N° 1495

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 mars 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1)

sur les négociations relatives au concept stratégique de l'OTAN
et leurs conséquences sur la politique de défense et de sécurité,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. PAUL QUILÈS,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Organisations internationales

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de : M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Jean-Claude Sandrier, Michel Voisin, vice-présidents ; MM. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Marc Dumoulin, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Roger Franzoni, Yves Fromion, Robert Gaïa, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, François Huwart, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Pierre-Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Arthur Paecht, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Alain Veyret, Philippe de Villiers, Jean-Claude Viollet, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

INTRODUCTION 7

I. - LE CONTEXTE  DES NÉGOCIATIONS : DÉFENSE DE L'EUROPE OU
DÉFENSE EUROPÉENNE
11

A. L'OTAN EN CHARGE DE LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE 11

1. L'origine du système de défense atlantique et les raisons de sa création 11

2. Les débats sur la stratégie nucléaire et les divergences européennes 13

3. La volonté française de conjuguer indépendance et solidarité 14

B. L'ALLIANCE ATLANTIQUE A LA RECHERCHE D'UN NOUVEAU RÔLE (1989-1999) 16

1. L'Europe occidentale affranchie d'une menace directe 16

2. Le dialogue avec l'Europe centrale et orientale et l'élargissement de l'OTAN 17

a) Le Conseil de coopération nord-atlantique 17

b) Le Partenariat pour la paix 17

c) Le Conseil de partenariat euro-atlantique 18

d) Les relations avec la Russie et l'Ukraine 19

e) L'élargissement de l'OTAN 20

3. La nouvelle approche de la France à l'égard de l'OTAN 22

a) La tentative de réintégration de la France en 1996-1997 22

b) La place de la France par rapport à la structure militaire intégrée 24

C. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE DÉFENSE 26

1. Vers l'émergence d'une politique européenne de défense et de sécurité 26

a) Les facteurs de prise de conscience européenne 26

b) Les promesses des traités de Maastricht et d'Amsterdam 28

c) Le lien établi entre l'UEO et l'Alliance atlantique 29

d) La déclaration franco-britannique de Saint-Malo 31

2. Un bilan modeste 34

a) Les réalisations concrètes 34

b) La prise en compte de l'identité européenne : les relations entre l'UEO et l'OTAN 36

c) Les instruments d'intervention 37

II. - LES NÉGOCIATIONS EN COURS 39

A. POURQUOI UN NOUVEAU CONCEPT STRATÉGIQUE ? 39

1. Les éléments du concept stratégique 39

a ) Les fonctions définies par le concept stratégique en 1991 39

b ) Les éléments encore pertinents 40

c ) Les autres fonctions à définir 42

2. Une réflexion dominée par les initiatives américaines 42

a) La valeur symbolique du 50ème anniversaire 42

b) La dispersion des attitudes sur des points essentiels 43

B. LES RISQUES DE MALENTENDUS DANS LES NÉGOCIATIONS 44

1. Le contenu du nouveau concept stratégique 45

a ) La définition de nouvelles missions 45

b ) La place de l'identité européenne de sécurité et de défense 46

2. La légitimité des actions de maintien de la paix de l'OTAN 49

a ) Le fondement juridique : la question du mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies (ou de l'OSCE) 50

b ) Les champs géographiques d'intervention de l'Alliance atlantique 53

3. Les nouvelles menaces : réponse politique ou réponse militaire 54

a ) L'initiative sur les armes de destruction massive 54

b) L'identification de nouvelles menaces 56

4. La réforme des capacités de défense 56

5. Les divergences écartées pour l'instant du débat 58

a) Le débat sur l'élargissement de l'OTAN 58

b) Un débat à venir après le sommet de Washington : le rôle du nucléaire 60

III. - LES PROPOSITIONS DU RAPPORT 61

A. LA PRIMAUTÉ DE LA DÉFENSE COLLECTIVE 61

B. LES CONDITIONS D'EXERCICE DES NOUVELLES MISSIONS DE GESTION DES CRISES 62

C. L'INADAPTATION DU CADRE DE L'OTAN AU TRAITEMENT DES PROBLÈMES DE PROLIFÉRATION 65

D. LES CONDITIONS DES ÉLARGISSEMENTS FUTURS 66

E. LA DIMENSION PROPREMENT EUROPÉENNE DU DIALOGUE DE SÉCURITÉ ET DE LA COOPÉRATION MILITAIRE AU SEIN DE L'ESPACE EURO-ATLANTIQUE 67

1. Les relations avec les pays d'Europe centrale et orientale 67

2. Les relations entre la Russie et l'Ukraine 68

F LES PERSPECTIVES NOUVELLES DE CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE 70

1. L'Union européenne, lieu naturel d'impulsion de la construction de l'Europe de la défense 71

2. La constitution d'une capacité d'action européenne autonome 73

3. Une relation équilibrée de confiance et de transparence avec l'OTAN 80

4. Des duplications utiles et d'un coût supportable 81

5. L'intégration souhaitable de l'UEO dans l'Union européenne 82

G. L'ADAPTATION DES CAPACITÉS MILITAIRES AUX NOUVELLES EXIGENCES DE LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE 84

1. Une restructuration nécessaire des forces, qui impose un effort budgétaire approprié 84

2. Une restructuration qui doit rester conforme aux besoins européens 87

3. La question de l'armement nucléaire 90

TRAVAUX DE LA COMMISSION 91

I. - AUDITION DE M. HUBERT VÉDRINE, MINISTRE DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES
91

II. - AUDITION DE M. ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DÉFENSE 95

III. - AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE MALLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA
DÉFENSE NATIONALE
103

IV. - EXAMEN DU RAPPORT D'ÉTAPE 111

V. - AUDITION DU GÉNÉRAL JEAN-PIERRE KELCHE, CHEF D'ÉTAT MAJOR
DES ARMÉES
119

VI. - EXAMEN DU RAPPORT 125

VII. - EXPLICATIONS DE VOTE 137

1. CONTRIBUTION DE M. JEAN-CLAUDE SANDRIER, AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE 137

2. CONTRIBUTION DE M. PIERRE LELLOUCHE, AU NOM DU GROUPE RPR 140

ANNEXES 143

ANNEXE 1 : LE TRAITÉ DE L'ATLANTIQUE NORD
(W
ashington DC, 4 avril 1949)
143

ANNEXE 2 : CONCEPT STRATÉGIQUE DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE
(R
ome, 1991)
147

ANNEXE 3 : ARTICLE J.4 DU TITRE V DU TRAITÉ DE L'UNION EUROPÉENNE 164

ANNEXE 4 : DÉCLARATION DE PETERSBERG DU CONSEIL DES MINISTRES DE L'UEO (Bonn, 19 juin 1992) 165

ANNEXE 5 : ARTICLE J.7 DU TRAITÉ D'AMSTERDAM (ART. 17 DU TRAITÉ DE L'UNION EUROPÉENNE) 166

ANNEXE 6 : LISTE DES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL 168

ANNEXE 7 : AUDITIONS ET ENTRETIENS DU GROUPE DE TRAVAIL 169

MESDAMES, MESSIEURS,

La Commission de la Défense nationale a décidé d'étudier les conséquences pour notre politique de défense et de sécurité des négociations relatives au concept stratégique de l'OTAN qui sera adopté au Sommet de l'Alliance atlantique à Washington, du 23 au 25 avril prochains. Elle a chargé son Président d'élaborer un rapport d'information sur ce sujet, au sein d'un groupe de travail (1).

Le concept stratégique est un document destiné à rendre compte des buts et de la spécificité de l'Alliance atlantique, à préciser les données de son environnement stratégique et à définir les fonctions qu'elle est appelée à remplir au service de la sécurité de ses membres.

Les questions abordées au cours des négociations relatives au concept stratégique revêtent une importance majeure pour la défense de la France. Les positions que les alliés prendront sur les modalités de la gestion des crises, le développement de l'Europe de la défense et les orientations des politiques nationales de défense auront des conséquences directes sur nos choix propres, qu'il s'agisse du volume des forces, de leur équipement, de leurs missions ou même du niveau de l'effort budgétaire à consentir dans le domaine militaire. Le sommet de Washington fournit ainsi l'occasion de définir un nouvel équilibre américano-européen et de préciser les fondements de l'Alliance en prenant en compte les avancées en matière de sécurité et de défense européennes.

Le Conseil atlantique, au niveau des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, a approuvé le mandat de négociation du nouveau concept stratégique en décembre 1997. Le Groupe de coordination des orientations a élaboré un premier texte le 2 juillet 1998. Les orientations du futur concept stratégique ont été précisées au cours des réunions des ministres de la Défense et en particulier celle de décembre 1998. La négociation progresse cependant difficilement et les discussions, qui devaient refléter un consensus, n'ont pas masqué les divergences entre les pays alliés.

Les désaccords qui persistent entre alliés devraient conduire à l'adoption d'un texte de compromis sans aspérités dont les éléments les plus litigieux seront écartés et qui pourra donner lieu à des interprétations diverses. L'administration américaine, qui souhaite faire du sommet de Washington une grande commémoration, veut faire la preuve de la vitalité d'une Alliance qui a réussi, en raison même de la force du lien transatlantique, à survivre à la disparition de la menace qui lui avait donné naissance. Mais les difficultés qui seront masquées par les habiletés de rédaction du nouveau texte ne disparaîtront pas pour autant et le sommet de Washington ne devrait être qu'une étape dans l'évolution des rapports transatlantiques.

La Commission de la défense a souhaité que le rapport d'information distingue les questions qui permettent le consensus entre alliés de celles qui concernent les divergences potentielles, et s'efforce de rendre compte des six grandes questions au c_ur du débat.

La situation dans laquelle le concept stratégique actuel de l'Alliance a été adopté à Rome en 1991 était encore dominée par le clivage Est-Ouest. C'est pourquoi le concept attribue à l'Alliance une fonction de préservation de l'équilibre stratégique en Europe. Cette fonction n'a plus à être assurée car la situation s'est depuis radicalement transformée : la menace directe d'agression massive qui pesait sur l'Europe occidentale a disparu pour l'avenir prévisible ; en revanche, des risques de déstabilisation stratégique sont apparus sur le continent européen. Comme le déroulement du conflit bosniaque l'a montré, la multiplication des risques a placé l'Alliance devant de nouvelles responsabilités, elle a proposé des réponses pour y faire face et elle s'est imposée comme une garantie majeure face à ceux-ci.

Parallèlement, l'Europe s'est efforcée, dans des conditions difficiles, de trouver le chemin d'une politique de défense commune qui pourrait donner à sa politique extérieure et de sécurité la crédibilité et l'efficacité qui lui manquent. Le changement d'attitude récent du Royaume-Uni montre que des progrès décisifs en ce domaine sont possibles. De plus, dès qu'elles deviennent significatives, les opérations militaires de gestion des crises rendues nécessaires par d'éventuelles atteintes aux intérêts stratégiques des pays européens ne peuvent plus se dérouler que dans un cadre international, c'est-à-dire en pratique dans le cadre d'une coalition susceptible d'être constituée au sein de l'Alliance mais aussi en dehors d'elle.

Les Etats-Unis proposent que le nouveau concept décrive de manière large et extensive les missions de gestion de crise de l'OTAN tandis que les alliés européens proposent des formulations plus prudentes.

Les Etats-Unis considèrent que les actions de maintien de la paix, au même titre que celles de défense collective, peuvent être menées sans l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies. Afin d'appuyer leur thèse, ils cherchent à se prévaloir des mesures militaires rendues nécessaires pour le règlement du conflit du Kosovo. Pour des raisons de principe et pour éviter des dérives graves, les pays européens et en particulier la France sont cependant favorables à un mandat explicite pour tout recours à la force au cours d'une mission d'imposition de la paix, sous réserve de certaines situations d'urgence.

Les Etats-Unis expriment par ailleurs leurs préoccupations devant les nouveaux risques qui apparaissent dans l'environnement stratégique de l'Alliance et en particulier devant les dangers de prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques. Leur souhait de définir, au sein de l'Alliance, une stratégie de lutte contre ces nouveaux risques qu'ils considèrent comme des menaces suscite des objections de la part des pays qui, comme la France, privilégient des modes d'action non militaires et un renforcement des régimes multilatéraux de contrôle.

Par ailleurs, se pose la question des modalités d'accession de l'Europe à une capacité d'action militaire autonome, question qui revêt une acuité d'autant plus forte que les Etats-Unis font état, avec insistance, de leur refus de voir se constituer au sein de l'Alliance un « caucus » européen, c'est-à-dire un bloc d'Etats européens défendant une même politique.

Votre rapporteur s'est également demandé comment l'Europe de la politique étrangère et de sécurité commune et, à terme, de la défense, pouvait faire valoir ses intérêts propres dans ses relations avec les pays d'Europe centrale et orientale ainsi qu'avec la Russie et l'Ukraine. En effet, même si la question n'est pas abordée dans le nouveau concept stratégique, la situation de la Russie pose un vrai problème, du fait des risques potentiels qui s'attachent à son évolution.

Enfin, la question de l'effort de défense mérite d'être posée. Les nouvelles missions de maintien de la paix imposent en effet une restructuration profonde et une modernisation coûteuse des forces, qui pourront difficilement être assurées sans une interruption de la baisse des budgets militaires et peut-être même une certaine reprise de la croissance des dotations d'équipement, même si dans le cadre d'une Europe de la défense, des économies substantielles peuvent à terme être dégagées compte tenu de la mise en commun des moyens.

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La démarche engagée par la Commission de la Défense nationale est novatrice car elle est amenée à suivre, pour la première fois, des négociations en cours et à formuler des propositions sur les questions qu'elles abordent.

La Commission a en effet souhaité répondre à la nécessité de mieux éclairer l'Assemblée nationale et l'opinion sur les conditions dans lesquelles sont prises les grandes décisions relatives à la politique de défense et de sécurité de la France et de l'Europe. Elle a également estimé que la représentation nationale devait montrer qu'elle était prête à proposer à l'exécutif, dans le respect des équilibres constitutionnels, des orientations pour la conduite de la politique de défense et de sécurité, dans des domaines souvent écartés du débat public.

Etabli dans cet esprit, le présent rapport d'information tentera d'abord de décrire le contexte des négociations avant d'analyser leur déroulement et d'apporter une contribution au débat sur leurs grands enjeux.

I. - LE CONTEXTE  DES NÉGOCIATIONS : DÉFENSE DE L'EUROPE OU DÉFENSE EUROPÉENNE

A. L'OTAN EN CHARGE DE LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE

1. L'origine du système de défense atlantique et les raisons de sa création

La conclusion, le 4 avril 1949, du traité de Washington fondant l'Alliance atlantique apportait à l'Europe la garantie de l'assistance militaire américaine. La lettre du traité ne donnait pas de caractère d'automaticité à cette garantie. Son article 5 prévoit en effet, qu'en cas d'attaque armée en Europe, chacun des alliés assistera les Etats parties au traité qui en seront victimes « en prenant aussitôt... telle action » qu'il « jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord ». Les Etats-Unis, et surtout le Sénat américain, sont en effet encore réticents à se lier à l'Europe par une garantie d'intervention automatique. Néanmoins, le traité concerne l'Allemagne occidentale (article 6) ; il est ouvert à l'adhésion de nouveaux membres européens (article 10) ; il prévoit un mécanisme de consultation au cas où l'une des parties jugerait sa sécurité menacée (article 4) ; il institue des structures permanentes chargées de veiller à son application (article 9).

En apportant leur garantie à la sécurité de l'Europe occidentale comme le demandait la « résolution Vandenberg », votée dès le 11 juin 1948 par le Sénat américain, les Etats-Unis s'associent à un système de défense collective établi par la Grande-Bretagne, la France et les pays du Bénélux dans le cadre du traité de Bruxelles du 17 mars 1948. Mais ce n'est qu'après l'invasion de la Corée du sud par les troupes nord-coréennes que les Etats-Unis, considérant que l'Europe occidentale est elle aussi placée devant une menace d'agression soviétique imminente, s'engagent militairement à grande échelle et de manière permanente pour assurer sa défense. En octobre 1950 est créé un commandement militaire allié en Europe. Le 18 décembre, le Conseil atlantique demande aux Etats-Unis d'en confier la responsabilité à un général américain, le général Eisenhower, qui devient le premier commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR). Ainsi naissait l'organisation militaire intégrée qui, de fait, consacrait la permanence de la présence militaire des Etats-Unis en Europe et donnait un caractère automatique à leur engagement en cas de conflit.

Pour maintenir l'équilibre des forces face à l'URSS à un coût supportable pour eux-mêmes et pour les alliés, les Etats-Unis adoptent, en octobre 1953, la stratégie du « new look » de recours à des représailles nucléaires massives et instantanées en cas d'offensive soviétique. La protection nucléaire américaine garantit alors la sécurité et la stabilité de l'Europe occidentale.

Pour éviter l'apparition d'un vide militaire en Allemagne occidentale, les Etats-Unis demandent, dès 1950, le réarmement de la RFA qu'ils obtiennent, après l'échec de la CED, lorsque les accords de Paris, qui instituent l'UEO, en fixent les conditions en octobre 1954.

Le dispositif militaire intégré de l'Alliance remplit alors une double fonction : la présence militaire des Etats-Unis aux côtés des troupes européennes garantit l'automaticité de la riposte américaine, qui sera nécessairement nucléaire. L'intégration complète des forces allemandes dans ce dispositif rassure les autres alliés européens, moins de 10 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. La « renationalisation » des efforts de défense européens, encore aujourd'hui présentée comme un risque réel dans le discours officiel de l'OTAN, est évitée. Comme l'a rappelé avec humour le ministre des Affaires étrangères allemand, M. Joschka Fischer, lors de la conférence de Munich, le 6 février 1999, le rôle historique de l'OTAN était alors, selon les termes de son premier Secrétaire général, Lord Ismay, de « maintenir les Américains en Europe occidentale, les Russes en dehors et les Allemands sous contrôle » (keep the Americans in, the Russians out and the Germans down).

Au cours de cette période, les Etats-Unis jouent ainsi un rôle fondamental, non seulement dans la défense de l'Europe contre la menace soviétique, mais aussi dans l'établissement de liens de confiance entre les pays européens eux-mêmes. L'Europe, déchargée du souci d'assurer seule sa défense, pouvait se consacrer, sous la protection nucléaire américaine, à son unification économique.

Ce passé peut paraître révolu, à l'heure où la menace soviétique a disparu, où l'Allemagne a recouvré son unité avec l'accord des puissances historiquement responsables de son statut et de l'ensemble de ses voisins et où la construction européenne a créé une étroite communauté d'intérêts entre les pays qui y participent.

Il explique cependant le peu d'intérêt qu'a longtemps suscité, pour les Européens eux-mêmes, l'idée d'une défense européenne autonome. Il permet également de comprendre l'attachement d'une partie notable de l'opinion publique des pays d'Europe occidentale à un ordre ancien qui paraît synonyme de sécurité, de stabilité et de confiance mutuelle. Il rend compte enfin de certaines situations, comme l'absence d'état-major des armées en Allemagne.

2. Les débats sur la stratégie nucléaire et les divergences européennes

Lorsque, vers la fin des années 50, le territoire américain devient vulnérable à une frappe nucléaire soviétique, les Européens se trouvent confrontés aux incertitudes de la « dissuasion élargie ». Mais, à ce même problème stratégique, ils apportent des solutions divergentes.

La dissuasion américaine ne peut plus reposer sur une menace de riposte immédiate et massive. Les Etats-Unis sont contraints de minimiser leurs risques. A cet effet, ils proposent, en mai 1962, la stratégie de « riposte graduée », qui prévoit trois degrés dans l'escalade nucléaire : une défense classique, une escalade tactique contrôlée, une riposte stratégique.

Les Européens, et tout particulièrement les Allemands et les Français, s'inquiètent alors de la possibilité d'un affrontement conventionnel ou nucléaire tactique prolongé sur leur territoire. Mais ils savent aussi que la décision de passage à l'arme nucléaire tactique, puis à l'arme stratégique leur échappe et qu'elle appartient aux Américains seuls. La France échappe à cette dépendance grâce à son armement nucléaire national comme du reste la Grande-Bretagne, qui bénéficie de l'aide américaine pour la constitution de sa force de dissuasion. Les deux pays introduisent un élément d'incertitude supplémentaire dans les calculs de l'adversaire potentiel, en disposant d'une capacité indépendante de frappe nucléaire.

Les pays européens non nucléaires n'ont pas d'autre choix que de faire valoir leurs intérêts dans le cadre de la stratégie définie par les Etats-Unis. La RFA obtient en particulier de l'OTAN qu'elle organise sa défense « à l'avant », au plus près de la frontière interallemande. Le dispositif retenu alterne du Nord au Sud, de la Baltique à la Bavière, les grandes unités américaines et européennes, ce qui garantit l'implication automatique des Etats-Unis dès les premiers instants d'un possible conflit et place l'agresseur potentiel devant le risque nucléaire, au moment même du déclenchement de son offensive. Par ailleurs, est constitué un « groupe des plans nucléaires » qui fournit le cadre d'une concertation limitée entre les Etats-Unis et leurs alliés sur l'emploi de l'arme nucléaire.

Cette période montre à quel point les postures de défense de la France, de la RFA et de la Grande-Bretagne se sont distinguées les unes des autres malgré une prise de conscience commune des incertitudes inhérentes à la garantie nucléaire d'une puissance extérieure, lorsque celle-ci est elle-même exposée à la riposte nucléaire. La différence des démarches nationales pèse encore sur le débat européen d'aujourd'hui : attachement de la Grande-Bretagne à la coopération transatlantique, qui lui a notamment permis d'accéder à l'arme nucléaire, choix par la RFA de la voie de l'intégration atlantique pour réduire les risques auxquels elle est exposée, affirmation, par la France, de la spécificité de ses intérêts nationaux et, plus largement, des intérêts européens.

3. La volonté française de conjuguer indépendance et solidarité

Le retrait de la France de l'organisation militaire intégrée annoncé en janvier 1966 répondait d'abord à un objectif politique : recouvrer une souveraineté que les mécanismes de l'OTAN ne respectaient pas. Ce qui pour la RFA était un avantage : l'implication automatique des forces américaines dans un conflit où elle-même serait nécessairement en première ligne n'était plus acceptable pour la France dès lors que le « pouvoir égalisateur de l'atome » lui permettait d'assurer elle-même sa sécurité. En outre, la participation des forces classiques françaises à la stratégie globale de dissuasion qui, par nature, ne pouvait être que nationale, interdisait qu'elles soient soumises à un contrôle extérieur. Enfin, l'intégration dans un dispositif militaire commandé par le commandant en chef des forces américaines en Europe n'était pas compatible avec la liberté d'action diplomatique dont la France entendait user dans le monde.

La France n'a cependant pas souhaité se délier de ses engagements. En mars 1966, le Général de Gaulle écrivait au Président américain Lyndon Johnson que la France restait « résolue ... à combattre aux côtés de ses alliés au cas où l'un d'entre eux serait l'objet d'une agression qui n'aurait pas été provoquée ». Il indiquait que les autorités françaises n'envisageaient pas de faire usage de la faculté de dénonciation du traité qui leur serait ouverte en 1969. Dès la sortie de la France du commandement intégré, une coopération s'est mise en place entre les forces françaises et les autres forces alliées pour permettre, le cas échéant, une man_uvre conjointe en Allemagne (accords Ailleret-Lemnitzer de 1967).

La France témoignait ainsi de sa volonté de prendre part à une éventuelle bataille conventionnelle sur le sol allemand, dans la position de réserve des forces alliées qu'elle avait occupée depuis la création de l'Alliance. Par ailleurs, le concept d'« intérêts vitaux » est, dès l'origine, au c_ur de la stratégie française de dissuasion. C'est la mise en cause des intérêts vitaux de la France qui justifierait le recours à l'armement nucléaire. Or, cette notion d'ordre politique n'a pas de limite géographique précise. Elle implique que le feu nucléaire puisse être déclenché avant que l'agresseur ait atteint les approches du territoire. La France considérait qu'il y avait là une incertitude qui, compliquant les calculs d'un agresseur éventuel, renforçait la sécurité de ses voisins. La déclaration d'Ottawa de l'Alliance atlantique a d'ailleurs reconnu, en juin 1974, la contribution des forces nucléaires françaises (et britanniques) au renforcement global de la dissuasion alliée.

Il n'en reste pas moins que, jusque vers le milieu des années 1980, le bilan de la politique militaire française reste ambigu pour l'Europe d'aujourd'hui. C'est une politique qui a le mérite d'affirmer des intérêts de sécurité proprement européens face aux Etats-Unis ainsi qu'une volonté intransigeante de défense face à la menace soviétique, tout en acceptant de s'inscrire, le moment venu, dans un cadre de sécurité collective et de désarmement. Mais c'est aussi une politique qui a pu apparaître à nos alliés européens comme destinée principalement à défendre un « sanctuaire national ». L'introduction des missiles Pluton a renforcé ce sentiment. La liberté d'appréciation que la France se réservait -et qui est inhérente à la stratégie de dissuasion- a suscité, notamment en RFA, des interrogations sur le degré d'engagement de la France dans la défense de l'Europe. La dissuasion n'a pas seulement créé des incertitudes chez l'adversaire potentiel mais aussi chez ses alliés européens.

Des initiatives françaises nouvelles ont cependant contribué à modifier ce sentiment et à permettre qu'apparaissent les prémices d'une Europe de la défense. En 1982, la France et la RFA décident de mettre en _uvre les dispositions relatives à la défense du traité de l'Elysée de 1963. En 1983, le Président de la République française manifeste sa préoccupation devant le déploiement des missiles SS20 et prend position au Bundestag en faveur de l'acceptation par la RFA des missiles Pershing destinés à rétablir l'équilibre dissuasif. Il montre ainsi que la France est directement concernée par la sécurité de ses alliés. En 1983-1984, la création de la Force d'action rapide, capable de se projeter sur le théâtre d'une éventuelle crise en Europe, dès son déclenchement, concrétise le lien de solidarité franco-allemand. Dans la logique de ce renforcement des relations de confiance entre la France et la RFA, une procédure de consultation est instituée en 1986 entre les deux pays pour les situations où l'arme nucléaire tactique française devrait être utilisée contre des objectifs en territoire allemand (y compris sur le sol de la RDA).

La réactivation de l'UEO comme forum privilégié de la concertation européenne sur les problèmes de sécurité est rendue possible par ce nouveau contexte. En 1987, le Conseil de l'UEO adopte « une plate-forme sur les intérêts communs en matière de sécurité » qui énonce trois principes pour la défense de l'Europe : le rôle irremplaçable de l'arme nucléaire, l'assistance mutuelle aux frontières d'un Etat faisant l'objet d'une agression et la concertation en cas de crise hors d'Europe. La France s'engage ainsi à porter assistance à la RFA « à ses frontières ». En 1988, le Portugal et l'Espagne deviennent membres de l'UEO après avoir souscrit à la plate-forme. Un cadre juridique et institutionnel est désormais rendu disponible pour la mise en place d'une politique européenne de défense.

B. L'ALLIANCE ATLANTIQUE A LA RECHERCHE D'UN NOUVEAU RÔLE (1989-1999)

Parallèlement au lent processus d'émergence d'une identité européenne de sécurité et de défense, l'OTAN a démontré une réelle capacité d'adaptation depuis le début des années 1990, c'est-à-dire depuis que l'Europe occidentale s'est trouvée privée d'une menace majeure d'affrontement direct. Aux termes du programme adopté à Londres les 6 et 7 juillet 1990, le dispositif militaire a été réorganisé et un concept stratégique a été défini à Rome les 7 et 8 novembre 1991.

Mais la contribution de l'Alliance à la sécurité et à la stabilité s'est également appuyée sur le développement du partenariat et de la coopération avec le reste du continent européen.

1. L'Europe occidentale affranchie d'une menace directe

La rapide disparition au début des années 90, en premier lieu du Pacte de Varsovie, qui s'est dissous après la chute du mur de Berlin, puis de l'Union soviétique en 1992, constitue l'évolution stratégique majeure du continent européen. Pour la première fois depuis quarante ans, l'Europe était affranchie de la menace d'un affrontement direct qui fondait alors toute l'architecture de sa sécurité. L'armée russe a reculé de près de 1 500 kilomètres par rapport aux frontières françaises en quittant l'Allemagne, l'Estonie et la Lettonie en 1994.

L'évolution la plus sensible des concepts de défense européenne a ainsi été liée paradoxalement aux progrès de la détente et aux accords américano-soviétiques sur l'élimination des forces nucléaires. Le risque nucléaire subsiste cependant en raison de la désorganisation politique et économique de la Russie, principale héritière en ce domaine de l'URSS, la Biélorussie, l'Ukraine et le Kazakhstan ayant renoncé à disposer d'armes nucléaires et adhéré au Traité de non-prolifération en tant qu'Etats non nucléaires.

Parallèlement, à une menace continentale et frontale du Pacte de Varsovie, en fait de l'Union soviétique, a succédé une source permanente de crises pouvant dégénérer en conflits. Si les problèmes liés aux minorités s'atténuent progressivement en Europe centrale et orientale (ne serait-ce qu'en raison de la nécessité de les résoudre pour les candidats à l'élargissement de l'OTAN), de nombreux risques sont apparus en Europe balkanique : guerres serbo-musulmane et serbo-croate, conflit albano-serbe au Kosovo, question macédonienne. La multiplication des foyers de tensions oblige à envisager deux hypothèses d'utilisation de la force pour maintenir la paix, sans coercition au titre du chapitre VI de la Charte des Nations Unies, et pour imposer un règlement par une action de rétablissement de la paix en application du chapitre VII de la même Charte.

2. Le dialogue avec l'Europe centrale et orientale et l'élargissement de l'OTAN

Depuis une dizaine d'années, les membres de l'Alliance atlantique ont engagé un dialogue avec les pays d'Europe centrale et orientale, d'une part, avec la Russie et l'Ukraine, d'autre part. Bien que les deux questions puissent être dissociées, le rapprochement de l'OTAN avec les autres pays européens était également lié au débat sur l'élargissement de l'Alliance à de nouveaux membres.

a) Le Conseil de coopération nord-atlantique

Dès 1990, les membres de l'Alliance atlantique ont institutionnalisé les relations diplomatiques avec les anciens partenaires du Pacte de Varsovie, d'abord grâce au renforcement de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) qui s'est transformée en organisation internationale (OSCE) depuis le 1er janvier 1995, puis par l'association de ces pays au Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA).

Dans une première étape, le CCNA a permis de combler « le vide de sécurité » ressenti par les Etats d'Europe centrale et orientale (PECO), d'éviter leur isolement et de développer avec eux des liens politiques. Puis, à mesure que l'Alliance atlantique s'est sentie prête à offrir des garanties de sécurité et à répondre ainsi aux demandes répétées des PECO qui estimaient insuffisant le cadre du CCNA, s'est ouvert, dans une seconde étape, le processus d'élargissement de l'OTAN, qui se confirme avec l'adhésion formelle des trois premiers candidats, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque.

b) Le Partenariat pour la paix

Le Partenariat pour la paix (PPP), adopté par le sommet de Bruxelles en janvier 1994, est en premier lieu une structure de coopération entre l'OTAN et chacun des pays concernés. Adaptable à chaque situation particulière, il permet notamment d'associer un pays à une opération de maintien, voire de rétablissement de la paix menée par l'OTAN. En second lieu, le PPP favorise le rapprochement des structures militaires puisqu'il implique une plus grande interopérabilité entre les équipements et les procédures ainsi qu'au niveau des chaînes de commandement et de logistique.

Si le Partenariat pour la paix a été conçu comme un substitut à l'élargissement de l'OTAN et n'a jamais satisfait les candidats éventuels, il a également été vite compris comme une étape vers l'intégration. Aussi, dès la fin de 1995, vingt-sept Etats avaient ratifié l'accord et quinze participaient au processus d'examen et de planification associée (PARP). Actuellement il associe à l'OTAN près de 25 pays, Russie mise à part : tous les Etats européens de l'ancien pacte de Varsovie, l'Albanie, l'Autriche, la Finlande, Malte, la Slovénie, la Suède, les pays baltes et les anciennes républiques soviétiques, à l'exception du Tadjikistan.

Le Partenariat pour la paix (PPP) a été créé dans un quadruple but :

- améliorer l'échange d'informations en matière de planification et de budget de la défense ;

- promouvoir un contrôle démocratique sur les forces armées ;

- renforcer leur participation à des missions humanitaires ou de maintien de la paix ;

- identifier des objectifs concrets d'interopérabilité (dans le cadre du processus de planification et d'examen associé PARP (Planning and Review Process).

Si des pays candidats à l'élargissement considèrent les exercices communs dans le cadre du Partenariat pour la paix comme peu réalistes et de faible niveau, certaines man_uvres ont constitué des exercices complexes, préludant à une véritable coopération opérationnelle, par exemple dans le cadre de l'IFOR puis de la SFOR en ex-Yougoslavie. De plus, le système de planification et d'exécution des activités s'ouvre progressivement aux partenaires et en 1999, des éléments d'état-major pourraient être constitués dans les commandements stratégiques et régionaux de l'OTAN.

c) Le Conseil de partenariat euro-atlantique

Lors de la session ministérielle de mai 1997, une nouvelle structure, le Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA), a été créée pour fusionner le Conseil de coopération nord-atlantique et le Partenariat pour la paix, approfondir le dialogue politique et rendre le Partenariat pour la paix plus opérationnel.

Le CPEA apparaît ainsi comme une instance consultative de dialogue, et un cadre institutionnel au champ de responsabilité élargi mais aux compétences imprécises. Il est prévu que le CPEA se réunisse en séances plénières, en format limité, ou en structure « 16 + 1 ». Les réunions ont lieu deux fois par an au niveau des ministres et tous les mois à celui des ambassadeurs.

Dans le cadre du CPEA, le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe, créé au printemps 1998, pour aider au renforcement des modalités pratiques en matière de secours internationaux, a déjà participé à la coordination des aides d'urgence pour des opérations menées en Albanie et en Ukraine.

Les ministres des Affaires étrangères de l'Alliance ont actualisé en décembre 1998 une version du plan d'action du CPEA pour les années 1998-2000 qui développe les mesures de coopération avec les Etats partenaires.

d) Les relations avec la Russie et l'Ukraine

·  L'« Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles », signé le 27 mai 1997 à Paris, relance la coopération entre l'OTAN et la Russie. Comportant une déclaration solennelle de l'Alliance atlantique et de la Russie, aux termes de laquelle celles-ci ne se considèrent plus comme des adversaires, il donne des réponses aux préoccupations russes sur les questions du stationnement d'armes nucléaires et de la présence de forces militaires et d'infrastructures de l'Alliance sur le territoire des nouveaux membres. Les Etats membres de l'OTAN « réitèrent » en particulier « qu'ils n'ont aucune intention, aucun projet et aucune raison de déployer des armes nucléaires sur le territoire de nouveaux membres ». L'Acte fondateur complète également les précédents liens de partenariat établis dans le cadre du PPP ou du CPEA en instituant un Conseil conjoint permanent.

Le dialogue dans le cadre de ce Conseil vise à aborder l'ensemble des questions de sécurité d'intérêt commun. Il aura lieu au niveau des Chefs d'Etat, des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, et des ambassadeurs. Les premières consultations ont permis d'établir certaines relations de confiance et de définir un programme de travail pour 1999.

·  La Charte de partenariat OTAN-Ukraine

La « Charte sur un partenariat spécifique entre l'OTAN et l'Ukraine », signée en juillet 1997 lors du sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement de Madrid, a institué une Commission conçue comme un lieu de dialogue politique et destinée à développer la compréhension commune des questions de sécurité en confortant les autorités ukrainiennes dans la voie des réformes politiques, économiques et militaires.

Depuis octobre 1997, la Commission s'est réunie régulièrement, dont deux fois au niveau ministériel en décembre 1997 et en décembre 1998. Les Ukrainiens souhaitent calquer les activités de la Commission sur le modèle du Conseil conjoint permanent OTAN-Russie. Les travaux ont inclus des échanges sur la situation en Bosnie-Herzégovine, compte tenu notamment de la participation d'un contingent ukrainien à la SFOR, et l'élaboration et la mise en oeuvre d'un programme de travail.

La coopération pratique s'est déjà traduite par l'organisation de séminaires sur la sécurité économique et sur la restructuration des industries de défense. Dans le domaine des plans civils d'urgence, l'OTAN et l'Ukraine ont, par ailleurs, signé le 16 décembre 1997 un mémorandum sur leur coopération mutuelle. Enfin, dans le cadre du programme individuel de partenariat de l'Ukraine, a été créé un groupe de travail conjoint sur la réforme de la défense qui devrait axer ses travaux sur le contrôle civil des forces armées, l'interopérabilité et la planification des ressources.

e) L'élargissement de l'OTAN

Depuis sa création en 1949, l'Alliance s'est élargie à la Grèce et à la Turquie en 1952, à la RFA en 1955 et à l'Espagne en 1982. Alors que, depuis la fin de la confrontation Est-Ouest, douze pays ont présenté leur candidature, la démarche actuelle d'élargissement a été limitée à trois pays.

·  Les raisons de l'élargissement

Pour l'ensemble des membres de l'Alliance atlantique, l'élargissement de l'OTAN a été conçu pour renforcer la stabilité et la sécurité en Europe, et comme une réponse « naturelle » à l'évolution de la situation stratégique en Europe : il devait permettre aux Etats d'Europe centrale et orientale de « prendre leur place dans la communauté euro-atlantique » ; il visait également à étendre les principes qui fondent la défense collective de l'Europe occidentale et garantissent l'équilibre stratégique du continent européen grâce au lien transatlantique. Les Etats d'Europe centrale et orientale considèrent toujours que toute menace majeure n'a pas disparu et que le meilleur moyen de renforcer leur sécurité est d'entrer dans l'Alliance atlantique.

Certains alliés ont eu une approche spécifique de l'élargissement. L'Allemagne a ainsi estimé que l'élargissement vers l'Est lui permettrait de ne plus se situer aux frontières orientales de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique et d'établir de nouveaux liens de solidarité avec ses voisins de l'Est. Pour les Etats-Unis, l'objectif était à la fois de consolider l'OTAN après la disparition du Pacte de Varsovie et d'étendre ses missions dans une conception maximaliste. Il semblerait aujourd'hui que leur souhait soit de ralentir le processus d'élargissement dans la mesure où un trop grand nombre de membres rend plus difficile la prise de décisions par consensus et où les pays de la première vague d'intégration auraient une vision restrictive des nouvelles missions de l'OTAN. Le souhait de nombreux alliés, notamment de l'Allemagne, est à présent de consolider l'Alliance avant toute nouvelle vague d'élargissement et d'affirmer qu'il n'existe pas de droit à l'adhésion.

Les trois premiers Etats rejoignant l'Alliance se sont prévalus de progrès démontrant qu'ils étaient en mesure d'apporter une véritable contribution à l'Alliance. L'élargissement est apparu impossible à refuser à des Etats qui répondaient aux critères fixés en matière d'ouverture à l'économie de marché, de démocratie et de droits de l'Homme. Leur adhésion a fait l'objet d'un consensus entre membres de l'Alliance atlantique même s'il est difficile d'apprécier les critères ayant fondé la décision du Conseil atlantique ainsi que les motifs de l'OTAN de refuser un plus grand nombre de nouveaux membres.

·  Le processus juridique

L'élargissement repose sur le fondement juridique de l'article 10 du traité de l'Atlantique Nord. Plusieurs étapes ont été nécessaires en raison de la complexité du mécanisme juridique ; elles se sont accompagnées d'une implication croissante des candidats dans les structures politiques et militaires de l'organisation grâce aux mécanismes du Partenariat pour la paix.

Le Conseil atlantique, réuni en session ministérielle le 1er décembre 1994, avait décidé « d'engager un processus d'examen (...) afin de déterminer le processus d'élargissement de l'OTAN ». La session ministérielle du 30 mai 1995 a confirmé le calendrier et les principes du processus ainsi que ses implications. L'Etude sur l'élargissement adoptée en septembre 1995 proposait des directives politico-militaires, notamment sur le contrôle démocratique des forces armées et la résolution pacifique des conflits entre pays limitrophes.

Les négociations entre le Secrétariat général et les pays candidats se sont poursuivies en 1996 et 1997. Le Sommet de Madrid, à l'été 1997, a engagé véritablement l'élargissement en invitant la Hongrie, la Pologne et la République tchèque à entamer les négociations en vue de la signature, le 16 décembre 1997, des protocoles d'adhésion au Traité de l'Atlantique Nord.

Cette étape a ouvert la voie à un processus de ratification parlementaire. Selon l'article 3 de chacun de ces protocoles, les parties au traité ont notifié leur approbation au Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique. La réception des approbations a permis aux trois protocoles d'entrer en vigueur. Le Secrétaire général de l'Organisation a envoyé aux Gouvernements des pays candidats une invitation à adhérer au Traité de l'Atlantique Nord et les Etats sont devenus parties au Traité « à la date du dépôt de [leur] instrument d'accession auprès du Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique ».

L'adhésion devait prendre juridiquement effet lors du sommet du cinquantième anniversaire du traité de Washington mais la rapidité du processus a autorisé l'anticipation aux 11 et 12 mars derniers de la procédure officielle.

Deux phases différentes ont été distinguées. Pendant la période qui a séparé la signature des protocoles d'adhésion du dépôt des instruments de ratification par les Etats membres, le principe retenu a été l'implication des futurs membres dans les travaux de l'Alliance atlantique sans participation au processus de décision et sous réserve de certaines exceptions, en raison, par exemple, de la sensibilité du sujet. La présence aux comités techniques militaires a été considérée comme souhaitable afin de préparer et de favoriser l'interopérabilité des forces. De même, les Etats candidats sont associés à la planification de défense. Depuis la ratification générale des instruments d'adhésion, les trois Etats participent à l'ensemble des activités de l'Alliance et appartiennent aux structures militaires intégrées.

3. La nouvelle approche de la France à l'égard de l'OTAN

a) La tentative de réintégration de la France en 1996-1997

·  La volonté de développer une politique étrangère indépendante et de doter la France d'une force nucléaire a justifié la décision du Général de Gaulle, le 7 mars 1966, de retirer la France de la structure militaire intégrée de l'Alliance. Quatre conséquences majeures en ont été déduites : depuis cette date et jusqu'en 1990, aucune composante des armées françaises n'a été placée sous commandement OTAN ; aucune force étrangère n'a plus stationné sur le territoire français ; les officiers français n'ont plus été intégrés dans les états-majors de l'OTAN et la France n'a plus participé au comité militaire et aux travaux de planification de défense. Mais une série d'accords ont été passés pour définir les modalités de coopération et le rôle des armées françaises dans le dispositif allié.

La France a accepté les orientations politiques générales du concept stratégique de 1991 sans cependant s'associer aux dispositions militaires qui en découlaient, et qui, de manière un peu paradoxale, l'avaient précédé.

Elle est restée prête à participer pleinement aux tâches prévues par l'article 5 du traité de Washington :

- avec des forces conventionnelles modernisées et adaptées en fonction de la nouvelle nature et de la nouvelle dimension des risques. La programmation militaire 1997-2002 en cours d'exécution doit permettre à notre pays de se doter de forces réduites en volume mais plus mobiles, plus disponibles et à puissance de feu concentrée. La modernisation des forces se fait avec le souci de leur interopérabilité avec les unités alliées. La participation aux états-majors de Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), aux forces multinationales comme le Corps européen, aux exercices interalliés, garantissent la capacité d'agir de manière solidaire dans l'hypothèse où la garantie de l'article 5 devrait jouer ;

- avec l'arme nucléaire qui demeure un élément de base de l'outil de défense. La menace d'un attaque de grande ampleur, dirigée contre nos intérêts vitaux, est lointaine mais ne peut être écartée totalement.

·  Le nouveau contexte stratégique depuis la fin de la guerre froide et la crise yougoslave ont modifié la position de notre pays à l'égard des structures de l'Alliance atlantique. Non seulement des unités déployées en Bosnie-Herzégovine ont été placées sous commandement OTAN mais la France a été amenée à participer au processus d'adaptation de l'Alliance à ses nouvelles missions.

Dans un discours devant le Conseil de l'Atlantique Nord, le 5 décembre 1995, M. Hervé de Charette, alors ministre des Affaires étrangères, a redéfini les termes de la relation France-OTAN et a annoncé le retour du Chef d'état-major des armées au Comité militaire et du Ministre de la Défense au Conseil de l'Atlantique Nord (la France a cependant continué à ne participer ni au Comité des plans de défense, ni au Groupe des plans nucléaires).

L'éventualité de la réintégration de la France dans la structure militaire intégrée a alors été évoquée. Elle restait liée à la création d'un véritable pilier européen de défense dans la continuité des décisions du Conseil de Berlin de mai 1996. Mais elle était surtout conditionnée par un nouveau partage des responsabilités au sein de l'OTAN entre les Etats-Unis et les pays européens. La négociation sur le rééquilibrage des responsabilités s'est en fait concentrée sur la question du commandement sud de l'OTAN et du partage des compétences en Méditerranée entre Américains et Européens. Face au refus américain, la démarche du Président de la République, M. Jacques Chirac, n'a pas abouti, les alliés européens soutenant faiblement ou ne soutenant pas la France dans sa demande d'affectation à un Européen du commandement sud.

Au sommet de Madrid, en juillet 1997, la France a alors estimé que les progrès enregistrés au cours des deux années précédentes ne permettaient pas de reconsidérer sa position et a refusé le risque de payer d'avance la construction du pilier européen au prix de sa réintégration sans garantie dans la structure militaire.

La position de notre pays reste donc celle définie en 1995, c'est-à-dire une participation accrue aux organes intergouvernementaux de l'Alliance. Cependant, cette situation ne résout pas la question des modalités de coopération opérationnelle avec la structure militaire intégrée pour permettre la participation de la France aux nouvelles structures comme les GFIM ou son association aux processus de planification de défense.

b) La place de la France par rapport à la structure militaire intégrée

Votre rapporteur a le sentiment qu'il serait inutile à présent de réintégrer les structures militaires intégrées et que le débat sur l'intégration dans ces structures, malgré les regrets et les invitations qui ont été formulés en ce sens devant le groupe de travail au cours de ses déplacements, a perdu une partie de sa signification pour de multiples raisons.

·  D'une part, la structure militaire intégrée est un concept élaboré pour la mission de défense collective dans un système basé sur l'automaticité mais moins adapté aux nouvelles missions envisagées pour l'Alliance atlantique.

