussé la réflexion plus loin, j'aurais étudié les eaux souterraines de façon plus approfondie et j'aurais recherché les modélisations hydro-géologiques qui sont en cours de mise en place. Il faut être conscient que l'on avait perdu la mémoire collective de l'événement et que l'atlas des risques qui avait été réalisé donnait une image beaucoup plus modeste des événements du fait de la lenteur de sa mise en _uvre et de la faiblesse des risques mis en évidence dans la Somme.

Dans l'ensemble de la hiérarchie du programme des PPR, du fait de la lenteur de sa mise en _uvre et de la faiblesse des risques mis en évidence dans la Somme, je n'étais pas choqué, en tant que DDE de la Somme, de constater qu'elle n'était pas prioritaire. Je rappelle que, à l'époque, on était surtout préoccupé par l'ensablement de la baie de Somme, la faiblesse des étiages et le risque de voir le grand canal divertir de l'eau de la Somme et réduire encore ainsi les apports en baie de Somme. L'ensemble des acteurs avait largement perdu la mémoire de l'événement que vous avez connu. Cela nous renvoie à la difficulté majeure de conservation de la mémoire que rencontrent les services administratifs et les citoyens.

M. Jean-Marie GEVEAUX : Un des problèmes majeurs est celui des financements. Certes, il doit d'abord exister une volonté et un projet politique pour mettre en _uvre des mesures de protection et engager des travaux contre les inondations. Les événements, qui se reproduisent depuis quelques années, montrent que certaines régions ont pris des dispositions pour réaliser des travaux de protection. Mais on a le sentiment que leurs efforts ne sont pas soutenus par l'État aussi fortement qu'on le souhaiterait. M. Galley a suggéré, à juste titre, que des sommes soient régulièrement consacrées à cette politique et mises à la disposition des collectivités, par voie de contractualisation.

Or, nous avons vu, dans le cadre du dernier contrat de plan signé par la région des Pays de la Loire, la difficulté de faire admettre cette nécessité par l'État. S'il existait un accord tacite sur les problèmes liés au naufrage de l'Erika et à la tempête, il a fallu recourir à une épreuve de force en ce qui concerne la protection contre les inondations. Les collectivités sont prêtes à y consacrer des moyens importants, mais l'État doit les accompagner.

M. le Rapporteur : La mobilisation des financeurs sera d'autant plus facilitée que l'on entretiendra la mémoire des risques.

J'ai lu dans les réponses au questionnaire que vous estimiez tous que la redevance prévue dans le projet de loi ne répondait pas suffisamment à votre attente. Quelles modifications préconisez-vous donc en termes d'assiette ou de redevables ? Quelles autres ressources suggérez-vous ? Le président Galley a suggéré, par exemple, un prélèvement sur les cotisations d'assurance.

M. Pierre-Alain ROCHE : La question a été beaucoup discutée dans le groupe de travail animé par le président Galley. C'est l'éternel débat entre la taille de l'assiette et le niveau unitaire des redevances. Contrairement aux autres redevances existantes, celles relatives aux inondations posent la difficulté supplémentaire du poids de l'histoire. En effet, certains ouvrages ont été réalisés il y a plusieurs siècles pour des raisons tout à fait légitimes de protection de l'habitat. Il est apparu difficile au Gouvernement de taxer ces ouvrages anciens, tels que les grandes digues domaniales de la Loire ou de tout ce qui fait le paysage aménagé de notre territoire. D'où la disposition prévoyant de ne taxer que les nouvelles installations, ce qui n'est pas tout à fait conforme à la philosophie de la redevance, puisque les ouvrages anciens ont le même impact que les ouvrages nouveaux.

Or cette difficulté ne peut pas être éludée. Les collectivités ont beaucoup de mal à réunir les financements nécessaires à l'entretien des endiguements existants. Il est incontestable que le patrimoine hydraulique est dans un état extrêmement dégradé, car on ne mobilise pas suffisamment d'argent pour son entretien. Voir une redevance venir encore diminuer les moyens que les collectivités peuvent apporter à l'entretien de leurs ouvrages de protection est apparu difficile à envisager.

Puisque la loi prévoit des seuils relativement élevés, l'abaissement de ceux-ci serait une autre solution. Mais, elle présente l'inconvénient d'un coût de collecte élevé par rapport à la recette escomptée.

Devant cette double difficulté, est apparue l'idée d'une perception au travers d'un système de collecte préexistant, à savoir celui des assurances. Cette piste, apparaissant comme la plus économe en coût de gestion, a donc été privilégiée pour alimenter l'intervention des agences, en complément de la taxation des grandes imperméabilisations nouvelles ou des grands ouvrages nouveaux. Ce serait certainement la solution la plus efficace pour drainer des sommes significatives, assortie de l'avantage supplémentaire - si l'on s'inscrit dans une logique de prévention, c'est-à-dire de modification du comportement des acteurs - que la taxation n'est pas assise sur le sol, mais sur la valeur des biens exposés.

M. le Président : Pour répondre à notre collègue Geveaux, le problème des financements n'épuise pas la question. Je rappellerai que 700 millions de francs sont inscrits dans le contrat de plan interrégional Loire. Il s'avère que l'on est incapable de les utiliser, faute de moyens humains. Je crains que ce constat, un an et demi après le début du démarrage du plan, soit encore valable dans les prochaines années.

M. Claude GAILLARD : Pour répondre au Rapporteur, je rappellerai que le projet de loi fixe le montant global des redevances perçues par les agences. Il se borne à actualiser l'ancien programme, d'un montant de 50 milliards de francs, pour parvenir à environ 53 milliards de francs. Instituer de nouvelles redevances revient à en réduire d'autres ailleurs. On ne peut donc dire d'un côté, que l'on n'augmente pas et, de l'autre côté, qu'il faut trouver des recettes nouvelles.

En outre, je crois qu'une partie de ce financement doit être apportée par l'État, au travers par exemple du fonds Barnier. La taxation revient à pénaliser les gens sur place pour répondre à un problème local. Or, il me semble que, en matière d'inondations, c'est la solidarité nationale qui doit jouer.

M. Henri TORRE : Le Rapporteur a demandé pourquoi le Conseil d'État était censuré sur un texte du Gouvernement. C'est parce qu'il n'y avait pas de redevance correspondant à la dépense engagée. Si l'on veut que les agences engagent des sommes importantes pour la défense contre les inondations, il faudra instaurer une redevance. Messieurs les législateurs, je vous demande alors d'être extrêmement attentifs lors de la discussion du projet de loi sur l'eau. Méfiez-vous de la redevance que l'on pourrait instaurer pour les inondations car se sera, à mon sens, la plus grande usine à gaz de l'histoire fiscale française. Évitez de mettre en place cette redevance, qui nous fera rechercher les digues, même si elles sont moribondes, les surfaces imperméabilisées, etc. Ce seront des problèmes ingérables sur le plan technique. Trouvez d'autres solutions.

M. Maxime GREMETZ : Que faire ?

M. Henri TORRE : Agissez, soit par le biais de la solidarité nationale et le budget de l'État, soit par d'autres moyens en liaison avec les agences de l'eau, mais sans vouloir appliquer le principe de contrepartie. Si vous mettez le doigt dans la contrepartie, le texte est perdu.

TABLE-RONDE réunissant
les présidents et directeurs des
Établissements publics territoriaux de bassin

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 11 septembre 2001)

Présidence de M. Éric DOLIGÉ, Président

Cette table-ronde réunissait :

- MM. Jean PALANCADE et Alain MIR, président et directeur de l'Association interdépartementale des basses plaines de l'Aude,

- MM. Xavier de ROUX et Rémy FILALI, président et directeur de l'Institution inter-départementale pour l'aménagement du fleuve Charente et de ses affluents,

- M. Guy PUSTELNIK, directeur de l'Établissement public interdépartemental Dordogne,

- MM. Gaston ESCUDÉ et Michel AUZIÉ, vice-président et directeur du Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne,

- M. Régis THEPOT, directeur de l'Établissement public Loire,

- M.  Daniel BERTHERY, directeur de l'Entente interdépartementale pour la protection contre les inondations de l'Oise, de l'Aisne, de l'Aire et de ses affluents,

- MM. Éric GUILLAUMIN et Benoît CORTIER, directeur et chargé de mission de l'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône,

- M. Marc FORÊT, directeur du Syndicat mixte d'études pour l'aménagement du bassin de la Saône et du Doubs,

- MM. Pascal POPELIN et Jean-Louis RIZZOLI, président et responsable du service technique de l'Institution interdépartementale des barrages réservoirs du bassin de la Seine,

- M. Michel ALLANIC, directeur de l'Institution d'aménagement de la Vilaine.

M. le Président rappelle aux participants que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, tous prêtent serment.

M. le Président : Avant l'été, la Commission a entendu les administrations compétentes et un certain nombre d'experts ou de spécialistes qui nous ont fourni des informations précieuses sur l'ensemble de notre champ d'investigation qui est, comme vous avez pu le constater, fort vaste.

Ces auditions nous ont permis de constater que, pour l'essentiel, les mesures à prendre pour prévenir ou pour réduire les conséquences des inondations sont très largement identifiées. Nous avons également pu constater que, en matière d'inondations, les acteurs sont nombreux et leur rôle pas toujours bien coordonné.

Dès lors, la question de la mise en _uvre effective de ces mesures et donc de la désignation de maîtres d'ouvrage clairement responsables est essentielle.

Nous avons constaté la semaine dernière, lors d'une table ronde réunissant les agences de l'eau que celles-ci pouvaient difficilement prétendre à ce rôle, en raison de leur statut d'établissement public de l'État. D'ailleurs, elles ne le demandent pas.

Restent les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). Cette table ronde doit être l'occasion pour la commission d'examiner, avec vous, à quelles conditions les EPTB pourraient jouer un rôle plus important. Nous réfléchirons à leur positionnement institutionnel, à l'opportunité de leur généralisation à l'ensemble des bassins, à l'intérêt de leur conférer un statut juridique adapté, etc.

M. Jean PALANCADE : Je représente l'Association interdépartementale des basses plaines de l'Aude (AIBPA), créée en 1945 par les deux départements de l'Aude et de l'Hérault. Son conseil d'administration est composé de 15 conseillers généraux (10 Audois et 5 Héraultais). À l'origine, son objet était de poursuivre les études relatives aux travaux de protection des basses plaines de l'Aude. Nous avions également en charge l'entretien des nombreux ouvrages existants ou qui viendraient à être créés. Je rappelle que les basses plaines comptent plus de 30 kilomètres de canaux, qui servent à l'irrigation mais aussi à l'assainissement des terres. Des situations conflictuelles se produisent donc souvent dans ces basses plaines de l'Aude entre les diverses associations qui les entretiennent.

Dès 1978, les conseils généraux de l'Aube et de l'Hérault décidaient d'élargir les compétences de l'AIBPA et de lui donner la possibilité d'assurer la maîtrise d'ouvrage de travaux beaucoup plus importants. Déjà, dans le cadre du XIe plan, certains travaux avaient été inscrits, mais malheureusement, le ministère de l'Environnement ne souhaitant pas les financer, peu de choses avaient été réalisées, si ce n'est l'achèvement du barrage anti-sel de Fleury-d'Aude, qui permet l'irrigation des terres agricoles, et la création d'un chenal de dérivation sur la commune de Coursan.

Nous avons donc décidé, au cours de ces dernières années, de nous mettre à l'ouvrage beaucoup plus sérieusement et d'étudier un projet d'aménagement global des basses plaines de l'Aude. Ce projet d'aménagement global comprend trois volets : la protection des lieux habités et le confortement des digues, l'aménagement hydraulique qui inclut le remodelage des berges de l'Aude et le ressuyage des terres.

Le montant global des travaux prévus s'élève à 170 millions de francs, inscrits au XIIe plan. Ces travaux vont débuter dans les mois qui viennent. L'Association, qui assure la maîtrise d'ouvrage, a bien sûr la possibilité de rassembler les financements nécessaires, mais deux problèmes nous préoccupent : les travaux réalisés sur des rivières appartenant à des propriétaires privés et les responsabilités juridiques que confère la maîtrise d'ouvrage confiée à l'AIBPA.

M. Xavier de ROUX : La Charente est un fleuve côtier. Non seulement, elle traverse la Charente maritime, qui est pratiquement située au niveau de la mer, mais la marée remonte jusqu'à 30 kilomètres à l'intérieur des terres, ce qui crée un régime très particulier pour la basse Charente.

L'Institution interdépartementale, composée des quatre départements de la région Poitou-Charentes, a été créée en 1976 à la suite d'une série de crues catastrophiques.

Dans un premier temps, elle s'est attachée à la construction de deux barrages à la limite de la Charente et de la Vienne : les barrages de Lavaux et de Mas Chaban qui ont un double rôle, d'écrêtement de crue à l'origine et ensuite de soutien d'étiage. Pendant une grande partie de sa vie, l'institution s'est, en effet, occupée davantage de l'étiage du fleuve et de l'alimentation en eau de la région, en raison de l'extension de la mytiliculture, plutôt qu'à la lutte contre les inondations à laquelle nous nous sommes intéressés à partir de 1983. Il faut dire que nous avons connu trois crues centennales depuis la création de l'Institution, ce qui fait beaucoup de crues centennales en trente ans !

À la suite de ces crues catastrophiques, l'Institution a lancé une étude hydrographique complète du fleuve, pour examiner les moyens pouvant être mis en _uvre pour limiter les conséquences de ces crues. L'année dernière, à la suite de cette étude, nous avons lancé un plan pluriannuel prévoyant un certain nombre d'ouvrages ou d'aménagements, l'essentiel concernant la ville de Saintes, qui subit de plein fouet tous les cinq ans des inondations extrêmement fortes, quelquefois dramatiques.

Nous en sommes là pour l'instant. Ce programme a été validé par les quatre départements constituant l'Institution. La région Poitou-Charente a d'ailleurs décidé de s'associer à ces efforts et nous espérons pouvoir le mettre en _uvre dans les années qui viennent.

M. Guy PUSTELNIK : La Dordogne est un fleuve ayant deux caractéristiques majeures, d'une part, une des plus grosses chaînes de barrages de France dans sa partie en amont d'Argentat et d'autre part, un contact direct avec la mer qui entraînent des conséquences spécifiques en cas d'inondation. J'évoquerai le problème de la centrale du Blayais qui, lors des dernières inondations issues de convergences entre de fortes marées, des vents et débits importants, nous a fait frôler quelques difficultés.

Sur le plan historique, il y a deux ententes sur la Dordogne : l'Établissement public interdépartemental Dordogne (ÉPIDOR), qui regroupe depuis 1991 les six départements concernés par le bassin versant et quatre régions, et l'Entente interdépartementale de lutte contre les crues (CRUDOR), qui regroupe les quatre départements situés à l'aval du dernier barrage hydro-électrique d'Argentat. Lorsqu'elle a été créée en 1962, l'installation d'annonce des crues était moderne. Elle a, depuis, beaucoup vieilli et a montré, lors des dernières crues de juillet, un certain nombre de failles, notamment pour l'annonce de crues très rapides se situant à l'intérieur du lit mineur de la Dordogne, c'est-à-dire en dessous des cotes d'alerte. Ce qui s'est passé sur la Vézère et sur la Dordogne en juillet nous a particulièrement inquiétés et nous a amenés à développer une réflexion au sein de l'autre entente, à savoir l'ÉPIDOR.

Pour ÉPIDOR, c'est six départements et une thématique très liée à la gestion de l'eau et à l'aménagement du territoire, avec un certain nombre de missions sur la qualité et la quantité des eaux, avec la gestion des débits d'étiage et un fort intérêt pour la gestion du lit majeur de la Dordogne et des principaux cours d'eau.

Par exemple, nous engageons des études et des projets stratégiques sur la gestion du lit majeur, sur les éclusées liées à l'exploitation hydroélectrique, qui n'est pas sans rapport avec les problèmes de crues qu'elle peut aggraver ou diminuer. Nous travaillons également sur les problèmes liés aux déchets flottants, qui sont un élément important de l'aggravation de certaines crues. Nous avons une équipe dite de gestion écologique des cours d'eau, composée de six élagueurs intervenant sur les cours d'eau.

En termes de prospective, l'établissement public présentera, en décembre, un projet de fusion des deux Ententes.

Sur le thème de l'aménagement de l'espace, qui nous préoccupe depuis longtemps - nous avions élaboré un plan paysage qui n'a jamais été mis en _uvre -, nous appelons de nos v_ux des projets d'aménagement qui soient la superposition de plans paysages et d'analyses des zones écologiquement sensibles et des zones inondables. C'est dans cette voie que nous allons essayer de faire collaborer les deux Ententes, autour de thèmes qui regroupent la réhabilitation d'anciens chenaux secondaires de la Dordogne et d'anciennes extractions de graviers, autant de sites abandonnés. Je rappelle que le lit de la Dordogne s'est abaissé à la suite de ces extractions de graviers, ce qui a accentué considérablement nos difficultés.

En matière de collaboration autour de cette thématique des inondations, nous avons signé une charte de partenariat avec l'État et l'agence de l'eau, et un contrat de plan interrégional est en cours de signature avec les trois régions concernées. L'objectif est d'aboutir à des documents stratégiques et à la définition d'un certain nombre d'actions concrètes.

L'un des engagements forts de l'État porte sur l'entretien du domaine public fluvial. Nous avions autrefois des équipes qui ont été réintégrées dans les services de l'État. Nous connaissons également des problèmes d'entretien des digues dans la partie aval, comme nous l'avons constaté au Blayais.

La fusion des deux Ententes nous permettra de dépasser l'alerte pour aborder l'aménagement et la prévention. Nous devons surmonter la réserve de l'État qui, jusqu'à un passé récent, restait très attaché à ses prérogatives et avait maintenu les élus dans une réserve prudente. Progressivement, les choses évoluent. Il faut dire, à notre décharge, que nous sommes dans un milieu plutôt rural où la préoccupation de l'inondation est peut-être moins forte, moins directement vécue - ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas présente - que dans les milieux urbains.

M. Gaston ESCUDÉ : Je vous ferai part de quelques observations au titre de représentant de l'EPTB Garonne, sans oublier que je suis maire de Cazères-sur-Garonne et conseiller général d'un canton qui doit vivre au gré des humeurs de ce fleuve.

Après de nombreux rapports d'origine parlementaire ou issus des services de l'État, je ne peux que souhaiter que le vôtre puisse déboucher sur des décisions des pouvoirs publics, tout en saluant l'initiative prise de consulter les EPTB.

Le thème des inondations ne figure pas dans nos priorités premières. Les élus de notre syndicat mixte, qui représente deux régions et quatre départements, ont considéré en effet, depuis 1986, que le thème de la ressource constituait notre première priorité, avec l'adoption et la mise en _uvre d'un plan de gestion des étiages. Nous avons en effet un déficit de 267 millions de mètres cubes à gérer. De plus, nous estimons que nos EPTB ont atteint aujourd'hui les limites de leur action, dans la mesure où leur financement est assuré à 95 % par les collectivités territoriales adhérentes.

C'est pourquoi, nous militons dans le cadre de l'Association française des EPTB, à l'occasion de la réforme de la loi sur l'eau, pour une véritable reconnaissance de notre rôle avec les moyens financiers qui en découlent, afin d'assurer nos missions à l'échelle des bassins versants.

Au-delà des mesures qu'il conviendrait de prendre et qui sont détaillées dans tous les rapports existants, je souhaite m'attarder sur la prévision et l'annonce des crues. La prévision dans l'ensemble des bassins de la Garonne est assurée par cinq services d'annonce des crues différents : le bassin supérieur de la Garonne par la direction régionale de l'environnement (DIREN) de Midi-Pyrénées, le bassin moyen de la Garonne, du Tarn et de l'Aveyron par la direction départementale de l'équipement (DDE) du Tarn-et-Garonne ; le bassin du Lot par la DDE du Lot ; le bassin de Lannemezan par la DDE du Gers ; le bassin de la Garonne aval par la DDE de Lot-et-Garonne.

Chacun de ces services a une compétence pluri-départementale et agit en qualité de service technique de l'État pour le compte du préfet, qui a la responsabilité d'informer les maires, et avec une coordination assurée par le Centre technique national pour la pluie et l'annonce des crues installé à Toulouse. Il réalise une veille de 24 heures sur 24, 365 jours par an, et il est nécessaire, compte tenu de la rapidité et de la brutalité des crues de la Garonne et de ses principaux affluents, que la diffusion aux maires des alertes et leur prévision soient effectuées dans les délais les plus brefs.

Il faut reconnaître que la prévision et l'annonce des crues ont bénéficié de crédits très importants de la part de l'État et des collectivités locales, régions et départements, même si cela ne relevait pas de leurs compétences. Des efforts restent encore à faire pour améliorer la diffusion de l'information, notamment en direction des maires qui ont la responsabilité d'organiser la gestion de la crise et des secours.

