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N° 1963

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1)

sur la mondialisation

ET PRÉSENTÉ

PAR M. ROLAND BLUM,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Affaires étrangères

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LA MONDIALISATION : IMAGINAIRES ET RÉALITÉS 11

A - LA MONDIALISATION OU "L'HORREUR ÉCONOMIQUE" 11

1) La suprématie de la sphère financière 11

a) La libéralisation des marchés financiers 12

b) La responsabilité des marchés dans le déclenchement des crises 12

c) La responsabilité des marchés dans la transmission des crises 14

2) L'explosion des inégalités 15

a) La croissance des inégalités entre les pays 15

b) Les inégalités à l'intérieur des pays 18

c) Une responsabilité partagée 19

3) L'impuissance des Etats nationaux 20

a) La concurrence de nouveaux acteurs sur le plan international 20

b) Une marge de man_uvre réduite sur le plan national 21

B - LA MONDIALISATION OU LA NÉCESSAIRE ADAPTATION 23

1) Le marché et le besoin de régulation 23

a) Ce que nous disent les théories 23

b) Ce que nous apprend la pratique 24

2) L'apparition de nouveaux dangers 25

a) Mondialisation et criminalisation 25

b) Mondialisation et protection de l'environnement 27

c) Mondialisation et sécurité sanitaire 28

3) Le refus d'un modèle culturel unique 30

a) Mondialisation et américanisation 31

b) La culture n'est pas une marchandise comme une autre 32

c) Plaidoyer pour une attitude plus offensive 33

II - LA MONDIALISATION : UNE OPPORTUNITÉ A SAISIR 36

A - UNE MEILLEURE COOPÉRATION INTERNATIONALE 36

1) La coopération monétaire et financière 36

a) Le contrôle des mouvements des capitaux 37

b) Une nouvelle architecture financière internationale 39

2) La coopération commerciale 40

a) La reconnaissance d'un arbitre 41

b) Le maintien des rapports de force 42

3) La création de grandes zones économiques régionales 44

a) Une logique de régionalisation 44

b) La compatibilité entre régionalisation et mondialisation 45

B - UN APPROFONDISSEMENT DES RÉFORMES 47

1) Vers une communauté civile internationale 47

a) La citoyenneté planétaire 47

b) Les normes planétaires 48

c) Pour la création d'un Conseil de sécurité économique 50

2) La redéfinition du politique 50

a) L'Etat concurrencé 51

b) Plaidoyer pour un Etat stratège 52

3) Le pari de la croissance 53

a) Les bienfaits de l'Union européenne 53

b) Les réformes françaises 55

CONCLUSION 57

EXAMEN EN COMMISSION 59

ANNEXES

Annexe 1 : Liste des personnalités entendues par le Rapporteur 70

Annexe 2 : Audition de M. Michel Camdessus, direteur général du FMI,

le 13 octobre 1999 73

Annexe 3 : Audition de M. Felix Rohatyn, ambassadeur des Etats-Unis

en France, le 20 octobre 1999 79

Annexe 4 : La mondialisation : qu'est-ce qui est vraiment nouveau (extrait

du rapport mondial sur le développement humain 1999) 93

Annexe 5 : Crise(s) asiatique(s) : leçons provisoires et premiers espoirs

(une analyse de l 'Agence financière pour l'Asie de mars 1998) 95

Annexe 6 : La procédure de groupe spécial à l'OMC 103

Annexe 7 : Projets de convention et de recommandation concernant

l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants 105

Annexe 8 : Résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies sur la

promotion du développement dans le contexte de la mondialisation et de

l'interdépendance (New York, 15 décembre 1998) 113

Mesdames, Messieurs,

Dans un nouveau dictionnaire des idées reçues, le terme de mondialisation pourrait ainsi se définir :

Mondialisation : la cause de tous nos maux ; thème de mobilisation pour les manifestations ; s'insurger contre mais juger irresponsables ceux qui la refusent.

Le terme de « mondialisation » - avec ses synonymes, internationalisation, transnationalisation, globalisation - est devenu en quelques années une référence obligée, un "pont aux ânes", selon l'expression du Ministre de l'Economie, M. Christian Sautter, de toute analyse politique ou économique. Cette référence est-elle absente, comme ce fut le cas lors du discours de politique générale tenu par le nouveau Premier ministre, M. Lionel Jospin, devant l'Assemblée nationale, que cet oubli est aussitôt dénoncé, et à juste raison, comme une faute majeure.

Le succès de ce terme est tel qu'on le retrouve accolé, pour les qualifier, à toutes les activités humaines. Tout serait en voie de mondialisation : la production, la consommation, le commerce, les finances mais aussi le travail ou bien encore les habitudes de vie, l'architecture, la mode, la musique... Ainsi la mondialisation, que d'aucuns, nous y reviendrons, assimilent à une américanisation, serait à l'origine d'une uniformisation du monde.

L'allusion à la mondialisation - et il faut sans doute y voir la raison de son succès - est une façon simple et directe de se référer à des phénomènes multiples et complexes. Elle tient lieu tout à la fois de grille d'intelligibilité de la réalité, d'explication aux changements et remises en cause des situations acquises, de thème de mobilisation contre des dangers imaginaires ou non précisément identifiés ou bien encore de boucs émissaires pour les maux réels de nos sociétés : chômage, précarisation, marginalisation... Certains la présentent comme le dernier imaginaire susceptible de donner encore un sens de l'Histoire. Et il est pour le moins remarquable que la dernière réunion du G8 ait évoqué la nécessité d'une mondialisation «à visage humain », un qualificatif que l'on réservait naguère au communisme de l'ère Kroutchev. La mondialisation serait-elle en passe de devenir notre ultime idéologie ?

De l'avis de votre Rapporteur, la mondialisation ne mérite ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. Certes, il n'est pas dans notre intention de contester la nouveauté du processus que représente la mondialisation, bien au contraire. Les années 1970 ont connu le développement de ce qu'on appelait, à l'époque, les multinationales, mais il s'agissait le plus souvent ou d'approvisionner la société mère en ressources naturelles et marchés primaires, ou de conquérir, par l'implantation de filiales, de nouveaux marchés. Il existait encore, à l'image de ce que fut tout empire politique, un centre et une périphérie. Rien de tel aujourd'hui.

La production, dans la nouvelle entreprise globale, est organisée sur une base transnationale de façon à maximiser sa rentabilité économique. Chaque segment du processus productif est localisé en fonction des avantages comparatifs de chacun des pays : les segments nécessitant une forte proportion de main d'_uvre dans les pays à bas salaires, ceux coûteux en énergie dans les pays riches en sources énergétiques, etc.... L'essentiel devient la capacité à mobiliser les compétences de chacun, ce qui explique la multiplication des fusions, acquisitions, prises de participation diverses dont l'objectif est de pousser au maximum le gain d'efficacité. Quitte à s'allier sur un marché tout en restant concurrents sur un autre.

La globalisation ne concerne pas uniquement les grands groupes. Lors d'une mission à New-York, votre Rapporteur a rencontré M. Jean-Paul Vallès, le président d'une société, «Minerals technologies », spécialisée dans le papier haut de gamme, qui a su occuper ce que l'on appelle dans le domaine commercial une «niche», qui ne l'empêche pas d'être présente, en termes de sites de production, dans plus de 53 pays.

Voilà comment, en mai 1993, un journaliste du «Monde diplomatique », un journal qui s'est fait une spécialité - presque une raison d'être - de pourfendre la mondialisation, décrivait la nouvelle entreprise globale : « l'entreprise globale n'a plus de centre, elle n'est qu'un réseau constitué de différents éléments complémentaires, éparpillés à travers la planète... Ainsi, une entreprise française peut emprunter en Suisse, installer ses centres de recherche en Allemagne, acheter ses machines en Corée du Sud, baser ses usines en Chine, élaborer sa campagne de marketing et de publicité en Italie, vendre aux Etats-Unis et avoir des sociétés à capitaux mixtes en Pologne, au Maroc et au Mexique ». La mondialisation est alors ressentie comme une perte des repères et des identités.

Les distances, le sens et la valeur des lieux s'apprécient désormais au niveau mondial et évoluent avec le temps. A l'image de l'entreprise globale, le monde devient réseau, ce qui n'est pas sans poser de sérieux problèmes, nous le verrons au cours de notre étude, à tout ce qui se définit par rapport à des espaces fermés, à des frontières, au premier rang desquels, naturellement, les Etats.

La mondialisation des années 90 représente en conséquence un véritable changement de nature par rapport à la situation qui prévalait il y a encore vingt ans, et non simplement une variation de niveau ou de rythme. Il y a d'ailleurs eu dans la période contemporaine un certain recul de l'un des aspects historiquement les plus importants de la mondialisation : les migrations internationales.

Comment est-il possible de mesurer cette mondialisation ?

La première forme traditionnelle de la mondialisation est constituée par les transactions commerciales. Le commerce mondial des marchandises a progressé en volume et en moyenne annuelle de 6% entre 1950 et 1997, ce qui représente un rythme supérieur à celui de la production mondiale de marchandise qui n'a, de son côté, augmenté que de 3,7%. Les transactions commerciales ont donc progressé 1,6 fois plus vite que la production. Ainsi le degré d'ouverture des pays développés, mesuré par le ratio entre le commerce extérieur et le PIB, est passé de 16,6% à 24,1% entre 1985 et 1997. Dans les pays en développement, cet indicateur est passé de 22,8 à 38% durant la même période. Le commerce des services a augmenté près de deux fois plus vite dans les pays industrialisés que le commerce des marchandises entre 1980 et 1995 ; il représente aujourd'hui le quart du commerce mondial.

La deuxième forme de la mondialisation est la mondialisation industrielle. Le total des flux des investissements directs à l'étranger (IDE) qui représentait 1% du PNB mondial en 1980 a atteint 2,5% en 1997. La croissance de l'IDE a été particulièrement importante ces dernières années : il est passé de 253 milliards de dollars en 1994 à 649 milliards en 1998, soit une multiplication par 2,5 en 5 ans. On a pu observer un redéploiement des investissements vers les services (télécommunications, services financiers, transports aériens, services informatiques) en corrélation avec les mouvements de déréglementation et de privatisation, alors que dans les années 50 et 60, les IDE concernaient surtout les activités primaires (matières premières notamment) en provenance des Etats-Unis.

Autre élément significatif, les fusions-acquisitions explosent ; selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le montant total de ces fusions-acquisitions aurait atteint 411 milliards de dollars en 1998, soit une augmentation de 74% par rapport à 1997, déjà en hausse de 47% par rapport à 1996.

Enfin, la mondialisation a pris également la forme de la globalisation financière, accusée aujourd'hui de bien des maux, votre Rapporteur y reviendra longuement.

Mais la mondialisation ne se résume pas à des chiffres. Elle réside tout autant, sinon davantage, dans l'apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale et dans la mise en _uvre de stratégies nouvelles.

Traditionnellement, le développement de la mondialisation est imputé à trois causes : la faillite du système de Bretton Woods ; les progrès technologiques ; les politiques de déréglementation.

L'ambition des accords de Bretton Woods signés à la fin de la seconde guerre mondiale, en 1944, avait été la construction d'un système monétaire international stable fondé sur des taux de change fixes rivés au dollar, mais que ce système n'a pas pu résister aux attaques spéculatives. La décision du Président Nixon, le 15 août 1971, de suspendre la convertibilité du dollar en or, marque l'échec du système de Bretton Woods, dont l'acte de décès est définitivement entériné deux ans plus tard en mars 1973, au profit d'un régime de taux de change flottants, ce qui entraînait par là même l'internationalisation et la déréglementation des mouvements de capitaux.

Dès lors, la montée en puissance de la sphère financière a ouvert la voie à ce que M. Jacques Attali a appelé «l'économie de la panique ». Aujourd'hui, expliquait M. Jacques Attali dans le Monde du 14 janvier 1998, «une devise et une économie ne valent jamais que ce que la panique décide». Selon lui, la panique, qui doit être considérée non comme un dérèglement de l'économie de marché mais comme sa substance même, est au c_ur des mécanismes de déclenchement de toute crise. Evoquant la crise asiatique, il estime que «rien ne se serait déclenché si une panique n'avait pris les détenteurs de monnaies thaïlandaise, puis malaise, puis indonésienne, lorsqu'ils ont réalisé brusquement que la hausse du dollar rendrait intolérable l'endettement avec lequel, jusque-là, ils vivaient très bien». La mondialisation des marchés, loin de contribuer à stabiliser les marchés, contribue à les fragiliser en levant «les ultimes barrières à la propagation de la panique».

Ce qu'on appelle les nouvelles technologies (dont Internet est la partie émergée de l'iceberg) ont eu pour effet principal, notamment par la baisse des coûts de transport et de communication, de contribuer à la dématérialisation de l'économie et à une interconnexion étroite entre les événements et les lieux. Au début du siècle, expliquent Mme Catherine Lalumière et M. Jean-Pierre Landau dans un rapport commun au Premier ministre sur les négociations commerciales multilatérales (juillet 1999), on échangeait des tonnes d'acier ; aujourd'hui le commerce mondial porte sur les semi-conducteurs, dont la valeur unitaire par kilogramme est beaucoup plus élevée. « A la limite, estiment les auteurs, on échange de l'information dont le poids est nul ». Ce sont les nouvelles technologies qui ont permis l'émergence de ce monde global où l'échange devient immatériel et la production sans localisation.

Les politiques de déréglementation ont encore accentué ce phénomène. Au cours des années 1990, la création de nombreuses zones de libre-échange (au premier rang desquelles le marché intérieur européen et l'ALENA) et les négociations successives du GATT permirent d'aplanir les obstacles à la circulation internationale des capitaux, des marchandises et des prestations de services. Cette liberté accrue contribua à une augmentation de la croissance mondiale par le biais d'un accroissement des échanges extérieurs. Certains s'interrogent aujourd'hui pour savoir si cette politique de déréglementation n'a pas été trop loin.

La mondialisation a considérablement renforcé l'interdépendance entre les différentes régions du monde. Le «village planétaire» évoqué par le Canadien McLuhan dans les années soixante est en passe de devenir une réalité. M. Jérôme Monod, dans l'entretien qu'il nous a accordé, a insisté sur l'importance désormais attachée à la diversification des nationalités au sein des conseils de surveillance et d'administration des grandes entreprises et des directions opérationnelles de tous les grands groupes. Par ailleurs, aucun chef d'entreprise, a-t-il estimé, ne peut plus se désintéresser aujourd'hui de ce qui se passe sur un autre marché du monde, aussi lointain soit-il, car ces événements auront inéluctablement une incidence sur ses affaires. C'est ce qu'exprime de manière imagée la fable du papillon, souvent citée par nos interlocuteurs, selon laquelle un battement de l'aile d'un coléoptère aux confins du monde est susceptible de provoquer un cataclysme à quelques milliers de kilomètres de là.

La mondialisation a considérablement bouleversé les équilibres internes et les instruments de régulation nationaux et internationaux. Elle contribue à accentuer ou créer de nouvelles différences au sein des pays et entre les pays riches et pauvres. Face à ces nouveaux défis, le politique apparaît souvent désorienté, se réfugiant souvent de manière fataliste derrière la force des choses, et la communauté internationale peine - comme l'illustrent de manière cruelle les récentes péripéties de désignation du directeur général de l'OMC - à dégager une stratégie recueillant un consensus.

Tous les pays pourtant ne craignent pas de manière égale la mondialisation. Ceux qui la dénoncent le plus sont ceux qui la considèrent comme porteuse de déracinement, de perte d'identité et de cohésion sociale. Tel est souvent le cas en France. La situation est plus contrastée aux Etats-Unis.

Certes, ainsi que l'explique Jean-Marie Guéhenno dans un récent article de «politique étrangère» (printemps 1999), «la mondialisation est sans doute pour beaucoup d'Américains une "nouvelle frontière" qui, dans le monde de l'économie virtuelle, prolonge et répète à l'échelle planétaire ce que fut l'expérience américaine de la conquête progressive de son espace». M. David Marchick, deputy assistant secretary for trade policy, a nuancé cette vision optimiste au cours de notre rencontre à Washington. La classe politique américaine, nous a-t-il expliqué, a des sentiments très mitigés par rapport à la mondialisation, car elle est en contact permanent avec les vaincus de la mondialisation, ceux qui subissent un licenciement du fait de la fermeture de leur usine victime de la concurrence étrangère. La mondialisation n'est acceptée et acceptable par les Etats-Unis que si elle sert la puissance américaine. Elle cesse de l'être dès lors qu'elle prétend, comme le rappelle Jean-Marie Guéhenno, imposer à l'ordre juridique américain un ordre qui lui serait supérieur.

Faut-il avoir peur de la mondialisation ? Comment la France peut-elle s'adapter pour la saisir comme une opportunité d'un avenir meilleur ? Telles sont les questions auxquelles ce rapport voudrait s'efforcer de répondre en rappelant tout d'abord les arguments des adversaires et des partisans de la mondialisation, et en s'interrogeant ensuite sur les marges de man_uvre qu'il peut rester au politique.

I - LA MONDIALISATION : IMAGINAIRES ET RÉALITÉS

Le débat sur la mondialisation est devenu un combat de valeurs. D'un côté, ceux qui, à l'image de Mme Viviane Forrester, agitent "la crainte insidieuse, l'effroi diffus mais justifié, de voir des êtres humains en grand nombre tenus pour superflus. Non pas subalternes, ni même réprouvés : superflus. Et par là nocifs. Et par là ..." (L'horreur économique - Fayard - 1997). De l'autre, ceux que l'on classe comme "libéraux", ceux qui, à l'image d'Alain Minc, "persistent et signent : la mondialisation est heureuse" (La mondialisation heureuse - Plon - 1997).

L'importance du débat mérite sans doute plus de sérénité.

A - La mondialisation ou "l'horreur économique"

Avant la grande dépression de 1929, les crises économiques apparaissaient comme inévitables mais étaient créditées d'une utilité purgative. A défaut pour les gouvernements d'en pouvoir atténuer les effets, elles étaient censées participer à l'assainissement des économies et permettre le retour à un cycle de croissance. La révolution keynésienne a mis fin à cet éloge de la souffrance et de la patience en redonnant à l'Etat, à travers les dépenses publiques, un rôle actif. L'espoir naissait d'un monde capitaliste sans crise. Mais cet espoir s'est très vite révélé une utopie.

Depuis le début de la décennie, le monde a connu trois grandes crises financières internationales : celle du SME en 1992-1993 ; celle du Mexique en 1994-1995 ; celle de l'Asie du Sud-Est en 1997-1998. Cette dernière crise a fait perdre leur emploi à plusieurs dizaines de millions de personnes et amputer le niveau de vie de centaines de millions d'autres. Ces crises apparaissent de moins en moins salutaires : elles sont souvent inexplicables au regard des fondamentaux de l'économie réelle, de plus en plus discriminantes entres riches et pauvres, de moins en moins possibles à contrôler.

1) La suprématie de la sphère financière

La lecture des titres de la presse financière tout au long de la crise asiatique - une déconnexion de la sphère financière ? ; économie financière contre économie réelle ? ; les marchés financiers sont-ils stupides ? - témoignent des interrogations qui ont surgi sur les bienfaits à attendre de la libéralisation des marchés financiers.

a) La libéralisation des marchés financiers

La libéralisation des marchés financiers a commencé dans les années soixante-dix avec l'effondrement du système de taux de change fixes ; elle a été encouragée dans les années quatre-vingts, notamment en France, par le démantèlement des contrôles nationaux sur les mouvements des capitaux ; elle a été soutenue à la fin des années quatre-vingts et au début des années quatre-vingt-dix par l'ouverture des pays en développement dits à économie émergente, principalement les économies d'Asie du Sud-est et dans une moindre mesure celles d'Amérique latine. Cette libéralisation a été en permanence nourrie par un processus d'innovations financières accéléré, qui a poussé les instances réglementaires nationales à davantage encore de déréglementation, de crainte que leur pays ne soit laissé en marge du marché mondial financier.

Cette libéralisation accrue des capitaux devait se traduire selon les théories économiques par des avantages importants en termes de croissance, liés à une meilleure allocation de l'épargne et de l'investissement vers les emplois les plus productifs. Jean-Pierre Landau, l'ancien directeur des relations économiques extérieures, décrit ainsi, dans un article de la revue Esprit de l'été 1998, un monde sans mouvements internationaux de capitaux : « Chaque pays serait dans l'obligation d'équilibrer à tout instant ses échanges extérieurs. Ceci favoriserait, encore plus qu'aujourd'hui, le protectionnisme et le mercantilisme, les guerres commerciales et la conquête à tout prix des parts de marché. Dans les pays vieux et riches, il serait impossible de placer l'épargne dans des emplois vraiment rémunérateurs. Les pays émergents - qui sont jeunes et moins riches - trouveraient difficilement à financer leurs investissements. Ils dépendraient des financements publics et des concours des organisations internationales, ce qui limiterait et contraindrait fortement leur croissance ».

Nul ne songe à contester aujourd'hui que si les pays dits émergents ont connu depuis quinze ans une croissance aussi forte, ils le doivent en grande partie à l'investissement direct étranger et à leur accès aux marchés de capitaux internationaux. Mais cette prospérité a été de pair avec une montée de l'instabilité qui, longtemps sous-jacente et ignorée, a brusquement été révélée par la crise asiatique de juillet 1997.

b) La responsabilité des marchés dans le déclenchement des crises

Lors d'une mission effectuée au Japon, tous les interlocuteurs de votre Rapporteur, et notamment MM. Takeshi Jingu et Tadao Chino du Nomura Research Institute, ou encore M. Akira Nagashima, de la Banque du Japon, ont donné la même explication des origines de la crise asiatique : le rôle déstabilisateur des entrées rapides et massives de capitaux étrangers au cours de la décennie 1985-1995, et plus encore de 1995 à 1997.

Cet afflux de capitaux s'expliquait par une double raison : la perspective de placements lucratifs suscités par les objectifs de croissance très ambitieux des gouvernements asiatiques et l'absence apparente de risque sur le taux de change en raison du lien établi par la plupart des pays asiatiques, sous une forme ou sous une autre, avec la devise américaine. Sous cet afflux, le niveau de capitaux dans des pays bénéficiant déjà d'une tradition de fort taux d'épargne a très vite dépassé la capacité d'absorption des économies asiatiques mesurées en terme de projets industriels et de participations significatives dans les entreprises locales. Ce phénomène a été d'autant plus négatif que les banques locales n'ont pas joué leur rôle d'intégrateur financier et transformé les capitaux à court terme en investissements productifs.

Ce contexte de crédit abondant a permis de soutenir des rythmes de croissance très forts, alors même que sont progressivement apparus les symptômes d'une crise de surinvestissement et de surendettement : tendance à la déflation dans les branches dont l'excès d'investissements conduisait à des surcapacités industrielles (notamment en Corée), apparition de bulles spéculatives sur les marchés boursiers et immobiliers (en Thaïlande et Malaisie), et fragilisation accrue des systèmes bancaires. La stabilité de l'édifice reposait entièrement sur la confiance. Lorsque celle-ci est venue à manquer, l'édifice s'est écroulé.

La crise mexicaine a constitué une première alerte en laissant à penser que certains pays d'Asie pouvaient présenter des indices de fragilité similaire. Puis l'appréciation du dollar en 1996-1997 a contribué à dégrader la compétitivité de ces mêmes pays. Au cours du deuxième trimestre 1997, les flux de capitaux se sont inversés, notamment pour la Thaïlande qui a été contrainte le 2 juillet 1997 à laisser flotter sa monnaie. L'ensemble des pays d'Asie - la Malaisie, les Philippines, l'Indonésie et la Corée du sud - dont les économies sont concurrentes et étroitement complémentaires, furent à leur tour frappés au cours du premier semestre 1997 sous la triple influence des dévaluations en chaîne des taux de change (phénomène de dominos), de la fuite de capitaux quittant en masse l'Asie par effet de mimétisme, et de l'effondrement des flux commerciaux. Le PIB du Japon recule de 3 % en 1998.

c) La responsabilité des marchés dans la transmission des crises

La crise s'est ensuite étendue en 1998 à d'autres économies émergentes, notamment la Russie (dévaluation du rouble annoncée le 17 août 1998) et le Brésil (flottement du réal en janvier 1999). La crise en Russie a bien évidemment des raisons structurelles dues à l'augmentation des besoins en financements publics, mais elle est également la conséquence, d'une part, de la défiance accrue des investisseurs à l'égard des pays émergents à la suite de la crise asiatique et d'autre part, de l'effondrement des cours du pétrole (qui a chuté de 50% en 1998) entraîné par le ralentissement de la croissance mondiale. L'effondrement du rouble et le moratoire sur la dette publique russe a ravivé la méfiance à l'égard de l'économie brésilienne, dont les déséquilibres macro-économiques ont suscité brusquement l'inquiétude des investisseurs et les attaques spéculatives, entraînant une dévaluation de 40% du réal brésilien en janvier 1999.

Pour leur part, les Etats-Unis et l'Europe, qui ont eux aussi subi le contrecoup de la baisse de la demande qui leur était adressée par la zone asiatique, ont été toutefois largement épargnés par le ralentissement économique de 1998 en raison du dynamisme de leur demande intérieure. Cette demande a en effet bénéficié de la baisse du prix des matières premières et du flux de capitaux en provenance des marchés émergents en crise.

Au total, la croissance mondiale en 1998 s'est stabilisée à 2,5% en 1998 contre 4% par an depuis 1994 mais ce chiffre moyen cache des situations très contrastées.

Les Occidentaux qui, nous venons de le rappeler, n'ont pas été les principales victimes de la crise asiatique, ont été néanmoins très impressionnés par la rapidité avec laquelle celle-ci s'est propagée à l'ensemble des pays du monde. L'une des raisons de cet étonnement, selon M. Ian Kinniburgh, l'un des responsables du département des affaires économiques et sociales de l'ONU, que nous avons rencontré à New-York, tient à ce que pour la première fois dans l'histoire économique, une crise qui a frappé en premier lieu les pays en développement, s'est étendue par la suite aux pays développés. Le schéma traditionnel est inversé. Les Occidentaux découvrent l'interdépendance, non plus seulement entre membres du G7 mais également avec les pays - ou tout au moins certains pays - en développement. Non seulement désormais un choc initial se communique à l'ensemble des partenaires commerciaux et financiers du pays affecté, sans qu'aucune zone ne puisse se considérer à l'abri de la contagion, mais les délais de transmission entre le choc initial et ses impacts sont considérablement raccourcis.

Dans le monde actuel, caractérisé par la parfaite mobilité des capitaux et la globalisation financière, la propagation des chocs passe d'abord par la finance et ensuite par le commerce.

