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N° 3087

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 mai 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 2870) relatif à l'accès aux origines personnelles,

PAR Mme Danielle BOUSQUET

Députée.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Famille.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Martine Lignières-Cassou, présidente ; Mmes Muguette Jacquaint, Chantal Robin-Rodrigo, Yvette Roudy, Marie-Jo Zimmermann, vice-présidentes ; Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Michel Herbillon, secrétaires ; M. Pierre Albertini, Mmes Nicole Ameline, Roselyne Bachelot-Narquin, M. Patrick Bloche, Mme Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Nicole Bricq, Odette Casanova, Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henry Chabert, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Jean-Pierre Defontaine, Patrick Delnatte, Jean-Claude Etienne, Jacques Floch, Claude Goasguen, Mme Cécile Helle, M. Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Françoise Imbert, Conchita Lacuey, MM. Patrick Malavieille, Patrice Martin-Lalande, Mmes Hélène Mignon, Catherine Picard, MM. Bernard Roman, André Vallini, Kofi Yamgnane.

S O M M A I R E

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INTRODUCTION 5

I - MAINTENIR L'ACCOUCHEMENT ANONYME 6

A. UNE LONGUE TRADITION D'ACCOUCHEMENT ANONYME ... 6

1. La complexité du dispositif juridique 6

2. La sociologie des femmes qui accouchent sous X 8

B. ... À PRÉSERVER TOUT EN ASSURANT UNE MEILLEURE INFORMATION 10

1. Une nouvelle réflexion sur l'accouchement sous X 10

2. Un accouchement à préserver tout en informant sur les autres possibilités 11

II - FACILITER LA CONNAISSANCE DES ORIGINES 15

A. ASSURER UN RECUEIL ET UNE MISE À DISPOSITION APPROPRIÉE DES INFORMATIONS SUR LES PARENTS DE NAISSANCE ET SUR L'ENFANT 16

1. Recueillir le plus d'éléments possibles sur l'identité et l'histoire des parents de naissance 16

2. Donner au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles une mission d'harmonisation des pratiques locales 18

B. FAVORISER UN RAPPROCHEMENT DES CONSENTEMENTS DE LA MÈRE ET DE L'ENFANT 19

1. Élargir et préciser les demandes de recherche 19

2. Organiser le rapprochement des consentements 20

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 23

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 29

Annexe : Comptes rendus des auditions de la Délégation 31

Mesdames, Messieurs,

La Délégation aux droits des femmes a été saisie par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République du projet de loi (n° 2870) sur l'accès aux origines personnelles, dont l'objet est de favoriser la recherche de leurs origines par les enfants qui se trouvent dans la situation extrêmement douloureuse d'avoir été abandonnés par leur mère ou leurs parents de naissance.

Sur cette question de l'accès aux origines, le législateur se trouve confronté à deux droits d'une égale légitimité, celui de la mère au respect de sa vie privée et celui de l'enfant à connaître ses origines.

On ne peut résoudre cette contradiction que dans la recherche de l'équilibre : il faut prendre en compte à égalité la volonté de la femme et celle de l'enfant et respecter le rythme de chacun, afin que ces deux volontés puissent éventuellement se rencontrer ultérieurement.

C'est le rapprochement de ces deux volontés et la concomitance dans le temps de leurs deux consentements qui doivent être tentés et qui seuls peuvent conduire à la levée du secret de la mère et à l'information de l'enfant sur ses origines.

I - MAINTENIR L'ACCOUCHEMENT ANONYME

La tradition de la maternité secrète existe depuis fort longtemps : berceaux placés à l'entrée des églises dès le IVème siècle, institution au XVIIIème siècle de "tours" - sorte de boîtes placées dans le mur d'un hospice permettant le dépôt anonyme d'un nourrisson en vue de son recueil. L'accouchement anonyme introduit par la Révolution s'est présenté comme une réponse à la très grande détresse des femmes qui sont conduites à ce type d'abandon. Bien que récemment mis en cause, l'accouchement anonyme doit être maintenu, tout en assurant une information des femmes sur l'ensemble de leurs autres possibilités. L'exemple de pays étrangers tels que l'Allemagne, où un tel accouchement n'existe pas, nous y invite. Aujourd'hui, à Hambourg, des "boîtes à bébé" ont été rétablies dans les hôpitaux, afin que les mères puissent y déposer l'enfant qu'elles ne souhaitent pas garder ...

A. UNE LONGUE TRADITION D'ACCOUCHEMENT ANONYME ...

Il convient d'abord de préciser que l'accouchement sous X, expression constamment employée, ne figure pas dans les textes juridiques. Elle découle d'une pratique hospitalière qui consiste à demander à la femme de consigner son identité sur papier libre ou de déposer sa carte d'identité dans une enveloppe fermée qui lui est restituée après l'accouchement et qui ne peut être ouverte qu'en cas de décès ou de complications graves.

