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N° 2703

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 2000.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2604), MODIFIÉE PAR LE SÉNAT, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

PAR Mme Nicole Bricq,

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Femmes.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel
Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Conchita Lacuey, Jacqueline Lazard, Raymonde Le Texier, MM. Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

AVANT-PROPOS 5

INTRODUCTION 7

I.- L'INTERDICTION DU TRAVAIL DE NUIT DES FEMMES : UNE INTERDICTION DISCRIMINATOIRE AUX EFFETS JURIDIQUES LIMITÉS 9

A. UNE INTERDICTION DISCRIMINATOIRE 9

1. Fondée sur une ambiguïté idéologique et économique 9

2. Incompatible en l'état avec le droit européen 10

a) Le principe européen d'égalité de traitement 10

b) Egalité contre spécificité 10

B. DES EFFETS JURIDIQUES LIMITÉS 11

1. Le champ de l'interdiction 11

2. Les dérogations à l'interdiction 11

3. Des effets juridiques incertains 12

II.- LE TRAVAIL DE NUIT : NOCIF ET DÉPOURVU DE PROTECTION LÉGALE 13

A. LE TRAVAIL DE NUIT DES FEMMES : UNE RÉALITÉ INCONTESTABLE 13

1. Des femmes travaillent déjà la nuit 13

2. Choix personnel ou contrainte économique ? 14

B. UNE NOCIVITÉ NON SPÉCIFIQUE AUX FEMMES 14

1. Une perturbation des rythmes biologiques 14

2. Les troubles liés au travail de nuit 15

C. L'ABSENCE DE PROTECTION LÉGALE 15

III.- POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DE L'ENSEMBLE DES SALARIÉS 17

A. L'ENCADREMENT DU TRAVAIL DE NUIT 17

1. La définition du travail et du travailleur de nuit 17

2. Les conditions du recours au travail de nuit 18

C. LA MISE EN PLACE DE GARANTIES 19

1. Les contreparties au travail de nuit 19

2. Une surveillance médicale accrue 19

3. Une protection particulière pour la salariée enceinte 20

IV. - VERS UNE AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL
ET DE VIE
21

A. L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL 21

B. LA NÉGOCIATION DES MESURES D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE 22

C. LA CONCILIATION DE LA VIE PROFESSIONNELLE AVEC LA VIE FAMILIALE ET PERSONNELLE 23

1. Le cumul des contraintes pour les femmes 23

2. La garde des enfants 23

3. Les transports 24

4. Le droit au transfert sur un poste de jour 24

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 27

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 31

AVANT-PROPOS

La proposition de loi (n° 2132) de Mme Catherine Génisson relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a été examinée par la Délégation aux Droits des femmes avant son passage en première lecture à l'Assemblée nationale. Un rapport d'information (n° 2226) de M. André Vallini sur cette proposition de loi a été adopté par la Délégation le 1er mars 2000.

La Délégation aux droits des femmes a jugé indispensable de se prononcer, avant l'examen en deuxième lecture de cette proposition de loi, sur deux points nouveaux importants : l'amendement adopté par le Sénat relatif à l'obligation de parité des listes de candidatures aux élections prud'homales et professionnelles et l'amendement présenté au Sénat par le Gouvernement relatif à la levée de l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie.

Bien que cet amendement gouvernemental n'ait pas été adopté par les sénateurs et qu'il ne figure donc pas dans le texte de la proposition de loi soumis à l'Assemblée nationale en deuxième lecture, la Délégation a souhaité s'exprimer sur ce sujet particulièrement controversé et délicat.

Elle a donc confié à Mme Nicole Bricq la tâche de présenter en son nom des recommandations sur ces deux thèmes, dans le cadre d'un nouveau rapport d'information sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Martine LIGNIÈRES-CASSOU,

Présidente

Mesdames, Messieurs,

Le principe de l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie, tel qu'il figure à l'article L. 213-1 du code du travail, a été posé par une loi du 2 novembre 1892, première loi à opérer une discrimination entre les sexes. A une époque où des enfants de 12 ans travaillaient encore, il s'agissait de protéger la femme d'un travail pour lequel elle n'était pas faite... Un député, citant le docteur Proust, père de l'écrivain, ne rappelait-il pas à cette occasion que "les conditions physiologiques spéciales à l'organisme féminin ont doté ce dernier d'une fragilité particulière... sa vie elle-même ne lui appartient pas, la maternité exige d'elle des sacrifices incessants... Elle a besoin de toutes ses forces et de sa santé afin de se multiplier pour ses enfants"(1). Il s'agissait alors de protéger la femme et en même temps, de la confiner dans un rôle unique de gardienne du foyer. Depuis, l'économie et la société ont radicalement changé. Les femmes se sont fait une place de plus en plus importante dans le monde du travail, notamment dans des secteurs où le recours au travail de nuit est indispensable. Si des assouplissements juridiques ont été rendus nécessaires, l'interdiction de principe posée en 1892 n'a - en raison de sa charge symbolique - jamais été levée.

Le Gouvernement souhaite aujourd'hui mettre son droit du travail en conformité avec la directive européenne du 9 février 1976 relative à la mise en _uvre du principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Le travail de nuit n'est une bonne chose ni pour les hommes, ni pour les femmes. Mais on peut se demander pourquoi l'emploi des femmes la nuit, bien que pénible, est parfaitement toléré par l'opinion dans les hôpitaux, les restaurants et les entreprises de nettoyage, par exemple, alors qu'il ne le serait pas dans l'industrie.

C'est par ailleurs une bonne occasion de traiter enfin la question du travail de nuit comme elle le mérite, c'est-à-dire de façon globale. Il ne faut pas se borner à répondre à la question "est-on pour ou contre le travail de nuit des femmes ?", mais partir de l'analyse concrète des pratiques sociales d'emploi des femmes. Il s'agit de mettre à profit ce débat pour assurer à l'ensemble des salariés de nuit des droits réels qui, pour l'instant, n'existent pas, pour limiter le recours à cette forme de travail nocif, et dans les cas où celui-ci est nécessaire, pour assurer aux salariés de meilleures conditions de travail et de vie, notamment pour les femmes.

