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N° 2311

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mars 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE

SUR LES OBSTACLES AU CONTRÔLE ET À LA RÉPRESSION DE LA DÉLINQUANCE FINANCIÈRE ET DU BLANCHIMENT DES CAPITAUX EN EUROPE (1)

PRÉSIDENT: M. VINCENT PEILLON,

RAPPORTEUR: M. ARNAUD MONTEBOURG
,

Députés.

--

TOME I

Monographies

Volume 1 - La Principauté du Liechtenstein

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Banques et établissements financiers.

La Mission d'information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe est composée de : M. Vincent Peillon, Président ; MM. Michel Hunault, Jean-Claude Lefort, Vice-Présidents ; MM. Charles de Courson, Philippe Houillon, Secrétaires ; M. Arnaud Montebourg, Rapporteur ; MM. Philippe Auberger, François d'Aubert, Alain Barrau, Jean-Louis Bianco, Philippe Briand, Jérôme Cahuzac, Jacky Darne, Arthur Dehaine, Jean-Jacques Jegou, Gilbert Le Bris, François Loncle, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, M. Christian Paul, Mme Chantal Robin-Rodrigo.

La Principauté du Liechtenstein :
Paradis des affaires et de la délinquance financière

La Principauté du Liechtenstein n'est guère connue du grand public mais elle est très réputée auprès des hommes d'affaires et de tous ceux qui souhaitent dans l'anonymat et l'impunité la plus totale y placer des fonds d'origine douteuse.
Le Liechtenstein est devenu le paradis des affaires et de la délinquance financière, le territoire en Europe où convergent les fonds de la mafia, de la corruption et du terrorisme.
La Mission s'est attachée à démontrer comment le Liechtenstein a délibérément choisi de construire sa prospérité sur le développement des services financiers et a, de ce fait, accepté de devenir un des hauts lieux du blanchiment de l'argent sale.
S'il continue à se maintenir volontairement en dehors des règles du jeu et à déroger aux principes posés par les pays occidentaux pour lutter contre le blanchiment, le Liechtenstein s'expose à des sanctions politiques et économiques de la part de la Communauté internationale.
La France, dans ce combat, n'hésitera pas à limiter voire interdire toute relation d'affaire avec ce pays.

S O M M A I R E

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Pages

AVANT-PROPOS 88

I.- UNE PLACE FINANCIÈRE ATTRACTIVE 99

A.- UN CHOIX STRATÉGIQUE NATIONAL 99

1.- L'histoire d'une réussite 9

2.- Les raisons du succès 9

a) Le label suisse 9

b) L'existence d'un consensus politique 9

B.- UNE PLACE PROSPÈRE 99

1.- Une fiscalité favorable 9

2.- La vitalité de la place 9

II.- LE SECRET COMME INSTRUMENT DE DÉVELOPPEMENT 99

A.- UNE DISCRÉTION HERMÉTIQUE 99

1.- Un secret bancaire absolu 9

2.- Des structures juridiques qui garantissent l'anonymat 9

B.- UNE NORMALISATION DE FAÇADE 99

1.- Des engagements internationaux non aboutis 9

2.- Un dispositif anti-blanchiment inefficace 9

a) Incrimination du blanchiment 9

b) Les obligations des intermédiaires financiers 9

c) Le « TRACFIN » local 9

3.- La persistance d'éléments négatifs 9

a) Une absence de résultats 9

b) Un système d'identification des ayants droit déficient 9

III.- UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE VOLONTAIREMENT ENTRAVÉE 99

A.- UNE INTERPRÉTATION ABUSIVE DE LA CONVENTION DE 1959 99

1.- Une procédure lourde 9

2.- Des recours inutiles 9

3.- L'exercice d'un contrôle discrétionnaire 9

B.- L'IMPOSSIBLE PÉNÉTRATION DES ENQUÊTES JUDICIAIRES EUROPÉENNES 99

1.- La situation des magistrats étrangers 9

2.- Les difficultés rencontrées par les magistrats français 9

IV.- LES RÉSULTATS POLITIQUES DE LA MISSION 99

A.- LES RÉACTIONS INTERNATIONALES 99

1.- Le GAFI 9

2.- Les réactions de l'Union européenne 9

3.- Le rapport des services secrets allemands 9

B.- LES ENGAGEMENTS DU LIECHTENSTEIN EXPRIMÉS DEVANT LA MISSION 99

1.- Sur les modifications législatives envisagées 9

2.- Sur le mauvais traitement des commissions rogatoires internationales 9

CONCLUSIONS : DES SANCTIONS CONTRE LE LIECHTENSTEIN ? 99

EXAMEN DU RAPPORT 99

AUDITIONS 99

EXPLICATIONS DE VOTE 99

ANNEXES 111

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Mission
le 14 janvier 2000 à Vaduz

page

- MM Patrick RITTER, Collaborateur diplomatique de l'Office pour les affaires étrangères, et Christian NÄSCHER, Collaborateur juridique auprès du service juridique du Gouvernement du Liechtenstein.



81

- MM. Heinz FROMMELT, Ministre de la justice du Liechtenstein, Peter WOLFF, Président du Parlement du Liechtenstein, Roland MULLER, Chef de l'autorité de surveillance du secteur financier, Christian RITTER, Magistrat, Norbert MARXER, Chef du service juridique du Gouvernement et Gerd ZIMMERMANN, Adjoint au chef du service juridique du Gouvernement du Liechtenstein.






87

- M. Paul VOGT, Parlementaire d'opposition.

99

AVANT-PROPOS

Cette Mission parlementaire est née d'une rencontre. Au mois de septembre 1998, quelques mois après les débuts de cette législature, plusieurs parlementaires, parmi lesquels votre Président et votre Rapporteur, ont pris l'initiative d'inviter à l'Assemblée nationale, pour la première fois, les magistrats signataires en 1996 de l'Appel de Genève, Messieurs Bernard Bertossa, Procureur général de Genève, Edmundo Bruti Liberati, Substitut général à Milan, Gherardo Colombo, Substitut du procureur à Milan, Benoît Dejemeppe, Procureur du roi à Bruxelles, Carlos Jimenez Villarejo, Chef du parquet anticorruption de Madrid et Renaud van Ruymbeke, Conseiller à la cour d'appel de Rennes.

Ces juges européens, soutenus par les opinions publiques nationales, ne pouvaient plus longtemps porter seuls sur leurs épaules, une revendication aussi légitime sans être soutenus et relayés par les responsables politiques de leurs pays respectifs.

Lorsque ces magistrats écrivent dans leur Appel : « A l'heure des réseaux informatiques d'Internet, du modem et du fax, l'argent d'origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d'un compte à l'autre, d'un paradis fiscal à l'autre, sous couvert de sociétés offshore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées. Cet argent est ensuite placé ou investi hors de tout contrôle. L'impunité est aujourd'hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s'avérera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d'une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux. », ces juges ne peuvent qu'être entendus dans leur diagnostic amer et leur recherche de solutions urgentes.

Il restait dès lors à passer à l'action.

Lors de notre rencontre du mois de septembre 1998, juges et députés décidèrent de proposer la création d'une Mission d'information parlementaire chargée de recueillir des informations sur les paradis fiscaux, centres offshore, refuges secrets des capitaux illégaux qui s'introduisent dans les économies légales européennes.

Votre Rapporteur et les députés qui se sont engagés dans cette enquête auraient pu se contenter de recherches livresques, et de documentation à distance. Il était, en effet possible de décrire chacun de ces paradis fiscaux, bancaires, fiduciaires ou judiciaires à partir de la législation et de la réglementation adoptées par chacun de ces pays.

Cette approche formelle aurait alimenté le reproche contre la Mission d'avoir trop fait confiance aux apparences si trompeuses en matière de délinquance dite « astucieuse ».

C'est pourquoi nous avons pris le parti de ne pas nous contenter de discours officiels, des plaquettes de présentation des services, et de la communication politique des dirigeants des pays que nous avons visités. Les conversations menées au niveau judiciaire, policier, administratif, bancaire, parlementaire ou gouvernemental, n'ont pas toujours été mondaines car il fallait aborder les faits, et souvent des faits encombrants.

Plus original, la Mission qui s'est déplacée dans les principaux pays de l'Union Européenne a rencontré à tous les niveaux d'intervention dans ces pays, des alliés précieux qui ont aidé votre Rapporteur à rassembler des informations contre les centres offshore situés à l'intérieur du territoire européen.

La Mission s'est donc, peu à peu, par l'effet d'accumulation de sympathies, d'amitiés et de soutiens, transformée en porte-parole des exaspérations, des exigences et des revendications de l'ensemble des pays européens et non plus exclusivement de la France à l'égard de ces territoires qui refusent la coopération administrative, policière ou financière.

La Mission a donc choisi, avant de rendre un rapport décrivant l'ensemble des obstacles français à la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux, de concentrer son analyse et son diagnostic sur les territoires qui refusent ouvertement ou de façon hypocrite cette lutte et réduisent à néant les efforts conjugués des pays plus européens vers cet objectif.

Ces territoires feront l'objet de monographies spécifiques. Ce rapport relatif à la Principauté du Liechtenstein, est le premier d'une série à venir.

La Principauté du Liechtenstein, confetti de 160 km² coincé entre l'Autriche et la Suisse, est l'un des territoires non coopératifs les plus dangereux que nous ayons rencontrés sur le sol européen, dans le cadre des investigations de la Mission parlementaire.

Les informations que nous avons recueillies auprès de nos amis italiens, allemands, belges, suisses ou néerlandais, confirment la dangerosité de la Principauté du Liechtenstein par sa performance particulière dans l'organisation méthodique du secret entourant l'origine des fonds qui se cachent dans ce pays.

Les indices, les faits, les documents, les preuves se sont accumulés au cours de nos longs mois d'enquête, de ce que le Liechtenstein vit et prospère grâce à l'argent du terrorisme, aux caisses noires des entreprises qui organisent la corruption économique à l'échelle des marchés internationaux, à l'argent de la corruption politique et du financement illégal des partis politiques européens, et aux produits illicites des trafics instrumentés par les mafias européennes et parfois internationales.

Ce rapport décrit avec précision les conditions dans lesquelles le Liechtenstein a organisé avec science, l'attraction des capitaux européens qu'ils soient légaux ou illégaux, propres ou sales, et comment cet Etat a dressé des remparts puissants afin de protéger de tout regard extérieur l'identité des propriétaires de ces fonds et l'origine réelle de ces capitaux.

Ce rapport a pour but de faire connaître aux opinions publiques européennes la portée funeste des mécanismes mis en place par la Principauté du Liechtenstein. Il vise, par ailleurs, à faire connaître à ces propriétaires de capitaux que l'impunité appartient désormais à une période révolue, car l'Etat du Liechtenstein n'aura pas d'autre choix que de transformer radicalement son comportement s'il ne veut pas subir l'opprobre et la condamnation de la communauté internationale.

*

* *

I.- UNE PLACE FINANCIÈRE ATTRACTIVE

Le Liechtenstein est une bande de territoire montagneux de 25 km de long sur 5 km de large enclavée entre la Suisse et l'Autriche. Sa capitale, Vaduz, a l'apparence d'un village de haute montagne et n'abrite que 6 000 habitants sur les 31 320 habitants que compte le Liechtenstein. Ce n'est donc pas sa position géographique de carrefour des échanges commerciaux ni même une tradition industrielle affirmée qui l'ont conduit à se développer à travers les services financiers.

Le produit national brut du Liechtenstein par habitant atteint 35 000 dollars, soit l'un des plus élevés au monde. Il s'agit d'une véritable performance pour un micro-Etat de 160 km2 sans ressources naturelles ou énergétiques exceptionnelles et situé au c_ur des Alpes. L'explication de ce miracle économique est simple : elle tient à l'importance du secteur tertiaire qui représente plus de la moitié des emplois et plus particulièrement aux activités bancaires et financières.

Cette Principauté est devenue un véritable centre financier doté d'un dynamisme impressionnant alors que rien ne semblait prédisposer ces quelques vallées alpines à cette destinée. Cette réussite est fondée sur un choix politique délibéré lié à l'histoire de ce micro-Etat.

Si ce choix a conduit le pays à la richesse, il importe de souligner qu'en son absence, le Liechtenstein n'aurait pas été réduit à la pauvreté car il dispose d'autres atouts : agriculture, industrie textile et de précision, tourisme.

A.- UN CHOIX STRATÉGIQUE NATIONAL

Avant de connaître la prospérité qui la caractérise aujourd'hui, la Principauté du Liechtenstein était économiquement dépendante de ses voisins autrichien et suisse. Les années 1920 marquent un tournant. C'est à cette époque que les autorités politiques du Liechtenstein comprennent tous les avantages qu'elles pourraient retirer de la construction d'une économie financière. Ce choix délibéré, qui rencontrera l'assentiment de la population, ne portera pas immédiatement ses fruits.

L'histoire contrariera le Liechtenstein et le contraindra à attendre le lendemain de la deuxième guerre mondiale pour devenir une place financière prisée dont l'explosion récente montre à quel point cette Principauté a lié son sort à la déréglementation, puis la mondialisation de l'économie financière.

1.- L'histoire d'une réussite

Le Liechtenstein n'était en 1719 qu'une Principauté, 343ème Etat du Saint Empire, avant de devenir en 1806, un Etat souverain.

Economiquement dépendant de son grand voisin autrichien, le Liechtenstein s'est juridiquement lié à l'Autriche avec laquelle on a coutume de dire qu'il entretient « des liens de c_ur » - le Prince régnant a d'ailleurs la nationalité autrichienne.

En 1852, le Liechtenstein conclut ainsi avec l'Autriche une Union Douanière que le Parlement Liechtensteinois devait dénoncer à l'unanimité le 2 août 1919, la chute de l'Empire austro-hongrois ayant eu raison de ce Traité. Ce qui fait dire aux commentateurs de son histoire : « Après avoir largement profité de l'Autriche pendant soixante cinq ans, les liechtensteinois, dont le bon sens paysan est remarquable, retiraient leur mise du jeu et portaient leur regard vers l'opulente Helvétie » (1).

Le Liechtenstein met donc en place avec la Suisse une nouvelle Union Douanière en 1923 et introduit en 1924 le franc suisse.

Les années d'après guerre constituent pour le pays une période charnière avec l'adoption d'une nouvelle Constitution en 1921 et d'une législation sur les trusts en 1928.

Cette période est également marquée en 1927 par de terribles inondations, qui éprouvent durement l'économie du pays, elles sont suivies en 1928 par le krach de la Caisse d'Epargne qui réduit à néant les réserves de l'Etat. Le Liechtenstein sort financièrement ruiné de cet épisode et lourdement endetté à l'égard de la Suisse.

Cette première après guerre économiquement difficile laisse le champ libre à la réalisation d'étranges aventures financières et c'est à cette époque que le Liechtenstein commence à acquérir une image contestable.

Le Liechtenstein : une « vaste société privée assez suspecte. »
« La période d'euphorie, puis d'incertitude qui caractérise l'après-guerre donne naissance à une faune d'aventuriers et d'escrocs dont certains voient dans la principauté un terrain propice à exploiter ; elle permet les demandes les plus extravagantes comme celle de la « Globocapital Association » qui, moyennant une rémunération confortable, n'exige pas moins que la cession d'un territoire à pleine compétence internationale, en vue de servir de base territoriale à un trust destiné à propager une monnaie internationale, le « globo », garanti par l'or et l'argent. Le Gouvernement de Vaduz se déclare malgré tout incompétent. Le Volkspartei engage aussi le pays dans une Loterie Nationale affermée à des financiers de New-York. De cette période, se dégage une impression de malaise ; la principauté prend l'allure d'une vaste société privée assez suspecte qui abuse de sa compétence internationale pour s'enrichir, ou plutôt pour se remettre de la ruine provoquée par l'effondrement de la monnaie autrichienne. »
In Pierre Raton, Le Liechtenstein, Sirey 1949.

Sur le plan politique, le Liechtenstein a proclamé sa neutralité depuis 1914, qu'il réussit à préserver en 1939, ce qui lui vaudra l'arrivée en 1945 de 7 000 réfugiés sur son sol, réclamant le droit d'asile.

En mars 1939, le Président de la Diète, le chanoine Anton Frommelt réussit à déjouer la tentative d'une centaine de nazis liechtensteinois de marcher sur Vaduz pour procéder à un Anschluβ et renverser la monarchie.

Dès le début du conflit en 1939, le Gouvernement se fait attribuer les pleins pouvoirs et le Prince décide de proroger le mandat des parlementaires pour une durée indéterminée officiellement « en raison de la nécessité d'assurer la continuité dans la législation et de l'administration » officieusement par crainte de voir arriver aux élections de 1943 des défenseurs du régime nazi.

En 1946, les nazis liechtensteinois sont jugés par les tribunaux ordinaires de leur pays.

Au sortir de la guerre, le Liechtenstein, économiquement très affaibli, doit à nouveau construire les bases de son développement.

Arrimé à la Suisse, déjà doté d'une législation attractive tant sur le plan fiscal que sur celui du droit des sociétés, le pays décide pour la seconde fois de fonder son développement sur l'économie financière.

Cette deuxième tentative sera la bonne et dans les années soixante la réputation du Liechtenstein n'est plus à faire : c'est un paradis fiscal faisant du secret un principe quasi constitutionnel.

Un paradis fiscal au secret d'Etat

« Quant au nombre de ces sociétés, il faut bien dire que les chiffres les plus fantaisistes circulent. Cinq mille, disent les uns ; vingt-cinq mille, disent les autres. Il semble toutefois, selon les experts les plus sérieux, que l'ordre de grandeur se situe vraisemblablement aux alentours de treize mille. Ces sociétés s'appellent aussi tantôt fondation, tantôt établissement, tantôt trust. Toutes, sans exception, bénéficient du secret absolu du fisc et des banques. Au Liechtenstein, l'obligation du secret est d'ailleurs expressément mentionnée dans la loi sur la sécurité de l'Etat.
Ce secret d'Etat, jalousement gardé, assure la protection d'un système qui s'avère une source importante de revenus pour le pays. Le Gouvernement liechtensteinois, il est vrai, a promulgué récemment une nouvelle loi fiscale, qui est restrictive parce que les possibilités d'« arrangements fiscaux » s'y trouvent désormais en partie condamnées.
J'ai rencontré M. X..., avocat liechtensteinois aux lourdes responsabilités. Il représente et gère à Vaduz un nombre appréciable de sociétés. Il m'a reçu dans une bibliothèque où il faisait bon vivre, feutrée, élégante, raffinée. Petit cigare, café crème - on vous en offre tout le temps au Liechtenstein - boiseries d'un Louis XV discret, bureau Empire, un peu solennel.
- Alors, c'est vrai ? C'est fini ? Voilà que le Liechtenstein institue un contrôle strict des fameuses « sociétés » ?
Il n'a pas répondu tout de suite. Il s'est calé dans son fauteuil. Il a écarquillé les yeux d'un air amusé. Il a saisi son petit cigare. Prenant son temps, il a ensuite projeté vers le plafond trois ronds de fumée bleuâtre parfaitement réussis. Enfin, nonchalamment, il a reposé le très beau coupe-papier en ivoire avec lequel il jouait depuis un moment :
- Pourquoi diable voulez-vous que nous nous mettions la corde au cou ? Que nous supprimions un système qui satisfait au fond tous les intéressés ? Je dis bien, tous les intéressés. (...)
- Ce qu'il est convenu d'appeler « le privilège holding » n'est donc pas aboli ?
- Nullement. La signification du privilège holding est très large, les sociétés holding ont pour objectif essentiel la gérance de fortune, la participation ou la gérance permanente de participations en d'autres entreprises. En revanche, les sociétés de résidence possèdent seulement leur siège social dans le pays - avec bureau ou non - et un représentant, mais déploient leurs activités uniquement à l'étranger. Avoir un bureau au Liechtenstein qui se charge de la correspondance avec les clients et banques, des factures, de la tenue des livres, du téléphone, et du télex demeure toujours possible
. »

In Hubert d'Havrincourt, Liechtenstein, Ed. L'Atlas des Voyages 1964.

2.- Les raisons du succès

L'actuelle prospérité du Liechtenstein découle de cette histoire, elle est le résultat d'un choix politique appuyé sur un ensemble de décisions cohérentes en matière de fiscalité, de droit des sociétés ou de diplomatie.

a) Le label suisse

La tradition de coopération avec la Suisse n'est pas étrangère au succès de cette stratégie. La politique monétaire du Liechtenstein est assumée par la Banque nationale suisse en vertu d'un accord de 1980. La banque centrale suisse a les mêmes compétences vis-à-vis des banques et sociétés domiciliées dans la Principauté que vis-à-vis de leurs homologues suisses, sous réserve de modalités particulières concernant le contrôle sur place. En contrepartie, les banques du Liechtenstein ont un accès direct à la place financière suisse. Le Liechtenstein bénéficie donc pleinement des garanties offertes par la Suisse aux investisseurs et aux hommes d'affaires.

De nombreux services sont par ailleurs assurés par l'administration helvétique sans qu'il y ait délégation formelle de compétences. Le Liechtenstein est enfin le seul pays au monde à pouvoir se prévaloir de la présence significative dans son économie de travailleurs immigrés suisses.

b) L'existence d'un consensus politique

La stabilité politique de la Principauté contribue aussi pour beaucoup à ce succès auprès des investisseurs et gestionnaires de fortune du monde entier. La longévité du régime de monarchie parlementaire, l'absence d'opposition locale et ses excellentes relations avec ses voisins suisse et autrichien contrastent avec l'instabilité de certains paradis fiscaux plus exotiques.

Y a-t-il une opposition parlementaire au Liechtenstein ?


Extraits de l'audition de M. Paul Vogt,
parlementaire d'opposition à la Diète de Vaduz, par la Mission.

« Monsieur le Président : (...) Ces sociétés écrans, qu'elles soient fondations, Anstalt ou trusts, permettent à des criminels, inculpés de façon criminelle, de se dissimuler ou de dissimuler leurs fonds au Liechtenstein. (...) Or, nous avons la conviction que sans évolution de ce statut, les difficultés subsisteront parce qu'il y aura des possibilités de dissimulation. J'aimerais que vous nous expliquiez cette volonté de maintenir ces sociétés (...)
M. Paul VOGT :
Je dois avouer que je ne suis pas juriste et que je ne connais pas le droit des sociétés. J'ai de vagues idées sur le sujet, mais ce n'est pas une chose que j'ai acquise en tant que député, mais plutôt par d'autres sources. (...)
M. le Président :
Pour être plus précis, vous disiez que tant que les formes de sociétés dont nous avons parlé existeraient, il y aurait des difficultés. Votre parti serait-il prêt à les supprimer ? Serait-il prêt à prendre des positions radicales concernant cette suppression de formes de sociétés écrans, au moins concernant les fondations ? (...)
M. Paul VOGT :
En ce qui concerne votre première question portant sur le droit des sociétés, je répète encore que je ne suis pas expert en la matière. J'ai seulement une idée assez vague de la question, de ce qui fait l'attraction du droit des sociétés au Liechtenstein. Mais il est sûr que ce n'est pas seulement le droit en matière de fondation mais un mélange : c'est un cadre qui est très favorable. Ce cadre implique un régime fiscal très particulier ; il implique le secret bancaire et le secret professionnel très prononcé des avocats ; il implique également une image de marque conservatrice du pays, favorable aux investissements.
 »

Une large partie de la population bénéficie directement ou indirectement des effets de la croissance des activités financières de la Principauté. Logiquement, cette société n'a pas sécrété de forces de contestation de l'ordre établi. La seule formation critique sur les insuffisances des efforts du Liechtenstein en matière de moralisation des flux financiers, « Liste libre », représentait 11 % des suffrages aux dernières élections législatives de 1997.

Alors qu'au sein du Parlement, le parti majoritaire et l'opposition restent indépendants, dans le Gouvernement ceux-ci forment une coalition.

Le chef du Gouvernement et deux de ses membres appartiennent au parti de la majorité ; le substitut du chef du Gouvernement et un autre membre du Gouvernement représentent le parti le plus important de la minorité.

Il n'existe que deux journaux, fortement dépendants du Gouvernement en raison des recettes générées par les annonces officielles. Le rédacteur en chef de l'un de ces deux journaux est le fils du plus grand agent fiduciaire de la place qui possède une fortune estimée à 2 milliards de francs suisses. L'interpénétration des milieux financiers et des pouvoirs publics est évidente, ce qui ne favorise guère les réglementations audacieuses ou novatrices.

La respectabilité de ses dirigeants conforte cette impression rassurante de même que leur implication personnelle dans le succès des activités financières du Liechtenstein.

La principale banque est ainsi la propriété de l'Etat alors que la deuxième appartient à une fondation princière de la famille régnante. Un tiers des députés (8 sur 25) sont avocats ou exercent une activité professionnelle dans le secteur financier.

B.- UNE PLACE PROSPÈRE

1.- Une fiscalité favorable

Les territoires qui souhaitent attirer les investisseurs et les placements des non-résidents se doivent d'adopter une fiscalité favorable. En ce sens, les centres extra-territoriaux sont d'abord des paradis fiscaux. Le Liechtenstein ne fait pas exception à la règle (1).

S'agissant des personnes physiques résidant au Liechtenstein ou y exerçant des activités lucratives, le taux maximal de l'impôt sur le revenu est égal à 18 % et celui sur la fortune inférieur à 0,1 %. A la différence de Monaco ou de la Suisse, le Liechtenstein n'a pas pour vocation d'attirer des résidents personnes physiques en délicatesse avec l'administration fiscale de leur pays d'origine, son segment de marché concerne davantage la domiciliation de sociétés holdings et les placements financiers ou dépôts bancaires.

Il n'existe évidemment pas de taxes sur les dépôts.