En effet, lorsqu'il ne s'agit plus de répondre à une agression sur le territoire d'un Etat membre, les notions d'automaticité de la défense collective et d'intégration des forces armées ne sont plus requises. D'ailleurs, les forces actuelles de projection dans l'ex-Yougoslavie sont basées sur le volontariat des Etats et ont un caractère multinational et modulaire. On pourrait également s'interroger sur la capacité réelle de la structure intégrée de répondre aux nouvelles situations « hors article 5 » de gestion des crises compte tenu de la lourdeur des systèmes actuels de planification de défense et de commandement.

Il faut cependant souligner qu'une évolution notable a eu lieu pour donner à la structure intégrée plus de souplesse et de capacité de réaction rapide. Le nouveau dimensionnement de la structure intégrée, qui a été définitivement accepté en décembre dernier après un processus délicat de répartition des postes, s'appuie sur la réduction de 65 à 20 du nombre de quartiers généraux de l'OTAN. Deux commandements stratégiques sont maintenus, à Norfolk pour le théâtre atlantique et à Mons pour l'Europe ; ils restent tous deux sous commandement américain. Au commandement atlantique sont subordonnés trois commandements régionaux (CR) et deux quartiers généraux de forces maritimes. Au commandement Europe sont subordonnés deux commandements régionaux, un CR Nord à Brunssum aux Pays-Bas et un CR Sud à Naples. Du CR Nord relèvent trois commandements dits subrégionaux, du CR Sud quatre autres commandements.

·  D'autre part, et c'est une conséquence du point précédent, l'absence d'intégration de la France dans les structures intégrées ne constitue pas un obstacle pour son association dans le cadre des nouvelles missions. Elle n'a pas empêché notre pays, qui a donné son accord pour participer aux noyaux des Etats-majors et aux GFIM, de s'intégrer dans le dispositif de l'IFOR puis de la SFOR en Yougoslavie. Certes, il faut être conscient que les cadres militaires français, dépourvus de l'expérience de la participation aux structures de commandement de l'OTAN depuis trente ans, ont éprouvé quelques difficultés à s'insérer dans les forces intégrées, car ils n'étaient pas rompus aux règles ou aux procédures internes.

Mais, en raison notamment de la grande capacité d'adaptation des personnels qu'a soulignée le Général Kelche, Chef d'Etat-major des Armées, nos forces sont en mesure d'assumer dans de bonnes conditions un commandement de théâtre dans un cadre multinational constitué à partir des structures intégrées de l'OTAN, comme le montrent deux exemples en ex-Yougoslavie :

- au sein de la SFOR, la France dispose du commandement adjoint de la force et assume, en tant que nation pilote, le commandement de l'une des trois divisions, celle du Sud-Est. Cette unité, dite division Salamandre, est multinationale, tant au niveau de l'état-major que des unités. L'expérience a souligné son intérêt sur le plan de l'intégration et de l'interopérabilité des forces ainsi que sur celui des évolutions nécessaires au sein de l'organisation militaire de l'OTAN pour lui permettre de répondre aux besoins des opérations extérieures ;

- c'est également le cas pour la force d'extraction en Macédoine placée sous commandement français et pour laquelle la France fournit, en tant que nation-cadre, le noyau du quartier général. C'est l'état-major français qui a préparé les plans de défense pour cette opération au niveau d'une force de 2 000 hommes.

Il est vrai que, dans le cadre de la SFOR, pour éviter que ses unités ne soient placées sous le contrôle exclusif du SACEUR, la France a mis en _uvre une nouvelle organisation basée sur la dualité de la fonction du commandant-adjoint de la SFOR qui est également COMFRANCE, c'est-à-dire représentant du Chef d'Etat-major des Armées. L'un de ses adjoints est ainsi chargé de vérifier les conditions d'emploi des forces françaises par la chaîne de commandement de l'OTAN. Ce système, qui permet d'intégrer des unités de notre pays sans renoncer à leur contrôle n'est pas unique et a été imité par l'Allemagne dont les forces au sein de la SFOR sont également dépendantes d'un COMALLEMAGNE chargé d'évaluer que la mission des forces allemandes est conforme au mandat du Bundestag.

C. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE DÉFENSE

1. Vers l'émergence d'une politique européenne de défense et de sécurité

a) Les facteurs de prise de conscience européenne

·  Plusieurs facteurs ont contribué à la prise de conscience récente par les pays européens de la nécessité d'une politique commune de défense et de sécurité :

- en premier lieu, l'évolution de la situation stratégique sur le continent dans les années 90, qui a déjà été évoquée, favorise la constitution d'un pilier européen de l'Alliance. Il devient nécessaire d'envisager l'hypothèse de crises où les Américains ne souhaiteraient pas s'impliquer, mais dont les Européens considéreraient le règlement comme essentiel pour leur sécurité ;

la réduction de la présence des forces américaines en Europe (335 000 hommes avant 1990, 150 000 au milieu des années 1990, moins de 100 000 en 2000) contraint également les Européens à envisager de prendre une plus grande part à leur sécurité ;

- par ailleurs, les faiblesses, tant politiques que militaires, révélées par la guerre du Golfe en 1990-1991 puis lors de la crise en ex-Yougoslavie depuis 1991, placent les Européens devant un dilemme : devenir davantage capables d'exercer des responsabilités pour le maintien ou la stabilité de la paix ou s'aligner dans tous les cas sur les positions américaines.

·  La réactivation de l'UEO

L'ébauche d'une coopération européenne en matière de défense est allée tout d'abord de pair, à partir du milieu des années 80, avec l'évolution de l'UEO qui a été évoquée plus haut.

L'Union de l'Europe occidentale (UEO), créée par le traité de Bruxelles en 1948, donc antérieurement au traité de Washington, a été conçue comme une alliance défensive entre cinq Etats européens (Bénélux, France et Royaume-Uni) à la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle s'est élargie une première fois en 1954 à l'Allemagne et à l'Italie lors de la conclusion des accords de Paris afin de permettre le réarmement de la République fédérale. Bien qu'elle ait constitué -et constitue encore- la seule organisation européenne compétente en matière de défense, elle n'a joué pendant longtemps qu'un rôle extrêmement effacé de forum de consultation. Cet effacement est d'ailleurs posé en principe dans le traité de Bruxelles modifié par les accords de Paris de 1954, dont l'article 4 consacre la prééminence de l'OTAN. De fait, dès le 20 décembre 1950, les structures militaires du traité de Bruxelles ont été dissoutes au profit de celles de l'OTAN.

Après la réactivation des dispositions militaires du traité de l'Elysée par la France et la RFA, les gouvernements des pays membres de l'UEO décidèrent en octobre 1984 de faire de cette organisation une instance de concertation permanente : la déclaration de Rome reconnaît alors « le caractère indivisible de la sécurité dans la zone de l'Atlantique Nord ».

En 1987, le Conseil des Ministres de l'UEO a adopté la plate-forme sur les intérêts communs en matière de sécurité mentionnée plus haut. La coopération franco-allemande dans le domaine de la défense a pu alors se développer, et, même si les premières mesures n'ont pas dépassé les réflexions communes et les arrangements techniques entre les forces armées, la mise sur pied de la brigade franco-allemande en 1989, puis du Corps européen en 1993 a confirmé le rapprochement des forces françaises avec celles des autres pays de l'OTAN.

Ce qui a été appelé la réaction de l'UEO s'est trouvé renforcé par l'adhésion de l'Espagne et du Portugal en novembre 1988, puis de la Grèce en mars 1995. Plusieurs statuts ont par ailleurs été définis pour associer les autres pays européens :

- celui d'observateurs, pour les membres de l'Union européenne n'appartenant pas à l'UEO, l'Irlande et le Danemark dès 1992 (pour d'ailleurs des motifs différents, l'Irlande étant neutre et le Danemark membre de l'OTAN), la Finlande, l'Autriche et la Suède dès leur adhésion à l'Union européenne. Ce statut permet d'assister aux travaux du Conseil. Toutefois, jusqu'à la déclaration d'Erfurt de novembre 1997, les observateurs ne participaient pas à la définition et à la mise en _uvre des actions de l'Union européenne qui ont des implications dans le domaine de la défense ;

- celui de membres associés pour les trois pays européens qui appartiennent à l'Alliance atlantique mais ne sont pas membres de l'Union européenne (Norvège, Islande et Turquie) ;

- celui d'associés partenaires pour les dix pays d'Europe de l'Est membres du Conseil de partenariat euro-atlantique.

b)  Les promesses des traités de Maastricht et d'Amsterdam

A la suite des initiatives franco-allemandes pour conférer à l'UEO un rôle plus important dans la défense et la sécurité de l'Europe, et compte tenu de la réticence des Etats-Unis envers la constitution d'un pôle européen indépendant de l'OTAN, le compromis de Copenhague de juin 1991 a ouvert la voie à l'édification d'une structure de sécurité européenne. La réunion du Conseil européen à Maastricht les 10 et 11 décembre 1991 a alors défini dans le cadre de l'Union politique les principes et les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

L'article J.4 (alinéa premier) du traité de Maastricht prévoit la définition et la mise en _uvre de la PESC. Aux termes de ses dispositions, celle-ci inclut « l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ».

L'alinéa 4 du même J.4 dispose que doivent être respectées « les obligations qui découlent pour certains Etats membres du Traité de l'Atlantique Nord ». Enfin, selon la déclaration annexée au Traité, « l'UEO agira en conformité avec les positions adoptées dans l'Alliance atlantique ».

Les évolutions apportées par le traité d'Amsterdam prolongent les promesses du traité de Maastricht. D'une part, il dote la PESC de nouveaux instruments juridiques et ajoute aux actions communes et aux positions communes des stratégies communes destinées à être mises en _uvre par celles-ci (article J.3 du traité). Il instaure aussi de nouveaux instruments institutionnels, en particulier le poste de Haut représentant pour la PESC (article J.8), dont les fonctions sont confiées au Secrétaire général du Conseil européen, et prévoit la création d'une unité de planification et d'alerte rapide, structure d'expertise qui devrait faciliter la décision de l'Union européenne.

Mais, en matière de défense, le traité d'Amsterdam comporte peu d'avancées par rapport au traité de Maastricht car tous les pays européens ne partagent pas les mêmes objectifs et ne donnent pas la même finalité au projet de sécurité et de défense communes. L'article J.7 (alinéa 1) précise simplement que la PESC inclut « la définition progressive d'une politique de défense commune », ce qui ôte la référence à un avenir non défini pour cette politique.

Par contre, l'alinéa 2 du même article, qui attribue à l'Union européenne la responsabilité des missions militaires de Petersberg, s'analyse comme un transfert de missions définies jusqu'alors dans le cadre de l'UEO. Aux termes du traité d'Amsterdam, les missions de Petersberg « incluent les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix ». L'alinéa 3 consacre le ralliement des Etats neutres de l'Union européenne et du Danemark à la conduite collective des missions de Petersberg par l'Union européenne et prévoit expressément leur participation. La procédure de décision instituée par l'article J.13 du traité et fondée sur le principe « d'abstention constructive » s'applique dorénavant aux questions militaires. Elle permet la prise de décisions malgré l'abstention d'un ou plusieurs Etats membres, dès lors que leurs voix pondérées n'excèdent pas un tiers du total.

c)  Le lien établi entre l'UEO et l'Alliance atlantique

·  A l'issue du compromis entre les différentes conceptions de la place de l'UEO dans la défense européenne, et selon la déclaration de l'UEO annexée au Traité de Maastricht, l'UEO est désormais conçue comme la composante de défense de l'Union européenne, son « bras armé », et peut mettre en oeuvre « les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense ». Cette organisation peut développer son rôle opérationnel « hors zone » ou dans la zone de compétence de l'Alliance atlantique, constituant le moyen de renforcer le pilier européen de l'Alliance.

D'après la déclaration de Petersberg du 19 juin 1992, les unités militaires des Etats membres de l'UEO peuvent être employées non seulement pour la défense collective mais aussi pour les missions dites de Petersberg reprises dans le traité d'Amsterdam.

Puisque selon l'article J.7 (alinéa 3) du traité d'Amsterdam « l'Union aura recours à l'UEO pour élaborer et mettre en _uvre les décisions et les actions qui ont des implications dans le domaine de la défense », la PESC passera par l'UEO dès lors que les forces armées seront sollicitées. Une telle institutionnalisation ne peut conduire à terme qu'à une subordination de l'UEO à l'Union européenne ou à son intégration par étapes, comme l'a souligné la déclaration du Conseil des ministres de l'UEO à Rome, le 17 décembre 1998, ou comme le souhaitait la majeure partie des pays européens au Conseil d'Amsterdam. Cette intégration n'a pas pu être décidée en raison du refus britannique.

Plusieurs dispositions concrètes facilitent cependant le rapprochement institutionnel : réunions communes du groupe de sécurité de l'Union européenne et du groupe politico-militaire de l'UEO, harmonisation des calendriers des présidences, relations entre les secrétariats. Mais d'autres étapes sont envisageables. Les options suivantes ont ainsi été proposées :

- le transfert des responsabilités politiques de l'UEO à l'Union européenne et de ses fonctions militaires à l'OTAN a été avancé au sommet de Vienne par le Ministre britannique de la Défense. Mais cette proposition aurait comme conséquence de priver l'Europe de la possibilité d'exercer une action militaire hors de l'OTAN ;

- le transfert de l'ensemble des fonctions politiques et militaires de l'UEO à l'Union européenne pose pour certains pays européens la question du devenir du Traité de Bruxelles modifié, notamment des engagements d'assistance mutuelle. Mais, en fait, confier uniquement à l'Union européenne les activités de gestion de crises ne pose pas de difficultés dans la mesure où l'OTAN reste responsable des obligations de défense collective ;

- l'intégration de l'UEO dans la PESC, c'est-à-dire le deuxième pilier de l'Union européenne, ou dans un quatrième pilier à définir, peut être tentante mais elle pose la question de la cohérence de l'Union européenne puisqu'elle suppose une configuration variable entre les différents piliers, et elle nécessite des relations directes, aujourd'hui inexistantes, entre l'Union européenne et l'OTAN ;

- la transformation de l'UEO en agence de défense de l'Union européenne a été évoquée, en août 1998, par le Président de la République, M. Jacques Chirac, qui a alors proposé la création « le moment venu, d'un Conseil des ministres de la Défense de l'Union européenne ». Cette proposition a le mérite de poser la question du processus décisionnel et du transfert des compétences du Conseil des ministres de l'UEO au Conseil européen.

C'est dans le cadre de ces réflexions que se place la déclaration franco-britannique du 4 décembre 1998 à l'issue du sommet de Saint-Malo dont l'importance mérite d'être soulignée.

d) La déclaration franco-britannique de Saint-Malo

·  Le contenu de la déclaration

En premier lieu, il convient de souligner que la déclaration s'inscrit dans les débats qui ont eu successivement lieu à Pörtschach (sommet informel du Conseil européen les 24 et 25 octobre 1998), Vienne et Rome, et permet de tirer parti des opportunités de calendrier offertes par le Sommet de l'Alliance atlantique, l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam et la réunion du Conseil européen de Cologne prévue en juin prochain.

L'intérêt essentiel de la déclaration de Saint-Malo est de recenser les objectifs et les principes communs aux deux pays signataires :

- l'Union européenne doit disposer d'une « capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser » ;

- elle doit être dotée de « structures appropriées » pour utiliser « des moyens militaires adaptés (moyens européens pré-identifiés au sein du pilier européen de l'OTAN, ou moyens nationaux et multinationaux extérieurs au cadre de l'OTAN) ». La déclaration mentionne l'évolution des rapports de l'UEO avec l'Union européenne

Cette déclaration ne met plus l'accent sur les aspects institutionnels qui ne constituent donc pas un préalable mais souligne la nécessité de nouvelles capacités militaires et diplomatiques.

·  l'évolution de la position traditionnelle britannique : l'amorce d'un virage ?

La Grande-Bretagne est longtemps restée fidèle à une vision strictement atlantiste de la défense européenne et s'est toujours méfiée du développement d'une identité européenne de défense sauf si elle contribuait au renforcement de l'OTAN. Pour les Britanniques, la relation spécifique nouée avec les Américains constituait le meilleur garant de leur statut international et toute tentative pour affaiblir le principe de la souveraineté des nations et la primauté de l'OTAN était considérée comme illégitime.

Plusieurs facteurs pourraient expliquer l'évolution de la Grande-Bretagne et sa participation à une nouvelle dynamique, plus favorable à la mise en oeuvre d'une politique européenne de défense : le décalage entre l'engagement des Européens dans les crises et leur influence diplomatique ; la situation au Kosovo et la gestion de la crise par les Etats-Unis ; le risque d'une marginalisation du pays, absent de la zone Euro et de la zone Schengen ; la proximité de l'échéance du sommet de Washington et le souhait de parvenir à une définition commune des thèmes avec les Français et les Allemands ; enfin, la conviction que la situation offre à la Grande-Bretagne l'occasion d'accroître son influence en Europe.

Les entretiens que le groupe de travail a eus avec des Britanniques ont permis de confirmer les points qui étaient négociables et ceux qui ne l'étaient pas. Les responsables britanniques ont ainsi souligné que de très nombreux sujets restaient ouverts à la discussion, notamment l'avenir de l'UEO, ses relations avec l'OTAN et sa place dans l'Union européenne, l'existence d'un quatrième pilier et la localisation de la défense au sein de l'Union européenne ainsi que le fonctionnement de la défense européenne dans l'OTAN. Par opposition, plusieurs principes ne semblent pas négociables pour les Britanniques, qui insistent pour la non duplication du pilier européen avec l'OTAN, surtout dans la mise en _uvre de l'article 5, pour le maintien d'un fonctionnement intergouvernemental pour la défense et le refus de toute interférence des institutions communautaires (Commission, Parlement, voire Cour européenne de justice), sur la nécessité de renforcer les capacités de défense. Pour eux, la définition d'une relation entre l'Union européenne et l'OTAN doit rester favorable à la relation transatlantique, et il ne faut pas séparer la réflexion sur les adaptations institutionnelles et celle concernant les capacités opérationnelles concrètes.

L'intervention du Premier Ministre britannique à une conférence organisée par le Royal United Services Institute de Londres le 6 mars dernier semble en retrait par rapport à la déclaration de Saint-Malo et confirme les principes non négociables. En particulier, M. Tony Blair, s'il a jugé nécessaire de rendre les moyens de l'OTAN plus disponibles pour des opérations menées par des Européens, a estimé qu'il serait « stupide et vain de la part de l'Europe de dédoubler les structures militaires éprouvées de l'OTAN ».

·  Les réactions : entre scepticisme, dépit et enthousiasme

La déclaration de Saint-Malo a été ressentie comme une évolution profonde par les Etats-Unis comme par le Secrétaire général de l'OTAN, M. Javier Solana, car elle marque pour eux une prise de responsabilité des pays européens.

Elle a également été approuvée par de nombreux pays européens, tels l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie, qui ont apprécié l'accent mis sur une démarche pragmatique et réaliste.

L'Espagne partage la logique de la position française sur la nécessité de moyens et d'une décision politique autonome mais privilégie le développement de la politique européenne de défense au sein de l'OTAN dans une première étape. Deux raisons sont avancées : le souci de ne pas restreindre cette politique aux missions de Petersberg et la nécessité de prendre en compte les autres partenaires de l'Union européenne ou de l'OTAN. Mais l'Espagne ne souhaite pas que les pays qui refusent d'intervenir bloquent tout processus et toute évolution et admet que des duplications de moyens puissent se produire si elles s'avèrent nécessaires.

L'Allemagne entend mettre à profit la dynamique enclenchée par l'évolution de l'attitude britannique et la déclaration franco-britannique de Saint-Malo pour relancer l'idée d'une fusion progressive de l'Union européenne et de l'UEO qui avait déjà fait l'objet d'une proposition franco-allemande lors de la négociation du traité d'Amsterdam. Dans un premier temps le Chancelier allemand, M. Gerhard Schröder, a proposé d'attribuer les postes de Haut Représentant pour la PESC et de Secrétaire général de l'UEO à la même personnalité (c'est le concept « d'union personnelle »). Il a souhaité par ailleurs élaborer pendant la présidence allemande de l'Union européenne et de l'UEO un programme pour la fusion des deux organisations : dans un article publié dans l'hebdomadaire « Die Zeit » (18 février 1999), M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense, a proposé que la décision de fusion soit prise dans son principe au Conseil européen de Cologne, début juin prochain, les modalités d'application étant déterminées au cours de l'année 2000, sous la présidence française de l'Union européenne.

Dans cette optique, l'Allemagne propose que l'Union européenne, qui doit être le cadre final de la défense européenne, se dote des instruments politiques d'analyse et de gestion des crises, complétés par des instruments militaires qu'elle recevrait de l'UEO. L'Union disposerait ainsi, au titre du traité d'Amsterdam, du Haut Représentant et de l'unité de planification et d'alerte rapide, et au titre des structures militaires de l'UEO, du comité militaire, de la cellule de planification, du centre de situation et du centre d'observation satellitaire.

Cette proposition relance le débat sur deux problèmes qui commencent seulement à trouver une solution :

- le premier a trait au statut à accorder aux pays neutres et au Danemark qui n'envisagent pas d'adhérer à l'UEO et pour lesquels la garantie d'assistance militaire mutuelle du traité de Bruxelles ne joue pas.

Les Etats observateurs, membres de l'Union européenne, peuvent depuis le Conseil des ministres de l'UEO d'Erfurt (novembre 1997), participer sur un pied d'égalité aux opérations de l'UEO conduites à la demande de l'Union européenne. De plus, il ressort de l'article J.7, paragraphe 3, du traité d'Amsterdam qu'un de ces Etats peut informer le Conseil permanent de l'UEO de son intention de contribuer à une opération et participer, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les membres de plein droit, à la planification et à la prise de décision, au sein de l'UEO, concernant l'opération en question.

En règle générale, si les pays observateurs sont prêts à participer davantage aux débats sur la politique européenne de défense, ils souhaitent limiter leur participation aux activités spécifiées dans le traité d'Amsterdam. La Suède et le Danemark restent sceptiques sur l'évolution de leur statut alors que la Finlande et l'Autriche affichent des positions plus nuancées et plus ouvertes à leur participation à la défense collective ;

- le second problème concerne les pays de l'Alliance non membres de l'Union européenne (Islande, Turquie et Norvège) vis-à-vis desquels les Etats-Unis demandent qu'il n'y ait aucune « discrimination ». L'éventuelle insertion de l'UEO dans l'Union européenne pose la question de leur participation aux activités de l'UEO et aux mécanismes de décision de la PESC. Il est convenu que ces pays ne participeront pas à la décision de l'UEO de recourir aux moyens de l'OTAN pour une opération donnée mais, en tant que membres de l'Alliance, ils participeront à la décision de l'OTAN et seront donc consultés au préalable par l'UEO.

2. Un bilan modeste

Même si le Président de l'Assemblée parlementaire de l'UEO, M. Luis Maria de Puig, a souligné dans un rapport du 16 mars 1999 le développement des capacités de l'UEO et les multiples avantages que cette organisation offrait, les réalisations concrètes restent modestes et la dynamique actuelle provient essentiellement des relations et des échanges que l'UEO a pu nouer avec l'OTAN.

a) Les réalisations concrètes

·  Dès la fin des années 80, l'UEO a tenté de jouer un rôle opérationnel limité dans le cadre d'opérations navales communes : opérations de déminage dans le Golfe persique en 1987-1988, blocus de l'Irak en 1990-1991, embargo sur la Yougoslavie depuis 1991, etc.... Il n'est pas inintéressant d'ailleurs de constater que ce rôle opérationnel a débuté par des interventions navales dans lesquelles les questions militaires sont plus faciles à individualiser grâce à la souplesse d'emploi des navires. Ces opérations ont concerné en premier lieu des pays méditerranéens (Portugal, Espagne, France et Italie).

En application de la déclaration de Petersberg, l'UEO s'est davantage impliquée, en son nom propre (contrôle de l'embargo sur le Danube) ou au nom de l'Union européenne (schéma d'organisation de la police de Mostar).

·  Les membres de l'UEO ont également cherché à définir des forces susceptibles d'être engagées (FRUEO, « Forces relevant de l'UEO ») dans le cadre multinational de l'UEO ou de l'OTAN, ou à constituer des états-majors conjoints.

C'est ainsi qu'ont été mises sur pied deux Euroforces associant la France, l'Espagne, l'Italie et le Portugal :

- la force aéromaritime méditerranéenne Euromarfor, créée en octobre 1995, est une force non permanente mais préstructurée dans laquelle chaque Etat identifie (en nombre et en type) les unités navales qu'il tient à disposition, sans que ces unités soient retirées de leurs activités nationales ;

- l'Eurofor, créée en octobre 1996, est une force terrestre opérationnelle rapide qui, dispose dès le temps de paix d'une structure de commandement, mais pas d'unités prédésignées. Le rassemblement de forces se fait sur le principe de « réservoir de capacités » que chaque Etat s'engage à mettre à disposition le moment venu.

De même, le groupe aérien européen franco-britannique GAEFB, décidé au sommet de Chartres de 1994 et opérationnel depuis trois ans, est une structure qui vise à accroître la complémentarité et l'interopérabilité des forces aériennes des deux pays .

L'exemple le plus achevé de force multinationale européenne reste cependant le Corps européen, créé en octobre 1993, à l'initiative de l'Allemagne et de la France, auxquelles se sont joints la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg. Dirigé par un comité directeur politico-militaire, il comprend un état-major multinational d'environ 150 officiers (c'est-à-dire équivalent à celui de l'ARRC, corps de réaction rapide de l'OTAN - Allied Rapid Reaction Corps) dont les postes sont tournants entre les cinq nations, un bataillon de quartier général, également multinational, un régiment de transmissions français et la brigade franco-allemande. Quatre divisions ainsi qu'un contingent luxembourgeois lui sont affectés dès le temps de paix. Mais coexistent ainsi une division française, entièrement professionnelle et déployable avec un temps de réaction rapide, et une division allemande composée d'appelés et peu mobile.

Le corps européen est apte à s'engager dans une opération terrestre au sein de l'OTAN à la suite de l'accord signé avec le SACEUR le 21 janvier 1993. Mais il n'a jamais été engagé en tant que tel dans une opération extérieure en raison des réticences allemandes et seules certaines de ses unités ont participé aux forces déployées en ex-Yougoslavie. Plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission d'information ont regretté le manque de volonté politique pour engager cette structure qui est opérationnelle. Le Général Klaus Naumann, Président du Comité militaire de l'OTAN, a suggéré que le Corps européen soit envoyé au Kosovo pour la relève de l'ARRC.

b) La prise en compte de l'identité européenne : les relations entre l'UEO et l'OTAN

Dans la déclaration de Berlin de 1996, les alliés se sont mis d'accord pour créer des « forces militaires cohérentes et efficaces, capables d'opérer sous le contrôle politique et la direction de l'UEO ». Trois conditions ont été énoncées : l'identification préalable des moyens de l'OTAN qui seraient mis à la disposition de l'UEO, l'élaboration de dispositions relatives au commandement européen (disposant alors d'une « double casquette », atlantique et européenne) et l'entraînement dès le temps de paix de ces moyens.

Depuis 1996, de nombreux travaux ont tenté de fixer un cadre pour organiser les relations entre l'OTAN et l'UEO et afficher des moyens conformes aux ambitions. Seul a été conclu un arrangement pour la participation du président des délégués militaires à l'UEO à certaines réunions du Comité militaire de l'OTAN, notamment pour la mise en oeuvre des GFIM (Groupement de forces interarmées multinationales). La planification de défense de l'OTAN intègre la contribution de l'UEO, mais seules trois des six missions illustratives adressées à l'OTAN par l'UEO ont fait l'objet d'un travail de planification. La tenue d'un exercice conjoint Crisex en 2 000 devrait tester la compatibilité des procédures mises en place par les deux organisations.

L'accord-cadre sur le transfert, le suivi et le retour des moyens et capacités de l'Alliance atlantique n'a pas encore été signé et reste à l'étude. Certes les questions juridiques et financières sont complexes. Mais votre rapporteur a eu le sentiment que c'est la volonté politique qui manquait.

En particulier, deux sujets semblent poser un problème d'une acuité particulière :

- d'une part, le souci de préserver l'autonomie de décision et l'unité de la chaîne de commandement de l'UEO, notamment en évitant un rappel prématuré des moyens de l'OTAN mis à disposition ;

- d'autre part, l'engagement de l'OTAN à soutenir l'UEO, même sans caractère automatique.

L'OTAN et l'UEO ont adopté provisoirement, en mai 1997, le mandat du D-SACEUR (Deputy SACEUR ou adjoint au SACEUR), sa vocation première étant d'être le commandant d'une opération européenne. Si le SACEUR-adjoint et les commandants régionaux se sont vu attribuer des missions correspondant au développement du pilier européen, la question centrale du mode de désignation du D-SACEUR n'est pas réglée, bien que le principe de la rotation entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne soit acquis. Cet obstacle bloque l'adoption définitive du mandat. De plus, le Général Klaus Naumann a précisé que le D-SACEUR ne disposait pas d'un état-major spécifique pour les opérations placées sous son commandement et qu'il gardait ses fonctions d'adjoint du SACEUR.

c) Les instruments d'intervention

La plus grande innovation conceptuelle réside dans la création, au sommet de Bruxelles en 1994, des groupements de forces interarmées multinationales (GFIM combined joint task force CJTF), et dans la notion de « forces séparables mais non séparées ».

Dans ce cadre, une structure de commandement initiale génère une structure dérivée et flexible : les GFIM sont organisés autour de « noyaux » (éléments d'état-major et moyens de commandement prédésignés) et de « modules » (troupes et matériels) pour des opérations interarmées dans le cadre de coalitions de forces formées en fonction des circonstances ; ils doivent en particulier permettre aux pays européens de mener des opérations, éventuellement sans participation américaine, en s'appuyant sur les moyens collectifs. Afin d'éviter que les GFIM n'altèrent les missions de défense collective, de nouvelles structures de planification opérationnelle ont été créées auprès du comité militaire : la cellule de coordination des capacités (CCC) et le centre de planification interarmées multinational (CJPS).

Il faut noter que le concept des GFIM, pourtant imaginé comme à la périphérie de la structure intégrée, ne se construit pas en dehors d'elle. D'une part, il s'agit de forces séparables du dispositif militaire intégré qui peuvent regrouper des contingents de pays appartenant ou non au dispositif intégré et qui ont pour vocation d'être mises à la disposition de l'UEO. Comme ces forces sont constituées de contingents prélevés sur le dispositif intégré et qu'elles sont soutenues par celui-ci dans les domaines du renseignement, des communications, de la logistique et des infrastructures, on a parlé de « forces séparables mais non séparées ». D'autre part, les GFIM restent rattachés géographiquement et fonctionnellement aux commandements de l'OTAN même s'ils constituent des structures dérivées. Aucune précision n'a été fournie sur l'étendue du contrôle que les commandements de l'OTAN exerceront en droit ou en fait sur les GFIM. Du reste, les investissements réalisés pour créer des noyaux d'état-major dérivés renforcent en fait les états-majors d'origine.

La tentation des Etats-Unis est de faire des GFIM l'élément de base de la structure militaire intégrée : par leurs capacités de mobilité et de flexibilité, les GFIM apparaissent de plus en plus comme la réponse appropriée aux missions de l'Alliance atlantique dans le champ de l'article 5 du traité ou pour la gestion de crises. Les GFIM correspondent d'ailleurs à des volumes de force élevés (60 000 hommes).

Si des structures parallèles de commandement ne sont pas créées, dans le souci d'éviter les doublons et de gaspiller les ressources, alors le monopole de l'OTAN reste inchangé, et l'UEO ne peut jouer qu'un rôle limité et secondaire. C'est pourquoi la France a proposé que des noyaux de GFIM soient constitués sur une base nationale ou multinationale, imaginant par exemple que les Euroforces constituent à terme une capacité de GFIM hors OTAN. Sinon, la réforme des GFIM apparaîtra comme le moyen politique et militaire pour les Etats-Unis de contrôler le pilier européen de l'Alliance atlantique comme l'a montré le dernier exercice Strong resolve en mars 1998 pendant lequel des forces exclusivement européennes, devant agir sur le continent européen, étaient placées sous commandement américain.

De plus, l'existence de forces multinationales européennes dans le strict cadre de la structure intégrée et la proposition de certains alliés d'en développer de nouvelles (propositions « d'ARRC [Allied Rapid Reaction Corps] Sud ») posent la question de l'avenir des Euroforces existantes et comportent à terme le risque d'appropriation par l'OTAN des forces européennes développées en dehors d'elle.

II. - LES NÉGOCIATIONS EN COURS

A. POURQUOI UN NOUVEAU CONCEPT STRATÉGIQUE ?

L'Alliance atlantique est au terme d'une transition fondamentale qui l'amène à s'adapter aux défis du XXIème siècle dans la zone euro-atlantique. Moins de dix ans après son élaboration, les fonctions identifiées par le concept stratégique de 1991 méritent d'être actualisées, en particulier la mission de préservation de l'équilibre stratégique en Europe qui a perdu de sa pertinence en raison de l'effondrement de l'Union soviétique et de la fin de la confrontation Est-Ouest. De plus, le rôle de l'IESD n'est qu'évoqué dans le texte de 1991 et les risques qui caractérisent le nouvel environnement de sécurité ne sont pas pris en compte

C'est ce qui a conduit les Etats membres de l'Alliance atlantique à entreprendre l'actuelle négociation sur un nouveau concept stratégique à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'Alliance atlantique et à engager un débat sur l'avenir de l'Alliance.

Après que le Conseil atlantique eut approuvé en décembre 1997 le mandat de négociation, le Groupe de coordination des orientations (PCG) a tout d'abord cherché à définir les éléments encore pertinents du concept stratégique de 1991 et a élaboré successivement deux textes, l'un en juillet, l'autre en décembre 1998. Mais le débat a été dominé depuis le départ par les initiatives américaines.

1. Les éléments du concept stratégique

a ) Les fonctions définies par le concept stratégique en 1991

Après le sommet de Londres en juillet 1990, au cours duquel le Conseil atlantique s'est engagé à transformer l'Alliance « en fonction de la nouvelle équation de sécurité en Europe », une intense consultation politique a eu comme objectif un réexamen de la stratégie de l'OTAN. Au sommet de Rome en novembre 1991, l'Alliance atlantique a publié, pour la première fois, un concept stratégique exposant les principes qui déterminent le rôle de l'Alliance et la transformation de ses structures internes. Ce document est, outre le traité de Washington lui-même, l'un des principaux textes exposant le rôle et les missions de l'Alliance.

Le concept stratégique de 1991 attribue à l'OTAN quatre fonctions essentielles :

fournir une base indispensable à la stabilité de l'environnement de sécurité en Europe, fondée sur la démocratie et la volonté de régler de manière spécifique les différends et excluant toute intimidation, coercition ou hégémonie d'un Etat sur un autre. C'est dans ce cadre que l'OTAN partage, avec d'autres institutions partenaires, la responsabilité de la sécurité en Europe (OSCE, ONU, Union européenne, UEO) et met en _uvre une politique active de dialogue et de coopération (CCNA devenu Conseil de Partenariat euro-atlantique, Partenariat pour la paix,...) ;

servir de forum de consultation et de concertation transatlantique où les Etats-Unis et les pays européens peuvent se consulter sur toute question affectant leurs intérêts vitaux et toute situation comportant des risques pour leur sécurité. Cette fonction découle de la relation de solidarité transatlantique qu'établit le traité de Washington. Elle résulte de la mise en _uvre de l'article 4 de ce traité et recouvre la dimension politique de l'Alliance. Le fait que l'Europe et les Etats-Unis disposent d'intérêts communs est un facteur positif pour la sécurité internationale ;

dissuader toute forme d'agression visant le territoire d'un Etat membre, et si nécessaire, défendre ce territoire. Il s'agit là d'une fonction essentiellement militaire. La capacité d'assurer la défense du territoire de ses membres constitue ainsi pour l'Alliance un élément majeur de la politique globale de sécurité ;

préserver l'équilibre stratégique en Europe.

Dans le concept de 1991, la stratégie de l'Alliance est restée ainsi fondée sur les deux principes de dissuasion et d'indivisibilité de la sécurité des pays membres, tout agresseur gardant la certitude d'une riposte collective dont les conséquences pour lui-même excèdent dans tous les cas les gains qu'il aurait pu escompter de son agression. Mais ce concept met aussi en évidence la nécessité d'une approche globale de la sécurité et fait ressortir la grande diversité des risques qui peuvent peser sur celle-ci.

b ) Les éléments encore pertinents

Les trois premières fonctions essentielles de l'Alliance atlantique identifiées par le concept stratégique de 1991 paraissent devoir être maintenues, toutefois avec des nuances en ce qui concerne le forum et le partenariat transatlantiques. De plus, le nouveau concept stratégique doit prendre en compte les acquis de l'Alliance depuis 1991, notamment le principe des nouvelles missions, la mise en place de nouvelles structures, le développement du pilier européen et l'ouverture à l'Est de l'Alliance.

·  La réaffirmation de la mission de défense collective

La dissuasion de toute menace d'agression contre le territoire des Etats membres mérite de rester au c_ur des activités de l'OTAN. Même si, en pratique, il s'agit d'une perspective éloignée, voire hypothétique, il serait dangereux de négliger l'éventualité d'une menace directe contre le territoire d'un des Etats membres, surtout avec les perspectives d'élargissement à l'Est. Si elle se concrétisait, cette menace ne serait sans doute pas de la gravité de celle existant au temps de la Guerre froide, mais les espaces de risques autour de l'Europe justifient de garder un outil militaire efficace, capable de dissuader toute menace et, si nécessaire, d'y répondre.

L'ensemble des alliés approuve d'ailleurs que les tâches de l'Alliance atlantique soient d'abord celles prévues par l'article 5 du Traité de Washington. Tous les interlocuteurs du groupe de travail ont ainsi souligné que la mission essentielle de l'Alliance restait pour eux celle de l'article 5 du traité de Washington, c'est-à-dire la garantie de défense collective « en cas d'attaque armée contre une ou plusieurs des parties ».

·  La redéfinition du partenariat transatlantique

La deuxième fonction identifiée à Rome, concernant le forum transatlantique, reste fondamentale même si elle est plus évolutive. L'Alliance atlantique occupe, dans l'architecture de sécurité européenne, une place unique, dans la mesure justement où elle permet aux Etats-Unis d'être une puissance européenne (ce qu'ils revendiquent) en concertation avec leurs alliés européens. Mais, dans un contexte géostratégique incertain, la coïncidence des intérêts américains et européens est beaucoup moins évidente qu'au temps de l'existence de deux blocs antagonistes. En effet, jusqu'à la chute du mur de Berlin, la stabilité reposait sur un équilibre bipolaire antagoniste ; elle repose aujourd'hui sur un dialogue entre plusieurs pôles de puissance.

Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient ne saurait se confondre avec celle de l'Europe, pas plus que leur politique à l'égard de certains pays, comme le Pakistan ou l'Afghanistan, ou encore à l'égard des pays d'Asie Centrale anciennement soviétique. Le nécessaire dialogue entre les alliés et la Russie fait aussi entendre des nuances, ne serait-ce que parce que les Européens sont beaucoup plus exposés que les Américains aux conséquences d'une aggravation de la crise russe.

Il apparaît donc nécessaire que le dialogue entre Américains et Européens s'approfondisse et soit mené sur une base de plus grande égalité. C'est tout le sens de la construction de l'identité européenne de sécurité et de défense qui doit permettre de mieux définir les responsabilités respectives des Etats-Unis et des pays européens. Le concept stratégique comportera en effet des orientations pour les systèmes de forces des pays alliés. Il abordera donc la question des modalités nouvelles d'intégration (ou, pour la France, d'association) des forces américaines et européennes. Il envisagera en particulier l'hypothèse d'opérations menées par les seuls Européens avec le concours des moyens de commandement, de renseignement, de logistique et des infrastructures de l'Alliance. Par ce biais se trouvent ainsi posées les questions de la relation de la France avec l'organisation militaire intégrée et de la construction européenne dans le domaine de la défense.

c ) Les autres fonctions à définir

Par contre, la contribution de l'organisation atlantique à l'équilibre stratégique en Europe, telle qu'elle a été identifiée à Rome, ne peut plus être maintenue dans la nouvelle situation stratégique. Il est ainsi envisagé de remplacer cette fonction essentielle par une nouvelle formulation qui exprimerait de manière plus pertinente la contribution active que l'OTAN peut apporter à la sécurité européenne au titre de la gestion militaire des crises.

Les questions liées à cette nouvelle formulation sont multiples. Elles ont trait à la légitimité propre de l'OTAN (l'Organisation a-t-elle toujours besoin d'un mandat du Conseil de Sécurité de l'ONU ou de l'OSCE pour agir ?), aux limites géographiques de son action et à la définition de ses véritables missions (l'Organisation a-t-elle vocation à lutter contre des menaces non militaires comme le terrorisme ? Quel rôle peut-elle ou doit-elle jouer dans la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique ?).

Sur toutes ces questions, les Etats-Unis ont présenté lors des négociations de multiples initiatives dont certaines ne posent pas réellement de difficultés mais dont d'autres ne résistent pas à une analyse méthodique.

2. Une réflexion dominée par les initiatives américaines

a) La valeur symbolique du 50ème anniversaire

L'ensemble des alliés et en premier lieu les Etats-Unis souhaitent le succès du sommet de Washington. Selon le Secrétaire général, M. Javier Solana, celui-ci doit à la fois célébrer le bien-fondé de l'Alliance atlantique depuis sa création (d'où la difficulté d'inviter la Russie aux festivités de l'anniversaire), marquer l'adhésion des trois nouveaux membres et définir la position de l'Alliance atlantique face aux défis du prochain siècle.

L'approche des alliés sur les questions essentielles diffère et les négociations ont été rendues plus difficiles par l'éloignement des positions. Les divergences actuelles suscitent des frictions mais il est peu vraisemblable qu'elles aboutissent à un échec des négociations. Depuis quelques semaines, la collaboration et la concertation se sont d'ailleurs développées de manière pratique pour rapprocher les positions ou, du moins, trouver un terrain d'entente minimum.

Il a semblé au groupe de travail que la valeur symbolique du cinquantième anniversaire serait préservée et que les réticences des uns et des autres se résoudront par des compromis. Un double risque existe cependant. Soit les textes adoptés à Washington refléteront les positions communes minimales des partenaires, les Etats-Unis privilégiant le succès du sommet et remettant à plus tard leurs initiatives. Soit, à l'approche du sommet, un nouveau texte sera proposé qui reflétera uniquement les positions américaines et sera adopté par nécessité devant le refus d'un échec des négociations.

b) La dispersion des attitudes sur des points essentiels

·  Les Etats-Unis ont une double certitude : celle qu'aucun pays dans le monde ne pourra rivaliser avec eux, au début du XXIème siècle, sur les plans de la puissance politique, économique et militaire ; celle que la répartition des charges dans la sécurité du continent européen est inéquitable. La tentation reste également forte de replacer les négociations dans le cadre plus large des relations transatlantiques c'est-à-dire en incluant les différends commerciaux (questions agro-alimentaires, concurrence commerciale) ou culturels.

C'est pourquoi l'attitude des Etats-Unis dans l'évolution de l'OTAN reste marquée par la constance mais également par l'ambiguïté. La constance est manifeste dans l'impulsion politique donnée et dans le souci de maintenir le leadership américain. L'ambiguïté existe, non seulement dans l'équilibre à trouver entre les tentations isolationnistes et la tentation d'une superpuissance d'intervenir dans tous les domaines, mais aussi dans l'incertitude de la position américaine à l'égard de la volonté des Européens de prendre des responsabilités dans leur défense et leur sécurité.

L'analyse américaine tend à conférer à l'OTAN un rôle majeur face aux défis de la stabilité en Europe et les principales initiatives avancées par les Etats-Unis dans le cadre des négociations ont ainsi donné une interprétation très large des missions potentielles de l'Alliance atlantique.

Pour eux, peu de limites doivent être fixées à l'action de l'OTAN et, au vu des menaces ou des défis de plus en plus diversifiés, l'Alliance atlantique est la structure « qui se prête le mieux à la préparation et à la coordination de la parade à de tels défis ». La seule question qui est posée n'est pas de justifier l'intervention mais de savoir « à quel moment les structures de l'OTAN devraient être utilisées pour répondre aux défis nouveaux : terrorisme, prolifération des armements, flux migratoires massifs et autres menaces ».

·  Le groupe de travail a eu le sentiment que les pays européens se présentaient en ordre dispersé dans les négociations et ne donnaient pas toujours aux Etats-Unis l'image d'un ensemble cohérent. Les réunions des directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères en janvier dernier comme celle des ministres de l'Union européenne début mars n'ont pas encore permis de déterminer une position commune européenne.

Les pays européens non nucléaires de l'Alliance atlantique n'ont eu d'autre choix dans le passé que le ralliement aux conceptions américaines. C'est particulièrement le cas des petits pays (Pays-Bas, Portugal ou Danemark, sans parler de l'Islande) dont la vocation atlantiste est marquée et qui font peu valoir leurs préoccupations propres. Leur principal souci concerne la permanence de l'engagement américain et explique leur souhait de maintenir l'ensemble des forces alliées en Europe sous le commandement du SACEUR (Supreme Allied Command Europe). A l'extrême, pour certains d'entre eux, l'ambition politique de l'Europe reste illégitime. C'est pourquoi le débat sur le partenariat transatlantique intéresse en fait prioritairement cinq pays, en premier lieu l'Allemagne, la France et la Grande Bretagne, mais aussi l'Espagne et l'Italie.

B. LES RISQUES DE MALENTENDUS DANS LES NÉGOCIATIONS

Plusieurs documents devraient être approuvés au sommet de Washington. D'une part, les alliés envisagent d'actualiser le concept stratégique de 1991. D'autre part, ils publieront une déclaration d'intentions politiques pour résumer le concept stratégique et présenter la raison d'être de l'Alliance au XXIème siècle. Enfin, des questions diverses concernant notamment la politique d'armement feront l'objet, soit de documents particuliers, soit de développements dans la déclaration finale.

