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N° 2476

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 juin 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1)

sur la régulation de la mondialisation financière,

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Gérard Fuchs et Daniel Feurtet,

Députés.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Marchés financiers.

La commission des finances, de l'économie générale et du plan est composée de :

M. Henri Emmanuelli, président ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Yves Tavernier, vice-présidents, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jégou, Michel Suchod, secrétaires ; MM.  Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Guy Lengagne, Jean-Marie Le Guen, Maurice Ligot, François Loos, Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Jean Rigal, Alain Rodet, José Rossi, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Georges Tron, Jean Vila.

INTRODUCTION 5

I.- RÉGULER LES MOUVEMENTS DE CAPITAUX 7

A.- L'AMPLEUR DE LA MONDIALISATION FINANCIÈRE 8

B.- LES DIFFÉRENTS MARCHÉS DE CAPITAUX 12

1.- Typologie des marchés 12

2.- Typologie des acteurs 14

3.- Les récentes évolutions des marchés 16

a) Le marché des actifs 16

b) Les marchés des changes 18

c) Les marchés internationaux de capitaux 19

C.- L'AUTONOMIE CROISSANTE DE LA SPHÈRE FINANCIÈRE 22

1.- De la religion à l'économie politique 22

2.- L'efficacité théorique du marché 24

3.- La corrélation des places financières, facteur d'irrationalité 25

D.- DES EFFETS POSITIFS, DES RISQUES CONSIDÉRABLES 28

1.- Une internationalisation croissante du capital 28

2.- Libéralisation, gestion des entreprises et allocation du capital productif 31

3.- Une volatilité déstabilisatrice 34

4.- Des conséquences politiques dangereuses 36

II.- LES PRIORITÉS D'UNE NOUVELLE RÉGULATION 41

A.- IMPOSER UN DROIT AUX PARADIS FISCAUX ET CENTRES  OFF-SHORE 42

B.- IMPOSER DES RÈGLES AUX FONDS SPÉCULATIFS 47

1.- L'insuffisance de la régulation financière par les acteurs privés 47

a) Genèse et insuffisance du ratio Cooke 47

b) L'émergence de l'autocontrôle 48

2.- Les fonds spéculatifs : aucune réglementation... et un fort coefficient multiplicateur 49

3.- La défaillance de LTCM, symbole des dangers des nouvelles techniques financières. 51

4.- Réglementer les fonds spéculatifs 52

C.- RECONSTRUIRE UN SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL 53

1.- Les critiques croissantes à l'encontre des organismes internationaux 54

2.- L'émergence de zones monétaires régionales 55

a) La régionalisation, réponse à la mondialisation 55

b) Les zones monétaires, solution au flottement et aux changes rigides 57

D) CONTRÔLER LES MOUVEMENTS DE CAPITAUX À COURT TERME 59

III.- POUR UNE NOUVELLE ACTION POLITIQUE 63

A.- LE LIBÉRALISME PUR N'EST PLUS DÉFENDU 63

B.- DES OBJECTIFS INTERMÉDIAIRES RÉALISTES 66

C.- LA TAXE TOBIN OU LA RÉFLEXION POLITIQUE À L'ÉPREUVE DES MARCHÉS FINANCIERS 67

1.- Une motivation politique et sociale 69

a) Réduire la volatilité des changes 69

b) Restituer des marges d'action aux pouvoirs publics 70

c) Dégager de nouvelles recettes pour une solidarité internationale accrue 71

2.- Les difficultés de la taxe Tobin 73

a) La difficulté de définir la spéculation 73

b) L'obstacle des innovations financières 74

c) Le risque d'un faible rendement 75

d) L'incertitude sur le véritable payeur 76

e) La question de l'efficacité 77

3.- Les obstacles politiques à la mise en place de la taxe Tobin 78

4.- Position des rapporteurs 79

CONCLUSION 81

EXAMEN EN COMMISSION 83

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 89

INTRODUCTION

La société moderne est un paradoxe. Jamais sur notre planète les hommes n'ont produit autant de richesses. Jamais les technologies n'ont mis à leur disposition autant d'outils. Jamais les échanges n'ont été aussi nombreux. Pourtant les inégalités continuent de s'accroître, entre les nations et à l'intérieur de celles-ci. Et s'accroît aussi le nombre de ceux qui vivent dans la pauvreté, voire le dénuement.

La mondialisation, phénomène marquant de cette fin de siècle, générée par des progrès sans précédent des transports et des télécommunications, a amplifié les relations économiques, financières, culturelles entre les sociétés humaines. Mais, en élargissant le champ de la concurrence, elle a, en contrepartie, fragmenté le processus de production et fragilisé l'emploi. Plus que jamais l'être humain est réduit à une variable économique, une force de travail.

Si le rôle de l'action politique est de favoriser le progrès humain en mettant le progrès technique au service d'une meilleure satisfaction des besoins de tous, s'il est de favoriser la cohésion de nos sociétés, force est de constater que l'un des effets de la mondialisation actuelle est de contrecarrer cette action. Elle vide en effet progressivement de son contenu la souveraineté des États, principal lieu jusqu'ici de la décision politique et du contrôle citoyen. Les politiques budgétaires et de redistribution s'élaborent sous la loupe des marchés financiers tandis que les politiques sociales deviennent des facteurs de concurrence. La fiscalité des revenus du capital tend à devoir s'aligner sur le moins disant, la taxation du travail servant alors de variable d'ajustement. Les marchés imposent leur volonté aux États au point que les partisans du libéralisme le plus pur ont cru pouvoir, par la tentative d'accord multilatéral sur les investissements (A.M.I.) inverser les valeurs de la démocratie en soumettant des règles de droit aux accords passés entre des entreprises.

L'un des aspects majeurs de la mondialisation libérale qui s'est instaurée réside dans la globalisation des marchés financiers et monétaires. Les capitaux font preuve de plus de mobilité, les actifs financiers sont davantage substituables entre eux, ce qui conduit à l'intensification des mouvements internationaux de capitaux et à l'émergence d'un seul marché, dont les principaux pôles sont New-York, Tokyo, Londres, Francfort, Paris et Zurich. Si la globalisation n'est en fait que la réponse des marchés financiers à l'internationalisation de l'économie, elle entraîne aussi une amplitude nouvelle de la spéculation qui génère un risque que l'on peut qualifier de systémique, et qui a déjà contraint à plusieurs reprises les puissances publiques à devoir soutenir des monnaies déstabilisées par des sorties soudaines de capitaux, ainsi que des banques dont les engagements étaient hasardeux. Banques centrales et États jouent alors le rôle du prêteur en dernier ressort, créant ainsi une mutualisation des risques qui s'étend au-delà de la sphère financière. Cette mutualisation est utile à la stabilité globale mais conduit à faire payer par les citoyens les conséquences des catastrophes générées par une recherche effrénée du profit.

Les marchés financiers et monétaires bénéficient donc finalement de la garantie des États (afin d'éviter des faillites en chaîne) alors qu'il sont, en règle générale, hostiles à tout interventionnisme. On observe ainsi une forte réticence à toute tentative de régulation d'intérêt public, au nom de la fluidité des capitaux et de la concurrence entre places financières. Les responsables politiques sont donc confrontés à plusieurs questions : prévention et prise en charge des risques systémiques, taxation excessive du travail en l'absence de taxation suffisante du capital, déstabilisation des économies. Toutes ces questions appellent à une réforme des conditions dans lesquelles s'effectuent les mouvements de capitaux, et à la création des conditions d'une véritable régulation mondiale.

En réaction à la globalisation de l'économie, la réponse politique ne peut en effet que dépasser le cadre étatique traditionnel. La liberté des mouvements de capitaux rend inutile toute mesure unilatérale, sauf à lui conférer une valeur uniquement symbolique. Au-delà de la réflexion et de la proposition, il est donc nécessaire d'opérer un travail de conviction auprès des gouvernements, des parlements et des opinions publiques des pays où sont situées les principales places financières afin de faire admettre la nécessité de créer, au-delà des États, de nouveaux niveaux de décision politique qui devront s'accompagner de nouvelles formes de démocratie et de contrôle citoyen. La Chambre des Communes du Canada et le Parlement européen, en soutenant l'idée d'une taxe internationale sur les mouvements de capitaux, ont déjà lancé ce débat. Mais il importe qu'il s'étende, afin que soit rappelé avec force que les marchés, à eux seuls, ne peuvent tenir lieu de gouvernement pour des sociétés qui se fixent comme objectif de favoriser le meilleur épanouissement de chacun.

I.- RÉGULER LES MOUVEMENTS DE CAPITAUX

La liberté de mouvement des capitaux correspond à une tendance très ancienne de l'économie. Avant la première guerre mondiale, des flux de capitaux quittaient l'Europe occidentale pour s'investir dans des pays neufs, à croissance élevée (États-Unis, Australie, Argentine).

A leur apogée, les sorties nettes de capitaux représentaient 9% du PNB de la Grande-Bretagne, et presqu'autant pour la France, l'Allemagne et les Pays-Bas. Ces capitaux étaient massivement placés en titres de lignes de chemin de fer ou d'infrastructures électriques et refinançaient la dette publique à long terme. L'intégration des marchés de capitaux entre 1850 et 1913 est illustrée par la baisse constante, sur la période, du différentiel d'intérêt entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, ainsi que par la faible dispersion des taux d'intérêt réels entre les États-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie et la Suède.

Avant 1914 existait une étroite corrélation entre la mobilité des capitaux et le fait que la plupart des pays adhéraient à l'étalon-or, dont le rôle clé était le maintien de la convertibilité des monnaies nationales en or. L'engagement vis-à-vis de l'or signifiait que le recours à la politique monétaire pour stabiliser l'économie en cas de chocs internes ou externes ne pouvait être que limité. La crédibilité de cet engagement était renforcée par une politique de stabilisation des flux de capitaux à long terme des pays européens vers les États du continent américain ou d'Océanie qui adhéraient également à l'étalon-or.

La fragmentation des marchés de capitaux est intervenue entre le début de la première guerre mondiale et le milieu des années 60, soit une période de plus de cinquante ans. Lorsque le premier conflit mondial a éclaté, l'étalon-or a été suspendu et les belligérants ont instauré un contrôle sur les capitaux. La fin de la guerre a permis le retour de jure à la situation antérieure, mais l'étalon-or n'avait pas la même crédibilité qu'avant guerre, avec des pays qui poursuivaient des politiques macroéconomiques non compatibles avec le maintien de cette convertibilité en or. Au début de la crise de 1929, de nombreux pays ont imposé des contrôles de grande envergure et de plus en plus contraignants sur les capitaux, tentative destinée à utiliser la politique monétaire et budgétaire pour se prémunir de la déflation.

Le système monétaire international créé à Bretton Woods en 1944 s'est fondé sur le principe de la restauration des règlements multilatéraux et de la convertibilité des comptes courants, mais a introduit des restrictions aux mouvements de capitaux, restrictions considérées comme un élément central du système de parités ajustables. « Se fondant sur la perception suivant laquelle les taux de change flottants de l'entre-deux-guerres étaient excessivement volatiles et soumis à une spéculation déstabilisante, ainsi que sur leurs propres expériences durant les années en question, les principaux architectes du système de Bretton Woods, John Maynard Keynes et Harry Dexter White, étaient d'avis que le recours aux contrôles des capitaux devait être autorisé, si, avec des parités fixes (quoique ajustables), l'on souhaitait employer une politique de stabilisation interne pour maintenir le plein-emploi (1) »

Dans les années 60, la spéculation des opérateurs privés a repris à l'encontre des monnaies des pays qui conduisaient des politiques inflationnistes ou d'endettement extérieur incompatibles avec le maintien de leur parités. Les opérateurs ont tourné les contrôles sur les mouvements de capitaux en recourant à la méthode du termaillage (leads and lags), consistant à précipiter les sorties d'une monnaie nationale et à retarder les rentrées en devises étrangères, dans l'attente de la dévaluation de ladite monnaie. La fragilisation croissante du système, combinée à la chute des réserves d'or américaines, a mis fin de facto aux accords de Bretton Woods en août 1971. Deux ans après, le régime de taux de change flottants était généralisé.

Depuis le milieu des années 70, les principales puissances économiques ont progressivement abandonné les contrôles sur les mouvements de capitaux, considérant que leur mobilité n'était pas incompatible avec une politique monétaire destinée à stabiliser l'inflation. L'homogénéisation du marché s'est en outre étendue à des pays en voie de développement (Brésil) ou récemment industrialisés (Asie du Sud-Est), qui ont ouvert leurs comptes de capitaux. Pour les pays développés, l'intégration des marchés de capitaux est une caractéristique majeure de l'économie et se trouve favorisée par la diminution des coûts de transaction qui en découle, le recours à des technologies qui créent des réseaux de transactions et de nouveaux instruments financiers.

A.- L'AMPLEUR DE LA MONDIALISATION FINANCIÈRE

La Banque des règlements internationaux a évalué en 1998 à 1.500 milliards de dollars la valeur des échanges journaliers sur les marchés des changes. Certains constituent de simples prises de position et ne donnent pas lieu à dénouement, mais globalement, l'accroissement des échanges mondiaux a généré une forte hausse des transactions monétaires.

Outre les marchés monétaires, le développement de l'ingénierie financière a favorisé l'émergence de produits visant à une meilleure ouverture des risques (produits dérivés), dont le risque de contrepartie a été estimé à 1.200 milliards de dollars par la Banque des règlements internationaux en 1998. On relèvera par ailleurs l'essor généralisé des différents instruments financiers. Sur les marchés réglementés, l'encours notionel est ainsi passé de 583 milliards de dollars en 1986 à 12.207 milliards de dollars en 1997.

Ce développement a complètement modifié les rapports de force entre les États et les marchés. Les masses de capitaux qui circulent sont largement supérieures aux capacités financières des États et des banques centrales et sont sans commune mesure avec la valeur du commerce mondial.

ÉVOLUTION DU PIB DES PAYS DE L'OCDE

(en milliards de dollars)

 

1997

1998

1999

Canada

621,3

594,1

624,0

Mexique

400,9

414,3

475,1

États-Unis

8.239,0

6.699,2

9.190,4

Australie

420,0

372,7

403,0

Japon

4.197,4

3.783,0

4.380,1

Corée

476,5

320,7

410,2

Nouvelle-Zélande

52,8

52,9

54,5

Autriche

206,7

210,9

208,7

Belgique

243,5

250,4

247,0

République tchèque

59,0

56,4

53,8

Danemark

168,7

174,4

173,5

Finlande

122,4

128,5

128,7

France

1.409,2

1.451,8

1.454,0

Allemagne

2.114,5

2.150,5

2.112,0

Grèce

120,9

121,5

124,7

Hongrie

45,7

47,0

48,4

Islande

7,5

8,3

8,8

Irlande

78,6

84,9

90,7

Italie

1.159,4

1.185,2

1.162,0

Luxembourg

17,5

18,3

18,7

Pays-Bas

378,6

391,9

394,8

Norvège

154,0

146,7

151,3

Pologne

143,1

168,6

152,7

Portugal

104,3

109,3

110,7

Espagne

568,6

582,1

590,7

Suède

237,5

237,8

239,2

Suisse

258,0

258,1

257,4

Turquie

188,8

198,0

194,5

Royaume-Uni

1.316,0

1.403,4

1.423,0

TOTAL OCDE

23.503,4

23.614,5

24.862,9

G7

19.068,8

19.267,2

20.325,4

OCDE Europe

9.083,5

9.377,4

9.325,5

Union européenne

8.234,5

8.500,3

8.458,3

Zone euro

5.391,1

6.563,3

6.498,0

Source : OCDE.

Le montant des échanges journaliers sur les marchés monétaires équivaut à une année de PIB pour des pays comme la France, l'Italie et le Royame-Uni.

La Banque de France, au 9 juin 2000, disposait de 79,05 milliards d'euros de réserves de change, soit un montant correspondant à un peu moins d'une semaine de transactions sur les marchés monétaires. Ce chiffre suffit à mettre en lumière la fragilité des États à l'égard des marchés financiers.

La valeur des biens exportés par les trois premiers pays exportateurs, sur une année, est également largement inférieure aux mouvements de capitaux sur une année.

VALEUR DES BIENS EXPORTÉS PAR LES ÉTATS-UNIS,
LE JAPON ET L'ALLEMAGNE

(en milliards de dollars)

coller l'histogramme

Source : OCDE.

Le poids des marchés financiers est enfin le reflet de la concentration croissante des entreprises à l'échelle mondiale.

POIDS DES 50 PREMIÈRES ENTREPRISES MONDIALES

Pays

Nombre d'entreprises

Capitalisation boursière (en milliards de dollars)

États-Unis

33

664,9

Royaume-Uni

5

105

Suisse

3

6,2

Japon

3

6,4

Allemagne

2

4,1

France

1

2,7

Autres

3

6,3

Total

50

801,8

Source : J-P. Morgan Securities (juillet 1999).

POIDS DES 200 PREMIÈRES MULTINATIONALES (1998)

Pays

Nombre d'entreprises

Chiffres d'affaires

Bénéfices

(en milliards de dollars)

(en % du total)

(en milliards de dollars)

(en % du total)

États-Unis

74

2.776

36,5

183

52,7

Japon

41

1.830

24,1

39

11,2

Allemagne

23

958

12,6

29

8,4

France

19

610

8

20

5,8

Royaume-Uni

13

399

5,3

28

8,2

Suisse

6

217

2,8

13

3,9

Italie

5

179

2,4

8,9

2,6

Pays-Bas

4

158

2,1

12

3,5

Royaume-Uni/Pays-Bas

2

138

1,8

3

1

Corée du Sud

3

82

1,1

0,068

0

Chine

3

76

1

1,7

0,4

Suède

2

49

0,7

2,7

0,8

Belgique/Pays-Bas

1

31

0,4

1,5

0,4

Venezuela

1

25

0,3

0,6

0,2

Brésil

1

25

0,3

0,7

0,2

Mexique

1

20

0,3

1,1

0,3

Espagne

1

19

0,3

1,4

0,4

Total

200

7.592

100

345,668

100

Source : Le Monde diplomatique.

B.- LES DIFFÉRENTS MARCHÉS DE CAPITAUX

On rappellera que le marché des capitaux assure le lien entre les agents économiques qui disposent de ressources et ceux qui ont des besoins de financement. Avec le décloisonnement des marchés et la sophistication des techniques financières sont apparus de nouveaux produits.

1.- TYPOLOGIE DES MARCHÉS

Quelques rappels permettront de mesurer la diversité prise par les marchés de capitaux.

Bourses : les bourses sont les lieux où les entreprises qui ont besoin de financement s'adressent au marché des capitaux. Elles peuvent augmenter leur capital en émettant de nouvelles actions, accroissant ainsi leurs fonds propres en contrepartie de la cession, à due proportion, du capital aux actionnaires. Ceux-ci sont juridiquement propriétaires dudit capital, ce qui leur donne droit à une part des bénéfices et à la prise des décisions.

Les entreprises qui ne souhaitent ni diluer leur capital, ni perdre leur pouvoir de décision émettent des obligations, qui sont des titres de créances à long terme (7 à 20 ans), remboursables à échéance fixe, et rémunérées à un taux convenu durant la durée de l'opération. L'État et les institutions publiques (collectivités locales, entreprises publiques) peuvent également émettre des obligations. Certaines bourses sont spécialisées sur un segment d'activité financière, où elles développent un savoir-faire particulier, comme le marché obligataire pour celle de Luxembourg, ou l'or à Zürich.

Marché monétaire : le marché monétaire est un marché de capitaux à court et moyen termes (de 1 jour à 7 ans en France). Trois catégories d'agents interviennent sur ce marché : les entreprises, les établissements de crédits et les institutions financières spécialisées. Ce marché leur permet de trouver des liquidités sans avoir obligatoirement recours aux banques (phénomène de désintermédiation bancaire). En parallèle, le marché interbancaire (ou marché des liquidités bancaires) est exclusivement réservé aux banques. Il assure la rencontre entre l'offre et la demande de monnaie banque centrale. Les banques s'y échangent essentiellement leurs excédents et leurs déficits de trésorerie.

Marché des changes : le marché des changes est celui où s'effectuent les opérations de change (achat ou vente de devises). Toute relation économique avec l'extérieur exige une opération de change, mais l'essentiel de ces opérations est aujourd'hui lié aux flux internationaux de capitaux, et non au commerce international. Ce constat est au c_ur de la problématique du présent rapport. Le marché fonctionne en continu tout au long de la journée. Les banques centrales y interviennent afin de stabiliser leur monnaie nationale. Ce marché a connu une progression de plus de 1.500 % en 15 ans. Aujourd'hui, le montant des transactions quotidiennes est estimé à plus de 1.400 milliards de dollars soit l'équivalent d'un an de commerce mondial en quatre jours.

Marchés dérivés : les marchés de produits dérivés sont la conséquence du décloisonnement et de la dérégulation boursière. Ils répondent au besoin des entreprises et autres agents de se couvrir contre les risques liés à l'évolution incertaine du cours des actifs financiers. Les transactions sur produits dérivés permettent aux agents prêts à assumer certains risques de réaliser des gains - ou des pertes - considérables à partir d'un très faible engagement financier (effet de levier) en pariant sur la hausse (ou la baisse) des cours. Ce domaine est celui de la spéculation par excellence. En 1995, l'encours notionnel sur produits dérivés dépassait 27.000 milliards de dollars contre 5.700 milliards de dollars en 1990. Parallèlement à ces marchés organisés existent des marchés non réglementés, notamment pour les montants et les échéances. Ces marchés qualifiés de gré à gré se caractérisent par l'absence de réglementation des transactions et d'autorités chargées d'en assurer le fonctionnement. Depuis quelques années, les transactions sur les marchés de gré à gré augmentent plus vite que sur les marchés organisés.

Les principaux produits dérivés échangés sur les marchés, énumérés ci-après, sont principalement utilisés comme couverture contre les risques de taux d'intérêt :

- les contrats à terme, engagement d'achat ou de vente à une date future d'un produit à un prix convenu à l'avance. Les contrats peuvent porter sur un taux d'intérêt (plus de 90 % de l'encours et du volume des transactions), des valeurs mobilières, des devises ou des matières premières. Le marché leader est à Chicago ;

- les contrats d'options : droit, mais non obligation de vendre ou d'acheter une quantité déterminée d'actifs à un prix fixe moyennant le paiement d'une prime. Les options permettent de se prémunir contre les évolutions défavorables de l'actif tout en conservant la possibilité de bénéficier des évolutions favorables dudit actif.

- les contrats d'échanges (swaps) : échange croisé de taux d'intérêt (taux variable contre taux fixe) ou de devises par lequel deux agents intervertissent des éléments de leurs créances ou de leurs dettes, afin de se couvrir contre les risques de fluctuation d'un actif ou d'obtenir de meilleures conditions financières. Inventés au Moyen-Age par les banquiers lombards, les swaps peuvent être hautement spéculatifs.

Marché d'occasion des créances : ce marché est issu de la titrisation, rendue possible en France, par la loi n° 91-716 du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. Elle offre aux banques la possibilité de transformer leurs crédits bancaires en titres négociables, ce qui leur permet de récupérer des liquidités, d'alléger leur portefeuille de créances et de transférer le risque de taux d'intérêt sur l'acheteur de la créance. Une partie importante de la dette publique des pays en voie de développement est ainsi négociable sur les marchés.

2.- TYPOLOGIE DES ACTEURS

Les personnes de droit public : les États, les collectivités locales et les entreprises publiques sont les principaux emprunteurs de capitaux. La dette des onze pays les plus riches de l'OCDE atteignait 51,5 % de leur PIB en 1985 et 58,8 % en 1997. Celle des quarante et un pays les plus pauvres s'élevait à 230 milliards de dollars. La couverture de ces déficits a conduit à une croissance importante des marchés obligataires.