La plupart des femmes concernées souscrivent à cette pratique, semble-t-il, mais rien ne les empêche de laisser un faux nom ou une enveloppe vide.

Le secret demandé par la femme sur son identité conduit de fait à ce que la femme qui a accouché ainsi soit anonyme. Il s'inscrit tout à fait dans la tradition française issue du code civil de 1804, selon laquelle la déclaration de naissance faite à l'état-civil peut ne comporter aucune mention des noms des père et mère (art. 57 du Code civil).

1. La complexité du dispositif juridique

La complexité des textes relatifs à l'accouchement sous le secret
- qui figurent à la fois dans le code de l'action sociale et des familles (CAS) (1) et dans le code civil - tient au fait qu'il a été envisagé selon les époques en mettant l'accent sur l'une ou l'autre de ses facettes (anonymat, gratuité, filiation, abandon, adoption) sans chercher à avoir une vision d'ensemble qui prenne en compte la femme qui va accoucher d'une grossesse non souhaitée dans toute la dimension et la finalité de cet acte. Veut-elle un accouchement secret vis-à-vis de l'entourage ou vis-à-vis de l'enfant ? Veut-elle établir ou non la filiation de cet enfant ? Veut-elle ou non abandonner l'enfant ? Et souhaite-t-elle l'adoption éventuelle de l'enfant ?

L'accouchement anonyme a d'abord été conçu comme un moyen de prévenir l'avortement, l'infanticide ou l'abandon. Il a été introduit dans le droit français avec la Révolution et la possibilité de ne pas indiquer le nom de la mère et le nom du père sur les déclarations de naissances. Il a été renforcé par la jurisprudence qui a admis que le secret médical faisait obligation aux médecins et sages-femmes de ne pas révéler le nom de la femme ayant accouché.

Dans le même esprit de prévention, mais également dans une optique de politique nataliste, le décret-loi du 29 juillet 1939 sur les maisons maternelles et le décret-loi du 2 décembre 1941 sur les établissements d'accouchement, ultérieurement codifiés à l'article 47 du CFAS (2), ont reconnu que la femme peut demander, lors de son admission en vue d'un accouchement, que le secret de son identité soit préservé et a institué la gratuité des frais d'hébergement et d'accouchement des femmes qui demandent le secret.

A l'époque, comme le note Nadine Lefaucheur, sociologue, "il n'est pas question de secret vis-à-vis de l'enfant à naître". ..."Et secret, voire anonymat, ne rime pas forcément avec abandon à la naissance, ni même avec abandon tout court". Il s'agissait surtout, à une époque où les naissances hors mariage étaient stigmatisées, de permettre la confidentialité de la grossesse vis-à-vis de l'entourage familial et social.

Ce qui rend complexe les textes sur l'accouchement anonyme, ce sont les incidences qui en ont été faites sur le lien de filiation, puis sur l'adoption.

Déclaré ou non à l'état-civil (c'est à dire sa filiation étant connue ou non), l'enfant naturel peut être reconnu ou non par ses parents (sa filiation devenant juridiquement établie ou non) ; seule, cette reconnaissance établit le lien de filiation.

En janvier 1993, l'introduction de l'accouchement anonyme dans le code civil a consacré une pratique qui jusqu'alors était considérée sous son seul aspect de prise en charge financière des frais d'accouchement et a établi une incidence entre anonymat et lien de filiation. L'article 341-1 dispose ainsi : "lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé", et l'article 341 : "la recherche de maternité est admise, sous réserve de l'article 341-1". Il devient donc juridiquement impossible d'établir une filiation, la femme étant censée n'avoir jamais accouché.

Ces articles ont pu être interprétés de deux manières : soit une consécration de la liberté de la mère, soit une volonté de ne pas tarir le "vivier" d'enfants adoptables en empêchant toute recherche des origines.

En effet, l'accouchement anonyme doit être aussi replacé dans le cadre de l'adoption plénière, consacrée par la loi de 1966, conçue de manière à faire de l'enfant adopté un enfant fictivement "né de" ses parents adoptifs. Cet enfant est doté d'un nouvel état-civil, ce qui conduit à occulter complètement l'existence de la mère de naissance. L'accouchement sous X a donc eu la faveur des DASS et des familles adoptives, du fait de l'établissement de ce nouveau lien de filiation qui empêche tout retour de la mère de naissance.

C'est dans le cadre de la "loi Mattéi" sur l'adoption du 5 juillet 1996 qu'ont ensuite été adoptées plusieurs dispositions concernant l'accouchement anonyme :

- le choix des prénoms de l'enfant par la mère de naissance (art. 57 du code civil) ;

- la possibilité de faire connaître ultérieurement son identité (art. 62-4e du CFAS) (3) ;

- la possibilité de laisser des renseignements non identifiants (art. 62-4e du CFAS) (1) ; ces renseignements ne portant pas atteinte au secret de la mère (c'est-à-dire, tous renseignements autres que l'identité) devaient être recueillis dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat, lequel décret n'a jamais été pris ;

- la possibilité de bénéficier d'un accompagnement psychologique et social de la part du service de l'aide sociale à l'enfance (art. 47 al.3 du CFAS) (4).