I.- L'INTERDICTION DU TRAVAIL DE NUIT DES FEMMES : UNE INTERDICTION DISCRIMINATOIRE AUX EFFETS JURIDIQUES LIMITÉS

A. UNE INTERDICTION DISCRIMINATOIRE

1. Fondée sur une ambiguïté idéologique et économique

L'article L. 213-1 du code du travail qui interdit le travail de nuit des femmes dans l'industrie porte la marque des ambiguïtés qui ont présidé à l'adoption de la loi de 1892 dont il est issu.

Les intentions affichées en 1892 étaient autant prophylactiques qu'idéologiques et sociales. Si l'argument souvent mis en avant était de préserver les femmes de conditions de travail extrêmement pénibles, il s'agissait aussi de les protéger, selon des conceptions paternalistes, voire patriarcales. En protégeant la femme, on maintenait ainsi une certaine idée de la famille et de la mère. A cette ambiguïté idéologique se superposait une ambiguïté économique. L'interdiction du travail de nuit des femmes permettait en effet de mettre le travail de nuit masculin, assorti de primes intéressantes, à l'abri de la concurrence féminine qui était âprement dénoncée dans les congrès ouvriers. Aujourd'hui, cette conception n'a pas complètement disparu et, derrière l'idée que la femme n'est pas faite pour le travail de nuit, c'est son droit au travail qui est en question. Dans la mesure où l'article L. 213-1 figure toujours dans le code du travail, les employeurs peuvent l'opposer aux salariées. Cette interdiction constitue un frein à l'emploi des femmes dans certains secteurs et peut masquer une discrimination à l'embauche.

Le contexte socio-économique actuel n'a plus rien à voir avec celui de 1892. La fin du 19ème siècle s'est caractérisée par la révolution industrielle rendue possible par les nouveautés techniques, mais aussi par les conditions de travail particulièrement pénibles pour les travailleurs. Le contexte est très différent aujourd'hui grâce aux conquêtes sociales, à la modernisation de l'appareil de production dans l'industrie et à l'essor du secteur des services.

2. Incompatible en l'état avec le droit européen

a) Le principe européen d'égalité de traitement

Le Traité de Rome a posé le principe général de non-discrimination entre les hommes et les femmes, ce principe trouvant une de ses applications dans la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en _uvre du principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail. En complément à cette directive, le Conseil a adopté la directive 93/104/CEE du 23 novembre 1993 relative à l'aménagement du temps de travail qui prévoit des dispositions protectrices en matière de travail de nuit pour l'ensemble des salariés.

b) Egalité contre spécificité

La Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) s'est prononcée dans une première décision du 25 juillet 1991, l'arrêt Stoeckel, sur saisine d'un employeur poursuivi pour avoir signé un accord avec les organisations syndicales pour organiser le travail de nuit des femmes. Elle a jugé que l'article 5 de la directive du 9 février 1976 était suffisamment précis pour créer, à la charge des Etats membres, l'obligation de ne pas poser en un principe législatif l'interdiction du travail de nuit des femmes, même si cette obligation peut comporter des dérogations, dans la mesure où aucune interdiction semblable n'existe pour les hommes. Dans ce débat, la CJCE a tranché en faveur de la thèse de l'égalité contre la thèse de la spécificité défendue par la France.

Le Gouvernement français ne s'étant pas conformé à un avis de la Commission européenne lui demandant de prendre des mesures de mise en conformité, celle-ci a introduit un recours en manquement auprès de la CJCE qui, dans un arrêt du 13 mars 1997 "Commission des Communautés européennes contre République française" a, une nouvelle fois, condamné la France. Actuellement sous la menace du paiement d'une astreinte d'un montant de 142 425 euros par jour (environ 950 000  francs), la France ne peut que respecter ses engagements européens. Elle le doit, à la fois pour des raisons de principe, dans la mesure où elle se veut le moteur de l'Europe sociale, et pour des raisons financières, les contraintes budgétaires rendant impensable le versement d'une telle somme.

B. DES EFFETS JURIDIQUES LIMITÉS

1. Le champ de l'interdiction

L'article L. 213-1 du code du travail interdit le travail de nuit des femmes :

- "dans les usines, manufactures, mines et carrières, chantiers, ateliers et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, laïques ou religieux" ;

- dans les offices publics ou ministériels, les établissements des professions libérales, des sociétés civiles, des syndicats professionnels et des associations de quelque nature que ce soit.

Mais encore faut-il souligner que dans ces secteurs, l'interdiction ne vise que les travaux industriels, les autres travaux (administratifs par exemple) étant autorisés. Tous les autres secteurs, notamment celui des services (santé, transports) sont donc hors du champ de l'interdiction du travail de nuit.

2. Les dérogations à l'interdiction

Face aux nécessités économiques, l'interdiction initiale a dû être assouplie, perdant ainsi de sa portée. Des dérogations ponctuelles ont d'abord été aménagées. Ainsi, la loi du 25 janvier 1925 a institué deux types de dérogations à l'interdiction : dans les industries dans lesquelles le travail s'applique à des denrées périssables et en cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle ou de force majeure. Par ailleurs, la loi n° 79-3 du 2 janvier 1979 a autorisé le travail de nuit aux femmes occupant des postes de direction ou de caractère technique et impliquant une responsabilité ainsi qu'aux femmes occupées dans les services de l'hygiène et du bien-être n'effectuant pas normalement un travail manuel.

C'est surtout la loi n° 87-423 du 19 juin 1987 relative à l'aménagement du temps de travail qui a introduit dans les faits une autorisation contractuelle du travail de nuit des femmes dans l'industrie sous certaines conditions tenant aux motifs, qui doivent rester exceptionnels, et à la forme d'emploi (travail en équipes successives). Sa mise en place est par ailleurs subordonnée à une double négociation  au niveau de la branche et de l'entreprise. C'est sur la base de ces dispositions que de nombreux accords ont été conclus (métallurgie, secteur agro-alimentaire).