Les entreprises : outre les classiques emprunts auprès des banques, les entreprises émettent des actions et des obligations. Mais elles sont également prêteuses, dans la mesure où elles investissent leurs profits sur les marchés financiers. Certaines entreprises, comme Renault, bénéficient d'appréciables rentrées financières grâce à leurs placements.

Les ménages : les ménages détiennent proportionnellement la majorité de l'encours des prêts et interviennent soit directement, soit par l'intermédiaire des investisseurs institutionnels sur les marchés financiers.

Les banques : les banques agissent sur le marché des capitaux pour le compte de leurs clients ou pour leur propre compte. L'apparition des produits dérivés a conduit certaines à suivre des stratégies hasardeuses dont le résultat s'est traduit par des faillites (banque Barings, Daiwa) dans les pays où les normes prudentielles ne sont pas strictes ou sont mal contrôlées.

Les investisseurs institutionnels : il s'agit le plus souvent des caisses de retraite, des compagnies d'assurance, des fonds de pension, fonds mutuels, organismes de placements créés par les institutions financières et bancaires. Les investisseurs institutionnels gèrent collectivement une épargne placée principalement par les particuliers. En vingt ans, le volume de capitaux détenu par ces organismes s'est considérablement accru. Les fonds de pension gèrent ainsi les retraites par capitalisation. Ils sont très puissants aux États-Unis et en Grande-Bretagne alors qu'ils sont encore embryonnaires en France. Ils constituent en 1998 le premier intermédiaire financier dans le monde avec 6.900 milliards de dollars dont 3.600 pour les seuls États-Unis. Les fonds mutuels, appelés aussi Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) émettent des titres dans le public et affectent le produit de ces émissions à la souscription de valeurs mobilières.

Les fonds spéculatifs : il existerait environ 4.000 fonds regroupant une capitalisation de 315 milliards de dollars à la fin de 1999. La plupart ne sont soumis à aucune règle prudentielle alors qu'ils ont un fort effet de levier.

Les réseaux électroniques : mis en place sur les principales places boursières du monde, ils assument les fonctions traditionnelles de confrontation des ordres et des demandes de valeurs mobilières, gèrent la cotation, le règlement et la livraison. Ils fournissent des informations en continu sur les sociétés et les marchés à partir d'un écran dans toutes les salles de marché. Les principaux systèmes sont le Cac (Cotation assistée en continu) en France, le Seaq (Stock exchange automated quotation systeme) au Royaume-Uni, l'Ibis en Allemagne. Les bourses électroniques ont été créées à la fin des années 1980 et constituent de véritables marchés boursiers. Elles permettent à leurs clients de négocier des ordres à partir d'une trentaine de systèmes électroniques de négociation dont Nasdaq (États-Unis), Posit, Tradepoint ... Le Nasdaq est devenu la seconde bourse du monde en volume de transactions. Il cote automatiquement plus de 5.000 actions à Londres et à New-York et est suivi par plus de 10 millions de personnes. Sa capitalisation boursière était de 5.058 milliards de dollars en avril 2000.

3.- LES RÉCENTES ÉVOLUTIONS DES MARCHÉS

a) Le marché des actifs

Ainsi que le souligne la Banque des Règlements internationaux dans son 69ème rapport annuel (7 juin 1999), « un observateur disposant uniquement de données annuelles ne verrait dans la période récente que le prolongement des tendances de l'année précédente. Par rapport au début de 1998, les marchés des actions ont atteint de nouveaux sommets dans la plupart des pays industriels, les rendements des obligations d'État ont poursuivi leur baisse et les prix de l'immobilier ont confirmé leur remontée. Au vu de ce tableau, on ne pourrait guère deviner que les faits marquants de l'année se sont produits pendant les deux mois qui ont suivi l'annonce du moratoire sur la dette russe, à la mi-août. Durant ce court laps de temps, les marchés des capitaux du monde entier ont été soumis à des tensions extrêmes, faisant redouter aux intervenants et aux autorités une implosion imminente du système financier. Comme les investisseurs fuyaient pratiquement tous les types de risques, la liquidité s'est tarie, tant dans les économies industrielles que dans les marchés émergents, et nombre d'emprunteurs se sont trouvés dans l'incapacité de lever des fonds, même à des taux pénalisants. Les prix de toutes les catégories d'actifs ont baissé, sauf ceux des obligations d'État des principaux pays industriels, et les émissions se sont progressivement interrompues. Toutefois, la suite des événements s'est révélée aussi remarquable : les cours des actions se sont redressés dans la plupart des pays après novembre 1998 et les marchés des titres à revenu fixe ont recouvré un calme relatif. »

La crise asiatique de 1997 a été perçue par les marchés comme un élément qui atténuerait les tensions sur les prix en Amérique du Nord. Parallèlement, la mise en place de l'euro a été considérée par certains spéculateurs comme un moyen de réaliser des bénéfices très importants. L'annonce du moratoire sur la dette russe, bien qu'ayant fait naître des doutes sur la rentabilité, voire la survie, de certains intermédiaires financiers, a été surmontée par l'assouplissement des conditions monétaires dans les économies développées. La réévaluation du risque encouru par les créanciers de la Russie est, entre autre, à l'origine du recul de 20 à 40 % enregistré par les principales bourses entre juillet et octobre 1998. Mais les cours se sont rétablis dès la fin de l'année, au point que cette remontée a surpris nombre d'observateurs. Aux États-Unis, la bourse de New-York n'a cessé de battre des records. Les niveaux actuels sont préoccupants, dans la mesure où les rendements des actions ont diminué dans la plupart des économies du G10 depuis le début des années 80, à l'exception de l'Italie, du Japon et de la Suède. Il semble que les investisseurs anticipent une augmentation des bénéfices de sociétés supérieures à la moyenne. L'on constate également certains phénomènes proches de l'irrationnel dans le secteur des valeurs liées aux nouvelles technologies de l'information.

COURS DES ACTIONS : INDICATEURS D'ÉVALUATION

 

Taux de rendement

Ratio cours/bénéfices (1)

Minimum

Moyen

Fin mars 1999

Maximum

Moyen

Fin mars 1999

niveau

année

niveau

année

États-Unis

1,3

1999

2,7

1,3

34

1998

11

34

Japon

0,4

1987

0,9

0,8

77

1987

27

60

Allemagne

1,2

1998

1,9

1,4

26

1998

9

19

France

2,0

1998

2,9

2,2

30

1973

9

22

Italie

1,0

1981

2,1

2,0

34

1998

13

26

Royaume-Uni

2,6

1999

3,4

2,6

26

1994

9

24

Canada

1,4

1998

2,4

1,6

37

1998

9

26

Pays-Bas

1,7

1998

3,4

2,2

27

1998

8

27

Belgique

1,4

1998

3,0

1,6

29

1973

9

21

Suisse

1,0

1998

1,7

1,4

28

1998

9

24

Suède

1,1

1994

1,7

1,8

30

1994

12

21

(1) Italie : depuis juin 1986 ; Royaume-Uni : depuis 1980 ; Canada : sauf 1991-94, période de ratio exceptionnellement élevé en raison de bénéfices très faibles dus à des annulations de créances.

Source : Datastream.

DIVIDENDE RÉEL ET BÉNÉFICES RÉELS PAR ACTION

 

Dividende réel

Bénéfices réels par action

Hausse future implicite des bénéfices (2)

Taux moyen de hausse annualisé

1980-98

Par rapport au minimum précédent (1)

États-Unis

1,6

1,6

8,6

8,3

Japon

0

- 2,1

-

7,0

Allemagne

4,5

5,2

8,8

8,3

France

2,7

2,7

7,1

7,9

Italie

6,0

- 0,2

7,6

7,5

Royaume-Uni

3,3

1,4

5,3

6,6

Canada

- 2,3

- 5,6 (3)

2,7 (3)

9,3

(1) Sans objet pour le Japon, le minimum ayant été atteint en 1998.

(2) Taux permanent de hausse annuelle attendue des bénéfices, ressortant implicitement du ratio cours/bénéfices de mars 1999 et du taux d'intérêt à long terme, en supposant une prime de risque sur actions de 5 %

(3) Sauf 1991-94, période de bénéfices exceptionnellement faibles en raison d'annulations de créances.

Source : Datastream ; données nationales ; calculs Banque des Règlements internationaux.

En comparaison, le marché des obligations a traversé moins de turbulences, avec une convergence des taux longs dans les pays industrialisés durant le premier semestre de 1998. Le rendement des obligations s'est relevé en octobre, en raison du dénouement de certaines stratégies spéculatives, notamment sur le yen. Certains investisseurs ont ainsi marqué leur souhait de réduire leurs risques à l'échelle mondiale.

b) Les marchés des changes

Les fluctuations des principaux cours de change, au premier semestre de 1998, ont été largement déterminées par la crise qui a frappé la Russie à la mi-août, et qui a fait apparaître la vulnérabilité de l'économie des États-Unis. L'appréciation du dollar vis-à-vis du mark et du yen s'est inversée. Des facteurs techniques sans lien direct avec les données fondamentales ont accentué la baisse de la monnaie américaine, notamment par rapport au yen. Il semblerait que des fonds spéculatifs aient dénoué d'importantes positions courtes en yens, anticipant sa hausse et accentuant la chute du dollar. L'amplitude de ces variations pose à nouveau la question de savoir si le déficit courant des États-Unis est supportable à long terme.

Les crises traversées par la Russie en août 1998 et le Brésil au début de 1999 ont souligné la vulnérabilité persistante des économies émergentes. Malgré une stabilisation assez générale des cours de change -notamment en Asie - en 1988, le volume d'activité sur les monnaies de ces pays est demeuré modéré et bien inférieur aux maximums de 1996.

En Europe, l'instauration de l'euro a été précédée d'une année de convergence et de stabilité sur les marchés des changes européens. Durant les premiers mois de son existence, la nouvelle monnaie s'est affaiblie sous l'effet de facteurs conjoncturels. Elle est susceptible d'entraîner d'importantes modifications structurelles sur les changes, mais il est encore trop tôt pour déterminer dans quelle mesure elle sera utilisée comme monnaie de transaction, de réserve, de placement et d'ancrage, même si son succès sur les marchés obligataires est indéniable.

On rappellera que l'euro représente une zone économique correspondant à 16 % du PIB mondial et à 30 % du commerce mondial, parts comparables à celles des États-Unis. Il joue d'ores et déjà un rôle croissant en tant que monnaie à l'intérieur de l'Union européenne. Il n'en est pas de même à l'échelle mondiale. Le volume de transactions d'une monnaie sur les changes sert souvent à mesurer son importance à cet égard. Or, d'après les données de l'enquête triennale de 1998 de la Banque des Règlements internationaux (BRI), le dollar conserve de loin la première place. Compte tenu de la part d'activité qui a disparu avec l'avènement de l'UEM, on estime qu'il intervient dans 94 % des opérations au comptant et à terme. Selon des estimations reposant sur les transactions en devises de la zone euro effectuées en 1998, la monnaie unique, au début de l'UEM, était utilisée dans environ 50 % des opérations de change.

Il est d'ores et déjà certain que l'instauration de l'euro a entraîné une contraction des opérations de change. Selon l'enquête de 1998, les transactions entre monnaies de la zone euro sont revenues de 13 % du total en 1995 à moins de 6 % en 1998. La disparition de ce compartiment important n'a pas été compensée par un accroissement de l'activité sur les monnaies des marchés émergents.

MARCHÉS DES CHANGES ET UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE

(en milliards de dollars)

 

Volume de transactions (1) en 1995

Volume de transactions (1) en 1998

Total

Contre dollar

Contre monnaies UEM

Total

Contre dollar

Contre monnaie UEM

Dollar

1.313,4

-

 

1.741,0

-

 

Monnaies UEM (2)

869,8

551,4

201,1 (2)

968,4

709,1

125,1 (2)

Mark allemand

583,8

364,9

106,1

602,7

413,1

62,4

Franc français

127,2

72,5

51,7

102,6

82,6

17,1

Écu

36,2

25,2

10,9

28,2

22,7

5,6

Yen

371,4

329,9

 

407,2

363,3

-

Livre sterling

139,7

102,8

 

211,9

159,4

-

Franc suisse

116,3

85,7

 

138,8

108,7

-

Total

1.571,8

1.313,4

 

1.981,6

1.741,0

-

Chiffres en italiques : estimations.

(1) Moyenne journalière, corrigée des doubles comptages entre opérateurs locaux.

(2) Avant le début de l'UEM, les opérations de change entre monnaies des futurs membres s'effectuaient parfois par le truchement du dollar. Par conséquent, l'estimation de l'importance actuelle de l'euro, du dollar et du yen, obtenue par soustraction du volume des transactions intra-UEM en 1998, conduit à surévaluer la part de l'euro, sous-évaluer celle du yen et évaluer correctement celle du dollar.

Sources : Central Bank Survey of Foreign Exchange and Derivatives Market Activity (1995, 1998) ; calculs BRI.

c) Les marchés internationaux de capitaux

L'activité sur les marchés bancaires est retracée dans le tableau ci-dessous :

ACTIVITÉ BANCAIRE INTERNATIONALE (1)

(en milliards de dollars)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Encours à fin 1998

Créances sur les pays hors zone

11,6

36,6

120,8

141,4

98,6

- 29,6

1.200,7

Créances intrazones

251,4

228,3

506,5

446,2

1.095

394,4

9.360,5

1.- Créances sur le secteur non bancaire

122,7

- 49,3

189,5

302,2

242,4

69,9

2.935,1

2.- Utilisation pour prêts internes

13,3

192,5

2,9

- 40,1

132,8

96,4

1.132,3

3.- Dépôts interbancaires

115,5

85,1

314,1

184,1

719,8

228,1

5.563,2

Non attribué

52,5

10,1

16,8

16,4

- 8,8

- 21,7

216,9

Total prêts bancaires bruts

315,5

275,1

644,1

604,1

1.184,8

343,1

11.048,2

Prêts bancaires nets

200

190

330

420

465

115

5.485

Engagements envers les pays hors zone

- 14,8

74,6

96,4

101,8

77,2

- 13,2

1.047,9

Engagements intrazones

112,5

539,2

338,5

325

950,1

337,6

8.728,1

1.- Engagements envers le secteur non bancaire

86,2

132,8

116,7

225,7

202,8

44

2.053,7

2.- Apport de fonds internes

85,6

- 64,4

18,9

- 31,7

- 3,1

24,4

1.318,2

3.- Dépôts interbancaires

- 59,3

470,9

202,9

131

750,4

269,2

5.356,2

Non attribué

43

47,1

98

124,1

188,1

59,8

1.065,3

Total Engagements bancaires bruts

140,7

660,9

532,9

551

1.215,4

384,2

10.841,2

Pour mémoire crédits consortiaux (2)

279,4

477,1

697,7

900,9

1.136,3

957,3

 

(1) Variation d'encours, hors effets de change.

(2) Facilités annoncées.

Source : Capital DATA ; BRI

L'activité financière s'est dégradée au cours de l'année 1998. Les banques ont, en effet réduit leurs engagements envers les économies d'Asie au premier trimestre, puis en d'autres pays en voie de développement. Au troisième trimestre (au plus fort de la crise russe), le retrait des banques a touché les pays développés. On a constaté une brusque diminution des prêts aux agents non bancaires des centres financiers abritant les fonds spéculatifs. Bien que le désengagement vis-à-vis des économies émergentes se soit ralenti au dernier trimestre, le dénouement d'opérations à effet de levier et la recherche de la sécurité ont alors atteint un point élevé, ce qui s'est traduit par un recul du crédit bancaire international. Dans le même temps, les déposants non bancaires ont affiché leur préférence pour les établissements qui leur semblaient moins exposés aux risques financiers.

Les facteurs d'expansion ont masqué pendant quelque temps cette rétraction des flux bancaires internationaux. Le premier est la mise en place graduelle de l'Union économique et monétaire qui a stimulé les opérations transfrontières en Europe. Le second tient au rôle actif des banques sur le marché des titres. Ces éléments se sont conjugués au développement international des groupes bancaires européens et ont notamment compensé le retrait des établissements japonais.

Les marchés des titres ont battu pour leur part de nouveaux records en 1998 avec 677,7 milliards de dollars d'émissions.

TITRES INTERNATIONAUX : ÉMISSIONS NETTES (1)

(en milliards de dollars)

 
 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Encours à fin 1998

Total

188,7

253,6

263,1

537,3

573,3

677,7

4.316,1

Instruments du marché monétaire (1)

- 6,2

3,3

17,4

41,1

19,8

7,4

194,5

Obligations et euro-effets (2)

194,9

250,3

245,8

496,2

553,5

670,3

4.121,6

Pays développés

114,8

205,5

228,4

411

449

570,2

3.506,2

Europe (3)

147,7

167,1

159,8

243,2

257,9

279,6

2.029,2

Japon

- 52,1

- 5,9

- 2,9

16,3

- 0,4

- 19,8

318,1

États-Unis

- 4

22,9

56,3

131,8

176,9

282,6

845

Canada

19,2

16,6

8,7

8,8

10,1

21,5

207,4

Zones franches

10,2

7,2

1,7

16,3

14,5

11,6

61

Autres pays

27,6

32,5

22,1

88,2

89,2

40,9

377,5

Institutions internationales

36,2

8,5

11

21,8

20,6

55,1

371,3

Dollar

28,6

66,5

69

261,7

332

411,1

1.971,9

Yen

29,3

86

81,3

85,3

34,6

- 29,3

487,5

Monnaies de la zone euro

82,6

80,2

84,3

135,8

139

220,3

1.173,8

Autres monnaies

48,3

20,9

28,5

54,4

67,8

75,5

682,9

Secteur financier (4)

51,4

136,1

167,9

346,9

360

368,3

2.022,6

Secteur public (5)

130,7

103,1

73,3

118,5

89

182,1

1.273,2

Entreprises

6,6

14,4

22

71,9

124,3

127,2

1.020

Pour mémoire

             

Annonces (obligations et euro-effets)

534,6

492,5

534,5

861,1

1.010,9

1.172,7

 

(1) Obligations, flux, instruments du marché monétaire et euro-effets, variation d'encours, effets de change.

(2) Hors effets émis par les non-résidents sur le marché domestique.

(3) Hors Europe orientale

(4) Banques commerciales et autres institutions financières

(5) Gouvernements, organismes publics et institutions internationales.

Source : Banque d'Angleterre, Capital DATA, Euroclear, IFR, ISMA, BRI.

Les marchés ont principalement bénéficié de la restructuration du secteur industriel. La vague de fusions et d'acquisitions s'est traduite par des émissions de titres. L'amélioration de la situation budgétaire de l'ensemble des pays développés a permis à ces derniers de bénéficier de conditions d'emprunt plus favorables. Enfin, l'apparition de l'Union économique et monétaire a donné une impulsion à des flux en provenance d'investisseurs extra européens désireux d'émettre en euros.

Les marchés dérivés, pour leur part, ont vu leur activité stimulée en raison des records battus par les marchés des actions et le dénouement des positions à effet de levier.

ENCOURS NATIONAL DES MARCHÉS DÉRIVÉS

(en milliards de dollars)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

Marchés organisés

7.771,2

8.862,9

9.188,6

9.879,6

12.202,2

13.549,2

Contrats à terme de taux d'intérêt

4.958,8

5.777,6

5.863,4

5.931,2

7.489,2

7.702,2

Options de taux d'intérêt

2.362,4

2.623,6

2.741,8

3.277,8

3.639,9

4.602,8

Contrats à termes de devises

34,7

40,1

38,3

50,3

51,9

38,1

Options de change

75,6

55,6

43,5

46,5

33,2

18,7

Contrats à terme sur indices boursiers

110,0

127,7

172,4

195,9

211,5

321,0

Options sur indices boursiers

229,7

238,4

329,3

378,0

776,5

866,5

Gré à gré (1)

8.476,6

11.302,2

17.712,6

25.453,1

29.035,0

50.997,0

Échanges de taux d'intérêt

6.177,3

8.815,6

12.810,7

19.170,9

22.291,3

"

Échanges de devises (2)

899,6

914,8

1.197,4

1.559,6

1.823,6

"

Options de taux d'intérêt (3)

1.397,6

1.572,8

3.704,5

4.722,6

4.920,1

"

(1) Données collectées par l'ISDA.

(2) Après correction des doubles déclarations : y compris contrats d'échanges croisés de taux d'intérêt de devises.

(3) Taux plafonds, tunnels, taux planchers et options d'échange.

Source : Futures Industry Association : ISDA ; marchés respectifs ; calculs BRI.

La concurrence entre places est restée vive, notamment en Europe, où l'arrivée de l'euro et l'avancée des plates-formes électroniques ont remis en cause la suprématie de centres bien établis. Les marchés organisés sont demeurés soumis, en outre, à la concurrence de marchés de gré à gré en pleine expansion, ce qui les a contraint à étendre leur gamme de services pour compenser le tassement de leurs activités traditionnelles. Sur le gré à gré, la forte hausse des encours au second semestre montre qu'un renversement des positions après le moratoire russe a largement comblé le ralentissement lié à la prise en compte des risques de liquidité et de contrepartie. Néanmoins, les turbulences et les pertes qu'elles ont causées ont mis en lumière les carences des systèmes de gestion des risques en période d'extrême volatilité de la liquidité, ce qui a incité les intervenants à réexaminer leurs procédures de contrôle interne.

C.- L'AUTONOMIE CROISSANTE DE LA SPHÈRE FINANCIÈRE

1.- DE LA RELIGION À L'ÉCONOMIE POLITIQUE

L'une des critiques les plus fréquentes à l'encontre des marchés financiers consiste à les qualifier d'économie spéculative. Ce terme comporte une connotation péjorative, et symbolise une opposition entre l'économie réelle, fondée sur la production, le travail et l'intelligence créatrice de l'homme, et l'économie financière, moralement condamnable dans la mesure où la richesse est issue d'artifices. « L'argent ne fait pas de petits » (Aristote) (2). Cette défiance vis-à-vis de l'argent était révélatrice d'une époque où l'économie était subordonnée à la morale. La pensée antique craignait en effet que la richesse détournât l'homme de sa mission politique. Antérieurement, l'Ancien Testament énonçait : « L'homme qui pratique la droiture et la justice ne prête pas à intérêt et ne tire point d'usure, celui-là est juste, il vivra, dit le Seigneur, l'Éternel. » Prêter à intérêt, c'est se détourner de l'Éternel. Thomas d'Aquin écrivait : « on ne peut vendre l'argent et son usage » (3), considérant que le temps appartient à Dieu. L'intérêt, qui est le prix du temps, ne peut ainsi relever de l'homme.

Face à des philosophies qui combattent l'argent, les banquiers médiévaux ont recours à diverses astuces. Le swap fut ainsi inventé pour tourner l'interdiction du prêt à intérêt. Il faudra en fait attendre l'émergence des idées protestantes pour admettre les notions de temps et d'arbitrage. « L'intérêt de l'argent prêté se règle, comme celui de toutes les autres marchandises par la balance de l'offre et de la demande. Ainsi, quand il y a beaucoup d'emprunteurs qui ont besoin d'argent, l'intérêt devient plus haut : quand il y a beaucoup de possesseurs d'argent qui en offrent à prêter, l'intérêt baisse. » (Turgot) (4). Cette approche du taux d'intérêt fonction de l'offre et de la demande de capitaux a par la suite été affinée, notamment par Fisher et Keynes, prenant en compte la notion psychologique de dépréciation du futur et celle d'opportunité d'investir : « Le taux d'intérêt représente le prix de l'échange entre les biens présents et futurs (...). Il tient à un facteur subjectif : la préférence marginale pour le présent et à un élément objectif : l'opportunité d'investir. » (Fisher) (5). Cette préférence pour le présent est aussi appelée par Fisher « impatience à dépenser ses revenus ». Elle est résumée par la formule : « 100 francs aujourd'hui valent mieux que 100 francs demain ». « L'intérêt est la récompense de la renonciation à la liquidité pour une période déterminée. Car le taux d'intérêt n'est pas autre chose que l'inverse du rapport existant entre une somme de monnaie et ce qu'on peut obtenir en abandonnant la libre disposition de cette somme en échange d'une créance ». (Keynes) (6).