Les transactions journalières sur les marchés des changes représentent aujourd'hui plusieurs dizaines de fois le commerce mondial journalier. Cela signifie, d'une part que les transactions commerciales donnent lieu à une multiplicité d'opérations de change liées notamment à la protection des risques de change et d'autre part qu'une fraction non négligeable des transactions sur les changes s'effectue pour des motivations strictement financières, sans contrepartie commerciale. Dès lors que l'on admet que les prix des marchés se déterminent moins aujourd'hui en fonction des déterminants économiques fondamentaux que selon les anticipations des tendances haussières et baissières des marchés, force est de reconnaître que la sphère financière est bien susceptible de s' « autonomiser » à certains moments - et pour des périodes parfois assez longues - par rapport à l'économie réelle.

En conséquence, l'hypothèse de survenance d'une crise financière généralisée entraînant à sa suite l'économie réelle ne peut être écartée. On comprend pourquoi M. Michel Aglietta, professeur à l'Université de Paris-X Nanterre concluait sa contribution au dernier rapport annuel du CEPII par cette prédiction : « les crises financières ont de beaux jours devant elles ».

2) L'explosion des inégalités

Après avoir évoqué la mondialisation sous son aspect économique et financier, nous voudrions maintenant l'aborder sous son aspect social et humain. La question la plus importante sur la mondialisation - la seule question qui vaille - est celle de son influence sur le bien-être humain, où que l'individu se trouve. C'est à cette aune qu'il conviendra in fine de juger la mondialisation.

« L'une des caractéristiques les plus fréquentes de la diffusion du mode de production capitaliste est le double phénomène d'intégration et d'exclusion qu'elle suscite » écrit Jacques Adda dans son ouvrage consacré à «la mondialisation de l'économie» (La découverte, 1996). Ces deux notions sont à considérer sous plusieurs aspects.

a) La croissance des inégalités entre les pays

Tout d'abord, la mondialisation contribue-t-elle à une meilleure intégration des nations dans l'économie mondiale, ou au contraire valide t-elle une marginalisation de certains pays, de certaines régions, dans les flux d'échanges, d'investissements et de financements ?

L'intégration des marchés a été favorisée sous l'impulsion de trois facteurs : la libéralisation du commerce, l'explosion du volume de l'investissement direct à l'étranger et la diffusion croissante de l'information et des technologies. Et cette intégration a été globalement bénéfique aux pays en développement.

Depuis 1948, les huit séries de négociations commerciales du GATT ont permis d'abaisser les tarifs douaniers des pays industrialisés de près de 40% en moyenne à moins de 4% depuis le 1er janvier 1999. Durant cette même période, nous l'avons rappelé en introduction, la croissance du commerce mondial a été plus rapide que celle de la production. Le volume du premier a été multiplié par 16 contre 5,5 pour la seconde. La part des pays en développement dans le commerce mondial s'est renforcée pour atteindre 30% alors qu'elle était inférieure à 20% il y a seulement quinze ans.

Les marchés du monde en développement ont également bénéficié de la croissance des investissements directs à l'étranger. Ils en absorbaient 37 % en 1997, ce qui en volume et sur dix ans représente une multiplication par dix-sept du montant des apports. Cette part a toutefois baissé à 25% en 1998 du fait d'une part de l'accroissement considérable des investissements à l'étranger dans les pays développés, et d'autre part de la crise asiatique.

Au reste, cette augmentation des échanges et des investissements a favorisé la diffusion du savoir et de la technologie au profit d'une part croissante de la population mondiale.

Evolution tout aussi importante, les pays en développement ont considérablement développé les relations entre eux : considérés globalement, ils absorbent aujourd'hui plus du tiers de leurs exportations totales en 1996, contre moins d'un quart il y a dix ans. Le contenu de ces exportations a considérablement évolué. Toujours selon les chiffres de l'OCDE, entre 1950 et 1980, la part des produits manufacturés dans leurs exportations totales a oscillé entre 30 et 40%. Mais à partir de 1981, cette courbe d'évolution, jusque là sans relief, s'est brusquement redressée pour monter jusqu'à 84% en 1996.

Ces résultats globaux, personne ne les conteste, mais il importe d'aller au-delà car libéralisation des échanges, intégration des marchés, résorption de la pauvreté ne sont pas un processus automatique et certains pays sont restés sur le bord de la route.

Tous les pays ne sont pas à égalité devant la mondialisation. Le rapport mondial sur le développement humain pour 1999 publié par le Programme des Nations Unies pour le développement a recensé plus de 80 pays dont le revenu par habitant est inférieur aujourd'hui à ce qu'il était il y a dix ans. Il rappelle également que l'écart de revenu entre les 20% les plus pauvres de la population mondiale et les 20% les plus riches s'est accru de manière sensible : de 1 à 30 en 1960, il est passé de 1 à 60 en 1990 et de 1 à 74 en 1997. Toujours selon ce rapport, les trois plus grosses fortunes du monde - dont les noms ne sont pas cités - posséderaient ensemble plus que le PNB total du groupe des pays les moins avancés (les PMA) qui compte plus de 600 millions d'habitants.

Il importe de souligner que la marginalisation de certains pays s'est accrue avec la mondialisation. Dans un récent rapport intitulé «Optimiser les bénéfices de l'ouverture des marchés» (1999), l'OCDE reconnaît que «pour l'essentiel, le continent africain n'a pas profité de la forte croissance des flux de capitaux privés et reste très tributaire de l'aide publique au développement ». La part de l'Afrique dans les échanges mondiaux (moins de 5%) ne cesse d'ailleurs de décroître depuis la fin des années 60. L'Afrique ne bénéficie également, selon la CNUCED, que de 1,3% des investissements directs mondiaux et de 5% de ceux des pays en développement.

En revanche, l'Asie a été l'une des régions a tirer le plus de profit de la mondialisation, en dépit même de la crise financière : selon l'Institut de recherche économique, production et développement (IREPD), six Asiatiques sur 10 vivaient en 1975 dans la pauvreté absolue, ils ne sont plus que deux sur dix aujourd'hui.

Le prochain cycle de négociations devra inverser ce processus de marginalisation des pays les plus pauvres. Certes, les facteurs internes à ces pays ont une grande incidence. Les conditions qui prévalent dans la plupart des PMA constituent pour ces pays un très lourd handicap : capital humain limité, absence de ressources naturelles, instabilité politique pouvant aller jusqu'à la guerre civile, sans oublier une croissance démographique qui constitue un véritable défi à l'amélioration de l'éducation et de l'état sanitaire de l'éducation. De surcroît, selon une enquête de la CNUCED, la corruption demeure encore un facteur très dissuasif pour les investissements des entreprises.

Les accords de l'OMC contiennent déjà des dispositions spéciales en faveur des pays en développement, notamment l'application du principe de non-réciprocité dans les négociations commerciales. Mais des efforts supplémentaires doivent être faits pour mieux les intégrer au système commercial, leur permettre d'avoir accès aux marchés et bénéficier d'une assistance technique. Trois milliards de personnes dans le monde vivent encore avec moins de 2 dollars par jour. A l'évidence, une telle situation est difficilement acceptable.

b) Les inégalités à l'intérieur des pays

Les inégalités augmentent également à l'échelon national et cela est vrai aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres. Selon le dernier rapport du PNUD, les inégalités de revenus se sont tout particulièrement accrues ces dernières années dans les pays d'Europe de l'Est et de la CEI, en Chine, en Indonésie, en Thaïlande et dans la plupart des pays d'Asie de l'Est et d'Asie du Sud-est. Mais les pays de l'OCDE connaissent eux aussi un accroissement des inégalités ; les augmentations les plus importantes de l'indice de Gini (qui mesure les inégalités de revenu) concernent le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la Suède.

Un rapport de l'OCDE sur «Cohésion sociale et mondialisation de l'économie» paru en 1997 dresse le constat suivant : "L'Europe continentale connaît aujourd'hui des taux de chômage supérieurs à 10% et la marginalisation sociale s'y développe. Aux Etats-Unis, le salaire moyen n'a que peu progressé (il a même évolué de manière négative pour les travailleurs les moins qualifiés), l'inégalité s'est accrue et la pauvreté a gagné du terrain dans l'ensemble de la population et plus particulièrement parmi les enfants. L'inégalité des revenus et la pauvreté se sont également aggravées en Australie et au Royaume-Uni. Et au Japon, le chômage -officiel et occulte - ne cesse d'augmenter. On constate dans pratiquement tous les pays de l'OCDE un phénomène d'exclusion sociale et un sentiment de plus en plus vif d'insécurité".

Le fossé se creuse entre une élite mondiale composée de personnes très qualifiées, bénéficiant de salaires élevés, et une main-d'_uvre non qualifiée qui subit de plein fouet la concurrence directe des pays en voie de développement, où les salaires peuvent être jusqu'à trente fois inférieurs à ceux pratiqués dans les pays industrialisés. Faisant allusion aux chantiers navals Vulkan en Allemagne et aux chaînes de chez Volkswagen, MM. Hans-Peter Martin et Harald Schumann, deux journalistes économistes du Spiegel évoquent dans leur livre sur «Le piège de la mondialisation» les conséquences de ce bouleversement : «Ici, la peur du chômage s'est répandue depuis longtemps dans les bureaux des employés et s'attaque à présent à ce qui constituait jusqu'ici les secteurs les plus sûrs de l'économie. Les anciens emplois à vie se transforment en petits boulots ; ceux qui, hier, avaient encore une profession d'avenir, savent que leurs capacités peuvent du jour au lendemain devenir un savoir inutile».

Daniel Cohen, dans son livre au titre évocateur «Richesse du monde, pauvreté des nations » évoque ce qu'il appelle «la grande peur de l'Occident » : la peur de la désindustrialisation : « dans le processus à l'_uvre aujourd'hui, des pans entiers de l'industrie traditionnelle des pays riches sont bel et bien menacés. Comme les agriculteurs anglais au XIXème siècle, certains travailleurs vont devoir pourtant quitter ce qui était progressivement devenu, depuis cette époque, le cadre rassurant de la vie ouvrière. Des industries centenaires comme le textile et l'habillement, la sidérurgie, les chantiers navals doivent fermer sous la pression du sud ». Dès lors, comme l'écrivent MM. Martin et Schumann, «chacun sent bien les conséquences de ce bouleversement, même ceux dont l'emploi personnel paraît encore garanti. L'angoisse de l'avenir et l'incertitude se propagent, la structure sociale se brise ».

Le démographe Emmanuel Todd va encore plus loin et dénonce ce qu'il appelle «l'illusion libre-échangiste» qui réduit à la passivité les gouvernements occidentaux : « le régime de libre-échange sépare géographiquement et psychologiquement l'offre de la demande (...) Les salaires sont vécus comme un coût pur. On entre dans une logique de compression du coût salarial, donc de compression virtuelle de la demande à l'échelle mondiale ».

c) Une responsabilité partagée

De plus en plus d'économistes, notamment américains, estiment toutefois que ces analyses classiques qui font de la fragmentation et de la précarisation de nos sociétés la conséquence directe de la mondialisation et de l'ouverture à la concurrence extérieure sont biaisées. Ils font tout d'abord remarquer qu'aucun lien n'a pu être établi dans les économies développées entre les inégalités de revenus et la part représentée par les pays en développement dans les importations. Aux Etats-Unis par exemple, où les écarts de revenus ont augmenté, les importations en provenance des pays à bas salaires n'ont que faiblement varié (1 point du PIB sur 20 ans). Encore aujourd'hui, la majeure partie du commerce extérieur américain (qui ne représente au demeurant que 13% de son PIB) s'effectue avec le Canada, le Japon et l'Europe.

Pour ces économistes, le vrai responsable de la fragmentation de nos sociétés est le progrès technique. C'est lui qui entraîne une demande accrue de personnel très qualifié au détriment des travailleurs les moins payés : « La situation du pays ne serait pas très différente, estime l'économiste Paul R. Krugman, professeur à Stanford, si les marchés mondiaux n'avaient pas connu une intégration croissante. La part de l'industrie manufacturière dans le PIB régresse parce que les gens achètent, en termes relatifs, moins de biens manufacturés. L'emploi régresse dans l'industrie manufacturière parce que les entreprises remplacent les travailleurs par des machines et utilisent mieux ceux qu'ils gardent. Les salaires stagnent parce que le taux de croissance de la productivité globale de l'économie dans son ensemble s'est ralenti, et les travailleurs les moins qualifiés sont ceux qui souffrent le plus de la situation parce que l'économie de plus en plus centrée sur la haute technologie a de moins en moins besoin de leurs services. Nos relations commerciales avec le reste du monde ne jouent là, au mieux, qu'un rôle très mineur dans chaque cas ». (Paul R. Krugman, La mondialisation n'est pas coupable, La découverte, 1998).

Vouloir dissocier mondialisation et progrès technique apparaît une démarche très artificielle. Le commerce international exerce à l'évidence une pression accrue sur les structures économiques d'un pays, mais il ne sait pas servir de prétexte pour cacher l'influence d'autres facteurs. Il ne faut pas surestimer la concurrence des pays en développement et sous-estimer celle à laquelle se livrent entre eux les pays industrialisés, qui est tout aussi importante. Le commerce international n'est pas un jeu à somme nulle dans lequel les gains des uns doivent avoir comme contrepartie les pertes des autres. Le véritable défi auquel nous sommes aujourd'hui confrontés est le suivant : la mondialisation accroît la demande de protection et de socialisation tout en réduisant, nous allons maintenant le constater, la capacité des Etats à y répondre. Peut-on sortir de ce dilemme ?

3) L'impuissance des Etats nationaux

L'ouverture et l'imbrication croissante des économies entraînent très naturellement une remise en cause de la définition et du rôle de l'Etat qui s'articulaient traditionnellement autour de trois principes constitutifs : la souveraineté, la territorialité et la sécurité.

a) La concurrence de nouveaux acteurs sur le plan international

L'Etat est de plus en plus concurrencé par les nouveaux acteurs de la mondialisation, à savoir les firmes globales, les organisations internationales gouvernementales ou non-gouvernementales ainsi que les organisations régionales.

Nous avons évoqué en introduction la constitution de ces firmes globales, présentes sur l'ensemble des marchés mondiaux, dont le lien avec leur Etat d'origine devient de plus en plus ténu.

Robert Reich, dans son livre «L'économie mondialisée » (Dunod, 1993) a montré que le critère de nationalité d'une firme globale n'est plus pertinent : l'entreprise n'a désormais qu'un seul drapeau, le sien. Il devient de plus en plus en plus difficile, notamment en raison de la multiplication des fusions, acquisitions et prises de participation diverses, de rattacher son capital à un groupe d'actionnaires bien défini. Le produit qu'elle fabrique est la plupart du temps un assemblage complexe de sous-produits et de services de toutes origines, incorporés progressivement aux différents stades de la production. La recherche avouée des coûts de production les plus bas la conduit à mettre en concurrence les avantages concurrentiels de l'ensemble des Etats. Dès lors, écrit M. Jean-François Daguzan qui résume dans la «revue française de géoéconomie » (mars 1997) la pensée des tenants de l'obsolescence de l'Etat, «celui-ci ne représente plus qu'un espace géographique, au sens d'un espace de jeu. Il est le plus souvent trop étroit. Sa seule contribution sera, avec les autres Etats du monde, de contribuer à aplanir le terrain, c'est-à-dire à assurer les règles du jeu équitables pour les joueurs : les entreprises».

Le neuvième Rapport sur l'investissement dans le monde 1999 publié par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a ainsi recensé 60 000 sociétés transnationales qui seraient à l'origine de 25% de la production mondiale et dont les ventes réalisées par leurs 500 000 filiales représenteraient 1,5 fois les exportations mondiales. Au premier rang d'entre elles se placent General Electric, Ford Motor Compagny et Royal Dutch Shell.

Pour Bertrand Badie, l'auteur de «La fin des territoires» (Fayard 1995), «de plus en plus, l'espace est reconstruit en fonction des stratégies d'entreprises, des circuits marchands, du déplacement des hommes (...) En Asie orientale se construisent des corridors marqués par la densité des flux d'échanges qui sont plus ou moins autonomes des réalités politiques». L'exemple de la Chine, où les disparités s'aggravent entre les régions exportatrices situées en bordure de mer et l'intérieur du pays, est particulièrement illustratif de cette analyse.

L'Etat est également de plus en plus concurrencé au niveau international par le jeu des organisations gouvernementales (Organisation mondiale du commerce, Fonds monétaire international, Banque mondiale) sur lesquels nous reviendrons, mais aussi non-gouvernementales. Les ONG sont de plus en plus associées aux négociations internationales, notamment en matière d'environnement, de droits de l'Homme et de santé. Elles arrivent parfois, en cas d'échec des négociations, à proposer des solutions de remplacement (conférence d'Ottawa sur les mines antipersonnel par exemple). Elles peuvent également par leurs campagnes faire échouer certaines conventions, comme ce fut le cas pour l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI) qui était négocié dans le cadre de l'OCDE.

b) Une marge de man_uvre réduite sur le plan national

Concurrencé dans l'ordre international, l'Etat rencontre de plus en plus de difficultés à assumer un rôle de régulateur à l'échelon national. L'espace politique lui est de plus en plus compté. Les Etats deviennent de plus en plus traversés par des flux de tous ordres qu'ils sont de plus en plus incapables de contrôler, de canaliser et, au besoin d'endiguer : les flux migratoires, les flux marchands, les flux monétaires et les flux informationnels.

Nous avons déjà longuement évoqué le développement des échanges internationaux et les effets de la globalisation financière. Nous ne nous étendrons pas sur les mouvements de personnes mais nous voulons souligner les conséquences de ce qui nous apparaît comme une nouvelle étape de la mondialisation : le passage à la société d'information, c'est-à-dire à un monde dans lequel l'information sera instantanément disponible d'un bout à l'autre de la planète. Internet constitue aujourd'hui la préfiguration de ce que seront demain les « autoroutes de l'information » lancées en 1992 par le vice-président américain Al Gore, à savoir des réseaux à grande capacité et ouverts à tous, capables d'acheminer d'un point à l'autre de la planète n'importe quel type d'information numérisée (voix, sons, textes, images...).

Selon le dernier rapport du PNUD, le nombre d'ordinateurs munis d'une connexion directe à Internet est passé de moins de 100 000 en 1988 à plus de 36 millions en 1998. Selon les estimations, plus de 143 millions de personnes utilisaient Internet à la mi-1998 et ce nombre devrait dépasser 700 millions en 2001. Les avantages de cet outil de communication, en termes de vitesse et de coût, expliquent le succès de ce réseau des réseaux. Par exemple, le PNUD a calculé que pour envoyer un document de quarante pages de Madagascar en Côte d'Ivoire, il faut cinq jours par la poste et débourser 75 dollars, trente minutes par télécopie pour un coût de 45 dollars, deux minutes par courrier électronique pour un montant de 0,20 dollar. De surcroît, pour le même prix, ce document peut être distribué en même temps à plusieurs centaines de personnes.

Chaque jour, les groupes de discussion sur Internet produisent l'équivalent de plusieurs milliers de pages de journal grand format, ce qui explique que les tentatives actuelles des Etats pour contrôler le contenu de ces informations aient échoué. La régulation ne peut se situer soit qu'en deçà des Etats, à travers l'auto-contrôle des fournisseurs d'information, soit au-delà des Etats, par le biais d'initiatives prises au niveau international.

La portée des évolutions en cours remet en cause la capacité de l'Etat à réguler la vie économique et sociale dans des frontières à l'intérieur desquelles il pouvait prétendre à une pleine et entière souveraineté. Il est à la fois débordé par des flux qu'il ne maîtrise plus et dépassé par des espaces élargis, de nature trans-étatiques sur lesquels il n'a qu'un pouvoir d'influence. L'Etat, qui semble avoir perdu sa capacité d'organisation de la vie économique voire, selon certains, de la vie administrative, est-il condamné à ne plus qu'exercer qu'une fonction de lobby dans des réseaux, à l'image d'Internet, « sans c_ur ni maître » ?

B - La mondialisation ou la nécessaire adaptation

Quels que soient le nombre et le contenu des anathèmes lancés contre elle, la mondialisation est une réalité, qu'il importe de comprendre et de maîtriser.

1) Le marché et le besoin de régulation

« Le problème de la mondialisation est qu'elle s'est développée sans encadrement ». Ce jugement a été formulé au dernier Forum économique mondial qui s'est tenu à Davos en février 1999, par Fred Bergsten, le directeur de l'institut américain d'économie internationale, qui est connu habituellement comme l'un des principaux partisans de la dérégulation mondiale. A son instar, la plupart des économistes libéraux s'interrogent sur les déficiences de la mondialisation et cherchent des règles de supervision et de régulation pour l'économie. Dans son premier discours en tant que directeur général de l'OMC prononcé le 14 septembre 1999 devant le Groupe des 77 à Marrakech, M. Mike Moore, une fois reconnu que « le commerce international pose des problèmes à un grand nombre de personnes », s'est interrogé sur les règles à mettre en _uvre pour garantir une meilleure stabilité macro-économique, une meilleure distribution des revenus entre les nations et entre les personnes à l'intérieur des nations.

a) Ce que nous disent les théories

Les arguments en faveur de la libéralisation des marchés sont bien connus. Il est vrai que la controverse entre les adeptes du libre-échange et les partisans de mesures protectionnistes ne date pas d'aujourd'hui. Dès la fin du XVIIème siècle, vers 1690, lorsque la Compagnie des Indes se met à déverser des calicots indiens sur le marché britannique, concurrençant fortement la production locale de coton et détruisant des emplois, les économistes s'interrogent : faut-il accepter l'importation de ces produits concurrents ? Au début du XIXème siècle, les classiques anglais mettent au point la théorie des avantages comparatifs qui justifie que tout pays a intérêt à participer au commerce international. En effet, selon cette théorie, tout pays pourra obtenir plus de produits de l'étranger, en échange de ses exportations, qu'il n'aurait pu en créer sur son territoire à l'aide des facteurs de production contenus dans ses exportations. Le grand apport de Ricardo -qui publie Des principes de l'économie politique en 1817 - sera de démontrer que cet enrichissement s'applique à tout pays, même désavantagé pour l'ensemble de ses productions.

Cette théorie traditionnelle des avantages comparatifs a été battue en brèche au cours de ces dix dernières années par une nouvelle théorie du commerce international qui la considère comme un modèle d'explication incomplet de la structure contemporaine des échanges. Reconnaissant que les marchés sont imparfaits et qu'il existe des économies d'échelle - ce qui entre en contradiction avec les hypothèses classiques de concurrence parfaite et de rendements d'échelles constants -, ces nouveaux économistes en viennent à justifier, dans certains cas, des interventions publiques sur les flux commerciaux. Toutefois ces mêmes économistes lancent des mises en garde quant à la difficulté de définir des modes d'intervention utiles, ce qui justifie à leurs yeux que le libre-échange continue d'apparaître comme la meilleure des politiques. «Ce n'est plus l'ancien argument, explique l'économiste américain Paul R. Krugman, qui voulait que le libre-échange soit le meilleur parce que les marchés sont efficaces», c'est celui selon lequel le libre-échange demeure « dans la pratique la meilleure solution dans un monde où les politiques sont aussi imparfaites que les marchés ». Dès lors, continue-t-il, « le libre-échange peut-être le noyau d'un accord entre les pays pour éviter la guerre commerciale. C'est aussi un principe simple permettant de résister aux pressions des groupes organisés autour d'intérêts particuliers. Abandonner le principe du libre-échange pour courir après les bénéfices espérés d'une intervention ciblée pourrait avoir des conséquences politiques néfastes qui annuleraient tout bénéfice potentiel ».

b) Ce que nous apprend la pratique

Dans son rapport « Pour l'ouverture des marchés » (1998), l'OCDE recense les avantages de la libéralisation des marchés, tels qu'ils ont été empiriquement démontrés : une plus grande liberté de choix pour le consommateur, une utilisation plus efficace et plus productive des ressources, une pression sur les prix en raison des économies d'échelle et des importations, un recours accru à la recherche-développement pour innover et rendre ainsi les produits plus compétitifs. Inversement, pour les auteurs de ce rapport « le protectionnisme isole les économies des signaux du marché qui attirent l'attention sur la nécessité d'un ajustement rapide ; il lèse les entreprises exportatrices en les rendant moins concurrentielles ; il fait du tort aux consommateurs en augmentant le prix des importations ; enfin, il offre des remèdes palliatifs, qui sont dans la plupart des cas temporaires et coûteux, aux entreprises, travailleurs et collectivités pour lesquels les retards d'adaptation se traduisent presque inévitablement par des détresses plus grandes dans le long terme ».

Il en va toutefois de la libéralisation commerciale comme de la libéralisation financière : pour produire des effets bénéfiques, cette libéralisation doit être effectuée de manière ordonnée et faire l'objet d'une supervision adéquate. Une libéralisation sans aucune restriction entraîne des effets déstabilisateurs en terme de distribution de revenus et de coût de transition. Il importe en conséquence de veiller à ce que les avantages d'une plus grande intégration mondiale soient répartis aussi largement que possible, dans le cadre national et à l'échelle internationale.

2) L'apparition de nouveaux dangers

La nécessité d'une régulation au niveau international est d'autant plus grande que la mondialisation est source de nouveaux dangers, notamment pour la sécurité, l'environnement et la santé.

a) Mondialisation et criminalisation

Au cours de ces dix dernières années, trop souvent, les progrès de la globalisation sont allés de pair avec la montée de la criminalité qui, à l'image des autres activités économiques, se mondialise. Trafic de drogue, ventes d'armes, fausse monnaie, prostitution, dans tous ces secteurs, les mafias s'internationalisent à grands pas et profitent à la fois des progrès technologiques et de l'ouverture des frontières. Un nouveau mot est apparu, la cybercriminalité, la criminalité sur le Net (y compris le piratage automatique) dont la menace a paru suffisamment importante pour que des réunions interministérielles du G8 lui soient régulièrement consacrées depuis la première rencontre organisée sur ce sujet à Washington en décembre 1997.

Il est bien sûr très difficile d'évaluer le montant des activités illicites, par définition secrètes. Le FMI a toutefois rendu publiques des estimations, issues des informations fournies par les Etats, selon lesquelles ce montant avoisinerait 3 000 milliards de dollars, soit un peu moins de 2 % du produit mondial brut (c'est-à-dire la somme des produits intérieurs bruts de tous les pays). Des estimations privées préfèrent retenir le chiffre de 6 000 milliards de dollars (près de 4 % du produit mondial brut), soit à peu près l'équivalent du PIB du Royaume-Uni.