2. La sociologie des femmes qui accouchent sous X

Avant les années 80, le flux moyen annuel des enfants nés sous X avoisinait les 10 000 naissances par an, alors que, depuis, ce chiffre est en constante diminution : il est passé d'environ 780 enfants en 1991 à environ 560 enfants en 1999. Cette diminution du nombre d'enfants nés sous X est à mettre au compte du développement de l'IVG et de la contraception ainsi que de l'évolution de la société française, qui accepte plus facilement les naissances hors mariage. Le problème du "déshonneur" provoqué par les naissances hors mariage est cependant encore très présent dans la culture de certaines communautés.

Le rapport de Mme Fériel Kachoukh "Accouchement sous X et secret des origines", au nom d'un groupe de travail du service des droits des femmes, contient une excellente analyse des réalités humaines et sociales qui conduisent actuellement les femmes à accoucher sous X.

De l'étude menée auprès de nombreuses maternités entre les années 1995 et 1999, on peut tirer les données suivantes sur la sociologie des femmes qui accouchent sous X :

- la fourchette des âges de ces mères est très large ; elles ont moins de 25 ans pour les deux tiers d'entre elles ; elles ont moins de 18 ans pour un dixième d'entre elles ; mais une majorité est majeure et environ 15 % d'entre elles ont plus de 35 ans ; elles sont cependant beaucoup plus jeunes que les autres accouchées et peut-être un peu plus jeunes que par le passé ;

- elles sont maghrébines, de nationalité ou d'origine pour une très forte minorité, sinon la majorité d'entre elles ;

- elles sont en cours de scolarité ou d'études, à la recherche d'un premier emploi ou sans profession ; un quart seulement de ces femmes a un emploi déclaré ou au noir ; elles sont donc en majorité sans autonomie et sans ressources propres (pour 70 à 80 %), alors qu'au début des années 60, elles n'étaient que 16 à 30 % dans ce cas ;

- elles sont célibataires pour les 4/5èmes d'entre elles, et primipares dans leur grande majorité ;

- le cas de viols ou de "rapports contraints" ne sont pas absents des données, mais ne sont pas majoritaires ; les cas d'inceste sont très rares ;

- près d'1/4 d'entre elles n'ont pas pu bénéficier de l'IVG pour des raisons légales ou financières ;

- 11 % d'entre elles restent moins de 24 heures à l'hôpital ;

- en Ile-de-France, 2/3 de ces femmes ont bénéficié d'un accompagnement psychosocial ou se le sont vu proposer.

En conclusion, le rapport de Mme Fériel Kachoukh souligne trois grands ordres de contraintes concernant les femmes qui accouchent sous X :

- un manque d'autonomie et des problèmes associés à la jeunesse et aux difficultés de l'entrée dans la vie adulte ;

- la précarité du statut lié à la législation sur l'immigration et à la contrainte des processus d'intégration ;

- l'isolement et les difficultés matérielles des familles monoparentales.

B. ... À PRÉSERVER TOUT EN ASSURANT UNE MEILLEURE INFORMATION

1. Une nouvelle réflexion sur l'accouchement sous X

Plusieurs rapports récents abordant le problème de l'accouchement sous X ont contribué à ouvrir le débat sur ce sujet longtemps tabou et ont proposé soit sa suppression pure et simple, soit des modalités de réforme.

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Laurent Fabius du 12 mai 1998 avait estimé souhaitable un "aménagement du régime de l'accouchement sous X" qui revenait en fait à sa suppression, puisqu'il préconisait que soit rendue possible la levée du secret de l'identité de la mère, de plein droit et sous la seule réserve de l'information de la mère, à la majorité de l'enfant.

Le rapport de Mme Irène Théry de mai 1998 recommandait la suppression de l'accouchement sous X, en raison de ses "conséquences extrêmement graves" qui privent l'enfant de sa filiation paternelle et maternelle.

En août 1999, le groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez pour réfléchir à une refonte du droit de la famille, a proposé de conserver l'accouchement sous X, mais de supprimer sa conséquence sur la filiation, telle qu'elle résulte de la loi de 1993 : l'interdiction d'établir la maternité en cas d'accouchement anonyme. Il s'est prononcé également pour l'organisation d'une voie concurrente à l'accouchement anonyme qui permette la conservation de l'identité de la femme dans la confidentialité.

Enfin, depuis quelques années, les enfants nés sous X, mais aussi les "mères de l'ombre", comme elles se sont dénommées, regroupés en associations actives mènent un véritable combat pour la suppression de l'accouchement anonyme et pour le droit à la connaissance des origines.