De nos jours, il est généralement admis que l'économie financière - c'est-à-dire le financement de l'économie - est un élément d'une économie globale dont l'équilibre se réalise sur les marchés des biens, du travail et du capital. La création de monnaie, le développement de l'épargne et l'investissement sont des instruments du développement de l'économie.

La critique est cependant renforcée par l'exagération des anticipations sur les places financières, qui leur confère un caractère irrationnel. On parle alors de déconnexion, de « bulles » spéculatives susceptibles de « crever ». Aux États-Unis, certaines valeurs liées aux nouvelles technologies ont augmenté de 700 à 1.000 % alors que les analystes estiment que 80 % d'entre elles sont surcotées. Et la morale réapparaît lorsque la hausse des actions d'un manufacturier de pneus provient des licenciements qu'il vient d'annoncer. Même si les marchés ne font qu'anticiper une plus grande productivité, l'on retrouve l'évidente réticence à assimiler l'être humain à une variable d'ajustement.

Le décalage supposé entre économie réelle et économie financière tient à la comparaison entre quelques chiffres, notamment le rapport entre les transactions financières journalières et la valeur du PIB et du commerce mondial. Le développement nettement plus rapide des marchés financiers laisse effectivement à penser que la sphère financière gagne en autonomie. En réalité, son développement provient de phénomènes facilement explicables. Ses effets pervers sont en revanche dus à la globalisation et à l'évidente imperfection du fonctionnement des marchés.

2.- L'EFFICACITÉ THÉORIQUE DU MARCHÉ

Si le marché est le lieu où se réalise l'équilibre, la globalisation ne peut que le rendre plus performant. Les agents sont censés être plus nombreux, mieux informés, plus efficaces. « Plus un marché est long et plus l'effet des influences erratiques se trouve réduit. C'est là un enseignement fondamental de l'analyse économique et de la loi des grands nombres ». (Maurice Allais) (7). Le prix de l'ensemble des actifs financiers est censé refléter la réalité et les anticipations sont rationnelles, en se fondant sur des pertes ou des profits futurs. Les cours doivent normalement être en lien étroit avec l'économie réelle.

Ce lien avec l'économie réelle est, en certains cas, indéniable, et montre que le développement des marchés financiers n'est pas dû à la seule spéculation. Offre et demande ont été profondément modifiées, en raison des mutations de l'économie et, parfois, de mesures législatives visant à orienter l'épargne vers la bourse.

Le marché des obligations s'est ainsi accru sous l'effet de la majoration des déficits budgétaires, dans les années 80. Le financement de la dette publique est à l'origine du développement des obligations assimilables du Trésor en France, ou des Treasury bonds aux États-Unis. La croissance de la dette publique a provoqué l'augmentation des taux d'intérêt, afin d'attirer les épargnants.

Sur le marché des actions, les privatisations et plus récemment les fusions expliquent l'augmentation de l'offre de titres. L'ensemble des grandes sociétés françaises est désormais coté à la bourse de Paris. Mais nombre d'entreprises moyennes ou nouvelles viennent en bourse pour ouvrir leur capital ou se dégager de taux bancaires élevés. Le Nouveau Marché à Paris, le Nasdaq à New-York, ne sont rien d'autre que le reflet de la capitalisation des PME.

Diverses mesures législatives ont enfin favorisé l'offre de titres, comme le développement des contrats d'assurance-vie ou la titrisation. Plus généralement, la suppression du contrôle des changes a permis, avec l'interconnexion des places financières, les cotations multiples et les émissions simultanées de titres. Enfin, l'apparition de l'euro, qui représente un fort facteur d'unification des marchés européens, conduit inéluctablement à une harmonisation de la fiscalité de l'épargne, qui représente par elle-même un enjeu politique.

Du côté de la demande de titres, l'on observe une modification des comportements d'épargne des ménages. Dans la plupart des grands pays d'Europe, aux États-Unis et au Japon, le taux d'épargne a cessé de décroître. En outre, l'épargne est de moins en moins employée à l'acquisition de logement, et de plus en plus à l'acquisition d'actifs financiers (cf. le succès de l'assurance vie). Certes, des phénomènes conjoncturels de taux d'intérêt élevés et de fiscalité favorable expliquent cette réorientation, mais celle-ci est également due à l'anticipation du vieillissement de la population. Le placement privilégié devient les fonds de pension, qui, pour servir des revenus à leurs adhérents retraités, arbitrent sur les différentes places financières. Les actifs des fonds de pension sont ainsi passés de 29 % du PIB des pays de l'OCDE en 1987 à 36 % en 1996. Leur fluidité est extrêmement importante, ce qui a des conséquences notables lorsque se profile une crise financière.

3.- LA CORRÉLATION DES PLACES FINANCIÈRES, FACTEUR D'IRRATIONALITÉ

La globalisation est un terme qui signifie plutôt corrélation : corrélation des places financières les plus importantes, et plus précisément corrélation des bourses européennes (Londres excepté) avec celle de New York (Wall Street), rendant ces dernières dépendantes des évolutions de l'économie américaine. Plus une place financière est internationalisée, plus elle est liée aux évolutions de Wall Street.

CORRÉLATION ENTRE WALL STREET ET LES BOURSES EUROPÉENNES

Pays

Corrélation avec les États-Unis(1)

Volatilité (1)

Rendement (1)

Depuis janvier 1999

Novembre 1999

Autriche

25,7 %

57,9 %

2,1 %

3,6 %

Belgique

50,3 %

-40 %

2 %

-4,2 %

Finlande

93,1 %

90,6 %

3,4 %

93,4 %

France

79,8 %

90,2 %

2,1 %

31,8 %

Allemagne

64,1 %

92,6 %

2,4 %

15,8 %

Irlande

65,1 %

-9,8 %

1,8 %

-1,5 %

Italie

74,6 %

39,5 %

1,9 %

7,2 %

Pays-Bas

67,2 %

91,8 %

2,2 %

20,7 %

Portugal

-1,8 %

-66,5 %

1,5 %

-6,9 %

Espagne

70,9 %

39,1 %

1,7 %

4 %

(1) Estimations sur un an à partir des variations mensuelles. Dernier cours le 29 novembre 1999.

Source : Indice Datastream, Standard and Poors pour les États-Unis, calculs Aurel-Leven.

Les caractéristiques propres aux métiers de la finance sont amplifiées par la globalisation des marchés. Toute opération financière est à la base la satisfaction d'un projet d'investissement, d'exportation ou de placement. Mais leurs initiateurs doivent s'assurer contre la variation des taux d'intérêt et des taux de change. Il en résulte une série d'opérations sur produits dérivés, certaines étant des prises de position sans dénouement. Comme l'écrit Henri Bourguinat, « à l'intérieur de ces chaînes fort ramifiées, se mêlent, de façon presque inextricable, techniques, d'endiguement du risque et, en même temps, de spéculation. D'où le fait, important, que cette finance s'autoentretienne, voire s'autogénère. Comme, parallèlement, les acteurs des marchés sont devenus de plus en plus nombreux, les techniques et les produits de plus en plus sophistiqués et, quoi qu'on en pense, pas toujours aussi bien maîtrisés qu'on veut bien le dire (back offices), il n'est pas étonnant que la sphère financière en vienne assez vite à fonctionner un peu en vase clos. Certes, elle continue à entretenir des points de sortie et d'entrée avec le secteur productif, mais, entre ceux-ci, il n'est pas surprenant qu'elle aboutisse à « moudre plusieurs fois le même grain » et à développer, à l'intérieur d'elle-même, des tendances auto entretenues » (8).

Ajoutons que l'information est loin d'être parfaite, contrairement aux attentes de la théorie économique. L'on peut même affirmer que son imperfection est justement le gage des profits boursiers, dans la mesure où les intervenants qui peuvent y accéder les premiers prendront les meilleures positions. Les prix sur les marchés financiers ne correspondent donc pas à la réalité mais à des anticipations dont le ressort premier est psychologique. Au lieu de se fonder sur des éléments rationnels, les anticipations tiennent ensuite compte de celles exprimées sur les autres marchés. Ainsi, un titre surévalué continuera de monter et de créer une valeur artificielle dès lors que les opérateurs considéreront que la tendance du marché est à la hausse. « La théorie des bulles rationnelles » résume cette attitude : il est rationnel de continuer à acheter un titre ou une devise alors même qu'il est trop cher par rapport à sa valeur fondamentale, tant que le risque de perte est plus que compensé par le gain en capital susceptible d'être réalisé (9). Sur le marché des changes, le dollar américain atteignit ainsi son plus haut cours historique en 1985, alors que le budget fédéral et la balance courante étaient respectivement en déficit de 250 et 125 milliards de dollars.

Il revient aux autorités publiques - notamment gouvernements et banques centrales - d'avertir les places financières comme les épargnants de la surévaluation des marchés. Mais il est rare que leurs propos seuls influencent ces derniers. Il faut soit une hausse du taux d'argent à court terme (dont se nourrit la spéculation), soit un déséquilibre entre offre et demande d'argent, soit enfin l'attitude des créanciers internationaux qui exigent d'être remboursés. Le reflux est alors plus rapide que la hausse, pour deux raisons techniques. Le mécanisme de création monétaire repose, en effet, sur une double confiance, celle des prêteurs comme celle des emprunteurs. En revanche, le blocage du mécanisme intervient quand les prêteurs ou les emprunteurs décident d'abandonner la partie. Le dégonflement des encours de crédit est donc habituellement plus rapide que leur accroissement, surtout si la majeure partie des opérateurs se voie contrainte de liquider à tout prix ses positions afin de faire face à ses engagements. Par ailleurs, les modalités de formation des prix à terme introduisent un deuxième élément d'asymétrie entre hausse et baisse des prix. Autant il est facile de profiter d'un prix à terme excessivement élevé, autant il est difficile de faire de même dans le cas où celui-ci est par trop déprimé. En effet, « un spéculateur qui veut se porter acheteur constitue sa position progressivement : il commence par mettre un peu d'argent en jeu, « pour voir », et il protège sa mise par un ordre de vente-stop qui sera automatiquement exécuté si le cours baisse en dessous d'un certain prix, fixant ainsi par avance le montant maximal de sa perte. Si, conformément à ses anticipations, les cours montent, le spéculateur fait alors deux choses : premièrement, il accroît sa mise ; deuxièmement, il la protège en plaçant un nouvel ordre de vente-stop, dont le niveau est supérieur au nouveau prix de revient moyen de sa position. Au fur et à mesure que la hausse se poursuit, le spéculateur cessera éventuellement d'augmenter sa position, mais toujours il la préservera en relevant autant que nécessaire son ordre de vente-stop. Le spéculateur aura accompagné la hausse, alors qu'il cherchera à devancer la baisse. Ce type d'intervention conduit donc à l'accumulation progressive de positions acheteuses qui peuvent devenir très importantes et sont susceptibles d'être dénouées très rapidement. Si un grand nombre de spéculateurs se livrent à ce genre d'exercice, la pression vendeuse peut donc soudainement devenir très forte et provoquer des baisses violentes de prix ainsi que des discontinuités majeures dans les cotations.  (10))

D.- DES EFFETS POSITIFS, DES RISQUES CONSIDÉRABLES

La mobilité croissante des capitaux comporte des effets économiques positifs, avec une meilleure couverture des risques pour les entreprises, mais présente l'inconvénient d'accentuer les crises systémiques. Elle limite également les marges de man_uvre des gouvernements, au point d'altérer la nature même de la démocratie.

1.- UNE INTERNATIONALISATION CROISSANTE DU CAPITAL

Il est incontestable que la mobilité du capital à l'échelle mondiale peut permettre une meilleure allocation des ressources et des emplois. Cette allocation est réalisée de longue date dans les pays développés, mais elle concerne également les pays en voie de développement. Quelle que soit l'inégalité des termes de l'échange entre le Nord et le Sud, le phénomène de globalisation est le résultat de la stratégie adoptée par les pays émergents pour s'insérer dans l'économie mondiale. La division du travail industriel à l'échelle du monde et l'extension du commerce international ont généré des flux de capitaux vers l'Amérique latine et l'Asie du Sud-Est. L'élévation du niveau de vie d'une partie de la population a également conduit à la création d'une importante épargne locale. La Banque mondiale souligne ainsi que près de 30 % des investissements étrangers directs sont allés en direction des pays en voie de développement depuis 1990.

La mobilité des capitaux n'est évidemment pas l'unique clé du développement des pays d'Asie du Sud-Est et d'Amérique latine. Une analyse du Fonds monétaire international rappelle opportunément que ce développement est dû à l'émergence d'entrepreneurs, à des mesures protectionnistes et à la naissance d'un marché intérieur. Le lien entre croissance et flux de capitaux est ténu.

CHINE ET ASIE DU SUD-EST :

CROISSANCE ET FLUX NETS DE CAPITAUX PRIVÉS

(en % du PIB)

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Chine

           

Flux nets de capitaux privés

- 0,9

4,5

5,6

5,2

4,6

3,7

Croissance

14,2

13,5

12,6

10,5

9,7

8,8

Singapour

           

Flux nets de capitaux privés

- 2,7

9,4

2,5

1,3

- 10,1

- 5,5

Croissance

6,2

10,4

10,5

8,8

7,0

7,8

Thaïlande

           

Flux nets de capitaux privés

8,7

8,4

8,6

12,7

9,3

- 10,7

Croissance

8,2

8,5

8,9

8,7

6,4

- 0,4

Indonésie

           

Flux nets de capitaux privés

2,5

3,1

3,9

6,2

6,3

1,6

Croissance

7,2

7,3

7,4

8,2

8,0

4,6

Corée du Sud

           

Flux nets de capitaux privés

2,4

- 1,6

3,1

3,9

4,9

2,8

Croissance

5,1

5,8

8,6

8,9

7,1

5,5

Malaisie

           

Flux nets de capitaux privés

15,1

17,4

1,5

8,8

0,96

4,7

Croissance

7,8

8,3

9,2

9,5

8,6

7,8

Philippines

           

Flux nets de capitaux privés

2,0

2,6

5,0

4,6

9,8

0,5

Croissance

0,3

2,1

4,4

4,8

5,7

5,1

Source : FMI.

L'allocation du capital dans les pays développés a enregistré de considérables modification depuis une dizaine d'années. La connexion des bourses et le jeu des fusions et des acquisitions a entraîné une internationalisation croissante des activités de biens et de services, au point que la nationalité d'une entreprise est parfois difficile à déterminer. Le poids des investissements étrangers s'établit ainsi à 8 % à la bourse de New-York (1997), 15 % à la bourse de Tokyo (1998) et 24 % à la bourse de Londres (1997).

Le cas de la France est quelque peu particulier. En privilégiant la solidarité entre générations, notre pays a fait le choix du renforcement du régime par répartition et n'a pas opté pour la mise en place de fonds de pensions. Mais avec l'internationalisation des places financières, la France est devenue extrêmement perméable aux investissements étrangers. La part des non-résidents représentait moins de 10 % de la capitalisation boursière de la place de Paris en 1988. Elle atteint actuellement près de 40 %. Plusieurs sociétés qui entrent dans la composition du CAC 40 sont détenues à plus de 50 % par des capitaux étrangers, particulièrement des fonds mutuels et des fonds de pensions.

VALEUR DES ACTIONS

DES PRINCIPAUX FONDS MUTUELS
ET DE PENSIONS ÉTRANGERS EN FRANCE (1998)

(en milliards de francs)

Fonds

Origine

Valorisation

Fidelity

États-Unis

30,7

Franklin

États-Unis

26,7

Capital Research & Management

États-Unis

21,4

College Retirement

États-Unis

14

T Rowe Price Associates

États-Unis

13,9

Merril Lynch

États-Unis

12,2

Deutsche Bank

Allemagne

12,1

Putnam

États-Unis

10,8

Janus

États-Unis

9,7

Dresdner Bank

Allemagne

8,9

Schroder

Royaume Uni

8,5

UBS

Suisse

7,6

California

États-Unis

7,5

Scudder, Stevens, Coari

États-Unis

6,5

Deka

Allemagne

6,4

SBS

Suisse

6,3

Amvescap

États-Unis

6,2

DWS

Allemagne

6,1

Degef

Allemagne

5,7

Sanford Bernstein

États-Unis

4,4

Commerzbank

Allemagne

4,2

Harbor

États-Unis

4,2

Lazard

États-Unis

4,1

Morgan Stanley

États-Unis

4

Vanguard

États-Unis

3,9

Adig

Allemagne

3,8

Allianz Kapital

Allemagne

3,7

Batterymarch

États-Unis

3,6

Dean Witter

États-Unis

3,6

IDS

États-Unis

3,5

Mass Mutual Life insurance

États-Unis

3,4

Investors Research

États-Unis

3,4

Grantham

États-Unis

3,2

Source : CDA Spectrum - Thomson Financial Services.

La présence des investisseurs étrangers a permis à la place de Paris d'augmenter le volume de ses transactions quotidiennes à raison de 10 milliards de francs aujourd'hui, contre 2 milliards de francs en 1990. En contrepartie, elle est devenue plus sensible à la volatilité des donneurs d'ordre. La chute de l'action Alcatel durant l'été 1998 a rappelé que les fonds mutuels et de pension sont guidés par des impératifs de gestion, et exigent transparence et performance. Ils imposent à toute société cotée des règles de valorisation du capital.

PART DES FONDS ÉTRANGERS
DANS QUELQUES SOCIÉTÉS FRANÇAISES (1998)

(en milliards de francs)

Sociétés

En % du capital détenu
par des fonds étrangers

Péchiney

19,98

Chargeurs

19,86

BNP

17,88

Accor

17,71

Cap Gemini

17,40

Crédit Lyonnais (CL)

17,34

Elf Aquitaine

17,34

Groupe J.-Claude Darmon

17,20

Alcatel

15,98

Technip

15,80

Société Générale

15,63

Rhône-Poulenc

15,53

Eurafrance

15,09

Michelin

14,63

TF 1

14,34

Usinor

14,32

AXA

14,20

Lagardère

13,91

Canal +

13,56

Source : CDA Spectrum -Thomson Financial Service.

2.- LIBÉRALISATION, GESTION DES ENTREPRISES ET ALLOCATION DU CAPITAL PRODUCTIF

La libéralisation des mouvements de capitaux a entraîné de nouveaux modes de financement qui bénéficient tant aux épargnants qu'aux producteurs à la recherche de ces capitaux :

- élargissement de la gamme des possibilités de placement et de financement ;

- réduction en moyenne du coût de l'intermédiation financière, en raison de l'accroissement des possibilités de ne pas y recourir, de la disparition progressive des rentes de monopole par la concurrence, et de la réduction des primes d'illiquidité grâce au développement des instruments financiers négociables ;

- meilleure efficacité dans l'analyse des demandes de financement avec le rapprochement des conditions de financement nationales.

La convergence des coûts du capital dans les pays développés a par ailleurs déplacé le débat sur les aspects financiers de la compétitivité vers l'efficience de la gestion d'entreprise « corporate governance » et a conduit les épargnants à rechercher une meilleure optimisation de leurs placements.

Le secteur des entreprises génère entre 30 et 50  % de l'épargne brute totale, selon le pays. Il répartit cette épargne entre trois postes : dividendes distribués aux propriétaires, autofinancement des investissements en capital fixe, investissements en actifs financiers.

C'est l'arbitrage entre ces deux derniers postes qui a été le plus affecté par la globalisation financière dans la mesure où les entreprises ont été tentées de répondre aux exigences nouvelles des marchés qui fixent leur valeur et évaluent leur solvabilité, en adoptant elles-mêmes un comportement d'optimisation du portefeuille d'actifs qui, au moins à la marge, amène à comparer en termes de rendement les opportunités d'investissements physiques et celles de placements financiers. Ce phénomène a concerné avant tout les grandes entreprises et a été particulièrement marqué là où les relations inter-industrielles s'inscrivent dans un réseau de participations financières (Japon), et/ou la propension à verser des dividendes est traditionnellement basse (pays européens notamment).

L'accroissement du rôle des directions d'entreprise dans la gestion des actifs financiers a marqué l'évolution des relations entre propriétaires et direction des entreprises. Cette évolution a été complexe et très différente d'un pays à l'autre, en fonction des conditions de départ et d'autres facteurs spécifiques :

- distanciation des relations (sous l'effet conjugué de l'institutionnalisation de l'épargne et de la multiplication des transactions en indices boursiers) ;

- fusion des relations par la technique du rachat d'une entreprise par ses dirigeants grâce à des crédits ;

rééquilibrage des relations en faveur des propriétaires lorsque les actionnaires individuels ou institutionnels deviennent plus actifs ; l'amorce récente d'un changement d'attitude de certains investisseurs institutionnels est particulièrement notable aux États-Unis et au Royaume-Uni, et peut s'interpréter comme une réaction contre l'abus des pratiques sanctionnées par les crises boursières de 1987 et de la fin 1990.

L'effet net de ces évolutions est difficile à apprécier, puisqu'elles sont en partie contradictoires. La première (distanciation) fait en principe converger les systèmes financiers vers le modèle anglo-américain. La dernière (actionnariat plus actif) a pour conséquence inverse de promouvoir des pratiques qui caractérisaient encore récemment des systèmes financiers comme ceux de l'Allemagne et du Japon.

Outre son impact sur le gouvernement d'entreprise, la libéralisation des capitaux a joué sur l'allocation du capital productif, mais cette allocation ne s'effectue pas au profit de toutes les entreprises et de tous types d'investissements. L'épargne est certes canalisée plus systématiquement et à un moindre coût d'intermédiation vers les emplois les plus rémunérateurs. Cette amélioration de la capacité de financement des investissements n'a pas cependant été parfaitement alignée sur l'évolution des besoins d'investissement productif. Certaines formes de risque, de tout temps difficile à prendre en charge, le deviennent encore plus lorsque les détenteurs de fonds voient leurs possibilités de placement s'élargir. Ces risques sont ceux contre lesquels il est impossible de se couvrir par l'usage d'instruments de financement dits titrisés, qui permettent à l'investisseur financier de « rester liquide » quelle que soit la date d'échéance des investissements concernés. Les entreprises les plus concernées sont les PME qui se créent sur des projets technologiques novateurs, et dont les titres ne peuvent pas être cotés sur les marchés secondaires assurant leur liquidité. Le problème est aggravé dans les pays où le capital-risque est peu développé. Mais la différenciation des conditions d'accès au financement pour les grandes et les petites entreprises a d'autres raisons et ne concerne pas uniquement les investissements les plus risqués.

Ainsi, les coûts d'intermédiation pour le financement des petites entreprises (coûts d'information et d'évaluation) sont plus élevés, ce qui se reflète dans le coût du capital mis à leur disposition. Cette part de l'élévation du coût du capital qui tient à d'autres motifs que les caractéristiques des projets d'investissement eux-mêmes est une source d'imperfections du processus de sélection par le marché des projets d'investissement des PME isolées.

On peut, par exemple, relever fréquemment plusieurs points de pourcentage entre le coût du crédit titrisé pour les grandes entreprises et celui du crédit bancaire traditionnel pour les PME. Par ailleurs, la convergence internationale des coûts du capital ne vaut que pour les grandes entreprises. Pour les autres, l'incidence sur les coûts des caractéristiques nationales des différents systèmes de financement demeure le critère déterminant de leur compétitivité.