Selon le dernier rapport de l'Observatoire géopolitique des drogues, la mondialisation des échanges aurait incité certaines zones, dont la production de drogue était jusqu'alors destinée à un usage domestique, à se transformer en fournisseur du marché international. Ce serait le cas de l'Asie centrale, du Caucase, des Balkans et de l'Ukraine en ce qui concerne le pavot, et de l'Afrique subsaharienne pour le cannabis. Le circuit de la drogue s'organise désormais directement au niveau mondial, de la production de la matière première à la mise en vente de son produit final et à son paiement. On estimait en 1995 que le trafic des stupéfiants représentait 8 % des échanges mondiaux, soit plus que le commerce mondial des véhicules à moteur ou des produits sidérurgiques.

Le trafic d'armes est lui aussi en plein développement ; il alimente à la fois la délinquance et les guerres civiles, notamment en Afrique et en Europe de l'Est.

Une autre activité florissante est la traite des femmes et des petites filles à des fins d'exploitation sexuelle. Seraient concernées, pour la seule Europe de l'Ouest, environ 500 000 femmes et filles originaires de pays en transition ou en développement.

Selon le rapport du PNUD de 1999, le pouvoir et l'influence croissants des gangs internationaux rivaliseraient avec ceux des multinationales. « Que ce soient les triades chinoises, les cartels colombiens de Medellin et de Cali, la mafia italienne, les yakusa japonais, les cartels de Juarez, de Tijuana et du Golfe au Mexique, Cosa Nostra aux Etats-Unis et les différentes mafias qui sévissent au Nigeria, en Russie et en Afrique du Sud, tous opèrent au-delà des frontières nationales, et développent des alliances stratégiques formant un réseau mondial, en exploitant à leur plus grand profit les avantages de la mondialisation ».

Les marchés financiers internationaux sont au c_ur des processus de blanchiment de l'argent criminel. L'image du porteur de valises remplies de billets essayant d'échapper aux contrôles des douaniers est de plus en plus dépassée. Désormais, grâce à la sophistication financière c'est plus en cliquant sur un écran au moyen d'une souris que l'on arrive à dissimuler le produit d'une multitude de crimes.

On sait aujourd'hui, sans pouvoir en estimer le montant, qu'une partie des actions des sociétés comme des obligations émises par les grands Etats sont détenues par les mafias. Les paradis fiscaux jouent à cet égard un rôle essentiel : une autorisation, une boîte à lettres - toutes deux monnayables - suffisent habituellement pour créer une société écran. Parmi ces places dites offshore - « loin du rivage », par analogie avec les bateaux à flot hors des eaux territoriales américaines durant la Prohibition, où l'on pouvait boire et jouer en paix -, Panama, les îles Caïmans, les Bahamas, les Bermudes sont les lieux les plus souvent cités.

Face à l'essor des circuits financiers de blanchiment de l'argent criminel, les pays du G7 ont créé en 1989 le Groupe d'action financière internationale (GAFI) chargé de les débusquer mais on est encore très loin d'une véritable coopération internationale en la matière. Selon certains auteurs (J.F. Bayart, S. Ellis et B. Hibou, La criminalisation de l'Etat en Afrique, éd. Complexes, 1997), les institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale seraient peu regardantes sur l'origine des fonds utilisés par les pays en développement pour les rembourser. Inversement, l'actualité récente a montré que leurs aides pouvaient contribuer au développement de la corruption.

Il faut en finir avec une mondialisation qui consiste à ouvrir les frontières aux criminels pour les refermer aux organes chargés de la répression. Trop souvent les Etats, qui sont pourtant les victimes de cette criminalité organisée, se comportent, par leur refus d'agir, en complices passifs. La communauté internationale doit mettre un terme à cette ambiguïté en unissant leurs efforts pour construire un espace judiciaire international. La première étape consisterait à interrompre les flux de capitaux vers les centres offshore qui refuseraient toute coopération.

b) Mondialisation et protection de l'environnement

Depuis une vingtaine d'années, notre planète a été touchée par trois maux environnementaux de grande ampleur qui dépassent le champ d'action national : l'altération de la couche d'ozone stratosphérique, l'érosion de la biodiversité aux différentes échelles du vivant, la désertification d'importantes régions d'Afrique ou d'Asie sous l'effet combiné de changements climatiques régionaux et d'actions humaines. La mondialisation contribue à cette dégradation continue de l'environnement en incitant parfois à une exploitation non écologique des ressources. Depuis 1970, les réserves halieutiques ont diminué des trois quarts, les ressources en eau ont baissé de 60%, et la couverture forestière s'est réduite. Une partie des atteintes à l'environnement sont le fait des pays en développement qui n'ont pas les moyens d'intégrer les préoccupations écologiques dans leurs activités, mais une autre partie est due également à la consommation des pays riches.

La conciliation entre mondialisation et environnement est devenue une « urgence silencieuse ». Certes, les thèmes environnementaux ont été débattus à l'OMC depuis son institution il y quatre ans. Et pourtant, pour l'heure, le Comité spécifique « commerce et environnement » de l'OMC n'a produit qu'un nombre insignifiant de recommandations. La nécessité d'une politique internationale cohérente en ce domaine est d'autant plus urgente que les protestations du public contre certains effets pervers sur l'environnement des politiques de mondialisation deviennent, à juste titre plus fréquentes, et pourraient donner lieu à des restrictions ponctuelles (le « protectionnisme vert ») défavorables à l'emploi, à l'investissement et à la croissance. Libéralisation des échanges et politique de l'environnement doivent donc se soutenir mutuellement.

Il existe à ce jour trois grands accords multilatéraux environnementaux : la convention de 1973 sur le commerce international des espèces menacées, ratifiée par 130 pays ; le protocole de Montréal de 1987 sur la lutte contre les substances qui affectent la couche d'ozone, ratifiée également par 130 pays ; et la Convention de Bâle de 1989 sur le commerce des déchets toxiques, ratifié par 92 pays. Ces accords sont le reflet d'un large consensus négocié par la communauté internationale en vue de trouver des solutions aux problèmes environnementaux qui se posent à l'échelle mondiale. En conséquence, les mesures prises dans le cadre de ces accords ne devraient pas être considérées comme une menace pour le commerce. Inversement, les négociateurs de ce type d'accords devraient pouvoir choisir les moyens d'atteindre leurs objectifs environnementaux en tenant compte des règles de l'OMC et des obligations qui en découlent.

Une opposition latente demeure entre les pays riches et les pays pauvres sur la responsabilité et le financement de la protection de l'environnement. A notre sens, les pays industrialisés doivent montrer la voie et maîtriser leur mode de production et de consommation dans le respect de normes environnementales. Mais les autres pays devraient être appelés à assumer une responsabilité croissante au fur et à mesure de leur développement. En conséquence, la proposition émise en novembre 1998 par le Président Jacques Chirac « d'établir au niveau mondial un centre impartial et incontestable d'évaluation de notre environnement », garde toute son actualité. Une « autorité mondiale de l'environnement » apparaît nécessaire pour assurer une défense efficace de l'environnement afin de lutter contre l'émiettement des responsabilités aujourd'hui réparties entre différentes organisations internationales.

c) Mondialisation et sécurité sanitaire

En termes de santé, la multiplication des échanges s'accompagne d'une mondialisation des risques. Cela est vrai pour la propagation des pandémies, en particulier celle du SIDA qui s'étend à de nouvelles zones : les campagnes indiennes, la Communauté des Etats indépendants, l'Europe de l'Est.... Mais cela est vrai également pour les denrées alimentaires.

Echaudés par l'affaire de la vache folle, les consommateurs européens sont devenus, à juste titre, particulièrement vigilants sur ce qu'ils mangent. La difficulté provient de ce que chaque pays a sa propre perception du risque. En France par exemple, l'existence de la listériose ne remet pas fondamentalement en cause le succès des fromages au lait cru. La BST, une hormone produite à partir de bactéries génétiquement modifiées qui, injectée aux vaches, augmente leur production de lait, est autorisée aux Etats-Unis mais fait l'objet d'un moratoire en Europe.

Les enjeux commerciaux en question sont très importants : sur 167 plaintes enregistrées par l'OMC fin janvier 1999, 26 s'appuient sur des considérations sanitaires, phytosanitaires et techniques. Les différends récents, très médiatisés, sur le b_uf aux hormones ou les organismes génétiquement modifiés (OGM) ne sont que la partie émergée de l'iceberg.

Face aux risques invoqués, deux attitudes sont possibles. La première consiste à n'interdire un produit que dans le cas où il a été scientifiquement prouvé que sa commercialisation pourrait être dangereuse. C'est l'attitude américaine. La seconde consiste à renverser la charge de la preuve : un produit ne peut être diffusé que s'il est prouvé qu'il ne présente pas d'inconvénient pour la santé et l'équilibre écologique. C'est l'attitude française, que l'on résume habituellement par l'application du principe de précaution.

Le Professeur Jean-François Mattéi expliquait ainsi le principe de précaution dans son remarquable rapport sur la maladie de la « vache folle » publié en 1997 dans le cadre d'une mission d'information commune de l'Assemblée nationale (rapport n°3291) : « Les incertitudes de la connaissance ne sauraient en aucune manière justifier l'inaction : les doutes sur l'existence d'un risque imposent d'agir pour le combattre, sans qu'il faille attendre que la preuve scientifique en soit définitivement apportée. Le principe de précaution impose à tout le moins de ne pas faire courir de risque inutile et de ne pas minimiser les effets d'un risque inéluctable ».

Le Professeur Mattéi précisait cependant que l'application du principe de précaution devait être tempéré par la prise en compte du rapport bénéfice / risques, étant entendu qu'en matière médicale le risque nul n'existe pas. Il concluait « plus les risques à mesurer sont faibles épidémiologiquement, plus la réflexion sur l'application exacte du principe de précaution renvoie à un débat implicite sur la nature et le niveau d'un risque socialement acceptable. Les relations qu'entretient une société avec le risque qu'elle admet ou n'admet pas sont consubstantielles à l'application du principe de précaution ».

Il n'existe pas a priori de contradiction entre la sécurité sanitaire et le libre-échange. Au contraire, au cours de l'entretien qu'il nous a accordé, M. Greenfield, le directeur de la division du commerce international et des produits de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, a souligné la rigueur croissante des prescriptions techniques qui s'appliquent aux importations des produits alimentaires et qui se sont étendues non seulement au produit lui-même mais également aux processus de production. L'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires inclus dans les accords de Marrakech autorise en effet chaque membre de l'OMC à fixer le niveau de protection sanitaire qu'il juge « approprié », sous une double réserve. D'une part, le niveau de risque acceptable doit être défini de manière cohérente entre les divers produits. D'autre part, il ne doit pas exister de discriminations entre productions nationales et étrangères.

Il est vrai toutefois, ainsi que le soulignent Mme Catherine Lalumière et M. Jean-Pierre Landau dans leur rapport sur les négociations commerciales multilatérales, le droit de l'OMC ne donne pas de réponse claire au cas où l'évaluation du risque serait rendue difficile en l'état des connaissances scientifiques.

Votre Rapporteur souhaite donc que les négociations de Seattle soient l'occasion de clarifier les relations entre les règles multilatérales et le principe de précaution. Il devient urgent que ce principe soit officiellement reconnu à l'intérieur du cadre de l'OMC et que l'on définisse très clairement les critères et les conditions qui permettront d'y avoir recours.

A tout le moins, le choix final doit être laissé au consommateur à travers l'étiquetage du produit qui devrait préciser clairement s'il contient ou non certains produits potentiellement nocifs. Dans un entretien au Monde en date du 16 septembre 1999, le secrétaire américain au commerce, M. William Daley, allait même jusqu'à imaginer que, dans le doute, il pourrait y avoir un avertissement, comme sur les cigarettes, avec mention, « peut être nocif pour la santé ».

Le succès rencontré au sein des consommateurs par la croisade antimondialisation suscitée par « l'effet José Bové », du nom de cet agriculteur qui a passé trois semaines en prison après avoir saccagé un McDonald dans l'Aveyron, la plus vieille région d'appellation d'origine, s'explique non seulement par la défense d'une alimentation de qualité, mais aussi par la peur d'une uniformisation des goûts et des cultures sous le rouleau compresseur américain. « L'exception culturelle est aussi dans l'assiette » titrait l'Humanité du 8 septembre 1999 - votre Rapporteur a de bonnes lectures ! - qui parlait d' « indépendance alimentaire ». Que faut-il en penser ?

3) Le refus d'un modèle culturel unique

La mondialisation n'est pas seulement un processus économique. Elle est, volontairement ou non, porteur d'un projet de civilisation dont la référence serait le monde. Voilà pourquoi très souvent la mondialisation économique est assimilée à une menace potentielle d'homogénéisation culturelle. La diffusion mondialisée de produits standardisés s'accompagnerait d'une uniformisation des valeurs et des pratiques culturelles.

a) Mondialisation et américanisation

Cette uniformisation prendrait la forme d'une américanisation du monde. Hollywood, Walt Disney, les logiciels Microsoft, CNN, Nike, Gap, la musique techno et, bien sûr, McDonald et Coca-Cola, seraient les différentes facettes d'un triomphe américain si absolu que M. Hubert Védrine, notre Ministre des affaires étrangères, a inventé un nouveau mot, "hyperpuissance", le terme de superpuissance apparaissant insuffisant pour traduire la suprématie américaine.

L'extraordinaire pouvoir d'attraction des Etats-Unis est bien antérieur à la naissance même du terme de mondialisation. Il s'est développé en France dès le lendemain de la seconde guerre mondiale. Les caves de Saint-Germain-des-Prés résonnaient alors des airs de jazz et la jeunesse « existentialiste » y dansait le be-bop. Les Français découvraient Hollywood et ses productions à gros moyens, du fait notamment des accords Blum-Byrnes de 1946 qui avaient ouvert les portes des salles françaises aux films américains.

Cette extension du modèle américain va se confirmer dans les années 50 et 60 au fur et à mesure du développement de la société de consommation. Mode de vie, publicité, organisation de l'entreprise, musique : tous les domaines subissent l'influence hégémonique des Etats-Unis qui apparaissent une source inépuisable d'inspiration. Sur le plan technologique, l'heure est à la réponse au « Défi américain » , selon le titre de l'ouvrage que fait paraître en 1967 M. Jean-Jacques Servan-Schreiber.

La réussite américaine, symbolisée par la chute du mur de Berlin dont nous fêtons cette année le dixième anniversaire, ne doit toutefois pas être assimilée purement et simplement à la mondialisation. Au demeurant, le poids des Etats-Unis a diminué dans à peu près toutes les formes de l'internationalisation depuis quarante ans. Ils ne représentaient plus par exemple que 12,5% des exportations mondiales de marchandises en 1997 contre 19% en 1955 ; de même, ils assuraient 20,9% des encours d'IDE (par pays d'origine) en 1997 contre 24,4% en 1985 et 48% en 1960.

Votre Rapporteur n'est pas persuadé que l'uniformisation des styles de vie, de certains comportements et loisirs signifie une américanisation de la pensée et de la culture. Certes, nous assistons à ce que Walter Benjamin appelait dans ses « Ecrits français » : « le semblable dans le monde ». Ainsi que l'écrit M. Zaki Laïdi, l'auteur de « Malaise dans la mondialisation » (Textuel), « partout, à travers le monde, on trouve et retrouve des formes de modernité, des styles de vie, de plus en plus proches, voire similaires. Les aéroports, les centres urbains, les formes architecturales, les services, les vêtements, la signalétique, la musique ou la cuisine, dégagent à travers le monde un "style international" orienté vers la consommation et la distraction ».

Mais la question est sans doute plus complexe. « Les cultures existent-elles vraiment comme des entités séparées, pures, retranchées ? Le mélange, l'altération, l'impureté, l'assaisonnement, ne sont-ils pas au centre de l'idée de modernité », s'interrogeait M. Salman Rushdie dans le Monde du 20 mars 1999. « L'idée même de cultures pures, nécessitant d'urgence d'être affranchie de contamination étrangère, ne nous mène-t-elle pas droit et inexorablement vers l'apartheid, la purification ethnique et la chambre à gaz ? ».

Les messages que véhiculent les produits américains sont toujours réinterprétés en fonction de l'histoire et de la culture locale. Le Premier ministre chinois a incité ses concitoyens à aller voir le film Titanic comme illustration des mécanismes de la lutte des classes à l'_uvre en Occident. D'autres pourraient y voir l'expression d'une puissance sûre d'elle-même, trop sûre d'elle-même et venant malgré tout, se fracasser contre un iceberg.

Il serait même possible de prétendre que s'il est exact que l'industrie produit des objets standardisés, elle recherche de plus en plus à se diversifier pour répondre aux besoins de marchés de plus en plus étroits. C'est l'un des paradoxes de l'individualisme de notre temps : d'une part, le mythe moderne d'un individu universel et anonyme, produit d'une culture dominante, bref un individu inventé, c'est-à-dire fabriqué et aliéné ; d'autre part, l'individu de l'ère de la personnalisation la plus achevée, de la liberté aléatoire de se définir dans le champ infini de la consommation.

Votre Rapporteur est convaincu que l'ouverture aux cultures étrangères ne détruit pas par elle-même l'identité nationale. Il est donc inutile de cultiver l'anti-américanisme et de désigner comme ennemi sa musique, son cinéma ou sa littérature. Le danger est ailleurs. L'homogénéisation culturelle n'est pas pour demain ; une culture ne se laisse jamais totalement phagocyter par une autre ; il y a toujours un processus de recomposition culturelle et on voit mal les séries américaines réussir là où a échoué la colonisation.

b) La culture n'est pas une marchandise comme une autre

Le véritable danger réside dans la conception américaine de la culture qui en fait une marchandise comme une autre. C'est contre cette « marchandisation » croissante des activités humaines qu'il convient de lutter afin d'éviter que par son poids économique, l'industrie du divertissement américaine, déjà rentabilisée sur son propre marché, ne réduise à néant tout espace de créativité pour les autres cultures.

Selon les estimations de l'Observatoire européen de l'audiovisuel, le déficit des échanges européens avec les Etats-Unis dans ce secteur a atteint 6 milliards de dollars en 1997, ce qui représente un doublement depuis 1990. Au cours de cette même période, la part de marché des films américains dans les salles de cinéma européennes est montée en flèche, passant de 56% à 76%. En 1998, pour la première fois de son histoire, le cinéma français a attiré moins de 30% de son public, sa part de marché tombant à 25%. En Allemagne, c'est l'effondrement : la part de marché du cinéma allemand a chuté de près de moitié à 9,5% dans les salles obscures.

Pour le réalisateur Jean-Jacques Annaud, que nous avons rencontré à Los Angeles, les Européens portent la responsabilité de leur débandade : « les Européens, et notamment les Français, ne font pas les films que le public réclame ». Et d'ajouter, en guise d'épitaphe, « le cinéma français est mort ». M. Robert Bookmann, l'un des principaux agents de Creative artist agency, nous a expliqué le succès international des films américains par quelques valeurs simples : des "stars" (ce qui explique que les Etats-Unis font beaucoup de "remakes" de films européens avec des acteurs célèbres), de gros budgets, une volonté de distraire. M. Jonas Rosenfield, le président de l'American film marketing association, qui constitue la principale union des producteurs indépendants, a insisté pour sa part sur le budget de marketing et de distribution des films américains qui est souvent supérieur à un budget de réalisation de film français. « La dimension internationale est très souvent incluse dès le départ dans la conception des films américains » a par ailleurs précisé M. Rosenfield.

c) Plaidoyer pour une attitude plus offensive

La notion d' « exception culturelle » introduite dans les accords de Marrakech permet aux Etats de déroger dans ce domaine aux lois du marché. Elle a permis de sauvegarder les dispositifs de soutien élaborés en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale, notamment le principe des subventions et des quotas... Le maintien de cette notion nous semble donc justifier pour au moins deux raisons : parce qu'il constitue un enjeu de civilisation en raison de la nature particulière des « produits » en cause mais également pour des raisons économiques, les industries culturelles européennes apparaissant très désarmées devant le rouleau compresseur américain.

Mais cette politique va vite rencontrer ses limites en raison des progrès technologiques qui rendront toute mesure protection difficilement applicable. La démonstration de réception satellitaire individuelle que nous a organisé celui qui était encore à l'époque le Président de CLT USA, M. Jean Stock, montre que les moyens de contourner les réglementations trop contraignantes existent déjà et sont appelés à se développer.

En conséquence, la notion d'exception culturelle ne doit pas devenir une nouvelle ligne Maginot  : ce n'est pas seulement notre passé qu'il importe de défendre mais notre avenir.  Il convient d'adopter comme le souhaitait M. Claude Hagège, professeur au Collège de France, « une attitude très offensive, faisant pénétrer partout la culture européenne, lui donnant une allure de modèle et la présentant comme quelque chose qui fait très efficacement contrepoids à la très forte pression impérialiste des Etats-Unis dans la plupart des domaines impliquant la créativité ».

La réussite, depuis lors, de M. Jean Stock à la tête de TV5 montre que nous pouvons rencontrer le succès dès lors que nous nous donnons les moyens de livrer bataille.

II - LA MONDIALISATION : UNE OPPORTUNITÉ A SAISIR

La mondialisation impose des contraintes mais ouvre aussi des espaces de liberté. En ce sens, elle offre des opportunités qu'il convient de transformer en force, en développant d'une part la coopération internationale et en réalisant d'autre part les mutations nécessaires auxquelles elle nous invite.

A - Une meilleure coopération internationale

La coopération internationale a déjà pris trois visages : monétaire, commercial et régional.

1) La coopération monétaire et financière

Les turbulences qui ont affecté le système monétaire international depuis le milieu de l'année 1997 ont remis à l'ordre du jour la réforme de ce système, un problème que l'on appelle aujourd'hui «la nouvelle architecture financière internationale ».

Il existe un relatif consensus sur les buts à atteindre : une intégration mieux maîtrisée des pays émergents dans le système monétaire international ; une plus grande efficacité des mécanismes de prévention et de règlement des crises. Les moyens à mettre en _uvre pour atteindre ces objectifs sont en revanche matière à débat.

a) Le contrôle des mouvements des capitaux

Le contrôle des mouvements de capitaux vise principalement à s'assurer d'un financement équilibré des économies émergentes. Dans cette optique, le projet de taxe Tobin -du nom de l'économiste américain, prix Nobel d'économie en 1981, qui a imaginé cet impôt frappant les transactions financières internationales- consiste à privilégier les «bons » capitaux, les capitaux à long terme, ceux qui financent les projets industriels ou constituent des participations significatives dans les entreprises locales, et à sanctionner les «mauvais » capitaux, les capitaux à court terme, ceux qui correspondent uniquement à des investissements de portefeuille, potentiellement déstabilisants pour le marché en raison de leur grande mobilité. Concrètement, les premiers seraient soumis à un prélèvement de faible niveau alors que les seconds supporteraient une taxe plus conséquente. Dans l'idée initiale de James Tobin, et ce fut une raison importante pour la popularité de ce projet exposé dès 1978, les recettes de cette taxe seraient affectées à l'aide au développement.

Au-delà des considérations -importantes au demeurant- sur le caractère praticable ou non de cette taxe qui nécessiterait pour être efficace une application généralisée allant bien au-delà des pays du G7, il convient de s'interroger en premier lieu sur la pertinence de l'assimilation entre capitaux à court terme et spéculation déstabilisante. La réalité est plus complexe ; certains mouvements à très court terme pouvant avoir au contraire un effet stabilisant, notamment si les anticipations des opérateurs sont ancrées sur les données économiques fondamentales. Il n'existe pas de méthode sûre à 100 % pour séparer le bon grain de l'ivraie, les opérations à encourager de celles à dissuader.

En deuxième lieu, l'origine des principales difficultés réside moins dans la volatilité quotidienne des marchés que dans la persistance de déviations durables, contre lesquelles la taxe Tobin est inopérante.

Enfin, la limitation des transactions est-elle le moyen le plus efficace pour réduire la volatilité des marchés ? D'un côté, explique Jean-Pierre Landau, l'ancien directeur de la DREE, dans un article de la revue Esprit de septembre 1998, sur un marché sans entraves, les perturbations se diffusent librement et rapidement ; les effets de contagion sont donc plus probables. Mais de l'autre, plus les marchés sont larges et liquides, plus les variations de prix suscitées par un choc sont limitées. « Le jet d'une pierre dans un grand lac produit des remous invisibles, écrit Jean-Pierre Landau ; dans une petite mare, il provoque des vagues de plus grande ampleur ».

Toutes ces considérations expliquent le scepticisme de votre Rapporteur quant à l'efficacité de la taxe Tobin, qui n'aurait pas permis, par exemple, d'éviter la crise asiatique. D'une manière plus générale, toute tentative pour réglementer les mouvements de capitaux, dernier avatar du traditionnel contrôle des changes, est probablement vouée à l'échec à l'époque de la monnaie électronique et d'Internet. Légère, cette réglementation serait inefficace ; lourde, elle induirait des distorsions toutes aussi conséquentes que celle qu'elle chercherait à éviter.

En matière de mouvements de capitaux, l'idéologie doit céder le pas au pragmatisme. L'enjeu principal est de contrôler et moduler le processus de libéralisation des économies émergentes sans le remettre en cause. L'atteinte d'un tel objectif passe selon votre Rapporteur par la réunion de trois éléments.

L'urgence première est de renforcer la «bonne gouvernance » des systèmes financiers nationaux, qui est loin d'être suffisante dans de nombreux pays, la crise asiatique l'a illustré. Il est indispensable que les Etats développés ou les institutions internationales aident les pays à économies émergentes à mettre en place un contrôle prudentiel sur les banques et les marchés financiers.

Cette amélioration du contrôle doit aller de pair avec un accroissement de la transparence et de disponibilité de l'information économique et financière. Pour l'efficience des marchés, il est indispensable que les opérateurs puissent mobiliser l'information nécessaire à l'appréciation correcte de leur niveau d'exposition au risque.

Enfin, il convient de réfléchir sur les moyens d'associer les opérateurs privés au règlement des crises financières. Certains économistes estiment en effet que les interventions réussies du FMI lors de la crise mexicaine ont pu inciter certaines banques privées à investir ultérieurement plus imprudemment en Asie. Il n'est pas bon que les investisseurs privés soient insensibilisés au risque d'une crise future ; le fait de savoir qu'ils seront obligés de supporter une part importante des coûts associés à la résolution de cette crise devraient les inciter à mieux utiliser l'information disponible et les conduire à plus d'autodiscipline.

L'ensemble de ces réflexions nous renvoie naturellement à la nouvelle architecture du système financier mondial qui est régulièrement inscrite à l'ordre du jour des principales rencontres internationales.

b) Une nouvelle architecture financière internationale

Les réflexions sur la nouvelle architecture internationale s'organisent traditionnellement autour de deux questions : le régime des taux de change et le rôle des institutions internationales.