S'agissant des sociétés, un droit de timbre est perçu lors de la constitution d'une entreprise et des augmentations de capital auxquelles elle procède. Son taux est de 1 % pour les sociétés dont le capital est divisé en parts et de 0,5 % pour les autres entités avec un capital compris entre 5 et 10 millions de francs suisses ou 0,3 % pour un capital supérieur à 10 millions de francs suisses.

Les sociétés holdings et les sociétés de domicile qui constituent la quasi-totalité des entités accueillies au Liechtenstein sont donc exonérées d'impôt sur les bénéfices. Seuls les sociétés exerçant une industrie en la forme commerciale sont assujetties à l'impôt sur les bénéfices à un taux compris entre 7,5 % et 15 %.

En revanche, toutes les sociétés acquittent l'impôt sur le capital mais les holdings et les sociétés de domicile se voient appliquer un taux réduit à 0,1 % contre 0,2 % pour les autres.

Le Liechtenstein n'a signé de convention de double imposition qu'avec l'Autriche mais celle-ci exclut les sociétés holding et de domicile.

Il garde néanmoins une grande force d'attraction et compte pour beaucoup dans les arbitrages des investisseurs.

2.- La vitalité de la place

La place financière du Liechtenstein est en pleine expansion.

Le nombre de banques progresse rapidement. Fin 1991, il n'y avait que trois établissements bancaires pour cinq à la fin de l'année 1997 et treize en 1999, auxquels s'ajoutent quatre sociétés financières et vingt-sept fonds de placement.

Le total des bilans bancaires est passé de 10 milliards de francs suisses en 1986 à 30 milliards en 1998. Le bénéfice net par salarié a plus que triplé en dix ans et atteint 255 000 francs suisses en 1998, soit un peu plus d'un million de francs français.

L'activité principale est la gestion de fortune et non pas la banque universelle procédant à tout type d'opération bancaire. En trois ans, la fortune gérée a crû de 60 %, passant de 56 milliards de francs suisses en 1995 à 89,5 milliards en 1998 (365 milliards de francs français) soit l'équivalent du produit total de l'impôt sur le revenu acquitté par tous les Français en une année.

La gestion de fortune pour le compte de non-résidents représente déjà plus de la moitié de la valeur ajoutée de l'économie du Liechtenstein.

La principale banque est la Liechtensteinische Landesbank (LLB) dont l'Etat détient 68 % du capital, le reste étant coté à la bourse de Zurich. A la mi-1999, la fortune sous sa gestion s'élevait à environ 30 milliards de francs suisses.

La deuxième est la banque de gestion privée Liechtenstein Global Trust (LGT).

Ces deux établissements, membres de l'Association des banques suisses comme toutes les banques du Liechtenstein, comptent parmi les vingt plus grosses banques de Suisse. Il existe aussi de plus petits établissements comme la Neue Bank AG et la Centrum Bank AG, essentiellement spécialisées en conseil de clientèle privée. Il n'existe aucune filiale de banques étrangères mais huit succursales autonomes dotées d'un actionnariat étranger qui se sont installées après l'adhésion du Liechtenstein à l'Espace économique européen en 1995.

La loi sur les sociétés d'investissement promulguée le 3 mai 1996 a déclenché l'essor de la gestion de fonds de placement qui sont actuellement au nombre de 27, pour une collecte de 1,7 milliard de francs suisses.

Le secteur des assurances est lui aussi en pleine croissance. Il existe onze compagnies dont cinq spécialisées dans l'assurance-vie. La volonté d'établir le Liechtenstein comme centre européen de compagnies dites « captives » (appartenant à des sociétés qui souhaitent abaisser leurs coûts d'assurance en partageant le risque avec l'assureur) n'a pas encore rencontré l'écho espéré par les autorités.

Les compagnies d'assurance du Liechtenstein ont encaissé 211 millions de francs suisses de primes en 1998, non comprises les primes encaissées par les succursales des assureurs suisses. Les actifs sous gestion sont estimés à 300 millions de francs suisses en 1997. Grâce à sa double intégration dans le système financier helvétique et dans l'Espace économique européen, le Liechtenstein permet aux compagnies d'assurance résidentes d'opérer à la fois en Suisse et vers les pays de l'Union européenne, soit un marché de plus de 380 millions d'habitants.

La fonction traditionnelle d'accueil de sièges de sociétés se porte aussi très bien puisqu'il existe actuellement 80 000 sociétés holding pour un peu moins de 70 000 il y a dix ans même si, dans ce domaine, le Liechtenstein doit affronter des concurrents (Iles Vierges, Iles Caïman) encore plus dynamiques que lui.

II.- LE SECRET COMME INSTRUMENT DE DÉVELOPPEMENT

La législation fiscale favorable dont s'est doté le Liechtenstein ne peut expliquer à elle seule le développement de ce pays. Si le Liechtenstein se révèle aussi attractif pour les capitaux, c'est qu'il garantit, dans un contexte de stabilité politique et de respectabilité financière, l'anonymat et le secret des affaires, fondements de ce micro-Etat.

La réussite du Liechtenstein est largement fondée sur une tradition de discrétion absolue que l'affichage d'une transparence de façade ne remet pas en cause.

A.- UNE DISCRÉTION HERMÉTIQUE

1.- Un secret bancaire absolu

Le secret bancaire est réputé plus sévère encore au Liechtenstein qu'en Suisse même si la rédaction de la réglementation applicable dans ce domaine est fortement inspirée de celle du grand voisin.

Le Liechtenstein ne pratique pas sur ce sujet délicat l'hypocrisie puisque le souverain régnant, Hans-Adam II, a récemment confirmé qu'il préférerait quitter l'Espace économique européen plutôt que renoncer au secret bancaire.

« Il n'est pas question de supprimer le secret bancaire. »
Son Altesse Sérénissime le Prince Hans Adam II von and zu Liechtenstein.

« Le magazine Spiegel, relayant des accusations du BND (les services secrets allemands) accuse le Liechtenstein de recycler l'argent des mafias italienne, colombienne et russe. Cette affaire est suffisamment grave pour provoquer une crise politique dans la principauté. Le prince reproche à Mario Frick, le chef du gouvernement, de lui avoir dissimulé des informations sur ce sujet, et notamment un rapport anonyme datant de 1997.
Le Liechtenstein est-il devenu un paradis pour tous les voyous de la terre ?

Certainement pas. Nous avons des lois très strictes contre le blanchiment d'argent. Mais les meilleures réglementations n'empêcheront jamais des actes criminels. Si les services secrets allemands ont effectivement la preuve que des personnes domiciliées au Liechtenstein ont pu aider le crime organisé, je souhaite qu'ils nous communiquent leurs informations. (...)
En lançant de telles accusations contre vous, l'Allemagne ne veut-elle pas nous pousser à abandonner le secret bancaire ?

Il n'est pas question pour nous de supprimer le secret bancaire. Nous considérons qu'il appartient à la sphère privée.
Le Liechtenstein est membre de l'Espace économique européen (EEE). Bruxelles peut faire pression sur vous.

Je ne pense pas. De toute façon, nous préférerions quitter l'EEE que d'abandonner le secret bancaire. (...)
Le magazine Bilan vous présente comme l'un des hommes les plus riches du monde, disposant d'une fortune de sept milliards de francs. Comment réagissez-vous à cette information ?

Ce n'est pas ma fortune, mais celle de la famille princière. Elle est placée dans des fondations. J'ignore le montant exact de cette fortune, et je pense qu'il en est de même pour les autres souverains, comme la reine d'Angleterre. Comment voulez-vous donner un prix pour une collection d'art contenant 20 000 pièces ? Il faudrait trois ans pour l'estimer. Et, d'ici là, les prix ne seront déjà plus les mêmes. Quant à ces propriétés, ces palais à Vienne, à moins de les vendre, il est impossible d'en connaître la valeur exacte. (...) »
Extraits du Journal L'Illustré du 5 janvier 2000.

2.- Des structures juridiques qui garantissent l'anonymat

Au début des années 20, l'avocat berlinois Heinrich Kuntze soucieux de protéger sa fortune imagina de placer ses fonds au Liechtenstein qui devait se doter, comme on l'a vu, d'une législation adaptée, toujours en vigueur, et visant à garantir l'anonymat et la confidentialité absolus.

Le Liechtenstein offre une grande diversité de statuts juridiques aux sociétés offshore qu'il abrite, qu'elles soient holding ou de domicile, c'est-à-dire ayant leur siège au Liechtenstein mais n'y exerçant aucune activité économique ou commerciale.

Il existe ainsi des fondations, des entreprises fiduciaires et une catégorie spécifique d'entité juridique, dite « Anstalt » ou établissement.

Il s'agit d'une entité dotée de la personnalité morale et qui n'est à proprement parler ni une société ni un contrat de droit privé de type trust. La direction d'un établissement appartient à son ou ses fondateurs qui nomment des administrateurs auprès desquels ils peuvent désigner un Kurator, sorte de conseil qui partage le pouvoir de décision.

Ce montage juridique permet donc aux véritables décideurs (les propriétaires-fondateurs) de rester dans l'ombre alors que seuls apparaissent publiquement leurs mandataires (les administrateurs) ou le Kurator. Il faut aussi souligner que l'établissement n'est pas soumis à l'obligation de publier des comptes, pas plus qu'à celle de tenir une assemblée annuelle.

Les Anstalt : Le sens des affaires n'exclut pas la poésie.
« L'établissement est une structure juridique dotée de la personnalité morale et qui se trouve située entre la société au sens classique de ce terme et le contrat de droit privé ou le trust anglo-saxon. Il existe aussi, dans la principauté, une formule de trust que nous n'examinerons pas ici.
Un établissement est fondé par une personne physique ou morale dans un dessein généralement économique, et il est doté d'un capital supposé être propre à la réalisation de ce dessein, qui, au demeurant, peut être fort général. La première démarche pour la création d'un établissement est le choix de nom, et la vérification au registre de la principauté que ce nom n'a pas encore été utilisé.
Pour éviter trop de perte de temps, comme il y a beaucoup d'établissements dans la principauté, les cabinets d'avocats de Vaduz se sont, par un gentleman's agreement, partagé entre eux les noms des choses, qui pourraient être adoptés, si le véritable bénéficiaire de l'établissement ne tenait pas spécialement à un nom particulier.
Ainsi, certains cabinets disposent de toute une collection de noms d'oiseau, et d'autres de fleurs... Le sens des affaires n'exclut pas forcément la poésie...
En général, le véritable bénéficiaire, pour ne pas apparaître officiellement, fait former l'établissement par le fondateur local qui est, le plus souvent, un avocat avec lequel il se lie par différents documents destinés à le protéger des indélicatesses éventuelles du même fondateur. Matériellement, l'établissement se crée par la rédaction de statuts, comme pour une société, avec inscription au registre du commerce de la principauté et publication des principales dispositions de ses statuts.
La preuve de l'identité de la personne et des droits du fondateur et de son successeur est faite par un acte notarié. (...)
En cas de non-respect des formalités, dans le délai prescrit, l'établissement reçoit une sommation du registre public qui, si elle reste sans effet durant un délai de 12 mois, procédera à la dissolution et la liquidation de l'établissement. (...)
 »
Guide des paradis fiscaux face à la Communauté européenne, Edouard Chambost,
Ed. Sand 1993.

Enfin, le Liechtenstein est le seul Etat d'Europe continentale à reconnaître avec le mécanisme de la Treuhandschaft le trust anglo-saxon.

L'identité des ayants droit économiques de ces différentes structures, c'est-à-dire de leurs véritables bénéficiaires et commanditaires, peut n'être connue que de la fiduciaire ou de l'avocat liechtensteinois qui les représente et qui n'est pas tenu de la communiquer à l'établissement financier qui tient leur compte. Cette identité est déclarée au registre des sociétés et donc accessible aux autorités, mais le public ne peut en prendre connaissance.

A proprement parler, il ne s'agit d'ailleurs plus de secret bancaire au sens où la banque elle-même ignore ces informations mais plutôt de secret des affaires voire même de secret fiduciaire qui permet aux prestataires de services financiers de la Principauté d'assurer pleinement leur rôle d'écrans opaques, ce qui interdit à d'éventuels enquêteurs de remonter les filières.

Ces mécanismes ont constamment été utilisés depuis l'après guerre.

Reportage à Vaduz.

« Dans ce petit univers secret où la première qualité d'un « client » est de se faire oublier, les seuls échos de leurs activités parviennent épisodement de l'extérieur. La C.I.A. veut-elle financer l'aviation des mercenaires du Katanga ? Elle crée une société au Liechtenstein. La fille de Staline, Svetlana, se soucie-t-elle de mettre à l'abri les millions de dollars payés pour ses Mémoires ? C'est par le biais d'une société créée à Vaduz. En octobre 1974, un banquier genevois, M. Tibor Rosenbaum, parvient-il à détourner 150 millions de francs provenant de la diaspora juive et destinés à Israël ? C'est encore grâce à Vaduz. »
J.C. Guillebaud, Le Monde du 23 février 1975.

Ils alimentent une critique récurrente à l'encontre du Liechtenstein.

Affaire Elf :
Les commissions rogatoires convergent vers le Liechtenstein.

« Dans l'ombre de l'ambitieux projet industriel que constituait la reprise de la raffinerie de Leuna, se dissimule un vaste labyrinthe financier, où se perd la trace des commissions d'Elf. L'enquête des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky a mis en évidence la sortie clandestine d'au moins 300 millions de francs (46 millions d'euros), via la Suisse, en marge du rachat de l'usine allemande : versées par Elf et par le groupe allemand Thyssen, en 1992 et 1993, ces sommes étaient destinées à des intermédiaires non identifiés, dont certains s'abritent derrière une fondation constituée au Liechtenstein. Or cette même fondation est apparue au détour de l'enquête sur les opérations financières attribuées à Christine Deviers-Joncour, ancienne compagne de Roland Dumas, et à Alfred Sirven, considéré comme le personnage-clé de l'affaire Elf, aujourd'hui sous le coup d'un mandat d'arrêt international.

Dénommée Treuhandgesellschaft Strub AG, la fondation en question est dirigée par l'homme d'affaires Werner Strub et semble avoir administré l'une des sociétés-écrans destinataires des commissions Elf, elle-même baptisée Stand by Establishment. (...)

Nul ne sait encore où sont finalement partis les fonds, mais les enquêteurs ont relevé un détail édifiant : la société Stand By était, au moment du versement, domiciliée au siège de la fondation Strub, à Vaduz (Liechtenstein) de même qu'une autre société, Delta International, dont le propriétaire est un homme d'affaires allemand, Dieter Holzer, connu pour avoir joué un rôle déterminant dans les montages financiers liés au projet Leuna (Le Monde du 28 mai 1997). »

Hervé Gattegno, Le Monde du 21 janvier 1999.

B.- UNE NORMALISATION DE FAÇADE

1.- Des engagements internationaux non aboutis

Depuis une dizaine d'années, le Liechtenstein a rompu avec une politique séculaire d'isolement, pour, à la différence de son voisin suisse, s'intégrer davantage à la communauté internationale.

La Principauté est ainsi devenue en 1990 le 160e pays membre de l'ONU. Elle a ensuite adhéré en 1991 à l'Association européenne de libre échange, à l'Organisation mondiale du commerce et à l'Espace économique européen (EEE) en 1995, après un référendum très serré en 1992. Le Liechtenstein bénéficie ainsi à la fois de la libre circulation des biens, des services et des capitaux qui prévaut dans l'EEE et de son accord d'union douanière avec la Suisse.

Cette ouverture s'est accompagnée de la signature d'importantes conventions internationales dont certaines entendent apporter une contribution à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Le Liechtenstein est depuis 1970 partie à la Convention européenne sur l'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. La conjugaison de ce texte et de la reconnaissance dans le code pénal du délit de blanchiment conduit théoriquement les tribunaux du Liechtenstein à accorder leur aide judiciaire au titre de la réciprocité et de la double incrimination. La Convention d'entraide en matière pénale interdit théoriquement d'invoquer le secret bancaire pour justifier un refus de coopération internationale.

En revanche, le Liechtenstein n'a pas adhéré à la Convention de Vienne de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et des substances psychotropes au motif que, en raison de son union douanière avec la Suisse, cette adhésion ne pouvait se faire que simultanément, ce que la Suisse n'a pas souhaité. Si le Liechtenstein a signé le 29 juin 1995 la Convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre 1990, dite Convention de Strasbourg, sur le dépistage du blanchiment, la saisie et la confiscation des produits du crime, il n'a pas encore ratifié ce texte, le Gouvernement ayant soumis le projet de loi de ratification au Parlement du Liechtenstein le 11 janvier dernier.

Enfin, en sa qualité de membre de l'Espace économique européen, le Liechtenstein a transposé dans sa législation les dispositions de la directive communautaire 91/308 du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier à des fins de blanchiment de capitaux.

Toutefois, et ceci permet de souligner les limites de cette ouverture diplomatique et d'en mesurer la véritable portée, le Liechtenstein n'a jamais envisagé d'adhérer au Groupe d'action financière (GAFI) contre le blanchiment, ni même engagé la moindre négociation avec cette institution qui fait référence parmi les pays industrialisés.

2.- Un dispositif anti-blanchiment inefficace

a) Incrimination du blanchiment

La loi du 18 décembre 1998 portant modification du code pénal a défini à l'article 165 du code pénal une incrimination large du blanchiment, inspiré du code pénal autrichien et proche de celle qui prévaut en France depuis 1996.

L'infraction sous-jacente qui est à l'origine des fonds destinés au blanchiment est élargie à l'ensemble des crimes et ne se réduit plus au seul trafic de stupéfiants. L'infraction consiste soit à dissimuler des éléments patrimoniaux provenant du crime d'un tiers, soit à empêcher l'identification de leur origine par exemple en faisant de fausses déclarations soit encore, à administrer sciemment des actifs appartenant à une organisation criminelle. Cette dernière infraction qui se réfère explicitement à la criminalité organisée, est punie plus sévèrement que les deux précédentes (jusqu'à cinq ans d'emprisonnement contre deux ans).

b) Les obligations des intermédiaires financiers

La loi sur les obligations de diligence des intermédiaires financiers est entrée en vigueur le 1er janvier 1997 au Liechtenstein. Elle se substitue à une convention qui avait été conclue entre le Gouvernement et les seuls établissements bancaires.

Le champ des professions concernées englobe désormais la totalité des intermédiaires financiers puisque la loi s'applique aux sociétés financières, avocats, agents et gérants de sociétés fiduciaires, sociétés d'investissement, compagnies d'assurance, services postaux.

Le contenu de ces obligations paraît conforme aux standards européens. Les professionnels de la finance doivent ainsi vérifier l'identité du cocontractant et de l'ayant droit économique et conserver pendant dix ans les documents relatifs aux transactions effectuées ou aux clarifications entreprises. En cas de doute, ils doivent communiquer leur soupçon étayé sur des premières investigations relatives à l'origine des fonds, à un organisme spécialisé, l'Office des services financiers, ou directement au ministère public s'ils le souhaitent.

Les évaluateurs du Comté européen pour les problèmes criminels du Conseil de l'Europe ont souligné les conséquences néfastes du transfert de compétence obligeant les professions soumises à déclaration à assumer les premières investigations.

« Les institutions ou personnes soumises à la loi sur la diligence accrue doivent établir elles-mêmes si une transaction suspecte l'est suffisamment pour être signalée. Pour cela, elles doivent effectuer des tâches qui relèvent normalement de la responsabilité des organes de répression. Une méthode souvent utilisée pour fonder ou lever la suspicion consiste à clarifier le contexte économique des transactions, ce qui, dans la pratique liechtensteinoise, implique souvent des consultations avec le client. Les évaluateurs ne voient pas bien comment la possibilité d'alerter le client peut être évitée dans de telles conditions. Les institutions et personnes soumises à la loi sur la diligence accrue sont confrontées ici à un conflit ouvert entre la loyauté vis-à-vis des clients et l'obligation de faire part de leurs soupçons, et les administrateurs de fonds ont exprimé à cet égard leur inquiétude que l'obligation de dévoiler l'identité d'un client puisse entraîner une responsabilité pour divulgation d'un secret. »

Par ailleurs, les intermédiaires financiers doivent mettre en place des mesures de contrôle interne et de formation de leurs personnels, mais ce sont des services de révision (experts comptables, commissaires aux comptes) privés qui vérifient le respect de cette obligation, ce que les évaluateurs du Conseil de l'Europe ont condamné en ces termes : « Les évaluateurs constatent avec préoccupations que, en pratique, l'Office des services financiers [le TRACFIN local] - qui ne compte que cinq agents - n'est ni obligé ni en mesure d'effectuer de tels contrôles, et qu'il se limite à surveiller le respect formel de la loi sur la diligence accrue. Les contrôles sont le fait de sociétés d'audit privées, engagées par le Gouvernement mais payées par les entités faisant l'objet du contrôle, qui sont censées vérifier le respect de toutes les obligations découlant de la loi, y compris le devoir de signaler les suspicions fortes. »

Le manquement à ces obligations est passible de sanctions pénales (six mois de prison).

Ces textes ont donné lieu à très peu d'application.

Pour autant, ce dispositif législatif a fait l'objet d'une analyse critique de la part des services secret allemands.

En avril 1999, M. August Hanning, le Président du service fédéral allemand de renseignement - le Bundesnachrichtendienst (BND) - remettait aux principaux membres du Gouvernement de la République fédérale allemande un rapport analysant la situation au Liechtenstein considéré comme « l'une des places les plus importantes pour le blanchiment des fonds en Europe. »

Ce document d'une trentaine de pages dénonce l'intervention d'une ploutocratie - avocats, banquiers, agents d'affaires etc. - qui, sous couvert d'activités légales exercées dans un environnement législatif favorable (secret bancaire, existence de fondations et de sociétés anonymes, absence de mécanismes de contrôle etc.), acceptent ou favorisent les activités de blanchiment menées par les grands patrons des cartels de la drogue.

Selon les enquêtes approfondies de la presse allemande, le BND a mis en évidence cette collusion entre notables et criminels, en procédant depuis 1996 à des écoutes, réalisées à partir de son centre installé en Forêt noire, qui ont permis d'intercepter via le satellite Intelsat les transferts de données nocturnes des établissements financiers.

Ce rapport s'attache à démontrer qu'en dépit d'une législation adoptée en 1997 pour lutter contre le blanchiment, celle-ci ne s'est pas traduite dans les faits et qu'il n'existe au Liechtenstein aucune volonté politique réelle de s'attaquer au blanchiment.

La position gravement critique des services secrets allemands.

(Rapport du BND en date du 08.04.1999.)

« Il existe, il est vrai, depuis le 01.01.1997, une loi sur l'obligation de diligence qui exige, en principe, des établissements de crédit une identification de l'origine des fonds et des investisseurs ; cependant font entièrement défaut toute disposition concernant une obligation de déclaration ou de dénonciation dans les cas suspects ainsi que toute disposition spécifique sur des vérifications d'identité lors de transactions en argent liquide. Jusqu'à présent, les montants inférieurs à 15 000 CHF ne relèvent pas de cette loi sur l'obligation de diligence ; toutefois le Liechtenstein doit, sur instruction des autorités de contrôle de la zone de libre-échange (AELE) procéder à une adaptation de sa législation puisque les dispositions existantes sont en contradiction avec les directives de l'Union européenne. (...)

Lors du placement de fonds dans des fondations anonymes du Liechtenstein, la loi exige un justificatif d'origine. Mais, en règle générale, les banques et les administrateurs de fiduciaires du Liechtenstein se contentent d'une copie d'un justificatif de versement. On ne cherche aucunement à savoir ici si ce justificatif correspond effectivement à la somme en liquide concernée ou s'il s'agit d'une copie, probablement utilisée à plusieurs reprises. De surcroît, il existe aussi la possibilité de faire ouvrir et tenir, anonymement, un compte par un intermédiaire astreint au secret professionnel et de garder ainsi secret, vis-à-vis de la banque, l'identité de l'ayant droit économique. (...) »

c) Le « TRACFIN » local

Le Liechtenstein a mis en place un service de renseignement financier en 1995, l'Office des services financiers (AFDL). Il s'agit d'une autorité administrative civile, équivalente de la commission bancaire française.

Ce service est le destinataire des déclarations de soupçons. Il édicte, normalement dans les cinq jours, et au plus tard dans les huit jours ouvrables, les mesures à prendre, telles qu'un blocage de compte pour au plus quatre semaines ou une transmission au parquet. Les personnes ayant fait la déclaration peuvent et doivent bloquer les valeurs en cause jusqu'à la réception des instructions de l'autorité de contrôle ou l'expiration du délai de huit jours ouvrables susmentionné. Elles doivent pendant ce délai garder le secret sur la déclaration de soupçon et sur les recherches éventuellement effectuées, vis-à-vis du cocontractant comme des tiers.

Bien que ce ne soit pas expressément précisé par la loi, les autorités considèrent, sous réserve de l'appréciation des tribunaux, que l'intermédiaire financier qui procède à une telle communication et au blocage de fonds ne peut être poursuivi pour violation du secret professionnel, ni être rendu responsable de violation de contrat, s'il a fait preuve de la diligence requise par les circonstances, car il s'acquitte d'une obligation légale.

Compte tenu des caractéristiques du Liechtenstein, l'indépendance d'action de ce service est restreinte. Le Gouvernement assume ainsi in fine la surveillance des intermédiaires financiers et de leur respect des lois puisque, autorité disciplinaire, il accorde et retire directement les autorisations des établissements financiers. L'AFDL est d'ailleurs directement rattaché au chef du Gouvernement.

Par ailleurs, l'Office des services financiers n'entreprend aucun contrôle direct sur les banques, les sociétés financières et les sociétés d'investissement qui sont sous la surveillance des organes de révision. Les intermédiaires financiers peuvent aussi directement saisir le ministère public de leurs soupçons, en court-circuitant l'AFDL.

Dans un univers aussi étroit que celui du Liechtenstein, les relations personnelles des uns et des autres comptent davantage que les organigrammes théoriques issus des textes législatifs.