La globalisation financière facilite, surtout pour les grandes entreprises, le financement des investissements dans la mesure où il est possible de mesurer le rendement suivant des critères de plus en plus standardisés à l'échelon international. Il n'en est pas de même pour les investissements dont le bien-fondé ne peut être apprécié qu'à partir d'informations détaillées sur l'entreprise et la nature de ses projets, et qui ne se traduisent pas par la création d'actifs pouvant servir de gages aux yeux des bailleurs de fonds.

3.- UNE VOLATILITÉ DÉSTABILISATRICE

L'intégration financière a pour corollaire la liberté de mouvement des capitaux. Cette liberté est facilitée par la déréglementation des marchés et les progrès technologiques. « Comme l'information est facilement accessible, les investisseurs n'ont plus besoin de se restreindre à des actifs tangibles (comme les chemins de fer du XIXe siècle) ou à la dette peu risquée de l'État (11). Les flux de capitaux sont essentiellement des portefeuilles de valeurs et d'investissements directs, plutôt que des prêts bancaires, les emprunteurs étant principalement des agents privés.

L'intégration financière a d'abord concerné les pays développés, mais les investisseurs ont diversifié leurs placements dans les pays émergents, dans la mesure où la plupart des pays développés ont connu, ces dix dernières années, une diminution des taux d'intérêt. En comparaison, les placements étaient plus rémunérateurs en Asie et en Amérique latine. L'élargissement du marché des capitaux a permis une meilleure allocation des ressources.

La plupart des théoriciens de l'économie estiment que l'allocation du capital à l'échelle mondiale permet une répartition optimale des risques. Ainsi, lorsqu'un investisseur peut diversifier son portefeuille sur les marchés mondiaux, il peut faire davantage d'investissements risqués, donc rentables, dans son propre pays, ce qui favorise la croissance nationale (12). En outre, il est essentiel d'avoir accès au financement externe afin de découpler l'épargne nationale de l'investissement du pays. Grâce à la libre entrée et sortie des capitaux, un pays peut théoriquement préserver son niveau de vie des fluctuations. Il lui suffit d'emprunter en période de basse conjoncture pour rembourser en période de surchauffe. Ainsi, ni les ménages résidents, ni les entreprises n'ont plus besoin de subir le cycle économique.

Grâce aux capitaux extérieurs, le pays peut également exploiter son potentiel de croissance en investissant dans les projets rentables, au-delà de ce qui serait permis par l'épargne des résidents, qu'il s'agisse des pays qui ont un déficit structurel d'épargne (Amérique latine) comme des pays à épargne forte, mais dont les perspectives de croissance sont plus fortes encore (Asie).

Les capitaux extérieurs ont joué un rôle important dans la croissance des pays émergents, mais ils ne leur sont pas réservés. La Norvège a emprunté l'équivalent de 14 % de son PIB pour développer les gisements de pétrole de la mer du Nord dans les années soixante-dix. Le Portugal et la Grèce ont emprunté près de 17 % de leur PIB au début des années quatre-vingt pour moderniser leur économie.

A plusieurs reprises pourtant, les capitaux ont fui brutalement certaines places financières et provoqué des crises de liquidité. En 1996 et 1997, la Corée du Sud, l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande ont perdu près de 100 milliards de dollars de capitaux, soit 11 % de leur PIB.

Le cas du Mexique est également éclairant : après avoir subi en 1962 une grave crise (résolue seulement en 1969), l'économie mexicaine s'était engagée dans un processus de stabilisation : rigueur monétaire et budgétaire, maîtrise des échanges avec l'adhésion au GATT en 1986, signature de l'Alena en 1993 et importantes opérations de privatisation. Cette stratégie a été brutalement remise en cause en 1994 par une crise de la balance des paiements. La balance commerciale s'était en effet détériorée du fait de la progression des importations favorisée par l'appréciation réelle du peso tandis que le déficit courant (7 % du PIB) se trouvait financé par des capitaux volatils. Une intervention étrangère massive a été nécessaire pour enrayer la dépréciation du peso et ses conséquences inflationnistes. Un prêt de 50 milliards de dollars a été mis à la disposition du Mexique. Le coût de l'ajustement a été sévère, le PIB se contractant de 6 % en 1995, mais la croissance a repris dès 1996 et a même été plus forte que prévu (+ 5,1 %) pour se conforter en 1997 (7,1 %) et 1998 (4,8 %).

L'on doit néanmoins s'interroger sur le rôle réel des mouvements de capitaux dans la déstabilisation des économies. Sont-ils à l'origine de celle-ci, en sont-ils juste le catalyseur ou ne sont-ils que la traduction (ou la sanction) du constat de déséquilibres macro-économiques ?

L'analyse de la crise mexicaine et asiatique démontre à l'évidence que la troisième hypothèse constitue l'explication centrale de la déstabilisation des économies. Même en présence d'un effondrement du marché boursier et d'une forte hausse des taux d'intérêt, il n'y a d'instabilité financière que si les bilans des agents (ménages, entreprises, banques) sont déséquilibrés, au point d'être insolvables. A la veille de l'effondrement du won, l'endettement global de la Corée dépassait 200 milliards de dollars, celui de l'Indonésie s'établissait à 117 milliards de dollars alors que la banque centrale n'avait que 20 milliards de dollars au titre des réserves de change. La fragilité des banques asiatiques a rendu les afflux massifs de capitaux dangereux, alors que des afflux équivalents dans les pays développés n'ont pas conduit à une telle crise.

L'exemple de la Malaisie témoigne d'ailleurs de l'apparition d'une crise bancaire sans intervention de capitaux extérieurs. La Thaïlande constitue l'exemple contraire. Sur la période 1991-1997, la Thaïlande a connu une explosion du crédit bancaire. En 1997, celui-ci représentait 180 % du revenu national, tandis que les engagements extérieurs du secteur bancaire atteignaient 40 % du PIB (le secteur bancaire s'était appuyé sur le différentiel d'intérêt pour emprunter des devises et les reprêter en monnaie nationale). Le même scénario s'est appliqué à la Corée. A l'inverse, en Malaisie, l'emballement du crédit (180 % du PIB en 1997) a été entièrement porté par le secteur bancaire national. Les engagements extérieurs ne représentaient que 10 % du PIB et ne croissaient quasiment pas depuis le début de la décennie.

La fuite des capitaux ne fait qu'aggraver le phénomène, mais n'en constitue pas l'origine. Tout acteur économique cherche en effet à céder ses créances douteuses. On relèvera que les capitaux internationaux ne sont pas seuls en cause. En janvier 1999, les résidents brésiliens ont considérablement aggravé la crise de change en tentant de céder des cruzeiros (c'est-à-dire la dette interne du pays) contre des dollars. En outre, la volatilité est liée à la nature des investissements. Les capitaux à court terme sont évidemment générateurs de déstabilisation, alors que les capitaux à long terme ont pour finalité de financer des activités industrielles et commerciales.

4.- DES CONSÉQUENCES POLITIQUES DANGEREUSES

Les marchés financiers relèvent-ils de la seule sphère économique ? La réponse est évidemment négative. Lorsqu'ils fléchissent significativement, la chute de la valeur des entreprises, les pertes de valeurs nominales ou la diminution de plusieurs points de PNB ont pour conséquence le ralentissement des activités industrielles et de services, avec les conséquences facilement prévisibles sur l'emploi.

Le phénomène est en règle générale brutal dans les pays en voie de développement. La chute du bath a fait disparaître l'ensemble de la classe moyenne en Thaïlande, en 1997. Il en était de même au Mexique, trois années auparavant. En Indonésie, le constat des créances irrévocables a été aggravé par la corruption et a conduit à des émeutes. La guerre civile du Timor oriental, quelle que soit l'ancienneté du conflit, se rattache directement à ce contexte, l'armée ayant cherché à détourner l'attention sur un problème d'intégrité du territoire.

L'impact de la crise thaïlandaise et indonésienne a touché l'ensemble des pays de la zone ASEAN, au point qu'on a qualifié les troubles monétaires de spirale « à la mexicaine ». La décision de la Banque de Thaïlande de laisser flotter le bath a conduit cette devise à perdre 16,7  % en deux jours par rapport au dollar, alors que la bourse de Bangkok gagnait 16,4  % dans la même période, les investisseurs (étrangers en particulier) accueillant cette détente du marché avec satisfaction à court terme. Mais alors que les spéculateurs pouvaient escompter des gains, les thaïlandais perdaient brusquement leur pouvoir d'achat.

Dans les mois qui ont suivi la dévaluation du bath (Juillet 1997) on a assisté à une répétition de la crise qui avait secoué, en 1994-1995, toute l'Amérique latine, lorsque le peso mexicain avait entraîné les monnaies voisines dans une spirale baissière, faisant fuir de ces marchés les capitaux à court terme, et plongeant les économies de ces pays dans le marasme. La décision de la Banque de Thaïlande a placé le peso philippin sous la pression des spéculateurs.

Or, le gouvernement philippin a tenté de soutenir un peso fort, mais n'a pu soutenir cette position en raison d'une série d'incohérences politiques et d'un déficit courant très important. Les Philippines, comme la Thaïlande, avaient un haut degré d'expansion monétaire, et l'interférence de la dévaluation thaïlandaise a provoqué une hausse des taux d'intérêt. La banque centrale philippine a dû porter le taux d'escompte au jour le jour à 20  %. La Banque Negara (banque centrale de Malaisie) a été alors contrainte de soutenir sa monnaie, le ringgit. La demande intérieure et les investissements se sont brusquement contractés. L'impact de la crise s'est répercuté sur le Japon. Ainsi, le secteur automobile a vu les exportations nippones de véhicules à destination du Sud-Est asiatique chuter de 60  %. Les bénéfices consolidés nets des entreprises japonaises cotées en bourse ont fléchi en 1997 de 25,9  % (31,6  % après imposition).

Quoique les exportations aient globalement fléchi de 1,5  %, les ventes vers l'Asie se sont effondrées de 21,1  %. Les importations japonaises, qui représentaient 2.822,6 milliards de yens ont régressé de 16,3  % sur une base annuelle. Les importations en provenance d'Asie se sont réduites de 17,8  % et celles de l'Union Européenne de 13,8  %. En revanche, l'atonie de la demande intérieure et le recul de la demande dans la région asiatique se sont traduits par une poussée des exportations vers l'Europe (+18,9  %), stimulée par la faiblesse du yen. Il est vrai que le Japon commercialise des produits hautement spécialisés et exploite certaines niches spécifiques.

Les conséquences sociales des crises des marchés financiers sont directement supportées par les gouvernements des États dans lesquelles elles se produisent. Le degré de maturité démocratique d'une société et les mécanismes de solidarité deviennent alors déterminants. La crise asiatique a provoqué un regain de nationalisme en Corée du Sud, en Indonésie et en Malaisie, et renforcé l'autoritarisme des gouvernements indonésiens et malais.

Le débat est d'une autre nature dans les pays développés. La limitation de la souveraineté économique au profit d'entités plus vastes, comme l'Union européenne, est admise depuis une dizaine d'années, malgré quelques soubresauts comme le référendum danois en 1992. Le débat est plutôt centré sur le contrôle démocratique des organes auxquels la souveraineté a été déléguée (commission des Communautés européennes, Banque centrale européenne...). Les critères du traité de Maastricht sur la limitation du déficit budgétaire et de l'endettement public sont du même ordre que l'analyse de l'endettement des États par les agences de notation, cette analyse ayant des conséquences directes sur la prime de risque qu'acceptent de payer les investisseurs lors du placement des O.A.T. ou des Treasury Bonds.

Les marchés financiers posent néanmoins un problème différent de celui induit par une union économique et monétaire. Leur internationalisation, combinée aux évaluations technologiques, les rend quasiment indépendants des cadres législatifs purement nationaux. Il devient impossible de proposer une taxation quelconque (cotisations sociales, prélèvement fiscal...) sur les transactions sans se heurter à une sorte de chantage à la délocalisation des emplois et des centres de décision financiers de la part des opérateurs. Or, les risques systémiques des marchés financiers et du secteur bancaire sont, en dernier ressort, pris en charge par les collectivités (socialisation des risques) tandis que les profits demeurent privés. Il y a là un déséquilibre que les responsables politiques ne peuvent plus admettre, car il s'agit d'une limitation de souveraineté sans contrepartie.

La souveraineté économique devient, de façon croissante, un leurre dont les États ne peuvent plus se prévaloir, à l'exception sans doute des États-Unis, en raison du rôle du dollar. Ce recul se traduit par des tentatives d'atteinte à la protection sociale, au nom de la compétitivité. A terme, c'est le sens même de la démocratie qui est en jeu. L'histoire démontre que la perte de ce sens est le principal facteur de montée des forces antidémocratiques (intégrisme, extrême droite).

La puissance des marchés financiers oblige ceux qui fondent leur combat politique sur un idéal de gauche à opérer une réflexion de fond. Sauf à vouloir supprimer les marchés, force est de reconnaître qu'ils jouent un rôle de médiation, à l'échelle mondiale, entre l'offre et la demande de capitaux. Les déviations, les crises qu'ils traversent périodiquement sont surtout dues à des anticipations hasardeuses, aggravées par des législations insuffisantes quant aux règles de prudentialité ou d'honorabilité des intervenants. Mais la concurrence à laquelle ils se livrent, le poids des capitaux qui circulent journellement, leur importance dans le financement des déficits budgétaires limitent les possibilités de prélèvements sur les transactions. Or, les politiques de gauche se définissent surtout par la redistribution des richesses pour assurer la cohésion de la société. Si l'environnement économique contraint les gouvernements à une taxation a minima de la production de richesses, voire à la totale absence de taxation, et se limite à une stricte politique de l'offre, toute marge de man_uvre sera impossible dans le domaine social. La politique conduite par le Gouvernement depuis 1997 montre l'importance du soutien à la demande pour le bon fonctionnement de l'économie. C'est bien la nécessité d'une nouvelle régulation qui s'impose.

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II.- LES PRIORITÉS D'UNE NOUVELLE RÉGULATION

La régulation est une expression provenant du droit anglo-saxon. La caractéristique de ce droit est d'essence contractuelle, la loi ne fixant qu'un cadre général au sein duquel s'exercent les rapports sociaux.

L'expression « régulation » connaît une fortune particulière à la faveur de l'internationalisation des échanges. Plutôt que de concilier les droits nationaux dans des conventions bilatérales, la plupart des acteurs (gouvernements, autorités de tutelle, opérateurs) se soumettent à un corpus de règles souples, ou à des définition juridiques larges, permettant aux professionnels d'évoluer. En matière financière, l'exemple le plus probant est illustré par la définition des titres dans la directive européenne sur les services d'investissement, suffisamment large pour ne pas entraver la création de nouveaux produits par les opérateurs.

Les métiers de la finance se caractérisent par des techniques communes et des principes que l'on retrouve sur la plupart des marchés.

L'émergence de règles a été d'autant plus aisée que les opérateurs souhaitaient disposer de cadres transnationaux pour opérer à l'échelle mondiale, même s'il existe de nombreuses différences entre les places financières, tenant lieu à la fiscalité sur les plus-values, le traitement des non-résidents, les normes prudentielles applicables aux établissements de crédit ... Du moins ces règles permettent-elles d'égaliser de manière croissante les conditions de concurrence.

Vos Rapporteurs limiteront leurs réflexions au secteur financier, compte tenu du champ de ce rapport. Mais il est patent que la régulation ne concerne pas ce seul secteur. La concurrence à armes inégales (absence de charges sociales ou de droits des salariés), le travail des enfants ou le travail en milieu pénitentiaire, l'ignorance des normes environnementales constituent également des domaines où il sera nécessaire de rapprocher les conditions de production.

Dans le secteur financier, quatre priorités se dégagent :

_ imposer un droit aux paradis fiscaux et centres off-shore ;

_ réglementer les fonds spéculatifs ;

_ réformer le système monétaire international ;

_ contrôler les mouvements de capitaux à court terme.

A.- IMPOSER UN DROIT AUX PARADIS FISCAUX ET CENTRES  OFF-SHORE

Paradis fiscaux et centres off-shore se distinguent par quelques critères. Les paradis fiscaux sont des pays indépendants ou des entités géographiques ne percevant pas d'impôt sur le revenu, sur les plus-values, sur les sociétés, sur le capital, sur la fortune ou sur les successions. Ils garantissent un secret bancaire absolu, préservent l'anonymat des propriétaires de sociétés et ne sont signataires d'aucune convention internationale d'ordre fiscal.

Notre collègue Jean-Pierre Brard a établi, dans son rapport sur la lutte contre la fraude fiscale (13) une liste de paradis fiscaux :

PARADIS FISCAUX NOTOIRES

Andorre

Grenade

Monaco

Anguilla

Guernesey

Montserrat

Antigua et Barbuda

Hong-Kong

Nauru

Antilles néerlandaises

Irlande

Panama

Bahamas

Ile de Man

Pays-Bas

Bahrein

Iles Cook

Saint-Kitts-et-Nevis

Barbade

Iles Vierges britanniques

Saint-Vincent et les Grenadines

Bermudes

Jersey

Sark

Cayman ou Iles Caïmans

Liberia

Suisse

Chypre

Liechtenstein

Turks et Caïcos

Costa Rica

Luxembourg

Vanuatu

Gibraltar

Malte

 

NB.- Les territoires souverains sont en italique

Source : Liste établie d'après les trois ouvrages suivants : Guide mondial des paradis fiscaux, The Economist, The main havens, Grundy's taxe havent, Hampton, The main tax havens, Spitz, Diamond and Diamond.

Les centres off-shore s'en distinguent quelque peu. Il s'agit de places, certaines organisées par des États souverains, qui établissent des règles similaires à celles des paradis fiscaux pour des opérations internationales n'ayant pas de lien avec une activité économique au sein de leur territoire.

CENTRES OFF SHORE  (14)

Andorre

Guernesey

Antilles néerlandaises

Jamaïque

Aruba

Jersey

Bahamas

Labuan (Malaisie)

Barbade

Libéria

Bermudes

Liechtenstein

Chypre

Luxembourg

Costa Rica

Madère

Hong-Kong

Malte

Iles Caïmans

Monaco

Iles Cook

Nauru

Ile de Man

Niwe

Ile Maurice

Panama

Iles Turques et Caïques

Samoa occidentales (Iles)

Iles vierges britanniques

Saint-Kitts et Nevis

Gibraltar

Suisse

 

Vanuatu

NB.- Les territoires non souverains sont en italique

On relèvera la présence de mêmes pays dans les deux tableaux.

Paradis fiscaux et centres off-shore accueillent sur leur territoire plusieurs centaines de banques, de cabinets juridiques et d'expertise comptable. L'évaluation des masses financières qui y sont gérées ressort à 5.000 milliards de dollars (30.000 milliards de francs), soit une somme hors de proportion avec leur superficie et leur population (quelques centaines de milliers de personnes). A titre de comparaison, le PIB annuel de la France est d'environ 1.500 milliards de dollars. Les données permettant de décomposer les masses financières par pays sont rares. La Suisse représenterait 33 % des avoirs, devant le Luxembourg (10 %), Jersey, Guernesey et Man (5 %), soit des territoires exclusivement européens. Aruba, les Bermudes, les Caymans, Turks et Caïcos, les îles Vierges, Montserrat, Saint-Kitts et Nevis sont, par ailleurs, des dépendances de la Grande-Bretagne ou des Pays-Bas.

A la délocalisation géographique s'ajoute désormais un risque électronique. Vos Rapporteurs ont eu, par leurs auditions, confirmation de l'excellente analyse de M. Jean-Pierre Brard :

« Avec le développement des nouvelles technologies, les paradis fiscaux sont devenus une sorte de nouvelle frontière. Ils représentent l'espace d'une nouvelle aventure capitaliste fondé sur des principes assez peu solides.

On trouve ainsi sur Internet les publicités et les annonces pour les casinos électroniques basés dans les Caraïbes, sur les services financiers off shore en tout genre et sur les possibilités d'acquisition de biens immatériels ou matériels, sans taxe, et réglés par carte bancaire internationale grâce à des procédures de paiements censées être sécurisées.

Si l'on ajoute les cyberpaiements avec la monnaie électronique anonyme des cartes prépayées, cartes à puces éventuellement rechargeables sur lesquelles des mouvements importants peuvent être inscrits, la floraison des services de type Cybercash de circulation de monnaie sur Internet, si l'on tient compte du fait qu'il suffit d'un ordinateur pour créer des services de ce type, on mesure les risques d'un développement incontrôlé des systèmes électroniques.

Les risques de fraudes sont alors accrus d'autant. D'ores et déjà, certains services à distance et certaines ventes à distance réalisées de l'extérieur de l'Union européenne avec paiement par carte ne sont pas assujettis à la TVA, et ne pourraient l'être faute de traçabilité suffisante des transactions.

Si l'on pense que les problèmes inhérents à la difficulté de taxer les opérations effectuées dans le cadre du commerce et des transactions électroniques peuvent se résoudre grâce aux négociations entre États, on conçoit mal que la Communauté internationale puisse tolérer le maintien des paradis fiscaux, ces juridictions opaques ne coopérant pas aux procédures destinées à assurer un minimum de transparence et de traçabilité dans les toutes prochaines années. Ce serait sinon faire preuve d'angélisme. »

La lutte contre les paradis fiscaux et les centres off-shore est à l'ordre du jour depuis le sommet de l'Arche, en juillet 1989, les pays du G 7 ayant considéré que ces centres favorisaient le recyclage des revenus provenant d'activités criminelles. Malgré quelques mesures, l'OCDE évalue annuellement à 1.500 milliards de dollars la somme issue du blanchiment d'argent.

L'utilité d'un paradis fiscal ou d'un centre off-shore s'explique aisément. Quelles que soient les modalités de transit de l'argent frauduleux, sa réintroduction dans le circuit économique passe par une banque pour être transformé en fonds utilisables. Or, les paradis et centres off-shore offrent une panoplie de structures fictives, dont le seul objet est de masquer l'identité des déposants. En d'autres termes, toute recherche à l'encontre de fraudeurs s'arrête à leur frontière.

Les paradis fiscaux tirent également leur fortune de la fraude et de la dissimulation fiscale, dont ils font commerce. Vos Rapporteurs renvoient en la matière à la lecture du rapport n° 1802 précité, de M. Jean-Pierre Brard (pages 47 à 140) qui décrit les moyens utilisés pour attirer les capitaux dans ces territoires (imposition à taux réduit des centres financiers, rulings néerlandais, sociétés holding du Luxembourg et des Pays-Bas, zones franches, sociétés non résidentes, sociétés exportatrices américaines, « sandwich néerlandais »). Ce rapport mentionne également les régimes fiscaux de fait. L'on relèvera au passage que deux font partie du département de la Guadeloupe : Saint-Barthélémy et Saint-Martin.

L'existence des paradis fiscaux et centres off-shore est devenue clairement intolérable dans un monde où l'internationalisation des activités est croissante. L'ensemble des acteurs doit alors être soumis à la même règle. Sinon, il y a distorsion de concurrence et intrusion brutale de capitaux dans des pays économiquement fragiles.

Depuis le sommet de l'Arche, diverses conventions internationales ont été signées entre pays de l'OCDE, de l'Union européenne, du Conseil de l'Europe ou des États américains, mais elles ne sont que rarement appliquées. Certaines d'entre elles ne sont toujours pas ratifiées par les parlements nationaux. D'un côté, certains États signent des traités de bonne conduite, et de l'autre transgressent les règles non encore établies en profitant justement de ces centres financiers off-shore. La condamnation par l'Organisation mondiale du commerce des Etats-Unis, pour concurrence déloyale par des subventions fiscales indirectes attribuées aux filiales des groupes industriels américains installés dans les centres financiers off-shore, en est un exemple flagrant.