· L'objet de ce rapport n'est pas d'étudier les diverses propositions de refondation du système de Bretton Woods. Aussi votre Rapporteur dressera simplement un rapide bilan sur les réflexions en cours.

Tous les économistes s'accordent aujourd'hui sur l'impossibilité de combiner à la fois des changes fixes, une parfaite mobilité des capitaux et des politiques économiques autonomes ; c'est ce qu'on appelle le triangle impossible. Si l'on privilégie les deux derniers éléments - mobilité des capitaux et politiques autonomes - et que l'on veut en même temps s'assurer contre la menace de dévaluations compétitives qui, au bout du compte ne font que des perdants, il ne reste qu'à s'interroger sur le degré de flottement plus ou moins acceptable et la nature de l'ancre monétaire à laquelle se fixer.

La plupart des travaux des économistes, américains ou européens, préconisent des «zones cibles» (target zones), appelées encore «marges rampantes» (crawling bands), c'est-à-dire un système dans lequel les monnaies fluctueraient à l'intérieur de larges marges autour de taux pivots qui seraient régulièrement révisés. Par exemple, le dernier rapport du Conseil d'analyse économique, remis au Premier ministre en décembre 1998, signé par M. Olivier Davannes, propose un « système à  parités de référence ajustables » reposant sur un panier euro, dollar et yen. Le succès d'un tel système nécessiterait toutefois à terme une meilleure coordination des politiques monétaires et budgétaires entre grandes puissances mondiales, ce à quoi les Etats-Unis ont toujours été très réticents. Les responsables de la Banque centrale européenne sont également assez hostiles aux zones cibles, par peur de devoir sacrifier leur mission interne de stabilité monétaire. Les discussions continuent au sein du G7.

· Des divergences existent également sur le rôle à donner aux institutions financières internationales : Fonds monétaire international, Banque mondiale, Banque des règlements internationaux

M. Michel Camdessus l'a rappelé devant la Commission des Affaires étrangères le 13 octobre 1999, l'action du FMI a été soumise ces derniers temps à des feux croisés de critiques. Il lui a été reproché ses déficiences quant à la prévision des crises, l'inefficacité de son action pour y faire face et la prescription de remèdes trop extrêmes, qui ne tiennent pas compte des situations variées des différents pays.

L'objet de ce rapport n'est pas là encore, de proposer les éléments détaillés d'une réforme des institutions internationales, mais votre Rapporteur voudrait vous faire cependant part de quelques remarques, même si celles-ci ne sont que partielles.

La première raison d'être des institutions internationales est de pousser à l'ouverture des économies nationales, tant sur le plan économique que financier. La première victoire de ces institutions internationales a été, au cours des crises récentes, d'éviter tout repli protectionniste auquel sont naturellement enclins les Etats pour défendre leurs intérêts particuliers. Selon M. Georges Ugeux, le vice-président du New-York stock exchange, que votre Rapporteur a rencontré à Wall Street, il faut être redevable à ces institutions, et notamment au FMI, d'avoir su développer au niveau international une culture de gestion de crises.

La critique la plus répandue aux Etats-Unis contre les institutions financières internationales, au premier rang desquelles se situe le FMI, est que celles-ci par leurs interventions de secours, conforteraient les créanciers aventureux, les débiteurs insolvables et les gouvernements incapables. C'est ce qu'on appelle le problème dit de «l'aléa moral »  qui conduit à préconiser la suppression du FMI. Nul n'entend contester que le rôle des institutions internationales est bel et bien d'éviter des conséquences trop négatives pour les principaux intermédiaires financiers afin qu'une crise, au départ localisé, ne se diffuse brutalement à d'autres pays. Mais proposer la disparition du FMI dans le but de responsabiliser les acteurs économiques, c'est comme si l'on proposait, écrit Jean-Claude Casanova, le directeur de la revue Commentaire, dans le Figaro du 19 février 1998, de supprimer « l'assurance automobile pour que les chauffards s'éliminent par eux-mêmes ». Tout est affaire de mesures et l'existence de garde-fous n'est pas synonyme d'encouragement à l'imprudence.

Les institutions financières internationales ont un rôle important à jouer, qu'elles ne remplissent pas, dans la régulation et le suivi des marchés. Ce que la France a fait au niveau national avec la COB, le droit à la dissémination de l'information, des institutions pour surveiller les marchés, des coupe-circuit..., il conviendrait de l'établir au niveau international. La difficulté provient de ce qu'il n'existe pas de législateur mondial. A la voie autoritaire, votre Rapporteur préfère la persuasion et la dissémination des modèles vertueux. Il est urgent d'établir des codes de bonne conduite dans tous les domaines de la finance internationale : comptabilité, mode de gestion des entreprises, droit des marchés financiers, transparence de l'information.... et s'assurer qu'ils seraient effectivement appliqués.

Saluant, le 11 novembre 1999, le départ annoncé de M. Michel Camdessus, M. Christian Sautter, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, écrivait dans Le Monde : "D'une institution dédiée à la stabilité macrofinancière, souvent dépeinte comme une bureaucratie opaque, il a fait un acteur du développement, soucieuse des conséquences sociales de son action... D'un organisme d'assistance aux pays en difficulté, il a commencé à faire une authentique institution de régulation".

L'insistance sur la nécessaire évolution du FMI est justifiée. Par le passé, cette institution a parfois été trop loin dans les conditions posées à son soutien financier. Le souci légitime de contrôle et d'efficacité ne doit pas conduire à promouvoir un modèle de gouvernement et de société. La régulation internationale en sera d'autant mieux acceptée.

2) La coopération commerciale

La naissance de l'OMC le 1er janvier 1995 a marqué l'avènement d'un nouveau système commercial multilatéral, plus de cinquante ans après les accords de Bretton Woods, qui auraient dû permettre la création d'une organisation internationale du commerce aux côtés du FMI et de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement. L'organisation du commerce international n'est plus le résultat d'un simple accord entre pays (l'ex-accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) mais fait l'objet d'une législation appliquée par une institution internationale dont désormais les compétences englobent non seulement le commerce des marchandises mais encore les services et les droits de propriété intellectuelle.

Aujourd'hui, l'OMC compte 135 membres qui représente environ 90% du commerce international. Plus de 30 pays possèdent le statut d'observateurs et une trentaine de négociations en vue d'adhésion sont en cours, en particulier celles avec la Chine et la Russie.

a) La reconnaissance d'un arbitre

« La contribution la plus originale de l'OMC », selon la qualification de son ancien directeur général M. Renato Ruggiero, réside dans la création de l'Organe de règlement des différends (ORD), chargé d'arbitrer les différends commerciaux. En cas de conflit, les pays membres disposent de soixante jours pour trouver une solution « compatible avec les règles de l'OMC ». Au terme de cette période, si les négociations échouent, l'affaire est portée devant l'OMC ; le plaignant demande la création d'une commission d'arbitrage -appelée groupe de travail spécial- qui établit un rapport dans un délai de six mois maximum. Une fois examiné, le rapport est adopté par l'ORD sauf s'il est rejeté à l'unanimité ou fait l'objet d'un appel. Cette procédure qui nécessite désormais l'unanimité pour rejeter un rapport représente une grande nouveauté : auparavant, c'est l'adoption dudit rapport qui nécessitait l'accord de tous, y compris celui du pays condamné. Une fois l'affaire tranchée, si le pays visé par la plainte a été reconnu en tort mais se refuse à se conformer à la décision, le pays plaignant peut alors appliquer des représailles, une hausse des droits de douane par exemple, ou obtenir des compensations.

En quatre ans de fonctionnement, l'OMC a su établir sa légitimité, notamment en mettant en place et en faisant fonctionner le mécanisme de règlement des différends. Elle a permis également la conclusion d'accords sectoriels très significatifs dans les domaines des technologies de l'information (décembre 1996), des services financiers (février 1997) et des télécommunications (décembre 1997).

L'OMC représente indiscutablement une avancée sur la voie du multilatéralisme, l'émergence d'un véritable droit du commerce international qui donne la parole aux petits comme aux grands. La preuve en est le nombre accru de pays qui y font appel. L'Union européenne y a vu un moyen de s'appuyer sur le reste du monde pour contrer les pratiques commerciales américaines. Pour les pays riches en général, et les Etats-Unis en particulier, c'est aussi un moyen d'imposer, d'un point de vue juridique, l'ouverture des marchés des pays du Sud, en inscrivant les règles du libre-échange dans le domaine du droit international. Quant aux pays en développement, ils peuvent pour la première fois dans l'histoire du commerce international, se retourner contre les grands.

En quarante-sept ans d'existence du GATT, on avait comptabilisé environ trois cents demandes de consultations alors que depuis sa mise en place début 1995 jusqu'à fin mars 1999, l'ORD a eu déjà à connaître 167 plaintes. C'est un signe de succès indéniable. Le nouveau système d'arbitrage a du reste largement favorisé le compromis, puisqu'une trentaine d'affaires ont été réglées à l'amiable.

Les Etats-Unis, qui sont à l'origine de 54 plaintes (sur un total de 167), ont montré qu'ils savaient utiliser la nouvelle procédure à leur profit. Ils ont ainsi obtenu la condamnation de l'Union européenne sur deux dossiers importants : le régime d'importation communautaire de bananes, qui donne la préférence aux pays dits ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), et l'embargo européen sur la viande aux hormones américaine. Les pays en développement, qui font l'objet de la moitié des plaintes déposées et sont à l'origine de 41 plaintes, ont obtenu également quelques succès, par exemple sur le dossier concernant les exportations de carburant du Venezuela et du Brésil vers les Etats-Unis, qui devaient satisfaire en matière d'émissions des normes plus strictes que celles appliquées à l'essence américaine. L'Union européenne, à l'origine de 45 plaintes, n'hésite pas non plus à recourir à cette procédure. Mme Béatrice Marre, dans son excellent rapport consacré aux enjeux de la Conférence de Seattle (Rapport d'information n° 1824) estime qu'il "est erroné de penser que l'Union européenne est en situation de faiblesse dans les procédures de règlement des différends de l'OMC". Il est vrai toutefois que la mécanique communautaire est quelquefois lourde à mettre en _uvre avec quinze Etats qui n'ont pas toujours les mêmes intérêts. On l'a vu dans le cas de la banane, avec d'un côté la France et le Royaume-Uni, qui soutenaient «leurs producteurs », de l'autre les Allemands, consommateurs de «bananes dollars » meilleur marché.

b) Le maintien des rapports de force

Il serait hasardeux néanmoins de prétendre que l'OMC a fait disparaître toutes les pratiques unilatérales ou bilatérales. Les Etats-Unis demeurent profondément hostiles à l'idée de perdre leur souveraineté en matière de commerce. Ils avaient subordonné la création de l'ORD à la mise en place d'un comité de cinq «sages », dit comité Dole, du nom de l'ex-sénateur républicain du Kansas, chargé d'examiner les jugements condamnant les Etats-Unis. Si par trois fois au cours de cinq années consécutives, les jugements rendus leur paraissent injustes ou contraires aux intérêts américains, ils n'excluent pas la possibilité de quitter l'OMC. Les Etats-Unis se sont également réservés le droit de garder la possibilité d'utiliser les articles 301 et super 301 de leur loi commerciale (trade act) qui leur permettent d'adopter des mesures unilatérales en cas de pratique commerciale étrangère jugée déloyale. Au reste, les Etats-Unis n'ont pas non plus hésiter à adopter des lois contraires au multilatéralisme : les lois Helms-Burton et d'Amato, qui menacent de sanctions les entreprises qui commercent avec Cuba, l'Iran et la Libye. Ces lois sont toujours en vigueur, même si l'application de la première a été considérablement assouplie au début 1998, notamment à l'égard de l'Union européenne.

Une question essentielle demeure toutefois en suspens : l'ORD a-t-il vraiment les moyens de faire respecter ses recommandations ? Force est en effet de reconnaître la difficulté pour un partenaire «faible » d'exercer des sanctions autoritaires à l'encontre d'un partenaire beaucoup plus puissant. Il est significatif par exemple que les Etats-Unis n'hésitent pas à appliquer des représailles avant même qu'un panel n'ait rendu sa décision (comme ce fut le cas dans le dossier de la banane par exemple).Pour Jean-Pierre Petit, chroniqueur à l'AGEFI, « l'OMC semble être encore considérée plus comme un lieu où il est possible de faire entendre sa voix et de défendre ses intérêts, (ce qui expliquerait la volonté d'adhésion et le recours à sa juridiction), que comme l'organe de mise en _uvre rapide des engagements pris ».

Votre Rapporteur estime également nécessaire de renforcer la légitimité de l'ORD qui doit apparaître pour ce qu'elle a l'ambition d'être : le garant d'un état de droit dans les relations commerciales. Aujourd'hui, il apparaît, trop souvent encore, comme un symbole du libéralisme universel. Dans cette optique d'arbitre impartial, la procédure devant l'ORD devrait être réformée pour faire sa part à l'expression des observations des représentants de la société civile, et tout spécialement des ONG. Faute d'avoir le sentiment que leur point de vue est pris en compte, les opinions publiques sont en passe de devenir les plus grands détracteurs de l'OMC, comme en témoigne la réaction des consommateurs européens, lors de la condamnation de l'Union européenne pour son refus d'importer du b_uf aux hormones américain, une décision qui leur est apparue incompréhensible.

Il est essentiel également de revoir le mode des désignations de ceux que l'on appelle en jargon OMC des « panélistes », c'est à dire ceux qui composent les groupes spéciaux de première instance. Actuellement la pratique de désignation des panélistes est relativement peu transparente ; ce sont, dans plus de 90% des cas, des délégués gouvernementaux et des fonctionnaires qui représentent en quelque sorte des sommes d'intérêts. Tout cela ne joue pas en faveur de l'indépendance de vues des arbitres et de la cohérence de la jurisprudence. La création d'une liste relativement restreinte d'arbitres reconnus pour leurs compétences juridiques sur laquelle seraient choisis les panélistes devrait être envisagée.

Enfin, le rapport précité de juillet 1999 M. Jean-Pierre Landau et Mme Catherine Lalumière sur les négociations commerciales multilatérales met en avant la nécessité de fournir une assistance technique spécifique, en terme d'experts notamment, aux pays en développement afin que ceux-ci soient en mesure de faire valoir leurs droits en cas de différends. Ce même rapport faisait également des propositions pour améliorer la transparence de la procédure : tenue de séances publiques, publicité des soumissions écrites des parties... Votre Rapporteur souscrit à ces suggestions. Une décision de justice est d'autant mieux acceptée qu'elle a été prise dans des conditions satisfaisantes de transparence et de garantie pour les parties.

3) La création de grandes zones économiques régionales

a) Une logique de régionalisation

On assiste depuis une dizaine d'années à une multiplication des accords d'intégration régionale selon des formes de plus en plus variées. En 1990, on en comptait moins de vingt-cinq et ils approchent aujourd'hui la centaine. Certains sont toutefois plus importants que d'autres. L'Acte unique, puis le traité de Maastricht ont renforcé les institutions européennes. En Amérique du nord, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a créé un vaste marché intégré (Mexique, Etats-Unis, Canada) et en Amérique du Sud, le Marché commun du Sud (Mercosur) a entamé un processus similaire (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay). En Asie du Sud-Est, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont conclu un Accord commercial de rapprochement économique tandis que l'Association des nations du Sud-est asiatique ou l'Association sud-asiatique de coopération régionale (respectivement plus connus sous leur acronyme anglais ASEAN et APEC) ont en perspective la création d'une association de libre-échange. Les dirigeants africains s'efforcent également de promouvoir l'idée de cadres régionaux formels, à l'image du Président Abdou Diouf qui appelle de ses v_ux un renforcement et un approfondissement de l'Union économique et monétaire ouest-africaine.

Quelle est la raison de ce succès de l'intégration régionale ? Certains observateurs estiment que la régionalisation constitue une alternative à la mondialisation, avec laquelle elle entrerait en contradiction. Ce n'est pas l'opinion de votre Rapporteur pour lequel la régionalisation va de pair avec la mondialisation, dont elle est une composante. La régionalisation permet en effet de constituer ce que M. Zaki Laïdi a appelé des « espaces de sens » (Zaki Laïdi, Géopolitique du sens, Desclée de Brouwer, 1998). Dans cette optique, la régionalisation constitue une réponse à la mondialisation dès lors qu'elle n'apparaît pas comme une forteresse «mais plutôt comme un filtre, une médiation entre un global trop abstrait et un local trop étroit. Nous sommes, écrit M. Zaki Laïdi, dans une situation où le national est fonctionnellement insuffisant, mais identitairement irremplaçable, tandis que le global est fonctionnellement pertinent, mais identitairement insatisfaisant ».

Pour le Centre d'études prospectives et d'informations internationales, la régionalisation des échanges internationaux ne se limite pas à des accords internationaux. Il s'agit avant tout d'un phénomène structurel lié à un ensemble de facteurs de proximité : la distance géographique, donc les coûts de transport mais aussi les liens culturels, historiques et linguistiques, la similarité des systèmes politiques, des niveaux de vie ou encore des politiques commerciales. Les accords d'intégration régionale qui réussissent sont ceux qui viennent compléter une intégration déjà bien avancée grâce à cette proximité.

Un contre-exemple peut illustrer cette théorie : celui de l'APEC. Née en 1989 sur l'initiative des Etats-Unis, l'APEC comprend des membres aussi divers que les Etats-Unis, le Japon, la Corée, la Chine ou la Russie : 21 pays au total représentant 58% du PNB mondial et 47 % du commerce de la planète. En raison même de cette diversité l'APEC n'a jamais réussi à se structurer. On peut donc avoir quelques doutes sur la réalisation de sa décision, adoptée en 1994, de créer une zone de libre-échange en 2010 (pour les pays les plus développés de la zone) et 2020 (pour les pays les moins avancés).

b) La compatibilité entre régionalisation et mondialisation

Mais cette régionalisation n'a pas débouché pour autant sur une partition du monde en trois grands sous-ensembles (Amériques, Union européenne et Asie) relativement étanches, dont les flux externes seraient faibles au regard des flux internes. Aucun de ces trois pôles n'entend se contenter de sa sphère naturelle d'influence. C'est le sens des tentatives de l'Union européenne d'engager un partenariat économique avec le Mercosur (sommet de Rio de Janeiro de juin 1999) ou d'ébaucher un dialogue avec l'Asie dans le cadre de l'ASEM (Asia-Europe meeting) qui regroupe les quinze pays de l'Union européenne, les 7 pays de l'ASEAN, la Chine, la Corée du sud et le Japon.

Il n'est donc pas étonnant que mondialisation et régionalisation aillent de pair depuis une dizaine d'années, même si leur relation sont particulièrement complexes. Les travaux de Mme Françoise Nicolas, chargée de recherche à l'Institut français des relations internationales, ont permis de mettre en évidence des différences sensibles entre l'Asie du sud-est et de l'Amérique latine au niveau des enchaînements entre ces deux mouvements. En Asie, c'est la mondialisation qui, en dopant la croissance et le développement économique, a nourri la régionalisation, notamment sous l'impulsion du Japon. A l'inverse, en Amérique latine, les initiatives récentes de régionalisation ont été conçues et mises en place pour faciliter l'intégration dans le processus de mondialisation et répondre aux nouvelles conditions de concurrence qu'il impose.

Au total, loin d'être contradictoires, régionalisation et mondialisation constituent les deux faces d'une même pièce : elles se renforcent mutuellement et participent d'une même logique d'intégration au marché mondial, alimentant ainsi la dynamique du développement.

Une étude établie en 1995 par le Secrétariat de l'OMC concluait dans le même sens en affirmant que « les initiatives régionales et multilatérales d'intégration se complètent plutôt qu'elles ne s'opposent dans la recherche d'une plus grande ouverture du commerce ». Toutefois, les regroupements régionaux constituent des exceptions au principe fondateur de l'OMC selon lequel tous les partenaires commerciaux doivent bénéficier de l'égalité de traitement, ce qu'on appelle le traitement de la nation la plus favorisée (NPF). L'OMC a donc voulu s'assurer que la création d'une zone commerciale n'obéissait pas à la volonté de contourner cette clause NPF pour un certain nombre de secteurs. C'est la raison pour laquelle l'article 24 du GATT soumet la légalité de ces accords à certains critères rigoureux. Ils doivent en particulier favoriser la libéralisation des courants d'échanges entre les pays participants sans opposer d'obstacles au commerce avec le reste du monde. Un Comité des accords commerciaux a été mis en place en février 1996 pour examiner les groupements régionaux et déterminer s'ils sont conformes aux règles de l'OMC.

Jusqu'ici, ainsi que le notent M. Landau et Mme Lalumière dans leur rapport de juillet 1999, les règles de l'OMC ont été essentiellement utilisées vis-à-vis de la Communauté européenne, qui a du consentir d'importantes concessions commerciales aux pays tiers à l'occasion des négociations consécutives aux élargissements. On peut anticiper des pressions très importantes lors de l'accession des pays d'Europe centrale et orientale. Il serait souhaitable que l'OMC applique ces mêmes disciplines à d'autres formes de regroupements régionaux et qu'elles ne soient pas un obstacle au maintien des préférences à l'égard des pays en développement.

Il ne faudrait pas croire cependant que l'approfondissement des coopérations monétaire, financière et commerciale ainsi que la régionalisation constituent des remèdes miracles aux défis que lance la mondialisation aux Etats et aux sociétés. Des efforts supplémentaires sont nécessaires sur lesquels il convient maintenant de réfléchir.

B - Un approfondissement des réformes

Comment humaniser la mondialisation ? C'est à cette question que votre Rapporteur voudrait maintenant répondre. Il y pose trois conditions : la formation d'une communauté civile internationale, le maintien de la suprématie du politique sur l'économique et la mise en valeur de la richesse humaine de la France et de l'Union européenne.

1) Vers une communauté civile internationale

Au cours de ces dernières années sont apparues de nouvelles références politiques globales exprimées par les termes : « société civile internationale », «démocratie mondiale », «patrimoine commun de l'humanité »...

a) La citoyenneté planétaire

Il existe déjà ce qu'on pourrait appeler une vie quotidienne mondiale alimentée par des faits divers de portée planétaire qui incluent aussi bien les accidents ferroviaires et aériens, les tremblements de terre, les incendies spectaculaires, les mariages princiers et les grands événements sportifs. « La mondialisation, constate M. Zaki Laïdi, chercheur au CNRS dans un article de la revue Esprit d'octobre 1998, crée une communauté spontanée qui n'implique toutefois ni système social stable, ni projet commun » ; cette communauté est essentiellement fondée selon M. Laïdi sur «un vivre-ensemble émotif », chaque événement mondial étant d'abord vécu sur le mode de l'émotion.

La mondialisation développe également une certaine vision de la «citoyenneté planétaire » qui entre directement en concurrence avec la citoyenneté nationale traditionnelle représentative. Les ONG autoproclament leur légitimité en se posant comme les premières incarnations de cette société civile planétaire. Dans sa contribution au rapport Ramses 2000, M. Philippe Moreau-Desfarges soulignait le rôle de plus en plus important joué par les ONG dans les relations internationales : elles participent à la fixation des agendas des négociations internationales (notamment par leur campagne de mobilisation) ; elles réclament des normes (protection des dauphins, interdiction des mines antipersonnel...) ; enfin, elles surveillent le respect des normes (droits des prisonniers politiques, liberté des journalistes...). Il est d'ailleurs symptomatique de constater que les dirigeants de ces ONG représentent une part de plus en plus importantes des personnalités auditionnées par notre Commission des Affaires étrangères, qui réservait ses auditions, il y a encore peu de temps, uniquement aux représentants des gouvernements.

« La communauté des ONG, constate M. Moreau-Desfarges, par le nombre de ses membres, pèse beaucoup plus lourd que bien des Etats de taille moyenne, ayant eux, chacun une voix à l'Assemblée générale des Nations Unies. Ces ONG sont redoutées tant des multinationales (ainsi les sociétés minières et pétrolières contraintes de justifier - ou d'abandonner - leurs investissements au nom des impératifs d'environnement ou de défense des droits de l'homme) que des Etats (ainsi la France bousculée par Greenpeace pour ses essais nucléaires) ».

La ligne de partage entre le domaine de l'Etat et celui de la communauté internationale devient de plus en plus un enjeu. Votre Rapporteur a déjà eu l'occasion, dans un précédent rapport sur la politique d'intervention dans les conflits, co-signé avec notre estimé collègue M. Jean-Bernard Raimond, de retracer l'histoire de l'ingérence humanitaire. Nous distinguions alors trois étapes. Une première étape, dans les années cinquante, fut celle de l'ingérence morale, immatérielle, de type Amnesty international. C'est l'ingérence de la pétition et de la lettre. La deuxième étape dans les années soixante-dix, fut celle de l'ingérence médicale que résume le titre de l'association «médecins sans frontières » dont l'action vient d'être récompensée par l'attribution d'un Prix Nobel. La troisième étape dans les années 80, fut une ingérence institutionnalisée soutenue par les gouvernements. C'est l'ingérence des Etats. On pourrait aujourd'hui y ajouter une quatrième étape, celle des années quatre-vingt dix, l'ingérence des tribunaux internationaux qui visent à inculper et juger les responsables gouvernementaux initiateurs de crimes d'une ampleur sans précédent : tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie (résolution 808 du Conseil de sécurité du 22 février 1993) et le Rwanda (résolution 955 du 8 novembre 1994) ; création d'une Cour pénale internationale (traité signé à Rome le 17 juillet 1998 signé par 120 Etats).

L'inculpation en juin 1999 de M. Slobodan Milosevic, président de la nouvelle Yougoslavie ou les poursuites intentées contre le général Augusto Pinochet, dictateur du Chili de 1973 à 1989, sont également autant de témoignages des progrès d'un droit pénal international qui exprime la recherche d'une forme de société mondiale, régie par une morale universelle.

b) Les normes planétaires

Cette ébauche d'une société mondiale pose la question de la reconnaissance de normes planétaires. L'affaiblissement des Etats nationaux, de leur capacité d'intervention et de régulation des rapports sociaux, la compétition de plus en plus acharnés auxquels ils se livrent afin de rendre leur territoire le plus attirant possible, l'abandon par certains d'entre eux de pans entiers -en particulier en matière d'emploi- de leurs obligations de régulation, le développement de zones hors-la-loi devenant des zones de trafic, conduisent à préconiser la définition de normes de «meilleures pratiques », acceptées par tous, dans un ensemble de domaines allant des politiques sociales aux normes sanitaires en passant par des comportements financiers.