3. Des effets juridiques incertains

Les juges nationaux, se conformant à la jurisprudence de la CJCE, sont tenus d'écarter la loi nationale au profit du respect de la directive européenne, d'autant plus que la France a dénoncé en 1992 la convention n° 89 de l'Organisation internationale du travail qui interdit le travail de nuit des femmes. Depuis lors, plus aucune norme internationale antérieure au traité de Rome ne lie la France et ne s'oppose à l'application de la directive européenne. Ainsi, le tribunal de police d'Illkirch a rendu le premier, le 6 novembre 1992, un jugement de relaxe à l'égard d'un employeur, dans l'affaire Stoeckel qui avait motivé le recours à la CJCE.

En 1994, le Gouvernement français, répondant à un parlementaire, indiquait que "si la disposition interdisant le travail de nuit figure encore dans le code du travail, elle est dépourvue d'effets juridiques et n'empêche pas les femmes d'occuper des emplois dans l'industrie" (réponse faite le 7 juillet 1994 à la question écrite n° 5291 de M. Pierre-Christian Taittinger). Depuis lors, les pouvoirs publics ne se sont plus prononcés aussi clairement sur cette absence d'effets juridiques. En tout état de cause, une clarification juridique s'impose.

II.- LE TRAVAIL DE NUIT : NOCIF ET DÉPOURVU DE PROTECTION LÉGALE

A. LE TRAVAIL DE NUIT DES FEMMES : UNE RÉALITÉ INCONTESTABLE

1. Des femmes travaillent déjà la nuit

Selon une étude de la Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES), publiée cette année et portant sur l'année 1998, près de 3 millions de salariés ont travaillé au moins une nuit dans l'année, soit 20 % d'hommes et 6 % de femmes. C'est le travail de nuit fréquent (de 51 à 100 nuits dans l'année) et le travail de nuit systématique (plus de 160 nuits dans l'année) qui ont le plus augmenté, même si le taux du travail de nuit occasionnel est encore le plus élevé. Ainsi, 3,3 % des femmes travaillent de 1 à 50 nuits par an, 1,1 % de 51 à 100 nuits par an et 1,1 % également de 101 à 200 nuits par an. Elles sont moins de 1 % à travailler plus de 200 nuits par an.

Les chiffres font apparaître des différences significatives entre les secteurs d'activité et les catégories socio-professionnelles. Ainsi les femmes cadres et membres des professions intellectuelles supérieures sont 5,4 % à travailler la nuit. Dans les professions intermédiaires, la part des femmes travaillant la nuit est de 9,9 %.

La proportion des femmes travaillant la nuit est très variable également selon les secteurs d'activité. Sur les 800 000 femmes travaillant la nuit, 380 000 exercent leur activité dans les métiers de la santé ou de l'action sociale et 110 000 dans les services aux particuliers.

Environ 55 000 femmes exercent une activité dans l'industrie malgré l'interdiction. Dans ce secteur, les femmes "cadres" sont 3,6 % à travailler, les femmes "techniciens, contremaîtres et agents de maîtrise" sont près de 3 % et les ouvrières 6 %.

L'importance - relative - du travail de nuit des femmes n'est pas surprenante dans la mesure où les femmes en France ont toujours, même en période de crise, massivement travaillé. Des données fondées sur le dernier recensement et publiées par l'INSEE indiquent qu'entre 1990 et 1999 le nombre de femmes actives a augmenté de 1,1 million, atteignant ainsi 12,2 millions. Le travail féminin doit être favorisé : il est en effet démontré que sur un plan économique général, il stimule la croissance et l'emploi. S'agissant plus précisément du travail de nuit, une étude réalisée en 1993 par le ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle sur le travail de nuit des femmes montre que celui-ci a permis l'embauche des femmes dans des bassins d'emploi où elles sont durement touchées par le chômage, ce qui a eu un effet positif non négligeable sur l'emploi. Certains accords ont par ailleurs imposé un recrutement par contrat à durée indéterminée, diminuant ainsi la précarisation de l'emploi.

2. Choix personnel ou contrainte économique ?

Les facteurs du développement du travail de nuit féminin sont multiples. Certaines femmes travaillent de nuit par choix personnel, pour pouvoir concilier leur vie familiale et professionnelle, le travail de nuit leur permettant notamment de régler le problème de la garde des enfants. Pour les autres, plus nombreuses, cette liberté de choix est toute relative. L'étude précitée du ministère du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a relevé que de nombreuses femmes sont obligées de passer par les contraintes du travail de nuit car elles ne trouvent pas d'autres emplois. Dans ces cas, l'acceptation par les femmes de ce rythme de travail est essentiellement motivée par la crainte de perdre leur emploi ou de ne pas en trouver, et par les compensations financières accompagnant le travail de nuit. Les salaires des femmes étant en moyenne de 25 % inférieurs à ceux des hommes, le recours au travail nocturne permet de garantir le pouvoir d'achat.

B. UNE NOCIVITÉ NON SPÉCIFIQUE AUX FEMMES

Aucune étude scientifique médicale ne démontre une fragilité particulière des femmes par rapport au travail de nuit. Celui-ci est pénible pour tous, pour les hommes comme pour les femmes. Celles-ci ne développent aucune pathologie caractérisée et la seule spécificité est celle - évidente - liée à la grossesse, qui nécessite pour des raisons de santé publique, une protection accrue.

1. Une perturbation des rythmes biologiques

De nombreuses études ont mis en évidence les effets nocifs du travail de nuit sur l'organisme humain, dans la mesure où la plupart des fonctions biologiques sont soumises à un cycle circadien avec un maximum diurne et un minimum nocturne. Ce rythme biologique ne s'inversant pas, le travailleur de nuit est contraint d'exercer une activité professionnelle pendant une période de creux biologique et de dormir pendant un pic biologique. De plus, pendant les périodes de repos, le salarié doit se réadapter à un rythme normal. Il se trouve donc éclaté entre deux rythmes contradictoires.