Les principaux thèmes des réflexions actuelles portent sur le contenu du concept stratégique, la base juridique des interventions de l'OTAN, la nature de la réponse à apporter aux nouvelles menaces et la réforme des capacités de défense de l'Alliance. Ces différents points sont liés : par exemple, le débat sur les nouvelles missions est indissociable des discussions relatives à la base juridique nécessaire aux interventions de l'OTAN, aux capacités militaires de projection et au rôle spécifique des pays européens dans certaines hypothèses.

1. Le contenu du nouveau concept stratégique

Les textes préparatoires du sommet de Washington reprennent de nombreux éléments du concept stratégique de 1991 et des déclarations de Berlin puis de Madrid. Il s'agit donc plus d'une continuité que d'une rupture.

Mais à la réaffirmation des valeurs de l'Alliance et de la mission essentielle de défense collective, objet d'un large consensus, s'ajoutent la prise en compte de la nature des nouvelles missions et le développement de l'IESD sur lesquels les différents membres sont encore loin de s'accorder.

a ) La définition de nouvelles missions

S'appuyant sur la déclaration ministérielle du Conseil de l'Atlantique Nord à Oslo, en juin 1992, qui avait, pour la première fois et suite à la dégradation de la situation en Yougoslavie, évoqué le soutien des pays de l'OTAN « au cas par cas et conformément à leurs procédures propres, aux activités de maintien de la paix entreprises sous la responsabilité de la CSCE », le sommet de Bruxelles de janvier 1994 a élargi ce soutien « à des opérations de maintien de la paix ou autres opérations menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou sous la responsabilité de la CSCE ». C'est en application de ces décisions politiques qu'ont été révisés les moyens, les structures et les procédures de l'OTAN pour les rendre plus efficaces dans l'accomplissement des missions de prévention des crises et de maintien de la paix.

Les nouvelles missions dites « non article 5 », car instituées en complément de la fonction fondamentale de sécurité collective, sont considérées par les Etats-Unis comme une fonction essentielle de l'Alliance atlantique et doivent à ce titre figurer dans le concept stratégique. De plus, elles permettent de lier la question au débat sur l'autonomie de l'OTAN à l'égard des Nations Unies sur lequel nous reviendrons. M. Frank Kramer, Secrétaire d'Etat adjoint à la défense, a insisté sur l'idée que, si la garantie de défense collective était bien au c_ur de l'Alliance, le débat actuel ne portait que sur la gestion militaire des crises et des risques, notamment dans le cadre de la sécurité européenne.

De manière générale, l'analyse américaine tend à conférer à l'OTAN un rôle majeur dans la défense des intérêts de sécurité. L'avenir de l'Ukraine, la situation dans les Balkans, les tensions au Moyen-Orient et l'attitude à l'égard d'Israël, allié privilégié des Etats-Unis, semblent autant de points pour lesquels ceux-ci sont tentés de mettre en avant l'Alliance atlantique. Ainsi, la présence militaire alliée en Méditerranée leur paraît de nature à renforcer la dissuasion conventionnelle et à rassurer les pays amis.

Les Etats-Unis ont même présenté au début des négociations le concept de triple couronne (triple crown) visant à une meilleure répartition des missions entre l'OTAN, chargée de la sécurité, l'Union européenne, centrée sur les intérêts économiques et l'OSCE dont la fonction consisterait à défendre les droits de l'Homme, les valeurs démocratiques et à assurer l'arbitrage des conflits.

·  La réaction des pays européens à cette initiative américaine est hétérogène. Dans un article de l'International Herald Tribune, le Premier Ministre italien, M. Massimo d'Alema, a approuvé l'élargissement des missions, qui est bien accueilli par tous les membres de l'Alliance car il correspond à leurs propres analyses et permet à certains d'entre eux de jouer un rôle et d'intervenir dans le processus décisionnel.

Pour le Ministre britannique de la Défense, M. George Robertson, comme pour M. Tony Lloyd, Secrétaire d'Etat au Foreign Office, si l'OTAN a montré son efficacité en tant qu'organisation collective de défense, elle aura aussi un rôle à jouer pour la sécurité de l'ensemble du continent européen, rôle que le concept stratégique ne peut éluder, ce qui explique la nécessité d'accroître les capacités militaires des différents membres pour des missions « article 5 » comme pour des missions « non article 5 ».

Des réserves se font cependant entendre. Le ministre britannique des Affaires étrangères, M. Robin Cook, a ainsi affirmé lors de la réunion ministérielle du Conseil atlantique du 8 décembre 1998 qu'il ne saurait accepter « un engagement illimité de l'OTAN ». En effet le terme d'« intérêts communs », voire celui de « valeurs communes », qui justifient l'extension des missions de l'Alliance restent imprécis et peuvent entraîner les alliés dans des situations manquant de clarté et en décalage avec sa finalité essentielle.

b ) La place de l'identité européenne de sécurité et de défense

L'une des principales questions en débat dans les négociations concerne une meilleure prise en compte de l'identité européenne de sécurité et de défense dans le cadre de l'adaptation de l'Alliance atlantique. Pour M. Anthony Cragg, Secrétaire général adjoint de l'OTAN, le texte adopté à Washington ne développera pas le thème de l'IESD qui sera seulement évoqué. Mais le sommet de Washington fournit l'occasion de tester la volonté américaine de laisser les Européens prendre de plus grandes responsabilités.

·  Pour les Etats-Unis, il revient aux pays européens de formuler des propositions dans ce domaine et le sommet de Washington ne constitue qu'une étape. Mais leur position repose sur le refus de la diminution de la capacité de décision de l'OTAN, de toute discrimination envers des membres de l'Alliance, non membres de l'Union européenne, et de duplication des moyens au sein de l'Alliance atlantique : ce concept des « trois D » a été exprimé par Mme Madeleine Albright le 7 décembre dernier et a été repris par l'ensemble des interlocuteurs du groupe de travail.

Pour les Etats-Unis, le risque majeur du développement de l'IESD au sein de l'OTAN est l'instauration d'un « caucus » européen dans le sens d'une décision préalable qui s'imposerait comme un fait accompli, notamment aux pays nord-américains. Les Etats-Unis ne sont donc actuellement prêts à accepter le développement de l'IESD, même au sein de l'Alliance atlantique, qu'à la condition que les alliés européens négocient avec eux avant de prendre leur décision et que les membres européens de l'Alliance atlantique ne disposent pas en permanence d'une chaîne de commandement en propre, en dehors des besoins opérationnels des actions qu'ils mèneraient seuls.

·  La majorité des pays européens membres de l'Alliance adoptent des positions convergentes sur l'IESD. Le souhait de l'ensemble des partenaires, sinon la conviction de la plupart d'entre eux, est que le renforcement du pilier européen est indispensable et que, loin d'affaiblir les capacités de l'Alliance, il ne pourra que les conforter. Ainsi, le Premier Ministre italien, M. Massimo d'Alema, a-t-il souligné que le « développement de l'IESD au sein de l'OTAN (...) était une condition préalable au renforcement et à la cohésion de l'Alliance ». Cependant, certains pays, comme la Norvège ou la Turquie, craignent une marginalisation, surtout après la déclaration de Saint-Malo. Il apparaît donc indispensable de les associer, selon des modalités particulières, à la définition politique et à la mise en _uvre de toute politique de sécurité européenne, notamment au travers de la PESC.

Le dossier de l'IESD concerne à la fois l'établissement de relations entre l'OTAN et l'UEO en application des décisions de Berlin et la définition des moyens européens ou les initiatives institutionnelles. Le sentiment recueilli par le groupe de travail est que les pays européens acceptent l'idée américaine de non duplication des moyens et des structures, ce qui signifie en corollaire la nécessité d'individualiser les moyens européens au sein de l'Alliance et de les affecter aux missions gérées par les Européens seuls.

·  Pour que le concept devienne opérationnel et permette au pilier européen de fonctionner concrètement, il est nécessaire d'approfondir ses modalités d'application pratique. En premier lieu, la place de l'IESD mérite d'être étudiée aux niveaux de la planification et du commandement ainsi que sur le plan du partage des décisions.

Les Britanniques souhaitent activer l'IESD au sein de l'OTAN avec caractère automatique de l'utilisation des moyens collectifs de planification. Les différents plans pour le Kosovo ont été élaborés à l'ARRC (corps de réaction rapide de l'OTAN) car ils ne pouvaient être conçus dans une structure nationale. Ainsi, dans le cas de la force d'extraction en Macédoine, seul le premier niveau de la planification, correspondant à une force de 2 000 hommes, a été préparé par la France, nation-pilote de l'opération ; les niveaux relatifs aux forces spéciales et à l'hypothèse d'une intervention majeure ont été élaborés par les structures de planification de l'OTAN, sous l'autorité, donc le contrôle, du SACEUR.

Il est vraisemblable qu'au moins dans une première étape, les plans seront donc toujours établis avec l'ensemble des alliés, même ceux qui ne souhaitent pas participer à l'opération donnée, car il est impossible d'identifier les éléments européens dans les structures de planification. L'un des problèmes majeurs est donc lié aux pouvoirs de décision des pays non européens ou non membres de l'UEO qui pourraient, soit bloquer le processus, soit, au contraire, dans le cas des pays de l'Union européenne non membres de l'OTAN, donner, notamment aux yeux des Etats-Unis, trop d'autonomie à ce processus.

En ce qui concerne le commandement, il est essentiel que puissent être identifiées des structures spécifiques. La France et les alliés européens considèrent qu'il est possible d'identifier des structures européennes de commandement opérationnel. La France et la Grande-Bretagne souhaitent mettre ces structures au service de la capacité d'affirmation politique de l'Union européenne. Elles admettent qu'elles puissent concerner à la fois des moyens internes et externes à l'OTAN. C'est d'ailleurs à cette première condition que peut être évalué le degré d'autonomie réelle d'une intervention européenne. Le Secrétaire général de l'OTAN estime qu'il s'agit avant tout d'une volonté politique et que les Etats-Unis seront prêts à une réforme du commandement dès que les désaccords entre le Congrès et l'administration américaine seront réglés sur cette question.

·  Une nuance assez forte a été constatée par le groupe de travail entre le nouveau Gouvernement allemand et les parlementaires qu'elle a rencontrés. D'un côté, M. Michael Steiner, conseiller diplomatique du Chancelier, a rappelé que l'Allemagne propose que l'Europe se dote de capacités propres de renseignement et de transports aériens stratégiques mais, au nom de la « non duplication » des moyens, exclut toute chaîne de commandement extérieure à l'OTAN et demande que les capacités européennes soient placées dans le cadre de l'organisation militaire intégrée.

De l'autre côté, M. Hans-Ulrich Klose, Président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag, a reconnu que le Parlement allemand n'arrivait pas à dégager un consensus sur la question de l'IESD et ne comprenait pas l'importance du rapprochement franco-britannique sur cette question. Pour les responsables SPD de la Commission des Affaires étrangères et de la Commission de la défense du Bundestag, l'Allemagne n'a pas les ressources nécessaires pour développer des capacités de défense autonomes vis-à-vis des structures intégrées de l'OTAN. La grande crainte des députés allemands, membres de la Commission des Affaires étrangères, est que le développement de l'IESD incite les Etats-Unis à se désengager de l'Europe voire provoque une rupture entre alliés. La position de la Commission de la défense du Bundestag est plus nuancée. Selon un de ses membres, député SPD, le principe d'une autonomie européenne ne peut être remis en question et seules ses conséquences doivent être étudiées. Pour un autre député CDU-CSU, dans une première étape, l'IESD ne pourra pas se construire en dehors de l'OTAN et les structures de l'Alliance atlantique permettent déjà l'expression d'une certaine autonomie européenne.

La question posée est donc de savoir comment concevoir des capacités autonomes d'action de l'Europe si celles-ci ne sont pas placées pour partie en dehors de l'Alliance, ne serait-ce que pour permettre la participation de la France et, éventuellement des membres de l'Union européenne non membres de l'Alliance. De même, les responsables allemands paraissent sous-estimer les difficultés de mise en _uvre des décisions de Berlin, dues en particulier au souci américain de contrôler le plus étroitement possible les éventuelles opérations militaires européennes menées avec des moyens de l'OTAN. Ce souci de contrôle transparaît notamment dans la demande exprimée par les Etats-Unis au cours des discussions sur l'application des décisions de Berlin d'une garantie de retour des moyens alliés, et en particulier de la chaîne de commandement dans les structures de l'OTAN sur simple demande d'un Etat de l'Alliance (les Etats-Unis en la circonstance).

2. La légitimité des actions de maintien de la paix de l'OTAN

Le Secrétaire général de l'OTAN, M. Javier Solana, a souligné que, parmi les points majeurs qui n'avaient pas encore fait l'objet d'un accord, figuraient les limites des extensions géographique et fonctionnelle de l'Alliance atlantique.

a ) Le fondement juridique : la question du mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies (ou de l'OSCE)

·  Les principes de base et la position américaine

En ce qui concerne les cas de légitime défense, la position des alliés est claire, à l'image des textes qu'ils ont adoptés : la combinaison de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord et de l'article 51 de la Charte des Nations Unies permet aux membres de l'OTAN de prendre toutes les dispositions nécessaires sans l'accord préalable du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce principe a été rappelé au groupe de travail au cours de tous les entretiens qu'il a eus.

Dans le cas des autres interventions, dites « non article 5 », en particulier celles faisant appel à la force, la position américaine a été exprimée sans ambiguïtés, même si elle a parfois été présentée de manière nuancée. Pour les Etats-Unis, il n'est pas concevable de subordonner l'action de l'OTAN à un mandat des Nations Unies et les décisions d'intervention devront être prises au cas par cas. La position la plus ferme a été affirmée au Sénat américain qui privilégie « l'autosaisine » de l'Alliance atlantique. Mais elle a également été présentée en ce sens par M. Frank Kramer, Secrétaire d'Etat à la défense et par M. Thomas Pickering, Sous-Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères chargé des questions politiques.

Pour l'administration américaine, s'il semble nécessaire de ne pas exiger dans tous les cas une résolution explicite, celle-ci est cependant préférable si elle peut être obtenue. En fait, le sentiment général apparaît d'une certaine défiance à l'égard des capacités de réponse du Conseil de sécurité et du risque qu'une décision soit bloquée par le veto d'un membre permanent, non membre de l'Alliance atlantique, c'est-à-dire la Russie ou la Chine. Il est cependant nécessaire de ne pas surestimer les risques de blocage du Conseil de sécurité du fait d'un usage excessif par ces deux pays de leur droit de veto, sa récente utilisation par la Chine étant, par exemple, liée à la reconnaissance de Taïwan par la Macédoine.

·  La situation des différents alliés européens sur cette question est plus nuancée

De manière paradoxale, les divergences entre alliés et entre Européens sur ces questions renforcent les Etats-Unis dans leurs thèses. L'accord existe cependant entre alliés sur la nécessité d'examiner toute requête soumise par l'une ou l'autre des organisations internationales ou régionales en vue d'une opération de paix spécifique. De même, tous les alliés préféreraient qu'un mandat émane des Nations Unies (ou le cas échéant de l'OSCE) afin de disposer d'une base juridique internationale. Seuls les Etats-Unis envisagent le cas où les organisations internationales ne seraient pas en mesure de délivrer un tel mandat et se disent « prêts à aller de l'avant sans mandat ».

Les réflexions américaines sont, dans une certaine mesure, partagées par les Britanniques, voire par les Allemands, mais l'hypothèse d'une autonomie juridique de l'OTAN par rapport à la communauté internationale est restreinte à des cas spécifiques, en particulier aux situations d'urgence humanitaire.

Pour M. Stephen Gomersall, directeur de la sécurité internationale au Foreign Office comme pour M. Tony Lloyd, Ministre délégué aux Affaires étrangères, il importe avant tout aux Britanniques, qui préfèrent agir avec un mandat précis, de disposer d'une base juridique. Mais cette base ne doit pas être exigée dans tous les cas. Par souci de réalisme, il est en effet nécessaire de laisser à l'OTAN comme à l'Europe une possibilité d'action autonome dans certaines situations.

M. Tony Lloyd estime ainsi que les impératifs humanitaires justifient l'absence de mandat ou l'existence d'un mandat « générique » (c'est-à-dire vague...) : le veto peut être inadapté dans des cas d'urgence, comme l'ont montré les situations au Rwanda ou au Kosovo. Pourtant, il ne s'agit pas d'ouvrir la voie à des « aventures » mais de mener des actions légitimes. De plus, toute décision de l'OTAN nécessite un consensus entre les membres et il est impossible, en théorie, de balayer les objections de l'un d'eux.

Les Britanniques relèvent que, dans le cas des missions « hors article 5 », il n'est pas envisageable qu'un seul membre du Conseil de sécurité bloque une intervention. Ils estiment qu'au Kosovo existent plusieurs résolutions pour fonder la force d'extraction (à partir de l'alinéa neuf de la résolution n °1203) et qu'au cas où elle franchirait la frontière de la Macédoine, elle aurait besoin d'une « flexibilité d'action ».

Ce sentiment est partagé par les parlementaires britanniques que le groupe de travail a rencontrés. Pour le député conservateur John Maples, le concept stratégique vise avant tout la défense collective des membres de l'Alliance mais l'OTAN doit également être libre d'agir pour faire face à d'autres menaces, sans forcément de résolution du Conseil de sécurité. Pour lui, comme pour M. Tony Lloyd, Ministre délégué, le passage par le Conseil de sécurité donne la possibilité à la Russie ou à la Chine de bloquer le processus d'intervention de l'OTAN.

Les Allemands, qui déclarent désormais être prêts à participer à tous les types d'intervention « non article 5 », y compris avec des moyens lourds, attachent beaucoup d'importance à l'autorisation du Conseil de sécurité, surtout dans l'éventualité d'une participation de leurs forces armées. Mais ils partagent l'idée que les situations d'urgence humanitaire ne doivent pas être entravées par le formalisme juridique. Une nuance assez forte existe entre le nouveau Gouvernement et les parlementaires rencontrés par la mission d'information. Pour M. Michael Steiner, conseiller du Chancelier fédéral, les exceptions à la nécessité d'un mandat doivent être strictement limitées, ce qui pose la question de l'appréciation de la situation d'urgence (par quelle instance ?).

Le Premier Ministre italien, M. Massimo d'Alema, a plaidé pour une combinaison des principes des droits de l'Homme, du droit international et des actions multilatérales pour faire de l'OTAN une force collective de stabilité et de sécurité.

Pour notre pays, non seulement l'OTAN n'a pas vocation à intervenir dans tous les domaines et dans toutes les régions du monde, devenant ainsi compétente pour toutes les questions de sécurité en Europe, mais ses missions ne doivent pas s'accomplir au détriment des compétences du Conseil de sécurité. La France apparaît ainsi comme le seul pays européen à avoir une position aussi légaliste et aussi soucieuse des prérogatives des Nations Unies.

Notre qualité de membre permanent n'est pas la seule raison qui incite à la prudence et nous conduit à vouloir que l'OTAN continue à se situer dans l'ordre des organisations internationales et que le rôle de ces organisations se renforce. Si la France estime que la formule de la déclaration du sommet de Bruxelles en 1994 (« sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ») peut seule constituer une base légale incontestable pour le recours à la force armée, c'est que cette formule a démontré sa souplesse, puisque l'action de l'OTAN au Kosovo depuis 1998 y a été inscrite.

·  L'exemple du Kosovo

La réaction de l'OTAN face à la situation au Kosovo est considérée par certains alliés comme un exemple, mais d'autres refusent d'y voir un précédent.

La déclaration du sommet atlantique de Bruxelles de 1994 fait référence au recours à la force sous l'autorité du Conseil de sécurité et place les opérations de maintien de la paix sous l'autorité de l'ONU ou la responsabilité de l'OSCE. Or, trois résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies prises sous le régime du chapitre VII de la Charte fondent la mission de vérification au Kosovo (KVM) :

- la résolution 1160 du 31 mars 1998 a pour objectifs de trouver une solution politique à la crise et de faire appliquer un embargo sur les armes ;

- la résolution 1199 du 23 septembre 1998 demande une amélioration immédiate de la situation humanitaire, un dialogue permanent, le retour des réfugiés, un cessez-le-feu et le retrait des forces de sécurité serbes. Par l'accord du 16 octobre entre Slobodan Milosevic et Richard Holbrooke, la République fédérale de Yougoslavie (RFY) accepte la mise en place d'une mission de vérification de l'application de la résolution 1199. Un second accord du 15 octobre signé par la RFY avec l'OTAN crée la mission chargée d'assurer la surveillance aérienne (opération Eagle Eye) ;

- la résolution 1203 du 24 octobre 1998 mandate l'OSCE pour la mise en place de la KVM et envisage l'intervention de forces extérieures en cas de nécessité.

Il y a débat au sein de l'Alliance pour savoir s'il existe une base légale aux frappes de l'OTAN en cas d'échec des négociations. Deux conceptions se font face. Une lecture stricte du texte des résolutions pourrait montrer qu'il n'existe pas de formule permettant le recours à la force. Mais la formule du sommet de 1994 pourrait s'avérer suffisante, compte tenu notamment de la situation humanitaire au Kosovo.

b ) Les champs géographiques d'intervention de l'Alliance atlantique

La détermination du champ géographique d'intervention de l'OTAN reste un point de discussion entre alliés.

Les Etats-Unis ont proposé que l'OTAN puisse intervenir sans restriction en dehors du territoire des Etats membres car ils privilégient une conception extensive du champ géographique d'intervention de l'Alliance.

Le Général Klaus Naumann, chef du comité militaire, a affirmé au groupe de travail que la nature des risques futurs et leur origine géographique ne pouvaient être actuellement déterminées avec précision et qu'il semblait préférable de ne pas limiter la zone possible d'intervention de l'OTAN.

Pour M. Tony Lloyd, Ministre délégué aux Affaires étrangères, il existe des zones dans le monde où les intérêts vitaux de l'un des membres de l'Alliance pourraient être mis en jeu et où ce pays souhaiterait alors une intervention de l'Alliance. Mais une telle conception introduit une confusion non pertinente entre les zones d'intervention de l'OTAN dans le cadre de l'article 4 et dans celui de l'article 5 du traité de Washington.

Dans l'état actuel des négociations, il semble que les Etats-Unis prennent des distances par rapport à une conception mondialiste dans la mesure où les pays européens ne sont pas favorables à un élargissement des missions de l'Alliance en dehors du continent européen, sous peine de vider de leur sens les organisations régionales de sécurité, et que les alliés puissent négocier sur la notion d'intervention dans la zone « euro-atlantique ». Cette zone reste cependant imprécise car si elle inclut les territoires des Etats membres, elle pourrait comprendre également les marches de ceux-ci, notamment à l'Est et au Sud du continent européen. En tout état de cause, elle exclurait une vocation de l'Alliance à intervenir en tant que telle dans des régions éloignées de la zone garantie par l'article 5, comme le Moyen-Orient.

3. Les nouvelles menaces : réponse politique ou réponse militaire

a ) L'initiative sur les armes de destruction massive

·  Au commencement des négociations, les Etats-Unis ont souhaité mettre en valeur les risques liés à la prolifération des armes de destruction massive dans les textes à adopter à Washington. Comme il a été expliqué au groupe de travail, lors des entretiens à Washington, cette demande s'appuyait sur le bilan de la Guerre du Golfe et sur la certitude des responsables américains de la gravité des menaces nucléaires, balistiques et chimiques (NBC). Il semblerait même qu'aux yeux de l'administration américaine, le thème de la prolifération soit un excellent moyen de définir une nouvelle finalité pour l'Alliance atlantique.

Lors des négociations, l'idée a été ainsi avancée, d'une part, d'un programme commun de lutte contre les armes de destruction massive avec identification des moyens militaires, d'autre part, d'une réponse militaire collective en cas d'attaque NBC. Un troisième volet concernait la recherche, en particulier celle de nouveaux détecteurs d'agents chimiques et biologiques.

Lors des entretiens que le groupe de travail a eus à Washington, il a été clairement indiqué que le souhait des Etats-Unis était d'intégrer la lutte contre la prolifération dans le champ d'application de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, compte tenu des menaces d'attaque contre le territoire des Etats membres, par exemple sur le flanc sud de l'Europe, en particulier l'Italie et la Turquie, par des tirs de missiles balistiques équipés d'armes de destruction massive (chimiques, biologiques ou même nucléaires). Ainsi, M. Frank Kramer, Secrétaire d'Etat adjoint à la défense, tout en reconnaissant que les entités nationales réagissent face aux menaces terroristes (missiles, NBC), s'est interrogé sur les conséquences d'une menace d'un groupe terroriste sur le territoire de l'un des Etats membres de l'OTAN, menace qui entraînerait, pour lui, l'application automatique de l'article 5 du traité de Washington.

Pour faire face à cette menace qu'ils attribuent aux « Etats voyous » (rogue states), les Etats-Unis préparent la mise en place d'un « système national de défense antimissiles ». L'administration du Président Clinton prévoit d'y affecter 9,5 milliards de dollars pour la période 2000-2005. Les Etats-Unis développent également des systèmes antimissiles de théâtre pour protéger leurs forces en opérations extérieures. Ils accentuent, par ailleurs, leurs pressions économiques et diplomatiques sur la Russie pour empêcher toute coopération « sensible » de ce pays avec l'Iran. Ils s'efforcent d'empêcher la Corée du Nord de poursuivre ses programmes balistiques et nucléaires par des mesures à la fois diplomatiques (mise en _uvre de « l'accord cadre ») et dissuasives. Enfin, ils considèrent que l'élimination des capacités de l'Irak en matière d'armes de destruction massive nécessite toujours le recours unilatéral à la force.

·  La réticence de la plupart des partenaires à l'égard des propositions ambitieuses des Etats-Unis a conduit ces derniers à modérer leur initiative sur les armes de destruction massive, même si le problème est sérieux et si tous les discours tenus sur le sujet insistent sur la légitimité du débat. C'est en particulier le cas en Allemagne où les risques liés à la prolifération ont été plus qu'ailleurs mis en avant.

En fait, dans la mesure où tous les membres ont accepté en 1994 l'examen des questions liées à la prolifération et participent aux groupes de travail mis en place depuis 1996, un consensus semble s'élaborer entre alliés sur l'intérêt d'améliorer les échanges d'information et, à terme, d'établir un centre de documentation dédié. Il est également très probable que les documents adoptés à Washington fixeront les termes de référence et de cadrage de travaux ultérieurs et renverront le fond du débat à de futures négociations.

La majorité des alliés européens ont fait valoir par ailleurs qu'il existait de nombreuses enceintes multilatérales compétentes dans ces domaines et qu'il fallait éviter, d'une part de contourner ces enceintes, sous peine de leur nuire et de décrédibiliser les traités actuels de non prolifération ou de désarmement, d'autre part, de privilégier les solutions militaires au détriment des solutions diplomatiques. La lutte contre la prolifération ne doit pas en effet mener à des programmes d'armement surdimensionnés mais être conduite avant tout avec une approche politique générale dans laquelle l'approche diplomatique reste primordiale.

Bien au contraire, soucieux de ne pas être entraînés par les Etats-Unis dans leur politique de lutte contre le terrorisme, ils plaident pour le renforcement des régimes de non prolifération et le développement des systèmes de vérification. Mais, après l'expérience de l'UNSCOM en Irak, les Etats-Unis se montrent réservés à l'égard des systèmes de vérification, et privilégient une politique active de contre-prolifération.

b) L'identification de nouvelles menaces

Soutenue par l'opinion publique interne, l'action diplomatique de l'administration américaine a privilégié les débats sur les « défis globaux » que constituent le terrorisme, les trafics (drogue, enfants) ou les atteintes aux droits de l'Homme voire l'action des mafias.

Les frappes de missiles en Afghanistan et au Soudan ont montré que les Etats-Unis n'hésitaient pas à mettre en pratique leur volonté de punir par anticipation et d'agir seuls, sans concertation ni consultation, et au mépris des organisations internationales. Ce mode d'intervention risque d'être utilisé à nouveau, car il correspond à une approche unilatérale des problèmes fréquemment adoptée par les Etats-Unis. Il a été ouvertement évoqué devant la mission d'information à propos de la prolifération balistique et le nom de certains Etats qualifiés de terroristes a alors même été cité.

Un raisonnement identique est tenu par les alliés européens pour ces nouveaux risques. La réponse militaire ne leur paraît pas satisfaisante car elle est inadaptée. Elle risque d'ailleurs de provoquer une dilution des missions et des capacités d'une organisation comme l'Alliance atlantique.

*

En fait, la tentation de faire de l'OTAN un « gendarme du monde » est limitée par le mécanisme de décision interne mais aussi par l'absence de moyens autonomes de l'OTAN, qui dispose seulement des moyens que ses membres lui concèdent, d'où l'importance de la réforme des capacités militaires de l'Alliance atlantique.

4. La réforme des capacités de défense

·  La réforme des capacités de défense a été présentée par le ministre américain de la défense, M. William Cohen, lors des rencontres de Vilamoura puis du séminaire de Norfolk en novembre 1998.

L'initiative portait sur trois volets :

- la définition d'une vision opérationnelle commune privilégiant les concepts de mobilité des forces, de survivabilité, d'interopérabilité et de capacité de soutien des forces (sustainability) ;

- la réforme de la planification de défense et son adaptation à des missions « hors article 5 », en particulier dans les domaines liés aux initiatives américaines sur la contre-prolifération ;

- le renforcement du caractère interopérable des forces grâce à l'exploitation des technologies civiles, par exemple dans les domaines des transmissions ou de la logistique.

·  Cette initiative correspond aux analyses françaises telles qu'elles ont été traduites dans la loi de programmation militaire 1997-2002 et dans la revue de programmes ; la France a d'ailleurs mis en avant le concept d'interopérabilité suffisante, qui incite à une modernisation des procédures et des moyens compatible avec celle en cours dans les armées alliées. Le Général Kelche, Chef d'Etat-major des Armées, a souligné à cet égard que les exemples récents d'intervention multinationale avaient mis en avant l'importance d'outils de décision et de commandement adaptés, et qu'il était nécessaire, non seulement de disposer de standards interopérables, mais de faire coïncider les concepts d'emploi.

L'initiative américaine correspond également à la revue de défense stratégique de la Grande-Bretagne (strategic defence review) qui a mis en lumière les carences des forces armées britanniques. Elle n'a donc pas rencontré d'opposition fondamentale de la part des alliés. Bien plus, certains interlocuteurs du groupe de travail ont souligné que peu d'alliés avaient la capacité de forces mobiles, projetables, renouvelables et capables de remplir leur mission sans soutien ou avec peu de soutien du pays de la zone d'opération. Les armées de la plupart des alliés sont en effet, soit encore structurées pour la défense territoriale, soit dépendent de la conscription et sont peu professionnalisées. Ainsi, le cas du Kosovo a montré l'écart entre les capacités des pays européens pour le déploiement d'une force multinationale et les besoins réels.

Les études en cours menées entre alliés portent sur l'identification précise et réaliste des besoins d'interopérabilité dans les différents domaines intéressant les missions « hors article 5 » et s'attachent à définir dans chaque domaine des objectifs qui tiennent compte à la fois des besoins opérationnels et des ressources budgétaires. Certains experts américains, convaincus de la nécessité d'une capacité de « domination absolue dans les combats de haute intensité », avancent même le concept de RMA (révolution dans le domaine militaire) qui vise le développement d'une force adaptée à un large éventail de missions et suppose que les forces européennes soient capables de se « brancher » sur l'architecture de forces américaines.

5. Les divergences écartées pour l'instant du débat

a) Le débat sur l'élargissement de l'OTAN

Lors des discussions préparatoires avec l'Alliance atlantique, les candidats qui pressentaient qu'ils ne seraient pas retenus pour la première étape ont fait ressortir que le choix de trois pays seulement pourrait créer un déficit de sécurité en Europe et ont exprimé la crainte que le premier élargissement ne soit le dernier et n'accroisse leur vulnérabilité. En effet, ils ont le sentiment qu'ils seront plus vulnérables à d'éventuelles menaces, en raison d'une obsolescence croissante de leurs systèmes de défense et d'un désintérêt des Etats membres à leur égard. De même, ils ont souligné le risque que les premiers Etats admis ne s'opposent à de nouvelles adhésions. Pourtant, les négociations sur l'élargissement de l'OTAN ont conduit les futurs membres à prendre l'engagement de ne pas s'opposer à de nouvelles adhésions et, au contraire, de les favoriser.

La prochaine échéance du sommet de l'OTAN en avril 1999 revêtira une importance certaine pour les élargissements futurs et devra permettre de surmonter les divergences actuelles entre alliés. Si l'invitation faite à la République tchèque, à la Hongrie et à la Pologne d'adhérer à l'OTAN a fait l'objet d'un large consensus à Madrid, plusieurs pays, notamment la France, ont souhaité que l'élargissement comprenne la Roumanie et la Slovénie. Les premiers débats avaient même inclus la Slovaquie, dont l'adhésion aurait été d'autant plus souhaitable qu'elle dispose d'une frontière commune avec l'Ukraine. Plusieurs raisons motivent cette prise de position : il convient d'éviter de recréer une fracture entre pays européens ; au contraire il est nécessaire d'encourager les réformes démocratiques et économiques dans les pays candidats ; il apparaît également souhaitable de rééquilibrer géographiquement le processus d'élargissement.

En l'absence d'accord, un compromis a été élaboré, mais plusieurs lectures du communiqué de Madrid sont possibles :

- au sens strict, au-delà de l'affirmation claire du principe général de la « porte ouverte » à tous les candidats européens, il est simplement prévu que la question de l'élargissement sera réexaminée au Sommet de Washington, en avril 1999. A de nombreuses reprises devant le groupe de travail, le Secrétaire général de l'OTAN, M. Javier Solana, a évoqué la « politique de la porte ouverte » et a précisé que celle-ci constituait la seule politique de l'Alliance atlantique ;

- la déclaration de Madrid ne cite expressément que la Roumanie et la Slovénie. La France reste favorable à une adhésion d'autres candidats et a émis le voeu qu'une nouvelle série d'invitations à adhérer soit lancée. Cependant, il y a un risque que les pays d'Europe centrale et orientale soient en fait classés en trois groupes, celui des Etats adhérant immédiatement (Hongrie, Pologne et République tchèque) ; celui des candidats éventuels à moyen terme (Roumanie, Slovénie et pays baltes notamment) ; celui des pays écartés jusqu'à nouvel ordre ;

- si de nombreux gouvernements européens considèrent qu'il s'agit d'une première vague, que d'autres suivront, les déclarations des responsables américains, britanniques ou allemands témoignent d'une réticence croissante à prendre des engagements précis.

Les Etats-Unis ne souhaitent pas renouveler une procédure d'élargissement avec des pays qu'ils ne sentent pas prêts ou dont l'adhésion soulèverait encore plus de difficultés dans les relations avec la Russie. C'est pourquoi ils préconisent l'élaboration d'une stratégie d'attente fondée sur la coopération bilatérale. Vis-à-vis de la Roumanie, les Etats-Unis ont ainsi proposé un « partenariat stratégique » dont les termes restent à définir. De manière parallèle, ils souhaitent approfondir la « Charte baltique » et relancer « l'initiative sur la coopération dans le sud-est de l'Europe (SECI) », instance multilatérale économique aux activités modestes. Mais, à terme, les pays membres de l'Union européenne non alignés, comme la Finlande, ou neutres, comme l'Autriche, ont vocation à adhérer à l'Alliance, ne serait-ce que parce que les zones de défense collective et de solidarité en matière de gestion des crises ou de sécurité intérieure ne peuvent être durablement dissociées.

Le problème de fond n'a donc reçu aucune réponse et l'élargissement n'est pas dénué d'ambiguïtés puisque les priorités de l'Alliance n'ont pas été définies. De plus, il n'est pas certain que tous les pays aient la même vision de ces priorités et des raisons d'être de l'OTAN.

Les alliés semblent s'entendre sur la base suivante : la réaffirmation de la politique de la « porte ouverte », la constatation qu'aucun candidat n'est prêt pour une nouvelle adhésion et la nécessité de ne pas être en retrait par rapport aux déclarations du sommet de Madrid. Il est dans ces conditions envisagé de proposer un plan d'action pour l'adhésion, un dialogue avec les candidats sur les mesures que ceux-ci doivent prendre et la coordination des systèmes bilatéraux de coopération militaire. Il est également envisagé de développer un cadre institutionnel pour impliquer plus étroitement ces candidats dans la planification et la conduite d'opérations de gestion de crise.

b) Un débat à venir après le sommet de Washington : le rôle du nucléaire

Les questions relatives aux doctrines nucléaires semblent avoir été écartées des négociations, le principe retenu étant que le concept stratégique actuel représente une base commune, acceptée par l'ensemble des alliés. De plus, les trois pays nucléaires de l'Alliance atlantique ne souhaitent pas modifier leur position sur le sujet.

Pourtant deux pays, le Canada et l'Allemagne, ont vivement souhaité qu'une réflexion ait lieu. Le Canada a déposé un document en ce sens. Les responsables allemands ont tenu quant à eux des positions contradictoires jusqu'à ces dernières semaines. M. Ischinger, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, a demandé, dans un discours prononcé le 27 janvier 1999 devant la presse, que l'Alliance « examine quel pourrait être le gain de sécurité qu'apporteraient des mesures de confiance et de réduction des risques - y compris la renonciation au non usage en premier de l'arme nucléaire ». Il a souligné qu'il « ne devrait pas y avoir de tabou » en ce domaine. Cependant, M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense, a déclaré lors d'un voyage aux Etats-Unis, que l'Allemagne ne soulèverait pas la question du « no first use » dans les négociations sur le concept stratégique, après avoir eu la certitude que la question serait évoquée après le sommet de Washington. Dans cette optique, comme l'ont indiqué au groupe de travail M. von Ploetz, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, et M. Michael Steiner, Conseiller du Chancelier fédéral, l'Allemagne souhaite poursuivre le dialogue nucléaire dans le cadre général des mesures de désarmement et considère qu'il est prématuré de poser des questions fondamentales sur l'utilisation des armes de dissuasion. Mais M. Joschka Fischer, Ministre des Affaires étrangères, a fait parvenir début mars au secrétariat général de l'OTAN une demande précise pour que la question nucléaire soit évoquée dans les négociations.

La situation de l'Allemagne s'est distinguée durant la guerre froide en raison des risques qu'un conflit classique faisait peser sur son territoire et de sa position en première ligne de défense. Jusqu'en 1989, les autorités allemandes étaient ainsi partagées entre deux préoccupations contradictoires : d'une part la réduction des risques de destruction du territoire allemand dans le cas d'une réponse à une attaque nucléaire soviétique, d'autre part le souhait de crédibiliser l'engagement américain. Ce dilemme, visible au moment du déploiement des missiles Pershing au début des années 80, s'est estompé au moment de la réunification. Il n'est plus aujourd'hui d'actualité.

Il est donc probable que, dans le communiqué final de Washington, figure une phrase ouvrant une réflexion sur les doctrines nucléaires, dans le cadre du contrôle du désarmement et de la lutte contre la prolifération.

III. - LES PROPOSITIONS DU RAPPORT

A. LA PRIMAUTÉ DE LA DÉFENSE COLLECTIVE

L'Alliance a pour fonction première d'apporter aux alliés une garantie d'assistance militaire mutuelle en cas d'agression contre leur territoire dans la zone de l'Atlantique Nord définie par le traité de Washington (clause de l'article 5). Cette garantie, et en particulier l'engagement américain de participer à la défense de l'Europe, constitue la raison même d'être de l'Alliance pour l'avenir prévisible.

Deux autres fonctions de l'Alliance découlent de cette fonction primordiale de défense collective. En raison de la garantie militaire qu'elle apporte à la sécurité de ses membres européens, l'Alliance fournit une des bases de la stabilité du continent qu'elle renforce par le dialogue avec les pays d'Europe centrale et orientale non membres, la Russie, l'Ukraine et les autres pays issus de l'URSS. En outre, parce qu'elle est l'expression de la solidarité qui unit les Etats-Unis et l'Europe, l'Alliance est une enceinte de consultation transatlantique sur les questions de sécurité affectant les intérêts vitaux des Etats membres. Ces deux fonctions de contribution à la stabilité européenne par le dialogue paneuropéen et de concertation transatlantique gardent toute leur pertinence.

Le concept stratégique de 1991 attribuait en revanche à l'Alliance une dernière mission, également liée à sa nature d'organisation de défense collective, qui n'est aujourd'hui plus d'actualité, celle de maintenir l'équilibre des forces militaires entre l'Europe occidentale d'une part et l'URSS d'autre part. Alors qu'en 1991 l'URSS, bien qu'affaiblie et proche de l'éclatement, conservait des forces armées considérables en effectifs et en équipements, les pays de l'Alliance disposent aujourd'hui d'une supériorité militaire évidente sur le continent européen. Le seul domaine de préoccupation en matière militaire reste l'arsenal nucléaire russe. Mais face aux risques que présente cet arsenal, la stratégie pertinente n'est pas celle de l'équilibre des forces, mais plutôt celle de la dissuasion et du contrôle des armements.

Même si, aujourd'hui, sa mise en jeu paraît relever d'hypothèses peu vraisemblables pour l'avenir prévisible, la garantie d'assistance mutuelle en cas d'agression est le fondement de l'Alliance. Elle en détermine la cohésion. Pour la France, c'est une dimension essentielle de sa politique de défense.

B. LES CONDITIONS D'EXERCICE DES NOUVELLES MISSIONS DE GESTION DES CRISES

Une mission nouvelle incombe à présent à l'Alliance, celle de contribuer militairement à la stabilité de l'environnement stratégique des territoires des alliés européens. Dans cette zone persistent en effet des risques qui, s'ils n'étaient pas contenus, pourraient menacer la sécurité du continent et donc mettre en cause celle des alliés eux-mêmes, et au premier chef des alliés européens. Il s'agit avant tout des conflits ethniques ou identitaires susceptibles de s'étendre, de provoquer des déstabilisations politiques en chaîne et d'importants mouvements de réfugiés, à distance plus ou moins éloignée des frontières des Etats membres de l'Alliance et/ou de l'Union européenne. Ces conflits peuvent donner lieu à des situations d'urgence humanitaire.

La nouvelle fonction de gestion militaire des crises qui résulte de cette situation est conforme au traité de Washington. Elle est la conséquence de l'obligation de consultation sur les questions de sécurité d'intérêt commun (article 4) mais elle présente des caractères spécifiques par rapport aux missions traditionnelles de défense collective :

- elle est facultative, contrairement à l'assistance mutuelle en cas d'agression : n'y participent que les Etats qui le souhaitent et en sont capables ;

- elle résulte d'une faiblesse politique (et non militaire) de l'Europe. C'est parce que l'Europe ou plutôt les principaux Etats européens n'ont pas le degré de cohésion nécessaire ni une volonté politique suffisante pour agir seuls, qu'ils ont besoin, pour assurer efficacement la stabilisation militaire de leur environnement, de l'aide américaine. C'est le bilan que l'on peut globalement tirer des événements de Bosnie-Herzégovine, quels que soient par ailleurs les efforts qui ont alors pu être déployés par la France et la Grande-Bretagne et que l'on a tendance aujourd'hui à passer sous silence au siège de l'OTAN pour mieux mettre en valeur le rôle décisif de l'intervention (tardive) des Etats-Unis ;

- elle s'explique également par les intérêts de puissance des Etats-Unis. Les Etats-Unis, puissance européenne, ou plus exactement, puissance en Europe ne peuvent se désintéresser des crises graves qui surviennent sur le continent, sauf à compromettre leur influence politique. Il n'est cependant pas assuré qu'ils soient toujours dans l'avenir prêts à intervenir pour contribuer au règlement de crises européennes de faible intensité alors que d'autres conflits sont susceptibles d'accaparer leur attention ailleurs dans le monde (par exemple en Asie). L'identité européenne de défense et de sécurité leur permettrait dans ce cas de figure de se décharger de la gestion d'une crise mineure sur les Européens. Mais ce rôle de supplétif ne doit pas être confondu avec la politique européenne de défense commune dont les instruments et les méthodes restent à créer ;

- les Etats-Unis ont tendance à considérer qu'en contrepartie de la protection qu'ils leur offrent, les Européens ont une sorte de devoir moral à les assister dans la gestion des crises, pour peu qu'ils estiment qu'elles intéressent la sécurité européenne. Cette conception donne à la notion de gestion des crises une grande part de son ambiguïté et en fait un objet potentiel de désaccords transatlantiques.

De ces quatre constatations, il résulte :

- que la gestion des crises ne saurait, dans le nouveau concept stratégique, être mise sur le même plan que les missions militaires de l'Alliance, qui se rattachent à la défense collective. Les missions de gestion des crises sont d'ailleurs désignées comme des missions « non-article 5 », ce qui souligne leur différence de nature avec la défense collective. En effet, la défense collective est facteur de cohésion de l'Alliance, dès lors que les obligations qu'elle impose sont loyalement et pleinement assumées. En revanche, une politique inadaptée de gestion des crises, qui ne serait pas fondée sur un consensus profond des alliés, porterait préjudice à cette cohésion et en particulier au lien transatlantique. Or, il ne saurait y avoir de consensus au sein de l'Alliance pour une intervention qui ne serait justifiée que par un principe aussi vague que la « défense d'intérêts communs » ou de « valeurs communes » ;

la mission de gestion des crises doit être limitée géographiquement. Les alliés européens n'ont pas vocation à être entraînés dans des opérations de gestion militaire de crises lointaines. De ce point de vue, une rédaction du concept stratégique qui restreindrait l'espace de gestion des crises à la zone « euro-atlantique » serait encore source d'ambiguïtés ; cette zone qui englobe le Caucase et l'Asie centrale est en effet très étendue et ses limites sont mal définies. Certaines coopérations militaires qu'entretiennent les Etats-Unis avec des anciennes républiques soviétiques riveraines de la mer Caspienne ne sont pas sans susciter des interrogations. Et l'Europe ne peut qu'être prudente devant toute perspective d'implication dans les crises affectant ces pays ;

la gestion des crises doit également être conforme au droit. Elle doit respecter « la responsabilité primordiale » du Conseil de Sécurité des Nations Unies, expressément reconnue par l'article 7 du traité de Washington. Les mesures militaires prises à ce titre doivent donc être autorisées par le Conseil de Sécurité.