L'application stricte des conventions internationales par les pays signataires, et en particulier ceux du G 8 est une absolue nécessité. Sinon, il sera impossible de faire admettre à des pays plus faibles économiquement qu'ils doivent respecter les engagements internationaux.

Il paraît évident de devoir renforcer la coopération entre les États qui ont décidé de lutter contre le crime organisé. Cette coopération doit être administrative et surtout judiciaire, pour que les enquêtes ne s'arrêtent pas aux postes frontières sous prétexte que la définition du délit ou du crime n'est pas la même de l'autre côté de la ligne administrative.

L'Europe a considérablement avancé avec ses dernières conventions de 1995 relatives à l'extradition, de 1996 à 1998 sur les liens des réseaux judiciaires et des magistrats ainsi que du renforcement des actions communes. Enfin, le 17 janvier 1999, la convention pénale du Conseil de l'Europe a renforcé les liens de coopération et harmonisé la notion de secret bancaire derrière lequel les banques ne peuvent plus se retrancher abusivement. De son côté, l'Union européenne vient d'adopter, lors du Conseil européen de Cologne en juin 1999, les modifications de la directive de 1991 visant à combattre le blanchiment de l'argent.

Les exigences imposées aux banques doivent s'étendre à d'autres professions comme les commissaires aux comptes extérieurs, aux avocats, aux notaires, aux agents immobiliers, aux courtiers sur certains marchés et aux métiers en relation directe avec de grandes liquidités, transports de fonds et casinos. Le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques apporte à cet égard un commencement de solution.

Des mesures politiques plus radicales seront sans doute nécessaires. Ainsi, après la réunion d'un groupe d'experts en mars 1999, à Paris, l'assemblée générale de l'ONU a adopté les recommandations suivantes :

_ appliquer des mesures de protection du système financier international vis-à-vis des centres off-shore, et en particulier les convaincre de se doter de réglementations adéquates pour une vigilance accrue ;

_ développer encore les moyens de coopération internationale par une amélioration qualitative et quantitative de l'échange d'informations ;

_ modifier les normes de droit commercial concernant la transparence et la responsabilité des personnes morales ;

_ veiller à ce que le secret professionnel, et notamment bancaire, ne soit pas une entrave à la justice et définir la portée du secret professionnel en général ;

_ créer de véritables pôles régionaux de magistrats spécialisés et de tous les acteurs de la lutte contre le blanchiment de l'argent. Ces pôles doivent être dotés de moyens importants et d'une technologie très moderne ;

_ obliger enfin les différents acteurs susceptibles d'être confrontés aux réseaux du crime organisé à détecter les transactions illicites et à les déclarer aux autorités.

Au-delà de ces mesures, dont la portée ne doit certes pas être mésestimée, c'est la mise hors jeu des paradis fiscaux et des centres off-shore qui doit constituer l'objectif politique central, par les moyens les plus classiques de la diplomatie.

B.- IMPOSER DES RÈGLES AUX FONDS SPÉCULATIFS

Si les mouvements de capitaux sont mis en _uvre à la fois par des opérateurs publics et privés, la garantie ultime du système est assurée par la puissance publique, par le biais des banques centrales, du budget de l'État et des organisations internationales. Il s'agit de la fonction de prêteur en dernier ressort. Mais les fonds spéculatifs, organismes de placement privés, sont exemptés de la plupart des obligations de déclaration et de publicité imposées aux banques et aux fonds communs de placement, car ils n'ont pas le statut des établissements financiers.

1.- L'INSUFFISANCE DE LA RÉGULATION FINANCIÈRE PAR LES ACTEURS PRIVÉS

La libéralisation financière a conduit graduellement les banques et établissements financiers à établir, sous l'égide du comité de Bâle (banquiers centraux), des règles communes de prudentialité. Celles-ci n'obéissent cependant pas à des considérations purement économiques.

a) Genèse et insuffisance du ratio Cooke

Le ratio Cooke a été mis en place en réponse aux inquiétudes du Congrès américain face à la montée des risques dans le secteur bancaire. Paul Volker, qui dirigeait alors la Réserve fédérale, proposa en mars 1984 aux banquiers centraux du comité de Bâle d'avancer vers une convergence réglementaire en matière de niveau de fonds propres. Deux mois plus tard, les difficultés de la banque Continental Illinois renforcèrent la conviction des autorités américaines que les banques devaient assurer une meilleure couverture de leurs risques. Les autorités américaines proposèrent en janvier 1986 un ratio de capital pondéré en fonction de la nature des risques encourus, proche du futur ratio Cooke.

A ce stade, la Réserve fédérale ne pouvait imposer ce nouveau contrôle aux seules banques américaines : celles-ci faisaient valoir que le coût de constitution de ces fonds propres supplémentaires leur ferait perdre de la compétitivité par rapport à leurs concurrentes étrangères ne subissant pas cette contrainte. La seule solution résidait en ce que tous les pays acceptent ce standard prudentiel. Les autorités américaines, plutôt que d'engager des négociations multilatérales, jouèrent la négociation bilatérale. Celle-ci commença avec la Banque d'Angleterre en juillet 1986. Les autorités britanniques ont rapidement accepté de se conformer au nouveau standard proposé par les Américains, y voyant un moyen de rendre caduques les négociations en cours sur le même sujet au sein de la Communauté européenne.

Cet accord, conclu entre les deux plus grandes places financières mondiales, relançait les discussions au sein du comité de Bâle. Mais les deux États réussirent à convaincre le Japon de se rallier à leurs propositions. C'est ainsi qu'un accord à trois fut annoncé durant l'été 1987, les Japonais ayant obtenu d'intégrer dans leur ratio de fonds propres 45 % des plus-values boursières latentes sur les actifs détenus par les établissements financiers japonais, alors en pleine bulle spéculative sur la place de Tokyo. Cet accord accélérait les discussions multilatérales au niveau de la BRI. Le ratio Cooke naquit en décembre 1987 et devint officiel après quelques négociations avec les acteurs privés, en juillet 1988.

De ce bref historique, on peut tirer la conclusion que le ratio Cooke fut le résultat de marchandages entre différents acteurs publics et privés, mais que la puissance publique a disposé de la prééminence dans la conduite des négociations.

Si le ratio Cooke a représenté un progrès indéniable, il a vite été dépassé par les évolutions de la finance internationale. Les risques liés aux activités de marché, en plein développement, ne faisaient pas l'objet d'une exigibilité en fonds propres, mais la méthode du ratio Cooke, qui exigeait 8 centimes de fonds propres pour chaque franc de crédit engagé, ne prenait pas en compte les risques liés à la structure totale du portefeuille d'activité et au poids excessif que pourraient être amenées à occuper différentes sortes d'actifs. Finalement, au-delà même de la difficulté technique à apprécier les risques de marché, d'autres problèmes fondamentaux ont rendu nécessaire l'évolution du contrôle prudentiel. En effet, le contrôle des risques ne peut se réduire à celui des positions d'un établissement bancaire sur les différents marchés. Pour être efficace, il doit intégrer un certain nombre d'autres dimensions : définition des responsabilités, existence de procédures à mettre en _uvre en cas d'incident, fiabilité des systèmes d'enregistrement des opérations, qualité de l'audit, exhaustivité des saisies. Enfin, la solidité d'un intermédiaire financier ou d'un système financier doit de plus en plus pouvoir s'apprécier en temps réel, les pertes importantes et les risques qui l'accompagnent pouvant intervenir en un temps très réduit. La liquidation de la banque Barings en constitue le meilleur exemple.

b) L'émergence de l'autocontrôle

L'autocontrôle représente la possibilité laissée aux établissements financiers d'utiliser des modèles internes pour contrôler et gérer leurs risques financiers (méthodologie d'ensemble et algorithmes de calcul, organisation des responsabilités et des procédures de contrôle, système d'enregistrement et de traitement des opérations). Le développement de modèles internes a réclamé, de la part des établissements financiers, un investissement important en personnels que tous ces établissements ne peuvent forcément assurer. Pour ceux qui se trouvent dans cette position, des modèles standards sont mis à disposition par les autorités de tutelle. Les acteurs les plus puissants, de leur côté, peuvent définir eux-mêmes leurs modèles internes. Pour pouvoir les utiliser, un établissement doit bénéficier de la validation des autorités de tutelle, soit, en France, de la Commission bancaire. A cette fin, celle-ci procède à un audit complet de la structure interne et de l'organisation du contrôle des risques. Après négociation avec les établissements financiers, elle délivre une autorisation d'utilisation des modèles internes lorsqu'elle juge que ceux-ci sont conformes à ses exigences.

L'autocontrôle n'est cependant pas absolu. En France, la loi a maintenu le contrôle prudentiel du CECEI et de la Commission bancaire pour créer et exercer l'ensemble des métiers liés au crédit.

2.- LES FONDS SPÉCULATIFS : AUCUNE RÉGLEMENTATION... ET UN FORT COEFFICIENT MULTIPLICATEUR

Il n'existe ni définition précise, ni statistique fiable sur les fonds spéculatifs (appelés hedge funds par les professionnels). L'expression désigne pourtant un domaine très précis de la finance. Selon le Hennessee Hedge Fund Advisary Group, il existerait environ 4.000 fonds, regroupant une capitalisation de 315 milliards de dollars à la fin de 1999, à comparer à 4 milliards de dollars à la fin de 1993.

Plus fondamentalement, il est difficile de distinguer avec précision les fonds spéculatifs des autres investisseurs institutionnels et de donner une définition générale de leurs opérations, car leurs gérants poursuivent des stratégies très diverses.

Aux États-Unis, ces sociétés ne sont soumises à aucune réglementation prudentielle (en matière de capitaux propres ou de diversification) ni à aucune autorité de tutelle. Dans la mesure où un fonds possède moins de quatre-vingt-dix-neuf associés et ne fait pas appel à l'épargne des petits porteurs, il n'est pas soumis au contrôle de la Securities and Exchange Commission (SEC), ce qui lui permet de « jouer » des sommes sans rapport avec les fonds propres qu'il détient. L'absence de réglementation est également justifiée par des facteurs idéologiques, la préférence pour la « discipline du marché » est souvent invoquée.

Plusieurs sociétés de services réunissent sur les fonds spéculatifs des informations dont il ressort qu'au quatrième trimestre de 1998, les capitaux placés à ce titre -compte non tenu des fonds investissant uniquement dans d'autres fonds spéculatifs- avoisinaient 200 milliards de dollars. Sur ce montant, quelque 50 milliards étaient détenus par ce que l'on appelle des macrofonds, qui nouent d'importantes positions non couvertes en fonction de l'évolution de la conjoncture mondiale et dont le levier financier démultiplie en général de 4 à 7 fois le capital. Les autres fonds, que l'on appelle fonds d'arbitrage, parient sur les prix relatifs d'effets étroitement liés et sont moins sensibles aux fluctuations économiques. Ils s'appuient le plus souvent sur un levier financier plus important que les macrofonds. A titre de comparaison, le capital de cette seconde catégorie d'investisseurs institutionnels, tels que les banques d'affaires et les banques commerciales, dépasse 40.000 milliards de dollars sur les fonds spéculatifs. Ils se distinguent également dans le type d'utilisation des instruments financiers. La plupart des fonds spéculatifs travaillent sur les actions et obligations en prenant des positions tantôt courtes, tantôt longues ou les deux simultanément. En plus d'être actifs sur les marchés des changes, les fonds spéculatifs sont d'importants utilisateurs de produits dérivés soit pour couvrir leurs portefeuilles, soit pour exploiter les inefficiences de marché ou prendre des positions ouvertes. La performance des fonds spéculatifs, évaluée entre 1995 et 1997, a été supérieure aux indices de référence (le Standard and Poor's 500), seulement pour les fonds macro en 1996 et 1997, mais situé à un niveau inférieur pour les autres types de fonds (les fonds globaux et surtout les fonds dits market neutral, font apparaître des performances inférieures à celles du Standard and Poor's à l'exception notable de LTCM qui est parvenu à dépasser ses concurrents avec un taux de rendement de 40 % entre 1994 et 1997). La raison de cette meilleure performance relative est justement un effet de levier plus important que l'ensemble des institutions financières, qui se traduit par une plus grande volatilité des résultats et une plus grande vulnérabilité face aux retournements imprévus des marchés.

Les fonds spéculatifs ne sont pas récents. Le premier fut créé en 1949 par Alfred Winslow Jones, et on en recensait environ 140 en 1968. Leur succès tient à ce que n'étant pas considérés comme des établissements bancaires, ils ne sont pas tenus à certaines obligations, telles la communication d'informations ou les ratios de solvabilité. Ils limitent leur clientèle à un petit nombre d'investisseurs fortunés, opèrent souvent à partir de centres off-shore et cherchent à obtenir des rendements élevés en plaçant des montants considérables de capitaux empruntés dans un large éventail d'instruments financiers. Ainsi, la défaillance d'une position est censée être couverte par les gains sur d'autres positions.

3.- LA DÉFAILLANCE DE LTCM, SYMBOLE DES DANGERS DES NOUVELLES TECHNIQUES FINANCIÈRES.

LTCM, célèbre fonds au début des années 90, résume le caractère dangereux desdits fonds. LTCM a recherché de hauts rendements en faisant des hypothèses sur l'évolution des marges de taux d'intérêt et la volatilité des cours. Depuis sa fondation en 1994, le fonds avait obtenu régulièrement des résultats supérieurs à la moyenne de quelque 40 % en 1995 et 1996 et 20 % en 1997, en utilisant des leviers très importants. Son bilan au 31 août 1998 faisait apparaître un actif de plus de 125 milliards de dollars. Cela implique un effet de levier dépassant 25, par rapport à son capital de 4,8 milliards de dollars en début d'année, si l'on fait abstraction des pertes encourues avant août et des positions de hors-bilan. Les performances de LTCM, doublées d'une réputation de technicité acquise grâce à des méthodes perfectionnées pour la modélisation des prix et les stratégies de négociation, en faisaient un symbole de la rentabilité que pouvait apporter la sophistication financière. Son conseil d'administration comportait deux prix Nobel d'économie.

Sa quasi-faillite l'a aussi érigé en symbole des dangers du nouveau paysage financier. Les corrélations de prix inhabituelles qui ont suivi le moratoire sur la dette russe ont posé des problèmes à nombre d'institutions, en particulier celles qui faisaient un usage intensif de l'effet de levier. Dans le cas de LTCM, ces corrélations ont failli provoquer sa chute. Malgré une importante diversification, le fonds basait sa stratégie sur l'anticipation d'une baisse des marges de crédit et de la volatilité des marchés des actifs. Or, ses prévisions ont été brusquement démenties par le retournement du mois d'août. La rapide succession d'événements suscitée par le quasi-effondrement de LTCM illustre parfaitement l'accélération de la propagation des crises financières et, partant, le raccourcissement des délais disponibles pour prendre des mesures correctives. Le premier signe public des difficultés du fonds s'est manifesté après le 2 septembre, avec la divulgation du contenu d'une lettre envoyée par les associés de LTCM à leurs investisseurs. Ce document reconnaissait que le fonds avait subi une perte de 52 % entre le début de l'année et le 31 août et qu'il recherchait des capitaux. Entre le 2 et le 23 septembre, date à laquelle quatorze banques et entreprises d'investissement (15) convenaient d'injecter 3,6 milliards de dollars pour recapitaliser le fonds, il est apparu de plus en plus urgent de trouver une solution ordonnée. Les nouvelles sur l'aggravation de la situation du fonds se répandaient, en même temps que les préoccupations soulevées par le risque d'instabilité en cas de liquidation, forçant ses contreparties à clore leurs positions en catastrophe. De surcroît, il s'avérait que la réalisation des garanties détenues par ces contreparties ainsi que le dénouement par d'autres institutions de positions analogues à celles de LTCM exerceraient une pression trop forte sur des marchés déjà sous tension et augmenteraient la nervosité des intervenants.

L'incertitude quant aux conséquences possibles d'une faillite désordonnée de LTCM, en particulier la crainte que l'impact ne se propage à des intervenants sans lien direct avec le fonds et ne dépasse les frontières des États-Unis, montre le caractère inextricable des interdépendances entre institutions et marchés aujourd'hui. Cette incertitude tenait surtout à l'ampleur et à la portée des opérations de LTCM, qui couvraient de nombreux instruments financiers et des marchés très divers, ainsi qu'à la nature de ses activités, qui comportaient beaucoup de contrats complexes. Elle était aussi aggravée par la situation des marchés, où régnait encore l'instabilité provoquée par les événements du mois précédent. Le risque d'une perturbation financière généralisée, en cas de défaillance soudaine du fonds explique pourquoi des établissements du secteur privé ont accepté de participer à une solution concertée sous l'égide de la Banque de réserve fédérale.

4.- RÉGLEMENTER LES FONDS SPÉCULATIFS

Pour éviter la reproduction de phénomènes semblables, un rapport remis au Congrès américain, ainsi que les travaux de la BRI convergent sur la nécessité de s'orienter vers une supervision des institutions financières (surtout des fonds spéculatifs), qui fonctionnent à partir d'une utilisation agressive de l'effet de levier. LTCM illustre la nécessité de contenir l'effet de levier pour ne pas retrouver des situations où, avec un montant total de notionnel des positions sur produits dérivés avoisinant les 1 500 milliards de dollars, LTCM dépassait le notionnel des deux principales banques d'investissement et des six premières banques commerciales américaines.

L'objectif est de contenir l'effet de levier des fonds spéculatifs, que créanciers et contreparties contribuent à renforcer par leurs comportements consistant à sous-estimer le niveau des risques pour obtenir des retours sur investissements importants (15 à 25 % par an). En ce sens, plusieurs axes de régulation doivent être envisagés : le renforcement de la transparence et de la discipline de marché des fonds spéculatifs et des institutions financières ; le renforcement, d'une part, de la gestion du risque de contrepartie des banques exposées aux fonds spéculatifs, d'autre part, de leur dispositif de contrôle interne et, enfin, une plus grande sensibilité des ratios de solvabilité des banques aux risques ; l'extension de la supervision bancaire aux fonds spéculatifs et aux brokers ; l'extension des standards de sécurité financière internationaux aux zones offshore.

Sur le plan de la transparence financière, l'objectif du législateur doit être de parvenir à obtenir une image plus réaliste de la qualité des emprunteurs et des contreparties. Pour ce qui concerne la surveillance exercée directement par les autorités de régulation, la solution consistant à renforcer la qualité des modèles de contrôle interne semble être aujourd'hui la voie la plus recherchée. La BRI a émis des recommandations destinées à diffuser des standards d'évaluation des risques financiers dans l'industrie bancaire de façon à ne pas alimenter la recherche d'effets de levier élevés chez les institutions financières non régulées. A cette fin, les banques ou les brokers, contreparties des fonds spéculatifs, jugés co-responsables des effets de levier anormaux des fonds spéculatifs, doivent reconsidérer les hypothèses de leurs modèles de risque-crédit et de risque de contrepartie, en envisageant l'hypothèse d'une brusque liquidation de leurs positions. Pour ce qui concerne le ratio de solvabilité, les autorités encouragent l'utilisation de ratios plus sensibles aux variations des risques de crédit, de marchés et de contreparties, dans l'esprit des discussions ouvertes durant l'année 1999 sur la réforme du ratio Cooke.

C.- RECONSTRUIRE UN SYSTÈME MONÉTAIRE INTERNATIONAL

Au niveau multilatéral, une série d'institutions garantit théoriquement le système monétaire international, mais l'on sait que les fonds des banques centrales, des États et des organisations internationales sont insuffisants au regard des transactions quotidiennes sur les marchés.

Le Président de la République a résumé la position française lors de sa visite au FMI, le 18 février 1999 : « Il faut renforcer les obligations des États et des institutions financières internationales en matière de transparence. Il faut accroître nos capacités de prévention des crises. Il faut adopter un vrai code de la route pour la circulation des capitaux, un code qui s'applique à tous, y compris aux fonds d'investissement spéculatifs et aux centres offshore. Il faut mieux associer le secteur privé à la solution des crises. Il faut identifier et définir le rôle du prêteur en dernier ressort du système financier international. »

La France a formulé le v_u que les décisions du FMI soient prises à un niveau politique ministériel, ce qui n'a jamais été fait depuis la création du fonds, bien que les statuts le prévoient. Elle a également souhaité l'association plus étroite des pays les plus pauvres aux prises de décision.

1.- LES CRITIQUES CROISSANTES À L'ENCONTRE DES ORGANISMES INTERNATIONAUX

L'on peut résumer les critiques à l'encontre des organismes internationaux par leur inadaptation à faire face à un monde qui a évolué. Mais viser ces seuls organismes est une solution de facilité, car les États, qui ont créé ces institutions, les ont maintenues dans leur rôle statutaire d'origine, sans tenir compte des changements qui ont marqué les marchés financiers.

S'agissant ainsi du rôle du FMI, on rappellera :

- qu'il a été créé dans le but de réguler un système monétaire international de changes fixes qui n'existe plus, et de mettre fin aux dévaluations compétitives qui en découlaient ;

- que ses actions (aide au développement, résorption des crises de financement liées aux déficits de balance des paiements) sont contraintes par des règles prudentielles que les marchés surveillent ;

- que les mesures macroéconomiques qu'il propose, souvent imprégnées d'une culture libérale anglosaxonne, se heurtent de plein fouet à des priorités sociales locales qui ne font pas partie de ses objectifs.

D'autres critiques concernent les modalités d'action du FMI, qu'il s'agisse de l'inefficacité des programmes ou du problème de « l'aléa moral ». Ainsi, en assurant aux investisseurs privés qu'ils seront renfloués, le FMI encourage les comportements à risque. Les décideurs, y compris ceux du FMI, sont de ce fait confrontés à un véritable dilemme lorsqu'ils sont en présence d'un pays en crise. Dans l'immédiat, il leur faut arrêter les sorties de capitaux et en faire rentrer, et financer le déficit extérieur. Ils doivent ensuite créer les conditions d'un ajustement constructif et progressif. Tout cela implique de rassurer les investisseurs qui pourraient être incités à fuir et ainsi affaiblir l'ensemble de la stratégie. Mais cette attitude est susceptible de créer précisément cet aléa moral. Le FMI a pris en compte cet aléa en appelant les investisseurs privés concernés à contribuer aux coûts de l'opération de soutien. Les détenteurs d'actions le font déjà : les possesseurs étrangers de valeurs asiatiques ont subi des pertes énormes et certains ont disparu. Les étrangers qui ont prêté à la Thaïlande ont également apporté leur contribution : ils ont dû convertir leurs créances à court terme aux taux du marché contre des créances à long terme à 2 %. Les créanciers étrangers de la Corée ont dû reculer considérablement leurs échéances et accepter des taux d'intérêt faibles.

Le système monétaire international se trouve alors, en l'absence de règles, être un système de flottement généralisé des monnaies, organisé de fait autour du dollar, monnaie de la première puissance économique du monde, les États Unis d'Amérique.

C'est en dollars que se règle l'essentiel des transactions mondiales, qu'il s'agisse du pétrole saoudien ou des airbus européens. Et le niveau de ce dollar par rapport aux autres monnaies est fixé en conséquence de deux éléments :

- des décisions de politique intérieure américaine souverainement insoucieuses de leurs conséquences externes (c'est le trop fameux « benign neglect ») ;

- la confiance absolue des acheteurs particuliers ou banques centrales des autres pays, confiance qu'aucun déficit américain, intérieur ou extérieur, n'a jusqu'ici durablement ébranlée.

Dès lors, depuis l'instauration du flottement, les propositions de réforme ou de réorganisation du SMI ont pu se multiplier, certaines fort intéressantes ou pertinentes, sans qu'il en résulte la moindre conséquence pratique : pourquoi les États-Unis accepteraient-ils de mettre fin à une hégémonie monétaire qui les avantage ?