Bien évidemment, ce principe d'action collective en vue d'une meilleure gestion des risques globaux qui pèsent sur les peuples et les individus, renvoie à un débat sur le choix des domaines où l'approche multilatérale est préférable à une action nationale individuelle des différents pays. Cette question, que l'on connaît bien dans l'Union européenne sous le terme de principe de subsidiarité, n'admet pas de réponse simple et unique au-delà de quelques principes de bases. L'exemple des normes sociales est là pour en témoigner.

Il existe entre pays développés et pays en voie de développement une très grande disparité des droits et des pratiques en matière de travail et de protection sociale. Ces disparités s'expliquent en partie par les écarts économiques mais revêtent également une dimension éthique et morale liée aux droits de l'homme. Les pays en développement sont en général très hostiles à l'idée de lier commerce international et normes du travail ; ils dénoncent des arrière-pensées protectionnistes de la part des pays développés et craignent qu'on ne les prive de l'un de leurs principaux avantages comparatifs.

Le problème est complexe. On ne peut accepter d'une part que le sous-développement serve d'excuse pour ne pas développer les droits sociaux. Mais à l'inverse, on ne peut traiter les droits des travailleurs dans un cadre exclusivement juridique, sans les insérer dans un processus de développement. L'Organisation internationale du travail (OIT) s'est donc efforcée de définir un seuil minimal de droits sociaux compatibles avec la dignité humaine ; ce socle comporte : le droit d'organisation des travailleurs et la négociation collective ; l'interdiction du travail des enfants ; l'éradication du travail forcé ; la non-discrimination en matière d'emploi. Une meilleure coopération entre l'OIT et l'OMC devrait aboutir à imposer le respect de ces normes aux Etats.

L'urgence pour votre Rapporteur est bien sûr la disparition complète du travail forcé des enfants. Selon le BIT, 50 à 60 millions d'enfants de 5 à 11 ans sont au travail dans le monde. Une action spécifique est nécessaire en ce domaine. Selon les observations de l'Unicef, il ne suffit pas d'obliger les multinationales à rompre tout accord avec des sous-traitants employant des enfants, pour résoudre la question ; ces derniers risquent de se retrouver dans la rue et parfois de tomber dans la prostitution. Il est préférable que l'établissement d'un code de bonne conduite pour les multinationales s'accompagne de systèmes incitatifs en faveur de l'éducation et de la formation en contrepartie de dérogation pour certains travaux légers ne portant pas préjudice à la santé et au développement de l'enfant.

c) Pour la création d'un Conseil de sécurité économique

Depuis 1945, les institutions internationales (FMI, banque mondiale, OMC, OIT, ...) se sont développées suivant un principe de spécialité, chacune fonctionnant de manière indépendante, avec son propre champ de compétence, ses propres conditions d'adhésion, son système juridique spécifique. Cette spécialisation a aujourd'hui montré ses limites, tant sur le plan de l'efficacité que sur celui de la légitimité.

Ce principe de spécialisation doit être contrebalancé par un renforcement de la coopération entre ces institutions. Les Etats sont en droit d'attendre que les problèmes communs soient traités de manière coordonnée. Trop longtemps par exemple, la banque mondiale et le FMI ont donné l'impression de s'ignorer, la première consacrant l'essentiel de son activité à atténuer la rigueur des plans d'austérité imposés par le second. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et ces deux institutions s'efforcent de coordonner leur action. Il devrait davantage en être ainsi, nous l'avons déjà évoqué, entre l'OMC et l'OIT et entre l'OMC et le FMI.

Mais il convient d'aller plus loin et c'est la raison pour laquelle votre Rapporteur appelle de ses v_ux la création dans le cadre de l'ONU d'un Conseil de sécurité économique composé à parité de pays développés et de pays en développement, et faisant une place aux organisations régionales. Les missions de ce Conseil de sécurité seraient tout d'abord de veiller à la prise en compte des droits de la personne humaine dans le développement économique mondial, notamment en élaborant des codes de conduite pour les sociétés multinationales, en promouvant un commerce équitable, en luttant contre l'exclusion des nations et en favorisant le comblement des fossés technologiques. Elles consisteraient ensuite à atténuer l'insécurité financière en prévenant l'apparition de nouvelles crises, et en organisant l'aide des populations en période de crise et d'ajustement. Elles seraient enfin de diminuer les risques globaux et menaces pesant sur les peuples en luttant contre la criminalité mondiale, en protégeant la diversité culturelle et en préservant l'environnement.

2) La redéfinition du politique

Votre Rapporteur l'a déjà évoqué : le pouvoir du marché et des entreprises transnationales s'est développé au détriment de l'autorité de l'Etat. L'autonomie gouvernementale apparaît compromise, prise en tenaille entre des politiques supra et infranationales qui émergent et s'ordonnent autour d'elle et qui sont autant de contraintes à toute action politique.

a) L'Etat concurrencé

« Les Etats-nations sont-ils devenus des dinosaures en train de mourir ? » s'interroge le prospectiviste japonais Kenici Ohmae. Avec la mondialisation, l'Etat, naguère acteur dominant du système international, est confronté à l'émergence d'autorités concurrentes et de notions multiples de loyauté et d'identité.

Susan Stange, dans son ouvrage non encore traduit en français « the retreat of the State : the diffusion of power in the world economy » (Cambridge university press, 1996) décrit comment les acteurs privés ont progressivement dépossédé les Etats de leurs pouvoirs traditionnels : les Etats se sont massivement retirés des activités productives dans tous les secteurs ; les transferts de capitaux réalisés par les firmes multinationales ont désormais un impact beaucoup plus important sur la redistribution des richesses au niveau mondial que les politiques publiques ; les entreprises confisquent aux Etats la gestion sociale : les salaires, les emplois et les conditions de travail sont de plus en plus déterminés à l'intérieur des firmes plutôt que par la loi ; enfin, les entreprises multinationales deviennent des acteurs de plus en plus importants en matière fiscale.

On pourrait ainsi multiplier les exemples de domaines qui étaient naguère du ressort exclusif des Etats, et que ces derniers doivent maintenant partager avec d'autres acteurs qui exercent une autorité concurrente.

Certains déplorent la défaite de l'autorité politique des Etats face à la puissance économique des marchés. La perte de maîtrise de puissance publique, symbolisée par les difficultés rencontrées aujourd'hui par l'Etat-Providence, serait à mettre au compte des méfaits de l'ouverture commerciale et financière des économies. Une telle analyse relève pour votre Rapporteur de la recherche de boucs émissaires. « La crise de l'Etat-Providence n'est pas une crise dictée par la globalisation financière, écrit l'économiste Daniel Cohen dans « Richesse du monde, pauvreté des nations » (Flammarion, 1997), mais celle d'un système qui a été conçu à une période où le risque de chômage était à peu près nul, où l'espérance de vie restait courte eu égard à l'âge de la retraite, et au cours de laquelle la croissance était si forte qu'on ne pouvait pas douter que les cotisations des actifs parviennent toujours à financer les retraites des inactifs. Adapter l'Etat-Providence au nouveau monde des inégalités contemporaines obéit à une logique interne où la globalisation compte pour peu ».

A l'extrême, la mondialisation, et l'absence de toute autonomie politique qu'elle entraînerait, est souvent un argument inespéré pour des gouvernements d'Etats perclus de dettes, s'efforçant de contenir les demandes croissantes auxquelles ils sont confrontés. Ils y ont recours pour mettre en scène leur propre impuissance et leur risque d'insolvabilité. Cet argumentaire a pourtant une limite évidente rappelée par M. Daniel Cohen : on ne peut impunément faire de l'ingouvernementalité un principe de gouvernement.

b) Plaidoyer pour un Etat stratège

En substitution au traditionnel Etat social keynésien, fruit du compromis entre le capitalisme et l'Etat-Providence, votre Rapporteur voudrait promouvoir l'Etat stratège, seul à même de préserver, en dépit de la mondialisation, une marge de man_uvre pour une vision et des choix politiques. Cet argument n'est pas fondé que sur le volontarisme, il prend acte que la mondialisation doit être conçue avant tout comme un exercice d'ajustement et que l'on ne peut réduire la relation entre l'Etat et les marchés à un simple affrontement ; elle comporte également beaucoup d'aspect de soutien mutuel.

Pour votre Rapporteur, l'Etat actuel dispose dans les faits d'importants instruments d'action. Tout d'abord, il reste responsable au premier chef de l'environnement légal, fiscal et normatif dans lesquels évoluent les entreprises. A ce titre, ils doivent plus systématiquement et nettement que par le passé prendre en compte l'environnement concurrentiel et se préoccuper des répercussions financières et économiques de leurs décisions qui pourraient conduire à l'étouffement progressif des entreprises nationales et à un arbitrage défavorable pour l'implantation d'entreprises étrangères. En ce domaine, le souci de tout gouvernement devrait être celui exprimé par la devise médicale traditionnelle : « en premier lieu, ne pas nuire ».

Les Etats ont aussi la possibilité, nous l'avons vu, de renforcer leurs capacités d'action en participant à la création de zones économiques régionales afin de créer un meilleur environnement de croissance et renforcer leur impulsion, grâce à ce relais, sur la scène internationale.

En deuxième lieu, l'Etat s'investit de plus en plus dans la conquête de marchés extérieurs pour ses entreprises. Ce comportement, habituel aux Etats-Unis depuis de nombreuses années mais encore renforcé avec la présidence Clinton, est aujourd'hui banalisé dans la plupart des pays. Le Président de la République, M. Jacques Chirac, rappelle régulièrement ce principe lors de la rencontre annuelle des ambassadeurs français. Dans cette même optique, la plupart des Etats accordent des garanties lorsque leurs entreprises vont se confronter à des marchés difficiles (système de garantie de la COFACE en France).

Enfin, en troisième lieu, l'action de l'Etat en faveur d'une compétitivité accrue des entreprises ne passe plus par la mise en place d'une politique industrielle globale mais par la conception et le développement d'un système d'éducation, de formation, de recherche et de technologie performant.

L'Etat stratège est un Etat anticipateur et pourvoyeur, c'est à dire qu'il doit se fixer comme ambition d'assurer à l'économie française les instruments de son futur développement. C'est par ce rôle qu'il répondra le mieux au besoin de protection de la société française.

Les responsables politiques devraient cesser de se poser en défenseur d'une souveraineté idéalisée qui, pour une grande partie, n'a jamais existé et qui est condamné à se réduire au fur et à mesure que croît l'interdépendance entre les Etats. La toute puissance n `est pas le modèle de la souveraineté comme l'Etat totalitaire n'est pas le modèle de l'Etat souverain. L'apparition de mécanisme de régulation de type transnational ne signifie pas la mort des Etats mais une transformation de leur mode d'organisation. Les Etats peuvent au contraire trouver dans ces nouveaux réseaux interconnectés d'acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux, du domaine tant public que privé, de niveau national, régional ou international un champ d'influence nouveau qui relève non pas du pouvoir mais davantage de la négociation, du compromis, de l'échange..., bref d'un nouvel exercice démocratique.

3) Le pari de la croissance

Avant de conclure, votre Rapporteur voudrait s'interroger sur les atouts et les faiblesses de la France face aux nouvelles opportunités offertes par la mondialisation. Il est convaincu que les chances de la France seront d'autant plus élevées que deux conditions seront réunies : la poursuite de la construction européenne et la mise en place d'une culture favorable à l'innovation, c'est à dire à la prise de risque.

a) Les bienfaits de l'Union européenne

« L'analyse de l'expérience d'intégration des pays européens depuis quarante ans montre que cette expérience n'est ni une protection contre la mondialisation, ni une assurance de réussite de l'Europe politique » estime Mme Frédérique Sachwald dans son ouvrage « L'Europe et la mondialisation » (Flammarion, 1997). Si votre Rapporteur partage ce jugement, il estime toutefois que la construction européenne a joué un rôle, et a encore un rôle à jouer, pour atténuer les tensions suscitées par la mondialisation au sein des économies nationales.

Penser l'intégration européenne en terme de protection contre la mondialisation est une erreur. Il faut davantage la concevoir, selon les termes d'une étude commandée par la Direction générale des stratégies industrielles, comme «un niveau d'internationalisation qui favorise l'exploitation de certaines économies de dimension, sans être un obstacle à des échanges fondés sur les déterminants traditionnels des dotations factorielles ou de l'écart technologique » (Industrie française et mondialisation, Ministère de l'économie et des finances, 1999). Autrement dit, l'intégration européenne est pour l'économie française l'un des principaux vecteurs de l'intégration mondiale.

Le projet d'achèvement du marché intérieur pour le 31 décembre 1992, prévu par l'Acte unique de février 1986, a constitué un élément de relance de la construction européenne mais a été également conçu comme une réponse à ce que l'on appelait alors «l'eurosclérose ». A l'époque, le manque de compétitivité de l'industrie européenne était largement attribué à des problèmes structurels, et notamment à la fragmentation de l'espace économique européen. Les entreprises ont été très mobilisées par la préparation du marché européen unifié et ont mené à bien des actions de restructuration à l'échelle européenne tout en inscrivant ces opérations dans un contexte mondial, comme le prouve l'essor spectaculaire, à partir de 1991, des investissements directs des entreprises européennes vers les pays émergents et, dans une moindre mesure, vers les pays d'Europe centrale et orientale. Le marché européen a permis une certaine progressivité dans le processus de mondialisation de l'industrie française. On s'est assuré d'un marché de proximité stable, avant de pénétrer d'autres régions du monde.

Présenté lors de son lancement le 1er janvier 1999 comme «un instrument de maîtrise de la mondialisation », l'euro devait permettre aux Européens de s'affirmer dans la gestion des affaires économiques mondiales. D'ores et déjà, nul ne songe à contester que l'euro a contribué à la stabilité monétaire et macro-économique de la zone européenne et qu'il s'est affirmé face au dollar comme monnaie internationale. Il connaît notamment une grande faveur auprès des gros emprunteurs du monde entier : la moitié des émissions obligataires internationales se font actuellement en euro.

Pour affirmer son identité face au libre jeu de la mondialisation, il reste encore à l'Union à construire une véritable politique économique et sociale au service de la croissance. L'euro-11, cette structure informelle qui rassemble les ministres des Finances des onze pays de la zone euro, commence à jouer ce rôle : il est désormais chargé de coordonner les politiques budgétaires face à la Banque centrale européenne. En matière sociale, domaine dans lequel les positions des différents pays membres sont très éloignées, l'enjeu est moins d'élaborer une protection sociale optimale et uniforme que d'établir certaines règles communes minimales.

L'objectif de l'Union européenne ne doit pas être de se défendre de la mondialisation à la manière d'une forteresse assiégée. Elle ne tiendrait du reste pas longtemps sous l'effet conjugué des coups de boutoir externes et des dissensions internes. Il doit être bien davantage de modeler la mondialisation à sa manière en faisant entendre sa différence et, le cas échéant, en imposant ses valeurs.

b) Les réformes françaises

La France doit elle aussi entreprendre des changements si elle veut maintenir son influence dans le monde. Votre Rapporteur voudrait insister sur ce qui lui apparaît comme les deux principales urgences : la redéfinition de notre système d'éducation et de formation, le développement d'une culture acceptant la prise de risque.

Face aux exigences de la mondialisation, notre système actuel de formation et d'éducation est trop rigide. Dans le cadre de leur vie professionnelle, nos enfants auront à participer à l'invention de nouvelles formes de développement économique et social et ils devront construire leur propre itinéraire au sein de milieux et d'activités particulièrement variés. Face à cet avenir, le système français souffre d'un double défaut : d'une part, accorder une importance excessive au diplôme initial et ne pas valoriser suffisamment les talents qui peuvent émerger au cours de la vie professionnelle ; d'autre part, ne pas prédisposer suffisamment les esprits au changement et à l'innovation.

Pour remédier à ces deux carences, votre Rapporteur propose : de redonner leurs lettres de noblesses aux filières socioprofessionnelles et de développer les passerelles entre les différentes filières de formation ; d'accentuer les synergies entre d'un côté le monde de l'enseignement et de la recherche, et l'entreprise de l'autre (multiplication des stages obligatoires notés, création de laboratoires mixtes universités-entreprises, affirmation plus nette du rôle de formation de l'entreprise) ; d'accentuer l'ouverture de l'enseignement sur le monde en développant l'apprentissage des langues étrangères, en favorisant les politiques d'échanges et en imposant à un certain niveau d'enseignement une année de formation à l'étranger.

La seule protection qui vaille contre le risque d'exclusion sociale est celle de la formation. Les exclus de demain sont ceux dont les talents ne seront ni reconnus ni utilisés.

Par ailleurs, dans une économie mondiale de plus en plus intégrée où la connaissance et les capitaux circulent sans entraves, la capacité à innover et entreprendre deviendra la véritable clef du succès. Or pour entreprendre ou innover, il faut d'abord savoir prendre un risque, ce qui reste assez mal vécu en France.

« En France, lorsqu'une personne échoue, on retient son échec, et son avenir est limité et même brisé. Aux Etats-Unis, lorsqu'une personne échoue, on retient qu'elle a tenté et on n'hésitera pas à lui redonner une seconde chance » expliquait à votre Rapporteur un chef d'entreprise français expatrié aux Etats-Unis. Il faut changer cet état d'esprit français qui ne peut que nous conduire sur la voie du déclin. Voilà pourquoi votre rapporteur juge essentiel de développer en France une culture d'entreprise et promouvoir une culture de l'actionnariat, notamment en constituant un environnement propre à l'éclosion et au développement des très petites entreprises ; en établissant un statut de créateur (en termes de droit à congé et de protection sociale notamment) ; en promouvant une véritable politique d'actionnariat salariale et en démocratisant la pratique des stock-options ; enfin, en promouvant l'activité plutôt que l'assistanat.

CONCLUSION

Votre Rapporteur croit à la loi du marché, ce qui ne l'empêche pas de croire aussi à la culture, à la société et à la politique.

L'enjeu des prochaines négociations dites du millénaire, dont le coup d'envoi sera lancé à Seattle le 30 novembre 1999 est de donner un supplément d'âme à la mondialisation, de placer l'humain en son centre. Entre le laisser-faire béat et la réglementation tatillonne, il existe une place pour une régulation internationale souple, pour des codes de conduite négociés entre partenaires, pour une gestion des droits et des devoirs adaptés aux citoyens du monde.

La mondialisation est une aventure obligée. Elle permet, à l'image du transport aérien, d'aller plus vite, plus loin, généralement dans des conditions de plus grande sécurité. Quand des accidents surviennent, ils sont spectaculaires et meurtriers. C'est pourquoi il faut tout faire pour renforcer la sécurité. Mais personne ne songe à revenir en arrière et à renoncer à voyager entre les continents.

La mondialisation comporte en elle-même deux types de danger : d'une part, une menace pour la stabilité économique et politique des pays ; d'autre part, le risque que la compétition économique ne dégénère en conflit de valeurs, avec ce que cela implique de chocs en retour et de tentations ultranationalistes. La mondialisation entraîne, il est vrai, une certaine limitation de la souveraineté économique. C'est sans doute le prix à payer pour davantage de prospérité. Il est d'autant plus important qu'elle n'apparaisse pas comme le triomphe d'une forme spécifique d'organisation de la société.

Dans la recherche de ce difficile équilibre, la France et l'Union européenne ont une contribution importante à apporter. Des années d'intégration progressive nous ont permis de construire des institutions solides assurant la stabilité de notre environnement économique et financier. La marche a été difficile, traversée de graves crises et de tensions. Nous avons, pour certains domaines, renoncé à une partie de notre souveraineté, sans pour autant renoncer à notre identité. Au moment de l'ouverture de la conférence de Seattle, c'est un message que l'Europe peut valablement et légitimement adresser à ses partenaires mondiaux.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mercredi 24 novembre 1999, sur le rapport de M. Roland Blum.

M. Roland Blum a fait remarquer que le terme de mondialisation connaissait traditionnellement un grand succès qui était encore renforcé par la prochaine ouverture des négociations de l'OMC à Seattle. Pour les uns, elle serait la cause de tous nos maux, "l'horreur économique". Pour les autres, elle serait une des clefs du bonheur - c'est la "mondialisation heureuse" - et ceux qui la refusent seraient des irresponsables.

La mondialisation conduit-elle nécessairement à l'uniformisation ? Peut-elle avoir un visage humain ? Est-ce seulement un concept économique ? Quel rôle reste-t-il à l'Etat ? Voilà les questions auxquelles M. Roland Blum a déclaré vouloir apporter des réponses ou des éléments de réponse dans son rapport.

Quels sont les chiffres qui nous permettent de mesurer la mondialisation ? Les transactions commerciales ont augmenté en volume et en moyenne annuelle de 6% par an entre 1957 et 1997, alors que la production mondiale n'a progressé que de 3,7% durant cette même période ; les investissements directs à l'étranger représentaient 1% du PNB mondial en 1980 contre 2,5% en 1997 ; les fusions-acquisitions explosent : 411 millions de dollars en 1998, soit une augmentation de 7,4% par rapport à 1997.

Le Rapporteur a exposé les trois principales causes de la mondialisation.

- La faillite du système de Bretton Woods, liée à la décision du Président Nixon, le 15 août 1971, de suspendre la convertibilité du dollar en or a marqué l'échec du système, échec définitivement consacré en mars 1973 avec l'établissement d'un régime de taux de change flottants. Ce dernier a provoqué l'internationalisation et la déréglementation des mouvements de capitaux.

- Les nouvelles technologies, qui ont entraîné la dématérialisation de l'économie par la baisse des coûts des transports et des communications.

- Les politiques de déréglementation qui, commencées avec la création de zone de libre-échange, se sont poursuivies avec les négociations du GATT. Celles-ci ont progressivement aplani les obstacles à la circulation internationale des capitaux, marchandises et services.

Selon Mme Forrester, la mondialisation s'apparente à l'effroi diffus mais justifié de voir des êtres humains en grand nombre tenus pour superflus. Depuis le début des années 1990, le monde a été secoué par trois grandes crises : celle du SME en 1992/93, celle du Mexique en 1994/95 et celle de l'Asie du Sud-Est en 1997/98. Ces crises ont fait perdre leur emploi à plusieurs dizaines de millions de personnes et amputé le niveau de vie de centaines de millions d'autres.

La libéralisation des marchés financiers, si elle a eu incontestablement des effets positifs sur la croissance et en particulier sur celle des pays à économie émergente, a sans doute eu une responsabilité dans le développement des crises financières. Les entrées rapides et massives de capitaux étrangers ont eu un rôle déstabilisateur, provoquant des crises et favorisant leur extension.

Les transactions journalières sur le marché des changes s'effectuent de plus en plus souvent uniquement pour des raisons financières, c'est-à-dire sans contrepartie commerciale. Les prix des marchés se déterminent davantage sur des anticipations boursières qu'en fonction des déterminants économiques fondamentaux. Lorsque la confiance se perd, c'est la crise, l'explosion des inégalités, à la fois entre les pays et à l'intérieur des pays.

La mondialisation revêt certes un aspect positif sur le plan général ; l'intégration des marchés a bénéficié aux pays en voie de développement, leur part dans le commerce mondial s'est renforcée pour atteindre 30%, alors qu'elle ne représentait que moins de 15% il y a 15 ans. Cependant, lorsque l'on examine les résultats pays par pays, force est de constater que 80 pays ont un revenu par habitant inférieur à ce qu'il était il y a dix ans. L'écart de revenu entre les 20% de pays les plus riches et les 20% de pays les plus pauvres s'est accru de 1 à 30 en 1960 pour passer de 1 à 74 en 1997.

Selon un rapport du PNUD, les trois plus grosses fortunes du monde possèdent ensemble plus que le PNB total du groupe des pays les moins avancés qui compte 600 millions d'habitants. Si, malgré la crise financière, l'Asie a plutôt bénéficié de la mondialisation, le continent africain en a été presque totalement écarté. C'est donc vers les PMA qu'il convient de faire des efforts d'intégration pour faciliter leur accès aux marchés et les faire profiter de l'assistance technique.

Il faut espérer que Seattle prenne en considération ce grave problème et aille beaucoup plus loin que l'application du principe de non-réciprocité dans les négociations commerciales. Le marché n'a rien à gagner à laisser perdurer un système qui laisse au bord du chemin 3 milliards d'individus qui vivent avec moins de 2 dollars par jour.

De même, à l'intérieur des pays, une société à deux vitesses s'installe, avec un écart important entre les revenus, et un fossé entre une élite mondialisée qualifiée, à haut salaire, et une main d'_uvre non qualifiée menacée de chômage.

Le Rapporteur s'est demandé si tout cela est bel et bien le résultat de la mondialisation. En effet, aucun lien n'a pu être établi dans les sociétés développées entre les inégalités de revenus et la part représentée par les pays à bas salaires dans les importations. Ainsi, aux Etats-Unis, les écarts de revenus ont augmenté alors que les importations en provenance des PVD n'ont crû que de 1%. Le responsable de la fragmentation de nos sociétés serait plutôt le progrès technique qui entraîne une demande accrue de personnel qualifié au détriment des travailleurs les moins payés.

En fait, pour M. Roland Blum, la responsabilité est partagée. Progrès technique et mondialisation sont indissociables, le commerce international exerçant une pression accrue sur les structures économiques d'un pays.

La mondialisation semble remettre en cause le rôle de l'Etat et de ses trois principes : souveraineté, territorialité, sécurité. L'Etat se trouve concurrencé par les nouveaux acteurs de la mondialisation : les firmes globales, les organisations intergouvernementales, les ONG et les organisations régionales. Il ne dispose plus que de marges de man_uvre réduites et il a de plus en plus de difficultés à réguler la vie économique et sociale à l'intérieur de ses frontières.

Mais, si tel est le point de vue des farouches adversaires de la mondialisation, il faut cependant constater qu'elle est devenue une réalité incontournable. Il convient donc de la comprendre et de la maîtriser. En effet, le problème de la mondialisation est qu'elle s'est développée sans encadrement. Tel est le jugement qui a été formulé au dernier Forum de Davos, en février 1999. Le nouveau directeur général de l'OMC s'en est fait l'écho dans son discours de Marrakech, appelant de ses v_ux une meilleure distribution des revenus entre les nations et à l'intérieur des pays.

Cependant, quoique critiquée, la libéralisation des marchés a entraîné une plus grande liberté de choix pour les consommateurs, une utilisation plus efficace et plus productive des ressources, une pression sur les prix et la recherche de l'innovation pour rendre les produits plus compétitifs. Mais il est important que la libéralisation se fasse de façon ordonnée. La réglementation est d'autant plus indispensable que de nouveaux dangers apparaissent pour la sécurité, la santé et l'environnement. M. Roland Blum a souhaité que Seattle soit l'occasion de clarifier ces différents points.