L'OTAN se placerait-elle ainsi en position subordonnée par rapport à un organisme extérieur, qui risque en outre d'être paralysé par des veto russe ou chinois ? Il se trouve que cette situation de subordination juridique de l'OTAN est précisément celle que prescrit le droit international. L'OTAN ne peut s'autosaisir des questions de sécurité et usurper la capacité juridique d'autoriser le recours à la force, qui appartient exclusivement au Conseil de Sécurité. La possibilité de s'opposer à ce recours à la force fait partie des prérogatives reconnues aux membres permanents du Conseil de Sécurité par la Charte des Nations Unies. Il n'est pas possible de la leur dénier. Les Etats-Unis en font d'ailleurs eux-mêmes largement usage.

Il peut néanmoins exister des situations exceptionnelles où un état de menace contre la paix ou de rupture de la paix, préalablement reconnu par le Conseil de Sécurité, se traduit par une crise humanitaire (expulsions de population, crimes de masse, etc.) qui exige une réponse urgente alors que les parties ou l'une des parties refusent de se soumettre aux injonctions de ce même Conseil de Sécurité.

On peut concevoir qu'à de telles situations exceptionnelles, la réponse puisse elle-même revêtir un caractère exceptionnel et que l'obligation d'attendre une décision expresse du Conseil de Sécurité pour autoriser le recours à la force apparaisse alors moins contraignante. Mais ce recours à la force doit alors être proportionné à son objet, qui est de mettre fin à l'urgence humanitaire. Et c'est en tout état de cause sous l'autorité du Conseil de Sécurité que doivent être fixés les principes et les modalités du règlement de la crise. C'est un scénario de ce type qui se déroule dans le cas du conflit du Kosovo.

Il est ainsi possible de faire face aux crises graves survenant en Europe tout en respectant, en règle générale, l'autorité du Conseil de Sécurité. Il n'existe donc aucune justification pour que l'OTAN s'octroie, en fonction des circonstances, la liberté de s'affranchir de cette obligation.

Une démarche unilatérale, méconnaissant l'autorité du Conseil de Sécurité, n'aurait que l'apparence de l'efficacité. Car elle ne pourrait avoir comme effet, en discréditant le Conseil de Sécurité et, plus largement l'ONU, que d'inciter d'autres puissances à pratiquer par la force la politique du fait accompli. En outre, loin de contribuer à la stabilité de l'Europe, elle détériorerait encore le climat des relations entre l'Alliance et la Russie, aggravant ainsi les risques au lieu de les réduire.

C. L'INADAPTATION DU CADRE DE L'OTAN AU TRAITEMENT DES PROBLÈMES DE PROLIFÉRATION

Les pays membres de l'Alliance doivent contribuer aux actions politiques et diplomatiques de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques. Il n'est en revanche ni utile, ni nécessaire que l'Alliance organise une réponse collective de nature militaire ou même diplomatique à ce problème. Tout au plus peut-elle être le lieu d'un échange d'informations entre Etats membres sur les risques liés à la prolifération. La communication réciproque de renseignements aussi sensibles est cependant difficile par nature et rencontre des limites évidentes, ne serait-ce qu'en raison de l'inégalité des capacités américaines et européennes.

Le problème de la prolifération, qui concerne l'ensemble de la communauté internationale, mérite d'être prioritairement traité dans des enceintes universelles et non au sein de l'OTAN. Dans ces enceintes, l'Europe doit proposer ses propres solutions qui sont avant tout politiques et diplomatiques : renforcement des régimes multilatéraux de contrôle, recherche de progrès rapides dans les négociations sur l'interdiction de la production des matières fissiles, intégration d'un mécanisme de vérification dans la convention sur les armes biologiques. Le concept stratégique doit souligner l'importance accordée par tous les alliés au traité d'interdiction complète des essais nucléaires, ce qui devrait en particulier inciter les Etats-Unis à le ratifier rapidement. Par ailleurs, il ne saurait y avoir de lutte efficace contre la prolifération sans recherche d'une solution aux problèmes qui la favorisent (par exemple, le blocage du processus de paix au Proche-Orient).

Enfin, il serait aventureux pour l'Europe de consacrer les ressources limitées de ses budgets militaires au développement de systèmes antimissiles de théâtre excessivement ambitieux (même s'il s'agit d'un domaine dont elle ne doit pas se désintéresser totalement) et, encore plus de nouer à cette fin des relations de coopération, forcément inégales, avec les Etats-Unis. L'Europe serait d'ailleurs à la merci d'une décision d'abandon ou de restructuration de tel ou tel programme par les Etats-Unis, comme l'Allemagne et l'Italie viennent d'en faire l'expérience avec le programme de défense aérienne étendue MEAD (medium extended air defence).

Il serait au total erroné d'accorder, au sommet de Washington une place excessive à la prolifération qui ne constitue pas, en l'état actuel des choses, une menace grave et immédiate pour les pays de l'Alliance. Une telle démarche serait d'ailleurs contre-productive. Elle donnerait l'impression que l'OTAN, ayant perdu son ennemi à l'Est, en recherche un au Sud.

Elle pourrait enfin être considérée comme une approbation indirecte des projets américains de déploiement d'un système national de défense antimissile (national missile defence -NMD-). Or ce projet qui est susceptible de remettre en cause les accords ABM, est de nature à compromettre les relations de confiance que l'Alliance s'est engagée à établir avec la Russie. Il risque d'entraîner un refus de la Russie de ratifier les accords START II et de s'engager dans la négociation START III. Bien que l'objectif déclaré du projet NMD soit de protéger les Etats-Unis contre une attaque balistique limitée, déclenchée par un « Etat voyou » (rogue state), il peut avoir néanmoins pour effet de persuader les responsables politiques et l'opinion russes que sa raison d'être réelle est de consacrer une complète supériorité stratégique américaine.

D. LES CONDITIONS DES ÉLARGISSEMENTS FUTURS

L'Alliance a naturellement vocation à s'élargir aux pays européens qui le souhaitent et qui sont en accord avec les principes et les valeurs qu'elle a pour mission de défendre.

L'élargissement n'est cependant pas une fin en soi. Il doit répondre aux trois conditions posées à Madrid et d'ailleurs inscrites à l'article 10 du traité de Washington : les nouveaux membres doivent être en mesure d'assurer leurs responsabilités au sein de l'Alliance ; leur adhésion doit servir les intérêts politiques et stratégiques généraux de l'Alliance ; elle doit renforcer la sécurité et la stabilité en Europe.

Il faut, en outre, être conscient que l'élargissement n'est pas sans incidence sur la politique de l'Alliance. Avant de décider l'admission de tel ou tel candidat, un débat approfondi doit donc avoir lieu sur la stratégie qui justifie cette extension géographique.

Ce débat n'a pas eu lieu préalablement à l'adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque, sans doute parce que les raisons qui y ont conduit, bien qu'acceptées par tous les alliés, étaient difficiles à présenter de manière trop explicite : besoin de sécurité des nouveaux membres face aux incertitudes russes, qu'il n'était pas opportun de souligner, souci de consolider les liens de confiance entre l'Allemagne et deux de ces pays (Pologne et République tchèque).

Pour les élargissements ultérieurs, l'objectif de sécurité et de stabilité doit primer. Au regard de ce critère, un élargissement vers le Sud apparaît prioritaire. Il pourrait exercer des effets de stabilisation dans la région des Balkans. Il contribuerait à l'atténuation des fractures ethniques et identitaires. Il ne renforcerait pas le sentiment d'isolement de la Russie mais consoliderait, sans créer de tensions nouvelles, l'indépendance ukrainienne. Il reste que la situation économique des pays concernés (à l'exception de la Slovénie et de la Slovaquie, que l'on peut rattacher à ce groupe) ne leur permet pas de consacrer à la restructuration de leur défense des efforts suffisants. Leur faiblesse économique risquerait même d'affaiblir militairement l'Alliance s'ils en étaient membres. Il convient donc de les accompagner dans leurs efforts de réforme économique avant de leur proposer l'adhésion. L'Union européenne ne doit pas être seule à le faire. Les Etats-Unis ont aussi, dans ce domaine, leur « part de fardeau » à assumer.

En ce qui concerne les Etats baltes, la question est naturellement compliquée par la nécessité de préserver, dans toute la mesure du possible, des relations de confiance avec la Russie. Or, étendre l'OTAN jusqu'à quelques dizaines de kilomètres de Saint-Pétersbourg, isoler davantage encore la région de Kaliningrad, pour ne citer que les deux conséquences géopolitiques d'une adhésion des pays baltes à l'OTAN, ne manqueraient pas, dans le contexte actuel, de détériorer sérieusement les relations de l'Alliance -donc de l'Europe- avec la Russie. Par ailleurs, il est évident que, sur le plan militaire, ces pays seraient impossibles à défendre contre un hypothétique coup de force.

La question de l'élargissement présente ainsi deux aspects contradictoires : il importe, d'une part, d'éviter de laisser les pays d'Europe centrale et orientale non membres de l'Alliance dans un vide de sécurité en leur refusant toute perspective d'adhésion. Mais il ne faut pas, d'autre part, laisser penser à la Russie qu'elle est refoulée systématiquement aux marges de l'Europe.

E. LA DIMENSION PROPREMENT EUROPÉENNE DU DIALOGUE DE SÉCURITÉ ET DE LA COOPÉRATION MILITAIRE AU SEIN DE L'ESPACE EURO-ATLANTIQUE

1. Les relations avec les pays d'Europe centrale et orientale

L'approfondissement des relations de sécurité entre les deux parties de l'Europe, artificiellement séparées par la guerre froide, passe par le développement du partenariat des pays d'Europe centrale et orientale, non seulement avec l'OTAN mais aussi avec l'UEO. Le concept stratégique doit prendre acte de cette dimension proprement européenne du dépassement, dans le domaine militaire, du clivage Est-Ouest.

Lorsque la construction de l'Europe de la défense aura suffisamment progressé pour permettre à l'Union européenne de définir et d'appliquer une politique de défense commune, la question de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à l'Union revêtira une importante dimension de défense et de sécurité. Dès à présent, l'aspect proprement militaire de la participation future de ces pays à la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union peut être approfondie dans le cadre de leur association à l'UEO en qualité d'associé-partenaire. La nature spécifique des liens qui unissent les pays européens de l'Est et de l'Ouest pourra ainsi trouver son expression dans le domaine de la défense. Des coopérations bi ou multilatérales sont de nature à compléter ce partenariat, comme celle engagée dans le cadre du « triangle de Weimar » par la Pologne, l'Allemagne et la France.

Le dialogue de défense et de sécurité entre les deux parties de l'Europe ne saurait être limité au cadre de l'OTAN. L'Europe occidentale doit pouvoir offrir à ses partenaires de l'Est une coopération répondant spécifiquement aux intérêts de sécurité européens et aux priorités qui en découlent. Il apparaît, par exemple, qu'un pays comme la Pologne est attentif, comme la plupart des pays d'Europe occidentale, à ce que la fonction de défense collective de l'Alliance ne soit pas affaiblie au profit de la mission très large et indéterminée de réaction aux crises que préconisent les Etats-Unis. Dans le domaine des armements, il ne semble pas que les nouveaux adhérents soient prêts à sacrifier leurs compétences industrielles propres pour ouvrir en totalité leur marché aux producteurs américains. Des possibilités de coopération avec l'Europe occidentale existent donc en ce domaine. L'adhésion à l'OTAN a précédé, pour les trois nouveaux membres, leur entrée dans l'Union européenne pour des raisons de fait : il est plus facile d'entrer dans une organisation de défense collective, surtout dans la situation actuelle d'absence de menace immédiate, que de satisfaire aux exigences multiples et rigoureuses de l'intégration dans l'Union européenne. Mais ce décalage dans le temps ne doit pas avoir comme effet de favoriser une division du travail, volontiers envisagée du côté américain, entre une Union européenne à vocation économique et sociale et une Alliance atlantique compétente pour la défense de l'Europe et sa sécurité. Il en va de même des relations de l'Union européenne avec les autres pays d'Europe centrale et orientale qui lui proposent leur adhésion tout en posant leur candidature à l'entrée dans l'OTAN.

2. Les relations entre la Russie et l'Ukraine

L'Europe se doit également de faire valoir ses conceptions et ses intérêts propres, lorsqu'ils se distinguent de ceux des Etats-Unis, dans le dialogue de sécurité qu'elle entretient avec la Russie et l'Ukraine.

S'agissant des relations russo-ukrainiennes, l'Europe peut sans doute jouer un rôle diplomatique propre de médiation et de facilitation du dialogue entre les deux pays.

L'Europe devra également être attentive aux conséquences de l'adoption du nouveau concept stratégique de l'OTAN sur la politique de défense russe. La Russie a en effet annoncé qu'elle ajusterait sa propre doctrine militaire en fonction des orientations qui se dégageront de ce concept. Il importe plus généralement de réfléchir, entre Européens, au sein de l'Union européenne, dans le cadre du débat sur la stratégie commune actuellement en préparation, à la place de la Russie en Europe et à la manière dont les actions européennes d'accompagnement de la stabilisation et de la transition économiques et sociales dans ce pays peuvent être mises en cohérence avec notre politique de sécurité. A notre disponibilité pour le soutien à la reconstruction économique et à l'instauration de l'état de droit, doit correspondre une écoute sérieuse des préoccupations de sécurité russes lorsqu'elles nous paraissent légitimes. Il paraît, en tout état de cause, certain qu'une présence européenne plus affirmée dans la gestion des crises européennes pourrait réduire certaines préventions russes à l'égard de l'OTAN, et plus facilement convaincre la Russie qu'il ne s'agit pas d'un moyen détourné d'étendre une influence américaine exclusive.

L'Europe doit ainsi veiller à ce que le Conseil conjoint OTAN-Russie ne soit pas le lieu où la Russie serait systématiquement placée devant des faits accomplis.

On ne saurait déplorer les possibilités de veto russes et adopter en même temps une politique qui incite la Russie à y recourir dans un esprit de confrontation. A moins qu'on se satisfasse de cette perspective, en considérant, contrairement à la lettre du traité de Washington lui-même, qu'il n'est pas nécessaire de reconnaître au Conseil de Sécurité la responsabilité primordiale du maintien de la paix dans une Europe dont la sécurité relèverait essentiellement de l'OTAN.

Si l'on refuse cette conception, il faut admettre que la Russie a vocation à jouer un rôle important dans la résolution des crises européennes. Sans sa participation active, l'OSCE serait privée de toute perspective d'intervention efficace, alors qu'elle représente la seule organisation paneuropéenne de sécurité collective dont tous les pays membres sont placés sur un pied d'égalité, contrairement aux émanations de l'OTAN que sont les diverses instances du partenariat euro-atlantique (Conseil de partenariat euro-atlantique, partenariats pour la paix).

La contribution de la Russie est également nécessaire pour préserver la dimension de désarmement de la sécurité européenne. Il importe de ce point de vue de parvenir dans les prochains mois à un accord sur l'adaptation du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) qui représente un élément important de l'architecture européenne de sécurité. L'OTAN doit accepter de voir sa capacité de concentration de forces, notamment sur le territoire de ses nouveaux membres, soumise à certaines disciplines, parfaitement acceptables dans l'état actuel des risques internationaux, sous peine de laisser la Russie s'affranchir à son tour de toute contrainte, notamment en ce qui concerne sa présence militaire dans le Caucase et la région de Saint-Pétersbourg. Il serait donc souhaitable que le concept stratégique souligne, d'une part, la nécessité d'entretenir un dialogue authentique avec la Russie et exprime, d'autre part, la volonté de préserver le cadre contractuel du désarmement conventionnel en Europe.

F. LES PERSPECTIVES NOUVELLES DE CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE

Depuis l'évolution récente de la position de la Grande-Bretagne, concrétisée par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo du 4 décembre 1998, la construction de l'Europe de la défense bénéficie d'une dynamique nouvelle. Le principe destiné à orienter cette relance de l'idée de défense européenne est posé par la déclaration de Saint-Malo : l'Union européenne doit disposer de capacités militaires autonomes, à la fois dans et hors de l'OTAN. Ce principe est également reconnu par la déclaration franco-allemande de Potsdam du 1er décembre 1998.

Le concept stratégique de l'Alliance doit prendre acte de cette dynamique et adopter une formulation ouverte à son égard, malgré les tentations américaines de cantonner l'Union européenne à un rôle économique et de réserver à l'OTAN la responsabilité de la défense de l'Europe. Il est donc nécessaire que le concept stratégique se démarque nettement de cette conception des rôles respectifs des deux organisations.

Lorsque l'Europe était confrontée à une menace directe et massive, la question de son accession à l'autonomie militaire pouvait être considérée comme moins urgente, voire, pour nos partenaires, dangereuse.

L'engagement américain était en effet indispensable à la défense de l'Europe, et en particulier à celle de l'Allemagne occidentale. Pour nos partenaires, s'engager dans une démarche d'autonomie militaire aurait fait courir le risque d'inciter les Etats-Unis à réduire leur garantie. Aujourd'hui, la situation est tout autre : les missions militaires nécessaires pour l'avenir prévisible concernent la gestion des crises. Or, il n'est pas assuré que les Etats-Unis souhaiteront toujours s'impliquer systématiquement dans toutes les crises survenant en Europe. Il pourra se produire des situations où ils considéreront que les coûts de toute nature d'une intervention excèdent ses avantages. L'Europe, quant à elle, ne peut attendre des Etats-Unis qu'ils s'engagent militairement pour contribuer au règlement de tous les conflits dont elle estimerait qu'ils menacent gravement ses intérêts. Une telle situation de dépendance ne pourrait, à terme, qu'être cause de récriminations et de frictions au sein de l'Alliance.

La question de l'accession de l'Europe à l'autonomie militaire concerne donc d'abord, pour l'avenir prévisible, les missions ne relevant pas de la défense collective. Il s'agit des missions dites « de Petersberg », dont le traité d'Amsterdam stipule qu'elles peuvent relever de décisions prises dans le cadre de la future politique européenne de défense commune. Les missions de défense collective, quant à elles, continueront à impliquer l'ensemble de l'Alliance, en application de l'article 5 du traité de Washington.

1. L'Union européenne, lieu naturel d'impulsion de la construction de l'Europe de la défense

Les développements du concept stratégique consacrés à l'Europe de la défense s'appuieront sur les conclusions du Conseil de Berlin de juin 1996. Ces conclusions prévoient, comme il a été indiqué précédemment, le développement d'une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l'OTAN et dans le cadre de l'UEO. Elles ne font pas référence à l'Union européenne. Pourtant, le traité de Maastricht, signé quatre ans auparavant, déclarait que l'UEO faisant « partie intégrante du développement de l'Union européenne ». Il fixait à l'UEO la tâche d'« élaborer et de mettre en _uvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense ». Il faut également constater que les décisions de Berlin prévoyant de mettre à la disposition de l'UEO les moyens de l'OTAN pour des opérations européennes n'ont pas encore été complètement traduites dans les faits. Il est ainsi prouvé que, lorsque l'on cherche à construire l'Europe de la défense en procédant à une adaptation interne des structures de l'OTAN sans référence à l'instance politique forte et légitime que constitue l'Union européenne, la dynamique est faible, l'impulsion politique peine à prévaloir sur les résistances bureaucratiques, les divergences de préoccupations et de priorités entre alliés, et tout particulièrement entre les Etats-Unis et leurs partenaires européens, empêchent l'expression d'une volonté politique claire et déterminée.

On observe aujourd'hui que l'organisation militaire intégrée envisage d'abord les GFIM (groupements de forces interarmées multinationales) comme un nouvel outil pour ses propres missions au lieu d'en faire prioritairement l'instrument de l'identité européenne de défense. Ce n'est qu'à titre secondaire qu'elle examine les modalités selon lesquelles les structures de commandement des GFIM pourraient être mises à la disposition de l'UEO. Or, l'UEO, lorsqu'elle n'est pas clairement adossée à l'Union européenne, est un partenaire bien faible de l'OTAN et, en l'absence d'un soutien politique suffisant, elle ne peut obtenir qu'une aide limitée des états-majors de l'organisation militaire intégrée.

L'extension de la construction européenne au domaine de la défense, la mise en place des instruments et des procédures d'une politique européenne de défense commune nécessitent, pour se concrétiser, une dynamique plus forte. Or, il apparaît aujourd'hui, pour la plupart des pays européens de l'Alliance, et en particulier pour ceux dont la puissance militaire est la plus significative, que cette dynamique ne peut procéder que de l'Union européenne qui est devenue, davantage encore depuis l'instauration de l'Union économique et monétaire, le lieu d'impulsion naturel et légitime des efforts d'unification européenne. La déclaration franco-britannique prend acte de cette situation.

Au moment de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, apparaît ainsi une conjoncture favorable à des progrès significatifs vers l'institution d'une politique de défense européenne. En ce domaine, le sommet de Washington n'est pas l'échéance décisive. La construction de l'Europe de la défense est d'abord l'affaire des Européens. Son avenir se décidera au cours des prochaines réunions ministérielles de l'Union européenne et de l'UEO mais surtout lors des prochains Conseils européens. Néanmoins l'adaptation de l'OTAN au nouveau contexte stratégique et l'affirmation de l'identité de défense européenne sont des évolutions intimement liées. D'une part, l'une des finalités de l'Europe de la défense est de renforcer l'Alliance et d'améliorer sa capacité à faire face aux nouveaux risques en la rééquilibrant ; d'autre part, les moyens militaires dont l'Union européenne peut disposer par l'intermédiaire de l'UEO relèvent majoritairement de l'organisation militaire intégrée.

Il convient dès lors :

- de doter l'Union européenne d'une capacité d'action autonome en lui permettant d'utiliser sous son contrôle politico-militaire soit des moyens de l'OTAN, soit des moyens proprement européens extérieurs à l'OTAN ;

- de développer, sous cette condition, l'association des forces françaises à celles de nos partenaires européens membres de l'Alliance, mais aussi, moyennant des arrangements spécifiques, extérieurs à l'Alliance.

2. La constitution d'une capacité d'action européenne autonome

La constitution d'une capacité d'action européenne autonome suppose :

- l'existence d'une instance de décision politique forte et légitime ;

- une capacité de planification militaire adéquate ;

- une chaîne de commandement ;

- des moyens de communication et de logistique rendant possible la constitution d'une force européenne projetable et réactive à grande distance.

·  L'instance de décision ne peut être que le Conseil européen ou le Conseil des ministres de l'Union, statuant dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ce sont donc les chefs d'Etat et de Gouvernement, les ministres des Affaires étrangères et, nécessairement, les ministres de la Défense qui devront définir les orientations générales de la politique de défense commune, en cohérence avec les autres aspects, diplomatiques et économiques, de la PESC. Ils seront assistés dans cette tâche par le Haut Représentant de l'Union pour la PESC, qui devra bénéficier d'une autorité politique comparable, par exemple, à celle du Secrétaire général de l'OTAN. Ils disposeront également de l'unité de planification de la politique et d'alerte rapide, qui devra être dotée des moyens nécessaires à l'évaluation des implications militaires d'une crise. Il sera donc nécessaire d'établir des relations étroites entre cette unité et les organes de l'UEO disposant d'une expertise dans le domaine du renseignement et de l'analyse de situation (comité militaire, cellule de planification, centre de situation, centre satellitaire).

La procédure applicable aux décisions et actions de l'Union européenne ayant des implications dans le domaine de la défense ne peut être que celle du consensus, tempéré par « l'abstention constructive ». Conformément au traité d'Amsterdam, il appartiendra à l'UEO de mettre en _uvre ces décisions et actions. Il paraît essentiel que les pays non membres de l'UEO (Danemark, Autriche, Irlande, Finlande, Suède) puissent y participer pleinement dès le stade de la planification.

·  S'agissant des capacités de planification militaire et de renseignement, elles existent au sein de l'UEO mais elles n'y ont qu'une forme encore embryonnaire. C'est ainsi que la cellule de planification doit sous-traiter à l'OTAN la planification de ses « missions illustratives ».

Il conviendrait de renforcer, de manière prioritaire, les capacités de planification stratégique de la cellule de planification de l'UEO. La planification stratégique consiste à préparer la décision d'intervention qui doit, dans l'état actuel des textes, être prise au sein de l'Union européenne et exécutée dans le cadre de l'UEO. Elle a pour objet de déterminer les objectifs militaires stratégiques poursuivis, le degré d'emploi de la force, les risques encourus, les règles d'engagement, les besoins en moyens militaires. Pour que la cellule de planification de l'UEO puisse remplir cette tâche au service de la politique de défense de l'Union européenne, il faudrait sans doute doubler son effectif d'officiers pour le porter à un peu plus d'une centaine. Elle atteindrait ainsi un niveau d'effectif proche de celui de la cellule de planification constituée par l'OTAN au profit des GFIM (CJPS - combined joined planning staff). Avec cette taille critique, la cellule de planification de l'UEO pourrait, en outre, assurer la planification opérationnelle des actions décidées (affectation des forces, modalités de mise en place et d'engagement). Il lui serait cependant nécessaire, dans ce cas, de bénéficier du soutien des états-majors nationaux, en particulier britannique et français, dont la capacité et l'expérience sont, de loin, les plus grandes.

Instrument essentiel d'expertise militaire au service de l'Union européenne, la cellule de planification devrait être ouverte à la participation d'officiers appartenant aux forces des pays « observateurs » (appartenant à l'Union européenne mais non à l'UEO) qui le souhaitent.

Il importe par ailleurs d'améliorer de manière urgente les capacités de renseignement susceptibles d'éclairer les décisions militaires de l'Union européenne. Cette amélioration nécessite également d'accroître le volume des capacités existantes au sein de l'UEO et d'en faire une cellule de renseignement d'une taille critique suffisante, avec la participation des pays observateurs. Cette cellule devra pouvoir demander des informations aux services des Etats membres, ainsi qu'à la direction du renseignement de l'OTAN. Il convient, en outre, d'envisager la mise sur pied de moyens européens autonomes de renseignement stratégique (notamment par satellite). Dans ce cadre, il serait souhaitable d'élargir la participation européenne au programme HELIOS II et de relancer en complément un programme européen de satellites d'observation radar.

·  Dotée de moyens de planification et de renseignement suffisants, l'Union européenne pourra, avec la participation des pays observateurs, dans la mesure où ils le souhaitent, mettre en _uvre une chaîne de commandement. Juridiquement, cette mise en _uvre doit actuellement être assurée par l'UEO.

La chaîne de commandement de l'intervention européenne pourra être constituée conformément à l'esprit des décisions de Berlin. Dans ce cas, l'UEO formellement, et à travers elle l'Union européenne, auront recours aux moyens de l'Alliance sous leur « contrôle politique » et leur « direction stratégique » selon les termes agréés à Berlin. Il est indispensable que les pays observateurs soient alors traités sur un pied d'égalité avec les membres de plein exercice de l'UEO. L'opération serait ainsi soumise au contrôle politico-militaire de l'ensemble des Etats de l'Union européenne qui auraient décidé d'y participer.

Cette hypothèse implique que la chaîne de commandement européenne au sein de l'OTAN soit clairement identifiée et apparaisse de manière visible au cours de l'opération. Il est essentiel que les pays européens obtiennent des Etats-Unis la garantie que l'utilisation des moyens de l'OTAN, et en particulier de ses moyens de communication, ne soit soumise à aucun veto de leur part.

A côté de cette chaîne de commandement européenne au sein de l'OTAN qui, dans l'état actuel des textes, devrait être mise en _uvre par l'UEO, pourrait être mise en place une chaîne de commandement spécifiquement européenne. Ce commandement serait constitué soit à partir d'un état-major fourni par une « nation-cadre » (en pratique actuellement la France ou la Grande-Bretagne) soit, dans une étape ultérieure, à partir de modules mis à disposition par les différents Etats participant à l'opération et agrégés autour d'un « noyau-clef » européen. Ainsi pourrait être mis sur pied un état-major capable de diriger un GFIM européen ou groupe de forces interarmées européen (GFIE). Il conviendrait également de reprendre dans ce commandement européen les éléments épars d'état-major de forces multinationales européennes existant actuellement (Corps européen, Eurofor, Euromarfor).

L'Union européenne disposerait alors d'une option entre deux chaînes de commandement alternatives, l'une atlantique, l'autre européenne. Le choix entre ces deux chaînes de commandement devrait relever de l'Union européenne. L'option européenne serait, par son existence même, une garantie de la réalité et de l'efficacité de l'option atlantique. Mais son intérêt réside essentiellement dans ses avantages propres. Elle présenterait d'abord la caractéristique de n'être subordonnée à aucune autorisation du Conseil de l'Atlantique Nord, même si une consultation s'impose naturellement. Elle permettrait de faire participer au commandement de l'opération et de la force des pays non membres de l'Alliance. Elle faciliterait la participation de la France à ce commandement. Elle dispenserait l'Europe des contraintes que peut entraîner le recours aux moyens de l'Alliance. Ces moyens sont en effet organisés et dimensionnés d'une part pour permettre la participation américaine et d'autre part pour faire face à des situations relevant de l'article 5. Ils ne correspondent pas nécessairement aux besoins spécifiques d'une mission de Petersberg. L'utilisation des moyens de l'Alliance suppose par ailleurs un certain degré d'implication des Etats-Unis. Le recours à certains moyens américains, de renseignement, communication et informatisation notamment, est en effet indispensable en cas de recours à une chaîne de commandement de l'OTAN. L'option européenne permettrait donc de ne pas engager les Etats-Unis dans la gestion d'une crise où ils considéreraient que leurs intérêts ne seraient pas en jeu. Elle tiendrait ainsi pleinement compte des différences d'intérêts, de priorités stratégiques ou de perception qui peuvent apparaître entre les Etats-Unis et l'Europe. Elle suppose que les Etats européens, dont les éléments d'état-major opérationnels sont en quasi-totalité (Allemagne) ou très largement (Italie) dans les commandements intégrés de l'OTAN aient la volonté politique de les affecter en cas de besoin à une autre chaîne de commandement spécifiquement européenne.

L'institution d'une chaîne de commandement européenne suppose la désignation des forces auxquelles il pourrait être fait appel. Les forces relevant de l'UEO (FRUEO) n'ont pas encore fait l'objet d'un inventaire détaillé et surtout d'une mise en cohérence dans la perspective de leur emploi pour des missions européennes. Il conviendra donc de mettre à l'étude et d'entreprendre en priorité la réorganisation, en fonction des hypothèses d'emploi définies par la cellule de planification, des différentes forces nationales de l'Union européenne et surtout des forces européennes multinationales (Corps européen, Eurofor, Euromarfor notamment), désormais nombreuses, mais constituées au coup par coup sans dessein d'ensemble préétabli, en fonction de considérations politiques ponctuelles.

L'efficacité des moyens de commandement et de planification destinés à être mis en _uvre dans un cadre européen, ainsi que celle du dispositif de forces correspondant, doit être vérifiée par des exercices fréquents et d'ampleur suffisante. Il est de même nécessaire que les forces destinées à être employées sous commandement stratégique européen soient régulièrement entraînées pour des missions européennes.

·  Les forces européennes employées sous commandement européen devront enfin disposer de moyens de communication adaptés à la projection et de moyens de transport aériens stratégiques. Dans une première étape, il serait nécessaire de faire appel à des moyens nationaux dont il convient d'assurer l'interopérabilité. Il serait logique que la création de moyens nouveaux fasse par la suite l'objet d'une coopération européenne. Il serait, dans cette optique, souhaitable de pouvoir disposer du nouveau système de communication Trimilsatcom, même si la définition de ce programme est reprise en charge par les industriels. Il serait également essentiel, d'un point de vue pratique mais aussi symbolique, de créer une flotte aérienne européenne de transport stratégique. Le programme d'avion de transport futur est de nature à satisfaire ce besoin, tout en offrant aux industriels européens un projet fédérateur favorisant leur regroupement.

Ainsi, l'Union européenne pourrait-elle disposer en cas de besoin d'un groupe de forces interarmées dont elle assurerait le commandement et fournirait la logistique. Ce groupe de forces interarmées européen revêtirait des configurations variables selon les crises et les besoins militaires qui en découlent. Son ossature pourrait être constituée par une force européenne de réaction rapide à caractère multinational constituée, notamment, à partir du Corps européen, et qui symboliserait la solidarité des Européens face aux risques susceptibles de compromettre leur sécurité aux approches de leur territoire. Il s'agirait d'une force terrestre projetable, réactive, constituée d'unités professionnalisées. Cette force européenne de réaction rapide serait destinée à être employée sous commandement stratégique européen dans le cadre du groupe de forces interarmées européen. Mais elle pourrait aussi, conformément à l'option précédemment décrite, être mise à la disposition du SACEUR adjoint européen ou d'un autre commandant d'opération pour opérer dans un cadre atlantique.

L'organisation proposée des chaînes de commandement est illustrée dans le schéma ci-après.

MODE DE FONCTIONNEMENT

1)  Missions article 5 (défense collective)

- responsabilité politique : Conseil de l'Atlantique Nord

- commandement militaire : SACEUR

- moyens militaires : (1) + (2) + (3) + (4) + (5)

2)  Missions « de Petersberg » (maintien de la paix)

2.A  Dans le cadre de l'OTAN

- responsabilité politique : Union européenne (après mise à disposition du
commandement militaire par le Conseil de l'Atlantique Nord)

- commandement militaire : SACEUR adjoint (ou un autre commandant
d'opération prélevé sur les états-majors intégrés )

- moyens militaires : identiques à (1) + participation des pays neutres et
non alignés

2.B  Dans le cadre de l'Union européenne

- responsabilité politique : Union européenne

- commandement militaire : état-major de GFIE

- moyens militaires :

·  (3) + (5) + (2) + (4), sauf les moyens des pays non-membres

·  moyens des pays de l'UE non-membres de l'OTAN

(1) Moyens OTAN : systèmes de détection aérienne, réseaux de communication

(2) Moyens des pays européens de l'OTAN et des 4 membres de l'UE neutres et non alignés

(3) Moyens UE : centre satellitaire, flotte aérienne de transport

(4) Forces armées nationales et multinationales

(5) « Force européenne de réaction rapide » constituée notamment à partir du corps
européen

SCHÉMA PROPOSÉ

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3. Une relation équilibrée de confiance et de transparence avec l'OTAN

Le processus de constitution de moyens militaires européens autonomes ne peut que se dérouler dans une relation de transparence et de confiance à l'égard de l'OTAN. Il suppose d'ailleurs une collaboration étroite avec les structures de planification et de commandement intégrées, qui ne doivent s'en trouver en aucune façon affaiblies.

En effet, face à une crise, il sera nécessaire de maintenir ouverte l'option entre une intervention européenne au sein ou en dehors de l'OTAN et une intervention alliée. Un dialogue devra pouvoir s'engager entre les Etats-Unis et l'Europe sur le choix de l'une ou l'autre possibilité. L'Union européenne ne devra pas placer les Etats-Unis devant un choix préétabli et un fait accompli. De leur côté, il faudra obtenir des Etats-Unis la garantie qu'ils n'entraveront pas l'activation de la chaîne de commandement européenne, dont une part substantielle servira normalement au sein des états-majors intégrés.

Par ailleurs, toutes les forces européennes, et en particulier françaises, qu'elles soient susceptibles d'être employées dans le cadre de l'OTAN ou dans un cadre spécifiquement européen, devront être interopérables entre elles et avec les autres forces alliées.

Ce système de coopération entre l'OTAN et un dispositif militaire européen autonome permettra de poser en de nouveaux termes les relations de la France avec l'OTAN.

Dans le cas de la gestion de crise, la France serait appelée à participer, soit à une force ayant recours aux moyens de l'OTAN, soit à une force européenne sous commandement européen. Elle devrait se préparer à l'une et l'autre de ces situations en assurant notamment l'interopérabilité des procédures et des matériels utilisés par ses unités avec ceux de l'organisation militaire intégrée.

L'organisation militaire intégrée est d'ailleurs en train de se transformer profondément pour les besoins de la gestion des crises. Elle n'a plus pour fonction d'organiser un engagement automatique sur une position pré-établie (un créneau) identifiable dès le temps de paix. Mais elle doit planifier la combinaison de modules de forces destinées à opérer dans le cadre de coalitions d'Etats « capables et volontaires » (able and willing). Les Etats membres disposent dès lors de beaucoup plus d'autonomie et de liberté de choix à l'égard des plans qu'elle établit. De plus, la logique d'une opération de gestion de crise implique qu'elle soit placée sous un contrôle politique beaucoup plus étroit des instances multinationales mais aussi des autorités nationales, que dans le cas d'une action de défense collective. Dans ces conditions, l'association de la France à des opérations menées dans le cadre de l'organisation militaire intégrée comme l'exemple en a été donné en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine ne soulève pas les mêmes difficultés que dans le cas d'un engagement automatique sur la base de l'article 5.

4. Des duplications utiles et d'un coût supportable

L'une des objections majeures à la création de structures de commandement extérieures à l'OTAN consiste à les considérer comme des duplications coûteuses.

Il n'est pourtant pas envisagé de constituer des forces européennes nouvelles qui deviendraient indisponibles pour l'OTAN. Comme il a été indiqué précédemment, l'OTAN ne dispose que de moyens propres très limités. Parmi ces moyens, figurent des infrastructures de peu d'utilité pour une opération de gestion des crises, un réseau d'alerte aérienne, également conçu dans une perspective de défense collective, un système de détection aéroporté et, surtout, les quartiers généraux de l'organisation militaire intégrée. Pour le reste, les forces de l'OTAN sont d'origine nationale.

Les duplications entraînées par la création d'une capacité européenne autonome ne concernent donc en fait que les structures d'état-major. Or, dans le schéma proposé, elles sont très limitées : le renforcement de l'actuelle cellule de planification de l'UEO et de ses moyens de renseignement et d'analyse de situation nécessiterait tout au plus la création d'une centaine de postes. S'agissant du commandement stratégique d'un groupe de forces interarmées européen, il serait, pour l'essentiel, constitué à partir de moyens nationaux. Il en serait de même de la force européenne de réaction rapide. Le coût supplémentaire éventuellement induit par la création de ces structures consisterait en dépenses d'activité (entraînement des forces et exercices).

La charge occasionnée serait donc globalement très supportable. Son utilité paraît, par ailleurs, incontestable dès lors que l'on souhaite que l'Europe accède à une autonomie militaire effective.

Il n'est pas inintéressant de constater que l'organisation militaire intégrée de l'OTAN connaît d'autres duplications, plus coûteuses, moins utiles, mais rarement critiquées. Comme il a été précédemment indiqué, elle a fortement réduit le nombre de ses quartiers généraux pour s'adapter à la modification de la situation stratégique et à ses nouvelles missions de gestion de crises, mais ses moyens de planification opérationnelle et de commandement paraissent encore surdimensionnés Le coût de fonctionnement (hors opérations) de la structure militaire intégrée excède 3 milliards de francs. Les grands commandements envisagent, pour les cinq années à venir, une forte augmentation des dépenses, tant en ce qui concerne le fonctionnement que les rémunérations. Ce surdimensionnement est justifié par des nécessités de défense collective face à des menaces qui restent pourtant très hypothétiques pour l'avenir prévisible. Il est à noter par ailleurs que l'Alliance a fait face aux besoins liés à ses interventions en Bosnie-Herzégovine et, éventuellement, au Kosovo en mettant sur pied des structures ad hoc par prélèvement sur ses quartiers généraux sans en pénaliser significativement le fonctionnement.

5. L'intégration souhaitable de l'UEO dans l'Union européenne

La logique de la démarche consistant à doter l'Union européenne de capacités militaires autonomes conduit à envisager sa fusion avec l'UEO, dont l'éventualité est d'ailleurs envisagée expressément par le traité d'Amsterdam. La procédure par laquelle l'Union européenne charge l'UEO d'agir apparaît en effet lourde à l'excès. Elle impose une duplication peu compréhensible des instances de décision. L'argument de la différence de composition des deux organisations n'est pas pertinent, puisque l'Union européenne connaît des politiques associant un nombre variable d'Etats membres (Schengen, Union économique et monétaire). La dissociation des responsabilités politiques et militaires entre l'Union européenne et l'UEO présente, entre outre, l'inconvénient d'empêcher la gestion combinée, au sein d'une même organisation, des différents moyens d'action extérieurs (économiques, diplomatiques, militaires). Surtout, elle ne donne pas à l'action militaire, demandée par l'Union européenne et mise en _uvre par l'UEO, toute la visibilité et la clarté souhaitables. L'UEO est peu connue de l'opinion. Elle ne bénéficie pas de la légitimité qui s'attache à l'Union européenne, ce qui est un handicap considérable pour la conduite d'une action armée.

Il importe toutefois de veiller à ce que l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne n'entraîne aucun affaiblissement des engagements existants. La clause d'assistance militaire automatique, prévue à l'article V du traité de Bruxelles modifié (plus contraignante que la disposition correspondante du traité de Washington), doit donc être transposée dans le système juridique de l'Union européenne. Ne pourraient adhérer à cette clause que les membres de l'Alliance atlantique. Ainsi naîtrait, au sein de l'Union européenne, une agence de défense ou un quatrième pilier, intimement lié au deuxième -celui de la PESC. Ses organes de décision seraient le Conseil européen, le Conseil des ministres des Affaires étrangères et le Conseil des ministres de la Défense. Tous les Etats de l'Union seraient représentés, mais les pays n'ayant pas adhéré à la clause d'assistance militaire (donc non membres de l'Alliance) n'y auraient voix délibérative que pour les actions auxquelles ils souhaiteraient participer. L'ensemble des instruments opérationnels de l'UEO (comité militaire, cellule de planification, centre de situation, centre satellitaire) seraient rattachés à l'Union européenne. Des accords de coopération militaire seraient conclus avec les pays d'Europe centrale et orientale ayant actuellement le statut d'« associés partenaires » de l'UEO.

L'intégration de l'UEO à l'Union européenne pourrait se faire par étapes : il est en effet possible de rattacher dès à présent le Comité militaire de l'UEO à l'Union européenne, de manière à permettre un fonctionnement plus efficace du conseil « affaires générales » de l'Union siégeant au niveau des ministères des Affaires étrangères ou de la Défense, lorsqu'il abordera des questions ayant des implications militaires.

L'intégration pourrait également être préparée par l'attribution à une même personnalité politique du poste de Haut Représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune (PECS) et de celui de secrétaire général de l'UEO, lorsqu'il deviendra vacant à la fin de cette année. Cette mesure établirait un lien organique entre les structures responsables de la PESC, et notamment la nouvelle unité de planification et d'alerte rapide, et celles chargées de la mise en _uvre de son volet militaire dans le cadre de l'UEO.

La décision d'intégration elle-même devra être prise selon les procédures fixées par le traité d'Amsterdam : approbation par le Conseil et ratification par les Etats membres.

On ne doit pas dissimuler les réticences que cette démarche suscite de la part des Etats-Unis, qui lui reprochent d'établir une discrimination vis-à-vis des alliés non-membres de l'Union européenne, d'associer des pays non-membres de l'Alliance et de constituer une structure de décision autonome, fermée aux pays tiers (« caucus » européen). Il faudra savoir tenir compte de ces objections en prévoyant des procédures formelles de consultation entre les instances proprement européennes et celles de l'OTAN pour toutes les questions d'intérêt commun, dans le cadre de la relation transatlantique de transparence et de confiance décrite plus haut. Des accords de coopération pourraient être conclus entre l'Union européenne et l'OTAN pour établir ces procédures de consultation et pour permettre d'associer à la politique européenne de défense commune les pays tiers européens membres de l'Alliance. Les Européens devront cependant être conscients qu'ils ne pourront pas accéder à une compétence de défense autonome s'ils n'ont pas la volonté politique de la faire reconnaître par les Etats-Unis. Si la détermination européenne est assez forte, les Etats-Unis la respecteront. Leur présence en Europe leur assure trop d'influence politique et d'avantages stratégiques pour qu'ils envisagent sérieusement de la remettre en cause par simple mécontentement à l'égard d'une Europe moins disposée à suivre sans réserves leur leadership.

G. L'ADAPTATION DES CAPACITÉS MILITAIRES AUX NOUVELLES EXIGENCES DE LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE

Il peut paraître paradoxal que, dans une situation stratégique caractérisée par l'absence de menace directe pour l'avenir prévisible, l'OTAN se préoccupe des insuffisances de l'équipement des forces alliées et, tout particulièrement européennes.

Il est vrai cependant que les forces européennes, préparées à la défense collective, essentiellement du territoire de l'ancienne RFA, se sont trouvées mal adaptées à la gestion militaire des crises. La France en a fait l'expérience pendant la guerre du Golfe. Pourtant, les forces françaises figuraient alors, avec celles de la Grande-Bretagne, parmi les armées habituées à accomplir, à une échelle toutefois limitée, des missions de projection.

1. Une restructuration nécessaire des forces, qui impose un effort budgétaire approprié

Aujourd'hui, le problème de la projection rapide de puissance se pose pour tous les pays européens, non seulement pour la gestion des crises, mais sans doute aussi pour les hypothèses de défense collective envisageables.

On ne peut contester, au regard de cette nécessité d'une profonde restructuration des forces européennes, l'intérêt des domaines sur lesquels les Américains proposent de faire porter l'effort de modernisation : capacités permettant de déployer les forces à grande distance, de les soutenir pour une longue période, de rendre leur engagement le plus efficace possible et de les protéger contre toute agression.

Il est également peu contestable que les forces européennes présentent des lacunes, auxquelles il est indispensable de remédier dans le domaine du déploiement et du soutien (mobilité stratégique, support logistique) ainsi que des moyens de commandement, contrôle et communication (surveillance stratégique, renseignement, mise en _uvre de systèmes d'information et de communication déployables).

Il serait d'ailleurs utile de procéder à un inventaire rigoureux et systématique de ces déficiences au regard des intérêts de sécurité de l'Europe dans le nouveau contexte stratégique. Un Livre Blanc européen consacré à la défense pourrait en être l'occasion. Elaboré dans le cadre de l'Union européenne, il analyserait les risques affectant la sécurité de l'Europe et les stratégies permettant d'y faire face. Il en déduirait les missions futures des armées européennes et déterminerait sur cette base les principaux besoins de l'Europe en personnel et en matériel -par exemple à l'horizon 2010- de manière à orienter les programmations militaires nationales.

A une échéance plus proche, on peut considérer comme justifié le souhait américain que soit lancée, au sommet de Washington, une « initiative sur les capacités de défense » destinée à organiser, dans le cadre de l'Alliance, un suivi de l'amélioration des capacités de projection rapide des forces de manière notamment à garantir leur interopérabilité.