L'apparition des zones monétaires régionales apparaît alors comme la seule façon pertinente de rééquilibrer le SMI et de créer les conditions d'une véritable reconstruction.

2.- L'ÉMERGENCE DE ZONES MONÉTAIRES RÉGIONALES

L'expérience de ces dernières années montre l'intérêt évident de zones monétaires élargies à plusieurs États. L'Union économique et monétaire a ainsi mis fin aux tensions et spéculations qui agitaient onze monnaies européennes entre elles. Elle peut aussi permettre à terme de créer un véritable contrepoids au dollar.

a) La régionalisation, réponse à la mondialisation

« Le commerce des échanges a une tendance invisible à s'extravaser, il ne s'enferme pas à l'intérieur d'une nation donnée, il est essentiellement international ; il lui a aussi des sphères territoriales, mais elles ne se confondent pas avec les frontières politiques : cela s'appelle des marchés... » (16).

Nul ne conteste plus que le pouvoir des marchés s'est graduellement développé aux dépens des États. L'autonomie des gouvernements doit tenir compte d'autres acteurs, à la fois au-dessus et en-dessous de lui. Parmi eux, des acteurs mondiaux tels que le FMI, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce ainsi qu'une série d'échelons régionaux. L'universitaire anglais Hedley Bull a étudié, en 1977, la tendance de l'autorité à se décaler vers le haut et parfois vers le bas, le rôle accru de tout un groupe d'acteurs économiques et politiques, ainsi que le développement de différents niveaux de solidarités lorsqu'il a avancé l'existence d'un « nouveau médiévalisme », un équivalent du type d'organisation politique universelle qui existait dans la chrétienté occidentale au Moyen-Age, en tant qu'alternative au système étatique moderne(17).

La mondialisation va de pair avec la modification du rôle de l'État comme acteur dominant du système international, dans la mesure où il est confronté à l'émergence d'autorités concurrentes. Le choix du niveau adéquat de gouvernement est une question centrale pour l'avenir des nations. Mais en l'absence de structures mondiales satisfaisantes, le développement de structures régionales devient primordial.

La régionalisation, qu'illustrent l'évolution de l'Union européenne ou l'Association économique des pays du Sud-Est asiatique (ASEAN) n'est pas contradictoire avec la mondialisation. Même s'il n'existe aucune définition de la région, celle-ci se dégage d'elle-même, selon un processus historique et géographique qui mêle une série de caractéristiques, linguistiques et culturelles communes.

Le régionalisme peut présenter des degrés divers d'intégration. L'Union européenne est l'exemple d'un régionalisme visant à la libéralisation économique partielle pour un grand marché, renforcé par un régime interne commun fondé sur des règles et dirigé par des institutions dont les objectifs sont autant politiques qu'économiques. Le régionalisme communautaire a créé un marché unique régi par un corpus de règles portant notamment sur la réglementation du commerce. L'APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation, Forum de coopération Asie-Pacifique) constitue un exemple différent : il cherche à éviter tout formalisme institutionnel et la libéralisation des échanges entre ses membres doit résulter d'un processus de quasi unanimité.

La mondialisation a certainement constitué une incitation à la régionalisation, pour les acteurs privés comme publics. Elle a conduit les États à introduire des politiques d'intégration pour accroître leur crédibilité vis-à-vis d'acteurs externes, en particulier des investisseurs potentiels. La conclusion d'accords avec des pays voisins entraîne également une discipline en matière de politique économique (se heurtant parfois aux intérêts nationaux) dont l'objectif est de compenser collectivement à l'échelle régionale la perte d'autonomie nationale.

La déréglementation du système financier international dans les années quatre-vingt à entraîné une intensification de la concurrence pour attirer des investissements directs étrangers. L'achèvement du marché intérieur en Europe et de l'ALENA en Amérique du Nord ont attiré des flux d'investissements. La mondialisation s'est accompagnée d'une régionalisation de l'investissement et de la production qui a modifié la nature des schémas de production et de commerce.

L'histoire récente de l'Asie du sud-est en est l'illustration. En 1995, les sociétés japonaises fabriquaient plus de 10 % de leur production à l'étranger, contre 4 % en 1986. S'il s'agit là d'un phénomène mondial, il est également crucial à l'échelle régionale. La croissance des importations au Japon de biens de consommation produits par des usines japonaises situées en Asie, entre 1992 et 1996, est passée de 4 à 14 % des importations nippones totales. Quant à la Communauté européenne, elle est à la fois le premier importateur et le premier exportateur mondial, et le premier partenaire économique de chacun des États membres est toujours un État communautaire.

La logique de l'intégration économique régionale est l'intégration monétaire, qui se définit comme une zone géographique cible avec un minimum de règles communes entre États. Son intérêt est aussi d'apporter une réponse cohérente à la sempiternelle question du choix entre taux de changes fixes et taux de change flottants.

b) Les zones monétaires, solution au flottement et aux changes rigides

L'éclatement du système de Bretton-Woods a conduit à un système de changes flottants avec la libre circulation des capitaux et l'autonomie théorique de la politique monétaire, avec quelques variantes, illustrées par le tableau ci-après :

RÉGIMES DE CHANGE DES PAYS ADHÉRENTS AU FMI

Régimes de changes

1978

1983

1988

1992

1998

Fixité par rapport à une monnaie

64

52

58

57

48

dont dollar

43

34

39

26

18

Fixité par rapport à un panier

36

40

39

31

18

Flexibilité limitée, serpent, autres parités fixes avec marges étroites de fluctuation

4

7

7

8

17

Parités glissantes et flottement géré

7

29

27

30

55

Flottement libre

27

9

17

48

46

Total

138

137

148

174

184

Source : FMI.

Le système de changes rigides semble devoir être définitivement écarté, malgré son caractère attractif de stabilité, pour la simple raison qu'aucun État ne peut plus le défendre. Les monnaies sont des actifs financiers jugés à l'aune des marchés, et les réserves des banques centrales sont inférieures aux mouvements quotidiens de capitaux.

L'ancrage fixe autour du dollar, adopté par plusieurs pays d'Asie, n'a pas non apporté la stabilité souhaitée, car il a dégradé leurs conditions de production et atténué leur compétitivité. Il est à l'origine d'un afflux artificiel de capitaux, attirés par des taux d'intérêt élevés, mais au caractère volatile, qui se sont brutalement retirés au premier doute sur la prudentialité du système bancaire. Les pays émergents à forte croissance sont en outre plus vulnérables à l'inflation que les pays dont la monnaie sert de référence, ce qui rend difficile le maintien des parités à un niveau élevé.

La crise asiatique n'a pas d'autre fondement que le constat d'un déséquilibre portant sur l'épargne. Elle a été aggravée par la disparité des économies de la zone asiatique.

A contrario, l'Europe, en bâtissant la zone euro, a éliminé les variations de change en rendant interdépendantes des économies nationales conduites à un niveau de convergence. La monnaie unique est avant tout la monnaie d'une zone économique commune, et le vecteur d'une vision plus vaste de l'avenir de l'Europe. Pour l'heure, la question qui se pose est celle de la parité de l'euro avec le dollar qui est fonction(classiquement) de la crédibilité politique de l'Europe, mais l'on observera que l'euro s'est déjà imposé comme monnaie internationale pour les émissions obligataires, comme en témoigne le volume des émissions obligataires libellées en euro quasiment équivalent à celui des émissions en dollars (le dollar et l'euro représentaient respectivement 46 % et 43 % des émissions internationales sur les six premiers mois de 1999).

L'émergence de l'euro comme monnaie de réserve mondiale sera quant à elle logiquement plus lente et dépendra de manière non négligeable de la réussite économique et de l'affirmation politique de l'Union européenne. Cependant, elle se réalisera certainement.

D) CONTRÔLER LES MOUVEMENTS DE CAPITAUX À COURT TERME

L'identification des facteurs qui perturbent le système financier permet de constater qu'à l'exception des cas asiatiques et russes, les mouvements de capitaux à court terme ne sont pas la cause première des crises survenues ces dernières années. Il s'est agi le plus souvent de défaut de surveillance prudentielle et d'insuffisance sur les produits dérivés ou les couvertures à terme. L'ampleur des capitaux flottants a cependant souvent accéléré et approfondi les crises.

La crise du système monétaire européen de 1992 est ainsi due aux stratégies de couverture de change. A cette époque, les flux de capitaux pouvant se déplacer d'une bourse à l'autre n'avaient pas la même ampleur qu'aujourd'hui. Les monnaies attaquées ont été principalement la Livre sterling et la Lire. Au début des années 90, le Gouvernement italien a aboli les mesures de contrôle de mouvements de capitaux et décidé d'adhérer au système monétaire européen (SME) à marge étroite de fluctuation. Des capitaux sont alors entrés sur le marché, mais sans couverture, dans la mesure où les investisseurs estimaient que les marchés de la dette seraient suffisamment liquides, ce qui laissait espérer des pertes réduites au regard de rendements élevés en intérêts.

Cependant, à la suite du Traité de Maastricht, les investisseurs internationaux ont tenu à assurer le rendement en intérêts, tout en se protégeant contre le risque de change. Ils ont acheté des options de vente à un prix d'exercice à la limite supérieure de la marge de fluctuation du SME. Les titres en Lires assortis d'options de vente sur la Lire ont induit des investissements complexes qui ont neutralisé les risques de change et d'intérêt. Tant que la marge de fluctuation restait crédible, les options étaient hors de la monnaie, donc sans grande valeur. Mais après l'échec du premier référendum danois, la pression a commencé à monter vis-à-vis des devises intrinsèquement faibles du SME. Quand le régime de taux de change a cessé d'être crédible, les taux d'intérêt sur la Lire sont montés avec un décalage entre le cours au comptant et le cours pivot. Plus le cours au comptant s'approchait de la limite supérieure de la marge de fluctuation, plus l'écart s'accroissait entre les taux d'intérêt à court terme italien et allemand. Dès lors que l'écart a été égal au déport à terme sur la Lire, le taux de change à terme Lire-Deutschemark a dépassé la limite de la marge de fluctuation. Les options de vente ont été levées. Les banques qui avaient au préalable vendu les options ont souhaité optimiser le rendement de leurs portefeuilles. Elles se sont empressées de vendre massivement des lires au comptant pour couvrir les positions longues en Lires qu'elles devaient acheter à leurs contreparties, qui, de leur côté, exerçaient leurs droits de vendre les Lires conformément aux options achetées antérieurement.

Le rôle des options de change lors de cette crise est évident. La stratégie de couverture a retardé la crise, qui s'est avérée ensuite beaucoup plus rapide et violente. En augmentant le taux d'intérêt pour défendre la monnaie, la banque centrale a provoqué une sortie généralisée des capitaux, en lieu et place de l'entrée souhaitée. La défaillance du marché a précipité la crise monétaire. Sous l'ampleur de l'attaque, le marché des changes a perdu toute liquidité. Le taux de change a chuté bien plus que ne le justifiaient les bases de l'économie.

La crise du dollar de 1995 obéit aux mêmes causes, même si le fait générateur a été les contrats sur options. On relèvera par ailleurs que l'effondrement des marchés obligataires de 1994 n'est pas dû non plus aux capitaux à court terme. A la suite du durcissement de la politique monétaire américaine en février 1994, le rendement des obligations à long terme a augmenté de deux à trois cents points de base en l'espace de trois mois. Cette augmentation, sans précédent par son ampleur, s'est étendue à tous les pays industrialisés, provoquant d'énormes pertes qui, n'ont pas été réalisées le plus souvent. Selon le Rapport de 1995 de la Banque des règlements internationaux, les moins-values se sont élevées à 1.500 milliards de dollars (environ 10 % du PIB de l'OCDE), le chiffre le plus élevé depuis cinquante ans. En outre, l'augmentation très synchronisée des rendements était accompagnée d'une volatilité beaucoup plus grande. Ce dernier phénomène était d'autant plus surprenant qu'il s'est produit dans des pays à taux d'intérêt plus bas et ayant depuis longtemps une bonne réputation en matière d'inflation, tels que l'Allemagne et les Pays-Bas.

L'effondrement global des cours des obligations est survenu au moment où l'inflation était basse et en voie de diminution, et où les perspectives économiques annonçaient une croissance vigoureuse. La man_uvre a été synchronisée entre marchés malgré des politiques monétaires opposées : la Réserve fédérale resserrait les taux tandis que les banques centrales européennes, une fois calmés les bouleversements sur les marchés des changes européens, relâchaient la pression sur les taux d'intérêt à court terme. Les taux des obligations européennes ont apparemment réagi plus violemment à l'action de la Réserve fédérale que les taux américains.

La faillite de la banque Barings en 1995, puis l'affaire Metallgesellschaft ont, compte tenu de leur ampleur, présenté un réel risque systémique. Les deux cas montrent l'importance des systèmes internes de contrôle dans les banques d'affaires et les entreprises qui jouent sur la trésorerie. La banque Barings a subi d'énormes pertes sur des contrats à terme type, tandis que Metallgesellschaft a affiché des pertes du même ordre sur des swaps de produits énergétiques.

La crise mexicaine a été aggravée par les sorties de capitaux à court terme, mais celles-ci n'en sont pas la cause. L'origine immédiate en est le manque de liquidités. A la fin de 1994, il est apparu que les autorités mexicaines auraient à faire face, au cours du premier semestre de 1995, à un problème de liquidité ingérable. Le montant de la dette venue à échéance et due à des non-résidents atteignait le chiffre de 60 milliards de dollars en raison des emprunts à court terme imprudents faits en 1994. Néanmoins, les marchés ont fait preuve d'une incroyable myopie, confirmant les expériences précédentes. La prime de risque sur les Tesobonos par rapport aux bons de Trésor américain était de 2 % seulement à la veille de la chute vertigineuse du peso en décembre 1994. Après le krach, elle est montée jusqu'à 20 % en février 1995. Il en a été de même pour les primes sur les Brady bonds.

Pour ce qui concerne le montant de la dette détenue par des étrangers et venant à échéance, plus d'un tiers était composé de Tesobonos, un autre tiers de lignes de crédit interbancaires à des banques de dépôts mexicaines, et un cinquième représentait la dette du secteur privé parabancaire. Seulement 8,5 milliards de dollars constituaient les obligations externes de la dette extérieure mexicaine. Du côté des créanciers, la part prépondérante était détenue par des investisseurs non institutionnels. De plus, un déficit prévu sur un compte courant de 7 milliards de dollars au cours du premier semestre devait s'ajouter à la dette de 60 milliards de dollars venant à échéance. Les actifs liquides étaient insuffisants pour satisfaire à cette obligation. Toute possibilité de lever de nouveaux capitaux sur les marchés financiers internationaux ou de reporter une partie de la dette existante venant à échéance avait disparu, dans la mesure où des liquidités, apparemment illimitées quelques semaines auparavant s'étaient retirées.

La faible implication des capitaux à court terme dans l'origine des crises ne clôt pas, pour autant, le débat sur leur rôle d'amplificateur de celles-ci. La question du ratio optimal entre montant des transactions financières et montant des transactions réelles reste posée : nous le verrons s'agissant de la taxe Tobin.

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III.- POUR UNE NOUVELLE ACTION POLITIQUE

A.- LE LIBÉRALISME PUR N'EST PLUS DÉFENDU

L'intensité de la crise de 1997 a conduit l'ensemble des analystes économiques, y compris les libéraux, à proposer plus de règles autour des mouvements de capitaux.

A ce jour cependant, le bilan demeure mince. La prudentialité du système bancaire est de l'ordre juridique interne des États ou de l'ordre communautaire et l'on relève seulement quelques aménagements dans certains pays. L'harmonisation fiscale communautaire, régulièrement à l'ordre du jour, ne débouche sur aucune décision. Dès lors, les mesures sont surtout prises par les autorités de marché et présentent un caractère technique.

CHRONOLOGIE DES PRINCIPALES DÉCISIONS OU RECOMMANDATIONS
EN MATIÈRE FINANCIÈRE (1er semestre 1999)

1999

Pays

Organisme

Décision

Janvier

-

G7

Mise en place d'un forum de stabilité financière, chargé de se pencher sur les places off-shore

Février

-

OCDE

Entrée en vigueur de la Convention sur la lutte contre la corruption

Mai

France

COB

Le 31ème rapport annuel préconise plus de transparence financière

Mai

-

PNUD

Le PNUD préconise de scinder en deux l'aide au développement, une part allant aux États, une part à vocation mondiale pour corriger les grands déséquilibres

Juin

-

G7

Annulation de 70 milliards de dollars de dettes en faveur des pays les plus pauvres

Juin

France

-

Mise en place d'un Comité de déontologie des commissaires aux comptes des sociétés faisant appel public à l'épargne

Juin

-

Banque mondiale

La France appelle à des réformes dans le domaine bancaire et dénonce les centres off-shore

La Banque des règlements internationaux fait preuve d'un pessimisme raisonné dans son 69ème rapport annuel (18) : « Les discussions de l'an dernier ont été encourageantes, en ce sens que les participants de marchés émergents susceptibles d'être directement concernés par leurs résultats ont été de plus en plus consultés et y ont apporté leur propre contribution. C'est, en fait, le seul moyen de conférer une autorité morale à un processus de décision collectif, en l'absence d'une véritable législation internationale. Les développements récents ont eu également ceci d'encourageant que les recommandations présentées sont généralement pragmatiques et réalistes, car elles se fondent sur des réformes graduelles plutôt que sur des solutions globales. Comme les nations tiennent jalousement à préserver leur souveraineté, les propositions visant à instaurer une banque centrale mondiale, un prêteur international en dernier ressort, une instance de réglementation au niveau mondial ou une cour internationale des faillites ne paraissent guère réalisables dans un avenir proche. Conséquence importante de cette approche pragmatique, les travaux requis pour mettre en _uvre de multiples réformes modestes, mais raisonnables, exigeront beaucoup d'efforts (...) ».

S'il reste sans doute beaucoup à faire pour accroître la résistance du monde financier aux crises, des actions ont au moins été entreprises. Dans le domaine de la transparence, des progrès significatifs ont d'ores et déjà été accomplis. Si les statistiques de la BRI jusque-là disponibles donnaient une image relativement exacte et actuelle du niveau d'endettement des pays d'Asie, elles ont déjà fait l'objet d'une première série d'améliorations. Dans le même ordre d'idées, l'accord sur « un ensemble de normes visant à rendre publiques les réserves de change nationales, y compris les créances de hors-bilan, représente un progrès salutaire par rapport aux informations partielles communiquées précédemment. Enfin, il convient de noter que diverses initiatives officielles ont été lancées pour mieux connaître les activités des institutions financières à fort effet de levier et ceux qui financent ces opérations. Un groupe de travail constitué par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a diffusé, en janvier dernier, deux rapports concernant l'implication des banques dans ces activités. Les récents événements en Asie et ceux qui sont liés à la crise russe ont révélé des signes parfois inquiétants de la complexité des interactions entre marchés et institutions financières ainsi que de la rapidité avec laquelle un type de risque peut, du fait de l'ampleur des effets de levier, se transformer en un risque d'une autre nature.

En ce qui concerne le renforcement des systèmes financiers nationaux, l'initiative la plus importante de ces dernières années a été l'accord sur un ensemble de principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace. Cette approche consistant à s'accorder sur des normes internationales de saines pratiques a déjà été largement reprise, en particulier par les responsables de la surveillance des marchés des titres et des compagnies d'assurances. L'an passé, des démarches analogues ont été effectuées dans les domaines des paiements et règlements, de la transparence dans la mise en _uvre des politiques monétaires et financières ainsi que de la gouvernance d'entreprise. La mise à jour de l'accord de 1988 sur les fonds propres, proposée par le Comité de Bâle, fournira une autre référence utile à la communauté bancaire internationale. Les révisions prévues marqueront une nouvelle étape dans le recours à la discipline de marché pour compléter le contrôle prudentiel traditionnel et à l'utilisation accrue des modèles internes de risque pour le calcul des exigences de fonds propres.

Compte tenu de l'ampleur des flux de capitaux qu'il génère, le secteur privé devra nécessairement prendre une part plus grande et plus directe à la gestion et à la résolution des crises. Nombre de recommandations formulées par les suppléants du G 10 après la crise mexicaine de 1995 ont été réitérées depuis, mais elles ne se sont pas encore concrétisées. Néanmoins, plusieurs développements récents méritent d'être signalés. La gestion des crises de la Corée et du Brésil a mis en évidence les efforts accomplis pour assurer le renouvellement concerté, mais volontaire, des lignes de crédit de banques commerciales. L'insistance du Club de Paris à faire inclure les obligations internationales, parallèlement aux prêts bancaires, dans la restructuration de la dette du Pakistan a constitué également un précédent notable. Enfin, comme les créanciers ont subi en 1998 leurs pertes les plus lourdes depuis la crise d'endettement des années 80, ils ont pris davantage conscience des risques auxquels ils sont exposés. S'il convient de saluer ces divers développements dans la mesure où ils permettront de réduire les entrées de fonds excessives dans les marchés émergents, il est à craindre, dans le même temps, qu'ils n'incitent encore plus à effectuer, de manière préventive, des retraits de capitaux privés qui s'y trouvent déjà. En d'autres termes, il importera d'agir judicieusement dans ce domaine, compte tenu des difficultés auxquelles restent confrontés de nombreux emprunteurs d'économies émergentes pour accéder aux marchés internationaux des capitaux. » (19)

C'est sans doute dans la refonte des institutions de Bretton Woods, notamment le FMI que se trouve le plus grand défi de la communauté internationale. Dénoncé pour l'opacité de ses décisions, le FMI a vu évoluer ses missions sans que ses statuts évoluent de leur côté. Il est devenu un acteur politique sans en avoir la légitimité ni les outils. Essentiellement composé d'économistes, il lui est demandé de prendre des décisions qui ont un impact social et politique.

Le FMI est, par ailleurs, en conflit ouvert avec la Banque mondiale sur les réponses apportées à la crise asiatique, et de manière plus large, sur les relations à tenir avec les pays en voie de développement. Pour certains pays émergents, fait jour l'idée de mécanismes de solidarité par des fonds régionaux (Fonds monétaire asiatique, Fonds andin de réserve ...).

Au-delà du système de Bretton Woods, la crédibilité d'un nouveau système international vient de l'association des opérateurs privés des marchés avec les institutions, compte tenu du rapport de force en faveur des premiers. Les pays européens préconisent l'établissement de règles écrites, arrêtées par avance tandis que les Etats-Unis se prononcent pour d'autres solutions.

B.- DES OBJECTIFS INTERMÉDIAIRES RÉALISTES

Entre les recommandations, utiles mais techniques, de la BRI et la mise en place d'une hypothétique autorité mondiale, est-il alors possible de définir, en ce qui concerne les quatre priorités que nous avons introduites pour une nouvelle régulation, des objectifs politiques réalisables à court ou moyen terme ? Nous allons ici en présenter quatre, laissant un cinquième pour notre discussion finale.

En ce qui concerne les paradis fiscaux et les centres offshore, tous les pays du G7 viennent de se mettre d'accord sur une liste de ceux qui posent les plus graves problèmes. Un premier objectif alors doit être que les pays du G7 engagent avec ces entités un dialogue politique visant à obtenir d'elles la mise en _uvre et le respect d'un certain nombre de règles de droit commun, financières et fiscales. En cas de refus, la riposte devrait consister en l'interdiction faite aux nationaux et résidents des autres pays d'avoir avec ces entités un quelconque contact direct ou indirect.

En ce qui concerne les fonds spéculatifs, les pays de l'OCDE devraient s'engager solennellement à faire respecter des exigences minima de transparence financière, permettant de mesurer l'effet de levier des fonds et donc le niveau de risque qu'ils assument. A défaut de décider d'un niveau maximum pour l'effet de levier (encore que cette hypothèse mérite examen) il devrait exister un seuil au-delà duquel des procédures exceptionnelles de surveillance publique seraient déclenchées.

