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N° 2907

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 janvier 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1)

sur l'énergie

ET PRÉSENTÉ

PAR M. ANDRÉ LAJOINIE,

Député.

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Energie

La Commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; M. Jean-Paul Charié, M. Jean-Pierre Defontaine, M. Pierre Ducout, M. Jean Proriol, vice-présidents ; M. Christian Jacob, M. Pierre Micaux, M. Daniel Paul, M. Patrick Rimbert, secrétaires ; M. Jean-Pierre Abelin, M. Yvon Abiven, M. Jean-Claude Abrioux, M. Stéphane Alaize, M. Damien Alary, M. André Angot, M. François Asensi, M. Jean-Marie Aubron, M. Pierre Aubry, M. Jean Auclair, M. Jean-Pierre Balduyck, M. Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, M. Christian Bataille, M. Jean Besson, M. Gilbert Biessy, M. Claude Billard, M. Claude Birraux, M. Jean-Marie Bockel, M. Jean-Claude Bois, M. Daniel Boisserie, M. Maxime Bono, M. Franck Borotra, M. Christian Bourquin, M. Patrick Braouezec, M. François Brottes, M. Vincent Burroni, M. Alain Cacheux, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean Charroppin, M. Philippe Chaulet, M. Jean-Claude Chazal, M. Daniel Chevallier, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Yves Coussain, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Claude Daniel, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, M. Léonce Deprez, M. Jacques Desallangre, M. Éric Doligé, M. François Dosé, M. Marc Dumoulin, M. Dominique Dupilet, M. Philippe Duron, M. Jean-Claude Étienne, M. Alain Fabre-Pujol, M. Albert Facon, M. Alain Ferry, M. Jean-Jacques Filleul, M. Jacques Fleury, M. Nicolas Forissier, M. Jean-Louis Fousseret, M. Roland Francisci, M. Claude Gaillard, M. Robert Galley, M. Claude Gatignol, M. André Godin, M. Alain Gouriou, M. Michel Grégoire, M. Hubert Grimault, M. Lucien Guichon, M. Gérard Hamel, M. Patrick Herr, M. Francis Hillmeyer, M. Élie Hoarau, M. Robert Honde, M. Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, M. Aimé Kergueris, M. Jean Launay, Mme Jacqueline Lazard, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Patrick Lemasle, M. Jean-Claude Lemoine, M. Jacques Le Nay, M. Jean-Claude Lenoir, M. Arnaud Lepercq, M. René Leroux, M. Jean-Claude Leroy, M. Roger Lestas, M. Félix Leyzour, M. Guy Malandain, M. Jean-Michel Marchand, M. Daniel Marcovitch, M. Didier Marie, M. Alain Marleix, M. Daniel Marsin, M. Philippe Martin, M. Jacques Masdeu-Arus, M. Marius Masse, M. Roger Meï, M. Roland Metzinger, M. Yvon Montané, M. Gabriel Montcharmont, M. Jean-Marie Morisset, M. Bernard Nayral, M. Jean-Marc Nudant, M. Jean-Paul Nunzi, M. Patrick Ollier, M. Joseph Parrenin, M. Paul Patriarche, M. Germinal Peiro, M. Jacques Pélissard, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, M. François Perrot, Mme Annette Peulvast-Bergeal, M. Serge Poignant, M. Bernard Pons, M. Jacques Rebillard, M. Jean-Luc Reitzer, M. Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, M. Jean Roatta, M. Jean-Claude Robert, M. André Santini, M. Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, M. François Sauvadet, M. Jean-Claude Thomas, M. Léon Vachet, M. Daniel Vachez, M. François Vannson, M. Michel Vergnier, M. Gérard Voisin, M. Roland Vuillaume.

INTRODUCTION 5

AVANT-PROPOS DE M. ANDRÉ LAJOINIE, PRÉSIDENT : L'ÉNERGIE POUR TOUS, UN DÉFI POUR LE XXIÈME SIÈCLE 7

TABLE RONDE N° 1 : QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ? 13

Annexe 1 49

TABLE RONDE N° 2 : COMMENT RELEVER LES DÉFIS ENVIRONNEMENTAUX DE L'ÉNERGIE ? 51

TABLE RONDE N° 3 : QUEL AVENIR POUR LA FILIÈRE NUCLÉAIRE EUROPÉENNE ? 107

Annexe 2 147

Annexe 3 149

TABLE RONDE N° 4 : QUELLE ORGANISATION ÉCONOMIQUE POUR LES ÉNERGIES DE RÉSEAU ? 151

AUDITION DE M. CHRISTIAN PIERRET, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À L'INDUSTRIE 201

MESDAMES, MESSIEURS,

Dès sa réélection à la présidence de la commission de la production et des échanges, le 2 octobre 2000, M. André Lajoinie a indiqué aux députés membres de la commission son intention d'organiser une série d'auditions portant sur le thème de l'énergie. Le choix de ce thème se justifiait par le fait qu'en cette fin d'année 2000, l'énergie allait occuper le devant de l'actualité avec la tenue de la Conférence internationale de La Haye sur les changements climatiques, les projets de restructuration de la filière électronucléaire française et la poursuite du processus de libéralisation du marché des énergies de réseau.

Aussi, lors de sa réunion du 17 octobre 2000, le Bureau de la commission de la production et des échanges a-t-il arrêté quatre sujets de débat devant donner lieu à autant de réunions. Les thèmes abordés devraient permettre d'apporter des éléments de réponse aux quatre questions suivantes :

- Comment évolueront demain l'offre et la demande en énergie ?

- Comment relever les défis environnementaux liés à l'énergie ?

- Quel est l'avenir de la filière nucléaire européenne ?

- Sur quelle nouvelle organisation économique des énergies de  réseau débouchera la libéralisation des marchés de l'électricité et  du gaz ?

Ces quatre débats, organisés en table ronde avec des intervenants des milieux institutionnels, scientifiques, industriels et syndicaux, se sont tenus entre le 5 et le 13 décembre dernier.

Enfin, pour parachever ces travaux et compléter sa réflexion, la commission a auditionné, le 19 décembre 2000, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le présent document regroupe, après une introduction générale du président Lajoinie, les comptes rendus des quatre réunions thématiques et de l'audition de M. Christian Pierret.

L'énergie pour tous :
un défi pour le XXIème siècle

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La commission de la production et des échanges a organisé une série d'auditions sur le thème de l'énergie afin de contribuer à un débat transparent sur cette question.

Nous nous sommes, au début de ces auditions, préoccupés des perspectives de l'approvisionnement énergétique de notre pays, et plus généralement de la planète.

Les quatre réunions qui ont eu lieu ont montré combien cette préoccupation est légitime et partagée. Elle l'est également par la commission européenne puisqu'un livre vert, récemment adopté, a souligné que, si rien n'est entrepris d'ici vingt ou trente ans, l'Union européenne couvrira ses besoins énergétiques à 70 % par des produits importés, contre 50 % actuellement. Comme Mme Loyola de Palacio, vice-présidente de la Commission européenne chargée de l'énergie et des transports, nous sommes inquiets de ce constat.

Le maintien des prix des hydrocarbures à un niveau très faible pendant les quinze dernières années a conduit à une sous-estimation des défis de civilisation qui se nouent autour des questions énergétiques. L'indépendance énergétique, en particulier vis-à-vis des importations et des fluctuations du marché, avait été négligée. L'envolée des cours des produits pétroliers, ces derniers mois, a rappelé l'importance de cette notion pour les économies occidentales.

En outre, selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie, la demande mondiale en énergie primaire devrait croître en moyenne de 2 % par an sur la base d'une augmentation annuelle de 3 % du PIB.

Ce mouvement sera lié à l'expansion démographique de la planète et à l'accès au développement des pays du Sud. Or, l'inégalité d'accès à l'énergie à l'échelle mondiale doit être réduite. Un habitant des pays en développement consomme en moyenne, par an, 0,8 tonne d'équivalent pétrole, soit six fois moins que dans les pays industrialisés. Même si les pays en développement n'ont pas forcément à reproduire l'intensité énergétique du Nord, ils ont vocation à accéder de façon beaucoup plus massive qu'aujourd'hui à l'énergie. Cette dernière est et restera une condition essentielle au développement.

Ainsi il est prévisible que la part des pays de l'OCDE dans les consommations mondiales déclinera au profit de celles des pays en voie de développement. La future croissance de la demande énergétique mondiale étant tirée principalement par les besoins d'électricité et de transport, elle se portera, si rien n'est fait, quasi exclusivement sur les combustibles fossiles. Ainsi près de 90 % de l'offre devraient être assurés par les énergies fossiles.

Compte tenu de la répartition géographique de leurs réserves, ce mouvement entraînera une dépendance accrue envers un petit nombre de producteurs. Même si les réserves ultimes de pétrole et de gaz ne sont pas infinies, le volume du stock exploitable étant déterminé par les capacités techniques d'extraction, il ne semble pas, à l'horizon du siècle qui débute, que nous puissions craindre une pénurie physique d'hydrocarbures.

En effet, les perfectionnements technologiques envisageables autorisent à penser qu'à moyen terme, il sera possible d'exploiter des gisements encore non rentables. Toutefois, les efforts financiers d'investissement et de recherche et développement nécessaires au perfectionnement des technologies laissent penser que les prix de ces ressources ne pourront pas rester durablement au niveau très bas que nous avons connu dans le passé.

Ainsi pour les cent prochaines années, les choix énergétiques apparaissent moins contraints par une limitation de la ressource que par des exigences environnementales. En effet, ces prévisions impliquent une émission de gaz à effet de serre bien supérieure aux engagements de Kyoto. Les objectifs fixés alors ne suffisant déjà pas à stabiliser le réchauffement climatique, ce phénomène ne pourra que s'aggraver.

Ce scénario global n'est en rien une vision pessimiste de l'avenir. Il s'agit d'une prolongation, dans le futur, des tendances aujourd'hui observables dans le domaine énergétique. Il appelle une réaction de la part des pouvoirs publics et la mise en _uvre de politiques pour sortir du dilemme opposant la réponse aux besoins de développement au respect des contraintes environnementales globales. Face aux défis d'un futur approvisionnement énergétique quantitativement suffisant et qualitativement respectueux de l'environnement, l'attentisme n'est pas de mise. C'est la conclusion que nous avons tirée ensemble.

Il convient, à l'inverse, de s'engager dans une politique ambitieuse, minimisant les risques et ouvrant le spectre des possibles. Au cours de ces auditions, les députés ont été confirmés dans leur choix d'un approvisionnement énergétique diversifié, intégrant une large part d'électronucléaire.

L'énergie idéale n'existant pas, il n'y a pas de solution unique. Il faut donc utiliser toutes les ressources disponibles et encourager les économies d'énergie. En l'état actuel des connaissances, l'utilisation des ressources fossiles est incontournable. Aussi faut-il veiller pour ces énergies à l'emploi de technologies à haut rendement réduisant les émissions. Des efforts collectifs et individuels sont également à faire pour que nos sociétés soient plus économes dans leurs modes de production, de consommation et de transport.

Notre pays a considérablement appris et progressé en matière d'économies d'énergie, après le premier choc pétrolier et jusqu'en 1985. La baisse des prix de l'énergie s'est accompagnée d'un très fort relâchement en la matière. La volonté exprimée par le gouvernement de donner un nouveau souffle à cette politique est salutaire. Les secteurs du logement ancien et des transports doivent être prioritaires dans l'attention portée aux économies d'énergie.

En matière de déplacements, parallèlement aux progrès effectués sur les consommations unitaires des véhicules, les multiples déclarations d'intention pour transférer le fret de la route au fer doivent se traduire par des actes.

Il y a là des potentialités d'économie importantes. Mais le rail a besoin d'investissements massifs pour se développer et ainsi participer à ce défi d'une société plus économe en énergie. A l'heure actuelle, des investissements à un tel niveau, ne sont programmés ni en France, ni dans l'Union européenne.

Les énergies renouvelables doivent être mises à contribution beaucoup plus qu'aujourd'hui. Leur potentiel de développement est important, même si dans l'état des techniques, il est limité. Si l'énergie éolienne est proche de la maturité économique, les recherches sont encore à amplifier en matière de photovoltaïque et d'utilisation de l'hydrogène.

Cette dernière est certainement, à moyen terme, l'alternative la plus crédible aux carburants pétroliers, mais n'est pas pour autant une solution miracle. Son intérêt principal est d'être un moyen de stocker de l'énergie. En effet, ce gaz doit être produit en consommant de l'énergie primaire, notamment électrique. Il convient donc de travailler à des méthodes efficaces pour en disposer massivement, dans des conditions environnementales acceptables.

Face au défi environnemental que représente l'effet de serre, l'énergie nucléaire, dans le domaine de la production électrique, est une chance, mais bien entendu cette ressource n'est pas sans inconvénients. Elle produit en particulier des déchets irradiés dont la durée de vie dépasse l'horizon des prévisions humaines. Toutefois, la mise sur un même plan des problèmes de l'effet de serre et des déchets nucléaires ne semble pas judicieuse à la majorité des députés qui ont participé à nos réunions.

Ce n'est pas sous-estimer la question des déchets que de dire que les risques ne sont pas de même nature. La dimension globale et le danger d'atteintes systémiques à l'équilibre climatique de la planète, notamment lié à l'accumulation du CO2 dans l'atmosphère, sont très préoccupants. Ses conséquences sont encore mal connues et peuvent être catastrophiques. De plus, l'humanité ne semble pas avoir d'autre choix que de limiter les émissions de gaz concerné.

Les députés de la commission considèrent, à l'inverse, que les risques induits par l'existence des déchets irradiés sont maîtrisables. La loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs définit, à cet effet, une méthode et propose trois directions de recherche. Ainsi, là encore, la solution ne sera certainement pas unique. La séparation, la transmutation et l'entreposage en couche géologique profonde devraient certainement être combinés. La démonstration de la faisabilité industrielle de la séparation semble acquise.

Dans le même temps, il est aujourd'hui assuré que l'intégrité d'un colis de déchets à haute radioactivité est garantie pour une période d'entreposage de mille ans. Enfin, les perspectives offertes par la transmutation, si elles sont réelles, ne permettent pas d'envisager la disparition totale des déchets.

Dans ce cadre, il est apparu à la commission que la loi de 1991 devrait être appliquée dans sa globalité et que, par conséquent, il n'était pas envisageable de n'avoir qu'un seul laboratoire de recherche souterrain. Deux milieux géologiques différents doivent être étudiés, conformément à la loi.

Il apparaît, par ailleurs, que le stockage en couche profonde, respectant les exigences de réversibilité, doit continuer à être étudié. Il faut en effet préserver la possibilité d'un traitement ultérieur des combustibles irradiés. Enfin, la date de 2006, inscrite dans la loi, pour un examen au Parlement des possibilités offertes par la science pour traiter ce problème des déchets, doit être respectée.

Elle ne semble pas pouvoir marquer une conclusion, mais elle doit être une étape importante dans la recherche des solutions. En toute transparence, elle sera l'occasion de faire le point sur l'état des connaissances et, pour la représentation nationale, le moyen d'indiquer des priorités à l'action publique en ce domaine.

C'est à l'aune de ces débats que notre commission a considéré que l'énergie nucléaire représentait un atout essentiel pour affronter le défi d'un approvisionnement énergétique diversifié et respectueux des contraintes environnementales. Elle est très concentrée, non émettrice de gaz à effet de serre et compétitive, comme l'a confirmé le récent rapport du commissariat au plan. De plus, la faible part de combustible dans le coût du kilowattheure garantit une stabilité des prix par rapport aux fluctuations des marchés.

Cependant, il est apparu que dans ce domaine aussi, des efforts de recherche étaient à faire alors que les Etats-Unis ont relancé leur programme de recherche civile. Nous avons été témoins, sur place, de cette nouvelle orientation. Le Japon n'a jamais arrêté cet effort. Il est indispensable que la France, et plus généralement l'Europe, ne perdent pas leur savoir-faire. Il convient alors de prendre aujourd'hui des décisions en ce sens.

Un premier pas dans cette direction serait certainement de décider la construction d'une tête de série de l'EPR. Ce projet, qui a déjà fait l'objet d'études très importantes, est particulièrement adapté pour les pays denses. Il intègre des progrès de sûreté importants et le taux de combustion élevé qu'il autorise limite les volumes de déchets.

Avant le renouvellement du parc français, de nouvelles centrales seront vraisemblablement commandées en Europe et en Asie. L'EPR correspond a priori au futur cahier des charges de ces installations. La construction et l'exploitation d'un premier exemplaire permettraient de maintenir les compétences indispensables à la crédibilité du maintien de l'option nucléaire ouverte, tout en dotant la France d'une technologie faisant la preuve de sa capacité à répondre à des besoins énergétiques massifs.

Enfin, ce chantier permettra également de tester des solutions techniques ainsi que d'intégrer, dans les centrales existantes, des progrès techniques visant à plus de sûreté et d'efficacité, objectif acceptable et souhaitable pour tous.

Au-delà de ce prototype, des efforts sont aussi à faire pour maîtriser les filières nucléaires du futur. L'acceptabilité de cette énergie implique que le ou les réacteurs du futur soient à l'abri intrinsèquement de tout accident majeur, qu'ils produisent beaucoup moins de déchets, qu'ils en consomment massivement et que leur compétitivité soit confirmée.

Enfin, leur déclinaison dans des gammes de puissance faible, si cela était possible, les rendrait utilisable, sous certaines conditions, dans des pays émergents ou en développement dont nous devons nous préoccuper.

Pour finir, je souhaite évoquer les évolutions du cadre réglementaire dans lequel se font les choix énergétiques. L'entrée massive des intérêts privés dans ces secteurs économiques, à la faveur de leur ouverture à la concurrence, n'est pas sans risques. La volonté affirmée au sommet de Lisbonne d'accélérer la création d'un marché de l'électricité, alors que ne fait que s'esquisser une politique européenne d'approvisionnement, m'apparaît dangereuse.

Il est, en particulier, à craindre, sous la pression des critères de rentabilité, que l'on assiste à une accentuation ou, tout au moins, au maintien du déséquilibre actuel au profit des énergies fossiles dans la consommation énergétique. En effet, l'utilisation de ces ressources dans la production d'électricité permet d'atteindre un retour sur le capital plus rapide. Le pilotage de décisions énergétiques par des critères du marché ne peut donc, à mon avis, permettre une prise en compte de la pluralité de dimension que recouvrent ces choix.

Nos auditions ont montré combien l'énergie n'était pas un bien comme les autres. Sa spécificité a justifié qu'elle fasse l'objet d'organisations économiques particulières, capables d'assurer des missions de service public ou, selon les pays, des missions d'intérêt général. Les besoins de péréquation tarifaire, d'aménagements du territoire, de sécurité d'approvisionnement, d'indépendance énergétique sont toujours bien réels.

Le droit à l'énergie pour tous, récemment inscrit dans la loi est un élément de plus qui révèle la particularité de l'énergie. La perspective envisagée à Bruxelles d'une prochaine ouverture à la concurrence de 100 % des marchés gaziers et électriques est très difficilement, à mon avis, conciliable avec le respect de ces exigences.

Voilà résumées les conclusions que je fais personnellement qui, je crois, reflètent l'opinion de la majorité de nos collègues, à la suite des auditions organisées par la commission.

André Lajoinie,

président de la commission de la production

et des échanges

TABLE RONDE N° 1

QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ?

Auditions de MM. Olivier APPERT,
directeur de la coopération à long terme et de l'analyse des politiques énergétiques à l'Agence internationale de l'énergie,

Jean-Michel CHARPIN,

commissaire au Plan,

Claude MANDIL,

président de l'Institut français du pétrole,

Hervé NIFENECKER,

chercheur à l'Institut des sciences nucléaires de Grenoble

et Pierre RADANNE,

président de l'Agence de l'environnement
et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

(séance du 5 décembre 2000)

M. le Président : Mes chers collègues, avant de commencer cette audition, j'aimerais dire quelques mots sur les idées qui ont conduit le bureau de la commission de la production et des échanges à organiser cette série d'auditions sur l'énergie.

L'avenir de l'approvisionnement énergétique tant au niveau national qu'européen est l'une des préoccupations majeures de notre commission. Elle est d'ailleurs largement partagée par la Commission européenne, qui s'est montrée quelque peu alarmiste quant à la situation de l'Europe. Selon ses indications, le taux de dépendance énergétique de l'Union européenne est de 50 % aujourd'hui et pourrait s'élever à 70 % dans les dix prochaines années.

Cependant notre préoccupation ne se limite pas à l'Europe et à la France ; elle s'étend au monde entier. La situation la plus grave est celle que connaissent les pays en voie de développement, accablés par tous les maux et auxquels on reproche même de couper les arbres pour se chauffer. Mais que pourraient-ils faire d'autre ? Ce ne sont pas les peuples qui sont responsables de cette situation, mais les logiques mondiales.

Nous nous préoccupons de l'approvisionnement énergétique sur deux plans. Sur le plan quantitatif, nous sommes dans une phase d'épuisement de l'énergie fossile. Certes, les échéances de cet épuisement ne sont pas connues, et probablement seront-elles repoussées. Néanmoins, la rareté des ressources provoquera un renchérissement de leur prix, ce qui pose le problème de l'égalité d'accès à l'énergie.

Il convient également de tenir compte des perspectives de croissance des besoins énergétiques, au regard de l'augmentation de la population mondiale. On compte aujourd'hui six milliards d'hommes et de femmes dans le monde qui ne peuvent vivre sans énergie. L'énergie, c'est la vie et le manque d'énergie, la mort.

S'agissant du plan qualitatif, on sait aujourd'hui que certaines sources d'énergie ont des effets pervers, notamment l'émission de gaz à effet de serre. Le monde scientifique est unanime pour affirmer qu'il y a là une cause réelle du réchauffement de la planète, même si l'on n'en mesure pas encore toutes les conséquences négatives.

Au-delà du problème de la pollution, se pose également celui du coût excessif de ces énergies, qui met en cause le droit à l'énergie pour tous que nous avons récemment proclamé. Seule la Belgique a -me semble-t-il- une législation comparable à la nôtre et nous sommes bien évidemment favorables à une extension de ce droit à d'autres pays.

Ces auditions doivent par ailleurs nous permettre d'évaluer plus précisément la place de chacune des énergies dans le cadre d'un approvisionnement diversifié.

Diverses entités mènent des réflexions sur l'énergie, telles la Commission européenne qui établira prochainement un programme d'action, ou le gouvernement, qui vient d'annoncer un plan pour les économies d'énergie et la recherche d'énergies renouvelables.

La commission de la production et des échanges contribuera à cet effort par un examen attentif des divers moyens d'amélioration de l'approvisionnement énergétique, des économies d'énergie indispensables et du développement de l'ensemble des énergies renouvelables.

Toute énergie, comme une médaille, a une face et son revers. Ainsi, les efforts faits en vue de l'amélioration de la production d'énergie électronucléaire ne doivent pas omettre la sûreté du traitement et du stockage des déchets. Il faut également améliorer l'utilisation des énergies fossiles, qu'il s'agisse des produits pétroliers ou du charbon. En effet, des centrales produisent maintenant de l'énergie relativement propre à partir de ce combustible.

Le thème qui sera étudié par la présente table ronde est le suivant : « Quelles énergies pour demain ? ».

A la suite des interventions des personnes auditionnées, j'ouvrirai le débat.

M. Olivier Appert : Merci, monsieur le Président. Dans un court laps de temps, il faut être synthétique. Je me contenterai donc de délivrer quatre messages sur les perspectives énergétiques mondiales.

Nous avons récemment publié un document qui présente les perspectives de l'offre et de la demande énergétiques mondiales à l'horizon 2020. Ce document donne aussi des indications sur les problèmes d'environnement, en particulier d'environnement global, qui sont de plus en plus liés à la problématique énergétique.

Nous avons pris en compte, dans nos projections, l'intégralité des mesures arrêtées par la plupart des gouvernements, suite à la signature du protocole de Kyoto en 1997. Certains gouvernements ont envisagé des mesures qui devraient produire leurs effets d'ici 2010 ; elles ne sont toutefois pas prises en compte dans les statistiques des années passées sur lesquelles nous nous basons mais nous en avons estimé l'impact à terme.

Le premier des quatre messages concerne l'approvisionnement énergétique mondial. La consommation d'énergie continuera à croître de façon inéluctable, à un rythme d'environ 2 % par an. Cette croissance de la consommation énergétique sera assurée à 90 % par des combustibles fossiles.

S'agissant de l'approvisionnement énergétique mondial par région, nous constaterons, dans les années à venir, la poursuite d'un glissement de la demande d'énergie des pays développés - qui représentaient l'essentiel de la consommation énergétique en 1973 - vers les pays en développement, qui seront amenés à jouer un rôle déterminant dans les années à venir.

Concernant l'augmentation de la production mondiale de pétrole, l'ensemble des pays du monde sera confronté à une dépendance accrue, notamment à l'égard des pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) situés au Moyen-Orient.

Les émissions de dioxyde de carbone (CO2), vont continuer à croître de façon inexorable. Par conséquent, si les pays signataires de l'accord de Kyoto veulent en respecter les objectifs, il leur sera nécessaire de mettre en oeuvre des politiques et des mesures allant au-delà de celles qui ont été d'ores et déjà arrêtées.

Je reviens rapidement sur ces quatre points. La croissance de la demande énergétique, qui est d'environ 2 % par an à comparer à une estimation de la croissance du produit mondial brut de 3,1 % par an, sera tirée par la demande d'électricité et de transports. Dans les vingt années qui viennent, un découplage significatif entre la croissance économique et la demande énergétique n'est pas envisagé, pas plus qu'une solution permettant d'infléchir très significativement cette tendance.

Le pétrole continuera toujours à être l'énergie dominante, avec une part de marché d'environ 40 %. Le gaz verra sa part de marché augmenter dans l'ensemble des pays du monde. Cette croissance de la demande sera en particulier liée aux qualités environnementales du gaz et aux technologies nouvelles disponibles en matière de production d'électricité.

La consommation de charbon augmentera, mais sera essentiellement localisée dans les pays en développement possédant cette ressource.

La production d'énergie électro-nucléaire se stabilisera, voire décroîtra légèrement en fin de période. En effet, les perspectives de remplacement des centrales nucléaires existantes qui arriveront en fin de vie nous semblent limitées. Nous n'envisageons la création de nouvelles centrales que dans quelques pays.

Enfin, s'agissant des énergies renouvelables, l'hydroélectricité connaîtra une croissance relativement limitée par manque de sites, tant dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. En revanche, nous anticipons une croissance forte des énergies renouvelables de l'ordre de 3,2  % par an, qui sera donc nettement supérieure à la croissance des autres sources d'énergie. Néanmoins, leurs parts de marché resteront très faibles.

On constate en second lieu, à l'échéance 2020, un accroissement d'environ 60 % de la consommation énergétique, essentiellement dans les pays en développement qui représenteront, à eux seuls, les deux tiers de la croissance de la demande énergétique globale. Ainsi, la part de l'OCDE, qui représentait les deux tiers de la consommation globale en 1973, devrait passer à environ 44 % en 2020, la Chine seule représentant 14 % de la consommation énergétique mondiale à cette échéance.

La consommation actuelle de pétrole est de 75 millions de barils par jour. Selon nos estimations et sur la base d'hypothèses de prix raisonnables, elle devrait augmenter pour s'élever à 115 millions de barils par jour en 2020. Nous estimons que les ressources existent et seront disponibles. Les hypothèses de prix raisonnables se fondent sur un prix du brut d'environ 21 dollars par baril, soit le prix moyen constaté ces dix dernières années. Nous nous fondons sur un maintien de ce prix sur la période allant jusqu'à 2010. Ensuite, nous avons envisagé un accroissement d'un tiers environ du prix du pétrole, en dollars constants.

Sur la base de ces hypothèses, nous considérons que les ressources existent. Toutefois, en deuxième période, notamment à partir de 2020, l'essentiel de l'accroissement de la demande de pétrole sera fourni par les pays de l'OPEP, en particulier ceux situés au Moyen-Orient.

En fin de période, la dépendance des pays de l'OCDE, par rapport aux importations de pétrole, devrait donc passer de 55 % aujourd'hui à 74 % en 2020. La part dans l'approvisionnement pétrolier mondial des pays de l'OPEP situés au Moyen-Orient devrait de nouveau s'établir à 40 %, c'est-à-dire le niveau constaté en 1973.

J'ajouterai, en ce qui concerne le pétrole, qu'une part croissante de la consommation sera affectée aux transports. Nous estimons que la part des transports en 2020 devrait constituer environ 60 % de la totalité du pétrole consommé dans les pays de l'OCDE.

Dans ce contexte, qu'en est-il des problèmes d'environnement global et d'effet de serre ? Il n'est pas surprenant de constater, compte tenu des résultats de nos simulations, que les émissions d'oxydes de carbone augmenteront en fin de période pour s'établir à des niveaux significativement supérieurs à ceux des engagements de Kyoto (cf. annexe 1, page 49).

Les Etats d'Amérique du Nord atteignent par exemple des niveaux d'émissions très significativement supérieurs à leurs engagements, mais il en est de même, à un moindre degré, des pays de l'OCDE du Pacifique ou des pays européens membres de l'OCDE. En revanche, les émissions d'oxydes de carbone des autres pays de l'annexe B, c'est-à-dire la Russie et les autres pays en transition, sont significativement inférieures, notamment en raison de la crise économique que ces Etats ont connue à partir de 1990.

Ceci implique que si l'on veut respecter les engagements de Kyoto, il est nécessaire d'aller plus loin. Toutefois, peut-être serait-il souhaitable de mettre d'ores et déjà en _uvre, le plus rapidement possible, les mécanismes de flexibilité prévus dans l'accord de Kyoto, par ailleurs déjà prévus dans l'accord de Rio, et qui permettent d'atteindre les objectifs à un coût moindre, voire d'aller au-delà de ces objectifs pour un coût donné. Nous avons, dans notre publication, effectué un certain nombre de simulations de mesures complémentaires qui pourraient permettre d'améliorer la situation.

La troisième piste, qui relève de la discussion sur les mécanismes de flexibilité, consiste en une plus grande implication des pays en voie de développement, car c'est dans ceux-ci que la croissance des émissions de CO2 sera la plus importante.

M. le Président : Merci. La parole est à M. Claude Mandil.

M. Claude Mandil : L'exposé que vient de faire M. Olivier Appert me permet d'enchaîner en reprenant ses conclusions. S'agissant de l'ensemble des hydrocarbures, c'est-à-dire le pétrole et le gaz naturel, leur consommation mondiale actuelle représente environ 62 % de celle de l'ensemble des énergies primaires. Nous pouvons imaginer que ce taux atteindra 66 % en l'an 2020, mais il s'agira de 66 % d'une consommation qui elle-même aura cru de plus de la moitié.

S'agissant de la France, les chiffres ne sont pas très différents. Certes, ils sont un peu plus bas en 2000, puisque notre consommation d'hydrocarbures s'élève à 58 % de notre consommation énergétique globale, la consommation de gaz étant inférieure à la moyenne mondiale. On peut imaginer qu'en 2020, ce taux rejoindra la moyenne mondiale, à savoir 65 %.

Ces chiffres sont bien entendu très approximatifs. Les considérer comme des données définitives serait faire fi du volontarisme dont les Etats peuvent faire preuve pour infléchir ces tendances. Toutefois, il est difficile d'envisager que la consommation d'hydrocarbures devienne progressivement partie marginale ou négligeable de l'approvisionnement énergétique mondial. Par conséquent, on ne peut se désintéresser de l'approvisionnement de la planète en hydrocarbures.

Il convient, à ce stade, de se poser deux questions. La première est de savoir si l'on trouvera les réserves nécessaires à un coût acceptable, le problème annexe étant que ces réserves ne doivent pas toujours être restreintes à un petit coin de la planète situé au Moyen-Orient.

La deuxième question est de savoir si nous pourrons faire en sorte que la production et surtout la consommation de ces hydrocarbures soient sans dommages pour l'environnement, qu'ils soient locaux (pollutions acides, poussières, etc.) ou globaux (effet de serre principalement).

Chacun peut avoir sa propre réponse à ces deux questions, je vous livre la mienne. Effectivement, nous pourrons trouver les réserves nécessaires à un coût acceptable, nous saurons réduire notre consommation énergétique et nous saurons atténuer fortement les dommages causés à l'environnement.

Toutefois, cette réponse affirmative est assortie de deux conditions : il faudra consentir de très gros investissements se chiffrant en centaines de milliards de dollars ou d'euros sur les vingt prochaines années ; en outre, le maintien d'un effort de recherche et de développement extrêmement important dans ce domaine sera nécessaire.

Permettez-moi de citer quelques exemples de ce qu'il est possible de faire et de ce qu'il reste à entreprendre pour améliorer la situation, tant en termes quantitatifs qu'environnementaux.

Le premier exemple concerne le pétrole offshore. Nous avons pris l'habitude d'extraire du pétrole sans grande difficulté par deux cents mètres de profondeur d'eau. Or, actuellement, les compagnies pétrolières travaillent en vue d'extraire du pétrole par 1 500 mètres d'eau et les centres de recherche, comme celui que je dirige, par 3 000 mètres d'eau.

Ces forages nous paraissent parfaitement faisables, à des coûts acceptables. Ils nécessiteront énormément de recherche et développement et des investissements très lourds, mais l'enjeu est considérable. Il s'agit de doubler les zones du globe ouvertes à la prospection pétrolière et donc l'espoir de découvrir de nouveaux gisements.

Un deuxième exemple très voisin est celui des pétroles non conventionnels. Ce sont des pétroles dont on sait qu'ils existent, mais qu'on n'a pas réussi, jusqu'ici, à exploiter. Les deux cas couramment cités sont ceux des bruts extra-lourds dans la zone de l'Orénoque au Venezuela et ceux des sables bitumineux dans la zone dite de l'Athabasca, au nord de l'Alberta, au Canada.

Même si ces pétroles non conventionnels impliquent également beaucoup d'investissements et de recherche et développement, les perspectives d'un doublement possible des réserves sont très prometteuses. Nous n'en sommes d'ailleurs plus au stade de la science-fiction, car ces deux types de gisements commencent l'un et l'autre à être exploités.

Je voudrais aborder un autre problème, encore assez peu connu, qui est celui de l'accroissement du taux de récupération dans les gisements. Jusqu'ici, les exploitants pétroliers et gaziers se sont satisfaits, notamment dans le domaine du pétrole, d'un taux de récupération qui pourrait quasiment s'apparenter à du gaspillage, soit 30 % de l'hydrocarbure contenu dans un gisement.

Ce taux de récupération pourrait être doublé grâce à l'utilisation de technologies nouvelles dont on commence à expérimenter la mise en _uvre. Doubler le taux de récupération équivaut à doubler les réserves, en tenant compte des réserves déjà exploitées. C'est un enjeu énorme, mais qui suppose, là encore, beaucoup d'investissements et de recherche et développement.

Ce type de raisonnement pourrait être tenu pour un certain nombre de grands sujets de nature environnementale. La généralisation, par exemple, du filtre à particules sur les moteurs diesels, même si elle représente un coût important, avec une part essentielle de recherche et développement, pourrait permettre d'aboutir à des moteurs n'émettant pratiquement plus de pollution locale.

S'agissant du CO2, il me semble que toutes les idées intelligentes doivent être développées, expérimentées et mises en _uvre. Une des solutions parmi d'autres nous paraît, à l'Institut français du pétrole, extrêmement prometteuse ; il s'agit du piégeage du dioxyde de carbone. Il ne s'agit pas de le piéger sur chacune des sources mobiles, c'est-à-dire les véhicules, mais sur chacune des grandes sources fixes - usines, installations de production d'électricité -, puis de le réinjecter, en couche profonde par exemple, dans des gisements qui eux-mêmes ont été exploités précédemment. La présence d'un gisement certifie que le piège existe.

Nous menons actuellement des expérimentations sur ce sujet avec des compagnies pétrolières. Mais là encore, cela suppose beaucoup d'investissements et de recherche et développement.

Je voudrais terminer par les deux remarques suivantes. En premier lieu, les investissements très importants que j'ai évoqués impliquent que les investisseurs sont décidés à risquer de l'argent dans tous ces projets. Pour cela, il faut des prix du pétrole et du gaz qui, sans être très élevés, ne soient pas trop bas et surtout, me semble-t-il, pas trop volatils. C'est en effet la variabilité des prix qui dissuade les investisseurs d'engager des sommes importantes car ils ne savent pas si les prix, dans trois ans, permettront à leur projet d'être rentable.

Parallèlement à la nécessité d'une maîtrise de la variabilité des prix, il conviendrait que les dispositifs réglementaires, notamment en matière de protection de l'environnement, soient eux-aussi peu variables. Il ne s'agit pas de refuser un durcissement des règles de protection de l'environnement, bien au contraire, mais dès lors qu'une telle évolution est prévisible, la situation des investisseurs est plus confortable.

Je fais ainsi allusion au fait qu'une des causes essentielles et reconnue comme telle de la très forte hausse du pétrole, ces derniers mois, est liée au fait que les gouvernements des différents états des Etats-Unis ont, lors d'une même période de douze mois, décidé une chose et son contraire en matière de règles de composition des carburants.

Ils ont tout d'abord décidé que les carburants devaient comporter des composés oxygénés, notamment du méthanol, puis neuf mois après, certains d'entre eux ont décidé d'interdire le méthanol. Tout cela a créé une telle confusion et de tels goulots d'étranglement dans les raffineries que les prix ont été propulsés aux sommets que l'on connaît. La progressivité et la prévisibilité de la réglementation environnementale me paraissent donc extrêmement importantes.

En second lieu, nous sommes dans un avenir incertain et nous utilisons tous beaucoup la notion de principe de précaution. J'aimerais vous soumettre ma version personnelle de ce principe, à savoir qu'il ne faut pas mettre tous ses _ufs dans le même panier. Il est absolument impossible aujourd'hui d'envisager que nous nous livrerons soit au « tout pétrole », soit au « tout nucléaire » ou encore à toute autre énergie renouvelable, dernier point sur lequel M. Pierre Radanne nous montrera qu'il existe peu de risque.

M. le Président : La parole est à M. Pierre Radanne.

M. Pierre Radanne : M. Claude Mandil a raison, je n'ai aucune prétention hégémonique. Je vais tenter de plaider devant vous en faveur des économies d'énergie et des énergies renouvelables.

S'agissant des acquis, notamment en matière d'économies d'énergie, notre pays a considérablement appris et progressé, en particulier en réponse aux chocs pétroliers, donc sur la période 1973-1985. Nous avons atteint des résultats que personne n'aurait soupçonnés. Notre pays, pendant cette quinzaine d'années où des politiques volontaristes de maîtrise de l'énergie ont été mises en _uvre, a réussi à économiser 30 millions de tonnes d'équivalent pétrole (tep), c'est-à-dire 16 % de la consommation de l'époque.

Nous avons changé le rapport à l'énergie de la société française et réduit le poids de l'énergie dans notre société de l'ordre de 1 % par an.

Puis, lorsque les prix du pétrole ont baissé, nous avons fortement relâché l'effort, qui est aujourd'hui réengagé. Chacun sait, en effet, que le gouvernement a relancé les efforts d'économies d'énergie, deux mois après la conférence de Kyoto.

Il est vrai qu'aujourd'hui, ces économies sont davantage motivées par le constat d'une limite environnementale, essentiellement l'effet de serre, que lors des décennies précédentes. Il n'est plus question d'un épuisement rapide des ressources. Au sein des potentiels d'économies d'énergie, je voudrais maintenant rapidement vous brosser le paysage par secteur.

Le secteur le plus facilement accessible est le secteur industriel. L'essentiel des gains réalisés, pendant cette période, l'a été dans l'industrie lourde. Aujourd'hui, il reste des potentiels d'économies d'énergie, d'environ 10 à 15 %, grâce à des techniques connues et rentables, ce gisement d'économies ayant glissé de l'industrie lourde vers les petites et moyennes industries. Le secteur industriel n'est pas celui qui présentera le plus de difficultés pour une relance des économies d'énergie. Aujourd'hui, un débat est engagé à l'Assemblée nationale, sur une extension de la taxe générale sur les activités polluantes au secteur de l'énergie. Cette mesure devrait être un stimulant précieux d'amélioration de la productivité de l'industrie française.

J'en viens aux deux autres secteurs qui nous posent le plus de difficultés. Il s'agit tout d'abord des infrastructures à longue durée de vie, c'est-à-dire essentiellement le patrimoine bâti. Il a fait l'objet de réglementations thermiques depuis 1974 qui ont considérablement amélioré la qualité des constructions. A confort égal, une maison individuelle construite aujourd'hui consomme 42 % de la consommation d'une maison similaire construite en 1972.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement, a annoncé cette semaine une nouvelle réglementation thermique, qui entrera en vigueur dès juin prochain. Elle permettra de gagner encore quelques dizaines de points de pourcentage sur le secteur du logement et près de 40 % dans le secteur du tertiaire, où la construction était de moins bonne qualité.

Nous atteindrons bientôt le niveau - car le plan national sur l'effet de serre envisage de nouvelles améliorations de la réglementation thermique d'ici 2010 - où nous aurons économisé les deux tiers de ce qui est nécessaire pour l'énergie de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire d'un logement. Cela vous montre l'efficacité de cette politique.

C'est dans le parc bâti existant que nous rencontrons le plus de difficultés. Autant nous sommes au point s'agissant du patrimoine neuf, autant pour ce qui concerne le parc existant, nous rencontrons un problème de traitement. Cela concerne, en fait, plus le parc privé que le parc social qui, lui, fait l'objet d'une attention soutenue.

J'en viens maintenant au secteur du transport qui est celui qui soulève les plus grandes difficultés. Mon propos sera là plus vif. En effet, le système de transport en place dans notre société n'est pas généralisable à l'ensemble de la planète. Nous connaîtrons certainement, dans le siècle qui vient, des crises liées au secteur énergétique dans son ensemble, mais certainement plus clairement liées au secteur du transport. A cet égard, les événements de début septembre sont significatifs.

Entre 1973 et aujourd'hui, notre dépendance pétrolière a diminué, passant de 57 à 37 %. Dans le même temps, la consommation de pétrole du secteur du transport a progressé de 70 %. Les deux tiers du pétrole consommé en France le sont dans le secteur du transport. Il y a peu, nous avons pu constater qu'un choc pétrolier conduisait à « mettre en panne » la société française car la construction européenne et les modes de vie actuels exigent une grande mobilité de la part de nos concitoyens. La mondialisation de l'économie dépend également en grande partie du développement des transports.

Le rythme de croissance des déplacements est supérieur d'environ un point de pourcentage à celui de la croissance économique. Tout cela nécessite des progrès importants. Nous avons réduit la consommation moyenne d'une voiture de deux litres au cent kilomètres entre 1973 et 1985, puis, faute d'effort, nous avons perdu un litre entre 1985 et 2000. Ainsi, une Clio consomme plus qu'une R5.

Actuellement, les constructeurs automobiles font de nouveaux efforts afin de réduire la consommation des véhicules. Mais nous ne pourrons transformer le secteur du transport sans politique de maîtrise de la mobilité, c'est-à-dire sans optimiser la répartition des activités dans notre société. Par exemple, le domicile s'est éloigné du lieu de travail et la distance entre les deux a doublé en quinze ans. Je ne suis pas sûr que ce soit là un critère de modernité et nous ne pouvons pas continuer sur cette pente.

Le secteur du transport, prioritaire en raison des grandes difficultés qu'il présente, fera donc l'objet, dans l'effort actuel de réflexion sur un nouveau plan de maîtrise de l'énergie, d'un débat au Parlement dans les jours prochains, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2000.

Je voudrais, par ailleurs, souligner trois éléments nouveaux. En premier lieu, nous assistons à une démassification des usages de l'énergie. La moitié de l'énergie, consommée aujourd'hui en France, l'est directement par des ménages. Par conséquent, dans le souci d'un effort d'économies d'énergie, notamment lié à l'augmentation de la consommation d'électricité, nous ne devons plus simplement nous adresser aux seules grosses structures, c'est-à-dire aux acteurs de l'industrie ou du tertiaire.

En deuxième lieu, cette démassification touche également la production. Notre production énergétique se fragmente, notamment du fait des gains de performance réalisés dans la cogénération et demain sans doute, avec la pile à combustible.

Enfin, nous ne pourrons faire évoluer le secteur énergétique si, au-delà d'un projet technique, nous n'avons pas également un projet culturel et « civilisationnel » pour l'ensemble de nos concitoyens.

Je voudrais compléter ce panorama en indiquant que les gisements d'économies d'énergie se renouvellent. Il ne s'agit pas d'un puits que l'on vide. Grâce au progrès technique, de nouvelles possibilités d'économies d'énergie émergent régulièrement. Les nouvelles techniques de communication permettent maintenant de suivre, en temps réel, les consommations des équipements industriels et ménagers et ainsi de pouvoir faire des économies. Grâce à Internet, nous pourrons économiser sur les dépenses qui découlent de la mobilité. Ce sont donc là des perspectives importantes.

Nous progressons également dans le domaine des énergies renouvelables, dont les bases sont l'hydraulique et le bois. Aujourd'hui, l'énergie éolienne arrive à maturité sur le continent européen, à telle enseigne qu'est actuellement en cours d'élaboration une directive européenne qui nous proposera de porter la part d'énergies renouvelables, dans notre production électrique, de 15 à 20 % d'ici 2010, à la fois à partir de l'éolien et de la biomasse.

Certes, toutes les énergies renouvelables n'ont pas le même degré de maturité. Aujourd'hui, l'éolien est en train de devenir compétitif par rapport aux autres sources. La biomasse est, globalement, rentable. D'autres secteurs se situent toutefois encore dans le domaine de la recherche, notamment le photovoltaïque.

Les photopiles, qui produisent de l'électricité à partir de l'énergie solaire, représentent certainement l'une des solutions majeures pour le développement rural des pays du tiers monde. En effet, les énergies renouvelables et locales, d'une manière générale, permettent de fixer les populations à partir des ressources disponibles.

Je voudrais conclure par les points suivants. Je reviens de la Conférence de La Haye, non sans blessures. Nous y avons assisté au spectacle particulièrement préoccupant de la divergence d'intérêts entre le nord et le sud. Les premières victimes de l'effet de serre sont les pays en voie de développement, plus fragiles que d'autres aux aléas climatiques. Il est indispensable d'accorder toute notre attention à la question du climat, qui sera l'une des questions principales du siècle à venir.

C'est pourquoi il n'est pas pertinent de séparer le développement technologique du nord de celui du sud. Si le développement technologique du nord se caractérise par un gaspillage, celui du sud ne pourra pas épargner les ressources et réduire les émissions et les atteintes à l'environnement. C'est donc au travers des techniques, que nos industriels exportent dans le sud, que nous contribuerons à la modération des émissions de ces pays.

J'observe également que les questions d'économies d'énergie et d'énergies renouvelables sont aujourd'hui perçues par nos concitoyens comme une sorte de priorité morale. Ils attendent de la part des responsables politiques, économiques et des techniciens, la valorisation de l'ensemble des techniques à moindre risque. Nous savons que les énergies renouvelables ne peuvent suffire à l'ensemble de la production énergétique en France ou dans le monde et que nous devons forcément avoir recours à des combustibles fossiles, voire à du nucléaire. Néanmoins, il convient de chercher à utiliser toutes les techniques à moindre risque avant d'utiliser des ressources dont les risques sont difficiles à cerner, du moins aujourd'hui.

L'engagement d'un effort d'économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables sont donc une condition d'acceptation des politiques énergétiques et des choix qui seront à faire dans les décennies qui viennent.

Enfin, s'agissant de la nécessaire adaptation de nos sociétés et de la question du climat, les pays qui « gagneront » seront ceux qui seront les premiers à prendre des mesures pour permettre à leur société d'assurer un virage avec le moins d'à-coups possible. Il était très impressionnant, à La Haye, d'entendre des représentants de l'Inde dire qu'aujourd'hui leur modèle de développement n'est plus les Etats-Unis mais l'Europe. Seule l'Europe leur donne le modèle d'une politique énergétique sobre qui épargne les ressources et réduit les atteintes à l'environnement.

M. le Président : La parole est à M. Hervé Nifenecker.

M. Hervé Nifenecker : Je voudrais remercier M. le Président de me donner l'occasion de m'exprimer ici, d'autant plus que je suis en fait un simple citoyen. Le travail que j'effectue, je l'effectue à titre bénévole, tant à l'Institut des sciences nucléaires que dans le cadre de la Société française de physique. C'est dans le cadre de ce travail bénévole que j'en suis venu à la conclusion que le danger numéro un qui nous menace actuellement est celui du réchauffement climatique.

Il me semble que les objectifs de Kyoto devront être largement revus à la baisse dans le futur puisque les modèles climatiques nous montrent que la stabilisation de la température ne pourrait être obtenue qu'avec des rejets de gaz à effet de serre deux fois inférieurs à ceux qui sont mesurés actuellement. Cela signifie que si l'on tient compte de l'augmentation de la population, il faudra diviser par trois les rejets par habitant.

Dans ces conditions, les économies d'énergie sont nécessaires, de même que le recours aux énergies renouvelables. Mais le recours au nucléaire est aussi une option à considérer avec attention et à ne pas rejeter, comme c'est le cas actuellement dans la majorité des scénarios élaborés par les économistes.

Le nucléaire peut-il être efficace ? Si l'on observe la situation européenne, on s'aperçoit que, par unité d'énergie consommée, la France émet deux fois moins de gaz carbonique que le Danemark, essentiellement grâce à l'hydraulique et au nucléaire, dans le domaine de l'électricité.

Je me suis livré à un exercice d'école qu'il conviendra de revoir plus précisément. Nous menons d'ailleurs un programme en ce sens avec l'Institut d'étude des politiques de l'énergie (IEPE) de Grenoble. J'ai utilisé les résultats des calculs de l'IEPE, qui sont assez proches de ceux de l'Agence internationale de l'énergie, afin d'envisager la situation à l'horizon 2030. En ce qui concerne le nucléaire, il n'est pas pertinent de mesurer ce que sera son influence réelle à l'horizon 2010 car la période de temps écoulé est manifestement trop courte, compte tenu des délais nécessaires pour construire une centrale.

A l'horizon 2030, en modifiant les hypothèses du calcul, on suppose que, dans les pays de l'OCDE, 60 % de l'électricité pourraient être fournis par le nucléaire et que cette proportion serait de 50 % dans les pays en transition - essentiellement l'ancienne Union soviétique -, de 30 % en Chine, Inde et Asie du Sud, de 30 % en Amérique latine et qu'elle serait proche de zéro en Afrique, ce continent n'étant pas actuellement en mesure de développer une industrie nucléaire.

Dans ces conditions, on constate qu'au niveau mondial, à l'horizon 2030, on pourrait réduire de 20 % les émissions de gaz carbonique, avec un nombre de mises en chantier annuelles de réacteurs d'environ soixante et un besoin de financement annuel d'environ 420 milliards de francs.

Pour assurer un tel développement, (on passerait d'environ quatre cents réacteurs actuellement à environ dix-huit cents en 2030), il serait nécessaire d'améliorer la sécurité des réacteurs. En effet, si on multiplie par cinq leur nombre, il convient toutefois de garder le même taux absolu de risques d'accidents graves. Par exemple, il ne peut y avoir un accident grave du type fusion de c_ur tous les cent ans, c'est-à-dire avec une probabilité importante par siècle. Il me semble donc qu'il faut améliorer la sûreté. C'est d'ailleurs l'objectif d'un réacteur comme l'EPR, mais il existe d'autres solutions techniques, comme les réacteurs à haute température.

Il me semble aussi qu'un redéveloppement du nucléaire pourrait rendre nécessaire la mise sur pied d'un organisme mondial de la sûreté nucléaire, qui aurait la faculté d'ordonner l'arrêt d'un réacteur dangereux. Des agences du type de la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) française pourraient probablement exercer de telles missions en Europe ; l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pourrait également voir ses fonctions accrues dans ce domaine.

Si cet objectif est atteint en 2030, on peut espérer, au-delà, une augmentation de la part de l'électricité dans des pays comme la Chine ou l'Inde jusqu'à ce qu'elles atteignent les niveaux de l'OCDE. D'une façon générale, si l'on veut arriver à un taux de rejet qui soit deux fois inférieur au taux actuel, il faudrait, indépendamment des mesures citées par M. Radanne, augmenter la part de l'électricité dans le bilan énergétique global et passer progressivement à l'utilisation de l'hydrogène.

Dans l'hypothèse d'une augmentation importante de la part du nucléaire dans la production d'électricité, les réacteurs du futur devront mieux utiliser le combustible en mobilisant les ressources en noyaux fissiles, Uranium 238 ou Thorium 232.

Autrement dit, ils devront être surrégénérateurs et avoir une production réduite de déchets. En général, ces deux exigences sont parfaitement compatibles.

Le cycle Thorium-Uranium 233 devrait être étudié très sérieusement puisqu'il offre la possibilité de surrégénération, à l'image du cycle Uranium-Plutonium, mais conduit à une production beaucoup moindre d'éléments transuraniens. L'utilisation du Thorium permet aussi d'avoir des stériles de mine moins radioactifs que ceux de l'Uranium.

Indépendamment d'une production réduite d'actinides, il faudra, sans doute, afin de diminuer le volume de déchets de très longue durée de vie, envisager la transmutation de produits de fission comme l'Iode 129 et le Technetium 99. Par ailleurs, il convient de concevoir et mettre au point des réacteurs de plus faible puissance que les réacteurs actuels qui sont peu compatibles avec une utilisation par des pays ne disposant pas de réseau important ou de compagnies productrices aussi puissantes qu'EDF.

M. le Président : La parole est à M. Charpin.

M. Jean-Michel Charpin : Dans cette brève introduction, je vous présenterai le travail que j'ai réalisé en collaboration avec MM. Benjamin Dessus et René Pellat, à la demande du premier ministre.

La commande passée par le premier ministre était, à deux égards, assez inhabituelle. Tout d'abord, la lettre de mission nous précisait : « le Gouvernement ouvernement souhaite disposer d'une étude sur les données économiques de l'ensemble de la filière nucléaire, notamment l'aval du cycle de combustible nucléaire, y compris le retraitement ». Le mot important dans cette phrase, me semble-t-il, est que le gouvernement nous commandait une étude et non pas un rapport incluant des préconisations.

La deuxième caractéristique de cette commande était qu'elle était passée à trois personnes dont les parcours professionnels et personnels sont sensiblement différents. Le premier ministre savait donc pertinemment que leurs idées sur la stratégie optimale en matière énergétique seraient différentes.

Ceci nous a conduits à élaborer de nombreux scénarios, à en chiffrer les conséquences en termes de flux de matières et de flux économiques, sans nous prononcer sur le caractère plus ou moins souhaitable des différents scénarios.

Nous avons principalement raisonné à l'horizon 2050, en cherchant à chiffrer, année après année, de la façon la plus homogène possible, nos différents scénarios, tant en termes de flux de matières qu'en termes de flux économiques et en donnant des indications sur la situation à laquelle on parviendrait en 2050, pour la production comme pour les coûts postérieurs à 2050.

Nous avons effectué des calculs d'actualisation des flux financiers, mais le plus tard possible. Nous avons donc tâché de préserver le plus longtemps possible, dans notre rapport, l'ensemble de la chronologie des flux physiques et financiers, au motif que nous pensions qu'aujourd'hui, l'incertitude conceptuelle est grande en matière de techniques d'actualisation. Par conséquent, plus tard on s'y livre, mieux c'est.

En revanche, je dois signaler une limite de notre étude, que nous admettons d'ailleurs volontiers. Nous n'avons pas cherché à étudier quelle pouvait être l'évolution du marché européen de l'électricité, dans le cadre de l'unification et de la libéralisation en cours. Nous avons donc raisonné « à l'ancienne » sur l'offre et les besoins français sans faire l'hypothèse d'un avantage ou d'un désavantage comparatif de la France pour certaines formes d'énergie.

Notre étude a été menée en distinguant clairement, d'une part, le parc existant et, d'autre part, ce qu'il conviendrait de faire quand le parc existant arriverait au terme de son existence.

Nous avons principalement étudié deux questions : les conséquences d'une plus ou moins longue durée de vie et le retraitement.

Nous avons étudié les différences entre deux jeux d'hypothèses sur la durée de vie : un jeu d'hypothèses où la durée de vie moyenne des centrales actuellement installées serait de 41 ans et un jeu d'hypothèses où elle serait de 45 ans. Vous remarquerez que nous avons choisi de chiffrer deux hypothèses qui se situent au-delà de celles qui étaient traditionnellement contenues dans ce type de travaux. Par exemple, l'opération prospective, que le Commissarait général du Plan avait publiée il y a deux ans, intitulée « Energie 2010-2020 », étudiait deux hypothèses, l'une où la durée de vie moyenne des centrales existantes était de trente ans, l'autre où elle s'établissait à quarante ans. Nous avons, dans notre étude, revu ces hypothèses à la hausse, suivant en cela ce qui se fait dans l'ensemble du monde. Nous étions aussi influencés par les décisions prises aux Etats-Unis depuis avril 2000 et qui consistent à octroyer les premières licences jusqu'à des durées de vie de soixante ans.

Nous avons trouvé, assez naturellement, que plus on allonge la durée de vie des centrales, plus l'économie du système s'améliore. Par ailleurs, plus on allonge cette durée de vie, plus on laisse le temps au progrès technique, qu'il porte sur la demande, les réacteurs nucléaires, les combustibles nucléaires ou les autres filières de production d'électricité de se développer. C'est particulièrement important en matière nucléaire, car raisonner aux horizons 2020, 2025 ou 2030 n'a pas la même portée. En décalant de quelques années la durée de vie moyenne des centrales, le spectre des possibles s'élargit considérablement.

S'agissant toujours du parc existant, nous avons également étudié la question du retraitement. Nous avons mis en avant le fait suivant, connu avant notre rapport, mais qui n'avait peut-être pas reçu une publicité considérable : aujourd'hui, compte tenu de ce que sont les systèmes de prix, le retraitement n'est plus rentable même en termes de coût marginal. Le surcoût du retraitement est d'environ 1 % dans les concepts que nous avons utilisés. Il est la contrepartie, d'une part, d'une consommation moindre d'uranium et, d'autre part, d'une production moindre de déchets à longue vie et à haute activité que nous avons chiffrée selon les scénarios entre 12 et 15 %.

S'agissant des travaux que nous avons réalisés au-delà de la vie du parc existant, nous avons chiffré de nombreux scénarios croisant des hypothèses différentes sur la demande d'électricité, les différentes stratégies d'offre, les prix du pétrole et du gaz, la durée de vie des centrales et les nouvelles techniques qui pourraient être disponibles pour la production d'électricité dans les différentes filières. Par manque de temps, je ne peux vous les résumer tous, mais permettez-moi de vous indiquer quelques conclusions qui se dégagent de l'étude de ces principaux scénarios.

Tout d'abord, le choix d'un scénario de demande est une donnée très importante. En effet, d'une part, les scénarios de faible demande conduisent à des flux de matières, tant en termes d'émissions de gaz à effet de serre qu'en termes de production de déchets, qui sont inférieurs aux scénarios à forte consommation d'électricité. D'autre part, en termes de prix ou de coût pour la collectivité, les avantages sont également sensibles.

Par ailleurs, nous avons étudié la question de la durée de vie des centrales. Nous avons ainsi réalisé une variante qui, sans être particulièrement bien construite - nous avons des regrets à cet égard - devait se caler sur la stratégie allemande. Il s'agit d'un scénario dans lequel on arrête, au bout de trente ans, l'exploitation des centrales. Il n'est pas très bien construit, mais il a été réalisé avant la finalisation de l'accord allemand. En effet, nous nous sommes aperçus que cet accord est moins strict que ce que nous avions inclus comme hypothèse. Cela étant, nous avons chiffré ce scénario qui s'avère naturellement plus coûteux que ceux qui se fondent sur des durées de vie plus longues.

Au total, néanmoins, quand on considère l'extrême variété des scénarios d'offre que nous avons étudiés, on s'aperçoit que les prix auxquels nous aboutissons, qu'il s'agisse de prix non actualisés ou actualisés, sont, somme toute, assez proches les uns des autres.

Ainsi, s'agissant du prix des combustibles fossiles, l'écart entre les deux scénarios est, grosso modo, celui que nous avons connu au cours des dix-huit derniers mois. Malgré cela, le changement d'hypothèse de prix des combustibles fossiles suffit à changer l'ordre de classement de nos différents scénarios d'offre qui eux, en revanche, sont extrêmement polarisés. Cela signifie que les écarts de coûts moyens par kilowatt/heure sont relativement faibles entre les différentes stratégies d'offre.

Enfin, nous avons précisément chiffré, pour les différents scénarios, les émissions de gaz à effet de serre et la production de déchets à longue durée de vie et à haute activité. Globalement, un certain arbitrage entre ces deux types de conséquences apparaît dans la plupart des scénarios, à deux exceptions près : d'une part, les scénarios de faible demande produisent moins de gaz à effet de serre et de déchets à longue vie et à haute activité ; d'autre part, un certain nombre d'innovations techniques, notamment dans la filière nucléaire, peuvent porter sur les réacteurs ou les combustibles et permettre d'améliorer les performances.