Cette initiative serait cependant vaine si les Alliés européens n'acceptaient pas de consentir l'effort budgétaire correspondant à la modernisation proposée. La restructuration des forces françaises répond globalement aux préoccupations exprimées par les Etats-Unis. Elle vise en effet à constituer des capacités de réaction puissante aux crises, adaptées à des formes de combat diversifiées et comprenant une logistique et des moyens de communication renforcés. La Grande-Bretagne accomplit un effort comparable sur la base des conclusions de son réexamen stratégique de défense (strategic defence review). La politique militaire britannique met ainsi l'accent sur la capacité de réaction rapide et puissante en cas de crise et sur l'interarmisation des forces. Comme la France, la Grande-Bretagne stabilise son effort budgétaire dans le domaine de la défense, en particulier pour ce qui concerne l'équipement des forces. Quant aux forces armées des autres pays européens, leur restructuration suit, en principe, les mêmes orientations, mais les ressources budgétaires qui leur sont consacrées tendent, en revanche, à connaître des réductions sensibles.

L'Allemagne s'interroge sur les orientations de sa politique de défense, jusqu'à présent quasi-exclusivement orientée vers la défense collective. Elle a entrepris de soumettre cette politique à un réexamen global. La professionnalisation des forces fait partie des hypothèses prises en considération. En tout état de cause, l'Allemagne entend développer sa capacité de projection de forces, mais il n'est pas assuré qu'elle maintienne son effort budgétaire. Il en va de même de l'Italie, qui vient de décider de professionnaliser son armée et dont l'essentiel des forces terrestres est affecté aux forces de réaction immédiate et à l'ARRC (Allied Rapid Reaction Corps) de l'OTAN. Alors que les dépenses effectivement consacrées à la défense s'établissent à 1,5 % du PIB en Allemagne, elles n'en représentent environ que 1 % en Italie. La Grande-Bretagne et la France (ainsi que pour des raisons spécifiques, la Grèce et la Turquie) font exception en Europe par le niveau substantiel de leurs dépenses de défense.

En 1998, les dépenses d'équipement militaire des pays européens de l'Alliance s'élevaient à environ 40 milliards de dollars contre 80 milliards de dollars aux Etats-Unis. Au sein de cette enveloppe, les dépenses de recherche-développement représentaient 10 milliards de dollars alors qu'elles atteignent 36 milliards de dollars aux Etats-Unis.

L'écart ne manquera pas de s'accroître encore au cours des prochaines années, même dans l'hypothèse d'une stabilisation globale de l'effort européen, puisque l'administration et le Congrès américains prévoient, pour la période 1999-2005, une hausse sensible du budget militaire des Etats-Unis, qui pourrait passer, selon les prévisions du département de la Défense (DoD) de 263,6 milliards de dollars à 317,6 milliards de dollars.

Au regard de ces chiffres, il convient donc de relativiser les objectifs de modernisation des forces fixés par l'OTAN pour les pays européens de l'organisation militaire intégrée.

On peut craindre, en revanche, qu'à l'exception de la Grande-Bretagne et de la France, les pays européens, incapables de fournir l'effort de recherche correspondant, soient tentés de s'en remettre largement aux Etats-Unis pour moderniser leur pays, en recourant de plus en plus à une politique d'achat sur étagère, qu'ils justifieraient au nom de l'interopérabilité.

Il apparaît dès lors nécessaire que l'Europe, si elle accepte les orientations générales de modernisation de sa défense proposées par les Etats-Unis, en tire les conséquences budgétaires. Sauf à abandonner toute ambition industrielle et à accepter de cantonner les entreprises européennes, même les plus puissantes, dans des activités de niche ou de sous-traitance, il ne sera pas possible de poursuivre la restructuration des forces européennes sans au moins interrompre la tendance à la baisse des dépenses militaires d'équipement et surtout de recherche-développement.

La construction de l'Europe de la défense n'est pas d'abord une question institutionnelle. Les institutions peuvent, certes, y contribuer puissamment et si, comme il a été indiqué plus haut, l'Union européenne décide de se doter d'une chaîne de commandement autonome, de créer un groupe de forces interarmées européen et de constituer, en complément de l'ARRC de l'OTAN, une Force européenne de réaction rapide, un pas majeur, d'importance symbolique aura été fait. Mais ce projet suppose une volonté politique forte. Et il n'y a pas de meilleure expression de volonté politique que l'acceptation d'un effort budgétaire correspondant aux engagements pris. De même que la réalisation de l'Euro n'a été rendue possible que par l'application de disciplines budgétaires, de même la construction de l'Europe de la défense suppose également des engagements budgétaires.

On pourrait ainsi concevoir qu'un mécanisme de planification de défense soit introduit au sein de l'Union européenne, naturellement en coordination avec celui de l'Alliance. Ce mécanisme serait d'une autre nature que les arrangements actuels, qui visent à permettre la prise en compte des « missions de Petersberg » dans la planification de défense de l'OTAN. Il fixerait aux pays de l'Union des objectifs de forces et tracerait des orientations pour leur politique d'équipement. Il serait mis en _uvre au sein de l'Union (l'intermédiaire de l'UEO ne s'imposant pas) par les ministres de la Défense assistés par les chefs d'état-major et les directeurs nationaux d'armement. Il relèverait du deuxième pilier, mais une coordination serait à établir avec le premier pilier pour ce qui concerne les implications de politique industrielle.

Il ne serait, en tout état de cause, pas concevable de constituer une Force européenne de réaction rapide sans avoir l'ambition de l'équiper principalement de matériels européens. De même, l'autonomie réelle de l'Europe en matière de commandement, contrôle et communication ainsi que de renseignement ne peut être durablement garantie que par un recours prédominant à des fabrications européennes.

A terme, cette politique serait d'ailleurs source d'économies : peut-on se satisfaire en effet de la coexistence en Europe de trois types d'avions de combat récents (Rafale, Eurofighter et Gripen) et de quatre types de chars lourds (Leclerc, Challenger, Leopard, Ariete) ? Des spécialisations, facteurs d'économies d'échelle considérables, sont indispensables à terme, dès lors que des accords européens auront notamment réglé les questions de sécurité d'approvisionnement et d'échange de technologie.

2. Une restructuration qui doit rester conforme aux besoins européens

Il est incontestablement nécessaire d'assurer l'interopérabilité des forces alliées, tout particulièrement dans leurs nouvelles missions. Il est également souhaitable de veiller à la compatibilité des doctrines et concepts opérationnels découlant de l'introduction des nouvelles technologies.

Mais il convient aussi de tenir compte, d'une part de la disproportion des ressources consacrées respectivement par l'Europe et les Etats-Unis à leur équipement militaire, d'autre part, de la différence de nature entre les missions des forces américaines et européennes. Les Etats-Unis ont défini une stratégie de défense (defence strategy) qui assigne trois grands objectifs à leur politique militaire : façonner l'environnement international de sécurité dans un sens favorable aux intérêts américains, réagir à toute la gamme des crises prévisibles dans le monde, y compris les conflits de haute intensité, se préparer à faire face à l'ensemble des risques, y compris la réémergence d'une menace majeure et garder à cet effet une supériorité technologique dans tous les domaines. Il est évident que les pays européens ne peuvent ni ne souhaitent partager l'ensemble de ces objectifs, dans la mesure notamment où leur politique extérieure accorde moins d'importance au seul facteur militaire.

Il ne saurait donc être question pour l'Europe, et en particulier pour la France, de renoncer, par le biais de l'« initiative sur les capacités de défense », à l'autonomie de sa politique d'armement et de la détermination de ses doctrines opérationnelles.

La nécessaire interopérabilité entre les forces américaines et européennes (y compris françaises) doit être assurée au niveau requis par les besoins opérationnels propres de l'Europe, pour permettre en priorité le bon déroulement des opérations de gestion de crise associant l'ensemble des membres de l'Alliance.

S'agissant de la réponse à une hypothétique agression de grande envergure dans le cadre de la défense collective, il convient de noter qu'elle demanderait un effort majeur de reconstitution de forces dans la durée. Dans l'état actuel des risques, il n'y a pas d'urgence particulière à accroître les exigences d'interopérabilité dans cette perspective.

Si une « vision opérationnelle commune » se dégage de l'initiative sur les capacités de défense, il ne saurait s'agir d'une simple transposition des concepts opérationnels américains contenus dans la « vision interarmées 2010 » (joint vision 2010). L'Europe doit s'en tenir à ses propres priorités, qui concernent d'abord la mobilité stratégique (l'acquisition d'une flotte européenne d'avions de transport militaire est, à cet égard, essentielle) et les capacités de soutien d'un volume significatif de forces à grande distance.

Parmi les domaines sur lesquels l'effort des Européens doit porter, on peut citer :

- le déploiement à distance stratégique de quartiers généraux de forces (par exemple d'un futur groupe de forces interarmées européen) et le système de commandement, contrôle, communication, informatisation et renseignement (C4I) correspondant ;

- l'amélioration des moyens de reconnaissance, renseignement, surveillance et acquisition d'objectifs ;

- le transport aérien stratégique de moyens lourds ;

- la sécurité des communications à grande distance ;

- l'aptitude des forces à mener les opérations sans soutien du pays de la zone de déploiement ;

- le soutien logistique des forces déployées à distance.

L'objectif de la supériorité de l'information ne revêt pas, pour les Européens le même caractère de priorité que pour les Américains. L'autonomie d'action européenne paraît en outre incompatible avec l'intégration dans une architecture d'information commune de l'ensemble des moyens alliés de C4I, de surveillance et de reconnaissance.

Au total, il ne saurait être question d'accepter une conception normative de l'interopérabilité qui alignerait systématiquement les standards européens sur ceux des Etats-Unis en imposant le recours à la technologie considérée comme la plus avancée, généralement incorporée dans des fabrications et des procédés américains.

En ce qui concerne la protection des forces, l'idée d'accroître les capacités d'intervention dans un environnement chimique, voire biologique, mérite d'être retenue. Quant à la défense antimissile de théâtre, elle doit être développée, mais dans le respect des autres priorités, compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur les budgets européens. Le programme Eurosam paraît fournir une solution adaptée aux besoins de l'Europe.

La nécessité de tenir pleinement compte de la spécificité des besoins opérationnels européens et d'associer la France aux travaux relatifs à l'interopérabilité doit par ailleurs conduire à maintenir l'initiative sur les capacités de défense et les suites qui lui seront données en dehors de l'organisation militaire intégrée et de ses mécanismes de planification.

Enfin, l'ampleur des défis à relever dans le domaine de la modernisation des forces doit constituer, pour les Européens, une incitation supplémentaire au regroupement de leurs efforts pour tirer le meilleur parti de leurs budgets de recherche-développement qui sont sans commune mesure avec ceux des Etats-Unis. Ce regroupement passe, du côté des gouvernements par le développement des activités d'organismes tels que l'OAEO et l'OCCAR, qui doivent à terme être rattachés au deuxième pilier de l'Union européenne et, du côté des industriels, par la constitution de grands groupes intégrés, notamment dans le secteur aéronautique et spatial. Il serait également essentiel de permettre, dans l'esprit de la lettre d'intention du 6 juillet 1998, une meilleure circulation des informations entre les pays européens, les règles de classification de l'OTAN imposant souvent un cloisonnement des travaux des équipes de recherche, qui est source de duplications coûteuses et d'inefficacité.

3. La question de l'armement nucléaire

Comme il a été indiqué plus haut, la question du rôle de l'armement nucléaire ne devrait pas être abordée dans le cadre des négociations relatives au concept stratégique. Les formulations de 1991 seront donc globalement maintenues.

Il n'en reste pas moins que la doctrine de la dissuasion a été trop souvent fondée sur une présentation de la menace qui mettait l'accent sur la supériorité des armements classiques de l'adversaire potentiel. Face à cette supériorité, la liberté que se laissaient les puissances nucléaires de l'Alliance de recourir en premier à l'arme nucléaire créait chez l'adversaire potentiel une incertitude qui avait pour effet d'empêcher la guerre. Aujourd'hui, à présent que la menace d'agression conventionnelle de grande ampleur a disparu, il peut sembler opportun de poser la question de la validité de l'option de recours en premier à l'arme nucléaire et de défendre l'idée que le nucléaire n'a plus vocation qu'à dissuader le nucléaire. Les tenants de cette thèse, qui préconisent souvent aussi un accord de désarmement relatif aux armes tactiques stationnées en Europe, de manière à réduire les risques russes, affirment qu'un engagement de non-recours en premier à l'arme nucléaire renforcerait la confiance en Europe.

Il est possible de répondre à cette argumentation qu'il subsiste des risques chimiques et biologiques et que l'efficacité de la dissuasion vaut d'abord par l'incertitude qui l'entoure -ce qui interdit de l'amoindrir par des déclarations relatives aux conditions dans lesquelles l'arme nucléaire pourrait être utilisée. On peut s'interroger par ailleurs sur la valeur d'un engagement de non-recours en premier : il ne pourrait s'agir que d'une déclaration politique dont l'effet sur les intentions de l'agresseur potentiel reste à démontrer.

Il serait donc utile de rassembler les Etats de l'Union européenne, nucléaires et non-nucléaires, pour discuter du rôle de l'arme nucléaire dans la défense de l'Europe. Cette discussion devrait avoir pour objet de rechercher un consensus sur la contribution de l'arme nucléaire à la sécurité et à la stabilité européennes. Elle pourrait déboucher sur une plate-forme commune et permettre, sur cette base, d'associer l'ensemble des Européens à la planification de l'emploi des armes nucléaires européennes au sein d'un mécanisme de consultation spécifique en coordination , naturellement avec le Comité des plans nucléaires de l'OTAN.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. - AUDITION DE M. HUBERT VÉDRINE, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Au cours de sa réunion 26 janvier 1999, la commission de la Défense a entendu M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères.

Le Président Paul Quilès a rappelé que ces négociations avaient pour objectif d'expliciter les fonctions politiques de l'Alliance atlantique alors que la menace du Pacte de Varsovie avait disparu. Il a souligné que, sur cette base, les pays de l'Alliance seraient également conduits à définir des orientations nouvelles pour les missions et les capacités de leurs forces compte tenu, en particulier, du caractère multinational des opérations militaires envisageables.

Il a fait valoir que les négociations relatives au concept stratégique de l'OTAN soulevaient de nombreuses questions intéressant la politique de défense, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles la France serait prête à engager ses forces aux côtés de ses alliés, la conciliation de la solidarité transatlantique avec les efforts de construction d'une Europe de la défense, ou les divergences d'appréciation des risques et des menaces par les différents alliés.

Le Président Paul Quilès a relevé le caractère novateur de la démarche de la Commission dans la mesure où il n'est pas courant que le Parlement suive une négociation en cours dans le domaine de la défense. Mais il a estimé que la transparence, dont le Gouvernement avait d'ailleurs fait preuve au cours des dix derniers mois à l'occasion des travaux de la mission d'information sur le Rwanda, pouvait permettre à l'opinion publique de mieux comprendre les grands enjeux de la politique de défense et les raisons d'éventuels recours à la force.

M. Hubert Védrine a décrit les principaux enjeux des discussions menées dans le cadre de la préparation du sommet de Washington d'avril 1999.

Il a tout d'abord abordé le projet ancien, mais qui connaissait une actualité nouvelle, d'identité européenne de sécurité et de défense, soulignant que la déclaration franco-britannique de Saint-Malo témoignait d'une évolution favorable de l'attitude du Royaume-Uni et augurait de possibles progrès, en plaidant pour une approche pragmatique.

M. Hubert Védrine a évoqué l'attitude de la France vis-à-vis des principales questions qui seront abordées à Washington :

- le maintien de la « porte ouverte » en ce qui concerne l'élargissement de l'Alliance ;

- une discussion ouverte sur les missions de l'OTAN, en veillant à préserver dans ce contexte l'autorité du Conseil de sécurité ;

- la nécessité d'efforts coordonnés vis-à-vis des risques de prolifération des armes de destruction massive, sans préjudice des autres cas de coopération multilatérale ;

- le renforcement de l'interopérabilité, tout en préservant une industrie européenne de l'armement forte.

Le Président Paul Quilès s'est interrogé sur la pertinence de la présentation au sommet de Cologne, en juin prochain, d'un rapport sur l'identité européenne de sécurité et de défense par la Présidence allemande. Il s'est demandé s'il ne conviendrait pas mieux que l'examen de cette question au sein de l'Union européenne intervienne avant le sommet de Washington du mois d'avril.

M. Hubert Védrine a estimé qu'il convenait de saisir l'opportunité offerte par l'avancée que constitue la déclaration franco-anglaise de Saint-Malo sans pour autant précipiter le débat.

M. René Galy-Dejean a considéré que le scénario probable du sommet de Washington, tel qu'évoqué par le Ministre des Affaires étrangères, laissait entrevoir que la France ne pourrait obtenir que de maigres concessions, ce qui l'a conduit à s'interroger sur l'opportunité de la présence française. Il s'est par ailleurs interrogé sur la possibilité qu'intervienne, au cours des discussions sur le concept stratégique de l'Alliance atlantique, une divine surprise, à l'instar du sursaut européen qui avait considérablement modifié les résultats des négociations du GATT de 1993.

M. Loïc Bouvard, observant que la question des relations entre l'OTAN et l'ONU constituait le point essentiel de divergence entre la France et les Etats-Unis, a souhaité savoir si le Secrétaire général des Nations Unies s'était exprimé à ce sujet. Après avoir rappelé que l'initiative franco-allemande de création du Corps européen pouvait représenter un embryon de défense européenne, il s'est interrogé sur les objectifs poursuivis par le Royaume-Uni lors du récent sommet franco-britannique de Saint-Malo. Etant donné les liens transatlantiques forts de ce pays, il s'est demandé s'il ne cherchait pas à ramener la France dans l'organisation militaire intégrée de l'Alliance. S'agissant de la réorganisation interne du dispositif militaire de l'OTAN, il a estimé que l'échec des demandes de la France concernant le commandement Sud reflétait une certaine faiblesse de sa position au sein de l'organisation et s'est interrogé sur la participation française aux Groupements de forces interarmées multinationales (GFIM). Evoquant l'acte fondateur qui instituait une forme de rapprochement institutionnel entre l'Alliance et la Russie, il a souhaité savoir si ce pays serait consulté sur le contenu des conclusions du sommet de Washington.

M. Jean-Claude Sandrier s'est interrogé sur les éventuelles conséquences d'une opposition française aux propositions américaines, et s'est demandé si la retenue dont fait preuve la France ne pouvait pas être interprétée par les Américains comme un encouragement à durcir leurs positions. Evoquant la thèse selon laquelle la mise sur pied d'une défense européenne pourrait être une réponse à la mainmise des Etats-Unis sur l'OTAN, il a posé la question de la crédibilité de cette perspective et de l'échéance à laquelle elle pourrait se concrétiser.

M. Jean Michel a estimé que, dès 1989-1990, la question du maintien de l'OTAN aurait dû être posée, puisque cette organisation avait été créée en réponse à la menace constituée par le bloc de l'Est et qu'il convenait aujourd'hui de s'interroger sur sa raison d'être. Il a fait part de son souhait que les négociations sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN ne portent pas préjudice aux relations traditionnelles de la France avec la Russie et les pays d'Europe centrale et orientale. Enfin, il a souhaité savoir quel était le crédit réel que l'on pouvait porter aux engagements du Premier Ministre britannique dans la mesure où il n'est pas certain que le Parlement de son pays lui ait confié un mandat aussi large et où les parlementaires britanniques pourraient être tentés de vider l'accord de Saint-Malo de son contenu, à l'instar des parlementaires allemands après la signature du traité de l'Elysée.

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu aux intervenants en apportant notamment les précisions suivantes :

- les pays d'Europe centrale et orientale font souvent de l'adhésion au traité de l'Atlantique Nord une priorité de leur politique étrangère ;

- les Etats-Unis ne peuvent pas être considérés comme une grande puissance traditionnelle, mais comme une hyperpuissance, c'est-à-dire un pays dont la suprématie est incontestable dans tous les domaines de la vie internationale. Les relations avec les Etats-Unis revêtent de ce fait une importance singulière. Cette situation ne signifie pas pour autant que la France renonce à faire entendre sa voix ;

- la négociation sur le concept stratégique de l'OTAN ne saurait être comparée à celle qui avait eu lieu dans le cadre du GATT ;

- le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a clairement déclaré que l'OTAN ne pouvait s'affranchir de la Charte des Nations Unies.

II. - AUDITION DE M. ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DÉFENSE

Au cours de sa réunion 27 janvier 1999, la commission de la Défense a entendu M. Alain Richard, Ministre de la Défense.

Le Président Paul Quilès a souligné que ces négociations soulevaient, pour la politique de défense française, d'importantes questions, touchant notamment à la contribution de la France à la sécurité européenne et à ses relations avec l'organisation militaire intégrée. Il a ajouté qu'en décidant de s'intéresser à une négociation en cours dans le domaine de la défense, la Commission s'était engagée dans une démarche novatrice mais estimé que, dans ce domaine, une plus grande transparence pouvait être utile et conduire en particulier à renforcer l'adhésion de la Nation à la défense. Evoquant le « syndrome somalien » qui avait dissuadé les Etats-Unis d'engager des forces terrestres dans plusieurs circonstances, il a fait valoir que les débats, notamment parlementaires, relatifs à la politique de défense et de sécurité pouvaient permettre de mieux faire comprendre à l'opinion les éventuels sacrifices que les actions militaires pouvaient demander.

M. Alain Richard s'est déclaré en accord avec les thèmes développés par le Président Paul Quilès tout en se félicitant de l'esprit de partenariat qui marque les relations entre la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l'Assemblée nationale et le Gouvernement.

Le Ministre de la Défense a indiqué que la révision du concept stratégique de l'OTAN constituait une étape importante pour l'adaptation de l'Alliance atlantique et donc, pour la France qui en est membre depuis sa création. Celle-ci se doit d'aborder cette étape sans crispation et sans naïveté, tout en conservant à l'esprit la spécificité de sa position et les avantages susceptibles d'être retirés du nouveau concept. Elle doit aussi se souvenir, tout au long de la négociation, de son devoir d'allié, qu'elle remplit actuellement sur le terrain tant en Bosnie-Herzégovine qu'au Kosovo. L'adaptation de l'Alliance est un processus évolutif, amorcé au lendemain de la chute du mur de Berlin, par l'adoption à Rome, en 1991, de ce que l'on a alors appelé le « nouveau concept » stratégique de l'OTAN. Aujourd'hui, comme elle en est convenue au sommet de Madrid de 1997, l'Alliance doit prendre acte des nouvelles donnes du contexte international : disparition de l'Union soviétique, développement d'un monde multipolaire et émergence de nouvelles entités parmi lesquelles figure au premier rang l'Union européenne.

Le Ministre de la Défense a précisé que les réunions ministérielles du Conseil de l'Atlantique Nord ont, progressivement, au cours des années passées, déjà précisé les contours d'une Alliance transformée. Son élargissement à trois Etats d'Europe centrale et orientale et le développement de relations de coopération et de partenariat avec l'ensemble du continent ont d'ores et déjà montré que l'Alliance contribuait, à sa manière, au renforcement de la sécurité et de la stabilité en Europe. Les travaux de révision du concept stratégique de 1991 n'ont véritablement commencé qu'à l'automne 1998. La négociation progresse, avec prudence, préparant les principales décisions politiques dont la plupart ne seront sans doute prises qu'à l'approche immédiate du sommet.

S'agissant des missions de l'Alliance, le sommet de Bruxelles de 1994 a fixé des principes conduisant à les étendre au maintien et au rétablissement de la paix. La France a pleinement joué son rôle en participant activement à toutes les missions dites « hors article 5 » en Bosnie-Herzégovine et aujourd'hui au Kosovo. C'est dans un cadre relativement consensuel qu'il convient aujourd'hui de s'interroger sur le point de savoir si ces nouvelles missions de gestion de crise doivent figurer parmi les « fonctions essentielles » énumérées par le concept stratégique, alors que cette dénomination paraît devoir être réservée au c_ur même de l'Alliance atlantique, constituée par la défense collective prévue par l'article 5 du Traité de Washington. Une chose est sûre : la dénomination des missions de gestion de crise ne doit pas aboutir à une modification des relations entre l'OTAN et l'ONU. La France est, pour sa part, fermement attachée à la légitimité que procure, pour toute opération ne relevant pas de l'article 5 et impliquant le recours à la force, « l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies », seul à même de lui donner une base légale incontestable. Cette formule, conforme au droit international, aurait rendu possible l'action de l'Alliance au Kosovo en 1998, même si ce cas ne constitue pas un précédent à nos yeux. Il importe en ce domaine de dégager un équilibre entre la menace de paralysie de l'OTAN, difficilement admissible lorsqu'elle pèse sur des situations de détresse humanitaire, et une autosaisine qui battrait en brèche les principes de la Charte de l'ONU.

M. Alain Richard a fait part des interrogations que pouvait susciter l'initiative américaine concernant la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, bien que la France partage les préoccupations de ses alliés sur ce sujet. Le développement de ces armes, notamment dans le domaine balistique, peut, à long terme, se révéler très inquiétant. Aussi paraît-il intéressant, en ce domaine, de favoriser les échanges d'informations, de coordonner les activités des alliés et d'examiner les aspects civils des risques. Toutefois, il importe de rappeler que la lutte contre la prolifération continue de passer par les régimes de non-prolifération auxquels la France, avec la majorité de ses alliés, est partie prenante et qu'il convient de ne pas affaiblir. Les événements récents d'Asie du Sud ne doivent pas faire oublier que la décennie écoulée a été marquée par des progrès non négligeables dans le domaine du renforcement des instruments internationaux de non-prolifération ou du désarmement chimique et biologique.

Soulignant que les Etats-Unis entendent profiter du sommet de Washington pour renforcer les capacités militaires de l'Alliance dans le domaine de la projection des forces et de leur adaptation à toutes les formes de menace, M. Alain Richard a indiqué que, face aux propositions faites à cette fin par le Ministre de la Défense américaine, M. William Cohen, la France avait adopté une position marquée par le réalisme et la prudence. La France partage en effet avec ses alliés les mêmes besoins opérationnels, en particulier ceux de flexibilité, mobilité et survivabilité, dont elle a déjà tenu compte dans l'élaboration de la loi de programmation de 1996, mais elle exprime certaines réserves face à une extension excessive des capacités collectives de l'Alliance qui risquerait notamment de créer de nouvelles situations de dépendance vis-à-vis des Etats-Unis.

La France souhaite donc mettre l'accent sur l'interopérabilité qui constitue, par excellence, l'élément multiplicateur des forces d'une coalition. Les études qu'elle mène actuellement de concert avec ses alliés européens et américains, reposent sur une identification précise et réaliste de ces besoins d'interopérabilité. Elles s'attachent, dans chacun des domaines, à définir un niveau d'interopérabilité de stricte suffisance, tenant compte à la fois des besoins et des ressources budgétaires de la France, préservant son autonomie de décision et lui laissant l'entière maîtrise de l'engagement de ses forces. Si la France partage le souci de rationaliser et de coordonner les activités d'armement au sein de l'OTAN, elle considère que les réformes envisagées à cette fin ne doivent pas aboutir à une quelconque intégration, ni se substituer aux décisions nationales. Les travaux de l'Alliance doivent également tenir compte des initiatives européennes telles que la création de l'OCCAR, de façon à préserver les possibilités de constitution d'une industrie européenne de l'armement.

M. Alain Richard a souligné que l'identité européenne de défense ne constituait pas une nouveauté au sein de l'Alliance. Depuis le sommet de l'OTAN de Bruxelles en 1994, les alliés ont apporté leur soutien à son développement, en vue de parvenir, à terme, à une défense européenne commune compatible avec celle de l'Alliance atlantique. La France avait, dès 1995, dans le cadre de son rapprochement avec l'Alliance, appelé à la reconnaissance d'une identité européenne substantielle à l'intérieur de l'OTAN, proposition qui trouva un écho dans une série de mesures acceptées lors de la réunion ministérielle de Berlin en 1996. Ces mesures, qui consistent en particulier à organiser entre l'UEO et l'OTAN les relations nécessaires à la préparation d'opérations menées sous le contrôle politique et la direction stratégique de l'UEO, offrent la possibilité de forger un outil européen de défense au sein de l'Alliance. Le changement d'attitude du gouvernement britannique qui s'est déclaré disposé à renoncer à son opposition déterminée aux projets européens en matière de défense, la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et le dialogue bilatéral qui a suivi ouvrent de nouvelles perspectives. Il existe aujourd'hui une chance raisonnable de faire progresser l'Union européenne sur le très long chemin qui doit mener à une réelle capacité autonome en matière de défense. Dans ce contexte, le sommet de Washington ne doit pas être considéré comme un aboutissement mais comme un jalon utile qui peut nous permettre d'obtenir que les alliés approuvent les résultats atteints d'ici là avec les Britanniques, la présidence allemande et d'autres partenaires européens susceptibles de se joindre à cette initiative. Il convient de ne pas écarter la possibilité d'obtenir un « Berlin plus » qui permettrait l'utilisation par les Européens des capacités de l'Alliance sans condition préalable des Etats-Unis.

En conclusion, le Ministre de la Défense a rappelé que le sommet de Washington avait été voulu par les Etats-Unis qui souhaitent en faire un succès public et politique. La participation de la France à ce succès peut être l'occasion de trouver des contreparties, en l'abordant dans un esprit loyal mais pragmatique. La France ne saurait plus aujourd'hui se cantonner dans un rôle d'obstruction, elle entend au contraire participer et conduire des actions sur le terrain. C'est sans complexe qu'elle se doit de faire valoir ses vues, parce que ce sont celles d'un allié exemplaire face aux risques, mais qui continue de remettre en cause les déséquilibres qui affectent le fonctionnement de l'Alliance atlantique.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord souhaité avoir des informations sur les négociations relatives aux conditions d'utilisation par l'UEO des moyens de l'OTAN et sur le rôle des pays bénéficiant, au sein de l'UEO, d'un statut d'observateurs dans la construction de la future identité européenne de sécurité et de défense. Après avoir rappelé les conditions mises par les Etats-Unis à cette construction et récemment présentées par le Secrétaire d'Etat américain, Mme Madeleine Albright, comme les trois D (« non-discrimination », « non-diminution des capacités de l'Alliance », « non-duplication des moyens »), il s'est demandé si cela ne risquerait pas d'être un frein à l'affirmation par l'Europe de son autonomie en matière de défense. Enfin, il s'est interrogé sur la position du Royaume-Uni à l'égard des conditions énoncées par Mme Albright.

Le Ministre de la Défense a rappelé qu'au moment de l'élaboration du compromis de Berlin, l'UEO paraissait la seule institution capable d'exprimer les intérêts européens en matière de défense et de constituer le cadre de leur décision politique en vue d'actions militaires collectives. Il a par ailleurs estimé que la responsabilité des opérations militaires devait essentiellement revenir aux membres de l'UEO appartenant également à l'Alliance atlantique. Mais il a fait observer que le Traité d'Amsterdam donnait des outils de décision à l'Union européenne en attribuant au Conseil européen une capacité d'impulsion politique et en instituant un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Il convient à présent que le Conseil européen acquière la capacité de combiner les moyens diplomatiques et militaires en temps réel. S'agissant des décisions de Berlin, leur mise en _uvre est quasi-terminée, sous réserve de quelques retards dans les relations techniques militaires entre l'UEO et l'OTAN. L'objectif est que, au moment du sommet de Washington, les mécanismes prévus à Berlin puissent être opérationnels.

Puis M. Alain Richard a fait observer que, contrairement au système institutionnel français, où existe une forte cohérence entre l'action diplomatique et militaire, les Etats-Unis connaissaient un système pluraliste dans lequel certains départements ministériels pouvaient bénéficier d'une forte autonomie, notamment le département d'Etat. En ce qui concerne la condition de « non-discrimination », il a souligné que les Etats-Unis craignaient avant tout d'affronter une position collective européenne. Il a souligné que l'exigence américaine de la « non-duplication » des moyens était plus préoccupante dans la mesure où, pour les Etats-Unis, les outils communs souhaités par les Européens, notamment dans les domaines du renseignement et de la planification opérationnelle, existaient déjà au sein de l'organisation militaire intégrée et pouvaient être mis à leur disposition. La conviction française est au contraire que l'instance politique européenne compétente en matière de défense devra disposer de moyens d'évaluation, de renseignement et de planification propres.

Le Ministre de la Défense a reconnu que le compromis franco-britannique de Saint-Malo prévoyait que le Conseil européen devait pouvoir disposer d'éléments propres, « sans duplications inutiles ». Il a fait état à cet égard des difficultés inhérentes à tout changement profond de position diplomatique dont les attitudes britanniques actuelles portaient nécessairement la marque.

Evoquant les événements du Kosovo qui risquaient de placer les pays européens dans une situation de fait accompli, M. René Galy-Dejean a plaidé pour que la France refuse d'engager ses propres forces en dehors de tout mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. Evoquant son dernier avis budgétaire, il a par ailleurs qualifié d'échec la démarche diplomatique suivie par la communauté internationale dans la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique. Il a rappelé à ce propos que les Etats-Unis semblaient ne pas avoir été capables de détecter les capacités balistiques de la Corée du Nord, ni d'empêcher les essais nucléaires pakistanais à la suite des expérimentations indiennes. Il a enfin relevé que les Etats-Unis essayaient d'impliquer les pays européens dans une politique de contre-prolifération qui exclurait l'ONU et serait mise en _uvre par l'OTAN. Considérant que les récentes frappes aériennes sur l'Irak constituaient une illustration de cette politique de contre-prolifération, il a également plaidé pour que la France s'oppose à toute dérive qui porterait atteinte à l'autorité de l'ONU et au droit international.

Faisant part de son pessimisme sur les possibilités réelles de constitution d'un pilier européen autonome de défense, M. Loïc Bouvard a émis la crainte que les décisions essentielles n'aient déjà été prises sur les grandes questions à l'ordre du jour du sommet de Washington. Il a souligné la difficulté de la position de la France, qui se trouve souvent seule, dans la mesure où ses partenaires européens s'accommodent du déséquilibre transatlantique. Il s'est alors interrogé sur la capacité de l'OTAN à agir en dehors d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies et sur la volonté des pays européens de mener une action propre sans l'accord des Etats-Unis. Soulignant qu'il était atlantiste, mais surtout européen, il a plaidé pour une initiative commune de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne en faveur de l'Europe de la Défense.

M. Alain Richard a souhaité un débat plus intense sur les relations que la France devait entretenir avec les Etats-Unis. Il a estimé qu'il convenait de rompre avec une attitude oscillant entre la dénonciation isolée, perçue à l'extérieur comme l'expression d'un souci de contrarier systématiquement les initiatives américaines et la résignation assortie de protestations de principe.

Après avoir souligné la nécessité de partager la problématique de nos partenaires européens, il a estimé que l'originalité de nos positions pouvait rejoindre leurs préoccupations. Il a cité, à cet égard, l'exemple des derniers développements de la crise du Kosovo, où la position originale de la France a consisté à s'opposer au recours à l'ultimatum et à demander que soit reconnue la prééminence du groupe de contact.

S'agissant de la crise irakienne, M. Alain Richard a souligné qu'il existait des motifs sérieux d'exercer un contrôle particulier sur l'Irak qui, non seulement a constamment manifesté la volonté de dissimuler des armes de destruction massive, mais y a eu recours à deux reprises, d'autant plus que tous les pays arabes de la région sont eux-mêmes en accord sur ce point. Après avoir fait état de la nécessité de réorganiser ce contrôle, il a observé que les frappes unilatérales n'avaient pas permis d'atteindre les objectifs recherchés. Constatant que les positions françaises n'avaient donné lieu à aucune rupture politique avec les Etats-Unis, il a insisté pour que la France ne se prive pas, dans ses relations avec ces derniers, de ses possibilités de dialogue et d'influence et garde l'attitude d'un partenaire prêt, si nécessaire, à prendre sa part de responsabilités. Il a reconnu que le manque de volonté européenne de rééquilibrage de l'Alliance était un phénomène réel, mais fait valoir que certains pays européens prenaient conscience des différences d'intérêts qui pouvaient les opposer aux Etats-Unis dans le traitement de crises concernant directement l'Europe.

Le Ministre de la Défense a ensuite souligné que la coopération européenne en matière de sécurité et de défense concernait d'abord et essentiellement les crises survenant sur le continent européen ou à ses abords. Elle n'empêchait donc pas des différences d'appréciation et des initiatives autonomes au-delà, comme c'était le cas de la Grande-Bretagne en Irak.

Il a enfin mis l'accent sur le rôle que pouvait jouer la gestion commune des crises dans la constitution progressive de l'identité européenne de défense.

A une question complémentaire du Président Paul Quilès qui s'interrogeait sur l'accord récemment intervenu au sein de l'organisation militaire intégrée pour attribuer alternativement à un Britannique et à un Allemand le poste d'adjoint européen au SACEUR, M. Alain Richard a souligné que la constitution d'une chaîne européenne de commandement au sein des structures militaires interalliées ne pouvait que reconnaître le rôle majeur de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne.

III. - AUDITION DE M. JEAN-CLAUDE MALLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA DÉFENSE NATIONALE

Au cours de sa réunion 17 février 1999, la commission de la Défense a entendu M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale.

Rappelant que l'actualisation du concept stratégique de l'Alliance atlantique avait été demandée en 1997, notamment à l'occasion du Sommet de Madrid, M. Jean-Claude Mallet a indiqué que les réflexions des alliés sur les questions liées à cette actualisation s'inscrivaient dans un processus continu, engagé dès le Sommet de Rome, en novembre 1991, et marqué par la prise de conscience des transformations de l'environnement stratégique, l'affirmation de nouvelles priorités, en particulier en matière de gestion de crises, et la prise en compte accrue de la dimension européenne de l'Alliance.

C'est au Sommet de Rome de 1991 qu'a été défini le concept stratégique actuellement en vigueur, structuré, à partir de l'analyse du nouvel environnement stratégique qui prévalait alors, autour de trois axes : le développement des formes de coopération de l'Alliance atlantique avec l'ensemble des Etats européens, les dispositifs militaires multinationaux et le consensus sur la dissuasion, la France s'associant aux développements politiques relatifs à cette dernière question. A l'occasion du Sommet de Bruxelles en 1994, on assiste à une montée en puissance du concept d'identité européenne de sécurité et de défense (IESD), et à l'approfondissement de la notion de pilier européen de l'Alliance, qui fait écho au traité sur l'Union européenne, dont certains paragraphes pertinents sont d'ailleurs intégralement repris dans la déclaration adoptée alors. Par ailleurs, les préoccupations des membres de l'Alliance se tournent, à ce moment, vers la constitution des groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), vers le développement du Partenariat pour la paix ainsi que vers la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique, un groupe de travail étant chargé de traiter cette dernière question. Quant au Sommet de Madrid qui s'est tenu en juillet 1997, s'il reprend à nouveau le thème de l'IESD, en intégrant les principes agréés à Berlin, en juin 1996, il est également consacré au lancement de l'élargissement de l'Alliance.

A l'issue de ce bref rappel historique, M. Jean-Claude Mallet a fait valoir que progressivement, s'était constituée une nouvelle forme d'organisation atlantique, plus ouverte, au moins dans les textes.

Il a ensuite exposé les principaux enjeux de la négociation actuelle, qui vise non seulement à enregistrer, dans un nouveau concept, l'ensemble des évolutions intervenues depuis 1991, mais également, en particulier aux yeux des Américains, à légitimer l'existence de l'Alliance atlantique pour le siècle prochain. Il a indiqué que le nouveau concept aborderait essentiellement quatre questions : l'évaluation des menaces et des risques, le rôle et les missions de l'Alliance, l'IESD et, enfin, les orientations générales de la politique de défense de l'OTAN en vue des futurs travaux de l'organisation sur la planification militaire.

S'agissant de l'évaluation des menaces et des risques, il a noté qu'au contraire de l'analyse faite en 1991, qui évoquait encore largement l'Union soviétique et considérait le maintien de l'équilibre stratégique en Europe comme l'une des fonctions essentielles de l'Alliance, l'accent était mis aujourd'hui, en ce qui concerne la Russie et les anciens membres du bloc soviétique, sur les différents instruments de coopération, que sont l'Acte fondamental entre l'OTAN et la Russie et le Partenariat pour la paix. Quant aux risques dont la diversité est aujourd'hui soulignée, les évolutions futures sont essentiellement abordées sous l'angle de la prolifération des armes de destruction massive, à laquelle les Etats-Unis portent une attention soutenue. Le Secrétaire général de la Défense nationale a noté à cet égard que, si la France approuvait la nécessité d'évaluer de manière précise les risques en matière nucléaire, balistique, biologique ou bactériologique, elle entendait, en revanche, éviter que les informations disponibles en ce domaine soient manipulées à des fins politiques et conduisent à donner à l'OTAN un rôle qui ne lui revient pas, compte tenu des régimes internationaux de contrôle existants.

S'agissant du débat sur le rôle de l'Alliance atlantique et la légitimité de ses actions qui dépasse le cadre strict des négociations sur le concept stratégique mais les influence néanmoins - M. Jean-Claude Mallet a observé que la question centrale était de savoir s'il fallait faire des missions de maintien de la paix et de gestion des crises une tâche fondamentale (core function), comme le souhaitent les Etats-Unis. Il a rappelé que, sur ce point, la position de la France était d'éviter tout amoindrissement du rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies dans l'encadrement et la légitimation des missions de maintien de la paix. Il a insisté, en outre, sur l'enjeu majeur que représentait la question du mandat, symbolique de la différence de conception des rapports internationaux opposant Européens et Américains. Il a rappelé que le Traité de Washington, en son article VII, faisait référence au rôle « primordial » du Conseil de sécurité des Nations Unies, d'ailleurs réaffirmé lors des Sommets de 1992 et 1994, les alliés pouvant « soutenir au cas par cas les opérations de maintien de la paix menées sous l'autorité du Conseil de sécurité ». Il a fait valoir qu'aux yeux de beaucoup d'Européens, il était dangereux, voire impraticable, de fixer et de figer une « doctrine des exceptions » sur ce point, compte tenu de la cohérence de notre stratégie à l'égard de la Russie, d'une part, et, d'autre part, du risque de multiplication, dans le reste du monde, d'autosaisines d'autres alliances ou de puissances individuelles, sans référence à l'ONU.

S'agissant ensuite de l'IESD, le Secrétaire général de la Défense nationale a observé qu'elle occupait une part croissante des déclarations de l'Alliance depuis 1991 et que le souhait des autorités françaises était que le nouveau concept stratégique prenne en compte en ce domaine l'acquis de la PESC et du Traité d'Amsterdam. Il a fait remarquer à ce sujet que se posait le problème des Etats-membres de l'OTAN n'appartenant pas à l'Union européenne. Il a ajouté que les négociations sur le concept stratégique devraient également tenir compte de la déclaration de Saint-Malo, Britanniques, Allemands et Français souhaitant que le nouveau texte reflète les progrès en cours dans la constitution du pilier européen de l'Alliance. M. Jean-Claude Mallet a toutefois rappelé que, pour les Etats européens, les vraies échéances concernant l'Europe de la défense étaient le sommet européen de Cologne de juin prochain et, à plus long terme, la présidence française de l'Union européenne en l'an 2000. On ne pourrait faire du seul Sommet de Washington un test des progrès de l'Europe de la défense. Il a enfin fait observer que, dans le cadre des négociations sur l'IESD, il convenait à présent d'obtenir l'application des principes arrêtés en 1997 dans plusieurs dossiers, y compris la relation OTAN-UEO.

M. Jean-Claude Mallet a ensuite indiqué que les doctrines nucléaires ne faisaient pas l'objet de grands débats, le texte du concept stratégique actuel restant en ce domaine une base commune aux alliés. Il a souligné que les initiatives américaines pour orienter les capacités de défense, notamment vers plus de mobilité, correspondaient sur le fond aux analyses françaises et aux décisions prises dans le cadre de la programmation militaire, de même qu'à la revue stratégique de défense effectuée par la Grande-Bretagne. Les autorités françaises appelaient cependant l'attention sur le risque que l'idée d'une modernisation des moyens militaires, préconisée par les Etats-Unis, ne vise à imposer à l'ensemble des alliés « une vision opérationnelle  commune », préalablement définie à Washington et, par le biais d'une « culpabilisation » des pays européens à l'égard de leur retard technologique supposé, ne favorise d'abord l'acquisition de produits américains.

En conclusion, il a souligné que la position française au sein de l'Alliance atlantique avait évolué depuis l'adoption du concept de 1991. Le ministre français de la Défense siège aux réunions du Conseil atlantique et du Partenariat pour la paix. Le Chef d'Etat-major des Armées siège aux sessions du Comité militaire de l'OTAN. La France participe aux GFIM, elle est présente en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de la SFOR, et en Macédoine, dans celui de la force d'extraction. Elle maintient strictement sa position de non participation à la structure militaire intégrée ni à la planification de défense. Sa politique consiste à accompagner les évolutions de l'Alliance, tout en maintenant sa spécificité et en privilégiant une approche pragmatique, mais vigilante sur la conception des équilibres internationaux.

Le Président Paul Quilès a évoqué l'état des réflexions du groupe de travail de la commission de la Défense sur le nouveau concept stratégique. Il a indiqué qu'il avait le sentiment qu'il restait une marge de négociation possible, qui conduirait à un texte moins ambitieux que prévu en raison des divergences d'appréciation entre alliés. Après avoir fait remarquer que le débat sur la sécurité européenne se prolongerait au-delà du sommet de Washington, il a demandé si les conclusions du Livre blanc de 1994 sur la contribution de l'engagement militaire américain à la stabilité du continent restaient valables, quel pouvait être le niveau souhaitable de cet engagement et, plus généralement, s'il convenait de revoir les analyses stratégiques du Livre blanc.

M. Jean-Claude Mallet a souligné que, pour les membres européens de l'Alliance appartenant à l'organisation militaire intégrée, comme pour les candidats à l'élargissement, la présence américaine est un élément de stabilité et de sécurité en Europe. Les liens très étroits que ces pays européens entretiennent avec l'OTAN pour l'organisation de leur défense, et notamment pour les éléments de commandement auxquels ils sont liés de façon quasi organique, les empêchent de concevoir leur système de défense en dehors de l'Alliance atlantique. Quant à la France, elle continue, dans la situation stratégique actuelle, à miser sur le maintien d'un lien étroit entre l'Europe et les Etats-Unis. Les analyses du Livre blanc de 1994 sont marquées par le contexte de l'époque, mais elles ont été actualisées à deux reprises, en 1996 dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 et en avril 1998, au moment de la revue de programmes. Les principales conclusions du Livre blanc relatives aux grands enjeux stratégiques et à l'évolution des risques ne paraissent pas avoir perdu leur pertinence. Mais on ne peut exclure qu'une réflexion soit engagée à la demande des autorités françaises, par exemple lors de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire qui succédera à celle qui vient à échéance en 2002.