En somme, sur le papier, le dispositif normatif du Liechtenstein en matière de blanchiment, tel qu'il résulte de textes très récents, n'appelle pas de critique particulière. En revanche, son application concrète et sa capacité à assurer l'identification des véritables ayants droit économiques des fonds déposés suscitent de graves interrogations.

3.- La persistance d'éléments négatifs

Une analyse théorique de la législation anti-blanchiment du Liechtenstein peut faire illusion. Les responsables politiques de la Principauté ne cessent de répéter qu'ils ne sauraient tolérer sur leur sol la présence de criminels venant réaliser des opérations douteuses au motif que la notoriété et la respectabilité de la place en seraient définitivement affectées.

En réalité, la délinquance financière abritée par le Liechtenstein emprunte des voies très sophistiquées et malgré les engagements pris officiellement par les autorités de ce pays, notamment en matière de coopération judiciaire, la Mission estime qu'il n'y aura pas de changement véritable tant que des moyens substantiels, permettant d'obtenir des résultats significatifs n'auront pas été affectés à la lutte contre le blanchiment et tant que les procédures d'identification des ayants droit économiques réels n'auront pas été améliorées ce qui suppose une modification en profondeur du droit des sociétés.

a) Une absence de résultats

Entre le 1er janvier 1997 et le 14 décembre 1999, 55 déclarations de soupçons ont été établies dont 45 ont été transmises au Parquet. Parmi ces dernières, 25 ont été classées sans suite et aucune condamnation n'avait été encore prononcée au moment où la Mission s'est rendue au Liechtenstein.

Ces résultats sont dérisoires eu égard à la vitalité et à l'importance de cette place financière.

Alors que les banquiers ou les intermédiaires financiers ont été alertés et dûment sensibilisés sur les risques de blanchiment et que pèsent sur eux des obligations légales de diligence, alors que le total des bilans bancaires a été multiplié par trois de 1986 à 1998, alors que 13 banques, 4 sociétés financières et 11 fonds de placement sont désormais concernés, il n'est matériellement pas possible que le nombre de déclarations de soupçons reste en moyenne inférieur à deux par mois.

En réalité, sur les 50 déclarations précitées, 47 ont été faites au cours des deux premières années, ce qui signifie que 3 déclarations seulement ont eu lieu en 1999.

A l'évidence, des opérations qui auraient dû être signalées se sont déroulées sans la moindre difficulté, il y a là un silence coupable.

La confusion des genres entre opérations légales et illégales, soulignée par le rapport du BND, montre à quel point le recours à des services financiers spécifiques ou l'utilisation de structures juridiques « sur mesure » permettent d'échapper aux obligations légales de diligence ou de déclaration.

Le dispositif anti-blanchiment mis en place en 1997 se révèle totalement hors de proportion face aux mécanismes que font fonctionner banquiers et avocats dans le cadre de leurs activités.

« Un lien très lucratif avec l'illégalité.

(Rapport du BND en date du 08.04.1999.)

Les avocats et les conseillers au Liechtenstein traitent, pour une grande partie des opérations parfaitement légales, mais entretiennent aussi souvent un lien très lucratif avec l'illégalité. Des contacts, des relations, des possibilités d'influence - même dans l'exercice de leur profession - ainsi que leur réputation elle-même, sont mis à la disposition d'organisations criminelles, contre rémunération correspondante. Du fait de cette association d'activités légales et illégales, il est très difficile d'établir si les liens sont utilisés à des fins criminelles et à quel moment. (...)

Des « services financiers » spécifiques sont conçus pour les organisations criminelles. L'éventail de ces services comporte l'ouverture de compte anonyme, l'assistance pour l'introduction de valeurs patrimoniales illégales dans le circuit financier, la création de sociétés-écran ou fictives, l'opération de blanchiment sur mesure, par exemple en procurant des possibilités d'influence sur la direction des banques.

L'utilisation de fondations du Liechtenstein pour l'acquisition de biens immobiliers dans des pays tiers constitue une variante très efficace du blanchiment de l'argent sale, difficile à reconstituer par les autorités chargées des poursuites pénales. Les fonds acquis illégalement sont ainsi transférés à un avocat du Liechtenstein afin qu'il en assure la gestion fiduciaire. Celui-ci apporte les fonds dans une fondation anonyme qu'il gère lui-même. Il charge ensuite, au nom de la fondation, un avocat de Suisse d'acquérir un immeuble dans un pays tiers, par exemple en Espagne. Au registre foncier espagnol, seule apparaît comme nouveau propriétaire la fondation du Liechtenstein, sans autre indication sur les ayants droit économiques. »

A une aussi petite échelle, les contacts et les échanges informels sont fréquents, comme l'a confirmé M. Näscher, l'un des responsables du service juridique du Gouvernement, en soulignant qu'à l'Office des services financiers : « Les contacts formels se doublent de nombreux contacts informels. (...) De plus, des rencontres régulières se tiennent entre les différentes associations économiques, les diverses autorités et le procureur général au niveau gouvernemental.(...)

En outre, les contacts bilatéraux avec la Suisse, en particulier entre les services suisses de déclaration de soupçon de blanchiment et l'Office des services financiers sont soigneusement entretenus. »

A l'évidence, le soupçon de blanchiment n'alimente pas les conversations.

Ces résultats troublants n'ont apparemment pas non plus inquiété le chef du Gouvernement, M. Mario Frick, dont dépend l'Office des services financiers, destinataire des déclarations de soupçons.

La modestie des moyens de l'Office, quatre personnes plus un stagiaire, est justifiée par les autorités locales par la petitesse du pays dont l'administration ne compterait au total que 500 personnes. Cet effectif, s'il est suffisant pour traiter trois déclarations par an, est en revanche très inadapté à un fonctionnement normal de la place qui connaît une situation florissante.

Outre qu'elles sont fort rares, les déclarations de soupçons n'ont donné lieu à aucun jugement. A l'heure actuelle, pour un blanchisseur admis au Liechtenstein, le risque d'être dénoncé est infime et celui d'être puni, nul.

Il est vrai que la législation ne sanctionne pas la négligence grossière. Il n'existe pas au Liechtenstein, même si des projets en ce sens sont évoqués, d'infraction de blanchiment par négligence comme c'est par exemple le cas en Suisse mais aussi en Andorre.

D'autre part, comme il a été dit, 25 déclarations ont été classées sans suite parce que l'élément intentionnel faisait défaut. Lorsqu'on sait l'extrême difficulté qu'il y a à prouver ce caractère intentionnel, on peut considérer comme lettre morte l'application de la disposition de l'article 165 du code pénal du Liechtenstein qui prévoit que celui qui, sciemment, conserve, place ou administre des éléments patrimoniaux appartenant à une organisation criminelle, est puni d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans si les sommes en cause dépassent 150 000 francs suisses.

En matière de confiscation, le bilan est tout aussi mince, comme l'a relevé le rapport d'évaluation du Comité européen pour les problèmes criminels du Conseil de l'Europe : « Aucune confiscation n'a été ordonnée à ce jour sur la base de l'Article 165 du Code Pénal. Etant donné la difficulté susmentionnée de prouver l'origine des biens, qui, dans la plupart de cas, sont soupçonnés de provenir d'infractions principales perpétrées en dehors du territoire, les évaluateurs estiment que le régime actuel de confiscation devrait être revu. La ratification prévue de la Convention de Strasbourg constituent une occasion unique d'apprécier dans quelle mesure le régime actuel de confiscation est satisfaisant et de lui apporter les ajustements nécessaires. Les évaluateurs recommandent en particulier dans ce contexte que le seuil de confiscation, actuellement fixé à 150 000 francs suisses (Article 20.a du Code Pénal) soit supprimé, et que la loi prévoie clairement l'application de la saisie et de la confiscation à tous les types de produits du crime, y compris aux biens immobiliers, aux instruments, aux biens de substitution et aux profits générés par les produits. »

A ce manque de volonté politique de faire fonctionner le dispositif législatif anti-blanchiment s'ajoutent les facilités qu'accorde la législation sur les sociétés que le Liechtenstein n'a pas l'intention de remettre fondamentalement en cause.

b) Un système d'identification des ayants droit déficient

Cette question de l'identification des ayants droit constitue le point névralgique du système.

L'existence au Liechtenstein de fondations ou d'Anstalt spécifiquement conçus pour protéger l'identité de leurs propriétaires s'oppose par nature aux principes de transparence et de traçabilité qui fondent la lutte anti-blanchiment.

Dans ces structures juridiques, les ayants droit économiques réels se font représenter par un avocat ou une personne exerçant des activités judiciaires, leurs noms n'apparaissant pas dans les registres publics.

Certes, les intermédiaires financiers ont obligation d'identifier l'ayant droit économique qu'ils représentent mais cette obligation n'existe pas notamment lorsque la représentation est effectuée par une personne elle-même soumise à la loi telle que les avocats ou fiduciaires effectuant des opérations pour le compte d'une fondation ou d'un Anstalt.

Le système mis en place reste donc parfaitement opaque et l'argument en vertu duquel, il est toujours possible d'obtenir la révélation de l'identité des ayants droit dans le cadre d'une procédure judiciaire, ne suffit pas à justifier un tel mécanisme, parfaitement adapté aux besoins des criminels financiers.

Le Ministre de la justice a bien du en convenir devant la Mission, sans pour autant remettre en cause le bien fondé de ces institutions, « Bien sûr, (...) nous ne pouvons pas exclure que des hommes de paille soient utilisés. Nous ne pouvons pas sous-estimer non plus le fait que l'on utilise parfois des actionnaires pour faire des affaires peu claires. Mais cela, ce n'est pas spécifique au Liechtenstein. »

Quant à M. Paul Vogt, parlementaire d'opposition, il a déclaré à la Mission de façon encore plus explicite « D'autre part, il faut dire que dans notre pays la société a beaucoup de mal à bien mesurer la situation. Ce n'est pas seulement un manque de volonté, mais les affaires sont très complexes, se font très discrètement et souvent les agents fiduciaires eux-mêmes ne savent pas ce qui se passe et ce qui est derrière les affaires qu'ils traitent. D'un côté, ils ne veulent pas le savoir, et de l'autre, ils ne peuvent pas le savoir. Souvent, ils reçoivent des informations d'une banque suisse qui appelle et dit qu'elle a un client pour lequel il conviendrait éventuellement de créer une fondation. Ce sont des imbrications, des mélanges, des relations entre différentes sociétés qui ont pour but de camoufler les choses telles qu'elles sont et de s'organiser au plan international. »

D'autre part, s'il n'existe pas au Liechtenstein de comptes totalement anonymes, il reste toujours possible d'ouvrir un compte en banque par l'intermédiaire d'un avocat, d'un gérant de fiduciaire etc.

Interrogé sur ce point par le Président de la Mission, le Ministre de la justice, M. Heinz Frommelt, a indiqué « ce qui est existe au Liechtenstein, c'est la possibilité pour des personnes (...) liées par le secret professionnel (...) d'ouvrir des comptes au nom de sociétés sans indiquer le nom de l'ayant droit. Mais, il est tout à fait possible, dans des cas d'entraide judiciaire ou dans le cadre de procédures pénales, de retracer et de connaître l'ayant droit. Nous arrivons donc au même résultat. Nous ne pensons pas, et je ne pense pas personnellement, qu'il soit nécessaire de modifier cette disposition légale. »

Lorsqu'on sait les difficultés rencontrées dans le cadre de la coopération judiciaire, une telle réponse est révélatrice. Elle confirme la réalité à laquelle les magistrats européens restent confrontés : les affaires qui aboutissent au Liechtenstein sont enlisées.

Des projets de modifications législatives existent bien au Liechtenstein et celles-ci sont nécessaires mais que l'on ne s'y trompe pas les changements radicaux qui feraient de la Principauté une place aux normes du GAFI ne sont pas à l'ordre du jour.

III.- UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE VOLONTAIREMENT ENTRAVÉE

Il ne suffit pas de préserver l'anonymat et d'assurer le secret dans les relations d'affaires encore faut-il aussi que cette très grande discrétion soit garantie vis-à-vis de l'extérieur. Toute intrusion, toute révélation venant du dehors représente un risque de remise en cause de cette stabilité des affaires si recherchée par ceux qui ont choisi le Liechtenstein.

En termes d'image comme cela a été souligné précédemment, la Principauté ne peut pas se couper totalement de la Communauté internationale et a notamment adhéré à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959.

Cependant la façon dont le Liechtenstein interprète l'application de cette Convention, ne permet pas aux pays qui demandent l'entraide judiciaire d'obtenir une coopération efficace de sa part.

Enclavé territorialement, le Liechtenstein s'est barricadé judiciairement depuis 30 ans. Exaspérés d'être entravés dans leurs multiples demandes de coopération, les Etats européens ont décidé de porter devant l'opinion publique cette situation de fait et de faire pression sur ce territoire abritant des fonds et des richesses illégalement acquises.

A.- UNE INTERPRÉTATION ABUSIVE DE LA CONVENTION DE 1959

La Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 impose aux Etats signataires de s'accorder mutuellement l'aide judiciaire la plus large possible en vue de recueillir des preuves, d'entendre des témoins ou des experts, d'obtenir de la documentation, des pièces à conviction dans le cadre d'une affaire pénale.

Cette Convention conclue entre Etats souverains précise dans son article 2 les cas dans lesquels cette aide peut être refusée et prévoit les conditions dans lesquelles doivent s'effectuer les demandes d'entraide de l'Etat requérant à l'Etat requis.

Cette Convention fait l'objet entre les parties signataires d'une application à géométrie variable. Certains Etats, dont la France, se sont donnés pour objectif d'accorder cette aide judiciaire de la façon la plus large possible et dans les meilleurs délais. La France, signataire comme le Liechtenstein, n'impose plus une transmission systématique des demandes via les autorités diplomatiques et admet un dialogue direct entre les magistrats. La France par la voix de son ministre de la justice a d'ailleurs fait connaître sa volonté (1) que l'article 2 de la Convention de 1959 qui prévoit les cas de refus de l'entraide soit plus strictement interprété et fasse l'objet « d'une définition commune à tous les Etats membres de l'Union, afin que la mise en jeu de cette clause de sauvegarde soit limitée à des cas à la fois exceptionnels et indispensables ».

Cette position est partagée par de nombreux Etats membres de l'Union européenne tels que l'Italie ou l'Espagne. A l'opposé, le Luxembourg n'accorde son entraide judiciaire que de façon très parcimonieuse et soumet les demandes à une appréciation politique.

De ce point de vue il existe entre le Luxembourg et le Liechtenstein de fortes similitudes.

Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale
du 20 avril 1959.

« Article 1

Les parties contractantes s'engagent à s'accorder mutuellement, selon les dispositions de la présente convention, l'aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est, au moment où l'entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante.

La présente convention ne s'applique ni à l'exécution des décisions d'arrestation et des condamnations ni aux infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.

Article 2

L'entraide judiciaire pourra être refusée :

a/ si la demande se rapporte à des infractions considérées par la partie requise soit comme des infractions politiques, soit comme des infractions connexes à des infractions politiques, soit comme des infractions fiscales ;

b/ si la partie requise estime que l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêt essentiels de son pays. »

Adoptée afin de faciliter le travail des magistrats et de permettre un meilleur accomplissement de la justice, la Convention de 1959 fait l'objet au Liechtenstein d'une interprétation qui lui permet de rejeter de façon quasi systématique toute demande d'entraide judiciaire portant sur des affaires sensibles.

1.- Une procédure lourde

Le Liechtenstein a estimé devoir soumettre toutes les demandes d'entraide judiciaire qui lui parviennent de l'étranger à une procédure qui se déroule en trois étapes.

Ces trois phases de traitement des commissions rogatoires internationales ont été indiquées à la Mission et régulièrement rappelées aux juges français qui se sont adressés aux autorités du Liechtenstein.

Selon le droit liechtensteinois, la compétence nationale pour le règlement d'une commission rogatoire est établie de la manière suivante :

1. Dans une première phase, il est décidé, dans un recours administratif, de la recevabilité de l'entraide judiciaire sollicitée. On parle du contrôle politique au sens strict de la loi.

A ce stade, les demandes d'entraide judiciaire sont examinées par le chef du service juridique du Gouvernement, M. Norbert Marxer, qui décide s'il doit transmettre ou non au tribunal.

Ce premier filtrage est donc opéré par une autorité administrative qui selon les termes même de son responsable fait « un premier contrôle politique et formel ».

Autant le contrôle formel peut s'apprécier objectivement au regard des critères fixés par la loi liechtensteinoise qui précise les conditions dans lesquelles les demandes de commissions rogatoires doivent être formulées, autant le contrôle politique laisse par définition le champ ouvert à l'aléatoire voire l'arbitraire et ce d'autant plus que les décisions n'ont pas à être motivées.

Cette étape est fort difficile à franchir et constitue régulièrement l'occasion de demandes de renseignements complémentaires.

2. La deuxième phase consiste dans l'exécution de la commission rogatoire par les tribunaux de droit commun.

3. La troisième phase est constituée de nouveau par un recours supplémentaire, ayant pour objet de décider si, et dans quelle mesure ou sous quelle forme, les dossiers d'exécution des autorités judiciaires requérantes, pourront être transmis par le tribunal aux instances politiques chargées de la transmission définitive aux autorités judiciaires étrangères.

A ce stade ultime, rien n'est encore effectivement acquis puisqu'une décision du tribunal autorisant le traitement de la demande ne sera exécutée qu'en l'absence de tout recours.

Extrait de la réponse à une demande d'un juge d'instruction
auprès du tribunal de Montluçon faite le 30.08.96.

« Concernant la société G. Anstalt, actuellement disparue, la police régionale de Vaduz a procédé à une perquisition le 10.06.1997. Très peu de documents de G. Anstalt ont été préservés. Parmi ceux-ci, quelques points de repère sont effectués pour d'autres recherches.

La décision du tribunal par laquelle il a été ordonné de vous remettre ces pièces n'a, bien sûr, pas encore l'autorité de la chose jugée. L'ancien administrateur de G. Anstalt, le Dr. K.R., est en droit de présenter un moyen de recours contre l'ordre de vous transmettre les pièces et dispose encore pour cela d'un délai courant jusqu'à mi-octobre 1997.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Juge, l'expression de mes sentiments distingués. »

Tribunal princier le 01.10.1997

Dr. Benedikt Marxer

(juge de la principauté)

Interrogé par la Mission, M. Norbert Marxer, a précisé « nous avons 600 commissions rogatoires par an et, dans 370 cas, nous devons prendre une décision pour savoir si, du point de vue formel, la commission rogatoire est recevable ou non. ». Il a fait remarquer qu'en 1998-1999 les statistiques montraient que pour l'action formelle permettant de dire qu'une commission rogatoire était ou non recevable, le délai moyen avait été de 8,3 jours et qu'en ce qui concerne l'exécution matérielle des commissions rogatoires celle-ci s'était effectuée dans un délai moyen de 55 jours.

Tout irait donc pour le mieux dans la Principauté du Liechtenstein à en croire les autorités locales.

La réalité est pourtant fort éloignée de l'objectif fixé par la Convention de 1959 par laquelle « les parties contractantes s'engagent à s'accorder mutuellement (...) l'aide judiciaire la plus large possible. ». Il apparaît, en effet, que la Principauté du Liechtenstein s'est évertuée par des moyens divers à faire de la coopération judiciaire un véritable parcours du combattant.

2.- Des recours inutiles

Au motif qu'il convient de garantir les libertés publiques et les droits individuels des personnes mises en cause, le Liechtenstein, comme d'ailleurs la Suisse et le Luxembourg, admet la possibilité de voies de recours dans le cadre des commissions rogatoires, comme s'il s'agissait d'une procédure pénale interne.

M. Norbert Marxer l'a d'ailleurs expressément reconnu devant la Mission « le nombre de recours possible est très élevé ».

La Mission ne saurait rester insensible à l'argument de défense et de protection des libertés publiques, mais s'interroge ici sur la nécessité d'invoquer de tels principes lorsqu'il est question par exemple de communiquer un certain nombre de pièces contenues dans un dossier bancaire.

La France considère, et elle n'est pas la seule, qu'il existe entre les Etats signataires de la Convention de 1959, disposant du même niveau de garantie juridique des libertés individuelles, une protection équivalente des droits de la personne.

En application de ce principe, lorsque la personne concernée par une demande de commission rogatoire dispose dans la législation de l'Etat requérant des possibilités de recours lui permettant de faire valoir ses droits et sa défense, il n'est plus nécessaire à l'Etat requis de permettre à nouveau l'exercice de voies de recours puisque l'objectif a déjà été satisfait.

En avançant la protection des libertés pour justifier des voies de recours dilatoires, le Liechtenstein adopte une attitude biaisée et fausse le débat en utilisant, à des fins de défense d'intérêts financiers, des considérations politiques et morales.

Ce discours est considéré par la Mission comme irrecevable.

3.- L'exercice d'un contrôle discrétionnaire

Dans un premier temps, la recevabilité des demandes d'entraide judiciaire est examinée par le service juridique du Gouvernement du Liechtenstein qui les transmet ensuite au tribunal régional. L'octroi de l'entraide judiciaire doit respecter certains critères fixés par la loi nationale.

Ainsi le Liechtenstein fait jouer largement l'article 2 de la Convention de 1959 qui permet de refuser l'entraide judiciaire, s'il peut être porté atteinte aux intérêts essentiels de l'Etat requis. Il fait en effet figurer la protection des secrets parmi ces dits intérêts.

« La protection des secrets
fait partie des intérêts essentiels du liechtenstein. 
»

Extrait de réponse du Liechtenstein à une commission rogatoire adressée par le Procureur de la République de Châteauroux.

« Le service juridique du Gouvernement examine si les demandes correspondent aux exigences de la loi sur l'entraide judiciaire (RHG) et les transmet au tribunal si l'entraide judiciaire est recevable. L'article 1, paragraphe 2 de la RHG stipule que lors de l'application de la loi sur l'entraide judiciaire, il ne peut pas être porté atteinte aux droits de souveraineté, à la sûreté, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels du Liechtenstein. Selon l'article 11, paragraphe 4 de le RHG, la protection des secrets peut aussi faire partie des intérêts essentiels du Liechtenstein eu sens de l'article 1, paragraphe 2 de la RHG. »

Le fait de considérer la protection des secrets comme faisant partie de la défense des intérêts essentiels du Liechtenstein aboutit en pratique à un rejet quasi systématique des demandes d'entraide judiciaire et s'apparente à un abus de droit.

La Mission s'est indignée de cette position de principe du Liechtenstein qui lui permet, en s'abritant derrière une norme juridique de refuser l'entraide qu'il s'est pourtant engagé à accorder en application de la Convention de 1959.

A cette invocation de la protection des secrets s'ajoute une inacceptable appréciation en opportunité portée sur le travail du juge requérant.

La Mission a fait remarquer aux autorités liechtenteinoises que ces dernières outrepassaient largement leurs droits en s'accordant le privilège de vérifier préalablement si le juge d'instruction du pays demandeur avait bien accompli, sans succès, les efforts appropriés pour obtenir par un autre moyen les informations demandées.

Enfin, en se donnant le droit de juger du caractère indispensable ou non de la vérification qui lui est demandée, le Liechtenstein créé un obstacle supplémentaire au fonctionnement de l'entraide judiciaire.

Pour cet ensemble de raisons, la Mission a déclaré au Ministre de la justice sa condamnation absolue des conditions dans lesquelles le Liechtenstein entendait appliquer cette Convention, qui s'analysent comme une violation de ce texte même.

Extraits de l'audition de M. Heinz Frommelt,
Ministre de la Justice au Liechtenstein.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je dois, après le président, vous remercier de ce dialogue constructif. Ma question s'adresse à M. le ministre de la justice ainsi qu'à l'ensemble des fonctionnaires travaillant sous son autorité. Je me fais ici le porte-parole de l'exaspération des juges d'instruction français qui, lorsqu'ils ont le malheur dans une affaire de délinquance financière, de blanchiment de capitaux, de devoir s'adresser à l'institution judiciaire du Liechtenstein, n'obtiennent que rarement, voire quasiment jamais, de réponse.

Je ne parle pas, bien sûr, de fraude fiscale. Nous n'évoquerons pas entre nous cette question. Je parle d'infractions pénales graves réprimées dans votre droit. Il n'y a donc aucune exception possible au regard de la Convention européenne d'entraide judiciaire de 1959.

J'ajoute que ce sentiment des juges d'instruction français est aussi partagé par les juges italiens qui ont fait état, dans des lettres officielles, d'éléments démontrant qu'ils ne pouvaient pas obtenir la coopération judiciaire de votre pays. Dans des affaires aussi graves que celles concernant la France, les juges italiens nous ont fait part de leurs efforts pourtant soutenus, allant même jusqu'à envoyer une délégation récente du ministère de la justice italien ici. Je précise cela pour répondre à ce que vous disiez quand vous parliez de la nécessité d'assurer un suivi, ce qui n'est pas une procédure normale dans tous les pays européens. Mais, même en envoyant une délégation du ministère de la justice italien, les juges italiens n'ont pu obtenir satisfaction.

Les Suisses des cantons du Tessin et de Genève eux-mêmes ont fait savoir leurs difficultés et le caractère problématique de la coopération judiciaire avec votre pays. Dans des affaires de trafic de stupéfiants, il a été nécessaire qu'un ministre de la justice du canton de Tessin se déplace lui-même pour obtenir du Liechtenstein des informations simples relatives à la documentation bancaire.

Les Allemands ont manifesté le même type d'exaspération. Quant aux Autrichiens, que nous avons vus hier, ils nous ont fait part des mêmes problèmes.