2. Les troubles liés au travail de nuit

Aucune étude globale n'a été menée sur les conséquences du travail de nuit sur la santé, mais les travaux disponibles en la matière font ressortir des signes de dégradation générale de l'état de santé des travailleurs de nuit. Sur le plan psychique, les salariés de nuit présentent des troubles cognitifs (raisonnement, prise de décision, ralentissement, erreurs) et des troubles de l'humeur (fatigue anormale, anxiété) qui ont des répercussions sur leur vie professionnelle (risque d'accident du travail, baisse de vigilance) et personnelle. Les troubles du sommeil sont importants, le sommeil diurne étant moins réparateur (plus court, perturbé par les éléments extérieurs, morcelé et caractérisé par l'absence de sommeil paradoxal). La consommation d'un médicament pour aider au sommeil est deux fois plus élevée chez les salariés de nuit, leur consommation variant en fonction de l'âge et de l'ancienneté dans l'entreprise.

L'équilibre nutritionnel des salariés de nuit, soumis à rude épreuve (excès de lipides, rations hypercaloriques, décalage des horaires des repas) provoque des troubles digestifs et des phénomènes de surpoids.

A ces problèmes de santé s'ajoutent les difficultés pour gérer les décalages entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale.

C. L'ABSENCE DE PROTECTION LÉGALE

Le salarié de nuit n'est pas, d'une manière générale, protégé par la loi. Les dispositions du code du travail relatives au travail de nuit ne concernent en toute rigueur que les femmes et les jeunes et ne définissent que la plage horaire du travail de nuit. La loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 relative au troisième plan pour l'emploi n'aborde le problème que sous l'angle de la compensation, en la prévoyant sous forme de repos compensateur ou de majoration de rémunération, à charge pour les conventions ou accords collectifs de branche étendus ou aux accords d'entreprise ou d'établissement, de déterminer la forme et les modalités de ces compensations.

La loi ne précise pas les conditions de recours au travail de nuit. La liberté contractuelle est donc entière en la matière. En l'absence de convention collective, le travail de nuit peut donc être entièrement régi par des stipulations du contrat de travail. Dans ces conditions, ce sont généralement les conventions ou accords collectifs de travail qui fixent les dispositions applicables. De même, les salariés de nuit ne bénéficient d'aucune protection particulière.

III.- POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DE L'ENSEMBLE DES SALARIÉS

Pour assurer la mise en conformité de notre droit du travail avec le droit européen, deux solutions sont juridiquement possibles : interdire le travail de nuit pour tous les salariés ou l'autoriser pour les femmes. L'interdiction du travail de nuit pour tous serait difficilement compatible avec la réalité et les besoins économiques et nécessiterait donc des dérogations extrêmement nombreuses. Cela risquerait d'autre part de faire obstacle à l'institution d'un véritable statut du salarié de nuit. Il est préférable, comme le fait l'amendement gouvernemental à la proposition de loi, de lever l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie et d'en profiter pour mettre en place des dispositions réellement protectrices pour l'ensemble des salariés. Mais, l'autorisation du travail de nuit des femmes ne saurait pour autant conduire à sa banalisation. Les heures de la journée d'un individu n'étant pas interchangeables, le travail de nuit doit rester l'exception, limité aux cas où il est réellement nécessaire. C'est en l'encadrant tant sur le plan des conditions de recours que sur celui des droits des salariés de nuit, que sa généralisation pourra être évitée.

A. L'ENCADREMENT DU TRAVAIL DE NUIT

La mise en place du travail de nuit dépendra largement de la négociation entre les partenaires sociaux.

1. La définition du travail et du travailleur de nuit

La définition du travail de nuit posée actuellement à l'article L. 213-2 du code du travail est reprise dans l'amendement gouvernemental : la plage horaire du travail de nuit se situe entre 22 heures et 5 heures, une autre période de 7 heures consécutives, comprise entre 22 heures et 7 heures, mais comprenant en tout état de cause l'intervalle compris entre 24 heures et 5 heures, pouvant être substituée par voie d'accord entre les partenaires sociaux. La plage horaire comprise entre 0 heure et 5 heures est obligatoirement considérée comme travail de nuit, les physiologistes la décrivant comme une période pendant laquelle l'organisme fonctionne en état de moindre résistance.

Est considéré comme travailleur de nuit, le travailleur qui, soit accomplit, au moins deux fois par semaine, trois heures de son temps quotidien de travail dans la plage horaire, soit accomplit, au cours d'une période de référence, un nombre minimal d'heures de travail de nuit.

Tout élargissement de cette plage horaire serait positif, dans la mesure où il permettrait de faire bénéficier le plus grand nombre possible de salariés du statut de salarié de nuit, ce qui est parfaitement justifié dans la mesure où il est établi que tout horaire de travail décalé perturbe l'équilibre d'un individu. Cela conduirait aussi les employeurs à s'interroger sur le bien fondé et les conséquences financières de la mise en place de certains horaires.

Une extension de la plage horaire du matin avec un passage de 5 à 6 heures permettrait de plus de protéger un horaire particulièrement sensible quant à la survenue des accidents et serait susceptible de reculer les horaires des postes du matin qui, de l'avis général, sont les plus difficiles.

2. Les conditions du recours au travail de nuit

La mise en place du travail de nuit ne pourra désormais se faire que par voie conventionnelle ou accord collectif de branche étendu ou accord d'entreprise ou d'établissement. A défaut de convention ou d'accord collectif, une autorisation de l'inspecteur du travail sera nécessaire.

La voie de la négociation entre partenaires sociaux est en tous points préférable à l'accord conclu directement entre l'employeur et le salarié, mais il est indispensable que les accords, et notamment les accords de branche, soient suffisamment précis et déterminent quels types d'emplois seront susceptibles de faire l'objet d'un travail de nuit. Cela permettrait d'éviter les dérives, l'employeur ne pouvant recourir au travail de nuit pour l'ensemble des postes de travail.

Par ailleurs, les négociations entre partenaires sociaux sur la mise en place du travail de nuit devraient être assorties de l'obligation de s'interroger sur l'organisation du travail dans l'entreprise. C'est ainsi que le recours au travail de nuit devrait être lié à l'examen préalable des autres possibilités d'aménagement du temps de travail qui, aujourd'hui, sont multiples (annualisation, meilleure répartition sur la semaine). Au nom de la productivité et de l'utilisation optimale des équipements industriels, le travail de nuit ne doit pas être une modalité d'organisation du travail comme les autres.