Ces réflexions et ces actions sont sous-tendues par une mise en cause de la légitimité de l'accouchement sous X, pour des raisons à la fois psychologiques et juridiques.

Cette naissance dans l'anonymat est en effet source d'une très grande souffrance pour certains enfants nés sous X qui souhaitent avoir accès à leur identité et dont la recherche des origines peut prendre, dans certains cas, un caractère obsessionnel.

L'accouchement sous X a également été utilisé dans un certain nombre de situations pour lesquelles l'anonymat n'était peut être pas nécessaire (pressions de l'entourage familial, culture du secret des travailleurs sociaux, volonté d'offrir à l'adoption un enfant vierge de toute histoire).

L'accouchement sous X aboutit à l'impossibilité pour le père de faire reconnaître sa paternité, du fait de l'empêchement d'établissement de la maternité. Même les reconnaissances prénatales ne peuvent produire d'effets juridiques. La jurisprudence s'est prononcée en disant que le père ne peut reconnaître un enfant né sous X, car cet enfant n'a pas d'identité. Cet accouchement peut être utilisé par les femmes à l'encontre du père - et parfois du mari -, soit qu'elles veuillent protéger l'enfant des violences de celui-ci, soit par hostilité à l'égard du père. Il faut cependant souligner que, si le père est bien le grand absent de la procédure d'accouchement sous X, c'est que, dans la majorité des cas, il a abandonné la femme, comme l'a souligné le rapport de Mme Fériel Kachoukh, précédemment cité.

Enfin, pour certains, l'accouchement sous X n'est pas considéré comme conforme aux engagements internationaux de la France, notamment à la convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant dont l'article 7 dispose que l'enfant a le droit de connaître ses origines. Ce droit n'est cependant pas un principe absolu puisqu'il est assorti d'une réserve
- il n'est reconnu que "dans toute la mesure du possible" - et qu'au surplus, il doit être mis en _uvre "conformément à la législation nationale". Comme l'ont relevé les commentateurs, ces dispositions ont surtout été insérées pour éviter certaines pratiques, telles que l'enlèvement de force d'enfants à leur parents pour des raisons politiques et leur remise à d'autres familles.

2. Un accouchement à préserver tout en informant sur les autres possibilités

L'accouchement anonyme demeure le seul recours pour des femmes en très grande détresse qui ne peuvent assumer la maternité à venir. En revanche, d'autres solutions sont possibles pour les femmes qui souhaitent plutôt une confidentialité de l'accouchement vis-à-vis de l'entourage ou qui souhaitent simplement remettre leur enfant à l'adoption dans les meilleures conditions possibles. Un document écrit leur précisant des informations essentielles sur l'accouchement et ses conséquences devra leur être remis au moment de l'accouchement dans le secret. Par ailleurs, l'importance de l'accompagnement psychologique et social des femmes, au moment de l'accouchement et ultérieurement, doit être soulignée.

a) Préserver l'accouchement anonyme

L'accouchement anonyme doit être préservé. Il appartient à la femme, et à elle seule, de choisir en toute connaissance de cause un accouchement strictement anonyme. On voit là l'importance d'une information objective, claire et identifiant bien les conséquences des différents choix.

En effet, l'accouchement anonyme conduit à un secret de l'identité de la femme totalement "verrouillé" :

- elle accouche en demandant à l'hôpital le secret de son admission et de son identité,

- elle ne déclare pas son nom dans l'acte de naissance,

- elle ne reconnaît pas l'enfant, c'est-à-dire qu'elle n'établit aucun lien de filiation avec lui.

Ces trois étapes une fois passées, la femme sort de la maternité sans l'enfant - parfois quelques heures après avoir accouché ! -. C'est le personnel hospitalier qui déclare l'enfant à l'état-civil et qui le remet à l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé et habilité pour l'adoption.

Les professionnels de la santé et les professionnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui pourraient avoir eu connaissance de l'identité de la mère sont tenus au secret professionnel (article 378 du code pénal).

Lorsque l'enfant est remis à l'ASE, un procès-verbal d'admission est rédigé sur lequel n'apparaissent pas les noms et prénoms de la femme, mais seulement ceux de l'enfant et, si elle le souhaite, des renseignements non identifiants à laisser dans le dossier de l'enfant.

Deux possibilités s'offrent alors à la femme :

- reprendre l'enfant dans le délai de deux mois ;

- laisser l'enfant à l'ASE qui recherchera pour lui des parents adoptifs.