Pour conclure, notre étude avait une ambition relativement modeste puisqu'il s'agit d'un travail principalement technique. Il a eu un effet induit qui me parait positif et qui était d'ailleurs dans l'idée initiale du premier ministre, à savoir que les chiffres qui ont servi de base à notre étude n'ont pas été contestés, contrairement à nombre de chiffres qui avaient été produits dans des rapports précédents. D'une certaine façon, cela parait légitime puisque nous avions obtenu ces chiffres des opérateurs, mais notre équipe les a passés au crible. Nous pouvons donc être raisonnablement assurés que ces chiffres ont été vérifiés.

Au-delà de la fourniture de ces chiffres validés, nous avons voulu expliciter suffisamment les raisonnements pour que les uns et les autres puissent retrouver, au moins pour partie, les raisonnements qu'ils sont amenés à présenter.

M. le Président : Après ces exposés dont nous pouvons constater la richesse dans leur diversité, nous avons de nombreuses questions.

M. Claude Gaillard : Ma question est globale. Je suis frappé par le premier document, celui de M. Olivier Appert, qui porte sur l'approvisionnement énergétique mondial par source d'énergie. Je constate que l'évolution du nucléaire est totalement stable, voire légèrement décroissante, tandis que celle du pétrole, du gaz et du charbon suit une progression constante.

Parallèlement, M. Claude Mandil nous explique que les évolutions envisageables nécessiteront d'importants investissements en recherche et développement, financés globalement par les grandes entreprises. Enfin, en ce qui concerne l'effet de serre, selon M. Pierre Radanne, le danger numéro un est celui d'un réchauffement climatique. J'ai quelque mal à m'y retrouver. Cela signifie-t-il que nous sommes captifs de l'argent des grandes entreprises pour privilégier les recherches ? Il y aurait ainsi une sorte de logique qui privilégierait les combustibles fossiles.

Par ailleurs, s'agissant du réchauffement climatique, je constate un manque de cohérence dans la réponse donnée. Quand on aborde la question de l'énergie nucléaire, c'est la pensée unique qui règne. Tous ceux qui évoquent le nucléaire, soit se font excommunier, soit doivent s'attendre à des sarcasmes. On en arrive à être irrationnel alors même que la France a maintenant réorganisé sa filière nucléaire.

Or, on peut envisager que le progrès technique permettra de mieux traiter les déchets provenant de la filière nucléaire, c'est-à-dire celle qui n'alimente pas le danger numéro un, le réchauffement climatique. Par conséquent, il est indispensable d'être sincère lorsque l'on définit les vraies priorités ; nous devons pouvoir nous exprimer sans cette ferveur religieuse qui ne permet pas d'aborder chacun des dossiers avec la lucidité requise.

M. Pierre Micaux : Je formulerai tout d'abord une remarque qui concerne, dans les premiers diagrammes qui nous ont été communiqués, la faiblesse relative de l'énergie hydroélectrique et nucléaire. Pourquoi un procès d'intention est-il dressé à l'égard du nucléaire ?

Ceci m'amène à une autre question. Après avoir écouté vos interventions, toutes aussi intéressantes les unes que les autres, je me heurte à votre silence sur un point particulier. Nous parlons de Kyoto, de CO2, d'effet de serre. Toutefois, je n'ai rien entendu sur les conséquences - positives ou négatives - subies par les hommes et les biens matériels, et qui résultent de l'exploitation et de la gestion du gaz, du charbon, du pétrole ou du nucléaire. Je pense, par exemple, aux morts provoquées par les coups de grisou dans les houillères, à celles liées à la catastrophe de Tchernobyl ou à des explosions de gazoducs, à des accidents de transport de pétrole, entre autres.

M. le Président : Nos invités sont là pour nous éclairer de leurs arguments et se sont exprimés librement, ce dont je les remercie. Nous sommes la représentation nationale. C'est à nous de prendre les décisions politiques, et non pas à eux.

M. Serge Poignant : J'ai été très intéressé par l'ensemble des propos des intervenants. Il me semble qu'il est particulièrement nécessaire de comparer la place du parc nucléaire avec celles des autres énergies en France et d'analyser notre situation par rapport aux grandes tendances mondiales.

A cet égard, on constate que la consommation mondiale de pétrole progresse fortement d'où les conséquences sur l'effet de serre et la nécessité de recherches en matière d'énergies renouvelables. Par ailleurs, M. Charpin a indiqué que, plus on attendra, plus le progrès technique sera important.

Le problème des responsables politiques est alors de savoir de combien de temps nous pouvons disposer pour prendre les mesures adéquates. Vous établissez des scénarios de 2000 à 2020 et dites, dans le même temps, que l'on peut éventuellement allonger la durée de vie des réacteurs de dix ans. Toutefois, si l'on sort du cycle nucléaire dans trente ans, les émissions de CO2 augmenteront de 65 %, à moins d'avoir découvert entre-temps des énergies renouvelables miracles en quantité.

Même si je me suis forgé ma propre opinion sur la question des délais qui nous sont impartis, je souhaiterais savoir si, selon vous, l'on peut repousser les décisions, qu'il s'agisse de l'EPR ou de nouveaux réacteurs. J'entends bien chacun d'entre vous évoquer tant les énergies renouvelables que les efforts à fournir concernant le pétrole et le gaz, mais, pour ma part, je m'interroge quant au temps qui nous est imparti et qui me semble plutôt bref.

M. Félix Leyzour : Il ressort des différentes interventions que nous devrons faire face à une progression de la consommation d'énergie dans les années à venir. Par conséquent, pour répondre à ces besoins, il convient à la fois d'éviter les gaspillages d'énergie et de chercher à utiliser toutes les sources d'énergie possibles.

J'aimerais savoir quelle est la part de l'énergie électrique dans l'énergie totale consommée en France. En outre, s'agissant de l'énergie électrique, quelle est la part actuelle de chacune des sources de production électrique, à savoir l'hydraulique, le thermique et l'électronucléaire et quelles sont les possibilités d'évolution de chacune d'entre elle. ?

Concernant l'utilisation des produits pétroliers, il semblerait que même si nous sommes amenés à réfléchir à l'évolution des transports, la consommation de ce secteur augmentera probablement. Par conséquent, n'avons-nous pas intérêt à prévoir que les produits pétroliers seraient plus particulièrement destinés au secteur des transports et non par exemple, à la production de courant électrique ?

M. Léonce Deprez : Je voudrais intervenir sur l'avenir du charbon. J'ai appris récemment, lors de la visite d'une sucrerie, que les chaufferies de telles installations fonctionnent avec du charbon en provenance d'Afrique du Sud. Compte tenu du coût qu'impliquent ces acheminements très longs, comment une entreprise parvient-elle à assurer la compétitivité à partir de ces chaufferies au charbon ?

Quel est l'avenir du charbon et peut-on s'en tenir à ces systèmes de chaufferies ? Il me semblait que l'utilisation du charbon n'aurait qu'un temps, même sur d'autres continents. Pourtant, cette question ne paraissait pas préoccuper outre mesure les responsables de la sucrerie.

Je reviendrai sur une deuxième question qui me préoccupe d'avantage. J'ai récemment lu un article dans un journal économique, indiquant que la France allait reconsidérer sa politique de traitement des déchets nucléaires. Cela me laisse perplexe. Allons-nous oui ou non vers le traitement des déchets notamment en vue de retraiter le plutonium militaire ?

M. François Dosé : A l'écoute de vos interventions, on a le sentiment que la situation actuelle se prolongera selon des tendances fortes, qui seraient aujourd'hui déterminées pour les trois à cinq décennies à venir. Ma question est la suivante : est-il déraisonnable de penser que de nouvelles techniques permettront de relancer la production de certaines sources d'énergie, actuellement en perte de vitesse ? Je pense, par exemple, aux combustibles fossiles, comme le charbon, mais aussi à d'autres sources comme la production chimique ou la bioénergie. Il semblerait que la donne soit faite pour les cinq décennies à venir, mais peut-être doit-on déjà réfléchir au-delà de cet horizon.

M. le Président : Chaque intervenant est libre d'apporter une réponse, même si ce n'est pas son domaine particulier de compétence.

M. Olivier Appert : J'apporterai tout d'abord des réponses aux questions factuelles portant sur les produits pétroliers et le charbon, puis je reviendrai plus particulièrement sur le problème du nucléaire.

La part des produits pétroliers utilisés en France, dans les pays de l'OCDE, voire dans le monde, pour la production d'électricité est extrêmement faible et a tendance à diminuer. Les produits pétroliers sont, en revanche, utilisés de façon croissante dans le domaine du transport. A échéance de vingt ans, aucune alternative aux produits pétroliers pour le transport individuel ou collectif n'est envisagée. C'est là un problème très important pour l'ensemble des pays.

S'agissant du charbon, cette source d'énergie est incontestablement la plus répandue. Les réserves mondiales représentent plus de deux cents ans de consommation et aucun problème ne se pose pour la sécurité des approvisionnements qui viennent de pays stables -les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou l'Afrique du Sud. Le coût en est attractif, dans la mesure où les installations sont immenses, à ciel ouvert, avec des productivités énormes, sont situées à proximité de la mer et ont donc des coûts de logistique relativement faibles.

S'agissant du nucléaire, aucun procès d'intention n'est dressé vis-à-vis de ce secteur. Nous avons fondé notre estimation sur des décisions politiques prises par différents pays - la Suède ou l'Allemagne, par exemple - qui ont très clairement décidé de se retirer du nucléaire. Nous avons pris en compte un certain nombre d'hypothèses sur la durée de vie des centrales nucléaires et retenu une durée de vie de quarante ans, par conséquent comparable à celle retenue par M. Charpin.

Un certain nombre de projets de nouvelles centrales nucléaires sont en cours, mais très peu dans le cadre de pays de l'OCDE, à l'exception notable du Japon. En effet, dans la plupart des pays, on constate que l'électricité produite par la voie du nucléaire n'est pas compétitive comparée à celle produite à partir du gaz. C'est pourquoi toutes les centrales nucléaires, à la fin de leur durée de vie, sont remplacées par des centrales à gaz.

On peut néanmoins élaborer des hypothèses plus optimistes. Dans l'étude complète, nous avons présenté un scénario alternatif supposant que la durée de vie des centrales était allongée. Sans fixer de durée de vie maximum, nous avons fait l'hypothèse que les centrales, majoritairement situées dans les pays de l'OCDE, qui arriveront à l'échéance de quarante ans entre 2010 et 2020, seraient soit reconstruites à l'identique, soit verraient leur durée de vie allongée. Par conséquent, nous avons élaboré une hypothèse qui ne suppose aucune fermeture de centrale nucléaire dans les pays de l'OCDE d'ici 2020, sous réserve que ne soient pas prises de décisions politiques contraires, comme cela a été le cas en Allemagne.

Nous supposons que la productivité de ces centrales est meilleure de deux points, ce qui semble relativement faible. La conséquence est néanmoins tout à fait significative puisqu'à l'échéance 2020, cela représente une réduction de 7 % des émissions de gaz à effet de serre par le secteur de la production d'électricité. C'est dans ce secteur et celui du transport, dont les parts augmentent, que l'on constate une croissance des émissions de gaz à effet de serre.

Cette hypothèse parait raisonnable, car elle n'implique pas de reconstruire de nouvelles centrales nucléaires ou de lancer des programmes considérables. La plupart des fermetures intervenant entre 2010 et 2020, elles n'ont aucun impact à l'échéance 2010. Ceci montre qu'il convient de ne pas faire l'impasse sur le nucléaire, dès lors que l'on parle d'effet de serre.

La situation en France est quelque peu différente et je ne me prononcerai pas sur ce point, dans la mesure où la part du nucléaire y est d'ores et déjà extrêmement importante.

M. le Président : M. Ducout souhaite poser une question.

M. Pierre Ducout : Ma question s'adresse plus particulièrement à M. Nifenecker. Les scénarios qu'il présente sur le réchauffement climatique, qui est un problème crucial, me paraissent intéressants.

Des études sont menées, par exemple, sur les problèmes des ressources en eau, pour retrouver, dans le moyen terme, voire le long terme, l'équilibre des sources d'approvisionnement. Retrouver l'équilibre signifie éviter la surexploitation et prévoir éventuellement des sources alternatives.

Or, dans votre étude, vous n'êtes pas allé jusqu'à chercher comment atteindre une stabilisation des rejets de carbone qui vous semble pourtant indispensable pour stabiliser la température. Cette stabilisation des rejets s'établirait au niveau de 3 milliards de tonnes de carbone, en envisageant une utilisation plus massive du nucléaire et une amélioration de l'intensité énergétique. Vous tenez compte également des progrès de la technologie en matière de télécommunications, qui peuvent réduire les déplacements, et les possibilités dans certaines zones, pour un confort quasi équivalent, d'un besoin d'énergie moins important qu'actuellement. Pour 2030, votre hypothèse concernant les besoins d'énergie primaire se situe à 18 milliards de tonnes d'équivalent pétrole, hypothèse qui peut être considérée comme relativement élevée.

Avez-vous établi un scénario, à échéance de 50 ou 80 ans, proposant diverses solutions permettant de stabiliser les rejets à 3 milliards de tonnes de carbone ?

M. Hervé Nifenecker : A l'heure actuelle, non, car il faut garder un minimum de sérieux. Il est difficile de travailler à une telle échéance. En tant qu'individu, je ne veux pas prendre cette responsabilité. En revanche, ce type de travail est envisagé par l'IEPE.

A partir de 2030, il convient de tenir compte de l'ensemble formé par l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables et dans lequel, pour ma part, je ne décèle aucune contradiction. La problématique reste la même, à savoir que l'on se heurte à la lourdeur des investissements par rapport au gaz, par exemple. Même dans le rapport du commissariat général du Plan, on constate que la part du gaz est loin d'être négligeable en France, ce que j'estime être une absurdité sur le plan de la lutte contre l'effet de serre. Si l'on veut simplement respecter les accords de Kyoto, il faudra bien compenser l'augmentation des émissions liées à l'usage du gaz, et ceci dans le secteur des transports, pour lequel la réduction des émissions est la plus difficile à mettre en oeuvre. L'augmentation de la consommation de gaz impliquera donc de consentir un effort encore plus considérable pour lutter contre l'effet de serre.

Pour ma part, j'estime qu'il est absurde d'encourager le développement du gaz en France. A partir de 2030, il faudra absolument tenir compte de l'ensemble constitué du nucléaire et des énergies renouvelables, notamment l'énergie solaire associée à l'hydrogène. L'une des pistes prioritaires consiste à réduire les coûts de production de l'hydrogène et à en développer l'utilisation. On produit actuellement 150 millions de tonnes d'hydrogène dans le monde, malheureusement avec du méthane et, par voie de conséquence, en produisant du dioxyde de carbone.

Si nous pouvons développer l'utilisation de l'hydrogène, les énergies renouvelables auront alors une application beaucoup plus large car elles perdront leur inconvénient majeur, à savoir le caractère intermittent de leur production. Si je prends l'exemple des éoliennes, mille éoliennes de 2 mégawatts produisent 2 gigawatts. Or, en l'absence de vent, il faut néanmoins continuer à faire face à la demande, ce qui resterait possible avec du nucléaire. Toutefois, cette solution n'offre aucun intérêt en raison de la lourdeur de l'investissement.

L'autre solution, qui consiste à combiner l'énergie éolienne et les turbines à gaz, fonctionne bien, mais signifie, d'une façon indirecte, que l'éolien produit des gaz à effet de serre. Il en est de même, d'une certaine manière, de l'énergie solaire. Si l'on pouvait utiliser l'énergie éolienne pour produire de l'hydrogène, ce problème disparaîtrait. Peut-être est-ce une solution à très long terme, mais nous réfléchissons dans cette direction.

L'espoir est permis si l'on développe, dans le même temps, le nucléaire. Cela implique des recherches tant sur des réacteurs qui brûlent mieux l'uranium ou le thorium que sur des réacteurs qui produisent moins de déchets. On peut supposer que la solution actuelle de l'enfouissement est valable, mais elle le serait certainement beaucoup moins si l'on augmentait massivement la proportion de l'énergie nucléaire. Se poseront alors des problèmes difficiles concernant le choix des sites.

M. Claude Mandil : Je voudrais, tout d'abord, répondre à la question de M. Leyzour portant sur les parts des différentes formes de production d'électricité.

J'ai là un document du ministère de l'Industrie selon lequel en France, en 1999, l'électricité représentait 37 % de la consommation d'énergie secondaire. Cette électricité était produite à 75 % par du nucléaire, à 14 % par de l'hydraulique, à 8 % par des combustibles fossiles, gaz et à charbon, et 3 % par des énergies renouvelables.

J'aimerais simultanément apporter une réponse à la question de M. Gaillard qui s'interrogeait sur la logique de cette situation, et à la question de M. Dosé qui souhaitait savoir si aujourd'hui les jeux sont faits ou si des ruptures, notamment technologiques, sont encore possibles.

Comme l'a indiqué M. Appert, il n'y a aucune logique ou, plus exactement, la logique fait que, comme la plupart des autres pays de la planète, la France n'est pas partie pour tenir les engagements de Kyoto et régler le problème de l'effet de serre. Néanmoins, cela ne signifie pas qu'il faut baisser les bras, au contraire. Je dirais même qu'il faut faire feu de tout bois, sous réserve de ne pas produire de CO2 !

M. Poignant demandait si les décisions pouvaient être repoussées dans le temps. Il est évident que certaines décisions doivent être prises à un moment donné. Peut-être n'est-il pas nécessaire de construire une nouvelle centrale nucléaire si aucun besoin d'énergie électrique n'est recensé dans l'immédiat. On sait que les centrales nucléaires dureront encore un certain temps. Toutefois, les décisions que nous ne devons pas repousser sont celles qui concernent les études à mener dans le domaine scientifique et technologique, pour trouver de nouvelles solutions.

Je répondrai un peu à la façon d'un savant Cosinus à la question de M. Dosé, qui demandait quelles étaient les ruptures technologiques possibles. Par définition, si on le savait, on le ferait. Restent trois pistes qu'il faut garder en tête, et dont certaines sont plus proches dans le temps que d'autres.

La première est incontestablement celle du nucléaire sans déchet. Je suis personnellement convaincu que celui-ci conduirait l'opinion mondiale à modifier totalement l'appréciation qu'elle porte sur le nucléaire et, par conséquent, changerait significativement les perspectives énergétiques et d'émissions de CO2 de la planète. Cette piste, qui fait déjà l'objet de recherches, devra encore être approfondie.

S'agissant de la séquestration du CO2, le phénomène est compliqué et on ne sait pas si l'on y parviendra. L'IFP, que je préside, mène actuellement des études et des recherches in situ, en association avec des compagnies pétrolières. Si l'on parvient, dans un avenir peut-être lointain, à séquestrer la totalité du CO2, voire une fraction significative de celui-ci, produite par des sources fixes de taille importante -usines, raffineries, centrales de production d'électricité- on changera totalement le bilan. J'ajoute que l'on redonnera alors une chance au charbon, dont l'un des principaux handicaps reste qu'il est le plus grand producteur de CO2 par kilowatt/heure produit.

En troisième lieu - et là nous sommes dans l'incertitude - il me semble que le secteur de l'énergie, dans son ensemble, ne s'est pas encore suffisamment penché sur la question de l'accroissement de l'efficacité énergétique qui permettrait de moins consommer d'énergie pour un usage équivalent.

Dans ce domaine, nous devons sérieusement étudier les pistes offertes par les biotechnologies et les sciences du vivant. Ce sont généralement des techniques très compliquées à mettre en oeuvre, mais extraordinairement efficaces et souvent à basse température, donc avec un bon rendement.

M. Pierre Radanne : Je suis très frappé par le fait que toutes vos interventions ont un rapport avec le temps, la question qui se pose étant de savoir comment s'organiser dans le temps.

Pour étayer ma réponse, il me faut d'abord me pencher sur les données de base pour lesquelles nous avons des certitudes qui couvrent la période allant jusqu'à 2010, voire au-delà. Aujourd'hui, la disponibilité de l'énergie dans le monde est satisfaisante. Il peut certes y avoir des problèmes transitoires, situation que nous connaissons aujourd'hui, mais nous ne sommes pas dans une situation de pénurie d'investissements énergétiques et de ressources, notamment en Europe. Cela doit être clairement énoncé aujourd'hui.

Le nucléaire n'est pas à l'ordre du jour actuellement. Mais comme l'a démontré M. Appert, ce choix n'est pas polémique, il tient à ce que peu de nouveaux réacteurs nucléaires, en raison des délais de construction, sont envisagés dans le monde d'ici 2010. La part du nucléaire restera stable jusqu'à 2010 et probablement au-delà. Si elle progresse de nouveau, ce sera plutôt vers 2020, voire 2030.

Ce sont les composantes de base des scénarios. S'agissant des énergies renouvelables et des économies d'énergie, différentes techniques sont à notre disposition. Nous les maîtrisons, elles sont disponibles et font partie des composantes de base à court terme sur lesquelles tout le monde est d'accord.

Au-delà, deux causes de rupture peuvent jouer. La première est celle du climat, qui exercera une pression forte sur l'ensemble des opérateurs, davantage pour la manière dont on consomme l'énergie que pour celle dont on la produit. L'augmentation de la consommation des pays en voie de développement constitue la deuxième source de tension.

D'ici 2020, les deux tiers des investissements de production électrique seront situés entre Bombay et Tokyo. Le Sud-Est asiatique consommera, en pétrole, l'équivalent de la production totale actuelle de l'OPEP. L'accès au développement de la multitude humaine agira forcément sur le contexte énergétique.

Il y a, en outre, de mon point de vue, trois facteurs sur lesquels nous avons des incertitudes pour le long terme.

La première incertitude, qui me parait la plus grave, est la suivante : quel sera le mode de vie de nos concitoyens en 2030 ou 2050 ? Nos modélisateurs font des projections linéaires, notamment en prenant en compte la demande des pays en voie de développement. Ils continuent, de façon hallucinante, à tirer à la hausse les consommations des pays développés, à un niveau tel qu'on ne voit pas comment les gens pourront consommer toute cette énergie.

A cet égard, les propos de M. Charpin sont tout à fait fondamentaux. La question de l'efficacité, s'agissant de la demande d'énergie, est une donnée prioritaire de long terme.

Le deuxième problème que nous rencontrons concerne le secteur des transports qui, dans le siècle prochain, sera celui qui nous posera le plus de défis. Aujourd'hui, il reste à 95 % dépendant du pétrole et sa consommation est en forte progression.

Enfin, se pose la question de la production d'énergie. A cet égard, j'aurai tendance à dire que les perspectives technologiques de notre société n'ont jamais été, de toute l'histoire de France, aussi importantes qu'aujourd'hui. Rien n'est joué sur ces questions.

Il me semble qu'il y a là des possibilités d'adaptation, de même que des contraintes. Toutefois, les différents scénarios des uns et des autres cherchent à articuler ces facteurs d'incertitude qui sont :

- la consommation d'énergie dans les pays du nord. Tous les scénarios aboutissent à des évolutions de consommation assez semblables pour les pays en voie de développement, mais divergent très fortement pour les pays développés ;

- les transports ;

- la production.

Au vu de ces facteurs d'incertitude, deux attitudes sont possibles : une attitude d'attente et une attitude de précaution.

L'attitude d'attente consiste à dire que les problèmes sont éloignés dans le temps, que notre pays dispose d'un approvisionnement qui ne pose aucune difficulté grâce au nucléaire. Attendons 2015-2020 et nous verrons alors ce qu'il faut faire.

La deuxième attitude repose sur la précaution et la préparation. Personne ne sait de quoi l'histoire sera faite. Le siècle qui se profile sera, en matière d'énergie, inévitablement plus violent que le siècle qui se termine, lequel a déjà été très difficile.

Dans ces circonstances, il faut, sans attendre, engager des investissements de précaution, développer la recherche, faire des efforts d'économie d'énergie qui correspondent, comme l'a indiqué M. Charpin, à des scénarios de moindre coût, élaborer des politiques de préparation et de diversification de la production énergétique de notre pays. Puis, quand l'histoire, heureusement ou malheureusement, frappera à notre porte, qu'il s'agisse du climat ou d'autre chose, nous aurons une marge de man_uvre suffisante pour faire les choix qui s'imposent.

M. Jean-Michel Charpin : J'ai été frappé par le fait que la question de la chronologie revenait souvent dans les interventions, notamment en ce qui concerne la filière électronucléaire. Nous nous penchons en effet à la fois sur des horizons très lointains, avec de ce fait beaucoup d'incertitudes sur les tendances, les diagnostics, les retournements possibles, et en même temps sur des phénomènes qui présentent des délais tels qu'on ne peut pas ne pas se poser la question de l'enchaînement des différentes étapes.

A cet égard, en ce qui concerne la filière électronucléaire, mon sentiment est que trois catégories de facteurs seront dominants dans la réflexion menée sur l'organisation de ces délais.

En premier lieu, notre parc nucléaire est aujourd'hui important. Il fonctionne de façon satisfaisante et est relativement récent. L'évolution des parcs nucléaires, dans le monde, tend à montrer qu'il est possible que les durées d'utilisation des centrales soient supérieures à celles que nous avions envisagées. Dès lors, la rationalité économique consiste évidemment à chercher à utiliser ce parc nucléaire, déjà assez largement amorti et qui fonctionne de façon satisfaisante, pendant une durée suffisamment longue.

En deuxième lieu, il conviendra d'organiser la transition pour les opérateurs et les entreprises actives dans ce domaine, afin de maintenir les savoir-faire en France. Le secteur nucléaire constitue un domaine d'excellence de l'économie française. Mais cette orientation peut poser problème à de jeunes ingénieurs ou chercheurs si les débouchés de cette filière ne sont pas suffisamment évidents.

Enfin, il convient de prendre en compte le progrès technologique. En effet, au vu des scénarios que nous avons pu chiffrer dans notre rapport et du contenu de notre discussion aujourd'hui, l'arbitrage entre la production de gaz à effet de serre et la production de déchets à haute activité et longue vie est loin d'être aisé.

Or aujourd'hui, compte tenu des technologies directement disponibles que l'on pourrait mettre en place immédiatement, nous sommes extrêmement contraints par cet arbitrage. Dès que l'on penche d'un côté, on doit payer plus de l'autre et vice versa. Pour sortir de cet arbitrage, il faut non seulement des efforts de recherche et d'expérimentation, notamment sur les réacteurs et les combustibles, mais aussi du temps.

Si l'on se fixe 2015 comme horizon, le schéma est alors extrêmement contraint et les arbitrages très brutaux entre gaz à effet de serre et production de plutonium et d'actinides mineurs. Si l'on situe à l'horizon 2025-2030, le spectre des possibles s'élargit. Les scientifiques estiment qu'avec des efforts de recherche, on peut alors sortir de cet arbitrage contraignant.

M. Hervé Nifenecker : Je voudrais intervenir sur la question des dangers, que nous avons déjà évoquée. Je ne pèse pas le pour et le contre entre le danger de l'effet de serre et celui des déchets nucléaires. Nous avons certes vu des accidents nucléaires très graves, mais ils restent dans l'ordre de grandeur d'autres accidents très graves, pour ne citer que la catastrophe de Bhopal qui a causé 2 500 morts et 5 000 invalides. Si les accidents nucléaires peuvent être graves, ils restent donc dans l'ordre de grandeur des accidents liés à d'autres technologies.

En ce qui concerne les déchets, il faut être plus précis. Tant qu'ils sont contrôlés dans les usines, à La Hague, par exemple, ils présentent un danger tout à fait minime pour la population. Il n'est pas envisageable de garder ces déchets en surface ou subsurface pendant des millénaires. La question est donc de savoir quels sont les risques réels, associés à un enfouissement profond auquel nous ne pourrons pas échapper. Même si nos réacteurs divisent par dix ou cent la quantité de déchets, nous aurons certainement toujours besoin d'enfouissements profonds.

S'agissant des risques liés à l'enfouissement profond, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a mené, pour le site de l'Est, une préétude très instructive. Elle suppose que cent mille tonnes équivalent de combustibles irradiés sont stockées. Elle étudie l'avenir de ces déchets, en supposant que, pendant mille ans, ils restent dans leur conditionnement initial et qu'au bout de mille ans, le conditionnement initial passe dans l'eau avec dissolution et diffusion dans la couche d'argile.

Par ailleurs, la norme établie par la DSIN représente le dixième de la radioactivité naturelle, pour les gens les plus exposés, à tous moments. De plus, les calculs de 1995 montrent qu'en réalité, la population la plus exposée, c'est-à-dire celle qui boit l'eau de la nappe phréatique et l'utilise pour le jardin, serait soumise à une dose de l'ordre du millième de la radioactivité naturelle. Il faut avoir conscience de ces chiffres.

Avec la croissance des émissions de gaz carbonique, l'augmentation possible de température atteindra 6 degrés en 2100 et 10 à 12 degrés par la suite, en prenant en compte la limite reconnue raisonnablement maximale du principe de précaution. Personne n'est capable de dire ce que la planète pourrait devenir dans ces conditions. Les calculs ne tiennent pas compte, par exemple, de l'évaporation des hydrates de méthane présents en quantité dans le permafrost. De plus, personne ne sait quels sont les risques liés à une modification de la calotte polaire de l'Arctique, alors que les températures augmenteront plus aux pôles qu'à l'équateur. Pour ma part, je suis persuadé que l'effet de serre, plus que les déchets nucléaires, représente un réel danger pour l'ensemble de la planète.

M. le Président : M. Daniel souhaite poser une question.

M. Jean-Claude Daniel : Quoique député, je suis aussi scientifique de formation, et mon attitude sera plus prudente que celle qui vient d'être exprimée, puisqu'il me semble préférable de s'en tenir au doute scientifique, dans le cadre de l'évolution d'un système souvent chaotique. On sait, au sens scientifique du terme, qu'un accident, même mineur, peut avoir des conséquences terribles, mais personne ne peut en faire la prédiction. Cela signifie donc que l'on est devant un degré d'incertitude tel que je ne me livrerai pas, pour ma part, à une comparaison de risques entre l'effet de serre et les conséquences du stockage des déchets nucléaires.

Notre devoir de législateur est de veiller au maximum aux conséquences de ce qui a déjà été entrepris, à la mesure des risques dans ces filières, puis au développement d'éventuelles technologies qui permettraient à la production énergétique de changer d'échelle. C'est la seule attitude que l'on puisse adopter.

Je suis élu dans l'Est, et le département dans lequel se trouve ma circonscription est la Haute-Marne. Avec mon voisin de la Meuse, nous délimitons donc le périmètre, de part et d'autre d'une frontière, dans lequel se situe le laboratoire de Bure. Je suis surpris, pour ne pas dire plus, que des informations aient pu être produites et indiquent très clairement aujourd'hui que l'hypothèse n'est pas celle d'un laboratoire scientifique à Bure, mais celle du stockage de milliers de tonnes de déchets radioactifs en couche profonde sur le même site.

Ceci est un des débats majeurs à l'Assemblée nationale. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette information qui, si elle n'est pas vraiment un scoop, mérite d'être confirmée.

M. Hervé Nifenecker : Je ne voudrais pas créer un incident diplomatique. J'ai effectivement vu des calculs de modèles, mais cela n'implique pas qu'ait été prise la décision de stocker cent mille tonnes de déchets radioactifs à Bure. Ces calculs permettent d'avoir une idée des dangers à long terme. Ce document, public, dans lequel figuraient ces calculs, date de 1995.

M. Jean-Claude Daniel : J'estime que le choix devra revenir à ceux qui en ont la responsabilité.

M. Hervé Nifenecker : Bien entendu, ce n'est pas moi qui le ferai.

M. le Président : Nous reparlerons, lors d'une prochaine table ronde, de la question des déchets, qui est extrêmement importante.

M. Félix Leyzour : Les stockages en profondeur sont-ils considérés aujourd'hui comme étant irréversibles ou estime-t-on être capable à un moment donné, d'accéder aux stocks et, en fonction des technologies nouvelles, de traiter ces déchets ? C'est là une question que beaucoup se posent lorsque l'on évoque le problème de l'enfouissement.

Enfin, l'énergie marémotrice n'a pas été évoquée. Ce type d'énergie a-t-il encore un avenir ? Un prototype a été réalisé en France sur la Rance et a eu certains inconvénients pour l'environnement. Néanmoins, si on parvenait à « dompter » l'énergie marémotrice, nous disposerions une énergie éternelle.

M. Olivier Appert : La Rance est un succès technique mais un échec économique. Au niveau mondial, une usine du même type existe au Canada, dans des conditions favorables de marnage important. Malheu-reusement, les perspectives de l'énergie marémotrice sont très limitées, car on ne peut pas produire l'électricité au moment voulu, mais seulement en fonction des mouvements de marée. Cela nuit, de façon très significative, à la rentabilité des investissements car les coûts sont élevés. Il faut aussi prendre en compte les impacts non négligeables de telles installations sur l'environnement.

En France, un autre projet a été envisagé dans la baie du Mont-Saint-Michel. Je ne suis pas certain que ce projet soit prioritaire et que l'impact énergétique justifie de se lancer dans ce type de grands projets.

M. Léonce Deprez : Qu'en est-il du mox et de son avenir ?

M. Jean-Michel Charpin : Je ne vous répondrai pas sur l'avenir du mox. En revanche, nous avons effectivement consacré un certain temps à étudier les impacts différentiels de trois scénarios. Le premier repose sur l'organisation actuelle. Le second se fonde sur l'hypothèse selon laquelle les vingt-huit tranches envisageables au maximum seraient alimentées avec du mox. Dans le troisième, le retraitement serait arrêté en 2010 pour donner le temps d'organiser les choses rationnellement.

Nos calculs donnent grosso modo le résultat suivant. Aujourd'hui, le passage par le mox augmente les coûts, même en considérant que les investissements nécessaires sont amortis, mais permet de réduire, d'une part, la quantité d'uranium consommé et, d'autre part, la quantité de déchets à longue vie et à haute activité produits.

M. le Président : Certes, le mox augmente les coûts, mais il consiste en une utilisation des déchets. Ce coût peut donc être imputé à la lutte contre la multiplication des déchets radioactifs.

M. Jean-Michel Charpin : C'est bien la situation actuelle. Il est tout à fait clair qu'elle est différente de celle envisagée initialement. En effet, les promoteurs de la filière du retraitement et du recyclage supposaient que le combustible ainsi obtenu serait moins coûteux que le combustible obtenu directement par enrichissement d'uranium.

Un certain nombre de paramètres se sont modifiés depuis, dont le principal est le prix de l'uranium lui-même, qui est beaucoup plus bas que celui envisagé à l'époque. Ceci est lié non pas à la situation du nucléaire en France, mais à la situation mondiale.

M. François Dosé : J'ai observé, lors de l'intervention de M. Nifenecker, que MM. Radanne et Mandil hochaient fortement la tête, de manière très dubitative. Cela signifierait-il qu'ils estiment que le stockage profond serait susceptible d'exposer la population non pas à un centième de la dose annuelle, mais plutôt à un dixième, voire à dix fois cette dose annuelle ?

M. Claude Mandil : Je n'ai aucune qualité pour vous répondre au titre de mes responsabilités actuelles, qui sont exclusivement en relation avec les hydrocarbures. Je répond donc au titre de mes activités passées. Si j'ai hoché la tête, c'est parce qu'il me semble que nous sommes aujourd'hui dans la plus totale incapacité à donner des informations aussi précises, en tout cas avec une certaine validité. Tout dépendra des travaux de recherche qui seront conduits dans le laboratoire de Bure.

J'ajoute, tout en restant en-dehors de mon champ de compétence, qu'il a été précédemment demandé si la voie choisie serait inéluctable ou réversible. La réponse à cette question incombe maintenant exclusivement aux parlementaires, car ce sont eux qui décideront. Je souligne ceci pour bien distinguer les responsabilités.

La loi dispose que, lorsque le Parlement bénéficiera de toutes les informations qui résultent des travaux effectués à la fois dans les laboratoires souterrains et sur les autres voies - transmutation, stockage et entreposage en surface -, il lui reviendra de décider si l'on utilise telle ou telle voie ou une autre, voire toutes, de façon réversible ou non. Ce n'est donc pas aux scientifiques de prendre cette décision à votre place.

M. Pierre Radanne : Je m'exprimerai avec clarté. Nous vous devons des avis qui nous engagent et qui soient francs. Ma ligne de conduite personnelle, sur le sujet, est de constater que la sagesse de l'humanité n'est pas assurée pour les siècles qui viennent, et tout cela implique que les uns et les autres en tirent les conclusions.

S'agissant de la première d'entre elles, il ne semble pas très judicieux de garder du plutonium « sur l'étagère ». Soit on fait du retraitement, auquel cas il faut utiliser le plutonium et non pas le stocker, soit on arrête le retraitement si on ne veut pas avoir de plutonium trié.

Quant à la deuxième conclusion, elle concerne le stockage des déchets nucléaires. Nous devons nous montrer responsables et faire en sorte que ces déchets soient mis à l'abri. Il n'est pas sage de les conserver à la portée de quiconque ou à la merci de quelque accident naturel ou autre.

J'apporterai un complément aux réponses données à la question de M. Leyzour. Non seulement ces déchets doivent être mis à l'abri, mais l'humanité a le devoir d'être responsable des matières qu'elle a créées, ce qui implique un devoir de réversibilité. Si l'on parvient, un jour, à neutraliser ces matières, il faut rester en position de pouvoir le faire. Ce point simple de morale élémentaire doit guider les actes des uns et des autres. Nous avons créé les déchets nucléaires, nous devons les assumer.

M. le Président : Je partage tout à fait ce point de vue. On ne peut abandonner ces déchets au hasard, géologique ou autre. Nous devons les garder en état, même si cela coûte de l'argent, pour pouvoir éventuellement, un jour, les retraiter.

S'agissant du plutonium, j'ai participé à un débat, sous l'égide de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, où le désarmement de la Russie et des Etats-Unis a fait l'objet de nombreuses discussions. Un processus de transformation de ce plutonium, actuellement « sur les étagères » ou présent dans les bombes désarmées, est en cours. Il faut rapidement le transformer en mox. Dès lors, il ne pourra plus être utilisé pour fabriquer des bombes atomiques, mais simplement pour alimenter une centrale électrique.

Dans le débat que nous venons d'avoir, les remarques des parlementaires viennent du fait qu'ils vous ont jugés trop neutres ou passifs. Vous avez admirablement montré les dangers, de manière scientifique, notamment concernant l'effet de serre, mais au-delà de ces avertissements, les députés pensent qu'il faut entreprendre autre chose. Cette réaction vous a permis d'aller plus loin dans vos engagements respectifs. Je suis tout à fait d'accord avec vous, notamment avec M. Radanne : nous ne pouvons pas rester passifs.

Il est évident que d'énormes investissements seront nécessaires, pour toutes les formes d'énergies -hydrocarbures, énergies renouvelables ou nucléaire- ainsi qu'en matière d'économies d'énergie. Si nous avons un message à faire passer, c'est celui d'accepter tous ces investissements pour faire face aux problèmes évoqués. En effet, personne ne sait quels sont les risques encourus suite aux dérèglements générés par la consommation actuelle d'énergie, mais de toute façon, ils ne peuvent être que très défavorables pour l'humanité. A cet égard, certains scénarios envisagés sont très inquiétants.

Cette séance a été fructueuse. Chacun d'entre nous, toutes tendances confondues, a été alerté. Ensuite, avec le gouvernement, auront lieu des débats et des projets nationaux et européens seront élaborés. Je vous remercie, messieurs, de votre apport.

TABLE RONDE N° 2

COMMENT RELEVER LES DÉFIS ENVIRONNEMENTAUX DE L'ÉNERGIE ?

Audition de MM. le Pr. Jean-Claude ARTUS,

Chef du service de médecine nucléaire du centre de lutte
contre le cancer de Montpellier

Yves LE BARS,

Président de l'Agence nationale pour la gestion
des déchets radioactifs (ANDRA)

Pierre RADANNE,

Président de l'agence de l'environnement
et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

Jacques REPUSSARD,

Directeur général adjoint de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

Philippe SAINT RAYMOND,

Directeur adjoint de la sûreté des installations nucléaires

(séance du 6 décembre 2000)

Présidence de M. André LAJOINIE, Président

M. le Président : Nos travaux d'aujourd'hui porteront sur les défis environnementaux de l'énergie.

La parole est à M. Yves Le Bars.

M. Yves Le Bars, président de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) : Si l'on veut relever les défis environnementaux de la production énergétique, il faut relever ceux qui sont posés par la gestion des déchets radioactifs.

Les questions posées par l'impact à long terme des activités humaines dans notre société sont parmi les plus sensibles, les déchets radioactifs étant à classer dans le même compartiment que la crise de la vache folle, le sida ou les organismes génétiquement modifiés.

J'énoncerai d'abord une banalité qui est parfois oubliée. Le problème des déchets radioactifs se pose aujourd'hui : les déchets existent déjà et sont issus des choix faits dans le passé en matière de défense, de production d'énergie et de santé.

Nous connaissons bien le montant du stock actuel et nous pouvons évaluer ce qui sera produit par le parc industriel existant. Ce sont les déchets engagés par notre génération. Tous les chiffres figurent dans le dossier qui vous a été distribué.

Actuellement, en France, 140 sites émettent une radioactivité significative selon un inventaire récemment publié par l'ANDRA.

Le centre de stockage en surface de l'Aube absorbe l'essentiel des déchets de faible et moyenne activité à vie courte. Les relations avec les collectivités locales y sont de qualité, aujourd'hui, et permettent de préparer une extension du site de stockage pour des déchets de très faible activité.

La gestion à court et moyen terme des déchets de haute activité est bien assurée puisque l'on n'enregistre pas d'accidents de transport, d'entreposage ou de stockage.

Au-delà, pour le très long terme, il est juste que notre génération prenne en charge la gestion à long terme des déchets qu'elle a engendrés. Ce n'est pas chose aisée dans un contexte de contestation du nucléaire et de très vive sensibilité aux conséquences imaginables à long terme.

Nous ne devons pas laisser s'établir une confusion entre cette responsabilité sur la gestion des déchets issus du passé et le débat sur l'avenir du nucléaire !

La loi du 30 décembre 1991 a donné à la France un cadre de grande qualité pour l'action des élus et des opérateurs.

Où en sommes-nous ?

La loi Bataille est à mi-parcours. Ses acquis sont nombreux et il faut en faire le bilan. Le débat avec la société doit être développé.

La loi de 1991 prend en compte le traitement des déchets radioactifs provenant de la recherche et de la médecine nucléaire, étant précisé que les deux tiers du volume des déchets radioactifs et la quasi totalité de la radioactivité sont issus de l'électronucléaire.

Cette loi a créé l'ANDRA, établissement public indépendant des producteurs. Elle a également créé la Commission nationale d'évaluation qui est une instance scientifique d'évaluation indépendante. En outre, elle a défini les principes de l'accompagnement économique associé à la création des laboratoires.

Vous me permettrez de souligner que la loi a été précisée et que nous travaillons aussi en mettant en _uvre des circulaires et plus rarement des décrets.

Une lettre interministérielle de 1995 a réparti le pilotage des trois axes de recherche entre l'ANDRA, qui est en charge du stockage géologique, et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) qui est responsable de la séparation, de la transmutation et de l'amélioration des colis de déchets et des entreposages.

De plus, une circulaire des ministres chargés de l'industrie, de la fonction publique, de la décentralisation et du budget, en date d'avril 1996, a précisé les modalités de l'accompagnement économique autour des laboratoires géologiques.

Le financement des activités est assuré, pour l'ANDRA, par des conventions avec les producteurs de déchets et dans le cadre de la dotation propre du CEA, pour les recherches sur la transmutation, avec des compléments contractuels pour les recherches sur la séparation et sur les colis.

Le Gouvernement a pris, le 8 décembre 1999, un certain nombre de décisions qui déterminent le travail actuel. Il a retenu un site de laboratoire en Meuse-Haute-Marne et a demandé qu'un nouveau site soit défini dans le granit. De surcroît, il a demandé que nous travaillions dans la logique de la réversibilité, que cette dernière soit prise en compte dans tous les projets et il a souhaité, dans un souci de plus large transparence, que l'inventaire comptable des déchets soit amélioré. J'ai, à ce sujet, remis au Gouvernement, au mois de mai dernier, un rapport sur la méthodologie de l'inventaire.

Où en est l'avancement des recherches ? Que pouvons-nous considérer comme acquis ?

Deux types de documents vous permettent de vous faire une idée à ce sujet : le rapport publié chaque année par le ministre de la recherche sur les trois axes de recherche et les rapports annuels d'évaluation de la Commission nationale d'évaluation (CNE).

On peut dire que la séparation des composants des combustibles usés, qui vise à séparer les différents radionucléides (soit pour en réutiliser certains, comme le plutonium et l'uranium, soit pour les traiter de façon à en réduire l'impact par un conditionnement spécifique ou dans la perspective de la transmutation) a bien avancé. La démonstration de la faisabilité industrielle de la séparation des principaux radioéléments aura bien progressé en 2006.

La transmutation qui consiste à réduire la radio-toxicité en changeant la nature des éléments dans des réacteurs nucléaires connus ou imaginés d'un type nouveau, appelle la mise en _uvre d'un programme de recherche de base et de développement technologique de trente à cinquante ans. Ce programme est bien engagé en France, y compris dans un cadre européen.

Je voudrais souligner que la transmutation a pris une place importante dans les discours publics sans qu'elle soit vraiment connue. Elle est invoquée pour reporter des solutions de stockage mais il convient de prendre garde à ce que cette solution ne devienne pas un alibi. Il relève, selon moi, du devoir des acteurs de la loi de 1991 d'en définir le potentiel et les limites.

La transmutation pourrait déterminer une nouvelle génération d'équipements moins producteurs de déchets. Mais l'échéance peut en être relativement lointaine, sa faisabilité et son bilan environnemental restant à établir : la transmutation peut réduire l'inventaire des déchets à vie longue mais sans atteindre un rendement de cent pour cent et le processus générerait d'autres déchets.

En conséquence, le recours à des solutions de stockage restera vraisemblablement inévitable, même en cas de transmutation. Les recherches initiées sur cette dernière permettront d'en dégager les perspectives pour le long terme et d'en préciser les contraintes.

En ce qui concerne les colis de déchets et les entreposages, on peut aujourd'hui garantir l'intégrité d'un colis de déchets hautement radioactifs, qu'il s'agisse de colis de déchets vitrifiés ou de combustibles usés, avec un conteneur spécifique, durant mille ans, à condition toutefois que ledit conteneur soit en situation stable, c'est-à-dire à l'abri des aléas climatiques, des mouvements sismiques et protégé de l'oxygène comme le permet la géologie.

Par ailleurs, l'entreposage est nécessaire, d'une part, pour permettre le refroidissement qui prend de dix à cinquante ans, d'autre part, pour attendre les autres solutions. Il est techniquement réalisable, mais ne peut en aucun cas être définitif et appelle une réintervention de la société.

J'en arrive maintenant à la solution des stockages géologiques à propos de laquelle je serai amené à parler de l'argile, du granit et de la réversibilité.

Les recherches conduites sur le stockage des déchets, en tirant parti de la géologie, sont socialement les plus délicates parce qu'elles nécessitent un travail sur site à travers des laboratoires de qualification de la roche. Un de ces laboratoires situé à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne est en travaux à Bure, depuis le décret du 3 août 1999. Les puits d'accès se creusent, ils sont à moins trente mètres et, pour l'instant, nous n'avons pas de mauvaises surprises.

Le comité local d'information et de suivi qui regroupe toutes les parties prenantes du secteur fonctionne et se réunit régulièrement sous la présidence du préfet de la Meuse. Les groupements d'intérêt public sont en place pour l'accompagnement économique prévu par la loi et ont reçu à la fin du mois de novembre les premiers versements pour financer les projets de développement retenus.

Les relations scientifiques se construisent autour du laboratoire, en particulier avec le pôle nancéien sur les sciences de la terre et avec de nombreux partenaires internationaux ; la semaine prochaine, un atelier regroupera tous ceux qui, dans le monde, s'intéressent à l'utilisation de la géologie pour le stockage des déchets radioactifs.

La visite du site est possible et les visiteurs s'y rendent nombreux.

Un groupe antinucléaire, hostile à l'implantation du laboratoire, a campé tout l'été à proximité. L'ANDRA a amorcé un certain nombre de discussions avec ses membres. Nous souhaitons que ces discussions se prolongent et nous envisageons, d'ailleurs, de donner à ces opposants, s'ils le souhaitent, une capacité d'expression dans les lieux d'accueil du public car nous estimons qu'un établissement public doit prendre en compte l'ensemble des opinions sur les projets qu'il conduit.

Envisageons-nous la création d'un deuxième laboratoire ? L'expérience d'autres pays montre qu'à l'appui des décisions, il faut proposer plusieurs alternatives, y compris en ce qui concerne le stockage géologique. Par ailleurs, il apparaît qu'il faut pouvoir conduire des recherches sur les avantages particuliers des granits français, à priori notables, aussi bien pour faciliter les échanges thermiques entre les colis et la roche que pour assurer la bonne tenue des ouvrages souterrains.

De nombreux autres pays envisagent d'avoir recours au granit pour le stockage de leurs déchets.

Après la remise du rapport de la mission collégiale de concertation granit, vous vous rappelez qu'un communiqué gouvernemental avait indiqué que le Gouvernement maintenait sa demande d'un travail de recherche sur deux sites géologiques différents pour le stockage en couches profondes. Il avait également rappelé que l'échéance de 2006 ne pourrait être décisionnelle que dans la mesure où la représentation nationale disposerait de résultats suffisants sur l'ensemble des voies de recherche.

Il nous faut tirer des leçons de l'échec de la mission granit. Celle-ci a noté dans son rapport la difficulté qu'elle a rencontrée pour faire comprendre le problème qu'il s'agissait de traiter eu égard à l'absence d'un débat national préalable et également à la faiblesse de la communication des opérateurs sur les trois axes de la loi.

Elle a également mis l'accent sur le peu de confiance dans les institutions en charge du nucléaire manifesté à cette occasion. Les compensations proposées dans le cadre de l'accompagnement économique ont été critiquées comme un achat des consciences.

Tout cela a empêché le dialogue et gêné le travail des élus.

Avant de reprendre les médiations concernant la recherche éventuelle d'un deuxième site, il apparaît que certaines conditions sont à remplir. Ces conditions sont non seulement nécessaires pour retenir un deuxième site, mais également souhaitables pour la recherche de sites susceptibles d'accueillir d'autres types de déchets, notamment pour les graphites issus des anciennes centrales nucléaires et les déchets radifères issus de l'industrie. C'est également vrai pour que, plus généralement, la gestion des déchets radioactifs se fasse dans un climat positif même s'il est permis de penser qu'elle sera toujours conflictuelle.

Tout en restant dans le cadre de la loi, il me semble que nous pouvons dégager trois priorités.

Premièrement, il convient d'améliorer la confiance que la société met dans le dispositif institutionnel et dans l'ANDRA qui est souvent traitée en bouc émissaire. Cette action passe par un éclaircissement à la fois des rôles exercés par chacun des intervenants et des mécanismes de financement des projets.

Il me semble que la Suède, à travers un dispositif institutionnel particulier, nous fournit un exemple de nature à nous aider à prendre du recul sur ces sujets.

Deuxièmement, il est essentiel de parvenir à mieux formuler les enjeux à l'échelon national afin que les principaux éléments du problème soient accessibles au plus grand nombre et qu'une meilleure coordination s'instaure entre les acteurs de la filière en particulier pour qu'ils s'expriment davantage sur les forces et les faiblesses des différentes perspectives étudiées et que nous soyons capables de présenter des scénarios pour la gestion à long terme.

Troisièmement, il faudrait préciser, toujours dans le cadre de la loi de 1991, le processus de négociation locale en tirant parti des mécanismes d'aménagement du territoire, ce qui n'a pas été possible au début de l'année 2000. Il est indispensable de mettre clairement en balance les servitudes et les bénéfices.

Vous me permettrez, avant de conclure, d'ajouter un mot sur la réversibilité. Je crois qu'elle constitue une exigence issue du dialogue mené vers 1996 autour des projets de laboratoire. Ce sont les collectivités acceptant le laboratoire, qui, suite à leurs délibérations, la demandent. Le Gouvernement nous a rappelé qu'il nous fallait travailler dans cette logique.

Il y a deux conceptions de la réversibilité : une conception qui se limite à pouvoir retirer les colis de déchets en particulier pour en réutiliser les composants et une autre conception consistant à piloter les différentes étapes de la vie des déchets tout en continuant à tirer éventuellement parti de la protection de la géologie. C'est sur cette seconde notion que travaille l'ANDRA, car si elle inclut la première, elle met aussi l'accent sur la surveillance à long terme pour pouvoir intervenir en cas d'écart entre l'évolution du stockage telle qu'il est prévu et ce qui peut être constaté.

Un stockage réversible doit pouvoir offrir des qualités comparables à celles de l'entreposage mais également permettre de profiter de la géologie pour stabiliser et contenir des déchets. En ce sens, le dernier rapport de la Commission nationale d'évaluation rejoint les préoccupations de l'opinion publique.

En conclusion, je dirai que les acteurs de la loi ont un travail de synthèse à faire et doivent améliorer leur capacité de dialogue. Aucun des trois axes de recherche définis par la loi n'est, en soi, une solution. La transmutation, l'entreposage, le stockage biologique ne peuvent pas se concevoir comme des solutions concurrentes. Ils sont complémentaires pour inventer, à partir des résultats de la recherche, des itinéraires de la gestion des déchets, pour proposer des alternatives et fournir les outils d'évaluation des différentes solutions en ce qui concerne la sûreté, la réversibilité et les conséquences économiques.

Jeter un regard au-delà de nos frontières nous permettra de souligner trois points.

Premièrement, quelles que soient les situations et les politiques énergétiques, les recherches pour la gestion des déchets se font selon différentes manières mais presque toujours en envisageant le recours à la géologie, qui est étudiée pour sa stabilité et ses capacités de confinement et qui permet, aujourd'hui, de traiter ce problème à long terme.

Les positions de trois pays le confirment. Vous aurez noté les déclarations du ministre de l'environnement allemand qui a récemment rappelé le choix opéré par son pays en faveur de la protection géologique. Vous connaissez par ailleurs les projets suédois qui font intervenir le granit. La Finlande, qui conduit une politique énergétique totalement différente, suit la voie empruntée par la Suède pour gérer ses déchets.

Deuxièmement, la confiance des citoyens à l'égard des opérateurs et du système de décision est une préoccupation constante.

Les pays qui avancent le plus sont ceux qui disposent d'un cadre institutionnel où les responsabilités et le financement apparaissent clairement. J'ai cité la Suède. Le Japon vient de consolider son schéma ; l'Espagne et l'Allemagne ont également des systèmes relativement avancés.

Troisièmement, il faut constater que les conceptions purement techniques des années 1980 ont fait place à une approche de la question de la gestion des déchets à vie longue qui tente d'intégrer les exigences sociales dans des processus itératifs et réversibles. On peut distinguer trois cas de situations d'échec ou de blocage symptomatiques qui mettent en lumière la nécessité d'ouvrir les recherches : la Suisse qui, n'ayant qu'une seule solution a dû reprendre son travail de synthèse, le Canada qui est arrivé à une situation de blocage et l'Allemagne qui, n'ayant elle aussi qu'une solution pour chaque type de déchets, vient de lancer une réflexion sur l'étude d'autres formations géologiques. Tout cela prouve bien qu'une solution unique signifie souvent non-décision.

Mon tout dernier constat sera donc le suivant : il faut des alternatives.

M. le Président : Je vais maintenant donner la parole à M. le professeur Jean-Claude Arthus qui va probablement porter un autre regard sur les problèmes qui nous intéressent ce matin.

M. Jean-Claude Artus, chef de service de médecine nucléaire du centre de lutte contre le cancer de Montpellier. Monsieur le Président, messieurs les députés, c'est bien effectivement au titre de médecin que je suis parmi vous ce matin et sans trop m'engager à la place de mes confrères, je crois être quelque peu le porte-parole du corps médical et notamment du corps médical qui utilise les radiations ionisantes pour le diagnostic ou pour les soins.

Vous m'avez demandé d'émettre d'abord un avis sur la perception du risque nucléaire par l'opinion publique, et de fournir ensuite des informations sur l'exposition naturelle à laquelle est soumise la population.

Je soulignerai un premier point qui a son importance : indéniablement, à l'expérience, ainsi que vous le savez, mesdames et messieurs, la perception du risque nucléaire est fondamentalement liée à un problème de santé.

Si on a peur du nucléaire, c'est bien parce que l'on craint pour sa santé, que ce soit à titre personnel ou collectif.

Cette remarque étant faite, je dresserai un constat. Il existe un très important décalage entre la crainte qu'a le public et l'observation médicale des effets des irradiations ionisantes sur la santé de la population.

Quels pourraient être ces effets ? Les accidents radiologiques sont peu fréquents : on peut citer le cas des deux irradiés de Forbach. Les rétrospectives faites aussi bien en France qu'à l'étranger montrent que des accidents se produisent comme dans toute activité humaine, notamment industrielle, mais qu'ils restent relativement peu nombreux. Vous savez, du reste, combien ils font l'objet de l'attention et de la préoccupation des médias...

En fait, le plus important des accidents dus à de fortes expositions qui ait été recensé en Europe est le fait de la pratique médicale. Il est survenu à Saragosse où, suite à un dérèglement, un accélérateur utilisé à des fins thérapeutiques a sous-estimé les doses délivrées ce qui a entraîné une vingtaine de décès.

Nous pourrions évoquer, bien que cela puisse susciter beaucoup d'autres remarques, les accidents liés aux fortes doses d'irradiation de Tchernobyl qui ont fait un nombre de victimes qui étonne beaucoup la population puisqu'il est à l'heure actuelle d'une trentaine de personnes : deux morts au moment de l'explosion et vingt-neuf autres victimes décédées des suites de l'irradiation.

Ce sont là des accidents radiologiques qui entraînent une pathologie parfaitement observable par le médecin. Cette pathologie est rare.

Le second impact sur la santé, qui est peut-être plus redouté encore que le précédent, tient à la reconnaissance du nucléaire comme facteur de risque cancérigène et nous savons bien que ce risque est la préoccupation première du public. Cela étant, il reste très peu observé. Des enquêtes épidémiologiques très conséquentes, je pense notamment à celles qui ont été menées sur les survivants d'Hiroshima et de Nagasaki, ont prouvé que des irradiations importantes - ô combien en l'espèce - génèrent un excès de cancers. Mais l'excès de cancers attribué, aujourd'hui, aux radiations ionisantes, en France, ne peut se déduire que d'extrapolations à partir, le plus souvent, de normes qui ne sont pas des seuils de dangerosité mais de précaution.

Pour autant, quand on demande à la population de dire quel facteur cancérigène elle redoute le plus, elle répond, bien sûr, le nucléaire, les déchets radioactifs, les rejets de centrales nucléaires. Le médecin épidémiologiste vous dit que le tabac fait autant de victimes qu'un Airbus qui s'écraserait tous les jours en France. Si un Airbus s'écrasait tous les jours en France, on interdirait tout transport aérien... Tel est pourtant aujourd'hui le poids du tabagisme en France.

Les principaux autres facteurs cancérigènes sont l'alcool, les déséquilibres alimentaires et les facteurs professionnels. Aujourd'hui, l'observation épidémiologique des facteurs liés aux rayonnements ionisants montre qu'ils sont incomparablement plus faibles que d'autres.

Après cette remarque et à partir de ce constat, vous me permettrez d'apporter quelques explications sur le décalage entre le phénomène et sa perception par l'opinion publique dont je viens de faire état.

Ces explications sont multiples et d'origines variées, mais la principale tient à l'absence totale d'informations et de transparence sur le problème. On parle beaucoup de transparence de l'information sur le nucléaire, mais cette information fait totalement défaut concernant les risques que peut présenter le nucléaire pour la santé. Pourquoi ? Parce que les médecins ne sont que très occasionnellement confrontés à ce risque et ne constatent que très rarement ses effets et ils en parlent donc peu. Demandez à un médecin d'évaluer le risque des rayonnements ionisants pour la santé, il ne saura pas trop vous répondre faute d'en avoir vu les conséquences, alors qu'il pourra parfaitement vous entretenir des risques du tabagisme et des déséquilibres alimentaires dont il mesure constamment les dégâts.

En conséquence, je dirai que le corps médical a une responsabilité !

Pour schématiser, j'ajouterai que ce sont les enseignants et l'ensemble des médias, qui sont les vecteurs de la communication, qui sont sources de la dimension émotionnelle de ce problème.

Il ne faudrait pas, non plus, passer sous silence le troisième acteur que je ne peux pas ignorer dans cette assemblée, c'est-à-dire le pouvoir politique que vous représentez, mesdames et messieurs, et qui, à mon avis, ne sanctionne pas assez la désinformation. Il y a un processus de désinformation qui, sans être systématique, appelle, lorsqu'il est patent, des sanctions qui n'existent pas aujourd'hui.