Les points sur lesquels nous tenons à insister concernent, en France, toutes les affaires de corruption politique ou économique graves et qui convergent vers le Liechtenstein, à un moment ou à un autre. L'ensemble de ces affaires se trouvent arrêtées ici car votre pays, dans l'interprétation qu'il fait de la Convention européenne de Strasbourg d'entraide judiciaire en matière pénale, exige d'obtenir des juges d'instruction qui vous requièrent les preuves de culpabilité, avant même d'avoir pu obtenir certains indices qui peuvent se trouver dans vos établissements bancaires. C'est un renversement de perspective qui est interprété par l'ensemble des Etats européens - la France, la Suisse, l'Italie, l'Autriche, l'Allemagne - comme un signe grave de non-coopération judiciaire.

L'Italie a indiqué qu'à la prochaine réunion du GAFI, elle dénoncerait votre pays comme pays non coopératif. De notre côté, nous avons souhaité vous rencontrer de manière à nous faire une opinion avant de prendre une position officielle parlementaire, qui n'engagera pas notre gouvernement dans un premier temps, mais qui, c'est certain, aura quelque influence sur celui-ci.

.../...

Je voudrais, par ailleurs, dire que vous êtes le seul pays en Europe où il existe un taux de non-réponse quasi absolu aux lettres adressées par des juges d'instruction. Entre 1995 et 1999, le ministère de la justice italien vous a adressé trente-neuf commissions rogatoires internationales. Dix-neuf n'ont jamais reçu de réponse.

M. Heinz FROMMELT : Tout d'abord, je voudrais vous remercier de votre franchise et vous dire qu'il serait bon d'avoir des interlocuteurs aussi francs sur ces questions d'entraide judiciaire. Ensuite, je voudrais relativiser ce que vous dites, car il faudrait savoir tant pour la France que pour l'Italie combien de cas d'entraide judiciaire ont été demandés et combien de demandes ont été rejetées, et à quelle période, pour pouvoir examiner cas par cas les différents dossiers.

Nous prenons toujours soin de vérifier toutes les plaintes qui nous sont adressées, mais je puis vous assurer qu'en principe, nous procédons conformément à la Convention européenne d'entraide judiciaire et que nous sommes tout à fait disposés à donner des informations en application de cette Convention et également conformément à notre loi nationale sur l'entraide judiciaire.

Je connais très peu de cas dans lesquels l'entraide judiciaire a été rejetée. Parfois, bien sûr, il peut y avoir des retards liés aux possibilités de pourvoi et de recours, notamment dans les cas où des personnalités connues sont impliquées. Nous avons d'ailleurs l'intention de modifier notre législation sur cet aspect.

Je sais qu'une délégation italienne a été reçue au Liechtenstein. Je ne l'ai pas vue personnellement, mais nous pourrions interroger nos fonctionnaires pour avoir des informations plus précises.

En ce qui concerne la Suisse, j'ai rencontré personnellement il y a deux semaines Mme le ministre de la justice avec laquelle nous avons également parlé de l'entraide judiciaire. Nous avons constaté qu'en règle générale, tout fonctionne bien mais que certains problèmes se posent. L'un d'entre eux notamment sera certainement résolu à la suite de notre réforme législative.

En ce qui concerne l'Autriche, je suis surpris que vous parliez de difficultés parce qu'en général, nous avons toujours constaté le bon fonctionnement de l'entraide judiciaire. J'aimerais bien que vous nous fassiez part des cas concrets portés à votre connaissance par ce pays et par l'Allemagne.

Je ferais ensuite une remarque en ce qui concerne la charge de la preuve. A mon avis, votre interprétation n'est pas correcte. Là encore, il faudrait demander aux fonctionnaires compétents quelles sont les conditions préalables requises pour l'octroi de l'entraide judiciaire.

Nous aussi rencontrons parfois des problèmes avec l'Italie pour l'octroi de l'entraide judiciaire parce que les temps de réponse sont parfois très longs.

Enfin, nous constatons que vous avez apparemment un grand nombre de documents et nous aimerions bien connaître précisément les cas pour lesquels des réclamations ont été formulées pour pouvoir constater pour quelle raison l'entraide a été rejetée et, éventuellement, adapter notre législation en conséquence.

B.- L'IMPOSSIBLE PÉNÉTRATION DES ENQUÊTES JUDICIAIRES EUROPÉENNES

1.- La situation des magistrats étrangers

Le Ministre de la justice, M. Heinz Frommelt s'est placé du point de vue des principes pour déclarer que « le Liechtenstein a l'obligation (...) de lutter contre la criminalité organisée » et « que la coopération dans le domaine du blanchiment est absolument nécessaire pour réduire les chances du crime organisé dans ce domaine. »

Face à ce discours lénifiant, votre Rapporteur a choisi d'exposer la réalité et a déclaré sans ambages aux autorités du Liechtenstein « l'exaspération des juges d'instruction français qui, lorsqu'ils ont le malheur dans une affaire de délinquance financière, de blanchiment de capitaux, de devoir s'adresser à l'institution financière du Liechtenstein, n'obtiennent que rarement, voire quasiment jamais, de réponse » avant d'indiquer que ce sentiment était largement partagé par les magistrats européens.

Ainsi le ministère de la justice italien a fait savoir à la Mission que sur les 39 commissions rogatoires internationales transmises au Liechtenstein entre 1995 et 1999, 19 n'avaient jamais reçu de réponse.

Quand les Italiens se fâchent !

(lettre du magistrat de liaison italien à Paris
au rapporteur de la Mission, M. Arnaud Montebourg)

Paris le 13 janvier 2000

« Monsieur le Député,

En réponse à votre lettre du 5 janvier 2000 j'ai l'honneur de vous faire connaître que les relations d'entraide pénale entre l'Italie et le Liechtenstein sont loin d'être satisfaisantes. D'ailleurs il est probable qu'au cours de la prochaine réunion du GAFI l'Italie dénoncera le Liechtenstein comme pays non coopératif.

En effet, en quelques occasions les autorités judiciaires ou le Ministère de la Justice du Liechtenstein ont fait preuve d'un manque de coopération pour répondre aux demandes qui leur sont présentées en multipliant des requêtes d'informations complémentaires même si le dossier qui leur a été transmis contient tous les renseignements pertinents à l'exécution des mandats. De la même façon les autorités de ce pays prolongent indûment les délais normaux de réponse.

C'est ainsi qu'une délégation du Ministère de la Justice italien a été amenée il y a quelques semaines à se rendre au Liechtenstein pour tenter, d'ailleurs sans succès, de trouver une issue à une affaire judiciaire importante que je vais vous résumer ci-dessous.

Au cours d'une enquête judiciaire portant sur des faits de corruption impliquant notamment des magistrats, ont été détectés d'importants mouvements financiers (plusieurs centaines de milliards de lires) entre des comptes bancaires suisses et luxembourgeois et un autre compte au Liechtenstein.

Dans le contexte, le parquet italien compétent a délivré en date du 22 mai 1996 une commission rogatoire internationale visant à obtenir la transmission de la documentation relative à ce compte.

.../...

L'autorité judiciaire du Liechtenstein a donné suite à cette première demande.

L'enquête a, par la suite, permis de détecter de nouveaux comptes bancaires dans ce pays.

C'est pourquoi la juridiction italienne a délivré, en date du 26 août 1997, six autres commissions rogatoires internationales afin d'obtenir les informations indispensables à l'enquête.

La réponse donnée par le Liechtenstein était alors tout à fait partielle et insuffisante pour identifier les titulaires des comptes concernés.

Par conséquent, le parquet italien a transmis une nouvelle commission rogatoire internationale en date du 11 mai 1998, restée, comme les six précédentes, sans réponse satisfaisante, le Liechtenstein se bornant à exiger des compléments d'information touchant aussi bien au fond qu'à la forme des C.R.I. A ces demandes le parquet italien à néanmoins répondu.

Malgré cela, le Liechtenstein n'a donné aucune suite, ce qui a justifié le déplacement de la délégation du Ministère de la Justice italien dans ce Pays avec, comme je vous l'ai indiqué ci-dessus, un résultat négatif.

En espérant que ces éléments vous seront de quelque utilité dans votre mission, je vous prie de croire, Monsieur le Député, à l'expression de ma haute considération. »

Le magistrat de liaison italien
au Ministère de la Justice à Paris

Le Ministre de la justice, M. Heinz Frommelt a bien voulu convenir que certaines demandes des magistrats italiens portaient sur des affaires d'une extrême gravité, mais il a rejeté la responsabilité sur les Italiens, pour justifier l'inertie dont les autorités du Liechtenstein avaient fait preuve.

La réponse peu convaincante du Liechtenstein.

« M. Heinz FROMMELT : En ce qui concerne l'Italie, il y a un cas assez épineux parce que des milieux politiques de très haut niveau sont impliqués. Dans ce cas précis, nous avons le sentiment que l'arrière-fond politique et fiscal était beaucoup plus grave que l'aspect pénal de l'affaire. Il faut dire aussi qu'avec l'Italie, nous avons souvent de grosses difficultés, notamment en ce qui concerne le retard dans le suivi des affaires, mais vous avez sans doute des expériences similaires. »

« Il est vrai qu'une délégation italienne est venue nous voir au mois de novembre. Nous avons eu de bonnes négociations et nous nous sommes mis d'accord sur un certain nombre de points, la délégation italienne nous a notamment promis de nous envoyer les documents supplémentaires qui nous étaient nécessaires pour juger de la résolution de l'affaire, mais depuis, nous n'avons eu aucune réponse. »

Extrait de l'audition du Ministre de la Justice du Liechtenstein par la Mission.

La Suisse, pays voisin et ami, n'est pas mieux traitée. Le juge Paul Perraudin a dû lui aussi négocier pour tenter de faire progresser le traitement d'affaires difficiles dont il avait la charge. Sans succès et en vain.

M. Norbert Marxer, Chef du service juridique du Gouvernement, a d'ailleurs admis devant la Mission « en ce qui concerne le cas de Genève, nous sommes arrivés à un accord à l'amiable, parce que M. Perraudin n'avait pas pris en compte les trois différentes phases. »

Au cours d'une conférence de presse donnée le 19 janvier, le Procureur général du Canton de Genève, M. Bernard Bertossa, a déclaré « le Liechtenstein est un très mauvais élève à l'égard de la coopération internationale en matière de blanchiment d'argent, même à l'égard de la Suisse. »

Lors de la visite le 24 janvier du chef de la diplomatie suisse, Joseph Deiss, le Premier Ministre du Liechtenstein, M. Mario Frick, a fini par admettre devant la presse « qu'une dizaine de cas concernant la Suisse et présentant des problèmes majeurs avaient fait l'objet d'un traitement beaucoup trop lent. »

2.- Les difficultés rencontrées par les magistrats français

De nombreuses affaires aboutissent au Liechtenstein pour s'y enliser. Plusieurs cas qui ont fait l'objet, de la part des autorités locales, d'un refus de coopération ont été transmis à la Mission. Ils illustrent parfaitement les obstacles crées par le Liechtenstein pour s'opposer à toute demande d'entraide.

Le caractère stéréotypé des réponses témoigne tout d'abord du peu d'attention accordé au traitement de ces demandes. Les autorités du Liechtenstein indiquent les trois phases de la procédure puis précisent que l'octroi de l'entraide s'apprécie d'après la Convention européenne de 1959 et de façon complémentaire au regard de la loi nationale sur l'entraide judiciaire (RHG) avant de se fonder sur l'un des articles de ce texte pour ne pas fournir les informations demandées.

La loi liechtensteinoise permet tous les refus de coopération. Des raisons de forme peuvent être invoquées et suffisent à rejeter la demande.

Des raisons de principes sont aussi évoquées qui soumettent l'accord ou le refus de l'aide à l'exercice d'un pouvoir purement discrétionnaire. Ainsi certaines demandes ont-elles été rejetées au motif d'une absence de justification suffisante que l'élément demandé était indispensable pour l'établissement de la preuve.

Extraits de deux réponses du Gouvernement de Vaduz
à deux commissions rogatoires françaises.

« Afin de continuer à traiter la demande, notamment afin de décider si et dans quelle mesure l'entraide judiciaire peut être fournie par les autorités du Liechtenstein, nous avons toutefois besoin d'autres renseignements encore.

Il ne ressort suffisamment clairement de la commission rogatoire si la demande concerne l'instruction ou la répression d'un acte répréhensible grave, si la communication des données confidentielles des personnes morales et des banques est indispensable pour l'établissement ou la preuve d'un fait essentiel pour l'instruction ou la procédure, si des efforts appropriés mais restés sans succès ont déjà été entrepris en France pour obtenir des preuves ou des renseignements d'une autre manière. »

.../...

« Afin de continuer à traiter la demande, notamment pour décider si et dans quelle mesure l'entraide judiciaire peut être fournie par les autorités du Liechtenstein, nous avons néanmoins besoin d'autres renseignements encore.

Il ne ressort suffisamment clairement de la commission rogatoire si l'enquête concerne l'instruction ou la répression d'un acte répréhensible grave, si la communication des données confidentielles de la société « Standby establishment », à Vaduz, du compte en banque de Monsieur X. ainsi que de la banque administrative et privée à Vaduz est indispensable pour l'établissement ou la preuve d'un fait essentiel pour l'instruction ou la procédure, si des efforts appropriés mais restés sans succès ont déjà été entrepris en France pour obtenir des preuves ou des renseignements d'une autre manière. »

La recherche de la preuve est soumise à des conditions tellement restrictives qu'elles rendent quasiment impossible une réponse positive de coopération.

En exigeant du juge d'instruction français en présence d'une société panaméenne ou costaricaine ayant un compte ou une fiduciaire au Liechtenstein, d'avoir déjà demandé des informations à Panama ou au Costa Rica, la Principauté exige pour accorder sa coopération que ce juge ait déjà obtenu les preuves pour lesquelles il sollicite précisément le Liechtenstein.

La Principauté mène de cette façon une politique d'entrave volontaire avec à la plus mauvaise foi et la plus grossière hypocrisie.

Il faut signaler d'autre part que le Liechtenstein refuse de répondre à une demande d'information bancaire à caractère général et qu'il n'existe pas dans ce pays un fichier centralisé d'information de type FICOBA.

Ce fichier permet en France de répondre de manière exhaustive à toute demande d'un juge qui souhaite connaître l'ensemble des comptes bancaires détenus par une personne.

Lettre-type adressée par le Gouvernement de Vaduz
aux juges du reste du monde.

« Vous sollicitez par ailleurs dans votre demande un examen bancaire et une identification de toutes les données bancaires de la société SISAV par saisie de tous les relevés de compte bancaires depuis 1990. Selon l'article 72 de la RHG, le duplicata, la copie certifiée ou la photocopie de la décision judiciaire doit être entre autres joints aux demandes de saisie ou de remise d'objets et de documents. Cette condition préalable n'existe pas concrètement. Par rapport à cette demande de saisie, il faut noter que la recherche de preuve, c'est à dire la demande de procédure probatoire au hasard, n'est pas recevable. Sont prises en compte la recherche de preuves pour une présomption de fait devant être d'abord motivée ainsi que la recherche de preuves dans le cadre d'une présomption de fait existante là où on ignore encore concrètement si de telles preuves existent.

Nous vous prions de bien vouloir faire parvenir les compléments d'information cités plus haut pour le traitement ultérieur de la demande.

Le service juridique du gouvernement de la principauté du Liechtenstein vous remercie de votre compréhension et vous assure de sa haute considération. »

Service juridique du gouvernement

Dr. Norbert Marxer

Directeur du service juridique

La Principauté demande donc au juge qui la sollicite d'avoir préalablement réuni les preuves avant d'offrir sa coopération. On comprend dès lors la rigueur des critiques dont le Liechtenstein fait actuellement l'objet tant de la part des différents Etats dans le cadre des relations bilatérales qu'ils entretiennent avec cette Principauté que de la part de la communauté internationale ou européenne.

IV.- LES RÉSULTATS POLITIQUES DE LA MISSION

La venue de la Mission parlementaire au Liechtenstein ne doit pas être considérée comme une initiative isolée car elle s'inscrit dans un mouvement de réactions de l'ensemble de la communauté internationale qui n'acceptent plus l'attitude de cette Principauté réfractaire à la coopération judiciaire internationale, prêtant ainsi le flanc à l'accusation de complicité à l'égard de l'argent illégal.

A.- LES RÉACTIONS INTERNATIONALES

1.- Le GAFI

Le groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) a été crée par le sommet du G7 de Paris en 1989 afin de prendre des mesures pour combattre le blanchiment. Le GAFI a publié un programme de quarante recommandations que chaque Etat membre s'engage à appliquer. Le GAFI comprend 26 membres parmi lesquels figurent notamment les pays de l'Union européenne, les Etats-Unis, le Canada, la Suisse, la Norvège, Singapour ou Hong Kong.

Les pays membre du GAFI, face à la multiplication de centres financiers offshore qui ne respectent pas ou très peu, les principes de la coopération internationale et les quarante Recommandations en matière de lutte contre le blanchiment, ont décidé de mener une action commune à l'encontre de ces territoires non coopératifs. Le 14 février 2000 le GAFI a établi une liste de critères permettant d'identifier ces derniers.

Quatre séries de critères ont été dégagées qui concernent :

1. les lacunes dans les réglementations financières (insuffisance des dispositifs de surveillance, caractère excessif du secret bancaire, absence de système efficace de déclaration des transactions suspectes, etc.),

2. les obstacles constitués par le droit commercial (recours à des sociétés-écran, absence d'identification des propriétaires/bénéficiaires et des administrateurs/directeurs d'une société, limitation de la capacité des institutions financières à exercer leur vigilance en ce qui concerne l'identification des clients),

3. les obstacles à la coopération internationale (absence ou faiblesse des informations échangées, impossibilité d'incriminer le blanchiment des produits issus d'infractions graves, réticence évidence à répondre de façon constructive à des demandes d'entraide judiciaire etc.),

4. l'absence ou l'insuffisance de moyens affectés à la lutte contre le blanchiment.

Le Liechtenstein entre dans chacune des catégories citées et correspond au portrait-robot du territoire non coopératif au regard de cette grille d'analyse.

Il devrait figurer, en juin prochain, sur la liste des territoires non coopératifs que le GAFI s'apprête à publier.

Au terme de la procédure adoptée par le GAFI et décrite ci-dessous, il appartient aux Etats de faire connaître les pays avec lesquels ils se sont heurtés à des difficultés.

Ceux-ci feront alors l'objet d'une enquête et d'un rapport qui permettront de se prononcer sur l'inscription ou non d'un Etat sur la liste des territoires non coopératifs fixée par le GAFI.

Procédure de désignation par le gafi des territoires non coopératifs.

(i) Pays ou territoires soumis à l'examen.

39. A partir de facteurs financiers ainsi que sur des données concernant la participation aux enquêtes anti-blanchiment (typologies/opérationnelles), les membres du GAFI ont été invités à indiquer des juridictions où, dans le passé récent, ils ont rencontré des difficultés, avec une explication de la nature des difficultés qu'ils ont rencontrées. Le Groupe ad hoc devrait d'abord entreprendre une étude factuelle de chaque juridiction devant être soumise à l'examen. Ces enquêtes factuelles pourraient être réalisées par plusieurs groupes d'étude dans lesquels devraient figurer plusieurs membres du GAFI situés en dehors de a région concernée. Le cas échéant, ils pourraient aussi être ouverts au Secrétariat des organismes régionaux compétents de type GAFI. Le rôle du Secrétariat du GAFI est d'assurer la cohérence des approches et des processus entre les différents groupes d'études. Chacun d'entre eux devrait étudier l'étude des règles et pratiques préjudiciables de plusieurs juridictions.

(ii) Etude des différentes juridictions.

40. Pour que le Groupe ad hoc puisse fonder ses conclusions sur des informations exactes, les groupes d'examen devront étudier les informations disponibles en donnant un poids particulier aux rapports d'évaluation mutuelle ou enquêtes d'auto-évaluations ou aux rapports d'étape dans le contexte du GAFI et des organismes régionaux de style GAFI, et le cas échéant, demanderaient des informations ou des éclaircissements supplémentaires aux juridictions qu'ils examinent. Ces informations supplémentaires pourraient être obtenues en demandant aux juridictions de répondre à des questions spécifiques et, si nécessaire, en organisant des entretiens directs. Si une juridiction met du temps à répondre, la procédure suivrait immédiatement son cours.

41. Une fois qu'un groupe d'étude a achevé son étude d'une juridiction, il établira un rapport qui, une fois que la juridiction en question aura eu l'occasion de le commenter, sera examiné par le Groupe ad hoc. Les informations contenues dans le rapport sur cette juridiction seront de nature factuelle. Les rapports indiqueront la présence ou l'absence de chacun des critères visés dans l'annexe. L'évaluation de la question de savoir si une juridiction est non coopérative sera effectuée par le Groupe ad hoc, mais devra être approuvée par le plénière.

(iii) Liste des juridictions non coopératives.

42. Une fois que la Plénière a fait connaître ses conclusions quant au statut des juridictions examinées sur la base des vingt-cinq critères, une liste des juridictions non coopératives pourrait être établie. Cette liste devra citer les raisons des déterminations du Groupe ad hoc et de la Plénière. Enfin, elle mentionnerait aussi les mesures que les juridictions identifiées en tant que non coopératives doivent prendre pour éliminer les aspects préjudiciables de leurs règles et pratiques.

GAFI, Rapport sur les pays ou territoires non coopératifs, 14 février 2000.

La France, comme beaucoup d'autres pays européens, a proposé l'inscription du Liechtenstein sur cette liste.

Sur la base de cette procédure, la France a fait savoir qu'elle demandait l'évaluation rapide du Liechtenstein qui, sur de nombreux points essentiels, viole les recommandations du GAFI.

2.- Les réactions de l'Union européenne

Lundi 28 février 2000, les ministres européens des finances ont décidé, à la demande de l'Allemagne, de donner mandat à la Commission européenne d'étudier les problèmes de blanchiment des capitaux et d'évasion fiscale au Liechtenstein.

L'Allemagne a déclaré en la personne de son Ministre des finances, M. Hans Eichel, que ce pays constituait « un ver dans le fruit européen » et n'appliquait pas les règles européennes contre le blanchiment d'argent alors que le Liechtenstein appartenait à l'Espace Economique Européen (EEE) avec l'Union européenne, la Norvège et l'Islande.

Le Liechtenstein est notamment accusé avec ses 75 000 sociétés boites aux lettres d'être une des plaques tournantes de blanchiment.

Le Ministre de l'économie a déclaré à cette occasion qu'il « faudra dénoncer les pays non coopératifs » et « envisager des sanctions » tandis que son collègue belge M. Didier Reynders parlait de la « nécessité de prendre des initiatives ».

Quant à Luciano Violante, le Président de la chambre des députés italienne, il a déclaré, lors de sa rencontre avec la Mission le mercredi 22 mars 2000, qu'il fallait désormais s'engager dans un « boycott actif des centres offshore européens et passer aux actes. »

Le Liechtenstein a réagi à cette prise de position en se déclarant prêt à coopérer avec l'Union européenne sur la question du blanchiment des capitaux et en rappelant qu'il avait « commencé à améliorer sa législation en vue d'accélérer les procédures d'aide judiciaire » avant de souligner que les institutions bancaires du Liechtenstein étaient moins concernées par ces questions que beaucoup d'autres pays européens et de conclure en déclarant que le Liechtenstein n'était pas prêt « à se transformer en percepteur d'impôts pour les pays à forte pression fiscale... »

3.- Le rapport des services secrets allemands

En novembre 1999, le journal Der Spiegel révélait l'existence de ce document établi par les services de renseignements allemands (Bundesnachrichtendienst - BND).

Ce rapport, récemment publié à son tour par le journal Le Monde dans son édition datée du 26 février 2000, présente les mécanismes utilisés pour blanchir les capitaux et surtout conclut à la collusion entre les grands criminels des cartels de la drogue et certains notables du Liechtenstein, avocats ou gérants de fiduciaires suspectés d'avoir accueilli en toute conscience les fonds de ces organisations de la drogue pour procéder à leur blanchiment.

L'article du Spiegel a suscité des remous et de vives réactions dans la principauté du Liechtenstein.

Liechtenstein :
Hans Adam II est persuadé de l'innocence des personnes citées.

« Blanchiment : le prince attaque le gouvernement de Vaduz.

Les accusations de blanchiment d'argent lancées à l'encontre du Liechtenstein ont déclenché la discorde dans la Principauté. Le prince Hans Adam II s'en prend au chef du gouvernement, Mario Frick. Il avait déjà tancé les autorités pour ne l'avoir informé que récemment sur un rapport anonyme qui met en cause la Principauté dans les affaires de blanchiment d'argent. Hans Adam II a déclaré dans le Liechtensteiner Volksblatt qu'il n'était pas convaincu par cette explication. Le prince a toutefois précisé que le gouvernement gardait toute sa confiance. Le rapport anonyme date de février 1997 et met en cause plusieurs personnes au Liechtenstein que le Ministère public doit entendre. Hans Adam II a par ailleurs reçu des autorités liechtenteinoises la confirmation donnée par l'Allemagne que les services secrets allemands ont aussi établi un rapport secret sur le blanchiment d'argent au Liechtenstein. Aucune indication n'a toutefois été donnée officiellement sur le contenu du document.

Pour faire toute la lumière sur cette affaire, le Liechtenstein a nommé un procureur spécial en la personne du procureur général d'Innsbruck, Kurt Spitzer. »

Extrait du journal Le temps du 23 décembre 1999.

Cette affaire qui, incontestablement, entache la réputation du Liechtenstein, traduit en même temps le mécontentement de l'Allemagne qui pâtit par ailleurs de l'évasion fiscale de capitaux vers cette Principauté, où se trouvent toujours bloqués des fonds illégaux de la CDU, parti de l'ex-chancelier Kohl.