M. Jacques Baumel a souhaité savoir comment la négociation de l'accord-cadre entre l'UEO et l'OTAN s'intégrait dans les discussions relatives à la constitution de GFIM, « séparables mais non séparés », et a souligné la difficulté d'un arrangement qui mettrait à la disposition des pays européens des moyens militaires spécifiques de l'Alliance de manière automatique, c'est-à-dire sans subordination à un accord des Etats-Unis.

M. Jean Briane s'est interrogé sur l'avenir institutionnel de l'UEO face à l'évolution de l'Alliance atlantique et à la construction d'un pilier européen de l'Alliance.

Le Secrétaire général de la Défense nationale a alors apporté les éléments de réponse suivants :

-  l'accord-cadre UEO/OTAN n'est toujours pas conclu et fait encore l'objet de discussions au sein d'un groupe de travail spécifique conjoint UEO-OTAN. L'objectif fixé par la France, en accord avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne, est d'obtenir sa conclusion rapide ;

-  la difficulté d'organiser la mise à disposition automatique des moyens de l'Alliance provient essentiellement de la nécessité d'identifier au préalable ces moyens pour pouvoir les détacher. Il ne paraît pas concevable d'emprunter, sans leur accord, des moyens de l'Alliance fournis par les Etats-Unis. Mais les pays européens ont essentiellement besoin de structures de commandement, au sein desquelles les personnels européens et américains sont associés et où il est théoriquement possible, mais difficile en pratique, d'identifier des éléments détachables en vue de permettre leur mise à disposition automatique. Cette identification est actuellement en cours ;

-  les partenaires européens de la France, et notamment le Royaume-Uni, semblent d'accord pour créer une véritable capacité européenne détachable au sein de l'Alliance atlantique. Il sera nécessaire d'affirmer une volonté commune pour en disposer en pratique. Mais le choix a été fait de raisonner au cas par cas sur des exemples concrets avant toute théorisation ;

-  les travaux actuellement menés en matière de défense européenne portent sur la constitution d'une chaîne de décision politique et militaire dépendant du Conseil européen, comme prévu par le traité d'Amsterdam. On observe actuellement, de la part de l'Allemagne qui assure la présidence de l'UEO en même temps que celle de l'Union européenne, une volonté de progresser dans la constitution de l'IESD, en vue notamment du sommet européen de Cologne, avec l'entier soutien des responsables français.

M. Georges Lemoine a interrogé M. Jean-Claude Mallet sur la nature de la capacité autonome d'action en matière militaire dont pourrait disposer l'Union européenne. Par ailleurs, il s'est demandé quelle place le dialogue méditerranéen prenait dans la négociation sur le concept stratégique de l'OTAN.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué que la capacité autonome dont devait disposer l'Union européenne permettrait de donner au Conseil européen la possibilité d'apprécier des situations stratégiques évolutives, de connaître les options militaires disponibles pour faire face aux crises et d'assurer la conduite politico-stratégique des opérations. Réaffirmant ensuite l'importance du dialogue méditerranéen pour la sécurité de l'Europe, il a jugé que l'OTAN ne devait pas s'arroger en ce domaine un rôle excessif par rapport à d'autres processus déjà engagés, notamment par l'Union européenne et l'UEO.

M. Loïc Bouvard a souligné que l'idée de « pilier européen », vouée à devenir une réalité à mesure que l'Europe politique se construit, conduira nécessairement à une OTAN à deux têtes, ce que Washington, qui souhaite continuer à discuter avec chacun des Etats membres séparément, ne semble pas prêt à accepter.

M. Paul Quilès a ajouté que l'évocation d'une OTAN au sein de laquelle les pays européens constitueraient un bloc (« caucus ») a suscité une certaine gêne de certains interlocuteurs américains du groupe de travail de la Commission sur le concept stratégique. Il s'est étonné que ce qui reste encore une simple éventualité provoque autant d'embarras de la part des négociateurs américains.

Evoquant la proposition, exposée récemment à Munich par M. Rudolf Scharping, Ministre allemand de la Défense, d'intégrer l'UEO dans l'Union européenne, M. Jacques Baumel s'est interrogé sur sa faisabilité, un tiers des membres de l'Union européenne étant neutre ou, du moins, peu enclin à accentuer leur effort de défense. Il a rappelé en outre que, si tous les membres de l'UEO sont membres de l'OTAN, tel n'était pas le cas de certains membres de l'Union européenne. Il s'est demandé quelles procédures seraient susceptibles, dans une telle configuration, de permettre de prendre des décisions en matière de défense au sein de l'Union européenne.

Revenant sur l'idée de « pilier européen de l'OTAN », le Secrétaire général de la Défense nationale a rappelé que cette notion, ancienne, est réapparue officiellement lors du sommet des chefs d'Etats et de gouvernement de 1994 et donc avec le plein soutien de l'administration Clinton. Il a cependant ajouté qu'il n'y a plus été fait référence depuis, lors des sommets ultérieurs de l'organisation. Il a reconnu que la crainte américaine de l'émergence d'un « caucus » européen n'y était pas étrangère. Le Secrétaire général de la Défense nationale a estimé que c'était là négliger les perspectives de renforcement qu'une Europe, elle-même forte parce qu'unie, pouvait offrir à l'Alliance. La déclaration de Saint-Malo évoquait à nouveau, quant à elle, le « pilier européen » mais il ne fallait pas trop s'attacher au vocabulaire. Il a fait cependant observer que le projet de donner à l'Union européenne une dimension de défense pouvait se heurter à des réticences de la part des alliés européens qui n'en sont pas membres.

Il a en outre indiqué que, dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, les Etats-Unis tentaient de promouvoir un arsenal diversifié de moyens, allant de la protection NBC classique au système de défense antimissile. Il a d'ailleurs rappelé que l'accord récemment conclu en matière budgétaire entre le Président Clinton et le Congrès stimulerait sans doute les investissements américains dans ce domaine. Il a noté que la France, avec ses partenaires européens, adoptait sur ce sujet une conduite prudente, même s'il est vrai qu'elle avait, à l'instar de ses voisins, lancé des programmes pouvant avoir une certaine capacité antimissile. Il a ajouté qu'en tout état de cause, les Etats-Unis auraient des difficultés à imposer leurs choix technologiques à l'Allemagne ou au Royaume-Uni, étant donné les contraintes budgétaires qui pèsent sur ces pays. Il n'a cependant pas exclu que le débat rebondisse après le Sommet de Washington au vu des progrès américains en la matière.

Il a par ailleurs considéré que les partenaires de l'Union européenne, non membres de l'OTAN, pouvaient apparaître quelquefois comme des interlocuteurs de culture stratégique différente, mais qui apportaient une contribution utile et active aux débats relatifs à la sécurité. C'est ainsi par exemple que la Suède, en raison des capacités dont elle dispose dans le secteur de l'armement, a cosigné la lettre d'intention ministérielle de l'été 1998 sur les restructurations des industries de défense en Europe.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué que les réflexions sur les mécanismes de décision à introduire au sein de l'Union européenne pour lui permettre d'accéder à une compétence de défense n'ont pas encore abouti. Plusieurs systèmes sont envisageables. Quelle que soit la solution envisagée, le Conseil européen gardera une fonction majeure.

Le Secrétaire général de la Défense nationale a estimé que, du point de vue français, il convenait, dans tous les cas, d'être prudent sur l'évolution institutionnelle de l'UEO et d'éviter toute suppression des dispositifs existants au sein de l'UEO avant que l'Union européenne n'ait été dotée de réelles capacités de décision et d'organisation.

M. Jean-Claude Mallet a enfin souligné la nécessité de préparer les échéances au-delà du sommet de Washington, dans la mesure où la crédibilité du pilier européen de l'Alliance n'aura de sens que si l'Europe de la défense s'affirme également en dehors de l'organisation atlantique.

IV. - EXAMEN DU RAPPORT D'ÉTAPE

Au cours de la réunion de la Commission du 10 mars 1999, le Président Paul Quilès a présenté le point des travaux concernant son rapport.

Il a tout d'abord rappelé que ce rapport d'information est en cours d'élaboration au sein d'un groupe de travail réunissant un représentant de chacun des groupes politiques. Il a ensuite indiqué que le concept stratégique était un document destiné à rendre compte des buts et de la spécificité de l'Alliance atlantique, à préciser les données de l'environnement stratégique et à définir les fonctions qu'elle est appelée à remplir au service de la sécurité de ses membres. La situation dans laquelle le concept stratégique actuel de l'Alliance a été adopté à Rome en 1991 était encore dominée par le clivage Est-Ouest. Elle s'est depuis radicalement transformée : la menace directe d'agression massive qui pesait sur l'Europe occidentale a disparu pour l'avenir prévisible ; en revanche, des risques de déstabilisation stratégique sont apparus sur le continent européen. Comme le déroulement du conflit bosniaque l'a montré, l'Alliance s'est imposée comme une garantie majeure face à ces risques. Parallèlement, l'Europe s'est efforcée, dans des conditions difficiles, de trouver le chemin d'une politique de défense commune qui pourrait donner à sa politique extérieure et de sécurité la crédibilité et l'efficacité qui lui manquent. Le changement d'attitude récent du Royaume-Uni montre que des progrès décisifs en ce domaine sont possibles.

Le Président Paul Quilès a alors souligné l'importance, pour notre défense, des questions qui seront abordées au cours des négociations relatives au concept stratégique. Les positions que les alliés pourront prendre à cette occasion sur les modalités de la gestion des crises, le développement de l'Europe de la défense et les orientations nouvelles des politiques nationales de défense peuvent avoir des conséquences directes sur nos choix propres, qu'il s'agisse du volume des forces, de leur équipement, de leurs missions ou même du niveau de l'effort budgétaire à consentir dans le domaine militaire.

Le Président Paul Quilès a précisé qu'outre les auditions en Commission des Ministres de la Défense et des Affaires Etrangères et prochainement du Chef d'Etat-major des Armées, le groupe de travail avait entendu les directeurs des affaires stratégiques des deux ministères de la Défense et des Affaires étrangères et avait effectué quatre déplacements à Londres, Washington, Bruxelles et Bonn où il a rencontré plus de soixante personnes (ministres ou secrétaires d'Etat, parlementaires, ambassadeurs, attachés de défense et attachés militaires, experts, conseillers).

Le Président Paul Quilès a ensuite dégagé les premières conclusions des travaux effectués. Il a souligné que les désaccords qui persistent entre alliés devraient conduire à l'adoption d'un texte de compromis sans aspérités qui pourra donner lieu à des interprétations diverses. L'administration américaine, qui souhaite faire du sommet de Washington un succès et une grande commémoration, veut faire la preuve de la vitalité d'une Alliance qui a réussi, en raison même de la force du lien transatlantique, à survivre à la disparition de la menace qui lui avait donné naissance. Mais les difficultés qui seront masquées par les habiletés de rédaction du nouveau texte ne disparaîtront pas pour autant et le sommet de Washington ne devrait être qu'une étape dans l'évolution des rapports transatlantiques. C'est pourquoi le rapport d'information devra distinguer les questions qui permettent le consensus de celles qui concernent les divergences potentielles.

Le Président Paul Quilès a estimé que six grandes questions étaient au c_ur du débat dont le rapport d'information s'efforcera de rendre compte. Il a d'abord rappelé que le concept de Rome attribuait à l'Alliance une fonction de préservation de l'équilibre stratégique en Europe qui, avec la disparition de l'URSS, n'a plus à être assurée. En revanche, la multiplication des risques place l'Alliance devant de nouvelles responsabilités. Les Etats-Unis proposent que le nouveau concept décrive de manière large et extensive les missions qui en résultent pour l'OTAN. Les alliés européens proposent des formulations plus prudentes telles que le renforcement de la sécurité et de la stabilité dans la zone euro-atlantique et ne souhaitent pas être entraînés dans des interventions militaires loin de cette zone, par exemple en Afrique.

M. Paul Quilès a souligné que la fonction de gestion des crises ne doit pas être mise sur le même plan que la défense collective, considérée comme la raison d'être primordiale de l'Alliance. Les Etats-Unis tendent au contraire à accorder la même valeur à ces deux fonctions. Dès lors, ils considèrent que, de même que les actions de défense collective, celles de maintien de la paix peuvent être menées sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour appuyer leur thèse, ils cherchent à se prévaloir des mesures militaires rendues nécessaires pour le règlement du conflit du Kosovo. Il s'agit cependant là d'une situation exceptionnelle, caractérisée par un risque de catastrophe humanitaire. Il est vrai que cette situation illustre le risque de paralysie du Conseil de sécurité, compte tenu notamment de la possible utilisation par les Russes ou les Chinois de leur droit de veto, d'ailleurs pour des raisons différentes. Le Conseil de sécurité connaît incontestablement des problèmes de fonctionnement, comme l'a montré son inaction face à la tragédie rwandaise. Pour des raisons de principe et pour éviter des dérives graves, les pays européens et en particulier la France sont cependant favorables à un mandat explicite pour tout recours à la force au cours d'une mission d'imposition de la paix, sauf en cas d'urgence et à condition que les Nations Unies puissent ratifier a posteriori l'intervention.

En troisième lieu, le Président Paul Quilès a souligné que l'Alliance atlantique ne pouvait plus être considérée comme la seule organisation de défense de l'Europe, l'Union européenne ayant vocation à devenir à terme un acteur stratégique par l'intermédiaire de l'UEO, comme la récente déclaration franco-britannique de Saint-Malo en reconnaît le principe. Se pose alors la question des conditions et du rythme de la fusion de l'Union européenne et de l'UEO, question posée depuis longtemps mais qui revêt actuellement une acuité d'autant plus forte que les Etats-Unis font état, avec insistance, de leur refus de voir se constituer au sein de l'Alliance un« caucus » européen, c'est-à-dire un bloc d'Etats européens défendant une même politique, objectif que vise pourtant le traité d'Amsterdam. Il a noté à cet égard que, pour les Américains, une politique européenne s'exprimant en tant que telle au sein de l'OTAN modifierait la nature même de l'Alliance. Une autre question rarement formulée concerne l'Allemagne, dont le Président Paul Quilès a rappelé qu'elle n'était pas, à l'heure actuelle, dotée d'une chaîne de commandement nationale, la mise en place de la Bundeswehr étant concomitante de son intégration dans l'OTAN. Or, on voit mal comment elle pourrait participer pleinement à la constitution d'une force européenne autonome de maintien de la paix sans développer des moyens propres de commandement opérationnel.

En quatrième lieu, le Président Paul Quilès s'est demandé comment l'Europe de la politique étrangère et de sécurité commune et, à terme, de la défense, pouvait faire valoir ses intérêts propres dans ses relations avec les pays d'Europe centrale et orientale ainsi qu'avec la Russie et les autres anciennes républiques de l'URSS, et définir sur cette base une politique de sécurité autonome vis-à-vis de la Russie, de l'Ukraine mais aussi des Balkans et des Etats baltes. En effet, même si la question n'est pas abordée dans le nouveau concept stratégique, la situation de la Russie dans les années à venir pose pourtant un vrai problème, du fait du risque potentiel qui s'attache à l'évolution de ce pays. Il a évoqué à cet égard la situation de la Finlande qui, loin de l'image de pays peu soucieux de ses capacités de défense qu'en ont souvent les autres pays, est dotée d'une armée très structurée pouvant mobiliser jusqu'à 500 000 hommes, sur un total de cinq millions d'habitants. Il a relevé également que la Finlande paraissait prête à examiner les modalités de son association à une future politique de défense commune de l'Union européenne.

En cinquième lieu, la question du rôle de l'armement nucléaire dans un environnement stratégique radicalement transformé ne pourra pas à terme être évacuée même si elle n'est pas directement posée à Washington, le débat n'étant pas encore mûr. Il convient néanmoins de réfléchir à la possibilité de réunir les Etats européens, nucléaires et non nucléaires, sur des positions communes en ce domaine.

Enfin, le Président Paul Quilès a estimé que la question de l'effort de défense devait être posée. Les nouvelles missions de maintien de la paix imposent en effet une restructuration profonde et une modernisation coûteuse des forces, qui pourront difficilement être assurées sans une interruption de la baisse des budgets militaires et peut-être même une certaine reprise de la croissance des budgets d'équipement. Il est toutefois à noter qu'à terme, dans le cadre d'une Europe de la défense, des économies substantielles pourraient être dégagées du fait de la mise en commun des moyens.

En conclusion, le Président Paul Quilès a souligné que son rapport d'information répondait à la nécessité de mieux éclairer l'Assemblée nationale et l'opinion sur les conditions dans lesquelles sont prises les grandes décisions relatives à la politique de défense et de sécurité de la France et de l'Europe. Il devra aussi montrer que la représentation nationale est prête à proposer à l'exécutif, dans le respect des équilibres constitutionnels, des orientations pour la conduite de la politique de défense et de sécurité dans des domaines souvent écartés du débat public. En menant cette réflexion, il tentera de présenter les principales données de la sécurité de l'Europe, d'exposer les enjeux pour notre défense des discussions transatlantiques et européennes en cours et d'alimenter le débat à ce sujet.

Après avoir fait état de la position des Verts allemands, qui lui est apparue, lors d'un déplacement au Bundestag, très éloignée de celle de la France en matière de défense, contrairement aux orientations défendues par la CDU et le parti social démocrate, M. Charles Cova s'est demandé si l'OTAN était susceptible d'intervenir dans des conflits interétatiques opposant des pays africains issus de la colonisation et a évoqué à ce propos le soutien militaire des Etats-Unis à certains pays africains anglophones. Il a également demandé quelle était la chaîne de commandement des forces de l'OTAN intervenant sur mandat des Nations Unies.

Le Président Paul Quilès a indiqué que, lors des échanges de vues auxquels le groupe de travail de la Commission avait procédé au Bundestag, un représentant des Verts s'était déclaré favorable à la constitution d'une identité de défense européenne. Il a souligné ensuite que l'OTAN n'a pas vocation à intervenir en Afrique, tout en se prononçant en faveur d'un développement de la politique d'aide à la constitution de forces africaines de maintien de la paix, conformément aux conclusions de la Mission d'information sur le Rwanda. Se félicitant de la coopération diplomatique accrue entre la France et la Grande-Bretagne en Afrique, illustrée par la tournée commune de MM. Cook et Védrine et remarquant que ces deux pays montraient qu'ils pouvaient dépasser les anciens clivages résultant de leurs liens historiques respectifs avec les régions anglophones et francophones du continent, il a insisté sur la responsabilité européenne dans le domaine de la sécurité africaine. S'interrogeant enfin sur la pertinence de l'intégration militaire atlantique dans les nouvelles conditions de la sécurité européenne, il a souligné que les opérations de maintien de la paix récemment menées en Bosnie-Herzégovine ou en Macédoine avaient été organisées sur une base ad hoc, en partie en dehors des structures intégrées. Il a également précisé que les opérations de maintien de la paix menées par l'OTAN sur mandat des Nations Unies étaient placées sous l'autorité du SACEUR, tout en exprimant le v_u que des forces européennes puissent également remplir ce type de mission sous un commandement autonome.

Après que M. Robert Poujade se fut interrogé sur les risques que la situation de la Russie pouvait éventuellement présenter, le Président Paul Quilès a reconnu que les informations disponibles en ce domaine se prêtaient à des interprétations contradictoires et divergentes, ce qui devrait conduire la Commission à approfondir cet important sujet.

Après avoir exprimé quelques interrogations sur la portée réelle de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, M. René Galy-Dejean a exprimé le v_u que la Commission puisse adopter une position consensuelle sur une négociation dans laquelle l'exécutif devra défendre un point de vue commun.

Le Président Paul Quilès a alors indiqué que le groupe de travail avait constaté que ses interlocuteurs américains avaient fréquemment évoqué la déclaration franco-britannique de Saint-Malo en affectant de la minimiser, tout en relevant son caractère inédit et qu'il en était de même, pour d'autres raisons, des Allemands. Soulignant l'importance de ce texte, il en a cité les développements relatifs à la nécessité pour l'Union européenne de se doter de structures appropriées de décision et d'approbation d'actions militaires, dans les hypothèses où l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée, ainsi que d'une capacité d'évaluation des situations, de renseignement et de planification stratégique. Il a rappelé que la déclaration de Saint-Malo précisait que l'Europe devait avoir une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles relevant à la fois du pilier européen de l'OTAN et de structures extérieures à cette organisation. Il a souligné qu'il s'agissait là d'une forte inflexion du langage britannique.

M. André Vauchez a alors insisté sur la difficulté d'éclairer l'opinion publique sur le rôle des relations transatlantiques dans la sécurité européenne, soulignant combien les missions, la composition et le ressort géographique de l'OTAN avaient évolué depuis 1991. Il a mis l'accent sur le caractère mouvant des données de la sécurité européenne et sur les incertitudes qui affectent les objectifs poursuivis en ce domaine par l'OTAN.

Le Président Paul Quilès a souligné l'importance du débat sur la prolifération des armes de destruction massive et sur l'apparition de nouvelles menaces, indiquant que ce débat était au centre des préoccupations américaines. Il a ajouté que, dans cet esprit, les Etats-Unis avaient identifié quatre pays potentiellement dangereux pour l'OTAN, à savoir l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Libye et qu'ils déduisaient des menaces balistiques dont ils annonçaient l'apparition prochaine une conception très extensive de la défense collective, évoquant notamment le risque de tirs dirigés contre le territoire de tel ou tel allié. Il a estimé que les Etats-Unis semblaient ainsi déplacer les menaces de l'Est vers le Sud et fait valoir que la réponse aux nouvelles menaces devait, dans l'état actuel de leur développement, être d'abord politique et économique avant d'être militaire.

M. Robert Gaïa a souhaité savoir si le concept d'identité européenne de sécurité et de défense était décliné en matière industrielle, s'agissant, notamment, de la standardisation des armements aux normes OTAN.

Evoquant les relations entre l'OTAN et la Russie, M. Guy-Michel Chauveau a interrogé le Président Paul Quilès sur la réalité de la mise en _uvre de l'acte fondateur. Il a ensuite souhaité savoir si les Etats-Unis étaient prêts à accepter que les membres européens de l'Alliance utilisent les moyens de l'OTAN sans leur autorisation préalable. Il a enfin demandé si la notion de partage du fardeau restait d'actualité aux yeux de nos partenaires américains.

Le Président Paul Quilès a apporté les éléments de réponse suivants :

- les questions industrielles font partie du non-dit des négociations actuelles. Elles ne sont néanmoins pas absentes de la politique d'élargissement de l'OTAN aux anciens pays du bloc soviétique qui sont invités à mettre leurs forces aux standards de l'Alliance ;

- les relations entre l'OTAN et la Russie sont réelles et se matérialisent par des rencontres régulières au niveau des ambassadeurs ou des ministres au sein du Conseil conjoint permanent OTAN-Russie. Les Russes sont également informés des man_uvres de l'OTAN. Ils participent à un programme renforcé de partenariat pour la paix. Leur participation aux opérations de maintien de la paix est également souhaitée. Enfin, il faut rappeler que les autorités russes ont été invitées aux cérémonies de Washington du mois d'avril prochain. Toutes ces initiatives tendent donc à maintenir des contacts effectifs entre la Russie et l'OTAN et à instaurer une certaine transparence mutuelle en matière militaire ;

- les Etats-Unis sont hostiles à une utilisation par les Etats européens des moyens de l'OTAN sans leur autorisation. Leur argumentation se fonde sur la règle du consensus et sur l'effort financier qu'ils consentent au sein de l'Alliance. On retrouve à ce propos le thème du partage du fardeau, récurrent chez nos alliés américains. Il faut cependant rappeler que le partage du fardeau devrait impliquer le partage des décisions.

Revenant sur un point de l'ordre du jour d'une réunion précédente, M. René Galy-Dejean a fait observer que certains thèmes du rapport d'information sur le lien entre la Nation et son armée, présenté par M. Bernard Grasset, avaient fait l'objet d'articles de presse alors qu'ils n'avaient pas été évoqués devant la Commission et qu'elle ne les avait pas expressément approuvés. Il a regretté que la Commission ait pu être considérée comme favorable à des propositions sensibles, notamment sur la situation des classes préparatoires dans les lycées militaires, sans en avoir débattu.

Le Président Paul Quilès a indiqué qu'il n'avait pas eu le sentiment que le rapporteur avait, dans sa présentation orale, modifié le sens des propositions contenues dans son rapport écrit. Approuvé par M. Guy-Michel Chauveau, le Président Paul Quilès a également rappelé qu'aux termes du Règlement, les Commissions permanentes ne font qu'autoriser la publication des rapports d'information.

M. Guy-Michel Chauveau, après avoir souligné que le rapport d'information exprimait les idées personnelles du rapporteur, a considéré qu'il avait le mérite d'engager un débat, par exemple sur les classes préparatoires aux concours d'entrée dans les écoles militaires ou l'ouverture des écoles d'officiers aux diplômés de l'université. Ces propositions ne remettent pas en cause le statut des lycées militaires ou celui des professeurs mis à leur disposition par le ministère de l'Education nationale.

M. Charles Cova a indiqué qu'il avait été interrogé sur les possibilités de mise en _uvre des propositions du rapport d'information de M. Bernard Grasset et a souhaité qu'il soit précisé qu'il ne s'agissait que d'un document de travail de la Commission.

M. Guy-Michel Chauveau a estimé que la formation des cadres d'une armée professionnalisée différait de celle des cadres d'une armée mixte, en raison notamment de la nature des engagements, plus courts, et de l'évolution de l'environnement, plus technique et multinational.

M. Yves Fromion a désapprouvé cette idée, estimant que la formation au métier militaire restait la même dans les deux types d'armée et rappelant à ce propos que l'amalgame des formations de la résistance et des unités professionnalisées de la France libre s'était déroulé dans de bonnes conditions à la fin de la seconde guerre mondiale.

Le Président Paul Quilès a proposé d'organiser un débat sur ces questions au sein de la Commission, soulignant que cette dernière devait, d'ici la fin de l'année, faire le bilan de la mise en _uvre des orientations présentées par M. Bernard Grasset.

V. - AUDITION DU GÉNÉRAL JEAN-PIERRE KELCHE, CHEF D'ÉTAT MAJOR DES ARMÉES

Au cours de sa réunion 17 mars 1999, la commission de la Défense a entendu le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des armées.

Accueillant le Général Jean-Pierre Kelche, le Président Paul Quilès a souligné qu'après les auditions des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que du Secrétaire général de la Défense nationale, celle du Chef d'état-major des Armées avait une grande utilité pour la préparation du rapport d'information sur la négociation du nouveau concept stratégique de l'OTAN qu'il présenterait à la Commission le 24 mars.

Il a ensuite souhaité que le Chef d'état-major des Armées puisse fournir à la Commission des informations sur la gestion militaire de la crise du Kosovo, dont l'évolution et les résultats ne manqueront pas de peser sur cette négociation.

Enfin, faisant allusion à un article de presse annonçant la fin anticipée du service national, il lui a demandé de faire, pour la Commission, le point sur la position du ministère de la Défense à ce sujet.

Le Général Jean-Pierre Kelche a relevé que la rénovation du concept stratégique de l'Alliance revêtait une importance politique incontestable, puisqu'elle déterminerait son évolution dans les années à venir. Il a cependant précisé qu'il limiterait son propos aux conséquences militaires potentielles de cette rénovation qui n'étaient pas toujours faciles à percevoir.

Expliquant qu'après l'implosion de la menace principale traditionnelle, l'Alliance s'était tournée vers la prise en compte de nouvelles menaces ou de nouveaux risques, il a fait apparaître qu'après une phase de flottement, elle avait su s'adapter, qu'elle s'était efforcée de proposer des réponses aussi bien de court terme, pour traiter les crises, que de moyen ou long terme, dans le domaine de la planification, et qu'elle avait ainsi su se rendre indispensable, même si l'on pouvait encore se demander si l'adaptation de ses structures avait été suffisante.

Il a fait observer qu'en mettant l'accent sur l'apparition de nouvelles menaces, parfois difficiles à identifier, le débat avait provoqué des clivages au sein de l'Alliance, à propos des missions de cette dernière, nombre d'alliés, dont la France, l'Allemagne et les trois nouveaux membres considérant que la défense collective devait rester sa finalité essentielle.

Il a ainsi évoqué des propos du Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Mme Madeleine Albright, aux termes desquels l'une de ces nouvelles menaces, la prolifération balistique, pouvait être le ciment de l'Alliance.

Il a considéré que le concept de contre-prolifération soulevait des difficultés sérieuses, dans la mesure où, désignant quelques pays dotés de capacités balistiques émergentes, il préconiserait, pour faire face aux risques qu'ils présentaient, des mesures collectives de protection, voire de neutralisation, éventuellement préventive, risquant ainsi de créer de profondes dissensions au sein de la communauté internationale.

Il a ajouté qu'une politique de traitement militaire de la prolifération, qui était à l'origine notamment du projet américain de défense antimissile nationale (NMD), risquait, même si elle était présentée comme ponctuelle et limitée, de relancer la course aux armements. Il a relevé à ce propos que le dispositif antibalistique envisagé par les Etats-Unis remettait en cause le traité ABM et s'est inquiété de la compétition entre mesures offensives et défensives que cette politique risquait d'entraîner dans certaines régions du monde.

Il a précisé qu'il ne fallait pas non plus oublier l'importance des enjeux économiques attachés aux programmes de défense antibalistique dont les coûts étaient considérables.

Il a ajouté également que, si elle représentait bien un risque réel, la prolifération se développait cependant moins vite que les hypothèses faites dans le passé le laissaient prévoir, certains pays dont on pensait qu'ils contribueraient à son aggravation ayant modéré leur politique dans ce domaine ou y ayant mis fin.

Il a fait remarquer que d'autres types de prolifération, comme la prolifération biologique, étaient plus inquiétants que la prolifération balistique, et qu'en tout état de cause, pour utiliser l'arme biologique, la façon la plus facile de procéder n'était pas le recours aux vecteurs balistiques.

Concluant sur ce point, il a souligné que c'est par une politique globale privilégiant notamment le recours à des instruments diplomatiques et économiques et n'utilisant l'instrument militaire qu'à titre accessoire, comme ultime argument, que la prolifération pouvait être traitée de la manière la plus adaptée.

Abordant le terrorisme, qui constituait une autre des nouvelles menaces, le Général Jean-Pierre Kelche s'est montré très sceptique sur la possibilité d'organiser au sein de l'Alliance la lutte contre ce type d'actions hostiles, surtout si, comme il l'avait entendu, il fallait l'élargir à la protection contre le terrorisme informatique, exercé par exemple à l'égard des banques. Il a estimé que la lutte antiterroriste relevait au contraire d'abord d'une approche policière multinationale et que la force militaire ne pouvait être utilisée pour sa prévention qu'à titre d'appoint. Il a ajouté qu'un tel élargissement des missions de l'Alliance ne pouvait qu'aboutir à en faire une sorte d'organisme mondial de sécurité au détriment de son efficacité actuelle.

Evoquant les fonctions fondamentales de l'Alliance, le Général Jean-Pierre Kelche a souligné qu'il convenait de ne pas mettre sur le même plan les missions de défense collective et celles de gestion des crises. Il a relevé que la fonction, définie en termes très généraux, de défense des « valeurs communes » ou des « intérêts communs », recelait des possibilités d'extension quasi-illimitées de son champ d'action géographique. Il a estimé que le discours, selon lequel l'appartenance de quelque cinquante pays partageant les mêmes valeurs démocratiques à l'OTAN et à son partenariat pour la paix suffisait à rendre les actions de cette organisation légitimes, pouvait être contesté. A ce propos, il a noté que le partenariat pour la paix conduisait à une extension progressive des interventions de l'Alliance, qui pouvait être utilisée pour faire croire à sa vocation mondiale. Au total, il a mis en garde contre les conséquences potentielles des propositions de définition de nouvelles menaces, d'extension des missions de l'OTAN et de décloisonnement de son champ d'action, soulignant qu'elles étaient étrangères à sa nature d'organisation de défense collective.

Il a également indiqué que l'extension des fonctions fondamentales de l'OTAN, cumulée avec le décloisonnement géographique de son champ d'action, justifiait un accroissement très sensible des capacités militaires des pays membres, que ce soit en termes de mobilité stratégique, de capacité de commandement, de maîtrise de l'information ou de simulation opérationnelle des différentes menaces. De la même manière, les demandes d'accroissement des capacités liées à la redéfinition des fonctions fondamentales de l'OTAN pouvaient conduire à renforcer une conception normative de l'interopérabilité.

Il a enfin abordé la question de la divergence entre Européens et Américains en matière d'effort de défense, les premiers se situant dans une phase de décélération forte tandis que les seconds prévoyaient une remontée de leurs dépenses militaires. En conséquence, le Général Jean-Pierre Kelche a insisté sur la nécessité, pour les pays européens, d'analyser leurs priorités et de déterminer le niveau de leur effort de défense en fonction de leur besoins propres, regrettant, au passage, que certains de ces pays aient parfois, dans les années récentes, renoncé à des capacités qui seraient utiles pour construire l'Europe de la défense.

Le Chef d'état-major des Armées a ensuite évoqué la question du Kosovo. Après avoir fait référence aux propos du ministre des Affaires étrangères sur la difficulté de la négociation qui se déroule actuellement à Paris et dont l'objectif est de convaincre les Serbes de signer les deux volets, politique et militaire, de l'accord destiné à conférer une autonomie substantielle à la province, il a indiqué que le scénario de déclenchement de frappes aériennes, en cas d'échec des pourparlers, était planifié et mis à jour en permanence. Il a néanmoins insisté sur le problème du « jour d'après », faisant allusion aux conséquences politiques des bombardements. Il a relevé que la situation s'était détériorée sur le terrain depuis la fin des négociations de Rambouillet, les Serbes ayant accru, souvent en réaction à des actions de l'UCK, le volume de leurs forces.

En cas d'accord entre Serbes et Kosovars, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué qu'une force suffisante était disponible pour entrer au Kosovo dans des délais très courts.

Le Chef d'état-major des Armées a évoqué en dernier lieu la transition de l'armée mixte vers l'armée professionnelle, en abordant la question de l'évolution du service national. La mutation que traversent actuellement les Armées est profonde et s'opère à un rythme rapide mais elle se déroule néanmoins dans de bonnes conditions, le Gouvernement assumant l'ensemble des décisions de restructuration et donnant, par des annonces suffisamment précoces, une lisibilité d'ensemble au processus. Au regard de cette situation qui permettait de satisfaire les besoins en termes de ressource disponible, le Général Jean-Pierre Kelche a insisté sur la nécessité de ne pas casser la mécanique enclenchée, soulignant la nécessité de préserver la crédibilité de la transition. Il a déclaré que les Armées ne souhaitaient pas que s'ouvre un débat à propos de conjectures sur l'interruption anticipée du service national. Il a souligné avec force que la professionnalisation des Armées en était à un moment-clé et que sa bonne marche dépendait du maintien d'un flux suffisant d'appelés.

Le Président Paul Quilès a noté les conséquences négatives que certains commentaires sur l'évolution de la ressource en appelés pouvaient avoir en suscitant des anticipations infondées de la part des jeunes en instance d'incorporation et ce, alors que la diminution progressive des effectifs semble s'opérer dans de bonnes conditions.

Concernant l'OTAN, il s'est demandé si le niveau d'interopérabilité atteint par les forces françaises était suffisant. Il s'est également interrogé sur l'adaptation du concept de Groupes de Forces Interarmées Multinationales (GFIM) aux conditions actuelles d'intervention et sur le degré de permanence des structures de commandement de ce nouveau dispositif.

M. Guy-Michel Chauveau a demandé quel était le niveau d'interopérabilité des systèmes de communication au sein de l'OTAN, compte tenu notamment des différents procédés de cryptage.

M. Christian Martin s'est interrogé sur les perspectives d'adhésion à l'OTAN de la Roumanie et de la Slovénie, dont la candidature, soutenue par le Président de la République française, n'avait pas été retenue dans le cadre de la première vague d'élargissement.

M. Yves Fromion, après s'être inquiété de la décélération des efforts budgétaires consacrés, en Europe, à la défense, s'est interrogé sur les chances de mettre sur pied une force européenne autonome par rapport à l'OTAN.

M. René Galy-Dejean a tout d'abord demandé si les frappes aériennes envisagées pour permettre un règlement du conflit du Kosovo ne risquaient pas d'engager la France dans une diplomatie qu'il a qualifiée « d'aéromissilière », dont elle ne serait pas en mesure de juger l'efficacité ni de prévoir la fin. Il a également souhaité savoir quelle serait la participation française à ces bombardements, dans quelles conditions elle serait assurée et avec quelles attentes de résultats. Il a ensuite interrogé le Chef d'état-major des Armées sur l'engagement de chars Leclerc sur le théâtre d'opérations, compte tenu de la présence dans la zone de chars Leopard allemands et Challenger 2 britanniques.

M. Didier Boulaud a évoqué les risques encourus en cas d'engagement terrestre en raison de la présence de mines sur les territoires contrôlés par les Serbes et s'est interrogé sur les moyens techniques d'y faire face.

M. Jean Michel a demandé s'il était prévu de solliciter une autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies avant d'effectuer une nouvelle opération militaire au Kosovo.

Le Général Jean-Pierre Kelche a apporté les éléments de réponse suivants :

- concernant l'interopérabilité, il faut veiller à ce que nos concepts soient compatibles avec ceux de nos alliés et que nos structures d'état-major aient l'habitude de travailler avec les quartiers généraux de l'OTAN. Pour le moment, le niveau d'interopérabilité atteint par la France est satisfaisant mais demande un travail continu d'adaptation. Le fait que notre pays ne fasse pas partie de la structure intégrée complique notre situation, notamment parce qu'il nous est difficile d'intervenir en amont. Mais la qualité de nos concepts, de notre doctrine, de nos états-majors et de nos hommes nous permet d'affirmer notre présence ;

- l'interopérabilité ne peut jamais être totale d'autant qu'elle est très coûteuse. Elle doit donc être sélective. Dans le domaine essentiel des communications, le besoin d'interopérabilité est ressenti essentiellement à l'échelon des états-majors opératifs qui doivent pouvoir échanger les renseignements dont ils disposent sur la situation du théâtre afin d'assurer la sécurité des troupes et le succès de la man_uvre ;

- le concept de GFIM s'adapte bien aux besoins, mais d'autres solutions peuvent également être mises en _uvre. Les quartiers généraux de GFIM comportent un noyau-clé permanent où des officiers français sont présents ;

- l'organisation militaire intégrée pourrait encore utilement évoluer, notamment dans le sens d'une plus grande modularité des forces. La structure des quartiers généraux des GFIM, avec 500 officiers, paraît trop lourde pour des crises ayant un faible degré de complexité ;

- les candidatures de la Roumanie et de la Slovénie à l'OTAN relèvent d'une décision politique, où les critères militaires sont secondaires ;

- il existe un déséquilibre surprenant entre la puissance économique de l'Europe et sa faiblesse militaire. 2 500 unités de combat européennes sont actuellement disponibles, mais les pays européens souffrent d'un manque d'options stratégiques pour gérer les crises. L'Europe est ainsi globalement dépourvue de capacités adéquates de renseignement, d'évaluation et de validation des options stratégiques ;

- il est effectivement prévu que des chars Leclerc participent à la force terrestre qui serait déployée au Kosovo ;

- les membres de l'Alliance peuvent recourir à des bombardements aériens pour sanctionner le refus de la République fédérale de Yougoslavie d'accepter l'accord proposé. Douze avions de combat français pourraient être amenés à participer à une telle opération sur des cibles définies et étudiées en détail ;

- des mines antipersonnel et antichars ont été posées sur une grande partie de la frontière albanaise du Kosovo, dans plusieurs zones de la province, et également sur des ouvrages d'art. Un accord des parties à Paris impliquerait nécessairement l'enlèvement de certains de ces obstacles.

VI. - EXAMEN DU RAPPORT

Lors de sa réunion du 24 mars 1999, la Commission a examiné le rapport d'information de M. Paul Quilès, Président, sur les négociations relatives au concept stratégique de l'OTAN et leurs conséquences sur la politique de défense et de sécurité.

Le Président Paul Quilès a tout d'abord détaillé les auditions et les déplacements du groupe de travail au sein duquel il a élaboré son rapport d'information. Il a ensuite indiqué que ce rapport était articulé en trois parties, la première rappelant le contexte des négociations, la deuxième présentant leur déroulement dans ses grandes lignes et la troisième formulant des propositions sur leurs différents enjeux.

Il a souligné qu'au moment où l'OTAN s'apprêtait à déclencher des bombardements sur la République fédérale de Yougoslavie, le nouveau contexte stratégique dans lequel se déroulaient les négociations apparaissait de manière particulièrement nette. Il a alors relevé que la situation de la guerre froide était caractérisée à la fois par une menace directe unique et par la garantie américaine et que, dans ce contexte, il n'y avait pas place pour une défense européenne. La France s'appuyait sur une force de dissuasion indépendante pour défendre ses intérêts vitaux tout en se préparant à participer, en deuxième échelon, à un éventuel combat en Allemagne. Nos partenaires non nucléaires voyaient dans l'intégration de leurs forces avec celles des Etats-Unis la garantie d'une riposte nucléaire américaine. Le Royaume-Uni faisait le même choix en se réservant la possibilité d'utiliser son armement nucléaire national, au cas où ses « intérêts suprêmes » seraient menacés. Certains entretiens que le groupe de travail a eus, notamment avec les députés allemands, montrent que la longue expérience de la guerre froide a créé des habitudes fortes et explique certaines situations comme la complète intégration de l'état-major allemand dans l'OTAN.

Le Président Paul Quilès a souligné qu'au début des années 1990, deux tendances se sont fait jour. D'une part, l'Europe qui s'engageait dans la construction de l'Union monétaire a pris conscience qu'elle avait des intérêts spécifiques à défendre. D'autre part, l'OTAN s'est affirmée de plus en plus comme l'instance où les Etats-Unis exercent une influence politique et militaire prépondérante pour la gestion des crises en Europe. Il a ajouté que, lorsque les Etats-Unis ont accepté la nécessité d'un engagement terrestre en Bosnie-Herzégovine, ils l'ont fait dans le cadre de l'OTAN, c'est-à-dire sous leur contrôle politique et leur direction stratégique, relayant ainsi les Européens, en particulier les Français et les Britanniques, dans le rôle de puissance dirigeante pour imposer un règlement de la crise. Dans le même temps, l'OTAN, sous l'impulsion des Etats-Unis, s'est efforcée de reconstruire l'architecture de sécurité en Europe en s'élargissant à l'Est et en établissant des liens de coopération avec l'Europe centrale et orientale comme avec la Russie et l'Ukraine.

Ce dynamisme de l'OTAN contraste avec les difficultés de la construction de l'Europe de la défense, même si les traités de Maastricht et d'Amsterdam ont marqué des avancées réelles, l'UEO ayant été reconnue à Maastricht comme le « bras armé » de l'Union européenne, et les missions de gestion de crises (missions de Petersberg) ayant été inscrites dans le traité d'Amsterdam.

Le Président Paul Quilès a ensuite précisé que les négociations concernant le concept stratégique portaient principalement sur sept grands thèmes : la place de la défense collective dans les missions de l'Alliance, les limites géographiques et les conditions juridiques des nouvelles missions de gestion des crises, l'attitude de l'Alliance à l'égard de la prolifération, les élargissements futurs, le dialogue au sein de l'espace euro-atlantique, en particulier avec la Russie et l'Ukraine, la construction de l'Europe de la défense et l'adaptation des capacités militaires aux nouvelles missions des forces.

Il a alors présenté, sur chacun de ces grands thèmes, les propositions formulées par le rapport.

Il a d'abord considéré que la défense collective devait rester la mission fondamentale de l'Alliance, qui n'était pas une organisation de sécurité collective. Il a souligné que l'Alliance avait pour mission première de défendre le territoire de ses membres et non, comme le proposent les Etats-Unis, des « intérêts communs » ou des « valeurs communes », notions trop vagues, qui permettraient un engagement militaire quasi-illimité quant à la nature et au lieu géographique des affrontements.

Puis, reconnaissant qu'il était nécessaire que l'Alliance assure aujourd'hui une mission nouvelle de gestion des crises et contribue militairement à la stabilité de l'environnement stratégique des territoires européens, il a souligné la persistance de risques qui, s'ils n'étaient pas maîtrisés, pourraient, par une succession de déstabilisations, mettre en cause la sécurité des alliés. Il s'agit avant tout des conflits ethniques et identitaires susceptibles de s'étendre et de se rapprocher des frontières des Etats européens de l'Alliance ou de l'Union européenne.

Il a relevé la nécessité pour l'Alliance d'obéir à des critères rigoureux lorsqu'elle décide de s'engager dans des missions de gestion des crises, étant donné qu'elle n'est pas habilitée à dire le droit et ne peut pas s'affranchir du droit international. C'est pourquoi les opérations de gestion de crises doivent, en règle générale, faire l'objet d'un mandat explicite du Conseil de sécurité. Le Rapporteur a fait observer qu'il peut néanmoins exister des situations exceptionnelles où un état de menace contre la paix ou de rupture de la paix, préalablement reconnu par le Conseil de sécurité, se traduit par une crise humanitaire, alors que l'une des parties refuse de se soumettre aux injonctions de ce même Conseil de sécurité. Il a jugé qu'à de telles situations exceptionnelles la réponse pouvait elle-même être exceptionnelle et que l'obligation d'obtenir un mandat du Conseil de sécurité pour agir était alors moins contraignante. Mais il a souhaité que ce recours à la force soit proportionné à son objet et que les principes du règlement de la crise soient établis sous l'autorité du Conseil de sécurité. La crise du Kosovo relève de ce cas de figure, mais l'analyse est également valable pour d'autres situations.

Le Rapporteur a par ailleurs considéré que la zone d'intervention potentielle de l'OTAN ne devait pas s'étendre au-delà des approches du territoire européen des pays membres. Il a estimé que, de ce point de vue, la formule selon laquelle la gestion des crises aurait pour but de « renforcer la stabilité dans l'espace euro-atlantique » était préférable à la suppression de toute limitation géographique demandée par les Etats-Unis mais qu'elle restait trop large dans la mesure où elle pouvait permettre d'envisager des interventions jusqu'au Caucase ou à la Mer Caspienne.