Au-delà du débat entre partisans et adversaires de la mondialisation, il est clair qu'il faut se battre contre un modèle unique incarné par une uniformisation des valeurs et des pratiques culturelles. La culture, le cinéma, la musique, la littérature ne peuvent être traités comme des marchandises, contrairement à la conception américaine . Cela réduirait à néant tout espace de créativité pour les autres cultures. L'exception culturelle obtenue à Marrakech doit être à tout prix maintenue mais présentée, non pas de façon défensive comme un repli de la culture européenne sur elle-même, mais de façon offensive pour faire connaître cette culture à l'extérieur.

La mondialisation peut être une opportunité à saisir à condition d'arriver à une meilleure coopération internationale et d'engager des réformes approfondies.

S'agissant d'une meilleure coopération internationale, cela doit concerner la monnaie et les finances, le commerce et la régionalisation.

En matière de coopération monétaire et financière, il importe d'intégrer les pays en voie de développement dans le système monétaire international, de prévenir les crises financières et de contrôler les mouvements de capitaux. Dans ce domaine, M. Roland Blum ne pense pas que la taxe dite Tobin, consistant à taxer les mauvais capitaux à court terme, qui déstabilisent les marchés, et à privilégier les capitaux à long terme qui financent les projets industriels, soit réalisable. Il est toujours très difficile de séparer le bon grain de l'ivraie et cette taxe serait difficilement applicable au-delà des pays du G7.

M. Roland Blum a suggéré des réformes plus empreintes de pragmatisme : faire assurer le contrôle des banques et des mouvements de capitaux par les institutions internationales, améliorer l'information économique et sa transparence, associer les opérateurs privés au règlement des crises. C'est à ce prix que le processus de libéralisation des économies émergentes se réalisera. Il conviendrait également de mettre en place une nouvelle architecture financière internationale, fondée sur des taux de change "ciblés", c'est-à-dire un système dans lequel les monnaies fluctueraient à l'intérieur de larges marges autour de taux pivots régulièrement révisés. Les institutions financières (FMI, Banque mondiale, Banque de règlements internationaux) doivent quant à elles tenir un rôle important dans la régulation et le suivi des marchés, ce qui n'est pas le cas actuellement. Leur rôle pourrait être celui que joue en France la COB. Elles pourraient ainsi établir des codes de bonne conduite de la finance internationale.

En ce qui concerne la coopération commerciale, toute critiquée qu'elle soit, l'OMC constitue un grand progrès par rapport au GATT. Elle devient un arbitre et l'organe de règlement des différends (ORD) a joué un rôle positif. Sur les 167 plaintes examinées depuis 1995, 30 ont été réglées à l'amiable. Il est à noter que 54 de ces plaintes ont été déposées par les Etats-Unis qui ont obtenu satisfaction dans deux dossiers importants : la banane et la viande aux hormones.

Le problème consiste à tout mettre en _uvre pour que les décisions de l'ORD soient respectées et il est nécessaire que soit résolu le mode de désignation des "panélistes" de manière à assurer leur indépendance et s'assurer de leur compétence.

Cependant, ce système ne sera à terme viable que si les USA jouent le jeu et ne se réfugient pas dans l'unilatéralisme, avec les articles 301 et super 301 du Trade Act et les loi d'Amato et Helms Burton. Or, depuis la création de l'OMC, les Etats-Unis se sont pliés à ces règles lorsque l'OMC a épinglé le quart des exportations américaines pour subventions déguisées et obligé Washington à modifier sa législation fiscale. L'OMC est un arbitre, dont il faut renforcer les pouvoirs et tirer inconsidérément sur cet arbitre serait dangereux.

Mais votre Rapporteur est d'avis qu'il faudrait approfondir les réformes.

Humaniser la mondialisation nous conduit à envisager le rôle d'une communauté civile internationale et à redéfinir le rôle du politique.

La communauté civile internationale a tendance à devenir une réalité avec le rôle accru des ONG dans les relations internationales. Elles réclament des normes internationales, contribuent à fixer les agendas des négociations internationales, surveillent le respect de ces normes. Elles représentent de plus en plus l'opinion publique. Il convient à cet égard d'accélérer la mise en place des normes planétaires : normes sociales, droit d'organisation de travailleurs, interdiction du travail des enfants, travail forcé, grâce à une meilleure coopération entre OIT et OMC.

M. Roland Blum a également souhaité la création d'un Conseil de sécurité économique dans le cadre de l'ONU, composé à parité de pays développés et de pays en développement, ainsi que des organisations régionales. Le rôle de ce conseil serait notamment de prendre en compte les droits de la personne humaine en établissant des codes de bonne conduite, d'atténuer l'insécurité financière en prévenant les crises et en organisant l'aide aux populations dans ces périodes, de lutter contre la criminalité mondiale, d'assurer la protection de la diversité culturelle et de l'environnement.

Il faut enfin redéfinir le rôle du politique et de l'Etat

S'il est vrai que, progressivement, les entreprises globales ont enlevé à l'Etat quelques marges de man_uvre en matière économique et sociale, l'Etat doit se muer en Etat-stratège. La mondialisation est un exercice d'ajustement qui ne peut se réduire à un affrontement entre l'Etat et les marchés.

L'Etat demeure responsable de l'environnement légal, fiscal, normatif. Il doit participer à la création de zones régionales et à la conquête de marchés extérieurs pour les entreprises. Il doit également s'efforcer de redéfinir notre système de formation et d'éducation, trop rigide. Ainsi, favoriser les filières professionnelles, développer les passerelles entre les différents filières de formation, accentuer les synergies entre le monde de l'enseignement, de la recherche et de l'entreprise, développer l'apprentissage des langues, favoriser les politiques d'échange sont autant de défis que l'Etat doit relever et qui permettront à nos enfants d'aborder dans les meilleurs conditions l'économie globalisée.

La mondialisation est une aventure obligée. Certes, elle peut présenter des risques et c'est pourquoi il faut tout mettre en _uvre pour renforcer la sécurité. Il faut souhaiter que les négociations de Seattle donnent à cette mondialisation un supplément d'âme et placent l'humain en son centre. Entre le laissez-faire béat et la réglementation tatillonne, il doit exister une place pour une régulation souple, pour des codes de bonne conduite, pour une gestion des droits et des devoirs adaptés aux citoyens de ce nouveau monde.

M. Charles Ehrmann a demandé au Rapporteur s'il avait étudié le rôle de la langue anglaise dans le processus de mondialisation, ainsi que la lutte contre les paradis fiscaux et le trafic de drogue.

M. Roland Blum a confirmé que trop souvent les progrès de la globalisation sont allés de pair avec la montée de la criminalité qui, à l'image des autres activités économiques se mondialise. Les paradis fiscaux contribuent notamment au blanchiment de l'argent et il devient urgent que la communauté internationale réagisse en créant un espace judiciaire international.

Le problème de la suprématie de l'anglais au détriment des autres langues est un élément important de l'uniformisation culturelle dont le rapport traite abondamment.

M. Pierre Brana a fait part de son inquiétude face à l'uniformisation culturelle du monde. Il a demandé si des mesures concrètes étaient proposées dans le rapport à ce sujet.

M. Roland Blum a fait état de la baisse des parts de marché du cinéma français en Europe à l'avantage du cinéma américain. Le danger est réel et l'exception culturelle doit être utilisée à la fois comme bouclier et comme arme. La conception américaine de la culture, qui en fait une marchandise comme une autre, demeure inacceptable.

M. Roland Blum a par ailleurs rappelé qu'il avait été chargé par la Commission des Affaires étrangères d'un rapport spécifique sur l'exception culturelle.

M. Joseph Tyrode s'est réjoui de l'accent mis dans le rapport sur les questions culturelles. Il a demandé au Rapporteur quels moyens il envisageait, notamment de la part des Etats, pour faire prévaloir l'humanisme sur le profit.

Evoquant les difficultés nouvelles rencontrées par les Etats à assumer leurs attributions, M. Roland Blum a appelé de ses v_ux la formation d'une véritable communauté civile internationale, seule à même de contrebalancer les intérêts économiques. La politique américaine est déterminée en grande partie par les réactions de l'opinion publique, via CNN. Les ONG jouent déjà un rôle très important dans la défense de l'environnement et de la sécurité. Leur légitimité tient au fait qu'elles sont censées représenter l'opinion internationale.

La proposition de créer un Conseil de sécurité économique au sein de l'ONU serait également un moyen pour une meilleure prise en compte des droits de la personne humaine dans le développement économique.

M. Georges Hage a fait observer que cette réflexion sur la mondialisation s'imposait, celle-ci pouvant être la meilleure et la pire des choses. Il s'est interrogé sur les moyens de diminuer le primat de la puissance économique.

M. Roland Blum a souligné la justesse de cette réflexion dans un monde dominé par la puissance américaine. Cependant, les Etats-Unis ont accepté une certaine régulation du commerce mondial avec l'OMC, notamment en jouant le jeu en ce qui concerne l'Organe de règlement des différends, même s'ils ont maintenu, voire renforcé leur arsenal de sanctions unilatérales. Il a espéré que des règles de bonne conduite s'imposeront à tous, dans la mesure où chacun trouvera son intérêt dans un environnement stabilisé, y compris les Etats-Unis.

Le Président Jack Lang a approuvé cette fermeté, tout en soulignant la complexité de la situation actuelle et en récusant toute vision simpliste. En effet, il ne faut pas confondre le débat actuel avec celui de 1992-93 où la question de l'hégémonie américaine était clairement au c_ur du débat. La stratégie américaine est aujourd'hui beaucoup plus subtile, elle ne passe pas par une demande de remise en cause des accords de Marrakech sur ce sujet. L'exception culturelle semble en effet plus un slogan qu'une réalité. Les meilleurs alliés de l'hégémonie culturelle américaine se trouvent bien souvent en Europe : les gouvernements, les corporations et les groupes de production tiennent des discours très fermes mais capitulent au quotidien. Quelle tartufferie ! En témoignent ces films français tournés en langue anglaise ou ces hauts fonctionnaires français trouvant plaisir à utiliser la langue anglaise qu'ils parlent du reste si mal. La France est pourtant l'un des rares pays à résister à l'hégémonie américaine, par sa politique éducative, culturelle ou dans le domaine de la recherche. Mais cette politique doit être consolidée.

Le Président Jack Lang a précisé que les débats dans le cadre de l'OMC sur ce sujet concerneront uniquement le thème du commerce électronique. Par ce biais, ils peuvent donc avoir une incidence sur le cinéma, mais les intérêts des européens et des américains sont globalement communs, à savoir la lutte contre la piraterie et la protection de la propriété intellectuelle. Ainsi, le vrai débat pourrait se dérouler entre pays riches et pays pauvres. Les Etats-Unis ont tout intérêt à ce que des pays comme le Mexique ou la Corée du Sud n'aient aucune politique de défense de leur identité culturelle propre. Ils ont la même position à l'égard des pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion à l'Union européenne : ces derniers doivent donc savoir que, pour entrer dans l'Union, il leur est indispensable de défendre notre conception de la culture.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

ANNEXE 1 - Liste des personnalités entendues

PARIS

- M. Luc Guyau, président de la F.N.S.E.A.

- M. François Petit, directeur général adjoint de Alcatel-Alsthom

- M. Lefas, Fédération française des sociétés d'assurance

- M. Troubetskoy, Aérospatiale

GENÈVE

- M. Zahran, ambassadeur d'Egypte auprès de l'OMC

- M. Roessler, directeur des Affaires juridiques à l'OMC

- M. Seade, directeur général adjoint à l'OMC

- M. Eglin, directeur de la division commerce et environnement à l'OMC

- M. Jouanjouan, représentant permanent adjoint à l'Union européenne

- M. Endo, ambassadeur du Japon auprès de l'OMC

- M. Hartridge, division du commerce des services de l'OMC

ETATS-UNIS

- Mme Valerie Mims, deputy assistant Secretary of State

- M. Serge Bellanger, président de la Chambre de commerce franco-américaine

- M. Jean-Louis Vorsbureger, commissaire aux comptes chez Leon Constantin and Co.

- M. Jean-Jacques Ogier, vice-président de la Société générale

- M. Charles J. O'Mara, consultant en commerce international

- M. Gerard Vincent-Genod, expert-comptable

- M. Kenneth P. Freiberg, office of the United States trade representative

- M. Anthony C. Kahn, avocat

- M. Timothy H. Gens, avocat

- M. Irving A. Williamson, office of the United States trade representative

- M. Stephen L. Dreyfuss, avocat

- M. Jean Stock, président de CLT USA

- M. Jonas Rosenfield, président de American film marketing association

- Mme Melanie L. Moen, vice-présidente de American film marketing association

- M. Ramana Ramaswamy, économiste au FMI

- M. David Marchick, deputy assistant secretary for trade policy au Département d'Etat

- M. Uri Dadush, Banque mondiale

- M. Jeffrey J. Schott, Institute for international economics

- M. Ian Kinniburgh, directeur de la division économique de l'ONU

- M. Georges Ugeux, New York Stock Exchange

- M. Thomas Bishop, professeur à la New York University

- M. William J. Baumol, professeur à la New York University

- M. Edward Altman, professeur à la New York University

- M. Jean-Paul Valles, Mineral Technologies

- M. Jean-Paul Imbert, président de Lir-USA

- M. Crane, représentant républicain de l'Illinois, président de la sous-commission du commerce international de la Chambre des Représentants

- M. Payne, représentant démocrate de Virginie

- M. Kolbe, représentant républicain de l'Arizona

- M. Wilson, conseiller en chef pour les représentants démocrates de la sous-commission du commerce international

JAPON

- M. Estanislao, président de l'Institut de recherche de la Banque asiatique de développement

- M. Inose, premier directeur général adjoint de la Direction métal de la Mitsubishi Corp.

- M. Sato, vice-président exécutif de Mitsui & Co.

- M. Gomi, directeur général de la Direction des affaires internationales de Matsushita Electric Industrial

- M. Katsuhisa Yamada, président de l'Institut des économies en développement ; M. Nohara, directeur exécutif ; M. Toita, directeur du département des prévisions économiques et M. Kunimune, économiste

- M. Takada, conseiller de l'EximBank

- M. Chino, directeur général de l'Institut de recherche de Nomura

- M. Shimpo, directeur général du commissariat au plan

- M. Kuroda, directeur général au ministère des finances

- M. Masunaga, vice-président du Centre japonais de finance internationale

- M. Nagashima, sous-gouverneur pour les Affaires internationales, Banque du Japon

- M. Tsushima, député à la Diète

- M. Yabunaka, directeur général adjoint, direction des Affaires asiatiques, ministère des Affaires étrangères

- M. Yoshiro Hayashi, député à la Diète, ancien ministre

ROME

- M. Greenfield, directeur de la division du commerce international et des produits de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (OAA)

- M. Daniel Berthery, conseiller scientifique à la représentation permanente de la France auprès de l'OAA

ANNEXE 2

Audition de M. Michel Camdessus,

Directeur général du Fonds Monétaire International

La Commission a entendu, le 13 octobre 1999, M. Michel Camdessus, directeur général du Fonds Monétaire International (FMI).

Le Président Jack Lang a remercié M. Michel Camdessus d'avoir accepté de se prêter aussi librement au jeu des questions-réponses. Il a d'abord demandé quel pourrait être le rôle du FMI dans un futur système monétaire international réaménagé. Evoquant ensuite l'exemple de la Russie, il a souhaité savoir quels étaient les moyens dont disposait le FMI pour s'assurer du bon emploi des crédits. Il a enfin demandé l'appréciation de M. Michel Camdessus sur la place qu'avait acquise l'euro.

M. Edouard Balladur a d'une part rappelé qu'il y a un an tout le monde était pessimiste alors qu'aujourd'hui l'optimisme est de mise. Il a demandé à M. Michel Camdessus son appréciation sur ce revirement. Pourquoi la situation est-elle meilleure aujourd'hui que ne l'annonçaient les prévisions d'hier ?

D'autre part, il a évoqué le redressement qu'a opéré la Malaisie bien qu'elle se soit affranchie des recettes du FMI. Est-ce exact et quelles conclusions le FMI peut-il en tirer pour les conseils qu'il donne ou donnera à l'avenir ? Autrement dit, l'exemple de la Malaisie est-il transposable ?

A ce sujet, le Président Jack Lang a demandé à M. Michel Camdessus quelle était la responsabilité du FMI dans la crise asiatique ?

M. Jacques Myard a fait référence à un article paru récemment dans un quotidien français qui comparait l'économie mondiale au Titanic. De fait, les analystes financiers s'attendent aujourd'hui à un réajustement brutal des bourses américaines. En raison de l'absence de compartimentage liée au contexte globalisé, un tel réajustement serait-il de nature à provoquer une crise mondiale ?

M. Pierre Brana a évoqué les risques de surchauffe dont on parle actuellement, notamment avec une reprise de l'inflation aux Etats-Unis et de l'immobilier en Europe. Quelle est l'appréciation de M. Michel Camdessus sur l'éventualité d'une reprise de l'inflation ?

M. Charles Ehrmann a déploré que l'on parlât de plus en plus l'anglais dans les instances internationales. Cela signifie-t-il un déclin irrémédiable du français ? Il a demandé à M. Michel Camdessus quelles étaient les parts respectives du français et de l'anglais dans son activité quotidienne.

M. Georges Hage a déploré que les consignes du FMI à la Roumanie aient pour conséquence de "jeter à la poubelle" l'industrie lourde et 100 à 120 000 travailleurs. Cette rigueur financière ne constitue-t-elle pas un suicide politique pour le gouvernement de ce pays ?

M. François Guillaume s'est inquiété des fluctuations monétaires qui perturbent les échanges commerciaux. Ce dumping monétaire crée des distorsions de concurrence. Peut-on envisager un système monétaire international permettant d'éviter ces perturbations ?

M. Michel Camdessus a estimé que si cette audition avait eu lieu il y a tout juste un an, il aurait probablement déclaré que le monde était à la veille d'une crise très sérieuse. Une telle crainte aurait été notamment motivée par les retombées de la crise asiatique et la spéculation violente contre la monnaie brésilienne.

Et pourtant, cette crise, qui aurait pu être aussi grave que celle des années trente, n'a pas eu lieu. La raison principale tient sans doute au bon fonctionnement de la concertation internationale. Le G7 a reconnu que le combat contre l'inflation était moins prioritaire que le soutien de la demande globale. Des signaux clairs ont été donnés, tant par les Etats-Unis que par l'Europe, avec la baisse des taux d'intérêts. Des négociations ont été engagées avec le gouvernement du Brésil afin de le convaincre de réduire les déficits publics. Par ailleurs, les grandes puissances ont renforcé la crédibilité du FMI en décidant d'une augmentation de ses ressources.

Toutes ces mesures ont entraîné un regain de confiance et un retournement positif des anticipations. Wall Street a baissé brusquement de 20 % mais a rattrapé ce retard en quelques semaines.

M. Michel Camdessus a estimé que la situation économique était désormais prospère. La crise asiatique est terminée. La fourchette de croissance pour la Corée varie entre 7 % hypothèse basse et 8,8 % hypothèse haute. Le Japon retrouve lui aussi le chemin de la croissance même s'il doit encore faire face à des problèmes de contrôle des finances publiques, particulièrement difficiles à résoudre dans un pays à vieillissement accéléré. M. Michel Camdessus a souligné qu'on ne pouvait toutefois prétendre que tout risque était écarté et que la coopération internationale était suffisante. Mais la croissance mondiale poursuit sa route.

Le Directeur général du FMI a ensuite évoqué le risque d'un réajustement de Wall Street dans le contexte d'une économie globale non compartimentée. Le problème se pose moins pour les Etats-Unis, capables d'absorber une baisse de 20 % de la bourse, que pour les autres pays. Les Etats-Unis seront de toute façon obligés de laisser ralentir leur économie car leurs déficits courants ont atteint des niveaux historiques. Une telle situation a déjà prévalu dans le passé, qui avait conduit les Etats-Unis à accepter, avec les accords du Plaza et du Louvre, l'abandon de leur politique de "benign neglect" et l'entrée dans une politique de coopération internationale. La question principale est de savoir si la croissance de l'Europe et du Japon sera suffisante pour compenser le ralentissement de la croissance américaine. Le G7 est conscient de ce problème et s'emploie à le résoudre.

M. Michel Camdessus est ensuite revenu sur les accusations portées contre le FMI quant à sa gestion de la crise asiatique.

Il a d'abord été dit, à tort, que le FMI n'avait pas prévu cette crise. M. Michel Camdessus a révélé qu'il s'était rendu secrètement à quatre reprises en Thaïlande pour avertir le gouvernement du risque que courait l'économie thaïlandaise. Il a été écouté très courtoisement mais sans être entendu, car le marché finançait ce pays à "bouche que veux tu". M. Michel Camdessus a cependant reconnu qu'il n'avait pas prévu l'effondrement des "chaebols" coréens et le mouvement brownien qui a agité les taux de change.

Au cours d'une réunion à Djakarta, M. Michel Camdessus a conseillé aux ministres des finances de la région de se rencontrer régulièrement afin de discuter avec franchise des problèmes en cours. Dans les faits, le principal problème auquel ont été confrontés les pays asiatiques a été celui de leur réseau bancaire et des relations trop étroites qu'il entretient avec l'Etat et les entreprises.

La crise asiatique a présenté au moins un avantage, celui de faire évoluer le système économique. De nombreux leaders politiques de la région ont souscrit au programme du FMI et se sont engagés à le mettre en place afin de changer leur mode de développement. M. Michel Camdessus s'est félicité rétrospectivement de la gestion par le FMI de la crise asiatique. Loin de conduire ces pays à l'abîme, le FMI les a au contraire poussés sur le chemin de la croissance, avec laquelle ils ont aujourd'hui renoué. Certes, des banques ont été brutalement fermées, mais elles s'assimilaient plutôt à des officines de prêts sans condition. Leur fermeture immédiate était une mesure nécessaire préalable à tout redressement.

M. Michel Camdessus a ensuite expliqué les raisons du retournement miraculeux de la Malaisie. Ce pays connaît les problèmes classiques de la relation incestueuse entre les différents agents économiques publics et privés, ainsi que le népotisme, la corruption et les "collusions" dénoncées par les manifestations estudiantines. Lorsque la Malaisie a subi une grave crise économique, le Premier ministre, M. Mahathir, a dénoncé le "complot du grand capitalisme international" et demandé au FMI de réguler les "hedge funds". L'étude faite alors a permis de mieux connaître le rôle de ces fonds spéculatifs et de conclure qu'ils jouent certes un rôle dans la déstabilisation mais qu'ils sont plutôt des "suiveurs", les premiers capitaux à quitter le pays étant des capitaux nationaux. Sans demander officiellement l'aide du FMI, M. Mahathir a mis en _uvre, en élève modèle, les conseils de ce dernier pour redresser le système bancaire et réduire les sorties de capitaux par un contrôle des changes rigoureux mais temporaire qui est à présent allégé. Aussi la rhétorique qui accompagne le succès de la Malaisie n'a-t-elle pas lieu d'être : celui-ci provient d'un contrôle normal de l'économie et de l'assainissement du système bancaire.

Le FMI travaille en coopération avec la Roumanie depuis plusieurs années. L'existence de structures industrielles faibles et peu diversifiées, qui ne peuvent être maintenues en vie qu'à un coût considérable pour le pays, crée une situation très difficile. L'on peut se demander si la Roumanie, qui a des besoins très importants dans le domaine de l'éducation, de la santé, de l'enfance, peut se permettre le luxe de conserver des entreprises qui ne peuvent en général produire que pour le marché intérieur.

Le soin de guider la Russie dans la transition d'un système d'économie centralisée et planifiée vers un système d'économie de marché a été confié - plutôt par défaut - au FMI. Le démantèlement du Parti communiste a entraîné le démantèlement de l'Etat, ce qui crée des conditions d'action très difficiles, et la transition s'apparente à un long cheminement avec des interruptions et de nouveaux départs. Néanmoins, en vertu d'une sorte de pacte tacite, la Russie reste fidèle à la ligne de réforme allant vers l'économie de marché. Le principe de l'aide à la Russie a été soutenu en permanence par les 182 pays membres de l'institution. Aujourd'hui, le problème est rendu encore plus difficile par la déliquescence totale de l'Etat, situation dans laquelle les oligarchies semblent conduire les affaires de l'Etat, ce qui n'est pas tout à fait le cas cependant. La Russie continue à appliquer un programme modéré de transition et a évité, après l'effondrement d'août 1998, à la surprise générale, tant l'hyper-inflation que la récession qui la menaçaient. Aussi le pays devrait-il parvenir à l'élection présidentielle de juin 2000 dans un état macro-économique correct, ce qui est déjà très bien dans le contexte général.

Quant aux allégations concernant les détournements et vols de l'argent du FMI, M. Michel Camdessus a affirmé, au regard des expertises menées par de grands cabinets d'audit, qu'il n'a jamais eu connaissance du vol d'un seul centime des fonds prêtés par le FMI à la Russie. Il insiste cependant personnellement auprès des représentants russes afin qu'ils démontrent plus vigoureusement au monde l'intégrité des canaux qui lient l'aide du Fonds aux institutions russes. Des mesures ont été proposées pour garantir l'intégrité des circuits : si elles ne sont pas adoptées, le FMI ne déboursera plus de fonds à l'avenir. Cependant, M. Michel Camdessus a souligné que la plupart des pays auxquels le FMI s'adresse sont touchés par la corruption et les phénomènes mafieux.

L'unique langue de travail du FMI est l'anglais selon les statuts de cette organisation, et ce depuis son origine. Néanmoins, son directeur général utilise le français aussi souvent que possible et aussi l'espagnol. Il estime que le soutien de la langue française doit avoir lieu en coalition avec d'autres et en particulier avec les hispanophones.

Le démarrage de l'Euro a été bien conduit et son affaiblissement par rapport au dollar n'est pas inquiétant. La monnaie européenne sera soumise de façon cyclique à des conditions de pression, mais l'on assistera aussi à un mouvement inverse de revalorisation par rapport au dollar à un autre moment. Par ailleurs, il n'y a pas de pression inflationniste et les agrégats monétaires sont au-dessus des marges dans lesquelles ils devraient évoluer. Il est seulement souhaitable que la Banque centrale européenne n'étouffe pas la reprise qui s'amorce en France, en Italie et en Allemagne.

M. Jacques Myard a fait référence au dernier communiqué de la BCE qu'il a jugé alarmant puisqu'elle menace à tout moment de remonter les taux d'intérêts. La conduite de la politique monétaire semble donc être calée sur celle de la Bundesbank, et par là de l'Allemagne, avec la phobie de l'inflation. N'y a-t-il pas là un hiatus avec les propos de M. Michel Camdessus qui estime nécessaire que l'Europe prenne le relais de la croissance américaine ?