Mis à part les enfants à "particularités", l'ensemble des enfants nés sous X sont généralement adoptés. Les parents adoptifs ne connaîtront pas l'identité de la mère d'un enfant né dans ce strict anonymat. L'enfant pourra avoir accès à son dossier, en application des dispositions de la loi du 17 juillet 1978 complétée par celle du 12 avril 2000 sur le droit d'accès aux documents administratifs, mais le dossier ne contiendra aucune indication du nom de la mère. L'enfant ne pourra donc jamais connaître son identité, sauf levée du secret ultérieurement par la mère de naissance ; il pourra éventuellement connaître des éléments de son histoire, si la mère laisse des renseignements non identifiants, ce qui semble correspondre, dans un certain nombre de cas, au sens de la recherche de l'enfant.

b) Informer des autres possibilités d'accouchement, dans la confidentialité ou non

Au mieux, avant l'accouchement, au moment de l'accompagnement psychologique et social dont elle peut bénéficier ou, si elle fait un passage éclair dans les services hospitaliers, au moment de son admission à l'hôpital, la femme doit être informée de la possibilité de choisir entre accouchement anonyme, accouchement dans la confidentialité, voire accouchement avec ou sans reconnaissance de filiation en vue d'une adoption. En effet, il est nécessaire de dissocier accouchement anonyme et abandon, puisqu'il est possible pour une femme de reconnaître son enfant, puis de l'abandonner.

· Les femmes pour lequel le souci premier est celui de cacher la grossesse ou l'accouchement à leur entourage doivent être informées qu'elles ont les possibilités suivantes :

-  elles peuvent accoucher en demandant le secret de l'admission et de l'identité, en ne déclarant pas la naissance sous leur nom et en ne reconnaissant pas l'enfant, mais elles peuvent laisser leur identité dans le dossier de l'enfant conservé par l'ASE ou l'_uvre d'adoption ; l'enfant aura accès à cette identité lorsqu'il consultera son dossier ; M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines, au cours de son audition par la Délégation, a indiqué que cette solution avait été choisie par un certain nombre de femmes ;

-  elles peuvent accoucher et déclarer l'enfant sous leur nom, mais ne pas le reconnaître ; elles décident ensuite de sa remise à l'ASE en vue de son adoption ; au cours de son audition par la Délégation, Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychiatre, a estimé que cette solution de la filiation connue mais non établie était celle qui lui semblait préserver le mieux la dignité de la femme ;

-  une troisième solution est celle que met en place le projet de loi : accouchement sous le secret de l'admission et de l'identité, non-déclaration et non-reconnaissance de l'enfant, mais possibilité pour la femme de laisser le secret de son identité sous pli fermé, qui sera consignée dans le dossier de l'enfant, mais ne lui sera communiquée que si la mère décide ultérieurement de lever le secret. Le projet de loi prévoit que la femme est "invitée" à consigner son identité, mais n'indique pas si elle a la possibilité de refuser ou non. Il semblerait préférable de lui proposer cette solution parmi d'autres, afin de lui laisser le choix et le moment de la décision de laisser son identité.

· Les mères et les parents pour lequel le souci premier est celui de remettre l'enfant en vue d'une adoption pour lui donner de meilleures chances dans la vie ont la possibilité de déclarer l'enfant sous leur nom, de le reconnaître et de le remettre en adoption. Ils ont également, jusqu'à présent, si l'enfant est âgé de moins d'un an, la possibilité de déclarer l'enfant, de le reconnaître, de consentir à l'adoption, tout en demandant le secret de leur identité. Le projet de loi prévoit cependant de supprimer cette dernière possibilité (cf. infra).

c) Remettre un document écrit

Le moment de l'accouchement sous le secret est un moment de grande détresse pour la femme. Il convient donc qu'un document écrit lui soit remis qui l'informe des différentes possibilités qui sont les siennes, de leurs conséquences pour elle et pour l'enfant, mais aussi de sa faculté de changer d'avis dans les deux mois qui suivent la naissance et de reprendre son enfant ainsi que de lever, ultérieurement et à tout moment, le secret de son identité.

La rédaction de ce document devra être confiée au Conseil national d'accès aux origines personnelles, de manière à présenter un document identique à toutes les femmes et permettre d'harmoniser les différentes pratiques dans les départements. Il serait délivré aux femmes par les correspondants du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles désignés par le président du conseil général.

On peut se demander s'il ne conviendrait pas que le médecin qui l'a accouchée propose à la femme de lui donner un certificat d'accouchement. Il peut être préjudiciable pour la femme, lorsqu'elle veut faire le "deuil de l'enfant", qu'elle n'ait aucune trace pour elle-même de son accouchement. En revanche, dans certains cas, la possession d'un tel document peut présenter des risques pour la préservation de son secret vis-à-vis de l'entourage. C'est pourquoi, elle doit avoir la possibilité de le refuser (ou de le déchirer ...). Un tel document lui permettrait également de lever ultérieurement plus facilement son secret, si elle en manifeste le souhait ; il apparaît, en effet, que certaines femmes ont eu des difficultés à se faire reconnaître comme celles ayant accouché sous X, il y a vingt, trente ou quarante ans ...

d) Renforcer l'accompagnement psychologique

Dans le souci d'humaniser l'hospitalisation et l'accueil de la femme, la "loi Mattéi" a inscrit à l'article 47 alinéa 3 du code de la famille et de l'aide sociale (5) la possibilité d'un accompagnement psychologique et social de la part du service de l'aide sociale à l'enfance, dès lors que la femme le demande ou donne son accord.