Aujourd'hui, sur la Garonne, seules les communes de Toulouse, Agen et Bordeaux disposent d'un plan de secours. Il reste encore 211 communes qui ne bénéficient pas des informations pratiques nécessaires.

Je pense que, dans ce domaine, il faudrait agir à deux niveaux qui ne demanderaient pas de grands moyens. Au premier niveau, un arrêté-cadre interdépartemental, approuvant un plan d'action à l'échelle des sous-bassins couverts par les services d'annonce des crues, définirait à l'avance les mesures à appliquer en matière d'inondation selon l'importance de la crue. On aboutirait ainsi à une cohérence interdépartementale des mesures de lutte contre les inondations et à la définition d'un document-cadre permettant une quasi-automaticité des actions à mener. Au second niveau, des plans de secours communaux seraient définis dans le cadre de l'arrêté interministériel du 27 février 1984. Il s'agirait de traduire en termes d'action les informations relatives au débit attendu au droit des communes. Les maires des communes doivent, en effet, être en mesure d'interpréter les informations reçues et de donner les bonnes directives : évacuation des habitants, fermeture des routes etc. L'utilité de cette proposition n'est plus à démontrer. Est-il besoin de rappeler que lors des crues de l'Aude de novembre 1989, près de la moitié des 35 victimes ont péri dans leur véhicule ou à proximité. C'est sur ce dernier point que les EPTB pourraient avoir un rôle à jouer auprès des maires par la mise en place d'une méthodologie, d'un guide pratique d'intervention avec l'aide financière de l'État et des agences de l'eau.

Des catastrophes auraient certainement été évitées ou atténuées, si l'ensemble de la chaîne avait bénéficié d'un fonctionnement cohérent et fiable et si on se préoccupait un peu plus de gérer nos fleuves et rivières à l'échelle de leur territoire et avec une réelle coordination et une réelle concertation. Dans cette perspective, l'hypothèse d'une proposition de loi cadre sur les fleuves et rivières de France, à l'instar des lois Montagne ou Littoral de 1985 et 1986, serait la bienvenue.

Pour terminer, je voudrais ajouter une lapalissade : il faut bien reconnaître malgré tout que, en matière d'inondation, le risque zéro n'existe pas !

M. Régis THÉPOT : L'Établissement public Loire, ex Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (ÉPALA), été créé à la fin de 1983, et a pris la suite d'une institution interdépartementale pour la protection des vals de Loire contre l'inondation. On peut donc affirmer qu'il fait de la prévention des inondations sa priorité.

Cette politique fait vraiment partie de sa culture de base. On en connaît tous la raison. Le bassin de la Loire, le plus grand bassin de France avec le fleuve le plus long et le plus irrégulier, est confronté à deux types d'événements météorologiques. D'abord des crues de type cévenol, extrêmement rapides, violentes et dangereuses sur le haut bassin, avec des risques éventuels sur les vies humaines (notamment en septembre 1980 dans le secteur de Brives-Charensac). Ensuite, des crues d'origine océanique, résultant de perturbations provenant de l'Atlantique.

C'est la conjonction de ces crues d'origine cévenole et d'origine atlantique qui a pu entraîner des catastrophes considérables sur le bassin de la Loire. On sait en effet, grâce aux chiffres réactualisés par l'Équipe pluridisciplinaire, que si malheureusement un événement comparable à ceux du XIXe siècle survenait sur le bassin de la Loire, on aurait en Loire moyenne plus de 40 milliards de francs de dégâts et dommages, en cas de rupture de levée. Cela classerait une telle inondation au troisième rang des catastrophes naturelles prévisibles, derrière une catastrophe équivalente sur le bassin de la Seine et un tremblement de terre dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur !

L'institution interdépartementale s'inscrit donc dans une histoire et constitue une réponse politique et technique à un risque très présent. Aujourd'hui, l'Établissement public Loire a le statut de syndicat mixte
- c'est le plus grand syndicat mixte de France - réunissant 6 régions, 16 départements, 19 villes et 10 syndicats départementaux de communes. Il est administré par une assemblée de 74 élus et un petit outil technique, chargé de préparer les décisions de ces élus et de les mettre en _uvre.

Pour préparer la suite du débat, quelles sont les missions de l'Établissement public Loire en matière de prévention des inondations ? Elles sont de trois natures : l'établissement peut être maître d'ouvrage, il peut être financeur ou il peut être coordonnateur ou faciliteur. Ce dernier aspect mérite une attention particulière si l'on veut réduire significativement le risque d'inondation dans notre pays.

S'agissant de la maîtrise d'ouvrage, on retrouve également l'histoire, puisque l'Établissement public Loire a trouvé dans la corbeille de mariés le barrage de Villerest, un barrage multifonctions situé en amont de Roanne, qui a aussi pour vocation prioritaire la prévention des inondations en Loire moyenne. L'Établissement est aussi maître d'ouvrage du réseau Cristal, l'un des réseaux intégrés les plus performants en Europe. Il a une double fonction d'appui technique à la gestion des retenues de bassins - la retenue de Villerest ou celle de soutien d'étiage à Naussac - mais aussi, et surtout, appui aux services d'annonce des crues, qui ont en charge de fournir une information de qualité aux décideurs de l'État et des collectivités territoriales.

Ces deux socles de l'Établissement font l'objet d'améliorations, concernant la gestion, la qualité des eaux stockées dans la retenue de Villerest, la fiabilisation et l'amélioration de la performance du réseau Cristal.

Le projet européen Osiris, important s'il en est, vise à répondre à l'insatisfaction majeure des élus. En effet, on entend très souvent la critique selon laquelle, malgré des outils de plus en plus performants techniquement, le décideur local ou la population n'ont pas actuellement l'information qualifiée qu'ils souhaiteraient en matière de prévention du risque.

L'Établissement est également co-pilote ou co-financeur. Le Président de la République est venu honorer de sa présence une réunion du comité de pilotage de l'Équipe pluridisciplinaire. La création de cette équipe est une initiative exemplaire qu'il faudrait, à mon sens, renouveler sur d'autres bassins. En effet, si l'on veut avancer sur ces politiques difficiles et complexes, il faut que l'expertise soit partagée et non contestée. La seule façon d'y arriver est l'expertise partenariale. Même si vous disposez des meilleurs ingénieurs, s'ils sont payés par Pierre, Paul ou Jacques, il y aura une certaine suspicion quant à l'objectivité des éléments fournis.

Une stratégie très lourde et complexe est donc mise en _uvre sur la Loire moyenne. Ce n'est pas en claquant dans les doigts que l'on arrivera à résoudre le problème des inondations, que l'on ne résoudra d'ailleurs jamais. Je rejoins le président Escudé : on ne pourra jamais prétendre avoir réduit totalement le risque en Loire moyenne. Le risque zéro n'existe pas. Cette stratégie va durer une vingtaine d'années. C'est un effort très long de mobilisation et il faut mettre en place des outils d'évaluation, que l'on n'a pas à l'heure actuelle, et des outils de sensibilisation de la population.

L'établissement a également une perspective, qui n'est pas actuellement retenue par le Gouvernement dans le cadre du contrat de plan État-région Centre et des autres contrats de plan État-région, qui serait de construire un ouvrage écrêteur supplémentaire, à savoir l'ouvrage du Veurdre.

Il est une autre démarche où l'Établissement est en pointe : les démarches d'étude globale. Un modèle semble, en effet, s'imposer : mettre en _uvre des études « 3 P » (prévision, prévention, protection). On sait que l'on ne peut pas répondre aux problèmes soulevés, uniquement l'aménagement ou la réglementation. C'est en fait un panachage de ces mesures qu'il faut arriver à définir. L'Établissement a réalisé deux études en maîtrise d'ouvrage s'inspirant de cette logique : une étude sur le bassin de la Maine - douloureusement marqué par des inondations récentes de niveau centennal dans la région d'Angers en 1995 - et une étude équivalente sur le haut bassin de la Loire, qui permet de répondre à ce risque particulier des crues d'origine cévenole.

M. Daniel BERTHERY : L'Entente Oise-Aisne recouvre le bassin de l'Oise et de l'Aisne. Établissement public ancien, créé en 1968, il a connu une nouvelle jeunesse après les crues catastrophiques de 1993 et de 1995, qui ont amené à changer son fonctionnement interne et ses orientations pour l'avenir.

À sa création en 1968, l'idée était de faire des barrages écrêteurs de crues, notamment pour réduire les dommages des crues de printemps qui causaient des dégâts à l'agriculture. Ses projets étaient très avancés, puisque des acquisitions foncières ont été réalisées. Aucun projet n'a pu être mené à bien. L'Entente a, pendant toute cette période, essentiellement fait des travaux d'entretien ou de restauration pour les rivières. À l'époque, L'Entente n'avait d'ailleurs pas de services propres, puisqu'elle ne s'en est dotée que tout récemment.

Puis, l'évolution de l'Entente a été déterminée à partir des crues catastrophiques et du rapport Dunglas - rapport demandé par le Premier ministre à l'ingénieur général du Génie rural des eaux et des forêts, Jean Dunglas -, qui fait toujours autorité et qui a servi de référence pour fixer les orientations futures dans tous les domaines de la gestion du risque d'inondation.

Ce rapport très complet a été bien accueilli car il préconisait des choses nouvelles, à savoir des techniques beaucoup plus douces, nettement moins préjudiciables pour les terres agricoles et fondées, notamment, sur le ralentissement dynamique des crues par la création d'ouvrages de sur-stockage qui, à la différence des grands barrages envisagés auparavant, sont moins coûteux et ont un impact plus faible sur l'environnement.

L'ensemble des partenaires concernés - l'État, l'Entente, représentant les six départements de ce bassin, mais aussi l'agence de l'eau Seine-Normandie et Voies navigables de France (VNF) - se sont engagés sans attendre dans cette voie. Il a été alors décidé un changement de cap assez radical pour le renforcement de l'Entente, avec la création de ses propres services - jusqu'à présent, l'agence de l'eau Seine-Normandie en assurait le secrétariat -, la révision de ses statuts pour en faire un établissement public financièrement autonome avec des pouvoirs de décision accrus, puis l'élaboration et la signature d'une Charte Oise-Aisne, liant l'ensemble des partenaires, à savoir l'État, l'agence de l'eau, l'Entente, mais aussi Voies navigables de France (VNF).

C'est, en effet, à cette époque que le préfet de région d'Île-de-France, coordonnateur de bassin, proposa, puisque le rapport Dunglas et ses recommandations agréaient tous les partenaires, de le transformer en un document les engageant et permettant de rassembler des moyens pour tenir ses objectifs. C'est ainsi que la Charte Oise-Aisne a été signée le 8 janvier 2001.

Son élaboration a été quelque peu laborieuse car elle résultait d'une démarche innovante, qui consistait à faire signer l'ensemble des préfets, mais aussi d'associer VNF à une charte de gestion du risque inondation.

Cette charte a été signée et constitue donc la base des actions de l'Entente. Parmi les volets de cette charte, l'Entente Oise-Aisne est chargée plus spécialement du programme d'aménagement dans le cadre d'une stratégie de réduction des risques d'inondation : création d'aires de sur-stockage disséminées sur l'ensemble du bassin et réalisation de travaux de protection rapprochée à la traversée des villes et agglomérations. C'est sur ce programme que nous travaillons.

Je vous ai donc rappelé les étapes : renforcement de l'Entente, création de ses services propres - nous sommes cinq actuellement -, signature d'une charte engageant chacun des partenaires, y compris financièrement. Ce financement est apporté par les contrats de plan État-régions et par l'Entente, sous forme d'un financement tripartite, chacun des partenaires institutionnels (État, Entente et les trois régions) apportant un tiers.

La démarche est résolument opérationnelle. Tout le monde est d'accord pour avancer vite et de manière pragmatique. Simultanément à l'élaboration de ce vaste schéma sur l'ensemble du bassin, qui a été présenté récemment au conseil d'administration de l'Entente, des opérations pilotes sur des sites choisis ont d'ores et déjà été engagées.

Nous sommes dans cette phase opérationnelle et nous lançons actuellement des concours de maîtrise d'_uvre ; nous espérons pouvoir engager les premiers travaux début 2003. Le temps presse car la demande est grande de la part des riverains victimes des inondations. De plus, le calendrier nous impose d'aller vite puisque les contrats de plan État-région couvrent la période 2000-2006. Il est donc très important de mobiliser cet argent dans le respect de ce calendrier.

M. Éric GUILLAUMIN : L'Institution interdépartementale des bassins Rhône-Saône a été créée en 1987 et regroupait à l'époque treize départements. Ses missions portaient essentiellement sur l'aménagement du territoire et le tourisme. En 1997, lors de la révision de ses statuts, qui comme pour les parcs naturels régionaux ont une durée de vie de dix ans, le travail de réflexion engagé avec les collectivités adhérentes et l'État a conduit à élargir ses missions à l'environnement et aux questions liées aux crues.

À l'époque, l'ensemble des acteurs, et notamment l'État et l'agence de l'eau, réfléchissaient à la réalisation d'une étude dite globale qui avait été recommandée par le rapport Dambre à la suite des crues en Camargue de 1993-1994. Il avait donc fallu quelques années de réflexion pour arriver à se mettre d'accord sur l'épure générale de cette étude, qui représente une dépense de 20 millions de francs.

À l'issue de ces réflexions, nous avons modifié nos statuts et avons pris la maîtrise d'ouvrage de cette étude.

La situation du Rhône et particulière en raison de l'existence de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), concessionnaire de l'État, dont la création a été prévue par une loi de 1921 et n'a été concrétisée qu'en 1933, soit 11 ans plus tard. Contrairement aux autres fleuves où des concessions uniquement hydroélectriques sont attribuées à EDF, cette concession a, à la fois, une vocation hydroélectrique, d'hydraulique agricole et de transports. Pendant toutes ces années, et jusqu'au moment des crues, les habitants et les élus ont majoritairement considéré que c'était à la CNR d'assurer la protection contre les crues. Les dix-huit ouvrages réalisés sur le Rhône avaient effectivement soustrait, par les digues formant les barrages, environ 15 % de la surface initiale des champs d'expansion de crue. Il y avait donc un réel sentiment de protection et, en l'absence de crue importante au cours de ces décennies, les inondations de 1993 et 1994 ont été une très grande surprise.

La surprise était moins forte en Camargue, car il s'agit d'un delta inondable. Mais là encore, depuis le XIXe siècle, de grands travaux d'aménagement et d'endiguements avaient peu à peu laissé croire que ce territoire était protégé.

C'est dans ce contexte particulier que nous sommes intervenus. Nous avons mis une année pour faire comprendre à l'ensemble des collectivités et partenaires cette situation nouvelle et les raisons pour lesquelles notre établissement intervenait sur une partie de cette étude, avec la CNR mais sans que cette dernière n'assure seule cette mission. Ce fut un travail de communication très important.

À partir de là, l'étude globale, qui revêt quatre volets traditionnels, fait le point sur la situation du fleuve, ce qui n'avait pas été fait depuis l'aménagement du Rhône ou, pour certains volets comme l'hydrologie, depuis 1924. C'est donc un travail colossal faisant intervenir différents groupes de travail, associant l'agence de l'eau, les services de l'État concernés, etc.

Nous recouvrons trois sous-bassins aux fortes spécificités culturelles. Nous avons donc mis en place une commission de concertation très élargie, qui travaille encore maintenant avec une dizaine d'échelons territoriaux. Cette étude a commencé il y a trois ans et Benoît Cortier, notre chargé de mission, travaille à plein temps pour son cadrage général. Enfin, quatre bureaux d'études ont été retenus à nos côtés pour réaliser les quatre volets de l'étude.

Quelle est notre stratégie, un an avant la présentation du plan de gestion ? Nous préparons dès aujourd'hui les réunions pour présenter les résultats de l'étude et élaborer les divers scénarios du plan de gestion. C'est un travail de sensibilisation difficile, parce que pour nombre de collectivités, particulièrement les départements, cette responsabilité doit relever du concessionnaire de l'État et non des collectivités territoriales. Le sentiment est que le risque financier est beaucoup plus élevé que les bénéfices prévisibles, même en termes de sécurité.

Cette réticence existe et nous menons quotidiennement un grand travail d'explication pour faire comprendre que, à partir de l'automne 2002, nous devrons - comme cela se fait sur la Loire - entrer dans une gestion véritablement partenariale entre les collectivités territoriales, l'État et l'agence. Ces deux derniers partenaires en sont déjà persuadés et nous accompagnent pleinement. Nous avons donc un travail important à faire pour que notre rôle soit reconnu par nos adhérents afin qu'ils acceptent, à partir de 2002, d'augmenter leurs dotations financières au-delà des 20 % qu'ils apportent aujourd'hui (l'État et les agences apportant les 80 % restants).

Nous attendions une reconnaissance dans le projet de loi sur l'eau, qui nous aurait donné une meilleure assise. On se rend compte de la grande difficulté qu'il y a à clarifier le rôle de chacun, notamment en ce qui concerne l'État. En effet, le double regard, parfois divergent, du ministère de l'Environnement et du ministère de l'Industrie, tutelle du concessionnaire, ne nous facilite pas les choses.

M. Marc FORÊT : Le bassin de la Saône s'étend sur 30 000 km² et environ 10 000 km de rivières se jettent dans la Saône et le Doubs.

Notre syndicat mixte a été créé en 1991 dans la perspective de traiter le problème des inondations de la Saône et d'aborder des sujets qui touchent à la gestion hydraulique du bassin, concernant la ressource en eau, les milieux naturels et piscicoles ou la coordination des acteurs qui interviennent sur la centaine d'affluents de la Saône et du Doubs, notamment auprès des syndicats intercommunaux présents sur ce territoire.

Notre syndicat regroupait 17 collectivités à l'origine, 19 aujourd'hui depuis l'arrivée de l'agglomération de Dôle et du département des Vosges. Il compte trois régions, neuf départements et sept villes de plus de 25 000 habitants ou agglomérations, dont la communauté urbaine de Lyon.

Au plan de l'organisation, nous disposons actuellement d'une vingtaine de personnes, dont 14 ingénieurs, qui interviennent sur le bassin ainsi que d'un pôle de formation situé à Ornans, dont la vocation est d'aider les syndicats de rivières pour la mise en place de techniciens de rivière, formés dans cet établissement.

Lorsque nous avons mis en place les programmes d'aménagement de la Saône et du Doubs, nous avons choisi, compte tenu de la complexité du bassin et de l'importance des inondations qui touchent 300 communes, une double approche : une approche, que nous avons appelée « systémique », à l'échelle des grandes vallées que sont la Saône et le Doubs qui ne traite pas seulement des inondations mais de tous les enjeux liés au fonctionnement de la rivière, ainsi que, à l'échelle de chacun des affluents, d'une approche territorialisée dans le cadre de SAGE ou de contrats de rivière. C'est cette deuxième approche que nous mettons en place depuis quelques années maintenant.

Sur la Saône particulièrement concernée par les inondations, nous avons mis en place un plan de gestion de la vallée qui a le double mérite de réunir à la fois l'État, l'agence de l'eau, VNF - nous sommes sur des rivières navigables - et les collectivités territoriales autour d'un même projet, fondé sur un même concept d'aménagement.

Ce plan de gestion regroupe cent orientations définies à l'échelle de la vallée, validées par le comité de bassin en 1998. C'est en application de ce plan que se mettent en place les politiques sur la Saône, sur lesquelles je vais m'étendre un peu plus.

S'agissant des inondations, sur les 230 communes de la vallée, 150 ont des lieux habités inondables, regroupant environ 50 000 habitants qui ont les pieds dans l'eau lors des grandes crues de fréquence cinquantennale. Il était donc nécessaire d'élaborer des politiques très cohérentes à ce sujet, sachant que nous ne pouvons pas faciliter les conditions d'écoulement à l'aval, du fait de l'enjeu et de l'importance de l'agglomération lyonnaise, et que nous nous heurtons à la quasi-impossibilité de réaliser des retenues en amont.

Le parti d'aménagement qui a été choisi, en accord avec l'État et les collectivités, a été d'initier un programme de protection des lieux rapprochés, qui permet de préserver les champs d'expansion des crues et de protéger les principales communes par des systèmes d'endiguement, permettant d'éviter l'arrivée des eaux dans les zones habitées denses, conformément aux circulaires du ministère de l'Environnement.

Pour les lieux habités plus dispersés - 3 000 maisons sont situées dans la plaine alluviale de la Saône -, nous avons décidé de bâtir un programme original d'amélioration de l'habitat, qui permettrait de rehausser les surfaces de planchers et de mettre hors d'eau les équipements. Parallèlement, nous engageons une politique de développement de la culture du risque et de prévention. Ce programme, qui a le mérite de ne pas être d'un coût très élevé, en tout cas beaucoup moins que les stratégies d'endiguement, est en cours d'initialisation et fait l'objet d'une attention certaine de la part des collectivités financeurs mais également de l'État voire d'autres partenaires.