Ce document rappelle que le Liechtenstein s'est doté de toutes les conditions favorables pour procéder au blanchiment d'argent : fondations anonymes sur lesquelles ne pèsent aucune contrainte puisque l'administration n'exige aucune présentation de bilan et qu'il n'existe ni obligation de tenir une comptabilité ni autorité de contrôle ; strict respect du secret bancaire ; création de sociétés dont l'ayant droit économique n'est connu que du seul administrateur fiduciaire.

Le BND estime qu'au Liechtenstein, les avocats et les conseillers traitent d'opérations légales, « mais entretiennent aussi souvent un lien lucrative avec l'illégalité » et que « Du fait de cette association d'activités légales et illégales, il est très difficile d'établir si les liens sont utilisés à des fins criminelles et à quel moment. »

Un certain nombre de personnages honorablement connus en tant qu'administrateurs fiduciaires, avocats, hommes politiques, banquiers, sont nommément cités pour selon les cas, entretenir des relations étroites avec le clan d'Amérique du Nord Causa Nostra Cuntrera Caruana Caldarella, accepter de très fortes sommes d'argent liquide sans poser de questions, gérer les comptes de dictateurs africains ou ceux des successeurs du cartel de Medelin, organiser de discrètes rencontre et mettre en place des sociétés-écran pour faciliter le blanchiment des revenus de la drogue.

Le rapport conclut de façon définitivement négative sur le Liechtenstein en soulignant la complicité et l'implication de l'establishment local dans des opérations de criminalité financière.

« Le Liechtenstein,
Une place idéale pour le blanchiment d'argent sale.
 »

(Rapport du BND en date du 08.04.1999.)

« Les exemples précités mettent en évidence le rôle particulier de la place financière du Liechtenstein pour les opérations de blanchiment d'argent sale de la criminalité internationale.

Des spécialistes fiables du blanchiment d'argent sale, se présentant comme d'honorables administrateurs fiduciaires, utilisent les possibilités du droit des sociétés très libéral au Liechtenstein. Ceux-ci ont, avec une énergie criminelle, créé un réseau qui fonctionne bien en vue du blanchiment d'argent sale, avec des hommes politiques, des fonctionnaires, des juges et des banquiers corrompus et influents.

Un patrimoine illégal est introduit et traité de manière entièrement légale par des fondations et des sociétés anonymes. Les traces qui permettent de reconnaître sa véritable origine sont effacées. Le strict secret bancaire et la remarquable capacité des administrateurs fiduciaires à avoir, au bon moment et au bon endroit, « des trous de mémoire » lors d'investigations, ou d'invoquer leur obligation de confidentialité, viennent parfaire l'image d'une place idéale pour le blanchiment d'argent sale. »

La Mission avait fait savoir par l'entremise de l'Ambassade de France en Suisse - la France n'a pas de représentation diplomatique permanente au Liechtenstein - son souhait de rencontrer notamment les autorités politiques du pays pour s'entretenir des questions de blanchiment et de délinquance financière.

Ironie de l'actualité, cette démarche concordait précisément avec la parution, dans l'hebdomadaire Der Spiegel du 8 novembre 1999, du rapport du BND accusant le Liechtenstein de constituer une place idéale pour le blanchiment des capitaux.

Des sociétés de Vaduz
veulent se défendre des accusations de blanchiment.

« Une société fiduciaire et une banque du Liechtenstein ont fait appel à des avocats allemands pour se défendre d'accusations de blanchiment d'argent contenues dans un rapport du service de renseignements allemand BND cité par l'hebdomadaire Der Spiegel, a-t-on appris mardi auprès de ces sociétés.

La société Herbert Batliner, l'une des plus grandes fiduciaires du Liechtenstein, a ainsi indiqué, dans une conférence de presse organisée à Vaduz, qu'elle entendait porter une plainte administrative contre l'Etat allemand. Elle a fait appel dans un premier temps à une étude allemande d'avocats.

La Verwaltungs-und Privat-Bank (VPB), troisième banque de la principauté, a fait elle aussi appel la semaine dernière à une étude d'avocats allemands pour se défendre contre les accusations de blanchiment contenues dans ce rapport.

La VPB a aussi demandé à la chancellerie fédérale à Berlin de lui fournir des « «clarifications » à ce sujet. Elle affirme dans un communiqué que le rapport du renseignement allemand, révélé en novembre par Der Spiegel, contient « de nombreuses erreurs », et que d'autres instituts de la principauté cités dans le dossier s'apprêtent à entreprendre les mêmes démarches judiciaires qu'elle.

La VPB reproche au BND d'avoir repris « sans aucune distance critique » des « passages de textes provenant de documents anonymes » de 1997 et 1998, mettant en cause certains responsables de la banque.

Ce rapport du BND cité par Der Spiegel a mis en cause le micro-Etat pour son paradis fiscal où le secret bancaire et la législation permettraient d'attirer des fonds douteux provenant de la corruption et des mafias.

Le gouvernement de Vaduz a réagi à ce rapport, en contestant sa fiabilité. Les députés Vincent Peillon et Arnaud Montebourg qui dirigent une mission d'information parlementaire sur le blanchiment, se sont rendus vendredi à Vaduz, où ils ont exprimé les doléances de juges européens sur le « refus de coopérer » du Liechtenstein en matière d'entraide judiciaire. Les autorités de Vaduz leur ont promis de réviser la législation nationale sur l'entraide judiciaire.

Selon des sources bancaires de la principauté, les banques et les sociétés fiduciaires du petit Etat font fructifier quelque 200 milliards de francs suisses (132 milliards d'euros) de fortunes privées attirées par le secret bancaire et les avantages fiscaux. »

AFP International, mardi 18 Janvier 2000.

B.- LES ENGAGEMENTS DU LIECHTENSTEIN EXPRIMÉS DEVANT LA MISSION

Lors de la cérémonie des v_ux de nouvel an qui a précédé l'arrivée de la Mission, le Premier ministre, Mario Frick, devait annoncer une série de reformes concernant la lutte contre le blanchiment et plus particulièrement une révision des dispositions relatives à l'obligation de diligence ainsi qu'une modification de la loi sur l'entraide judiciaire en matière pénale.

La présence à Vaduz des parlementaires français a fourni aux autorités du Liechtenstein une occasion supplémentaire de rappeler les intentions de la Principauté et de s'engager plus précisément sur le traitement de certaines affaires en cours.

La Mission n'obtenant aucune réponse à ses demandes, il fallut l'intervention des diplomates français auprès du Prince Wolfgang Von und zu Liechtenstein, cousin du Prince régnant, et Ambassadeur du Liechtenstein en Suisse pour que les membres de la Mission soient finalement admis à rencontrer les fonctionnaires liechtensteinois responsables de la lutte contre le blanchiment.

Etonné du fait qu'aucun responsable politique n'ait cru devoir accepter de rencontrer les parlementaires français, le Président Vincent Peillon adressait le 12 janvier 2000 au Premier ministre du Liechtenstein, M. Mario Frick, une lettre faisant part de « l'étonnement affligé » de la Mission devant un programme dans lequel ne figurait aucune rencontre avec les autorités politiques pour tenir, au niveau approprié, une discussion sur les sujets intéressant la Mission.

Courrier de Monsieur Vincent Peillon, Président de la Mission
à Monsieur Mario Frick, Premier ministre du Liechtenstein.

Vienne, le 12 janvier 2000

« Monsieur le Premier Ministre,

Je viens de prendre connaissance du programme des entretiens qui nous est proposé à Vaduz et je me permets de vous faire part de l'étonnement affligé qui est le mien.

Une présentation par quelques fonctionnaires du dispositif législatif et de l'activité des autorités de contrôle du secteur financier nous sera sans doute tout à fait utile. Mais j'aurais apprécié également qu'une rencontre avec les autorités politiques du Gouvernement comme du Parlement puisse nous permettre de poursuivre au niveau approprié une discussion sur des sujets auxquels, je le sais, vous accordez la plus grande importance.

Ne pouvant considérer ce programme comme l'expression d'un défaut de volonté de votre Gouvernement dans la lutte contre le blanchiment, ni comme une mauvaise manière à l'égard de la Mission, je souhaite vivement, Monsieur le Premier Ministre, que le programme de la journée du 14 janvier puisse être modifié dans le sens que nous avons fait précédemment connaître.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de mes sentiments distingués. »

Finalement, la Mission a pu rencontrer le vendredi 14 janvier, outre les fonctionnaires, MM. Patrick Ritter, Collaborateur diplomatique de l'Office pour les affaires étrangères, et Christian Näscher, Collaborateur juridique auprès du service juridique du Gouvernement du Liechtenstein, MM. Heinz Frommelt, Ministre de la justice, Peter Wolff, Président du Parlement du Liechtenstein, Roland Muller, Chef de l'autorité de surveillance du secteur financier, Christian Ritter, Magistrat, Norbert Marxer, Chef du service juridique du Gouvernement et Gerd Zimmermann, Adjoint au chef du service juridique du Gouvernement du Liechtenstein.

1.- Sur les modifications législatives envisagées

A propos de la coopération judiciaire, M. Norbert Marxer a reconnu devant la Mission « il y a peut-être un certain retard dans notre législation parce qu'il y a trop de possibilité de recours, cela pose problème (...) mais sur ce point, seul le législateur peut être appelé à y porter remède (...) »

Y a-t-il une bonne volonté liechtensteinoise ?

Le Ministre de la justice M. Heinz Frommelt déclarait quant à lui au cours de ce même entretien « nous sommes tout à fait disposés à accorder de l'entraide judiciaire et comme je vous l'ai déjà dit, nous allons modifier notre législation en conséquence pour atteindre le standard européen. (...) Nous avons de la bonne volonté et nous avons engagé des démarches pour aller dans la bonne voie. Nous tirerons les conclusions de cet entretien. »

« M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je signale qu'à chaque fois, dans le texte (des refus d'entraide judiciaire), la protection des secrets fait partie des intérêts essentiels du Liechtenstein. Par ailleurs, vous indiquez que vous souhaitez vous accorder le privilège de vérifier préalablement si le juge d'instruction qui vous requiert a bien accompli les efforts appropriés, mais restés sans succès, pour obtenir par un autre moyen des informations relatives à la documentation bancaire à Vaduz. Vous êtes les seuls en Europe à créer cette condition supplémentaire pour l'application de la Convention européenne d'entraide judiciaire. C'est une condition qui n'existe pas dans le texte de la Convention européenne ; c'est votre loi nationale qui a créé des obstacles à l'application de cette Convention.

Vous opposez cette exigence dans chacune des lettres dont je viens de faire état et qui concernent des affaires gravissimes, ne permettant pas ainsi de poursuivre le commanditaire des délits et des crimes ayant utilisé l'argent situé dans vos banques. La conséquence, c'est que seuls les subalternes sont poursuivis dans les pays européens concernés. C'est le cas en France, en Italie et dans un certain nombre de pays européens que j'ai cités, parce que vous vous appropriez la possibilité d'apprécier le caractère indispensable ou non de la vérification qui vous est demandée.

C'est une condition supplémentaire qu'aucun pays européen ne s'est octroyé le droit d'imposer dans l'application de la Convention européenne d'entraide judiciaire. Nous considérons - c'est la position du parlement français à travers sa mission parlementaire - que le Liechtenstein viole la Convention européenne d'entraide judiciaire en ayant créé ces conditions supplémentaires. Notre position est donc une position de refus absolu des conditions dans lesquelles vous entendez appliquer cette Convention. (...) .../...

M. Heinz FROMMELT, Ministre de la Justice : Je peux vous dire que ce sont des cas connus. Nous savons, nous partageons votre avis, que ce sont des cas graves. Pour vous calmer un peu, je puis vous assurer et vous dire, comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, qu'une modification de la législation est prévue. Je ne peux pas vous dire exactement les raisons pour lesquelles ces commissions rogatoires ont posé problème. Je donnerai tout à l'heure la parole au fonctionnaire responsable pour qu'il vous parle plus concrètement des différents cas. (...)

Mais je vous précise encore une fois que nous avons connaissance des problèmes. Nous savons qu'ils existent et que nous avons la volonté, je l'ai dit lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre de la justice il y a deux ans, de modifier la législation. Mais peut-être le fonctionnaire compétent peut-il maintenant prendre position et répondre à ces accusations d'ordre général qui nous sont adressées. (...)

Je voudrais dire que malgré la vivacité de vos paroles, nous sommes tout à fait contents d'avoir pu aborder ces problèmes avec vous. Je rappelle que nous sommes tout à fait disposés à accorder l'entraide judiciaire et comme je vous l'ai déjà dit, nous allons modifier notre législation en conséquence pour atteindre le standard européen.

Nous sommes reconnaissants d'avoir pu discuter de ces problèmes, pour savoir concrètement quelles questions se posent, de quelle manière et à l'égard de quels pays. Je sais très bien que les cas français que vous avez cités sont d'importance. C'est le cas également de l'Italie. Nous avons de la bonne volonté et nous avons engagé des démarches pour aller dans la bonne voie. Nous tirerons les conclusions de cet entretien. Je puis vous assurer que nous ferons tout notre possible et que nous sommes déjà en train de résoudre les problèmes qui se posent.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le ministre ainsi que l'ensemble des fonctionnaires qui ont accepté de participer à cette réunion. Pour nous, ce n'est jamais un exercice facile et nous ne sommes pas venus dans un esprit différent de celui qui nous guide partout où nous allons. Nous avons à la fois le souci de faire avancer une cause internationale et de respecter, bien entendu, les souverainetés nationales, ici comme ailleurs.

Sur ce qui a pu être dit, je crois vraiment que dans l'intérêt même du Liechtenstein - je reprenais un article du Prince régnant disant que pour le Liechtenstein, c'était une catastrophe et que cela pourrait être destructeur - il faut évoluer.

La priorité, mais je l'ai entendue dans la bouche de M. le ministre, c'est d'améliorer très fortement et très rapidement la coopération judiciaire internationale. Nous avons également entendu avec plaisir ses déclarations d'intention à ce sujet. (...) »

Extraits de l'audition de M. Heinz Frommelt, Ministre de la Justice du Liechtenstein par la Mission.

Par lettre du 21 janvier 2000, le Ministre de la justice confirmait au Président de la Mission une réforme de l'entraide judiciaire ainsi qu'une simplification « des procédures administratives et judiciaires de façon à pouvoir éviter à l'avenir des double emplois et des demandes de précisions inutiles. »

Quelques jours plus tard, c'était au tour du Premier ministre, M. Mario Frick d'admettre, après la visite du chef de la diplomatie Suisse, M. Joseph Deiss, que le Liechtenstein connaissait « certaines faiblesses » sur la question de l'entraide judiciaire et de la lutte anti-blanchiment.

Le Gouvernement de Vaduz proposait notamment de soumettre au Parlement en avril une simplification de la procédure de blocage des comptes bancaire suspects en n'exigeant plus préalablement une décision de justice du pays demandeur.

A l'automne prochain le Parlement du Liechtenstein devrait discuter d'une réforme du système judiciaire.

Le 10 mars, la Mission a reçu à nouveau des autorités du Liechtenstein le courrier suivant présentant les diverses mesures législatives que le Liechtenstein envisage d'adopter, afin de désamorcer les critiques dont il fait l'objet de toutes parts.

Projet de loi nouvelle sur l'entraide judiciaire
Extrait de l'exposé des motifs

« En ce qui concerne l'entraide judiciaire dans des affaires pénales, il a fallu reconnaître que la procédure du Liechtenstein en matière d'entraide judiciaire est empreinte d'un formalisme qui pouvait dans des cas particuliers provoquer un retard inconvenant pour une entraide judiciaire efficace. Cela concerne en particulier la séparation de la procédure en deux parties, une procédure de recevabilité formelle et une procédure d'exécution matérielle ce qui est associé à des possibilités juridiques en nombre inhabituel. Une révision en cours de préparation de la loi d'entraide judiciaire en matière pénale doit rendre plus stricte la procédure d'entraide judiciaire si bien que le Liechtenstein pourra à l'avenir fournir un aide rapide et fiable dans le domaine de la lutte contre le crime. Pour être complet il convient néanmoins d'indiquer que jusqu'à présent environ 90 % de toutes les requêtes d'entraide judiciaire ont pu être règles rapidement et sans problème. »

10 mars 2000.

Cette nouvelle loi, trempée dans une autosatisfaction confinant à l'arrogance, est très insuffisante, et ne réglera rien, si le Liechtenstein ne va pas plus loin en supprimant la totalité des filtres, des contrôles et voies de recours, comme tel est le cas dans la quasi totalité des pays européens.

2.- Sur le mauvais traitement des commissions rogatoires internationales

La rencontre avec le Ministre de la justice M. Heinz Frommelt et le chef du service juridique du Gouvernement, M. Norbert Marxer a permis à la Mission l'occasion d'évoquer le sort réservé à plusieurs demandes d'informations des magistrats français concernant des affaires importantes en cours de jugement. Le Rapporteur a notamment exprimé son indignation de voir que dans des cas aussi graves, les autorités du Liechtenstein, sous la signature de M. Norbert Marxer, n'éprouvaient aucune gène à refuser l'entraide judiciaire en répondant par lettre stéréotypée reprenant exactement les mêmes motifs.

Poussé dans ses retranchements, au vu des différents cas concrets qui venaient de lui être communiqués, le Ministre de la justice a admis devant la Mission « Je peux vous dire que ce sont des cas connus. Nous savons, nous partageons votre avis, que ce sont des cas graves. (...) nous avons la volonté, je l'ai dit lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre de la justice il y a deux ans, de modifier la législation. »

M. Norbert Marxer, quant à lui, s'est contenté de déclarer « en ce qui concerne ces lettres stéréotypées, je crois qu'il faut voir que cela offre la possibilité d'aller plus rapidement. C'est une manière d'accélérer les procédures et permettre moins de réclamations (...) ». Lorsqu'on connaît les délais dans lesquels les magistrats du Liechtenstein daignent apporter une réponse qui généralement se solde par un refus de coopération, l'argument de célérité ainsi avancé, était véritablement des plus inattendus.

Votre Rapporteur ne cédant pas à cette provocation a évoqué au contraire « le ton de la gentillesse et de l'amitié » qui s'était installé dans cet entretien et a profité de la circonstance pour transmettre à nouveau trois affaires traitées par les juges Joly, Wirz et Emery, l'une de corruption politique, l'autre de corruption économique et la troisième de blanchiment pur.

S'adressant à M. Norbert Marxer, votre Rapporteur lui a alors déclaré « je souhaiterais que nous puissions communiquer ensemble sur les raisons pour lesquelles ces trois dossiers ont échoué et sur les moyens que vous pouvez, dans le cadre de la législation actuelle, avant sa modification, accorder pour qu'ils aboutissent, comme vous l'avez fait avec M. Perraudin. ».

M. Norbert Marxer s'est dit prêt à accepter cette proposition.

Sur la foi de cet engagement, la Mission a repris contact avec les autorités du Liechtenstein pour s'entretenir des suites qu'elles entendent donner à ces trois demandes précises.

Par lettre du 21 janvier 2000, le Ministre de la justice rappelait au Président de la Mission « au cas où vous entendriez, dans le cadre de vos activités, des plaintes relatives à l'entraide judiciaire accordée par les autorités du Liechtenstein, je vous saurais gré de bien vouloir me communiquer des cas concrets pour que le Ministère de la justice puisse intervenir auprès des autorités concernées en vue d'une accélération du traitement des demandes. »

Les juges d'instruction français et les parquets compétents qui lisent ce rapport pourront donc utilement nous saisir pour faire avancer leurs commissions rogatoires.

Courrier adressé en date du 24 mars 2000
par M. Arnaud Montebourg, Rapporteur de la mission
à M. Heinz Frommelt, Ministre de la justice au Liechtenstein.

« Monsieur le Ministre,

La Mission dont je suis le rapporteur, accuse volontiers réception de la lettre du 10 mars 2000, émanant de l'Office des Affaires Etrangères de la Principauté du Liechtenstein. Elle contient plusieurs intentions de modifications de votre législation concernant la suppression de la preuve de l'élément intentionnel dans l'infraction de blanchiment ainsi que diverses mesures relatives aux obligations de diligence pesant sur les intermédiaires financiers.

Ces projets ne paraissent pas contenir les réponses de nature à satisfaire les lourdes préoccupations exprimées par notre Mission lors de sa venue à Vaduz le 14 janvier dernier.

Il ne semble pas, en effet, que la réforme du droit des sociétés permettrait une meilleure identification des ayants droit économiques, bénéficiaires réels des fonds anonymement déposés dans des fondations, trusts ou anstalts, dont je déduis que le développement constant et exponentiel ces dernières années reste une priorité de votre gouvernement.

Je n'ai pas davantage perçu votre intention de supprimer toute possibilité de voie de recours ou de contrôle politique ou administratif à l'encontre des demandes d'entraide fondées sur la Convention européenne du 20 avril 1959.

Nous avions enfin, lors de notre voyage à Vaduz rappelé le vif intérêt que nous portions au traitement, que vous vous êtes personnellement par écrit ainsi que de vive voix engagé à accorder à trois commissions rogatoires demandées, dans des affaires judiciaires graves, par les juges d'instruction français Joly, Wirz et Emery.

Il faut malheureusement reconnaître que près de trois mois après l'expression de ces engagements, aucun changement n'est intervenu concernant ces demandes, dont vous avez pourtant reconnu la légitimité et la sensibilité.

Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, à l'expression de mes sentiments distingués. »

CONCLUSIONS : DES SANCTIONS CONTRE LE LIECHTENSTEIN ?

A n'en pas douter, le Liechtenstein devrait figurer dans la liste des Etats et territoires non coopératifs que le GAFI publiera prochainement. Il satisfait en effet à la plupart des 24 critères d'identification des mauvais éléments de la communauté financière internationale et notamment à ceux qui empêchent l'aboutissement pratique du combat contre le blanchiment : absence de contrôle effectif du secteur financier, insuffisance des obligations d'identification des clients, des institutions financières ou des bénéficiaires des entreprises, caractère excessif des régimes de secret, obstacles à la coopération administrative et judiciaire internationale.

Il faut dès lors s'interroger sur les conséquences d'une telle mise à l'index. La France est, avec les Etats-Unis, le premier pays à modifier sa législation afin de tirer les leçons du travail d'analyse et d'enquête du GAFI.

Le projet de loi sur « les Nouvelles Régulations Economiques » contient un important volet consacré à l'amélioration des instruments de lutte contre le blanchiment.

Parmi ceux-ci figurent l'obligation systématique de déclaration à TRACFIN des opérations financières importantes faisant intervenir un centre offshore non coopératif et la possibilité, pour le Gouvernement, de restreindre ou mettre un terme à ces opérations, pour des motifs d'ordre public.

Cette législation est courageuse puisqu'elle peut avoir pour conséquence une baisse du volume d'affaires de la place de Paris mais elle est aussi exemplaire et témoigne de l'authenticité et de la solidité de l'engagement du Gouvernement français dans ce combat.

Le Liechtenstein pourrait constituer un premier cas d'application de cette législation qui ne sera toutefois pleinement efficace que lorsqu'elle sera adoptée par l'ensemble des pays industriels afin de mettre au ban de la communauté internationale les Etats qui ne méritent pas d'y être intégrés.

*

* *

EXAMEN DU RAPPORT

La Mission d'information a procédé à l'examen de la monographie sur la Principauté du Liechtenstein (tome I, volume 1 du rapport de la Mission) de M. Arnaud Montebourg, Rapporteur, au cours de sa séance du mercredi 29 mars 2000.

*

* *

Le Président Vincent Peillon a tout d'abord rappelé que la Mission avait décidé, lors de sa réunion du 1er mars 2000, de publier une série de monographies consacrées à certains des pays, dans lesquels elle s'est rendue, dont le dispositif de lutte contre le blanchiment et la qualité de leur coopération judiciaire ont fait l'objet de critiques.

Avant de laisser la parole au rapporteur Arnaud Montebourg pour une présentation de la monographie sur la Principauté du Liechtenstein, le Président a indiqué que les groupes parlementaires disposaient d'un délai de 48 heures pour faire connaître leurs observations et explications de vote qui seraient annexées au rapport et a précisé que la monographie concernant la Principauté de Monaco serait examinée par la Mission le 3 mai et celle sur le Luxembourg le 30 mai.

M. Arnaud Montebourg, rapporteur a présenté les conditions dans lesquelles la Mission avait travaillé et recueilli un ensemble d'informations relatives au Liechtenstein, tant de la part des experts que des personnels diplomatiques ou des magistrats français et européens, italiens et suisses notamment.

Il a rappelé que la Mission s'était appuyée sur des documents précis transmis par ces magistrats témoignant très concrètement des obstacles et de l'attitude dilatoire des autorités du Liechtenstein en matière de coopération judiciaire.

Il a indiqué que, dans ce contexte, le déplacement de la Mission avait eu pour objectif d'obtenir du Liechtenstein des explications sur les reproches qui lui étaient adressés mais aussi une prise de position politique sur la situation actuelle et future de cette Principauté caractérisée non seulement par le secret bancaire mais aussi et surtout par le secret des affaires voire même le secret fiduciaire.

Il a reconnu que l'état des lieux dressé par la Mission était fort sévère mais qu'il n'était que l'aboutissement logique d'un système volontairement et méthodiquement élaboré par le Liechtenstein.

Le Rapporteur a ainsi rappelé que sous l'effet conjugué des différents facteurs suivants :

- l'existence de structures et de mécanismes juridiques tout à fait spécifiques en Europe - Anstalt, fondations... - et qui sont décrits dans le rapport,

- la pratique du secret et de l'anonymat érigés en mode de vie,

- l'absence d'une législation anti-blanchiment réellement efficace et correctement appliquée,

- le refus quasi systématique de coopération judiciaire en matière pénale,

le Liechtenstein constituait aujourd'hui le lieu de convergence où se retrouvent les fonds de la mafia, du terrorisme et de la corruption politique mais aussi les demandes de commissions rogatoires internationales adressées par les juges étrangers qui n'obtiennent aucune réponse.