Si un suivi psychologique était offert par un certain nombre de maternités, il était fréquent que dans d'autres établissements les femmes soient maltraitées, déconsidérées, voire méprisées.

Les entretiens d'accompagnement psychologique et social correspondent à des moments où des professionnels vont préciser à la femme qu'elle peut choisir les prénoms de l'enfant, ce qu'elle fait le plus souvent, et laisser des éléments au dossier de l'enfant, identifiants ou non identifiants. Lorsqu'elle ne désire pas laisser son identité, le temps de cet accompagnement est propice à une sensibilisation de la femme à l'importance pour l'enfant de connaître son histoire et de pouvoir retrouver des éléments en ce sens, y compris non identifiants.

L'accompagnement psychologique et social doit donc être mis en place dans l'ensemble des départements français, au moment de l'accouchement et ultérieurement. Cet accompagnement effectué par les services de l'ASE doit se faire en liaison avec les assistantes sociales des hôpitaux et les services de PMI, qui sont les premiers informés et qui doivent donc alerter et orienter vers l'ASE les femmes souhaitant accoucher sous X.

Cette fonction d'accompagnement devant être assurée en permanence, elle doit être confiée à au moins deux professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, désignés par le président du conseil général et qui sont les représentants du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. Ils doivent pouvoir bénéficier d'une formation initiale et continue. Suivant la taille du département, une cellule autonome ou non pourra être créée au sein du service de l'ASE consacré à l'adoption.

II - FACILITER LA CONNAISSANCE DES ORIGINES

Il convient de prendre en compte et d'essayer de remédier à la grande souffrance qu'éprouvent certains enfants devant leurs difficultés d'accès à la connaissance de leurs origines, mais il ne faut pas oublier que d'autres construisent leur vie sans avoir manifesté le besoin de cette identité.

En tout état de cause, s'il faut faciliter cet accès à la connaissance des origines personnelles pour les enfants en recherche, il conviendra de bien le distinguer du droit à la filiation. A cet effet, la Délégation, sur proposition de votre rapporteure, a souhaité que soit ajoutée au projet de loi une disposition selon laquelle l'accès à la connaissance des origines personnelles ne pourra donner lieu à aucune action relative à la filiation, ni à fin de subsides, ni à indemnisation, sur quelque fondement que ce soit, au profit de qui que ce soit.

L'accès à la connaissance des origines devra être facilité en assurant un recueil et une mise à disposition appropriée des informations sur les parents de naissance et sur l'enfant ainsi qu'en organisant le rapprochement des consentements, dès lors qu'il y aura levée du secret par la mère de naissance.

A. ASSURER UN RECUEIL ET UNE MISE À DISPOSITION APPROPRIÉE DES INFORMATIONS SUR LES PARENTS DE NAISSANCE ET SUR L'ENFANT

Tous les acteurs locaux - établissements de santé, services de PMI, aide sociale à l'enfance, organismes autorisés et habilités pour l'adoption - ainsi que le nouveau Conseil national pour l'accès aux origines personnelles devront être associés aux différentes missions concourant à l'objectif d'un recueil et d'une mise à disposition appropriée des informations sur les parents de naissance et sur l'enfant et ils devront développer une culture de partenariat.

1. Recueillir le plus d'éléments possibles sur l'identité et l'histoire des parents de naissance

· Le projet de loi prévoit de mettre fin à la possibilité donnée aux parents d'enfants de moins d'un an de consentir à l'adoption, tout en demandant le secret de leur identité.

Cette disposition, qui entraînait l'établissement d'un nouvel acte de naissance, établi jusqu'en 1996 le plus souvent dans une commune différente de celle de la naissance, participait de la culture du secret qui prévalait alors et qui conduisait à remettre aux parents adoptifs un enfant sur lequel ceux-ci pouvaient imprimer leur propre histoire et auquel ils ne disaient pas nécessairement qu'il avait été adopté.

Conduisant à l'occultation d'une filiation, pourtant connue et établie, cette disposition n'est pas justifiée par un quelconque état de détresse, comme pour l'accouchement sous X. Sa suppression, à laquelle les parents adoptifs eux-mêmes ne sont pas opposés, est aujourd'hui bienvenue. En effet, sous l'effet de l'adoption internationale et face aux demandes de leurs enfants sur leurs parents d'origine, les parents adoptifs admettent aujourd'hui que l'histoire première de l'enfant n'a plus à être "gommée", dès lors qu'il y a adoption plénière, qui leur assure un lien de filiation indissoluble.