M. Michel Camdessus a précisé qu'il ne partageait pas la position de M. Jacques Myard au sujet du communiqué émis par la BCE et qu'il considérait les conditions monétaires en Europe - avec un taux d'intérêt de 2,5 % - comme très favorables. La Banque centrale a gardé son sang-froid et n'a pas relevé les taux en dépit de la pression exercée par plusieurs pays ; elle semble donc agir avec sagesse en montrant aux marchés son absence de complaisance. La vraie question serait plutôt de savoir si les gouvernements utilisent suffisamment la conjoncture actuelle favorable pour alléger les charges budgétaires et se préserver ainsi des marges de man_uvre au cas où celle-ci s'inverserait.

M. Michel Camdessus a précisé que la réforme du système monétaire international devra s'articuler autour de deux axes : la stabilisation des changes et la stabilité des économies. Il est regrettable que les efforts de concertation accomplis à l'époque des accords du Plaza et du Louvre aient été dans les faits abandonnés au motif que les variations de change ne sont que des épiphénomènes et qu'il convient de s'attaquer directement aux causes réelles. Il serait souhaitable de revenir à cette politique de concertation souple. Il faut par ailleurs admettre que les crises financières doivent être pensées tout autant en termes d'actions privées que d'actions publiques et c'est dans cette direction que travaille le FMI.

Le Président Jack Lang a vivement remercié M. Michel Camdessus en lui souhaitant un excellent mandat.

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ANNEXE 3

Audition de M. Felix George Rohatyn,

Ambassadeur des Etats-Unis en France

La Commission a entendu, le 20 octobre 1999, M. Felix George Rohatyn, ambassadeur des Etats-Unis en France.

Le Président Jack Lang a accueilli M. Felix George Rohatyn, dont la carrière a été dédiée à l'économie et à l'action civique et qui a été nommé, il y a deux ans, par le Président Bill Clinton.

M. Felix George Rohatyn a estimé que le dialogue de politique étrangère entretenu entre la France et les Etats-Unis était traditionnellement ouvert et constructif et a salué l'attribution du prix Nobel de la paix à Médecins sans frontières. La France, l'OTAN et les Etats-Unis ont fait preuve d'un grand degré de coopération au cours de la guerre au Kosovo, et unissent aujourd'hui leurs efforts pour instaurer la paix. Ce sera sans doute plus difficile, et les Etats-Unis soutiennent sans réserve le travail extraordinaire du Haut Représentant de l'ONU, Bernard Kouchner. Ce conflit a eu pour conséquence de créer une forte dynamique politique en vue d'une défense européenne. Les Américains sont partisans d'une Europe forte, intégrée et dotée de nouvelles capacités, qui sera un partenaire et un allié précieux. La fusion entre Aérospatiale et Dasa est un pas important dans cette voie.

L'administration américaine déplore le rejet par le Sénat américain du Traité d'interdiction des essais nucléaires ; mais, comme l'a dit le Président Bill Clinton, le gouvernement ne renoncera pas à lutter pour obtenir la ratification du Traité. L'Amérique ne va pas revenir à un isolationnisme d'avant-guerre. A l'heure actuelle, les principales divergences avec la France portent sur les questions commerciales et, au premier chef, sur l'agriculture.

L'Ambassadeur des Etats-Unis a souhaité aborder un autre sujet, qu'il considère comme une question de politique étrangère très importante : l'avenir du capitalisme, des effets de la mondialisation et de la structure de nos sociétés. Sur ces questions, la France et les Etats-Unis, qui sont les plus anciennes démocraties du monde, ont des opinions bien définies.

En 1976, avant que quiconque ait entendu parler de Microsoft ou d'Internet, Daniel Bell, qui venait de se voir attribuer le prix Tocqueville, écrivait dans "Les contradictions culturelles du capitalisme" : "Le pouvoir économique de la société industrielle avancée réside dans sa haute technologie, dans sa capacité à mobiliser des capitaux et dans la force de ses compétences de gestionnaire". La haute technologie est aujourd'hui le moteur le plus puissant du capitalisme américain : elle assure la plus large part de la croissance économique américaine, elle réduit le taux d'inflation grâce à la concurrence et à la baisse des prix, elle révolutionne la manière de produire et de vendre. La Silicon Valley est devenue un modèle de rassemblement créatif des universités, des pouvoirs publics et du monde des affaires. On ne peut pas dire que cela ait tenu à un niveau exceptionnel de la science et de la technologie américaines - elles n'étaient pas supérieures à la science et à la technologie européennes. L'avantage de l'Amérique a été sa capacité à réunir rapidement le capital et la technologie et à mettre de nouveaux produits sur le marché.

La deuxième force qui a transformé le capitalisme américain a été la mondialisation. L'économie américaine et celle de l'Europe sont de plus en plus imbriquées. Près d'un tiers de la croissance américaine est dû aux échanges commerciaux, à qui l'on doit aussi attribuer une large proportion des nouveaux emplois créés aux Etats-Unis. Les grands secteurs de l'économie, comme l'industrie aéronautique, le cinéma et l'agriculture, sont fortement dépendants des exportations. A la suite de ces évolutions, l'importance d'organisations économiques multinationales et internationales, comme la Banque centrale européenne et l'Organisation mondiale du Travail s'est accrue. Des décisions, qui étaient autrefois purement nationales, ont aujourd'hui des effets à l'échelle du monde. Par exemple, les décisions touchant à la sécurité sanitaire des aliments, prises par les gouvernements européens, affectent les exportations des agriculteurs anglais et américains. La politique agricole américaine affecte les agriculteurs européens. De nombreuses autres réglementations doivent maintenant être envisagées à une échelle internationale et pas seulement nationale.

La troisième force qui a changé le capitalisme américain est l'importance grandissante des investisseurs institutionnels et des fonds de pension sur les marchés américains et, de plus en plus, sur les marchés mondiaux. Cela inclut aussi la participation croissante des employés au capital de leur entreprise. On voit apparaître ce que l'on peut appeler "le capitalisme populaire".

Pour des raisons historiques et culturelles, le capitalisme de type américain a évolué différemment du capitalisme de type européen. Le capitalisme américain ne fonctionnerait pas en Europe, pas plus que le capitalisme européen ne fonctionnerait en Amérique. Mais pour que ces économies travaillent ensemble efficacement, il faut comprendre leurs différences et leurs similitudes, et tirer des enseignements des expériences respectives.

Du côté européen, on attend de l'Etat qu'il joue un rôle relativement important dans l'économie. De manière générale, les Européens considèrent l'implication de l'Etat comme une chose positive. Du côté américain, on a tendance à considérer la puissance publique comme un mal nécessaire. La Constitution américaine a été écrite pour protéger les citoyens contre les abus de leur propre gouvernement. Pour l'Américain moyen, la tâche essentielle de son gouvernement est d'éviter de faire des erreurs et de prélever le minimum d'impôts pour assurer un niveau de service public acceptable.

La tradition et l'Histoire jouent un rôle beaucoup plus large dans la vision du monde des Européens que dans celle des Américains. Pour les Européens, le changement passe bien souvent par des catastrophes : guerres, révolutions ou crises politiques. Les Américains, quant à eux, considèrent le changement d'un _il positif et l'Histoire comme une chose très jeune. Ils croient aux fins heureuses, que ce soit au cinéma ou dans l'Histoire. Le changement et l'innovation font partie intégrante de notre culture.

Cependant, en entrant dans le nouveau siècle, les différences entre capitalisme américain et capitalisme européen deviendront sans doute moins tranchées. Tout d'abord, devrait se renforcer une tendance économique déjà très nette : celle des fusions entre grandes compagnies européennes, ainsi qu'entre grandes compagnies américaines et européennes, pour réaliser des économies d'échelle et ouvrir l'accès aux marchés mondiaux.

Ensuite, l'Europe définit ses propres modalités d'action : qu'il s'agisse de mettre en rapport le capital et la technologie, d'encourager les petites entreprises, de canaliser l'épargne vers de plus amples investissements dans l'économie ou d'accroître la participation du public à l'économie.

Enfin, certaines institutions politiques sont sans doute appelées à prendre une dimension plus internationale, en réponse à la mondialisation économique. Par exemple, on assistera sans doute à une mondialisation accrue des dispositifs de surveillance des marchés financiers et des institutions financières. Ce sera une évolution positive, dans la mesure où elle facilitera les mouvements de capitaux, tout en protégeant le système financier de crises récurrentes.

La culture, c'est évident, est un domaine très particulier. La France, notamment, se sent menacée par ce qu'elle perçoit comme une invasion de la culture et de la langue américaines. Les Américains respectent et comprennent le souci des Français de préserver leur culture et leur identité. Ils ont les mêmes préoccupations pour les leurs. Depuis plus de deux siècles, ils bénéficient de part et d'autre des échanges qui se sont opérés entre les cultures. Désormais, dans un monde dont la dynamique naît de plus en plus de la technologie et du capital, le rôle de la tradition, de la culture et de l'Histoire, comme interprètes du changement, est d'autant plus important. Dans le cadre de l'action pour développer nos échanges culturels, vient de se terminer une extraordinaire rencontre de deux jours à Lyon entre 18 musées régionaux français et américains.

Certes, il y a des distinctions culturelles entre le capitalisme européen et le capitalisme américain, mais dans certains domaines, l'Amérique se rapproche du modèle européen.

L'idée de la sécurité sociale est une invention européenne. Dans la seconde moitié du XXème siècle, en particulier, les Etats-Unis ont évolué vers une protection sociale renforcée. En 1950, les dépenses sociales représentaient moins d'un cinquième du budget fédéral américain. Aujourd'hui, elles en représentent plus de la moitié, et cette proportion ne cesse de croître. Dans la dernière moitié du siècle, les Etats-Unis ont évolué vers une plus large couverture médicale, une protection sociale accrue et des budgets plus importants pour l'éducation, l'environnement et d'autres secteurs significatifs de la vie collective.

Sur le plan des principes, toutefois, les Etats-Unis considèrent la croissance économique et un faible taux de chômage comme le moyen le plus efficace d'instaurer la justice économique. Un taux de chômage réduit, associé à un salaire minimum acceptable, est une puissante forme de protection sociale, et le meilleur moyen de la financer.

Toutefois, chaque pays trouvera son propre équilibre entre le rôle du secteur public et celui du secteur privé. L'Europe ne pourrait fonctionner sans le capitalisme pour créer des richesses et des emplois, et l'Amérique ne pourrait fonctionner sans une forte participation du gouvernement, qui régule d'importants secteurs de l'économie et offre des prestations sociales à ceux qui en ont besoin.

Ce qui amène à la fameuse question : "La mondialisation est-elle synonyme d'américanisation ?" La réponse est non. La mondialisation n'est pas une politique américaine ; c'est un processus induit par l'effondrement du communisme et par la révolution de l'électronique, qui véhicule les idées et les capitaux à la vitesse de la lumière, partout dans le monde. Cela a eu des effets spectaculaires sur chaque pays du monde et sans doute plus sur les Etats-Unis que sur tout autre.

Il y a quinze ans à peine, l'Allemagne et le Japon étaient considérés comme les puissances économiques dominantes dans le monde, et comme des modèles pour le XXIème siècle. L'Amérique chancelait sous le poids de ses énormes déficits budgétaires et commerciaux et des graves difficultés de son secteur privé. L'un après l'autre, les fleurons de l'industrie américaine ont été contraints de licencier leurs hauts dirigeants et de procéder à des restructurations aussi radicales que pénibles, sous la pression de la concurrence allemande et japonaise. Les concurrents allemands et japonais ont acheté certaines des grandes firmes de cinéma et de l'édition parmi les plus symboliques de la culture américaine. On peut affirmer qu'il y a dix ans, personne ne pensait à une hégémonie américaine et que la plupart des Américains envisageaient la mondialisation avec plus de crainte que d'optimisme.

L'Amérique s'est adaptée à la mondialisation, probablement mieux que la plupart des pays. Cela s'explique par de nombreux aspects de son système économique, politique et culturel - mais cela a été très difficile. Toutefois, la performance actuelle peut être considérée comme le résultat de la mondialisation et non sa cause.

Plusieurs pays européens, dotés de systèmes capitalistes très divers - la Grande-Bretagne, la Hollande, la Suède et l'Espagne - s'adaptent actuellement de manière satisfaisante, malgré des différences significatives de leur structure sociale et de leurs objectifs. La France est l'une des réussites éclatantes de l'adaptation à la mondialisation. Les résultats actuels de sa croissance économique, une balance commerciale positive, des niveaux records d'investissements sur le marché intérieur comme sur les marchés extérieurs et des taux records de la Bourse - tous ces signes sont autant d'indices de succès. La superbe performance des entreprises françaises du secteur privé est la preuve de la compétitivité de la France et de l'excellence de sa technologie. La France est l'un des gagnants de la mondialisation.

L'une des grandes contributions de Daniel Bell est d'avoir su voir que le capitalisme est un moyen et non une fin en soi. Selon ses propres termes, "le marché doit être considéré comme un mécanisme, non comme un instrument de justice".

Quelle est donc la raison d'être du capitalisme ? Le capitalisme crée la croissance économique et les richesses qui permettent à une société de répondre à ses besoins sociaux, et aux individus d'atteindre leurs objectifs personnels. Mais le capitalisme et la création de richesses ne sont pas en soi suffisants. Notre société a besoin d'un ensemble d'objectifs plus élevés pour nous guider et nous inspirer.

Le capitalisme ne sera considéré comme une réussite au cours du prochain siècle que s'il nous aide à instaurer une société qui assure à chacun de ses membres le respect, l'équité et un sentiment d'appartenance à la collectivité.

Cela peut paraître à certains un rêve impossible. Mais ce doit être l'objectif des Européens et des Américains au moment où nous abordons le XXIème siècle. Après tout, tels ont été les objectifs de la guerre d'Indépendance américaine et de la Révolution française.

Le Président Jack Lang a tout d'abord remercié l'Ambassadeur des Etats-Unis pour son exposé et a ensuite salué la présence de M. André Vallini, Président du Groupe d'amitié France Etats-Unis.

Relevant que le capitalisme, outre ses bienfaits, faisait également des victimes et provoquait des inégalités, Mme Yvette Roudy a signalé que circulait actuellement un rapport d'un membre du Congrès, qui n'est d'ailleurs pas traduit en français, sur la liberté de religion dans le monde. Dans ce rapport figurent des attaques contre la mission interministérielle de lutte contre les sectes, structure officielle présidée par M. Alain Vivien, et donc contre la France. Outre le fait que nous n'avons pas la même culture, les sectes peuvent être dangereuses, il existe des preuves, et de telles pratiques peuvent endommager les relations franco-américaines. Mme Yvette Roudy a demandé si l'Ambassadeur des Etats-Unis approuvait ou réfutait le contenu de ce rapport.

Le Président Jack Lang a suggéré à ce sujet la possibilité d'inviter les membres du Congrès à s'exprimer devant la Commission.

M. Jacques Myard a tout d'abord remercié l'Ambassadeur des Etats-Unis pour avoir repris un thème gaulliste en appelant de ses v_ux une Europe forte synonyme de partenaire fiable.

Il s'est ensuite inquiété des risques de dérapage que pouvait induire le monde d'interdépendance où nous nous trouvons. Comme le Titanic, il n'y a plus de compartimentage pour l'économie mondiale et, si une crise survient aux Etats-Unis ou en Europe, les conséquences seront immédiates. Il a regretté la déréglementation forcenée issue du système financier instauré après que les Etats-Unis aient « cassé » Bretton Woods, système qui n'est plus sous le contrôle démocratique des Etats. Etant attaché à la formule "politiques de tous les pays unissez-vous" il a demandé si le politique avait encore barre sur les événements.

S'agissant du problème des sectes, ayant été vice-président de la commission d'enquête sur les sectes, il a déclaré qu'il n'y avait pas de risque de remise en cause des libertés religieuses en Europe mais que certains agissements contraires aux lois et qui aboutissent à des escroqueries et des manipulations mentales nous concernent.

Mme Marie-Hélène Aubert a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis comment capitalisme et développement soutenable ou durable étaient compatibles alors que l'impact des activités économiques sur les ressources naturelles, notre santé et notre qualité de vie est évalué de façon lacunaire, citant pour exemple le b_uf aux hormones. Le mode actuel de production et d'échange provoque des inégalités croissantes dans le monde et à l'intérieur des pays. Sans contester l'économie de marché, elle a plaidé pour l'instauration d'arbitrages au sein de l'ONU et des grandes conventions internationales où se réunissent les gouvernements.

M. François Guillaume a fait remarquer que la tension entre les Etats-Unis et l'Europe s'était accentuée quand l'Europe est devenue une région exportatrice nette en céréales contestant ainsi la domination américaine. Chaque pays s'efforce d'assurer une sécurité alimentaire minimale et les fluctuations des cours ne remettent pas en cause le revenu des producteurs. Mais les Etats-Unis critiquent les aides à l'export et le niveau des prix internes propres au système européen alors qu'eux aussi disposent d'un système « non libéral » avec un filet de sécurité qui assure des revenus minimums.

Malgré les dispositions acceptées par toutes les parties à l'issue des négociations du GATT, les Etats-Unis multiplient les entorses, par exemple au moyen des crédits à l'exportation, de l'aide alimentaire au niveau international, qui leur permet de placer des quantités supplémentaires, et des aides conjoncturelles accordées aux producteurs américains qui ont atteint 20 milliards de dollars en 1998.

Dans ces conditions, peut-on continuer à arrêter des bases claires si les Etats-Unis les remettent en cause par des décisions ponctuelles ? Par ailleurs, la question du dumping monétaire peut revenir à l'ordre du jour en cas de baisse du dollar.

M. Pierre Brana s'est déclaré étonné et déçu que ce grand pays se réclamant de la défense des droits de l'Homme ne s'associe pas à l'interdiction des mines antipersonnel et à la création de la Cour pénale internationale qui répondrait à un besoin de sanction de certains apprentis dictateurs sur la planète. Il a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis quel était son sentiment sur ces points.

M. Charles Ehrmann a félicité l'Ambassadeur des Etats-Unis pour la qualité de son français, langue dont l'usage disparaît peu à peu au Conseil de l'Europe. Après avoir rappelé le rôle que les Etats-Unis ont joué et joueront en Europe, il a apprécié que ceux-ci aient laissé faire l'euro et qu'ils ne soient pas hostiles à une Europe forte. Mais ils doivent laisser la France, et l'Europe, maintenir l'exception culturelle et économique.

Revenant sur les valeurs communes, M. François Loncle a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis quel était son sentiment sur la question de la peine de mort qui oppose philosophiquement et politiquement les Etats-Unis et la France. A cet égard, il a rappelé que cette pratique perdurait même à l'égard de mineurs et de personnes handicapées mentales et que 3 565 condamnés attendaient dans les couloirs de la mort.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a estimé que la mondialisation n'était pas inquiétante mais plutôt la déshumanisation qu'elle engendre. Les nouvelles technologies et la défense du capitalisme qui accompagnent l'économie mondialisée sont en contradiction avec l'objectif poursuivi qui est de permettre à l'homme d'être plus humain. Où sont les droits de l'Homme dans la non application des résolutions de l'ONU en Irak, au Liban et en Palestine ?

M. Lionnel Luca s'est dit étonné d'avoir assisté à un cours d'histoire économique sur les bienfaits du capitalisme et à un satisfecit. Il a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis s'il était satisfait de l'épuration ethnique contre les Serbes qui fait actuellement suite à l'épuration ethnique contre les Kosovars. En outre, quelle est la position réelle des Etats-Unis concernant les Balkans vis-à-vis des Etats nouveaux comme l'Albanie et la Bosnie ?

Il a également souhaité savoir quel était la vision de la politique étrangère des Etats-Unis sur l'Islam et les Etats musulmans, s'agissant notamment de la situation en Algérie, au Pakistan, des Taliban afghans, des Kurdes en Turquie, de la dépendance de la Libye vis-à-vis de la Syrie, de l'Indonésie.

M. Paul Dhaille a rappelé qu'aujourd'hui plusieurs questions posaient problème. Sur le plan international, le traité d'interdiction des mines antipersonnel n'a pas été ratifié par les Etats-Unis. S'agissant de la non ratification du TICE, quel discours peut-on tenir au Pakistan et à l'Inde par exemple si les Etats-Unis ne le ratifient pas ? Les questions de la peine de mort et des sectes restent problématiques.

Alors que nos deux pays sont des démocraties qui respectent les droits de l'Homme n'avons-nous pas une conception différente et n'y a-t-il pas là des sujets de conflits importants ?

Mme Béatrice Marre s'est déclarée frappée par l'analyse de l'Ambassadeur des Etats-Unis sur la mondialisation qui n'est pas synonyme d'américanisation. Elle a précisé que les Européens et les Français en l'occurrence attendaient des signes sur ce point. Quelques incertitudes subsistent par rapport aux décisions du Congrès américain qui semple privilégier plus le bilatéralisme que le multilatéralisme. Y a-t-il une marge entre l'analyse de l'Ambassadeur des Etats-Unis et ce que peut faire le Congrès américain ?

Evoquant l'ouverture prochaine des négociations de l'OMC, M. Hervé de Charette a souhaité savoir quel était l'arbitrage possible entre, d'une part, l'Europe qui veut une ouverture maximale de l'ordre du jour et, d'autre part, les Etats-Unis qui veulent se limiter à un nombre réduit de sujets dont les questions agricoles. S'agissant du processus de paix au Proche-Orient, y a-t-il des actions possibles entre la France et les Etats-Unis et si oui lesquelles ?

Mme Odette Trupin s'est interrogé sur l'envahissement de l'anglais sans nier qu'une langue unique constituât un code commode. N'y a-t-il pas un risque de réductionnisme et d'appauvrissement de la pensée humaine ? La sauvegarde de la culture de l'humanité n'est-elle pas un devoir obligatoire ?

Le Président Jack Lang a fait remarquer que c'était aux Européens de prendre des initiatives concrètes pour assurer ce multilinguisme.

Mme Odette Trupin s'est alors demandé si, du fait de l'importance des Etats-Unis dans la mondialisation, ces derniers ne pouvaient pas jouer de leur influence.

M. René André a fait référence au nouveau système américain de défense antimissile dont certains ont dit qu'il allait renforcer l'isolationnisme des Américains en les mettant à l'abri de toute attaque. Est-il possible d'obtenir plus d'informations sur ce point d'autant qu'en inquiétant fortement les Russes, ce système a des conséquences sur les négociations de désarmement stratégique.

Le Président Jack Lang a souhaité revenir sur la situation de « talibanisation » de l'Afghanistan et des régions alentours. La position américaine sur ce point n'est pas toujours d'une clarté absolue. Qu'en est-il d'un effort commun pour endiguer cela et permettre à ces peuples de vivre librement ?

M. Valéry Giscard d'Estaing s'est inquiété des risques d'inflation qui menacent la première puissance économique mondiale. Quelles sont les perspectives raisonnables de croissance économique américaine pour les prochaines années ?

S'agissant de l'Union européenne, il y a aujourd'hui un débat sur la conduite de l'intégration et le rythme de l'élargissement. Pourquoi les Etats-Unis prennent-ils position au lieu de laisser faire l'Europe ?

Sur l'absence de contrôle en Irak ou plus exactement sur le contrôle indirect, notre attitude vis-à-vis de ce pays constitue un point de désaccord avec les Etats-Unis. Y a-t-il une marge d'évolution possible de l'attitude américaine sur l'Irak ou les propositions en cours ont-elles peu de chances d'aboutir ?

Enfin il a demandé à l'Ambassadeur des Etats-Unis quelle était son analyse sur le refus américain de ratifier le TICE. Est-ce parce que ce traité présente des imperfections qu'il faut améliorer ou s'agit-il d'une tendance plus profonde de la politique étrangère des Etats-Unis, c'est-à-dire le retour à une culture de refus de souscrire certains engagements internationaux comme, dans le passé, le Traité de Versailles ou la SDN ?

M. Felix George Rohatyn a répondu aux intervenants.

Les questions liées aux activités des sectes sont délicates, néanmoins, tant la France que les Etats-Unis sont des pays respectueux des droits de l'Homme, ainsi l'Ambassadeur des Etats-Unis espère avec confiance que les tensions seront surmontées et que les discussions en cours entre les gouvernements aboutiront à des résultats positifs.

Il a admis que, dans le système économique et financier actuel, les capitaux ne sont pas soumis à l'autorité des gouvernements. Cependant, ce système, même imparfait, fonctionne bien : ainsi, par exemple, les banques centrales américaines, européennes et japonaises coopèrent étroitement (elles l'ont fait par exemple au moment des crises asiatique et russe) ; les marchés américains sont restés ouverts aux produits asiatiques pendant cette crise, ce qui a d'ailleurs entraîné un déficit de la balance commerciale. Ce système a ses dangers - on l'a vu avec le rôle de la spéculation et des "hedge funds" face auxquels il faut assurer la transparence - mais il est facteur de progrès économique pour l'Amérique latine et l'Asie et permet de répondre aux crises inévitables. En outre, le maintien d'un taux de croissance élevé aux Etats-Unis permet d'aider les pays moins développés à progresser, ce qui est un élément important en vue de la stabilité.

Les Etats-Unis sont bien davantage préoccupés par la protection de l'environnement qu'on ne le croit. Ainsi, le Président Bill Clinton a augmenté de millions d'hectares les surfaces des forêts publiques et privées protégées. Des investissements considérables, à des coûts importants, sont faits dans l'industrie, mais la taille des infrastructures industrielles rend le processus difficile. Néanmoins, développement économique et environnement sont compatibles.

En réponse à M. François Guillaume, l'Ambassadeur des Etats-Unis a observé que les Etats-Unis et la France étaient deux grands pays agricoles et que l'agriculture resterait un sujet de contentieux entre les Etats-Unis et la France. L'objectif américain est la réduction des subventions pour arriver, à terme, à un système ouvert. Cependant, les Etats-Unis connaissent la pire crise depuis vingt ans, et les spécialistes estiment que 20% des exploitants devront cesser leurs activités. Bien que les intérêts des deux pays soient communs, il faudra continuer à négocier pour parvenir à des positions communes.

Les Etats-Unis n'ont pas réussi à faire comprendre au reste du monde leurs positions sur la question de l'interdiction des mines : une seule exception au Traité a été demandée afin de pouvoir protéger les 35 000 soldats américains stationnés en Corée. Par ailleurs, les Etats-Unis sont très actifs dans les opérations de déminage à travers le monde. Le refus de s'asocier à la Cour pénale internationale s'explique par les inquiétudes conçues au sujet des militaires américains participant à des opérations dans de nombreux conflits.