À la suite du plan de gestion du Val de Saône, nous avons concrétisé ces aménagements dans le cadre d'un contrat de vallée inondable du Val de Saône, qui est une transcription de la politique des contrats de rivière à l'échelle des 75 000 hectares inondables de la vallée et des 230 communes concernées. Ce contrat est presque achevé et porte sur un programme estimé à 900 millions de francs sur la période 2002-2007.

Nous intervenons aussi dans les politiques d'accompagnement Natura 2000, puisque nous réalisons les documents d'objectifs complémentairement aux stratégies de gestion d'inondabilité, de même que nous avons mis en place des programmes européens LIFE pour la gestion des champs d'inondation, qui servent d'appui et de référence.

M. Pascal POPELIN : L'Institution interdépartementale des barrages-réservoirs du bassin de la Seine, que l'on appelle également Les grands lacs de Seine, est un établissement public administratif qui regroupe les départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Il est administré par un conseil d'administration de 24 membres, composé de douze élus du Conseil de Paris et de quatre conseillers généraux de chacun des trois autres départements. Cette institution a été créée en 1969 à la suite de la réforme administrative de la région Île-de-France, afin de poursuivre sur son territoire les missions engagées par l'ancien département de la Seine, à la suite des inondations de 1910 et 1924 et la grande sécheresse de 1921.

La double mission de notre Institution est d'une part, de se donner les moyens de diminuer les effets des crues de la Seine et de ses principaux affluents et d'autre part, - ce n'est pas la moindre - de soutenir les débits d'étiage pour l'alimentation régulière en eau de la région parisienne et le maintien de l'équilibre écologique des rivières. À cet effet, l'Institution a construit et gère les grands lacs réservoirs établis dans la vallée de l'Yonne et ceux construits en dérivation de la Seine, de la Marne et de l'Aube. Avec ces quatre ouvrages, l'Institution peut stocker en amont du bassin jusqu'à 830 millions de mètres cubes, soit l'équivalent de la superficie de Paris sur trois étages. Le lac Marne est le plus important avec 350 millions de mètres cubes, viennent ensuite le lac Seine (250), le lac Aube (170) et Pannecière (80). Ce dernier le plus ancien puisque construit en 1948 est un barrage traditionnel.

Ces lacs ont évidemment une influence sur le cours de la Marne et de la Seine en amont de Paris. Ils influencent le débit de la Seine en aval de sa confluence avec la Marne, principalement jusqu'à la confluence de la Seine et de l'Oise. La gestion et l'entretien de nos ouvrages supposent un partenariat avec les collectivités locales, qui ont généré des activités de développement économique et des activités touristiques.

L'institution emploie 125 agents mis à disposition par la Ville de Paris. Son budget annuel est de 80 millions de francs pour le fonctionnement et de 30 millions de francs pour l'investissement. Par ailleurs, nous disposons d'autorisations de programmes à hauteur de 1,6 milliard, qui correspondent aux études faites pour la création éventuelle de nouveaux ouvrages.

Nous travaillons de manière précise sur une étude inscrite au contrat de plan État-région Île-de-France sur l'aménagement de la Bassée, entre Montereau et Nogent-sur-Seine. Une des problématiques du bassin de la Seine est le fleuve Yonne, qui n'est pas dompté et sur lequel il est difficile de construire des aménagements. En cas de pic de crue simultané sur la Seine et sur l'Yonne, cela pose un certain nombre de problèmes. Le projet de la Bassée consiste donc à créer des casiers pour retenir les crues de Seine et laisser passer les crues de l'Yonne, si elles ont lieu au même moment. Au-delà de cette étude, nous réfléchissons à un autre projet appelé Lac des côtes de Champagne qui pourrait aussi voir le jour ultérieurement.

Financièrement, les recettes de l'Institution sont quasi totalement apportées par les départements adhérents en ce qui concerne le fonctionnement courant, étant entendu que pour les investissements importants, et les grosses études, des partenariats financiers sont mis en place avec l'agence de l'eau Seine-Normandie, l'État et la région Île-de-France.

Nous avons participé à une étude importante sur l'évaluation des dommages liés aux crues en région Île-de-France, menée en partenariat avec les services de l'État, l'agence de l'eau Seine-Normandie et la région, pour un montant de 7,4 millions auxquels l'Institution a participé à hauteur de 25 %.

L'étude a permis d'analyser l'hydrologie du bassin en amont depuis 1876, de réaliser l'analyse hydrologique des grandes crues, de déterminer leur typologie, de reconstituer douze d'entre elles, d'en inventer trois synthétiques avec des périodes de retour particulières et d'évaluer, par modélisation, d'une part les zones inondables et d'autre part, les dommages associés à ces crues et l'impact des aménagements existants ou futurs.

Particularités de l'agglomération parisienne, le RER, le métro, l'alimentation électrique, les usines d'eau, les télécoms font que les mesures à prendre dépassent très largement le cadre de notre Institution. On peut estimer, en effet, que l'influence des barrages est un écrêtement qui se situe de 30 à 60 centimètres selon l'importance de la crue. Cela paraît peu, mais cela peut être considérable au regard des niveaux d'alerte à partir desquels il n'y a plus de métro à Paris par exemple. Cela suppose aussi que les autorités publiques et les différentes instances, qui ont les responsabilités de l'approvisionnement de l'Île-de-France puissent travailler de concert pour prendre des mesures qui ne peuvent se limiter à la construction de nouveaux ouvrages, tels que ceux dont nous avons déjà la maîtrise.

M. Michel ALLANIC : La Vilaine est un bassin versant de 10 000 km² qui couvre le tiers de la Bretagne. Ce bassin est traversé par deux grandes voies navigables, la liaison Manche-Océan d'une part, qui emprunte le cours principal de la Vilaine, le canal d'Ille-et-Rance et la Rance et traverse la Bretagne du nord au sud, ainsi que le canal de Nantes à Brest d'autre part, qui emprunte sur deux tiers de son parcours le cours de l'affluent principal de la Vilaine. La gestion des voies navigables de la Bretagne a été, je le rappelle, transférée aux régions Pays de Loire et Bretagne.

L'Institution d'aménagement de la Vilaine est un établissement public interdépartemental, sans doute l'un des plus anciens, créé en 1961 par trois départements : l'Ille-et-Vilaine, le Morbihan et la Loire Atlantique. Son statut est celui des institutions interdépartementales. Ses missions fondatrices étaient essentiellement la lutte contre les inondations. En 1961, il s'agissait d'accompagner un grand projet de développement économique sur la basse vallée de la Vilaine, dans la région de Redon et d'assurer, condition préalable jugée indispensable, la maîtrise hydraulique d'une région régulièrement soumise aux inondations, du fait de la conjonction récurrente des grandes marées - l'estuaire de la Vilaine remonte à 80 km à l'intérieur des terres - et des crues de la Vilaine.

Pendant 25 ans, l'Institution a, essentiellement, eu une fonction d'aménageur sur la basse vallée. Elle a réalisé de grands travaux d'hydraulique fluviale, de grandes infrastructures routières et des ponts, en liaison avec les services de l'État. Le plus significatif de ces grands travaux est le barrage d'estuaire situé sur son embouchure, le barrage d'Arzal qui a été mis en service en 1970 et permet d'arrêter l'onde de marée, et donc de supprimer l'une des causes des grandes inondations dans la basse vallée.

Depuis 1990, l'Institution évolue progressivement vers des missions de gestion de l'ensemble du bassin versant et de la rivière, tout en continuant à gérer les grands ouvrages hydrauliques qu'elle a construits. En 1989, la région hérite des voies navigables de l'Ouest. Elle recherche des concessionnaires, car elle n'a pas de moyens propres. Malheureusement, elle émiette l'ensemble de la gestion des voies navigables entre cinq ou six concessionnaires, choix qui ne facilite pas aujourd'hui la gestion hydraulique en grandes périodes de crises.

L'Institution hérite, pour sa part, de la voie navigable de la Vilaine sur 80 kilomètres en amont de son estuaire. Depuis 1972, elle a acquis une autre compétence importante, à savoir la production d'eau potable, denrée rare en Bretagne. L'Institution assure ainsi, à partir du barrage d'Arzal, l'approvisionnement en eau potable des trois départements et, bientôt, de l'agglomération rennaise.

En 1997, plutôt que de créer ex nihilo une communauté locale de l'eau prévue par la loi sur l'eau, la commission locale de l'eau a préféré désigner un établissement public existant comme chef de file de l'élaboration du SAGE Vilaine et a donc désigné l'Institution pour ce faire.

Nous sommes donc en pleine révision des statuts de l'Institution pour la faire évoluer vers d'autres compétences et pour l'élargir sur l'ensemble du territoire du bassin versant. Il est question de l'ouvrir à d'autres partenaires, en particulier le département des Côtes d'Armor qui est situé dans le bassin versant, et peut-être également les régions Bretagne et Pays de la Loire.

Pour en revenir aux inondations, elles ont donc été l'élément déclencheur, fondateur de l'Institution. Aujourd'hui, nous assurons l'entretien et le fonctionnement des grands ouvrages hydrauliques destinés à lutter contre les inondations. Ces grands ouvrages, en particulier le barrage d'Arzal, ont permis de diviser le risque par dix. Dans la basse vallée de la Vilaine, le risque de conjonction d'une petite crue et d'une grande marée était annuel. Aujourd'hui, le risque n'existe qu'à partir d'une crue décennale.

Pendant vingt-cinq ans, la conjugaison d'un cycle climatique sec en Bretagne et la création du barrage à Arzal a certainement entretenu un sentiment de sécurité totale auprès des populations. Il a fallu attendre l'inondation centennale de 1995 pour rappeler la vulnérabilité de la région. En 1997, nous avons entrepris de nombreuses études, dont une étude de modélisation du bassin aval qui nous a permis de progresser au niveau des connaissances, en cartographiant les zones inondables notamment. Ces éléments nous ont permis de préparer les PPR. Nous avons également cofinancé avec l'État l'amélioration du dispositif d'annonce de crue sur la basse vallée de la Vilaine. Mais aucun grand chantier n'a été entrepris après les inondations de 1995.

Et puis, il y a eu 2001, une inondation centennale caractérisée par une succession d'inondations de longues durées. La mission interministérielle d'expertise sur les inondations en Bretagne a fait des propositions rejoignant notre analyse de 1995, à savoir que la politique de grands travaux trouvait vite ses limites, notamment environnementales et économiques, et qu'il fallait plutôt en revenir à des politiques de protection locale de nature à améliorer le niveau de protection, sans pouvoir naturellement assurer une protection absolue.

On retiendra surtout que la mission interministérielle a rejeté une proposition très forte de la commission locale du SAGE Vilaine, qui avait décidé de mettre en place une cellule hydrologique mixte du type de la cellule Cristal mise en place sur la Loire. Cette cellule aurait été capable d'apporter de meilleures informations au service d'annonce des crues, de faire des expertises auprès des aménageurs et d'améliorer les moyens de communication auprès du grand public en période de crise. Ce projet n'a malheureusement pas été retenu par la mission interministérielle pour des raisons philosophiques que nous avons du mal à comprendre aujourd'hui.

M. le Président : Je vous remercie. Au-delà de la présentation de vos établissements respectifs, vous avez fait un certain nombre de remarques importantes et complémentaires qui nous concernent tous.

M. le Rapporteur : À l'audition de chacun des responsables des EPTB présents, on aura noté leur diversité quant à l'origine de leur création, pour lutter contre la sécheresse ou lutter contre les inondations etc. quant à leur organisation même. Étant moi-même d'un département où il n'y a pas d'EPTB - peut-être en existera-t-il bientôt un au vu des conséquences des inondations de la Somme - je m'interrogeais sur le point de savoir si les raisons qui ont historiquement conduit à la création de vos institutions avaient pu conduire à retenir une aire géographique qui se serait révélée inadaptée à l'expérience.

Existe-t-il des manques ? Est-ce que tel ou tel espace géographique n'a pas été laissé de côté, gênant aussi l'action de vos établissements ?

J'ai également constaté que les communes étaient peu associées, à l'exception de la Loire ou de Saône-Doubs. Ce sont généralement les départements qui sont concernés. Peu de régions aussi, même si certaines interviennent. Cela relève-t-il d'une volonté de votre part ? Les communes refusent-elles de s'associer ? Auriez-vous souhaité et souhaitez-vous encore qu'elles soient associées ? Qu'en est-il également des régions ?

Nous avons noté la variété de vos statuts. Souhaitez-vous un statut identique, homogénéisé sur l'ensemble du territoire national ? Souhaitez-vous par exemple, comme certains d'entre vous le préconisent, la réécriture des articles 16 et 17 de la loi de 1964 qui prévoyait la création d'établissements publics, placés sous la tutelle de l'État, pour gérer certains bassins ?

M. Xavier de ROUX : Sur le rôle des départements, je crois que cela tient aux compétences exercées par les différentes collectivités. Cela pourrait évoluer à l'avenir. Si les principaux EPTB, qui se sont constitués dans les années 1975-1980, l'ont été entre départements, c'est parce que les compétences étaient situées à ce niveau. Dans la mesure où la décentralisation a renforcé le poids de régions, il est évident que celles-ci pourraient être aujourd'hui davantage associées. Il en va de même pour les communes. Ces dernières ne sont pas très demanderesses, car tout cela coûte fort cher. Je parle pour la région Poitou-Charente. Les communes pensent que le financement est mieux adapté au niveau départemental. Le département est lui-même persuadé que la région pourrait jouer un rôle plus grand, comme bien entendu l'État. Tout cela va de soi : c'est la chaîne habituelle du financement. Mais, si l'on donnait un statut clair et unique aux EPTB, avec une clef de financement tout aussi claire, je crois que nous progresserions beaucoup. Sur le plan des statuts des EPTB, il y a certainement une réflexion à mener et un travail à faire.

M. Daniel BERTHERY : Concernant l'aire géographique, je pense qu'elle a été bien choisie depuis l'origine, pour l'Entente Oise-Aisne. Il n'y a d'ailleurs jamais eu de discussion pour la modifier. À mon avis, elle est tout à fait appropriée et couvre l'ensemble du bassin de l'Oise qui constitue vraiment une entité bien définie.

En ce qui concerne l'association des régions, celles-ci sont des partenaires très impliqués, puisqu'elles apportent un tiers de financement de notre programme d'aménagement d'aires de sur-stockage. Elles le font, même si elles ne sont pas membres du conseil d'administration, qui ne comporte que des départements. Cela étant, il y a une discussion à ce sujet, certaines régions souhaitant entrer au conseil d'administration.

En ce qui concerne les communes, la question est différente. Elles sont souvent très intéressées par des travaux de protection rapprochée ou d'entretien des rivières, mais s'agissant des aménagements de sur-stockage
- protection éloignée - les choses sont perçues bien différemment. En effet, vu localement par une commune, un aménagement de sur-stockage apporte tous les inconvénients, les bénéfices étant ressentis en aval. Ce n'est donc pas vraiment sur les communes que l'on compte comme partenaires financiers pour ce type d'aménagements. C'est la notion de solidarité interdépartementale qui doit permettre une péréquation des avantages et des inconvénients sur l'ensemble du bassin, à l'intérieur des départements et entre les départements.

En revanche, lorsqu'il s'agira de réaliser ces aménagements, même si l'Entente ne recherche pas la collaboration des communes comme partenaires financiers ou maîtres d'ouvrage, elle aura besoin de leur coopération pour que ces aménagements puissent se faire, notamment pour le dialogue avec les agriculteurs qui détiennent la clef de la question. Les communes ne sont donc pas omises mais, au stade actuel de réflexion, d'étude et de coordination générale, c'est plutôt aux niveaux départemental et interdépartemental que cela se joue.

Quant aux statuts, nous les avons révisés récemment. Nous avons maintenant le statut d'une institution interdépartementale qui nous donne toute faculté pour fonctionner. La révision des statuts étant chose périlleuse et difficile à conduire, dès lors que l'on a pu établir une clef de répartition entre les départements, nous souhaitons la conserver et ne pas rouvrir le débat.

M. Marc FORÊT : Je voulais revenir sur la question de la participation des communes qui pose le problème de l'intervention de nos institutions à l'échelle des bassins versants. Nous sommes très attachés à la politique de bassin versant pour le bassin de la Saône, et nous entendons mettre tous les moyens en _uvre pour conserver cette cohésion. Les programmes en cours d'élaboration portent sur 1 700 des 2 300 communes du bassin versant de la Saône. Nous essayons d'être très présents auprès de celles-ci, mais force est de constater que la complexité des textes - loi de 1964, loi de 1992, projet de loi sur l'eau - et des procédures les accompagnant fait douter de la capacité des communes, voire des syndicats intercommunaux, à mettre en place des projets cohérents à l'échelle des micro-bassins versants.

Il y a là une véritable réflexion à mener et qui nous conduit à aider les structures intercommunales à mettre en place leurs projets et à aider les petites communes à impulser leurs politiques locales d'aménagement. C'est dans cet esprit que nous intervenons pour associer les communes.

La démarche que nous initions est celle d'une démocratie participative visant à impliquer les acteurs locaux, en sachant que ceux-ci, à l'exception des villes de plus de 5 000 à 10 000 habitants, ont beaucoup de difficultés à mettre en place leurs projets. Cela nous amène à mettre en place des établissements publics d'aménagement, tel que nous venons de le faire entre la Saône-et-Loire et la Côte-d'Or, pour accompagner l'action de notre syndicat. En effet, nous n'avons pas la compétence travaux, seulement la compétence de maîtrise d'ouvrage et de conduite d'opérations. Nous mettons donc en place des opérateurs locaux pour porter les aménagements des petites communes, sachant que les grandes villes peuvent réaliser ces aménagements seules.

S'agissant de la possibilité offerte par la loi de 1964 d'instituer des établissements publics de l'État, le souci des collectivités est d'aller à la simplification. Il nous paraît plus important que l'État, l'agence de l'eau, VNF - nous intervenons souvent sur des rivières qui appartiennent à l'État - que tous ces acteurs soient impliqués dans la conception des programmes beaucoup plus que dans la réalisation. En effet, par le contrôle de légalité et par l'ensemble des procédures prévues par les différentes lois, l'État sera forcément impliqué et conduit à donner son avis.

Par ailleurs, au plan financier, nous sommes dans des stratégies exclusivement partenariales, nécessitant naturellement le concours de l'État et d'autres partenaires, tels que l'agence de l'eau.

Le statut juridique de l'établissement public n'a donc pas beaucoup d'importance. Il est plus important de conserver la cohérence territoriale du bassin, qui est la plus opérationnelle sachant que l'État est de toute façon impliqué dans les politiques menées.

M. Guy PUSTELNIK : Je voudrais revenir sur les trois points évoqués par le Rapporteur.

À propos de l'échelle, nous intervenons sur l'ensemble du bassin versant de la Dordogne. Nous le couvrons en ne regroupant que des départements. Il s'avérerait pratiquement impossible de le faire en regroupant des régions, puisque l'on est toujours ou trop au sud, ou trop marginal, ou trop au nord. Les régions sont de trop grande taille pour que l'échelle de travail soit adaptée. Il convient de prendre acte des réalités géographiques et des découpages régionaux : en fait, les départements s'adaptent assez bien aux découpages par bassin.

Néanmoins, à chaque réunion de notre conseil d'administration, nous accueillons, comme membres cooptés, les régions et le président de l'Union des maires, ce qui répond à la question sur l'implication des communes.

Sur l'absence des communes de décision, il est vrai que c'est très compliqué. En milieu rural, les maires ne s'intéressent à ces détails, que lorsque cela va mal ou pour un problème particulier. Les élus de petites communes rurales nous demandent principalement une identification très claire de l'endroit où ils pourront aller chercher l'information nécessaire et présenter leurs demandes. Nous avons envoyé, à la suite de la dernière crue, un questionnaire auprès des maires des communes touchées. Le taux de retour a été fantastique, soit 95 %. Cela signifie que les maires sont sensibilisés à ce problème, mais qu'ils veulent, avant tout, un interlocuteur identifié.

Sur les statuts, il n'y a pas de problème. Même à travers l'Entente interdépartementale, on peut coopter les régions ou passer par la voie contractuelle qui reste possible.

Par ailleurs, nous avons créé des comités de suivi départementaux dans lesquels tous les partenaires réfléchissent sur tous les problèmes liés à la gestion du fleuve. Ils regroupent les pêcheurs, les chasseurs, les écologistes, etc. Cela nous permet de maintenir ce lien avec l'ensemble des partenaires intéressés. De plus, l'animation de plusieurs contrats de rivière nous permet de nous rapprocher du terrain et de travailler avec les maires sur des problématiques locales.

M. Éric GUILLAUMIN : Nous avons engagé une politique de contractualisation, notamment sur cette étude sur les crues, puisque les trois régions concernées participent depuis quelques mois financièrement à sa deuxième phase.