C. LA MISE EN PLACE DE GARANTIES

La mise en place de garanties pour les salariés, en rendant le travail de nuit plus coûteux, aura vraisemblablement un effet dissuasif sur l'employeur et évitera la banalisation du travail de nuit.

1. Les contreparties au travail de nuit

Les pratiques les plus habituelles, qui semblent avoir la préférence des salariés et des employeurs, sont d'accorder - dans 80 % des cas - des majorations de rémunération, de l'ordre d'un supplément de salaire de 50 % en moyenne. En cas de repos compensateur, les jours de congés sont souvent cumulés. Or, il a été constaté que ces pratiques vont à l'encontre des intérêts de la santé des salariés : le supplément de rémunération ne peut se substituer à la nécessité du repos compensateur qui doit être pris, par ailleurs, le plus près possible de la période travaillée. Ces préoccupations de santé doivent conduire à prévoir obligatoirement un repos supplémentaire qui contribuera d'autant à la réduction du temps de travail de nuit.

Dans la mesure où la motivation financière est forte pour les salariés de nuit, notamment pour certaines femmes chefs de famille, la contrepartie salariale ne peut être négligée. La solution serait sans doute de favoriser le cumul des deux modalités de compensation.

2. Une surveillance médicale accrue

Le texte prévoit que tout travailleur de nuit bénéficiera, avant son affectation sur un poste de nuit, et à intervalles réguliers par la suite, d'une surveillance médicale particulière.

Alors que la tendance est d'espacer les visites médicales obligatoires des salariés de jour, il est indispensable de fixer un rythme semestriel à ces visites pour des salariés fragilisés et dont le rythme de vie est décalé par rapport à ceux de l'entreprise, ceci afin de prévenir toute dégradation brutale de leur état de santé. De même, le rôle du médecin du travail devrait être développé, notamment en matière de prévention et d'information, les salariés n'ayant que peu de connaissances pratiques sur les conséquences du travail de nuit. Complétant le suivi individuel des salariés, lors de la mise en place de leur travail de nuit, la consultation préalable du médecin du travail par les partenaires sociaux serait utile. Les observations du médecin du travail pourraient enfin être prises en compte dans le rapport annuel soumis pour avis au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

3. Une protection particulière pour la salariée enceinte

Les études scientifiques ne sont pas alarmistes sur le sujet, mais le taux de prématurité est, semble-t-il, légèrement supérieur chez la salariée de nuit. Pour des raisons de santé publique, des précautions maximales s'imposent. C'est ainsi que le texte prévoit un droit au transfert sur un poste de jour. Il est prévu que cette affectation à un travail de jour se fasse sur sa demande, huit semaines avant l'accouchement et pendant le congé postnatal. En dehors de ces périodes, le transfert est décidé sur constatation de l'état de la salariée par le médecin du travail.

Si l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi, le contrat de travail est suspendu mais la salariée bénéficie d'une garantie de rémunération, selon les mêmes modalités que celles de l'accord national interprofessionnel de mensualisation.

A propos de ces dispositions, il reste à apporter une réponse satisfaisante sur deux points :

- Ne faut-il pas limiter le pouvoir d'appréciation du médecin du travail et laisser à l'intéressée le soin d'apprécier elle-même, dès la constatation médicale de sa grossesse, si elle ressent le besoin d'une affectation sur un poste de jour ?

- Dans le cas où le transfert sur un poste de jour est impossible, est-il justifié de faire prendre en charge la garantie de rémunération de la salariée par la branche maladie, ce qui fait de la grossesse une pathologie ?

IV. - VERS UNE AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE

La levée de l'interdiction de travail de nuit des femmes dans l'industrie se justifie dans la mesure où les femmes ne présentent, en la matière, pas de spécificités particulières, et notamment physiques, par rapport aux hommes. S'il y a spécificité, elle est d'ordre culturel. C'est en effet sur la femme que pèsent le plus les difficultés de la conciliation de la vie professionnelle et personnelle. Cet élément est particulièrement patent en cas de travail de nuit, les contraintes du travail de nuit se cumulant avec les difficultés d'organisation de la vie personnelle le jour. Si l'on considère que la santé, selon la définition large de l'Organisation mondiale de la santé, n'est pas seulement l'absence de maladie mais un état de bien être physique, mental et social, les conséquences du travail de nuit doivent être appréhendées en termes généraux et non seulement en termes stricts de pathologies. Dans cette perspective, toutes les mesures visant à améliorer les conditions de travail et à faciliter la conciliation de la vie professionnelle et personnelle et familiale des salariés de nuit profiteront en premier lieu aux femmes.

A. L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL

Selon le texte de l'amendement, la convention ou l'accord collectif de mise en place du travail de nuit doit prévoir les mesures destinées à améliorer les conditions de travail des travailleurs. Cette disposition se justifie dans la mesure où la perturbation des rythmes biologiques est aggravée par de mauvaises conditions de travail. Les partenaires sociaux devraient s'interroger sur la mise en _uvre de mesures contribuant à diminuer les effets nocifs du travail, de façon à éviter - autant que faire se peut - les tâches pénibles, répétitives et sous contrainte de temps. L'existence de techniques permettant une meilleure synchronisation de l'organisme (photothérapie, température des locaux) ne doit pas être oubliée.

Il semble également indispensable de ménager des temps de pause régulière pendant les horaires de nuit afin de prendre en compte les risques de somnolence et d'endormissement à certaines heures. Ces repos sont d'ailleurs déjà largement pratiqués : selon l'étude précitée de la DARES, 35,8 % des salariés (33,3 % des hommes et 45,2 % des femmes) peuvent se reposer ou dormir pendant leur travail de nuit. Un aménagement des locaux adéquat devra être réalisé par l'employeur. Ces pauses sont d'ailleurs - pour des raisons de productivité et de diminution des risques d'accidents du travail - de l'intérêt de l'employeur.