· Lorsque la mère accepte de révéler son identité, soit dans le dossier de l'enfant, soit sous enveloppe fermée à n'ouvrir qu'ultérieurement lorsqu'elle aura levé le secret, comme le prévoit le projet de loi, il devrait lui être demandé de laisser des éléments sur l'identité du père ou sur l'histoire du père, lorsqu'elle en a connaissance.

Cette remise de l'identité du père par la mère de naissance serait faite dans l'esprit du projet de loi, c'est à dire non pas pour établir une filiation, mais pour permettre à l'enfant de connaître l'autre moitié de son histoire.

· Il devra être proposé à la mère, comme le prévoit la "loi Mattéi", de laisser des renseignements non identifiants sur elle-même, sur le père de l'enfant et sur leur histoire. Les enfants n'ont pas nécessairement besoin de connaître l'identité de leurs parents de naissance ; en revanche, ils sont demandeurs de renseignements sur la personnalité de leurs parents de naissance et sur les raisons qui les ont conduits à les abandonner ; des photos, des lettres de la mère à l'enfant sont des éléments susceptibles de combler l'enfant en recherche de ses origines.

Par ailleurs, le recueil de ces éléments, même non identifiants, permet aux services départementaux ou aux _uvres privées d'adoption de choisir une famille adoptive mieux adaptée à l'enfant.

· La mère doit être incitée à laisser dans le dossier de l'enfant tous les renseignements d'ordre médical concernant l'enfant ; certes le carnet de santé de l'enfant figure dans son dossier et peut être communiqué à l'enfant par l'intermédiaire d'un médecin ; mais il serait souhaitable d'indiquer à la mère qu'elle doit laisser à l'enfant tout renseignement médical d'ordre héréditaire qui pourrait avoir des conséquences pour lui et pour sa descendance.

· Une information encore largement méconnue doit être systématiquement donnée aux parents adoptifs, à savoir que les enfants mineurs, avec l'accord de ces derniers, ont accès à leur dossier et surtout qu'ils peuvent venir consulter plusieurs fois ce dossier, sachant que des éléments nouveaux sont susceptibles d'y être insérés à tout moment. Cela représente une véritable révolution par rapport à la culture du secret qui était jusqu'alors celle des travailleurs sociaux : des dossiers annoncés vides aux parents adoptifs ont pu se révéler ultérieurement contenir de nombreuses informations.

2. Donner au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles une mission d'harmonisation des pratiques locales

Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, dont la composition doit faire une place aux acteurs de terrain devrait se voir confier un rôle d'harmonisation des pratiques locales.

· Le Conseil national, dont le projet de loi prévoit qu'il comprendra des membres de la juridiction administrative et des magistrats de l'ordre judiciaire, des représentants des ministres et des collectivités locales ainsi que des personnes qualifiées, devrait être en outre composé de représentants d'associations travaillant sur le terrain. Ces associations devraient représenter à la fois les femmes, les enfants et les parents adoptifs.

· Le Conseil national pourrait se voir confier la tâche d'élaborer le document écrit, dont il a été fait état précédemment, à l'intention des femmes qui souhaitent accoucher sous le secret, de manière à les informer de toutes les possibilités d'accouchement, dans la confidentialité ou non.

De la même manière, il pourrait être chargé d'élaborer un document à l'intention des enfants qui entreprennent une démarche de recherche de leurs parents de naissance, pour les informer de la portée de celle-ci. Ce document pourrait récapituler les démarches qu'ils peuvent entreprendre, les conditions de leur mise en _uvre et les conséquences qui pourraient en résulter. Il faut faire prendre conscience aux enfants des conséquences de leur demande de recherche sur la vie de leur mère de naissance, qui peut elle-même être en recherche, mais qui peut également ne pas en éprouver le besoin du fait qu'elle a reconstruit sa vie autrement et qu'elle ne souhaite pas la bouleverser.

Il faudra donc les inviter au respect de leur mère de naissance, et notamment prévenir chez eux la tentation de mener, comme la CADCO semble le faire, des enquêtes qualifiées par cette association de "policières" pour trouver une mère de naissance, puis l'obliger à un contact, ce qu'elle ne souhaite pas nécessairement.

· Le Conseil national devrait se voir chargé d'une tâche d'organisation des formations des divers acteurs locaux pour assurer une uniformisation des pratiques des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, des établissements de santé, des services de PMI et des organismes autorisés et habilités pour l'adoption.

Cette formation de professionnels est indispensable aussi bien pour l'accompagnement psychologique et social de la femme en détresse que pour la médiation à effectuer lorsque s'effectue la consultation du dossier.

· Enfin, le Conseil national devrait également procéder au recensement des organismes autorisés et habilités pour l'adoption.

Lorsque ceux-ci cessent leur activité, l'ensemble des dossiers en leur possession lui serait confié, de manière à éviter, comme cela a pu se produire, la disparition d'archives irremplaçables.

De même, en cas d'adoption internationale, le Conseil national devrait être destinataire des renseignements sur l'enfant transmis par les autorités d'un pays étranger.