De la même façon, nous avons déjà contractualisé avec les syndicats de communes ou les syndicats mixtes, notamment en Camargue, avec le syndicat qui est porté par la région, la ville d'Arles et le département des Bouches-du-Rhône. La contractualisation est évidente et le conseil d'administration a délibéré pour engager des discussions sur une éventuelle adhésion des communes. Nous avons eu des discussions, pendant l'été, avec la communauté urbaine de Lyon et la communauté d'Avignon.

Sous une forme ou une autre, je rejoins donc ce qu'ont dit nos collègues. Il est évident que, dans les faits, l'association est quotidienne et que toute stratégie doit être définie avec tous les partenaires. Ensuite, les modalités juridiques dépendent aussi des calendriers et des niveaux d'implication autour d'un fleuve, qui peut attiser tel ou tel appétit et susciter des implications dont il faut que nous nous accommodions.

M. Benoît CORTIER : Je voudrais revenir à la question de la pertinence des aires géographiques. Tout le monde s'accorde à dire que l'aire géographique des EPTB est pertinente, puisqu'elle s'inscrit à l'échelle de bassin versant. Il est vrai que, pour le bassin versant du Rhône, on retrouve aussi l'EPTB Saône-Doubs et l'EPTB de la Durance, qui sont des sous-bassins. La force des EPTB est d'avoir créé un réseau qui permet d'améliorer la concertation et le travail entre les diverses institutions.

L'aire géographique du bassin versant permet d'apporter des réponses pertinentes à l'action des services de l'État. C'est le cas notamment au niveau de l'annonce des crues. L'étude globale, que nous menons au niveau du bassin, permettra d'améliorer l'annonce des crues et d'avoir une meilleure connaissance du fonctionnement hydrologique du Rhône. C'est aussi le cas pour les recommandations qui seront faites sur la restauration du cours d'eau, car elles passent inévitablement par une meilleure connaissance du régime de l'ensemble des affluents et des conséquences des extractions et des ouvrages. Cela viendra enrichir la réflexion.

La Cour des Comptes avait mis le doigt sur la problématique des PPR et le fait qu'ils se heurtaient à une difficulté à cause du manque de concertation et de prescription. Les PPR cartographient le risque, mais aujourd'hui, nous n'avons pas une réflexion suffisante en termes de prescriptions et de recommandations. Ces dernières ne peuvent être faites qu'à une échelle globale. Les recommandations faites aux communes doivent prendre en compte le fonctionnement global de la vallée, et cela ne peut venir que des EPTB.

M. Régis THÉPOT : J'interviendrai non plus en tant que directeur de l'Établissement public de Loire, mais en tant qu'animateur de l'Association française des EPTB. Celle-ci regroupe 21 membres qui interviennent tous à une échelle interdépartementale, ce qui n'exclut pas que d'autres structures interviennent à une échelle infra-départementale.

Ces 21 membres ont des cultures différentes : hydraulique, environnementale ou de développement. Au travers des contacts que nous pouvons avoir entre nous, on sent une convergence. De plus en plus d'EPTB souhaitent s'investir sur l'ensemble des domaines. Ce que disait Guy Pustelnik en est l'illustration parfaite puisque ÉPIDOR, qui est cité en exemple pour sa gestion environnementale, souhaite s'occuper d'inondations. Je ne parlerai pas de ce que fait l'Établissement public Loire qui déborde de sa mission initiale de protection contre les crues.

Pour répondre à la question du Rapporteur, sur les 21 membres de l'Association, nous avons 15 institutions ou ententes interdépartementales et 6 syndicats mixtes. Compte tenu de la difficulté de mise en place de ces structures, il n'est peut-être pas opportun que le législateur impose un changement de statut. Ces structures ont choisi leurs statuts en fonction de ce qu'elles voulaient faire. Les trois champs d'interventions que j'évoquais correspondent à trois types de missions : on peut être maître d'ouvrage, financeur ou faciliteur-animateur.

La question posée a suscité de longs débats entre nous. Tout dépend en fait de ce que l'on veut faire. Si l'on veut faire de l'animation de bassin, le syndicat mixte est sans doute l'outil le plus performant, puisque l'animation suppose un travail de concertation considérable, car il faut arriver à convaincre tout le monde. Dès que cela est fait, les résultats seront sans doute bons en termes d'animation.

En termes d'action, Marc Foret nous a expliqué qu'il était en train de créer une institution pour pouvoir agir, parce que c'est plus difficile. Ce qui ne veut pas dire que les syndicats mixtes n'agissent pas. On voit donc bien qu'il y a ces deux grandes familles - famille de concertation et de réflexion et famille d'action. Tout dépendra de ce que le législateur souhaite privilégier.

Si l'on veut améliorer la prévention des inondations, il faut jouer sur les trois paramètres. Il est clair que le projet de loi sur l'eau privilégie certaines pistes. Nous avons suivi de très près le projet déposé par Mme Voynet et les arbitrages intervenus, notamment au niveau du ministère de l'Intérieur qui a rejeté toute idée de nouvelle structure. C'est ce que nous disons tous les jours. Il recommande de privilégier le niveau interdépartemental, tout en ouvrant la possibilité d'associer d'autres partenaires. Il faut garder à l'esprit que nous n'avons pratiquement aucun territoire et que, finalement, nous intervenons sur le territoire des autres. Nous intervenons sur le domaine public ou privé de l'État, parce qu'il y a un besoin social très fort. C'est un problème de fond. C'est pourquoi le Gouvernement souhaite privilégier le transfert du domaine public fluvial aux institutions interdépartementales.

M. Rémy FILALI : Les bassins versants, même s'ils n'ont pas d'existence juridique ou légale, sont géographiquement et hydrographiquement les territoires pertinents pour gérer les problèmes d'inondations ou d'étiages, sujets qui traversent les limites administratives habituelles.

M. le Rapporteur : J'avais bien compris que le bassin versant était le territoire pertinent. La question que je me posais était de savoir si les EPTB existants couvraient toujours le bassin versant dans sa totalité ? Je pense en particulier à celui de la Seine où l'on ne couvre pas l'aval et où l'on intervient sur l'amont, qui ne fait pas partie du territoire couvert par l'EPTB.

Il y a aussi des endroits où il n'existe pas d'EPTB. Faut-il attendre qu'ils se créent spontanément ou faut-il, par la voie législative ou réglementaire, les mettre en place ? J'ai bien compris que vous étiez relativement satisfaits des structures telles qu'elles existent. Mais là où cela n'existe pas, comment les mettre en _uvre ? Qui peut délimiter opportunément le périmètre des bassins qui seraient couverts par ces nouveaux organismes ? Est-ce le préfet coordonnateur de bassin ou les comités de bassins ? Peut-on vraiment se limiter au strict volontariat ? Quand on envisage un SAGE, faut-il concevoir que l'on mette systématiquement en place un EPTB ? Voilà le type de question qui nous permettrait d'avancer dans le domaine législatif.

M. Alain MIR : Notre aire géographique est la basse vallée de l'Aude, l'ancien delta des basses plaines. À l'époque où l'AIBPA a été conçue en 1945, cela paraissait adapté. Or, le phénomène récent a concerné l'ensemble du bassin versant de l'Aude. Aujourd'hui, la réflexion est donc engagée, par le département et le préfet de l'Aude, pour mettre en place une gestion pour l'ensemble du bassin versant.

Pourquoi uniquement les départements ? En 1945, devant les problèmes qui se posaient alors, c'était une solution trouvée par l'administration pour permettre aux collectivités de se substituer aux riverains afin d'assurer la protection contre les inondations. C'est toujours le cas aujourd'hui. Quand l'EPTB assure la maîtrise d'ouvrage de certains aménagements - il construit des digues autour des communes, il aménage des berges - il en devient propriétaire. Qui peut donc par la suite en assurer l'entretien, si ce n'est l'EPTB ? Cependant, cela fait que la responsabilité juridique est transférée du riverain ou de l'État vers l'EPTB, et donc indirectement vers les départements. Dans le contexte actuel de la multiplication des procédures contentieuses, cela mérite réflexion.

M. Gaston ESCUDÉ : Le SMEAG est constitué de 4 départements (la Gironde, le Lot-et-Garonne, le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne). Mais nous gérons un fleuve international qui prend sa source en Espagne. Les régions sont également associées, la région Catalogne - avec laquelle nous avons passé des conventions - la région Midi-Pyrénées et la région Aquitaine. En effet, si les régions n'ont pas de compétences en matière d'eau, elles en ont en matière d'aménagement du territoire. Et on ne peut concevoir l'aménagement du territoire en excluant la gestion des cours d'eau, d'autant que les aménagements se font essentiellement dans les vallées.

Même si nous avons connu une crue millénale en 1875 qui a causé plusieurs centaines de morts à Toulouse, nous devons surtout gérer l'étiage de la Garonne. Nous sommes actuellement en situation d'alerte et très près de la situation de crise qui amènera à des conflits d'usage et le préfet devra alors prendre les arrêtés nécessaires pour les restrictions d'eau. Nous devons gérer cet étiage et nous nous sommes rendu compte que nous ne représentons pas le val Garonne dans sa totalité. Le Lot est géré par un EPTB distinct et le Tarn, rivière dont le débit influe beaucoup sur celui de la Garonne, n'est pas couvert par un EPTB. Comment gérer l'étiage de la Garonne, si nous n'avons pas d'interlocuteur sur le Tarn ?

Le Rapporteur a raison de poser la question : doit-on créer les EPTB par voie législative ou réglementaire ? Nous avons bien eu des réunions concernant le Tarn, mais nous avons des difficultés et si nous attendons que les élus et les responsables locaux prennent l'initiative, je crois que nous pourrons attendre longtemps.

En même temps, cela constituerait une reconnaissance législative implicite des EPTB et de leur rôle dans le domaine de la maîtrise d'ouvrage. Cela permettra un certain rééquilibrage par rapport à la loi de 1964 et à l'édifice des agences de l'eau.

M. Guy PUSTELNIK : À l'évidence, l'une des caractéristiques des EPTB, soit aujourd'hui soit demain, est d'avoir une approche transversale. L'un de nos souhaits est de ne pas créer systématiquement quelque chose de nouveau, mais de nous intégrer dans les dispositifs actuels.

Actuellement, il y a un élément qu'il ne faut pas perdre de vue, même si stricto sensu les inondations n'y apparaissent pas : c'est la nouvelle directive européenne sur l'eau. Elle prévoit la mise en place de districts, qui sont des bassins ou des groupements de sous-bassins, dotés de projets politiques qui devront être accompagnés d'évaluations financières et, également de l'état de bonne santé environnementale prévu dans les annexes.

Nous nous situons dans cette logique. Doit-on l'imposer ? L'application de la directive nous y amène tout naturellement. Elle provoquera des réflexions en matière de gestion qualitative, de bon état de l'environnement. Je ne crois pas que l'on puisse séparer la gestion quantitative de l'eau de sa gestion qualitative, voire des milieux et des espèces, - comme les poissons migrateurs -, ou encore de la gestion des espaces fluviaux, des espaces rivulaires ou des paysages fluviaux.

C'est cette approche transversale que les EPTB peuvent porter facilement, d'autant plus qu'ils n'ont d'autre mandat que celui que leur confient les départements à travers leur financement. Cette approche transversale et cette référence au district nous amènent tranquillement vers une reconnaissance géographique. De fait, la réflexion va se faire. Il suffit de suivre le mouvement, d'intégrer la gestion des inondations, des sécheresses au même titre que la gestion qualitative. Et tout naturellement, on arrivera à l'échelle du bassin versant.

M. Xavier de ROUX : La directive est le fil conducteur de ce qui peut être fait pour remplir le vide dont parlait M. le Rapporteur. La loi sur l'eau n'est pas encore votée, mais elle est une loi de transposition de la directive. Or, cette directive contient des dispositions qui relèvent du choix des États, notamment concernant le district hydrographique. Cela relève du choix du législateur. Va-t-on aller vers les districts qui seront les bassins de la loi de 1964 et des agences, en leur donnant un rôle qu'elles n'ont pas et qu'elles ne souhaitent pas avoir, ou va-t-on retenir des districts de référence qui seraient les bassins hydrographiques pertinents dont nous parlons ? Il y a là un choix, qui n'appartient qu'au législateur, entre les agences, choix vers lequel l'État le conduit, ou entre l'approche plus géographique de nos bassins.

M. Pascal TERRASSE : Je relève une certaine convergence dans les interventions entendues ce matin. C'est un élément important sur lequel il faut insister : les EPTB peuvent aujourd'hui parler pratiquement d'une seule voix. Comme le faisait remarquer M. Thépot, toutes les dimensions du problème des inondations sont aujourd'hui portées par la plupart de ces établissements.

S'agissant des problèmes de crues, un certain nombre de rapports, souvent rédigés par des parlementaires, - je pense en particulier à MM. Mariani, Dauge ou Galley - ont souligné que les outils d'intervention existent. En ce qui concerne le financement, des outils existent également, je pense en particulier au Fonds national de solidarité pour l'eau (FNSE).

Pour autant, je fais partie des présidents qui considèrent que les EPTB ne sont pas reconnus à leur juste valeur. En effet, et cela a été dit, nous avons essentiellement un caractère interdépartemental et l'on sait que les compétences des départements en matière d'eau ne sont pas toujours solidement avisés. Les communes sont largement en dehors. Les régions ne correspondent pas forcément au bassin versant. Si la loi sur l'eau, qui sera examinée prochainement au Parlement, se doit de réaffirmer le rôle des EPTB, elle devra également poser le principe de la participation des autres collectivités territoriales, au-delà de l'implication des seuls départements.

Je fais partie des élus qui pensent que les pouvoirs publics doivent aussi contribuer de manière pérenne au financement des EPTB. Quelle doit être la participation des pouvoirs publics à ce financement ? Nous avions la possibilité de nous appuyer, il y a quelques années, sur le Fonds d'investissement pour les transports terrestres et les voies navigables (FITTVN) mais, malheureusement, il disparaît petit à petit, réduit à une peau de chagrin par les lois de finance successives.

Sur les contrats d'assurance, chaque assuré participe déjà, à hauteur de 12 ou 13 %, pour les catastrophes naturelles. Pourquoi ne pas imaginer qu'un prélèvement supplémentaire participe au financement des EPTB ? De cette manière, ils seraient responsabilisés et joueraient un rôle moteur en matière de prévention des crues. Ils pourraient être aussi, à terme, la structure qui aménage. Je ne crois pas aux petits syndicats intercommunaux. Bien sûr, on s'appuie sur eux aujourd'hui, mais ils ne permettent pas de conserver cette approche pertinente à l'échelle du bassin versant.

Il est aussi important de faire travailler les gens ensemble. Quand je participe à des réunions, le discours est très différent selon que l'on s'adresse au ministère de l'Environnement, au ministère de l'Intérieur ou au ministère de l'Équipement. Chacun a sa doctrine et cela devient de plus en plus difficile à vivre. Comment faire en sorte que les gens puissent travailler ensemble ? Les EPTB peuvent, à mon sens, jouer un rôle essentiel en ce domaine, car ils ont la légitimité requise représentant des élus qui mettent en place volontairement des politiques communes.

Je reviens à ce qui s'est récemment passé dans les Bouches-du-Rhône après les inondations de 1994. Un propriétaire s'est retourné contre l'État car il a estimé avoir perdu 22 millions de francs en chiffre d'affaires. Il porte plainte contre l'État parce que celui-ci ne l'a pas averti suffisamment tôt et n'a pas pris les dispositions nécessaires. Que fait l'État ? Il se retourne contre la commune - cela date d'il y a trois mois seulement - et demande à la mairie d'Arles de verser une provision de cinq millions de francs. Si cela se généralisait, on voit bien les difficultés que nous rencontrerions.

La question se pose alors et elle est essentielle : qui est responsable et quels sont les moyens donnés à celles et ceux qui seront désignés responsables ?

M. le Rapporteur : Aux murmures qui ont suivi la déclaration de notre collègue Terrasse sur la nécessité d'un interlocuteur unique au niveau de l'État, j'ai cru comprendre que vous étiez tous d'accord.

Mais il y a aussi des propriétaires privés. C'est un des problèmes concrets auxquels j'imagine que vous vous heurtez. J'ai été moi-même inondé et j'essaie de trouver une solution pour résoudre les problèmes. Je me heurte personnellement aux propriétaires privés. Il est difficile d'aller vérifier chez eux si la rivière est convenablement entretenue ou non. Quelles sont les procédures qui permettraient aux EPTB de se substituer aux propriétaires privés pour l'entretien ? Avez-vous des idées ? Quelles conditions pourrait-on y mettre ?

M. Alain MIR : Je pense que vous ne recevrez pas de solution. Nous sommes confrontés à ce problème tous les jours. La seule solution que nous ayons pu obtenir est la mise en place d'une servitude de passage le long de certains ruisseaux. Quand il s'agit de travaux importants, nous avons la solution de déclaration d'utilité publique ou la déclaration d'intérêt général. Pour l'entretien classique, aucun service de l'État ni personne n'est capable de nous dire quels sont les moyens à notre disposition pour intervenir dans le domaine privé. Il y a donc un vrai problème.

M. le Président : Je ne dirai pas que je suis déçu par cette réponse, parce que je m'y attendais. Il y a là actuellement un vrai problème.

M. Daniel BERTHERY : La question d'éventuelles servitudes pour l'entretien des rivières nous préoccupent peu. Apparemment, nous pouvons, chez nous, les entretenir sans mesure législative nouvelle. En revanche, maintenant que nous en venons à la création de bassins de rétention des crues, qui visent à sur-inonder certaines parcelles, en général des terrains agricoles, il est clair que nous aurons besoin de servitudes de rétention des crues. Or, le cadre législatif actuel ne le permet pas. Fort heureusement, des dispositions de cette nature sont prévues dans le projet de loi sur l'eau, dans son article 28. Nous en attendons beaucoup car nous sommes impatients de pouvoir mener de telles actions. Nous nous rendons bien compte que nos projets peuvent capoter par le fait d'un seul propriétaire récalcitrant, ou qui ferait monter les enchères d'indemnisation à des niveaux impossibles, remettant ainsi en cause la capacité de l'Entente à réaliser ces aménagements.

Le temps presse. En attendant, nous sommes obligés d'instaurer des servitudes conventionnelles, avec des indemnisations qu'il faut négocier et qui coûteront plus cher que s'il y avait cette possibilité de servitude.

Pour répondre sur la question des assurances et de la responsabilité, c'est un domaine qui nous préoccupe beaucoup. En raison de ces projets de sur-stockage, l'Entente aura des responsabilités nouvelles à assumer en tant que maître d'ouvrage, pour ce genre de travaux peu habituels et pour lesquels les dispositifs d'assurance ne sont pas très bien rôdés.

Nous avons mené une réflexion avec des courtiers en assurance pour examiner cette question. Le problème se situe surtout au niveau de la responsabilité civile du maître d'ouvrage pour des aménagements qui peuvent, en cas de défaillance ou de circonstances exceptionnelles, nuire à des ouvrages publics tels que routes, ponts etc. Cette enquête montre que les assureurs sont extrêmement réticents à s'engager dans la couverture des risques liés aux inondations au-delà de leurs obligations légales. C'est-à-dire que nous sommes dans une situation dans laquelle l'Entente, maître d'ouvrage, ne trouvera pas d'assureur pour couvrir sa responsabilité civile lorsqu'elle réalise de tels aménagements. Les assureurs redoutent surtout les transferts de couverture de l'Entente vers celle de l'État ou des départements. Ce n'est que si nous réduisons le champ des garanties à couvrir et la responsabilité civile de l'Entente, que nous pourrons trouver des assureurs. L'une des propositions serait de négocier, entre partenaires publics, des abandons de recours en responsabilité civile vis-à-vis de l'Entente maître d'ouvrage. Cela signifie que l'État abandonnerait les recours contre l'Entente pour les ouvrages réalisés par elle si ceux-ci avaient causé des dégâts à une route nationale par exemple. Il faudrait aussi que les départements fassent de même en ce qui concerne les dégâts éventuels causés aux ouvrages qui lui appartiennent. Si de tels abandons de recours pouvaient être négociés, on pourrait alors trouver des assureurs qui accepteraient de couvrir la responsabilité civile de l'Entente vis-à-vis des tiers.

M. Guy PUSTELNIK : Je voudrais ajouter deux éléments.

La question qui vient d'être évoquée est importante. Il est clair que la prise de responsabilité, soit d'équipes d'entretien, soit d'un syndicat qui intervient sur le domaine public fluvial, pourrait être engagée dès lors que d'autres usages s'en trouveraient gênés. Ce serait le cas, par exemple d'enrochements ou de dispositifs de franchissement qui pourraient avoir des conséquences graves sur la navigation ou la pratique du canoë-kayak, fréquente en Dordogne. Autre exemple : on coupe une série d'arbres pour désembâcler le cours d'eau et quelqu'un se noie sous une souche. La recherche en responsabilité pourrait toucher l'Entente ou le maire. Il existe des divergences d'appréciation fortes entre les préfets quant aux responsabilités des uns et des autres. Nous sommes confrontés à cette hésitation dans le département du Lot dans la vallée de la Dordogne sur des prises de responsabilité en rapport avec l'entretien du domaine public fluvial.