En ce qui concerne l'affirmation de l'euro par rapport au dollar, la priorité - qui semble reprise par la prochaine présidence française de l'Union européenne - est de donner au conseil de l'Euro et à son président un rôle et un poids politique accrus afin que non seulement le Président de la FED mais aussi le Secrétaire américain au Trésor aient un interlocuteur de poids. Formellement l'on pourrait doter, comme le suggère M. Dominique Strauss-Kahn, le Conseil de l'euro d'une capacité de décision exécutive dans les domaines relevant de la politique macro-économique. Il serait par ailleurs souhaitable de faire jouer effectivement l'article 109 du traité de Maastricht qui précise que « le Conseil... peut formuler les orientations générales de la politique de change ».

Un quatrième objectif de court terme devrait être que l'Union européenne (ou au moins la zone euro) s'exprime d'une seule voix dans l'enceinte du FMI, où elle représente 28,4 % des droits de vote contre 17,8 % aux USA.

Reste un dernier objectif possible, mais qui mérite quant à lui une discussion plus approndie : la taxe Tobin.

C.- LA TAXE TOBIN OU LA RÉFLEXION POLITIQUE À L'ÉPREUVE DES MARCHÉS FINANCIERS

En 1776, Étienne de Condillac, dans son ouvrage « Le commerce et le gouvernement considérés l'un à l'autre » s'interrogeait sur le caractère bénéfique de la spéculation. En fondant son analyse sur le prix du blé, il estimait que « toute spéculation profitable est nécessairement stabilisante ». Si les prix sont trop bas, les spéculateurs anticipent une remontée desdits prix, achètent du blé et provoquent la remontée effective des prix. S'il sont trop hauts, les spéculateurs vendent, amenant une baisse des prix. La fonction sociale des spéculateurs est d'assurer un rééquilibrage automatique des cours.

L'économiste Milton Friedman a ajouté : « le fait que les spéculateurs continuent d'exister est la preuve qu'ils perçoivent un profit et donc exercent une fonction stabilisante ».

Face à ce schéma idéal, la crise du Mexique en 1994, et surtout les crises traversées par la Thaïlande, la Corée du Sud ou la Malaisie en 1997 et la crise russe de 1998 infirment la fonction stabilisatrice des spéculateurs. Tout un courant de la pensée économique plaide en faveur d'une régulation des marchés financiers, qui peut intervenir par des accords de place, par une nouvelle architecture du système monétaire international ou par des mesures spécifiques sur les transactions, la plus emblématique étant la taxe Tobin.

Il est rare en effet de voir une proposition de taxation mobiliser des mouvements associatifs et des parlementaires de toutes tendances simultanément dans plusieurs pays. Cette mobilisation est une prise de conscience du phénomène -lui aussi international- de la globalisation financière. Elle obéit au constat (dont il faudra examiner la rationalité) du déplacement quotidien de masses financières considérables, de leur rôle d'accélérateur pendant les crises boursières et la paupérisation qui en découle. Mais les partisans de la taxe reconnaissent eux-mêmes la difficulté de sa mise en place et considèrent qu'elle est surtout le moyen d'appréhender la question des mouvements internationaux de capitaux à une échelle plus large que l'État nation.

L'État nation est en effet une entité trop faible pour tenir tête aux mouvements des marchés. Compte tenu des moyens des banques centrales, le poids des autorités monétaires a nettement diminué. En 1983, le montant des réserves de change des banques centrales des États-Unis, Grande-Bretagne, Japon, Allemagne et Suisse s'élevait à 139 milliards de dollars pour un montant de 39 milliards de transactions quotidiennes moyennes à New-York, Londres et Tokyo, sur le marché des changes. En 1992 déjà, la balance s'était renversée avec 278 milliards pour les banques centrales et 623 milliards pour les marchés.

Brève histoire de la taxe Tobin

James Tobin, conseiller économique du Président Kennedy, prix Nobel d'économie en 1981, a proposé en 1971 un prélèvement oscillant entre 0,05 % et 1 % sur les opérations de change. Née à une période de tumulte monétaire, après la disparition du système de Bretton-Woods, la taxe Tobin n'a longtemps suscité que l'indifférence avant de connaître, sporadiquement, un regain d'intérêt, après chaque crise financière. La Bundesbank l'a longtemps qualifié de « monstre du Loch Ness, sujet à des résurgences périodiques et effroyables ». Son retour sur le devant de la scène politique provient de l'ampleur sans précédent des crises financières et d'une courte application -plutôt réussie- au Chili, qui a conduit à une stabilisation de la monnaie et à une progression des investissements à long terme, ayant permis une croissance non inflationniste. L'impression d'un décalage croissant entre la spéculation et la production de biens et de services (économie réelle) est à l'origine des récentes campagnes en faveur de cette taxe : motion de la Chambre des Communes du Canada, pétition de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, position du Gouvernement finlandais, amendements en faveur de la taxe à l'Assemblée nationale, actions d'associations comme ATTAC ou War on Want.

1.- UNE MOTIVATION POLITIQUE ET SOCIALE

A force d'analyser la taxe Tobin au regard de la rationalité économique, l'on oublie trop souvent que la politique a pour fonction de corriger les déséquilibres de tous ordres, y compris et surtout lorsque le marché ne peut opérer cette correction. Chacun conviendra ainsi que l'aménagement du territoire n'est pas non plus rationnel, qu'il génère des dépenses budgétaires coûteuses avec le maintien de services publics en zone rurale, mais que cette dépense est indispensable à la cohésion de la nation.

La taxe Tobin procède d'un raisonnement analogue, au nom d'un volontarisme politique. L'objectif est triple : réduire la volatilité des changes, restituer des marges d'action aux pouvoirs publics, enfin dégager de nouvelles recettes.

a) Réduire la volatilité des changes

La taxe Tobin est avant tout un instrument de politique économique. Elle vise à décourager les transactions à court terme, réduisant ainsi la volatilité des taux de change. Cette intervention sur les transactions à court terme, souvent spéculatives, produirait un effet discriminatoire en faveur de l'économie réelle, que l'on peut expliquer ainsi : un producteur de biens et services qui achèterait des devises afin d'investir à l'étranger ne payerait la taxe que deux fois, à l'achat et lors du rapatriement des dividendes. Au contraire, un opérateur financier, dont les opérations de change s'effectuent le plus souvent en fonction des fluctuations à court terme des monnaies, a un rythme de transfert de fonds d'une monnaie à l'autre qui est quotidien, voire de l'ordre de la minute. Pour un même montant et sur une période donnée, le premier ne paiera la taxe que deux fois, le second plusieurs dizaines de fois. La taxe ne découragerait donc pratiquement aucune transaction fondée sur la perspective de production de biens et services, mais frapperait avant tout les transactions purement financières, qui sont les principales sources d'instabilité.

On rappellera que cette proposition survenait lors de l'instabilité chronique de l'économie dans les années 70 : instabilité monétaire avec la chute du système de Bretton Woods, choc pétrolier, baisse du dollar, spéculation sur l'or. Tobin espérait renforcer la stabilité financière en taxant la spéculation.

Cet effet discriminatoire s'est vérifié au Chili, lorsque des mesures de découragement des flux spéculatifs équivalant à une taxe annuelle de 2 à 3 % ont frappé les achats de la monnaie nationale. Grâce à la stabilité monétaire, les investissements à long terme ont progressé, produisant une croissance non inflationniste, à l'inverse de pays comme le Mexique ou l'Argentine où l'instabilité a nui aux investissements.

Certes, les transactions purement financières peuvent aussi être au service de l'économie réelle, en particulier lorsqu'il s'agit de protéger les entreprises multinationales contre le risque de change, au moyen de produits dérivés, même si ces derniers sont facteurs d'instabilité, car difficiles à cerner à la fois par les grands organismes de prévention des risques systémiques (les banques centrales, Banque des règlements internationaux, etc.) et pour les entreprises elles-mêmes : en témoignent la faillite de la banque Barings ou les pertes subies par Metallgesellschaft.

Réduire la volatilité des changes présente un intérêt tout particulier lorsqu'il s'agit de maintenir un régime de changes selon lequel les parités ne doivent pas s'écarter d'une zone préalablement définie (le système monétaire européen en est un exemple). De tels systèmes sont vulnérables à des attaques spéculatives, en particulier lorsqu'une monnaie approche le seuil au-delà duquel les banques centrales se sont engagées à intervenir. Une taxe sur les changes faciliterait la gestion d'un tel système en décourageant les transferts massifs de capitaux à court terme d'une monnaie à l'autre, surtout si un taux particulièrement prohibitif frappait les transactions en période de crise. Que le taux soit unique ou double, la taxe Tobin pourrait donner aux banques centrales plus de marge de man_uvre en ralentissant le rythme auquel ces institutions doivent intervenir sur les marchés pour contrer une attaque. Comme le notent Barry Eichengreen, professeur d'économie à Berkeley et Charles Wyplosz, la taxe permet de « gagner du temps » en période critique et viendrait compléter d'autres mesures à la disposition des banques centrales.

b) Restituer des marges d'action aux pouvoirs publics

Le second intérêt de la taxe Tobin est de desserrer la contrainte monétaire qui pèse sur la gestion de l'économie. Les économistes s'accordent, en règle générale, sur le fait qu'il est impossible d'avoir à la fois la mobilité des capitaux, la stabilité monétaire et d'utiliser la politique monétaire pour répondre aux besoins de l'économie. Dans la pratique, l'utilisation de la politique monétaire (taux d'intérêt, interventions sur les marchés, etc.) est de plus en plus au service d'objectifs de change et non plus au service d'une gestion de la demande, consistant par exemple à stimuler l'économie en période de récession et de chômage. En effet, la mobilité des capitaux implique que tous les pays doivent maintenir la parité de leur taux de change, avec pour seule différence la « prime de risque », dont on connaît l'importance pour le taux des obligations du Trésor.

Si deux monnaies offrent des taux d'intérêt différents (ajustés par la prime de risque), les capitaux vont converger vers celle qui offre les taux les plus élevés, créant une rapide dépréciation de la seconde monnaie. Lorsque cette dernière est liée à d'autres par un régime comme celui du système monétaire européen, il faut soit défendre la parité par de coûteuses interventions de la banque centrale, soit dévaluer la monnaie (mais alors cette monnaie, considérée comme moins forte doit offrir une plus grande prime de risque à l'avenir), soit sortir du système (comme l'ont fait la Grande-Bretagne et l'Italie en 1992). Même en régime de changes flottants (par exemple entre le dollar et le yen), la gestion de l'économie réelle pose des difficultés lorsque les monnaies s'éloignent de leur parité d'équilibre. La mobilité internationale des capitaux oblige donc tous les pays, qu'ils soient en phase d'expansion ou de récession, à avoir quasiment le même taux d'intérêt réel. Une taxe sur les taux de changes permettrait à ces taux de diverger quelque peu, rendant une certaine indépendance aux politiques monétaires.

Mais la mobilité internationale des capitaux a aussi des avantages. Elle permet aux pays disposant d'une épargne abondante (Japon, France...) d'investir dans les pays qui sont riches en possibilités d'investissement, mais pauvres en capitaux. Les économies de l'hémisphère Sud bénéficient de l'épargne des retraités des pays riches par le biais des fonds de pension.

c) Dégager de nouvelles recettes pour une solidarité internationale accrue

L'utilisation du produit de la taxe n'était pour Tobin qu'une incidente, son auteur ayant juste déclaré qu'il serait convenable qu'il fût « encaissé par le FMI ou la Banque mondiale ».

L'intérêt d'une taxe à caractère supranational comme la taxe Tobin est aussi de dépasser le cadre actuel de l'organisation économique du monde, pour réfléchir aux nouvelles solutions à apporter à la lutte contre la pauvreté.

Compte tenu de la nature internationale des transactions de change, les recettes tirées d'une taxe sur ces transactions pourraient être affectées prioritairement à l'aide au développement. Avec la fin de la guerre froide, les pays occidentaux ont tendance à diminuer leur aide envers certains pays d'Afrique ou d'Asie, dont l'importance stratégique est jugée moindre. En outre, l'opinion publique est moins encline à approuver les principes d'une aide dont les montants sont détournés à des fins de corruption.

La lutte contre la pauvreté ressort de la compétence de plusieurs organisations internationales, comme le système de l'ONU, avec la conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la FAO (agriculture et alimentation) ou le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Au sein de l'OCDE, le Comité d'aide au développement (CAD) recense les contributions budgétaires des États membres. On trouve également des comités spécialisés parmi les organisations asiatiques, africaines et américaines de développement.

Le rôle du FMI et de la Banque mondiale n'est pas, stricto sensu, de lutter contre la pauvreté, mais d'assurer la liquidité du système monétaire international et d'aider les États qui connaissent des difficultés de trésorerie consécutives à des crises macroéconomiques. Les modalités d'action de ces deux institutions sont clairement libérales et privilégient la restauration des équilibres budgétaires par la réduction de la fonction publique et des programmes de privatisation. Si, bien souvent, les équilibres sont effectivement restaurés, comme en zone franc à l'issue de la dévaluation du Franc CFA, c'est au prix d'une récession sociale qu'illustrent l'apparition de carences alimentaires, la cherté des médicaments et l'accentuation du travail des enfants pour améliorer le revenu familial.

Au-delà d'une allocation supplémentaire de ressources en faveur de l'aide au développement, la création d'une taxe de cette nature peut augurer la mise en place de délégations de souveraineté au niveau mondial. Pour être instaurée, la taxe Tobin devra bénéficier au préalable d'une volonté de la majorité des États. Il devra en être de même pour les dépenses assurées par le produit de la taxe, ce qui suppose que les décisions soient prises par une instance à vocation supranationale.

Quelle que soit l'organisation à laquelle serait confiée la répartition du produit de la taxe, il faudra que les pays en voie de développement puissent faire entendre leur voix.

La base taxable serait théoriquement de 1.500 milliards de dollars par jour, même si cette somme concerne, outre les transactions de change, les contrats à terme ainsi que les options d'achat ou de vente. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a procédé à des évaluations, à la fois sur le rendement de la taxe Tobin et sur la manière dont elle pourrait être utilisée. En tablant sur 1.000 milliards de dollars par jour imposés à 1 %, la Cnuced arrive à des recettes de 720 milliards de dollars par an. Pour ce qui concerne la répartition, elle propose 360 milliards pour les gouvernements qui collectent la taxe et 360 milliards versés à un fonds de redistribution des pays riches vers les pays pauvres.

Si l'on juge qu'un taux de 1 % est prohibitif, un taux de 0,1 % dégagerait 72 milliards de dollars par an.

2.- LES DIFFICULTÉS DE LA TAXE TOBIN

Les trois objectifs définis ci-dessus, pour louables qu'ils soient en eux-mêmes, apparaissent cependant discutables à nombre d'économistes, et en termes d'analyse et en termes de résultat.

a) La difficulté de définir la spéculation

Vos Rapporteurs ont demandé à leurs interlocuteurs, lors des auditions qu'ils ont conduites, si l'on pouvait définir la spéculation. Il leur a été, à chaque fois, répondu par la négative. Il est indéniablement difficile de cerner la spéculation. Même les attaques délibérées contre une monnaie (opérations de Georges Soros à l'encontre de la Livre, puis du Franc) peuvent obéir à une anticipation rationnelle.

Les chiffres relatifs aux marchés des changes sont d'ailleurs éclairants. Seuls 5 % des capitaux qui transitent sur le marché des changes viennent s'investir sur une devise pour plus de quinze jours et 14 % pour dix à quinze jours. A l'inverse, 15 % des transactions sont dénouées instantanément et 49 % sont tenues entre trente minutes et cinq heures, pour des volumes oscillant quotidiennement entre 1.000 milliards et 3.000 milliards de dollars (ce dernier chiffre correspondant à des crises monétaires). On observe, par ailleurs que sur les marchés financiers, la période de pointe se situe vers 14h30, en début d'après-midi en Europe et en début de matinée à New York. Un second pic d'activité apparaît vers minuit, heure qui coïncide avec la fin de la journée aux États-Unis et le milieu de la matinée en Asie.

Certains analystes économiques, comme Richard Olsen, estiment que la spéculation est bénéfique pour l'économie, en apportant un surcroît de liquidités au marché. « L'intervenant que l'on qualifie à tort de spéculateur dépense son argent en investissant sur le marché des changes. Il faut bien qu'il en retire un bénéfice puisqu'il offre un service aux autres en augmentant la liquidité de ce marché. Il contribue par ce biais à la croissance de l'économie mondiale et en fin de compte au bien-être collectif. »

De manière générale, il semble impossible de discerner les opérations purement spéculatives des opérations liées directement ou indirectement au commerce international. Si l'on retient cette analyse, la taxe Tobin pourrait aussi avoir des effets négatifs. En renchérissant le coût des transactions sur les marchés des changes, elle limiterait la diversification internationale des risques des institutions financières, et pourrait conduire à une plus grande fragilité de l'épargne.

b) L'obstacle des innovations financières

L'un des principaux obstacles à la taxe Tobin est l'imagination des opérateurs financiers. Une taxe limitée aux transactions au comptant encouragerait en effet la substitution en faveur de produits « futurs » de court terme. La taxe devrait donc s'appliquer également à ces types d'actifs. « Si le change entre le dollar et le yen est taxé, on crée une incitation à échanger des bons du Trésor américains à trois jours contre des bons du Trésor japonais à trois jours, dans l'hypothèse où ces instruments ne sont pas taxés. Si les autorités taxent les achats et les ventes de bons du Trésor américains et japonais à trois jours, les spéculateurs en devises se mettront à échanger des contrats à terme sur la livraison de blé dans trois jours libellés en dollars contre des contrats équivalents libellés en yens. Et si les autorités taxent les achats et les ventes de contrats à terme sur les biens, les spéculateurs risquent de se mettre à échanger des dérivés dont la valeur en dollars est fonction de la valeur de l'indice Standard and Poor contre des dérivés dont la valeur en yens est fonction du même indice. Pour être efficace, la taxe sur les transactions de change devra être généralisée aux autres instruments financiers. Mais la portée de la substitution d'actifs devrait être limitée. Une transaction qui promet de délivrer une devise étrangère dans trois jours n'est pas un substitut parfait d'une transaction qui délivre cette devise aujourd'hui. De toute façon, l'offre de bons du Trésor japonais et américains avec les caractéristiques voulues n'est pas parfaitement élastique. La difficulté de synchroniser les transactions expose les parties à un risque de taux d'intérêt. On pourra donc contourner en partie la taxe Tobin en substituant des actifs, mais cette substitution ne sera pas complète. La taxe sera particulièrement difficile à contourner en période de forte pression spéculative, lorsque l'excès de la demande pour une devise particulière est plus grande par rapport à l'offre d'actifs qui offrent des substituts possibles. Néanmoins, il existe un risque réel de voir les ingénieurs financiers créer de nouveaux instruments financiers qui seraient des substituts de plus en plus proches d'une simple transaction de change, rendant possible la croissance des substitutions d'actifs au cours du temps. Reste à savoir quel est leur intérêt à le faire. D'un côté, les transactions de change brassent chaque jours des milliards de dollars, constituant un marché lucratif pour les talents des cambistes. De l'autre, une taxe de 0,5 % n'inciterait pas beaucoup les participants à se lancer dans des man_uvres financières compliquées sur toute transaction particulière. La taxe sera sans doute partiellement contournée, mais il n'est pas certain que la substitution prenne une ampleur telle qu'elle en neutralise les effets économiques. Les spécialistes de l'économie et de la finance évaluent encore mal les effets d'une taxe sur les transactions de change. De nombreuses questions restent en suspens. Or tant que ces inconnues ne seront pas levées, la discussion politique ne prendra pas corps, ni au plan national, ni à l'échelle internationale. » (20)

Les innovations financières ont en outre changé la signification du terme « transactions ». Les produits dérivés ne s'arrêtent pas aux opérations à terme et aux options. Les institutions financières ont multiplié les produits structurés, notamment des obligations qui versent des intérêts dépendant de l'évolution de certaines variables financières (taux de change, taux d'intérêt, cours de bourse...). Ces produits peuvent permettre de spéculer sur l'évolution du marché des changes sans achats ou ventes de devises, c'est-à-dire sans dénouer une opération. Pour éviter le contournement de la taxe Tobin, il faudrait probablement envisager au plan international une interdiction, ou une taxation prohibitive, de ces produits. Les innovations financières ont ainsi vidé d'une partie de leur sens la notion même de transactions, et donc de taxe sur les transactions, car elles permettent à des agents de jouer sur l'évolution des marchés sans opération explicite d'achat ou de vente.

c) Le risque d'un faible rendement

La somme couramment avancée de 1.500 milliards de dollars de transactions quotidiennes provient de l'enquête triennale faite en 1998 par la Banque des règlements internationaux, mais la majorité des transactions sur le marché des changes constitue des opérations d'arbitrage sans risque visant à améliorer sa liquidité. Ces opérations d'arbitrage existent en raison de coûts de transaction très faibles. Pour les grandes devises et de larges transactions, ils sont de l'ordre de 0,02 %. Multiplier par cinq les coûts de transaction changerait la structure du marché des changes et, suite à la disparition de nombreuses opérations d'arbitrage, le volume des transactions et la liquidité chuteraient considérablement.

Les professionnels rappellent par ailleurs que la multiplication des transactions est une façon de relier par tâtonnement les acheteurs et vendeurs finaux. Quand un vendeur se présente, le courtier accepte d'être contrepartie bien qu'il n'ait pas de véritable acheteur disponible et revend sa position à un autre intermédiaire (en l'absence de taxe, il s'agit d'une opération blanche) qui opérera de même jusqu'à ce que soit trouvée une contrepartie à l'extérieur du système bancaire. Ce système deviendrait impossible, même avec la plus petite des taxes et le marché deviendrait très vraisemblablement un marché entièrement électronique : un ordinateur central se chargerait directement de relier les acheteurs et vendeurs non bancaires. Il s'agit déjà d'une tendance nette pour la plupart des produits financiers. Sur le marché des changes, en l'absence pour l'heure de toute taxe, plus de 10 % des transactions étaient déjà automatiques en avril 1998, soit plus d'un doublement de la part de marché des systèmes électroniques depuis 1995.

Selon Olivier Davanne, la transformation de la structure du marché des changes après l'introduction d'une taxe suffirait à provoquer l'effondrement du volume des transactions et donc des recettes potentielles de la taxe.

d) L'incertitude sur le véritable payeur

L'évaluation du produit de la taxe, quelle qu'en soit la base de calcul, ne dispense pas de regarder qui payerait cette taxe, notamment après généralisation des échanges électroniques et modification des techniques financières usuelles telles les swaps. Or, ce travail n'a, semble-t-il, jamais été effectué.

Les redevables de la taxe Tobin sont principalement les entreprises, les spéculateurs purs et les gestionnaires de fonds (OPCVM, fonds de pension ...). A l'heure actuelle, il est impossible de déterminer à quelle hauteur chaque redevable contribuerait. Mais l'on peut sans peine identifier le payeur final.

La taxation des transactions sur le marché des changes au titre des opérations des entreprises (commerce international, investissement direct) serait supportée directement par les entreprises et indirectement par les consommateurs. La taxe Tobin aurait alors la nature d'une taxe sur le commerce international. Elle pourrait présenter plus d'inconvénients que les modes de taxation plus traditionnels portant sur la production et la consommation.