Il a souligné que le travail de la Mission, qui n'a pas hésité à poser aux autorités du Liechtenstein les questions qui fâchent, ne constituait pas une démarche isolée. Il a ainsi rappelé le choix de l'Allemagne de faire appel à ses services secrets du BND qui, après avoir procédé à un travail d'écoutes et intercepté des données bancaires et financières, ont établi un rapport extrêmement négatif sur le Liechtenstein, dénonçant la collusion et la complicité de notables financiers ou d'avocats acceptant de blanchir les fonds criminels des plus grands cartels de la drogue.

Le Rapporteur a indiqué que ce document largement commenté dans la presse allemande et publié de façon anonyme dans le journal Le Monde était parvenu à la Mission dans sa version intégrale et nominative.

Il a précisé que compte tenu des accusations extrêmement graves portées contre les personnes citées, il n'était pas paru possible à la Mission de publier ce rapport qui restait cependant accessible en consultation aux membres de la Mission.

Il a rappelé que les Italiens excédés eux aussi par l'attitude du Liechtenstein avaient pour leur part décidé d'y envoyer officiellement une délégation de magistrats pour négocier un déblocage des commissions rogatoires concernant des affaires politiques graves et totalement enlisées à Vaduz.

Les Anglais ont quant à eux choisi de traiter via le Foreign Office de la question de fonds alimentant le terrorisme et s'abritant au Liechtenstein.

A ces initiatives s'ajoute celle de la Suisse qui ne cache plus son mécontentement et n'hésite pas à faire pression officiellement sur le Liechtenstein, celle de l'Union européenne qui vient de confier à la Commission européenne le soin de mener une enquête sur la situation de ce pays, celle enfin du GAFI qui a récemment publié la liste des critères qui caractérisent les territoires non coopératifs et auxquels le Liechtenstein répond en tout point.

La question de la sanction politique du Liechtenstein se pose donc pleinement si cet Etat continue à se dérober de la sorte à ses obligations vis à vis de la Communauté internationale.

Le Rapporteur a conclu en indiquant que le projet de loi relatif aux Nouvelles Régulations Economiques, auquel la Mission apportera sa contribution par voie d'amendements, prévoit dans son volet blanchiment, cette possibilité pour la France d'intervenir unilatéralement pour sanctionner ou limiter des échanges avec ces territoires jugés non coopératifs.

M. Gilbert Le Bris a constaté que le Liechtenstein était constamment évoqué comme le pays du blanchiment discret voire « honteux » à la différence des centres offshore exotiques bien connus de la planète.

Il a rappelé que le Ministre allemand des Finances avait qualifié le Liechtenstein de « ver dans le fruit » européen et a souligné tout l'intérêt et l'efficacité du travail de la Mission qui, s'inscrivant au-delà du cadre purement national, a su trouver les appuis nécessaires pour soulever les questions qui dérangent.

M. Michel Hunault a déclaré qu'il se désolidarisait personnellement du contenu de ce rapport qui contient des accusations très graves en affirmant notamment que le Liechtenstein prospère grâce à l'argent du terrorisme, de la mafia ou des caisses noires.

Il a rappelé que le Liechtenstein avait adhéré à la Convention du 20 avril 1959 sur l'entraide judiciaire en matière pénale qu'il disposait par ailleurs d'une législation anti-blanchiment et qu'il existait dans son code pénal une incrimination spécifique de blanchiment.

Il a indiqué que la Principauté du Liechtenstein, membre de l'Espace Economique Européen avait également signé la Convention de Strasbourg de 1990 et que les engagements qu'elle venait de prendre pour modifier sa législation témoignait d'une volonté de lutter contre le blanchiment des capitaux.

Le Président Vincent Peillon a estimé que le problème qui se pose en l'occurrence est celui de l'exemplarité dans cette lutte contre le blanchiment. Il a rappelé la volonté du Gouvernement français d'adopter une attitude offensive comme en témoigne le nouveau dispositif anti-blanchiment contenu dans le projet de loi sur les Nouvelles Régulations Economiques.

La France étant bien décidée à montrer l'exemple, la Mission a choisi de créer le mouvement en rencontrant systématiquement, lors de chacun de ses déplacements, les parlementaires chargés de ces questions en vue d'établir un échange permanent d'information et d'élaborer un travail commun.

C'est dans cet esprit que le Président de la Chambre des Députés italienne Luciano Violante a rappelé à la Mission toute l'importance qu'il attachait à cette relation interparlementaire et donné son approbation au prononcé de sanctions contre les centres offshore.

M. Christian Paul a salué la qualité des investigations menées avec courage et acharnement par la Mission et s'est dit surpris de la réaction de son collègue Michel Hunault.

Face à ce travail méthodique étayé par des témoignages et des documents, il a mis sur le compte d'une opposition de principe la position adoptée par un représentant de l'opposition.

Le Rapporteur s'est dit extrêmement surpris que M. Michel Hunault, Rapporteur de la loi anti-blanchiment de 1996, qui constitue un des éléments majeurs de notre dispositif législatif, ait exprimé un tel désaccord sur le rapport de la Mission.

Il a rappelé que la signature d'une Convention se distinguait de la façon dont celle-ci était réellement appliquée par l'Etat signataire et a précisé que le Liechtenstein n'avait toujours pas ratifié la Convention de Strasbourg de 1990 relative à la lutte contre le blanchiment et à la saisie des produits du crime.

Il a de nouveau insisté sur le fait que les conclusions auxquelles la Mission est parvenue, résultent de la collecte de faits et d'éléments précis transmis par des autorités diplomatiques et judiciaires se heurtant, elles aussi, à la non coopération du Liechtenstein et a conclu en déclarant que ces accusations graves portés contre le Liechtenstein reposaient sur des faits qui ne l'étaient pas moins.

La Mission s'est prononcée pour la publication du rapport consacré à la monographie traitant du Liechtenstein.

AUDITIONS

Audition de MM Patrick RITTER,
Collaborateur diplomatique de l'Office pour les affaires étrangères,

et Christian NÄSCHER,
Collaborateur juridique auprès du service juridique
du Gouvernement du Liechtenstein

(procès-verbal de la séance du 14 janvier 2000 au Liechtenstein)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. Patrick RITTER : Nous aurons tout d'abord une présentation faite par M. Christian Näscher, collaborateur juridique auprès du service juridique du Gouvernement. M. Norbert Marxer, le chef de ce service, nous rejoindra, pour sa part, à midi, où nous aurons une réunion avec le président de notre parlement, M. Peter Wolff, ainsi qu'avec le directeur de l'autorité de surveillance financière (AFDL), M. Roland Müller et M. Uwe Langenbahn, chef de l'état-major de la police nationale.

D'ici là, nous disposons d'une heure pour vous faire une présentation, qui nous permettra d'être précis dans la discussion, le but étant de vous donner les informations de base à partir desquelles vous pourrez poser des questions à nos experts.

M. Christian NÄSCHER : J'ai l'honneur de vous présenter la situation actuelle dans la principauté du Liechtenstein concernant le blanchiment d'argent ainsi que toutes les mesures de contrôle qui ont été prises. Je ferai tout d'abord quelques remarques générales décrivant la place financière du Liechtenstein. Je présenterai ensuite les mesures et les dispositions légales existant en la matière. Je vous parlerai enfin des mesures d'organisation dans la lutte contre le blanchiment d'argent et de toutes les institutions impliquées dans ce contrôle.

La place financière du Liechtenstein, en application du Traité monétaire de 1980, est étroitement liée à la place suisse puisque toutes les dispositions suisses concernant la politique monétaire sont également applicables au Liechtenstein. La banque nationale suisse a les mêmes compétences envers les banques du Liechtenstein qu'envers les banques suisses, et n'établit aucune différence dans sa façon de les traiter. Les banques du Liechtenstein sont membres de l'Association des banques suisses et ont signé pour la plupart des conventions de l'Association des banques suisses.

Les trois principales banques, à savoir la Liechtensteinische Landesbank AG, la Verwaltungs und Privat-Bank AG, dont les actions et les titres de participation sont cotés à la banque de Zurich, ainsi que la LGT Bank in Liechtenstein AG comptent parmi les vingt plus grosses banques de Suisse et sont des banques universelles modernes, alors que la Neue Bank AG et la Centrum Bank AG sont de petites banques, essentiellement spécialisées en conseil de clientèle privée.

Au cours de la période 1997-1999, huit autres banques ont obtenu une licence en application du droit du Liechtenstein. Ces nouvelles banques travaillent aussi essentiellement dans le domaine du private banking. Il n'existe au Liechtenstein aucune filiale de banques étrangères, simplement huit succursales autonomes d'un point de vue légal, avec un actionnariat étranger.

Le Liechtenstein n'a pas sa propre bourse des valeurs. Par conséquent, une part importante du chiffre d'affaires boursier est réalisée sur les places suisses par l'intermédiaire de banques suisses.

Les banques, les sociétés financières et les entreprises d'investissement doivent, pour exercer leur activité, obtenir une licence du Gouvernement. Cette licence n'est accordée que si certaines conditions préalables sont satisfaites concernant notamment la forme juridique, le capital, une bonne activité de gestion de la part de la direction, du conseil de surveillance et des actionnaires ainsi que l'organisation de la révision comptable.

En raison de la petite taille du pays, on ne trouve pas au Liechtenstein les formes habituelles de criminalité organisée comme le trafic de drogue organisé, la prostitution, le trafic d'armes ou le terrorisme. Le blanchiment d'argent, s'il existe, se fait uniquement sous la forme de tentatives de placement au Liechtenstein de sommes provenant d'actes criminels commis à l'étranger. Les fonds illégaux proviennent essentiellement du trafic de drogue et de divers délits patrimoniaux, en particulier l'escroquerie de placements. L'analyse des cas de blanchiment supposés montre que les comptes au Liechtenstein sont essentiellement utilisés comme comptes de passage, au stade du camouflage. Dans quelques cas seulement, on essaie d'éliminer toute trace écrite en déposant de l'argent liquide au guichet.

En tant que membre de l'Espace économique européen, le Liechtenstein a transposé dans sa législation les dispositions de la directive communautaire de 1991 relative au blanchiment d'argent. Le 4 novembre 1998, l'ESA, l'autorité de surveillance de l'AELE a, conformément à cet accord, publié un rapport relatif à la transposition de cette directive dans les législations de l'Islande, du Liechtenstein et de la Norvège. Dans ses conclusions L'ESA estime : « En général, l'autorité considère que la mise en _uvre de cette directive est très satisfaisante dans ces trois pays de l'AELE. Dans certains cas, les mesures nationales visant à mettre en _uvre cette directive assurent un régime plus exhaustif que celui prévu par la directive. » Les détails de ces mesures de transposition au Liechtenstein sont décrits ci-après.

La politique actuelle du Gouvernement du Liechtenstein dans ce domaine répond aux objectifs suivants : la mise en place d'une unité spéciale, la Financial Intelligence Unit, chargée de s'occuper des délits économiques en général et du blanchiment d'argent en particulier ; des programmes de formation pour les membres des instances devant s'occuper de cas de blanchiment ; la prévention contre l'utilisation délictueuse des banques du Liechtenstein et de son économie à des fins de blanchiment.

En outre, le Gouvernement prépare la ratification de la Convention de Strasbourg de 1990 relative au blanchiment d'argent ainsi que la détection, la saisie et la confiscation des produits provenant d'actes criminels.

M. Patrick RITTER : Le Gouvernement vient de soumettre cette semaine au Parlement le projet de loi qui permet la ratification de cette Convention.

M. Christian NÄSCHER : Le code pénal liechtensteinois reprend dans son ensemble le code pénal autrichien. Ainsi, l'incrimination de blanchiment, introduite en 1996, à l'article 165 du code pénal du Liechtenstein reprend la formulation du code pénal autrichien.

Avant l'introduction de l'incrimination spécifique de blanchiment d'argent dans le code pénal, les infractions à l'origine du blanchiment étaient celles liés au trafic de drogue et pour lesquelles l'auteur du blanchiment pouvait être aussi l'auteur du délit de drogue - articles 20 et 20 A de la loi sur les stupéfiants.

Cette approche différente vient de ce que la loi sur les stupéfiants a été élaborée sur la base de la loi suisse correspondante parce que l'union douanière et l'ouverture des frontières avec la Suisse exige une collaboration étroite en matière de politique anti-drogue.

Peu après l'introduction de l'incrimination de blanchiment dans le code pénal, la loi concernant l'obligation de diligence accrue pour l'acceptation de fonds est entrée en vigueur. Cette loi sur le devoir de diligence a remplacé le 1er janvier 1997 la Convention sur l'obligation de diligence conclue entre le Gouvernement et les banques, étendant cette obligation de diligence à d'autres professions, qui sont également liées par le secret professionnel, tels les banquiers, les sociétés financières, les avocats, les personnes physiques et morales, les personnes ayant une licence d'agent fiduciaire, les gérants et représentants de sociétés fiduciaires, de sociétés d'investissements, de compagnies d'assurance proposant des assurances vies directes, de filiales de banques étrangères, de sociétés chargées de valeurs, les agents juridiques ainsi que la Poste du Liechtenstein.

De plus, des dispositions pénales plus sévères ont été intégrées dans la loi. Les personnes soumises à cette loi sont tenues à une plus grande diligence lors de l'acceptation de titres de valeur. En cas de soupçon de blanchiment, elles doivent en avertir l'Office des services financiers, l'AFDL, et peuvent en avertir le Procureur général. En cas de doute sur le respect des dispositions de la loi, cet office chargé de la surveillance financière peut ordonner des contrôles et des vérifications relatifs à la qualité de l'identification, etc.

La possibilité de blanchiment est donc très fortement restreinte. L'introduction de ces dispositions a demandé aux personnes soumises à cette loi des changements et des adaptations relativement importants. Entre-temps, de nombreuses questions de détail et d'interprétation furent élucidées. En collaboration avec plusieurs associations économiques, une checklist, un programme de contrôle ainsi que le contenu minimal des rapports furent élaborés afin d'assurer l'application d'un minimum de règles « standard » et de prévenir toute violation de la loi.

Nous en venons aux mesures organisationnelles de la lutte contre le blanchiment.

Le Gouvernement est l'organe de surveillance majeur pour assurer le respect de toutes ces lois. Le Gouvernement accorde et retire les autorisations conformément à la loi sur les banques, la loi sur les sociétés d'investissements et la loi sur les assurances. L'octroi de ces autorisations, concernant les avocats, les administrateurs de biens, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, relève également du Gouvernement, mais cette compétence a été déléguée par ordonnance à l'Office des services financiers, l'AFDL.

Celui-ci contrôle la bonne exécution des lois concernant la place financière. Il bénéficie de compétences élargies. Normalement, les banques, les sociétés financières et les sociétés d'investissement sont contrôlées par des services de révision spécifiques. Cela signifie que l'AFDL n'entreprend aucun contrôle direct mais exerce son activité de surveillance sur la base des rapports de révision très détaillés. Mais l'AFDL peut également demander des contrôles exceptionnels, les effectuer lui-même et exiger tous les renseignements et éclaircissements nécessaires. Cet office a également la possibilité d'effectuer des contrôles aux termes de la loi sur l'obligation de diligence auprès des avocats, des personnes physiques et morales ayant la licence d'agent fiduciaire ainsi que des agents juridiques.

Puis, l'autorité, dite de l'économie nationale, surveille en tant qu'autorité compétente, le respect de la loi dans le domaine de la surveillance des assurances.

Le Procureur général et le parquet participent, notamment à toutes les enquêtes et audiences qui sont tenues en raison des crimes, délits et infractions et tous les actes pénaux portés à la connaissance du parquet sont poursuivis d'office et transmis pour examen et sanctions aux tribunaux compétents.

La police nationale est l'autorité compétente chargée des enquêtes au pénal. Elle entreprend, par exemple, des perquisitions à domicile sur mandat des autorités d'enquête. Le tribunal est chargé de la conduite des enquêtes, des procédures et des jugements. Il est en outre compétent, dans le domaine de l'entraide judiciaire, pour l'examen et l'acceptation des commissions rogatoires.

M. Patrick RITTER : Pour les commissions rogatoires, il y a aussi une procédure administrative. Cela sera développé ultérieurement.

M. Christian NÄSCHER : Nous en venons aux différents services de révision et de contrôle.

Les services de révision, conformément aux lois sur les banques, sur les sociétés d'investissement et sur les assurances, contrôlent les entreprises qui y sont soumises pour ce qui est du respect des dispositions de la loi sur l'obligation de diligence. Pour effectuer ces contrôles et ces examens, il faut être expert-comptable ou commissaire aux comptes et disposer d'une autorisation conforme à la loi du 9 décembre 1992 sur les experts-comptables et les commissaires aux comptes.

Toutes les personnes soumises à la loi sur l'obligation de diligence sont tenues de relever l'identité de leur client sur la base d'un document probant. De plus, il leur faut identifier l'ayant droit, lorsqu'elles doutent que la partie contractante soit l'ayant droit, lorsque le montant de l'opération est supérieur à 25 000 francs suisses ou lorsque la relation commerciale a été établie uniquement par correspondance. Si au cours d'une relation commerciale, il y a un soupçon de blanchiment d'argent, il leur faut entreprendre une recherche d'explication approfondie. Si le soupçon n'est pas levé, il y a obligation de déclaration à l'Office des services financiers et droit de déclaration au parquet général.

En outre, il leur faut tenir une documentation sur les relations avec le client pour qu'une tierce personne experte puisse constater le respect des dispositions de la loi. Toutes les pièces et documents comptables doivent être établis et conservés pour permettre une information des tribunaux ou pour permettre également des ordonnances de saisie dans un délai approprié.

Les chambres syndicales économiques remplissent également des fonctions importantes, notamment en ce qui concerne la transmission d'informations et l'élaboration et la mise en _uvre de règles déontologiques. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l'obligation de diligence, ces différentes chambres ont organisé des conférences et des forums de discussion. Au cours de la première année de l'entrée en vigueur de la loi sur l'obligation de diligence, les unions d'agents fiduciaires et d'avocats ont établi, en collaboration avec l'Office des services financiers, une checklist pour l'établissement de la documentation concernant les relations avec le client, un programme de contrôle et le contenu minimum du rapport de révision des commissaires aux comptes. L'objectif premier visait à assurer une certaine qualité et à introduire des normes minimales.

L'association des banques comprend actuellement les cinq grandes banques. Les autres n'ont été fondées que récemment, mais les autorités souhaitent que ces nouvelles banques adhèrent également à cette association. Des entretiens dans ce sens sont en cours. Un groupe de travail permanent de l'association des banques, composé des chefs des services juridiques des banques membres s'occupe actuellement de l'élaboration de lignes directrices déontologiques visant, entre autres, à empêcher le blanchiment d'argent.

La chambre des avocats compte, pour sa part, tous les avocats inscrits sur la liste du Gouvernement. L'inscription sur cette liste est obligatoire pour pouvoir exercer la profession d'avocat au Liechtenstein. Cette inscription ne se fait que lorsque différents critères, concernant la capacité d'exercice, la fiabilité, la nationalité, le domicile, les études, l'activité pratique ainsi que l'examen d'avocat, sont satisfaits. La chambre des avocats a l'obligation de veiller à l'honneur, à la réputation et au droit, mais aussi au respect des devoirs des avocats. Cette chambre est soumise au contrôle du Gouvernement. Le pouvoir disciplinaire sur les avocats est exercé par le tribunal de grande instance.

La même chose vaut pour l'association des agents fiduciaires qui sont organisés comme la chambre des avocats, soumis également au contrôle du Gouvernement et au pouvoir disciplinaire du tribunal de grande instance.

L'office central est l'Office des services financiers. Il fixe la coordination entre les différentes instances. Du fait de la petitesse du pays et de la proximité géographique des différentes autorités chargées de la lutte contre le blanchiment, une coordination supplémentaire n'est pas nécessaire. Les contacts formels se doublent de nombreux contacts informels. Les distances entre les différentes instances sont courtes et peu de services sont impliqués. De plus, des rencontres régulières se tiennent entre les différentes associations économiques, les diverses autorités et le Procureur général au niveau gouvernemental.

Les collaborateurs des services compétents participent régulièrement à des cours et des conférences dans notre pays et à l'étranger. Ils se réfèrent aussi, bien évidemment, à des ouvrages techniques sur la question. Du fait de leur participation à des réunions internationales, par exemple au Contact Committee On Money Laundering de l'Union européenne ou encore au Banking Advisory Committee de l'Union européenne, et de la collaboration entre les autorités européennes de surveillance bancaire, l'échange d'expériences est garanti au plan international. Un échange régulier d'informations a également lieu avec les personnes soumises à la loi sur l'obligation de diligence. En outre, les contacts bilatéraux avec la Suisse, en particulier entre les services suisses de déclaration de soupçon de blanchiment et l'Office des services financiers sont soigneusement entretenus.

Quant à la collaboration internationale, le Liechtenstein est depuis le 26 janvier 1970 membre de la Convention européenne sur l'entraide judiciaire en matière pénale. Avec la loi sur l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, cette convention constituait jusqu'alors la base juridique de toutes les procédures d'assistance judiciaire. Le principal avantage lié à l'introduction du délit pour fait de blanchiment réside principalement dans le fait que, depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, il existe maintenant une réciprocité. Les tribunaux du Liechtenstein peuvent accorder leur aide judiciaire conformément à la Convention européenne sur l'entraide judiciaire aux tribunaux étrangers en matière pénale et peuvent également bloquer des comptes et saisir des fonds dans le cadre de l'enquête judiciaire.

L'article 20 de la loi sur l'entraide judiciaire prévoit en plus la recevabilité et les conditions préalables des mesures préventives. De telles mesures peuvent être prises lorsqu'elles sont recevables aux termes du droit national du Liechtenstein et que l'entraide judiciaire n'apparaît pas, de toute évidence, inutile ou non recevable. En cas de mise en demeure, de telles mesures peuvent être présentées sur demande du Gouvernement, sans audition préalable des personnes concernées, dès lors que des indications sont suffisantes pour pouvoir juger des conditions préalables.

L'exécution de l'entraide judiciaire est soumise à plusieurs étapes.

La première étape est une procédure administrative qui décide de la recevabilité de la commission rogatoire. C'est donc un contrôle politique et juridique formel. La deuxième comprend la saisie des tribunaux qui procèdent à un contrôle matériel et juridique. Les tribunaux appliquent le droit national, c'est-à-dire que, pour les saisies, les blocages de comptes, etc., le code de procédure pénale du 18 octobre 1988 s'applique. La troisième étape comprend l'exécution de la commission rogatoire, exécutée dans le cadre d'une procédure administrative.

Par l'introduction du paragraphe 97a du code de procédure pénale, on a crée la possibilité d'ordonner et de prendre des mesures de sécurité et d'avoir une disposition efficace permettant le blocage de comptes.

Le Liechtenstein n'a ni signé ni ratifié la Convention de Vienne de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. En raison de l'union douanière et de l'ouverture des frontières avec la Suisse, une éventuelle adhésion du Liechtenstein à cette Convention ne peut se faire qu'en parallèle avec la Suisse. Les dispositions de cette Convention consacrée à la lutte contre le blanchiment d'argent dans le contexte de délits de drogue sont toutefois prises en compte dans la législation du Liechtenstein.

Le Liechtenstein a signé la Convention de Strasbourg du 29 juin 1990. Les travaux préparatoires internes visant à la ratification sont très avancés. Le Gouvernement a tout récemment, le 11 janvier, donné son accord. Il est prévu de soumettre au Parlement, au cours du premier semestre de cette année, un projet de loi de ratification de cette Convention, et prévoyant les adaptations nécessaires du droit interne du Liechtenstein. Les travaux préparatoires en vue de la ratification ont été rendus difficiles par le fait que les dispositions législatives en vigueur du code de procédure pénale et l'entraide judiciaire internationale reposent sur des systèmes différents, autrichien et suisse.

Audition de M. Heinz FROMMELT, Ministre de la justice,

M. Peter WOLFF, Président du Parlement du Liechtenstein,

M. Roland MULLER,
Chef de l'autorité de surveillance du secteur financier,

M. Christian RITTER, Magistrat,

M. Norbert MARXER,
Chef du service juridique du Gouvernement,

M. Gerd ZIMMERMANN, Adjoint au chef du service juridique
du Gouvernement du Liechtenstein

(procès-verbal de la séance du 14 janvier 2000 au Liechtenstein)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Je vous remercie d'avoir accepté de nous recevoir. Vous le savez, il est pour nous important d'avoir un échange qui ne soit pas seulement une discussion entre experts, mais un échange politique sur les questions qui nous préoccupent et préoccupent l'ensemble des gouvernements et des parlements, en Europe et au-delà, à savoir la question du blanchiment et celles qui y sont liées, la coopération judiciaire et, bien entendu, le droit des sociétés.

M. Heinz FROMMELT : Je vous remercie de votre visite. Nous n'étions pas préparés à voir tant de journalistes, mais j'espère que vous avez reçu toutes les informations voulues sur notre système juridique et la législation de notre pays et je suis tout à fait disposé à répondre à toutes vos questions, en collaboration avec M. Peter Wolff, le président de notre parlement.

M. le Président : Comme nous sommes bien informés, nous allons aller tout de suite aux questions qui nous semblent poser problème.

La mission d'information que je préside se rend dans tous les pays d'Europe et cherche à comprendre quels sont les obstacles à la lutte contre le blanchiment. Partout où nous allons, ces obstacles sont les mêmes. Il y en a deux principaux.

Le premier tient au droit des sociétés et à la capacité que l'on a d'identifier des ayants droit économiques qui se cachent réellement derrière un certain nombre de sociétés. Très souvent, on entend dire que les structures juridiques existantes au Liechtenstein
- fondation, Anstalt - permettent rop de dissimuler l'identité des ayants droit économiques.