Je voudrais aborder la question du domaine privé. Les textes existent sur les droits et devoirs du riverain. L'obligation d'entretien et de désembâclage existe, mais elle n'a jamais été mise en _uvre. Cela nous ramène à un problème de police de l'eau qui est peu ou pas mis en _uvre. Il n'y a aucune exigence vis-à-vis des riverains en ce qui concerne l'entretien des rivières. Au contraire, la situation a été encore aggravée par un texte de 1998 qui stipule que lorsqu'il y a substitution d'une collectivité au propriétaire pour l'entretien, cela entraîne immanquablement, pour le riverain, une cession de son droit de pêche. Je peux vous assurer que, localement, cela nous gêne beaucoup puisque les autorisations de passage, les négociations qui se faisaient plus ou moins à l'amiable dans un passé récent, sont maintenant bloquées, puisque le riverain doit, à terme, rétrocéder son droit de pêche. Il préfère ne pas faire d'entretien et ne pas entrer dans cette procédure collective.

Autant de détails qui contribuent à complexifier le dispositif : manque d'application des textes existants et adjonction de textes au bénéfice notamment d'autres usagers - des pêcheurs notamment - aboutissent à une impossibilité d'avancer en matière d'entretien des rives. De plus, lorsqu'il s'agit de pérenniser les équipes constituées dans le cadre des emplois verts ou par exemple, plus personne ne veut payer et on ne parvient pas à pérenniser ces emplois.

Des syndicats, qui autrefois s'intéressaient à cette procédure tant qu'ils bénéficiaient de l'aide de l'État, sont aujourd'hui à genoux. Dès lors, ils se tournent vers les collectivités, qui leur répondent qu'elles les ont beaucoup aidés au départ. Or, c'est le suivi qui est important. L'agence de l'eau se désengage avec des alibis variables. Je pense notamment au FNSE qui a amené à des désengagements massifs des agences de l'eau sur le financement de l'entretien des rivières. Ces syndicats sont aujourd'hui complètement désargentés. On assiste donc à un recul en matière d'entretien et vers un accroissement de l'embâcle, entraînant tout naturellement un accroissement des problèmes d'inondation.

M. Xavier de ROUX : L'entretien des rivières et des cours d'eau privés est un problème ancien qui est réglé par le code civil ; encore faut-il l'appliquer. En Charente Maritime, nous avons beaucoup de zones de marais, où l'entretien des cours d'eau est absolument indispensable, sinon c'est le territoire qui disparaît. Il a donc été créé au milieu du XIXe siècle, vers 1850 je crois, les « syndicats forcés » qui existent toujours : chaque propriétaire doit participer à l'entretien du cours d'eau ou verser au syndicat formé de l'ensemble des propriétaires - puisque c'est lui qui entretient le cours d'eau dans les faits - une cotisation calculée en fonction de la surface de sa parcelle. En fait, c'était le préfet du département qui contraignait les propriétaires à entrer dans ce type de syndicat. Nous avons encore toujours ce type de survivance d'un droit un peu passé, sur lequel nous pourrions réfléchir et dont on pourrait s'inspirer pour l'entretien du domaine privé.

M. le Président : Nous avons parlé des assurances. J'ai participé à la mission de Jacques Fleury concernant les services départementaux d'incendie et de secours, où avait été envisagée la participation financière des sociétés d'assurance pour les financer. Le rapport de M. Galley évoque également le financement des agences par les assurances. Nous venons d'en parler également. Je pense que les oreilles des assurances tintinnabulent puisque, sur de nombreux sujets, on souhaite les mettre à contribution.

M. Robert GALLEY : Ma réflexion résultait d'un constat : la cotisation d'assurances est identique pour les maisons construites dans une zone inondable et celles construites sur la colline. Or, il est évident qu'en cas d'inondation, ce sont seulement les premières qui subiront les dommages. Jusqu'ici, les assurances se sont refusées à prendre en compte cet élément. Or, la situation actuelle m'apparaît dissuasive quant à la possibilité d'inciter les gens à faire des aménagements dans les zones inondables ou à les quitter. C'est pourquoi j'ai fait cette proposition avec un bonheur divers, le ministère des Finances y voyant une complexité complémentaire apportée au régime des catastrophes naturelles.

Pour rebondir sur ce qu'a dit M. Berthery, je pense que les grands barrages-réservoirs, érigés dans l'Aube et dans la Marne, sont en réalité des champs d'expansion des crues. Par conséquent, je crois profondément que stoker à l'amont dans les zones d'expansion des crues est l'une des clefs essentielles de la lutte contre les inondations. Dans ce sens, je ne partage pas tout à fait la réflexion de M. Berthery. Je crois qu'il faudrait indemniser les gens qui accepteront que leurs prés deviennent une zone d'expansion des crues. Durant le temps de l'inondation, ils subissent incontestablement une perte de jouissance. Par conséquent, cette servitude, que vous évoquez, doit être indemnisée sous une forme ou sous une autre. Dès lors qu'elle sera indemnisée, la population, rurale en particulier, verra un certain intérêt à ce que ses champs soient inondés pendant les mois de février ou mars pour éviter les crues.

M. Daniel BERTHERY : Nous sommes tout à fait d'accord. Quand je parlais de servitudes d'utilité publique, ou conventionnelles, il est clair pour l'Entente qu'elles devront être indemnisées et que le préjudice agricole notamment devra être justement compensé.

Ma réflexion était d'un autre ordre. L'indemnisation pourrait ne pas être suffisante pour convaincre un agriculteur d'accepter le risque de voir son champ sur-inondé tous les dix ans. L'argument financier, même d'une bonne indemnisation, risque de ne pas être suffisant pour obtenir le ralliement de l'ensemble des propriétaires et agriculteurs concernés par ces aires de sur-stockage. C'est là que la servitude d'utilité publique peut jouer son rôle en permettant de débloquer des difficultés ponctuelles.

Mais c'est tout à fait dans notre esprit : d'une part, travailler surtout à l'amont des bassins pour sur-stocker - je parle de sur-stockage temporaire - et, bien sûr, indemniser à la fois l'agriculteur, qui subit des préjudices variables selon la période de l'année où l'inondation arrive, et le propriétaire qui aura à supporter la dépréciation de son fonds grevé d'une servitude.

M. Robert GALLEY : En ce qui concerne les barrages-réservoirs de la Seine, je voudrais préciser que la capacité est de 830 millions de mètres cubes que si les barrages sont vides. Or, l'une des missions de l'Institution est de remplir les bassins, car la peur de l'étiage, en août ou septembre sur Paris, est viscérale. On voit bien qu'en cas de crue au mois de mai, les barrages sont déjà à moitié pleins.

Comment voyez-vous vous-mêmes ce conflit d'objectifs ? D'autre part, qu'est-ce qui s'oppose à ce que l'on aille plus vite sur la Bassée et qu'est-ce qui empêche, un jour, de faire le barrage des côtes de Champagne ?

M. Pascal POPELIN : J'essaierai de répondre sur la Bassée et sur les lacs de Champagne et laisserai M. Rizzoli le soin de répondre sur l'éventuel conflit qui existerait entre la politique de soutien d'étiage et la lutte contre les crues.

Sur le projet de la Bassée, je crois que l'on est bien parti. On est dans le cadre d'une étude, qui va durer trois ans et demi, et qui prend en compte, d'une part, la nécessité d'évaluer toutes les contraintes techniques et les réponses les plus opportunes qui peuvent y être apportées et, d'autre part, la nécessaire concertation avec les partenaires sur le terrain.

Il va de soi que plus le temps avance, moins on impose des aménagements à des riverains ou à des collectivités locales. Nous avons donc souhaité, sur ce projet peut-être plus que sur d'autres - même si je pense que nos partenariats entre l'Institution, les collectivités locales et les populations, là où nous avons déjà implanté nos ouvrages avaient été forts - faire en sorte que ce projet soit gagnant et porté par tous. Cela suppose, au-delà d'aspects techniques relativement complexes, d'avoir le temps de la concertation et du travail en commun.

Quant au lac des côtes de Champagne, on se heurte à l'impossibilité financière de tout mener de front. Il a semblé que, en termes de faisabilité et d'urgence, le fait de pouvoir limiter un pic de crue de Seine pour laisser passer un pic de crue de l'Yonne devait être privilégié. Si l'on pouvait mener de front le projet du lac des côtes de Champagne, on le ferait. Ce projet existe, il est même bien avancé au plan technique. Mais, le nerf de la guerre manque !

Pour ce qui concerne le soutien d'étiage, je rappelle que l'action des lacs soutient les deux tiers de l'étiage de la Seine, aux périodes où son lit est le plus bas. Compte tenu du fait que 95 % de l'approvisionnement en eaux de la région parisienne vient du fleuve, ce n'est pas neutre.

M. Jean-Louis RIZZOLI : C'est vrai qu'il peut exister une contradiction, puisque, pour les crues, il faudrait que les ouvrages soient le plus vides possible, et que pour le soutien d'étiage, il faudrait qu'ils soient au maximum de leur capacité de remplissage. En fait, on s'aperçoit que nos ouvrages sont gérés par des règlements d'eau qui ont pris en compte l'historique de l'hydrologie depuis plus de cent ans.

Statistiquement, les grandes crues du bassin ont lieu en janvier, février et mars et puis vont en diminuant au fil de l'année. À ces périodes, les réservoirs ne sont qu'en cours de remplissage et il existe donc le volume nécessaire à l'écrêtement de crues de moins en moins fortes. Si les conditions hydrologiques se modifient en raison de changement climatique par exemple, de l'effet de serre, etc., il faudra peut-être revoir les règlements d'eau. En tout cas, actuellement, et depuis que les ouvrages sont en exploitation, on arrive à mener de front ces deux missions.

M. Pascal POPELIN : Au-delà du soutien d'étiage et de la nécessité de nous conformer aux règlements d'eau, nous sommes confrontés aussi à des contraintes environnementales. Quand ont fait les vidanges décennales de nos ouvrages, nous devons tenir compte de ce que l'on restitue dans les fleuves afin de ne pas modifier l'ensemble de l'écosystème. De même, ces ouvrages ont acquis, dans les régions où ils sont implantés, une importance en termes de développement économique et touristique qui ne nous permettraient pas non plus de pratiquer la politique du tout vide à un certain moment pour mieux remplir quand il y a crue.

M. Robert GALLEY : Ce n'est pas le lieu de critiquer ou d'approuver le projet de loi sur l'eau, mais j'ai beaucoup apprécié la réflexion selon laquelle il ne faudrait pas que, au nom de la taxation de la modification du régime des eaux, on finisse par taxer les ouvrages qui, eux-mêmes, ont pour but de diminuer les risques. Je crois qu'il s'agit d'une réflexion de bon sens qu'il faut soutenir avec beaucoup de force.

M. le Rapporteur : Hormis la mise à contribution des sociétés d'assurance, dont j'ai mesuré la difficulté lors de la mission sur les SDIS, nos interlocuteurs ont-ils d'autres propositions sur les moyens de financer les EPTB ?

M. Éric GUILLAUMIN : Faute de solution, je rappellerai que nous avons été un certain nombre, au sein de notre établissement à avoir évoqué ces questions avec des conseillers du Premier ministre. Il y a environ deux ans, nous discutions sur la façon dont on pouvait transposer ce qui a été fait sur la Loire, notamment le financement tripartite d'une équipe pluridisciplinaire. Il nous a été clairement dit à l'époque - et vous l'avez vécu sur la Loire - que l'État avait une grande difficulté à accompagner des co-financements au-delà d'une période de trois ans. La solution des assurances n'est peut-être pas la bonne et il faut trouver d'autres pistes, mais en attendant, on voit bien que, passée une phase de lancement, l'État persiste à nous dire qu'il ne sait pas comment accompagner ces politiques sur la durée.

M. Michel AUZIÉ : Nous avons constitué une coordination des EPTB en Adour-Garonne et nous avons été amenés à informer l'agence de l'eau que nos organismes ont atteint la limite de leur capacité financière. C'est-à-dire que nous ne pouvons plus demander beaucoup plus à nos collectivités, qui n'ont pas de compétences directes dans le domaine de l'eau. Nous avons donc informé l'agence que certains de nos organismes allaient être dans l'obligation de limiter leurs activités, alors qu'ils réalisent, dans bien des cas, des missions de service public pour le compte et en lieu et place de l'État. Cela a fait réagir l'agence qui commence à discuter avec nos EPTB, d'une part en termes de politique interrégionale et, d'autre part, de moyens à mettre en place.

Pour essayer de répondre à la question du Rapporteur, les moyens financiers existent, tant au sein des agences de l'eau qu'au sein de l'État, qui a d'ailleurs ponctionné les agences. Il suffit donc d'une volonté politique. Elle a bien existé pour inscrire, dans la loi de finance, des crédits pour les conservatoires et les parcs naturels. Pourquoi les EPTB ne profiteraient-ils pas d'une ligne spécifique puisqu'ils remplissent sur des missions de service public ?

Il faut attirer l'attention de la commission sur le fait que, compte tenu des charges assurées par nos collectivités dans des domaines qui ne sont pas toujours de leurs compétences, notre action va atteindre ses limites, s'il n'y a pas, d'une part cette reconnaissance des EPTB qui en ferait le troisième pilier de la loi de 1964 et, d'autre part, un soutien en termes de moyens techniques et financiers.

M. Régis THÉPOT : Pour répondre à la question sur l'animation des politiques de prévention et des autres missions que l'on pourrait remplir, je reviendrai toujours à la distinction entre les missions d'animation, les missions d'étude et les missions de travaux. On voit bien que nous sommes face à des échelles financières totalement différentes. Si l'on doit réaliser des grands ouvrages de protection, ce sont des centaines de millions de francs qu'il faut mobiliser. En revanche, sur les missions d'animation, arriver à reproduire le modèle de l'Équipe Loire sur l'ensemble du territoire national n'est pas vraiment hors d'échelle par rapport à la richesse de la collectivité nationale, puisque ce seront quelques dizaines de millions de francs que l'on devrait pouvoir mobiliser assez rapidement avec des partenariats du type de ce que l'on a pu mettre en place sur la Loire, entre l'État, l'agence de l'eau et les collectivités territoriales.

Deuxième commentaire : en matière de projets importants, il y a toujours deux notions à concilier : un critère technique et un critère de solidarité. Il est difficile de définir ex abrupto une règle de répartition des financements, qui doit varier selon l'intérêt de l'ouvrage. Par exemple, l'effet des ouvrages écrêteurs diminue au fil des kilomètres. Il y a donc un dosage technico-politique à faire, qui doit résulter d'une concertation relativement longue. Mais cela finit par aboutir.

M. Guy PUSTELNIK : Toujours sur le thème du financement et pour compléter ce que disait Michel Auzié, il existe en Adour-Garonne une politique spécifique négociée entre l'agence de l'eau Adour-Garonne et chaque EPTB, que l'on appelle la politique territoriale. Il s'agit d'un fonds financier géré par l'agence, mais dans le cadre d'une collaboration étroite entre l'EPTB à travers une commission consultative territoriale. Cette politique reconnaît bien l'échelle du bassin versant comme territoire de projet. L'agence a négocié avec chaque EPTB les lignes budgétaires sur lesquelles elle pourrait l'accompagner financièrement ou accompagner les porteurs de projets extérieurs qui respecteraient les orientations définies préalablement entre l'EPTB et l'agence. Cette collaboration constitue peut-être une voie à explorer.

Le second aspect des choses concerne l'évolution de la décentralisation. Nous avons de plus en plus de difficultés à convaincre nos départements d'investir dans un domaine de compétence où, chaque jour un peu plus, l'État montre qu'il se désengage. Je crois que l'éventualité d'un transfert aux départements de la gestion des fleuves et des rivières aux départements constituerait une étape importante.

Dans le cadre de la mise en application des SDAGE, on le voit chaque jour un peu plus, du moins dans notre secteur en Adour-Garonne, l'agence de l'eau nous considère comme étant le maître d'ouvrage privilégié des projets importants à l'échelle du bassin versant. Si nous n'étions pas là, il est clair que le SDAGE ne trouverait aucune possibilité de mise en application.

Pour donner un exemple précis : le SDAGE Adour-Garonne précise qu'il faut engager une négociation avec EDF pour limiter l'effet négatif des éclusées. Qui peut porter cela, si ce n'est un EPTB qui essaiera de prendre en considération les effets de cette négociation sur l'ensemble du cours du fleuve, de la source jusqu'à l'embouchure ? L'agence, l'État sont très contents de nous trouver et EDF est ravie d'avoir un interlocuteur unique.

Le problème est que le coût de cette négociation et, à terme, le coût de la mise en _uvre de ses résultats, risque, si l'on n'y prend garde, de retomber aussi sur nos collectivités membres. Nous avons des exemples où l'État s'est progressivement désengagé, alors même qu'il nous avait incités à partir.

M. le Président : Que l'État soit content de nous trouver, je pense qu'on le constate de plus en plus. Le challenge est qu'il soit également content de nous financer !

COMPTE-RENDU DU DÉPLACEMENT
D'UNE DÉLÉGATION DE LA COMMISSION
DANS LA SOMME

(11 et 12 juin 2001)

Rencontre avec M. Jean Guillaume, sous-préfet d'Abbeville
(11 juin 2001)

M. Jean Guillaume a indiqué que les services de l'État s'attendaient, avec toutes les pluies d'automne et d'hiver, à une crue classique. À cette fin, les maires ont été réunis le 12 février sur l'initiative du préfet pour examiner la situation dans leurs communes. Lors de cette réunion, l'idée de la création d'un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) a été évoquée, ainsi que le problème de la multitude de syndicats intervenant dans l'arrondissement.

Puis, subitement, à la fin mars, les services de l'État ont été confrontés à une crue importante de longue durée. C'est pourquoi des renforts ont été nécessaires pour faire face à la fois aux dégâts occasionnés par la crue et à la gestion de la crise L'armée a été réquisitionnée et a posé 700 000 sacs de sables. Les soldats ont assuré l'aide à la population, ainsi que la sécurisation, de façon à calmer les craintes des sinistrés. À Abbeville, des patrouilles mixtes ont été constituées. En campagne, ce sont des escadrons de gendarmerie qui sont intervenus.

S'agissant de l'avenir, il a rappelé que des plans de prévention des risques (PPR) ont été prescrits. Déjà, à la suite des inondations de 1994, un atlas des zones inondables avait été établi et certaines communes, telle que Mareuil-Caubert par exemple, avaient adapté leurs plans d'occupation des sols. D'une manière générale, l'urbanisation ne s'est pas faite de manière anarchique, même si on peut noter une certaine attirance pour la proximité de la rivière. De même, peu de zones industrielles sont situées en zone inondable.

En ce qui concerne l`expérience qui peut être retirée de cette crise, il a insisté sur la nécessité de pouvoir envoyer une équipe de renfort capable d'épauler une équipe préfectorale fortement sollicitée dans les premiers jours.

Rencontre avec le maire d'Abbeville et plusieurs associations de sinistrés
(11 juin 2001).

M. Joël Hart, maire d'Abbeville, a estimé que la « rumeur » restait tenace. Il s'est dit convaincu que l'explication par les pluies diluviennes et par la montée des nappes phréatiques n'expliquait que 80 % de la crise et a insisté sur la nécessité d'explorer la possibilité d'erreurs humaines et de délestages effectués à des moments non opportuns. Il a plaidé pour la mise en place d'une structure de concertation au niveau du bassin, permettant de réaliser des études hydrauliques et d'entretenir la mémoire de l'inondation. Il a également jugé nécessaire que les élus puissent recevoir une formation pour faire face aux situations de crise.

Il a fait observer qu'il avait pu constater, lors de la crise, beaucoup de phénomènes étonnants et inattendus. Jointes au manque d'informations précises, ces constatations expliquent la réaction vive de la population lors de la venue du Premier ministre. Par ailleurs, la ville n'a du compter que sur ses seuls services et pompiers pendant les quinze premiers jours de la crise.

M. Alain Ruszniewski, directeur général des services de la ville d'Abbeville et président de l'association « Abbeville, solidarité inondations », a indiqué que l'atlas des zones inondables établi en 1994 ne pouvait laisser prévoir le nombre des habitations touchées par les inondations, beaucoup de celles-ci ne figurant pas dans les zones inondables décrites par l'atlas. Il a précisé que, depuis six ans, la ville a mis en place une équipe chargée de l'entretien des berges et des cours d'eau traversant la ville. Cet effort a permis de limiter les débordements intra muros, l'inondation provenant de l'eau venant de l'amont.