Vous m'avez, par ailleurs, demandé, monsieur le président, de parler de l'exposition des populations à la radioactivité naturelle.

Premièrement, cette exposition aux radiations naturelles a une valeur qu'il faut chiffrer lorsque l'on sait qu'elle existe. Elle est de l'ordre de 2,4 millisieverts, mais cette grandeur n'est pas très importante à retenir.

Cette radioactivité naturelle ou cette exposition d'origine naturelle a quatre composantes.

Premièrement, les rayonnements cosmiques, porteurs d'énergie qui représentent à peu près 15 % à 20 % des irradiations que nous recevons.

Cette composante cosmique augmente avec l'altitude, ce qui explique que l'on subisse un surcroît d'exposition en prenant l'avion. C'est aussi la raison pour laquelle l'homme n'est pas prêt à aller sur Mars. Si les ingénieurs nous permettent d'envisager d'y envoyer un engin, dans une ou deux décennies, les biologistes ne sont pas encore capables d'en faire revenir un homme vivant. L'irradiation cosmique que suppose un tel voyage serait mortelle et, aujourd'hui, nul ne sait comment envisager une protection ou une neutralisation de ses effets.

Deuxièmement, l'irradiation tellurique qui est de l'ordre de 17 % à 20 %. Notre sol est radioactif. Il génère une radioactivité et donc des rayonnements qui varient énormément en fonction de la composition du sol.

Troisièmement, notre auto-irradiation, compte tenu du fait que nous sommes naturellement radioactifs et donc auto-irradiés pour 8 % .

Quatrièmement, un gaz radioactif naturel qui émane du sol et qui est produit par la désintégration des filières de substances naturelles : le radon.

Ce gaz radioactif qui se piège dans nos intérieurs constitue la principale composante de notre exposition. Il représente à lui seul plus de 50 % de notre exposition naturelle, étant entendu que ses effets varient selon les circonstances.

Ce qu'il faut retenir de cette exposition naturelle, n'est pas tant la valeur que je vous ai indiquée, ou même les pourcentages car vous les oublierez, mais l'extrême variabilité de cette exposition naturelle. Si, vivant à Paris, vous allez passer huit jours aux sports d'hiver, l'augmentation d'irradiation naturelle que vous recevrez sera du même ordre de grandeur que celui des retombées de Tchernobyl en France estimées sur cinquante ans. Il faut savoir que si vous envoyez votre enfant, de Paris dans le Limousin, pendant deux mois de vacances, vous dépasserez la nouvelle norme d'un millisievert qui est proposée.

Il existe une irradiation naturelle artificiellement augmentée qu'il ne faut pas négliger et qui peut atteindre des seuils ayant une incidence sur la santé. C'est le cas de celle que supportent les mineurs dans les mines d'uranium où le radon atteint un tel taux de concentration que les enquêtes épidémiologiques ont montré, dans les années 1950, voire avant, que des cancers en surnombre pouvaient être imputés à la présence de ce gaz radioactif.

Aujourd'hui, les enquêtes épidémiologiques portant sur le radon dans l'habitat domestique n'arrivent pas à démontrer de façon évidente son action sur l'augmentation des cancers même si l'hypothèse ne doit pas être négligée.

L'exposition naturelle reste, et de loin, la part la plus importante de l'exposition à laquelle nous sommes soumis. Mais l'homme a créé d'autres sources d'irradiation dont l'exposition d'origine médicale : celle issue de la radiologie, de la radiothérapie, de la médecine nucléaire.

En moyenne, cette exposition médicale, dont nous sommes, nous, médecins, responsables, augmente de 50 % l'exposition naturelle.

La source d'exposition artificielle la plus importante après l'irradiation médicale est celle des retombées des essais aériens qui se sont déroulés entre les années 1950 et 1980. Les retombées des substances radioactives produites par les explosions dans la stratosphère sont responsables en moyenne d'une augmentation de 1 % de l'irradiation naturelle.

Dans un pays comme le nôtre, les rejets de toute l'activité industrielle, y compris l'électronucléaire et le retraitement, sont du même ordre et même un peu plus faibles puisqu'ils représentent 0,5 % de l'exposition aux rayonnements.

Dans ces conditions, vous comprenez pourquoi le corps médical ne peut pas être étranger à la préoccupation du public vis-à-vis du nucléaire. Quand il a peur du nucléaire industriel, le public n'a peur que de l'augmentation de 1 % de la radioactivité naturelle sans être conscient que le « nucléaire médical » est responsable d'une augmentation de 50 % même si sa contrepartie est perçue de façon plus directe, plus efficace et plus positive.

S'agissant de la proposition de M. Charpak qui, pour en finir avec cette difficulté du recours à des unités telles que celles que j'ai utilisées - millisievert, bécquerel et autres- propose comme d'autres, mais avec l'avantage que lui procure sa notoriété, de faire référence à une composante de l'exposition naturelle.

Or, parmi les composantes de l'exposition naturelle à laquelle nous sommes soumis, la plus constante est celle de notre auto-irradiation. Celle du sol varie, celle du cosmos également, en fonction de l'altitude, tout comme la plus importante, celle due au radon, qui diffère selon les conditions de vie et d'habitat. La composante d'auto-irradiation est donc celle qui est la plus à même d'offrir une référence puisqu'elle représente, à elle seule, environ 10 % de l'exposition naturelle.

Pour ma part, comme d'autres, dans mes conférences ou mes discussions avec le public, j'ai pris l'habitude de prendre pour référence, car une référence me semble nécessaire, la journée d'exposition moyenne ou l'exposition moyenne annuelle. Il est en effet beaucoup plus facile d'expliquer au collectif des « mères en colère » de La Hague que l'irradiation des rejets de La Hague correspond à celle d'un séjour d'à peine huit jours à la montagne que de l'évaluer à 80 ou à 100 microsieverts. Il me semble que le fait de prendre en référence l'exposition naturelle et l'auto-irradiation permettrait au public de mieux s'y retrouver dans l'appréciation des risques et que cela serait de nature à résorber l'important décalage qui existe actuellement entre la perception qu'a le public du risque nucléaire et celle qu'en ont les médecins.

Pour terminer je réparerai une omission en signalant qu'il ne se trouve probablement pas une seule personne du public qui ne pense pas qu'il y ait un excès de leucémies à La Hague, ce qui est totalement faux d'après les épidémiologistes. Vous qui connaissez la question, vous le savez peut-être, mais le grand public pense que les rayonnements ionisants entraînent de nombreux troubles ou anomalies congénitales génétiques. Or, les épidémiologistes n'ont pas plus repéré à Hiroshima, qu'à Nagasaki ou à Tchernobyl, de tels effets sur la descendance des personnes irradiées.

Tel est, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, la teneur du message que je voulais vous transmettre.

M. le Président : Je vous remercie pour cet exposé qui va sûrement susciter des questions.

La parole est maintenant à M. Saint Raymond.

M. Philippe Saint Raymond, directeur-adjoint de la sûreté des installations nucléaires : Le professeur Artus vient de remettre à sa juste place l'impact des installations nucléaires en fonctionnement normal.

Auparavant, Yves Le Bars avait évoqué la question des déchets qui constitue l'un des problèmes importants posés par le fonctionnement des installations nucléaires. Il me revient donc en tant que directeur-adjoint de la sûreté des installations nucléaires, de parler du risque d'accident nucléaire qui est évidemment le second des gros inconvénients que présentent ces installations.

La première question que l'on peut se poser est la suivante : ce risque est-il important ?

Statistiquement, il ne l'est pas, car les installations nucléaires enregistrent extrêmement peu d'accidents. Leur rareté explique d'ailleurs que nous disposions de peu de statistiques et que nous nous soyons donc livrés à ce que l'on appelle des études probabilistes pour tenter d'estimer la probabilité de voir se produire un accident grave sur une installation nucléaire. Des résultats de ces études, avec toutes les réserves que l'on peut avoir quant à leur caractère théorique, il ressort que ce risque se situe cent ou mille fois en dessous du risque de connaître un accident grave sur les installations industrielles classiques.

En France, comme dans l'ensemble du monde, il existe un système de contrôle des risques nucléaires, exorbitant du droit commun, et qui est beaucoup plus rigoureux que celui qui s'applique aux autres industries à risque.

Où est l'erreur ? Est-ce que l'on sous-estime le risque des installations nucléaires ou est-ce que l'on a surestimé la nécessité d'un système de contrôle important ?

Je crois que finalement il n'y a pas d'erreur. L'importance du système s'explique par le fait que l'opinion publique - non seulement en France mais dans l'ensemble du monde - est particulièrement exigeante en raison de la nature même du risque nucléaire et des enjeux en cause qui sont tout à fait particuliers.

Le risque nucléaire est d'abord ressenti comme quelque chose de nouveau. L'implantation de grosses installations nucléaires susceptibles de menacer la sûreté des citoyens remonte globalement à une génération ce qui n'est pas suffisant pour que ce risque soit totalement entré dans les m_urs.

Le risque nucléaire est ensuite un risque qui est, à juste titre ressenti comme insidieux parce que les radiations nucléaires, comme vous le savez, ne sont pas perceptibles par nos cinq sens. Quand un problème survient dans une installation chimique, on voit les gaz chimiques se répandre. En revanche, personne n'a vu se répandre le panache de Tchernobyl, ni en France, ni à proximité de la centrale. C'est un risque que l'on ne voit pas arriver, ce qui justifie que l'on soit, à son égard, plus exigeant.

Le risque nucléaire est enfin de nature catastrophique puisque, dans les cas les plus graves, il peut avoir des effets à longue portée et à longue durée, à la fois dans l'espace et dans le temps. Dans l'espace, car le nuage de Tchernobyl avait dérivé sur l'ensemble de l'Europe, sinon de l'hémisphère nord et dans le temps car, quatorze ans après la catastrophe, les terrains situés à proximité de la centrale restent gravement et durablement pollués, sans qu'on sache encore comment les réhabiliter.

Bien que le risque nucléaire soit objectivement un risque faible, certains enjeux justifient donc qu'il soit complètement maîtrisé et contrôlé.

Un système exorbitant du droit commun a donc été créé pour le surveiller.

Vous savez que les risques industriels habituels sont régis dans le cadre de la législation et de la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, selon une organisation élaborée à l'échelon départemental, sous l'autorité de chaque préfet. Dans le cas des installations nucléaires, en revanche, on a voulu un système réglementé au niveau national et c'est par décret que sont autorisées les installations nucléaires.

Elles obéissent donc à un système d'autorisation beaucoup plus solennel et à un système de contrôle beaucoup plus strict. Pour les installations classées pour la protection de l'environnement, un inspecteur est en charge de quelques centaines ou de quelques milliers d'installations alors qu'il y a pratiquement un inspecteur attaché à chaque installation nucléaire.

Vous m'objecterez qu'au nombre des installations classées pour la protection de l'environnement, on trouve de tout, y compris des petites menuiseries industrielles qui n'appellent évidemment pas le même degré de surveillance qu'un réacteur nucléaire... Il n'empêche qu'il existe tout de même une disproportion flagrante entre les moyens consacrés au contrôle des industries classiques, y compris les plus dangereuses, et ceux qui sont consacrés au contrôle du nucléaire.

Avec la mise en place d'un tel système, a-t-on atteint un degré satisfaisant de sûreté nucléaire et, puisque le spectre de Tchernobyl plane toujours, est-ce qu'un accident de ce type peut survenir en France ? Il est relativement facile de répondre à cette question car un accident identique à celui de Tchernobyl ne peut pas se produire en France !

Pourquoi ? Parce que les réacteurs utilisés en France sont d'une conception différente. A Tchernobyl, le réacteur était, bien entendu, doté d'un système d'arrêt d'urgence comme c'est le cas pour les réacteurs français. Il était néanmoins beaucoup plus lent que celui des réacteurs français et commençait par accélérer la réaction nucléaire avant de l'arrêter, ce qui, évidemment, n'est pas une bonne chose... Le système français, lui, ralentit d'un coup la réaction et la stoppe.

Il est une autre différence notable entre les réacteurs de Tchernobyl et les réacteurs français. Il existe un coefficient de vide qui est négatif sur les réacteurs français et qui était positif sur le réacteur de Tchernobyl. Dès que l'eau qui sert à refroidir le combustible nucléaire se met à bouillir, il se produit un vide qui décélère la réaction nucléaire dans les installations françaises et qui l'a accélérée dans le réacteur de Tchernobyl.

En outre, une enceinte de confinement, prévue dès le départ pour les réacteurs français, qui avaient été copiés sur les réacteurs américains, faisait défaut à Tchernobyl même s'il faut bien dire que, dans le cas de Tchernobyl, sa présence n'aurait pas changé grand-chose, puisque, vu les circonstances de l'accident, elle aurait aussitôt volé en éclats !

Si un accident identique à celui de Tchernobyl ne peut donc pas se produire sur les réacteurs français, on ne peut pas dire pour autant qu'un accident grave - c'est-à-dire avec fusion du c_ur - ne soit pas envisageable sur les réacteurs français. En revanche, il est possible de dire que l'exploitant de ces réacteurs, EDF, et l'organisme de contrôle que je représente ici font tout pour l'éviter.

Des précautions ont été prises dès le départ : j'ai cité l'enceinte de confinement qui peut, en cas de fusion du c_ur, dans des conditions moins explosives que celles de Tchernobyl, retenir les produits radioactifs et empêcher qu'ils ne se dispersent à l'extérieur.

Des améliorations ont également été apportées après les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl, dont notamment un système de décompression de l'enceinte. L'enceinte de confinement est utile, mais on peut craindre qu'elle ne puisse pas résister à une montée en pression, et qu'elle se mette à fuir. C'est pourquoi il a fallu inventer un système de décompression de l'enceinte, filtrant naturellement les gaz radioactifs rejetés à l'extérieur. Ce système a été rajouté sur les réacteurs français.

Bien qu'il s'agisse d'une mesure d'une toute autre nature, je citerai également la décision prise il y a quelques années, de distribuer préventivement, à proximité des centrales nucléaires, de l'iode stable qui a la propriété de saturer la glande thyroïde en iode et d'éviter ainsi qu'elle absorbe l'iode radioactif qui serait émis lors d'un accident nucléaire.

L'utilisation des pastilles d'iode avait été prévue en France, mais leur distribution préventive à la population, pour qu'elle soit prête en cas d'accident, ne remonte qu'à quelques années.

Nous pouvons donc estimer qu'à l'heure actuelle les réacteurs français ont une bonne sûreté. Nous avons néanmoins jugé que cela n'était pas suffisant et que si l'option nucléaire devait être maintenue en France, ce qui évidemment, ne dépend pas de nous, il conviendrait que les réacteurs de la prochaine génération soient encore plus performants.

Dans cet esprit, voilà déjà dix ans que nous avons entamé un dialogue avec EDF sur la nature de ces réacteurs de la prochaine génération et nous avons demandé que leur sûreté soit encore améliorée sur trois points particuliers.

Le premier point concerne la prévention de la fusion du c_ur qui est l'exemple même de l'accident grave contre lequel un certain nombre de précautions peuvent être prises.

Je n'en citerai qu'une à titre d'exemple. Sur les réacteurs actuels, nous avons l'habitude de fonctionner avec ce que l'on appelle en jargon technique la « redondance à deux trains ». Cela signifie que toutes les fonctions de sûreté importantes sont assurées, non pas par un seul système, mais par deux systèmes parallèles, de manière qu'en cas de défaillance de l'un, l'autre puisse prendre le relais.

Pour les fonctions de sûreté les plus importantes des réacteurs du futur, il est envisagé d'obtenir une « redondance à quatre trains ». Quatre systèmes en parallèle seraient donc susceptibles d'accomplir la même fonction. Il ne faudrait pas en déduire qu'un seul système suffirait. Les systèmes seraient de dimension moindre et au moins deux systèmes devraient fonctionner, étant entendu qu'il est plus probable d'avoir deux systèmes sur quatre qui fonctionnent, qu'un sur deux.

Le deuxième point sur lequel nous avons demandé des améliorations du système de sûreté des réacteurs du futur concerne la limitation des conséquences de la fusion du c_ur.

Malgré toutes les précautions prises, on n'atteint jamais le risque zéro et il faut donc parvenir à limiter les conséquences d'un tel accident. Le point faible des réacteurs actuels, concerne le radier, c'est-à-dire le fond du réacteur. Il existe bien une enceinte de confinement, mais, en cas de fusion du c_ur, des métaux liquides à très haute température seraient déversés sur le béton formant le fond de l'enceinte et l'attaqueraient sans que l'on sache jusqu'où. C'est ce que l'on appelle « le syndrome chinois » qui verrait le c_ur du réacteur s'enfoncer jusqu'au centre de la terre pour ressortir de l'autre côté, en Chine, étant entendu qu'il n'y arriverait pas et que l'autre côté, en l'espèce ne serait pas la Chine... Quoi qu'il en soit, il existe bien un risque d'attaque par le fond du réacteur !

Pour prévenir ce phénomène, nous avons demandé aux concepteurs du réacteur du futur d'étudier une sorte de système appelé en anglais le « core catcher ». Il s'agit d'un dispositif susceptible de récupérer le c_ur en fusion et d'intégrer un système de refroidissement pour empêcher le « syndrome chinois ». Il faudrait quand même laisser le c_ur refroidir pendant un an avant d'envisager de l'approcher... La mise en _uvre de ce système diminuerait fortement les risques.

D'autres perfectionnements devraient également être apportés à ces réacteurs du futur pour diminuer les conséquences d'une fusion du c_ur.

Nous avons enfin demandé le renforcement de la protection contre les agressions externes que sont, par exemple, les séismes, les chutes d'avion, les effets d'une explosion qui aurait lieu à l'extérieur de la centrale.

A cette fin, nous avons également demandé de « durcir » le dimensionnement des réacteurs du futur afin de mieux faire face à ces risques qui sont très faibles. Jamais un séisme n'a menacé sérieusement un réacteur, jamais un avion n'est tombé sur une centrale ou dans l'enceinte d'une centrale, jamais une explosion importante ne s'est produite à proximité. Aussi faibles soient-ils, des risques que les probabilistes parviennent à quantifier, existent et ne sont donc pas totalement négligeables. Cela nous a conduits a demander un renforcement de la protection.

Puisque mon voisin me souffle perfidement que je n'ai pas évoqué les inondations...(Sourires) ...je dirai qu'elles représentent un risque moins hypothétique que ceux que je viens d'évoquer. Le risque est vraiment propre à chaque site et c'est donc sur chaque site qu'il doit être examiné. Bien entendu, suite à l'épisode qui a eu lieu l'an dernier sur le site du Blayais, nous avons demandé à EDF, de procéder à un réexamen des risques d'inondation sur l'ensemble des sites et de prendre pour les plus exposés, qui sont au nombre de quatre ou cinq, des mesures supplémentaires analogues à celles qui ont déjà été prises au Blayais où la digue a été remontée de la cote de 4,2 mètres à celle de 8,5 mètres.

M. le Président : La parole est maintenant à M. Jacques Repussard.

M. Jacques Repussard, directeur général-adjoint de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS). Je vais vous parler des pollutions et nuisances de proximité liées à l'énergie dont un certain nombre n'inquiétaient pas, dans le passé, la majeure partie de nos concitoyens.

Contrairement au risque nucléaire qui a été probablement surestimé dans le subconscient collectif, les risques chimiques sont globalement sous-estimés et appellent des précautions dont les politiques publiques doivent se préoccuper.

Je voudrais évoquer les risques liés à la production de l'énergie et, d'autre part, les nuisances qui sont la conséquence des sources diffuses liées à l'utilisation de l'énergie.

En ce qui concerne la production de l'énergie d'origine non-nucléaire, on constate une amélioration permanente et qui doit se poursuivre des techniques de production propre de l'énergie.

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) notamment, a fait beaucoup progresser les choses en ce domaine.

L'incinération dont on parle en ce moment pour les farines animales qui sont brûlées notamment dans les cimenteries ne doit pas être considérée comme un procédé dangereux car elle peut se faire proprement, sans rejets excessifs.

Les énergies dites renouvelables ne sont pas toutes exemptes de nuisances. Les éoliennes peuvent être bruyantes, enlaidir le paysage, et présenter des inconvénients dont il convient de se préoccuper en termes techniques si l'on veut qu'elles puissent être bien acceptées par les populations.

Concernant la production de l'énergie, il est un sujet fréquemment oublié et qui n'intéresse pas seulement le nucléaire : je veux parler de l'héritage. On évoque beaucoup les déchets du nucléaire, mais l'héritage doit également être pris en compte pour les autres sources d'énergie.

Les anciennes mines de charbon ou de fer, actuellement fermées ou en voie de fermeture, sont des sources de risques et de nuisances pour l'environnement. On le voit bien avec les mines de fer de Lorraine, qui sont peu profondes, et sont inondées, provoquant une grave pollution de certaines nappes phréatiques. On a beaucoup de peine à maîtriser ce type de phénomène. Il faut donc réfléchir à une solution suffisamment tôt tant que l'on a encore accès aux galeries.

Par ailleurs, ces mines présentent des risques d'effondrement. Petit à petit, toutes les parties excavées s'affaissent et peuvent causer l'écroulement de voies de chemin de fer, d'autoroutes, voire d'immeubles d'habitation.

Ce sont donc là des dangers qui existent et dont il convient de se préoccuper.

Il faut également souligner que certains sols, qui étaient occupés antérieurement par des anciennes usines à gaz sont pollués.

C'est là un phénomène préoccupant car certaines communes souhaitent réhabiliter ces espaces et veulent parfois y construire des écoles ou des stades. Le Stade de France a été érigé sur un de ces sites. Cela peut présenter des risques pour les personnes vivant dans les parages si l'on n'y prête pas attention.

J'en arrive au second point de mon exposé qui concerne les sources diffuses de risques liés à l'utilisation de l'énergie, ce qui me conduira à vous parler des transports, des problèmes d'air intérieur et des problèmes liés à l'énergie portable.

Pour les transports, et plus particulièrement les transports routiers, la technique du secteur automobile progresse très rapidement mais elle est rattrapée par la croissance du volume du trafic.

Les moteurs diesel ont fait beaucoup de progrès et, exception faite de certains épisodes consécutifs aux circonstances climatiques, une amélioration de la qualité de l'air est constatée dans les villes mais la pollution immédiate enregistrée dans les rues continue à atteindre parfois des niveaux inquiétants.

La pollution due aux transports routiers pourrait être réduite en ayant recours à des techniques nouvelles. On parle beaucoup de la pile à combustible qui est une perspective bien réelle quoiqu'un peu plus lointaine que le perfectionnement du moteur diesel. Sur la pile à combustible, la France est plutôt en retard par rapport à l'Allemagne, au Canada, au Japon ou aux Etats-Unis, ce qui est un peu regrettable car il s'agit certainement là, d'une technique d'avenir. Je trouve un peu dommage qu'en la matière ce soit une firme étrangère qui tienne « le haut du pavé » en Europe...

La pile à combustible réclame de l'hydrogène qu'il faudra stocker à des pressions élevées, ce qui comporte des risques.

Face aux industriels, ou aux organismes tels que le CEA qui assurent le financement des programmes de recherche sur la maîtrise de cette technique nouvelle, nous regrettons l'absence d'un pôle de compétence indépendant, qui serait chargé de la question de la manipulation de l'hydrogène liquide, pôle que l'INERIS pourrait contribuer à animer.

Le dialogue social doit nécessairement s'appuyer sur des sources indépendantes, pour permettre l'évaluation des risques et l'instauration d'un débat entre les techniciens et les experts qui réfléchissent aux problèmes de sûreté.

Le ferroutage constitue un autre facteur de réduction des pollutions liées aux moteurs à explosion.

Il s'inscrit dans des perspectives qui vont être très onéreuses et étalées dans le temps. Il faut évoquer là le problème du transfert de risques. En faisant passer des trains chargés de matières dangereuses dans des gares situées le plus souvent dans le centre des agglomérations, on accroît le risque d'accident chimique.

De même, on peut imaginer l'écho dans l'opinion publique si un accident comparable à celui du tunnel du Mont Blanc se produisait dans un tunnel ferroviaire où un train de matières dangereuses croiserait un train de voyageurs.

Ce sont des éventualités dont il faut se préoccuper. L'INERIS a, parmi ses missions, celle d'évaluer ce type de risques pour le compte, par exemple, de Réseau ferré de France.

Je voudrais maintenant évoquer un tout autre sujet, celui de l'air intérieur. On se sent en sécurité chez soi alors que des études assez récentes montrent que des phénomènes de pollution chimique de l'air intérieur peuvent parfois poser plus de problème que ceux de pollution de l'air extérieur. Des études diligentées dans le cadre européen démontrent par exemple que des enfants peuvent être exposés au benzène qui résulte en partie du chauffage domestique, de l'utilisation des cuisinières à gaz, voire des moteurs de voitures stationnées dans des garages plus ou moins ouverts sur le reste de la maison. A la suite de la réduction des normes de sécurité pour la ventilation des immeubles qui a fait suite à la crise de l'énergie, cette pollution de l'air intérieur représente un problème de santé publique difficile à évaluer parce qu'il se situe à la limite de ce que peut faire l'épidémiologie.

Il s'agit en effet d'expositions sur de très longues durées dont on ne connaît pas bien les conséquences. Il y a, en la matière, une méconnaissance des risques à laquelle il faut remédier.

Il existe un Observatoire de l'air intérieur qui a été créé conjointement par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l'INERIS mais les moyens qui lui sont affectés restent très faibles. Pourtant, les études qui ont été conduites sur le sujet prouvent que ce sont des phénomènes qui mériteraient que l'on s'en préoccupe davantage, compte tenu du hiatus considérable qui existe entre la sûreté prêtée à la maison dans le subconscient collectif et la réalité. Dire au public que l'air intérieur est dangereux pourrait donner lieux à des phénomènes incontrôlés.

Il faudra que l'ADEME prenne en compte cet aspect des choses dans la réflexion qu'elle mènera sur les normes de ventilation.

Nous pourrions également mentionner la qualité sanitaire de l'air conditionné, mais cela nous conduirait à dépasser le cadre de l'énergie qui est celui de notre débat...

Le dernier volet de mon exposé est consacré à l'énergie portable. Vous savez que les téléphones portables et autres appareils de ce type se diffusent rapidement et la presse a émis des suspicions sur l'impact sanitaire des rayonnements électromagnétiques des téléphones portables. Ces craintes ne portent d'ailleurs pas seulement sur les appareils eux-mêmes, mais également sur les antennes qui peuvent être installées un peu partout, y compris sur les toits d'hôpitaux ; il y en a même une sur le château d'eau de l'INERIS ! Nous avons étudié les risques de déclenchement d'explosion que présentent de telles installations puisque nous nous occupons de la sécurité des explosifs, mais nous ne nous sommes pas intéressés à leurs effets sanitaires, faute d'avoir une connaissance suffisante du sujet.

Ces phénomènes devraient faire l'objet d'études plus approfondies. Les constructeurs de matériels téléphoniques se préoccupent de ces problèmes mais nous déplorons la faiblesse des sources d'expertise indépendantes. On a fait ce qu'il fallait pour le nucléaire mais les moyens attribués pour les autres risques restent très faibles ce qui est d'autant plus regrettable que les crédits nécessaires ne seraient pas exorbitants.

Il n'y a pas que le seul problème des rayonnements, il y a celui des batteries, des piles, de leur récupération et de leur retraitement. L'ADEME a mis en place un dispositif de collecte et de retraitement des batteries. C'est une industrie qui n'est pas sans risque. Je vous rappelle que les batteries automobiles posent des problèmes sanitaires, non seulement sur les lieux de travail car les usines de recyclage de ces batteries au plomb sont souvent des usines anciennes, mais également sur toute la zone où vivent les familles des employés.

Il existe donc des risques sanitaires qui sont liés à l'industrie de récupération et du retraitement de ces produits.

Pour résumer mon message, je dirai qu'il y a de multiples sources diffuses de nuisances. Les questions qu'elles posent peuvent surgir de façon imprévue dans le débat public et mettre en cause les administrations et le pouvoir politique qui pourraient se trouver accusés de ne pas faire preuve de la prévoyance suffisante. La réaction de l'opinion publique au naufrage de l'Erika peut se reproduire sur d'autres sujets. L'insuffisance objective des moyens scientifiques de prévention constitue un problème qui commence à se faire jour.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales de votre assemblée examine d'ailleurs aujourd'hui la proposition de loi sur la création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale et un amendement du Sénat propose d'y inclure l'INERIS.

A ce sujet, je tenais à vous dire, puisque cela intéresse directement la Commission de la production et des échanges, que l'INERIS est loin de consacrer ses compétences aux seuls aspects sanitaires. Elle s'occupe de l'ensemble du risque chimique, des problèmes de sécurité dans les tunnels et dans les anciennes mines. Or, si l'INERIS vient à passer dans le dispositif du code de la santé publique, l'ensemble des risques ne seront plus dans l'axe principal de ses missions et risquent d'être moins suivis. Nous avons attiré l'attention des ministres et des parlementaires principalement concernés, sur le fait qu'il convenait de prendre en compte l'ensemble des risques environnementaux et pas seulement les risques sanitaires.

C'est un débat qui est en cours et auquel vous aurez peut-être à apporter votre contribution.

M. le Président : Le dernier orateur prévu était M. Michel Mousel, président de la Mission interministérielle sur l'effet de serre. Il devait nous dire si les engagements pris à la conférence de Kyoto étaient fondés sur des critères scientifiques ou résultaient d'un compromis politique, où en étaient la France et l'Europe vis-à-vis de ces engagements, et enfin nous donner son sentiment sur les raisons de l'échec de la conférence de La Haye et sur les moyens les plus pertinents pour réduire les rejets de gaz carbonique dans l'atmosphère.

Empêché, il a délégué si l'on peut dire, ses « pouvoirs » à M. Pierre Radanne que nous avons déjà entendu hier et qui, j'en suis sûr, va également exceller sous cette nouvelle casquette et nous apporter tous les éclaircissements attendus.

Monsieur Radanne, vous avez la parole.

M. Pierre Radanne, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, au milieu des catastrophes environnementales, je dois vous infliger une seconde fois ma présence...(Rires.) Effectivement, Michel Mousel est indisponible et je dirai que c'est pour la bonne cause.

L'échec de la conférence mondiale sur les changements climatiques de La Haye n'est que provisoire puisque le président de la conférence, M. Jan Pronk, n'a pas clos la conférence mais l'a simplement ajournée avec la volonté d'aboutir. Des négociations sont reprises aujourd'hui à Ottawa. Elles devraient déboucher sur une conférence restreinte les 14 et 16 décembre, ce qui est la preuve de la volonté des uns et des autres de dépasser les difficultés. Sur ces dernières, je m'exprimerai avec le plus de clarté possible puisque le compte rendu qui a été fait de cette conférence est totalement abscons. La représentation nationale doit être informée des raisons de cet échec.

Je commencerai mon intervention par un rappel du phénomène de l'effet de serre qui a été analysé pour la première fois en 1892. Il ne s'agit donc pas d'un processus nouveau. Il est très simple puisqu'il correspond au phénomène que chacun peut observer dans une véranda. Le rayonnement solaire chauffe la véranda, sans réémission à travers le vitrage. Dans le climat planétaire ce qui joue le rôle du vitrage de la véranda, ce sont des gaz qui se retrouvent dans l'atmosphère, à commencer par le gaz carbonique.

Lors de la constatation de ce phénomène, une objection a tout de suite été soulevée consistant à dire que le climat de la terre varie naturellement, essentiellement pour des raisons astronomiques puisque la rotation de la terre autour du soleil n'est pas aussi régulière qu'on pourrait le penser, mais aussi parce que l'activité des taches solaires varie. On a donc des cycles, sur des périodes maintenant bien connues et analysées, qui aboutissent à la variation du climat terrestre. Nous avons tous en tête l'imagerie de l'ère glaciaire...

C'est ainsi que j'ai le plaisir d'annoncer à la représentation nationale que la prochaine ère glaciaire est programmée pour dans 60 000 ans !

Nous avons donc affaire là à des processus bien connus.

Pour autant, notre connaissance du climat terrestre est assez récente. C'est, par exemple, au début du XIXe siècle qu'on a commencé à mesurer quotidiennement la température, et encore uniquement dans les pays développés, et non pas au milieu de l'Océan ou de l'Antarctique. Ce n'est qu'au début des années 1960 que nous avons eu accès à une connaissance exhaustive du climat grâce aux satellites météorologiques qui, pour la première fois, donnaient une vision globale de la terre.

Aujourd'hui, les observations exhaustives du climat dont nous disposons ne portent qu'à peine sur une génération. C'est un échantillon assez court pour bâtir une certitude scientifique !

A partir de là, les chercheurs ont essayé de voir s'il n'y avait pas d'autres moyens d'avoir une connaissance du climat sur une période plus longue. Une équipe franco-soviétique est notamment allée faire des analyses dans les glaces de l'Antarctique, vers le milieu des années 1980, et ses découvertes ont bouleversé le débat sur l'effet de serre.

Ces chercheurs ont en effet pratiqué l'analyse des bulles d'air incluses dans les glaces sur plus de mille mètres de profondeur et depuis 400 000 ans. De cette analyse, et de beaucoup d'autres qui ont été entreprises sur les limons et matériaux du même genre, est ressortie la certitude que le climat terrestre varie et qu'il y a une corrélation extrêmement forte entre la température et la teneur en gaz carbonique.

Cette reconstitution sur 400 000 ans va maintenant de pair avec le constat que l'activité humaine se traduit, essentiellement depuis 1860, depuis l'essor de l'activité industrielle dans les pays développés, par une émission de gaz carbonique. La teneur en gaz carbonique a augmenté de 30 % sur terre, ce qui a donc un impact sur le climat.

L'élévation de température constatée depuis un siècle est de 0,6 degré : 5 000 scientifiques qui travaillent régulièrement sur la question dans le cadre du groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), avec des différences d'appréciation quant à l'ampleur des phénomènes, convergent aujourd'hui sur ce constat.

Comment relativiser cela ? A l'ère glaciaire, la banquise descendait sur un front Londres-Amsterdam-Munich, mais la température n'était inférieure que de 5 degrés à celle d'aujourd'hui. Le réchauffement prévu pour 2100, compris dans une fourchette assez ample allant de plus 1,5 degré à plus 6 degrés évalue le changement climatique pour 2100 à une amplitude assez proche de celui que la planète a connu au sortir de d'ère glaciaire.

Il faut préciser que ce changement s'opère toujours dans le sens du réchauffement avec, pour conséquence, une extension des formations désertiques, probablement au nord de la Méditerranée, une hausse de l'océan d'un demi-mètre, l'eau, ayant sa densité la plus importante à 4 degrés, augmente de volume au fur et à mesure qu'elle s'éloigne de cette température. Ces différents phénomènes s'accompagnent, bien sûr, d'une augmentation de la pluviométrie, puisque, plus la température de l'atmosphère s'élève et plus la quantité de masses d'eau s'évaporant de l'océan est importante.

Le mécanisme et sa propagation sont donc connus. Au nombre des incertitudes, figurent les impacts régionaux. Il est évidemment difficile de savoir quel continent va être le plus touché, quelles seront les transformations des écosystèmes, de l'hydrologie, des systèmes agraires.

L'élément le plus préoccupant de ce processus, c'est sa vitesse. Les changements climatiques antérieurs s'opéraient sur plusieurs siècles, voire sur plusieurs millénaires ce qui offrait aux écosystèmes terrestres le moyen de s'adapter.

Les transitions climatiques que nous observons actuellement s'effectuent à une vitesse dix fois supérieure aux changements climatiques habituels ce qui les situe sur des périodes qui sont plutôt de l'ordre du demi-siècle ou du siècle.

Par exemple, les quatre cinquièmes de la biodiversité des espèces se trouvent, sur terre, sur des chaînes de montagnes orientées Nord-Sud. Pourquoi ? Parce qu'en cas de changement climatique, les plantes, notamment, varient assez facilement selon l'altitude et, par conséquent, en cas de changement, les régimes de plantation émigrent en altitude dans les massifs montagneux.

On observe cette biodiversité dans le Rif africain, la cordillère des Andes et Madagascar et on notera que c'est exactement pour les mêmes raisons, que l'essentiel des ressources génétiques naturelles françaises se trouve dans le département des Alpes-maritimes.

Nous avons des traces, une connaissance des effets d'un bouleversement climatique, notamment de son effet destructeur sur les espèces, quand il se produit.

Je ne m'étendrai pas très longuement sur les parades envisageables. Il faut réduire l'usage des combustibles fossiles comme source d'énergie, développer les économies d'énergie, limiter les émissions des autres gaz à effet de serre car outre le gaz carbonique, il y a le méthane, le protoxyde d'azote, des gaz fluorés. On peut aussi essayer de piéger le gaz carbonique, notamment dans des utilisations très concentrées comme on peut en imaginer, par exemple, dans les centrales énergétiques et il faudra inévitablement conduire des actions d'adaptation. Puisque le changement du climat est d'ores et déjà lancé, certains pays devront consentir des efforts collectifs d'adaptation, notamment face à la progression des déserts.

Je voudrais maintenant m'étendre un peu plus longuement sur les négociations de la conférence de La Haye.

Après le constat dressé par les scientifiques vers le milieu des années 1980, l'acte fondateur de la démarche a été la conférence de Rio de 1992 avec la signature d'une convention, texte assez général devant faire, par la suite, l'objet d'une mise en _uvre. Cela a été le rôle du protocole de Kyoto qui a été bâti sur l'idée qu'il fallait fixer à chaque pays des objectifs quantifiés.

C'est l'Union européenne qui a poussé le négociation en déclarant qu'il fallait que chaque pays développé restreigne ses émissions de gaz carbonique, ne serait-ce que parce que les pays en développement avaient aussi droit au développement et devaient progresser.

Cette négociation a donc donné lieu à un « ajustement optique » entre les grands pays développés pour leurs émissions : 8 % de réduction pour l'Union européenne ; 7 % pour les Etats-Unis ; 6 % pour le Japon.

Pratiquement, il n'est demandé à la France qu'une stabilisation, compte tenu du faible niveau de ses émissions de gaz à effet de serre. A niveau de vie à peu près comparable, un Français émet aujourd'hui quatre fois mois de gaz carbonique qu'un Américain.

Telles sont donc les bases de la négociation.

Ce protocole de Kyoto a été signé au terme d'une négociation extrêmement vive, voire brutale. La convention sur le climat est le cadre d'un débat Nord-Sud. Les grands pays du Sud disposant d'un droit de veto de fait. Une convention sur le climat qui ne serait pas ratifiée par la Chine et l'Inde, qui comptent 2 milliards d'habitants, n'aurait aucun effet puisque ces pays vont devenir fortement émetteurs.

Il faut donc trouver un accord Nord-Sud dans cette négociation et c'est l'une de ses particularités.

A cela s'ajoute une très vive opposition entre l'Union européenne et les Etats-Unis, ce qui donne à la négociation une dimension tripolaire avec d'une part, les pays en développement et d'autre part, deux blocs à l'intérieur des pays développés.

Pourquoi cette opposition Etats-Unis/Union européenne ? En faisant un effort d'analyse je dirai que cette opposition tient à la différence des situations : nous avons d'un côté, ce que j'appellerai « des pays pleins » et de l'autre, « des pays vides ».

Dans la première catégorie figurent l'Union européenne, le Japon, la Corée et Taiwan qui sont des pays à forte densité démographique, à haut niveau de développement, à croissance démographique faible et qui ont été privés dès le départ de combustibles fossiles ou les ont épuisés. Ce sont des pays pauvres en énergie qui avaient donc déjà été frappés de plein fouet par les chocs pétroliers des années 1970 et qui ont développé un usage assez sobre de l'énergie.

Dans la seconde catégorie, les « pays vides », on retrouve pêle-mêle, le Canada, les Etats-Unis, l'Australie et la Russie qui sont des pays à croissance démographique forte, à faible densité démographique et qui, disposant d'énormément de ressources énergétiques et ne s'étant donc nullement efforcés de faire des économies d'énergie, sont les pays les plus émetteurs.

Aujourd'hui, les pays qui poussent le débat sont ceux qui ont déjà une expérience de l'économie d'énergie et ceux qui résistent dans le débat sont ceux qui ont des émissions considérables, contestées par toutes les autres nations, et qui sont encore en phase de croissance.

A Kyoto, il a été procédé à un alignement des objectifs mais le protocole de Kyoto tel qu'il apparaît aujourd'hui, et je le dis assez nettement, est considérablement déséquilibré. Pourquoi ? Parce que Kyoto était fondé sur des chiffres arrêtés en 1990 et sur un objectif fixé à 2010. Or, aujourd'hui, en 2000, les situations des pays, si l'on s'en tient aux dernières statistiques connues qui sont celles de 1998, semblent avoir complètement dérapé les unes par rapport aux autres.

La France qui doit avoir stabilisé ses émissions les a augmentées par rapport à 1990 de 1,9 %. En faisant un peu d'efforts, elle parviendra à la stabilisation qui n'est pas si anodine qu'il y paraît puisque, compte tenu de sa croissance économique, elle suppose d'améliorer l'efficacité énergétique d'environ 15 %.

Mais les Etats-Unis, eux, ont augmenté leur consommation de 11 % par rapport à 1990 alors qu'ils doivent parvenir à la diminuer de 7 %. Cela signifie qu'ils ont une économie de 18 % à réaliser ce qui correspond, compte tenu de la croissance économique qui est la leur, à une réduction d'environ 35 %. Or, aucun pays aujourd'hui ne sait, en l'espace de dix ans, réduire d'un tiers ses émissions de gaz à effet de serre...

Les Etats-Unis présentent la particularité de ne prévoir ni taxes, ni réglementations, ni subventions ce qui revient à dire qu'aujourd'hui ils n'ont pas de politique d'économies d'énergie. A l'exception de quelques applications industrielles, la société américaine n'a pas encore massivement engagé d'effort dans cette voie.

Les Etats-Unis interviennent dans la négociation pour demander des compensations.

On avait accordé une stabilisation des émissions aux pays de l'ancien bloc soviétique. Ces pays ont malheureusement perdu une grande partie de leur substance industrielle depuis 1990. La Russie a ainsi diminué ses émissions de 37 % depuis cette date et se retrouve donc avec un pactole d'émissions autorisées tandis que les Américains accusent un déficit par rapport aux engagements qu'ils ont pris. La première compensation que ces derniers ont donc réclamée, dès le protocole de Kyoto en 1997, à travers un mécanisme de permis négociables sur lequel nous pourrons revenir si vous le souhaitez, consistait à racheter aux Russes leurs excédents d'émissions.

Cette proposition, qui a fait hurler, a été la première échappatoire dans la négociation. Depuis Kyoto, un vrai problème d'équité se pose puisque les pays aux plus fortes émissions tentent d'acheter des réductions chez le voisin plutôt que d'engager des actions chez eux.

Les Etats-Unis ont proposé une seconde échappatoire à la conférence de La Haye qui consistait, cette fois, à dire que, la forêt fixant naturellement du carbone, les grands pays forestiers, au nombre desquels ils se trouvent avec le Canada et la Russie, devaient pouvoir comptabiliser au titre de leurs actions nationales l'activité naturelle de leurs forêts et des plantations humaines.

Le dilemme classique auquel se sont ainsi trouvés confrontés les négociateurs de La Haye est le suivant : faut-il, pour que tout le monde suive le processus, faire des entorses aux règles et, d'une certaine façon, encourager une certaine forme de délinquance écologique de la part des pays qui contreviennent le plus à ces questions climatiques, ou faut-il, au contraire, tenter de trouver un accord et les remettre dans le rang ?

La présidence française a fait de très gros efforts pour trouver un accord avec les Etats-Unis. Vous devinez bien que si ces derniers n'appliquent pas une politique de réduction des gaz à effet de serre, l'ensemble du processus peut se trouver bloqué.

Il a donc été proposé aux Etats-Unis de réajuster leurs engagements de Kyoto en leur donnant des droits d'émissions supplémentaires sans leur permettre de compter sur les puits de carbone des forêts puisque cet argument, dont la validité ne peut être mesurée scientifiquement, ouvrirait la porte à toutes les tricheries.

Il a été également envisagé, si un pays n'était pas en mesure, en 2010, de respecter ses engagements, de pouvoir le contraindre à mettre en place des politiques nationales d'ajustement pour retrouver le niveau d'émissions attendu.

On a frôlé la signature d'un tel accord. Je crois qu'elle va intervenir mais le vrai problème est la manière dont les pays en développement nous jugent quand ils voient que les pays les plus émetteurs sont les premiers à tricher sans rien faire pour changer la situation...

Pour finir, j'ajouterai que la France a élaboré un programme d'efficacité énergétique qui doit être rendu public aujourd'hui et qui fait suite à un plan national de lutte contre le changement climatique, qui a été adopté en Conseil des ministres en janvier. L'ensemble de ces programmes, dont j'assure l'essentiel de la mise en _uvre, en France, au nom de l'ADEME, nous permettra de reprendre les expériences faites dans les années 1970 et 1980, et qui consistent à améliorer l'usage de l'énergie dans notre pays au rythme de 1 % par an. L'ensemble des dispositifs gouvernementaux qui seront rendus publics dans la journée devrait mettre la France en mesure d'appliquer ses engagements de Kyoto.

Je pense que le fait que certains pays soient susceptibles d'honorer leurs engagements internationaux est un facteur de crédibilité pour l'ensemble du système.

M. le Président : Je vous remercie.

J'invite maintenant les députés qui le souhaitent à formuler leurs observations et à poser leurs questions aux différents orateurs qui y répondront.

La parole est à M. Birraux.

M. Claude Birraux : J'aimerais, en effet, monsieur le Président, faire quelques commentaires, concernant tout d'abord la gestion des déchets radioactifs et l'ANDRA.

J'ai bien compris la philosophie qu'a développée M. Le Bars mais, pour réussir, il ne suffit pas d'avoir une philosophie, il faut aussi une stratégie !

La mission granit a « baladé » dans la France environ 200 manifestants, ce qui prouve que sa stratégie n'était sûrement pas clairement établie, surtout si je la compare à celle de M. Bataille du temps où, médiateur, il se trouvait en charge de la gestion de ce dossier, qu'il a conduite avec succès.

Il y a certainement là un problème de stratégie, car la situation était au moins aussi tendue quand Christian Bataille a pris le dossier en main que lorsque la mission granit en a hérité.

Il est un point qui m'inquiète un peu dans les propos qu'a tenus M. Le Bars concernant le troisième axe : il a parlé d'un délai de cinquante ans avant de le mettre en _uvre ! Ce n'est pas la réponse que les citoyens et les parlementaires attendent. S'ils ne prétendent pas que de nouvelles méthodes soient appliquées demain pour la transmutation et l'incinération, ils attendent cependant que les processus de recherche soient suffisamment engagés pour disposer, d'ores et déjà, des critères qui permettront de fonder un choix qui ne sera pas fait en 2006 - nous en sommes d'accord. Ils comptent disposer rapidement d'éléments d'appréciation. Renvoyer la question à un horizon de cinquante ans ne fait que troubler les esprits !

Concernant Tchernobyl, évoquer seulement 31 ou 32 morts revient à ne prendre en compte que les décès ayant suivi presque immédiatement la catastrophe. Il est en effet difficile de savoir ce qu'il est advenu de tous les liquidateurs qui, après être venus sur le site, ont regagné leurs foyers disséminés à travers l'URSS...

Ayant eu à représenter le Président de l'Assemblée lundi, à l'occasion d'une visite à Tchernobyl, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec un collègue ukrainien qui est, par ailleurs en tant que scientifique, président de la commission de la science de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et qui s'est rendu à Tchernobyl dans les jours qui ont suivi l'accident. Il m'a confié qu'en dix ans, il avait changé vingt-sept fois de costume, pour satisfaire aux normes des détecteurs de radioactivité.

Comme il est impossible de mesurer quelles ont été les conséquences de l'irradiation sur les liquidateurs ou de savoir combien d'entre eux ont développé des pathologies ou sont décédés, il me semble préférable, concernant les victimes, de ne pas avancer de chiffres.

En revanche, il me semble justifié d'utiliser, pour mesurer les doses d'irradiation, une échelle plus lisible. Je ne connais personne qui, bien qu'estimant le premier bécquerel dangereux, refusera de faire passer à l'hôpital un scanner à son enfant accidenté de la route, au motif qu'il recevra 15 millisieverts.

J'avais pris quelques précautions pour me rendre à Tchernobyl et demandé à l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) de me fournir des dosimètres. Durant les trois heures où nous sommes restés sur le site, nous avons reçu trois microsieverts. Pendant le vol de Kiev à Paris, le dosimètre que nous n'avions pas arrêté nous a indiqué que nous avions reçu encore trois microsieverts et le collègue sénateur qui m'accompagnait a pu en enregistrer sept de plus, rien qu'en franchissant le portique de sécurité à l'entrée du parlement ukrainien. Voilà une petite idée des doses que l'on peut recevoir...

La direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) est au c_ur du système et de la confiance que l'on peut mettre dans l'ensemble du système de contrôle du nucléaire.

A ce propos, je voudrais rendre hommage à la manière à la fois très pointue et très responsable dont les agents de la DSIN exercent leurs missions dans notre pays. La DSIN est considérée comme le gendarme de la sûreté nucléaire.

Par ailleurs, j'ai noté, en entendant le directeur de Tchernobyl et les cadres de Tchernobyl au cours des auditions auxquelles nous avons procédé, qu'il n'a jamais été fait référence à l'autorité de sûreté ukrainienne, alors que le directeur se permettait de dire : « Notre centrale a une rentabilité... » - qu'il confond avec la disponibilité - « ...remarquable ; c'est elle qui a fourni le plus d'électricité dans les six derniers mois pour l'ensemble du pays... ». Or, l'autorité de sûreté et la commission d'experts qu'elle avait réunie avaient émis à l'unanimité, compte tenu de la situation politique très sensible, l'avis de n'autoriser le fonctionnement de la centrale en l'an 2000 que pour deux cents jours pleins et en tout cas pas au-delà du 15 novembre.

Apparemment, le directeur de la centrale n'a jamais entendu parler ou ne veut pas entendre parler de cet avis !

A cette occasion, j'ai pu mesurer le fossé qui existait entre notre autorité de sûreté qui est un véritable gendarme et d'autres autorités dont certains ont une conception toute différente, puisqu'en leur qualité de directeurs ils se considèrent responsables, y compris de la sûreté.

Je tiens en outre à dire que la sûreté n'est pas une notion figée : elle est une chose vivante qui nécessite clairement un rapport de forces entre l'autorité de sûreté et l'exploitant, ce dernier étant le premier responsable de la sûreté de ses installations. Il revient à ces deux intervenants de discuter des options de sûreté, et, à partir d'une confrontation, d'arrêter la position de l'autorité de sûreté qui sera appliquée, y compris si elle peut parfois faire un peu grincer des dents l'exploitant. Cette autorité se fonde d'abord sur une compétence.

On parle beaucoup de l'indépendance de l'autorité de sûreté : je ne mettrai jamais en balance l'indépendance et la compétence.

C'est un point extrêmement clair dans mon esprit.

Je tiens à ajouter également que la sûreté se nourrit de l'apport de la recherche. Il est quand même stupéfiant que le responsable du BMU, autorité de sûreté allemande, qui a été nommé par un ministre antinucléaire pour arrêter le nucléaire en République fédérale, demande à ce que ses experts continuent à être invités dans les réunions d'experts français, parce qu'il a besoin de confronter ses avis aux leurs pour la sûreté des centrales actuelles en Allemagne dont la vie va encore durer une vingtaine d'années.

Il demande en outre, s'agissant du réacteur franco-allemand Framatome-Siemens, dont son ministre a dit qu'il ne voulait à aucun prix et qu'il ne serait jamais construit en Allemagne, que les experts allemands puissent continuer à participer au groupe pour procéder, avec les Français, à une évaluation dont il a besoin pour assurer la sûreté de ses réacteurs actuels.

Je crois que les choses sont claires : la sûreté est inscrite dans le présent. Elle évolue et elle a besoin de la recherche. En aucun cas elle ne se limite à un besoin formel, tant pour la direction de la sûreté que pour l'exploitant, ce qui nous conduit, fort heureusement, à dépasser certaines propositions du passé quand on se cantonnait à des aspects extrêmement formels et quand on pouvait appliquer des sanctions si l'on avait un jour de retard dans la remise d'un rapport annuel.

Je souhaiterais maintenant évoquer les normes de radioprotection. Je conserve le souvenir d'une audition que j'avais organisée pour l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques en novembre 1996 où une personne était venue protester au motif que six mois après son adoption, la directive traduisant ce qui s'appelle la CIPR 60, c'est-à-dire les normes de radioprotection pour les travailleurs et la population, n'était pas en application. Quatre ans et demi plus tard, elle ne l'est toujours pas. Il y a un problème parce que ceux qui, hier, nous reprochaient de ne pas aller assez vite, ne font pas mieux aujourd'hui alors qu'ils ont en charge la mise en _uvre de cette directive et ceux qui y étaient hostiles mettent à profit cette lenteur pour relancer la discussion et émettre un doute sur le bien-fondé de son application.

Personnellement, je crois qu'il faut traduire cette directive au plus vite, d'abord parce que c'est une mesure de la garantie que l'on peut offrir au public, ensuite parce que les exploitants ont, eux, déjà intégré ces nouvelles normes à travers ce qu'ils appellent l'optimisation de la radioprotection.

Avant de conclure, j'ajouterai que la République fédérale d'Allemagne s'est engagée à diminuer de 21 % ses émissions de gaz à effet de serre mais que pour l'instant, elle n'a rien dit sur les moyens qu'elle comptait employer pour y parvenir.

La Suède, pour sa part, avait négocié à hauteur de 4 % son augmentation d'émissions parce qu'elle envisageait d'abandonner le nucléaire. Elle a stoppé la centrale de Barseback 1, ce qui va accroître ses émissions de gaz à effet de serre, et elle importe, du Danemark et de la Pologne, de l'électricité produite par des charbons de plus ou moins bonne qualité ce qui revient à dire que, non seulement elle a négocié une augmentation, mais qu'elle contribue aussi à l'augmentation globale des émissions de gaz à effet de serre avec ses importations.

Enfin, pour ce qui est des négociations en cours, je crois qu'il est difficile de prétendre interdire aux pays en développement ou qui sont appelés à connaître un développement, comme c'est le cas de la Chine ou de l'Inde, d'avoir une consommation d'énergie accrue au prétexte que les pays développés, eux, refuseraient de consentir le moindre effort pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Là aussi, par-delà cette discussion, il faudrait envisager des modèles de développement qui ne seraient pas obligatoirement les mêmes en Chine et en Inde que ceux des pays occidentaux.

M. le Président : La parole est à M. Bataille.

M. Christian Bataille : Monsieur le Président, je voudrais faire des observations de deux ordres.

La première sera rapide et portera sur la gestion des déchets nucléaires et la seconde, que je ferai à partir de l'intervention de M. Radanne, aura trait au problème de l'effet de serre.

Sur les déchets nucléaires, je souscris pleinement aux propos de Claude Birraux : il est peu sérieux et inquiétant pour l'opinion de dire que l'on ne résoudra pas les problèmes avant cinquante ans. Il serait préférable de se taire que de dire de pareilles choses parce que, justement, en tant que rapporteur de la loi sur la gestion des déchets nucléaires, je peux certifier que l'objectif avait été aussi de montrer à l'opinion publique, qui était préoccupée par cette question, qu'il y avait des réponses scientifiques et que la loi offrait un cadre adapté. Or, la loi votée en 1991, donne rendez-vous dans quinze ans, soit en 2006.

C'est un premier rendez-vous qui, selon moi, doit être la ligne d'horizon de ceux qui, dans les milieux officiels, sont appelés à s'exprimer : c'est la loi et elle a été votée par le Parlement.

Pour le reste, on risque d'en revenir à des expertises contradictoires qui aboutiront à une dilution des discours et à cet imparable « On ne peut rien faire ! » qui conclut généralement les questions controversées.

Une telle allégation est fausse en ce qui concerne les déchets nucléaires, car, en la matière, on peut faire quelque chose et la loi indique trois directions. Nous avons à entreprendre des recherches en milieu souterrain, des recherches en surface et le travail qui est en cours en recherche fondamentale avance puisque les équipes qui se consacrent à ces questions ont, d'ores et déjà contribué, sinon a réduire la durée de vie des actinides les plus nocifs, du moins à simplifier le problème en réduisant le volume des déchets dans des proportions considérables.

En conséquence, il y a des avancées et il est faux de dire que l'on ne peut pas résoudre ce problème. Le prétendre équivaut à maintenir inutilement l'inquiétude. Je crois qu'il est beaucoup plus positif de dire : « Pour ce qui est du dossier des déchets nucléaires, nous y réfléchissons, nous y travaillons, nous y mettons tel et tel moyen et voilà où en est l'évolution des recherches ». Ce serait une attitude beaucoup plus constructive que de rejeter dans un futur, évidemment impalpable, les échéances.

Concernant l'exposé de M. Radanne, qui intervenait donc en lieu et place de M. Mousel j'ai été, personnellement, très intéressé par la manière dont il a relativisé les variations climatiques dans la première partie de son propos en nous disant que, finalement, nous ne disposions pas de mesures suffisamment stables sur une assez longue durée pour pouvoir tirer des conclusions définitives.

Si je n'ai pas perçu dans le propos de M. Radanne cette forme d'articulation, je crois comprendre qu'il existe quand même une corrélation entre l'effet de serre et les émissions de CO2. Par conséquent, l'effet de serre a probablement pour origine, même s'il faut faire preuve de prudence en la matière, les rejets dans l'atmosphère de gaz, carbonique en particulier.

Je m'interroge sur les solutions qui ont été avancées et je prie M. Radanne, dont je connais les penchants plutôt antinucléaires, de m'excuser de dire qu'il manque un volet à sa réponse.

En effet, il nous a dit que, pour réduire la consommation de combustibles fossiles, nous avons les énergies renouvelables, ce qui est tout à fait exact, surtout si on y inclut l'hydroélectricité comme on le fait dans les statistiques françaises, mais dans ce cas, il ne faut pas condamner à priori les efforts qui sont consentis en Chine pour construire d'immenses ouvrages hydroélectriques qui ont créé un certain nombre de perturbations. Cela témoigne d'un effort pour créer des énergies renouvelables qui mérite d'être salué.

On nous parle de « piéger le CO2 ». C'est là une formule bien sympathique, mais le CO2 ne s'attrape pas comme les mouches avec une tapette ! C'est une opération assez compliquée pour laquelle nous ne disposons pas encore, aujourd'hui, de techniques très affinées pour ralentir les émissions de CO2.

En outre - et j'en arrive au volet politiquement incorrect de mon propos - il y a l'énergie nucléaire qui constitue une réponse à l'effet de serre puisque nous pouvons, avec les centrales nucléaires, continuer à produire l'énergie dont notre industrie, et donc notre société, ont besoin sans qu'elles présentent l'inconvénient majeur d'aggraver l'effet de serre.

L'alternative que nous avons est effectivement la suivante : effet de serre ou déchets nucléaires. Or, je prétends, moi, qu'il est bien plus sage de conduire des recherches sur les déchets nucléaires que l'on connaît, que l'on peut situer, localiser, stocker, maîtriser, peut-être éliminer si la science nous le permet, plutôt que de laisser se diffuser des gaz à effet de serre dans des proportions que l'on imagine fort inquiétantes dans quelques décennies.

De ce point de vue et à propos du protocole de Kyoto, je voudrais interroger M. Radanne ou un autre intervenant pour savoir si on a affiné les recherches sur le coût de la tonne de carbone rejeté.

Nous avions, mon collègue Robert Galley et moi-même, élaboré, il y a deux ans, un rapport dans lequel nous évaluions, d'après les informations que nous avions pu recueillir, le coût de cette tonne de carbone rejeté dans une fourchette allant de 1 000 F à 2 000 F.

Il me semble qu'en faisant des calculs plus précis, on pourrait arriver à une estimation plus affinée ce qui permettrait d'apporter un élément de réponse à une polémique qui tourne autour des coûts externes des énergies. On demande à juste titre le calcul des coûts externes pour l'énergie nucléaire, mais il faudrait aussi pouvoir calculer les coûts externes en termes de dégâts environnementaux et d'effet de serre pour les autres types d'énergie. J'oserai ajouter, qu'il conviendrait aussi d'estimer les coûts humains dont on ne parle pas et sur lesquels je ne m'étendrai pas pour ne pas donner l'impression de faire une intervention cynique, mais qui existent car l'extraction charbonnière fait, chaque année, de par le monde, que ce soit en Chine ou ailleurs, des milliers et des milliers de victimes.

Enfin, j'ajouterai un mot très rapide sur cette question des permis négociables. J'ai noté que se trouvaient à La Haye, beaucoup de monde et d'associations ce qui me conduit à m'étonner, monsieur le Président, que notre Parlement, expression de la volonté nationale, y ait été absent et que, finalement, l'Assemblée nationale n'ait été, comme ce fut d'ailleurs également la cas à Kyoto, ni témoin, ni actrice dans des négociations d'un tel niveau. Je pense que tout cela peut se corriger dans l'avenir.