L'intérêt des Etats-Unis est d'avoir une Europe intégrée, prospère, bénéficiant d'une forte croissance économique, formant avec eux une plate-forme de la sécurité du monde. Aussi, le succès de l'euro est-il un motif de satisfaction pour les Etats-Unis. Ceux-ci veulent éviter cependant la duplication ou le découplement des institutions avec celles de l'OTAN. De façon générale, rien de ce qui se fait en Europe n'apparaît hostile aux Etats-Unis, et aucun isolationnisme n'est à craindre de leur part.

Les Etats-Unis forment une démocratie complexe, mais l'une de ses forces fondamentales est sa structure politique et légale, caractérisée par un partage des compétences très clair entre la Fédération et les Etats. La peine de mort relève de la compétence des Etats ; elle a d'ailleurs disparu dans certains d'entre eux. Mais, tant que la Cour Suprême maintient le principe de la légalité de cette condamnation, les Etats pourront l'appliquer, même si cela apparaît choquant à d'autres.

En ce qui concerne les conséquences de la globalisation, les objectifs des Etats-Unis sont la liberté et l'opportunité. Les conditions économiques ont permis d'abaisser le chômage à un niveau très bas : il est passé en dix ans de 15% à 3,5% à Detroit, par exemple. Aussi ne peut-on dire que la technologie conduit systématiquement à une déshumanisation.

La position des Etats-Unis sur l'Irak est différente de celle d'autres pays, car l'appréciation du danger représenté par le Président Saddam Hussein est différente. Néanmoins, l'Amérique a versé suffisamment de sang pour préserver les droits de l'Homme ailleurs pour mériter une meilleure compréhension de ses actes.

La position américaine quant aux pays islamiques a été présentée récemment par le Président Bill Clinton : l'Amérique n'est pas l'ennemie de l'Islam qui est une grande religion ; l'Amérique lutte contre le terrorisme où qu'il se trouve. Au Moyen-Orient, l'Amérique a contribué à faire progresser significativement la paix entre Israël et ses voisins et espère que ses efforts déboucheront sur l'affirmation d'une paix durable cette année.

Quant aux Balkans, les Etats-Unis, qui sont intervenus à la demande des Européens, espèrent évidemment l'arrêt de l'épuration ethnique et soutiennent le travail remarquable accompli par M. Bernard Kouchner.

En réponse à M. Paul Dhaille, M. Felix George Rohatyn ne voit pas de différence fondamentale entre son pays et les pays européens sur la conception des droits de l'Homme ; il existe seulement une différence fondamentale sur la peine de mort. Néanmoins, cela ne devrait pas susciter de difficultés si chaque partie respecte les positions de l'autre.

Le Président Jack Lang a espéré que ces positions pourraient évoluer avec le temps.

L'Ambassadeur des Etats-Unis a rappelé qu'aujourd'hui, la politique économique et la politique étrangère sont indissociables. Alors que les Etats-Unis ont hésité à s'impliquer dans la deuxième guerre mondiale, ils se sont par la suite engagés sur le continent européen avec la création de l'OTAN et le plan Marshall et ont soutenu la construction européenne. Compte tenu des intérêts américains et de l'intégration croissante de l'économie mondiale, cette ligne politique se maintiendra à l'avenir.

L'ordre du jour des prochaines négociations commerciales est aujourd'hui en discussion. Les Etats-Unis souhaitent qu'elles débouchent plus rapidement que les précédentes ; c'est la raison pour laquelle ils proposent que les négociations soient achevées en trois ans et que l'agenda soit limité. Les Européens voudraient à l'inverse que le dialogue soit plus large. D'ici à la conférence de Seattle, les points de vue peuvent se rapprocher.

Sur la question du processus de paix au Proche-Orient, les contacts entre les Etats-Unis et la France sont réguliers. Le Premier ministre Ehud Barak préfère pour le moment des négociations directes. Mais, le moment venu, une initiative franco-américaine sera peut-être opportune.

Les Etats-Unis sont bien entendu favorables à la protection de la langue française. Dans de nombreuses écoles publiques américaines, l'espagnol fait partie du curriculum et cette langue est sans doute mieux implantée aux Etats-Unis que ne l'est la langue anglaise en France. Cela témoigne de ce que les Etats-Unis ne manifestent aucune réticence à l'égard des langues étrangères et comprennent la volonté de la France de protéger la langue française. Il serait utile que le progrès technologique améliore le doublage des films français en anglais.

Le développement d'un système anti-missiles est loin d'être certain. Pour le moment, un seul essai d'interception a réussi. L'objectif d'un tel système serait de protéger le territoire américain contre des missiles qui seraient lancés par des Etats « terroristes » afin que la dissuasion ne repose pas uniquement sur la menace de représailles nucléaires. Son déploiement suppose une révision du traité ABM, hypothèse à laquelle la Russie comme la France, qui a été la première consultée, sont opposées. Le Président Bill Clinton devrait prendre une décision d'ici à la mi-juin.

Très peu de gens pensaient que les Etats-Unis connaîtraient une phase de croissance aussi forte et longue sans inflation car portée par le développement technologique et accompagnée d'une politique budgétaire restrictive et d'une politique monétaire souple. La dette externe a augmenté du fait du déficit commercial mais la dette interne a diminué. Cette croissance est vitale pour le reste du monde. L'économie américaine connaît des vulnérabilités : notamment, le marché financier peut subir un fléchissement brutal. Cependant, grâce aux excédents accumulés, les pouvoirs publics ont les moyens d'en contrecarrer les effets.

Les Etats-Unis établissent un parallèle entre l'élargissement de l'Union européenne qui leur paraît souhaitable et l'élargissement de l'OTAN. Ils sont particulièrement attentifs et favorables au renforcement des capacités européennes de défense. Ils n'ont pas à intervenir dans le débat élargissement - approfondissement.

La France et les Etats-Unis évaluent différemment la menace que représente l'Irak. Ils travaillent ensemble aux Nations Unies pour parvenir à une formule qui permettrait le retour d'inspecteurs en Irak et l'octroi d'un niveau d'aide humanitaire et économique.

Le rejet du Traité d'interdiction des essais nucléaires par le Sénat américain suscite de nombreuses interrogations. A titre personnel, M. Felix George Rohatyn a estimé que la présence américaine dans le monde avait atteint un tel niveau qu'un retour à l'isolationnisme est impossible. Il existe des tendances diverses au Congrès mais, en tout état de cause, les Etats-Unis ne quitteront pas le système international.

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ANNEXE 4

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ANNEXE 6

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ANNEXE 7

A. PROJET DE CONVENTION CONCERNANT
L'INTERDICTION ET L'ÉLIMINATION IMMÉDIATE
DES PIRES FORMES DE TRAVAIL DES ENFANTS

La Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail,

Convoquée à Genève par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail, et s'y étant réunie le 1er juin 1999 en sa quatre-vingt-septième session ;

Considérant la nécessité d'adopter de nouveaux instruments visant l'interdiction et l'élimination effective des pires formes de travail des enfants en tant que priorité majeure de l'action nationale et internationale pour compléter la convention et la recommandation concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi, 1973, qui demeurent les instruments fondamentaux en vue de l'abolition totale du travail des enfants ;

Considérant que l'élimination effective des pires formes de travail des enfants exige une action d'ensemble immédiate, qui tienne compte de l'importance d'une éducation de base et de la nécessité de soustraire au travail les enfants concernés et d'assurer leur réadaptation et leur réinsertion sociale ;

Rappelant la Convention relative au droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989 par l'Assemblée générale des Nations Unies ;

Rappelant que certaines des pires formes de travail des enfants sont couvertes par d'autres instruments internationaux, en particulier la convention sur le travail forcé, 1930, et la Convention supplémentaire des Nations Unies relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, 1956 ;

Rappelant les dispositions pertinentes de la convention sur l'inspection du travail, 1947, et de la convention et de la recommandation sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975 ;

Rappelant la Déclaration sur l'égalité des chances et de traitement pour les travailleuses, adoptée en 1975 par la Conférence internationale du Travail, ainsi que la Déclaration de Copenhague sur le développement social et le Programme d'action du Sommet mondial pour le développement social de 1995, et la Déclaration, et le Programme d'action de Beijing adoptés par la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995 ;

Après avoir décidé d'adopter diverses propositions relatives au travail des enfants, question qui constitue le quatrième point à l'ordre du jour de la session ;

Après avoir décidé que ces propositions prendraient la forme d'une convention internationale ;

adopte, ce ... jour de juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, la convention ci-après, qui sera dénommée Convention sur l'abolition immédiate des pires formes de travail des enfants, 1999.

Article 1

Tout membre qui ratifie la présente convention doit prendre des mesures pour assurer l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants.

Article 2

Aux fins de la présente convention, le terme "enfant" s'applique à l'ensemble des personnes de moins de 18 ans.

Article 3

Aux fins de la présente convention, l'expression "les pires formes de travail des enfants" comprend :

a) toutes les formes d'esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, le travail forcé ou obligatoire, la servitude pour dettes et le servage ;

b) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques ;

c) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant aux fins d'activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes ;

d) les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité de l'enfant.

Article 4

1. Les types de travail visés à l'article 3 d) doivent être déterminés par la législation nationale ou l'autorité compétente, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, compte tenu des normes internationales pertinentes.

2. L'autorité compétente, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, doit localiser les types de travail ainsi déterminés.

3. La liste des types de travail déterminés conformément au paragraphe 1 du présent article doit être périodiquement examinée et, au besoin, révisée après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées.

Article 5

Tout membre doit établir ou désigner des mécanismes appropriés pour surveiller l'application des dispositions donnant effet à la présente convention.

Article 6

1. Tout membre doit élaborer et mettre en _uvre des programmes d'actions en vue d'éliminer en priorité les pires formes de travail des enfants.

2. Ces programmes d'action doivent être élaborés et mis en _uvre en consultation avec les institutions publiques compétentes et les organisations d'employeurs et de travailleurs.

Article 7

1. Tout membre doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en _uvre effective des dispositions donnant effet à la présente convention et les faire respecter, y compris en prévoyant et en appliquant des sanctions pénales ou, le cas échéant, d'autres sanctions.

2. Tout membre doit, en tenant compte de l'importance de l'éducation en vue de l'élimination du travail des enfants, prendre des mesures efficaces dans un délai déterminé pour :

a) empêcher que des enfants ne s'engagent dans les pires formes de travail ;

b) prévoir l'aide directe nécessaire et appropriée pour les soustraire au travail et assurer leur réadaptation et leur réinsertion sociale, entre autres, par l'accès à l'éducation de base gratuite ;

c) identifier les enfants particulièrement exposés à des risques et entrer en contact direct avec eux ;

d) tenir compte de la situation particulière des filles.

3. Tout membre doit désigner l'autorité compétente chargée de la mise en _uvre des dispositions donnant effet à la présente convention.

Article 8

Les membres doivent prendre des mesures, le cas échéant, afin de s'entraider pour donner effet aux dispositions de la présente convention par une coopération ou une assistance internationales.

B. PROJET DE RECOMMANDATION CONCERNANT
L'INTERDICTION ET L'ÉLIMINATION IMMÉDIATE
DES PIRES FORMES DE TRAVAIL DES ENFANTS

La Conférence générale de l'Organisation internationale du Travail,

Convoquée à Genève par le Conseil d'administration du Bureau international du Travail, et s'y étant réunie le 1er juin 1999 en sa quatre-vingt-septième session ;

Après avoir adopté la convention sur l'abolition immédiate des pires formes de travail des enfants, 1999 ;

Après avoir décidé que ces propositions prendraient la forme d'une recommandation complétant la convention sur l'abolition immédiate des pires formes de travail des enfants, 1999,

adopte, ce ... jour de juin mil neuf cent quatre-vingt-dix neuf, la recommandation complétant la convention sur l'abolition immédiate des pires formes de travail des enfants, 1999.

1. Les dispositions de la présente recommandation complètent celles de la convention sur l'abolition immédiate des pires formes de travail des enfants, 1999 (ci-après dénommée "la convention") et devraient s'appliquer conjointement avec elles.

I. Programmes d'actions

2. Les programmes d'actions visés à l'article 6 de la convention devraient être élaborés et mis en _uvre en consultation avec les institutions publiques compétentes, les organisations d'employeurs et de travailleurs et, le cas échéant, d'autres groupes intéressés. Ces programmes devraient viser, entre autres, à :

a) identifier et dénoncer les pires formes de travail des enfants ;

b) empêcher des enfants de s'engager dans les pires formes de travail ou les y soustraire, les protéger de représailles, assurer leur réadaptation et leur réinsertion sociale par des mesures tenant compte de leurs besoins en matière d'éducation et de leurs besoins physiques, affectifs et psychologiques ;

c) accorder une attention particulière :

- aux plus jeunes enfants ;

- au problème des travaux exécutés dans des situations qui échappent aux regards extérieurs, où les filles sont particulièrement exposées à des risques ;

- à d'autres groupes d'enfants spécialement vulnérables ou ayant des besoins particuliers ;

d) identifier les communautés dans lesquelles les enfants sont particulièrement exposés à des risques et entrer en contact direct avec elles ;

e) informer, sensibiliser et mobiliser l'opinion publique et les groupes intéressés, y compris les enfants et leurs familles ;

II. Travaux dangereux

3. En déterminant les types de travail visés à l'article 3 d) de la convention et leur localisation, il faudrait au moins prendre en considération :

a) les travaux qui exposent les enfants à des sévices physiques, affectifs ou sexuels ;

b) les travaux qui s'effectuent sous terre, sous l'eau, à des hauteurs dangereuses ou dans des espaces confinés ;

c) les travaux qui s'effectuent avec des machines, du matériel ou des outils dangereux, ou qui impliquent de manipuler ou porter de lourdes charges ;

d) les travaux qui s'effectuent dans un milieu malsain pouvant, par exemple, exposer des enfants à des substances, des agents ou des procédés dangereux, ou à des conditions de température, de bruit ou de vibrations préjudiciables à leur santé ;

e) les travaux qui s'effectuent dans des conditions particulièrement difficiles, par exemple pendant de longues heures, ou la nuit, ou sans possibilité pour l'enfant de rentrer chez lui chaque jour.

III. Mise en _uvre

4. (1) Des informations détaillées et des données statistiques sur la nature et l'étendue du travail des enfants devraient être compilées et tenues à jour en vue d'établir les priorités de l'action nationale pour l'abolition du travail des enfants, en particulier pour l'interdiction et l'élimination immédiate de ses pires formes.

(2) Dans la mesure du possible, ces informations et données statistiques devraient comprendre des données ventilées par sexe, groupe d'âge, profession, branche d'activité économique et situation dans la profession.

(3) Des données pertinentes devraient être compilées et tenues à jour en ce qui concerne les violations des dispositions nationales visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants.

5. La compilation et le traitement des informations et données mentionnées au paragraphe 4 ci-dessus devraient être effectués en tenant dûment compte du droit à la protection de la vie privée.

6. Les informations compilées conformément au paragraphe 4 ci-dessus devraient être régulièrement communiquées au Bureau international du Travail.

7. Les membres devraient établir ou désigner des mécanismes nationaux appropriés pour surveiller l'application des dispositions nationales visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs et, le cas échéant, d'autres groupes intéressés.

8. Les membres devraient veiller à ce que les autorités compétentes chargées de mettre en _uvre les dispositions nationales visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires forme de travail des enfants coopèrent entre elles et coordonnent leurs activités.

9. La législation nationale ou l'autorité compétente devrait déterminer les personnes qui seront tenues responsables en cas de non-respect des dispositions nationales concernant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants.

10. Les membres devraient, pour autant que cela soit compatible avec le droit national, coopérer aux efforts internationaux visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants en :

a) rassemblant et échangeant des informations concernant les infractions pénales, y compris celles impliquant des réseaux internationaux ;

b) recherchant et poursuivant les personnes impliquées dans la vente et la traite des enfants ou dans l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'enfants aux fins d'activités illicites, de prostitution ou de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques ;

c) tenant un registre des auteurs de telles infractions.

11. Les membres devraient prévoir que les pires formes de travail des enfants indiquées ci-après sont des infractions pénales :

a) toutes les formes d'esclavage ou pratiques analogues, telle que la vente et la traite des enfants, le travail forcé ou obligatoire, la servitude pour dettes et le servage ;

b) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques ;

c) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant aux fins d'activités illicites, notamment pour la production et le trafic de stupéfiants, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes.

12. Les membres devraient veiller à ce que des sanctions, y compris s'il y a lieu des sanctions pénales, soient appliquées aux violations des dispositions nationales visant l'interdiction et l'élimination immédiate des types de travail visés à l'article 3 d) de la convention.

13. Les membres devraient, s'il y a lieu, prévoir d'autres recours pour assurer l'application effective des dispositions nationales visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants.

14. D'autres mesures visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants pourraient notamment consister à :

a) informer et sensibiliser le grand public, y compris les dirigeants politiques nationaux et locaux, les parlementaires et les autorités judiciaires ;

b) associer et former les organisations d'employeurs et de travailleurs et les organisations civiques ;

c) dispenser la formation appropriée aux agents des administrations intéressés, en particulier aux inspecteurs et aux représentants de la loi, ainsi qu'à d'autres professionnels concernés ;

d) permettre aux membres de poursuivre dans leur propre pays leurs ressortissants qui commettent des infractions aux dispositions nationales visant l'interdiction et l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants, même lorsque ces infractions sont commises en dehors de leur pays ;

e) simplifier les procédures judiciaires et administratives, en veillant à ce qu'elles soient appropriées et rapides ;

f) faire connaître les meilleurs pratiques relatives au travail des enfants ;

g) faire connaître les dispositions juridiques ou autres relatives au travail des enfants dans les langues ou dialectes divers ;

h) mettre en place des procédures spéciales de plainte, des dispositions visant à protéger ceux qui font légitimement état de violations des dispositions de la convention contre toute discrimination et toutes représailles, ainsi que des lignes téléphoniques ou centres d'assistance et des médiateurs.

15. La coopération et l'assistance internationales entre les membres en vue de l'interdiction et de l'élimination immédiate des pires formes de travail des enfants devraient inclure :

a) la mobilisation de ressources pour des programmes nationaux ou internationaux ;

b) l'assistance mutuelle en matière juridique

c) l'assistance technique, y compris l'échange d'informations.

ANNEXE 8

Résolution A/53/169 sur la promotion du développement

dans le contexte de la mondialisation et de l'interdépendance

(New York, 15 décembre 1998)

(source : Nations Unies)

L'Assemblée générale,

Réaffirmant les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies en ce qui concerne en particulier le rôle de l'Organisation des Nations Unies s'agissant de promouvoir la coopération économique et sociale internationale, notamment la recherche de solutions aux problèmes qui se posent au niveau international dans les domaines économique et social et les domaines connexes,

Consciente des problèmes soulevés et des possibilités offertes par la mondialisation et l'interdépendance,

Constatant avec préoccupation que l'instabilité de flux de capitaux à court terme et l'accentuation des inégalités de revenus à l'intérieur des pays et entre eux, en particulier, font courir à un grand nombre de pays en développement de graves risques de marginalisation par rapport au processus de mondialisation, y compris dans les secteurs financier et commercial, et aggravent la vulnérabilité des pays en développement qui s'intègrent à l'économie mondiale,

Ayant à l'esprit que, dans le cadre du processus de libéralisation des échanges, les marges que retirent des préférences commerciales les pays en développement, en particulier les pays en développement les moins avancés et les petits Etats insulaires en développement, diminuent et que les pays doivent prendre des mesures, en se conformant, s'il y a lieu, aux règles de l'Organisation mondiale du commerce, pour enrayer cette diminution et la contrebalancer.

Considérant que la mondialisation et l'interdépendance ont, par le renforcement des flux commerciaux et de capitaux et les progrès technologiques, ouvert de nouvelles perspectives à la croissance de l'économie mondiale, au développement et à l'amélioration des niveaux de vie partout dans le monde,

Affirmant qu'il importe de mettre en chantier un large éventail de réformes en vue de créer un système financier international renforcé,

Soulignant qu'il importe de réduire d'urgence les répercussions négatives de la mondialisation et de l'interdépendance de façon à réaliser les objectifs synergiques de l'élimination de la pauvreté et du développement,

Rappelant que l'Organisation des Nations Unies est particulièrement bien placée, en tant qu'instance universelle, pour réaliser une coopération internationale permettant de relever les défis du développement dans le contexte de la mondialisation et de l'interdépendance,

Soulignant que le système des Nations Unies a un rôle essentiel à jouer pour ce qui est de favoriser la cohérence, la complémentarité et la coordination des questions économiques et de développement qui se posent au niveau mondial,

Considérant qu'il importe que tous les pays élaborent au niveau national des mesures permettant de faire face aux défis de la mondialisation, en particulier en s'employant à mettre en _uvre des politiques macro-économiques et sociales rationnelles, constatant qu'il importe que la communauté internationale appuie les efforts déployés, en particulier par les pays les moins avancés, pour améliorer leurs capacités institutionnelles et administratives, et considérant également que tous les pays doivent appliquer des politiques propices à la croissance économique et à la promotion d'un climat économique mondial favorable,

Rappelant les décisions de la neuvième session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, tenue à Midrand (Afrique du Sud), qui fournissent un cadre important pour promouvoir le partenariat au service de la croissance et du développement dans le contexte de la mondialisation et de l'interdépendance,

Notant la réunion spéciale de haut niveau entre le Conseil économique et social et les institutions de Bretton Woods, qui s'est tenue le 18 avril 1998, ainsi que le communiqué ministériel adopté par le Conseil économique et social lors du débat de haut niveau qu'il a consacré, à sa session de fond de 1998, à l'ouverture des marchés,

Rappelant le v_u, largement partagé à l'occasion du dialogue de haut niveau de l'Assemblée générale, qui s'est tenue les 17 et 18 septembre 1998 dans le cadre de la relance de la concertation sur le renforcement de la coopération économique internationale pour le développement par le partenariat, de voir se poursuivre les discussions en vue d'élaborer des moyens cohérents et efficaces d'exploiter les possibilités offertes par la mondialisation et l'interdépendance et d'en relever les défis,

Prenant acte du rapport du Secrétaire général sur les causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique, dans lequel il a analysé notamment ce qui empêche l'économie des pays africains de participer pleinement à la mondialisation,

1. Réaffirme que l'Organisation des Nations Unies a un rôle central à jouer s'agissant de promouvoir la coopération internationale pour le développement et de donner des directives sur les questions liées au développement mondial, en particulier dans le contexte de la mondialisation et de l'interdépendance ;

2. Souligne de nouveau qu'il importe de tenir compte des besoins des pays en développement, en particulier des besoins spéciaux des pays les moins avancés et des petits Etats insulaires en développement, dans le contexte de la mondialisation, et engage la communauté internationale, notamment l'Organisation mondiale du commerce, à continuer d'accorder aux pays en développement, y compris aux pays les moins avancés et aux petits Etats insulaires en développement, des conditions plus préférentielles ;

3. Salue les efforts déployés par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement et le Centre du commerce international pour aider les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits Etats insulaires en développement, à remédier à leurs problèmes particuliers dans le cadre de la mondialisation de l'économie, en particulier par le biais d'une assistance technologique dans les domaines du commerce, de l'élaboration des politiques, de l'amélioration de l'efficacité commerciale, ainsi que des politiques liées aux services et du commerce des services, en particulier du commerce électronique ;

4. Souligne qu'il importe de reconnaître et de s'employer à régler les problèmes économiques particuliers des pays en transition en vue de les aider à recueillir les bienfaits de la mondialisation de façon qu'ils puissent s'intégrer pleinement à l'économie mondiale ;

5. Souligne également qu'il importe que tous les pays en développement continuent de recueillir tous les bienfaits de la mondialisation et qu'ils soient moins vulnérables aux répercussions négatives de la mondialisation et de l'interdépendance ;

6. Considère que des efforts concertés devraient être déployés, par une coopération accrue et une coordination renforcée entre toutes les instances et institutions compétentes, pour réduire le plus possible les répercussions négatives et maximiser les avantages de la mondialisation et de l'interdépendance pour les pays en développement ;

7. Souligne avec insistance l'importance d'un climat propice à l'investissement étranger direct, de l'ouverture des marchés, de la bonne gouvernance, de l'augmentation du volume et de l'efficacité de l'aide publique au développement, du règlement de la question de l'endettement insoutenable, en particulier par des mesures de conversion de la dette, de la souplesse dans la gestion de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés et de l'appui à la coopération et à l'intégration régionales, qui sont les questions à traiter en priorité pour réaliser un développement durable dans tous les pays d'Afrique et encourager la participation de tous ces pays à l'économie mondiale, comme l'a recommandé le Secrétaire général dans son rapport ;

9. Souligne qu'il importe de poursuivre le dialogue constructif que les pays développés et les pays en développement ont engagé dans les instances appropriées sur les questions touchant le renforcement et la réforme du système financier international ;

10. Considère qu'il importe de chercher d'urgence ensemble, au niveau international, les moyens de réduire les répercussions négatives de la mondialisation et de l'interdépendance, compte tenu de la vulnérabilité, des préoccupations et des besoins particuliers des pays en développement ;

11. Invite le Conseil économique et social et les institutions de Bretton Woods à examiner également, dans leur réunion spéciale de haut niveau, en 1999, les moyens d'optimiser les avantages et de réduire le plus possible les répercussions négatives de la mondialisation et de l'interdépendance, en particulier sur les pays en développement ;

12. Prie le Secrétaire général d'établir, en collaboration avec la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement et en consultation avec les organisations compétentes, en particulier l'Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les commissions régionales, un rapport analytique à présenter à l'Assemblée générale à sa cinquante-quatrième session, dans lequel il examinera les questions interdépendantes en vue de faire mieux comprendre la mondialisation et fera des recommandations, notamment, sur les points suivants :

a) Le rôle de l'Organisation des Nations Unies s'agissant de promouvoir le développement dans le contexte de la mondialisation et de l'interdépendance ;

b) La promotion de la cohérence, de la complémentarité et de la coordination des questions économiques et de développement qui se posent au niveau mondial, en vue d'optimiser les avantages et de réduire les répercussions négatives de la mondialisation et de l'interdépendance ;

13. Décide d'inscrire à l'ordre du jour de sa cinquante-quatrième session une question intitulée "Mondialisation et interdépendance".

(91ème séance plénière)

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N° 1963.- Rapport d'information de M. Roland Blum ,déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères, sur la mondialisation.