Les gestionnaires de fonds seraient beaucoup plus taxés que les entreprises car ils ont l'obligation d'utiliser le marché des changes pour diversifier leurs investissements internationaux. Si on reprend l'analyse de la BRI, leurs opérations quotidiennes s'élevaient à plus de 300 milliards de dollars en avril 1999, soit un peu moins de 20 % du total des échanges. Une taxe de 0,1 % leur coûterait ainsi 70 milliards de dollars si le volume de leurs transactions restait inchangé. Il est difficile de savoir dans quelle proportion les opérations des investisseurs internationaux institutionnels baisseraient en réponse à cette taxe. Si elles chutent des deux tiers ou de la moitié, le rendement annuel serait ramené entre 23 et 35 milliards de dollars. Cela représenterait entre 0,1 % et 0,2 % des sommes gérées par ces investisseurs. Mais au final, la taxe serait acquittée par les épargnants qui diversifient leurs portefeuilles à l'étranger.

En l'espèce en effet, la taxe Tobin ne taxe pas toute l'épargne, mais seulement celle investie dans un pays situé dans une autre zone monétaire. Un Français qui a des actions françaises et allemandes ne la paie pas (opérations internes à la zone euro), alors que s'il achète des actions anglaises, il subirait un prélèvement. Il y aurait pénalisation de l'internationalisation des portefeuilles alors que la diversification des placements permet en principe aux investisseurs de réduire le niveau de risque en conservant un rendement optimal du capital.

Si les spéculateurs purs constituent la troisième catégorie de redevables de la taxe, la difficulté de cerner avec précision les acteurs (donneurs d'ordre, traders...) oblige à n'examiner que les cas des opérateurs travaillant dans les salles de change, facilement quantifiables. La taxe serait clairement dissuasive pour les opérateurs multipliant les allers et retours entre devises. Mais dès lors que cette activité ne serait plus rentable, le produit de la taxe diminuerait mécaniquement.

e) La question de l'efficacité

En l'absence d'évaluation précise sur la base taxable et le nombre de redevables, l'efficacité de la taxe Tobin est une question qui s'apparente à un pari. Il n'est pas étonnant que les partisans ou les opposants à la taxe tiennent des positions éloignées, n'ayant que des arguments théoriques à faire valoir.

C'est ainsi que l'on contestera aisément l'efficacité de la taxe dans un système de changes fixes, où un taux de 0,1 % ne peut en rien atténuer des anticipations de dévaluation oscillant entre 10 et 30 %. La taxe Tobin n'aurait pas empêché la crise asiatique. En système de change flottant, l'anticipation résulte d'une analyse, résultant elle-même d'une connaissance et d'un accès privilégié à l'information. « Au total, c'est ce mélange d'expérience du marché des changes et d'accès privilégié à l'information qui permet aux traders des grandes banques et aux opérateurs de hedge funds de réaliser des profits spéculatifs. Que se passerait-il si la taxe Tobin conduisait à un marché totalement électronique et à exclure certains de ces intervenants ? Il est très peu probable que le résultat soit une stabilisation du marché des changes entre grandes devises. Il y a même des raisons de penser qu'un marché totalement électronique pourrait devenir encore un peu plus aveugle, moins bien informé et plus volatile » (21) surtout lorsque l'on garde à l'esprit que la modélisation mathématique accentue les tendances à la baisse des marchés.

3.- LES OBSTACLES POLITIQUES À LA MISE EN PLACE DE LA TAXE TOBIN

Le caractère international des mouvements de capitaux rend illusoire l'application de la taxe Tobin à un seul pays. Pour être efficace, elle doit être mise en _uvre dans les pays où se trouvent les principaux marchés monétaires, soit la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Japon, et dans une moindre mesure les États de la zone euro.

A ce jour, seul le Parlement canadien a voté une motion encourageant son gouvernement à proposer à ses partenaires l'instauration d'une telle taxe. Le Parlement européen a rejeté de justesse, le 20 janvier 2000 (à six voix près) une motion demandant à la Commission européenne d'étudier la faisabilité de la taxe, malgré l'opposition du commissaire européen chargé de la fiscalité Frits Bolkestein, qui jugeait que « ce serait une intervention indirecte sur les flux de capitaux, et donc une violation du traité de Rome ». La Chambre des communes du Royaume-Uni a présenté une motion à l'initiative de M. Harry Barnes, député travailliste d'Irlande du Nord, qui a recueilli à ce jour 72 signatures. Par ailleurs, la Commission permanente des questions sociales, agissant au nom de l'Assemblée générale de l'ONU, lors du Sommet de Copenhague sur le développement social (1996) a adopté une résolution demandant d'examiner la possibilité d'établir une taxe sur les transactions monétaires à court terme. A ce jour, aucun vote n'a cependant abouti. Aucune négociation n'a été entamée et le Congrès américain a clairement fait connaître son opposition de principe à la mise en place de la taxe.

Pour l'heure, les partisans de la taxe se trouvent surtout en Europe et au Canada. Compte tenu des possibilités infinies de blocage qu'offre la procédure parlementaire aux Etats-Unis, il paraît nécessaire d'étudier la mise en place de la taxe au niveau de la Communauté européenne, à condition d'inclure le Royaume-Uni, principal marché monétaire, dans ce processus.

Nul ne doit nourrir d'illusions excessives. L'échec permanent des tentatives d'harmonisation fiscale à l'échelon communautaire n'incite guère à l'optimisme. Une mission conduite par vos deux Rapporteurs à Londres, en février dernier, a montré que les opérateurs de la City qualifiaient la taxe de nonsense, à la différence d'associations comme War on Want et de parlementaires. Il faudra une forte pression politique pour instaurer la taxe.

Vos Rapporteurs écartent cependant le risque d'une délocalisation hors d'Europe des activités d'ordre monétaire. La lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue ou dans le domaine des délits d'initiés le montre : les pays membres de l'OCDE peuvent se donner les moyens de contraindre les centres off-shore et les paradis fiscaux à modifier leurs législations. Par ailleurs, le transfert de fonds au niveau international étant très centralisé, et étroitement contrôlé par les banques centrales, les marchés organisés tels le LIFFE (London International Financial Futures [and options] Exchange) et une poignée d'instituts de règlement tels Fedwire ou Clearing House Information Payment System, une coopération entre ces organismes réduirait rapidement le rôle des paradis fiscaux. Enfin, d'autres systèmes d'encouragement et de dissuasion sont possibles, en particulier une réforme de la Charte du Fonds monétaire international qui interdirait aux États se mettant en marge l'accès aux prêts multilatéraux.

4.- POSITION DES RAPPORTEURS

La discussion théorique des avantages et des inconvénients de la mise en place d'une taxe Tobin peut être sans fin. Et sans fin peut être également l'argumentation sur les obstacles politiques à cette mise en place.

La position finale proposée par vos rapporteurs s'articule alors autour de deux constats :

- premier constat : les critiques faites à la taxe Tobin, pour pertinente que peut être chacune, sont indiscutablement incompatibles entre elles. Si certaines de ces critiques peuvent être fondées, à coup sûr elles ne peuvent l'être toutes à la fois.

Ce constat sera résumé à travers deux affirmations :

· si la taxe Tobin a un effet sur la liquidité, il paraît peu vraisemblable, compte tenu de son faible taux, qu'elle fasse disparaître les produits dérivés véritablement utiles à l'économie réelle ;

· si la taxe Tobin n'a pas ou peu d'effets sur la liquidité, alors elle aura un rendement élevé.

- deuxième constat : le débat sur la taxe Tobin apparaît emblématique du débat central sur la nécessité de nouvelles régulations et de nouvelles solidarités internationales, contrepoints indispensables à une globalisation financière sans finalité et sans âme.

Vos rapporteurs proposent donc de faire de la taxe Tobin l'une des directions de proposition des autorités françaises dans les forums internationaux existants, au même titre que la lutte contre les paradis fiscaux, le contrôle des fonds spéculatifs et une réforme du système monétaire international.

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CONCLUSION

Découlant de mutations technologiques irréversibles, la mondialisation est un phénomène qu'il serait sans effet de vouloir remettre en cause. La question qui nous est posée est autre : peut-on et veut-on redonner aux hommes un contrôle sur des marchés, notamment financiers, qui se sont développés depuis trente ans en dehors de toute régulation politique ?

C'est, à l'échelle de la planète cette fois, un très ancien débat qui resurgit, entre libéraux et partisans de l'intervention publique. Pour les premiers, le libre jeu des marchés est le meilleur garant de l'efficacité économique. Pour les seconds, cette dernière n'est pas une finalité en soi mais doit être mise au service d'objectifs de société démocratiquement définis.

La France, patrie des droits de l'homme, ne saurait être en retrait dans ce débat. Après avoir construit son État et ses services publics, facteurs d'une meilleure égalité des chances, elle doit être un élément moteur dans la proposition de nouvelles régulations économiques, financières et politiques, à tous les niveaux où elles apparaissent nécessaires.

Le cadre de l'Union européenne est un premier niveau d'action indispensable, afin de faire avec nos voisins ce que, seuls, nous n'arrivons plus à faire. Encore faut-il que cette Union ne se limite pas elle-même à un seul marché, et devienne une communauté politique dotée d'une capacité de gouvernement et d'une nouvelle forme de citoyenneté européenne.

La perspective d'un gouvernement mondial n'étant pas pour demain, c'est davantage en termes de régulation collective qu'ont été définis dans ce rapport les quatre objectifs de la lutte contre les paradis fiscaux, du contrôle des fonds spéculatifs, d'une réforme du Système monétaire international, de la création d'une taxe sur les mouvements de capitaux.

Mais la philosophie de la proposition reste la même : créer, au-delà des États actuels lorsque ceux-ci deviennent impuissants, des niveaux de décision ou de régulation qui permettent de réaffirmer la primauté du politique sur l'économique et le financier et de redonner aux citoyens la maîtrise démocratique de leur avenir.

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EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 14 juin 2000, la commission des Finances a examiné le présent rapport d'information.

En préambule, le Président Henri Emmanuelli a appelé les rapporteurs spéciaux à limiter la taille de leurs rapports écrits. Il a jugé en effet que la brièveté permettait d'obtenir un impact politique plus important et de mettre le projecteur sur quelques points essentiels sans nuire à l'exhaustivité. Il a souligné que les retards dans les réponses aux questionnaires ne devaient pas être admis, notamment compte tenu des nouvelles procédures budgétaires. Il a souhaité, en conséquence, être informé d'éventuels retards.

Prenant la parole au nom des deux rapporteurs, M. Gérard Fuchs a indiqué que la libre circulation des capitaux avait conduit à une globalisation financière à l'échelle mondiale et que les transactions quotidiennes sur les marchés monétaires étaient évaluées à quelques 1.500 milliards de dollars. Il a estimé que ce chiffre pouvait, certes, être discuté dans la mesure où il mêlait des transactions réelles et des prises de position, mais que le montant de ces transactions quotidiennes équivalait à un an de PIB de pays comme la France ou l'Italie ou à un trimestre de commerce mondial. Si la crise asiatique a eu un effet de 2 % de PIB, cela équivaut, pour un pays comme la France, à un impact de 160 milliards de francs.

Cette globalisation comporte des effets positifs : meilleur accès aux capitaux, capital moins cher, possibilité pour les pays émergents de bénéficier de financements, mais elle induit trois principaux effets négatifs :

- une réduction des marges de man_uvre des gouvernements, obligés notamment de taxer davantage le travail en raison de la mobilité du capital ;

- un facteur d'amplification des crises financières ;

- une perte de souveraineté des États obligés de se conformer aux réactions des marchés financiers, ce qui pose un problème démocratique.

Le rapport d'information examine quatre thèmes : les paradis fiscaux et les centres dits « off-shore », les fonds spéculatifs, le système monétaire international et la régulation des capitaux à court terme. Les paradis fiscaux jouent un rôle certain en matière d'évasion fiscale, mais sont utilisés par de grands établissements bancaires dans certaines opérations de commerce international, comme en témoigne la récente condamnation des États-Unis devant l'OMC. Les fonds spéculatifs, qui manient environ 325 milliards de dollars, alors qu'ils ne sont soumis à aucune règle prudentielle, génèrent un fort effet de levier ; leur rôle dans la déstabilisation du système financier russe, par exemple, est indéniable. La puissance économique et militaire des États-Unis conserve au dollar une place prépondérante au sein du système monétaire international, mais l'émergence graduelle de zones monétaires régionales, comme la zone euro, peut permettre à terme de rééquilibrer le système. Enfin, les capitaux à court terme ne constituent pas le seul facteur de déclenchement de crise, mais jouent incontestablement un rôle aggravant. À cet égard, l'expérience chilienne sur le contrôle des entrées de capitaux est intéressante et a eu des effets stabilisateurs.

M. Gérard Fuchs a présenté les propositions du rapport. Une fois déterminée la liste des centres les plus problématiques, des sanctions diplomatiques pourraient être prises à l'encontre des paradis fiscaux s'ils n'acceptent d'eux-mêmes aucune réglementation. En ce qui concerne les fonds spéculatifs, la transparence est, certes, nécessaire mais elle ne pourra se substituer à l'établissement de ratios entre les engagements et les fonds propres. En toute hypothèse, même les plus minimalistes estiment nécessaire la mise en place de mesures de surveillance. Trois pistes de réformes du système monétaire international peuvent être proposées : le renforcement du rôle du président du Conseil de l'euro, la mise en _uvre de l'article 109 du Traité de Maastricht qui confère à ce Conseil un rôle en matière d'orientation de la politique des changes, enfin une expression extérieure plus dynamique de l'Union européenne. Dans la mesure où elle dispose au sein du Fonds monétaire international de droits de vote plus importants que ceux des États-Unis, il conviendrait que l'Europe parle d'une seule voix.

S'agissant enfin de la régulation des mouvements de capitaux et de la question de la taxe Tobin, l'audition d'une série de personnalités et d'experts ne permet pas d'obtenir de réponse technique définitive. L'un des problèmes est de distinguer les mouvements liés à la nécessaire liquidité de la spéculation dangereuse. Les arguments à l'encontre d'une telle taxe sont connus, mais la plupart de ces critiques sont contradictoires. Si la taxe Tobin a un effet sur la liquidité, il paraît peu vraisemblable, compte tenu de son faible taux, qu'elle fasse disparaître les produits dérivés véritablement utiles à l'économie réelle. À l'inverse, si la taxe Tobin n'a pas ou peu d'effets sur la liquidité, elle aura un rendement effectif.

Il est clair, en toute hypothèse, que la taxe ne peut être instaurée dans un seul pays. Le rapport propose donc que la mise en place de la taxe figure parmi les quatre propositions que le Gouvernement défendra devant l'Union européenne.

En conclusion, il est indispensable d'arriver à mettre en place des règles au niveau mondial. À défaut, les marchés gouverneront le monde, ce dont on ne peut se satisfaire en termes démocratiques.

Après avoir exprimé son accord sur l'analyse menée par les deux rapporteurs, M. Philippe Auberger a cependant jugé floue leur conclusion sur la taxe Tobin. Le rapport appelle des précisions supplémentaires sur les questions des zones cibles et du prêteur en dernier ressort. En tout état de cause, l'institution d'une taxe de ce type constituerait une nouvelle manifestation de l'exception française et produirait des effets quasiment nuls, sauf action concertée à la fois dans la zone euro et aux États-Unis. À propos de l'expérience chilienne, qu'il conviendrait de détailler davantage dans le rapport, il faut signaler que le FMI, notamment à la suite des événements constatés en Asie, a admis l'idée que les pays faisant face à des difficultés temporaires puissent mettre en place un contrôle des mouvements de capitaux, notamment sous la forme d'une modulation des réserves obligatoires en fonction de la liquidité des marchés de capitaux.

M. Jean-Marie Le Guen a estimé pédagogiques l'exposé des rapporteurs ainsi que leur analyse des risques du système financier international. Il faut toutefois accorder une attention accrue à la question du prêteur en dernier ressort, qui sous-tend celle du risque systémique, comme l'ont montré les mécanismes de diffusion des comportements lors des crises asiatique et russe. Ces crises ont aussi révélé à certains pays, qui jusqu'ici n'en avaient connu que les bienfaits, les dangers de la globalisation financière et la nécessité de démocratiser le système financier international. Aujourd'hui, la question de la régulation se pose de manière concrète et globale à des pays qui, jusqu'à présent, étaient des contemplateurs béats du système monétaire international, dont ils sont devenus des victimes.

Dans ses efforts de réforme de ce système, la France est actuellement moins isolée et inaudible qu'elle ne l'était par le passé, comme l'ont montré l'écho rencontré par ses propositions de renforcement de la commission politique du FMI, même si elles n'ont pas été suivies, les débats relatifs aux règles de l'organisation mondiale du commerce ou encore les réactions des opinions publiques lors de la réunion récente de la banque asiatique de développement. Le but n'est pas de conforter la bipolarisation économique mondiale autour de l'euro et du dollar, mais bien de promouvoir les coopérations monétaires régionales et d'assurer le développement d'autres monnaies que le dollar et l'euro.

Après avoir relevé l'intérêt d'un travail commun à deux rapporteurs de sensibilité politique différente, M. Daniel Feurtet a estimé qu'une prise de conscience mondiale pouvait provoquer un changement de comportement des États-Unis et qu'il n'était pas envisagé d'instituer une taxe Tobin dans la seule France mais bien de proposer des zones d'application régionale expérimentales, de la taille de l'Europe, ce qui devrait recueillir l'assentiment indispensable de la Grande-Bretagne. Il existe d'ores et déjà des mouvements d'opinion dans plusieurs pays, autour de parlementaires britanniques, ou au Canada, et la France ne doit pas prendre de retard dans ce processus, louable, de prise de conscience politique.

M. Michel Bouvard a souhaité savoir si les rapporteurs avaient mené une réflexion sur les marchés de matières premières de la place de Londres, dont le caractère spéculatif est avéré et porte sur des montants considérables, alors qu'ils ne font pas l'objet d'autant de contrôles que les autres types de marché.

M. Gérard Fuchs a alors répondu aux différents intervenants. Au sujet des zones cibles, le fait de parler d'orientation de politique de change, notamment à travers le mécanisme des parités de pouvoir d'achat, est une première réponse à la question, mais tout le problème est de savoir s'il faut les rendre publiques. L'existence de prêteurs en dernier ressort n'est pas contestée puisque l'observation des crises montre qu'il existe bien une socialisation des risques à la suite de la privatisation des bénéfices et que les interventions des banques centrales devraient mieux équilibrer les contributions des prêteurs en dernier ressort entre le secteur public et le secteur privé.

Il existe actuellement deux acteurs principaux dans le secteur financier international mais l'objectif est bien d'aboutir à une plus grande régionalisation.

S'agissant de la taxe Tobin, on doit distinguer l'action de proposition, qui pourrait constituer une exception française, de sa mise en _uvre effective qui, naturellement, dépend d'un accord beaucoup plus large.

La spéculation qui règne sur les marchés des matières premières a toujours un fondement relevant de l'économie réelle et apparaît moins exclusivement financière que sur d'autres marchés, comme le montre l'exemple du cacao, même si celui du marché de l'argent est moins probant. Leur volume n'apparaît en outre pas déterminant.

Après avoir rappelé que la proposition de M. Tobin datait de 1971, au moment de l'abrogation des accords de Bretton Woods, M. Michel Inchauspé a déclaré que la vague d'enthousiasme pour ses idées surprenait jusqu'à M. Tobin lui-même, qui pourrait être utilement auditionné par la commission des Finances.

En tout état de cause, on peut estimer que cette taxe existe déjà, puisque les opérations faites sur le Matif subissent un prélèvement par les différents intermédiaires de marché d'un montant de 0,5 %. Sauf à atteindre un taux critique de l'ordre de 10 %, une telle taxe n'empêchera jamais la spéculation, comme le montre l'exemple de la crise asiatique où l'influence des fonds spéculatifs, comme ceux qui sont gérés par M.  Georges Soros, a été déterminante, en Thaïlande ou en Birmanie. Les dérèglements vont par ailleurs inéluctablement augmenter avec la progression exponentielle des mouvements de capitaux résultant de l'utilisation de l'Internet et de la fusion entre la production et la distribution des activités financières. Comme l'avait qualifiée naguère M. Dominique Strauss-Kahn, la taxe Tobin est une mesure utopique dont les finalités n'apparaissent pas clairement et peuvent même se révéler contradictoires selon que l'on prend en compte son effet sur les recettes fiscales ou sa contribution à la régulation des mouvements de capitaux. Dans ce domaine, l'attitude raisonnable consiste à s'inspirer de mécanismes de régulation prudents du type des recommandations prônées par la banque centrale américaine à l'adresse des fonds spéculatifs, lors de l'épisode de la faillite du fonds LTCM. Enfin, il convient de savoir si l'objet de la taxe est de procurer des recettes ou d'assurer une meilleure régulation des mouvements de capitaux.

Le Président Henri Emmanuelli a jugé cette dernière question importante et s'est interrogé sur le niveau de taxation éventuel et ses effets.

Après avoir fait part de ses incertitudes relatives à la possibilité d'apprécier a priori l'incidence d'une taxe Tobin respectivement sur la liquidité des marchés de capitaux et sur le montant des recettes fiscales, M. Gérard Fuchs a jugé que même un taux faible pourrait produire un rendement important et a réitéré son souhait de voir le gouvernement français proposer à ses partenaires européens une telle taxe, à titre d'expérimentation, dans la perspective inéluctable où l'institution de ce type de mécanisme facilitera la redistribution internationale des ressources.

La Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

PAR LES RAPPORTEURS

MM. Jean Pisani-Ferry et Olivier C_uré, direction du Trésor.

M. Jean-Pierre Landau, délégué général de l'Association française des banques.

M. Olivier Davanne, professeur à l'université Paris-Dauphine.

M. Alexis Laurent, chargé des marchés financiers, Caisse des Dépôts et Consignations.

M. Vincent Remay, conseiller pour les marchés, société Paris Bourse.

M. Bernard Cassen, président d'ATTAC.

M. Harry Barnes, député travailliste d'Ulster, Chambre des communes.

M. Brian Hillard, Chief Economist, Banque Hambros SG.

MM. Michaël Hellam, Paul Rankin, James Steel et Rupert Thorne, Trésor britannique.

Mme Catherine Matheson, directrice de War on Want, Londres.

2476 - Rapport d'information de MM. Gérard Fuchs et Daniel Feurtet sur la régulation de la mondialisation financière (commission des finances)

() Fonds monétaire international, World Economic Outlook, mai 1997.

() in Politique.

() Somme théologique (1266).

() Réflexions sur la formation et la distribution des richesses (1766).

() Théorie de l'intérêt (1930).

() Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936).

() La Tribune de l'Expansion, 18 septembre 1991.

() Comment penser l'argent ? 3ème forum Le Monde - Le Mans - 1992.

() Travaux de Kindleburger : Manias, panics and crashes, 1989.

() Éric Barthalou, Conjoncture - Paribas, octobre 1998.

() Claudia Senik-Leygonie, Tendances économiques mondiales, mai 1999.

() Théorie d'Obstfeld (1998).

() Rapport n° 1802 de M. Jean-Pierre Brard, au nom de la commission des Finances, XIème législature, p. 50.

() Rapport n° 1802 de M. Jean-Pierre Brard précité, p. 52.

() UBS, Deutsche Bank, Crédit Suisse First Boston, Merril Lynch, Goldman Sachs, Morgan Stanley, JP. Morgan, Barclays, Chase, Morgan Stanley Dean Witter, Banker Trust et Travellers, Société Générale, Lehman Brothers, Paribas.

(1) Hauriou : principes de droit public, 1910.

() Hedley Bull : the anarchical society, 1977.

() 69ème rapport annuel, 1999.

() 69ème rapport de la BRI précité.

() Olivier Davanne, Rapport moral sur l'argent dans le monde, 1999.

() Olivier Davanne, Rapport moral sur l'argent dans le monde, 1999.