Cela étant dit, vouloir limiter le développement des pays qui émettraient des gaz à effet de serre s'apparenterait, selon moi, à du néocolonialisme. Cela signifierait que la Chine et l'Inde ne pourraient pas se développer mais que les pays occidentaux, eux, pourraient poursuivre leur développement. C'est avec ce mode de pensée que les Américains considèrent que la limitation de l'effet de serre ne les concerne pas mais concerne les Indiens, les Chinois et les pays en voie de développement.

En conséquence, je considère que nous ne devons pas souscrire à ce mécanisme à la fois mercantile et néocolonialiste. Il comporte, en effet, une part de limitation du développement de pays qui pourraient aussi, il faut le dire, devenir des concurrents économiques sérieux pour les pays développés, au point que je me demande si l'on ne se sert pas de manière un peu tartuffe de l'effet de serre pour tenter de maintenir un certain nombre de pays dans le non-développement.

M. le Président : La parole est à M. Dosé.

M. François Dosé : D'abord, j'adresserai mes remerciements aux orateurs qui permettent aux citoyens du monde que nous sommes d'apprendre des choses et d'y réfléchir, pour peu qu'on entende évidemment les justes mots qu'ils ont prononcés et non pas ceux qu'on aurait souhaité qu'ils prononcent.

Ensuite, je tiens à dire que l'on peut émettre un certain nombre de réserves sans tomber dans le syndrome du cheval de Troie : en clair, celui qui prétend qu'il faut une ceinture de sécurité n'est pas obligatoirement contre l'industrie automobile et celui qui prétend qu'il faut un certain nombre de précautions concernant les techniques de production, et particulièrement celles du nucléaire, n'est pas forcément un adversaire du nucléaire.

Pour ma part, je pense que l'industrie chimique, nucléaire ou pas, a sa juste place dans le système de production énergétique et que cela sera peut-être encore plus vrai demain qu'aujourd'hui. Il reste que c'est parce que je le crois que je souhaite poser des questions et être prudent !

Enfin, afin qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous, sachez - je veux bien en faire la confession publique - que j'ai beaucoup d'amitié pour M. Le Bars. Aussi, si je suis quelque peu sévère sur son propos, cela n'aura évidemment rien à voir avec un problème de personnes. Cela tiendra au fait que je suis attaché à un territoire qui est largement concerné par certaines recherches et qu'il y a loin de la philosophie à la réalité et du mot à la chose...

Amicalement, je soulignerai d'abord une maladresse : dire que vous êtes fier de vous retrouver dans le même compartiment que la vache folle est une griserie de l'homme d'institution mais ce n'est pas celle du citoyen !

Une erreur plus une erreur, cela fait deux erreurs et non pas match nul !

Par ailleurs, je relèverai une inexactitude. Vous dites que nous sommes à 50 % de la réalisation des ambitions de la loi dite « Bataille ». Non et non : nous sommes, ainsi que Christian Bataille vient de le rappeler, aux deux tiers du temps imparti ce qui, en mathématiques, n'a jamais fait 50 %. Quant à la mise en _uvre, nous n'en avons pas atteint les 10 % !

La voie dite « séparation-transmutation » a fait - et cela vous l'avez dit - des progrès formidables pour la séparation, mais on n'a pas fait de découvertes pour ouvrir le champ de la transmutation. Certes, des progrès extraordinaires ont été réalisés pour le piégeage dans le colis, puisque l'on est passé presque d'un siècle à un millénaire mais la loi, pour l'instant, n'est pas appliquée concernant la transmutation.

Je vous rappelle que dans cette loi, on parle de « laboratoires » au pluriel alors que, pour l'instant, il n'en existe qu'un seul. La faute n'en incombe évidemment pas seulement à l'ANDRA, mais aussi aux temps qui ont changé : avec mon ami, administrateur de l'IPSN, nous estimons qu'il est aujourd'hui plus difficile de parler du sujet en raison des transformations intervenues en dix ans dans l'opinion publique.

Certes, la mission granit a été maladroite, mais je pense aussi qu'elle travaille alors que l'opinion publique a évolué.

Une fois gommée cette maladresse, je tiens également à rappeler qu'on trouve dans toute la classe politique, des hommes, dont certains sont dans cette salle, pour jurer que le nucléaire a un avenir, mais qui ont signé des pétitions pour l'empêcher de s'implanter chez eux !

C'est une attitude bien connue qui s'inscrit dans les vieilles traditions rurales : le remembrement est toujours salué dans un village, pour autant qu'il puisse s'effectuer avec le jardin du voisin....

En conséquence, aussi longtemps qu'il n'y aura pas un ou plusieurs laboratoires complémentaires, cette loi ne sera pas respectée. Nous devrons donc nous attendre à des représailles d'ordre juridique, parce que l'on n'acceptera pas que le Parlement soit saisi sur des conclusions qui seront non conformes à la loi, faute d'avoir « des » laboratoires.

En outre, il y a un non-dit concernant cette fameuse date de 2006. On nous invite à être au rendez-vous pour ne pas repousser l'échéance, mais pas une personne raisonnable ne peut croire que le Parlement sera capable de faire un choix définitif en 2006, compte tenu de l'état actuel des recherches. Cet état d'avancement, je le connais et je peux vous dire que, pour ce qui est du laboratoire en Meuse où je peux me rendre tous les matins, on n'a pas dépassé la phase des travaux de terrassement. Or nous sommes quasiment en 2001 !

Quant au laboratoire granit, le site n'est pas même encore retenu et le Parlement aurait le droit d'être saisi alors qu'au mieux on aura entamé les fondations...

Je comprends la consigne qui consiste à s'en tenir à 2006, mais je crois qu'il faut fixer une autre date et dire les choses clairement. Car finalement, cette tromperie politique véhicule la peur de voir un jour le Parlement supprimer dans la rédaction de la loi, le « s » de « laboratoires », ce qui rendrait suffisant un seul laboratoire pour tirer les conclusions. Chacun peut penser que cette crainte ne se concrétisera pas, mais il faut bien savoir que l'opinion publique la ressent et qu'elle peut juger que le fait de maintenir la date de 2006 ne sert qu'à mieux piéger les gens.

Il est une autre remarque que je formulerai avec sévérité concernant le tableau joint au document qui nous a été fourni, en disant qu'il n'est rien d'autre qu'une imposture colorée. Quand je vois dans la ligne des hautes activités à longue vie, mentionnés pour 1999-2000 l'installation d'un laboratoire en Haute-Marne et la conduite de la mission granit, pour 2001, les expérimentations, et pour 2006 le rendez-vous avec le Parlement, je me demande où sont réalisées les expérimentations. Dans le granit, pas encore, ni en 2001, ni en 2002, ni même en 2003...

Ce tableau correspond donc à une ambition qui n'existe plus. La responsabilité en est collective, mais il n'en reste pas moins qu'il y a autant de dangers à faire croire que l'on est présent aux rendez-vous qu'à vouloir les reporter au siècle prochain, par exemple.

Enfin, j'en arrive à l'irréversibilité. Je constate que l'on en parle de plus en plus et je signale qu'elle n'est pas gommée dans le texte alors qu'il n'y aurait pas de honte à le faire dès lors que l'on a multiplié par dix le temps de vie de piégeage dans les colis ! Il ne me paraît ni lâche, ni déraisonnable de dire : « Faisons des études. Plaçons-les dans la seule logique de la réversibilité. Nos petits-enfants aviseront, dès lors que nous leur laissons des choses parfaitement piégées dans des colis pour plus de mille ans... » Comme nous le disions hier, la science nous permettra peut-être de reprendre tout cela et de déboucher sur un certain nombre de nouveautés.

Je m'en tiendrai là. Sachez simplement que si Bure draine un certain nombre de visiteurs, je peux dire, pour vivre tout près, qu'il s'agit plutôt d'opposants - et j'en suis marri car je n'en suis pas. Quand certains y posent un regard favorable, il s'agit surtout d'institutionnels ou de délégués.

En effet, l'opinion publique, même quand elle sent, ce qui est fréquent, que notre débat est fondé, affirme rarement son adhésion de façon claire.

Le vrai problème de la démocratie, c'est que notre activité est rythmée par des allégations tranchées, tandis que celles qui se veulent plus nuancées, ne sont pas jugées médiatiquement correctes et performantes. Force est de l'admettre avec philosophie...

M. le Président : La parole est à M. Galley.

M. Robert Galley : Mon propos tranchera sans doute un peu avec l'enthousiasme de mes collègues.

Je me limiterai à poser quelques questions.

Monsieur le professeur Arthus, j'ai été impressionné par vos propos et par votre volonté de faire appel au bon sens. Je vous demande donc si vous ne croyez pas que les données que vous venez d'exposer pourraient être mises entre les mains des écoliers. Car, finalement, on s'aperçoit que le déficit d'information de nos concitoyens crée chez eux de la terreur là où il n'y a pas lieu d'en avoir et qu'une psychose se développe faute pour eux de connaître les ordres de grandeur.

Prenons un exemple : je ne conçois pas que l'on puisse, demain, construire des maisons en Bretagne, dans le Calvados ou dans les Cévennes, sans les ventiler de façon importante pour éviter la concentration du radon, laquelle est infiniment supérieure à tout ce que l'on trouve dans les centrales.

Puisque vous êtes de Montpellier, vous m'autoriserez à raconter une histoire qui s'est déroulée tout près de chez vous.

Lorsque je dirigeais la construction et l'exploitation de l'usine de plutonium de Marcoule, il y a de cela très longtemps, j'avais à mes côtés un ingénieur originaire des Cévennes qui répondait au nom de Bouzigues et qui était un homme aussi respectable que ceux de la DSIN dont parlait tout à l'heure mon collègue Birraux.

Pour son malheur, ce garçon a eu l'idée d'aller un jour avec un photomultiplicateur 116 dans la pièce où sa grand-mère de 85 ans avait vécu toutes ses journées. Il a été épouvanté de constater que le taux de radioactivité y était trois fois supérieur au seuil de tolérance admis dans l'usine de plutonium de Marcoule. Voilà un ordre de grandeur qui devrait permettre aux hommes politiques de diminuer la tension existante.

C'est pourquoi, si vous le permettez, monsieur le professeur, je souhaiterais que vous preniez la tête d'une croisade en faveur du bon sens dans le domaine du nucléaire.

Je tourne maintenant cette page pour m'adresser à M. Radanne. Il est un point qui a été suggéré par mon collègue et ami, M. Christian Bataille, et que je m'explique mal : on ne comprend pas l'importance du décalage qui existe entre la France qui, de l'avis unanime, fait figure de « bon élève de la classe » en matière de lutte contre l'effet de serre et les Etats-Unis, l'Australie et le Japon. Ces pays, sous des formes diverses, ont proposé que le nucléaire soit versé dans la corbeille des énergies, non pas renouvelables, mais susceptibles de lutter contre l'effet de serre. Pourquoi cette proposition a-t-elle été délibérément écartée, y compris par la présidence française ? J'aimerais que vous me l'expliquiez car il faut absolument que l'on traite ce problème.

Enfin, pourquoi des pays sous-développés n'auraient-ils pas le droit d'accéder à l'industrie nucléaire pour leur développement alors que, ce faisant, ils protégeraient la planète et que certains d'entre eux - et je pense notamment aux pays africains - sont tenus sous une dépendance effroyable par le Moyen-Orient pour leur approvisionnement en pétrole ?

Nous assistions, hier, avec M. Portal, à une très intéressante réunion de la société française d'énergie nucléaire où nous avons appris que des réacteurs de 600 MW sont aujourd'hui proposés, naturellement pas par la France, ce qui est une autre question, mais par Westinghouse ou General Electric. Pourquoi cette hostilité ? Tient-elle seulement à un décalage d'opinions ?

M. le Président : La parole est à M. Ducout.

M. Pierre Ducout : La présentation qui nous a été faite s'est révélée très instructive mais demande à être un peu complétée pour nous permettre de mieux informer l'ensemble de nos concitoyens.

Premièrement, M. Le Bars, en parlant des stockages profonds, est peut-être allé un peu vite concernant la réversibilité.

Deuxièmement, j'aimerais savoir s'il y a eu concertation avec M. Nifenecker, que nous avons auditionné hier, concernant la durée de piégeage dans les colis. Il semble que tout le monde soit d'accord sur la stabilité de ce procédé pendant mille ans. Si cette donnée correspond à la vérité, autant la confirmer. M. Nifenecker a déclaré qu'après mille ans, les risques de migration dans l'eau représentaient, pour ceux qui la buvaient, un centième de la dose annuelle tolérée, mais c'est un autre problème. Je crois que si l'on peut rendre les chiffres publics, il ne faut pas hésiter à le faire !

Pour sa part, M. Arthus a fait une présentation très intéressante sous un angle médical, mais étant un amoureux des chiffres, je dois avouer que certains m'ont manqué : s'il avait avancé un chiffre sur l'accident de Saragosse, nous aurions déjà disposé d'un ordre de grandeur.

A ce propos, je regrette que l'on parle en millisieverts. 90 % de nos concitoyens ne font pas la distinction entre le millisievert et le microsievert et ne savent pas que le second représente une mesure mille fois inférieure à la première. Il faut vraiment être clair sur ce point.

En outre, dans sa présentation des diverses sources d'irradiation, notre invité ne m'a pas paru être allé au bout de son propos car, dans l'addition des pourcentages, deux ou trois chiffres manquaient pour arriver au total de 100 %...

Par ailleurs, il me semble essentiel de traiter les risques à égalité notamment, comme cela a été dit hier - Christian Bataille a notamment insisté sur ce point - les risques liés au gaz et au charbon.

Dans le passé, on nous parlait en matière militaire de risques NBC - nucléaires, bactériologiques, chimiques - et je crois qu'il faudrait remettre ces appellations à l'ordre du jour pour présenter les risques de manière équitable car aujourd'hui, en France, le nucléaire concentre sur lui, à l'évidence, l'essentiel des peurs.

Concernant les problèmes liés à l'effet de serre, j'aimerais que l'on rappelle en degrés les effets climatiques du mini âge glaciaire des XVIIe et XVIIIe siècles. On procède, dans nos communes, à quelques évocations historiques et quand on fait des recherches, on constate une très forte augmentation de la mortalité sur cette période : serait-elle à rapprocher des effets de ce mini âge glaciaire ?

Hier, M. Nifenecker nous a dit qu'il faudrait, pour stabiliser l'effet de serre, réduire de moitié les émissions de gaz carbonique, c'est-à-dire arriver à trois gigatonnes de carbone : confirmez-vous ce point ?

Enfin, actuellement, si j'ai bien compris, personne n'est en mesure d'expliquer le fonctionnement et l'importance des puits de carbone des forêts. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Tels sont les quelques points, monsieur le Président, sur lesquels j'aimerais obtenir des précisions, étant entendu que tout cela devrait nous permettre de tenir un discours limpide pour éclairer nos concitoyens, même si nous savons que tout n'est pas si simple !

M. le Président : La parole est à M. Deprez.

M. Léonce Deprez : J'avoue qu'à la sortie de notre réunion d'hier, j'avais plus de perplexités que de certitudes et qu'aujourd'hui je retrouve un certain espoir.

Comme je l'avais rappelé il y a un an et comme je le répète aujourd'hui, nous menions nos études avec la conviction que la France était capable de résoudre les problèmes futurs. C'était en effet les Japonais qui venaient visiter Marcoule pour tirer profit de nos expériences. C'est au cours de déplacements aux Etats-Unis que nous avons pris conscience que les Américains commençaient à empiéter sur les capacités dont la France avait fait la démonstration dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Notre groupe de députés avait retenu que l'énergie nucléaire signifiait plus de compétitivité, notamment concernant les coûts, et qu'elle se traduisait par une réduction de l'effet de serre. Je suis donc très reconnaissant à Christian Bataille d'avoir apporté, tout à l'heure, un petit correctif en rappelant que c'était quand même la solution que nous avions retenue et défendue pour éviter de rendre le monde invivable.

A partir de ces réflexions, j'aimerais savoir si les intervenants ici présents sont toujours bien d'accord sur ces différents points et si, autrement dit, la politique nucléaire de la France, sans être remise en cause, se situe bien dans la ligne de ce qui avait été voté en 1991 et des échéances qui ont été rappelées par Christian Bataille.

Par ailleurs, on constate la sensibilisation croissante, et très heureuse, depuis un an, de l'opinion publique qui, maintenant, comprend l'effet de serre et y est sensible. Il faut donc mettre à profit cette prise de conscience. La question qui se pose est celle de savoir comment réduire l'effet de serre et y apporter une solution. La première réponse, on l'a dit, est l'énergie nucléaire : est-on toujours bien d'accord là-dessus ?

Deuxièmement, ainsi qu'on l'a rappelé hier, la pollution et l'effet de serre proviennent essentiellement des transports terrestres et je crois qu'il y a sur ce point un consensus que personne ne peut contester, dans la mesure où nous atteignons le point de saturation des transports terrestres. La situation devient invivable, y compris sur les autoroutes : il suffit de prendre l'autoroute A1 pour s'en rendre compte. Je peux en témoigner, moi qui suis du Nord de la France.

En conséquence, est-on prêt à calculer la réduction d'émissions de gaz carbonique qui serait réalisée si l'on opérait un transfert du mode de transport routier vers le mode ferroviaire ? Ce serait un calcul intéressant ! Je dirai même qu'il faut faire de la pédagogie à ce sujet, car si l'on évoque constamment l'effet de serre, on ne parle pas assez des solutions à y apporter alors qu'elles relèvent d'une politique d'aménagement du territoire volontariste.

Il s'agit d'un choix politique, et d'un choix d'aménagement du territoire. Il est très important de faire comprendre à tous les députés qu'ils doivent dorénavant donner la priorité aux investissements de transport ferroviaire, notamment en mettant à profit le schéma transeuropéen de fret ferroviaire qui, partant du tunnel sous la Manche, constitue une chance pour notre territoire.

Si des réponses sont apportées à ces différentes questions, nous pourrons alors, peut-être, modifier les esprits et les comportements politiques, non seulement dans les régions qui sont saturées mais également au niveau national. C'est un mouvement transversal qui doit s'opérer dans toutes les formations politiques.

Puisque M. Radanne n'a pas caché qu'il y avait une forte corrélation entre les changements de climat, la température et les émissions de gaz carbonique et que l'opinion publique est aujourd'hui prête à écouter les experts, il appartient à ces derniers de bien éclairer les hommes politiques que nous sommes. Pour ce faire, ils doivent cesser de semer le doute en repoussant les solutions à des perspectives insensées, laissant entendre par là qu'après avoir fait une marche avant en direction du nucléaire, nous sommes en train d'effectuer une demi-marche arrière, notamment à travers le traitement des déchets.

M. le Président : La parole est à M. Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut : Je crois que le thème que nous venons d'aborder ce matin est majeur, puisque l'on parle des défis environnementaux de l'énergie. Je crois que chacun a bien compris que l'utilisation de l'énergie par l'homme, y compris quand, dans des temps ancestraux, il brûlait la forêt, ne se fait pas sans conséquence sur l'environnement.

M. Repussard déclarait tout à l'heure que la production d'énergie, sous toutes ses formes, avait des incidences sur l'environnement, ce qui signifie que l'industrialisation a des conséquences importantes et que l'homme a développé la production d'énergie en fonction d'autres considérations que des considérations environnementales.

Parallèlement, des peurs sont apparues et notamment une crainte particulière du nucléaire, qui tient à son caractère insidieux.

Si le nucléaire fait peur, on s'aperçoit pourtant, d'abord que nous avons besoin de sources d'énergie diverses, ensuite que certaines vont s'épuiser et disparaître, enfin que si la démographie poursuit sa progression, nos besoins énergétiques vont s'accroître. En 2050, ils seront multipliés par au moins 2,5, comme cela a été confirmé dans les colloques organisés par l'UNESCO pour traiter de ces questions.

Dans tous les cas, même si nous multiplions par 20 ou par 25 la production des énergies dites « renouvelables », du fait de la diminution des réserves de charbon et de pétrole, la tension ira en s'accentuant. En l'état actuel des choses, j'ai donc la conviction que nous avons besoin de l'énergie nucléaire.

A partir de là, il faut analyser objectivement les risques. Le nucléaire pose deux problèmes : celui de la sécurité des installations et, en annexe et en corollaire, celui de la radioprotection et des déchets.

Concernant les déchets, M. Le Bars a indiqué quelle était la politique de l'ANDRA. Sur ce point, je rejoins une partie des conclusions à la fois de Christian Bataille et de François Dosé, sans toutefois penser que l'opinion publique ait changé. Ceux qui ont connu les manifestations qui se sont déroulées en 1988 dans l'Ain, dans l'Aisne, dans les Deux-Sèvres et le Maine-et-Loire, savent que les réactions étaient au moins aussi fortes dans le passé qu'elles le sont aujourd'hui.

Je considère, en revanche, que le pouvoir politique n'a pas de mémoire et que le Parlement devrait être là pour en tenir lieu. En effet, quand on a réalisé que ce dossier appelait un traitement politique - ce qui a pris du temps - il fallait le lui appliquer sans lui substituer un traitement administratif. Ceux qui ont changé de stratégie et dont on ignore l'identité, car au niveau des ministères, personne ne sait plus qui a pris la décision d'envoyer un certain nombre de gens dans le cadre de la mission granit, ont donc une très grande responsabilité politique.

Le rendez-vous du Parlement est fixé en 2006 et je pense qu'il faut le maintenir à cette date. En effet, rouvrir le dossier des déchets nucléaires dans un cadre passionnel, ne fera qu'exacerber un certain nombre d'idéologies. En revanche, il faut qu'en 2006, un article de loi, qui, à mon sens, doit être court, prévoie, puisqu'on n'est pas parvenu au bout des recherches et qu'on a du temps devant nous, qu'il convient de prolonger de dix à quinze ans la phase d'expérimentation.

Enfin, c'est une erreur de croire que l'on traitera tous les déchets de la même manière. Il y a plusieurs catégories de déchets et notre discussion politique ne va sans doute pas assez loin dans les aspects techniques compte tenu du fait que certains déchets nécessiteront sans doute un stockage en couche profonde. Les mille ans dont il est question portent sur les méthodes actuelles de vitrification mais pas sur le « concept multibarrières ». Moi qui, avec Claude Birraux, ai participé à des congrès à Madrid, en 1988, je sais que l'on y évoquait déjà une probabilité que des déchets reviennent à la surface de la terre, à une échéance supérieure à 100 000 ans sur les modèles étudiés.

Quand on voit cela et que l'on traite, comme nous le ferons la semaine prochaine à l'occasion de la discussion de la proposition de loi tendant à la création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale, le problème de la sûreté nucléaire et son lien avec la radioprotection, force est de constater objectivement que les risques du nucléaire sont beaucoup plus faibles que ceux qui sont liés à certaines autres activités humaines. Il n'est pas un scientifique, qu'il soit vert ou productiviste, issu d'un pays développé ou pauvre, qui puisse dire le contraire !

Il n'empêche que la perception du risque n'est pas la même dans les populations et qu'il faut donc traiter ce problème.

Aujourd'hui, le vrai risque est celui de l'effet de serre et Pierre Radanne l'a bien dit, même si je regrette qu'au bout de son raisonnement, il n'arrive pas exactement aux mêmes conclusions que moi.

Il n'empêche que le jour où l'on admettra la vérité et où le réchauffement de l'atmosphère qui, comme cela a été très bien dit, se situe entre 1,5 et 6 degrés sera constaté, on assistera à un changement complet des mentalités et des opinions.

Nous devons précéder ces changements de mentalités, car si nous ne prenons pas de l'avance, notre gestion politique s'avérera difficile.

C'est pourquoi je dis oui à l'énergie nucléaire et oui aux énergies renouvelables. Les deux types d'énergie ne sont pas opposés : il faut que les deux puissent coexister. Cela signifie qu'il faut aller au-delà des idéologies actuelles et des terrorismes qui nous empêchent de travailler sur de nouvelles centrales à sûreté renforcée qui seraient susceptibles d'éviter les accidents nucléaires.

Il est essentiel, selon moi, qu'il y ait un lien entre la sûreté nucléaire et la radioprotection. En ce sens, comme cela a été dit précédemment, l'amendement du Sénat à la proposition de loi tendant à la création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale est un amendement dangereux, dans la mesure où, pour des raisons qui sont - au Parlement, il me semble qu'il faut tout dire - de pures raisons de baronnie et de pouvoir, il sous-tend que l'Office de protection contre les rayonnements ionisants - OPRI - peut avec l'INERIS constituer le corps de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, ce qui est une véritable ineptie.

Cette question doit être examinée prochainement par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis par l'Assemblée nationale le 12 décembre. J'espère que la commission de la production et des échanges interviendra sur ce point.

Pour ce qui me concerne, j'ai dit mon sentiment et j'en ai fait part au Premier ministre dans une lettre que je lui ai adressée. Il semble que la position du Gouvernement ne soit pas celle du Sénat, mais j'insiste sur le fait qu'il serait totalement inepte de traiter à part le problème de la radioprotection et de le réduire à un problème de santé, car on retomberait ainsi dans le faux débat précédent.

Je serai, la semaine prochaine, conduit à développer cette question des liens entre les différents organismes et de la manière dont ils doivent être organisés en précisant qu'au niveau de la direction de la sûreté des installations nucléaires, la chose est très bien conduite. Toutefois, lorsque le pouvoir politique se mêle de sûreté nucléaire, il ne fait que retarder un certain nombre de décisions. J'ai élaboré un rapport sur ce thème dont nous aurons, je pense, l'occasion de reparler la semaine prochaine.

J'évoquerai pour conclure les points suivants. Il faut développer la recherche dans certains domaines. Vous avez parlé de la pile à combustible, mais je pense que d'autres énergies renouvelables doivent être étudiées. Nous devons nous battre pour la pile à combustible mais également sur bien d'autres sujets ayant trait aux énergies renouvelables. J'ignore quel est l'organisme de recherche qui doit prendre l'affaire en main. Si c'est le CEA, cela suppose de modifier ses missions. Les énergies renouvelables sont sans doutes des solutions adaptées pour un certain nombre de pays du Sud, alors que nos discussions font souvent référence aux pays du Nord.

En outre, je dirai comme Christian Bataille, que, personnellement, je regrette moins à La Haye l'absence de parlementaires, car quelques-uns y étaient présents, que l'absence d'information sur la façon dont ils ont été désignés. Il devrait, à mon sens, appartenir à notre commission de procéder à cette désignation car le thème de la conférence relevait de sa spécialité au sein du Parlement, même s'il est possible d'imaginer qu'elle se fasse en lien avec l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Qui a désigné ces parlementaires ? Si ce sont des ministres, la chose est anormale car le Parlement doit désigner ses représentants !

Je formulerai encore une critique, mais le lieu s'y prête, pour dénoncer, comme je l'ai fait dans un courrier adressé au Premier ministre et dont vous avez sans doute reçu une copie, la pauvreté de la délégation scientifique qui accompagne les hommes politiques français en comparaison de celles des pays voisins. Ces derniers arrivent avec une armée de scientifiques qui sont effectivement capables d'argumenter sur les questions de puits de carbone alors que nous avons, nous, comme vous le dites vous-mêmes, des organismes déjà pauvres en scientifiques et qu'en plus, nous n'envoyons pas les meilleurs d'entre eux accompagner nos délégations.

Il y a là un changement qui s'impose et, monsieur le président, je pense que c'est l'un des points que nous devrions dénoncer de manière très forte pour que, dans les prochaines réunions, de vraies délégations de scientifiques puissent accompagner nos représentants politiques.

Avoir des diplomates, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant !

M. le Président : Je partage tout à fait votre point de vue. Je n'avais pas souhaité participer à la réunion de Kyoto dans les conditions qui m'étaient proposées parce que ma présence n'était pas prévue dans le cadre d'une délégation de l'Assemblée nationale. Or, j'estime qu'une délégation parlementaire doit avoir son autonomie et pouvoir faire valoir ses vues. On ne peut pas aller aux conférences internationales « dans les valises des ministres » : j'estime que ce n'est pas digne du Parlement et en disant cela, je n'attaque aucun ministre, j'énonce une question de principe !

Je donne maintenant la parole au dernier orateur, M. Roger Meï.

M. Roger Meï : J'avais été désigné avec Christian Bataille et quelques autres députés pour me rendre à Kyoto à la demande de Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, qui avait souhaité qu'y soient présents quelques membres de la commission de la production et des échanges. Or, au dernier moment, nos passeports prêts, on nous a fait savoir que Mme Voynet ne souhaitait pas que des députés défenseurs du nucléaire l'accompagnent. Monsieur le président, vous vous en souvenez certainement.

Mon intervention sera brève.

Je voudrais d'abord dire au professeur Arthus que j'ai apprécié son intervention et lui demander si la radioactivité naturelle n'a pas favorisé l'apparition et l'évolution de la vie. Je m'interroge d'ailleurs sur le point de savoir si la radioactivité n'a pas aidé la grand-mère, dont parlait Robert Galley, à dépasser les 85 ans.

Ne peut-on aller jusqu'à dire qu'un certain taux de radioactivité est nécessaire au maintien de la vie ? C'est peut-être là un argument à développer.

Pour ma part, je suis maire d'une commune située sur un bassin minier et je suis l'un des rares députés, sinon le seul, à évoquer l'avenir du charbon. Vous me pardonnerez de le rappeler !

Pour m'être rendu à La Hague, j'estime que si l'on avait appliqué des précautions aussi rigoureuses aux mines qu'aux installations nucléaires, on aurait certainement gardé en vie des centaines de mineurs.

Par ailleurs, je voudrais rappeler que l'on peut aider des pays sous-développés, notamment la Chine et l'Inde que l'on n'empêchera jamais d'utiliser leurs considérables ressources de charbon, non pas en leur achetant des droits à polluer mais en leur proposant une technologie efficace d'utilisation de ce charbon. A ce propos, je voudrais évoquer la technique du « lit fluidisé circulant » dont une chaudière de ma ville est dotée. Le rendement est doublé par rapport à celui des chaudières classiques, ce qui signifie qu'en aidant des pays tels que la Chine ou l'Inde avec de telles technologies, on réduirait de moitié leurs émissions de gaz carbonique. Je crois qu'il fallait le dire !

Avec l'accord du président, je souhaiterais également parler de la fusion nucléaire. L'avenir a appartenu pendant un temps à la fission nucléaire, mais il appartiendra à la fusion nucléaire d'ici à cinquante ans. Des efforts importants ont été consentis en sa faveur et des avancées significatives ont été enregistrées en Grande-Bretagne et dans d'autres pays, mais aussi en France et en particulier à Cadarache.

Je pense d'ailleurs qu'il faudra qu'un jour une délégation parlementaire visite Tore-Supra, qui est une installation d'avenir dans la mesure où elle utilise le deutérium de l'eau lourde, dont le potentiel énergétique est équivalent à la consommation de dizaines de milliers d'années sans présenter pratiquement le moindre risque.

Pour ma part, si je ne suis pas entré au c_ur de l'usine de La Hague bardé de protections qui me faisaient ressembler à un cosmonaute, je suis entré dans le Tore de Cadarache, parce qu'avec le procédé de fusion et l'utilisation des plasmas, il n'y a presque plus de risques. Je crois que notre commission a tout intérêt à s'informer sur ces perspectives.

J'ai été très bref, mais je tenais à formuler ces quelques observations.

M. le Président : Je rappelle que notre prochaine séance sera consacrée à l'avenir de la filière nucléaire et que ces questions pourront donc être posées aux responsables qui seront là pour y répondre.

Pour en revenir aux défis environnementaux qui nous intéressent aujourd'hui, je donne la parole à M. Le Bars.

M. Yves Le Bars : J'ai bien entendu tout ce qui a été dit et, pour moi, il est important de bien en tirer parti.

Concernant les échéances, je voudrais rappeler que nous travaillons effectivement à fournir un dossier pour 2005. Pourquoi cette date ? Pour que la commission nationale d'évaluation dispose effectivement d'un an, comme la loi l'a prévu, pour communiquer les résultats de son évaluation.

Comme je l'ai rappelé à partir du communiqué gouvernemental du mois de juillet, on ignore si ce rendez-vous sera décisionnel.

Pour autant, je crois qu'en matière de gestion des déchets radioactifs, nous avons besoin de tels rendez-vous et un certain nombre de pays en fixent d'ailleurs d'assez fréquents, suivant des rythmes allant de trois à cinq ans.

Nous devons nous fixer ces rendez-vous, notamment parce que nous menons une action de recherche et de développement et que les trois axes de recherche ne sont pas, ainsi que je l'ai dit, trois solutions concurrentes, mais une matière au sein de laquelle il nous faudra puiser pour trouver des solutions, prouver leur sûreté, leur réversibilité et pour juger de leur impact économique.

Concernant la transmutation, il est vrai qu'elle n'est pas à situer dans la même perspective temporelle que le conditionnement des déchets ou que le stockage géologique. Des recherches sérieuses sont conduites, mais il s'agit, comme cela a été rappelé, de recherches de base et il est donc impossible d'en commander la conclusion. Alors que l'on peut « mettre le paquet » sur des développements technologiques, les recherches de base comportent forcément plus d'aléas, ce qui les situe sur une échelle temporelle différente.

Je tiens également à ajouter que la transmutation n'est pas efficace à 100 % et qu'elle n'évite pas la mise en place de solutions de stockage durable pour les déchets de haute activité qui resteront à gérer.

Concernant le deuxième laboratoire, je crois que la mission granit a été, pour tous, un mauvais moment. Nous entendons les critiques et nous essayons d'en tirer le meilleur parti. Nous avons effectivement besoin d'un processus de négociation locale, que nous pourrions appeler « une stratégie ». Cette dernière, dans le cadre de la loi de 1991, doit pouvoir être menée avec un soutien national qui, entre autres choses, a également sans doute fait défaut à la mission granit.

Pour ce qui est relatif aux visiteurs du laboratoire de Bure, je crois que, dans leur majeure partie, ils sont loin d'être des opposants au projet. On essaie d'analyser leur origine et leur situation socioprofessionnelle et je tiens les résultats de ces enquêtes à la disposition de François Dosé.

M. François Dosé : Ce sont sans doute les participants de voyages organisés !

M. le Président : La parole est à M. Radanne.

M. Pierre Radanne : La question du nucléaire et de l'effet de serre ayant été évoquée à plusieurs reprises, je crois qu'il nous faut l'aborder en toute franchise. Le rapprochement des deux termes engendre un certain malaise qu'il convient de dépasser.

Le fond de la question est de savoir quel crime profite à qui. Il est vrai qu'à un moment donné la critique sur le nucléaire a profité aux combustibles fossiles et que la critique sur l'effet de serre apparaît, pour certains, être une réhabilitation du nucléaire.

Cette démarche n'est évidemment pas sérieuse. Comme M. Galley l'a mentionné, nous avons eu notamment dans le débat de La Haye à traiter cette question. Je dois vous dire que la présidence française a fait face, sur les quinze pays européens, à treize demandes d'exclusion du nucléaire du mécanisme de développement propre. Elle n'y a pas donné suite et, de toute façon, la question ne se pose pas en ces termes. En effet, la Chine et l'Inde refusent absolument qu'une quelconque autorité de pays développé interdise à des pays de cette ampleur l'utilisation d'une technique, quelle qu'elle soit.

En conséquence, ces pays nous disent que puisque nous voulons contingenter l'accès à telle technique, par exemple le nucléaire, ils demanderont d'interdire le dépassement de certains seuils de consommations de ressources d'énergie aux pays développés.

Ce débat fait long feu ! Il pose une question d'équité : à partir du moment où l'on admet que certains pays souverains utilisent certaines techniques, il faut admettre que d'autres pays souverains y aient également accès, le tout sous couvert de ce dont parlait précédemment François Dosé, c'est-à-dire des conditions de sérieux dans l'utilisation desdites techniques. Il s'agit plus de définir des modalités d'utilisation que d'interdire ou d'autoriser certaines technologies.

M. Jean-Yves Le Déaut : Quels sont les deux pays, qui, sur les quinze pays européens, n'ont pas voté comme les autres ?

M. Pierre Radanne : La France et la Finlande ! La Belgique et la Grande-Bretagne demandent aujourd'hui d'exclure le nucléaire du mécanisme de développement propre. Cela étant, cela n'aboutira pas pour les raisons que je viens d'évoquer concernant la Chine et l'Inde et sur ce point, j'essaie de dépeindre fidèlement la situation.

Pour ce qui a trait à la France, le nucléaire représente un tiers de sa production d'énergie. On peut donc dire que, s'agissant de la part du nucléaire, notre pays a « fait le plein ». La question de l'effet de serre ne peut donc pas être réduite à celle du nucléaire. Le nucléaire contribue à la réduction des émissions, c'est un fait, quelles que soient les opinions que l'on peut en avoir les uns ou les autres. Mais, comme l'a mentionné M. Deprez, nous avons un énorme problème avec les transports. En 2010, ils seront à l'origine de 40 % des émissions de gaz carbonique en France. Il faut étudier ce problème et, dans le cadre du nouveau plan d'efficacité énergétique qu'annoncent en ce moment même Mme Dominique Voynet et M. Christian Pierret, nous rencontrons une véritable difficulté. Je crois que le développement du ferroviaire en France est une priorité pour de multiples raisons. Je pense honnêtement que nous n'avons pas été suffisamment performants sur ce sujet.

En outre, au-delà des questions du nucléaire et de l'effet de serre, je crois que l'opinion attend que l'on développe des stratégies de moindre risque qui reposent en grande partie sur les énergies renouvelables et les économies d'énergie. Il ne s'agit pas pour autant de prétendre à l'hégémonie : le système énergétique imposera soit d'utiliser des combustibles fossiles, soit de faire du nucléaire, car on ne sait pas approvisionner nos sociétés sans avoir recours à l'un ou l'autre.

La question du nucléaire d'un point de vue mondial, et non pas franco-français, se heurte toutefois à la question de la maîtrise de ces techniques par les pays en développement. Tous les États ne pouvant pas y avoir accès à la même vitesse, une stratégie complexe devra nécessairement jouer sur plusieurs comportements. J'ai cité à ce propos les transports, les énergies renouvelables et les économies d'énergies, qui sont des aspects du problème tout à fait fondamentaux.

Pour compléter ma réponse à Christian Bataille, j'ajouterai qu'aujourd'hui, le coût de la tonne de carbone tourne autour de 500 F. Avec ce chiffre, les gisements d'économie d'énergie sont considérables.

J'en arrive à deux points de détails circonstanciels. La délégation parlementaire présente à la conférence de La Haye était composée de Mme Peulvast-Bergeal, M. Cochet, M. Vergès, députés, et de M. Lepeltier, sénateur. J'ajoute que la délégation scientifique était de très bon niveau, notamment sur les sujets relatifs aux puits de carbone. La délégation n'a donc pas manqué de responsables scientifiques puisqu'elle comptait notamment des membres de l'ONF, dont c'est le métier et qui ont fait tous les calculs en temps réel et à la même vitesse que les experts américains. La délégation française était d'une quarantaine de personnes et couvrait tous les champs de compétence : rassurez-vous !

M. Jean-Yves Le Déaut : Il n'y avait pas de membres du CNRS...

M. Pierre Radanne : Si, et je vous en enverrai la liste si vous le souhaitez, Monsieur Le Déaut.

M. le Président : La parole est à M. le Professeur Arthus.

M. Jean-Claude Arthus : Si je reprends la parole, c'est pour répondre aux quelques remarques qui ont été faites et surtout pas pour alimenter des polémiques.

S'agissant des victimes de Tchernobyl, M. Birraux, loin de vouloir minimiser le nombre de victimes, je tiens à préciser que les liquidateurs ont été pris en compte et qu'aujourd'hui des enquêtes épidémiologiques sont réalisées sur 600 000 d'entre eux avec les moyens du bord. Le seul élément qui en est nettement ressorti est une augmentation du taux de suicides par rapport à une population de référence.

En revanche, je m'étonne qu'on ne parle jamais des 700 000 à 800 000 personnes qui ont été déplacées dans leur pays et qui sont considérées comme des pestiférées. Parmi elles, on trouve de nombreux problèmes de psychoses liés à l'accident. Le fait d'avoir parlé des risques liés aux irradiations fortes qui se traduisent par des morts ne doit pas nous faire oublier en outre les risques de cancers, dont on enregistre un excès dans la population, notamment chez les enfants. On note, aujourd'hui, rien que sur les enfants, une augmentation du nombre de cancers de la thyroïde, de l'ordre de 1 500, qui ne sont pas bénins puisqu'ils ont déjà fait deux ou trois morts.

J'ajouterai une autre remarque sur la transposition en droit français des dispositions internationales, notamment de la convention internationale sur la protection contre les rayonnements. Je regrette, comme le disait M. Birraux, le retard qu'a pris la France dans ces transpositions mais vous me permettrez d'accompagner ce regret de deux commentaires.

Premièrement, le milieu scientifique n'a pas trouvé d'arguments pour justifier ce changement de normes.

Deuxièmement, ce retard s'explique peut-être par les quelques difficultés qu'il y aura à faire appliquer la réglementation auprès du public. Les industriels sont prêts à l'appliquer, c'est indéniable. Mais les interprétations de la norme d'un millisievert dans le public risquent de donner lieu à des situations pour le moins curieuses.

Pour répondre aux propos de M. Galley concernant la diffusion d'informations, notamment à l'adresse des écoliers, je précise que depuis longtemps, au moins une dizaine d'années, je m'efforce en tant qu'enseignant, de divulguer cette information. Cela étant, quel est son poids quand elle est mise en parallèle avec la diffusion de la connaissance par les médias ? Si vous faites une conférence en donnant les valeurs que j'utilise et qu'à la sortie « tombe » une information radiophonique ou télévisuelle, contradictoire avec vos propos et transmise de façon réitérée, je doute que le poids de votre message conservera une importance. C'est en quoi je considère, mesdames et messieurs les parlementaires, que vous avez un rôle très important à jouer !

Concernant les pourcentages d'irradiation naturelle, il m'a été reproché d'avoir été incomplet compte tenu de la rapidité de mon propos. Il est vrai qu'il est difficile de trouver une unité et que ce sont sans doute les ordres de grandeur et peut-être les pourcentages qui sont les plus éclairants. C'est pourquoi j'ai parlé de 15 % d'irradiation cosmique, de 17 % en moyenne d'irradiation tellurique et de 8 % d'auto-irradiation. Le dernier chiffre qui vous manquait était peut-être le taux d'irradiation due au radon, qui est estimé à 60 %.

Pour ce qui est de l'accident de Saragosse, on en revient aux considérations de fortes doses. Il s'agit là en effet de doses qui sont des milliers de fois plus importantes que celles liées à l'irradiation naturelle. Le dérèglement d'un accélérateur pour le traitement des affections néoplasiques constitue évidemment une erreur très grossière !

Je souhaiterais répondre à M. Le Déaut sur la radioprotection qui doit être, selon lui, impérativement associée à la sûreté nucléaire. Je dirai que je le comprends mais qu'en tant que médecin, je considère toujours, comme beaucoup de mes collègues, que la radioprotection relève fondamentalement d'un problème de santé auquel le ministère de la santé n'a jamais voulu consacrer les moyens nécessaires.

Je comprends que, face à cette inefficacité due au manque de moyens du ministère de la santé, les responsables que vous êtes aient envie de voir évoluer les choses et envisagent d'autres solutions. Mais, je le répète, la radioprotection pose, dans sa mise en _uvre, un problème de santé publique. En effet, si, en milieu industriel, la mise en _uvre de la radioprotection correspond à une valeur ajoutée à un produit, en milieu médical, le coût de la radioprotection, qui n'est pas excellente mais qui n'est pas, non plus, catastrophique, s'ajoute à un déficit. Tout le problème de la radioprotection en milieu médical, c'est qu'aussi peu chère soit-elle, elle pèsera toujours très lourd !

Je ne veux pas dire pour autant que nous n'avons pas des progrès à faire. Ils sont en cours, je vous le garantis, notamment dans les explorations diagnostiques, car il n'y a pas réellement de problèmes de radioprotection en radiothérapie.

Enfin, en tant que citoyen et non plus en tant que médecin ou enseignant, je tiens devant cette assemblée politique à revenir sur le rôle du politique par rapport à l'information dont le caractère est fondamental.

Pour avoir été impliqué dans le sujet, je suis un citoyen éclairé des problèmes du nucléaire et je suis assez chagrin de voir le temps qu'il a fallu pour prendre une décision et procéder à la désignation des laboratoires après les travaux réalisés par l'ANDRA pour l'étude préalable. Je suis tout à fait étonné du choix des échéances qui ont été rappelées. Vous avez parlé de la mission granit ; sans vouloir susciter de polémiques, j'ajouterai qu'elle a été délibérément sabotée par des fuites organisées. Or, en termes de communication et de responsabilité politiques, j'estime que c'est grave !

Je ne voudrais surtout pas relancer le débat, mais on a beaucoup parlé de transmutation et regretté de repousser très loin les travaux de recherche. S'il est indéniablement difficile de fixer des échéances, je m'étonne, tout en reconnaissant que certaines critiques formulées à l'encontre de Superphénix pouvaient être justifiées, que personne ne fasse état de son arrêt alors qu'il représentait un outil important pour la transmutation.

En tant que citoyen, permettez-moi de m'en étonner !

M. le Président : Pour ce qui concerne notre commission, elle a nettement pris position mais, malheureusement, sans pouvoir obtenir satisfaction.

Je vous remercie tous et toutes de nous avoir fait profiter de vos connaissances et je vous propose de suspendre nos travaux pour les reprendre la semaine prochaine.

TABLE RONDE N° 3

QUEL AVENIR POUR LA FILIÈRE NUCLÉAIRE EUROPÉENNE ?

Auditions de MM. Pascal COLOMBANI,

administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA),

Norbert KOENIG,

membre du directoire de Siemens KWU,

de Mme Anne LAUVERGEON,

président-directeur général de la Compagnie générale
des matières nucléaires (COGEMA),

de MM. François ROUSSELY,

président d'Électricité de France (EDF),

Stanislas ULENS,

administrateur d'Electrabel

et Dominique VIGNON,

président-directeur général de Framatome.

(séance du 12 décembre 2000)

Présidence de M. André LAJOINIE, Président

M. le Président : Nous abordons la troisième audition de notre commission sur le thème de l'énergie. Je rappelle, pour nos invités, que la première séance a porté sur le thème « Quelles énergies pour le XXIème siècle » qui a donné lieu à un débat très intéressant.

L'unanimité s'est faite entre les parlementaires et les intervenants sur l'idée que la demande d'énergie se ferait plus pressante en quantité et en qualité au prochain siècle, qu'il faut dès lors s'atteler aux économies d'énergie, tant énergies renouvelables que les autres types d'énergies, pour améliorer leur rendement et leur sécurité. L'énergie électronucléaire restera néanmoins l'énergie essentielle car on ne voit pas encore comment on pourrait s'en passer.

La deuxième séance avait pour thème les enjeux environnementaux des choix énergétiques. Cela a donné lieu également à un débat très intéressant, peut-être plus vif que sur le premier thème, notamment sur deux enjeux que certains mettent sur le même plan et d'autres opposent : le premier tient au risque des gaz à effet de serre, notamment du gaz carbonique émis par le transport routier. Ce risque est apparu aux intervenants comme un risque majeur et global car il touche l'ensemble de la planète avec des conséquences imprévisibles et redoutables ; le deuxième enjeu tient au risque constitué par les déchets nucléaires, qui a provoqué un débat intéressant mais qui, aux yeux de la commission, ne revêt pas la même dimension car elle le considère comme maîtrisable à brève échéance, peut-être plus facilement que le risque lié aux gaz à effet de serre. Lors du débat, a été abordé le fait que la loi du 30 décembre 1991 devait être appliquée dans sa globalité, notamment concernant les sites de stockage, y compris en couche profonde avec éventualité d'une réversibilité. Dans ce domaine, la commission a considéré qu'il ne fallait pas rester passif, mais être offensif car le retard pris met en cause la possibilité d'affronter ce risque. La commission s'est prononcée pour que le calendrier reste conforme à la loi. Ainsi en 2006, il doit y avoir un nouveau rendez-vous à l'Assemblée nationale, non pas pour conclure, mais pour marquer une étape dans la recherche.

Il me semble, pour ma part, que si l'on invoque le principe de précaution dans nombre de domaines, il serait normal qu'il le soit également pour l'enfouissement profond. Celui-ci apparaît nécessaire à tous, mais tout en conservant l'hypothèse d'une réversibilité. S'agissant de ce risque, la commission, comme ses invités, considèrent qu'on peut l'affronter et le maîtriser, mais que cela exige beaucoup d'efforts.

Nous abordons aujourd'hui le troisième thème « Quel avenir pour la filière nucléaire ? » Même si nous traitons de l'énergie nucléaire au plan national et européen, l'aspect mondial demeure en pointillés, car les enjeux sont les mêmes.

Pour cette audition, nous pourrions procéder en deux temps en raison de la restructuration des industries électronucléaires en France. En l'absence de Mme Lauvergeon qui nous rejoindra plus tard, M. Pascal Colombani, administrateur général du CEA, nous présentera brièvement le projet TOPCO, cadre de la réorganisation de la filière nucléaire française. Puis M. Norbert Koenig, membre de la direction de Siemens, enchaînera sur l'intégration de Siemens dans ce projet TOPCO.

A la suite de ces deux interventions, nous entamerons un débat avec les parlementaires. Puis nous aborderons les questions portant sur l'ensemble de la filière électronucléaire française et européenne dont l'avenir pourrait être tracé brièvement par chacun des intervenants, ce qui permettra d'ouvrir un second débat.

M. Pascal Colombani : La première question qui se pose est la suivante : pourquoi une restructuration de l'industrie nucléaire et pourquoi maintenant ? La structure de l'industrie nucléaire en France s'est construite progressivement au fil des années, dans un paysage marqué par une relative stabilité des relations entre les acteurs industriels nationaux - en charge des activités de construction de centrales, de services, de maintenance, et du cycle du combustible - et leurs clients exploitants et singulièrement EDF.

Aujourd'hui, on voit, dans le domaine de l'énergie et de l'électricité, se dessiner un nouveau panorama. Les marchés de l'énergie sont de plus en plus marqués par la déréglementation, la libre confrontation de l'offre et de la demande, la concurrence internationale, la convergence de différentes formes d'énergie.

Plusieurs opérations majeures, concernant les industries et le nucléaire, sont intervenues ces dernières années au niveau mondial et tiennent compte de cette évolution des marchés. Elles se sont traduites par le rachat par BNFL de ABB-Westinghouse et par divers rapprochements, tels ceux de General Electric et Mitsubishi d'une part et de Framatome et Siemens d'autre part. Les sociétés doivent, en effet, élargir non seulement leur gamme de produits, notamment dans le marché porteur des services aux parcs existants, mais également leur partenariat et leur présence internationale.

La réorganisation proposée s'efforce de répondre à cette évolution, en recherchant l'optimisation des structures industrielles et l'ouverture internationale dans chacun des métiers qui contribue à la chaîne de valeur dans la filière nucléaire. Elle cherche également à renforcer les capacités de mobilisation financière au service de tel ou tel de ses métiers et à assurer une lisibilité, une transparence nouvelle à un ensemble qui restait marqué par des liens juridiques et financiers complexes entre les principaux acteurs, malgré une première étape de clarification intervenue en 1999.

Le projet que nous tentons de mettre sur pied concerne l'ensemble des activités du groupe CEA Industrie et ne se limite pas au secteur nucléaire. Il est, en fait, le fruit d'une réflexion globale sur la stratégie de ce groupe. Je voudrais rappeler que le groupe CEA Industrie s'est constitué dans les années 1980, à partir d'activités industrielles issues du CEA essentiellement dans le secteur nucléaire. Sont venues s'y ajouter, dans les années 1990, des participations majeures dans le secteur de la micro-électronique et des technologies de l'information - participation dans ST Microélectronics, 7ème constructeur mondial de composants, ou la connectique développée par Framatome au titre de la diversification. Les sociétés du groupe, chacune dans leur métier, sont parmi les leaders mondiaux.

Plusieurs raisons motivent cette évolution. Tout d'abord, dans chacun de ces domaines d'activité - le nucléaire, la connectique ou les composants - des regroupements et des restructurations sont en cours à l'échelle mondiale. Pour demeurer parmi les leaders, les sociétés du groupe doivent pouvoir participer à ces mouvements et ne peuvent se contenter de gérer l'existant, malgré leur solidité financière et la bonne rentabilité de cet existant.

Par ailleurs, la structure juridique du groupe a été caractérisée par la multiplicité des holdings et les participations croisées. La complexité et le manque de lisibilité de cette structure ne facilitent ni les rapprochements stratégiques, ni l'accès aux investisseurs et au marché qui sont nécessaires pour des entreprises qui ambitionnent de se développer.

Fondamentalement, le projet TOPCO, nom de code actuel du projet de réorganisation en profondeur de l'actuel groupe CEA Industrie, a un double objectif : renforcer la compétitivité globale de l'industrie nucléaire et développer de nouvelles activités en créant, à partir des activités existantes, un pôle électronique et des technologies de l'information.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un projet industriel. TOPCO, holding qui regroupera les participations actuelles de CEA Industrie, est un groupe industriel, avec une stratégie industrielle. L'organisation par métiers distincts, dans le pôle nucléaire, permettra d'optimiser les structures industrielles, de développer les partenariats nécessaires à chacun de ces métiers, d'améliorer la compétitivité des activités, de rationaliser et de coordonner les stratégies de diversification. Enfin il permettra de consacrer des moyens disponibles à des domaines à fort potentiel de développement.

Le schéma actuel est complexe, presque incestueux au regard des participations croisées au capital et aux conseils d'administration des uns et des autres. C'est un élément déjà difficile à expliquer à un investisseur, d'autant plus à un observateur étranger.

La structure proposée, beaucoup plus simple, comprend deux grands pôles : un pôle nucléaire et un pôle technologies de l'information. Tous deux dépendent d'une holding industrielle dont le nom est TOPCO.

Les métiers nucléaires sont organisés selon leur business lines. Ils sont principalement regroupés dans Framatome-ANP avec une participation de 66 % de TOPCO et 34 % de Siemens et au sein de COGEMA nucléaire, pour l'amont et l'aval du cycle ; d'autres activités concernant notamment l'instrumentation nucléaire s'y ajoutent.

Chacune de ces business lines a vocation à se développer globalement à l'échelon international, en nouant les alliances et en prenant les participations nécessaires à l'international.

S'agissant du pôle technologies de l'information, il est constitué essentiellement, à ce jour, d'une part, de la filiale connectique, filiale de Framatome aujourd'hui et demain filiale de TOPCO, dont le capital sera ouvert à hauteur d'environ 40 %, et d'autre part, de la participation de 11 % détenue actuellement par CEA Industrie dans ST Microélectronics.

La fusion des holdings CEA Industrie, COGEMA et Framatome dégage une force de frappe financière très importante qui permettra d'investir dans chacun des domaines que je viens de citer ainsi que dans de nouveaux domaines. Elle permettra d'initier le fonds pour le démantèlement des installations obsolètes, ceci même en prenant en compte les nécessaires modifications d'actionnariat de TOPCO.

Il est probable - mais tout reste encore à évaluer de façon très précise - qu'après constitution de TOPCO, le CEA restera un actionnaire très majoritaire, le reste du capital étant réparti entre les actionnaires minoritaires dont environ 5 % dans le public. A terme, TOPCO aurait vocation à ouvrir son capital au marché ou à d'autres investisseurs.

M. le Président : La parole est maintenant à M. Koenig, membre du directoire de Siemens, qui nous donnera son avis sur l'intégration de Siemens dans le projet TOPCO, complétant ainsi les propos de M. Colombani, en exposant la position d'un groupe industriel allemand lié à TOPCO.

M. Norbert Koenig  (1): Siemens a toujours dit clairement que la filière nucléaire était, pour elle, un métier central. Par ailleurs, en Europe et dans le monde, le marché s'est transformé pour devenir de plus en plus concurrentiel.

Pour nos activités nucléaires, nous avons cherché des partenaires. Framatome était un partenaire de longue date puisque nous coopérions avec elle depuis 1989, au sein de NPI. La participation à Framatome nous a été proposée à plusieurs reprises, mais Siemens a toujours suivi une politique de participation majoritaire ou cherchait, au moins à avoir une minorité de blocage.

Dans le cas de Framatome, ces conditions n'étant pas remplies, ce n'était pas possible, car nous n'aurions même pas détenu une minorité de blocage de 33 %. M. Colombani vient de nous dire ce qu'il en était d'une holding encore plus importante, telle que TOPCO. Cette participation n'est donc pas non plus possible. La solution acceptée par les deux parties consiste donc à créer une coentreprise dans laquelle les deux sociétés réuniront les activités nucléaires.

La nouvelle structure présentée par M. Colombani ne nous limitera pas en tant que partenaire de Framatome, car nous partons du principe que TOPCO reprendra tous les droits et devoirs de Framatome, et que Framatome-ANP (la coentreprise avec une participation de Siemens de 34 %) deviendra le leader sur le marché mondial.

Nous savons également que cette restructuration a fait l'objet d'une audition auprès de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Tout le monde est soulagé car nous avons reçu le feu vert de Bruxelles ; il n'y a donc plus d'entrave à la création de cette joint-venture au début de l'année prochaine.

M. le Président : La parole est à M. Vignon, Président-directeur général de Framatome, sur l'état d'avancement de l'EPR, puis à M. Roussely.

M. Dominique Vignon : Je voudrais vous indiquer où en est le projet EPR et plaider, de façon quelque peu directive, pour son engagement.

Votre commission a déjà eu l'occasion de se pencher sur l'économie de l'énergie. Nous nous dirigeons vers un monde qui nécessitera de plus en plus d'énergie. Même dans l'hypothèse basse, l'énergie consommée, dans les cent prochaines années, sera le triple de l'énergie consommée durant les cent cinquante dernières années.

Nous vivons dans un monde « énergivore », ce pour diverses raisons : la croissance de la population et du niveau de vie, la correction des inégalités puisqu'actuellement, environ 20 % de la population mondiale consomme 75 % de l'énergie mondiale, inégalité qui ne pourra perdurer. S'y ajoutent les problématiques d'accès aux ressources fossiles et d'émissions de dioxyde de carbone (CO2).

A toutes ces problématiques, le nucléaire apportera une réponse dans plusieurs grandes zones géographiques - l'Asie et les Etats-Unis. En Europe, un tiers de l'électricité est d'origine nucléaire et un certain nombre de réacteurs ont été mis en séance avant 1980. Ce sont, pour l'essentiel, les centrales non françaises qui seront arrêtées les premières, compte tenu de la relative jeunesse du parc français.

Les centrales mises en service avant 1980 ne sont que six en France alors qu'on en trouve un grand nombre dans plusieurs pays étrangers. La problématique de remplacement des centrales nucléaires en Europe est une problématique commune européenne, avant d'être celle du renouvellement du parc français.

C'est dans cette perspective que Framatome et Siemens ont uni leurs efforts, dès 1990, pour développer un nouveau modèle de réacteur, l'EPR. Les constructeurs, avec la participation de l'ingénierie EDF, ont proposé un avant-projet détaillé. En parallèle, les autorités de sûreté françaises et allemandes en ont fait la revue. A ce tournant de l'année 2001, nous en sommes au stade où nous attendons la lettre officielle de la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), qui devrait donner son aval à l'ensemble du processus technique déjà entrepris.

Vers la fin 2002-début 2003, un rapport préliminaire de sûreté pourra être déposé, pour des constructions envisagées de 2007 à 2012. Est visé là éventuellement le renouvellement du parc EDF, mais aussi et surtout, le fait que l'industrie française et Framatome-ANP, en joint-venture avec Siemens, doivent disposer d'un modèle de réacteur vendable dans le reste de l'Europe, aux Etats-Unis et en Asie.

De 1992 à 2000, environ 1,5 millions d'heures d'études ont été effectuées, financées pour moitié par la partie française et pour l'autre moitié par la partie allemande. Pour ce qui concerne la France, le financement se répartit ainsi : deux tiers par EDF et un tiers par Framatome.

Ce projet vise un marché dont j'ai déjà esquissé la description, c'est-à-dire celui d'un réacteur pour pays développés ou pour pays asiatiques en voie de développement. Le réacteur a été conçu en fonction de contraintes environnementales, de façon à réduire le nombre de sites sur lesquels il faudrait implanter des centrales nucléaires et, par conséquent, son niveau de puissance est relativement élevé. L'EPR permet également de réduire le volume des déchets et le niveau de rayonnement.

S'agissant de pays développés et de zones très densément peuplées, l'accent a été mis sur l'accroissement du niveau de sûreté par réduction de la probabilité de fusion de coeur et réduction d'éventuels accidents qui, en aucune circonstance, ne devraient entraîner une augmentation de la radioexposition au-delà des limites de site.

Les grandes options de conception de l'EPR visent notamment à accroître la redondance des systèmes, réduire la probabilité d'accidents, diminuer les conséquences radiologiques et récupérer le c_ur fondu en bas du réacteur.