Enfin, la mise en place du travail de nuit devrait être l'occasion de s'interroger sur la meilleure organisation possible des cycles et des horaires de travail, les femmes ayant une nette préférence pour le travail de nuit fixe qui leur permet de moins ressentir la fatigue et de mieux s'organiser. Par ailleurs, les rythmes physiologiques ne s'adaptant pas au travail de nuit, les séquences de nuit plus courtes seront à préférer. Sachant que 31 % des salariés de nuit sont soumis à des horaires variables contre 69 % des salariés de jour, il faut s'interroger sur les moyens de limiter cette contrainte supplémentaire, la diffusion des horaires atypiques et flexibles aggravant les problèmes d'articulation entre vie familiale et vie professionnelle.

B. LA NÉGOCIATION DES MESURES D'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Selon le texte de l'amendement, la mise en place de la convention ou l'accord collectif sur le travail de nuit devra s'accompagner de la mise en _uvre de mesures destinées à assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

En matière d'égalité professionnelle, deux points doivent être spécialement examinés.

La rémunération constituant un fort élément de motivation pour les salariés travaillant de nuit, les négociations sur les compensations salariales du travail de nuit devront aboutir à une réduction du différentiel de salaire entre les femmes et les hommes.

D'autre part, lors des négociations sur le travail de nuit, peuvent être revues les conditions de déroulement des carrières de l'ensemble des salariés : le travail de nuit peut être l'occasion pour les femmes d'accéder à des postes de responsabilité ; ce n'est pas par hasard si la loi n° 79-3 du 2 janvier 1979 a spécialement autorisé le travail de nuit des femmes occupant des postes de direction ou de caractère technique et impliquant une responsabilité.

C. LA CONCILIATION DE LA VIE PROFESSIONNELLE AVEC LA VIE FAMILIALE ET PERSONNELLE

L'amendement gouvernemental affirme le principe de la nécessité de mesures destinées à faciliter la conciliation de l'activité professionnelle nocturne avec l'exercice de responsabilités familiales et sociales, prenant ainsi en compte la véritable spécificité des femmes travaillant la nuit qui est le cumul des contraintes.

1. Le cumul des contraintes pour les femmes

Le travail de nuit est d'autant plus pénible que l'individu le cumule avec d'importantes charges extérieures. Or, les femmes actives, plus que les hommes régulent, harmonisent, cumulent ... Quand il est exercé par les femmes, le travail de nuit est souvent une solution aux problèmes de garde des enfants sans frais supplémentaires. Se pose alors le problème de la récupération physique, notamment quand les enfants ne sont pas encore scolarisés et que le travail se double de charges domestiques non partagées, soit parce qu'il s'agit de familles monoparentales, soit parce, que pour des raisons culturelles, le conjoint ne participe pas ou insuffisamment à ces travaux. Cette répartition traditionnelle des rôles sociaux et familiaux demeure la question de fond mais, dans un premier temps, il s'agit de régler des problèmes concrets.

2. La garde des enfants

Dans un pays comme la France où les femmes occupent une large part des emplois, le problème de la garde des enfants n'a jamais été résolu de façon satisfaisante, pour les salariés de nuit moins que pour les autres. L'organisation de la garde des enfants le jour peut être la motivation première du travail de nuit. Pour celles qui ne l'ont pas vraiment choisie, cette forme de travail peut néanmoins faciliter la garde des enfants. Dans la mesure où les modes de gardes "normaux" ne peuvent pas constituer une solution, la garde des enfants la nuit pose des problèmes d'une particulière acuité. Quand aucune autre personne de la famille ne peut en assurer la charge, beaucoup d'enfants sont livrés à eux-mêmes, leur mère ne pouvant matériellement faire face aux frais de garde. Quand une garde est organisée, elle ne l'est pas toujours dans des conditions satisfaisantes, tant du point de vue social que de celui de la protection de l'enfant. Les conditions de mise en place de la garde des enfants sont d'autant moins aisées que les revenus des familles sont faibles, ces familles disposant d'une marge de man_uvre beaucoup plus restreinte. Il faudrait donc examiner les possibilités d'attribution d'une aide supplémentaire à la garde d'enfant pour les salariés de nuit quant les deux parents travaillent de nuit. La formation et le statut des personnes assurant la garde des enfants la nuit sont également à prendre en considération, car elles auront, elles aussi, le statut de salarié de nuit.

De même, la rigidité des conditions d'accueil dans les structures traditionnelles de jour pour les enfants non scolarisés ne convient pas aux salariées de nuit. Il serait nécessaire qu'elles puissent bénéficier d'une plage de sommeil suffisant à leur domicile, mais pour autant elles ne souhaitent pas faire garder leur enfant à plein temps. Un accueil à temps partiel plus souple devrait pouvoir être proposé aux salariés de nuit.

3. Les transports

Les transports affectent aussi d'une manière importante les conditions de vie des femmes travaillant la nuit. Plus que pour les autres salariées, ils empiètent sur leur temps hors travail. Quand les transports en commun fonctionnent à une heure compatible avec les horaires des salariés de nuit, le temps de déplacement est fréquemment supérieur à celui de la journée. Se posent aussi des problèmes de sécurité. Quant aux transports privés, ils sont en général plus chers et ne sont pas sans risque, un taux maximum d'accidents automobiles étant constaté entre trois et cinq heures du matin, au moment du cycle où l'endormissement est très rapide.

C'est pourquoi, l'intégration d'une partie du temps de transport dans la durée du travail de nuit ainsi qu'une compensation de son coût devraient être étudiées.

4. Le droit au transfert sur un poste de jour

Le texte de l'amendement prévoit que le travailleur de nuit, lorsque son état de santé, constaté par le médecin du travail, l'exige, doit être transféré à titre définitif ou temporaire sur un poste de jour correspondant à sa qualification et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé. Cette disposition est largement justifiée dans la mesure où il a été constaté que plus longtemps les salariés ont effectué des horaires de nuit, plus ils présentent des troubles de santé fréquents.