Le second est celui de l'entraide judiciaire. Partout, en Europe, des juges nous ont dit que lorsqu'ils envoient des commissions rogatoires internationales sur des affaires pénales au Liechtenstein, ils n'obtiennent pas les réponses qui leur permettraient de poursuivre leurs enquêtes.

Je voudrais que nous ayons un échange très libre sur ces deux points et que vous nous exposiez votre point de vue.

M. Heinz FROMMELT : En ce qui concerne le premier point, c'est-à-dire les institutions, les fondations, les personnes morales, il est vrai que les ayants droit économiques n'ont pas à figurer dans les registres publics, mais les personnes qui composent les conseils d'administration de ces fondations, conformément à la loi sur l'obligation de diligence, figurent dans des registres qui portent, eux, les bénéficiaires ultimes, les ayants droit véritables.

Si jamais il y a une affaire au pénal, il est donc tout à fait possible de connaître ces ayants droit. Bien sûr, mais ce n'est pas un problème qui concerne uniquement le Liechtenstein, nous ne pouvons pas exclure que des hommes de paille soient utilisés. Nous ne pouvons pas sous-estimer non plus le fait que l'on utilise parfois des actionnaires pour faire des affaires peu claires. Mais cela, ce n'est pas spécifique au Liechtenstein.

J'en arrive ainsi tout de suite au second point et à la possibilité d'accorder de l'entraide judiciaire. Il est vrai qu'il est possible de rompre le secret, le secret professionnel des avocats, le secret bancaire, pour donner des informations sur les véritables ayants droit. Il est vrai également que nous avons parfois des plaintes de la part de juges étrangers, de différents pays, mais, malheureusement, ces plaintes nous sont adressées indirectement
- comme maintenant par vous - mais très rarement par les personnes concernées.

Il nous serait plus simple de recevoir directement de telles plaintes que nous sommes tout à fait disposés à considérer et qu'il serait plus facile de traiter si nous en connaissons le véritable motif.

M. le Président : La loi autrichienne permettait, jusqu'à il y a à peu près un an, d'ouvrir des comptes dans des banques par l'intermédiaire d'avocats, de gérants de fiduciaires, qui se portaient garants de leurs ayants droit. L'Autriche a reconnu que cela posait problème, comme vous le reconnaissez. Elle a donc modifié sa loi de telle sorte que l'on est obligé de demander, dès l'ouverture du compte, l'identité de l'ayant droit économique. Sur ce point, le Liechtenstein est-il prêt à suivre la même évolution que l'Autriche ?

M. Heinz FROMMELT : Ce qui existait en Autriche jusqu'à il y a un an, était la possibilité d'ouvrir des comptes complètement anonymes. C'est une possibilité qui n'a jamais existé dans notre pays. Ce qui est existe au Liechtenstein, c'est la possibilité pour des personnes qui sont liées par le secret professionnel, comme les avocats, d'ouvrir des comptes au nom de sociétés sans indiquer le nom de l'ayant droit. Mais, il est tout à fait possible, dans des cas d'entraide judiciaire ou dans le cadre de procédures pénales, de retracer et de connaître l'ayant droit. Nous arrivons donc au même résultat.

Nous ne pensons pas, et je ne pense pas personnellement, qu'il soit nécessaire de modifier cette disposition légale parce qu'il est toujours possible, si le cas se présente, de connaître l'ayant droit. Cette modification n'est d'ailleurs pas prévue.

M. Roland MULLER : Les agents fiduciaires, les avocats, les personnes qui sont liées par le secret professionnel sont obligés par la loi de recueillir toutes les informations nécessaires, de demander des éclaircissements et aussi, en cas de soupçons, de déclarer ces soupçons à l'autorité du service financier qui exerce le contrôle adéquat.

M. le Président : Le Liechtenstein est en train de devenir une très grande place financière, en augmentation très nette puisque j'ai cru comprendre qu'il y avait cinq banques en 1997 et onze en 1998. Je souhaiterais avoir des précisions sur l'autorité qui exerce le contrôle de ce secteur. Combien de personnes se consacrent à ce travail ? Combien de déclarations de soupçons le service de contrôle reçoit-il et combien d'entre elles ont été transmises à la justice ? Combien de condamnations y a-t-il eu, qu'il s'agisse de condamnations pour incrimination de blanchiment ou de condamnations pour non-déclaration de soupçons, non-respect de ces obligations de diligence, que ce soient des banquiers ou, puisque vous avez élargi le champ d'application, des fiduciaires ou de toute autre personne n'ayant pas respecté leurs obligations ?

M. Roland MULLER : Nous avons actuellement cinq collaborateurs chargés du contrôle, mais il est prévu d'accroître prochainement les effectifs et d'ici deux à trois ans, nous aurons dix personnes chargées du contrôle.

En ce qui concerne le nombre de déclarations prévues en raison de la loi sur l'obligation de diligence, je ne peux vous citer le chiffre exact, mais en moyenne, nous recevons vingt-cinq à trente déclarations de la part des banques, des agents fiduciaires et des avocats chaque année pour soupçon de blanchiment. Pour vous donner une idée de la répartition, la moitié provient des banques, un quart des agents fiduciaires et un quart des avocats.

La plupart de ces déclarations, après examen de la documentation correspondante, sont transmises au procureur général. Pour certaines, nous considérons que les soupçons ne sont pas justifiés. Dans ce cas, nous les renvoyons aux requérants, mais 90 % à 95 % passent en justice. La moitié des cas a déjà été traitée et la moitié est encore en suspens auprès des tribunaux.

M. le Président : Il y a donc eu plusieurs condamnations pour blanchiment par les tribunaux ici, à Vaduz.

M. Christian RITTER : Je ne connais pas précisément les chiffres, je crois qu'il y a eu un cas, mais je suis pas vraiment au courant.

Je voudrais faire remarquer que ceux qui pratiquent le blanchiment sont les mêmes que les auteurs du crime et, souvent, il s'agit de crimes tels que l'escroquerie, le vol qualifié ou le trafic de stupéfiants ; ces personnes sont donc condamnées pour ces crimes-là et non pour le blanchiment. Elles sont condamnées parce que ce sont des escrocs, des trafiquants, avant d'être des blanchisseurs.

La situation est semblable à celle qui prévaut en Autriche. En Suisse, la situation est différente parce que des escrocs peuvent être condamnés pour fait supplémentaire de blanchiment d'argent. Mais, dans notre législation, nous avons ce que l'on appelle « le privilège de l'acte à l'origine ». C'est la raison pour laquelle nos statistiques sont différentes et ne montrent peut-être pas le même nombre de condamnations pour blanchiment qu'en Suisse.

M. le Président : Quand l'autorité de contrôle est saisie d'une déclaration de soupçon, comment procède-t-elle pour faire son travail d'information et d'enquête sur cette déclaration de soupçon ? A quelle base de données ou de renseignements financiers a-t-elle recours ? Travaille-t-elle avec les autres structures similaires en Europe ? Dans quelles conditions peut-elle faire appel à la police ? Quel travail d'instruction se fait sur les déclarations de soupçons ?

M. Roland MULLER : Tout d'abord, si un service ou un individu nous déclare un soupçon, il doit nous transmettre toutes les informations utiles pour permettre de porter un jugement sur la situation. Il doit nous transmettre les états financiers, les extraits de compte, nous décrire exactement les faits.

Il est possible que nous collaborions avec la police. C'est ainsi que nous constatons parfois que certains noms réapparaissent dans les fichiers de la police. Nous disposons nous-mêmes d'une banque de données qui nous permet d'établir des relations avec d'autres cas. Il est tout à fait possible qu'une banque déclare un cas et qu'un agent fiduciaire en déclare un autre et que nous découvrions qu'il s'agit de la même affaire parce que nous avons cette possibilité d'établir des liens.

Il est rare que nous collaborions avec les autorités étrangères. A ma connaissance, notre aide n'a jamais été sollicitée dans une affaire. Et, de notre côté, nous avons peu recours à d'autres services à l'étranger.

M. le Président : Je voudrais demander au président du Parlement son sentiment sur deux points.

Tout d'abord, quelle interprétation donnez-vous de la réussite exemplaire et exponentielle du Liechtenstein, dont on ne peut que se réjouir ? En d'autres termes, qu'est-ce qui attire à ce point les banquiers et les capitaux ? Quels services le Liechtenstein apporte-t-il qui justifient et légitiment cette réussite ?

C'est peut-être de la jalousie face à cette réussite, mais nous constatons d'autre part que nous arrivons à une situation où le Liechtenstein est soupçonné, peut-être injustement - c'est, en tout cas, ce dont nous parlons en ce moment, que vous devez ressentir de façon assez vive -, dans des formes qui ne sont d'ailleurs pas toujours très directes, de participer au blanchiment. Quelle est sur ce point votre réaction en tant que président du Parlement ? Quelle stratégie entendez-vous développer pour que ces accusations, cette suspicion cessent, pour que ce climat désagréable disparaisse, sachant qu'à terme, la richesse économique, en pâtirait ?

M. Peter WOLFF : Je ne pense pas qu'on puisse parler de réussite exponentielle au cours des dernières années et le nombre de banques qui se sont installées récemment au Liechtenstein n'est pas un critère probant. Il y avait une autre législation. C'est seulement depuis notre adhésion à l'Espace économique européen et après la fin de la période de transition, qu'il a été possible pour les banques suisses et étrangères de s'installer ici pour ouvrir des succursales et des filiales. Cela explique ce chiffre de treize banques aujourd'hui au lieu de cinq banques il y a quelques années.

L'indice qui me paraît plus approprié pour expliquer une explosion du secteur des services financiers est le nombre de sociétés offshore. On constate que le nombre de ces sociétés dans notre pays reste stable, et ce depuis longtemps. Au Liechtenstein, il existait près de 70 000 sociétés holding. Leur chiffre actuel est de 80 000, soit, depuis dix ans, une croissance de l'ordre de 15 %. Ce n'est pas du tout ce que je qualifierai de croissance exponentielle, cette progression est absolument incomparable à l'explosion qui s'est produite dans les îles britanniques ou les îles Vierges, où ce sont des centaines de milliers de sociétés qui se sont créées dans la même période.

Le Liechtenstein n'est pas du tout une place appropriée pour augmenter le nombre de ses entités offshore. A cela, deux raisons essentielles : les coûts sont relativement élevés dans notre pays et les contrôles sur les fonds et les activités de ces sociétés sont beaucoup plus stricts que sur d'autres places situées en dehors de l'Europe.

Si l'on me demande quels sont les avantages qui justifieraient que des gens investissent et déposent leur argent ici, je répondrai qu'il y a d'abord un avantage lié au droit sur les sociétés ; nous avons une garantie sur les fonds, même à travers le décès d'une personne. Il y a donc une très grande sécurité que vient renforcer une très grande stabilité politique. Si quelqu'un choisit de placer son argent dans notre Principauté et non dans d'autres paradis fiscaux, tels que le Panama ou le Liberia, c'est aussi parce que le facteur risque est moins élevé au Liechtenstein que dans d'autres pays.

Le second avantage très important est lié aux charges fiscales très faibles qui existent chez nous ; sans aucun doute aussi à un certain anonymat, qui est assuré tant qu'il n'y a pas d'affaire pénale. Nous précisons tout de suite à chaque client qu'en cas de difficulté ou de procédure pénale, nous ne pouvons pas lui assurer cet anonymat.

En ce qui concerne les accusations portées à l'égard du Liechtenstein, c'est un fait très grave, mais j'ai bien lu le document, auquel vous devez faire allusion, dans lequel ne figure aucun indice concret, aucune preuve permettant à un tribunal pénal quelconque d'entamer des poursuites. Il s'agit seulement d'affirmations générales. On cite des noms et des banques, mais on ne parle d'aucune opération concrète. Aucun cas précis n'est cité qui pourrait être examiné. A mon avis, ces accusations sont tout à fait infondées. En principe, on devrait mettre à la poubelle de telles accusations. Mais ce n'est pas le cas car tout le pays est concerné et répondre cela ne suffit plus. C'est la réputation de notre pays qui est en jeu. Je pense que le Gouvernement a adopté une démarche tout à fait appropriée. Notre pays a requis un procureur spécial, le Dr. Kurt Spitzer qui vient d'Innsbruck, et qui depuis trois semaines examine dans le détail ces reproches pour voir s'ils ont le moindre fondement. Personnellement, je suis convaincu qu'à la fin de son travail, il s'avérera que ces accusations sont totalement infondées.

M. Heinz FROMMELT : J'ajouterai qu'en ce qui concerne les recherches, nous allons examiner de près tout ce qui a été reproché au Liechtenstein. Nous suivrons tous les indices pour faire ressortir si ceux-ci ont le moindre fondement ou pas, car c'est l'intérêt du Liechtenstein de poursuivre, d'éliminer, de faire cesser de telles accusations.

Le Liechtenstein a l'obligation, pas seulement lui, mais tous les pays européens et autres, de lutter contre le crime organisé et la coopération dans le domaine du blanchiment est absolument nécessaire pour réduire les chances du crime organisé dans ce domaine.

C'est la raison pour laquelle nous avons fait appel à ce procureur spécial pour qu'il soit clairement dit que le Liechtenstein est résolu à faire le nécessaire mais aussi dans l'intérêt des personnes qui ont été accusées, pour prouver que ces accusations n'ont aucun fondement.

M. le Président : Je suis très heureux, étant données nos préoccupations, de vous entendre déclarer cette volonté du Liechtenstein. C'est finalement bien que nous soyons venus dans cette période puisque cela vous permet de vous exprimer. Notre voyage était prévu de longue date et, quand cette affaire est intervenue, nous nous sommes posé la question de savoir s'il fallait venir ou pas et, finalement avons jugé préférable de venir malgré tout.

Je dois dire tout de même qu'en dehors du problème des sociétés sur lequel vous m'avez répondu, un problème revient toujours, sur lequel il faut que nous insistions : celui de la coopération judiciaire.

Je vais donner la parole à mon collègue rapporteur, M. Arnaud Montebourg, mais puisque nous allons aller pays après pays écouter ce que les uns et les autres disent, je puis vous assurer que, de façon très systématique, nos interlocuteurs nous ont dit que le Liechtenstein posait des problèmes de coopération judiciaire. Vous pouvez d'ailleurs vous aussi nous faire part des difficultés que vous rencontrez dans cette coopération.

Je voudrais que l'on puisse aujourd'hui, faits précis à l'appui, traiter cette question. Ce que vous dites est tout à fait exact sur le fond, il n'est en effet pas de l'intérêt du Liechtenstein que l'on puisse faire circuler sur lui des rumeurs de cette nature. Mais je pense que si certaines rumeurs peuvent être écoutées, c'est qu'il existe des éléments qui posent problème. Il faut le dire et il faut vouloir les traiter.

Sur ces éléments de coopération judiciaire, j'ai acquis personnellement en tant que président de la commission, l'intime conviction qu'il y avait des difficultés. J'aimerais que nous en parlions.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je dois, après le président, vous remercier de ce dialogue constructif. Ma question s'adresse à M. le ministre de la justice ainsi qu'à l'ensemble des fonctionnaires travaillant sous son autorité. Je me fais ici le porte-parole de l'exaspération des juges d'instruction français qui, lorsqu'ils ont le malheur dans une affaire de délinquance financière, de blanchiment de capitaux, de devoir s'adresser à l'institution financière du Liechtenstein, n'obtiennent que rarement, voire quasiment jamais, de réponse.

Je ne parle pas, bien sûr, de fraude fiscale. Nous n'évoquerons pas entre nous cette question. Je parle d'infractions pénales graves réprimées dans votre droit. Il n'y a donc aucune exception possible au regard de la Convention européenne d'entraide judiciaire de 1959.

J'ajoute que ce sentiment des juges d'instruction français est aussi partagé par les juges italiens qui ont fait état, dans des lettres officielles, d'éléments démontrant qu'ils ne pouvaient pas obtenir la coopération judiciaire de votre pays. Dans des affaires aussi graves que celles concernant la France, les juges italiens nous ont fait part de leurs efforts pourtant soutenus, allant même jusqu'à envoyer tout récemment dans notre pays une délégation du ministère de la justice italien. Je précise cela pour répondre à ce que vous disiez quand vous parliez de la nécessité d'assurer un suivi, ce qui n'est pas une procédure normale dans tous les pays européens. Mais, même en envoyant une délégation du ministère de la justice italien, les juges italiens n'ont pu obtenir satisfaction.

Les Suisses des cantons du Tessin et de Genève eux-mêmes ont fait savoir leurs difficultés et le caractère problématique de la coopération judiciaire avec votre pays. Dans des affaires de trafic de stupéfiants, il a été nécessaire qu'un ministre de la justice du canton de Tessin se déplace lui-même pour obtenir du Liechtenstein des informations simples relatives à la documentation bancaire.

Les Allemands ont manifesté le même type d'exaspération. Quant aux Autrichiens, que nous avons vus hier, ils nous ont fait part des mêmes problèmes.

Les points sur lesquels nous tenons à insister concernent, en France, toutes les affaires de corruption politique ou économique graves et qui convergent vers le Liechtenstein, à un moment ou à un autre. L'ensemble de ces affaires se trouvent arrêtées ici car votre pays, dans l'interprétation qu'il fait de la Convention européenne de Strasbourg d'entraide judiciaire en matière pénale, exige d'obtenir des juges d'instruction qui vous requièrent les preuves de culpabilité, avant même d'avoir pu obtenir certains indices qui peuvent se trouver dans vos établissements bancaires. C'est un renversement de perspective qui est interprété par l'ensemble des Etats européens - la France, la Suisse, l'Italie, l'Autriche, l'Allemagne - comme un signe grave de non-coopération judiciaire.

L'Italie a indiqué qu'à la prochaine réunion du GAFI, elle dénoncerait votre pays comme pays non coopératif. De notre côté, nous avons souhaité vous rencontrer de manière à nous faire une opinion avant de prendre une position officielle parlementaire, qui n'engagera pas notre gouvernement dans un premier temps, mais qui, c'est certain, aura quelque influence sur celui-ci.

Je voudrais, par ailleurs, dire que vous êtes le seul pays en Europe où il existe un taux de non-réponse quasi absolu aux lettres adressées par des juges d'instruction. Entre 1995 et 1999, le ministère de la justice italien vous a adressé trente-neuf commissions rogatoires internationales. Dix-neuf n'ont jamais reçu de réponse.

M. Heinz FROMMELT : Tout d'abord, je voudrais vous remercier de votre franchise et vous dire qu'il serait bon d'avoir des interlocuteurs aussi francs sur ces questions d'entraide judiciaire. Ensuite, je voudrais relativiser ce que vous dites, car il faudrait savoir tant pour la France que pour l'Italie combien de cas d'entraide judiciaire ont été demandés et combien de demandes ont été rejetées, et à quelle période, pour pouvoir examiner cas par cas les différents dossiers.

Nous prenons toujours soin de vérifier toutes les plaintes qui nous sont adressées, mais je puis vous assurer qu'en principe, nous procédons conformément à la Convention européenne d'entraide judiciaire et que nous sommes tout à fait disposés à donner des informations en application de cette Convention et également conformément à notre loi nationale sur l'entraide judiciaire.

Je connais très peu de cas dans lesquels l'entraide judiciaire a été rejetée. Parfois, bien sûr, il peut y avoir des retards liés aux possibilités de pourvoi et de recours, notamment dans les cas où des personnalités connues sont impliquées. Nous avons d'ailleurs l'intention de modifier notre législation sur cet aspect.

Je sais qu'une délégation italienne a été reçue au Liechtenstein. Je ne l'ai pas vue personnellement, mais nous pourrions interroger nos fonctionnaires pour avoir des informations plus précises.

En ce qui concerne la Suisse, j'ai rencontré personnellement il y a deux semaines Mme le ministre de la justice avec laquelle nous avons également parlé de l'entraide judiciaire. Nous avons constaté qu'en règle générale, tout fonctionne bien mais que certains problèmes se posent. L'un d'entre eux notamment sera certainement résolu à la suite de notre réforme législative.

En ce qui concerne l'Autriche, je suis surpris que vous parliez de difficultés parce qu'en général, nous avons toujours constaté le bon fonctionnement de l'entraide judiciaire. J'aimerais bien que vous nous fassiez part des cas concrets portés à votre connaissance par ce pays et par l'Allemagne.

Je ferais ensuite une remarque en ce qui concerne la charge de la preuve. A mon avis, votre interprétation n'est pas correcte. Là encore, il faudrait demander aux fonctionnaires compétents quelles sont les conditions préalables requises pour l'octroi de l'entraide judiciaire.

Nous aussi rencontrons parfois des problèmes avec l'Italie pour l'octroi de l'entraide judiciaire parce que les temps de réponse sont parfois très longs.

Enfin, nous constatons que vous avez apparemment un grand nombre de documents et nous aimerions bien connaître précisément les cas pour lesquels des réclamations ont été formulées pour pouvoir constater pour quelle raison l'entraide a été rejetée et, éventuellement, adapter notre législation en conséquence.

M. Peter WOLFF : Je voudrais prendre position face au reproche que vous nous adressez, de mal interpréter ou de ne pas appliquer comme il faut la Convention européenne de 1959 et de demander que la culpabilité soit prouvée avant d'accorder l'entraide judiciaire.

Personnellement, je travaille comme avocat dans ce pays depuis vingt-six ans et j'ai souvent affaire à des cas d'entraide judiciaire. Je n'ai jamais vu ni pris connaissance d'un cas où les autorités ou les tribunaux du Liechtenstein aient avancé comme argument de refus le fait que la culpabilité n'était pas prouvée. La Cour suprême du Liechtenstein est tout à fait attentive à faire une interprétation correcte de la Convention européenne, c'est-à-dire qu'il suffit d'avoir une instruction des faits à l'origine de la commission rogatoire pour qu'un délit pénal, qui est également passible de sanctions au Liechtenstein, soit traité et que l'entraide judiciaire soit accordée.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je voudrais, si vous le permettez, monsieur le ministre, revenir sur les réponses que vous avez données tout à l'heure à mes questions.

Les cas sont très nombreux. Nous allons vous les faire parvenir, mais je puis vous remettre déjà deux affaires graves. Vous observerez que les réponses sont toutes des lettres stéréotypées, toutes signées de M. Norbert Marxer, reprenant exactement les mêmes motifs, alors que nous pourrions exiger un peu plus d'individualisation des remarques pour la motivation du rejet.

Je signale qu'à chaque fois, dans le texte de cette motivation, la protection des secrets fait partie des intérêts essentiels du Liechtenstein. Par ailleurs, vous indiquez que vous souhaitez vous accorder le privilège de vérifier préalablement si le juge d'instruction qui vous requiert a bien accompli les efforts appropriés, mais restés sans succès, pour obtenir par un autre moyen des informations relatives à la documentation bancaire à Vaduz. Vous êtes les seuls en Europe à créer cette condition supplémentaire pour l'application de la Convention européenne d'entraide judiciaire. C'est une condition qui n'existe pas dans le texte de la Convention européenne ; c'est votre loi nationale qui a créé des obstacles à l'application de cette Convention.

Vous opposez cette exigence dans chacune des lettres dont je viens de faire état et qui concernent des affaires gravissimes, ne permettant pas ainsi de poursuivre le commanditaire des délits et des crimes ayant utilisé l'argent situé dans vos banques. La conséquence, c'est que seuls les subalternes sont poursuivis dans les pays européens concernés. C'est le cas en France, en Italie et dans un certain nombre de pays européens que j'ai cités, parce que vous vous appropriez la possibilité d'apprécier le caractère indispensable ou non de la vérification qui vous est demandée.

C'est une condition supplémentaire qu'aucun pays européen ne s'est octroyé le droit d'imposer dans l'application de la Convention européenne d'entraide judiciaire. Nous considérons - c'est la position du parlement français à travers sa mission parlementaire - que le Liechtenstein viole la Convention européenne d'entraide judiciaire en ayant créé ces conditions supplémentaires. Notre position est donc une position de refus absolu des conditions dans lesquelles vous entendez appliquer cette Convention.

Je vous remets pour information trois cas. Ce sont des affaires importantes en cours de jugement en France. Nous souhaiterions à l'occasion de la remise de ces documents que votre pays puisse montrer sa bonne volonté, comme vous l'indiquiez tout à l'heure, monsieur le ministre, en matière de coopération nécessaire en matière de lutte contre le blanchiment.

M. Heinz FROMMELT : Je peux vous dire que ce sont des cas connus. Nous savons, nous partageons votre avis, que ce sont des cas graves. Pour vous calmer un peu, je puis vous assurer et vous dire, comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, qu'une modification de la législation est prévue. Je ne peux pas vous dire exactement les raisons pour lesquelles ces commissions rogatoires ont posé problème. Je donnerai tout à l'heure la parole au fonctionnaire responsable pour qu'il vous parle plus concrètement des différents cas.

Mais je vous précise encore une fois que nous avons connaissance des problèmes. Nous savons qu'ils existent et que nous avons la volonté, je l'ai dit lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre de la justice il y a deux ans, de modifier la législation. Mais peut-être le fonctionnaire compétent peut-il maintenant prendre position et répondre à ces accusations d'ordre général qui nous sont adressées.

M. Norbert MARXER : Je m'appelle Norbert Marxer, je suis donc la personne coupable, ou responsable, des décisions prises en première instance sur la recevabilité des commissions rogatoires.

Je ne sais pas très bien si ce matin vous avez été informés de la situation existant en matière d'entraide judiciaire dans notre pays. Nous avons une procédure qui se déroule selon trois phases : la première dépend d'une autorité administrative qui fait un premier contrôle politique et formel. Au cours de la deuxième phase, les tribunaux font l'examen matériel de la chose. Dans la troisième phase, les autorités administratives font un contrôle politique final.