Une importante question concerne la compétitivité. Je l'ai laissée à M. Koenig, qui s'exprimera de nouveau sur le sujet, ainsi qu'à M. Ulens. Nous pensons que le réacteur EPR, pour autant qu'on n'en construise pas un seul, sera compétitif par rapport à toutes les autres formes de production d'énergie, notamment par rapport au charbon et au gaz.

Quels sont les enjeux d'une décision en faveur d'une centrale de référence EPR ? L'enjeu fondamental est de disposer en Europe, et plus spécifiquement en France, des compétences pour demeurer un acteur de taille mondiale dans ce secteur énergétique qui aura son rôle à jouer dans le futur. Pour ce faire, il faut savoir concevoir, prescrire, et donc entretenir et développer nos compétences d'ingénierie. Cela ne peut être réalisé que sur de nouveaux réacteurs.

En Chine, par exemple, nous reproduisons des réacteurs déjà réalisés, ce qui ne nous permet pas de développer les compétences d'ingénierie, essentielles pour mener à bien des projets. La réalisation de l'EPR permettrait d'assurer un « pic de charge » d'environ deux cent cinquante emplois très qualifiés, dans les compétences clé de la technologie nucléaire.

Toutefois, pour maîtriser la filière nucléaire, il faut également savoir et pouvoir fabriquer les composants, notamment les cuves et les générateurs de vapeur qui sont spécifiques. Ceci n'est possible qu'à l'occasion de réalisations. Ces équipements sont limités en nombre, mais représentent 60 % du coût des chaudières.

Pour l'outil industriel français, la réalisation de l'EPR représente un enjeu fondamental, notamment pour notre usine de Châlon-sur-Saône ou notre usine de Jeumont. En ordre de grandeur, cela représente une charge de travail d'environ 1,5 million d'heures, dont plus d'un million d'heures à Châlon-sur-Saône. Si cette réalisation n'est pas entreprise, nous devrons certainement nous poser la question de la survie même de cet outil industriel et envisager sa fermeture.

Ce sont les quelques éléments justificatifs que je voulais souligner pour plaider en faveur de l'engagement le plus rapide possible de l'EPR.

M. le Président : Nous allons écouter maintenant M. Roussely.

M. François Roussely : Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux propos de M. Vignon, si ce n'est que du point de vue de l'exploitant, un argument supplémentaire joue en faveur de la réalisation de l'EPR. Comme M. Vignon l'a indiqué, l'EPR n'est pas nécessaire pour assurer le renouvellement immédiat du parc car ce renouvellement, dans ses tranches les plus anciennes, interviendra, pour une durée de vie des centrales d'une quarantaine d'années, entre 2015 et 2030.

Mais de mon point de vue et au-delà des arguments développés que j'approuve, il demeure un élément que seul l'exploitant peut mettre en avant. En effet, le nucléaire civil est sur le point d'entrer dans une phase - on pourrait retrouver la même analogie avec le nucléaire militaire - où, pour la première fois depuis une longue période, les exploitants en arriveraient à exploiter des équipements sans y incorporer du progrès technique, si nous ne réalisions pas l'EPR.

Jusqu'à ce jour, la construction de notre parc électronucléaire a suivi une évolution continue, qui a permis à chaque génération d'incorporer dans la totalité du parc et non pas simplement dans les centrales les plus récentes, le meilleur de la technique.

Aujourd'hui, si l'EPR ne devait pas être réalisé, nous nous trouverions donc dans une situation qui conduirait à exploiter un parc pendant une vingtaine d'années sans y intégrer aucun progrès technique.

Or, on a pu constater, lors d'incidents d'importance variée, combien le fait d'avoir mené des travaux pour l'EPR a été utile, par exemple, pour résoudre des problèmes apparus sur des enceintes. Cela est assez particulier à l'ampleur et à la standardisation du parc EDF et doit être une raison supplémentaire à celles mentionnées par M. Vignon pour souhaiter que soit prise, dans les années à venir, la décision de réaliser l'EPR.

M. le Président : M. Koenig va maintenant nous faire part du jugement qu'il porte sur l'état d'avancement de l'EPR, nous dire si ce projet lui paraît nécessaire à la pérennité de l'activité nucléaire de son entreprise et son sentiment sur l'avenir d'une entreprise comme la sienne, qui fait partie de la filière nucléaire, dans un Etat qui a décidé de renoncer à celle-ci.

M. Norbert Koenig : Vous avez parfaitement raison, le Gouvernement allemand a pris une décision qui, en tant que fabricants et citoyens responsables, ne nous convient pas à 100 %.

Siemens est le seul fournisseur de centrales nucléaires clefs en main, à eau pressurisée et à eau bouillante. Nous avons construit des réacteurs ici et là en Europe. Au Brésil, la première installation est en préparation, et nous espérons pouvoir la livrer aux clients dès Noël.

Nous travaillons avec quatre mille collaborateurs répartis sur six sites, en Allemagne et aux Etats-Unis. Sur trois sites en Allemagne et un site aux Etats-Unis, nous fabriquons des éléments de combustible nucléaire et leurs composants.

Notre avenir dépend de l'ouverture d'esprit de l'opinion publique face aux nouvelles technologies. Je le répète, la décision du gouvernement allemand a été, à cet égard, un très mauvais signal.

En Allemagne, 35 % de l'approvisionnement en électricité proviennent de l'énergie nucléaire. Cela ressemble fort aux chiffres cités par M. Colombani pour l'Europe. En Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, l'énergie nucléaire est la moins coûteuse ; elle présente donc un avantage compétitif extraordinaire sur le marché européen.

Les grandes nations industrialisées comptent deux pays relativement frileux en matière d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire : l'Allemagne et la Suède. En Chine, au Japon, en Russie, on continue, voire on reprend l'exploitation de centrales assez âgées. Aux Etats-Unis par exemple, c'est une activité très lucrative.

Les discussions concernant l'énergie nucléaire en Allemagne ont conduit, le 14 juin 2000, à un accord entre les représentants de la filière nucléaire et le gouvernement pour un abandon progressif de cette filière. Je comprends que les exploitants aient pris cette décision, car ils n'avaient justement pas le choix pour assurer le traitement des déchets nucléaires.

Cet abandon progressif permettra une exploitation résiduelle jusqu'en 2024. Ce compromis permet donc aux exploitants de produire la même quantité d'énergie nucléaire que par le passé. Par conséquent, nos activités nationales restent planifiables, car les exploitants veulent évidemment que les installations soient sûres jusqu'aux derniers jours. C'est également le souhait de tous les gouvernements, présents ou à venir.

Avant l'arrêt prévu du dernier réacteur allemand, il y aura de nombreuses élections législatives. Peut-être les choses changeront-elles alors.

Pour conserver notre compétitivité et notre compétence en matière nucléaire, nous devons en outre pouvoir commercer à l'international. Cela représente 50 % du chiffre d'affaires de l'activité nucléaire de Siemens. Grâce à notre alliance avec Framatome, nous pensons que cette part augmentera.

A l'exception de l'installation brésilienne qui sera prochainement mise en service, nous n'avons que des projets de modernisation, mais ils permettent aux ingénieurs de conserver leurs compétences et de trouver des solutions innovantes. Nous avons également modernisé les installations d'autres constructeurs européens, y compris des installations de conception russe. Vous n'êtes pas sans savoir qu'à l'heure actuelle, nous équipons une centrale en Chine en partenariat avec les Russes. Nous avons enregistré beaucoup de succès aux Etats-Unis. Nous sommes fiers de nos interventions à Callaway et Comanche Peak. Nous avons conclu un contrat conjoint avec l'exploitant, mais nous savons que ces exportations nucléaires ne sont possibles que lorsque le fournisseur peut garantir un financement et des cautions.

S'agissant des réacteurs de conception russe, Siemens a pu obtenir la couverture nécessaire. Un refus de caution de la part du gouvernement mettrait en effet en danger la participation à de tels projets. Beaucoup de projets internationaux ont fait l'objet de coopération internationale, sous forme de consortiums ou d'alliances, comme celle de Framatome et Siemens, qui participe à la modernisation de plusieurs centrales. M. Vignon a d'ailleurs indiqué que, dès le début du développement de ce nouveau projet de centrale en 1989, notre collaboration avec Framatome a été tout à fait positive.

J'en viens maintenant à un document qui présente les coûts comparatifs d'une centrale EPR et de centrales classiques, pour une installation complète en Allemagne (cf. annexe 2, page 147). La troisième colonne concerne un EPR première version.

Les première et deuxième colonnes de ce schéma présentent les coûts spécifiques d'une centrale thermique moderne soit au charbon, soit au gaz naturel, avec des prix de revient de combustible datant d'il y a quelques années, 1989 me semble-t-il. Les coûts spécifiques de l'EPR ne dépassent que de 4 % les coûts d'une centrale à gaz naturel, avec un prix de revient du gaz naturel datant d'il y a deux ans.

Si l'on prenait en compte les prix actuels, les coûts seraient tout à fait en faveur de l'EPR. Il y a deux ans, le coût d'une centrale nucléaire traditionnelle était déjà 6 % inférieur à celui d'une centrale à charbon ou au gaz naturel. Il s'agit en outre d'un ravitaillement en énergie autarcique, c'est-à-dire présentant moins de contingences politiques que le pétrole, ce qui constitue un élément très important pour de nombreux pays.

Ce projet permettrait aux équipes de Siemens-Framatome-ANP de travailler sur les projets les plus sophistiqués. Cette collaboration garantirait une production d'énergie propre et compétitive. La politique actuelle du gouvernement fédéral ne pourra pas être maintenue. Il n'existe aucune réponse convaincante à la question du remplacement de l'énergie fournie par les centrales nucléaires.

Si l'on considère les problèmes climatiques, il s'avère qu'abandonner les centrales nucléaires est faire un pas dans la mauvaise direction. L'heure de vérité va bientôt arriver. Les centrales nucléaires devraient pouvoir se maintenir, auquel cas les EPR joueront un rôle clé. Ces projets garantissent la maîtrise de la France et de l'Allemagne en matière de réacteurs nucléaires.

M. le Président : La parole est maintenant à M. Stanislas Ulens. Quelle est votre appréciation sur la durée de vie du parc d'Electrabel, les perspectives possibles de son renouvellement, le calendrier, les modalités envisageables, les filières techniques possibles et le démantèlement ? Vous nous ferez part également de votre opinion quant à la compétitivité de l'électricité d'origine nucléaire pour un opérateur privé.

M. Stanislas Ulens : Comme les activités du groupe Suez-Lyonnaise des Eaux se limitent actuellement à l'exploitation des centrales nucléaires de Tractebel, une filiale d'Electrabel qui est le pôle énergie de Suez, je commencerai par donner un bref aperçu du parc nucléaire belge.

La Belgique dispose de sept réacteurs nucléaires de type REP, dont quatre sont installés à Doel en Flandre et trois à Tihange en Wallonie, pour une puissance totale installée de 5 713 gigawatts, ce qui représente environ 39 % de la puissance installée des centrales belges. Il est intéressant de noter qu'avec cette puissance installée, la production nucléaire représente 58 % de la production d'électricité et qu'ainsi, la Belgique occupe le troisième rang mondial dans la hiérarchie des parts du nucléaire dans la production d'électricité, après la France et la Lituanie.

On peut distinguer deux générations de réacteurs :

- une première avec l'installation, à Doel, de Doel 1 et 2 et de Tihange 1, avec mise en service en 1975 ;

- une seconde avec quatre centrales d'environ 1 000 mégawatts : Doel 3, Tihange 2 qui ont démarré en 1983, Tihange 3 en 1985, et Doel 4.

Un second producteur belge, la SPE, société publique, participe à hauteur de 4 % du capital dans ces centrales.

Enfin, il existe une longue histoire de collaboration franco-belge dans le domaine nucléaire. EDF participe à hauteur de 50 % dans la centrale de Tihange 1 tandis que les électriciens belges participaient pour 50 % dans la centrale de Chooz A, le premier REP français qui est actuellement à l'arrêt.

Nous disposons de 12,5 % de puissance à Tricastin et nous avons participé à Superphénix. Enfin, nous disposons de 25 % de la centrale de Chooz B, ce qui aurait dû être équilibré, à l'époque, par une participation de 50 % d'EDF dans 12.5 ou N8, projet qui n'a jamais vu le jour.

En ce qui concerne la durée de vie prévue pour le parc belge, il faut noter que les autorisations sont données sous forme d'arrêtés royaux, sans limitation de durée. Toutefois, les autorisations prévoient des révisions décennales de sûreté. A cette occasion, il est vérifié que la centrale a maintenu son état de sûreté d'origine et que l'état de l'installation et les consignes qui y sont appliquées sont comparables aux normes, règlements et pratiques en vigueur aux Etats-Unis et dans l'Union européenne.

Un rapport fait ressortir les différences constatées, la nécessité et la possibilité d'y porter remède et, le cas échéant, les améliorations qui devront être apportées à l'installation, ainsi que le calendrier des travaux. Les autorisations prévoient explicitement l'arrêt des centrales pour des raisons de sûreté clairement identifiées.

Dans une déclaration de juillet 2000, le gouvernement actuel a prévu « un moratoire à faire respecter sur la production d'électricité nucléaire, y compris le retraitement et le mox ». Le gouvernement est donc prêt à s'engager dans la sortie progressive de l'énergie nucléaire, et ce en respectant les objectifs fixés par la conférence de Rio et le protocole de Kyoto quant aux émissions de CO2.

Afin de laisser aux scientifiques le temps nécessaire à la mise au point de nouvelles sources massives d'énergies alternatives, renouvelables et propres, la Belgique s'inscrit dans un scénario au terme duquel la désactivation des centrales nucléaires sera entamée, dès qu'elles auront atteint l'âge de quarante ans.

Le Gouvernement consultera l'Agence européenne de l'environnement et une commission d'experts internationaux, désignés par lui, sur la faisabilité et la mise en _uvre de ce scénario. Il va de soi que nous respecterons cette décision, dès qu'elle sera traduite dans des textes administratifs.

Néanmoins, nous continuons à estimer que la durée de vie des centrales doit être déterminée par des considérations de sûreté et d'économie. Les centrales seront arrêtées le jour où la réparation nécessaire au maintien de leur fiabilité et de leur sûreté ne se justifiera plus économiquement.

Nous estimons d'ailleurs que la Belgique ne pourra pas satisfaire les normes de Kyoto. En effet, celles-ci imposaient à la Belgique de réduire de 7,5 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, mais actuellement, cette réduction devrait être de 19 % en raison de l'évolution des émissions intervenue entre-temps.

Aujourd'hui, la production d'électricité n'est responsable que de 16,5 % des émissions totales de gaz à effet de serre en Belgique. Mais ces émissions totales augmenteraient de 12,5 % si l'on remplaçait les centrales nucléaires par des centrales au gaz naturel, de 28 % si on les remplaçait par des centrales à charbon, et de 20 % si on les remplaçait par des centrales utilisant le même panier de combustibles fossiles que celui utilisé actuellement.

Il est intéressant de noter qu'avec une durée de vie des centrales de quarante ans, nous ne sommes pas encore à mi-chemin de la production nucléaire totale. En effet, les premières centrales, les plus petites, s'arrêteraient en 2015 et les dernières, les plus puissantes, en 2025.

En ce qui concerne le démantèlement de ces centrales, des provisions sont constituées annuellement, l'objectif étant de disposer des fonds nécessaires, trente ans après la mise en service des centrales. On bénéficie donc d'une marge de man_uvre d'au moins dix ans par rapport au calendrier de fermetures actuellement prévues.

En ce qui concerne la construction éventuelle de nouvelles centrales, le Gouvernement a confirmé, dans sa déclaration, le moratoire existant qui figurait déjà dans toutes les déclarations gouvernementales, depuis l'abandon du projet N8 en 1986.

Le moratoire n'a pas de caractère légal, mais il est clair que dans le cadre actuel, il est impossible d'obtenir une licence ou une autorisation pour la construction et l'exploitation d'une centrale nucléaire en Belgique. Même sans moratoire, nous n'envisageons pas, dans les années qui viennent, la construction d'une centrale nucléaire en Belgique, ou autre part en Europe, compte tenu de la surcapacité de production actuelle.

Ce n'est que dans le cadre d'un renouvellement du parc que l'éventualité de la construction d'une centrale nucléaire peut être réaliste. Mais malgré le moratoire, nous sommes convaincus que l'abandon définitif du nucléaire serait une erreur, ceci tant pour des raisons économiques -risque de renchérissement du prix des combustibles fossiles -, de sûreté et d'approvisionnement - trop grande dépendance à l'égard du gaz naturel - qu'écologiques - effet de serre, épuisement des combustibles fossiles.

Nous considérons qu'il convient de maintenir l'option nucléaire ouverte. Bien que nous estimions, en tant qu'exploitants, que le développement de nouvelles filières ou de nouveaux types de réacteurs soit, en première phase, la tâche des centres de recherche et, en seconde phase, celle des constructeurs, nous avons participé, nous participons ou participerons activement à de nombreux projets tels que l'EPR, l'EPP (European Passive Plant), version européenne et à puissance augmentée de l'AP600 de Westinghouse, l'ADS (Accelerated Driven System), le réacteur Rubbia, projet regroupant plusieurs constructeurs et centres de recherche européens, le HTR (High Temperature Reactor) et l'ITER pour les réactions de fusion.

Toutefois, nous sommes opérateurs et non pas constructeurs de centrales nucléaires et, traditionnellement, nous n'utilisons que des techniques ayant atteint une certaine maturité.

La question de savoir si la production d'électricité nucléaire peut être compétitive pour un opérateur privé nous est fréquemment posée. Notre entreprise est, en effet, une société privée, cotée en bourse, et faisant partie d'un groupe privé. Nous avons, pendant vingt-cinq ans, exploité des centrales nucléaires d'une façon sûre et économiquement justifiée.

Nous ne croyons pas que la nature de la société exploitante soit déterminante dans cette question. Certes, des différences parfois notables peuvent exister entre les règles du jeu applicables aux sociétés publiques et celles applicables aux sociétés privées, ne serait-ce qu'en raison des possibilités de financement à moindre coût, grâce par exemple à des garanties explicites ou implicites de l'Etat ou du fait que les critères de rentabilité retenus ne sont pas exactement les mêmes dans les deux cas.

Mais une question plus pertinente se pose. Le nucléaire peut-il être économiquement attractif dans un monde libéralisé, sans monopole ni marché assuré ? Le nucléaire n'est-il pas trop pénalisé par les investissements lourds à court terme qu'il suppose et le fait que les profits ne peuvent être espérés que dans un futur parfois éloigné ? Ou encore, la durée de construction relativement longue des centrales, dans un paysage électrique en pleine évolution, n'handicape-t-elle pas cette source d'énergie ?

Ce sont les questions que doit se poser, dans un monde libéralisé, tout investisseur, qu'il soit public ou privé. Nous craignons, en effet, que la situation actuelle, marquée par un secteur électrique en pleine évolution, ne soit guère favorable au nucléaire. Nous estimons important qu'un Etat qui, dans sa politique énergétique, réserve une place au nucléaire, tienne compte de cette réalité.

M. le Président : Nous allons demander à M. Colombani de reprendre la parole pour nous donner son opinion sur la durée de vie des réacteurs français actuels, les options technologiques envisageables pour les réacteurs futurs, et les progrès que l'on peut attendre en termes de sûreté des déchets. J'ajouterai une question à laquelle il n'y a pas encore eu de réponse, concernant les perspectives pour la fusion.

M. Pascal Colombani : L'extension de la durée de vie du parc en service est un élément déterminant de l'augmentation de la compétitivité, car elle permet de produire des kilowatts/heure avec des tranches amorties.

Contrairement aux Etats-Unis où le référentiel de sûreté est fixe et où les autorisations sont données pour quarante ans avec une éventuelle prolongation de vingt ans, en France, le référentiel de sûreté est évolutif et les autorisations données par l'autorité de sûreté le sont pour des périodes de dix ans, lors de visites décennales.

Je simplifie en disant cela car, en fait, le système aux Etats-Unis est plus complexe et tient compte d'évolutions qui ne sont pas programmées de la même façon qu'elles le sont en France. Cela étant, aux Etats-Unis, des prolongations à soixante ans ont déjà été obtenues. Les demandes devraient se poursuivre à un rythme de huit à quinze par an, ce qui permettrait un maintien de la capacité actuelle jusqu'en 2030. Le système est tel aux Etats-Unis que le nucléaire est devenu une véritable « vache à lait » ; les ventes de centrales d'occasion et les échanges entre exploitants et opérateurs se sont poursuivis à un rythme élevé.

En droit français, c'est l'exploitant qui est responsable de la sûreté des tranches et de la préparation des dossiers démontrant que le niveau de sûreté est conforme au niveau requis.

La préparation de ces dossiers relève d'une activité d'ingénierie pour laquelle l'exploitant s'organise et sollicite éventuellement son fournisseur, en général Framatome. En amont de cette activité, des actions de recherche et développement sont nécessaires et, pour partie, confiées au CEA.

L'autorisation d'exploiter une centrale pendant une période allant jusqu'à soixante ans n'est certes pas impossible, au contraire. Mais la méthodologie d'évaluation impose de progresser par période de dix ans. Les thèmes d'études et de recherches, liés à la prolongation de la durée de vie des tranches REP actuelles, portent essentiellement sur :

- les outils et les méthodes de dimensionnement, par exemple les règles de surveillance dans le cadre de l'exploitation des matériels mécaniques, les réévaluations sismiques, la tenue des zones singulières de tuyauterie, la tenue des enceintes, ou encore la thermohydraulique des générateurs de vapeur ;

- le comportement des matériaux de structure comme les aciers de cuve, les aciers des structures internes très irradiées, ou la corrosion des circuits ;

- enfin, les contrôles non destructifs de la cuve, des tuyauteries, des générateurs de vapeur et la qualification de ces méthodes.

Dans tous ces domaines, le CEA est actif et soutient l'exploitant et le manufacturier.

S'agissant de la durée de vie des tranches actuelles, je laisserai la parole à M. Roussely, en précisant qu'une visite décennale des tranches de 900 mégawatts permet de valider le fonctionnement du parc nucléaire français pour au moins quarante ans, sinon plus.

S'agissant du réacteur du futur, l'EPR intègre déjà plusieurs réponses aux exigences posées, notamment concernant la sûreté. Le cahier des charges du réacteur du futur est en cours d'élaboration non seulement en France, dans une stratégie qui combinerait le réacteur et le cycle, mais également dans un cadre international. Je pense à ce que les Américains appellent la génération 4 sur laquelle ils sont très actifs, et aux initiatives du même type de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui étudie une nouvelle filière.

Quelles sont les grandes caractéristiques recherchées ? Nous avons déjà insisté sur la nécessité d'assurer une sûreté intrinsèque, une diminution de la production de déchets, voire la consommation d'une grande partie de ces déchets. Cela concerne l'acceptabilité du nucléaire.

Le deuxième aspect majeur est celui de la compétitivité. En particulier, l'examen des courbes présentées par Siemens, permet de constater l'importance de l'investissement nécessaire. La réduction de celui-ci pour construire une tranche nucléaire étant une condition essentielle de la compétitivité du nucléaire, les efforts de recherche doivent porter sur ce point.

Il est clair que pour l'EPR, l'accent sera mis sur le caractère le plus convaincant possible des démonstrations qui seront apportées aux autorités et au public. Les solutions supposent probablement une architecture plus simple de la « machine » et la mise en _uvre d'un plus grand nombre de phénomènes correctifs naturels, quelquefois dits intrinsèques.

Ces solutions seront atteintes de deux manières :

- en prenant en compte le retour d'expérience, le fonctionnement et la maintenance dont sont originaires la plupart des incidents ;

- grâce à des matériaux qui résistent aux températures extrêmes atteintes, à un fluide caloporteur non réactif, à des systèmes de refroidissement passifs et à un spectre de neutrons plus étendu que celui que l'on trouve dans les réacteurs thermiques.

S'agissant des projets actuels, au cours des années, de nombreuses options ont été étudiées, telles que le réacteur à gaz à haute température. Aujourd'hui, on parle beaucoup de ce réacteur. Il a déjà été étudié il y a une trentaine d'années et on en retrouve des traces dans les archives du CEA, en particulier. Mais l'important est de le replacer dans un nouveau contexte qui en modifiera la conception éventuelle. Le réacteur modulaire à cycle direct, résultat d'une collaboration entre General Atomics et Framatome, constitue également l'un des projets innovants que l'on peut trouver dans les cartons des industriels.

S'agissant de la gestion des déchets radioactifs dans le contexte des réacteurs du futur, j'ai déjà mentionné les deux premiers objectifs : une production de déchets plus faible et une capacité à incinérer les déchets existants. Le troisième objectif est celui d'économie des ressources naturelles.

La réduction de la production de déchets passe par une meilleure utilisation des matières et par le recyclage, dont la maîtrise de la gestion du plutonium constitue un fondement. Ces solutions tireront parti de nouveaux combustibles qui supportent de très forts taux de combustion, minimisant ainsi la quantité d'uranium consommée.

Les rendements des réacteurs doivent être accrus. Je reprends l'exemple du réacteur à gaz à cycle direct, qui supprime le circuit secondaire et son générateur de vapeur. J'ai évoqué tout à l'heure la physique du c_ur avec l'utilisation de spectres de neutrons durcis, favorables à la réduction des éléments radioactifs à vie longue. Il faut également examiner la façon dont la transmutation des déchets existants pourra être obtenue. Nous n'arriverons jamais à tous les transmuter, il en restera toujours un peu. Mais l'important est de réduire à la fois le volume et l'activité. Ceci peut être envisagé dans le cadre d'une conception spécifique des c_urs de ces réacteurs.

S'agissant de la fusion, nous disposons du résultat d'environ quarante ans de recherche, mais il faut avouer que nous sommes encore loin de l'objectif de production d'énergie. Les projets, menés actuellement autour de la nouvelle machine ITER, ont pour objectif de poursuivre ces recherches. Il me semble qu'il est important de les replacer dans le cadre de l'objectif ultime, qui est la production d'énergie. Certes, il est intéressant de poursuivre les recherches sur la fusion, mais sans perdre de vue que ces recherches doivent aboutir à un réacteur capable de produire de l'énergie.

S'agissant des délais, au vu des plans qui existent et des stratégies qui sont conçues, même les partisans les plus obstinés de la fusion admettent qu'avant cinquante ans, ce prototype de réacteur est impensable. Mais cela ne signifie pas qu'il ne faut pas le concevoir. En effet, les perspectives de consommation d'énergie, au cours de ce siècle, étant très importantes, aucun aspect des recherches pouvant mener à résorber ce problème ne doit être négligé.

M. le Président : Je vais maintenant demander à M. Roussely d'évoquer différents points : la durée de vie, le calendrier, le renouvellement du parc, le démantèlement des centrales existantes à long terme, la compétitivité de l'électricité d'origine nucléaire, l'utilisation du mox dans le parc et enfin l'influence de la libéralisation du marché de l'énergie sur le lancement de projets à long terme.

M. François Roussely : Quelques jours après la publication du livre vert de la commissaire européenne Mme Loyola de Palacio sur la sécurité des approvisionnements en Europe et quelques mois après le rapport de MM. Charpin, Dessus et Pellat, je me réjouis de ce débat qui permet de rappeler un certain nombre de données et de faits sur lesquels le Parlement sera amené à prendre des orientations politiques.

Pour EDF, les ordres de grandeur sont connus. 80 % de la production d'électricité sont d'origine nucléaire, le reste étant à hauteur de 15 % issu de l'hydraulique et pour 5 % des ressources fossiles.

C'est dire combien le programme « indépendance énergétique », lancé en 1973, est complètement atteint. Il suffit, pour s'en persuader, de se rappeler que, sur la base du parc fuel et charbon que nous avions en 1970, nous aurions importé, en 1999, la totalité de la production de pétrole du Koweït. Au prix du dollar de 1998, cela aurait correspondu, pour notre balance des paiements et notre économie, à 40 milliards de francs de dépenses et, au prix du dollar actuel, à 80 milliards de francs.

Les avantages que je vois au parc électronucléaire dont dispose le pays avec EDF, se situent au niveau à la fois des prix et de l'environnement. S'agissant des prix, il suffit de regarder vers l'Italie, dont le parc fonctionne pour moitié à partir de produits pétroliers. Avec le triplement du prix du pétrole au cours des derniers mois, le prix de l'électricité a augmenté en Italie de 16 % au cours des deux derniers mois. En revanche, en France, il a baissé de 2 % dans la même période pour les clients non éligibles, c'est-à-dire dans le cadre du service public et, pour les clients éligibles, de plus d'une dizaine de pour cent.

J'ajoute enfin que, d'un point de vue macroéconomique, les exportations que réalise EDF constituent le quatrième poste de la balance des paiements. Nous exportons 15 % de notre production, ce qui correspond à 15 milliards de francs gagnés pour notre commerce extérieur.

Cette compétitivité est aujourd'hui acquise et s'améliore année après année. En effet, notre parc est un des plus jeunes installés dans les pays développés, puisque sa moyenne d'âge est de quinze ans, pour une durée de vie a minima de trente à quarante ans, voire plus. Aujourd'hui, le coût de production du parc en exploitation étant inférieur à 15 centimes le kilowatt/heure, il est totalement comparable au coût le plus bas des cycles combinés gaz, que l'on constatait lorsque chacun nous incitait à fermer nos centrales nucléaires, il y a dix-huit mois de cela. Ces pressions ont été constantes.

Le coût du kilowatt/heure produit par les cycles combinés gaz était d'environ 19 à 20 centimes. Aujourd'hui, il s'établit au minimum, à 23 centimes. Je ne me prévaux même pas du prix du gaz aujourd'hui. Même lorsque le prix du baril était au plus bas, à 13 ou 14 dollars, la compétitivité du nucléaire était déjà assurée.

Au fur et à mesure que l'on progressera dans l'amortissement des centrales nucléaires, cette compétitivité va augmenter, d'autant que les combustibles sont de plus en plus performants. Il est d'ailleurs essentiel de garantir, sur le moyen terme, la compétitivité de la filière du retraitement et du recyclage. En parallèle, il est sans doute nécessaire d'améliorer les performances du mox dans les mêmes proportions que l'uox, notamment en matière de taux de combustion en réacteur.

S'agissant du mox, je voudrais rappeler qu'au cours des dernières années, EDF est passée insensiblement d'une stratégie de retraitement-recyclage dominante, dans une vision à long terme de bonne gestion des ressources naturelles, à une stratégie guidée par un souci de flexibilité vis-à-vis des décisions à venir quant aux solutions durables de traitement des déchets.

C'est dire que le maintien de cet équilibre respecte les besoins de flexibilité de l'exploitation du parc nucléaire et ne nécessite aucun investissement industriel nouveau pendant au moins une dizaine d'années.

Ceci vous montre les avantages économiques et financiers du parc nucléaire.

S'agissant de l'avantage environnemental, quelques semaines après la conférence de La Haye, chacun a en mémoire que le nucléaire constitue le seul moyen de production thermique qui n'émette aucun gaz à effet de serre. Je profite de l'occasion pour vous rappeler que nous sommes le seul pays au monde à produire 95 % de notre électricité sans produire un centimètre cube de gaz carbonique. Le kilowatt/heure français émet treize fois moins de CO2 que le kilowatt/heure allemand et dix-sept fois moins que le kilowatt/heure danois, qui est pourtant un pays souvent cité en matière de protection de l'environnement et de développement des énergies renouvelables. De plus, la filière nucléaire est la seule à intégrer, depuis l'origine, la totalité des coûts du cycle.

S'agissant des effluents, ils sont cent fois inférieurs au seuil sanitaire. Ils ont baissé d'un facteur de vingt à cinquante depuis le début de l'exploitation. Cela a permis à l'autorité de sûreté d'en tirer toutes les conséquences, notamment en diminuant ses autorisations.

Enfin, comme cela apparaît bien dans le rapport de MM. Charpin, Dessus et Pellat, la compétitivité peut se mesurer en intégrant des déséconomies externes liées au coût des autres filières, notamment les externalités liées au CO2 produit, y compris par les cycles combinés gaz qui produisent du gaz carbonique (ils en produisent deux fois moins que le charbon mais l'hydraulique ou le nucléaire eux, n'en produisent pas du tout). Si on estime cette externalité de l'ordre de 4 centimes par kilowatt/heure, on constate que quelles que soient les évolutions prévisibles des prix relatifs, le prix du kilowatt/heure nucléaire, y compris en intégrant l'ensemble de l'aval du cycle, du retraitement et du démantèlement, est tout à fait compétitif aujourd'hui et le sera demain.

A ce titre, il est important de rappeler que, contrairement à un stéréotype répandu dans le monde entier, la France n'est pas seule à produire de l'énergie électronucléaire. En effet, 20 % de la production d'électricité dans le monde est produite à partir d'environ 440 réacteurs nucléaires. Plus d'une trentaine de réacteurs sont, par ailleurs, en cours de construction dans le monde. A l'échelle européenne, 35 % de la production d'électricité est d'origine nucléaire.

Comme le souligne le rapport de la Commission européenne, si aujourd'hui rien n'est fait, le taux de dépendance énergétique de l'Europe passera de 50 % aujourd'hui à 70 % dans les années à venir, sans que soit envisagé, par ailleurs, l'arrêt du nucléaire dans d'autres pays.

Quelles sont les perspectives face à cette situation ? Le démantèlement des installations anciennes a commencé, notamment celui des centrales de première génération, c'est-à-dire la génération des graphites-gaz ainsi que Brennilis pour l'eau lourde et Chooz A pour l'eau pressurisée.

Les normes de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) prévoient trois stades dans le démantèlement. Nous envisageons d'atteindre, à Brennilis, le niveau 2 en moins de dix ans, à compter de l'arrêt du réacteur. Cela concerne la zone à confiner, réduite autour du bâtiment abritant le réacteur, et la libération partielle du site. Il était prévu une deuxième période qui, dans la classification normale, intervenait près d'une cinquantaine d'années après l'arrêt du réacteur.

Compte tenu des expériences passées, nous souhaitons enchaîner les phases les unes après les autres pour procéder à la libération complète du site, dans la continuité, et réaliser ce démantèlement sur vingt ou vingt-cinq ans plutôt que sur une période de plus de cinquante ans.

Les provisions sont souvent citées. L'ensemble des expertises, y compris un rapport récent de la Cour des comptes, a montré que l'ensemble du cycle du démantèlement était bien provisionné sur une période de trente ans, à raison de 15 % du coût des investissements. J'ajoute que les premières expériences que nous avons du démantèlement confirment ce chiffre. Quant à la provision réalisée par EDF, elle s'élève aujourd'hui à 56 milliards de francs sur les 105 à 110 que nous devons constituer pour procéder au démantèlement, ce qui est cohérent avec l'âge moyen du parc qui est de quinze ans.

Le seul élément nouveau, concernant ces provisions, est qu'il a été souhaité qu'une partie d'entre elles soit constituée sous forme d'actifs dédiés, avec des titres immobilisés de façon identifiée. Ainsi, plus de 8 milliards de francs sont identifiés dans nos comptes à ce titre.

S'agissant des problèmes de longévité, il est envisagé, notamment aux Etats-Unis et au Japon, par accords entre les autorités de sûreté et les exploitants, de porter de façon régulière, et au fur et à mesure des renouvellements, de quarante à soixante ans la durée de vie de ces centrales. Cela ne concerne pas EDF, puisque la plus ancienne de nos centrales, Fessenheim, a eu 20 ans en 1997. Nous préparons aujourd'hui sa troisième visite décennale, qui aura lieu dans un peu moins de dix ans. Compte tenu de la doctrine, qui est de renouveler les autorisations par période de dix ans à l'occasion des visites décennales, nous verrons alors quelle sera la position de l'autorité de sûreté.

Nous n'avons aucune raison de penser qu'elle aura une position restrictive puisque, contrairement à la pratique de ses homologues américains, l'autorité de sûreté française a pour habitude, à l'occasion de chacune de ses visites décennales, de nous demander d'intégrer, dans l'ensemble du fonctionnement du parc, les améliorations ou corrections qu'elle croit devoir apporter à tel ou tel équipement. Or du point de vue de la doctrine, l'autorité de sûreté américaine vérifie simplement la conformité à l'autorisation initiale.

La période qui s'ouvre devant nous, soit une vingtaine d'années s'agissant de la partie la plus ancienne de notre parc, est tout à fait propice à investir massivement, intellectuellement et financièrement sur les déchets, suivre l'évolution des autres filières et maintenir au meilleur niveau nos capacités d'ingénierie, de recherche et de réalisation. Maintenir l'option nucléaire ouverte serait un vain mot si, dans vingt ans, au moment de mobiliser nos capacités de recherche ou industrielles, elles avaient disparu.

S'agissant des perspectives à une vingtaine d'années, je ne partage pas les doutes de notre collègue belge quant au rapport du nucléaire avec le marché. Il me semble que le nucléaire a parfaitement sa place dans un marché ouvert. Il suffit de regarder l'exemple américain. Contrairement à ce que l'on entend dire ici ou là avec beaucoup d'approximations, les centrales américaines qui sont fermées sont celles qui étaient les plus mal gérées. Ce n'est pas du tout pour des raisons environnementales ou de principe. Au contraire, parmi les 103 ou 104 réacteurs américains, certaines des centrales sont remarquablement bien gérées, voire même mieux que les nôtres ou que les meilleurs modèles finlandais. On trouve donc sur le marché, très compétitif aux Etats-Unis compte tenu de la palette de combustibles dont ils disposent dans tous les domaines, des centrales tout à fait compétitives sur un des marchés les plus ouverts.

Si l'on compare le nucléaire avec d'autres types de ressources, il est prévisible que dans les trente à cinquante années à venir, nous aurons épuisé les ressources pétrolières les plus facilement accessibles. Nous serons alors dans des schistes bitumineux, ce qui augmentera le prix du brut, et nous atteindrons certaines limites quantitatives.

S'agissant du prix du gaz, il augmentera, mais beaucoup plus lentement. En effet, les quantités prévisibles de ressources vont jusqu'à la fin de ce siècle, mais elles seront beaucoup plus excentrées par rapport aux lieux de production. Si les investissements réalisés pour des cycles combinés gaz sont effectivement plus légers et à retour sur investissement plus court que le nucléaire, il sera néanmoins nécessaire d'investir en gazoducs, investissement relativement lourd, avec des taux de retour sur investissement importants.

Comme cela est démontré dans les rapports d'experts du Commissariat général au plan ou de la Commission européenne, le nucléaire a sa place dans le paysage énergétique. Dans le livre vert publié par la Commission européenne, il est dit explicitement que, sans le nucléaire, nous ne tiendrions pas les engagements de Kyoto. Nous avons déjà vu la difficulté à franchir cette étape, lors de la conférence de La Haye.

Je suis persuadé que le nucléaire, aujourd'hui et demain, respecte l'environnement et constitue un élément de développement durable, de sûreté des approvisionnements et de compétitivité de l'ensemble de notre économie. Le fait de livrer à l'ensemble de l'économie, depuis vingt ans, un kilowatt/heure à un coût très faible demeure pour la France un élément fondamental de compétitivité de ses entreprises.

M. le Président : Nous avions déjà évoqué ce livre vert, publié par la Commission européenne, qui constitue réellement une étape nouvelle. En effet, au regard de la situation de l'Europe et du renoncement officiel au nucléaire d'un certain nombre de pays, le rappel de la Commission est un élément extrêmement important, voire un virage car elle engage les pays européens.

J'invite les députés à poser maintenant des questions.

M. François Dosé : Je souhaiterais, en premier lieu, faire quelques remarques préalables, puis une observation plus technique sur les propos des intervenants et je terminerai par deux questions. Je rappelle que cette audition portait sur le thème « Quel avenir pour la filière nucléaire européenne ? »

L'étudiant que je reste, toujours ravi d'élargir ses connaissances, a été gâté pendant cette heure et demie. Toutefois, si les orateurs sont de bons professeurs, il reste que leurs contributions sont partielles, partiales et partisanes, car ce sont des opérateurs. C'est à la démocratie, avec certes toujours l'apport des opérateurs, de faire certains choix dans le domaine de la santé, de la formation, des énergies.

Au lendemain du sommet de Nice, on a évoqué l'avenir du nucléaire en Europe, mais non pas l'avenir du nucléaire européen, ce qui est une petite nuance.

Enfin, sachez que je suis un militant du rapprochement de la France et de l'Allemagne. Je voudrais dire, avec beaucoup d'amitié, que je n'approuve pas les commentaires de notre collègue et ami, M. Koenig qui, en tant que fabricant et citoyen responsable, conteste la position du gouvernement allemand.

J'estime qu'il n'est pas obligatoirement irresponsable de prendre du recul. Je le dis avec d'autant plus de sérénité que je crois sincèrement que l'industrie chimique et sa déclinaison nucléaire sont un élément raisonnable et pertinent de la production énergétique pour les années futures.

L'industrie et la production nucléaire sont une des réponses à tous nos défis économiques, financiers et environnementaux, mais pas la seule. Il faut continuer dans la diversification énergétique et faire en sorte d'arriver à une meilleure maîtrise des déchets, la solution actuelle n'étant pas satisfaisante.

Enfin, mais ce n'est qu'une question de sémantique, je ne crois pas que l'on puisse parler du réacteur du futur, même dans le nucléaire. C'est là un abus de langage. Il existe probablement déjà un réacteur qui sera plus performant que le nôtre, y compris au niveau environnemental, mais il n'y a jamais une seule solution aux problèmes posés.

J'en viens à mes deux questions. En premier lieu, pensez-vous vraiment qu'en l'état actuel de la société, on peut exporter ces hautes technologies ailleurs que dans des pays développés ? Ne considérez-vous pas que cela crée un risque de colonisation par la technologie, comme il y a cinq siècles de cela, on pouvait parler de colonisation par les comptoirs ?

L'option nucléaire ne me pose aucun problème pour l'Europe, mais je crains qu'un certain nombre de sociétés n'aient pas les moyens techniques et financiers d'assumer les technologies que vous proposez. Cela crée un rapport de dépendance ambigu. Je souhaite que tous les pays accèdent à ces technologies, mais les groupes industriels, qui veulent atteindre une dimension internationale, ne doivent pas trouver leurs assises en s'implantant dans des pays où leur pérennité pourrait poser des problèmes.

Par ailleurs, j'ai noté des divergences d'appréciation entre M. Ulens et M. Roussely. Si la libéralisation ou la privatisation de la politique énergétique a des vertus, cette compétition internationale n'est pas non plus sans risque en raison de la lourdeur des investissements. La recherche du meilleur prix ne peut pas toujours être l'élément affiché. A cet égard, l'agro-alimentaire nous donne une bonne leçon. Que ne dit-on pas aujourd'hui ? Peut-être fallait-il acheter des aliments de meilleure qualité et moins bon marché. Le critère de rentabilité doit-il toujours être de mise pour les technologies nucléaires ?

M. Léonce Deprez : Je suis sensible à la sincérité des propos des orateurs. Chacun doit s'exprimer en fonction de ses connaissances et non pas d'autres impératifs qui pourraient biaiser les propos.

J'ai relevé quelques points qui paraissent essentiels aux yeux des élus nationaux. Si rien n'est fait au niveau de l'Europe, son taux de dépendance énergétique passera de 50 % à 70 %. Cette phrase de M. Roussely me paraît être, politiquement, d'une importance essentielle et gravissime. Je voudrais savoir dans quel délai vous situez ce passage de 50 % à 70 % et comment faire pour ne pas arriver à une telle situation.

Une autre phrase très importante sur le plan politique, car nous sommes de plus en plus sensibles aux questions d'environnement, est la suivante : « Sans le nucléaire, nous ne tiendrons pas les engagements de Kyoto ».

A cet égard, le président Lajoinie avait demandé aux Américains comment ils comptaient respecter les engagements de Kyoto alors qu'ils n'en sont encore qu'à une production énergétique traditionnelle. Nous avons eu leur réponse à La Haye. Les Américains, pour le moment, ne respecteront pas les engagements de Kyoto. Vous considérez que, sans le nucléaire, ce sera également le cas de la France. Or, les députés français y sont très attachés.

S'agissant du mox, la réponse ne m'est pas apparue très claire. Quid du mox pour aujourd'hui et demain ? Peut-on le considérer comme une solution, y compris au Japon et aux Etats-Unis, où nous l'avons exporté ?

Enfin, comment passer d'une filière nucléaire en Europe à une filière nucléaire européenne, c'est-à-dire à une politique européenne et non plus à une politique nationale du nucléaire en Europe ?

Mme Michèle Rivasi : Je voudrais revenir sur l'EPR. Ce n'est pas un système nouveau, puisqu'il avait été présenté il y a déjà quelques années. A l'époque, il avait été considéré comme révolutionnaire. Puis, lorsque l'on s'est aperçu qu'il ne l'était pas tant que cela, on a alors parlé d'EPR « évolutionnaire ». L'EPR, si on y regarde de plus près, n'apporte pas de grandes nouveautés, si ce n'est qu'on est capable de détecter l'hydrogène et de récupérer le c_ur en cas de fusion. Ce réacteur est, en fait, à l'heure actuelle, déjà dépassé.

J'aurai quelques questions à l'adresse du CEA qui peut être considéré comme « l'outil » d'innovation en matière nucléaire. Si un nouveau réacteur doit véritablement être expérimenté, il doit présenter plus de sûreté, améliorer la combustion et surtout réduire les déchets au maximum. Or, l'EPR ne me semble pas satisfaire ces exigences. Peut-être répond-il au critère de sûreté, mais très peu aux deux autres critères. Vous avez évoqué un réacteur à gaz à circuit direct sur lequel j'aimerai avoir plus de détail.

Le graphique que M. Koenig a présenté relatif aux coûts comparés de différentes installations (cf. annexe 2, page 147) m'a fortement surprise. Je n'arrive pas à comprendre, dans ce graphique, la comparaison faite entre EPR et centrale classique, notamment entre gaz naturel et EPR - en prototype je présume -, puis EPR en série. A une époque, le prix évoqué pour un EPR en prototype était de 15 milliards de francs nets, voire plus, ce qui n'est absolument pas comparable au coût d'une centrale à gaz. C'est la première fois que je vois un tel schéma qui présente aussi peu de différence entre un prototype EPR et une centrale à gaz naturel.

Ensuite, j'aimerais que M. Koenig aborde le sujet du rapatriement des déchets allemands stockés à La Hague. On parle du coût du nucléaire et de la filière nucléaire, mais si l'on se situe dans un cadre européen, il conviendrait qu'il y ait une certaine solidarité et que vous récupériez vos déchets. En France, une loi interdit le stockage des déchets étrangers à La Hague. Or, cela fait des années que vos déchets y sont, que les conteneurs sont prêts et qu'ils ne partent toujours pas vers l'Allemagne.

Il est dommage que Mme Lauvergeon ne soit pas présente, car j'aurais souhaité poser une série de questions sur le retraitement. Nous avons en effet entendu le témoignage du représentant d'Electrabel, qui indiquait le désengagement d'un certain nombre de pays en matière de retraitement.

S'agissant du mox, je voudrais savoir si EDF compte n'en utiliser que dans vingt réacteurs, ou aller au-delà. Combien cela coûtera-t-il à EDF, alors qu'une directive européenne ouvre le marché de la concurrence sur le prix de l'électricité ?

Enfin, à quand le démantèlement d'EDF ? En effet, EDF avait été saisie par la direction de la sûreté des installations nucléaires qui lui demandait d'accélérer le démantèlement de ses centrales au graphites gaz. Vous mettez toujours en avant Brennilis, mais c'est un tout petit réacteur. S'agissant des centrales au graphites gaz, il vous avait été demandé de réduire leur durée de vie, actuellement de cinquante ans, car nul ne peut préjuger de ce que sera EDF alors. Or, c'est à cette entreprise qu'il revient de financer le démantèlement. Elle est en mesure de le faire maintenant, mais qu'en sera-t-il dans cinquante ans ?

Toujours sur le même sujet, le CEA ne semble pas disposer de provisions importantes en vue du démantèlement de ses réacteurs. Avez-vous constitué des provisions à cet effet, compte tenu du coût énorme que cela représente ? Quand j'entends dire que le nucléaire est une énergie propre avec un prix faible, il faut néanmoins souligner que l'ensemble du coût de l'investissement a été supporté par l'Etat.

L'investissement ayant été amorti, il est vrai que du point de vue du fonctionnement, le prix du kilowatt/heure peut paraître relativement faible. Encore faut-il évaluer avec précision le coût du démantèlement. Si l'on considère que le démantèlement de Marcoule s'élève à 38 milliards de francs, cela donne déjà une idée du coût que représentera le démantèlement de cinquante-quatre réacteurs.

S'agissant de la gestion des déchets radioactifs, il n'a toujours pas été décidé de les stocker en souterrain ou en surface. A Brennilis, tous vos déchets sont stockés sur le site car il n'y a pas de site de stockage sur les TFA. Cela pose donc toute une série de questions pour lesquelles on n'a aucune réponse.

Enfin, ne mettons pas trop l'effet de serre en avant. Il est certain que, pour vous, cela constitue un bon argument. Toutefois, ce sont les transports qui sont les premiers concernés. Si nous parvenions à une autre politique des transports, nous respecterions sans problème les engagements de Kyoto.

M. Jean-Michel Marchand : Mon propos sera bien moins technique que celui de ma collègue. Vous nous avez parlé de ce fameux réacteur du futur, mais il faut aussi tenir compte des conditions économiques. Pourquoi nombre de pays en Europe ont-ils pris la décision de ne pas reconduire leur programme nucléaire ou ont-ils décidé un moratoire ?

Je tire de vos propos un autre élément. Vous avez indiqué tout à l'heure que les centrales américaines sont compétitives. J'en conclus que les centrales non nucléaires américaines le sont également.

Enfin, un dernier élément pèsera sur la décision d'un renouvellement du parc nucléaire. Il s'agit de la volonté des citoyens et de la responsabilité des représentants politiques. Je n'émets aucune critique à l'égard de nos prédécesseurs qui ont pris la décision de l'indépendance énergétique, en privilégiant la filière nucléaire. Mais à plus ou moins long terme, les élus devront prendre, au sein de cette assemblée, la décision du renouvellement, en tenant compte de l'opinion publique telle que vous la connaissez.

Je tire néanmoins différents éléments positifs de vos propos. Selon vous, nous disposons d'une fourchette de vingt à quarante ans pour sortir du nucléaire. Cela nous donne donc le temps d'investir dans la recherche, à la hauteur des investissements qui ont été consentis pour le nucléaire, mais cette fois-ci en faveur des énergies renouvelables et propres.

Qu'en est-il, par ailleurs, du coût des déchets nucléaires, de leur retraitement et de leur surveillance sur des décennies ? Que deviendront-ils alors que l'on sait qu'il y a une mobilisation forte autour du laboratoire de Bure ? Il est acquis que ce soit un laboratoire, mais il est exclu que ce soit un site d'enfouissement en grande profondeur. Où trouverons-nous le deuxième site, quand on constate ce qu'est devenue la mission granit ?

Le deuxième volet concerne l'effet de serre. Tout d'abord, on ne peut manipuler ainsi les chiffres. Si demain, nous devions arrêter toutes les centrales nucléaires et les remplacer par des centrales thermiques, l'augmentation des émissions de CO2 serait évidemment dramatique, mais nous disposons de vingt à quarante ans pour engager cette mutation. Nous connaissons déjà quelques énergies renouvelables ; encore faut-il les développer et trouver des technologies plus performantes.

Comme ma collègue l'a indiqué, le secteur des transports est le premier producteur de gaz à effet de serre. Commençons par nous attaquer à ce problème dès aujourd'hui et non pas dans vingt ou quarante ans. Prenons des décisions pour transférer le fret de la route vers le rail.

Je comprends que vos propositions soient celles de techniciens et d'opérateurs, mais nous avons, pour notre part, à prendre des responsabilités politiques.

M. Félix Leyzour : Ma première question concerne le traitement des déchets, car nous savons que c'est une des grandes questions que pose l'électronucléaire. J'aimerais que les opérateurs ici présents nous indiquent comment ils envisagent le traitement de ces déchets. Nous savons très bien que cette question, du point de vue de la perception que l'opinion publique a de l'énergie nucléaire, est très importante.

Une deuxième question me brûle les lèvres, c'est celle de l'utilisation des stocks de plutonium militaire pour éventuellement produire de l'énergie nucléaire. Quand la question du nucléaire est abordée, on évoque toujours le nucléaire civil et très rarement le nucléaire militaire, mais il existe néanmoins. Peut-on imaginer que l'électronucléaire puisse jouer un rôle de soutien au désarmement à travers le monde ? Quels qu'en soient les formes et le rythme, il sera nécessaire d'aller dans cette direction.

Enfin, j'avais cru comprendre, à l'époque, que l'expérience de Brennilis, qui s'apparentait à une centrale relativement modeste, pouvait constituer une modalité d'utilisation de l'énergie nucléaire dans des pays en voie de développement qui n'ont pas toujours les compétences technologiques nécessaires à sa maîtrise. Même si aujourd'hui nous n'en sommes pas là, j'aurais aimé savoir s'il s'agissait d'une perspective réelle et si elle a été définitivement abandonnée.

Nous avons évoqué tout à l'heure les besoins de l'humanité en énergie. Or, nous sommes conscients que, si dans des pays comme les nôtres, nous sommes capables de maîtriser les choses, cela est beaucoup plus difficile dans des pays en voie de développement qui ont néanmoins des besoins auxquels il faudra contribuer à répondre.

M. le Président : Nous accueillons Mme Anne Lauvergeon, président-directeur général de la Compagnie générale des matières nucléaires (COGEMA).

Nous allons maintenant entendre les réponses de nos invités aux questions qui viennent de leur être posées, puis nous écouterons l'exposé de Mme Lauvergeon.

M. Pascal Colombani : J'ai noté quelques questions concernant le réacteur du futur. C'est exact, il n'y a pas un réacteur du futur, mais différentes options. Toutefois, le réacteur du futur sera global et international, pour des raisons de coûts. Si nous pouvons développer un modèle de réacteur qui soit un standard international, cela contribuera à réduire les coûts d'investissement rappelés par Mme Rivasi. Je reviendrai d'ailleurs sur les chiffres cités.

Parler de colonisation est peut-être aller un peu loin, mais il est clair que c'est une tendance dont on doit se garder, et pas seulement lorsque l'on construit des réacteurs nucléaires. Vouloir imposer des modes de développement à des pays en émergence relève également de la tentation colonialiste. Or, ce ne sont pas les nucléocrates qui, en général, cherchent à imposer des modes de développement.

Madame Rivasi s'est interrogée sur le financement du démantèlement général. Je ne pense pas que Marcoule coûte 38 milliards de francs. Pour ma part, je peux vous affirmer qu'en ce qui concerne les installations civiles du CEA, les estimations, qui comprennent Marcoule et d'autres installations, sont de l'ordre de 35 milliards de francs sur une période d'environ quarante ans. Je ne sais pas d'où sort le chiffre de 38 milliards de francs, mais je le vérifierai.

Le CEA n'est pas pauvre. Il l'est peut-être dans son fonctionnement quotidien, mais pas quant à ses participations. Je voudrais dissiper ici l'idée que la création de TOPCO viserait à faire en sorte que le CEA « pompe » l'argent des industriels. C'est complètement faux. Les actifs de CEA Industrie, qu'il s'agisse de sa trésorerie ou de ses participations dans certaines sociétés, suffiraient largement à couvrir le coût que je viens de mentionner.

Le projet TOPCO est un projet industriel qui a pour but de mettre en commun un certain nombre de ressources pour acquérir une force de frappe industrielle et financière plus importante. Dans ce cadre, nous traiterons également le problème du fonds de démantèlement, mais il n'était pas indispensable a priori de créer TOPCO dans ce but.

Une question récurrente porte sur une éventuelle opposition de l'EPR et du réacteur du futur. S'agissant du réacteur du futur, on parle déjà d'un système qui pourrait être fabriqué en série aux alentours de 2040. Le problème du renouvellement du parc se posera avant. L'EPR n'est pas « le » réacteur du futur tel que je l'ai décrit tout à l'heure. C'est une machine qui présente, en particulier du point de vue de sa productivité et de sa sûreté, des avantages notables par rapport à la filière actuelle et qui certainement mérite considération.

S'agissant des gaz à effet de serre, les centrales nucléaires n'en produisent pas, sauf pendant leur construction. Cela dit, les éoliennes en produisent également pendant leur construction, et même beaucoup plus. Cela étant, je suis d'accord avec M. Marchand. Je ferai néanmoins observer que si le ferroutage est une excellente solution, les chemins de fer fonctionnent eux-mêmes à l'électricité.

Je crois sincèrement - et là nous quittons le champ du nucléaire - que le problème posé par les transports est très grave et ne se résoudra pas seulement par le ferroutage, mais par une transformation réelle du parc automobile. Selon moi, elle peut passer par trois éléments : les voitures électriques, les voitures hybrides et les voitures à pile à combustible. Cette dernière solution semble la plus intéressante et c'est pourquoi le CEA a lancé un projet sur l'hydrogène.

M. le Président : En effet, le CEA travaille sur des énergies renouvelables, notamment la pile à combustible. Cela répond aux questions posées par Mme Rivasi et M. Marchand. Il est tout à fait juste de dire que c'est le parc routier qui crée le plus de CO2, mais le transfert de toutes les marchandises sur le rail ne peut être envisagé à brève échéance.

S'agissant de la pile à combustible, comment fabrique-t-on l'hydrogène ? On a parlé d'utiliser de l'éthanol. Par ailleurs, quelle est la quantité d'énergie électrique nécessaire pour créer de l'hydrogène ?

M. Pascal Colombani : Je ne peux vous répondre à l'instant car je n'ai pas ces informations avec moi. L'important, dans la production d'hydrogène, est de considérer l'ensemble du cycle. Il ne sert à rien de convertir le parc automobile à l'hydrogène si, en produisant cet élément, on émet encore plus de CO2.

Deux méthodes sont utilisées : le cracking des hydrocarbures, qui produit du CO2, et l'hydrolyse de l'eau. Dans les deux cas, l'énergie est indispensable. Avant de lancer des études sur les modalités de fabrication de la pile à combustible elle-même, il faut donc déjà faire un bilan et des études économiques préliminaires.

Cela dit, la France n'est pas très en avance dans le domaine de l'hydrogène par rapport à des pays voisins ou plus éloignés, amis mais néanmoins concurrents. Ce retard est dû au fait que nous avons établi les priorités ailleurs, et pas seulement dans le domaine nucléaire, au contraire.

S'agissant de la question de la combustion de plutonium, brûler du plutonium est possible dans les réacteurs du type Superphénix.

M. le Président : Cela peut faire du mox.

M. Pascal Colombani : Tout à fait.

M. le Président : Monsieur Koenig, je crois que vous avez quelque peu été interpellé par Mme Rivasi...

M. Norbert Koenig : Si vous reprenez, dans le graphique (cf. annexe 2, page 147) les colonnes qui correspondent aux prix comparatifs, dans chaque colonne en partant du bas, vous observerez des surfaces assez vastes qui représentent les prix du combustible. Ensuite, on trouve les frais d'exploitation et tout en haut, les coûts d'investissement.

Nous avons résumé ici, pour le prototype EPR, l'ensemble des coûts (combustibles, exploitation, frais de personnel, autres achats et investissements). Nous sommes partis du principe que les différentes installations ont une durée d'exploitation différente. Une centrale au gaz naturel est rarement exploitée au-delà de vingt ans alors qu'une centrale thermique peut durer jusqu'à trente ans.

Si vous refaites le calcul et comparez les centrales au gaz naturel et le prototype EPR, vous constaterez que les coûts de combustible, pour toute la durée de vie d'une centrale à gaz, sont bien supérieurs aux coûts de combustible pour une centrale nucléaire, alors que les frais d'exploitation pour une centrale à gaz sont inférieurs car elle nécessite moins de personnel et de maintenance.

Ce sont les coûts d'investissement qui pèsent le plus lourd. Vous constaterez que pour les centrales nucléaires, les investissements sont bien plus importants que pour les centrales à gaz naturel et au charbon. Je vous ai indiqué que nous avions utilisé les prix de 1998 des énergies fossiles. M. Roussely a précisé que les prix ont changé depuis, ce qui signifie que la partie inférieure du schéma, pour la centrale à gaz naturel, devrait être augmentée. C'était bien là mon argument. Compte tenu de l'augmentation du prix des énergies fossiles, la compétitivité d'une centrale nucléaire augmentera également.

Quels sont les coûts installés et les coûts par kilowatt/heure ? Si vous supposez qu'ils constituent une base du calcul de compétitivité, je vous citerai l'exemple de la Chine et des comparaisons qui y ont été faites. Hier, les représentants d'une délégation chinoise nous ont expliqués quelle était la base du prochain plan quinquennal en Chine. Il était clair qu'il s'agissait de l'énergie nucléaire. Pour eux, le coût estimé de l'électricité d'origine nucléaire est de 1 500 dollars par kilowatt. Par conséquent, l'énergie nucléaire est compétitive et l'EPR, compte tenu de ses coûts, est bien en deçà.

Mme Michèle Rivasi : A combien estimez-vous le coût de la construction de l'EPR prototype ?