En ce qui concerne la prolifération des missiles balistiques et des moyens de destruction massive, le Président Paul Quilès a fait valoir qu'il s'agissait, selon les propos du Général Jean-Pierre Kelche devant la Commission de la Défense, d'un risque plus que d'une menace, et que, dans l'état actuel du développement de ce risque, il convenait de privilégier les instruments internationaux de contrôle et les moyens d'action diplomatiques et économiques. Il a également souligné qu'il ne saurait être question que l'Alliance puisse envisager des frappes préventives sans mandat du Conseil de sécurité.

Abordant les élargissements futurs de l'Alliance, le Rapporteur a considéré que l'Alliance ne pouvait pas laisser les pays concernés dans un vide de sécurité mais que les nouveaux membres devaient être capables de remplir leurs obligations de défense, et que leur adhésion devait présenter un intérêt pour la politique générale de l'Alliance et contribuer à la sécurité et à la stabilité européennes. L'application de ces trois critères fait apparaître le caractère prioritaire de l'élargissement vers le Sud (notamment, à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Slovénie). S'agissant des Etats baltes, leur adhésion pourrait être préjudiciable à la stabilité européenne si elle entraînait une dégradation grave des relations de confiance avec la Russie.

Après avoir relevé que la coopération militaire avec l'Europe centrale et orientale ne devait pas être seulement laissée à l'OTAN et que l'Europe devait faire valoir ses intérêts propres dans son dialogue avec ces pays, le Rapporteur a souligné qu'il convenait de développer avec eux des partenariats de sécurité, dans un premier temps dans le cadre de l'UEO et à terme dans celui de l'Union européenne.

Evoquant la nécessité pour l'Europe de se doter de capacités autonomes d'action militaire dans la perspective tracée par la déclaration de Saint-Malo, le Rapporteur a souligné que l'Union européenne était le lieu naturel d'impulsion politique de la construction de l'Europe de la défense. Il a alors préconisé l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne et proposé, pour la préparer, de confier à la même personnalité les fonctions de Haut Représentant pour la PESC et de Secrétaire général de l'UEO, d'organiser des réunions régulières du Conseil de l'Union au niveau des ministres de la Défense et de prévoir qu'un comité militaire ainsi qu'une conférence des directeurs nationaux de l'armement puissent assister le Conseil de l'Union.

Pour créer une capacité autonome de planification des opérations militaires, il suffirait de porter d'une soixantaine à une centaine le nombre d'officiers de la cellule de planification de l'UEO. L'Union européenne doit pouvoir opter entre deux chaînes de commandement pour la mise en _uvre des missions de Petersberg et utiliser soit, dans l'esprit des décisions de Berlin, une chaîne constituée par des éléments d'état-major fournis par l'OTAN (dans ce cas, les Etats-Unis resteraient impliqués et il faudrait en demander l'autorisation au Conseil de l'Atlantique Nord), soit une chaîne européenne autonome faisant appel à un état-major européen, c'est-à-dire un état-major d'un groupement de forces interarmées européen.

Le Rapporteur a alors proposé de constituer une force européenne de réaction rapide à partir d'éléments préexistants et souligné qu'il ne s'agissait pas d'une duplication de moyens. Par ailleurs, des moyens logistiques, de renseignement et de communication appropriés devraient être mis à la disposition de l'Union européenne, notamment des capacités de transport aérien militaire de moyens lourds à longue distance ainsi que des moyens d'observation et de communication par satellites.

En dernier lieu, le Président Paul Quilès a évoqué l'adaptation des capacités militaires aux missions de gestion de crise, qui nécessitent l'accroissement des moyens de projection des forces. Il a estimé que cet accroissement devait s'inscrire dans un objectif de restructuration globale des armées et avoir pour objectif prioritaire de répondre aux besoins européens. L'interopérabilité entre les forces européennes et américaines est également nécessaire, mais elle ne doit pas aller au-delà des nécessités de l'action militaire commune. De même, il ne saurait être question d'accepter une conception de l'interopérabilité qui alignerait les standards européens sur ceux des Etats-Unis en imposant le recours préférentiel à des équipements américains.

Le Rapporteur a cependant fait observer qu'il fallait être conscient que la restructuration des forces européennes ne sera pas satisfaisante sans une stabilisation des budgets d'équipement militaire en Europe ou même une reprise de leur croissance dans certains pays. Il a souligné qu'en 1998 les dépenses d'équipement militaire des pays européens de l'Alliance s'élevaient à environ 40 milliards de dollars contre 80 milliards de dollars aux Etats-Unis et qu'au sein de cette enveloppe, les dépenses de recherche-développement représentaient en Europe 10 milliards de dollars contre 36 milliards de dollars aux Etats-Unis. Il a précisé que, pour les six prochaines années, les Etats-Unis envisagent en outre une augmentation de 20 % de leur budget militaire. Il a alors considéré que, de même que la réalisation de l'Euro a été rendue possible par l'application de disciplines budgétaires, de même la construction de l'Europe de la défense suppose des engagements budgétaires.

Par ailleurs, il a estimé que, si des progrès avaient lieu dans le renforcement de l'OCCAR, chargé de la gestion des programmes communs et de l'Organisation de l'armement de l'Europe occidentale (OAEO), chargée des études, et si les industriels continuaient d'avancer dans la constitution de groupes européens intégrés, il serait possible de rationaliser les équipements et les normes, ce qui impliquerait, à terme, une baisse des coûts des programmes, donc une diminution des budgets d'équipement militaire.

En conclusion, il a souligné que de nombreuses questions soulevées par le concept stratégique de l'OTAN ne seraient pas réglées à Washington, d'une part, parce qu'elles faisaient l'objet de trop de divergences, d'autre part, parce qu'elles n'avaient pas vocation à être traitées principalement dans le cadre de l'Alliance lorsqu'elles concernent les efforts de l'Europe pour parvenir à plus d'autonomie dans sa défense.

Qualifiant le rapport d'information de brillant travail de pédagogie et d'analyse, M. Pierre Lellouche a souligné la convergence des propositions qu'il contenait avec celles qu'il avait eu l'occasion de soumettre à la délégation pour l'Union européenne et d'exposer dans l'un de ses ouvrages quelques années auparavant. Se félicitant que ce rapport contribue à faire progresser des idées ambitieuses, relatives notamment à l'institution d'une double chaîne de commandement au sein de l'Alliance et soulignant la difficulté de certaines de ses recommandations, en particulier budgétaires, il a néanmoins exprimé son désaccord sur quelques points. Au sujet de la prolifération tout d'abord, il a estimé qu'il s'agissait d'un problème non seulement diplomatique et politique mais aussi militaire pour lequel un programme de missiles antimissiles lui paraissait offrir une bonne solution et il s'est prononcé en faveur d'une coopération européenne au projet américain NMD (national missile defence). Ensuite, revenant sur l'élargissement de l'OTAN et les relations de l'Alliance avec la Russie, il s'est déclaré sceptique à l'égard des conditions d'adhésion des trois nouveaux membres et après avoir estimé que ces pays étaient entrés dans l'Alliance pour des raisons du temps de la guerre froide, il a noté que leur adhésion coïncidait avec le passage d'un système de défense territoriale collective à un système de sécurité collective. Il a, pour cette raison, demandé que l'on aborde avec un regard différent la question de l'adhésion des pays baltes et celle de l'élargissement vers le Sud. Enfin, tout en partageant le souci d'identification d'une chaîne européenne de commandement dans le cadre de l'Alliance atlantique, il a demandé pourquoi le rapport préconisait une autre chaîne de commandement spécifiquement européenne hors de l'OTAN et s'est inquiété des conditions pratiques de sa constitution.

Le Président Paul Quilès a alors précisé que le schéma qu'il propose présente effectivement trois chaînes de commandement aux configurations différentes selon les missions en cause. Ainsi la protection d'un allié sur la base de l'article 5 du traité de Washington relève de la chaîne de commandement classique de l'Alliance avec participation américaine. Quant aux missions de Petersberg, elles pourraient être prises en charge sous l'autorité de l'Union européenne, soit au moyen d'une chaîne de commandement spécifiquement européenne, soit par une identité européenne de défense au sein de l'OTAN. Reconnaissant la complexité du concept, il a néanmoins ajouté qu'elle était due à la lourdeur des modes de fonctionnement de l'OTAN.

Revenant sur le décalage de 50 % entre le budget d'équipement militaire des pays européens et celui des Etats-Unis, M. Pierre Lellouche a constaté un fossé plus grand encore entre le volume des troupes européennes déployables et celui des troupes américaines susceptibles d'intervenir dans un conflit, puisque les effectifs projetables des forces européennes représentent seulement 10 % de ceux des forces américaines. Pour expliquer ce handicap, il a notamment mis en cause la duplication des moyens des forces européennes et l'absence de coordination des rôles, ce qui l'a conduit à préconiser une plus grande planification des besoins en amont.

Rappelant que le programme NMD mobilisait 60 milliards de francs sur cinq ans sans que ses objectifs ni l'étendue de la couverture territoriale qu'il assurerait ne soient définis, le Président Paul Quilès s'est interrogé sur les analogies entre ce projet et l'Initiative de Défense Stratégique, abandonnée au cours des années 1980, estimant que la question de son utilité stratégique se posait.

S'associant aux remarques de M. Pierre Lellouche sur la qualité du travail réalisé par le Rapporteur, M. Arthur Paecht a proposé de distinguer nettement de manière institutionnelle au sein de l'Alliance un pôle de défense spécifiquement et uniquement européen et un pôle fédérant les autres membres autour des Etats-Unis.

Après que M. Didier Boulaud eut estimé que cette problématique rejoignait celle du caucus, c'est-à-dire du bloc européen au sein de l'OTAN, le Président Paul Quilès a souligné que la participation des Européens au Conseil de l'Atlantique Nord rendait une telle organisation difficile.

M. Arthur Paecht a mis l'accent sur l'importance d'un mandat clair du Conseil de sécurité de l'ONU pour la légitimité des nouvelles opérations de gestion de crise de l'Alliance. Il a cependant déploré les difficultés rencontrées par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour la définition de ce mandat en raison de l'usage abusif du droit de veto par certains des membres permanents. Il s'est en conséquence prononcé pour une réforme de l'ONU qui rendrait impossible le blocage. Il s'est ensuite déclaré favorable à l'élargissement tout en souhaitant plus de cohérence entre la sélection des nouveaux membres de l'Alliance et les intérêts de défense de l'Union européenne. Exprimant sa préférence pour une approche concentrique de l'élargissement, il a estimé qu'il était d'autant plus nécessaire de tenir compte des limites géographiques de l'Union européenne que la sécurité de ses membres dépendait également d'engagements pris en son sein comme ceux de Schengen. Il s'est en conséquence prononcé pour une certaine prudence dans l'élargissement de l'OTAN à de nouveaux membres n'appartenant pas à l'Union européenne. Faisant référence à des discussions menées dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'Alliance atlantique, il a également plaidé pour un élargissement obéissant à une logique géographique en phase avec l'élargissement de l'Union européenne. Il a, à ce propos, souligné les difficultés qu'aurait entraînées une adhésion prématurée de la Roumanie à l'OTAN, compte tenu de ses difficultés économiques et préconisé des accords de coopération renforcée pour les pays qui ne sont pas mûrs pour l'entrée dans l'Alliance.

M. Didier Boulaud a fait remarquer qu'une organisation des forces ne distinguant que l'Union européenne et les Etats-Unis laisserait notamment de côté la Turquie et les trois nouveaux membres de l'OTAN, qui n'étaient pas membres de l'Union européenne. Il s'est déclaré pour cette raison partisan du schéma proposé par le Président Paul Quilès.

M. Georges Lemoine a abordé la question des pays baltes. Il fait remarquer qu'avec le soutien des pays riverains de la Baltique membres de l'Union européenne, comme le Danemark, un véritable système de défense propre à la région était en train de se dessiner . Il a jugé que ce nouveau système de défense devait conduire à l'intégration des pays baltes dans l'OTAN aussi bien que dans l'Union européenne, tout en reconnaissant qu'il était nécessaire de maintenir une relation privilégiée avec la Russie.

Le Président Paul Quilès a souligné la nécessité de traiter convenablement la Russie, qui, affaiblie économiquement, n'en restait pas moins un partenaire important, notamment pour la conclusion et l'application des traités relatifs au désarmement.

M. Jean-Claude Sandrier a regretté que le rapport d'information présente l'Alliance atlantique comme l'enceinte naturelle de la consultation transatlantique sur les questions de sécurité, alors qu'elle n'était que l'une de ces enceintes, et que d'autres, telles l'OSCE, devraient être mieux mises en valeur.

Approuvant qu'il soit rappelé dans le rapport d'information que l'Alliance ne pouvait pas s'affranchir du droit international, il a souligné que cette exigence posait la question de la capacité de l'ONU à décider, et donc celle de la suppression du droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité, qui ne devrait pas pouvoir s'exercer dès lors qu'une majorité, dont le quantum restait à préciser, aurait décidé d'une intervention.

Il a appelé à la prudence en matière d'élargissement et fait valoir qu'il n'était pas certain que l'extension continue de l'OTAN vers l'Est soit, du fait des réactions qu'elle pouvait entraîner, un facteur de renforcement de la sécurité en Europe.

Enfin, il a jugé intéressant le schéma d'organisation militaire de l'Europe de la défense proposé par le rapport d'information.

M. René Galy-Dejean, après avoir souligné que le rapport d'information répondait à un souci d'accompagnement de l'action gouvernementale par le Parlement, a relevé qu'il renforçait la position de la France sur la scène internationale, en prolongeant la position commune prise par l'exécutif français. Il a ensuite approuvé l'intégralité des analyses et des propositions formulées par le Rapporteur et n'a exprimé aucune réserve, faisant seulement remarquer que l'existence d'une chaîne de commandement européenne au sein de l'OTAN supposait celle de la chaîne de commandement constituée hors de l'OTAN.

Il a également souligné qu'il était courageux d'affirmer la nécessité d'un effort budgétaire européen et a souhaité que le Gouvernement mette fin à la réduction du budget d'équipement militaire. Il a par ailleurs émis des réserves sur une alliance des pays européens avec les Etats-Unis dans la perspective de constitution d'un bouclier contre les tirs de missiles balistiques, rappelant que les pays européens qui avaient investi dans les précédents programmes de défense antimissile, comme le MEADS, avaient été abandonnés par les Etats-Unis.

En ce qui concerne l'élargissement de l'Alliance atlantique, il a souscrit à l'analyse du rapport d'information et fait observer qu'il convenait d'être d'une prudence extrême, même si une inflexion vers les pays du sud de l'Europe était souhaitable. Il a émis le v_u que le rapport souligne l'intérêt et le caractère novateur du Groupe de contact dont la démarche, qu'il a estimée créatrice de droit, avait permis de véritables initiatives européennes. Il en résultait une situation où l'Europe n'était pas mise par les Etats-Unis devant le fait accompli d'une action militaire.

M. Guy-Michel Chauveau a fait remarquer que la publication du rapport d'information était opportune, non seulement en raison de la proximité du cinquantième anniversaire de l'Alliance atlantique, mais aussi parce qu'elle intervenait au moment où la construction de l'Europe de la défense recevait une nouvelle impulsion. Il a estimé que les outils de la défense européenne pouvaient être créés, à condition qu'une volonté politique suffisante se dégage, en s'appuyant sur les instruments qui existent déjà. Il a également considéré qu'il serait important de replacer les travaux sur la prochaine loi de programmation militaire dans un contexte européen, estimant souhaitable l'élaboration d'un Livre Blanc européen de la défense.

S'agissant de l'élargissement de l'OTAN aux pays baltes, il a préconisé la prudence à l'égard de la Russie et exprimé son accord avec la recommandation du rapport d'information selon laquelle le Conseil conjoint OTAN-Russie ne devait pas être le lieu où la Russie serait placée devant des faits accomplis. Il a par ailleurs souhaité que la Commission s'interroge sur les redondances qui nuisent à l'efficacité des forces européennes. Faisant état du décalage entre les normes américaines et celles en vigueur au sein de l'OTAN, il a estimé que l'interopérabilité devait d'abord s'apprécier en termes de systèmes de forces capables d'agir de concert, comme c'est le cas au Kosovo.

Jugeant que le rapport présenté développait des réflexions intéressantes et contenait de bonnes orientations, M. Antoine Carré a déclaré ne pouvoir qu'y souscrire sur le fond, tout en estimant que les remarques relatives à la non-ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires ne devaient pas pouvoir être interprétées comme une leçon donnée par la France à ses partenaires. Par ailleurs, il a estimé que l'objectif d'indépendance de la défense européenne vis-à-vis des Etats-Unis ne devrait pas être exprimé de manière trop ostentatoire, dans la mesure où les Européens ne sont pas encore certains d'y parvenir. Soucieux de préserver la capacité d'action rapide des alliés, il s'est prononcé en faveur de l'augmentation des budgets de défense des Etats européens. Enfin, il a souhaité qu'une certaine prudence entoure les propositions d'élargissement de l'OTAN, eu égard notamment aux récents développements de la situation du Kosovo.

M. Roland Garrigues a ensuite souligné qu'après le rapport de la Mission sur le Rwanda, le rapport d'information témoignait d'une approche moderne du travail parlementaire. Après avoir déterminé ce qu'il ne faut pas faire en Afrique, la Commission de la Défense a pu envisager ce qu'il est désormais nécessaire de faire pour l'avenir de la sécurité européenne.

La Commission a alors autorisé à l'unanimité la publication du rapport d'information conformément à l'article 145 du Règlement.

Une discussion s'est également engagée sur la décision du Gouvernement de faire devant l'Assemblée nationale une déclaration avec débat sur l'intervention militaire de l'OTAN au Kosovo.

A M. Pierre Lellouche qui demandait que la Commission de la Défense entende au préalable le Ministre de la Défense, le Président Paul Quilès a répondu qu'il était prêt à venir devant elle, mais que cette question relevait d'un débat en séance publique.

M. Jean Briane a alors fait remarquer qu'à d'autres occasions, la Commission s'était réunie et avait assumé ses responsabilités, ce qui n'apparaissait pas possible cette fois.

M. Pierre Lellouche a observé que la question évoquée relevait des relations entre le Gouvernement et le Parlement, auxquelles le Président de la République était étranger. Il a rappelé que l'opposition avait demandé au Gouvernement un débat sur l'intervention.

Le Président Paul Quilès a répondu qu'une réforme s'imposait pour permettre que la consultation du Parlement précède la décision.

M. François Lamy a alors demandé à M. Pierre Lellouche si l'on pouvait conclure de ses propos qu'il approuvait l'idée d'une réforme par consensus de la Constitution prévoyant une information préalable du Parlement avant le déclenchement d'une opération.

M. Pierre Lellouche a répondu que les membres du groupe RPR respectaient l'esprit et la lettre de la Vème République et que, de ce fait, ils considéraient que le Président de la République avait le devoir d'exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus, le Premier Ministre étant quant à lui comptable des rapports de l'exécutif avec l'Assemblée nationale. Il a ensuite exprimé son désaccord avec la proposition faite par M. François Lamy, qu'il a estimé contraire à la nature des institutions.

M. René Galy-Dejean a confirmé que le groupe RPR ne s'associerait pas à une telle proposition de réforme de la Constitution si elle était formulée.

M. Arthur Paecht a estimé que, dans la mesure où la décision avait d'ores et déjà été prise par le Président de la République, le moment n'était plus opportun pour en discuter, l'opération étant en cours. Il a exprimé sa désapprobation à l'égard d'un débat au cours duquel les groupes politiques exprimeraient leur éventuel désaccord avec une action qui pourrait déjà être engagée et où des soldats français risqueraient leur vie.

Déclarant partager l'opinion de M. Arthur Paecht, M. Antoine Carré a souligné que la Commission de la Défense avait été tenue informée, notamment par l'audition du Chef d'Etat-major des Armées, tant sur les risques d'une intervention que sur les moyens engagés, et que c'est l'association à la réflexion qui avait été insuffisante. Regrettant qu'un débat n'ait pas été organisé plus tôt à l'Assemblée nationale, il a estimé qu'il n'était plus utile, dès lors que la décision avait été prise.

M. Pierre-Claude Lanfranca a estimé que l'Assemblée nationale devait toutefois être associée aux réflexions sur les suites de la décision.

Le Président Paul Quilès a considéré que le problème de fond, d'ores et déjà mis en évidence par le groupe de travail de la Commission sur les opérations extérieures, résidait dans un dysfonctionnement des institutions de la Vème République, dont l'affaire du Kosovo était révélatrice, ce dysfonctionnement résultant de l'obsolescence des articles 35 et 53 de la Constitution et d'une pratique de longue date discutable.

Faisant observer qu'une pratique ne pouvait pas être à la fois constante et fautive, M. Pierre Lellouche a jugé que les réformes envisagées aboutiraient à un changement de régime.

Après avoir jugé qu'il était conforme à la lettre de la Constitution de la Vème République que le débat au Parlement ait lieu après le déclenchement d'une intervention militaire, il a estimé que ce débat aurait la vertu de permettre aux groupes politiques d'exprimer officiellement leur position et fait remarquer qu'en tout état de cause, le Premier Ministre avait le pouvoir de fixer l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Le Président Paul Quilès a précisé que c'est à la fin des années 1980, après la chute du mur de Berlin, que le dysfonctionnement qu'il avait évoqué s'était nettement manifesté, la pratique, combinée aux lacunes des textes, aboutissant à ce que la France s'engage dans des opérations de maintien de la paix dans des conditions qui ne permettaient pas d'assurer leur contrôle démocratique.

VII. - EXPLICATIONS DE VOTE

1. CONTRIBUTION DE M. JEAN-CLAUDE SANDRIER, AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE

La seule vraie évidence de laquelle il faut bien partir pour se demander à quoi sert l'OTAN et à quoi elle pourrait servir est de rappeler que l'objet pour lequel elle avait été créée en 1949 n'existe plus.

Ce constat n'est pas neutre car soit il pouvait amener à une dissolution de l'OTAN - les raisons de son existence ayant disparu - soit à trouver de nouvelles raisons à son utilité.

La deuxième voie a été choisie, sinon par un large débat démocratique dans chacun des pays concernés, mais plutôt par une analyse stratégique largement inspirée par les Etats-Unis.

L'enjeu du sommet de Washington loin de se limiter à souffler 50 bougies est au fond clairement établi.

Il s'agit pour les Etats-Unis d'inscrire ce sommet dans une tentative de mutation profonde par rapport aux objectifs premiers de l'OTAN en dépassant complètement la notion de défense collective qui prévalait depuis sa naissance.

La volonté d'extension géographique des intervention de l'OTAN, d'introduction de la notion floue et donc dangereuse d'« intérêts communs », le souhait de vouloir se passer de toute forme de légalité internationale notamment d'un mandat de l'ONU pour intervenir, la volonté américaine de pousser toujours plus la notion d'interopérabilité, indiquent assez une dérive inquiétante, aventureuse même qui loin d'accroître les éléments de sécurité en Europe peuvent les fragiliser tout en dépossédant un peu plus la France et l'Europe de leurs capacités de décisions et d'interventions. De même, on doit s'interroger sur la pertinence d'élargissements successifs comme contribution au renforcement de la sécurité en Europe.

Différents analystes et stratèges, notamment américains, ont fait dériver le débat sur la sécurité essentiellement en le centrant sur son volet militaire.

C'est une erreur qui risque de nous inscrire dans une démarche qui ferait l'impasse en totalité ou en partie sur les conditions de la sécurité dans le monde aujourd'hui. Or, cette question est fondamentale.

Si je trouve extrêmement positives les prises de position du Président Quilés exprimant « que la réponse aux nouvelles menaces devait, dans l'état actuel de leur développement, être d'abord politique et économique avant d'être militaire », de même que celle du Général Kelche, chef d'état major des Armées, soulignant « que c'est par une politique globale privilégiant notamment le recours à des instruments diplomatiques et économiques et n'utilisant l'instrument militaire qu'à titre accessoire et comme ultime argument »... elles restent bien isolées dans un débat stratégique centré sur une tout autre appréhension des problèmes.

La grande question de la sécurité en Europe et dans le monde est bien celle posée par Fédérico Mayor (Secrétaire Général de l'UNESCO) :

« 18 % de l'humanité possède 80 % des richesses. Comment préserver la paix dans ces conditions ? »

La réponse à cette question n'est pas militaire.

Faire respecter les droits de l'homme, épargner les populations de guerres, de génocides..., c'est mettre en place une vraie politique de prévention des crises.

Très concrètement, il y a aujourd'hui deux urgences ou deux nécessités qui cohabitent :

- celle de doter chaque Nation et le continent européen d'une politique de sécurité ;

- celle de faire face à des drames humains en Europe et à l'extérieur de l'Europe (sachant que cette question mérite une réflexion spécifique : où intervenir ? quand ? comment ? avec qui ? avec quel mandat ?...).

Sur le premier point, l'OSCE, rénovée, pleinement responsable et autonome, pourrait être à la base d'une politique de prévention. L'appréhension des problèmes, le dialogue, les initiatives collectives, les interventions sur les conditions économiques, sociales, politiques qui sont à la source des conflits seraient la base de cette politique, en coopération étroite avec l'ONU.

Le volet militaire de la sécurité européenne pourrait se mettre en place par la définition d'une force européenne indépendante en commençant par des moyens de renseignements, d'information et d'évaluation autonomes. Cette force étant assise sur une politique de défense nationale française, concept solide que rien n'est à même de remplacer sérieusement aujourd'hui.

Qui pourrait - de façon crédible - s'opposer au souhait des Nations européennes - et à l'Union européenne en particulier -  d'assumer pleinement leurs responsabilités et leur souveraineté en matière de sécurité et de défense !

Les relations avec les Etats-Unis, ou d'autres Etats, étant placées dans le cadre normal d'une alliance se tenant à égalité de droits et de devoirs, en dehors de toute subordination, et sur des objectifs répondant à des valeurs et à des intérêts communs. Cela, c'est l'avenir à construire dès maintenant.

Dans l'immédiat, pour des « raisons pratiques » d'efficacité, dans des cas extrêmes dûment établis et de façon transparente par la communauté européenne, légitimés par un mandat de l'ONU, il peut être admis que l'OTAN puisse intervenir dans la sphère qu'elle avait elle-même définie initialement.

En conclusion :

Les formules « et OTAN, et Europe », « ou OTAN, ou Europe » ne rendent pas compte suffisamment du mouvement qui doit s'établir et de la volonté politique qui doit le sous-tendre.

L'idée sur laquelle, nous en convenons, il faut travailler serait :

Pour la France et l'Europe, l'avenir repose sur la mise en oeuvre d'une politique de sécurité à partir d'une OSCE restaurée et d'un volet militaire, expression d'une autonomie et d'une souveraineté européenne construite sur les fondations fortes de chacune des Nations et de leur défense nationale. Expression que l'UEO pourrait fédérer.

Le sommet de Washington ne peut donc laisser les Etats-Unis décider seuls de ce que doit être la sécurité et la défense de l'Europe et poursuivre une tentative de mutation profonde de l'OTAN tendant à lui faire jouer un rôle de justicier dans le monde en dehors des lois internationales.

Il y a bien - à défaut de dissolution difficile à envisager dans des délais rapides - une réforme de l'OTAN à opérer. Elle doit être dominée par un souci de démocratie, de transparence, de respect entre partenaires, de respect du droit international et permettre une prise de responsabilité par les pays européens de leur propre sécurité, parce que cette question est une question majeure pour notre continent.

Parce qu'au sommet de Washington, les Etats-Unis souhaitent opérer une mutation importante comportant des aspects préoccupants, le groupe communiste a demandé au Premier ministre de bien vouloir organiser un débat à l'Assemblée nationale, avant ce sommet, sur les problèmes de sécurité et de défense en France et en Europe, la notion de nouveau concept stratégique, évoqué par le Président de la République et le Premier ministre, et sur la place de l'OTAN.

2. CONTRIBUTION DE M. PIERRE LELLOUCHE, AU NOM DU GROUPE RPR

Le Président de notre Commission a bien voulu m'autoriser à ajouter ces quelques lignes en forme de post-scriptum ou « d'amendement » au rapport très complet qui précède.

Je souhaite tout d'abord rendre hommage au Président Paul Quilès pour avoir retenu l'idée que je lui avait soumise à l'automne 1998, en tant que membre du Bureau de notre Commission, de voir l'Assemblée nationale se saisir de l'important dossier de la révision du concept stratégique de l'OTAN, à la veille du sommet de Washington d'avril 1999. Le Congrès américain, bien sûr, mais également les Parlements de certains autres Etats membres de l'Alliance, avaient débattu de ce sujet. Il était bon que l'Assemblée nationale en fît de même : le groupe de travail constitué à cet effet et présidé par M. Paul Quilès a donc fait un travail politique et pédagogique utile pour éclairer la représentation nationale, comme nos concitoyens.

Sur le fond, je souhaite réaffirmer ici mon total soutien à l'essentiel de l'analyse présentée dans ce rapport, notamment aux propositions avancées quant à la nécessaire montée en puissance d'une véritable identité européenne de défense et de sécurité dans le cadre euro-atlantique. Nombre de ces propositions, relatives notamment à la réorganisation des chaînes de commandement, à la prise de décision à l'intérieur de l'Union européenne, à la fusion Union européenne-UEO, à l'inclusion de l'article 5 de l'UEO dans les traités de l'Union européenne, aux efforts budgétaires et programmatiques nécessaires dans les pays européens, dans des domaines tels que le transport aérien stratégique, la reconnaissance satellitaire, ou la constitution d'unités européennes « projetables » capables d'agir ensemble, rejoignent très directement les idées que j'avais eu l'occasion de défendre depuis plusieurs années, à l'Assemblée comme ailleurs (2).

Je me bornerai donc à souligner ici un point de désaccord fondamental avec les conclusions du rapport : ce que M. Paul Quilès considère comme « l'inadaptation du cadre de l'OTAN au traitement des problèmes de prolifération ». Tout en partageant l'idée que la politique de non-prolifération relève prioritairement des traités ou d'enceintes diplomatiques (ONU, Comité du désarmement, groupes de pays exportateurs), toute stratégie sérieuse de non-prolifération devra inévitablement inclure, probablement à plus brève échéance qu'on ne le croit, un volet militaire de défense active et passive.

La réalité géopolitique de cette fin de siècle est que l'Europe est, de toutes les zones développées du Nord, la plus exposée aux risques militaires de prolifération (directs par des frappes de missiles ou indirects via le terrorisme). Hormis la Corée du nord, il est un fait que la plupart des Etats « proliférateurs » sont situés à portée de missiles « intermédiaires » des grandes capitales de l'Union européenne. Un risque sérieux existe donc que nous soyons confrontés à une crise grave de ce type dans la première décennie du prochain siècle. C'est compte tenu de cette menace, que je tiens pour bien réelle quant à moi, que je trouve exagérément optimiste la proposition selon laquelle « la prolifération ne constitue pas, en l'état actuel des choses, une menace grave et immédiate pour les pays de l'Alliance ». Je regrette, pour ma part, que le domaine de la lutte antimissiles balistiques soit laissé aux seuls Etats-Unis (ou à Israël !), tandis que l'Europe s'en désintéresse presque totalement. De même que la défense antiaérienne classique est aujourd'hui coordonnée dans l'espace euro-atlantique, il me paraît souhaitable, et même indispensable, de travailler à un système analogue anti-prolifération à l'échelle européenne, comme dans le cadre de l'OTAN -y compris naturellement dans ses implications budgétaires et industrielles.

Sur un autre point (en particulier les conditions de l'élargissement de l'OTAN vers l'Est et les relations avec la Russie), mon analyse personnelle diverge quelque peu de celle de M. Paul Quilès. Mais ce sujet mériterait des développements détaillés qui nécessiteraient... un autre rapport...

ANNEXES

ANNEXE 1

LE TRAITÉ DE L'ATLANTIQUE NORD
(Washington DC, 4 avril 1949)

Les Etats parties au présent Traité, réaffirmant leur foi dans les buts et les principes de la Charte des Nations Unies et leur désir de vivre en paix avec tous les peuples et tous les gouvernements.

Déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit.

Soucieux de favoriser dans la région de l'Atlantique Nord le bien-être et la stabilité. Résolus à unir leurs efforts pour leur défense collective et pour la préservation de la paix et de la sécurité. Se sont mis d'accord sur le présent Traité de l'Atlantique Nord ;

Article premier

Les parties s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, et à s'abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

Article 2

Les parties contribueront au développement de relations internationales pacifiques et amicales en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées et en développant les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être. Elles s'efforceront d'éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d'entre elles ou entre toutes.

Article 3

Afin d'assurer de façon plus efficace la réalisation des buts du présent Traité, les parties, agissant individuellement et conjointement, d'une manière continue et effective, par le développement de leurs propres moyens en se prêtant mutuellement assistance, maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée.

Article 4

Les parties se consulteront chaque fois que, de l'avis de l'une d'elles, l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'une des parties sera menacée.

Article 5

Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.

Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.

Article 63

Pour l'application de l'article 5, est considérée comme une attaque armée contre une ou plusieurs des parties, une attaque armée ;

· contre le territoire de l'une d'elles en Europe ou en Amérique du Nord, contre les départements français d'Algérie4, contre le territoire de la Turquie ou contre les îles placées sous la juridiction de l'une des parties dans la région de l'Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer ;

· contre les forces, navires ou aéronefs de l'une des parties se trouvant sur ces territoires ainsi qu'en toute autre région de l'Europe dans laquelle les forces d'occupation de l'une des parties étaient stationnées à la date à laquelle le Traité est entré en vigueur, ou se trouvant sur la mer Méditerranée ou dans la région de l'Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer, ou au-dessus de ceux-ci.

Article 7

Le présent Traité n'affecte pas et ne sera pas interprété comme affectant en aucune façon les droits et obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont membres des Nations Unies ou la responsabilité primordiale du Conseil de Sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Article 8

Chacune des parties déclare qu'aucun des engagements internationaux actuellement en vigueur entre Etats n'est en contradiction avec les dispositions du présent Traité et assume l'obligation de ne souscrire aucun engagement international en contradiction avec le Traité.

Article 9

Les parties établissent par la présente disposition un Conseil, auquel chacune d'elle sera représentée pour examiner les questions relatives à l'application du Traité. Le Conseil sera organisé de façon à pouvoir se réunir rapidement et à tout moment. Il constituera les organismes subsidiaires qui pourraient être nécessaires ; en particulier, il établira immédiatement un comité de défense qui recommandera les mesures à prendre pour l'application des articles 3 et 5.

Article 10

Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au Traité tout autre Etat européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord. Tout Etat ainsi invité peut devenir partie au Traité en déposant son instrument d'accession auprès du gouvernement des Etats-Unis d'Amérique. Celui-ci informera chacune des parties du dépôt de chaque instrument d'accession.

Article 11

Ce Traité sera ratifié et ses dispositions seront appliquées par les parties conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Les instruments de ratification seront déposés aussitôt que possible auprès du gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, qui informera tous les autres signataires du dépôt de chaque instrument de ratification. Le Traité entrera en vigueur entre les Etats qui l'ont ratifié dès que les ratifications de la majorité des signataires, y compris celles de la Belgique, du Canada, des Etats-Unis, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, auront été déposées et entrera en application à l'égard des autres signataires le jour du dépôt de leur ratification.

Article 12

Après que le Traité aura été en vigueur pendant dix ans ou à toute date ultérieure, les parties se consulteront à la demande de l'une d'elles, en vue de réviser le Traité, en prenant en considération les facteurs affectant à ce moment la paix et la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord, y compris le développement des arrangements tant universels que régionaux conclus conformément à la Charte des Nations Unies pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Article 13

Après que le Traité aura été en vigueur pendant vingt ans, toute partie pourra mettre fin au Traité en ce qui la concerne un an après avoir avisé de sa dénonciation le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, qui informera les gouvernements des autres parties du dépôt de chaque instrument de dénonciation.

Article 14

Ce Traité, dont les textes français et anglais font également foi, sera déposé dans les archives du gouvernement des Etats-Unis d'Amérique. Des copies certifiées conformes seront transmises par celui-ci aux gouvernements des autres Etats signataires.

ANNEXE 2

CONCEPT STRATÉGIQUE DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE (Rome, 1991)

1. A la réunion qu'ils ont tenue à Londres en juillet 1990, les chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'OTAN sont convenus de la nécessité d'adapter l'Alliance atlantique à l'ère nouvelle et plus prometteuse qui s'était ouverte en Europe. Tout en réaffirmant les principes fondamentaux sur lesquels l'Alliance repose depuis sa création, ils ont reconnu que les événements qui se déroulaient en Europe auraient une large incidence sur la manière d'atteindre ses objectifs à l'avenir. En particulier, ils ont mis en chantier un réexamen stratégique approfondi, dont le nouveau concept ci-après est le résultat.

PARTIE I

LE CONTEXTE STRATÉGIQUE

Le nouvel environnement stratégique

2. Depuis 1989, il s'est produit en Europe centrale et orientale de profondes mutations politiques qui ont radicalement amélioré le contexte de sécurité dans lequel l'Alliance atlantique cherche à réaliser ses objectifs. Les anciens pays satellites de l'URSS ont recouvré leur pleine souveraineté. L'Union soviétique et ses républiques sont le théâtre de changements radicaux. Les trois républiques baltes ont regagné leur indépendance. Les forces soviétiques ont quitté la Hongrie et la Tchécoslovaquie, et doivent achever de se retirer de Pologne et d'Allemagne pour 1994. Tous les pays qui étaient auparavant des adversaires de l'OTAN ont non seulement démantelé le Pacte de Varsovie, mais encore abandonné toute hostilité idéologique à l'égard de l'Occident. Ils ont, à des degrés divers, adopté et commencé à mettre en oeuvre des politiques visant à instaurer la démocratie pluraliste, l'Etat de droit, le respect des droits de l'Homme et l'économie de marché. La division politique de l'Europe, qui était à l'origine de la confrontation militaire du temps de la guerre froide, est ainsi surmontée.

3. A l'Ouest, les changements n'ont pas été moins significatifs. L'Allemagne s'est unifiée et reste membre à part entière de l'Alliance et des institutions européennes. La recherche par la Communauté européenne d'une union politique comprenant une identité européenne de sécurité et l'accroissement du rôle de l'UEO constituent des facteurs importants pour la sécurité européenne. Le renforcement de la dimension de sécurité dans le processus d'intégration européenne et le développement du rôle et des responsabilités des membres européens de l'Alliance sont des processus positifs qui se confortent mutuellement. L'affirmation d'une identité européenne de sécurité et de défense et d'un rôle européen en matière de défense, qui se reflète dans la consolidation du pilier européen de l'Alliance, non seulement servira les intérêts des Etats européens, mais renforcera aussi l'intégrité et l'efficacité de l'Alliance tout entière.

4. Des progrès substantiels dans la maîtrise des armements ont déjà permis d'améliorer la stabilité et la sécurité, en réduisant le niveau des armements et en accroissant la transparence militaire en même temps que la confiance mutuelle (y compris grâce à l'accord CDE de Stockholm de 1986, au traité FNI de 1987, aux accords et mesures de confiance et de sécurité CSCE de 1990). L'application du Traité START de 1991 accroîtra la stabilité grâce à des réductions substantielles et équilibrées dans le domaine des armes nucléaires stratégiques. D'autres changements et réductions profonds des forces nucléaires des Etats-Unis et de l'Union soviétique seront recherchés à la suite de l'initiative prise en septembre 1991 par le président Bush. Le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE), signé au Sommet de Paris en 1990, revêt également une grande importance ; son application fera disparaître l'infériorité numérique de l'Alliance pour les principaux systèmes d'armes conventionnels et comportera la mise en oeuvre de procédures de vérification efficaces. Il résultera aussi de tous ces développements un degré de transparence militaire sans précédent en Europe, et donc un accroissement de la prévisibilité et de la confiance mutuelle. Cette transparence serait encore plus grande si un régime « ciel ouvert » était instauré. D'autres avancées sont en vue dans la maîtrise des armements des forces conventionnelles et nucléaires, et aussi en ce qui concerne l'interdiction des armes chimiques à l'échelle mondiale ainsi que la restriction des exportations d'armes déstabilisatrices et de la prolifération de certaines technologies d'armements.

5. Amorcé à Helsinki en 1975, le processus de la CSCE a déjà contribué de façon significative au dépassement de la division de l'Europe. A la suite du Sommet de Paris, il inclut maintenant de nouveaux arrangements institutionnels et offre un cadre contractuel de consultation et de coopération susceptible de jouer, en complément de celui de l'OTAN et du processus d'intégration européenne, un rôle positif pour la sauvegarde de la paix.

6. Les changement historiques qui se sont produits en Europe, et qui ont permis la réalisation d'un certain nombre d'objectifs définis dans le Rapport Harmel, ont sensiblement amélioré la sécurité globale des alliés. La menace monolithique, massive et potentiellement immédiate qui a été, au cours de ses quarante premières années d'existence, le souci primordial de l'Alliance, a maintenant disparu. Cependant l'avenir reste entouré d'incertitudes et il subsiste des risques pour la sécurité de l'Alliance.

7. Le nouveau concept stratégique repose sur l'hypothèse d'un contexte de sécurité où les changements positifs évoqués ci-dessus auront porté tous leurs fruits. En particulier, il présuppose aussi bien l'achèvement du retrait prévu de l'ensemble des forces armées soviétiques d'Europe centrale et orientale que la mise en oeuvre intégrale, par toutes les parties, du Traité de 1990 sur les FCE. L'application de ce concept stratégique fera donc l'objet d'un examen régulier tenant compte de l'évolution du contexte de sécurité, et plus spécialement des progrès accomplis dans la réalisation de cette hypothèse. D'autres adaptations seront opérées dans la mesure où ce sera nécessaire.

Les défis et les risques pour la sécurité

8. Les défis et les risques auxquels l'OTAN est confrontée dans le domaine de la sécurité ne sont pas de la même nature que par le passé. La menace d'attaque massive et simultanée sur tous les fronts européens de l'OTAN a bel et bien été éliminée et a donc cessé d'être le point focal de la stratégie de l'Alliance. En Europe centrale spécialement, le risque d'une attaque surprise a été sensiblement réduit et le délai d'alerte minimum s'est allongé d'autant pour les alliés.

9. Au lieu de résulter d'une menace prédominante, les risques qui subsistent pour la sécurité des alliés se présentent désormais sous des formes complexes et proviennent de directions multiples, ce qui les rend difficiles à prévoir et à évaluer. L'OTAN doit être en mesure d'y faire face, si elle veut sauvegarder la stabilité en Europe et la sécurité de ses membres. Ces risques peuvent apparaître de plusieurs manières.

10. Les risques auxquels est exposée la sécurité des alliés tiennent probablement moins à l'éventualité d'une agression calculée contre le territoire des alliés qu'aux conséquences négatives d'instabilités qui pourraient découler des graves difficultés économiques, sociales et politiques, y compris les rivalités ethniques et les litiges territoriaux, que connaissent de nombreux pays d'Europe centrale et orientale. Les tensions qui peuvent en résulter, dans la mesure où elles demeurent circonscrites, ne sont pas de nature à menacer directement la sécurité ou l'intégrité territoriale des Etats membres de l'Alliance. Il n'est pas exclu, cependant, qu'elles puissent aboutir à des crises mettant en cause la stabilité en Europe, et même conduire à des conflits armés susceptibles d'entraîner l'implication de puissances extérieures ou de se répercuter sur des pays alliés, ayant ainsi un effet direct sur la sécurité de l'Alliance.

11. Dans le cas particulier de l'Union soviétique, les risques et les incertitudes qui accompagnent le processus de changement ne peuvent être dissociés du fait que ses forces conventionnelles sont largement supérieures à celles de tout autre Etat européen et que ce pays dispose d'un arsenal nucléaire considérable, comparable uniquement à celui des Etats-Unis. Il faut prendre en compte ce potentiel pour pouvoir préserver la stabilité et la sécurité en Europe.

12. Les alliés souhaitent également maintenir des relations pacifiques et non conflictuelles avec les pays au sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient. La stabilité et la paix dans cette zone périphérique de l'Europe sont en effet importantes pour la sécurité de l'Alliance, comme l'a montré la guerre du Golfe en 1991. Ceci est d'autant plus vrai si l'on considère le développement des potentiels militaires et la prolifération des technologies d'armements dans la région, à partir de laquelle des armes de destruction massive et des missiles balistiques pourraient atteindre le territoire de certains Etats membres de l'Alliance.

13. Toute attaque armée contre le territoire des alliés, de quelque direction qu'elle vienne, sera couverte par les articles 5 et 6 du Traité de Washington. Cependant, la sécurité de l'Alliance doit aussi s'envisager dans un contexte global. Les intérêts de sécurité de l'Alliance peuvent être mis en cause par d'autres risques de caractère plus général, notamment la prolifération des armes de destruction massive, la rupture des approvisionnements en ressources vitales ou des actes de terrorisme et de sabotage. Des arrangements existent au sein de l'Alliance qui permettent aux Etats membres de se consulter conformément à l'article 4 du Traité de Washington et, le cas échéant, de coordonner leurs efforts, notamment face à de tels risques.

14. Du point de vue de la stratégie de l'Alliance, ces risques différents doivent être envisagés de façons différentes. Même si les relations avec l'Union soviétique n'ont pas un caractère conflictuel et sont placées sous le signe de la coopération, les capacités militaires et le potentiel de renforcement de l'URSS, avec leur dimension nucléaire, constituent toujours le facteur le plus important que l'Alliance doive prendre en compte dans le maintien de l'équilibre stratégique en Europe. La fin de la confrontation Est-Ouest a toutefois fortement réduit le risque de conflit majeur en Europe. D'autre part, le risque est plus grand de voir se produire de façon inopinée des crises d'un autre type, nécessitant une réaction rapide, encore que ces crises-là seraient sans doute de moindre envergure.

15. De cette analyse du contexte stratégique découlent deux conclusions. La première est que la nouveauté de cet environnement n'affecte ni l'objet ni les fonctions de sécurité de l'Alliance, mais en fait ressortir la permanente validité. La seconde est que ce nouvel environnement offre en revanche à l'Alliance de nouvelles occasions d'inscrire sa stratégie dans le cadre d'une conception élargie de la sécurité.