Je constate que vos reproches sont des plus massifs. Je n'ai jamais entendu d'accusations d'une telle gravité. Je suis cependant tout à fait prêt à vous répondre. Néanmoins, je dois dire que vos accusations restent très générales et je ne sais pas très bien si vous disposez des connaissances suffisantes des pays que vous avez cités, notamment l'Italie et la Suisse, où le juge d'instruction en question, un certain M. Perraudin, qui ne mâche pas ses mots est sans doute ce juge de Genève dont vous parlez.

Il m'est assez difficile de répondre sur des accusations et des affirmations générales. Je suis donc heureux que vous nous ayez maintenant soumis trois cas concrets dont nous pourrons discuter plus en détail.

M. Heinz FROMMELT : Je voudrais dire que malgré la vivacité de vos paroles, nous sommes tout à fait contents d'avoir pu aborder ces problèmes avec vous. Je rappelle que nous sommes tout à fait disposés à accorder de l'entraide judiciaire et comme je vous l'ai déjà dit, nous allons modifier notre législation en conséquence pour atteindre le standard européen.

Nous sommes reconnaissants d'avoir pu discuter de ces problèmes, pour savoir concrètement quelles questions se posent, de quelle manière et à l'égard de quels pays. Je sais très bien que les cas français que vous avez cités sont d'importance. C'est le cas également de l'Italie. Nous avons de la bonne volonté et nous avons engagé des démarches pour aller dans la bonne voie. Nous tirerons les conclusions de cet entretien. Je puis vous assurer que nous ferons tout notre possible et que nous sommes déjà en train de résoudre les problèmes qui se posent.

M. le Président : Je vous remercie, monsieur le ministre ainsi que l'ensemble des fonctionnaires qui ont accepté de participer à cette réunion. Pour nous, ce n'est jamais un exercice facile et nous ne sommes pas venus dans un esprit différent de celui qui nous guide partout où nous allons. Nous avons à la fois le souci de faire avancer une cause internationale et de respecter, bien entendu, les souverainetés nationales, ici comme ailleurs.

Sur ce qui a pu être dit, je crois vraiment que dans l'intérêt même du Liechtenstein - je reprenais un article du Prince régnant disant que pour le Liechtenstein, c'était une catastrophe et que cela pourrait être destructeur - il faut évoluer.

La priorité, mais je l'ai entendue dans la bouche de M. le ministre, c'est d'améliorer très fortement et très rapidement la coopération judiciaire internationale. Nous avons également entendu avec plaisir ses déclarations d'intention à ce sujet.

Nous ferons aussi en sorte que ce que vous avez demandé se produise, c'est-à-dire que les reproches soient plus concrets. Lorsque nous reviendrons en France, nous demanderons à un certain nombre de nos correspondants de se retourner à nouveau vers vous avec des cas concrets pour vous demander de pouvoir avancer.

Mais, derrière les déclarations, évidemment nous attendons les actes. Nous vous faisons confiance et sommes heureux que ce soit l'orientation que vous avez choisie.

(Suite avec M. Marxer.)

M. Norbert MARXER : Jusqu'à présent, il n'y a pas de cas concrets, depuis que je m'en occupe, de rejet de commissions rogatoires venant de France.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Notre démarche est également valable pour l'Autriche et l'Allemagne. Nous avons des cas concrets qui posent problème. Pour la Suisse, nous avons eu des discussions avec trois juges d'instruction, notamment avec M. Perraudin concernant une affaire très difficile. Le problème, c'est le blocage des comptes. L'interprétation de la Convention ne semble pas adéquate.

M. Norbert MARXER : En ce qui concerne le cas de Genève, nous sommes arrivés à un accord à l'amiable, parce que M. Perraudin n'avait pas pris en compte les trois différentes phases. La première administrative, suivie par une phase où les tribunaux deviennent actifs. Entre temps les comptes ont été bloqués et l'ordre de saisir les documents a déjà été donné. Tout cela a été fait par ordonnance des tribunaux, ce dont M. Perraudin n'avait pas connaissance.

En ce qui concerne l'Italie, il y a un cas assez épineux parce que des milieux politiques de très haut niveau sont impliqués. Dans ce cas précis, nous avons le sentiment que l'arrière-fond politique et fiscal était beaucoup plus grave que l'aspect pénal de l'affaire. Il faut dire aussi qu'avec l'Italie, nous avons souvent de grosses difficultés, notamment en ce qui concerne le retard dans le suivi des affaires, mais vous avez sans doute des expériences similaires.

Il est vrai qu'une délégation italienne est venue nous voir au mois de novembre. Nous avons eu de bonnes négociations et nous sommes mis d'accord sur un certain nombre de points, la délégation italienne nous a notamment promis de nous envoyer les documents supplémentaires qui nous étaient nécessaires pour juger de la résolution de l'affaire, mais depuis, nous n'avons eu aucune réponse.

Dans ce cas, on peut dire que, matériellement, l'entraide judiciaire a été accordée, c'est-à-dire que tout a été fait, les documents sont ici, les comptes sont bloqués, tout est effectué, mais nous attendons toujours les documents et les explications supplémentaires qu'ils nous avaient promis au mois de novembre.

M. Gerd ZIMMERMANN : Parce que des plaintes ont été déposées.

M. Norbert MARXER : Pour vous donner une idée du nombre, nous avons 600 commissions rogatoires par an et, dans 370 cas, nous devons prendre une décision pour savoir si, du point de vue formel, la commission rogatoire est recevable ou non. Comme l'a dit notre ministre de la justice, il y a peut-être un certain retard dans notre législation parce qu'il y a trop de possibilités de recours, cela pose problème.

Par ailleurs, en ce qui concerne ces lettres stéréotypées, je crois qu'il faut voir que cela offre la possibilité d'aller plus rapidement. C'est une manière d'accélérer les procédures et permettre moins de réclamations, mais effectivement, nous devons faire nos enquêtes et, pour le moment, le nombre de recours possibles est très élevé mais, sur ce point, seul le législateur peut être appelé à porter remède.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Je vous ferai une proposition, sur le ton de la gentillesse et de l'amitié cordiale, qui s'est installée dans cet entretien...

M. Norbert MARXER : Avant que vous ne fassiez votre proposition, je voudrais faire remarquer que, pour la période de 1998-1999, j'ai fait établir des statistiques et nous avons constaté que pour l'octroi formel, pour voir si une commission rogatoire est recevable ou pas, nous avons mis en moyenne 8,3 jours jusqu'à l'expédition de la décision et pour ce qui est de l'exécution matérielle des commissions rogatoires, nous avons mis 55 jours. Comparé à la situation européenne, c'est un résultat qui est tout à fait honorable.

M. Arnaud MONTEBOURG, rapporteur : Ma proposition est la suivante : je vous ai donné trois affaires suivies par les juges Eva Joly, Wirz et Emery : l'une de corruption politique, l'autre de corruption économique et l'autre encore de blanchiment pur, en France passant par Vaduz.

Je souhaiterais que nous puissions communiquer ensemble sur les raisons pour lesquelles ces trois dossiers ont échoué et sur les moyens que vous pouvez, dans le cadre de la législation actuelle, avant sa modification, accorder pour qu'ils aboutissent, comme vous l'avez fait avec M. Perraudin.

M. Norbert MARXER : J'accepte très volontiers cette proposition.

M. le Président : Nous vous en remercions.

M. Norbert MARXER : Mais dès qu'il y a un cas concret ou une déclaration concrète, nous aimerions bien en être saisis tout de suite.

Audition de M. Paul VOGT, Parlementaire d'opposition

(procès-verbal de la séance du 14 janvier 2000 au Liechtenstein)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : La question qui nous occupe est celle de la criminalité financière et du blanchiment.

Ces derniers mois, pèsent sur le Liechtenstein des accusations lourdes. Nous ne sommes pas venus pour cette raison, mais parce que nous faisons un tour d'Europe sur ces questions, dont doivent se saisir aujourd'hui les opinions publiques, qui sont de plus en plus préoccupantes, car la criminalité organisée pénètre de plus en plus le système financier ordinaire et l'exercice du droit semble très en retard par rapport à la mobilité des capitaux.

Il existe au Liechtenstein une opposition parlementaire, que vous représentez avec l'un de vos collègues. Nous souhaiterions nous entretenir librement avec vous de ces sujets. Ici, au Liechtenstein, se pose la question fiscale, dont nous parlerons moins que du reste ; la question des sociétés, qui nous pose un véritable problème car nous avons le sentiment qu'à travers les fondations notamment, il est très difficile d'avoir accès aux ayants droit économiques ; et enfin, la question de la coopération judiciaire.

M. Paul VOGT : Je suis très heureux de vous rencontrer et d'avoir un échange avec vous.

Vous avez eu ce matin le côté officiel et, pendant le déjeuner, la possibilité d'en savoir plus sur notre pays. J'ai, bien sûr, une vision plus critique de la situation au Liechtenstein.

Il faut bien faire la distinction entre, d'un côté, les fonds criminels qui proviennent du trafic de stupéfiants et d'autres sources criminelles, sur lesquels la position officielle est de dire que le Liechtenstein n'a aucun intérêt à recevoir des fonds issus de ces malversations et, de l'autre, tout ce qui concerne le droit des sociétés, car sur ce sujet, la position est un peu différente et la position officielle serait plutôt de dire qu'il n'est pas nécessaire d'accorder un soutien quelconque aux pays étrangers dans leurs recherches sur la fraude et l'évasion fiscale. Sur ce point, notre parti a une opinion différente. Nous pensons qu'il faut quand même en tenir compte, avoir une vision plus critique et une meilleure coopération européenne si nous voulons être plus intégrés au sein de l'Europe.

M. le Président : Nous sommes d'accord pour ne pas nous préoccuper à ce stade de la question fiscale, en tout cas de l'évasion fiscale, sachant toutefois qu'ici au Liechtenstein, contrairement à la Suisse, il n'y a pas de distinction entre évasion fiscale et fraude fiscale.

Laissons cela, mais ces sociétés écrans, qu'elles soient fondations, Anstalt ou trusts, permettent à des criminels, inculpés de façon criminelle, de se dissimuler ou de dissimuler leurs fonds au Liechtenstein. Les conversations que nous avons eues ce matin avec les responsables et le ministre de la justice ont permis sur des exemples précis d'étayer cette position. Effectivement, de l'argent de la criminalité, avec un crime à l'origine, se dissimule en se servant de ces structures. Nous avons été très surpris de constater que si les autorités sont d'accord pour évoluer en termes de coopération judiciaire, elles n'ont pas du tout l'intention de modifier le statut de ces sociétés. Or, nous avons la conviction que sans évolution de ce statut, les difficultés subsisteront parce qu'il y aura des possibilités de dissimulation. J'aimerais que vous nous expliquiez cette volonté de maintenir ces sociétés
- les fondations n'existent qu'au Liechtenstein - qui sont en contravention totale avec les recommandations européennes et, bientôt, avec celles de l'ONU et de la communauté internationale.

M. Paul VOGT : Je dois avouer que je ne suis pas juriste et que je ne connais pas le droit des sociétés. J'ai de vagues idées sur le sujet, mais ce n'est pas une chose que j'ai acquise en tant que député, mais plutôt par d'autres sources. Je sais à peu près comment fonctionnent ces fondations et partage vos réserves en ce qui concerne les règlements très libéraux qui se prêtent à d'éventuels abus. En effet, il y a peu de contrôle et peu de volonté politique d'exercer ce contrôle. Donc, en cas d'abus, il se passe rarement quelque chose.

En outre, on délègue souvent ce contrôle aux sociétés de commissaires aux comptes privés. Ce n'est que lorsque existent des soupçons fondés d'activité criminelle qu'il y a obligation de déclarer.

De plus, se pose le problème de la surveillance des banques par des organismes qui disposent d'assez peu d'effectifs car peu de personnes s'occupent de ces problèmes ; j'y vois une faiblesse.

M. le Président : Pensez-vous que les informations révélées par le Spiegel et le contexte européen pousse véritablement votre gouvernement à évoluer, ou que les intérêts économiques en jeu sont tellement puissants que les déclarations d'intention qui ont été faites ce matin ne se traduiront pas par des actes ?

M. Paul VOGT : Je pense que cela dépend seulement du gouvernement et de la volonté politique. Je suis convaincu que notre Gouvernement essaiera sans aucun doute de prendre certaines mesures destinées à empêcher des abus criminels. C'est une tactique : ils se demandent ce qu'il faut conserver, où est leur intérêt et ce qu'il faut pour conserver la place financière en tant que telle. La politique et le Gouvernement seront tout à fait disposés à empêcher toute activité criminelle, à prendre toutes les mesures adéquates et à coopérer au niveau international pour sauvegarder les services financiers au Liechtenstein qui sont surtout liés à la fiscalité et aux questions fiscales. Dans l'intérêt de conserver cette place, on combattra le crime et l'on sera prêt à coopérer au niveau international.

M. le Président : Vous êtes deux à représenter le parti d'opposition. Quelle est la base idéologique de votre opposition ? Quel est le programme alternatif de l'opposition ? Quelles critiques majeures adressez-vous à ce gouvernement ?

M. Paul VOGT : Au Liechtenstein, les partis ne se distinguent pas par leur idéologie. Une étude a été réalisée à ce sujet qui montre que le clivage idéologique entre les différents partis n'est pas très marqué, encore moins qu'en Suisse et bien moins qu'en Allemagne.

La différence que nous constatons entre les partis s'établit plutôt dans les domaines suivants.

Nous avons une attitude tout à fait différente quant à la monarchie.

Il en est de même de l'écologie, notamment pour ce qui est du problème des transports, que nous souhaitons voir traiter différemment.

Nous sommes en faveur de l'égalité des sexes.

Un autre fondement de notre parti repose sur tout ce qui touche à la problématique du Tiers-monde.

Puis, un autre mouvement aussi concerne la liberté d'opinion. En effet, une mouvance de notre parti a voulu créer un journal indépendant pour combattre les milieux conservateurs catholiques qui sont toujours prédominants au Liechtenstein.

M. le Président : Pour être plus précis, vous disiez que tant que les formes de sociétés dont nous avons parlé existeraient, il y aurait des difficultés. Votre parti serait-il prêt à les supprimer ? Serait-il prêt à prendre des positions radicales concernant cette suppression de formes de sociétés écrans, au moins concernant les fondations ?

Depuis 1995, le Liechtenstein est dans l'Espace économique européen. Il bénéficie, en termes de prospérité économique, de cet espace de libre circulation des marchandises et des capitaux. Cela explique d'ailleurs la multiplication des banques et des compagnies d'assurance. Par rapport à cette question, est-il tolérable que le Liechtenstein vive avec une spécificité fiscale alors qu'il peut bénéficier de tous les capitaux de la zone Europe. Pourra-t-il longtemps s'exempter des règles communes que les Européens finiront par définir et qui existent dans la plupart des pays.

Sur ce point, seriez-vous capable de dire que, y compris sur la question fiscale, si le Liechtenstein veut être intégré en Europe comme il en a pris l'engagement en 1995, il ne pourra pas continuer d'être une exception fiscale jusqu'à la nuit des temps ? Etant bien entendu que nous, Européens, ne le tolérerons pas.

M. Paul VOGT : En ce qui concerne votre première question portant sur le droit des sociétés, je répète encore que je ne suis pas expert en la matière. J'ai seulement une idée assez vaste de la question, de ce qui fait l'attraction du droit des sociétés au Liechtenstein. Mais il est sûr que ce n'est pas seulement le droit en matière de fondation mais un mélange : c'est un cadre qui est très favorable. Ce cadre implique un régime fiscal très particulier ; il implique le secret bancaire et le secret professionnel très prononcé des avocats ; il implique également une image de marque conservatrice du pays, favorable aux investissements. Ce ne sont donc pas seulement les fondations qui attirent.

D'ailleurs, l'Autriche a récemment réintroduit un système de fondation et je crois qu'à peu près mille fondations existent également en Autriche. Un régime semblable se rencontre également dans les pays anglo-saxons.

Votre deuxième question porte plus particulièrement sur l'harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne.

Le Liechtenstein a opté pour l'Espace économique européen précisément parce que cet espace ne comprend pas une harmonisation de la fiscalité. On ne sait pas très bien quelle sera l'évolution au sein de l'Europe et l'on ne sait pas plus si cet Espace économique européen existera encore longtemps. Je pense que si la Norvège intégrait finalement l'Union européenne, l'Espace économique européen serait plus ou moins destiné à pourrir et l'on rechercherait alors d'autres formes d'accord de coopération avec l'Union européenne.

Je ne pense pas non plus qu'il soit de l'intérêt de l'Union européenne que le Liechtenstein ou d'autres pays de petite taille intègrent en tant que membres à part entière l'Union parce que cela présupposerait, entre autres, des réformes institutionnelles et d'autres mécanismes de décision.

Il faut également se demander si l'Union européenne exercera une pression forte sur le Liechtenstein pour que la situation change. Je puis cependant vous dire qu'effectivement la peur existe dans notre pays et je vous suis très reconnaissant qu'une discussion ait lieu pour parler ouvertement de toutes ces questions.

M. le Président : Cela veut dire que votre parti politique et vous-même, ne prenez pas de position, ni sur le droit des sociétés ni sur l'harmonisation fiscale ? Vous nous décrivez un processus que nous connaissons, mais ne prenez pas de position personnelle ?

M. Paul VOGT : Je n'ai peut-être pas été assez clair en ce qui concerne la fraude fiscale. J'ai une attitude tout à fait différente de celle du Gouvernement. Je suis tout à fait favorable à l'entraide judiciaire, même dans ces crimes de fraude fiscale car je pense que les riches étrangers ne doivent pas avoir la possibilité de faire de l'escroquerie ou de frauder leur propre Etat en donnant de fausses indications.

En ce qui concerne les réformes en matière de droit sur les sociétés, je suis obligé de vous donner une réponse diplomatique. En fait, je pense que des changements sont nécessaires, mais le Gouvernement le pense aussi. Je ne peux pas exactement vous dire comment, dans le détail, ces réformes doivent se faire, quels doivent être ces changements parce que je ne suis pas expert en la matière, mais il est évident qu'il faut tout faire pour empêcher le crime international organisé de devenir actif.

M. le Président : Vous dites qu'il faut tout faire pour empêcher le crime organisé d'être actif. Avez-vous une inquiétude réelle sur la présence aujourd'hui du crime international sur la place de Vaduz ?

M. Paul VOGT : Je pense, en effet, que le droit des sociétés au Liechtenstein donne des possibilités pour des abus, qui s'exercent, c'est certain.

D'autre part, il faut dire que dans notre pays la société a beaucoup de mal à bien mesurer la situation. Ce n'est pas seulement un manque de volonté, mais les affaires sont très complexes, se font très discrètement et souvent les agents fiduciaires eux-mêmes ne savent pas ce qui se passe et ce qui est derrière les affaires qu'ils traitent. D'un côté, ils ne veulent pas le savoir, et de l'autre, ils ne peuvent pas le savoir. Souvent, ils reçoivent des informations d'une banque suisse qui appelle et dit qu'elle a un client pour lequel il conviendrait éventuellement de créer une fondation. Ce sont des imbrications, des mélanges, des relations entre différentes sociétés qui ont pour but de camoufler les choses telles qu'elles sont et de s'organiser au plan international.

Dans ce contexte, les choses sont tellement compliquées qu'une coopération internationale serait nécessaire non seulement au sein de l'Union européenne, mais avec toutes les places offshore.

M. le Rapporteur : Ce matin, nous avons exprimé au ministre de la justice l'exaspération de nombreux juges d'Europe, français, italiens, autrichiens dans une certaine mesure, suisses dans une grande proportion. Je voulais savoir si la population du Liechtenstein était informée de ces difficultés que toute l'Europe rencontre avec leur pays et s'il y avait une presse libre et indépendante au Liechtenstein pour les en informer.

M. Paul VOGT : Ce que vous me demandez touche un domaine très vaste. En ce qui concerne l'entraide judiciaire, la population du Liechtenstein ne sait pas du tout que des problèmes se posent. Elle n'est pas du tout au courant de ce qui se passe. Elle ne sait pas du tout, par exemple, qu'il y a des plaintes de juges étrangers, que des demandes de commission rogatoire sont rejetées ou retardées, que de nombreuses exigences formelles sont imposées.

A cet égard, il faut aussi dire que le Parlement, longtemps avant que je n'y arrive, a dressé beaucoup d'obstacles à l'octroi de l'entraide judiciaire. Il y avait une forte pression de la part des agents fiduciaires et des milieux des finances. Bien sûr, ces obstacles ont déjà été réduits, mais des discussions sont en cours et mon parti est favorable à un règlement et à une disposition qui prévoit que le Liechtenstein est disposé et prêt à accorder l'entraide judiciaire.

En ce qui concerne votre question sur la presse libre, je dois dire qu'au fond, il n'y a que deux journaux au Liechtenstein. Tous deux sont des journaux conservateurs, qui dépendent fortement du Gouvernement et en reçoivent des subventions. Ces subventions sont indirectes parce qu'il n'existe pas de journal officiel au Liechtenstein, ce sont donc ces deux journaux qui publient tout ce qui est publication officielle et qui perçoivent ainsi des recettes de montants assez élevés. On ne peut donc pas dire que ce soient des journaux indépendants.

Une pression, ou une dépendance par rapport aux milieux financiers s'exerce aussi. Nous sommes dans un pays de petite taille où, d'un point de vue personnel, tout est imbriqué, lié. Par exemple, le rédacteur en chef d'un de ces deux journaux, le Volksblatt, est le fils du plus grand agent fiduciaire, un certain docteur Batliner, qui possède une fortune de 2 milliards de francs suisses, qui a créé de nombreuses fondations, qui fait beaucoup de promotion culturelle, artistique,... On ne peut pas vraiment s'attendre à ce que son fils critique vraiment ce milieu.

De plus, il y a des réseaux de relations entre le Gouvernement, la justice, l'économie et les agents fiduciaires qui siègent en même temps au Parlement. Souvent, les chefs de gouvernements sortants trouvent de très belles positions dans le secteur des services financiers.

M. le Président : Beaucoup d'agents fiduciaires siègent-ils au Parlement ?

M. Paul VOGT : Sur vingt-cinq députés, huit sont avocats ou travaillent dans le secteur du service financier.

M. le Président : Sans indiscrétion, que faites-vous ?

M. Paul VOGT : Je suis archiviste, historien de formation.

M. le Président : La position politique qui est la vôtre et celle de votre parti sur les sujets que nous avons évoqués, comme la question fiscale, vous met-elle en difficulté ? Le débat politique est-il vif, agressif ou se fait-il dans une relative douceur ?

M. Paul VOGT : En fait, avoir des débats politiques violents ou engager des actions spectaculaires ne correspond pas du tout à la culture politique du Liechtenstein. Si on le fait, on est vite essoufflé. L'activisme n'est pas du tout apprécié par la population. Il y a souvent eu des jeunes, au sein de notre parti ou en dehors, qui aimaient bien la provocation et les actions spectaculaires mais, six mois plus tard, ils étaient complètement essoufflés et ne participaient plus à la vie politique.

Je me dis toujours qu'il vaut mieux avoir une opposition plus discrète mais dont l'action s'inscrive dans la continuité.

M. le Rapporteur : Combien votre parti a-t-il fait aux dernières élections ?

M. Paul VOGT : Liste libre a fait un pourcentage de 11,5 %.

M. le Président : Nous vous remercions de vous être rendu à notre invitation. Nous souhaiterions maintenir une relation avec vous parce que nous allons suivre de près la concrétisation des engagements pris par le ministre de la justice durant l'entretien de ce matin, en particulier en ce qui concerne la coopération judiciaire, les voies de recours et leur simplification, de telle sorte que ce mécanisme puisse fonctionner mieux. Vous pourrez sans doute à ce moment-là nous informer des débats qui ont lieu.

M. Paul VOGT : Très volontiers.

EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DES COMMISSAIRES APPARTENANT
AUX GROUPES RPR ET DL
(*)

Les députés RPR et DL n'approuvent pas le contenu de la monographie consacrée au Liechtenstein. Elle prétend que ce pays « vit et prospère grâce à l'argent du terrorisme, aux caisses noires, aux entreprises qui organisent des opérations économiques... ». Cette affirmation n'a pas été démontrée par le rapporteur de la mission d'information.

Par ailleurs, nous tenons à rappeler que le gouvernement du Liechtenstein a promulgué récemment une nouvelle loi fiscale très stricte. De plus, cette principauté est partie à la Convention européenne sur l'entraide en matière pénale du 20 avril 1959.

Aussi, la conjugaison de ce texte et la reconnaissance du délit de blanchiment permettent aux tribunaux d'accorder leur aide judiciaire au titre de la réciprocité.

Les députés RPR et DL rappellent également que le Liechtenstein a signé la Convention de Strasbourg le 8 novembre 1990 sur le dépistage du blanchiment et, qu'en sa qualité de membre de l'espace économique européen, il a décidé de transposer dans sa législation les dispositions de la directive communautaire du 10 juin 1991 relative à la prévention de l'utilisation du système financier à des fins de blanchiment des capitaux.

Tous ces engagements révèlent une volonté des responsables du Liechtenstein de coopérer et d'aider à la lutte contre le fléau du blanchiment. Le rapporteur n'a pas établi qu'ils ne voulaient pas faire appliquer les textes et conventions internationales qu'ils ont signés.

Les députés RPR et DL tiennent à réaffirmer leur volonté de toujours perfectionner notre législation pour lutter avec plus d'efficacité contre le blanchiment des capitaux. A cet effet, ils rappellent notamment le dépôt des trois textes suivants par des députés RPR :

_ La proposition de loi relative à la transparence des capitaux investis dans l'immobilier, présentée par Jean-Claude GUIBAL (n° 1006 rectifié) ;

_ La proposition de loi prescrivant la forme authentique des actes de cessions de droits sociaux de sociétés civiles à prépondérance immobilière, présentée par Michel BOUVARD (n° 1987) ;

_ La proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la pénétration des mafias des pays de l'Est en France, présentée par Christian ESTROSI (n° 2120).

ANNEXES

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