M. Norbert Koenig : Vous me permettrez de ne pas citer de chiffres absolus, car ils proviennent d'une étude confidentielle entre clients et fournisseurs. Je peux vous donner des chiffres relatifs, mais pas absolus.

M. Dominique Vignon : Une question précise a été posée concernant le coût d'un premier EPR. M. Koenig y a implicitement répondu, puisqu'il a indiqué que le coût de l'EPR était inférieur à 1 500 dollars le kilowatt. Si vous multipliez ce chiffre par 1 500 mégawatts, le coût d'un EPR est d'environ 20 milliards de francs (en incluant les intérêts intercalaires). C'est une somme importante, mais cela représente aussi beaucoup d'énergie.

M. François Dosé : Je souhaite reprendre un point, car la réponse de M. Colombani ne me suffit pas. Elle a d'ailleurs été presque indélicate. Lorsque nous avons évoqué les pays sous-développés, mon propos n'était pas idéologique. Cette interprétation m'inquiète car, de votre coté, vous avez répondu en vous plaçant dans le champ idéologique, en indiquant que d'autres types de colonisation existent. Je n'en étais pas là, mon collègue non plus. Nous posions une question simple, en tant que parlementaires, et nous souhaitons qu'y soit apportée une réponse.

Estimez-vous, vous qui êtes responsable, que l'utilisation de ces technologies de très haut niveau est raisonnable dans des sociétés dont le développement en matière de formation n'est pas adéquat ? C'était l'essence de ma question. Je refuse votre réponse qui a été un petit jeu de billard à trois bandes et qui m'indique simplement que vous aviez bien d'autres options en tête.

M. Pascal Colombani : Je voudrais tout d'abord vous certifier que je n'ai pas voulu vous provoquer. Excusez-moi si vous avez pu le percevoir ainsi. Je répondrai à votre question à deux niveaux. Éliminons le mot colonisation et parlons de technologies qui sont transférables dans des pays émergents. Chaque cas est un cas d'espèce. La Chine peut être considérée comme un pays émergent. Or le transfert de ce type de technologie en Chine ne pose pas de problèmes car elle possède une main d'_uvre formée et « éducable ».

Si votre question était de savoir si l'on peut transférer ces technologies dans certains pays véritablement pauvres, je répondrai que ce n'est pas impossible. Toutefois, il ne suffit pas de transférer la technologie, il faut aussi, dans l'immédiat, transférer les services du réacteur. Ce n'est que par un effort qui durera une génération que nous aurons la possibilité de transférer la technologie. L'Inde et la Chine sont des pays qui maîtrisent la technologie. D'autres aspects sont liés à la prolifération, mais nous entrons là dans un autre domaine.

M. Dominique Vignon : Je voudrais compléter le précédent propos en indiquant qu'il existe plusieurs exemples, tout à fait évidents, dans lesquels la technologie nucléaire a été implantée dans des pays en voie de développement et a contribué à asseoir leurs bases technologiques et économiques. En son temps, le Japon a été le premier d'entre eux. La Corée est maintenant totalement autonome en matière nucléaire et a bénéficié du nucléaire pour développer son industrie. Demain, ce sera certainement le cas pour la Chine et le Brésil.

M. François Roussely : Je voudrais dire à M. Dosé qu'il suffit d'être exploitant de centrales nucléaires pour vendre des centrales nucléaires dans le monde, en ayant comme unique préoccupation son compte d'exploitation. Toutefois, un certain nombre de règles et de textes sur la non-prolifération font que ce qui est non seulement interdit est également contrôlé étroitement. A cela, j'ajouterai deux éléments découlant de la pratique.

Au-delà du fait que la puissance nucléaire unitaire des installations peut être relativement inadaptée à des habitats dispersés, quelques éléments me semblent s'opposer à l'utilisation généralisée du nucléaire dans des pays émergents. Les dangers liés au plutonium et à d'éventuelles utilisations militaires ne me paraissent pas être l'élément le plus important.

Le problème se situe plus à un niveau culturel et de démocratie car le nucléaire, pour être exploité correctement, suppose des systèmes redondants. Quand nous travaillons dans certains pays de l'Europe de l'Est pour mettre leurs équipements en conformité avec les standards occidentaux, la partie la plus difficile de notre tâche ne concerne pas tant l'équipement matériel que la culture de ceux qui utilisent ces équipements.

Ils doivent accepter l'idée que tout acte doit être contrôlé par une tierce personne. Non seulement les circuits doivent être redondants, mais les décisions doivent également être soumises à plusieurs regards. C'est ce pluralisme de la démocratie qui est le vrai garant de la sécurité. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura jamais d'accidents, pas plus que dans n'importe quelle autre industrie. Mais cela garantit que ce type d'activité peut être mené sans prendre de risques.

C'est cet élément, outre le niveau général de formation et les exigences de non-prolifération, qui me semble essentiel. C'est la raison pour laquelle la carte des pays possédant des installations nucléaires est relativement restreinte, et qui explique que les possibilités d'exporter sont limitées à la Corée, au Japon, voire à l'Inde ou à la Chine, mais n'aillent pas au-delà.

Je n'ai fait que reprendre deux affirmations qui sont contenues dans le livre vert publié par la Commission européenne. La progression du taux de dépendance énergétique européen, de 50 à 70 %, est liée à la fois à l'arrêt du nucléaire et à la fermeture d'un certain nombre d'équipements, simplement du fait de leur obsolescence.

Le remplacement de ces équipements, s'il ne passe pas uniquement par des énergies renouvelables ou l'énergie nucléaire, provoquera nécessairement une utilisation plus intense des combustibles fossiles - notamment en Allemagne avec le lignite - ou des importations. Celle-ci augmentera la dépendance, laquelle progresserait en raison de la fermeture des installations plutôt qu'en raison d'une moindre exploitation de combustibles en Europe. C'est sur cette base que le même rapport indique que si les 35 % d'énergie produits par le nucléaire devaient être abandonnés en Europe, il n'y aurait aucune chance d'atteindre les objectifs de Kyoto.

Certains orateurs à La Haye, ont indiqué que, même avec le nucléaire et compte tenu des problèmes de transport notamment, il serait difficile de respecter les engagements de Kyoto.

S'agissant du mox, nous aurions dû l'utiliser dans vingt-huit tranches. Or, nous n'en sommes qu'à vingt. Entre le flux de combustible retraité et le flux de combustible produit par le parc, d'une part, et la capacité d'UP2 à La Hague, conçu pour les besoins d'EDF et financé par elle d'autre part, nous sommes pour le moment dans une situation d'équilibre et d'optimum, qui correspond aussi à un équilibre de compétitivité entre le coût du mox et celui de l'uranium.

En outre, il faut également prendre en compte les délais s'écoulant entre les prises de décisions et leur application. Nous sommes d'ailleurs en train de négocier le contrat de retraitement, sur la décennie qui vient. Mais si nous voulons changer cet équilibre, il nous faut anticiper la situation au-delà de 2010. Or, une des difficultés, en matière énergétique, est de pouvoir apprécier les prix relatifs à dix ans d'intervalle.

Mme Michèle Rivasi : Ma question s'adresse à Mme Lauvergeon. Plusieurs parlementaires ont déjà évoqué le fait que la loi dite « Bataille » interdit le stockage des déchets radioactifs étrangers sur le territoire national. J'avais interpellé M. Koenig sur la question des déchets allemands, qui sont toujours à La Hague. Mais il n'y a pas que les déchets allemands, il y a aussi les déchets belges et japonais. Où en êtes-vous dans la négociation ? Je m'interroge également sur les contrats passés avec certains pays et qui ne stipulaient pas forcément une obligation de retour.

Mme Anne Lauvergeon, président-directeur général de la Compagnie générale des matières nucléaires (COGEMA) : Historiquement, il existe deux types de contrat. Dans les contrats passés avant le début des années 1980, le retour des déchets n'était pas systématique. Dans certains contrats, il était envisagé, dans d'autres pas. Dans certains cas, il était même prévu explicitement que les déchets étrangers seraient gardés, une fois traités, en France.

Depuis le début des années 1980, date qui correspond à la montée en puissance de La Hague, il est prévu que le retour des déchets soit systématique, dès lors que le traitement des spent fuels et des résidus vitrifiés est effectué. Ces retours ont commencé, mais ils exigent un certain délai car les combustibles usés qui arrivent à La Hague sont d'abord entreposés en piscine pour refroidissement, puis traités et vitrifiés, avant d'être réexpédiés. Un temps doit donc s'écouler entre l'arrivée des combustibles usés et le retour des résidus vitrifiés.

En ce qui concerne le Japon, les résidus vitrifiés lui sont restitués selon un calendrier très précis. Les retours sur le Japon ne soulèvent aucune difficulté particulière. Celui-ci reprend ses résidus vitrifiés avec un rythme de métronome.

S'agissant de la Belgique, nous avons organisé le premier retour en mars 2000, selon le calendrier prévu. Le deuxième retour a eu lieu il y a quelques semaines. Nous en sommes arrivés, avec ce pays, à un rythme régulier de retour des résidus vitrifiés.

S'agissant de l'Allemagne, les résidus vitrifiés sont expédiés à Gorleben, petite ville proche de la frontière entre les ex-Allemagne de l'Est et de l'Ouest. Les retours ont commencé en 1995, puis se sont poursuivis. En 1997, pour des raisons diverses et variées, un retour n'a pas eu lieu, juste avant les élections. La coalition, arrivée au pouvoir en 1997 en Allemagne, a alors interdit les transports de déchets nucléaires sur le territoire allemand ainsi que les retours de tels déchets provenant de pays étrangers.

Ainsi, à La Hague, depuis 1997, six châteaux de combustibles attendent leur retour vers l'Allemagne. La COGEMA entretient des contacts constants sur le sujet avec les électriciens et le gouvernement allemands, de même que le gouvernement français mène des négociations pressantes pour que les engagements du gouvernement allemand, qui sont formalisés, soient exécutés. Nous avons des engagements très clairs du gouvernement allemand, qui ont d'ailleurs été réitérés de manière plus concrète lors du dernier sommet franco-allemand de Vittel. J'ai quelques raisons de penser que nous allons enfin pouvoir organiser un retour de résidus vitrifiés au début de l'année prochaine.

Les raisons invoquées ont été nombreuses du côté allemand. J'ai déjà évoqué l'interdiction des transports à la suite de contaminations surfaciques de châteaux dans des piscines d'électriciens. Il a également été invoqué le fait que le pont qui mène à Gorleben, sur lequel doit passer le train, avait été classé et que celui-ci ne supporterait pas le poids du train. Comme aucun accord de la Deutsche Bahn n'avait été obtenu pour financer les travaux de réhabilitation du pont, ceux-ci l'ont été par les électriciens allemands. S'est posé ensuite un problème de nidification d'oiseaux migrateurs. Les travaux sur le pont ne pouvaient avoir lieu qu'à certains moments de l'année, pour ne pas déranger ces oiseaux. Nous avons également eu des problèmes avec la présence de batraciens.

Néanmoins, en mars, malgré les batraciens, les oiseaux migrateurs, le pont, l'exposition universelle de Hanovre et autres, nous devrions trouver une solution qui permette un retour effectif des résidus. Croyez bien que non seulement je le souhaite, mais que je fais tout pour que cela aboutisse et que nous puissions revenir à une pratique régulière et conforme aux contrats passés aujourd'hui avec les électriciens allemands.

Mme Michèle Rivasi : Avant 1980, nous traitions les déchets de différents pays. Ces déchets étrangers ont-ils été stockés sur le site de la Manche, qui a été fermé ?

Mme Anne Lauvergeon : S'agissant des c_urs qui ont été traités pour Vandellos, il est prévu explicitement par contrat que ceux-ci seront restitués à l'Espagne. Dans quelques cas très particuliers et très peu nombreux, certains éléments n'avaient pas été prévus explicitement dans les contrats passés avant le début des années 1980. Mais à 95 %, même avant les années 1980, un retour était prévu.

Je vous rassure sur le cas espagnol. Il est prévu qu'il y ait retour des déchets traités en Espagne.

Mme Michèle Rivasi : Je ne suis pas sûre de ce que vous dites. J'ai rédigé un rapport sur ce thème. A Vandellos, si j'en crois des rapports de la COGEMA, le combustible avait été loué aux Allemands.

Mme Anne Lauvergeon : C'est étonnant.

Mme Michèle Rivasi : Vous aviez loué le combustible à la centrale de Vandellos et, dès lors que c'était propriété française et non pas espagnole, nous avons récupéré le combustible usé que vous avez retraité à La Hague. Cette information m'a été transmise par vos services.

Par ailleurs, vous parlez de retours de déchets vitrifiés, mais cela ne concerne que des déchets C. Mais qu'en est-il des déchets B, déchets moyennement radioactifs, qu'il s'agisse de ceux en provenance du Japon, de la Belgique ou de l'Allemagne ? Lors du retraitement, on obtient non seulement des déchets hautement radioactifs, mais aussi des déchets B, voire A. Ceux-ci sont-ils également réexpédiés ?

Mme Anne Lauvergeon : C'est là une question extrêmement pointue. La COGEMA est à votre disposition si vous souhaitez en discuter hors séance (2).

M. le Président : Je vous remercie toutes et tous de votre présence.

TABLE RONDE N° 4

QUELLE ORGANISATION ÉCONOMIQUE POUR LES ÉNERGIES DE RÉSEAU ?

Audition de Mme Marie-Christine JALABERT,

représentante de la Commission européenne,

M. Jean BERGOUGNOUX,

directeur honoraire d'EDF,

M. Denis COHEN,

secrétaire général de la Fédération des mines et de l'énergie de la C.G.T.

M. Pierre GADONNEIX,

président de Gaz de France,

M. Patrick PIERRON,

représentant de la Fédération européenne des syndicats des mines, de la chimie et de l'énergie,

M. Philippe TORRION,

directeur de la stratégie à Electricité de France

(séance du 13 décembre 2000)

Présidence de M. André LAJOINIE, Président

M. le Président : Je rappelle, pour nos invités, que nous en sommes à notre quatrième table ronde. La première portait sur le thème des énergies qui seront utilisées au XXIe siècle. Un vaste débat nous a permis de faire un tour d'horizon et de tirer la conclusion qu'il était nécessaire de faire des économies d'énergies, de mener des recherches sur l'ensemble des énergies, dans le sens des délibérations de l'Assemblée nationale, qui avaient conclu à la nécessité d'un approvisionnement énergétique diversifié. Nous avions en effet conclu que toutes les énergies étaient nécessaires et qu'il fallait travailler à développer l'ensemble de ces énergies et, en particulier, l'énergie nucléaire, sans laquelle on ne peut pas envisager de bilan énergétique équilibré.

Notre deuxième table ronde s'est plus particulièrement penchée sur les enjeux environnementaux des choix énergétiques. Elle nous a permis de mesurer le défi considérable que représente l'effet de serre et les modifications climatiques qui peuvent en résulter. Nous l'avons reconnu comme un enjeu essentiel, commandant nos choix énergétiques. Evidemment, nous n'avons négligé aucun problème environnemental, notamment en traitant la question des déchets nucléaires, de leur traitement et de leur stockage. A cette occasion, notre débat nous a amené à conclure que cette question, qui pose de véritables problèmes, devait être traitée de manière offensive. Aujourd'hui, nous sommes trop passifs. Des retards se font jour. Nous en avons conclu qu'il fallait que l'application de la loi dite « Bataille », adoptée en 1991, suive son cours et qu'un nouveau rendez-vous soit pris à l'Assemblée nationale, afin de chercher à maîtriser ce problème.

La troisième table ronde, qui s'est tenue hier, portait sur l'avenir de la filière nucléaire européenne, bien que nous ayons parfois étendu nos considérations à l'échelle mondiale. Nous avons eu un débat intéressant avec des industriels et des chercheurs, qui nous a également beaucoup appris.

Aujourd'hui, notre quatrième table ronde porte sur le thème de l'organisation économique des énergies de réseaux.

En premier lieu, Mme Marie-Christine Jalabert, représentante de la Commission européenne, pourra sans doute nous informer de la communication de la commissaire européenne, Mme Loyola de Palacio. Il s'agit là d'une communication importante, que nous avons déjà commentée lors des précédentes auditions, et qui porte sur les dangers d'une plus grande dépendance énergétique de l'Union européenne.

Mme Marie-Christine Jalabert pourrait dresser un bilan économique et indiquer quelles sont les perspectives réglementaires de l'ouverture des marchés, et donner son opinion sur la place des services publics ou d'intérêt général en cette période de libéralisation.

Puis, nous passerons aux autres intervenants, pour ouvrir ensuite un débat. Toutes les interventions, je le rappelle, feront l'objet d'un compte rendu qui sera publié.

Mme Marie-Christine Jalabert, vous avez la parole.

Mme Marie-Christine Jalabert : J'ai la difficile tâche de commencer et d'essayer d'être brève sur un sujet très vaste. Vous avez, en introduction, rappelé l'adoption par la Commission européenne du livre vert sur la sécurité d'approvisionnement, un des chantiers importants de l'Union européenne, dans un contexte d'instabilité des prix, comme on a pu le remarquer avec l'augmentation des prix du pétrole et du gaz, qui affecte nos économies.

Le débat est donc ouvert par les partenaires de l'Union européenne et la Commission. Celle-ci vient d'adopter ce livre vert, le 29 novembre 2000, et d'engager le débat. Nous sommes au Parlement français et, vous le savez, un livre vert sert à la Commission à recueillir les avis de tous les partenaires. Nous en ferons une large diffusion ; il se trouve déjà sur Internet, accessible à toutes les personnes et aux parties intéressées.

Je ferai un point rapide sur ce document dans mon exposé pour évoquer le lien entre le service public et la sécurité d'approvisionnement. Nous pensons, à la Commission européenne, et le livre vert l'explicite en détail, que la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union constitue déjà et constituera une obligation de service public. Je fais le lien avec la thématique que vous avez soulevée dans votre question sur l'avenir du service public. C'est une mission, une obligation de service public de l'Union européenne. Le livre vert nous permettra d'affiner et d'expliciter en quoi et comment cette obligation peut être remplie par les différents acteurs.

Pour ce qui concerne le bilan économique et les perspectives du marché intérieur, la Commission est assez satisfaite de l'ouverture des marchés. S'agissant du marché de l'électricité, vous le savez, la directive date de 1996 et tous les États membres l'ont transposée. Certaines transpositions complémentaires sont attendues dans les décrets d'application ou le droit dérivé, pas simplement en France mais aussi dans d'autres Etats membres, sachant que la Belgique, l'Irlande et la Grèce disposaient d'un délai supplémentaire de transposition.

En matière de transposition de la « directive gaz » de 1998, quelques Etats membres sont en retard même si, dans la pratique, certains ont fait le choix d'une ouverture du marché ; je souligne que la loi de transposition n'est pas encore adoptée par votre Assemblée.

Pour ce qui est de l'ouverture des marchés, les progrès accomplis ont été très rapides - je parle toujours de l'Union européenne prise dans sa globalité - puisque d'après l'indicateur que nous avons choisi, qui vaut ce qu'il vaut et qui se fonde sur la capacité de n'importe quel client à choisir son fournisseur, ce qui est, pour nous, la définition même de la libéralisation, le degré d'ouverture s'établit à peu près à 60 % pour le marché électrique et à 80 % pour le marché gazier.

S'agissant de l'évolution en termes de prix, qui justifie évidemment l'ouverture des marchés, la composante énergétique est très élevée dans les coûts d'une entreprise, et sa part augmente dans certains secteurs. Elle représente jusqu'à 25 %, voire 30 % des coûts de production.

Le marché intérieur, c'est aussi cela : agir sur les coûts de production et faire en sorte que l'entreprise ou le consommateur bénéficient de sa réduction, en termes de compétitivité globale, mais aussi en termes de facture énergétique au sens premier - celle que chacun d'entre vous trouve dans sa boîte aux lettres.

Au sein de l'Union, on constate une baisse très importante des prix, surtout dans le domaine électrique, le secteur gazier réagissant différemment en raison de son couplage avec le prix du pétrole. Cette baisse est en moyenne de 25 % sur la période de référence allant, grosso modo, de 1990 à 1998.

Les travaux que nous publierons l'année prochaine dans une communication sur le marché intérieur montrent que la tendance continue est à une baisse des prix. Toutefois, on constate que cette baisse est un peu plus marquée dans les pays qui ont libéralisé plus vite. Cela peut s'expliquer. Il faudra analyser comment les prix s'ajustent à l'ouverture.

En tout cas, la baisse des prix est constatée et nous espérons que ce mouvement se poursuivra, non pas pour des raisons idéologiques, mais tout simplement parce que c'est un des coûts de production qui entre dans le calcul de compétitivité de nos entreprises.

Nous avons essayé de mesurer l'impact de la libéralisation en termes d'emplois. Ce n'est pas toujours facile mais cette question nous est souvent posée à Bruxelles et, sans doute vous est-elle aussi posée en tant que parlementaires. Nous avons donc lancé une étude sur l'impact qualitatif de la libéralisation. L'étude est réalisée par Ecotec, un consultant britannique. Elle sera également publiée et diffusée sur notre site Internet l'année prochaine. Elle sera transparente, il n'y a pas de secret. Vous pourrez donc y avoir accès. Le rapport final n'a pas encore été remis par le consultant.

Dans cette étude, la Commission européenne n'a pas cherché à mesurer les effets quantitatifs de la libéralisation sur l'emploi. En fait, les réductions d'effectifs avaient commencé depuis longtemps dans les secteurs électrique et gazier. Le mouvement de libéralisation en a accéléré le rythme, mais elles existaient déjà. Peut-être continueront-elles. Je n'interférerai pas avec les propos que tiendront les dirigeants des entreprises françaises. Cependant, si l'on constate effectivement une accélération du mouvement, celui-ci était bien antérieur à la libéralisation.

En termes d'organisation des entreprises, il est très intéressant de savoir comment le marché se réorganise dans un monde en voie d'ouverture. C'est un sujet qui reste à explorer par la Commission européenne. Nous avons confié une étude d'ensemble à Eurostat pour mesurer ce que nous appelons les indicateurs de concurrence et voir en quoi l'ouverture est réelle. Ces indicateurs sont les prix, que j'ai déjà mentionnés, mais aussi les nouveaux entrants sur le marché et les changements de fournisseurs, ce qui constitue un critère fort intéressant. En effet, si les directives et les lois sont importantes, la façon dont les entreprises et les consommateurs réagissent l'est tout autant. Il nous faut donc également étudier les choses du point de vue du consommateur. Pour ce faire, nous avons engagé avec Eurostat, notre office de statistiques, un travail d'étalonnage des différents indicateurs de concurrence et d'ouverture pour mesurer comment les Quinze s'approprient ou ne s'approprient pas la libéralisation, voir quel est l'impact de cette ouverture sur les nouveaux entrants et ce qu'il en est des grands mouvements de fusion et de concentration que vous connaissez.

J'aborderai brièvement le thème de la sécurité de l'approvisionnement. C'est pour nous un élément clé ; nous devons absolument rechercher la compatibilité entre l'ouverture des marchés et le maintien de cette sécurité d'approvisionnement. C'est un des points fondamentaux du débat et la Commission européenne y est évidemment associée dans le livre vert.

Vous m'avez questionnée sur les perspectives réglementaires de l'ouverture des marchés. Le Conseil européen de Lisbonne du mois de mars 2000 a demandé à la Commission européenne de lui faire les propositions appropriées en vue d'accélérer l'ouverture des marchés de l'énergie et des transports. La table ronde n'aborde pas la question des transports, mais notre direction générale en traitant, nous pouvons comparer les évolutions dans ces deux domaines.

Pour ce qui concerne l'énergie, notre programme de travail pour l'année 2001 est le suivant : la Commission européenne devrait approuver à la fin du mois de février au plus tard les propositions de modification des directives gaz et électricité afin que les Etats membres puissent les étudier et que nous puissions, lors du Conseil européen de Stockholm des 23 et 24 mars 2001, avoir rempli notre mandat vis-à-vis des chefs d'Etat et de Gouvernement. Pour la Commission européenne, cela suppose donc une adoption de ces propositions en février 2001, pour que les Etats membres puissent commencer à travailler.

Mme de Palacio, notre commissaire responsable pour l'énergie et les transports, a dévoilé lors du Conseil des ministres de l'énergie du 5 décembre 2000 les quelques modifications réglementaires que nous souhaiterions proposer aux Etats membres. Vous y faisiez référence.

La première concerne, bien sûr, l'accélération de l'ouverture du marché avec un objectif assez simple : chaque consommateur doit être libre de choisir son fournisseur. C'est simple à dire, mais pas simple à faire. Certains Etats membres, dont des voisins comme l'Allemagne et le Royaume-Uni, pour citer les plus importants, ont déjà choisi cette option. Ce n'est pas encore le cas de la France. Ce n'est d'ailleurs pas une obligation imposée par la directive ; il n'y a donc aucune infraction au droit communautaire. Mais nous souhaiterions arriver par phases à ce que cette ouverture soit réelle pour l'ensemble des consommateurs, y compris les particuliers.

S'agissant du phasage, je ne pourrai pas aller plus loin dans mon propos car cette question est encore en discussion au sein de la Commission européenne. Il reviendra à Mme de Palacio de rendre un arbitrage sur ce point.

Parmi les autres éléments sur lesquels Mme de Palacio s'est prononcée publiquement figure l'accès des tiers au réseau, qui nous semble déterminant pour faire fonctionner un marché. Il ne suffit pas simplement de disposer d'un réseau, ce qui est indispensable, il faut aussi que les tiers, les autres sociétés et les autres fournisseurs puissent y accéder. La question de l'accès au réseau est, du point de vue de la Commission, un élément clé du fonctionnement réel du marché intérieur. Dans la loi française transposant la directive « électricité », le gestionnaire de réseau est nommé. Il reste verticalement intégré à EDF, mais sa gestion et sa comptabilité en sont indépendantes. C'est un point que nous souhaiterions renforcer dans nos propositions aux Etats membres et au Parlement européen.

L'autre élément qui nous paraît déterminant dans le fonctionnement du marché est le découplage des intérêts commerciaux des opérateurs et de la régulation. Vous avez créé, dans la loi transposant la directive « électricité », la Commission de régulation de l'électricité en application des principes de la directive. Celle-ci n'oblige toutefois pas à avoir une autorité de régulation. Elle exige simplement une autorité indépendante.

La France, comme tous les Etats membres sauf l'Allemagne et l'Autriche, a fait le choix d'une commission de régulation indépendante des autorités exécutives. Le régulateur français est donc en place.

Nous souhaiterions promouvoir le même système dans d'autres Etats membres afin qu'une réelle indépendance du régulateur soit garantie. Ce faisant, nous visons clairement le cas de l'Allemagne, qui n'a pas d'autorité de régulation au sens où nous l'entendons de nos jours - en tout cas, en France. Mais il ne s'agit pas, pour autant, d'une infraction au droit communautaire, puisque la directive n'impose pas de créer une telle autorité de régulation.

Le dernier élément que je soulignerai parmi les propositions que nous souhaiterions présenter au Conseil et au Parlement européen et, donc, à vous-même, est le renforcement des obligations de service public dans les directives dites « électricité » et « gaz ».

Nous ne parlons pas encore de droit universel ou de service universel, mais de service public ou de service d'intérêt général. Il faudra trouver le bon vocable pour prendre en compte la préoccupation des consommateurs et des usagers en faveur du maintien d'un service public de l'énergie de qualité.

Dans ce cadre, Mme de Palacio a eu l'occasion de s'exprimer et d'indiquer clairement, lors du Conseil énergie, que la Commission européenne souhaiterait vérifier la qualité des normes de service public en vigueur dans les Etats membres. Nous avons déjà adressé, à cet effet, une série de questionnaires aux quinze pays pour voir comment, dans un monde réglementé mais aussi régulé, le service public est pris en compte par les différents opérateurs, qu'ils soient publics ou privés.

Je traiterai rapidement de la place de ce service public ou d'intérêt général dans le mouvement de libéralisation. Dans ce domaine, nous avons certainement beaucoup à clarifier et à expliquer et, sans doute, à préciser. Il y a une inquiétude réelle, peut-être pas de la part de l'ensemble de la population, portant sur le risque de perte de qualité du service, du fait de l'ouverture des marchés. On ne peut la nier. Il faut en prendre acte, l'évaluer et étudier la façon d'y remédier.

A titre personnel, je ne pense pas que l'on puisse ignorer la question en disant qu'elle ne soulève aucun problème et que le marché se chargera d'assurer la qualité du service public. Je ne crois pas que ce soit possible, ni même que ce soit vrai. C'est un constat que nous faisons ensemble, un constat fort intéressant car nous nous rendons compte que dans les Etats membres qui ont libéralisé le plus rapidement - je pense au secteur de l'énergie et pas à celui des transports - la régulation impose des obligations de service public aux opérateurs privés qui ont du mal à les respecter.

L'idée d'un système de pénalités me semble intéressante : si l'opérateur n'est pas capable de réparer une ligne électrique, de fournir de l'électricité de façon régulière ou si son produit est de mauvaise qualité, il peut être sanctionné par le régulateur ou se voir retirer sa licence par les pouvoirs publics. Toute une série de mécanismes existe déjà ; des dispositions figurent dans l'article 16 du traité d'Amsterdam. Les directives aussi bien « électricité » que « gaz » font obligation aux Etats membres de nous notifier les obligations de service public. Néanmoins, souvent, les Etats membres ne l'ont pas fait. Nous souhaiterions qu'ils opèrent cette notification, car il s'agit d'une obligation imposée par l'article 3 de la directive. Elle doit permettre de commencer à évaluer la façon dont les Etats membres, dans leur ensemble, remplissent, dans un monde libéralisé, leurs obligations de service public en application de la directive. C'est le premier aspect.

Le second aspect que nous souhaiterions développer avec nos partenaires et avec vous, consiste à voir comment on peut aller vers ce que je ne peux qualifier aujourd'hui de service universel - je n'en ai pas le droit car je serais au-delà du mandat de Mme de Palacio - mais au moins à s'interroger sur le droit à l'énergie comme on l'a fait pour le service universel dans les domaines de la poste ou des télécommunications. Je ne fais qu'ouvrir le débat car je n'ai pas la réponse à la question, ni même le mandat pour y répondre.

M. le Président : Je signale que la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité introduit une notion nouvelle, celle du droit à l'énergie pour tous.

Nous allons entendre maintenant M. Philippe Torrion, directeur de la stratégie EDF.

M. Philippe Torrion : Depuis le 10 février de cette année, le processus de mise en _uvre de la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité s'est opéré progressivement. Je voudrais en rappeler quelques étapes essentielles : l'installation de la commission de la régulation électricité (CRÉ), l'identification et la mise en place d'un gestionnaire de réseau, le RTE, doté d'une complète autonomie sur le plan de ses achats, de la détermination de sa stratégie, et de l'application des textes réglementaires prévus par la loi.

Ce processus n'est pas achevé, loin s'en faut. Cependant, on doit constater que la majeure partie des textes essentiels définissant le nouveau cadre juridique est parue ou sur le point de l'être. Nous attendons avec impatience la publication du décret sur les tarifs d'utilisation du réseau de transports parce que c'est probablement celui qui manque aujourd'hui pour avoir une vision claire et transparente de l'accès au réseau français. Toutefois, à l'initiative d'EDF, nous avons étendu le système transitoire qui avait été mis en place dès le 19 février 1999 pour faire droit aux effets directs de la directive, qui s'appliquait aux sites consommant plus de 100 gigawatts heure par an. Ce système a été proposé et généralisé à l'ensemble des sites aujourd'hui éligibles, c'est-à-dire ceux qui consomment plus de 16 gigawatts heure par an.

D'autres décrets ne sont pas encore publiés. Je pense plus particulièrement à ceux relatifs à la mise en _uvre des dispositifs d'aide aux ménages en difficulté évoqués par le Président dans le cadre de l'instauration d'un droit à l'énergie.

De plus, d'autres dispositions impliquent des suites législatives. Je pense notamment à la loi d'orientation sur l'énergie qui devrait intervenir avant fin 2002, si mes souvenirs sont bons.

Pour EDF, qui s'était préparée à l'adoption de cette directive et à la loi, c'est un grand changement. Le pouvoir est donné au client puisque celui-ci est vraiment roi dans un système concurrentiel. Pour une entreprise historiquement construite à l'abri d'un monopole national, il faut avoir la modestie de reconnaître que cette nouvelle situation nécessite un apprentissage. En effet, ces nouvelles règles bousculent nos habitudes ; elles doivent donc s'accompagner de la transformation de nos modes de fonctionnement et de l'adaptation de nos organisations à l'irruption des marchés de gros.

Mais ces évolutions recèlent pour EDF plus de chances que de risques, à condition que celles-ci soient acceptées et accompagnées et fassent l'objet d'un processus d'apprentissage qui prendra du temps.

Le président d'EDF a lancé à l'été 1999 un vaste programme de changement qui porte précisément sur la mise en _uvre de ces nouveaux processus de fonctionnement et, plus largement, sur la mobilisation de l'ensemble des salariés de l'entreprise par le biais d'une large consultation. Cette démarche permettra d'enrichir le projet d'entreprise qui sera finalisé dans les mois qui viennent. Je vais en prendre trois exemples : les missions de service public, le développement de la concurrence et les perspectives d'avenir.

Concernant les missions de service public, je ne reviendrai pas sur l'attachement à cette notion, que l'on retrouve aussi bien dans les débats parlementaires de la représentation nationale, que dans les attentes des clients et des citoyens français et dans celles des personnels d'EDF.

L'introduction de la concurrence ne me semble pas représenter un risque pour le service public. De ce point de vue, la loi a prévu que les missions soient remplies par les opérateurs, en particulier EDF. Elle a instauré des systèmes de financement permettant de répartir les charges. Sur de nombreux aspects et, particulièrement en ce qui concerne l'aide aux ménages en difficulté, elle a créé des obligations qui vont beaucoup plus loin que celles qui existaient jusqu'à présent.

En fait, la concurrence ne menace pas le service public ; elle oblige à en définir et à en détailler les différents aspects, et à en examiner précisément le coût. C'est peut-être la fin d'un certain paradoxe puisque dans un pays de droit romain, une notion aussi importante que celle de service public de l'électricité demeurait non définie et laissée à l'appréciation d'un opérateur, fût-il public.

Pour cet opérateur que je représente aujourd'hui, ce mode de fonctionnement présentait quelques avantage en termes de simplicité et de coûts. Du point de vue du citoyen, il me semble préférable que ces missions du service public soient inscrites dans la loi, en particulier à la faveur de l'introduction de la concurrence.

Deux règles doivent, à mon sens, être respectées dans la mise en _uvre de ces missions de service public.

La première concerne la compensation effective des charges imposées aux opérateurs. La loi a explicitement prévu la compensation intégrale de ces charges ; ce dispositif fera l'objet de plusieurs décrets d'application mais, s'il ne devait pas y avoir compensation - car en entendant certains discours, nous pouvons avoir quelque inquiétude - il est clair que le service public serait en difficulté et risquerait d'être progressivement laminé.

La deuxième règle concerne le niveau absolu des charges. Certes, les dispositifs instaurés par la loi permettent une répartition équitable et ne pénalisent pas les opérateurs qui supportent ces charges. Il n'en demeure pas moins que si ces charges augmentaient, cela pénaliserait les clients industriels notamment, qui sont dans des situations de concurrence effectives et fortes en Europe et dans le monde. Cela pourrait conduire aussi à un rejet même des principes de service public par la clientèle des ménages. Cela pourrait également introduire des distorsions de concurrence entre les différentes formes d'énergie.

En tout cas, sur ce point particulier, EDF n'a nullement l'intention de se détourner de sa vocation historique d'opérateur de service public et ambitionne, au contraire, de faire plus et mieux dans ce domaine et de rester un opérateur de référence.

Elle l'a d'ailleurs illustré, il y a près d'un an, après les différentes tempêtes. Elle a fait la démonstration de la capacité de mobilisation, dont on n'a toujours pas trouvé les limites, de l'ensemble de l'entreprise et des personnels aidés par divers partenaires.

Cette volonté d'EDF de persévérer dans ces missions en conservant cet esprit de service public, dans le cadre du changement, s'illustre également dans les valeurs qui guident la vision de l'entreprise, vont éclairer notre chemin et guider nos comportements, valeurs qui ont été largement approuvées par les personnels. J'en cite quelques unes : l'engagement, la solidarité, l'ouverture aux autres et l'environnement.

J'en viens maintenant au cadre concurrentiel.

L'ouverture du marché s'est progressivement accrue puisqu'elle est passée de 26 % en février 1999, avant même l'adoption de la loi, à 30 % en mai 2000. Cette ouverture va probablement progresser très prochainement après l'avis favorable émis par le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz permettant d'abaisser le seuil d'éligibilité à 9 gigawatts heure.

Compte tenu de la position initiale d'EDF sur le marché français, l'ouverture ne peut que se traduire par une perte de clients. Cette évolution s'accélère aujourd'hui mais il n'y a pas lieu de s'en émouvoir. Nous estimons, à fin 2000, qu'EDF a perdu l'alimentation d'une soixantaine de sites correspondants à quarante-cinq clients ; ce qui représente environ 5 % du marché ouvert. Ces chiffres sont comparables à ceux de pays comme l'Allemagne qui ont un marché ouvert à 100 % ; les opérateurs y ont en effet perdu entre 3,5 et 5 % de leur clientèle industrielle.

Une différence est toutefois à relever : l'essentiel des nouveaux entrants en Allemagne sont allemands alors qu'en France, ils sont étrangers, notamment allemands. Cela montre bien que le marché français est effectivement ouvert.

Ce bilan est finalement positif. Il reflète la compétitivité de l'opérateur historique, contrairement à ce qui semble être le cas dans d'autres pays. Mais, comme le disait Mme Jalabert, le simple indicateur d'ouverture du marché ne suffit pas à regarder la réalité de la compétition et l'introduction de la concurrence. Il faut, en particulier, que les règles d'accès au réseau soient claires et équitables. Or, il est très difficile aujourd'hui d'aller démarcher un client allemand, car l'accès au réseau y est négocié et il n'existe pas d'autorité de régulation autre que le Bundeskartellamt.

EDF est consciente de ses atouts potentiels. Elle a aussi conscience de l'apprentissage qu'elle doit suivre pour réussir, mais elle sait pouvoir s'appuyer sur un personnel spécialement motivé. EDF n'a d'ailleurs pas attendu l'introduction de la concurrence pour améliorer sa compétitivité et ses prix. Je rappellerai à cet égard que, depuis 1997, ses prix ont baissé en moyenne de 14 %  en francs constants, ce qui est un bon indicateur des efforts accomplis par tous.

Je vais essayer d'indiquer brièvement les quelques lignes de force qui se dégagent pour présenter les perspectives d'organisation du secteur électrique dans les prochaines années.

La première est la poursuite de l'ouverture du marché, du moins pour ce qui est de l'ouverture à la clientèle industrielle et tertiaire. De fortes pressions s'exercent aujourd'hui pour rendre rapidement éligible toute la clientèle dite professionnelle. C'est un mouvement de fond. On ne voit pas pour quelle raison nous nous arrêterions à un seuil. Aucune logique économique particulière ne justifierait cet arrêt.

Dans le projet de nouvelle directive que Mme Jalabert évoquait, on relève une volonté d'ouverture totale du marché. Or, à partir du moment où l'ouverture du marché concerne la clientèle domestique, il faut agir progressivement.

S'agissant de l'organisation du secteur électrique à l'échelle européenne, EDF milite pour une régulation aussi homogène que possible. Sa position est nécessairement dominante en France. La seule façon d'accroître sa liberté est de la laisser se mouvoir dans un marché plus fluide dans lequel sa position sera nécessairement moins dominante, se rapprochant ainsi d'une part de marché normale, correspondant à la place occupée par le marché domestique français dans l'ensemble du marché européen. EDF a systématiquement pesé dans les débats sur l'accès au réseau et les transits internationaux pour qu'on aille vers le maximum de fluidité. C'est stratégiquement important pour EDF, compte tenu de sa position actuelle sur le marché français.

La création du marché unique a déjà provoqué un profond remodelage du paysage électrique européen, dont on ne voit encore que les prémices.

Cette évolution tend à élargir les activités des opérateurs au-delà du seul secteur électrique, comme le montrent leur développement vers les services et les offres globales proposées à certains clients disposant de plusieurs sites en Europe. Cela conduit à des alliances, des rapprochements et des fusions. On peut penser qu'à terme, de ces bouleversements naîtront des groupes industriels de niveau européen qui, probablement, exerceront ces différents métiers au-delà de l'Union européenne.

On voit ainsi apparaître des activités diverses liées à la présence des opérateurs sur tel ou tel métier ou segment de marché et voulant, de ce fait, profiter d'avantages comparatifs. Dans ce mouvement, il est clair que, pour EDF, le nombre d'acteurs capables de jouer un rôle économique sur la scène européenne sera réduit. L'ambition d'EDF est d'être parmi ces acteurs.

Enfin, pour conclure, je dirai que le modèle historique de l'opérateur mono-énergéticien ou strictement énergéticien est remis en question aujourd'hui par ces évolutions, par l'existence de convergences technologiques - progrès des cycles combinés au gaz, peut-être demain émergence de la pile à combustible -, par les nouvelles attentes de la clientèle libérées par le mouvement d'ouverture et de déréglementation et par l'introduction de nouveaux canaux de commercialisation - je pense particulièrement à Internet. Tout cela rend le client demandeur d'une large palette de produits énergétiques et de services, très différenciés selon la nature de ces clients, mais allant au-delà de la seule fourniture brute d'électricité.

L'article 44 de la loi du 10 février 2000 a ouvert à EDF certaines possibilités dans ce domaine. Il demeure que la définition relativement étroite de la mission confiée à l'entreprise pourrait à terme la handicaper vis-à-vis de concurrents qui n'ont pas ce frein et qui, d'ores et déjà, sont capables de mettre en _uvre des métiers très différents de l'électricité. C'est la raison pour laquelle EDF continue à plaider pour une meilleure prise en compte des conditions nouvelles dans lesquelles s'exerce son activité. D'une certaine manière, le principe de spécialité, qui a quelque cent ans d'âge, est contradictoire parce qu'il fragmente et limite une activité qui, au contraire, est complètement ouverte par la concurrence et le marché. Au fond, nous devons suivre les attentes des clients.

En conclusion, il n'existe pas a priori d'antinomie entre concurrence et service public, notamment dans le cadre légal tel qu'il a été mis en _uvre en France, dès lors que des règles équitables de financement du service public sont respectées. De plus, EDF possède des atouts potentiels dans cette compétition qui sera très exigeante, à condition que les possibilités ouvertes à ses concurrents lui soient également offertes.

M. le Président : Nous aurions souhaité connaître maintenant l'avis de M. Pierre Gadonneix sur les augmentations successives annoncées du prix du gaz. Quelle compétitivité gardera le gaz ? En quoi le gaz est-il un service public ? Que compte faire GDF pour les communes qui ne sont pas raccordées au réseau ? Pourquoi jugez-vous indispensable d'investir dans l'amont gazier et pour quelles raisons cet investissement doit-il s'accompagner d'un changement de statut de GDF ?

Mais, monsieur le président, vous êtes évidemment libre de votre exposé. Je vous donne la parole.

M. Pierre Gadonneix : Je suis bien sûr à votre disposition pour creuser tel ou tel aspect, et je m'efforcerai de traiter des questions que vous venez de citer, mais en les situant dans une perspective plus large car je pense que la problématique du gaz naturel est bien moins connue que celle de l'électricité, pour différentes raisons.

Le poids du gaz naturel dans la consommation énergétique est en effet plus faible que celui de l'électricité. L'adoption d'une directive communautaire sur le gaz naturel est intervenu deux ans après celle portant sur l'électricité. J'insisterai donc sur les caractéristiques de l'industrie gazière et je serai forcément caricatural car je vais simplifier et sans doute susciter des questions.

La première spécificité de l'industrie gazière, qui la distingue des autres secteurs de la consommation d'énergie, est que son marché est en croissance relativement forte. La croissance de la consommation de gaz naturel dans le monde est de l'ordre de 3 %, alors que la croissance de la consommation d'énergie est plutôt de l'ordre de 1 %. Naturellement, ce sont des chiffres modestes si on les compare à des industries comme le téléphone, mais, en matière énergétique, des écarts de ce type sont tout à fait significatifs.

C'est vrai au niveau mondial, c'est vrai au niveau européen et c'est aussi vrai au niveau français, pour des raisons différentes. Au niveau français, l'utilisation du gaz naturel pour la production d'électricité est relativement marginale, alors qu'elle est plus élevée dans d'autres pays. En revanche, le développement du gaz naturel est du même ordre.

Deuxième caractéristique de ce secteur : il est, comme l'électricité, l'objet d'un mouvement de « dérégulation », mot impropre parce qu'en fait, il s'agit de mettre en _uvre de nouvelles règles qui introduisent de la concurrence dans un secteur où cette concurrence ne va pas de soi puisque les infrastructures sont lourdes et que cette concurrence implique l'utilisation de mêmes structures par des opérateurs différents. C'est ce qu'on appelle l'accès des tiers aux réseaux (ATR).

Cette dérégulation est un mouvement qui s'est développé il y a une vingtaine d'années aux Etats-Unis. Il a mis à peu près quinze ans à se mettre en place. J'insiste sur ce point puisque je suis de très près ce qui se passe aux Etats-Unis. Et encore n'est-il pas tout à fait stabilisé aujourd'hui. Le système de dérégulation aux Etats-Unis continue à évoluer.

La mise en place est donc forcément complexe. Ce mouvement a démarré en Europe par la Grande-Bretagne il y a une dizaine d'années et, en Europe continentale, il y a maintenant quelques années avec la « directive électricité », puis la « directive gaz ». La directive gazière européenne, vous le savez sans doute, a été approuvée par les autorités européennes il y a deux ans et est applicable depuis le 10 août de cette année.

Comme l'a dit la représentante de la Commission européenne, les Etats doivent transposer dans leur loi nationale les dispositions de la directive européenne lorsqu'elles sont contraires à des lois existantes. C'est le cas de la France, qui va devoir approuver et voter une loi de transposition sur laquelle je reviendrai.

Pour l'instant, elle ne l'a pas fait. Cela étant, Gaz de France a pris l'option d'appliquer strictement la directive européenne depuis le 10 août 2000. Le marché gazier français est donc ouvert depuis cette date aux opérateurs gaziers, conformément à la directive européenne.

Pourquoi faut-il une loi gazière ? Je viens de le dire. Que trouvons-nous dans l'actuel projet de loi qui a été présenté par le Gouvernement en mai dernier et sera soumis au Parlement dans les prochaines semaines (je l'espère car la France est formellement en retard, puisque la transposition aurait dû intervenir avant le 10 août dernier) ?

Cette future loi doit contenir les éléments permettant de concilier les deux objectifs recherchés par cette évolution : d'une part, ouvrir à la concurrence le secteur gazier à un certain nombre de clients - dans une première étape, les clients dont la consommation est supérieure à vingt millions de mètres cubes par an -, d'autre part, définir et préciser ce que les autorités publiques attendent d'un opérateur national, c'est-à-dire ce que nous appelons en France depuis longtemps, et nous avons assez largement exporté notre vocable, les missions de service public.

Dans les missions de service public, quelles sont celles qui seront couvertes par la loi et celles qu'attendent d'un opérateur gazier l'opinion publique et les consommateurs ?

La directive européenne a laissé aux Etats la responsabilité de définir le contenu des missions de service public. Il est donc normal que cette définition figure dans la « loi gaz ».

A propos de ces missions de service public, qui sont tout à fait pertinentes en matière gazière, et qui ne sont pas forcément les mêmes que dans le secteur de l'électricité, je relève une grande différence entre ces deux secteurs. Tous les Etats produisent pour une large part l'électricité qu'ils consomment ; mais un opérateur électricien, dans la grande majorité des cas, est producteur. Ce n'est pas le cas pour le gaz naturel. Un pays comme la France importe plus de 90 %, bientôt 95 % et, malheureusement, un jour prochain 100 % du gaz qu'il consomme. Les caractéristiques de ce secteur sont évidemment très affectées par cette différence.

La première des missions de service public - et c'est la conséquence de ce que je viens de dire - est certainement la sécurité de l'approvisionnement ou la continuité de la fourniture.

Le consommateur domestique individuel fait confiance à l'opérateur pour lui assurer cette sécurité d'approvisionnement. Je parle du petit consommateur domestique et, comme l'a fait M. Torrion ; je pense qu'il faut distinguer le consommateur domestique individuel du consommateur industriel, qui peut gérer les risques, qui est prêt à se couvrir face à de tels risques. Le consommateur individuel attend de l'opérateur la sécurité de l'approvisionnement et la continuité de la fourniture, ce qui a des conséquences très importantes pour l'opérateur. Cela veut dire que l'opérateur doit pouvoir montrer les dispositions qu'il a prise pour assurer la sécurité de l'approvisionnement. Cela peut être réalisé par la conclusion de contrats à long terme, par des diversifications dans la politique d'approvisionnement, par la construction d'infrastructures permettant une diversité d'approvisionnement, par des contrats interruptibles ou par le développement des capacités de stockage.

La deuxième mission importante de service public est liée au rôle joué par la desserte gazière en matière d'aménagement du territoire.

On peut imaginer plusieurs volets : tout d'abord, le volet tarifaire avec une certaine forme d'égalité de traitement qui est dans la tradition française et qui existe aujourd'hui ; puis, le volet du développement de la desserte auquel M. le Président faisait d'ailleurs allusion.

Les conditions tarifaires et les conditions de développement de la desserte sont des sujets qui intéressent la puissance publique et le pouvoir politique. Actuellement, nous sommes en train de mettre en _uvre un plan de desserte gazier, qui a été voté par vous, mesdames et messieurs les parlementaires, qui prévoit pratiquement un doublement de notre rythme de desserte. Celui-ci était de l'ordre de 250 communes par an. Or, en l'an 2000, nous desservirons plus de 400 communes supplémentaires. Cela représente quasiment un doublement du rythme de desserte. Un programme sur trois ans, de 1999 à 2001, prévoit un développement des dessertes de l'ordre de 1 200 communes nouvelles.

La troisième mission répond à une préoccupation que nous partageons avec nos collègues d'EDF. Il s'agit de la solidarité avec certaines populations, notamment les populations démunies. Cela est clairement, à mon sens, une mission de service public dont les conditions doivent et peuvent être précisées.

La dernière mission est liée à la politique tarifaire. Dans tous les pays où il y a un opérateur de service public, la politique tarifaire est définie par l'autorité publique qui fixe également un certain nombre d'objectifs. J'ai parlé tout à l'heure de l'égalité de traitement, mais il faut aussi prendre en compte les modalités d'évolution des tarifs, ces tarifs devant refléter les coûts tout en étant une incitation à progresser pour l'entreprise.

Bien que nous ayons naturellement anticipé certaines évolutions, nous souhaitons que ces missions soient clairement définies par la loi pour qu'elles s'appliquent à Gaz de France mais aussi aux autres opérateurs de service public puisque Gaz de France n'est déjà pas le seul opérateur et ne le sera pas demain non plus.

Cette loi doit en préciser les modalités afin de concilier les deux ambitions du législateur et de la puissance publique : développer la compétitivité des industriels qui deviendront éligibles et qui seront en mesure de mettre en compétition des fournisseurs, et améliorer et moderniser les missions de service public.

Quelles sont les conséquences de ces évolutions pour Gaz de France ?

La stratégie de Gaz de France en la matière est maintenant connue. Nous l'avons mise en _uvre depuis quelques années déjà. Elle peut se résumer en deux mots : croissance et intégration.

Cela nous paraît indispensable pour répondre aux deux objectifs que je citais tout à l'heure, de performance et de qualité du service public, car les bouleversements liés à la croissance du marché gazier et à son ouverture conduisent le secteur à se modifier. De nouveaux opérateurs apparaissent dans le secteur du gaz naturel. Ces opérateurs sont de taille croissante en raison des regroupements d'entreprises et ils sont plus diversifiés qu'ils ne l'étaient auparavant.

Nous nous attendons à rencontrer trois types de concurrents sur le marché gazier.

Tout d'abord, nous aurons pour concurrents les entreprises similaires à Gaz de France puisque, dans chaque pays, il y avait un opérateur gazier historique. Celui-ci a généralement connu une évolution comparable à la nôtre : de national, il est devenu international et affiche des ambitions européennes, voire supra-européennes. Ce sont en Allemagne, Ruhr Gas ; en Italie, SNAM ; en Espagne, Enagaz ; en Grande-Bretagne, British Gas.

Le deuxième type d'intervenants est constitué par les producteurs. C'est là un élément nouveau et essentiel. Tant qu'il y avait monopole d'importation, et tous les pays l'avaient plus ou moins, soit en droit, soit de fait, les producteurs de gaz n'avaient pas intérêt - d'ailleurs, ils ne le pouvaient pas légalement - à vendre eux-mêmes le gaz sur les marchés. Dès lors que le monopole d'importation tombe, tous les opérateurs gaziers veulent venir commercialiser eux-mêmes le gaz, en priorité auprès des clients les plus importants, les fameux clients éligibles.

Troisième type de concurrents : les opérateurs multi-énergies et multi-services. Parfois même, ce sont des intermédiaires, sans infrastructure. Je ne suis pas sûr, personnellement, que cette formule réussisse en Europe comme elle a réussi aux Etats-Unis. Mais nous devons le constater, on a vu apparaître aux Etats-Unis des opérateurs qui n'avaient pas d'infrastructure et qui venaient jouer le rôle d'intermédiaire, en proposant une offre très diversifiée.

Pour répondre à cette évolution et assurer son développement, Gaz de France doit, à mon sens, croître dans trois directions.

Le premier axe est la taille.

Nous devons nous développer pour demeurer ce que nous sommes aujourd'hui, à savoir l'un des principaux opérateurs gaziers européens. Il faut le faire, bien sûr, en France. Le développement de la desserte et de la clientèle en France est spectaculaire en ce moment. J'ai parlé tout à l'heure de 400 concessions nouvelles. Je peux vous donner un scoop : en l'an 2000, nous allons certainement battre un record en desservant 200 000 nouveaux clients en France.

Donc, le premier axe est celui de la croissance, croissance en France donc, mais aussi croissance en Europe et, même au-delà, où nous devons prendre des positions. Aujourd'hui, nous comptons dix millions de clients en France et deux millions hors de France. Nous devons augmenter notre taille pour rester un des plus grands opérateurs de gaz au monde.

Le deuxième axe touche à la production.

Si nous voulons pouvoir offrir à nos clients du gaz naturel à un prix compétitif par rapport à celui pratiqué par nos concurrents, il nous faut assurer la diversification du risque. Face aux producteurs, il faut que nous ayons nous aussi une activité de production.

L'ambition affichée de Gaz de France est de produire 15 % du gaz qu'elle commercialise. Ces 15 % me semblent être un seuil minimum. Avec la poursuite de l'ouverture du marché qui se profile - même si je suis réservé sur l'accélération d'un processus qui n'est en place que depuis six mois car il est un peu inconséquent de vouloir modifier une disposition aussi récente -, Gaz de France sera enclin à accélérer son intégration vers l'amont gazier et devra accroître ses ambitions.

Enfin, le troisième axe d'intégration est le service. Je pense, en effet, qu'un nombre croissant de nos clients demandera non plus une molécule de gaz mais un service énergétique global. Nous voyons des clients qui souhaitent qu'on leur assure un confort, une température et un service clé en main.

Gaz de France doit donc développer sa taille sur le marché, acquérir et développer des réserves en gaz et développer son activité dans les services.

Gaz de France assure sa croissance aujourd'hui en investissant de façon importante. En l'an 2000, nous investissons environ dix milliards de francs : 6,5 en France pour le développement et la modernisation de notre réseau et 3,5 dans des développements internationaux.

Nous allons, dès 2001, accélérer notre rythme de croissance et multiplier nos investissements.

Aujourd'hui, nous l'avons fait grâce à une situation financière assainie, nous avons un cash flow de l'ordre de dix milliards. En l'an 2001, nous comptons investir plus que notre cash flow. Nous recommençons donc à nous endetter. La situation financière de Gaz de France le permet. Cette croissance pose à terme, c'est évident, la question de son financement et implique de nouer des partenariats par des participations ou des échanges de participations. Se pose, en fait, le problème de l'ouverture du capital de Gaz de France.

Cette question, vous le savez, est débattue. Elle est ouverte. Le Gouvernement l'a d'ailleurs évoquée. Pour ma part, ma position n'est pas dogmatique, l'ouverture du capital n'est même pas un but en soi, puisque jusqu'à présent, Gaz de France a pu se développer grâce à un cash flow tout à fait adapté à ses besoins de financement. L'accélération des évolutions que nous notons autour de nous conduisent Gaz de France a accroître son rythme de développement et l'obligent à investir dans des domaines nouveaux, comme la production de gaz et les services. Ces changements se feraient plus rapidement si nous pouvions avoir accès soit à une ouverture du capital, soit à des partenariats.

La question est posée. La réponse dépend du calendrier gouvernemental. Je dirai simplement que l'accélération que nous observons dans le domaine énergétique en général, et gazier en particulier, fait que Gaz de France, qui est aujourd'hui l'un des leaders européens, doit le demeurer pour rester un acteur « man_uvrant » dans les opérations de restructurations.

Nous investissons aujourd'hui dans le développement de Gaz de France trois à quatre milliards de francs par an. Nous allons augmenter ces investissements ; toutefois nous voyons bien que certaines opérations de restructurations actuellement menées portent sur des sommes encore plus importantes que celles que nous mobilisons.

Enfin, je ferai une remarque, M. le Président, pour ne pas vous donner le sentiment que je me dérobe à la question sur le prix du gaz.

Tout d'abord, le gaz naturel est, dans toutes ses utilisations, une énergie qui est en concurrence. L'une des caractéristiques du gaz naturel par rapport aux autres énergies est qu'il n'en existe pas d'utilisation captive. On peut toujours se passer de gaz naturel. Je pense qu'on a tort, mais on peut vivre sans gaz. Par exemple, on peut se chauffer avec autre chose que du gaz naturel. C'est moins bien mais techniquement, c'est possible.

L'essence, le pétrole ou l'électricité, eux, ont des applications qui sont pratiquement captives : on ne voit pas très bien comment s'éclairer autrement qu'à l'électricité ; même si on peut s'éclairer au gaz naturel, ce n'est tout de même pas une utilisation très répandue ; de même, en matière de transports, le pétrole est incontournable, même si je souhaite de plus en plus qu'on utilise le gaz naturel.

Le gaz naturel étant en permanence en compétition avec une autre énergie, son prix n'est pas un prix de référence. Le prix du gaz naturel est toujours fixé par rapport à une énergie concurrente. En conséquence, aujourd'hui, l'énergie qui fixe les prix de référence pour l'utilisation du gaz naturel est le pétrole. Dans ses applications, le gaz naturel est substituable au pétrole. D'ailleurs, si le gaz naturel se développe actuellement, c'est parce qu'il se substitue au fioul.

Deuxième remarque : le prix du gaz naturel a augmenté partout dans le monde. Comme le disait la représentante de la Commission européenne, c'est un fait intellectuellement préoccupant puisque, généralement, lorsque l'on ouvre les marchés, les prix baissent. Pour le gaz naturel, pas de chance : les prix montent ! L'augmentation des prix en Europe est en moyenne de 30 % pour ce qui est du secteur domestique.

Cependant, ces prix montent moins que ceux du pétrole. Même si, croyez-moi, la hausse du prix du pétrole est une très mauvaise nouvelle pour les Français. Elle l'est pour les consommateurs, elle l'est aussi pour Gaz de France qui ne produit pas le gaz naturel mais qui l'achète. Les prix ont fortement augmenté. En conséquence, en 2000, la perte de marge que nous occasionne cette hausse est de quatre milliards de francs environ.

Ceci étant, la compétitivité du gaz naturel par rapport au pétrole ou aux produits pétroliers s'est encore accrue par rapport à ce qu'elle était l'année dernière, c'est-à-dire que le prix du gaz naturel a augmenté moins vite que celui des produits pétroliers.

Enfin, troisième remarque, cette corrélation entre prix du gaz naturel et prix du pétrole n'a rien à voir ou n'est pas liée au fait que nous ayons des contrats à long terme indexés, comme on peut le dire ici ou là. Ce serait une erreur de le croire. Je dirais même le contraire : les contrats à long terme que nous avons avec nos fournisseurs ont permis d'atténuer la hausse du prix du gaz. Sur les marchés où il n'existe pas cette formule de contrats à long terme, comme en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis parce que ce sont des marchés autosuffisants en terme de production, le prix du gaz a été encore plus volatil qu'il ne l'est en Europe occidentale. Les prix ont bien plus fortement augmenté. Les prix du gaz aux Etats-Unis ont quasiment quadruplé. Ils sont en train d'augmenter aujourd'hui simplement parce que la météo annonce une vague de froid.

Telles sont, M. le président, les remarques que je voulais faire. Veuillez m'excuser d'avoir dépassé le temps qui m'était imparti.