Il convient d'assurer une portée réelle à la disposition de l'amendement relative à la nécessaire conciliation de l'activité nocturne avec l'exercice de responsabilités familiales et sociales. A cet effet, ce droit au transfert sur un poste de jour devrait s'exercer aussi pour des raisons personnelles, la vie d'un salarié ne pouvant être liée aux contraintes d'un travail de nuit. Pour cela, une formation adéquate doit être prévue, aucun transfert de poste ne pouvant se faire à qualification égale. Pour les salariés de nuit, les actions de formation devraient empiéter le moins possible sur la vie privée afin que la plage diurne consacrée aux activités sociales personnelles ne soit pas réduite. Assurer une publicité suffisante des postes disponibles ou à pourvoir dans l'entreprise est enfin une mesure complémentaire indispensable.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation s'est réunie, le mardi 14 novembre, sous la présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, pour examiner le présent rapport d'information.

La rapporteure a présenté les grandes lignes de son rapport d'information sur la proposition de loi (n° 2132) de Mme Catherine Génisson, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Concernant l'amendement adopté par le Sénat sur l'obligation de parité des listes aux élections des conseillers prud'hommes, des représentants du personnel aux comités d'entreprise et des délégués du personnel, la rapporteure a estimé qu'à la différence des élections politiques qui sont universelles et où la parité se justifie pleinement, ici, il faut prendre en compte la représentativité du corps électoral. Elle a donc proposé une recommandation qui, conformément aux termes de l'avis adopté par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, affirme le principe d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes aux prochaines élections de ces instances.

Concernant l'amendement du Gouvernement levant l'interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l'industrie, elle a souligné qu'à travers les différentes auditions menées conjointement avec Mme Catherine Génisson en sa qualité de rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, il est apparu que le travail de nuit est nocif et entraîne des troubles parfaitement identifiés pour l'ensemble des salariés, sans spécificités pour les femmes. Elle a souhaité rappeler le contexte historique de la loi de 1892, qui fonde l'interdiction du travail de nuit des femmes et qui est inspirée par une conception patriarcale dans laquelle la femme était confinée au rôle de gardienne du foyer. Elle a signalé qu'à la même époque, était admis le travail des enfants de douze ans.

Elle a fait valoir qu'il était temps de lever l'hypocrisie de la situation actuelle, dans laquelle 55 000 femmes travaillent de nuit dans l'industrie sans protection légale, d'autant que le contexte socio-économique a radicalement changé. Elle a ainsi noté que l'interdiction du travail de nuit des femmes n'avait pas été étendue au secteur des services en dépit de son essor. Dans ces conditions, l'incompatibilité avec les directives européennes ne lui a pas paru un argument essentiel. Elle a estimé que le législateur devait intervenir pour encadrer le travail de nuit afin d'en éviter la banalisation et mieux protéger les salariés.

Tout en approuvant les conditions fixées par l'amendement gouvernemental pour le recours au travail de nuit, elle a émis des réserves sur l'amplitude de la plage horaire de référence (soit de 22 heures à 5 heures). Elle a plaidé pour son élargissement vers le matin afin de limiter les risques d'accidents subis par les travailleurs de nuit et les inconvénients d'une reprise d'activité trop précoce par les équipes en cas de travail posté.

Après s'être interrogé sur l'utilité pratique d'étendre de cette manière la plage horaire, Mme Danielle Bousquet s'est rendue aux arguments de la rapporteure.

La rapporteure a souligné que l'un des points forts de l'amendement résidait dans les contreparties prévues au travail de nuit. Sans oublier la forte motivation constituée par les compensations financières, elle a mis l'accent sur le caractère indispensable du repos compensateur pour la santé, celui-ci ne devant pas être cumulé mais être pris le plus rapproché possible de la période de travail de nuit. Elle a également insisté sur la nécessité de prévoir des pauses aux heures où le risque d'endormissement est le plus fort, des lieux de repos devant être aménagés à cet effet. Ces pauses sont d'ailleurs de l'intérêt de l'employeur soucieux de productivité.

Elle a approuvé les dispositions de l'amendement organisant une surveillance médicale particulière des salariés de nuit.

Elle s'est prononcée pour une consultation du médecin du travail préalable à tout travail de nuit et, le rythme des salariés de nuit étant décalé par rapport à celui de l'entreprise, pour une périodicité semestrielle des visites médicales. Elle a déclaré de pas ignorer les problèmes d'organisation que cela posera au regard du manque de moyens de la médecine du travail.

Elle a insisté sur la nécessité de protéger plus que tous les autres salariés de nuit, la femme enceinte. Dès lors qu'elle a connaissance de son état, celle-ci devrait pouvoir accéder à un poste de jour sur sa propre demande. Par ailleurs, elle a rappelé que la grossesse n'étant pas une maladie mais un état naturel, en cas de suspension du contrat de travail, le versement d'indemnités journalières versées par l'assurance maladie ne se justifiait pas et a insisté sur l'opportunité de mettre en place une garantie de maintien du salaire financée conjointement par la branche famille et par l'employeur.

Mme Danielle Bousquet a fait état des risques de discrimination à l'embauche mais a remarqué qu'en tout état de cause, ils existaient déjà à l'égard des jeunes femmes.

La rapporteure a souhaité enfin que, dans un pays comme la France où les femmes travaillent massivement, la nécessité de mesures permettant une conciliation de la vie professionnelle avec la vie personnelle et familiale soit reconnue.

Concernant l'amendement adopté par le Sénat relatif à l'obligation de parité des listes aux élections prud'homales et professionnelles, elle a estimé que, contrairement aux élections politiques, la parité ne se justifiait pas dans le cadre de ces élections. Le raisonnement doit se faire plutôt en termes de représentativité du corps électoral. Elle a rappelé les termes de l'avis adopté récemment, à l'unanimité des partenaires sociaux, par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle qui affirme un objectif de "représentation équilibrée" pour ces élections.

Elle a ensuite exposé les propositions de recommandations qui ont donné lieu à un débat.

Mme Danielle Bousquet a craint que l'on reproche au législateur de lever l'interdiction du travail de nuit des femmes, alors que les connaissances en la matière sont insuffisantes.

La rapporteure lui a fait remarquer que cet argument peut être retourné, l'intervention de la loi permettant de mieux cerner la réalité.