M. Jean-Philippe Damien, président de l'association des victimes d'inondation d'Abbeville, a précisé que son association fédérait plusieurs centaines de sinistrés et que lui-même n'avait pu regagner son habitation depuis trois mois. Il a également fait part de son impression d'isolement et de solitude lors des premiers jours de la crise. Saluant l'action des services municipaux, il a souhaité qu'une cellule opérationnelle soit mise en place en cas de crise de cette nature, afin que la population ait un interlocuteur compétent à sa disposition. Il a déclaré avoir été frappé par l'élan de solidarité nationale. Cependant, les sinistrés n'ont qu'un souci en tête, celui de reconstruire. L'association a été créée pour les assister dans leurs démarches vis-à-vis des assureurs. Si cela ne se passe pas trop mal avec ces derniers, il a dénoncé l'arrivée massive d'experts proposant, à grands frais, leurs services aux sinistrés

M. Joël Hart a abondé dans le même sens. C'est pourquoi, il a créé une association de sinistrés, subventionnée par le conseil régional, pour notamment mettre à disposition des sinistrés un expert-conseil. Ceci constitue un autre exemple de la nécessité qu'a eu la ville d'improviser des solutions dans les premiers jours de la crise.

M. Frédéric Taghon, président de l'Association d'aide aux victimes des inondations, a indiqué que son association rassemblait surtout des sinistrés de Mareuil-Caubert et de Cambron. Il a indiqué que, à sa grande surprise, les douze premiers bungalows avaient été très rapidement installés. Depuis lors, les autres arrivent avec une extrême lenteur malgré le nombre de familles à reloger.

M. Joël Hart a confirmé le retard pris dans l'installation des bungalows et a indiqué en ignorer la raison, d'autant plus que le fabricant, l'entreprise Bénéteau en Vendée, disposait de stocks importants. De même, il a indiqué qu'il avait rencontré des difficultés pour obtenir des pompes puissantes, alors qu'il avait obtenu les recommandations d'experts néerlandais.

M. Alain Longatte, responsable du service industrie de la chambre de commerce et d'industrie d'Abbeville, a précisé que la chambre avait créé une association pour collecter les dons provenant des autres chambres de commerce et du MEDEF. Elle a recensé près de 200 entreprises sinistrées, dont 120 à Abbeville. Un comité d'attribution des aides définira les critères d'attribution, après avoir eu connaissance des indemnités versées par les assurances. La principale difficulté réside dans fait que près de la moitié des entreprises sinistrées n'avaient pas été effectivement inondées et ne seront donc pas indemnisées au titre du régime catastrophes naturelles. De plus, un grand nombre d'entreprises ne sont couvertes pour les pertes d'exploitation. Certes, la chambre de métiers a mis en place un fonds d'indemnisation qui a attribué 5 000 francs (762,2 euros). De même, des mécanismes particuliers sont en cours de négociation au niveau de la région pour étendre au besoin en fonds de roulement le dispositif d'avance existant aujourd'hui pour l'investissement.

Par ailleurs, il a évoqué le cas de la COMAP, principal employeur d'Abbeville, qui a été inondée et menace de quitter la ville. La difficulté tient aux règles communautaires qui limitent les aides à l'immobilier à 17 % de l'investissement pour les entreprises appartenant à des groupes employant plus de 250 salariés. Le préfet de la Somme a adressé un courrier à la Commission européenne pour obtenir une dérogation permettant d'aller jusqu'à un taux de 40 % au moins.

S'agissant de la reconstruction, M. Joël Hart a reconnu qu'il se heurterait à la volonté de certains habitants, notamment les plus âgés, de rester vivre au même endroit ou dans le même quartier. MM. Jean-Philippe Damien et Frédéric Taghon ont également regretté que les assureurs ne semblent pas s'orienter vers la fourniture de conseils pour la reconstruction, afin de réduire la vulnérabilité à l'avenir, d'autant plus que la crainte de nouvelles inondations à l'automne est vive. De même, M. Frédéric Taghon a exprimé son inquiétude devant la possibilité pour les assureurs de demander des primes d'assurance plus élevées à l'avenir.

Rencontres avec les élus locaux
(11 juin 2001)

_ à la mairie de Mareuil-Caubert

M. Guy Dovergne, maire de Mareuil-Caubert, précise qu'il n'a cessé au cours des dernières années d'attirer l'attention sur le risque d'inondation et le risque que constituaient les nappes phréatiques. C'est pourquoi les rumeurs le font bondir. Il précise qu'il a néanmoins été surpris par la rapidité avec laquelle les eaux sont montées et qui a conduit à un véritable désastre dans sa commune (172 maisons, l'école maternelle, la salle polyvalente, le camping et le stade inondés). Il dénonce l'absence d'entretien de la rivière et l'état d'abandon dans lequel a été laissée la rive droite. Il estime que les berges ont été fragilisées par les travaux de mise en place des câbles en fibre optique et par la présence de nombreux rats musqués. La présence de buses dans le marais a également aggravé les choses. Il importe, à l'avenir, de creuser un deuxième canal de dérivation et de transformer les molières en zones d'expansion des crues. En tout état de cause, l'inondation n'aurait pu être empêchée étant données les masses d'eau en jeu, cependant elle aurait pu être freinée.

La crise a montré l'importance de la question de la gestion des dons. Il faudrait que dès le début de la crise, la préfecture, le conseil général et le conseil régional mettent en place une commission départementale pour cette gestion. Cela permettrait d'éviter que certains, comme à Abbeville, gèrent égoïstement les dons. Le problème de la reconstruction est également crucial. La situation de la commune est telle, qu'elle ne peut plus s'étendre ; dès lors, la délocalisation des équipements publics est impossible. Il devrait être possible de reconstruire dans les zones inondables à condition de prendre certaines précautions, notamment en prévoyant un vide sanitaire d'une hauteur suffisante au pied des bâtiments. En ce qui concerne l'entretien des rivières, aujourd'hui les propriétaires privées ne s'en préoccupent pas et la commune est démunie pour les obliger à remplir leurs obligations. Une loi devrait intervenir pour régler ce problème. Il conviendrait également de procéder à un recensement des puits artésiens.

M. Jean-Michel Mouret, maire de Grand-Lavier, a regretté le manque d'informations officielles transmises aux maires, faisant des médias les seules sources d'information.

M. Pascal Lefebvre, maire d'Epagne-Epagnette, indique avoir interrogé le préfet et le président du conseil général dès le mois d'octobre 2000 sur le risque d'inondation, et notamment sur la gestion des barrages sur la Somme et sur le curage des rivières. Il a souhaité que tous les « bouchons » qui empêchent l'eau de s'écouler soient repérés et traités.

Tous ont, enfin, souligné l'efficacité de l'intervention des militaires et des mesures de surveillance des habitations inondées afin d'éviter les vols.

_ à la mairie de Pont-Rémy

Mme Annie Roucoux, maire de Pont-Rémy, a indiqué que, malgré la lettre du préfet du 12 février, elle n'avait pas été préparée à une crise de cette ampleur. Certes, il a toujours existé des problèmes de caves inondées, mais rien de la dimension des derniers événements. Par manque d'entretien, le canal d'assèchement, les fossés et les marais n'ont pas pu jouer leur rôle. Par ailleurs, les berges ont été fragilisées par le passage de la fibre optique. Il importe à l'avenir de clarifier les compétences de chacun et de définir un programme d'entretien qui prenne en compte la situation de l'ensemble du bassin de l'amont jusqu'à l'aval. Le problème de la reconstruction va devenir crucial. Une commune comme Pont-Rémy a beaucoup investi dans les zones qui ont été inondées et souhaite s'orienter vers le tourisme fluvial : une interdiction trop stricte de reconstruire serait évidemment une catastrophe. S'agissant de la gestion des dons, elle a indiqué qu'au départ elle n'avait accepté aucun don et les avait orientés vers l'association créée par le maire d'Abbeville. Quand il est apparu que ceux-ci ne seraient pas redistribués vers les communes avoisinantes, elle a du demander l'aide des associations caritatives et a accepté des dons directs à sa commune. Elle a jugé que la situation n'était absolument pas satisfaisante, car inéquitable à l'égard des sinistrés, les dons ayant surtout convergé vers les communes les plus médiatisées.

M. Fourquez, adjoint au maire de Fontaine-sur-Somme, a souligné que, malgré quelques faibles inondations dans le passé, sa commune n'avait jamais connu une telle situation au cours de laquelle l'eau monte aussi rapidement. Géographiquement, Fontaine est une véritable cuvette et, par manque d'entretien, le canal d'assèchement n'a pu jouer son rôle. Les habitations touchées par l'inondation sont de deux sortes. Il existe des maisons très anciennes, construites il y a plus d'un siècle sur des lits de silex qui laissent passer l'eau. Les autres sont beaucoup plus récentes car construites dans les années 1960 et au début des années 1970. Les permis de construire ont été légalement délivrés alors que l'on est clairement en zone inondable.

M. Gabriel Bernard, maire de Long, a souligné que sa commune était durement touchée par la crise car la moitié de son budget provient des recettes du camping et des activités de location liées à la pêche. Il est clair que son avenir, comme celle des autres petites communes de la vallée, passe par les activités de pêche. Alors qu'il est déjà interdit de construire dans les marais ou sur les coteaux, il est inconcevable que les zones qui viennent d'être inondées deviennent inconstructibles. Sa commune a reçu des petits dons, qu'il a reversé au bureau d'aide sociale. Cependant, la gestion des dons a conduit à une disparité contraire à l'esprit de solidarité et d'équité.

M. Maurice Crépin, maire de Cocquerel, a indiqué que sa commune n'a été inondée qu'en raison de relèvement des berges protégeant Fontaine.

_ à la mairie de Boves

M. Daniel Dupuis, maire de Boves, a souligné que le principal souci de sa commune est le manque d'entretien des canaux et des rivières qui traversent son territoire. Il y a quelques années, des travaux d'entretien ont du être interrompus en raison de l'opposition de quelques personnes qui estimaient qu'ils allaient dénaturer le site.

M. Daniel Parisot, premier adjoint, a présenté la situation géographique de la commune et a confirmé que les rivières n'ont pas été entretenues, ainsi que les étangs ou digues appartenant à des propriétaires privés. C'est pour cette raison que les étangs n'ont pas joué leur rôle. De plus, Boves a été victime d'une rupture d'une digue. La commune a immédiatement fait appel à une entreprise de travaux publics. Ce colmatage a permis de stabiliser le niveau de l'eau, jusqu'à ce que celui-ci remonte en raison de l'eau arrivant de l'amont, rendant nécessaire la pose de sacs de sable par les militaires. Une première estimation, incomplète, du coût des travaux et des matériaux lancés par la commune atteint 1,2 million de francs (183 000 euros), que la commune n'a pas les moyens de supporter, d'autant plus qu'une grande partie de ces dépenses doit être classée en dépenses de fonctionnement et ne sont donc pas éligibles au fonds de compensation de la TVA.

M. Gérard Hollville, maire de Daours, a évoqué le problème des assurances en estimant que l'attitude des assureurs était très frileuse en ce qui concerne les dommages aux habitations, prétextant qu'il fallait attendre plusieurs mois que les maisons sèchent. De plus, les entreprises non directement inondées ne sont pas couvertes par l'assurance contre les pertes d'exploitation.

M. Jean-Robert Chateauroux, maire de Blangy-Trouville, a ajouté que le fait que les assurances ne couvrent pas les abords des habitations (vérandas, pelouses, etc.) posait un problème important.

M. Jean-Claude Renaux, maire de Camon, a souhaité que les leçons de la crise soient tirées et que l'on ne considère pas que son caractère exceptionnel justifie l'inaction. La crise a fait apparaître un manque de transparence dans une gestion de l'eau écartelée entre de trop nombreux acteurs. Ce manque d'information explique en partie l'apparition des rumeurs. Il convient d'étudier les travaux qui devraient être entrepris dans toute la vallée (entretien des canaux et des rivières, drainages, traitement des « bouchons ») qui permettront d'absorber un plus grand volume d'eau et permettront de sauver un certain nombre de zones qui ont été inondées. Il est, en effet, impossible de tirer un trait sur de telles zones qui abritent des centaines d'habitations.

Rencontre avec le préfet de la Somme et les chefs des services déconcentrés de l'État
(11 juin 2001)

M. Daniel Cadoux, préfet de la Somme, a d'abord estimé que la culture du risque dans le département avait beaucoup décliné, ce qui explique que personne n'était vraiment préparé à une crise de cette nature. Ainsi, au cours des récentes « réunions cantonales », réunissant élus et services de l'État, qu'il a pu tenir, personne n'avait soulevé le problème des inondations.

Parmi les enseignements que l'on peut tirer de cette crise, il apparaît que la cellule interministérielle, composée d'ingénieurs, de techniciens et d'experts venus de tout le pays, a été un instrument d'une grande efficacité pour comprendre l'événement et identifier les décisions de nature à faciliter l'évacuation des eaux.

La crise a également fait apparaître le mauvais entretien des cours d'eau et des canaux. Les collectivités compétentes avaient complètement perdu de vue leurs responsabilités. Cependant, il est vrai qu'il existe un flou et un vide juridique à combler. C'est pourquoi, le préfet entend favoriser l'émergence, autour du conseil général, d'un syndicat mixte, compétent pour l'ensemble du bassin de la Somme et qui se substituerait à la nébuleuse d'acteurs publics ou privés pour assurer une gestion efficace.

De plus, la nécessité d'un service d'annonce des crues est apparue, système d'informations croisées entre Météo-France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et les services chargés de la navigation. Ce système devrait être à la disposition du préfet et de l'ensemble des acteurs compétents, afin que l'information soit convenablement diffusée aux élus et à la population.

À propos de la reconstruction, le préfet a souligné qu'il convenait d'écarter résolument à la fois l'idée que la vallée est devenue une vallée morte et celle consistant à reprendre le cours de l'existence comme s'il ne s'était rien passé. La ligne de conduite qu'il entrevoit est la suivante : il refusera, sur la base de l'article R.111-2 du code de l'urbanisme, tout permis de construire demandé pour permettre une réoccupation des maisons endommagées et aucune aide publique ne sera accordée dans le cas où la réoccupation ne requiert pas un nouveau permis. Il souhaite que des moyens soient dégagés pour favoriser la reconstruction dans les zones non inondables. En tout état de cause, il demande qu'une doctrine précise soit définie, avec l'aide des experts, et que les décisions qui seront prises ne soient pas l'occasion de conflits entre l'État et les élus et source de désarroi et d'incompréhension pour la population.

M. Daniel Cadoux a jugé que l'aide de l'État a été massive et multiforme et adaptée à la montée en puissance de la crise. Des équipes mobiles ont été mises sur pied pour aller à la rencontre des sinistrés, des secours d'urgence ont été débloqués pour pourvoir à leurs besoins immédiats, le principe de la gratuité du relogement a été affirmé, quelles que soient les formes de relogement. Par ailleurs, le prochain comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire décidera d'un programme exceptionnel pour aider les collectivités locales à réparer les dommages.

S'agissant de la gestion des dons, le préfet a indiqué qu'il avait, dans un premier temps, eu l'idée de mettre en place un « pot commun » dans lequel tous les dons auraient été centralisés et que des critères d'attribution objectifs et identiques partout soient définis. Ce faisant, on aurait davantage respecté l'esprit des donateurs qui ont donné pour l'ensemble des sinistrés et non pour telle ou telle association ou commune. Cependant, il a indiqué y avoir renoncé après que ses services lui ont indiqué qu'il valait mieux respecter la sensibilité ou manière d'opérer de chaque association ou collectivité et que l'État manquait de légitimité pour intervenir dans la répartition d'argent privé. Seul un comité de coordination a été mis en place, afin de centraliser les informations sur les besoins des sinistrés fournies par les communes ou les équipes mobiles. Il a reconnu que la question des dons allait malheureusement susciter de l'animosité, des ranc_urs et des polémiques dont on aurait pu se passer.

En ce qui concerne le dossier des assurances, M. Jean-Yves Moracchini, chef de la cellule interministérielle, a précisé qu'environ 20 % des sinistrés n'étaient pas assurés. Si les équipes mobiles leur ont rendu visite, il convient néanmoins d'éviter que par le jeu de la solidarité ou des aides d'urgence, les personnes non assurées soient mieux traitées que les personnes qui s'étaient assurées. Une équipe du Génie fait le tour des habitations pour assurer un conseil, non pas aux particuliers, mais aux communes. Il est, en effet, apparu difficile d'introduire un conseil émanant de l'État dans la relation privée liant l'assureur et son client. Il semblerait que le coût moyen d'une remise en état soit d'environ 50 000 francs (7 622,45 euros). Le préfet a également précisé que 226 entreprises avaient été touchées par l'inondation. Seulement 20 à 30 % d'entre elles sont assurées contre les pertes d'exploitation. Dès lors, l'intervention du FISAC, qui ne pourra dépasser 15 000 francs (2 286,74 euros), ne sera pas suffisante pour combler ces pertes.

Rencontre avec l'association « Somme inondée, plus jamais ça ! »
(12 juin 2001)

M. Jean Liscourt, président de l'association « Somme inondée, plus jamais ça », a indiqué avoir, dès le 31 janvier et en qualité de président du comité de défense des riverains de la Somme, déposé une pétition au service de la navigation alertant les pouvoirs publics de la montée des eaux. Le 11 avril, une manifestation à Amiens a rassemblé de 800 à 1 000 personnes et a déposé une motion attirant l'attention du préfet sur le manque d'entretien des fossés par les communes.

Récusant l'explication de l'inondation par la remontée des nappes phréatiques, il a estimé que l'explication principale réside dans le comblement progressif du canal par sédimentation due à l'érosion des terres en raison des méthodes agricoles et par l'ensablement de la baie de Somme. De plus, il a fait observer que les lacs artificiels, le lac de Seine et le lac du Der, représentaient des masses d'eau considérables qui exercent une pression sur le sous-sol à l'origine de la remontée des eaux dans la vallée de la Somme.

Rencontre avec M. Daniel MARCOURT, président des agents d'assurance de la Somme
(12 juin 2001)

S'il a reconnu que le fait que les sinistrés expriment une certaine inquiétude quant au niveau de leur indemnisation était parfaitement explicable, M. Daniel Marcourt a estimé que le traitement des sinistrés assurés ne devrait pas poser de problèmes particuliers, puisqu'il s'effectue selon les stipulations des contrats. Il a rappelé que l'indemnisation du mobilier se fait en fonction du montant prévu dans le contrat et que l'immobilier s'indemnise, dans la quasi totalité des cas, à la valeur à neuf. Concernant l'immobilier, l'incertitude porte sur l'obtention ou non du permis de construire lorsque celui-ci est nécessaire pour effectuer les travaux. Le risque est que ce permis soit finalement refusé et que la reconstruction ailleurs dépasse le montant de l'indemnisation. Dans ce cas, l'assureur ne peut pas prendre en charge ce dépassement.

En ce qui concerne le délai de traitement des dossiers, il a indiqué que tous les assureurs ont rencontré leurs assurés et que les experts sont passés, une première fois pour faire une reconnaissance globale des dommages, une seconde fois après la décrue. Cependant, il est vrai que, dans certains cas, l'expertise des dégâts immobiliers peut prendre un an ou deux, afin d'attendre d'avoir une exacte appréciation des séquelles à terme sur les maisons inondées les plus fragiles. De même, l'appréciation des pertes d'exploitation des entreprises suppose la connaissance du bilan de fin d'année, car une diminution du chiffre d'affaires peut se rattraper.

En revanche, il a indiqué que la situation des sinistrés qui ne sont pas assurés n'était pas du ressort des assureurs mais des pouvoirs publics.

À propos des démarcheurs qui proposent leurs services au titre d'expert d'assuré, M. Daniel Marcourt a rappelé que cette garantie n'existait pas en matière de catastrophe naturelle. Il s'est également déclaré gêné par le fait que, notamment à Abbeville, des dons ont été utilisés pour compenser les franchises légales et que cette différence de traitement entre les sinistrés, pour laquelle les assureurs ne peuvent rien faire, risque d'engendrer des incompréhensions.

À la lumière de l'expérience, il a indiqué que le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles n'était pas parfait et qu'il pouvait être amélioré sur un certain nombre de points. Cela fera d'ailleurs l'objet d'une réunion de réflexion au sein de la Fédération française des sociétés d'assurance.

Rencontre avec M. Alain Gest, président du Conseil général de la Somme
(12 juin 2001)

M. Alain Gest a indiqué qu'aucune alerte n'avait été adressée au conseil général. Selon lui, la première raison tient au calendrier électoral qui n'a pas été propice à une prise de conscience des élus et la seconde au fait que la pluviométrie a fortement baissé au cours du mois de février et que les gens se sont dit que le pire était passé. Rappelant qu'une réunion provoquée par le préfet le 30 mars s'était mal passée, il a estimé que les services de l'État n'avaient pris que tardivement conscience du danger. Mais, dès la mise en place de la mission interministérielle, les choses se sont améliorées et une organisation ferme s'est mise en place et a coordonné les efforts de chacun, dont ceux du département. Auparavant, il existait un sentiment de pagaille et tout le monde prenait des initiatives en ordre dispersé.