M. le Président : Nous entendrons maintenant M. Patrick Pierron, qui représente la Fédération européenne des syndicats des mines, de la chimie et de l'énergie. Il nous parlera sans doute de l'ouverture des marchés et de la question dont on vient de traiter et qu'il faudra sans doute traiter encore, des services publics ou d'intérêt général.

M. Pierron, vous avez la parole.

M. Patrick Pierron : M. le Président, j'axerai essentiellement mon intervention sur le service public et les incidences sur l'emploi de la libéralisation des marchés en Europe pour définir les termes de la réflexion actuelle.

Il faut savoir que la notion de service public est essentiellement franco-française. L'idée a certes avancé en Europe. Des débats et des réflexions se sont engagés pour tenter d'harmoniser les situations nationales autour des notions de service d'intérêt général ou de service universel. La définition commune minimale retenue pourrait d'ailleurs être celle du service « universel ».

Le concept européen de service public est donc à inventer. C'est un exercice difficile qui touche à des aspects culturels et historiques de chaque nation.

Nous sommes aujourd'hui face à une ouverture du marché, qui est économiquement régulée, mais qui laisse peu de place au volet social, les directives européennes mettant à la charge de chaque Etat l'accompagne-ment social de la libéralisation du marché. Ceci pose des problèmes en rapport avec les économies d'échelle que les entreprises sont en train de réaliser et avec l'internationalisation des opérateurs.

Il y a accord entre Européens pour dire que le service d'intérêt général doit, au nom de la justice sociale, imposer un traitement égalitaire de l'ensemble des citoyens et instituer un droit à l'énergie pour tous. Ce thème est repris dans les débats parlementaires de chaque pays. Il alimente également la réflexion communautaire.

Autre sujet de réflexion : comment rendre plus lisibles et plus transparents les choix opérés en matière de politique énergétique ? Comment avoir un peu plus de démocratie à l'échelle européenne ? Ce sont des questions lourdes qu'il faut se poser et qui demanderont des réponses.

Pour notre Fédération, il faut définir des critères communautaires favorisant un accès à l'énergie pour tous. Ces critères doivent prendre en compte l'impératif de prévention des risques, tant économiques que sanitaires ; ils doivent favoriser une meilleure utilisation des énergies en définissant des normes communautaires en la matière ; ils doivent permettre une égalité de traitement de tous les citoyens européens ; ils doivent favoriser une qualité de service ; ils doivent également s'accompagner d'une réflexion en termes d'aménagement du territoire communautaire portant sur les infrastructures et autres investissements, car il est difficile de trouver une cohérence entre les investissements européens et ceux engagés par les Etats. Enfin, ces critères doivent permettre le développement de l'emploi.

Cela pose donc la question du volet social qui doit accompagner les décisions industrielles. Or, aujourd'hui, il y a deux niveaux de décision différents : le niveau européen et le niveau national qui, seul, se préoccupe du volet social.

Il faut réfléchir à une évolution qui permette à l'ensemble d'être cohérent.

Cela passe par la prise en compte de la nécessité de l'indépendance énergétique puisque, vous le savez, l'Europe, aujourd'hui, importe largement les matières premières énergétiques dont elle a besoin.

Cela passe aussi par une recherche de la stabilité des prix sur l'ensemble de l'Europe. Il s'agit de savoir comment obtenir des prix stables au niveau européen.

Cela passe également par des investissements dans la recherche en matière de maîtrise d'énergie : comment consommer mieux avec moins d'énergie ? On constate en effet que, dans ce domaine, la recherche n'est pas suffisante tant au niveau des Etats qu'au niveau européen.

Cela passe aussi par une garantie des fournitures dans tous les points de l'espace européen. Cet aspect devrait prendre une autre dimension avec l'ouverture des frontières et l'élargissement de l'Europe.

Derrière ces questions, il y a la problématique exposée par les dirigeants de Gaz de France et d'EDF portant sur la régulation des réseaux et sur les investissements nécessaires. Qui va financer ? Comment avoir des infrastructures fiables pour assurer les missions de service public en tous points de l'Europe ? Comment sera réparti ce financement ? Se pose aussi la question de la place des collectivités locales ou régionales dans ce dispositif : qu'en est-il de l'implication des élus dans le débat énergétique ?

Voilà pour ce qui concerne l'énergie, mais il faut savoir que ce secteur de l'énergie - pétrole, charbon, électricité et gaz - ne peut être déconnecté de la politique des transports, élément important de toute politique énergétique. Je pense aux transports combinés, au ferroutage, aux transports routiers, etc.

J'en viens au problème de l'emploi.

L'étude Ecotec, dont parlait la représentante de la Commission européenne, qui porte sur les incidences de la libération du marché européen, montre que cette libération, que ce soit dans l'énergie ou dans tout autre domaine industriel, conduit à des économies d'échelle, à des fusions, acquisitions et développements externes, qui génèrent des problèmes d'emploi. L'étude Ecotec souligne que l'électricité est plutôt un marché à maturité et que le gaz est plutôt un marché en extension.

On dispose d'une certaine visibilité sur l'évolution de l'emploi dans le secteur de l'électricité. Mais il faut savoir qu'entre 1990 et 1998, 250 000 emplois ont été perdus dans le domaine de l'énergie. On prévoit une baisse des effectifs de 25 % dans les dix ans à venir du fait de l'ouverture des marchés et du manque de prise en compte du volet social dans l'espace communautaire.

Il ressort de cette étude que le personnel des entreprises d'électricité en Europe a une moyenne d'âge qui avoisine les quarante-cinq ans. Cela leur a permis d'opérer des réductions d'effectifs en s'appuyant sur des départs anticipés à la retraite et d'autres formules, sans que cela se fasse dans la douleur.

Il ressort aussi qu'en termes d'emploi, il convient d'avoir un accompagnement fort dans les nouveaux métiers. Aujourd'hui, on constate en effet une montée de la sous-traitance dans les domaines techniques tels que la maintenance et un développement de nouveaux métiers - négoce, commerce, marketing, communication.

Nous insistons fortement pour qu'au niveau européen soient utilisés les fonds structurels afin de favoriser la reconversion des salariés et des régions touchés par le nouveau contexte énergétique.

Nous insistons aussi sur la nécessité de développer la « maille » européenne de l'énergie et de mettre en _uvre une politique prenant en compte la prévention et le volet social de la libéralisation des marchés. Par ailleurs, quand apparaissent de nouveaux métiers, il faut se poser la question de la formation et de la reconversion des salariés touchés par cette évolution.

Je tenais à souligner ces points qui sont, à nos yeux, absents du débat européen alors qu'une harmonisation des politiques est nécessaire

M. le Président : M. Denis Cohen, nous aurions souhaité que vous puissiez tirer un bilan de l'application, ou de la non-application, des dispositions de la loi relative à la modernisation du service public de l'électricité, et en particulier de celles relatives au service public. Quelles réflexions vous inspire le projet de loi sur le gaz ? Enfin, comment voyez-vous l'évolution prochaine du marché européen des énergies de réseaux ?

M. Denis Cohen : A mon avis, il existe une place réelle pour les entreprises de service public, y compris dans le cadre de la libéralisation des marchés. Les salariés le croient. Le résultat des dernières élections professionnelles et leur grande stabilité montrent que le corps social des entreprises publiques ne craint pas les évolutions. En revanche, je voudrais essayer d'aborder et de définir la place du service public dans un marché déréglementé.

Tout d'abord, l'observation du début de mise en _uvre de la loi électricité et les premières réponses des acteurs économiques me conduisent à constater que le marché de l'électricité, hormis la vente et l'achat d'entreprises en Europe, n'a pas évolué de façon considérable. La déréglementation n'a pas conduit à la croissance du marché comme cela a pu être le cas dans les télécommunications.

La seule croissance importante réside dans les services. C'est dire que l'effet le plus visible de la déréglementation se marque par une explosion des services associés à l'électricité. Ceux-ci, soit parce qu'ils n'étaient pas assurés par les clients, soit parce que les clients considèrent qu'ils gagnent à les externaliser, sont en très forte croissance.

Permettre au service public de faire la preuve de son efficacité, c'est lui permettre de prendre en compte les besoins nouveaux des usagers domestiques ou industriels. Le refus qui est fait au service public de répondre à ces besoins conduit, à mon avis, soit à le rabougrir, soit à le contraindre à des circonvolutions à l'image de Dalkia, dont les salariés sont victimes.

L'autre aspect, le plus visible, du début de la déréglementation réside, je l'indiquais, dans les ventes et achats d'entreprises d'électricité qui représentent autant de parts de marché.

Ces fusions et acquisitions m'amènent à faire deux remarques.

La première, humoristique consiste à dire que l'on considérait jusqu'à présent que les monopoles, lorsqu'ils étaient publics, représentaient une hérésie et qu'ils deviennent la panacée universelle lorsqu'ils deviennent privés.

La seconde, plus sérieuse, conduit à constater que ces fusions et ces acquisitions mobilisent des financements extrêmement importants des entreprises publiques, qui conduisent à des choix qui privilégient les restructurations par rapport au renouvellement du parc nucléaire, par exemple, ou au renforcement du service public de proximité. La récente tempête est venue nous rappeler les besoins de proximité et la nécessité de réaliser des investissements.

Cette internationalisation à marche forcée pose une série de questions au syndicaliste que je suis.

Tout d'abord, la transformation des entreprises autrefois hexagonales en groupes transnationaux pose le problème de l'éthique. Il me semble que les entreprises de service public comme EDF et GDF ne peuvent se comporter sur le marché européen et international comme n'importe quelle autre entreprise.

La concertation sociale, le droit à l'énergie et le respect de la planète devraient être des marques d'une éthique nouvelle. Loin d'être un coût, cette éthique représenterait à mon avis, pour les salariés, un élément d'adhésion aux missions de service public, pour les usagers, une signature solidaire nouvelle et citoyenne et, pour le continent, un début de réponse à ce que pourrait être un service public européen de l'énergie.

Si l'éligibilité était étendue à l'ensemble des usagers, j'attire votre attention, car se poserait alors, en France, la question de la péréquation et, en raison de notre réalité territoriale particulière, celle de l'aménagement du territoire.

Nous avions les uns et les autres, à notre façon, qualifié la loi que vous aviez voté de transposition « contrastée », au sens où elle transposait une directive d'essence libérale mais où, en France, elle marquait une volonté d'améliorer le service public sur certains aspects et le désir de le démocratiser.

Or l'observation de son application montre un empressement supérieur lorsqu'il s'agit de traduire l'aspect libéral de la loi que lorsqu'il s'agit d'avancer dans son contenu social et citoyen tel le droit à l'énergie. A n'y prendre pas garde, nous risquerions de nous retrouver avec une loi d'essence uniquement libérale, rendant d'autant plus méfiants les salariés vis-à-vis de la prochaine transposition de la directive concernant le gaz.

A mon avis, cette tendance découle du fait qu'en France, l'électricien historique et le service public se sont trouvés très longtemps confondus. Ce n'est pas pareil de vouloir déréglementer 1 000 mégawatts en Grande-Bretagne, où le marché est complètement libre et de vouloir trouver un marché de 1 000 mégawatts déréglementé en France. De ce point de vue, on voit bien les difficultés qui sont posées, notamment avec la CNR et la SNET, tout simplement parce qu'il y a une histoire et une culture.

Je pense aussi qu'il y aurait un risque à laisser la Commission de régulation de l'électricité (CRÉ) se définir des prérogatives que la loi ne lui donne pas. La situation particulière de la France conduit, en effet, à ce que la tendance naturelle de la CRÉ soit toujours de privilégier les producteurs privés ou indépendants, qui n'existent toujours pas, et, donc, à faire porter à l'électricien historique la responsabilité de la situation.

Concernant la transposition de la directive gaz, les questions sont d'autant plus complexes que, comme l'indiquait le président de Gaz de France, la France n'est pas producteur de gaz et que Gaz de France est, de ce fait, beaucoup plus fragile que ne l'est EDF.

Une première série de questions peuvent trouver des solutions assez similaires à ce qui a été fait pour l'électricité. La transposition peut être, à mon avis, l'occasion de renforcer le service public au moins sur quatre points.

Le premier a été évoqué, c'est la réponse aux besoins exprimés par les collectivités locales en termes de desserte gazière. Je rappelle pour mémoire que 5 400 communes souhaitent celle-ci et que la question qui est posée aujourd'hui est de répondre à cette demande, le principal besoin étant évidemment la desserte.

La deuxième est, comme pour l'électricité, de reconnaître le droit à l'énergie comme un droit individuel et inaliénable. Je serais tenté de préciser que je ne vois pas pourquoi ce droit ne serait pas étendu à d'autres énergies, comme le pétrole, puisque l'on se chauffe aussi avec du pétrole.

La troisième question concerne la possibilité de « dépasser le compteur » et de prendre en compte des besoins nouveaux des usagers, là aussi comme pour l'électricité, mais avec une réalité beaucoup plus grande en termes de services associés, en particulier en ce qui concerne la sécurité des installations après compteur, qui est une forte demande des populations.

La quatrième question, enfin, est relative au renforcement des droits et des possibilités d'intervention des citoyens au travers d'observatoires faisant contrepoids politique au régulateur.

Deux aspects doivent en outre être pris en compte : comment, dans le cadre du service public et d'un marché déréglementé, assurer le meilleur coût, d'une part, et la sécurité d'approvisionnement, d'autre part ?

La sécurité d'approvisionnement passait jusqu'à aujourd'hui, grosso modo, par les contrats à long terme. Loin d'être dépassés, ceux-ci sont-ils aujourd'hui suffisants à la garantir, notamment dans les meilleures conditions du coût comme on le constate quand on voit ce qui se produit avec l'augmentation des prix du pétrole.

GDF considère, son président vous l'a dit, qu'elle doit de plus se positionner sur le champ de la production. De tous temps, des synergies ont existé entre pétroliers et gaziers, tant il est vrai qu'en cherchant du pétrole, on peut trouver du gaz, et vice versa. La question de partenariat en amont entre GDF et les pétroliers, ne me choque donc pas.

Quelle doit être la nature de ces partenariats ? Quelles sont les réalités des métiers gaziers à l'amont ? Quel est le risque de voir GDF passer sous dépendance des pétroliers ? Quelle nature de financement ces nouveaux métiers nécessiteraient-ils ? Telles sont des questions qui méritent d'être posées avant d'en arriver à la conclusion qu'il faut en passer par l'ouverture du capital de l'entreprise. Nous avons besoin de pousser le débat sur la nécessité de tel ou tel développement industriel de Gaz de France.

Le dernier point réside dans le rapprochement de GDF et EDF dans le cadre du service public de la distribution - ce qui n'a pas toujours été le cas dans la dernière période - mais également dans la complémentarité sur le marché européen que leur permettrait une offre multi-énergies dans l'intérêt des deux entreprises.

De plus, puisque nous sommes dans l'année des contrats d'objectifs, des contrats de plan, peut-être ceux-ci devraient-ils prendre plus d'ampleur et ne pas rester limités à des cercles de techniciens.

Cette réalité ne repose-t-elle pas la question d'un partenariat en amont, étendue aussi à l'électricien national ?

Nous avions pour notre part identifié cinq grands risques liés à la déréglementation.

Le premier concernait le dumping social ; le second, les gâchis engendrés par une guerre économique entre les grands groupes énergétiques ; le troisième, une marchandisation accrue de l'énergie ; le quatrième, un court terme qui privilégierait le gaz pour son retour à l'investissement et poserait la question du parc nucléaire ; le cinquième, le lobbying imposé par les grands groupes énergétiques.

Face à ceux-ci, nous avions construit cinq axes stratégiques. Le premier visait à la mise en _uvre d'un statut d'énergéticien. Le deuxième consistait à travailler à un pôle énergétique à maîtrise publique permettant aux entreprises publiques et privées de l'énergie de travailler ensemble. Le troisième axe était le droit à l'énergie comme droit de l'homme individuel et inaliénable. Le quatrième était « la maîtrise des horloges » car nous avons un grand problème en ce qui concerne l'énergie qui est le primat du court terme. Le cinquième était la démocratisation des services publics.

A l'évidence, le marché ne peut tout réguler et on a pu le constater notamment dans la dernière période en Californie.

J'en viens maintenant aux perspectives d'amélioration au niveau européen.

Il n'existe toujours pas, malgré le livre vert, de politique énergétique européenne. Pourtant, nous constatons les uns et les autres que ni l'effet de serre ni le nuage de Tchernobyl ne se sont arrêtés aux frontières. Aucune règle ne s'applique non plus quant au dumping social, alors que, selon la Confédération européenne des syndicats (CES), ce sont 300 000 emplois qui auraient disparu dans le cadre de la déréglementation et 200 000 autres qui seraient menacés.

Aucune régulation n'existe en matière de production et d'indépendance énergétique, alors que l'Europe va se retrouver dépendante de zones géostratégiques fragiles et que la déréglementation pousse à l'utilisation du gaz. Le risque serait donc grand de se retrouver en situation de monoénergie.

C'est donc vers la définition de normes environnementales et sociales et vers la recherche de diversifications énergétiques que devrait tendre l'évolution du marché européen.

M. le Président : La parole est à M. Jean Bergougnoux , directeur général honoraire d'EDF. Nous souhaiterions, puisqu'il est le dernier intervenant, qu'il nous livre son opinion sur l'ensemble du débat, en nous indiquant notamment ce qu'il pense sur ce qu'il reste du service public de l'électricité, sur l'évolution récente et à venir du secteur des énergies de réseau et sur le mouvement de concentration constaté chez les opérateurs ainsi que sur la diversification des activités de l'offre énergétique des opérateurs.

M. Jean Bergougnoux : Je me permets de penser que ce qui me vaut l'honneur et le plaisir d'être à cette tribune aujourd'hui n'est pas ma qualité de retraité de l'EDF, mais le fait que j'ai présidé récemment un groupe de travail du Plan sur la régulation des services publics en réseau - électricité, gaz, chemins de fer et poste.

Toutefois, en cette double qualité, je me positionnerai de façon un peu différente des orateurs précédents. N'ayant aucune responsabilité opérationnelle dans l'évolution des secteurs dont nous parlons aujourd'hui, je me permettrai, d'une part, de porter un regard objectif et critique sur certaines évolutions et, d'autre part, de me placer sur certains sujets résolument dans une perspective de beaucoup plus long terme, n'ayant aucun intérêt tactique à défendre.

J'aborderai les questions posées par votre président, s'il le permet, dans l'ordre inverse et parlerai pour commencer de l'évolution des marchés électriques et gaziers européens.

Vous l'aurez compris en écoutant MM. Philippe Torrion et Pierre Gadonneix, le gaz n'est pas l'électricité, et réciproquement. Aussi, malgré toute ma bonne volonté pour faire un effort de synthèse, l'exercice est impossible, il me faudra donc parler successivement des deux.

Concernant l'électricité premièrement, existe-t-il aujourd'hui un marché européen réellement intégré et concurrentiel ? La réponse, tout à fait clairement, est négative. Comme le disait Mme Marie-Christine Jalabert, si le critère de l'ouverture des marchés dans les différents pays est certes un indicateur précieux, si l'évolution des prix mérite aussi considération, il faut regarder de plus près pour savoir s'il existe aujourd'hui une concurrence réelle et transparente en Europe qui permette de considérer que, du point de vue du marché, le système électrique européen est réellement intégré et, notamment, si un opérateur comme EDF avec sa taille monstrueuse, dans la logique actuelle, au niveau national mais parfaitement adaptée au niveau européen, peut faire valoir véritablement ses chances sur un marché de cette nature.

Si vous regardez l'historique, avant même d'avoir transposé en droit national, dans l'ensemble des pays européens, la directive électricité, la concurrence a commencé sur un mode majeur et acharné.

Entre quels opérateurs cette concurrence a-t-elle commencé ? Non pas avec de nouveaux entrants : dans l'état de suréquipement général du système électrique européen, cela eût été totalement déraisonnable du point de vue économique. A l'exception de quelques opérations de cogénération trouvant leur rentabilité dans la durée, la concurrence s'est donc produite entre les opérateurs historiques en place.

Comment cela s'est-il passé ? De façon aussi désordonnée et peu transparente que possible ! Les grands clients sont allés faire leur marché, les opérateurs historiques sont allés démarcher des clients chez les voisins et, de façon parfaitement opaque, on a renégocié les contrats et fixé de nouveaux prix. Il est exact que ceux-ci se sont effondrés, puisque la concurrence ne se faisait pas sur des coûts de développement à long terme, mais à partir d'une situation de suréquipement général en Europe.

La question est alors de savoir si cette situation peut se prolonger.

Ma réponse est que cela ne doit pas durer et qu'il y a de forts espoirs que cela ne dure effectivement pas : dès lors que les forces du marché ont été libérées, il apparaît tout à fait clairement de l'intérêt de tous - aussi bien des grands clients industriels que de la clientèle du service public et des grands opérateurs européens - que ce marché puisse se structurer d'une façon telle que soit instaurée une concurrence claire et transparente.

Comment se structurera-t-il ?

Il y a tout d'abord des conditions préalables, que Marie-Christine Jalabert a évoquées très rapidement. Pour que le marché puisse fonctionner, il faut que des instances de régulation fonctionnent déjà correctement dans chacun des pays et soient garantes de l'équité de la concurrence.

La deuxième condition tient au fait qu'il s'est créé, avec des méthodes différentes et des résultats inégaux selon les différents pays, des gestionnaires nationaux de réseaux plus ou moins indépendants. Il est essentiel que ces gestionnaires soient totalement indépendants des opérateurs historiques dont ils sont issus. Il est absolument indispensable qu'ils coopèrent entre eux afin que, dans un monde plus compliqué qu'autrefois, le système électrique européen donne toute garantie de sécurité de fonctionnement et de transparence vis-à-vis de l'exercice de la concurrence.

Cette harmonisation passe aussi par l'harmonisation des conditions d'accès au réseau. On ne peut continuer à vivre avec des conditions d'accès négociées au cas par cas ou avec des systèmes qui bloquent les échanges internationaux par des méthodes inappropriées.

Lors des entretiens de Florence, la Commission a pris une initiative extrêmement heureuse, puisqu'elle permet de faire avancer cette question de façon assez consensuelle. L'accélération de ce processus me paraît une condition strictement indispensable pour progresser.

Tel est, en quelques mots, le diagnostic que l'on peut porter sur le marché de l'électricité. Nous sommes loin du marché totalement concurrentiel, mais le chemin existe qui permet de créer un marché électrique européen concurrentiel et intégré. Pour ma part, je l'appelle de mes v_ux, dans l'intérêt du consommateur d'électricité français - aussi bien les grands clients industriels que les consommateurs domestiques -, dans l'intérêt de l'opérateur EDF - qui doit s'épanouir sur un marché de dimension européenne - mais également dans l'intérêt plus général d'une intégration européenne qui profitera à tous.

J'ajouterai un mot de l'évolution des prix de l'électricité.

Le marché européen va se structurer. Il commence déjà à se structurer autour de marchés de court terme - les marchés « spot » du kWh disponible - qui, par des mécanismes un peu compliqués, servent de base de négociation des contrats ; comme tous ces marchés sont volatils, des instruments de couverture vont apparaître progressivement. La structuration autour de ce système de marché est fondamentale : elle est encore très imparfaite, mais nous avons déjà des indicateurs de prix sur le court terme à travers le marché spot et sur le long terme à travers les négociations contractuelles entre grands opérateurs et grands clients.

L'Europe a connu un effondrement des prix de l'ordre de 25 % en moyenne. Il est sans doute inexact d'imputer cette baisse des prix à l'introduction de la concurrence et de la considérer comme un phénomène durable car la concurrence s'est instaurée de façon désordonnée, à la marge d'un système en situation de suréquipement général.

Les prix de marché de court terme ne sont, par conséquent, pas représentatifs de ce que seront les prix de marché de long terme. C'est ainsi que les électriciens allemands, après s'être livrés à une concurrence acharnée sur les prix de court terme - plutôt entre eux qu'avec leurs voisins, d'ailleurs, parce que le système reste, malgré les apparences, très fermé -, ont décidé de procéder à des déclassements massifs de centrales pour s'adapter aux conditions du marché. Toutes choses égales par ailleurs, cela aura pour effet mécanique de faire remonter les prix.

Ces derniers ont d'ailleurs beaucoup remonté ces temps derniers parce qu'on continue d'utiliser le pétrole et le gaz pour produire de l'électricité. Je suis néanmoins d'accord avec Mme Marie-Christine Jalabert pour penser que le niveau auquel se rétabliront les prix dans quelque temps, sera certainement moins élevé que celui qui se serait spontanément fixé dans le système de monopoles juxtaposés que nous connaissions naguère.

Il est évident que les prix ne sont pas appelés à baisser indéfiniment parce que, lorsqu'il faudra reprendre les investissements, la question se posera inévitablement des capacités de financement nécessaires ; pas plus les opérateurs en place - s'ils ont des capacités de financement trop limitées - que de nouveaux entrants potentiels - s'ils considèrent que les prix de marché ne sont pas rémunérateurs - ne développeront les capacités d'investissement nécessaires si les prix sont trop bas.

C'est là un aspect sur lequel il faut rester très vigilant. Le pilotage par le marché des politiques d'investissement nécessite à l'évidence une très grande attention, comme sont en train d'en faire l'expérience certains pionniers en matière de déréglementation, qu'il s'agisse de la Grande-Bretagne ou des pays scandinaves...

Concernant le gaz, M. Pierre Gadonneix a esquissé le panorama de la situation et évoqué les compétiteurs possibles. Il faut être réaliste : dans les toutes prochaines années, les opérateurs en place disposeront des marges - dans l'ensemble raisonnables - qui seront nécessaires au financement des investissements de réseau. On n'a pas entendu dire que Gaz de France, par exemple, faisait des profits excessifs. Certes ces marges, sous l'effet de la concurrence, seront sans doute remises quelque peu en cause ; mais ce n'est pas cela qui risque de provoquer une concurrence au couteau et un effondrement des prix de marché.

De plus, les trois grands fournisseurs de l'Union européenne sont la Norvège, la Russie et l'Algérie, c'est-à-dire trois Etats non membres de l'Union européenne et auxquels il n'est pas loisible d'imposer des règles de concurrence à la production. Restent donc la production britannique, la production néerlandaise, un peu de production en Italie et en France. Or, avec le développement du gaz, le poids relatif de ces productions indigènes ira en diminuant. La Grande-Bretagne, qui est aujourd'hui parfois à l'équilibre, parfois exportatrice, deviendra importatrice dans les années à venir. On ne voit donc pas se profiler dans l'immédiat une explosion de la concurrence, similaire à celle que l'on a pu constater dans l'électricité.

A terme, cela peut changer, bien entendu. Car si le gaz continue à croître et les productions indigènes à baisser, les ressources de la Norvège et celles de la Russie ne suffiront peut-être pas à couvrir les accroissements de consommation. D'autres acteurs, fournisseurs et producteurs, entreront sur le marché, ce qui peut ouvrir des possibilités nouvelles de mise en concurrence par augmentation du nombre d'acteurs. Personnellement, je ressens cependant que les choses seront sensiblement plus progressives que dans le cas de l'électricité.

Le deuxième thème que je souhaiterais évoquer est celui de la restructuration des entreprises de ces secteurs.

Dans le cas de l'électricité, les choses sont claires : l'effondrement immédiat des prix a conduit, à l'évidence, à mettre en difficulté les petits opérateurs. C'était d'ailleurs peut-être l'effet recherché par ceux qui ont entrepris des opérations de dumping sur le prix de l'électricité.

Nous sommes donc engagés dans une concentration très forte des acteurs, au moins au niveau de la production. Vous avez vu ce qui s'est passé en Allemagne : il reste aujourd'hui, pour simplifier, trois producteurs et demi - le « demi » étant EnBW, dont on verra le sort. Du côté de l'Espagne, des fusions s'annoncent.

L'évolution est toujours dans ce sens. A certains égards, les efforts déployés dans certains pays pour démanteler les opérateurs historiques et introduire ainsi une concurrence locale, ont peut-être été dictés par des considérations de pure efficacité économique ; sans vouloir faire allusion à personne, certains opérateurs historiques n'étaient pas très performants, c'est le moins qu'on puisse dire...

Ce mouvement de concentration est naturel et va certainement se poursuivre. On peut parier que, dans quelques années, quelques très gros opérateurs vont rechercher des activités complémentaires à leur activité de fournisseur de kWh, dans des services connexes à la fourniture d'énergie. Cette évolution va dans le sens de l'Histoire.

Je souhaite que l'on donne le maximum de chances à EDF et Gaz de France de pouvoir entrer dans ce mouvement. EDF a, d'ores et déjà, la taille correcte pour se positionner dans un marché européen intégré de l'électricité. A partir du moment où ses concurrents principaux vont engager des actions complémentaires et s'enrichir de services nouveaux, il semble essentiel qu'EDF puisse faire de même. En particulier, il conviendrait que l'on cesse rapidement d'opposer des contraintes de spécificité statutaire à l'encontre de sa politique de « diversification » - ou d'« extension » - en direction des services, qui ne peut être que bénéfique à tous.

Mon analyse concernant le secteur gazier n'est pas fondamentalement différente.

Des mouvements importants ont déjà eu lieu. Les opérateurs historiques sont de taille raisonnable. Je souhaite que Gaz de France réussisse sa politique de développement et se place parmi les tout premiers opérateurs.

La question qui peut se poser à plus long terme, sera de savoir si le métier d'opérateur gazier traditionnel tel que nous le connaissons - c'est-à-dire essentiellement celui de transporteur et de fournisseur de gaz, associé à des services complémentaires - demeurera inchangé ou si d'autres rapprochements importants ne sont pas appelés à s'esquisser avec les pétrogaziers ou, à l'image de ce qui se passe en Allemagne, avec les électriciens. L'avenir le dira.

Mais la tendance lourde est évidemment de s'efforcer, face à un système concurrentiel qui deviendra européen, d'avoir la masse critique en réalisant éventuellement les intégrations nécessaires. Il est de notre devoir de permettre aux entreprises françaises de réussir en ce domaine.

Le dernier point que je souhaitais traiter est le problème du service public.

Concernant le service public de l'électricité en France, si l'on raisonne à court terme, en apparence rien n'a changé. La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité a clarifié certains aspects et mis de l'ordre. D'aucuns peuvent trouver que ce texte est insuffisant ou mal appliqué ; mais on ne constate aucun recul conceptuel sur la notion de service public.

S'il devait aujourd'hui se poser un problème, ce serait plutôt celui de savoir comment traiter la question - théoriquement soluble et pratiquement un peu complexe - de la coexistence au sein d'EDF d'activités à caractère concurrentiel et d'une activité de fourniture de service public. Pour parler clairement, il s'agit du problème de la vérification de l'absence de subventions croisées entre ces deux types d'activité.

C'est pour cela qu'existe la Commission de régulation de l'électricité : elle est là pour vérifier que ne se créent pas, au détriment du service public, de distorsions dans les comportements d'un opérateur historique qui doit, en quelque sorte, intervenir sur deux segments d'activité relevant de logiques différentes. Je pense qu'il n'y a pas d'inquiétudes à avoir à cet égard. J'observe d'ailleurs que les comportements spontanés d'EDF en la matière sont tout à fait raisonnables et je ne vois pas apparaître, pour ma part, de distorsions flagrantes. Mais la Commission de régulation est là pour y veiller.

Si le service public doit susciter des interrogations, c'est dans une perspective à très long terme. Les principes de base du service public sont légitimes. Nous y sommes attachés. Il va falloir les défendre.

Il est clair que si nous défendons une vision du service public rétrograde, si nous nous appuyons sur des éléments qui sont aujourd'hui remis en cause par la concurrence, si nous identifions service public, monopole et entreprise intégrée à capitaux d'Etat, il y aura un blocage.

La concurrence nous invite donc aujourd'hui à un effort de réflexion pour identifier ce qui est fondamental dans notre vision du service public et imaginer comment ces missions de service public pourront être exercées dans un monde concurrentiel, sans entraîner des distorsions dans le fonctionnement du marché qui seraient, à bon droit, jugées inadmissibles. Les questions de la péréquation tarifaire et de l'égalité de traitement de la clientèle doivent être réexaminées, afin de comprendre en quoi elles sont essentielles et ce que nous voulons en garder.

Mme Marie-Christine Jalabert a évoqué l'idée d'une convergence au sein de l'Europe des conceptions du service public, qui entraînerait automatiquement une réflexion sur la manière de les mettre en _uvre sans compromettre les principes généraux d'intégration des marchés. On est, me semble-t-il, dans une course de vitesse. Je souhaite qu'une telle initiative réussisse, mais je ne suis pas sûr qu'elle aboutira dans des délais compatibles avec l'ouverture progressive des marchés, qui semble inscrite dans les faits.

Ma conviction est qu'il faudra malgré tout, pendant un certain temps, admettre que le principe de subsidiarité peut jouer. Dès lors que les dispositions adoptées pour mettre en _uvre les principes du service public, la sécurité d'approvisionnement et les choix de politique énergétique ne contreviennent pas au fonctionnement normal et équitable des marchés, il est légitime de les promouvoir.

M. le Président : Nous allons maintenant passer aux questions.

M. Jacques Desallangre, député de l'Aisne, m'a demandé de poser à M. Gadonneix la question suivante : pouvez-vous nous donner votre sentiment sur le niveau de contrainte sur les opérateurs nécessaire pour garantir la sécurité d'approvisionnement de notre pays ?

La parole est à M. Léonce Deprez.

M. Léonce Deprez : De tels exposés prouvent la complexité des problèmes, que vous avez très bien présentée. Je voudrais souligner un point et poser quelques questions.

Vous disiez que le coût de l'énergie représente près de 25 % du prix de revient de la production ; cela montre bien son importance. Vous disiez également que, fort heureusement, on avait assisté à une baisse des prix de l'énergie de l'ordre de 25 % en moyenne sur la période 1990-1998.

Si l'on en juge par ces chiffres, le coût de l'énergie apparaît comme un élément particulièrement important de la compétitivité des entreprises. En conséquence, quand on établit les prix de revient, il faut prendre en compte à la fois le prix de l'énergie et le coût du travail.

Peut-on alors espérer, en raison de la compétition mondiale, voir ce coût de l'énergie baisser de telle sorte que l'on puisse assurer une rémunération plus élevée au travail ? C'est une question importante, qui intéresse autant les entrepreneurs que les salariés, car plus on consacre de moyens à l'énergie, moins on peut donner au travail.

M. Torrion et M. Gadonneix ont, tous deux, souligné l'impératif de croissance, aussi bien pour EDF que pour GDF. Vous avez parlé de 10 millions de clients en France, de deux millions à l'étranger et indiqué qu'EDF devait gagner 200 000 clients supplémentaires.

Vous avez souligné la nécessité d'une intégration permettant à EDF d'assurer cette croissance en France et à l'étranger. M. Gadonneix a ensuite laissé entendre que la croissance s'entend aussi en amont : il va donc falloir que les entreprises françaises aillent à l'étranger, aux sources de la production, et y investissent de plus en plus. C'est un impératif dont il faudra tenir compte si nous voulons qu'EDF et GDF atteignent une taille suffisante sur le plan mondial, pour pouvoir assurer leur avenir et sortir de la spécificité dans laquelle elles étaient enfermées jusqu'à présent.

Allons-nous nous en donner les moyens et comment assurer la compatibilité avec les missions de service public ? Nous sommes tous favorables à la pérennité de ces missions sous forme, par exemple, de péréquations tarifaires définies par les pouvoirs publics. Mais cette mission ne va-t-elle pas à l'encontre de l'avenir d'EDF et de GDF ? N'est-elle pas contraire à l'impératif de compétitivité ? Ne serait-ce pas à la solidarité nationale de s'exercer, plutôt que de demander aux entreprises d'assumer ces charges - elles qui doivent être compétitives et réserver le maximum de leurs ressources à l'investissement en France et à l'étranger ?

Ma dernière question portera sur la Commission de régulation de l'électricité. Nous l'avons voulue indépendante en France. Ne doit-elle pas se situer plutôt au niveau européen, avec une même indépendance ? Ne devrait-on pas en arriver à une autorité énergétique européenne ?

M. le Président :La parole est à M. Pierre Ducout.

M. Pierre Ducout : Je vois que tout le monde est d'accord pour considérer qu'EDF aura une taille correcte dans un cadre européen qui a vocation à s'ouvrir plus qu'aujourd'hui, mais qu'il faudra remettre en cause le principe de spécialisation.

En revanche, le problème de la taille de GDF n'est pas forcément ressenti de la même manière. Je souhaiterais que M. Gadonneix me confirme qu'il estime urgent d'atteindre la taille critique car, pour M. Bergougnoux, il semble au contraire qu'il n'y ait pas ce caractère d'extrême urgence - du fait notamment de la politique de diversification des fournisseurs.

Les principes de droit européen permettent effectivement de renvoyer au niveau national, dans le cadre de la subsidiarité, certaines questions mais nous sommes appelés, à moyen terme, à plus d'intégration. Celle-ci conduira à la mise en place d'une régulation européenne, qui devra réfléchir à la sécurité énergétique à long terme et apporter des réponses aux attentes des citoyens, notamment en matière d'environnement et en matière sociale.

Aujourd'hui, cela n'apparaît pas clairement, même si chacun s'accorde à dire que ce serait souhaitable. Dans quels délais pense-t-on arriver à une politique européenne en matière de sécurité, de lutte contre l'effet de serre et d'énergie nucléaire ?

Enfin, des analyses communiquées par GDF comparent les prix du kWh selon les sources d'énergie, pour le chauffage d'une maison. Je pense qu'il faut pondérer ce coût par les frais annexes. Il est difficile d'affirmer à un particulier qu'il paiera quatre fois plus avec l'électricité qu'avec le gaz. C'est un élément intéressant, mais qu'il faut sans doute relativiser.

M. le Président : La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro : Je suis un élu rural. A ce titre, la dernière partie de l'intervention de M. Bergougnoux m'a beaucoup intéressé : on constate bien, après ce qu'il est advenu des services de France Télécom et du service public hospitalier, que le monde rural souffre de la disparition des services publics. Le prix du kWh, qu'il soit d'origine électrique ou gazier, restera-t-il bien le même sur tout le territoire français ?

M. le Président : J'invite les personnalités invitées à répondre.

M. Jean Bergougnoux : Concernant la taille de Gaz de France, je n'ai pris aucune position sur l'urgence ; c'est à M. Gadonneix de le faire.

Vous avez soulevé la question du financement des missions d'intérêt général ou de service public. Dans un monde concurrentiel, il faut que le service public soit clairement identifié, que l'on sache combien il coûte et que son financement soit défini de façon à ne pas biaiser la concurrence - notamment, de façon à ne pas mettre l'opérateur en charge du service public en situation difficile. Des mécanismes de solidarité nationale doivent donc se mettre en place.

Pour ce qui est du coût de l'énergie pour les entreprises, un montant de 25 % du prix de revient représente la situation d'un très gros consommateur. Pour la plupart des entreprises, le pourcentage est bien moins élevé ; c'est moins que le téléphone, souvent.

Mais c'est incontestablement un facteur de compétitivité que d'avoir une électricité et un gaz de bonne qualité et peu onéreux. De ce point de vue, d'ailleurs, l'intégration du marché électrique européen doit être globalement bénéfique pour tout le monde - notamment, pour les entreprises du vieux continent dans la perspective d'une concurrence mondialisée et d'une compétitivité globale.

Quant à la péréquation tarifaire, mon sentiment est que, dans la situation actuelle, elle ne pose pas problème. Elle est maintenant inscrite dans la loi alors qu'autrefois, il s'agissait plutôt d'une tradition et la situation n'était pas aussi claire.

Dans un monde concurrentiel, il n'est pas nécessaire de remettre en cause ce principe. Le problème est plutôt celui de la répartition de son coût.

De quoi est fait le coût de l'électricité ? Du coût du kWh - qui, parce que nous avons un réseau intégré très puissant, est le même sur l'ensemble du territoire - et du coût des réseaux de distribution qui permettent d'acheminer l'électricité - qui, lui, est extraordinairement variable d'un point à l'autre du territoire. Ce n'est pas une question de positionnement géographique au sein du territoire, mais de nature des réseaux et de densité des consommations qu'ils desservent. Toutes choses égales par ailleurs, ce coût est en effet plus élevé en zone rurale, voire en centre ville, qu'en zones périurbaines - qui sont les zones les moins chères.

Dès lors, si la concurrence devait s'étendre jusqu'au petit consommateur final, l'essentiel serait de maintenir la péréquation sur le coût des réseaux. En fait, la directive « Électricité » incorpore la notion de gestionnaire de réseaux de distribution, pour lequel on admet qu'il existe une situation de monopole local. Cette notion permet de faire réaliser ladite péréquation, sachant que, par ailleurs, le kWh - qu'il soit fourni par un opérateur historique comme EDF ou peut-être, demain, vendu en supermarché - aura un prix homogène sur le territoire, parce que cela répond à une réalité économique.

A mon sens, si c'est le principe de péréquation tarifaire qui vous soucie prioritairement, je pense qu'il est possible de trouver une solution dans tous les cas de figure.

M. Pierre Gadonneix : La question de la péréquation se pose aussi, dans une certaine mesure, pour le gaz naturel. Elle ne se pose pas dans des termes identiques, puisque le gaz naturel ne dessert pas l'ensemble des habitants de France - à peu près 70 % du territoire - et qu'il n'ira jamais partout - car, dans certaines zones, le coût de la desserte serait prohibitif et le coût du développement y serait supérieur au coût d'une énergie en concurrence.

Les limites sont fixées par le pouvoir politique au titre des missions de service public. La clarification de ces missions dans un texte législatif est une bonne nouvelle, puisqu'auparavant celles-ci étaient plutôt définies par une tradition orale. Pour le gaz, le pouvoir politique a le devoir d'indiquer jusqu'où faire avancer la fourniture de gaz naturel.

On voit bien qu'entre desserte et péréquation, c'est d'équilibre entre solidarité, aménagement du territoire et compétitivité du produit qu'il s'agit : plus on ira loin, plus cela coûtera cher. Si l'on ne fait pas peser le prix sur le client marginal, cela veut dire qu'on le fait payer à l'ensemble de la collectivité car les obligations de service public sont financées soit par le contribuable, soit par les clients. Dans le cadre actuel, ce sont plutôt les clients qui paient, à travers un jeu de solidarité entre eux.

Quant à l'égalité de traitement, il est assez étonnant de constater que le contenu que l'on met en Europe sous les termes de « missions de service public » varie d'un pays à l'autre. En France, nous considérons comme évident que l'égalité de traitement fasse partie du service public ; dans d'autres pays, je puis vous assurer que tel n'est pas le cas. A la notion d'égalité de traitement, d'autres - selon leur tradition - préfèrent la notion de « reflet des coûts ».

M. Desallangre posait une question pertinente sur la sécurité d'approvisionnement et la manière de l'assurer concrètement.

Jusqu'à présent, on faisait confiance à l'opérateur Gaz de France. De façon informelle, Gaz de France avait une politique de diversification contractuelle.

Vous savez que la France a des désavantages en matière gazière. Nous n'avons pratiquement plus de ressources naturelles, puisque le gisement de Lacq s'épuise et que nous n'avons pas trouvé de substitut. Nous sommes donc importateurs pour la quasi-totalité de nos approvisionnements alors que certains pays, comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, sont autosuffisants. D'autres pays, comme l'Allemagne ou l'Italie, ont des ressources qui couvrent entre 20 et 30 % de leurs besoins.

Par contre, la France est le pays d'Europe qui a la plus grande diversité d'approvisionnement. Nous recevons du gaz d'Algérie, de Russie, de Norvège, des Pays-Bas, du Nigeria et de Grande-Bretagne. Nous avons aussi des coopérations ponctuelles avec des pays comme le Qatar ou l'Arabie Saoudite. Cette grande diversité est une des réponses au problème de la sécurité d'approvisionnement.

La deuxième manière de sécuriser les approvisionnements est l'établissement de contrats à long terme. Si vous achetez du gaz sur le marché spot, comme c'est possible maintenant avec l'ouverture des marchés, vous vous exposez à des variations de prix très amples, du simple au double - voire au quadruple, comme cela s'est déjà vu en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

Mais la sécurité, c'est aussi d'avoir accès à des ressources en propre ; c'est d'avoir des gisements. Le législateur devra donc fixer les conditions de sécurité applicables à tous les opérateurs du service public, c'est-à-dire les opérateurs fournissant du gaz à des clients non éligibles. Ces conditions de sécurité devront être posées en termes de résultats plutôt qu'en termes de moyens.

M. Léonce Deprez a évoqué de nombreux sujets, tous complexes.

En ce qui concerne le prix de l'énergie, vous estimez que, finalement, l'important est d'avoir le plus bas prix d'énergie possible - d'une part, par rapport aux autres pays européens ; d'autre part, pour garantir la satisfaction du public : il faut que les prix aient tendance à baisser pour que le pouvoir d'achat du citoyen augmente.

Ce sont donc deux aspects auxquels il faut répondre : premièrement, être sûrs que nous ne payons pas l'énergie plus cher que les autres pays d'Europe, sinon nous aurions un handicap de compétitivité par rapport aux autres ; deuxièmement, faire en sorte que la tendance à long terme s'oriente vers la baisse des prix de l'énergie.

Sur ces deux points, il n'existe pas de réponse simple et unique ; si c'était le cas, cela se saurait.

Pour ma part, je ne crois ni au « tout gaz », ni au « tout nucléaire », ni au « tout charbon », etc. Je pense qu'aucune énergie n'est exempte de risque : qu'il soit technique ou géopolitique, le risque existe toujours. La réponse est donc dans la diversification.

Je crois qu'il faut une politique énergétique. Je me réjouis d'ailleurs de constater que la Commission a pris conscience que la libéralisation du marché n'était pas la seule réponse aux préoccupations en matière d'énergie. On voit bien en effet que l'ouverture du marché n'apporte pas de réponse à la question de la sécurité du marché : il n'y a qu'à regarder ce qui se passe aux Etats-Unis.

Le Livre vert publié par la Commission européenne montre que la question se pose. Une des réponses est la diversification. Le gaz naturel représente une diversification par rapport à d'autres énergies. Axer une politique sur le seul gaz naturel serait une erreur mais le fait qu'existe, dans le panel des énergies, une place équilibrée pour celui-ci est une première réponse.

Au sein de la politique du gaz naturel, il me paraît important qu'une diversification se fasse également. Sur le plan géographique : veillons à ne pas dépendre d'une seule source. Sur le plan contractuel : je pense que les contrats à long terme resteront la forme dominante parce que, comme cela a été dit par tous, le gaz naturel connaît un développement et qui dit développement, dit investissements et même investissements gigantesques ; mais il faut aussi des contrats à court terme et à prix fixes.

Quant à la compétitivité de Gaz en France, je vous indique que les prix du gaz naturel en France sont tout à fait attractifs : que ce soit pour le client du service public domestique ou pour le client industriel, et malgré les handicaps français de ne pas avoir de ressources propres et d'avoir une densité de réseau plus faible que dans les autres pays, nos prix sont parmi les plus bas d'Europe.

M. Ducout a posé plusieurs questions sur le prix des énergies. On ne peut y répondre de façon simple. Les chiffres présentés visaient avant tout à montrer que le prix du gaz naturel avait, certes, augmenté mais qu'il avait moins augmenté en France que dans les autres pays d'Europe et que, en France, la progression du prix du gaz avait été moindre que pour une énergie concurrente dérivée des produits pétroliers.

Vous avez souhaité savoir si Gaz de France a la taille pertinente au niveau mondial. Jean Bergougnoux l'a dit : à la différence d'EDF, qui est de loin le plus grand opérateur électrique du monde, GDF est seulement parmi les plus grands. Nous sommes dans le peloton de tête, bien placés ; je ne l'ai pas toujours dit.

Le mouvement de concentration est en train de se produire et les contacts que j'ai montrent que l'évolution du paysage énergétique s'accélère. On voit cette concentration se produire aujourd'hui en Allemagne, en Espagne et en Italie ; elle a déjà eu lieu en Grande-Bretagne.

Le ministre de l'économie et des finances l'a dit : il faudra, le moment venu, s'interroger sur la réponse, en matière d'ouverture de capital, aux objectifs de développement industriel et social de l'entreprise Gaz de France. Les informations que j'ai sur l'évolution du paysage énergétique, me laissent à penser que ce moment n'est pas très éloigné.

M. le Président : Mme Jalabert, vous avez constaté que des réserves ont été exprimées sur certains projets d'accentuation de l'ouverture du marché. S'agissant de l'électricité, la mise en concurrence jusqu'au stade du consommateur-usager ordinaire poserait beaucoup de problèmes, eu égard notamment à la conception française du service public.

Certains ont estimé que l'Union européenne n'avait pas de politique énergétique. On ne peut qualifier, en effet, de politique énergétique la seule politique d'ouverture à la concurrence, bien au contraire ! Je me félicite que la Commission européenne réfléchisse donc à une politique digne de ce nom. Reste à savoir laquelle, compte tenu de ce qui a été indiqué par Mme Loyola de Palacio sur la sécurité d'approvisionnement et de la nécessité de prendre en compte les dimensions sociale et de service public qu'ont rappelées les syndicalistes.

Vous avez remarqué, Madame, que des doutes ont été exprimés quant à la pérennité des baisses de prix. Je sais qu'il est courant, à la Commission européenne, de penser que la concurrence aboutit automatiquement à des baisses de prix ; mais cela n'est pas prouvé et, surtout, cela ne l'est pas durablement.

Concernant cette question, la nature des énergies développées est un facteur bien plus important que la concurrence. S'il y a pénurie d'énergie - si, par exemple, le nucléaire n'est pas suffisamment soutenu alors que les sources d'énergie fossiles se raréfient, que le développement des énergies renouvelables se heurte à des difficultés et que la consommation continue à progresser concomitamment - le projet de baisser les prix est tout à fait illusoire. On pourrait même assister à leur augmentation.

M. Philippe Torrion : En complément des interventions de M. Jean Bergougnoux et de M. Pierre Gadonneix, je voudrais confirmer que les facteurs qui concourront à une hausse du prix de l'énergie - et de l'électricité, en particulier - me semblent plus nombreux que ceux qui pourraient provoquer sa baisse.

La situation actuelle, plutôt marquée par un relatif suréquipement, peut, à l'occasion de l'ouverture des marchés, conduire à des prix relativement bas. Lorsque l'on va sortir de cette période et qu'il va falloir développer des capacités de production nouvelles, il va bien falloir financer les investissements. Mais dans un contexte de forte croissance des besoins mondiaux - n'oublions pas que, dans les pays du Sud, deux milliards d'individus n'ont pratiquement pas accès à l'électricité -, dans un contexte où les problématiques environnementales devraient se traduire par des contraintes supplémentaires - donc, directement ou indirectement, par des surcoûts -, on voit bien que les tendances sont plutôt à la hausse... d'autant que, du côté des progrès technologiques à espérer dans les dix à quinze prochaines années, on ne voit pas de ruptures fortes permettant une baisse du coût de production d'électricité.

J'ajoute que les perspectives les plus prometteuses - qui mettent en _uvre des énergies renouvelables et se donnent pour objectif une utilisation optimisée au plan local - supposent auparavant de véritables prouesses pour atteindre le niveau de compétitivité actuel des principales productions centralisées.

On parle beaucoup des Etats-Unis. Mais dans ce pays, où le prix du gaz est relativement élevé, les coûts sont orientés à la hausse : l'économie connaît une forte croissance et il faut faire face au renouvellement d'équipements devenus obsolètes. En mettant en _uvre des technologies standards, qui sont les meilleures sur le marché, on arrive encore à des prix en développement de 35 à 40 centimes du kWh ; ce qui est extrêmement élevé, puisque nos propres coûts de développement s'établissent aujourd'hui autour du 20 centimes du kWh.

Je ne pense donc pas que l'on puisse attendre dans les prochaines années, à moyen et long terme, d'évolution significative à la baisse des prix. Nous aurons plutôt une évolution à la hausse.

Deuxième point que je voulais compléter : la question des obligations de service public, en particulier celle de l'aide aux clients démunis. Le dispositif, pour être pérenne, doit être complètement pris en charge. Les coûts doivent être intégralement répartis, comme le prévoit d'ailleurs la loi, entre les différents clients ou opérateurs. Le dispositif doit également permettre aux personnes en grande difficulté de sortir de leur situation. Dans l'attente des décrets qui ne sont pas encore publiés, EDF développe depuis quelques mois des expérimentations dans trois départements : la Seine-Saint-Denis, l'Ille-et-Vilaine et l'Allier.

Ces expérimentations, en association avec l'ensemble des acteurs sociaux qui ont l'habitude de traiter ces problèmes, consistent à adapter le taux de prise en charge des factures d'électricité en fonction du quotient économique des familles en difficulté et, également, du poids que représente cette facture dans l'ensemble des dépenses de ces familles.

Si l'on s'inscrit dans une perspective d'ouverture totale du marché, il est évident que l'on devra s'appuyer sur ces expériences pour généraliser un dispositif ayant le même objet et éviter ainsi que certains soient tentés de se désintéresser de ces clients qui ne rapportent pas grand-chose. Il faudra donc étudier cette question avec beaucoup de précautions, ne serait-ce que pour continuer à articuler correctement les deux logiques du service public et de la solidarité, d'une part, et de la concurrence et de la performance, d'autre part.

En ce qui concerne le développement d'EDF, les marchés électriques ne sont pas en croissance globale - à la différence du gaz. La concentration au niveau européen se fera à l'intérieur d'un gâteau qui ne croît pas ; cela signifie donc une concurrence relativement sévère. EDF ne s'attend pas à bénéficier d'une croissance très forte ; elle souhaite en revanche se redéployer à l'intérieur du marché unique, abandonnant progressivement des parts de marché en France et en gagnant dans les autres pays, en suivant l'ensemble de ses clients comme les autres opérateurs vont le faire.

Par contre, il existe à l'extérieur de l'Europe des zones en croissance beaucoup plus forte : je pense notamment à l'Amérique du Sud et à l'Asie. Là, EDF peut valoriser son savoir-faire et appuyer les États dans leurs politiques de développement : il s'agit de construire des moyens de production, de développer des réseaux - des savoir-faire que maîtrise EDF. C'est dans ces zones que EDF peut espérer trouver une croissance significative.

M. le Président : Votre réflexion me conduit à confirmer ce que je disais tout à l'heure : les missions de service public que l'opérateur historique prenait en charge sont difficilement transposables à des opérateurs privés - ou alors, il faudrait que la puissance publique prenne le relais.

L'expérience que mène EDF dans l'Allier montre que ce n'est pas seulement en effaçant les additions et les factures qu'il faut agir. Il faut faire en amont un travail social de prévention extrêmement coûteux, en liaison avec les services sociaux afin de préserver la dignité des gens. Il faut les aider à organiser leur budget, ne pas se borner à leur dire de venir à un guichet pour qu'on paie leurs dettes. Cela ne marcherait pas et ouvrirait d'ailleurs la porte à tous les abus. C'est un travail qui m'apparaît, en tout cas, d'une grande complexité.

Défendre ce principe de solidarité permettra à EDF de gagner, ou de conserver, une légitimité vis-à-vis de la nation et de la société tout entière ; une légitimité que d'autres n'ont pas. C'est important vis-à-vis de l'opinion publique de pouvoir dire que l'entreprise EDF assure des missions de service public très importantes pour la société.

Evidemment, on peut poser comme postulat que des entreprises privées feraient de même. Permettez-moi d'en douter.

La parole est à Mme Jalabert.

Mme Marie-Christine Jalabert : J'ai le rôle ingrat de représenter la malheureuse Commission européenne, du moins au niveau de l'administration.

Le problème du contrôle du régulateur est un problème très complexe. M. Christian Stoffaës travaille sur ce dossier avec plusieurs Etats membres.

Une autre question est celle de la mise en place d'un régulateur européen. On ne peut pas avoir, en effet, un marché intérieur intégré et une régulation qui ne serait que nationale. Le débat est en cours. De nombreux universitaires travaillent sur le sujet.

Il y a un risque de déficit de régulation : comme il y a des parlements nationaux, régionaux et européens qui ont chacun leurs compétences, la question du niveau optimal va bien finir par se poser.

En ce qui concerne les prix, je dois dire que la Commission n'en fait pas une question centrale. Ce n'est pas à nous de les définir, ce n'est pas aux institutions communautaires de fixer le prix de l'électricité, du gaz, de la voiture ou de quoi que ce soit d'autre. Le Traité sur l'Union européenne demande simplement qu'il y ait une concurrence et que celle-ci soit transparente.

Les prix baisseront d'abord parce que des ajustements devaient se faire, de toute façon ; il est probable qu'ils remonteront ensuite, par le jeu de certains facteurs structurels.

Si l'on veut renforcer la distribution, cela coûtera cher et le consommateur devra accepter de payer : c'est le propre d'un monde libéralisé, d'un univers de cost reflect reflétant le coût réel.

Dans tous les Etats membres, les mêmes questions se posent. Je tenais à le dire devant votre Assemblée. Les mots ne sont pas toujours les mêmes : on parle de service public, de cost reflect ou de services d'intérêt général. Mais, au bout du compte, les soucis sont identiques : des dessertes partout, un aménagement du territoire équilibré, une concurrence qui joue réellement, une égalité de traitement pour les consommateurs, des tiers qui ont accès à tous les réseaux et un contrôle final par des instances démocratiques, dans la mesure du possible.

Vous avez dit que l'Union européenne n'a pas de politique énergétique. Vous avez raison au sens où l'on ne peut pas qualifier les directives « Gaz » et « Électricité » de « politique énergétique ». C'est un début. J'espère que nous continuerons à construire cette politique dans le sens préconisé par le Livre vert dont vous avez parlé avec Mme de Palacio, commissaire responsable de ce secteur.

La difficulté lorsque nous parlons avec les autres pays européens, est d'expliquer et justifier la position de la France : pourquoi la France a-t-elle transposé en retard la directive « Électricité » ? Pourquoi la France n'a-t-elle pas adopté la loi de transposition pour la directive « Gaz » ? Mme de Palacio s'y emploie auprès du Parlement européen.

Quand vous travaillez à Bruxelles et qu'il y a des difficultés avec nos partenaires allemands, nous devons, au nom de l'Union et de la Commission, expliquer la position d'un Etat membre sur ce dossier. Sur ce dossier, nous devons absolument éviter l'application des clauses de réciprocité qui sont prévues dans la directive.

La clause de réciprocité est un mécanisme susceptible de protéger l'Allemagne ou le Royaume-Uni...

M. le Président : Il s'agit d'une clause figurant dans la directive ?

Mme Marie-Christine Jalabert : Elle est dans la directive. Notre commissaire doit faire face, je le dis en toute simplicité, à l'attitude de nos partenaires allemands.

M. Denis Cohen : Les syndicats européens estiment que le droit à l'énergie est un droit individuel inaliénable. J'ai rencontré tous les groupes du Parlement européen comprenant des français afin qu'ils relayent cette question au plan politique. Il s'avère en effet que, quand une aspiration grandit dans des pays, il n'y a aucun moyen pour obliger la Commission à se saisir de la question.

J'ai donc une vraie interrogation : lorsque des questions nouvelles se posent, comment obtenir un relais au sein de la Commission ?

M. le Président : La parole est à M. Félix Leyzour.

M. Félix Leyzour : Je suis d'accord avec ce qui a été dit - à savoir que, premièrement, il faut diversifier les sources d'énergie et utiliser toutes celles qui sont disponibles, y compris le gaz. En ce qui concerne cette énergie, il convient en outre de diversifier les sources d'approvisionnement.

Mais même si nous sommes importateurs, le niveau de prix particulièrement peu élevé du gaz ne tient-il pas au fait que nous sommes un pays où la fourniture de courant électrique s'effectue à un prix relativement compétitif, le programme électro-nucléaire pouvant donc y être pour quelque chose ?

Ma deuxième question concerne les réseaux. Il est clair que si, demain, les grands distributeurs qu'ont été et que sont toujours EDF, Gaz de France et France Télécom n'interviennent plus parce que ce ne sera pas rentable, cela veut dire que, dans les secteurs les plus éloignés, il faudra que les collectivités paient à leur place.

C'est le cas déjà pour Gaz de France. En Bretagne, lorsque nous avons une entreprise de l'agroalimentaire grande consommatrice d'énergie, la question est souvent de savoir si l'on peut avoir le gaz. On vous dit que, si vous voulez faire aboutir le réseau à tel ou tel endroit, à telle ou telle petite ville, il faut que les collectivités paient, parce que Gaz de France ne peut le faire seul. Au lieu d'aller vers un aménagement, on va vers une concentration systématique des activités - la concentration est, il est vrai, une manière d'aménagement...

On disait qu'avec les nouveaux moyens de communication, nous irions vers le développement d'activités sur tout le territoire. C'est le contraire qui est en train de se produire. La concentration appelle la concentration ; le reste n'est que discours.

M. le Président : La parole est à Mme Marie-Christine Jalabert.

Mme Marie-Christine Jalabert : Lors du conseil européen de Nice, la question de l'aménagement du territoire n'a pas été spécifiquement abordée. Au § 45 des conclusions, dans le chapitre relatif à l'Europe des citoyens, apparaît la notion de « service d'intérêt général ». Ce service d'intérêt général concerne tous les secteurs.