Mme Danielle Bousquet a insisté sur la nécessité d'une extrême vigilance dans l'application de la loi.

Jugeant la publication d'un rapport au Parlement nécessaire mais insuffisant, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a suggéré la désignation d'un parlementaire chargé du suivi de l'application de la loi.

S'agissant du problème de la garde des enfants des salariées de nuit, Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a fait état du manque de place dans les structures de garde d'enfants, tandis que Mme Danielle Bousquet a insisté sur la nécessité de ne pas changer l'enfant de lieu de garde en fonction de l'emploi du temps de la mère et a indiqué qu'une aide supplémentaire pour la garde à domicile la nuit paraissait parfaitement justifiée.

La rapporteure a souligné que la garde des enfants n'est, d'une façon générale, pas assurée de manière satisfaisante. La recommandation de la Délégation peut être l'occasion d'ouvrir une réflexion sur un chantier sur lequel on s'est jusque là insuffisamment penché.

La Délégation a ensuite adopté les recommandations proposées par la rapporteure et modifiées pour tenir compte de ces observations.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES
PAR LA DÉLÉGATION

Sur les élections prud'homales et professionnelles

1. Afin de faire progresser la place des femmes dans les conseils de prud'hommes, dans les comités d'entreprise et comme déléguées du personnel, il convient d'affirmer le principe d'une représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes de candidatures aux élections de ces instances.

Sur le travail de nuit

2. Il serait souhaitable d'établir, dans un rapport au Parlement, le bilan de la levée de l'interdiction du travail de nuit dans l'industrie pour les femmes, afin de déterminer dans quelle mesure elle a eu pour conséquence un recours accru au travail de nuit non justifié et/ou si elle a permis la suppression d'un frein à l'embauche des femmes dans certains secteurs. Un parlementaire sera chargé du suivi de l'application de la loi.

3. Le ministère de l'Emploi devrait diligenter une enquête pour établir un chiffrage global du travail de nuit des femmes, par branche, par catégorie socioprofessionnelle et par type d'entreprise.

4. Une étude des données générales épidémiologiques sur l'impact du travail de nuit sur la santé, à court, moyen et long terme, permettrait d'aider à la mise en _uvre de mesures de prévention des conséquences néfastes du travail de nuit.

5. La levée de l'interdiction du travail de nuit des femmes devrait être accompagnée de l'obligation faite aux partenaires sociaux - lors de la discussion des accords de mise en place du travail de nuit - de l'examen préalable et complet de l'ensemble des autres possibilités d'organisation du temps de travail.

6. Pour éviter les risques de recours non justifié au travail de nuit, les accords de branche devraient définir les types d'emplois pour lesquels ce travail est autorisé.

7. Les négociations de mise en place du travail de nuit pourraient être l'occasion de réexaminer les conditions de rémunération et d'accès aux postes de responsabilité ainsi que le droit à la formation, dans le sens d'une plus grande égalité entre les femmes et les hommes.

8. Préalablement à la mise en place du travail de nuit, il y aura lieu de consulter le médecin du travail ainsi que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (ou à défaut les délégués du personnel).

9. Le maximum de salariés travaillant selon les horaires décalés devant bénéficier du statut de salarié de nuit, il conviendrait d'élargir le champ horaire du travail de nuit, par exemple de 21 heures à 6 heures.

10. Face à la fragilité et à la précarité de l'emploi de certaines femmes (temps partiel non choisi, travail intermittent), le cumul des contraintes devrait être évité : ainsi, en cas de travail à temps partiel, le salarié n'effectuant qu'une faible partie de ses horaires de travail en travail de nuit devrait être considéré comme salarié de nuit.

11. Dans un souci de prévention, un suivi médical doit être assuré à l'occasion de visites médicales, dont la fréquence minimale devrait être semestrielle. Le médecin du travail serait chargé d'une mission générale d'information des salariés de nuit, avec la possibilité de distribution d'une notice sur les risques du travail de nuit et les mesures préventives. La formation, en chronobiologie et en pathologie du sommeil, des étudiants en médecine du travail devrait être approfondie.

12. Il conviendrait d'instituer un droit à des pauses régulières, notamment aux heures où la vigilance est moindre, ce qui limiterait les risques d'accidents du travail, à charge pour l'employeur d'aménager des lieux spécialement destinés à cet usage.

13. Le droit des salariés à demander un poste de jour pour raisons de santé pourrait être également accordé pour motifs personnels, avec un délai de préavis. L'affichage systématique et obligatoire de tous les postes vacants et à pourvoir dans l'entreprise pourrait faciliter l'exercice de ce droit.

14. Pour des raisons de santé publique évidentes, la femme enceinte doit pouvoir postuler, sur sa demande, dès la constatation médicale de sa grossesse, à un travail de jour. Si cette demande ne peut être satisfaite, il ne faudrait pas assimiler la suspension du contrat de travail qui en découle à une maladie, la grossesse n'étant pas un état pathologique. Les conditions de versement d'une allocation compensatrice du salaire, conjointement par l'employeur et les caisses d'allocations familiales, devraient être étudiées.

15. Afin de régler le problème de garde des enfants pour les parents travaillant en horaires décalés, il serait nécessaire de mettre en _uvre une politique globale visant à améliorer les modes de garde. Devraient être étudiées les possibilités d'attribution d'une allocation de garde spécifique et la formation des personnes effectuant cette garde, qui bénéficieraient, elles aussi, du statut de travailleur de nuit. Pendant le jour, les structures traditionnelles devraient pouvoir offrir des possibilités d'accueil à temps partiel pour les enfants, afin de permettre aux salariés de se reposer.

16. Dans la mesure où les temps et les conditions de transport alourdissent considérablement la pénibilité du travail de nuit, la prise en compte au moins partielle du temps de trajet dans le temps de travail ainsi que le versement d'une indemnité de transport supplémentaire seraient un réel apport au statut du salarié de nuit.

17. Le droit au changement de poste ne se conçoit pas sans un droit à une formation préalable ; celle-ci sera organisée de façon à permettre aux salariés de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle.

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(1) M. Dron, débats à la Chambre des Députés. Séance du 7 juillet 1890.