Les inondations sont évidemment dues à la forte pluviométrie des mois précédents et à la remontée des nappes phréatiques. D'ailleurs, des communes qui ne sont traversées par aucune rivière ont été inondées. Par ailleurs, on a pu identifier des bouchons perturbant l'écoulement des eaux (routes, ponts mal dimensionnés, etc.). Ainsi, les deux quartiers inondés à Abbeville ont été construits, au siècle dernier, dans le lit majeur de la Somme.

Depuis qu'il a repris la concession du canal, le conseil général y a consacré plusieurs plans quadriennaux successifs, d'un montant annuel d'environ 10 millions de francs (1,5 million d'euros). Au moment du transfert en 1991, l'État n'y consacrait qu'un peu plus d'un million de francs (150 000 euros). Le principal effort de cette politique de gestion concerne le curage (afin de rétablir la circulation des péniches) et la réparation des berges qui étaient dans un état lamentable. À part le pont de Sailly-Laurette, aucun ouvrage d'art n'a d'ailleurs cédé. De plus, le canal a pu absorber un débit plus important que celui qu'il avait absorbé jusque là, comme l'ont prouvé les deux opérations menées à Abbeville.

S'agissant de la rumeur concernant des déversements venant du canal du Nord, M. Alain Gest a estimé que le manque de transparence passé concernant les lâchures d'eau entre celui-ci et le canal de la Somme expliquait la facilité avec laquelle la rumeur a pu se propager. D'ailleurs, l'expert mandaté par le conseil général préconise de mettre en place une information permanente sur ces lâchures d'eau.

Reconnaissant le mauvais entretien des affluents de la Somme, M. Alain Gest a rappelé que le conseil général avait tenté d'initier une politique dans ce domaine. En 1999, il a proposé aux propriétaires riverains d'entrer dans des syndicats mixtes qui auraient regroupé également les sociétés de pêche, l'agence de l'eau, le département et les communes. Il s'agissait de mettre en place des brigades d'entretien des rivières. Dans un premier temps, il a essayé de tester ce dispositif sur deux rivières, l'Hallue et l'Ancre. Le président du conseil général d'alors, M. Fernand Demilly, s'est fortement impliqué sur ce dossier. Il n'a pas été entendu.

Indiquant que le département avait eu du mal à trouver des pompes par exemple, il s'est aussi déclaré surpris de ce que l'État ne dispose pas d'un minimum de matériel pour faire face à une crise. De plus, les collectivités travaillent dans des procédures d'urgence, mais qui sont à la limite de la légalité s'agissant des marchés publics notamment.

Enfin, il a fait part de son inquiétude en ce qui concerne la prise en charge du coût de la reconstruction. Une première évaluation porte sur 300 millions de francs (45,7 millions d'euros) pour les routes et sur 400 millions de francs (61 millions d'euros) pour le canal de la Somme. Il n'a reçu aucun engagement sur une contribution de l'État et que les bruits les plus divers circulent sur les formes que celle-ci pourrait prendre. Le conseil régional craint, pour sa part, que l'avenant au contrat de plan annoncé ne constitue qu'un redéploiement vers la Somme de crédits initialement destinés aux autres départements.

En ce qui concerne les demandes d'aides que ne manqueront pas d'exprimer les communes sinistrées, M. Alain Gest a indiqué que le conseil général, en liaison avec le conseil régional, a décidé de prendre en charge chacun 40 % des mesures d'urgence que les communes ont dû mettre en _uvre. En ce qui concerne la réparation des dégâts subis par les édifices publics, le département a décidé de traiter en priorité les demandes de subventions formulées par les communes sinistrées.

Enfin, il a estimé que l'opération mobile home a constitué un élément précieux de la gestion de la crise, même si sa mise en place s'est faite plus lentement qu'annoncé. Cependant, la gestion de ce dossier ne sera pas simple et la sortie du dispositif s'avérera peut-être délicate, car pour certains sinistrés le mobile home constitue un logement plus confortable que celui qu'ils habitaient auparavant.

Réunion avec les chambres consulaires
(12 juin 2001)

M. Michel Boulard, président de la chambre de métiers de la Somme, a indiqué que la chambre des métiers avait pu réagir rapidement à la crise grâce à son réseau de techniciens sur le terrain. Le fonds de calamités des chambres de métiers, géré au niveau national, a été utilisé pour verser une aide de 5 000 francs (762 euros) à chaque entreprise directement touchée par la crise. Les caisses d'assurance maladie et les caisses de retraite ont accepté d'accorder des remises de cotisations, tout en maintenant les droits et le conseil régional a indiqué son accord pour accorder des avances remboursables à taux 0 %. En revanche, il a dénoncé l'attitude intransigeante de l'URSSAF qui a refusé d'accorder des remises. Plutôt que de devoir à chaque fois négocier avec chaque caisse et de risquer de se heurter à un refus, il conviendrait que, en cas de catastrophe, la décision d'accorder des remises ou des délais incombe au préfet.

M. Yves Motte, président de la chambre de commercer et d'industrie de Péronne, a précisé que la circonscription de la CCI comptait peu d'entreprises directement touchées par l'inondation. En revanche, plusieurs petites entreprises sont dans une situation préoccupante en raison des pertes d'exploitation qu'elles ont subies. C'est le cas des entreprises intervenant dans le secteur de la pêche ou de la location de bateaux.

M. Dominique Schockaert, représentant le président de la chambre de commerce et d'industrie d'Amiens, a souligné que les pertes d'exploitation pour les entreprises liées au transport fluvial avaient commencé bien avant les inondations elles-mêmes, en raison des interdictions de navigation édictées dès le mois de décembre 2000.Une difficulté majeure de la garantie des pertes d'exploitation est qu'elle ne peut être actionnée que si l'assurance dommages l'est également, l'intervention d'un arrêté de catastrophes naturelles étant indifférent en la matière. De même, l'existence de franchises légales en matière de catastrophes naturelles prime sur les dispositions des contrats, même si celles-ci ne prévoient aucune franchise.

Il a insisté sur la situation des entreprises, les plus nombreuses, qui échapperont complètement au système d'indemnisation. Dans ce cas, le risque est grand d'être confronté à un problème de régularité des aides publiques, notamment au regard des règles communautaires.

Enfin, il a attiré l'attention sur les difficultés pratiques qui pourraient résulter du fait que les dates d'effet des arrêtés de catastrophes naturelles sont parfois différentes selon les communes concernées.

COMPTE-RENDU DU DÉPLACEMENT
D'UNE DÉLÉGATION DE LA COMMISSION
DANS L'ARDÈCHE, LE GARD ET L'AUDE

(8 et 9 octobre 2001)

Visite à Lalevade d'Ardèche
(8 octobre 2001)

M. Jean-Claude Kieffer, maire de Lavelade d'Ardèche, a rappelé que la commune avait été touchée par une inondation catastrophique le 22 septembre 1992 qui avait fait quatre morts. En une demi-heure, la hauteur de l'eau avait doublé. Il a fait part de son inquiétude de ne pas pouvoir entretenir la rivière comme il le souhaiterait, ce qui est pourtant indispensable pour éviter la constitution d'embâcles très dangereux. Suite à la crue de 1992, le paysage a été modifié, des atterrissements se sont formés sur lesquels il n'est pas possible d'intervenir pour des raisons écologiques. Il souhaiterait donc que les acteurs locaux aient la possibilité de faire des aménagements, y compris touristiques, notamment reconstituer la plage, emportée en 1992.

La Commission a pu constater que le supermarché, gravement endommagé au cours de la crue de 1992, a été reconstruit au même endroit.

Visite à Labégude
(Ardèche, 8 octobre 2001)

Comme à Lalevade, M. Louis Richard, maire de Labégude, s'est déclaré inquiet des conséquences d'une éventuelle crue en raison de la végétalisation de la rivière, source d'embâcles potentiels, qui s'est encore accrue depuis la crue de 1992. En effet, auparavant, la rivière était entretenue par les riverains, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Il s'est également montré très désireux de conserver les champs naturels d'expansion de crues. À cet égard, il a fait part de son inquiétude quant à l'aménagement d'une zone industrielle sur l'un de ces champs, sur l'autre rive de la rivière, dont il craint qu'elle n'aggrave les conséquences d'une éventuelle inondation sur sa commune. D'ailleurs, le conseil municipal a émis un avis défavorable à ce projet porté par une communauté de communes dont Labégude ne fait pas partie.

La Commission a noté que le niveau atteint par la crue de 1992 a fait l'objet d'un marquage sur une maison de la commune.

Rencontre avec le préfet de l'Ardèche
(8 octobre 2001)

M. Dominique Vian, préfet de l'Ardèche, a souligné que l'Ardèche est hydrologiquement un département étrange, qui se trouve sur la ligne de partage entre le massif central et le bassin du Rhône. L'Ardèche se caractérise aussi par des pentes très fortes et un régime de pluies de type méditerranéen. En outre, la pression touristique est particulièrement forte dans le département. Le risque est par contre très bien connu et intériorisé par la population.

Le processus des PPR a été lent à se mettre en place, en raison notamment de la longueur des études préalables. Mais aujourd'hui le mouvement est bien enclenché : 57 PPR ont été approuvés, 45 sont prescrits. Il serait souhaitable que le passage des POS aux plans locaux d'urbanisme (PLU) soit utilisé pour mieux prendre en compte le risque et avoir une vision plus dynamique de celui-ci.

L'annonce des crues est particulièrement importante dans l'Ardèche compte tenu du nombre de touristes, notamment dans l'hôtellerie de plein air. Un système d'évacuation globale a d'ailleurs été mis en place. Cependant, les doléances des élus portent sur le caractère tardif de l'information donnée : ils ont généralement constaté l'inondation avant d'être mis au courant par le service d'annonce des crues. Ainsi, la préfecture a lancé deux chantiers concernant le niveau de l'alerte, aujourd'hui trop imprécise, et le raccourcissement de la chaîne d'alerte. Actuellement, le dispositif est alourdi par des pesanteurs liées à des questions de responsabilité : ceux qui calculent les hauteurs d'eau ne veulent pas être ceux qui les diffusent.

Le préfet s'est par ailleurs interrogé sur le rôle peu clair de la Compagnie nationale du Rhône dans la gestion de ce fleuve. Il a dénoncé une confusion d'acteurs dommageable à une gestion efficace des crues.

M. Bertin Destin, sous-préfet de Largentière, a indiqué que, dans le sud du département, ce sont surtout les campings qui posent problème puisqu'il y a peu d'habitations en zone inondable. Ainsi toute acceptation d'amélioration d'un camping est conditionnée à la mise en _uvre de travaux de diminution des risques. Mais, il subsiste une difficulté : il n'existe pas de cadre juridique pour disposer de terrains de remplacement à proximité en cas d'évacuation.

Il a souligné que les actions à entreprendre pouvaient être longues à mettre en _uvre, car le syndicat n'agit que s'il est dûment mandaté par les communes et lorsqu'il a obtenu tous les financements et autorisations, qui sont nombreuses.

Réunion avec le Syndicat Ardèche claire et le Syndicat intercommunal des gorges de l'Ardèche
(8 octobre 2001)

M. Pascal Bonnetain, président du syndicat, a d'abord indiqué que son syndicat regroupait les communes riveraines de l'Ardèche de sa source au Rhône, contrairement au SIGARN (Syndicat intercommunal des gorges de l'Ardèche). Actuellement, le syndicat ne regroupe que les communes riveraines, mais il est malgré tout déjà fédérateur, puisque les affluents de l'Ardèche sont pris en compte. À terme, l'objectif est de réunir les 166 communes du bassin versant (contre un peu plus de 40 communes aujourd'hui). Le syndicat emploie aujourd'hui 4 techniciens à temps plein et les actions qu'il engage sont subventionnées à 80%, notamment par le conseil général et l'agence de l'eau.

Le premier contrat de rivière a été signé en 1984 et visait à améliorer la gestion des eaux, tant dans son aspect qualitatif que quantitatif. Il s'est traduit par de nombreux aménagements et travaux et par une amélioration sensible de la qualité des eaux. Les objectifs actuels du syndicat restent orientés dans le même sens : gestion de la rivière, restauration des berges et gestion des embâcles.

Si les crues sont vécues différemment en fonction de la situation géographique des communes, à l'amont ou à l'aval, il a estimé que les crues de l'Ardèche étaient totalement intégrées par les habitants. Personne n'aurait aujourd'hui l'idée de construire dans le lit de la rivière.

Le président a par ailleurs souligné l'intérêt du syndicat qui agit au plus proche du terrain tout en maintenant des liens serrés avec les services de l'État. De plus, il peut intervenir là où les services déconcentrés ne le font pas. Enfin, il a à c_ur de préserver la ressource, car toute l'économie du département est basée sur cet « éco-tourisme ».

Le président a évoqué le problème des embâcles : il est indispensable d'améliorer la situation, mais il ne faut pas être destructeur. Avant, les gestionnaires des carrières faisaient le travail et récupéraient les matériaux, mais maintenant il n'est plus possible de retirer des matériaux de la rivière, suit aux évolutions de la législation. De plus, les fédérations de pêche et les associations de protection de la nature s'opposent aux autorisations de travaux. Il devient donc extrêmement difficile de maintenir un certain suivi dans les travaux. Cela dit, les travaux d'extractions passés ont eu des effets négatifs : il est donc indispensable de prendre en compte la complexité du problème. La solution consiste à remettre les matériaux en circulation à l'intérieur de la rivière car il ne faut plus extraire.

Concernant les relations avec les propriétaires, à partir de Vallon Pont d'Arc, il s'agit de propriétaires privés avec lesquels le syndicat conclut des conventions : sur certains secteurs, le système fonctionne, mais sur d'autres, c'est beaucoup plus difficile et il n'est alors pas possible d'intervenir. Si les procédures existent, elles sont trop lourdes à mettre en _uvre.

Enfin, en ce qui concerne l'hypothèse de la création d'un établissement public territorial de bassin sur l'Ardèche, M. Pascal Bonnetain a estimé que le bassin devait être le lieu d'une entité forte à construire dans les dix ans et qui devra réfléchir à une gestion globale de l'eau (pollution, crues, tourisme...). Il faudra dépasser la gestion actuelle, trop parcellisée par fonction, et raisonner sur l'ensemble du bassin versant, et non sur les seules communes riveraines de la rivière.

M. Nicolas Bouretz, directeur du syndicat, a insisté sur les efforts faits sur ce thème depuis 1997, notamment en zone urbaine. L'objectif est d'éviter la formation de véritables verrous hydrauliques. Mais le plus important actuellement est la préservation des zones d'expansion de crues : 13 ont été répertoriées, certaines sont menacées. L'hydrogramme de crue de l'Ardèche étant très rapide, les zones d'expansion sont indispensables.

M. Daniel Serre, maire de Ruoms et président de la commission « crues » du syndicat, a évoqué la question des zones inondables. Chacun est d'accord sur la nécessité de les délimiter, mais il serait préférable de laisser la discussion décider de leur devenir. Une réforme du système d'annonce des crues est indispensable afin d'accélérer la diffusion du message d'alerte, surtout pour les communes se situant au-dessus de la boucle d'Aubenas, qui sont les premières touchées

M. Paul Lavie, président du Syndicat intercommunal des gorges de l'Ardèche (SIGARN), a indiqué que son syndicat avait été créé en 1996, dans le but de maîtriser la fréquentation touristique dans les gorges et de préserver le milieu naturel. En effet, avant 1996, le camping sauvage représentait 40 % du camping dans les gorges, et constituait un danger potentiel très important pour les campeurs. L'impossibilité de les localiser rendait leur évacuation quasiment impossible. La sécurité des touristes étant un des principaux objectifs du syndicat, une centrale de réservation a été mise en place pour comptabiliser et localiser les campeurs. Aujourd'hui, on peut estimer que 90 % des campeurs sont localisables rapidement.

Il a, par ailleurs, insisté sur la nécessité de rester vigilant, car les professionnels du tourisme qui s'installent aujourd'hui dans la région n'en connaissent pas les dangers. Venant d'autres régions de France, ils ont parfois des comportements imprudents. Il a notamment signalé le cas de certains loueurs de canoës.

Il a enfin plaidé pour que les gestionnaires d'installations proches de la rivière disposent enfin de pouvoirs pour faire évacuer les personnes en danger, sans devoir attendre une décision du maire ou du préfet. Il a cité l'exemple d'une colonie de vacances située dans la réserve naturelle, qui a dû être évacuée à pied, car les véhicules étaient interdits à cet endroit...

M. Emmanuel Buis, directeur du SIGARN, a tenu à préciser que l'action de son syndicat tendait à la valorisation touristique des gorges dans le respect de l'équilibre écologique et surtout de la sécurité des touristes. Dans ce cadre, le dialogue avec les prestataires de service, notamment les loueurs de canoës, doit se développer afin d'assurer une sécurité maximale. Par ailleurs, la concertation avec EDF doit progresser : l'entreprise peut, en effet, aujourd'hui turbiner en avril, juin et septembre, alors que les touristes sont encore présents dans les gorges. L'information sur les périodes de turbinage est encore défaillante, ce qui a déjà conduit au décès de certains randonneurs.

Réunion avec le syndicat de l'hôtellerie de plein-air de l'Ardèche
(8 octobre 2001)

M. Hugues Mirabel, président du syndicat, a indiqué qu'il existe 130 campings dans l'Ardèche, qui accueillent chacun en moyenne 100 places, soit 55 % de la capacité hôtelière du département. Les établissements les plus importants sont situés au bord de l'eau.

Jusque là les professionnels ont géré eux-mêmes le risque, lequel est bien intégré par tout le monde. Ils travaillent en concertation avec les services de l'État et les collectivités et cette concertation s'est encore accrue depuis la catastrophe du Grand-Bornand. La situation est donc très différente de ce qu'elle pouvait être à Vaison-la-Romaine : en Ardèche, les gérants savent quelles parcelles sont en zone inondable, quelles sont les mesures d'évacuation à prendre... Les mesures réglementaires obligent à donner une information préalable au client sur le risque, sur les consignes en cas de crue, à disposer d'un groupe électrogène, de haut-parleur. Cependant, le système d'alerte n'est pas très satisfaisant car beaucoup trop imprécis. Il serait souhaitable d'avoir une information plus complète, concernant notamment les hauteurs d'eau prévisibles. Si l'alerte est déclenchée trop souvent de façon injustifiée, cela peut démobiliser les campeurs comme les gestionnaires.

Les gestionnaires de camping ont par ailleurs évoqué le problème de l'interdiction stricte de construire en zone inondable, très handicapante pour le développement de leur activité. En effet, chaque camping doit disposer d'un nombre de blocs sanitaires proportionnel au nombre d'emplacements de camping. Or la construction de nouveaux blocs est impossible du fait de cette disposition. M. Hugues Mirabel a proposé que les gestionnaires soient autorisés à augmenter les capacités d'accueil en bord de rivière en échange de la création, dans leurs établissements, de plateformes refuges pour l'évacuation et la protection de leurs clients

De même, il a enfin souligné qu'il serait nécessaire de pouvoir plus facilement aménager les berges situées dans les campings, de façon à disposer, par exemple, d'une plage, ou, au moins, à éliminer les engravements, peu esthétiques. Or, les procédures actuelles ne le leur permettent pas.

Réunion avec les services de l'État de l'Ardèche
(8 octobre 2001)

Mme Martine Lebeau, directrice départementale de l'équipement de l'Ardèche, a estimé que la prévision fine des crues était une matière très complexe et que l'on n'y était pas encore totalement parvenu. D'ores et déjà, on rassemble de nombreuses données, mais c'est leur étude sur des dizaines d'années qui permettra d'avancer dans la prévision. Actuellement, le travail s'effectue encore principalement avec des cotes d'eau, et encore très peu avec des pluviomètres.

Le service d'annonce des crues n'effectue aucune interprétation des données, hormis lorsque le seuil de préalerte est franchi mais que la tendance est à la baisse. Sinon, quand le seuil est atteint, la préalerte est automatiquement déclenchée.

Elle a par ailleurs précisé que la DDE pilote les PPR, ainsi que les dispositifs qui les ont précédés, depuis 1992. Des études sont réalisées sur fonds publics, les résultats sont immédiatement intégrés dans la gestion des permis de construire, part le biais de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme - la DDE est en effet le service instructeur pour 80% des communes du département. C'est seulement après une longue procédure de dialogue et de concertation entre collectivités et services de l'État que les PPR sont approuvés.