La présidence française a donc réussi à faire figurer ce point dans les conclusions du Conseil. C'est là une avancée importante, car cette thématique du service d'intérêt général est parfois perçue par nos partenaires européens comme quelque chose d'anticoncurrentiel. Je m'emploie toujours à éviter que nos partenaires croient que le service d'intérêt général est un concept que promeut la France pour freiner la concurrence, alors que nous avons simplement des objectifs équilibrés au niveau de la directive, de la loi et du traité lui-même.

Par conséquent, je répondrai à M. Cohen que, sur le fondement du § 45 des conclusions du sommet de Nice, il y a un travail d'information à faire auprès des parlementaires. Comme le domaine de l'énergie relève de la procédure de codécision, il n'est pas choquant de dire ici qu'il faut s'appuyer sur cet autre décideur qu'est le Parlement européen - même si l'on pense toujours, d'abord, au Conseil.

Je pense donc que le moment est venu pour faire avancer les choses au niveau européen. J'ai entendu, tout à l'heure, un intervenant dire que l'on s'accommoderait d'une définition commune a minima, celle du service universel. Mais ce n'est pas l'esprit des directives, nous voulons garder les obligations de service public telles qu'elles sont ! Par exemple, la protection de l'environnement est une obligation majeure du service public. La sécurité d'approvisionnement est aussi une obligation majeure du service public, doublée d'une sorte de droit à l'énergie, dans la logique de la Charte des droits fondamentaux adoptée récemment.

M. le Président : La parole est à M. Gadonneix.

M. Pierre Gadonneix : S'agissant du prix du gaz naturel en France par rapport aux autres pays d'Europe et d'un lien avec le programme nucléaire, je ne pense pas qu'il y ait une véritable relation.

Nous sommes parmi les moins chers d'Europe, en dessous de la moyenne, mais deux pays sont généralement moins chers que nous : la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, pour deux raisons. La première est que ce sont des pays producteurs. Même si officiellement, cela ne joue pas, il y a de fait un petit avantage d'accès à la ressource. La seconde est que ce sont des pays beaucoup plus denses en population et en réseaux : pratiquement 80 % de la population est alimentée.

Pourtant, nous sommes très bien placés et c'est une fierté de Gaz de France. Notre taille nous permet d'avoir accès à la ressource de manière compétitive sur le marché international.

De surcroît, nous avons fait au cours des dernières années des gains de productivité importants. Je peux d'ailleurs les chiffrer. Dans les relations avec l'Etat, il y a une formule tarifaire pour les tarifs domestiques ; depuis sept ans, depuis que nous avons des contrats d'objectifs, nous avons répercuté dans nos tarifs 20 % de baisse qui viennent uniquement des gains de productivité de l'entreprise.

L'interaction avec le nucléaire se situe au niveau de la part du gaz naturel dans la consommation d'énergie : en France, cette part est de l'ordre de 13 %, alors que la moyenne européenne est de l'ordre de 22 %. La part du gaz naturel en France est donc plus faible dans la consommation totale d'énergie, parce que l'électricité nucléaire, grâce à sa compétitivité, a pris une place plus importante.

Vous avez posé des questions qui sont au c_ur du débat : jusqu'où la politique d'aménagement du territoire peut-elle aller en matière de gaz naturel ? Personne ne dit que le gaz naturel doive être disponible partout ; on voit bien que le coût de desserte par un réseau d'une petite ferme isolée dans l'Allier serait disproportionné.

C'est aux pouvoirs publics de définir le champ de l'obligation de desserte. J'observe qu'un coup d'accélérateur a été donné, il y a deux ans, sur l'extension : les pouvoirs publics ont repoussé la limite au-delà de celle où nous allions encore il y a trois ans, par le biais de cet indicateur qu'est le taux de rentabilité de la nouvelle desserte. En abaissant ce taux, vous desservez plus de communes : ce sont donc plus d'un millier de communes qui ont alors été alimentées.

Mais il existe toujours une limite. Je pense que c'est à la puissance publique de la fixer. Il faut définir clairement qui paie ; actuellement, c'est le jeu de la solidarité, c'est-à-dire que ce sont les clients existants qui paient pour les nouveaux clients.

M. le Président : Je vous remercie, Madame et messieurs, de votre présence, de votre coopération et de vos interventions tout à fait intéressantes.

AUDITION DE M. CHRISTIAN PIERRET,

SECRÉTAIRE D'ETAT À L'INDUSTRIE

Présidence de M. André LAJOINIE, Président

Après avoir présenté les enseignements qu'il tirait à titre personnel de la série d'auditions organisées par la commission, M. André Lajoinie, président, a invité les membres de la commission à compléter cet exposé, à le nuancer, voire à le contredire, avant de laisser la parole au ministre qui répondra ainsi à l'ensemble des orateurs.

Il a précisé qu'il souhaitait que le ministre puisse répondre aux préoccupations des députés, et présenter les initiatives gouvernementales nécessaires pour assurer un approvisionnement en énergies diversifiées à coût raisonnable, garantissant à la fois l'indépendance énergétique et le respect de l'environnement.

M. Christian Bataille : Monsieur le président, je veux, au nom du groupe socialiste, me féliciter de l'initiative que vous avez prise dans le domaine de l'énergie. En effet, le programme de travail établi par le Gouvernement ne nous amenait pas, dans les mois qui viennent, à examiner cette question malgré un certain nombre d'annonces qui avaient déjà été faites, mais qui sont constamment différées.

Or, voilà un domaine dans lequel le Parlement doit donner son sentiment pour éclairer le travail gouvernemental. En somme, puisque chacun veut revaloriser le rôle du Parlement, vous avez proposé un domaine d'excellence dans lequel le Parlement prend l'initiative de donner son avis car, monsieur le ministre, je le déplore, le Gouvernement s'est bien gardé d'interroger le Parlement. Je ne voudrais pas réveiller chez mes collègues des souvenirs vieux d'une semaine, mais le Gouvernement saisit parfois le Parlement en se trompant de commission.

Néanmoins, en ce qui concerne l'énergie, nous sommes bien dans un domaine qui doit concilier le marché, les exigences nouvelles, bien que mesurées venant pour l'essentiel de Bruxelles et de l'Europe, ainsi que la prévision, le long terme, le plan en quelque sorte. C'est ce que nous avons pu apprécier à travers la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité.

Mes propos n'ont aucune intention polémique car j'observe que, par le passé, tous les gouvernements - de droite et de gauche - se sont appuyés sur les prévisions des besoins en énergie du pays. De plus, nous avons, au travers des auditions, entendu un certain nombre de spécialistes nous répéter combien l'histoire de ce pays était riche dans ce domaine de l'énergie comparée à certains pays, plus dotés par la nature en ressources naturelles, et n'ayant pas, comme nous, été contraints à la réflexion.

Le domaine de l'énergie, notamment l'énergie nucléaire, est un domaine qu'il est difficile d'aborder de façon plus rationnelle que passionnelle. L'énergie nucléaire joue dans notre pays un rôle majeur bien que notre offre énergétique ne soit pas dominée par elle. Ainsi que cela a été rappelé au cours des auditions, il faut cesser de dire que 80 % de notre électricité sont d'origine nucléaire et plutôt porter l'accent sur le fait que moins de la moitié de nos ressources sont d'origine nationale. Cela implique que nous devons nous fournir à partir d'autres énergies.

Il y a deux façons d'aborder le problème de l'énergie. Il y a tout d'abord la manière passionnelle des antinucléaires qui s'opposent au nucléaire, quelles que soient les propositions du ministre de l'industrie qui, au sein du Gouvernement a, plus que tout autre, la responsabilité de la politique énergétique. Il ne resterait que 1 ou 2 % d'énergie nucléaire que les mêmes s'y opposeraient encore. Ce n'est pas une approche raisonnable, c'est une approche passionnelle, à l'inverse de celle que nous avons eue en commission.

Sans doute, faut-il à la lumière de la situation actuelle redéfinir la part de chacune des énergies. Sans doute serait-il intelligent de considérer que si le nucléaire doit rester notre approvisionnement électrique de base, il faut faire évoluer les proportions. Pour ma part, je suis persuadé que l'on peut les faire évoluer à la marge. De toute façon, nous n'avons pas d'autre proposition véritablement sérieuse.

La seule énergie véritablement crédible qui puisse équilibrer le nucléaire est le gaz, mais cette énergie a ses limites. En effet, actuellement le gaz est bon marché, mais si l'Europe entière se met à vouloir en consommer, il deviendra inabordable. De plus, le gaz n'est pas l'énergie idéale qui posséderait toutes les qualités, qui ne serait pas cher et ne polluerait pas. Certes, il pollue moins que le pétrole ou le charbon mais il rejette néanmoins du gaz carbonique et d'autres rejets gazeux dans l'atmosphère.

Quant aux énergies renouvelables, votre ministère a courageusement affirmé que ces énergies avaient un avenir, ce que je crois également. Toutefois, c'est un domaine que vous devez partager avec votre collègue de la recherche car les énergies renouvelables relèvent aujourd'hui plus de la recherche que de la production industrielle.

Je veux le répéter ici - et tant pis si tout le monde ne partage pas mon point de vue - mais je considère que l'énergie éolienne n'a pas d'avenir. J'ai visité, aux Etats-Unis, des champs d'éoliennes qui sont à l'arrêt et qui ne produisent rien si ce n'est une ornementation du paysage d'un goût douteux. Les autres énergies renouvelables sont encore à l'état embryonnaire. Peut-être trouverons-nous une solution avec la biomasse ou le gaz de lisier de porcs - pour reprendre cet exemple cher à M. Cochet -, mais il ne me semble pas que ces énergies puissent sérieusement offrir aujourd'hui une solution crédible, et si certaines deviennent opérationnelles elles vont forcément augmenter le prix que paiera le consommateur pour son électricité.

Vous allez nous confirmer le prix de rachat du kilowattheure éolien qui, d'après les informations qui circulent, me semble fort généreux. Or, cette générosité se fera aux dépens du consommateur car c'est lui qui, finalement, en paiera le coût. Certes le consommateur doit, au travers de la tarification, encourager la recherche, mais il ne serait pas juste qu'il paie un prix excessif pour sacrifier à l'air du temps, formule qui convient si bien à l'énergie éolienne.

Monsieur le Président, je souhaite répéter combien votre initiative de lancer le débat sur l'énergie est remarquable. Nous aurons à revenir, dans le futur, sur ces questions à l'occasion d'autres débats, législatifs ou non. Néanmoins, ces auditions nous auront permis de réaliser un panorama d'ensemble qui nous sera très utile pour l'avenir.

M. Pierre Micaux : J'irai tout à fait dans le sens de notre collègue Bataille. Je suis partisan de prolonger le nucléaire et je suis de ceux qui sont déjà fatigués des idées nébuleuses qui nous descendent du ciel. Je suis de ceux qui regrettent et ont encore sur le c_ur la fermeture de Superphénix et je note, si mes renseignements sont bons, que différentes fermetures d'installations sont envisagées avant fin d'amortissement, ce qui se traduirait par un coût avoisinant cent milliards de francs. Si ces fermetures sont confirmées ce sera là une véritable gabegie.

Par ailleurs, j'ai également de nombreux doutes quant à la viabilité économique de l'énergie éolienne. EDF semble vouloir développer davantage l'énergie éolienne. Je demande à M. Roussely, président d'EDF, de bien réfléchir car ce choix m'apparaît pour le moins risqué.

Je voudrais également évoquer l'élimination des déchets domestiques et industriels. Vous savez qu'il est possible de récupérer l'énergie du méthane. Quelle sera votre politique par le biais de l'ADEME et d'autres organismes, afin de promouvoir cette récupération du méthane ?

Par ailleurs, j'abonde dans le sens du nouveau programme d'économies d'énergie qui prévoit de favoriser l'amélioration des logements, disposition utile, pour autant que les locataires et les propriétaires puissent en profiter sans que la note soit trop lourde.

EDF est confrontée à un nouveau type de concurrence liée aux pertes d'énergie sur les réseaux du transport électrique, l'opérateur chargé du transport du courant n'étant plus contraint de compenser les pertes d'énergie auprès du fournisseur initial. Ce sont les concurrents d'EDF tels que la Lyonnaise des Eaux, ENDESA ou RWE qui gagnent ainsi des parts de marché alors que la déperdition d'énergie due au transport atteint environ 30 %. EDF est-elle en mesure de rivaliser avec la concurrence et quelle sera la réaction de ses salariés ?

M. Claude Billard : Je souhaiterai souligner, à mon tour, le grand intérêt que j'ai pris à participer aux auditions organisées à l'initiative du président de notre commission. Ces auditions avaient pour but d'éclairer et de nourrir la réflexion des parlementaires sur les grands enjeux et les défis énergétiques de notre époque.

Les compétences et les grandes qualités des personnes auditionnées nous ont incontestablement permis de mieux cerner les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Cela nous permettra sans aucun doute de nous prononcer en toute connaissance de cause, sur les choix que nous aurons à réaliser.

Ceci étant, je dois avouer que les différentes interventions n'ont pas pour autant estompé mes craintes à l'égard des grandes orientations qui se dessinent en matière énergétique, tant au niveau national qu'européen. Je constate que, dans ce secteur d'activité si particulier où l'intérêt général, celui de la collectivité, devrait primer sur toute autre considération, c'est au contraire une autre logique qui est mise en _uvre, celle des intérêts particuliers, notamment avec l'introduction des critères de rentabilité financière et la création d'un marché aujourd'hui ouvert, et demain plus encore, à la concurrence économique.

C'est bien la mise en _uvre de cette logique qui explique, dans notre pays, tant le recul de la maîtrise publique sur ce secteur que les difficultés et les handicaps que vont rencontrer, dans l'accomplissement de leur mission de service public, les entreprises publiques concernées.

Je voudrais prendre pour illustrer mon propos quelques exemples. L'énergie n'est plus un secteur privilégié d'intervention de la puissance publique, malgré la persistance des impératifs d'indépendance nationale, de sécurité des approvisionnements et de bon fonctionnement des services publics. Certes, l'Etat garde, par exemple, la haute main sur la programmation des investissements mais il va perdre une grande partie de son pouvoir de décision dans un secteur dorénavant soumis à la loi du marché.

Il faut bien reconnaître qu'EDF, pour sa part, s'inscrit pleinement dans cette logique et joue dorénavant le jeu de la libéralisation. Elle a même d'ailleurs obtenu du gouvernement d'aller au-delà des exigences européennes d'ouverture à la concurrence, avec une augmentation du niveau d'ouverture qui, je le répète, n'était ni dans la lettre, ni dans l'esprit de la loi que nous avons adoptée en 1999.

Autant d'aspects qui me font douter que le service public puisse être assuré par le secteur privé. Le Gouvernement, de son côté, force est de le reconnaître, accompagne ce mouvement. J'en veux pour preuve la promptitude avec laquelle se met en place, au plan réglementaire, l'ouverture du marché pour les consommateurs éligibles et la lenteur, pour le moins, de la rédaction des décrets relatifs à la tarification sociale, pour ne citer que cet exemple.

Je pourrais encore citer le récent conflit à la Compagnie nationale du Rhône où l'action des salariés a temporairement permis d'éviter une privatisation partielle et contraint à une réflexion sur le contenu des missions de service public de l'entreprise. Nous aurons également sans doute à traiter de questions voisines avec la prochaine loi sur le gaz, alors que nous voyons déjà s'amorcer un débat sur la nécessité de transformer le statut de l'entreprise publique, voire d'ouvrir son capital.

Je prendrai comme dernier exemple de recul de l'engagement public dans le secteur énergétique, la façon dont le gouvernement renvoie à plus tard les décisions à prendre pour prévoir et anticiper le renouvellement de notre parc de réacteurs nucléaires.

Après avoir évoqué les différentes orientations actuelles en matière de politique énergétique, je conclurai en soulignant que je déplore profondément la mise en _uvre de ces orientations. D'autant que dans un contexte européen, marqué par l'accélération des politiques de dérégulation et la prépondérance des intérêts financiers de quelques groupes, le sentiment dominant dans la population française est plutôt fait d'inquiétude sur l'avenir des services publics, alors que la majorité de cette population, dans le même temps, demeure profondément attachée à ces mêmes services publics, afin de répondre aux besoins de notre époque.

Certes, des critiques s'expriment ici et là, mais en règle générale, elles visent plutôt à l'amélioration du service rendu par le service public qu'à la réduction de sa mission. C'est la raison pour laquelle je retiendrai de ces auditions que, face à la vague de libéralisme qui va sans aucun doute transformer en profondeur le secteur de l'énergie, le temps est venu d'entreprendre une réflexion, une analyse approfondie sur la conception que nous devrions avoir, dans notre pays, d'un secteur public apte à répondre aux défis de notre époque.

M. Robert Galley : Je voudrais, monsieur le Président, après mes collègues, vous féliciter ainsi que le bureau de notre commission pour l'organisation de ces auditions sur l'énergie. Cela fait un certain nombre d'années que je travaille sur ces sujets mais j'ai beaucoup appris au cours de ces auditions qui m'ont offert sur certains points techniques l'occasion d'une remise à niveau.

La publication de ces auditions sera un élément important dans notre vie parlementaire, en complément de nombreux rapports parlementaires que nous avions pu faire sur ce sujet, depuis plus de dix ans.

Je voudrais insister sur un élément. J'ai vécu au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) une période, les années 1950 et 1960, au cours de laquelle tous les efforts ont été concentrés sur l'étude des réacteurs, entre la filière uranium naturel-gaz carbonique et celle utilisant l'eau lourde. Après G2 et G3, il y a eu la construction de Brennilis. Puis, nous sommes arrivés à l'idée qu'une filière d'origine américaine basée sur la technique des réacteurs militaires était la meilleure pour produire de l'énergie. Aujourd'hui, cette filière, largement francisée et à laquelle les Français, ingénieurs et scientifiques, ont apporté beaucoup d'améliorations et de progrès techniques, tient une place considérable dans le monde. Mais souvenons-nous qu'au départ, elle n'était pas considérée comme étant la panacée universelle.

Nous bénéficions, grâce à Électricité de France et à son choix délibéré fait aux débuts des années 1970, d'une situation unique, exceptionnelle en Europe, voire dans le monde. Or aujourd'hui, nous constatons une absence totale de rationalité dans les appréciations livrées au grand public en termes de puissance, de sûreté et de dangers potentiels. Comme cela a été souligné, il n'y a aucune commune mesure à moyen terme entre le péril que peuvent constituer les déchets radioactifs convenablement conditionnés et celui que peut faire courir à notre planète l'effet de serre.

Voici les conclusions, comme vous sans doute, que j'ai tirées de ces auditions. Certes nous devons continuer à travailler sur les énergies renouvelables : c'est indispensable et judicieux. Mais nous devons surtout en matière de nucléaire civil changer d'orientations et de priorités sur plusieurs points.

En premier lieu, nous devons mettre l'accent absolu sur les réacteurs du futur. Aujourd'hui, certains semblent traîner les pieds pour lancer l'EPR, réacteur du futur, notablement plus sûr et qui permettrait à la fois une durée de fonctionnement de 60 années et des irradiations d'environ 70 à 80 000 mégawatts/jour/tonne. Cela signifie accroître encore plus la compétitivité du nucléaire par rapport à celle que nous connaissons aujourd'hui, en même temps que minimiser les risques d'accident grave.

En second lieu, nous devons nous lancer délibérément et à grande échelle dans l'étude de ce grand problème que sont les déchets radioactifs. L'immense mérite de la loi  Bataille a certes été d'ouvrir les pistes. Toutefois, lorsque l'on mesure la totalité des efforts faits aujourd'hui pour étudier le conditionnement des déchets radioactifs et trouver des formes optimales de stockage, il semble que ces recherches soient paralysées par l'idée préconçue que le programme nucléaire, que ce soit en Allemagne ou ailleurs, va être arrêté et qu'il n'est donc pas nécessaire de s'investir à fond dans ces domaines de recherche pourtant fixés par la loi.

Bien au contraire, cette série d'auditions a montré qu'on pouvait travailler intensément et trouver des solutions non seulement de réduction de volume, mais aussi et surtout de fixation des produits à long terme. A titre d'exemple ponctuel, a été citée la possibilité de fixation des transuraniens sur les apatites, produits fixants d'une longévité de plusieurs centaines de milliers d'années. C'est l'une des pistes qui peut nous permettre de stocker les produits avec une garantie pour les générations à venir dans un ordre de grandeur de temps à l'échelle de la périodicité de ces déchets radioactifs.

Par conséquent, nous devons délibérément entreprendre un grand effort de recherche, sans tenir compte de la position de ceux qui, pour paralyser globalement le nucléaire, nous interdisent de mener des recherches sur les produits radioactifs et leur stockage. Car en fait, dans la France d'aujourd'hui, la peur du nucléaire et des déchets radioactifs vient, en grande part, de cette campagne contre le traitement des déchets radioactifs et leur transformation sous une forme la meilleure.

Quant au dernier point, ainsi que vous l'avez spécifié, monsieur le Président, il ne faut pas considérer le PWR comme le nec plus ultra. Les réacteurs refroidis à hélium et à haute température, susceptibles de diminuer considérablement encore le volume des recherches et de se prêter, par leurs structures modulaires, à de plus petites puissances dans des conditions de rentabilité satisfaisantes, sont également une des pistes sur laquelle il convient d'engager des moyens importants.

Enfin, on peut se demander pourquoi les Japonais relancent aujourd'hui treize tranches nucléaires. Ils ont fait certes un effort de réduction par rapport aux quinze envisagés, mais chacun conviendra qu'il est relativement limité. Si les Japonais le font parce qu'ils manquent d'énergie primaire, pourquoi des grands pays africains, comme le Nigeria ou l'Afrique du Sud, qui verront un jour s'épuiser leurs ressources, ne se tourneraient-ils pas vers le nucléaire ? Il y a certes une raison à cela : la crainte - justifiée et raisonnable - qu'éprouvent les pays occidentaux de voir proliférer des armes nucléaires.

Par conséquent, l'objectif à nous fixer serait de créer des réacteurs du futur dans des conditions telles qu'il ne puisse y avoir prolifération. Nous ouvrirons alors à la technique occidentale, notamment française, des portes dans des pays du tiers monde qui inévitablement verront eux aussi leurs ressources fossiles naturelles s'épuiser. Nous ouvrirons un marché immense et nous aurons alors assuré l'avenir de la planète, dans de bonnes conditions, certainement meilleures qu'en brûlant du gaz, du charbon ou du fuel, ce qui risque de bouleverser l'équilibre de la planète, dont chacun sait qu'elle se réchauffe rapidement.

Je vous rappellerai, monsieur le Président, qu'il n'a pas gelé un seul jour en France depuis le 1er octobre, contrairement à tous les hivers précédents.

M. Léonce Deprez : Pour compléter les interventions précédentes, j'insisterai sur quatre points.

Le premier point qui me parait essentiel est que nous avons le souci, les uns et les autres, d'obtenir du Gouvernement une clarification de la politique énergétique. En effet, nous avons le sentiment, depuis quelques mois, de vivre dans une certaine confusion. Nous sommes inquiets de voir que nos concitoyens sont de moins en moins bien informés. Il n'y a plus aucune lisibilité. Partant de là, le président a pris une bonne initiative, avec notre soutien, en organisant ces auditions.

S'agissant de la confusion des esprits sur le plan des considérations environnementales, je voudrais évoquer deux points qui m'ont frappé. Tout d'abord, lors de notre visite aux Etats-Unis, j'avais été frappé par l'absence de réponse des Américains lorsque nous leur avions demandé ce qu'ils comptaient faire pour appliquer l'accord de Kyoto. En fait, cet accord ne fait aucunement partie des préoccupations des Américains. Nous en avons d'ailleurs eu la confirmation à La Haye.

Plus de 50 % de leur énergie ne vient pas du nucléaire. Tant pis pour l'accord de Kyoto. Je trouve étonnant que cette attitude ne soit pas répercutée en France, avec la couverture médiatique que cela mériterait et qui est souvent plus importante lorsqu'il s'agit de questions environnementales. Nous sommes, pour notre part, préoccupés de l'effet de serre et nous demandons que l'on dise la vérité aux Français, y compris en ce qui concerne l'effet d'une politique énergétique des Etats-Unis qui ne repose pas sur le nucléaire.

D'autre part, j'ai été inquiet de lire, il y a quelques mois dans le quotidien Les Echos, une déclaration pas du tout anodine et qui avait une origine gouvernementale : « Nous sommes en train de nous poser la question de la révision de la politique gouvernementale du traitement des déchets nucléaires ». Cette position était explicitée sur une page. Où en êtes-vous dans cette réflexion ? Comment y trouver une lisibilité, même pour les députés ?

Je passe maintenant aux considérations de nature économique. Je suis issu du secteur de l'entreprise, c'est pourquoi les considérations économiques me semblent essentielles. L'information par les médias relative au coût de l'énergie est très peu relayée, pourtant elle est fondamentale et paraît essentielle aux yeux des Français.

Nous sommes quand même dans une situation de concurrence économique, et toutes les entreprises sont obligées de payer l'énergie. Moi qui vit sur la côte d'opale, j'ai été très sensible à la première éolienne plantée sur les hauteurs de Widehem et pour laquelle je me suis battu. Maintenant, six nouvelles devraient y être installées qui assureront, ce qui est bénéfique pour les petites communes rurales, une rentrée de 400 000 francs de taxe professionnelle à la commune de Widehem.

Je pensais qu'EDF allait payer ces 400 000 francs de taxe professionnelle et je me demandais comment l'entreprise allait faire pour rentabiliser tout cela. Mais j'ai appris, par la suite, que cette taxe est en fait payée par la société d'économie mixte qui s'est constituée pour installer et exploiter l'éolienne, EDF achetant le courant produit par celle-ci.

Je souhaiterais savoir quel est le prix d'un kilowattheure éolien et celui d'un kilowattheure nucléaire.

Par ailleurs, l'incidence pour la balance commerciale française du traitement des déchets est insuffisamment connue. Lors d'une mission à Marcoule il nous avait été indiqué que des possibilités de coopération existaient entre la France et les Etats-Unis pour le traitement des déchets ainsi qu'avec le Japon.

C'est une perspective de développement de notre commerce extérieur. Quelle est la politique en matière de traitement des déchets et quel avenir est envisagé pour le mox ?

J'aimerais enfin avoir des précisions sur les perspectives de recyclage du plutonium militaire russe afin de le transformer en combustible.

M. Pierre Ducout : Je voudrais féliciter monsieur le Président, pour avoir organisé ces auditions sur le thème de l'énergie qui nous ont permis d'entendre des intervenants de très grande qualité. Je rappelle que notre commission a un rôle important en matière d'éclairage des choix de notre société.

Tout d'abord, il convient d'insister sur le droit à l'énergie pour tous, aussi bien en France que dans le monde. Il ne faut pas rationner mais maîtriser la consommation d'énergie. Cela passe par des économies d'énergie et par un gain d'efficacité énergétique et, de ce point de vue, vous avez bien souligné que les prévisions de croissance de la consommation d'énergie au niveau mondial étaient de 2 % par an alors même que le PIB allait augmenter de 3 % par an, ce qui implique un gain d'efficacité énergétique.

Par ailleurs, il ne faut pas faire de catastrophisme, mais se tenir à une gestion responsable à l'échelle européenne et mondiale, en sachant que le maximum démographique est actuellement envisagé vers les années 2050.

Au niveau national et européen, je voudrais rappeler la nécessité de garantir l'indépendance énergétique et également l'obligation d'avoir des missions de service public bien assurées par nos entreprises publiques. Que ce soit EDF ou GDF, elles ont accompli un excellent travail durant ces cinquante dernières années. Ce n'est évidemment pas le seul marché qui pourra assumer ces missions.

Il y a également une responsabilité de l'Europe qui doit jouer un rôle d'exemple par rapport à l'ensemble du monde. Dans ces auditions, il a été très clair qu'un des problèmes lourds est celui de l'effet de serre avec les dérèglements climatiques qu'il entraîne. Nous avons eu des éléments d'information de nature financière sur le prix du dioxyde de carbone et sur les conséquences économiques des fortes fluctuations du prix du baril de pétrole qui est passé de 10 dollars à 35 dollars, l'équilibre étant peut-être à 25 dollars alors que le président de Totalfina Elf estimait qu'il resterait autour de 15 dollars.

En fonction de toutes ces remarques, la plupart d'entre nous considèrent que le nucléaire sera indispensable pendant les cinquante prochaines années et qu'il faut en assurer la transparence. Alors que se déroulaient ces auditions sur l'énergie, nous avons été plusieurs parlementaires à participer à la mise en place de l'agence française de sécurité sanitaire environnementale. A cet égard, nous nous interrogeons sur le rôle du ministère de l'industrie dans la tutelle sur cet organisme. Nous souhaiterions que le Français moyen puisse disposer d'informations plus claires en matière de sûreté nucléaire notamment grâce à des unités de mesure compréhensibles. Il faut éviter de suivre ceux qui ont été présentés comme des cultivateurs de la peur.

Concernant les déchets radioactifs, la date de 2006 doit être conservée comme celle du prochain rendez-vous, même s'il peut y avoir des ajustements, le respect de cette échéance étant essentiel pour la transparence et la lisibilité de la politique de gestion des déchets nucléaires.

Nous avons entendu les représentants de Siemens et Framatome sur l'EPR. A cet égard, il semble que vous ayez rapidement, monsieur le ministre, des décisions à prendre. Qu'en est-il aujourd'hui avec l'évolution de l'Allemagne, du Japon et des Etats-Unis qui, avec l'arrivée de George W. Bush à la présidence, connaîtra peut-être une inflexion de sa politique énergétique ?

Enfin, nous sommes tous favorables au développement d'énergies alternatives ou renouvelables. Quelques réserves ont été faites sur l'énergie éolienne et notamment sur ses nuisances esthétiques qui risquent de compromettre les efforts notamment législatifs pour défendre les paysages. Vous évoquiez, lors d'une intervention sur la maîtrise de l'énergie, il y a deux ans, les possibilités de développement par exemple d'un programme bois-déchets. Avec l'ouragan qui, à la fin de l'année 1999, a laissé, dans nos régions, des millions de mètres cubes de bois par terre, ce projet a-t-il avancé ?

M. François Vannson : Chacun sait qu'au 1er janvier 2001, la France terminera sa présidence de l'Union européenne. Dans le cadre de cette présidence, êtes-vous déjà en mesure de faire le bilan du volet énergétique et de nous confirmer la volonté des différents partenaires en matière de politique énergétique ? De plus, dans le cadre de l'élargissement, avez-vous pu déjà obtenir un certain nombre de garanties sur les différents candidats à l'élargissement et connaissez-vous déjà leur volonté en matière de politique énergétique ?

Ma deuxième question porte sur les problèmes de sécurisation des déchets. Il y a là un véritable problème politique qu'il faut aborder. Concernant la sécurisation des déchets, avez-vous des éléments nouveaux à nous apporter ? Y a-t-il une volonté européenne pour tenter d'améliorer la situation ?

Je suis élu dans un département forestier, les Vosges. Le bois de chauffage fait-il partie de ce panel énergétique qui pourrait être utilisé dans le cadre du chauffage des bâtiments collectifs ? Ce serait peut-être une réponse aux problèmes que nous avons rencontrés lors de la dernière tempête ainsi qu'un excellent moyen pour revitaliser l'ensemble de la filière forestière.

M. François Dosé : Je souhaiterais tout d'abord remercier le président et ses collaborateurs pour cette initiative et pour la qualité de sa synthèse.

Je voudrais, en premier lieu, exprimer ma conviction afin que les choses soient claires. L'industrie chimique, nucléaire ou pas, doit apporter sa contribution à la politique énergétique de la France et de l'Union européenne. Cette affirmation est sans aucune ambiguïté. Je voterais contre tout texte qui nous proposerait d'écarter a priori l'énergie nucléaire. Je crois à son développement et à sa diversification.

C'est parce que je fais ce choix qu'il m'arrive d'avoir des exigences sous forme de critiques quant à sa mise en _uvre. On peut apporter des critiques pour envisager une pérennité qui prendrait en compte non seulement la réalité financière et technologique, la pertinence économique, mais aussi la donne sociétale et environnementale.

C'est pourquoi je réitère trois remarques inspirées de la synthèse du Président. Il est juste que je les reprenne peut-être avec plus de passion que d'autres, puisque le territoire dans lequel je suis élu est directement concerné.

Concernant les déchets irradiés de haute intensité et de longue durée, il faut continuer de répéter qu'il est absolument indispensable que plusieurs laboratoires soient créés. Cela signifie clairement que le Parlement ne peut être saisi tant qu'il n'y aura pas plusieurs laboratoires. Je me suis associé au vote pour la réalisation d'un laboratoire car j'estimais qu'on devait entreprendre cette recherche, en même temps que d'autres. Mais avant la saisine du Parlement, plusieurs laboratoires doivent être mis en place.

Quant à la date de 2006, vous écrivez, monsieur le Président : « Cette date ne semble pas marquer une conclusion... ». Très sincèrement, à quelques jours de 2001, il me semble que la rédaction devrait être : « Cette date ne marquera pas la conclusion... » Je sais que les travaux d'excavation ont commencé et que le site dans le granit n'est pas encore choisi. Or voilà que l'on prétend que des parlementaires, qui ne connaissent pas tous la réalité de ces laboratoires, vont porter un jugement en 2006. Ce n'est pas raisonnable quand on pense que ce texte a été voté en 1991. Bien entendu, ce rendez-vous doit avoir lieu avec le Parlement, mais sans laisser supposer que cette date de 2006 est pertinente. Elle constitue assurément un moment adapté pour la réalisation d'un rapport d'étape, mais en l'état actuel compte tenu des non-décisions, notamment quant au laboratoire dans le granit, elle n'est absolument pas pertinente pour décider de l'avenir de la gestion des déchets. Les retards constatés pour l'installation d'autres laboratoires d'enfouissement s'expliquent largement par les contradictions de certains parlementaires qui sont favorables à l'installation de laboratoires tant que leur circonscription n'est pas concernée, attitude comparable à celle que l'on a bien connu dans les campagnes en matière de remembrement : oui, mais avec le jardin des autres.

Enfin, sur la réversibilité, il semble que la période d'entreposage de mille ans pourrait être garantie selon les dernières recherches menées à ce sujet. Il me semble alors juste d'écarter l'irréversibilité comme une hypothèse pour l'époque actuelle. Si nous avons mille ans ou cinq siècles devant nous, cela laisse le temps de mener des études et de travailler, toutes générations confondues, sur ce problème des déchets, et le cas échéant, d'en faire un instrument énergétique.

Ma vigilance n'a pas pour objet de sortir du nucléaire, mais vise plutôt à une appropriation collective de cette énergie, dans une meilleure transparence.

M. Christian Pierret : Je voudrais vous remercier de m'avoir convié à discuter avec vous, monsieur le Président, à la suite de votre synthèse que je juge excellente, et aux interrogations des orateurs qui se sont exprimés. Je veux rappeler la considération que le Gouvernement a pour les précédents rapports parlementaires concernant l'énergie - notamment les rapports de MM. Bataille et Galley - qui sont pour nous des sommes dont j'ose dire qu'elles ont un caractère non polémique, de grande densité économique et apportant sur beaucoup d'aspects un éclairage quasi scientifique.

Je rappellerai enfin que le 21 janvier 1999, nous avons eu, pendant plusieurs heures, un débat d'orientation sur l'énergie qui m'a permis d'exposer les grandes lignes de la politique énergétique du gouvernement. Il m'avait semblé alors, à quelques exceptions près, que sur l'ensemble des bancs de l'Assemblée nationale, s'était dégagée une sorte de consensus fort sur l'essentiel de la politique énergétique. J'ai d'ailleurs retrouvé ce consensus dans les interventions des neuf députés qui se sont exprimés il y a un instant.

La politique énergétique française repose sur trois piliers essentiels qui rejoignent notamment l'intervention de M. Billard, que je veux d'ailleurs rassurer :

- recherche de la sécurité d'approvisionnement à court et moyen terme ;

- compétitivité de l'économie et de la fourniture énergétique à l'économie. Nous sommes dans un contexte concurrentiel mondial. Notre politique énergétique doit viser aussi un kilowattheure le moins cher possible. C'est un atout spécifique français, y compris au sein du concert européen que de posséder un appareil de production électrique qui est le meilleur au monde. C'est un atout. Ne gâchons pas les lignes de force de l'économie française en ce qui concerne sa capacité à être compétitive à assumer sa progression et sa croissance dans ce monde concurrentiel ;

- la prise en compte des externalités négatives, c'est-à-dire les coûts des dommages causés à l'environnement par l'ensemble des sources d'énergie et non pas seulement par une que l'on souhaiterait stigmatiser particulièrement. Elles ont toutes, à un degré ou à un autre, sous une forme ou une autre, une externalité négative qu'il convient de rendre claire, publique et dont il convient de traiter les conséquences.

J'ajoute à cela deux préoccupations importantes : d'une part, celle de l'emploi et de la solidarité et, d'autre part, celle non seulement de préserver les missions de service public, mais aussi de les développer.

L'orientation gouvernementale est de développer les missions de service public en ce qui concerne l'énergie, elle n'est pas de les restreindre ou de les modifier dans un sens négatif. Enfin, pour que cela soit dit une fois pour toutes, mais personne ne s'opposera à cette connotation plus politique, nous devons, notamment après les conseils européens qui viennent d'avoir lieu sur l'énergie et le livre vert de Mme Loyola de Palacio, commissaire chargée de l'énergie, dans un contexte où naissent maintenant un certain nombre d'espérances européennes sur la capacité de construire une politique européenne de l'énergie à terme, nous défier de deux écueils, à savoir céder à deux lobbies, le lobby pro-nucléaire - s'il existe - et le lobby anti-nucléaire -dont je sais qu'il existe parce que je le rencontre souvent.

Il n'y a qu'une seule politique énergétique, c'est celle définie par le premier Ministre, que j'ai eu le très grand honneur de vous exposer en 1999. Cette politique énergétique claire n'a pas changé. Elle définit une action de l'Etat, en matière énergétique, qui se rattache à des principes incontournables en ce qui concerne la tutelle, la régulation du secteur énergétique et l'exercice des pouvoirs régaliens qui appartiennent à l'Etat et dont la loi du 10 février 2000 a renforcé les principes. Il s'agit pour l'Etat, et donc pour le Gouvernement responsable devant le Parlement, de définir les grands axes d'une politique énergétique nationale.

L'Etat, le Gouvernement et le Parlement doivent assumer leurs responsabilités, notamment dans le domaine de la sécurité d'approvisionnement et de la fourniture énergétique la moins onéreuse possible pour l'économie.

Sur le plan environnemental, nous avons à la fois des responsabilités et des résultats. La France est actuellement l'un des pays d'Europe qui émet le moins de gaz à effet de serre. Ceci n'est pas un effet du hasard, mais cela résulte de la prédominance de notre filière nucléaire et du développement des énergies nouvelles renouvelables.

La production d'électricité, à 75 % électronucléaire et à 15 % d'origine renouvelable, n'est ainsi à l'origine - il faut le dire - que de moins de 10 % des émissions nationales de gaz à effet de serre alors que la moyenne mondiale est de 32 %. C'est un résultat essentiel.

Les « fauteurs de troubles de l'environnement » sont le secteur des transports et le secteur résidentiel ou tertiaire, ce n'est pas la production énergétique d'électricité, qui ne représente que 9 % de l'émission des gaz à effet de serre en France (en 1999).

Sur le plan de la sécurité d'approvisionnement, la France est quelque peu dépendante de l'étranger. Le taux d'indépendance énergétique s'est accru : 26% en 1973 à 49 % aujourd'hui. La sécurité d'approvision-nement passe par une politique délibérée de diversification des sources d'approvisionnement. En ce qui concerne le pétrole, il faut répartir la carte des intérêts français sur de nombreux continents et de nombreux pays pour assurer une stabilité de nos approvisionnements. En ce qui concerne le gaz naturel, nous sommes évidemment soumis aux mêmes contraintes géostratégiques mondiales.

D'un point de vue économique, l'électricité produite en France est indéniablement très compétitive. Nous devrions développer une fierté nationale, industrielle et technologique, quant à nos sources d'énergie, car nous sommes parmi les meilleurs du monde à cet égard. Le coût du kilowattheure nucléaire tourne aujourd'hui autour de 19 centimes en base et il va continuer à baisser. Il se situe autour de 22 centimes par kilowattheure pour l'énergie dont le coût est le plus proche de celui du nucléaire, le cycle combiné au gaz.

Nous pourrions presque fermer le ban, car les faits économiques sont là. Jacques Delors dit toujours « les faits sont nos maîtres ». En effet, ici, le prix du kilowattheure nous ramène à un débat qui doit être objectif, non passionnel, et la réalité économique est bien celle-là.

Plusieurs axes se dégagent pour l'avenir : le besoin de diversification dans la production d'électricité, le besoin du nucléaire dans notre mix énergétique, le développement des énergies nouvelles renouvelables et l'ouverture des marchés.

La production nationale d'électricité intégrera de plus en plus d'énergies renouvelables et, en même temps, vraisemblablement au cours des prochaines années, plus de gaz. Toutefois la part du nucléaire restera prépondérante.

Le Gouvernement est donc attaché non seulement à maintenir les conditions optimales de fonctionnement du parc nucléaire actuel, s'agissant de ses conditions remarquables de sûreté et de compétitivité, mais il veut également laisser ouverte, pour les prochaines années et les gouvernements de demain, la possibilité de recourir à la technologie nucléaire, de renouveler, lorsque le moment sera venu, le parc nucléaire avec de nouvelles techniques et, ce qui est essentiel à mes yeux et ce pour quoi je me bats depuis des années, maintenir au plus haut le niveau de compétence dans ce domaine. Cela entraîne, en effet, un certain nombre d'exigences, soulignées par plusieurs d'entre vous, en matière de formation et de développement de la recherche.

La bataille énergétique européenne devra beaucoup demain au maintien au plus haut niveau possible des compétences des équipes françaises et à la coopération que nous saurons nouer avec un certain nombre de pays. Je pense à l'Allemagne avec la coopération entre Framatome et Siemens et à la Russie. Nous recevions d'ailleurs, ces jours-ci, nos homologues russes, et j'ai eu de longues discussions avec le ministre russe chargé de l'énergie. Il y a beaucoup à faire avec ce pays en termes de développement de la recherche.

S'agissant de l'EPR, c'est un projet franco-allemand important qui a fait l'objet d'une expertise commune des instituts de sûreté allemand et français - IPSN et GRS - et d'une très bonne coopération entre Siemens et Framatome. Suite à l'autorisation donnée par Bruxelles, cela va se concrétiser par une participation de Siemens dans Framatome ANP. Il faut rappeler ici le bien-fondé de ce projet compte tenu des caractéristiques de ce réacteur :

- sûreté améliorée par la division par un facteur dix des risques de fusion du c_ur ;

- atténuation des conséquences à l'extérieur du site en cas d'accidents graves, les progrès en matière de sûreté étant particulièrement remarquables ;

- diminution de la dosimétrie ;

- performances techniques accrues, notamment par une disponibilité à 90 %, ce qui signifie une rentabilité économique très nettement augmentée ;

- durée de vie de soixante ans. Actuellement, on évoque une durée de vie de trente ou quarante, voire plus, si l'autorité de sûreté en décide ainsi des réacteurs actuels. Comme chacun le sait, elle a été prolongée aux Etats-Unis ;

- optimisation de l'utilisation du combustible nucléaire par des campagnes plus longues ;

- durée de construction plus courte.

Dans tous les domaines, ce progrès technologique, qui doit d'ailleurs encore, dans le cours de nos recherches, s'améliorer à mesure que nous avançons dans la réalisation de l'avant-projet détaillé, me parait être décisif pour l'avenir tant en termes de compétitivité que de sûreté.

Les deux plateaux de la balance du nucléaire sont chargés, pour l'un, de sûreté, pour l'autre, de compétitivité. Pour ma part, je considère que c'est une bonne solution technique qu'il faudra, le moment venu, encourager. C'est mon avis personnel et vous le connaissez. Lorsque cela sera nécessaire, en fonction de la durée de vie des réacteurs actuels, le Gouvernement prendra des décisions à cet égard, dans les toutes prochaines années.

Plusieurs conditions doivent être réunies. La société a des exigences croissantes en matière d'information, de sécurité et de protection de l'environnement. C'est une démarche tout à fait positive. Plus on est partisan raisonné et rationnel de la modernité énergétique, moins on craint l'information, la transparence et le débat en ce qui concerne les solutions énergétiques.

Moins que personne, je crains la transparence en matière électronucléaire. Ce fut une erreur stratégique de s'entourer en ce domaine, au départ, d'un certain secret qu'il faut maintenant s'évertuer à briser. Plus nous avons confiance dans le nucléaire, moins nous avons peur de publier ses résultats qui sont d'ailleurs probants dans tous les domaines. Ils peuvent être améliorés, mais nous ne craignons pas la transparence, nous l'appelons même de nos v_ux.

Les grandes décisions énergétiques dépendent des réponses aux questions concernant les déchets radioactifs et le démantèlement des installations nucléaires. La France peut s'enorgueillir d'avoir été, parmi les nombreux pays du monde à disposer d'une industrie nucléaire, le premier à se doter d'une législation très progressiste en la matière avec la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, la loi dite Bataille.

Les trois voies de la loi Bataille doivent être également poursuivies. J'ai beaucoup apprécié l'intervention de M. Dosé qui converge avec l'idée que le Gouvernement doit surtout s'appuyer sur le terme de réversibilité plutôt que sur celui d'irréversibilité, puisque les deux options sont ouvertes par la loi du 30 décembre 1991. Je suis d'accord avec lui. Les recherches doivent continuer dans l'optique d'une réversibilité des éventuels stockages souterrains et de l'étude de toutes les formations géologiques qui avaient été envisagées au départ, non seulement les formations argileuses en Meuse et Haute-Marne mais également les formations granitiques.

Une troisième piste de recherche pourrait être envisagée, sous le contrôle du CEA qui a déjà travaillé dans ce domaine, à savoir l'étude de l'entreposage de longue durée en sub-surface. Cette piste est d'ailleurs conforme à la troisième voie de la loi Bataille. Elle n'avait pas été explicite, mais il ne faut pas se priver de rechercher éventuellement dans cette voie. Ce sont les trois axes et les deux géologies différentes, l'argile et le granit, qu'il faut étudier.

J'ai été quelque peu déçu par l'accueil réservé à la mission de concertation dont nous avons rendu public le rapport le 27 juillet dernier. C'est un rapport remarquable élaboré par MM. Boisson, Huet et Mingasson auxquels il convient de rendre hommage. Ils ont en effet exercé leur travail dans des ambiances régionales diverses.

Les conclusions que le Gouvernement tire de ce rapport et dont il assume la responsabilité, sont que nous voulons poursuivre la concertation sur la recherche de stockage réversible en couche géologique profonde en terrain granitique malgré la difficulté d'assurer une concertation efficace, dépassionnée, complète et calme.

Le Gouvernement et le Parlement, les deux instances démocratiques ayant un rôle à jouer, doivent intensifier l'information objective sur l'énergie nucléaire. Quant à la gestion des déchets radioactifs, le Premier ministre a précisé, au-delà des entreposages actuels dont il a souligné le caractère sûr mais temporaire, que des solutions définitives telles que le stockage seraient mises en place au moment voulu. Il est évident que les laboratoires actuels ou ceux qui sont prévus ne sont que des laboratoires de recherche et ne préjugent en rien des décisions prises, le moment venu, par le Parlement puisque c'est lui qui aura le dernier mot.

L'organisation française de contrôle et d'expertise dans le domaine du nucléaire est techniquement satisfaisante, mais elle va être améliorée. C'est l'objet d'un projet de loi en préparation relatif à l'information en matière nucléaire, à la sûreté nucléaire et à la protection contre les rayonnements ionisants.

En séparant l'expertise du contrôle, nous allons obtenir une organisation administrative plus démocratique, plus transparente, plus juste, en fonction d'un autre rapport excellent, celui de M. Le Déaut. La réforme aura pour objet également de rapprocher les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection dans le domaine de l'expertise et du contrôle.

L'importance du parc nucléaire en exploitation et les perspectives, même lointaines, de renouvellement de ce parc nécessitent que soient conservées les compétences d'étude et les moyens de fabrication les plus stratégiques. A cet égard, je voudrais souligner l'effort, dans mon budget pour 2001, en faveur du CEA civil qui voit ses crédits considérablement augmenter. Cela montre ainsi la voie qui est la nôtre : renforcer les recherches menées par le CEA, satisfaire avec des crédits correspondants la première voie de recherche de la loi du 30 décembre 1991 et lier tout cela à une organisation industrielle pertinente.

La préparation des réacteurs du futur, qui a fait l'objet d'une réponse de ma part il y a quelques instants, suppose d'ailleurs une réorganisation industrielle et patrimoniale pour bien clarifier les secteurs et les métiers dans ce domaine. Elle passe par la création d'une holding de tête dans le secteur, par la distinction des différents métiers de l'énergie et du nucléaire et, sous la holding de tête, par la création de Framatome ANP qui regroupera, dès 2001, l'ensemble des activités nucléaires de cette entreprise. De son côté, la COGEMA se réorganisera également en différents métiers qui sont les siens et nous identifierons dans l'ensemble la connectique et les nouvelles technologies. Ces dernières aspirent elles aussi à trouver des moyens de financement à la hauteur des enjeux technologiques et scientifiques, c'est-à-dire à se tourner, pour leur financement, vers le marché.

Pour maintenir ces atouts, nous devrons rassembler nos forces et coopérer au plan international. La coopération franco-allemande comme la coopération franco-russe est, à cet égard, décisive.

Je dirai quelques mots sur le secteur de l'électricité et du gaz même s'ils n'ont pas été beaucoup évoqués, autrement que par l'apport remarquable de l'Assemblée nationale en matière d'affirmation du droit à l'énergie pour tous. Notre but est de moderniser le système électrique et gazier, tout en maintenant les valeurs et les objectifs du service public.

Je voudrais vous dire que les décrets concernant la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité sont, pour ce qui concerne ceux qui sont indispensables à la transposition de la directive sur le marché intérieur de l'électricité, tous pris ou en voie d'être pris. Douze décrets sont déjà pris, plusieurs vont l'être prochainement. Ils sont accessibles sur Internet. On peut ainsi vérifier que les moyens nécessaires à l'application de la loi du 10 février 2000 sont aujourd'hui, mis en _uvre ou en voie de l'être.

Au plan de l'organisation du secteur électrique, les choses évoluent également. C'est dans ce cadre qu'un partenariat vient d'être noué entre la SNET, société de production d'électricité de Charbonnages de France, et l'électricien espagnol, ENDESA.

Puisqu'il s'agit d'électricité produite selon des procédés thermiques, je souligne que conformément aux échéances du pacte charbonnier, le repli en bon ordre de l'extraction charbonnière devra se poursuivre dans le respect des garanties sociales apportées aux mineurs. Ce repli s'accompagne de la mobilisation de moyens financiers en faveur de la reconversion des bassins miniers. En 2000, une dotation complémentaire de 100 millions de francs, au profit de Decazeville et de Carmaux, s'est ajoutée à la dotation annuelle de crédits du fonds d'industrialisation des bassins miniers (FIBM).

Quant aux énergies renouvelables, évoquées par plusieurs orateurs, il s'agit pour nous d'arriver à créer, en France, une véritable industrie des énergies renouvelables et d'être technologiquement les meilleurs. Je suis très heureux qu'un accord politique ait pu être trouvé à Bruxelles, il y a quelques jours, sous présidence française sur le projet de directive « énergies renouvelables ». C'est un accord ambitieux puisque la part moyenne des énergies renouvelables dans la production d'énergie électrique primaire européenne va être portée à 21,3 %.

Je suis heureux d'annoncer que la France, pour sa part, va s'astreindre avant 2010, à passer de 15 % d'énergies nouvelles renouvelables dont l'hydraulique, à 21 %. C'est un effort tout à fait considérable que nous avons accepté volontairement, avec allant, pour montrer que notre politique énergétique est équilibrée. C'est ce qui transparaissait dans les interventions des députés. Ce n'est pas une politique unidimensionnelle, ce n'est pas celle d'un clan ou d'un lobby, mais c'est une politique qui répartit les chances de la France d'être la meilleure. Dans cette répartition des chances, nous avons naturellement un impératif besoin de nous tourner vers la maîtrise de l'énergie et l'économie d'énergie ainsi que vers les énergies nouvelles renouvelables. L'effort que nous ferons en ce sens sera très élevé.

Monsieur Léonce Deprez a évoqué la question des prix. Il est clair que les tarifs de rachat par l'opérateur historique de l'énergie éolienne, que j'ai autorisés, sont en effet très nettement supérieurs aux 19 centimes en base que j'évoquais tout à l'heure. Ils vont être dégressifs, mais pendant plusieurs années, il faudra accepter de faire un effort qui sera d'ailleurs couvert par le fonds du service public de la production d'électricité prévu par la loi du 10 février 2000.

Ce fonds devrait permettre de payer le rachat de l'énergie électrique éolienne à 55 centimes le kilowattheure pendant cinq ans au lieu de 19 pour le kilowattheure nucléaire. Certes, c'est plus cher, mais le fonds de service public de la production d'électricité est destiné à égaliser ainsi ces charges et à donner ses chances à cette nouvelle forme d'énergie. Puis, le prix sera compris entre 20 et 55 centimes pendant dix ans, en fonction de la durée de fonctionnement réelle de l'installation concernée. En fonction du vent, on amortit plus ou moins vite l'investissement initial.

Je le répète, le tarif sera de 55 centimes pendant cinq ans, ce qui témoigne de l'engagement de l'État sur ce point. Je voudrais être le ministre de l'énergie champion des énergies nouvelles renouvelables. Je suis sûr que tous mes collègues du gouvernement en seront ravis.

La petite hydraulique elle-même est encouragée. Le prix de rachat par EDF de l'électricité produite par la petite hydraulique sera de 40 centimes par kilowattheure pour les puissances inférieures à 500 kilowatts et de 36 centimes par kilowattheure pour les puissances supérieures. Nous ajouterons d'ailleurs une prime comprise entre 0 et 10 centimes par kilowattheure en hiver, selon la régularité de la production. La petite hydraulique, tout comme l'énergie éolienne, est très dépendante des conditions climatiques. Il me semble que l'on peut envisager un développement beaucoup plus volontaire que ce que l'on a connu aujourd'hui.

Nous n'avons aujourd'hui, malgré le programme Eole 2005 que j'essaie de promouvoir, que 30 à 40 mégawatt installés. C'est très faible. En 2005, nous visons 500 mégawatts installés. Si nous voulons vraiment que cela soit significatif et ne pas se payer de mots, il faut une politique volontariste, certes plus chère.

Qui va payer ces énergies nouvelles renouvelables et cette volonté de satisfaire l'environnement et les besoins écologiques ? Naturellement, le consommateur qui paiera environ un centime de plus par kilowattheure pour permettre cette avancée technologique. Les choses sont équilibrées et ne sont pas excessives. Si 5 000 mégawatts étaient installés en 2010, cela coûterait 4 milliards de francs par an, en raison des surcoûts que j'ai indiqués.

Je rappelle que votre collègue, M. Cochet, souhaitait qu'on en installe 10 000 dans dix ans, mais nous n'en sommes encore qu'à 66 mégawatts de potentiel installés en juin 2000. Certes c'est un beau projet, mais il vaut mieux raisonner sur 5 000 mégawatts installés en 2010. Le surcoût de 4 milliards de francs par an, représente environ 2 % sur la facture d'ici 2010. Ce n'est pas excessif. Par ailleurs, le prix du courant a baissé de 13,3 % en quatre ans.

M. le Président : Cet encouragement portera-t-il sur toute la petite hydraulique et les énergies d'incinération des déchets ?

M. Christian Pierret : S'agissant de l'incinération des déchets, le prix de rachat par EDF devrait être d'environ 30 centimes par kilowattheure. L'ensemble des aides apportées au développement des énergies nouvelles renouvelables sera financé par le fonds du service public de la protection d'électricité que vous avez créé par la loi du 10 février 2000. Cette loi nous a fait d'ailleurs accomplir beaucoup de progrès, ne serait-ce que sur la notion de service public, les obligations d'aménagement du territoire, le rachat des énergies nouvelles et l'évolution de l'opérateur historique dans un contexte mondial et européen.

Pour les autres énergies renouvelables, comme pour le photovoltaïque, ce sera un peu plus compliqué. En effet, le principe que je viens d'évoquer, et qui est prévu par la loi, est celui qui consiste à financer ce qu'on appelle « les coûts évités » pour la collectivité. Pour le photovoltaïque, les coûts de production actuels sont difficiles à mesurer ou plus exactement on est horrifié par leur niveau et le fonds de service public ne pourra pas les compenser en totalité.

L'essentiel concerne l'éolien, la petite hydraulique et l'utilisation des déchets, sous réserve que cette dernière ne soit pas plus nocive que bénéfique pour l'environnement.

Nous avons une politique volontariste en faveur de l'environnement. Elle n'est pas du domaine de la proclamation politique, mais de la réalité. Nous avons lancé une vraie politique industrielle énergétique des énergies nouvelles et renouvelables.

S'agissant des réacteurs haute température, c'est la phase technologique nécessaire après l'EPR, soit d'ici trente à quarante ans.

S'agissant des accords de Kyoto, je crois au respect par notre pays des objectifs fixés. Nous sommes aujourd'hui le pays industriel développé dans le monde qui, avec la Suède, émet le moins de carbone par kilowattheure produit et consommé. La moyenne de l'OCDE est de 660 grammes par kilowattheure. La France est en dessous de 500 grammes et la Suède est légèrement en dessous de nous. Nous avons une réalité objective, grâce d'ailleurs à l'électronucléaire, nettement plus favorable pour respecter l'environnement et lutter contre l'émission de gaz à effet de serre que tous les autres pays industriels. Nous émettons 1,7 tonne de carbone par habitant et par an, les Etats-Unis 5,5, l'Allemagne 3, la moyenne de l'Union européenne étant de 2,4.

Ce chiffre est intéressant. Chaque année, non pas à cause de la politique énergétique et même malgré elle mais en raison de l'émission due aux secteurs résidentiel, avec notamment le chauffage urbain, tertiaire et du transport, nous émettons chaque année 108 millions de tonnes de carbone pur dans l'atmosphère, chiffre à rapprocher des 4 millions de tonnes de production nationale de charbon. La France est le pays qui pollue le moins parmi les grands pays industriels développés. Les émissions des Etats-Unis sont cinq fois supérieures aux nôtres ou à celles de certains pays en croissance comme la Chine, l'Inde, qui aujourd'hui entourent notre planète d'une sorte de gangue de carbone pur qui va produire le désastre climatique, abondamment décrit dans la grande presse, il y a quelque temps.

Ce chiffre milite en faveur d'une responsabilisation de notre part, par une maîtrise de l'énergie dans le cadre du plan national d'économies d'énergie que le Premier ministre vient de nous demander de mettre en _uvre et que nous avons publié avec Dominique Voynet et Jean-Claude Gayssot, il y a quelques jours. Mais cela doit indiquer aussi, à celles et ceux qui réfléchissent en prospective à ces problèmes, que Mme Loyola de Palacio a tout à fait raison lorsqu'elle demande à l'Europe :

1) de mieux garantir son indépendance énergétique à terme très rapproché. Il est nécessaire de coordonner nos efforts pour avoir une politique énergétique qui puisse exprimer notre indépendance ;

2) de prendre la mesure de la responsabilité que nous avons aujourd'hui pour les générations futures ;

3) de montrer que notre politique énergétique est - je le crois sincèrement - la seule, étant donné les besoins en énergie qui sont les nôtres, qui puisse assurer un développement économique et une croissance dans de bonnes conditions vis-à-vis de l'environnement.

Cette politique doit naturellement reposer sur le nucléaire, les énergies nouvelles renouvelables et, en termes d'appoint et simplement en période de pointe, sur les énergies fossiles qui, elles aussi, émettent du CO2 avec une préférence, parmi ces dernières, pour le gaz qui émet moins de CO2 et de CO que le fuel.

Quant au bilan de la présidence française de l'Union, je suis très heureux que nous ayons pu parvenir à un accord politique au Conseil européen sur les énergies renouvelables. Cela n'était pas acquis d'avance car certains pays membres de l'Union sont très éloignés de nos préoccupations. Je suis très heureux d'avoir encouragé Mme de Palacio de fournir ce livre vert sur la politique énergétique européenne que je vous invite à compulser car il souligne ce qui est pour moi une évidence, c'est-à-dire que sans le nucléaire, nous ne pourrons pas satisfaire aux objectifs de Kyoto.

M. le Président : Merci, monsieur le Ministre, merci mes chers collègues.

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2907 - Rapport de M. André Lajoinie d'information sur l'énergie (commission de la production)

() Les propos de M. Norbert Koenig ont été traduits de l'allemand.

() Voir les précisions apportées par Mme Anne Lauvergeon, président-directeur général de la COGEMA, dans une lettre adressée à M. André Lajoinie, président de la commission de la production et des échanges, jointe ci-après (annexe 3, page 149).