PARTIE II

OBJECTIFS ET FONCTIONS DE SÉCURITÉ DE L'ALLIANCE

Objectif de l'Alliance

16. L'objectif essentiel de l'OTAN tel qu'il est énoncé dans le Traité de Washington et réaffirmé dans la Déclaration de Londres, est de sauvegarder la liberté et la sécurité de tous ses membres par des moyens politiques et militaires, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. En s'appuyant sur les valeurs communes de démocratie, de respect des droits de l'Homme et de primauté du droit, l'Alliance s'emploie depuis sa création à instaurer un ordre pacifique juste et durable en Europe. Cet objectif de l'Alliance reste inchangé.

Nature de l'Alliance

17. L'OTAN incarne l'association transatlantique qui établit un lien permanent entre la sécurité de l'Amérique du Nord et la sécurité de l'Europe. Elle est l'expression concrète d'un effort collectif visant à défendre les intérêts communs de tous ses membres.

18 Le principe fondamental qui guide l'action de l'Alliance est l'engagement commun et la volonté de coopération d'Etats souverains au service de l'indivisibilité de la sécurité de tous ses membres. La solidarité au sein de l'Alliance, qui tire sa substance et son efficacité des travaux menés quotidiennement à l'OTAN dans les domaines politique et militaire, garantit qu'aucun pays allié ne sera contraint de compter uniquement sur ses propres moyens pour répondre aux principaux défis de sécurité. Sans rien ôter au droit et au devoir qu'ont ses membres d'assumer leurs responsabilités d'Etat souverain en matière de défense, l'Alliance leur permet, par l'effort collectif, d'être mieux à même de réaliser leurs objectifs essentiels de sécurité nationale.

19. Le sentiment qu'ont ainsi les membres de l'Alliance de bénéficier d'un niveau égal de sécurité quelles que soient les différences de situation ou de potentiel militaire contribue à la stabilité globale en Europe et, partant, à la création de conditions favorables à une meilleure coopération entre eux, mais aussi avec des pays tiers. C'est sur cette base que les membres de l'Alliance peuvent chercher à édifier avec d'autres pays les structures de coopération en matière de sécurité qu'exige une Europe entière et libre.

Les tâches fondamentales de l'Alliance

20. Pour conduire sa politique de sécurité, conçue pour sauvegarder la paix, l'Alliance continuera à utiliser notamment les moyens suivants : maintien d'un potentiel militaire suffisant pour prévenir la guerre et assurer une défense efficace ; capacité globale de gérer avec succès des crises mettant en cause la sécurité de ses membres ; poursuite d'efforts politiques tendant à favoriser le dialogue avec les autres pays et recherche active d'une approche de la sécurité européenne faisant appel à la coopération, notamment dans le domaine de la maîtrise des armements et du désarmement.

21. Pour réaliser son objectif essentiel, l'Alliance remplit les tâches fondamentales de sécurité suivantes :

1. fournir l'une des bases indispensables à un environnement de sécurité stable en Europe, fondé sur le développement d'institutions démocratiques et sur l'engagement de régler les différends de manière pacifique, dans lequel aucun pays ne serait en mesure de recourir à l'intimidation ou à la coercition contre un Etat européen, quel qu'il soit, ni d'imposer son hégémonie par la menace ou le recours à la force ;

2. servir aux alliés, conformément aux dispositions de l'article 4 du Traité de l'Atlantique Nord, d'enceinte de consultation transatlantique sur toute question affectant leurs intérêts vitaux, notamment en cas d'événements représentant un risque pour leur sécurité, et de cadre de coordination appropriée de leurs efforts dans des domaines d'intérêt commun ;

3. exercer une fonction de dissuasion contre toute menace visant le territoire d'un Etat membre de l'OTAN, et une fonction de défense en cas d'agression ;

4. préserver l'équilibre stratégique en Europe.

22. D'autres institutions comme la Communauté européenne, l'UEO et la CSCE ont également un rôle à jouer dans ces domaines, selon leurs responsabilités et leurs vocations respectives. L'affirmation d'une identité européenne de sécurité et de défense montrera que les Européens sont prêts à assumer une plus grande part de responsabilités pour leur sécurité, et aidera à renforcer la solidarité transatlantique. En raison toutefois du nombre de ses membres et de l'étendue de ses capacités, l'OTAN a une position particulière qui lui permet de remplir ces quatre fonctions de sécurité essentielles. L'OTAN est le forum essentiel de consultation entre les alliés et l'enceinte où ceux-ci s'accordent sur des politiques touchant à leurs engagements de sécurité et de défense au titre du Traité de Washington.

23. En définissant en ces termes les fonctions essentielles de l'Alliance, les Etats membres confient que le domaine de compétences de l'Alliance, de même que les droits et obligations prévus dans le Traité de Washington, restent inchangés.

PARTIE III

UNE CONCEPTION LARGE DE LA SÉCURITÉ

Protéger la paix dans une Europe nouvelle

24. L'Alliance a toujours cherché à réaliser ses objectifs - le maintien de la sécurité et de l'intégrité territoriale de ses membres et l'établissement en Europe d'un ordre de paix juste et durable - par des moyens à la fois politiques et militaires. Cette approche globale demeure la base de sa politique de sécurité.

25. Mais ce qui est nouveau, c'est qu'en raison des profonds changements intervenus dans le contexte de la sécurité, jamais la possibilité d'atteindre les objectifs de l'Alliance par des moyens politiques n'a été aussi grande. On peut à présent tirer toutes les conséquences du fait que la sécurité et la stabilité ont des dimensions politique, économique, sociale et écologique, en plus de l'indispensable dimension de défense. Face à la diversité des défis auxquels l'Alliance est exposée, une conception large de la sécurité s'impose. On en trouve le reflet dans trois éléments mutuellement complémentaires de la politique de sécurité de l'Alliance : le dialogue, la coopération et le maintien d'un potentiel de défense collectif.

26. Par une recherche active du dialogue et de la coopération, qui s'appuie sur la volonté de maintenir un potentiel de défense collectif efficace, l'Alliance entend réduire les risques de conflit découlant d'un malentendu ou d'un acte délibéré, accroître la compréhension et la confiance mutuelles entre tous les Etats européens, faciliter la gestion des crises mettant en cause la sécurité des alliés, et augmenter les possibilités d'un véritable partenariat entre tous les pays d'Europe face aux problèmes communs en matière de sécurité.

27. A cet égard, la politique de maîtrise des armements et de désarmement de l'Alliance, qui favorise à la fois le dialogue et la coopération avec les autres pays, continuera de contribuer grandement à la réalisation des objectifs de sécurité de l'Alliance. Par la maîtrise des armements et le désarmement, les alliés cherchent à accroître la sécurité et la stabilité au niveau de forces le plus bas qui puisse être atteint en tenant compte des besoins de défense. Ainsi l'Alliance continuera de veiller à ce que les objectifs en matière de défense, de maîtrise des armements et de désarmement restent en harmonie.

28. En poursuivant ses objectifs fondamentaux et en accomplissant ses fonctions essentielles de sécurité, l'Alliance continuera à respecter les intérêts de sécurité légitimes des autres Etats, et à favoriser la résolution pacifique des différends conformément à la Charte des Nations Unies. L'Alliance agira pour le développement de relations internationales pacifiques et amicales, et elle soutiendra les institutions démocratiques. A cet égard, elle reconnaît la précieuse contribution apportée par d'autres organisations telles que la Communauté européenne et la CSCE, et sait que ces institutions et l'Alliance ont des rôles complémentaires.

Dialogue

29. La nouvelle situation qui existe en Europe a multiplié les possibilités de dialogue de l'Alliance avec l'Union soviétique et les autres pays d'Europe centrale et orientale. L'Alliance a établi des liaisons diplomatiques et des contacts militaires réguliers avec les pays d'Europe centrale et orientale, comme le prévoyait la Déclaration de Londres. Elle continuera à favoriser le dialogue par des liaisons diplomatiques régulières, et notamment par une intensification des échanges de vues et d'informations en matière de politique de sécurité. Ainsi, les alliés chercheront individuellement et collectivement à tirer pleinement parti des perspectives sans précédent qu'offre l'épanouissement de la liberté et de la démocratie dans toute l'Europe, et ils s'attacheront à promouvoir une plus grande compréhension mutuelle des préoccupations respectives en matière de sécurité, le but étant d'augmenter la transparence et la prévisibilité en matière de sécurité, et ainsi d'accroître la stabilité. Les militaires peuvent aider à surmonter les divisions du passé, notamment par une intensification des contacts et de la transparence sur le plan militaire. En oeuvrant pour le dialogue, l'Alliance fournira une base pour une meilleure coopération dans l'ensemble de l'Europe et pour que les divergences de vues et les conflits puissent être réglés par des voies pacifiques.

Coopération

30. Les alliés sont également déterminés à poursuivre la coopération avec tous les Etats européens sur la base des principes énoncés dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe. Ils s'efforceront de développer des modes de coopération bilatérale et multilatérale plus larges et productifs dans tous les domaines pertinents de la sécurité européenne, le but étant notamment de prévenir les crises ou, le cas échéant, d'en assurer une gestion efficace. Ce genre de partenariat entre les membres de l'Alliance et d'autres pays face à des problèmes spécifiques sera un élément essentiel de la transition vers une Europe entière et libre, loin des divisions d'autrefois. Cette politique de coopération est l'expression du caractère inséparable de la sécurité entre les Etats européens. Elle s'appuie sur l'idée, uniformément admise par les membres de l'Alliance, que si de nouvelles divisions politiques, économiques ou sociales s'établissaient et persistaient en Europe, elles pourraient être la source d'une instabilité future, et il faut donc les réduire.

Défense collective

31. L'approche politique de la sécurité prendra donc une importance croissante. Néanmoins, la dimension militaire reste essentielle. Le maintien d'un potentiel militaire adéquat et une volonté manifeste d'agir collectivement pour la défense commune restent essentiels à la réalisation des objectifs de l'Alliance sur le plan de la sécurité. Un tel potentiel, de même que la solidarité politique, est nécessaire pour prévenir toute tentative de coercition ou d'intimidation et pour garantir qu'une agression militaire contre l'Alliance ne puisse à aucun moment être perçue comme une solution offrant une perspective quelconque de succès. Ce potentiel est indispensable également pour que le dialogue et la coopération puissent être entrepris en confiance et produire les résultats souhaités.

Gestions des crises et prévention des conflits

32. Dans le nouveau contexte politique et stratégique de l'Europe, le succès de la politique de l'Alliance qui vise à préserver la paix et à prévenir la guerre dépend plus encore qu'auparavant de l'efficacité de la diplomatie préventive et d'une gestion efficace des crises mettant en cause la sécurité des pays membres. Une agression de grande ampleur en Europe est aujourd'hui beaucoup plus improbable, et le délai d'alerte serait important. Bien que d'une ampleur beaucoup plus réduite, la gamme et la diversité des autres risques potentiels pour l'Alliance sont moins prévisibles qu'auparavant.

33. Dans ces circonstances nouvelles, les possibilités de résoudre rapidement les crises sont plus grandes qu'auparavant. Le succès de la politique de l'Alliance exigera une approche cohérente, déterminée par les autorités politiques de l'Alliance, celles-ci procédant au choix et à la coordination de mesures appropriées de gestion des crises parmi un éventail de dispositions politiques et autres, y compris dans le domaine militaire. Dès le début et à toutes les étapes, les autorités politiques de l'Alliance exerceront un contrôle étroit. Des procédures appropriées de consultation et de décision sont essentielles à cet égard.

34. Il faut développer pleinement les possibilités de dialogue et de coopération dans toute l'Europe, pour aider à désamorcer les crises et éviter les conflits, étant donné que la propre sécurité des alliés est indissociablement liée à celle de tous les autres Etats européens. A cette fin, les alliés appuieront le rôle du processus de la CSCE et de ses institutions. D'autres organisations, telles que la Communauté européenne, l'Union de l'Europe occidentale et les Nations Unies, peuvent également avoir un rôle important à jouer.

PARTIE IV

ORIENTATIONS POUR LA DÉFENSE

Principes de la stratégie de l'Alliance

35. La diversité des défis auxquels est actuellement confrontée l'Alliance nécessite ainsi une conception large de la sécurité. La transformation du contexte politique et stratégique permet à l'Alliance de changer un certain nombre de caractéristiques importantes de sa stratégie militaire et de dresser de nouvelles orientations, tout en réaffirmant des principes fondamentaux éprouvés. Au Sommet de Londres, il a donc été décidé d'établir une nouvelle stratégie militaire et un dispositif de forces révisé en fonction de l'évolution de la situation.

36. La stratégie de l'Alliance continuera de refléter un certain nombre de principes fondamentaux. L'Alliance a un caractère purement défensif ; elle n'utilisera jamais aucune de ses armes, sauf pour se défendre, et elle ne se considère comme l'adversaire de personne. Les alliés conserveront une puissance militaire suffisante pour convaincre tout agresseur potentiel que l'usage de la force contre le territoire d'un des alliés se heurterait à une action collective et efficace de l'ensemble de ceux-ci et que les risques impliqués par le déclenchement d'un conflit l'emporteraient sur tous les gains qu'il pourrait escompter. Les forces des alliés doivent donc être aptes à défendre les frontières de l'Alliance, à stopper la progression d'un agresseur le plus loin possible vers l'avant, à maintenir ou rétablir l'intégrité territoriale des pays alliés et à mettre fin rapidement à la guerre en amenant un agresseur à reconsidérer sa décision, à cesser son attaque et à se retirer. Elles ont pour rôle de garantir l'intégrité territoriale et l'indépendance politique des Etats membres, contribuant ainsi à assurer la paix et la stabilité en Europe.

37. La sécurité de tous les alliés est indivisible ; une attaque contre l'un d'entre eux est une attaque contre tous. De ce fait, la solidarité et l'unité stratégique au sein de l'Alliance sont des conditions essentielles de la sécurité collective. La réalisation des objectifs de l'Alliance dépend très largement d'un partage équitable des rôles, des risques et des responsabilités, ainsi que des avantages de la défense commune. La présence en Europe de forces conventionnelles nord-américaines et de forces nucléaires des Etats-Unis reste indispensable à la sécurité de ce continent, qui est indissolublement liée à celle de l'Amérique du Nord. A mesure que le processus de développement d'une identité de sécurité et d'un rôle de défense européens progressera et se reflétera dans le renforcement du pilier européen au sein de l'Alliance, les membres européens de l'Alliance assumeront un plus haut degré de responsabilité pour la défense de l'Europe.

38. La caractère collectif de la défense de l'Alliance se concrétise dans des dispositions pratiques qui apportent aux alliés les avantages primordiaux qui découlent, sur les plans politique et militaire comme sur celui des ressources, d'une défense collective, et qui empêchent la renationalisation des politiques de défense, sans priver les alliés de leur souveraineté. Ces dispositions sont fondées sur une structure de commandement intégrée ainsi que sur des accords de coopération et de coordination. Parmi leurs éléments clés figurent des plans de forces collectifs, des plans opérationnels communs, des formations multinationales, le stationnement de forces hors du territoire national, le cas échéant sur une base de réciprocité, des mesures pour la gestion des crises et le renforcement des procédures de consultation, des normes et des procédures communes pour l'équipement, l'entraînement et la logistique, des exercices conjoints et combinés, et une coopération en matière d'infrastructure, d'armements et de logistique.

39. Pour protéger la paix et empêcher la guerre ou toute forme de coercition, l'Alliance maintiendra dans l'avenir prévisible une combinaison appropriée de forces nucléaires et de forces conventionnelle basées en Europe et maintenues à niveau là où ce sera nécessaire, même si ce niveau sera sensiblement réduit. Les deux éléments sont indispensables à sa sécurité et ne sauraient se substituer l'un à l'autre. Les forces conventionnelles contribuent à la prévention de la guerre en garantissant qu'aucun agresseur potentiel ne puisse espérer remporter une victoire rapide ou facile, ou obtenir des gains territoriaux, par des moyens conventionnels. Compte tenu de la diversité des risques auxquels l'Alliance pourrait être confrontée, celle-ci doit garder les forces nécessaires pour avoir devant elle toute une gamme de ripostes conventionnelles possibles. Mais les forces conventionnelles de l'Alliance ne peuvent à elles seules assurer la prévention de la guerre. Les armes nucléaires apportent une contribution unique en rendant incalculables et inacceptables les risques que comporterait une agression. Elles restent donc indispensables à la préservation de la paix.

Le nouveau dispositif des forces de l'Alliance

40. Au Sommet de Londres, les alliés concernés ont décidé de s'éloigner, là où cela paraissait approprié, de la notion de « défense en avant » pour s'orienter vers celle d'une présence en avant réduite, en même temps que de modifier le principe de la « riposte graduée » pour tenir compte d'une dépendance moins grande à l'égard de l'arme nucléaire. Cette évolution, déterminée par le nouveau contexte stratégique et par les risques différents devant lesquels se trouve maintenant l'Alliance, permet dans d'importants changements dans les missions des forces armées des alliés et clans leur dispositif.

Les missions des forces armées de l'Alliance

41. Le rôle principal des forces armées de l'Alliance, à savoir garantir la sécurité et l'intégrité territoriale des Etats membres, demeure inchangé. Ce rôle doit toutefois tenir compte du nouveau contexte stratégique, dans lequel une menace massive et globale unique a cédé la place à des risques divers de provenances multiples. Les forces de l'Alliance ont différentes fonctions à assumer en temps de paix, en période de crise et en temps de guerre.

42. En temps de paix, les forces armées alliées ont pour rôle de protéger les pays membres contre les risques pesant sur leur sécurité, de contribuer au maintien de la stabilité et de l'équilibre en Europe et d'assurer la préservation de la paix. Elles peuvent apporter une contribution au dialogue et à la coopération dans l'ensemble de l'Europe en participant aux activités destinées à accroître la confiance, y compris celles qui augmentent la transparence et améliorent la communication, ainsi qu'à la vérification des accords de maîtrise des armements. Les alliés pourraient, en outre, être appelés à contribuer à la stabilité et à la paix dans le monde en fournissant des forces pour des missions des Nations Unies.

43. En cas de crise pouvant finalement faire peser une menace militaire sur la sécurité de pays membres, les forces armées de l'Alliance peuvent compléter et renforcer les actions politiques dans le cadre d'une conception large de la sécurité, et ainsi contribuer à la gestion de ces crises et à leur règlement pacifique. Cela exige que ces forces aient la capacité de réagir en temps voulu et de façon mesurée dans de telles circonstances, de décourager toute action contre n'importe quel Allié et, en cas d'agression, de répondre à celle-ci et de la repousser ainsi que de rétablir l'intégrité territoriale des Etats membres.

44. Dans le nouveau contexte de sécurité, une guerre générale en Europe devenue hautement improbable, mais elle ne peut être définitivement exclue. Les forces armées de l'Alliance, qui ont pour mission fondamentale de protéger la paix doivent constituer la principale assurance contre les risques potentiels au niveau minimum, nécessaire pour prévenir toute espèce de guerre et, en cas d'agression pour rétablir la paix. D'où la nécessité de disposer des capacités et de la combinaison appropriée de forces qui ont déjà été décrites.

Orientations pour le dispositif militaire de l'Alliance

45. Pour pouvoir réaliser leurs objectifs en matière de sécurité et appliquer leurs principes stratégiques dans le nouveau contexte, les forces des alliés doivent être organisées de façon à pouvoir contribuer à la sauvegarde de la paix, à la gestion des crises qui touchent la sécurité des pays membres, et à la prétention de la guerre, en conservant à tout moment les moyens de défendre, en cas de besoin, l'ensemble du territoire de l'Alliance et de rétablir la paix. Le dispositif des forces alliées se conformera aux orientations développées dans les paragraphes ci-après.

46. Le volume, l'état de préparation et de disponibilité et le déploiement des forces armées de l'Alliance continueront d'en refléter la nature strictement défensive et seront adaptés comme il convient au nouveau contexte stratégique, y compris les accords de maîtrise des armements. Cela signifie en particulier :

(a) que le volume global des forces des alliés et, dans bien des cas, leur degré de préparation seront réduits ;

(b) que le maintien d'un dispositif complet de défense linéaire dans la région centre ne s'imposera plus. La répartition géographique des forces en temps de paix assurera une présence militaire suffisante sur tout le territoire l'Alliance, y compris là où ce sera nécessaire, par le déploiement à l'avant de forces appropriées. Il faudra tenir compte de considérations régionales, et en particulier des différences géostratégiques à l'intérieur de l'Alliance, avec notamment des délais d'alerte plus courts pour les régions nord et sud que pour la région centre et, s'agissant de la région sud, le potentiel d'instabilité et les capacités militaires qui existent dans les zones adjacentes.

47. Pour pouvoir, à ce niveau réduit, jouer un rôle efficace dans la gestion des crises et en cas d'agression contre n'importe quel Allié, les forces alliées auront besoin d'une souplesse et d'une mobilité accrues et il faudra assurer qu'elles puissent être complétées en temps voulu. C'est pourquoi :

(a) les forces disponibles comporteront, en proportion limitée mais militairement significative, des éléments terrestres, aériens et navals de réaction immédiate et rapide capables de répondre à un large éventail de circonstances, dont beaucoup sont imprévisibles. Elles seront d'une qualité, d'un volume et d'un niveau de préparation suffisants pour leur permettre de prévenir par la dissuasion une attaque limitée et, au besoin, de défendre le territoire des alliés contre des attaques, particulièrement celles qui seraient lancées sans un long délai d'alerte ;

(b) les forces des alliés seront organisées de telle sorte qu'elles puissent monter en puissance en temps utile. Cette capacité de mise en place d'un potentiel militaire plus important par le renforcement, par la mobilisation de réserves ou par la reconstitution de forces devra être déterminée en proportion des menaces potentielles pour la sécurité de l'Alliance, y compris pour le cas - improbable, certes, mais que la prudence impose de ne pas exclure - où éclaterait un conflit majeur. Par conséquent, des capacités de renforcement et de réapprovisionnement en temps voulu, aussi bien à l'intérieur de l'Europe qu'en provenance d'Amérique du Nord, seront d'une importance primordiale ;

(c) des structures de forces et des procédures appropriées, notamment pour permettre de compléter les forces, de les déployer et de les amener à un niveau moins élevé avec rapidité et d'une manière sélective, seront mises en place afin qu'il soit possible de réagir en temps voulu, avec mesure et de façon assez souple pour réduire et désamorcer les tensions. Ces dispositions devront être régulièrement vérifiées en temps de paix lors d'exercices ;

(d) en cas d'utilisation de forces, et notamment de déploiement d'unités de réaction et de renfort comme instrument de gestion des crises, les autorités politiques de l'Alliance assureront, comme auparavant, un contrôle étroit de leur mise en oeuvre à tous les stades. Les procédures existantes seront réexaminées en fonction des nouvelles missions et du nouveau dispositif des forces de l'Alliance.

Caractéristiques des forces conventionnelles

48. Il est essentiel que les forces armées des alliés possèdent, de façon crédible, la capacité de remplir leurs fonctions en temps de paix, de crise et de guerre en tenant compte du nouveau contexte de sécurité. C'est ce qui apparaîtra dans les niveaux de forces, les niveaux d'équipement, l'état de préparation et de disponibilité, l'entraînement et les exercices, les options de déploiement et d'utilisation, et l'aptitude à constituer des forces plus importantes, éléments qui seront tous ajustés en conséquence. Les forces conventionnelles des alliés comporteront, en plus des forces de réaction immédiate et rapide, des unités de défense principales, qui fourniront la majeure partie des forces nécessaires pour assurer l'intégrité territoriale de l'Alliance et garantir l'utilisation sans entrave des lignes de communication ; elles se composeront par ailleurs d'unités d'appoint, qui permettront de renforcer le potentiel existant dans une région particulière. Les forces de défense principales et les forces d'appoint comprendront à la fois des éléments d'active et des éléments mobilisables.

49. Les forces terrestres, navales et aériennes devront coopérer étroitement, se combiner et se porter assistance dans des opérations devant permettre d'atteindre des objectifs convenus. Ces forces seront les suivantes :

(a) des forces terrestres, indispensables pour tenir ou récupérer un territoire. Dans la plupart des cas, les niveaux de préparation seront normalement moins élevés, et, globalement, une place plus grande sera faite à la mobilisation et aux réserves. Toutes les catégories de forces terrestres devront avoir une efficacité au combat démontable et leur capacité de se déployer avec souplesse devra être améliorée comme il convient ;

(b) des forces navales, qui, en raison de la mobilité, de la souplesse et de la capacité de mener des opérations prolongées qui leur sont inhérentes, apportent une importante contribution aux dispositifs qui offrent à l'Alliance diverses options sur la manière de réagir en cas de crise. Leurs missions essentielles sont d'assurer une maîtrise des mers permettant de sauvegarder les lignes de communication maritimes des alliés, d'appuyer des opérations terrestres et amphibies, et de protéger le déploiement des moyens de dissuasion nucléaire embarqués de l'Alliance ;

(c) des forces aériennes, dont l'aptitude à remplir leurs rôles fondamentaux à la fois dans des opérations aériennes indépendantes et dans des opérations combinées - opérations de supériorité aérienne, interdiction aérienne et opérations offensives d'appui aérien - ainsi qu'à participer aux opérations de surveillance, de reconnaissance et de guerre électronique, est essentielle pour l'efficacité globale des forces armées des alliés. Le soutien qu'elles doivent apporter aux opérations terrestres et maritimes exigera qu'elles possèdent des capacités appropriées de transport sur de grandes distances ainsi que de ravitaillement en vol. Des forces de défense aérienne, dotées notamment de systèmes modernes de commandement et de contrôle aériens, sont nécessaires pour assurer la sécurité de l'environnement de défense aérienne.

50. Compte tenu des risques potentiels qu'elle représente, la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive devra faire l'objet d'une attention particulière. La solution de ce problème exigera de mettre en oeuvre des approches complémentaires faisant appel, par exemple, au contrôle des exportations et à des systèmes de défense antimissiles.

51. La stratégie de l'Alliance n'implique aucune dépendance vis-à-vis de la possession d'armes chimiques. Les alliés demeurent résolument favorables à ce qu'intervienne le plus rapidement possible une interdiction universelle, complète et effectivement vérifiable de toutes les armes chimiques. Toutefois, même après l'application d'une interdiction universelle, des précautions de nature purement défensive demeureront nécessaires.

52. Dans le nouveau contexte de sécurité, et compte tenu des réductions futures des niveaux de forces globaux, la capacité de coopérer étroitement, qui favorisera une utilisation rentable des ressources de l'Alliance, sera particulièrement importante pour l'accomplissement des missions des forces des alliés. L'organisation de la défense collective de l'Alliance, dans laquelle, pour les pays concernés, la structure militaire intégrée, y compris les forces multinationales, joue le rôle clé, sera essentielle à cet égard. Des structures européennes intégrées et multinationales, à mesure que se poursuivra leur développement dans le contexte d'une identité de défense européenne qui se dessine, auront également, de plus en plus, un rôle tout aussi important à jouer dans le renforcement de la capacité des alliés d'oeuvrer ensemble pour la défense commune. Les efforts des alliés dans le sens d'une coopération aussi large que possible seront guidés par les orientations communes pour la défense qui sont définies plus haut. Des dispositions pratiques seront mises au point pour garantir la transparence et la complémentarité mutuelles nécessaires entre l'identité européenne de sécurité et de défense et l'Alliance.

53. Afin de pouvoir s'adapter à une série de circonstances très diverses, les alliés concernés auront besoin de moyens efficaces de surveillance et de renseignement, de systèmes souples de commandement et de contrôle, de possibilités effectives de se déplacer à l'intérieur des régions et entre les régions, et de capacités logistiques appropriées, y compris dans le domaine des transports. Les stocks logistiques doivent être suffisants pour soutenir tous les types de forces et ainsi permettre une défense efficace dans l'attente du réapprovisionnement. L'aptitude des alliés concernés à constituer des forces plus importantes, bien équipées et bien entraînées, en temps voulu et à un niveau adapté à tout risque auquel serait exposée la sécurité de l'Alliance, constituera également un atout essentiel pour la gestion des crises et la défense. Elle englobera la capacité de renforcer toute partie du territoire des alliés qui serait en danger et d'établir une présence multinationale où et quand il le faudra. Des éléments des trois catégories de forces seront capables d'opérer avec souplesse dans le cadre d'un renforcement inter-européen ou transatlantique. Une bonne utilisation de ces capacités supposera la maîtrise des lignes de communication nécessaires ainsi que des dispositions appropriées en ce qui concerne le soutien et les exercices. Les ressources civiles seront de plus en plus importantes à cet égard.

54. Pour les alliés concernés, le dispositif de défense collective reposera de plus en plus sur la formation d'unités multinationales, complétant les apports nationaux à l'OTAN. L'existence de telles unités témoigne de la résolution de l'Alliance de conserver une défense collective crédible, accroît sa cohésion, renforce l'association transatlantique et consolide le pilier européen. La création de forces multinationales, en particulier de forces de réaction, va dans le sens d'une plus grande solidarité. Elle pourrait ainsi offrir la possibilité de déployer des unités plus performantes que ne le seraient peut-être des éléments purement nationaux, contribuant ainsi à une utilisation plus efficace des ressources comptées qui sont disponibles pour la défense. Il pourrait être nécessaire à ce titre d'adopter une approche multinationale hautement intégrée de tâches et de fonctions spécifiques.

Caractéristiques des forces nucléaires

55. Le rôle fondamental des forces nucléaires des alliés est politique ; préserver la paix et prévenir la coercition et toute forme de guerre. Elles continueront à remplir un rôle essentiel en maintenant l'incertitude dans l'esprit de tout agresseur sur la nature de la riposte des alliés à une agression militaire. Elles démontrent qu'une agression, qu'elle que soit sa forme, n'est pas une option rationnelle. La garantie suprême de la sécurité des alliés est assurée par les forces nucléaires stratégiques de l'Alliance, en particulier celles des Etats-Unis ; les forces nucléaires indépendantes du Royaume-Uni et de la France, qui remplissent un rôle de dissuasion qui leur est propre, contribuent à la dissuasion et à la sécurité globales des alliés.

56. Pour que le dispositif nucléaire de l'Alliance demeure crédible et pour que soient démontrées la solidarité de l'Alliance et sa volonté commune de prévenir la guerre, il reste nécessaire que les alliés européens concernés par la planification de la défense collective participent largement aux rôles nucléaires, au stationnement en temps de paix de forces nucléaires sur leur territoire et aux dispositifs de contrôle, de commandement et de consultation. Les forces nucléaires basées en Europe et affectées à l'OTAN constituent un lien politique et militaire essentiel entre les Européens et les membres nord-américains de l'Alliance. C'est pourquoi l'Alliance maintiendra des forces nucléaires appropriées en Europe. Ces forces doivent avoir les caractéristiques nécessaires, la souplesse et la capacité de survie appropriées pour qu'elles soient perçues comme un élément crédible et efficace de la stratégie des alliés visant à la prévention de la guerre. Elles seront maintenues au niveau minimum suffisant pour préserver la paix et la stabilité.

57. Les alliés concernés estiment qu'en raison des changements radicaux de la situation sur le plan de la sécurité, notamment avec le maintien des niveaux de forces conventionnelles en Europe en état de relatif équilibre et avec l'allongement des délais de réaction, l'OTAN sera beaucoup plus à même de désamorcer une crise par des moyens diplomatiques ou autres, ou encore de mener en cas de nécessité une défense conventionnelle efficace. Les circonstances dans lesquelles ils pourraient avoir à envisager une utilisation quelconque de l'arme nucléaire deviennent ainsi encore plus lointaines. De ce fait, ils sont en mesure de réduire de façon significative leurs forces nucléaires substratégiques. Ils maintiendront en Europe des forces nucléaires substratégiques adéquates, qui assureront un lien essentiel avec les forces nucléaires stratégiques, renforçant ainsi le lien transatlantique. Ces forces substratégiques seront constituées uniquement d'avions à double capacité, qui pourraient au besoin être complétés par des systèmes navals. Mais, en temps normal, aucune arme nucléaire stratégique ne sera déployée sur un navire de surface ou sur un sous-marin d'attaque. L'artillerie nucléaire et les missiles nucléaires sol-sol à courte portée ne sont pas nécessaires, et ces systèmes d'arme seront éliminés.

PARTIE V

CONCLUSION

58. Le présent Concept Stratégique réaffirme le caractère défensif de l'Alliance et la volonté de ses membres de sauvegarder leur sécurité, leur souveraineté et leur intégrité territoriale. La politique de sécurité de l'Alliance repose sur le dialogue, la coopération, et une défense collective efficace, qui sont des moyens mutuellement complémentaires de préserver la paix. Utilisant pleinement les nouvelles possibilités qui s'ouvrent à elle, l'Alliance maintiendra la sécurité au niveau de forces le plus bas que permettent les besoins de la défense. De cette façon, elle apporte une contribution essentielle à l'instauration d'une paix durable.

59. Les alliés continueront de rechercher énergiquement de nouveaux progrès en matière de maîtrise des armements et de mesures de confiance, en ayant pour objectif de renforcer la sécurité et la stabilité. Ils joueront également un rôle actif dans l'intensification du dialogue et de la coopération entre Etats sur la base des principes énoncés dans la Charte de Paris.

60. La stratégie de l'OTAN restera assez souple pour pouvoir tenir compte de toute nouvelle évolution de la situation politico-militaire, notamment des progrès accomplis vers l'affirmation d'une identité européenne de sécurité, ainsi que des changements qui interviendraient dans les risques pour la sécurité de l'Alliance. Pour les alliés concernés, le présent Concept Stratégique formera la base des travaux ultérieurs concernant la politique de défense de l'Alliance, ses concepts opérationnels, ses dispositifs de forces conventionnel et nucléaire et son système collectif de plans de défense.

ANNEXE 3

ARTICLE J.4 DU TITRE V DU TRAITÉ DE
L'UNION EUROPÉENNE

Article J.4 du titre V du traité de l'Union européenne

1.  La politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune.

2.  L'Union demande à l'Union de l'Europe occidentale (U.E.O.), qui fait partie intégrante du développement de l'Union européenne, d'élaborer et de mettre en _uvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense. Le Conseil, en accord avec les institutions de l'U.E.O., adopte les modalités pratiques nécessaires.

3.  Les questions qui ont des implications dans le domaine de la défense et qui sont régies par le présent article ne sont pas soumises aux procédures définies à l'article J.3.

4.  La politique de l'Union au sens du présent article n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant pour certains Etats membres du traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.

5.  Le présent article ne fait pas obstacle au développement d'une coopération plus étroite entre deux ou plusieurs Etats membres au niveau bilatéral, dans le cadre de l'U.E.O. et de l'Alliance atlantique, dans la mesure où cette coopération ne contrevient pas à celle qui est prévue au présent titre ni ne l'entrave.

6.  En vue de promouvoir l'objectif du présent traité et compte tenu de l'échéance de 1998 dans le cadre de l'article XII du traité de Bruxelles, le présent article peut être révisé, comme prévu à l'article N, paragraphe 2, sur la base d'un rapport que le Conseil soumettra en 1996 au Conseil européen et qui comprend une évaluation des progrès réalisés et de l'expérience acquise jusque là.

ANNEXE 4

DÉCLARATION DE PETERSBERG DU CONSEIL
DES MINISTRES DE L'UEO

(B
onn, 19 juin 1992)

« II. -  SUR LE RENFORCEMENT DU RÔLE OPÉRATIONNEL DE L'UEO

1. - Conformément à la décision de développer l'UEO en tant que composante de défense de l'Union européenne et comme moyen de renforcer le pilier européen de l'Alliance atlantique figurant dans la Déclaration des Etats membres de l'UEO rendue publique à Maastricht le 10 décembre 1991, les Etats membres de l'UEO ont poursuivi l'examen et la définition des missions, structures et moyens appropriés, couvrant en particulier une cellule de planification de l'UEO et des unités militaires relevant de l'UEO, afin de renforcer son rôle opérationnel.

2. - Les Etats membres déclarent qu'ils sont prêts à mettre à la disposition de l'UEO des unités militaires provenant de tout l'éventail de leurs forces conventionnelles en vue de missions militaires qui seraient menées sous l'autorité de l'UEO.

3. - Toute décision de recourir aux unités militaires relevant de l'UEO sera prise par le Conseil de l'UEO conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. La décision de participer à des opérations spécifiques restera du ressort national et sera prise par les Etats membres conformément à leurs Constitutions spécifiques.

4. - Outre une contribution à la défense commune dans le cadre de l'application de l'article 5 du Traité de Washington et de l'article V du Traité de Bruxelles modifié, les unités militaires des Etats membres de l'UEO, agissant sous l'autorité de l'UEO, pourraient être utilisées pour :

- des missions humanitaires ou d'évacuation de ressortissants ;

- des missions de maintien de la paix ;

- des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix.

5. - La planification et l'exécution de ces missions seront pleinement compatibles avec les dispositions militaires nécessaires pour assurer la défense collective de tous les alliés. (...)

ANNEXE 5

ARTICLE J.7 DU TRAITÉ D'AMSTERDAM

(ART. 17 DU TRAITÉ DE L'UNION EUROPÉENNE)

1.  La politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune, conformément au deuxième alinéa, qui pourrait conduire à une défense commune, si le Conseil européen en décide ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux Etats membres d'adopter une décision dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives.

L'Union de l'Europe occidentale (UEO) fait partie intégrante du développement de l'Union en donnant à l'Union l'accès à une capacité opérationnelle, notamment dans le cadre du paragraphe 2. Elle assiste l'Union dans la définition des aspects de la politique étrangère et de sécurité commune ayant trait à la défense, tels qu'ils sont établis dans le présent article. En conséquence, l'Union encourage l'établissement de relations institutionnelles plus étroites avec l'UEO en vue de l'intégration éventuelle de l'UEO dans l'Union, si le Conseil européen en décide ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux Etats membres d'adopter une décision dans ce sens conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives.

La politique de l'Union au sens du présent article n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.

La définition progressive d'une politique de défense commune est étayée, dans la mesure où les Etats membres le jugent approprié, par une coopération entre eux en matière d'armements.

2.  Les questions visées au présent article incluent les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix.

3.  L'Union aura recours à l'UEO pour élaborer et mettre en _uvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense.

La compétence du Conseil européen pour définir des orientations conformément à l'article J.3 vaut également à l'égard de l'UEO en ce qui concerne les questions pour lesquelles l'Union a recours à l'UEO.

Chaque fois que l'Union a recours à l'UEO pour qu'elle élabore et mette en _uvre les décisions de l'Union relatives aux missions visées au paragraphe 2, tous les Etats membres de l'Union sont en droit de participer pleinement à ces missions. Le Conseil, en accord avec les institutions de l'UEO, adopte les modalités pratiques nécessaires pour permettre à tous les Etats membres apportant une contribution aux missions en question de participer pleinement et sur un pied d'égalité à la planification et à la prise de décision au sein de l'UEO.

Les décisions ayant des implications dans le domaine de la défense dont il est question au présent paragraphe sont prises sans préjudice des politiques et des obligations visées au paragraphe 1, troisième alinéa.

4.  Le présent article ne fait pas obstacle au développement d'une coopération plus étroite entre deux ou plusieurs Etats membres au niveau bilatéral, dans le cadre de l'UEO et de l'Alliance atlantique, dans la mesure où cette coopération ne contrevient pas à celle qui est prévue au présent titre ni ne l'entrave.

5.  En vue de promouvoir la réalisation des objectifs définis au présent article, les dispositions de celui-ci seront réexaminées conformément à l'article N.

ANNEXE 6

LISTE DES MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL

- M. Paul QUILÈS

Député du Tarn (S)

Président de la Commission de la Défense

- M. Didier BOULAUD

Député de la Nièvre (S)

Vice-Président de la Commission de la Défense

- M. Loïc BOUVARD

Député du Morbihan (UDF)

 

- M. Antoine CARRÉ

Député du Loiret (DLI)

 

- M. Gérard CHARASSE

Député de l'Allier (RCV)

Secrétaire de la Commission de la Défense

- M. Pierre LELLOUCHE

Député de Paris (RPR)

Secrétaire de la Commission de la Défense

- M. Jean-Claude SANDRIER

Député du Cher (C)

Vice-Président de la Commission de la Défense

ANNEXE 7

AUDITIONS ET ENTRETIENS DU GROUPE DE TRAVAIL

I. - AUDITIONS MENÉES À PARIS

Mardi 26 janvier 1999 : M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères

Mercredi 27 janvier 1999 : M. Alain Richard, Ministre de la Défense

Mercredi 10 février 1999 : M. Régis de Belenet, Directeur des Affaires stratégiques, de Sécurité et du Désarmement au ministère des Affaires étrangères ; M. Marc Perin de Brichambaut, Directeur de la Délégation aux Affaires stratégiques au ministère de la Défense.

Mercredi 17 février 1999 : M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire Général de la Défense nationale

Mercredi 17 mars 1999 : Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des armées

II. - MISSION à LONDRES LES 27 ET 28 JANVIER 1999

Mercredi 27 janvier 1999 : Rencontre avec des parlementaires britanniques :

- M. Menzies Campbell, député libéral-démocrate

- M. John Maples et M. Dominic Grieve, députés conservateurs

- Lord Kennet

- Lord Newall

- M. Nigel Beard, député travailliste

et avec :

- M. Richard Hatfield, directeur politique au ministère de la Défense

- M. Stephen Gomersall, directeur de la sécurité internationale au ministère des Affaires étrangères

Jeudi 28 janvier 1999 :

- entretien avec M. George Robertson, Ministre de la Défense

- entretien avec M. Tony Lloyd, Ministre délégué au Foreign Office

- entretien avec M. Daniel Bernard, Ambassadeur de France, et le contre-amiral Jacques Gheerbrant, Attaché de défense

- déjeuner de travail à la Chambre des Communes avec la Commission de la Défense présidée par M. Bruce George

III. -  MISSION À WASHINGTON DU 2 AU 4 FÉVRIER 1999

Mercredi 3 février 1999 :

-  Table ronde au CSIS « Center for Strategic and International Studies » avec des experts des questions stratégiques et transatlantiques

-  Entretien au Pentagone avec M. Frank Kramer, Secrétaire adjoint à la Défene pour les questions de sécurité internationale, assisté de MM. Miller et Berry, Conseillers

-  Entretien à la Maison Blanche avec M. Bandler, Conseiller spécial pour la préparation du sommet de Washington, et M. Philip Gordon, Conseiller pour les affaires européennes

-  Entretien avec le Général Jean-François Louvion, attaché de défense

Jeudi 4 février 1999 :

-  Entretien avec M. Brzyinski, staff director de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, et M Steve Biegun, Conseiller du Président de la Commission

-  Entretien au Département d'Etat avec M. Thomas Pickering, sous-Secrétaire d'Etat adjoint, chargé des questions politiques

-  Entretien avec M. François Bujon, Ambassadeur de France

IV. -  MISSION À BRUXELLES LE 16 FÉVRIER 1999

-  Entretien avec M. Philippe Guélluy, Ambassadeur, représentant de la France auprès de l'OTAN,

-  Entretien avec le secrétaire général de l'OTAN, M. Javier Solana

-  Entretien avec le représentant permanent de l'Allemagne, M. Joachim Bitterlich

-  Entretien avec M. Klaus-Peter Klaiber, secrétaire général adjoint pour les affaires politiques (contexte politique du sommet de Washington)

-  Entretien avec M. Anthony Cragg, secrétaire général adjoint pour les plans de défense et les opérations, Président du groupe de travail pour la révision du concept stratégique

-  Entretien avec Sir John Goulden, Ambassadeur, représentant permanent du Royaume-Uni

-  Entretien avec M. Javier Conde de Saro, Ambassadeur, représentant de l'Espagne

-  Entretien avec le Général Klaus Naumann, Président du comité militaire

-  Entretien avec M. Douglas McElbaney, chargé d'affaires de la délégation des Etats-Unis

IV. -  MISSION À BONN LE 3 MARS 1999

- Entretien avec M. Hans-Friedrich von PLOETZ, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères

- Entretien avec M. Michael Steiner, Conseiller diplomatique de M. Gerhard Schröder, à la Chancellerie

- Rencontre avec M. Hans-Ulrich KLOSE, Président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag,, et plusieurs députés de la Commission

- Rencontre avec. Helmut WIECZOREK, Président de la Commission de la Défense du Bundestag, et plusieurs députés de la Commission

- Entretien avec M. Kolbow, secrétaire d'Etat parlementaire auprès de M. Rudolf Scharping, Ministre de la Défense

-  Entretien avec M. François Scheer, Ambassadeur de France

N°1495. - RAPPORT D'INFORMATION de M. Paul QUILES déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission de la défense nationale et des forces armées sur les négociations relatives au concept stratégique de l'OTAN et leurs conséquences sur la politique de défense et de sécrité.

() La composition de ce groupe de travail est la suivante : M. Paul Quilès, Président de la Commission, rapporteur, MM. Didier Boulaud et Jean-Claude Sandrier, vice-présidents de la Commission, M. Pierre Lellouche, secrétaire de la Commission, MM. Loïc Bouvard, Antoine Carré, Gérard Charasse.

() Voir : mon rapport d'information n° 1294 sur « L'Europe et sa sécurité : bilan et avenir de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Uniono européenne », déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour les Communautés européennes (mai 1994) ; voir également « Légitime Défense : vers une Europe en sécurité au XXIè siècle », Ed. P. Banon, 1996.

3 La définition des territoires auxquels s'applique l'article 5 a été révisée par l'article 2 du Protocole d'Accession au Traité de l'Atlantique Nord de la Grèce et de la Turquie et par les Protocoles d'Accession de la République fédérale d'Allemagne et de l'Espagne ;

4 Le 16 janvier 1963, le Conseil de l'Atlantique Nord a entendu une déclaration du Représentant de la France qui a rappelé que, par le scrutin d'autodétermination du ler juillet 1962, le peuple algérien s'est déclaré en faveur de l'indépendance de l'Algérie en coopération avec la France. En conséquence, le 3 juillet 1962, le Président de la République Française a solennellement reconnu l'indépendance de l'Algérie. Il résultait de cet état de choses que les départements français d'Algérie n'existaient plus en tant que tels et que tombaient du même coup les conséquences qu'impliquait la mention qui en est faite dans le Traité de l'Atlantique Nord.

A la suite de cette déclaration, le Conseil a constaté que toutes les dispositions du Traité de l'Atlantique Nord qui concernent les anciens départements français d'Algérie sont devenues sans objet à dater du 3 juillet 1962.