Elle a regretté une certaine incohérence dans la prescription des PPR. Une circulaire du ministère des Finances demande en effet aux préfets de prescrire un PPR dès lors qu'une commune a été déclarée en catastrophe naturelle plus de trois fois. Or, cet état de catastrophe naturelle ne signifie pas pour autant que la situation soit dangereuse pour les habitants. Il peut s'agir de coulées de boue dans des zones rurales, de ruissellement, etc. La multiplication des prescriptions conduit à un travail plus superficiel sur des PPR de plus en plus nombreux.

M. Gilles Burban, directeur départemental de l'agriculture et de la forêt de l'Ardèche, a indiqué que sa direction était en charge de la police de l'eau sur la quasi-totalité des cours d'eau du département. Elle formule des prescriptions pour l'entretien des rivières concernant la suppression des embâcles, la remise en état des berges... Après la crue de 1992, plusieurs dizaines de ces prescriptions ont été formulées à des syndicats ou à des propriétaires privés. Mais il est vrai que, sur une longue période, la tendance est à la dégradation de l'entretien des rivières, tendance en partie enrayée par la constitution de syndicats intercommunaux qui mettent en _uvre des contrats de rivière. Aujourd'hui, les syndicats de rivière ont repris la situation en main grâce à une mobilisation assez forte.

Visite à Sommières
(9 octobre 2001)

La délégation de la Commission a décidé de modifier son programme pour se rendre à Sommières dans le Gard, soit trois jours après la crue du Vidourle intervenue dans la nuit du 6 au 7 octobre et qui a entraîné la mort d'un sapeur-pompier.

M. Alain Danilet, maire de Sommières, a expliqué que sa ville a été construite dans le lit du Vidourle, près du pont romain, mais pendant huit mois de l'année, il n'y a que 50 centimètres d'eau. Depuis quelques années, les crues sont beaucoup plus fréquentes, plusieurs fois par an, à tel point que certains assureurs ne veulent plus assurer certains biens. Il faut dire que, pendant très longtemps, les rez-de-chaussée n'étaient pas utilisés. Or, aujourd'hui, ils sont occupés par des magasins, voire des habitations. La ville a lancé un programme de reconquête de ces espaces pour en faire des lieux d'accueil d'activités légères peu vulnérables, mais il est clair que celui-ci ne pourra être mené à bien avant de nombreuses années

L'entretien de la rivière est également un problème : le curage n'étant plus effectué, le lit du Vidourle est remonté de 2 mètres 50. Par ailleurs, il entend relancer le projet de troisième barrage sur la boucle de Sabran, qui viendrait s'ajouter aux deux barrages construits en amont de Sommières après la crue de 1958, et dont les habitants de cette zone ne veulent pas attendre parler.

Réunion avec les services de l'État de l'Aude
(9 octobre 2001)

M. Jazeron, de Météo-France, a expliqué qu'un premier bulletin d'alerte avait été diffusé le 11 novembre 1999 dans l'après-midi et transmis au service d'annonce des crues et au CIRCOSC. Ce bulletin a été réactualisé le lendemain matin en augmentant les quantités prévisibles. Celles-ci ont encore été augmentées dans l'après-midi du 12. Il était alors indiqué des quantités d'eau pouvant aller jusqu'à 400 mm, alors que le précédent record du 22 septembre 1992, jour de la catastrophe de Vaison-la-Romaine, était de 300 mm. Un tel événement n'avait pas été connu dans l'Aude depuis 1940, ce qui a pu contribuer à ce que l'information pourtant donnée ait été mal relayée par les médias. C'est là l'une des origines de la mise en place de la carte de vigilance météorologique depuis le 1er octobre 2001.

Selon M. Maraut, de la direction départementale de l'équipement, le service d'annonces des crues était en pleine phase de modernisation lors des événements de 1999, ce qui explique peut-être certaines difficultés. Avant 1999, le réseau ne fonctionnait que par téléphone et pouvait donc être à tout moment interrompu si la catastrophe aboutissait à des coupures, des saturations ou des destructions de lignes. Aujourd'hui, il est doublé par une liaison radio.

La DDE a par ailleurs regretté que Météo-France ne dispose que d'une vision à l'échelle du bassin versant, trop large pour prévoir avec précision des crues cévenoles, par nature très rapides et très localisées. Il convient donc de compléter ce dispositif afin de disposer de données plus fines.

La DDE a ensuite rappelé la chronologie des événements de novembre 1999 : alors que la première vague de pluie avait été relativement modérée, la seconde vague a été la plus meurtrière. Cela a conduit à un événement de type Vaison-la-Romaine en différents lieux, aggravé par la saturation des sols liée au premier épisode pluvieux. Les crues de l'Aude sont à la fois des crues de plaine (dans les basses plaines de l'Aude) et des crues cévenoles (dans les Corbières par exemple). Les inondations ont par ailleurs été amplifiées par le « coup de mer » concomitant, lié à la marée haute, qui a inondé les zones plus basses que la mer. Les effets de vagues, meurtriers dans de nombreuses localités, sont le fait, soit de la rupture de digues, soit de la rupture d'embâcles, soit du ruissellement lié à la saturation des sols. Les inondations de 1999 se caractérisent plus par un débit de pointe très important que par les volumes d'eau mis en _uvre, qui ont été moins importants qu'en 1996.

La DDE a estimé qu'aujourd'hui, notamment avec la mise en _uvre du radar d'Opoul le 12 octobre 2001, on dispose d'une vision plus précise du risque, mais pas d'une assurance que la prévision sera parfaite.

La DDE a rappelé qu'elle est également en charge de la prévention des crues au sens large, et notamment de la cartographie des zones inondables, indispensable pour mieux évaluer le niveau de dangerosité du risque selon les zones.

M. Alain Gouzes, commandant du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), a rappelé que la mobilisation des secours s'était effectuée progressivement. Dès les premiers bulletins d'alerte, un message a été diffusé aux centres de secours, afin qu'ils vérifient leur matériel. Les premières interventions ont eu lieu dès 11 heures le 12 novembre à Port la Nouvelle du fait de la tempête sur le littoral. Vers 13 heures, des interventions assez classiques sont menées dans le secteur de Carcassonne. Mais à partir du soir, les services de secours commencent à intervenir sur l'ensemble du département, alors que d'habitude les crises sont assez localisées. Ainsi, des colonnes de renforts sont mises en place, avec une première demande d'unités de la sécurité civile à 21 heures, une deuxième le 13 à 2 heures, et le déclenchement du plan ORSEC à 2 heures 30. Ces renforts ont pris la forme de l'envoi de 12 hélicoptères, de 100 pompiers extérieurs venant s'ajouter à la mobilisation des 800 pompiers de l'Aude, de 120 personnes des unités de la sécurité civile, de 600 militaires. Du vendredi au dimanche, 12 000 appels d'urgence ont été comptabilisés.

Les conditions d'intervention étaient très délicates : certaines casernes de pompiers ont été inondées, de nombreuses voies de circulation ont été coupées, rendant les interventions très difficiles. De plus, le comportement de certains sinistrés a pu compliquer encore la situation, certains s'entêtant et refusant tout d'abord de quitter leur domicile, d'autres continuant à circuler dans la nuit.

M. Alain Londres, chef du service interministériel de défense et de protection civiles (SIDPC), a rappelé que le service d'annonces des crues n'était compétent que pour une trentaine de communes dans le département, sur plus d'une centaine concernées par les inondations. De plus, il n'y a pas de système pour donner l'alerte rapidement aux maires, celles-ci se faisant par téléphone.

La coordination des secours a exigé la mise en place d'une cellule de crise, d'abord à la gendarmerie dans la nuit du 12 au 13, puis à la préfecture. Quant à la coordination avec l'échelon zonal de la zone de défense Sud-Est, basée à Valabres, elle a été très bonne et très rapide : les matériels demandés (groupes électrogènes...) ont été immédiatement obtenus.

Le plan ORSEC est utile, mais il n'apporte pas d'assurance quant au financement des mesures de secours d'urgence. Or, en période de crise, il serait souhaitable d'être certain des modes de financement, certains maires hésitant à mettre en _uvre des moyens de secours d'urgence, dont ils ne savent pas qui va effectivement en supporter le coût. En effet, les maires de petites communes ne peuvent pas prendre en charge eux-mêmes certaines dépenses indispensables. L'article 13 de la loi de 1987 n'est pas assez précis sur ce point.

Il s'est, en revanche, félicité de l'attitude constructive du conseil général qui a financé de nombreux travaux de reconstruction sans passer par la procédure des marchés publics, en régularisant cette situation par la suite. Le conseil général a par ailleurs contribué à l'indemnisation des victimes par le versement d'une somme destinée aux secours de première urgence.

M. Guy Tardieu, sous-préfet de Narbonne, a déploré la lourdeur des mécanismes de financements dans le cadre de la gestion de crise. Tout se fait selon des principes de négociation longs et peu adaptés à de telles situations. Il a demandé une systématisation et une formalisation des procédures dans les cas d'urgence comme ceux de novembre 1999, qui permettraient un déblocage immédiat des financements. Dès lors que le plan ORSEC est déclenché, selon lui, l'État doit prendre en charge la totalité des frais afférents aux opérations de secours. Par ailleurs, il n'y a pas de gestion interministérielle de la crise. En effet, chaque ministère dispose de financements et de procédures propres et leurs approches et leurs méthodes diffèrent. Les réponses aux demandes sont donc variables.

M. René Maurice, trésorier payeur général, a rappelé que 4 500 familles avaient été indemnisées très rapidement, en utilisant une procédure simplifiée de déclaration de sinistre par les maires. Il a par ailleurs rappelé que ces différentes procédures simplifiées, le travail de négociation de la préfecture et la mise en place d'une commission d'examen des dossiers, permettant de sélectionner les dossiers les plus urgents, avaient conduit à ce qu'aujourd'hui, plus des trois quarts des équipements publics endommagés ou détruits soient reconstruits.

Enfin, alors que près de 400 entreprises avaient été touchées par les inondations, les différentes aides apportées (par le FISAC - mais seulement à hauteur de 40 000 francs, ce qui est peu -, le conseil général et le conseil régional), les avances et prêts bonifiés, leur ont permis de ne pas trop souffrir du sinistre. En matière agricole, la viticulture a été fortement touchée. Les inondations ont donné lieu à plus de 1 200 indemnisations. Mais, là encore, la direction départementale de l'agriculture a agi rapidement, avec le concours du conseil général.

Le seul problème financier important est lié à la réhabilitation des berges, qui est normalement du ressort des propriétaires riverains. Ceux-ci n'ayant pas agi, les communes ont souvent financé les travaux, ce qui a très lourdement pesé sur leur budget.

M. Jean-Louis Vernier, chef de service à la direction régionale de l'environnement (DIREN), a souligné que la DIREN avait financé des colmatages urgents de brèches dans les digues au moment de la crise, puis ensuite des études permettant d'évaluer les dégâts, qui ont débouché sur un programme de travaux de reconstruction et d'entretien.

Il a rappelé que l'entretien des cours d'eau peut être très léger et peu coûteux s'il est annuel, mais que, lorsqu'il est réalisé une fois tous les dix ans, il devient très lourd. Dans ce cadre, même si les travaux sont subventionnés à hauteur de 80%, les 20% restant représentent encore une somme conséquente.

Il a par ailleurs déploré l'absence de mémoire du risque, puisque, bien souvent, on reconstruisait sur les lieux mêmes des inondations. Il a rappelé que 101 PPR étaient en cours d'instruction dans l'Aude. Il a enfin estimé que la crise de 1999 avait accéléré la modernisation du réseau des services d'annonce de crues.

Réunion avec les associations de sinistrés de l'Aude
(9 octobre 2001)

Les représentants des associations de sinistrés ont estimé qu'il existait un réel problème d'entretien des cours d'eau dans l'Aude. Les inondations de novembre 1999 ont encore détérioré la situation en fragilisant les arbres, en amenant toute sorte de détritus dans les rivières. Les conséquences de cette carence peuvent être dramatiques, en étant à l'origine de vagues souvent meurtrières. Soit l'État prend cet entretien en charge en totalité, soit les propriétaires transmettent leur responsabilité à des syndicats intercommunaux, mais, en tout état de cause, l'État doit entretenir ses propres cours d'eau de manière cohérente, en prenant en compte l'ensemble du bassin. Ainsi, les sinistrés ont dénoncé la reconstruction à l'identique de digues, qui a coûté 11 millions de francs (1,7 million d'euros), alors qu'elles n'ont eu aucune utilité lors des inondations. Cet argent aurait pu, selon eux, être mieux employé. Ils ont par ailleurs souligné l'absence de cohérence des travaux d'entretien et de reconstruction, qui sont réalisés commune par commune, sans prendre en compte les conséquences sur les communes voisines.

D'autre part, les sinistrés ont dénoncé les incohérences du service d'annonce de crues et le fait qu'ils n'aient pas été prévenus de l'ampleur de la catastrophe. Selon eux, la mise en place de haut-parleurs reliés à des groupes électrogènes dans chaque commune est indispensable.

Ils ont regretté le manque de communication des services de l'État et l'absence de concertation avec les associations de sinistrés qui sont pourtant les plus proches du terrain.

Visite à Durban-Corbières
(9 octobre 2001)

Accueilli par M. Régis Barailla, maire de Durban-Corbières, la Commission a pu constater que les dégâts occasionnés par la crue de novembre 1999 n'étaient pas tous effacés. Ainsi, l'école maternelle, la perception, le supermarché et la caserne des pompiers situés dans le lit majeur de la rivière, entièrement détruits, n'ont pas été reconstruits.

La Commission a par ailleurs mieux compris l'ampleur de l'événement après avoir visité l'exposition photographique réalisée grâce aux photographies des habitants de la commune dans la bibliothèque. Il est, en effet, difficile aujourd'hui d'imaginer que la petite rivière qui coule dans le village a pu provoquer de tels dégâts.

Visite à Sallèles
(9 octobre 2001)

M. Yves Bastié, maire de Sallèles, a indiqué que Voies navigables de France avait, sans aucune concertation, reconstruit à l'identique les digues détruites par les inondations, alors qu'elles avaient eu un impact négatif, retenant les eaux et les libérant violemment lors de leur rupture. Cette absence de concertation et de dialogue avec les collectivités locales a été fermement dénoncée par les élus et associations présentes.

De même, la digue et le pont SNCF ont été reconstruits selon les mêmes modalités. Il conviendrait pourtant que l'eau puisse circuler plus facilement et que ces verrous artificiels soient supprimés. En novembre 1999, la rupture de la digue SNCF est en effet à l'origine de la vague meurtrière qui a atteint Cuxac d'Aude. Il conviendrait donc de réaliser des études poussées à l'échelle du bassin versant préalablement à tous travaux.

Réunion avec les élus locaux à la mairie de Cuxac d'Aude
(9 octobre 2001)

M. Marcel Rainaud, président du Conseil général, a déploré que la population ait été laissée dans l'isolement, du fait de l'interruption des liaisons téléphoniques, même avec les portables. Cette situation a contribué à accroître le désarroi des sinistrés. Par ailleurs, il a regretté que les services de l'État soient de moins en moins présents en milieu rural. En effet, en situation de crise, l'intérêt de la proximité est très clair.

Il a reconnu que le département avait bénéficié d'un traitement de faveur au niveau financier dans la gestion de la crise, le Premier ministre ayant dégagé une enveloppe conséquente. En fait, il a été plus difficile de consommer les crédits, du fait de la lourdeur des procédures que de les obtenir.

Ainsi, les nombreuses petites communes qui avaient des réparations à financer absolument incompatibles avec la modestie de leur budget ont été subventionnées à 100 % (dont 80 % par l'État), le conseil général jouant le rôle de maître d'ouvrage à la place des communes. Il en résulte que la reconstruction se passe bien.

En ce qui concerne l'entretien des rivières, les inondations plus limitées de 1992 avaient déjà fait prendre conscience de la réalité du problème. Le constat de l'absence d'entretien a été confirmé en 1999 où de très nombreux dégâts sont liés à la constitution d'embâcles. Il est donc nécessaire de réunir toutes les communes d'un bassin versant dans une structure unique. En effet, si un syndicat d'entretien avance trop vite sur un secteur par rapport aux autres, la DDAF a mis en garde contre les risques que cela pouvait entraîner ailleurs. D'où l'idée de mettre en place un syndicat mixte réunissant tous les syndicats intercommunaux d'entretien du département afin de faire naître une solidarité entre ses membres : certaines communes ont déjà commencé à prendre conscience des enjeux et à faire des efforts, mais elles subissent les conséquences de l'inaction des autres. Il est donc indispensable de les fédérer. Le conseil général s'est fortement impliqué financièrement et politiquement dans ce projet.

Le président du conseil général a estimé que les services préfectoraux disposent des moyens juridiques pour effectuer les travaux sur la propriété des riverains récalcitrants. Il a rappelé que les travaux d'entretien et d'aménagement des cours d'eau sont subventionnés à hauteur de 80%, et que, dans ce cadre, l'engagement financier du département est tout à fait conséquent.

Il a également rappelé le rôle tout à fait constructif joué par l'association Aude solidarité dans la gestion des dons. Elle avait été créée suite aux inondations de 1992 pour gérer les dons venant de personnes privées ou publiques. Elle est présidée par le président de l'association des maires de l'Aude. Lors des inondations de 1999, elle a été réactivée et le président du conseil général a conseillé à toutes les collectivités et associations de reverser tous les dons reçus à cette association, qui a ainsi collecté 30 millions de francs (4,6 millions d'euros). En contrepartie, l'association s'est engagée à reverser la totalité des dons à des personnes privées, suivant des critères définis par l'ensemble des partenaires. C'est le département qui a supporté la gestion administrative de l'association.

Le président du conseil général a enfin regretté qu'il n'existe aucune procédure permettant au département d'agir dans l'urgence et de financer des travaux de première nécessité, sans passer par les procédures très lourdes des appels d'offres. Il a rappelé que, de ce fait, les actions du conseil général lors des inondations de novembre 1999 avaient parfois été réalisées hors du cadre légal.

M. Ange Mandelli, adjoint au maire de Narbonne, a rappelé l'importance de la coordination des aides privées et publiques. Il a indiqué qu'il avait le sentiment, depuis six ans qu'il vivait dans le département, que la population n'avait pas toujours une conscience très claire du risque lié aux inondations, même après les dramatiques événements de 1999. Il a donc insisté sur la nécessité d'une information et d'une communication constante auprès de la population, et notamment des enfants.

M. Jacques Lombard, maire de Cuxac-d'Aude, a indiqué que l'alerte avait mal fonctionné. Il a bien été prévenu que l'Aude allait déborder, mais comme cela arrive trois fois par an, personne n'a alors senti l'importance de la catastrophe qui était en train de se préparer. De plus, quand celle-ci est arrivée, la ville était coupée du monde et ne recevait plus aucune information. Depuis, des efforts ont été faits, notamment avec la mise en place de haut-parleurs.

La crise en elle-même a été bien gérée, les services de secours doivent en être particulièrement remerciés. Une difficulté a constitué dans la répartition des très nombreux dons : la commune avait décidé de les faire gérer par son centre communal d'action sociale, plutôt que de passer par le conseil général. À l'expérience, ce choix a été une erreur.

Pour la reconstruction, des décisions très rapides ont été prises, et ce qui a été promis a été réalisé. La mise en place d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat a été très utile, cela a permis de régler le problème de maisons qu'il fallait détruire et qui n'auraient pas pu être reconstruites.

Le maire de Cuxac a malgré tout déploré que la doctrine de l'État en matière de PPR change constamment. Elle est de plus en plus stricte, ce qui n'est pas en soit illogique, mais elle conduit surtout à informer de plus en plus tardivement les élus locaux des conclusions des études. La concertation n'existe donc pas à l'heure actuelle. Selon lui, le PPR doit absolument être un document concerté et surtout intercommunal.

Il a rappelé la situation de sa commune lors des inondations de 1999 et les conséquences dramatiques de la rupture de la digue de chemin de fer sur sa commune. Sur 1 800 maisons, 1 300 ont été sinistrées. Or, on ne peut les délocaliser puisque la commune ne dispose plus de terrains constructibles. L'amélioration de l'habitat a donc été privilégiée avec la possibilité de construire un étage supplémentaire et de mettre une fenêtre sur le toit, moyennant subventions.

M. Jean Palancade, président de l'association interdépartementale des basses plaines de l'Aude (AIBPA), a indiqué que son association avait déjà, avant les inondations, des projets d'aménagement global du bassin versant de l'Aude. Les réflexions étaient bien engagées et certains travaux avaient même été réalisés. Des travaux additionnels ont d'ailleurs été inscrits dans le XIème plan, notamment en matière de protection des lieux habités et de ressuyage des terres. À l'heure actuelle, l'AIBPA travaille sur la mise en service prochaine du chenal de dérivation de Coursan, qui permettra de faire diminuer les hauteurs de crue de 30 centimètres dans cette commune. L'AIBPA assure la maîtrise d'ouvrage de l'ensemble des travaux, alors que les études ont été réalisées par l'État et que les financements proviennent de l'AIBPA, de l'État et de la région.

() La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.


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