B. FAVORISER UN RAPPROCHEMENT DES CONSENTEMENTS DE LA MÈRE ET DE L'ENFANT

L'avant-propos du projet de loi précise bien l'objet de la nouvelle législation : il s'agit de l'organisation de la communication de l'identité des parents de naissance "lorsque, des années après la demande d'anonymat, la femme ayant accouché et l'enfant, chacun de son côté, cherchent des éléments les concernant".

Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles est conçu comme un organisme qui reçoit les demandes de recherche de l'enfant et qui sollicite de la mère la levée de son secret.

Pour des raisons qui tiennent essentiellement à l'inquiétude qu'elle éprouve vis à vis de cette procédure mal définie de recherche de la mère, votre rapporteure a souhaité explorer une autre solution plus respectueuse de la volonté de la mère et de celle de l'enfant, à savoir le rapprochement concomitant de leurs deux volontés.

L'affirmation de ce nouveau principe conduit à élargir et préciser les demandes de recherche ainsi qu'à organiser le rapprochement des consentements.

1. Élargir et préciser les demandes de recherche

Le projet de loi prévoit que le Conseil national est saisi de la demande d'accès à la connaissance des origines :

- de l'enfant majeur,

- de l'enfant mineur, soit par son ou ses représentants légaux, soit par lui-même avec l'accord du ou des titulaires de l'autorité parentale ou de son tuteur,

- du tuteur de l'enfant majeur placé sous tutelle,

- de ses descendants en ligne directe majeurs, s'il est décédé.

Il est également saisi de la demande expresse de levée du secret formulée par la mère de naissance et de la demande de rapprochement auprès de l'enfant formulée par les ascendants, descendants ou collatéraux privilégiés de son père ou de sa mère de naissance.

Sur proposition de votre rapporteure, la Délégation a adopté une recommandation selon laquelle le Conseil national doit également pouvoir être saisi d'une demande de la mère de naissance souhaitant savoir si l'enfant a déjà effectué une démarche de recherche de ses origines ; c'est une façon de l'encourager à lever le secret de son identité. Etant informée de la demande de l'enfant, elle pourra être incitée à le faire, tout en se donnant le temps de la réflexion et en se préparant au contact ou à la rencontre éventuelle avec l'enfant que peut induire sa démarche de levée du secret. Par ailleurs, il sera laissé trace de cette demande de la mère dans le dossier de l'enfant.

Il conviendrait également que la demande de l'enfant au Conseil national soit précisée, de manière à ce que la mère puisse être informée de la nature exacte de cette demande : demande d'identité, demande d'histoire ou demande de rencontre. Sans que l'on puisse faire état de chiffres précis, il semble, d'après certaines enquêtes, que la recherche de l'enfant est plus souvent une recherche de ses origines qu'une demande de rencontre avec la mère de naissance.

2. Organiser le rapprochement des consentements

· En cas de demande d'accès à la connaissance de ses origines par l'enfant, le projet de loi prévoit que le Conseil national peut solliciter la déclaration expresse de levée du secret par la mère de naissance.

Cette disposition est source d'une grande inquiétude pour votre rapporteure. Le texte n'explicite pas comment une telle recherche sera menée. Or, dix, vingt ou quarante ans plus tard, comment retrouvera-t-on la mère de naissance, qui aura laissé une enveloppe fermée avec son nom et ses prénoms ? Quelle sorte de recherche sera menée ? Sera-ce une recherche dans l'intérêt des familles qui prévoit le recours à la police et à la gendarmerie ? Votre rapporteure souhaite que ce point soit explicité lors du débat sur le texte.

Mais à supposer que l'on puisse trouver une solution de recherche dans la discrétion, un nouvel élément fait obstacle à la confidentialité absolument nécessaire de cette démarche. Comment cette femme sera-t-elle contactée par le Conseil national : par appel téléphonique, lettre simple, lettre recommandée ? Plus grave encore : faut-il réaliser ce contact ? Est-il vraiment opportun à ce moment précis de la vie de la femme ? A-t-on même le droit de venir bouleverser sa vie, alors qu'elle s'est peut-être reconstruite et qu'elle a pu fonder une famille, à laquelle il lui est impossible de révéler ce secret ?

Par ailleurs, un autre problème surgit aussitôt. Si la femme refuse catégoriquement de lever son secret, lorsque le Conseil national la sollicite, que fera le Conseil national de son identité, dont il ne pourra pas informer l'enfant ? On se retrouvera dans la situation insupportable actuelle de certains enfants, savoir que l'identité est connue, mais ne pouvoir y avoir accès.

La femme doit être respectée dans sa décision de lever le secret de son identité seulement au moment où cela lui paraîtra possible. Cela a conduit la Délégation, sur proposition de votre rapporteure, à demander la suppression de la possibilité donnée au Conseil national de solliciter la déclaration expresse de levée du secret.

· L'accès à la connaissance des origines doit se faire dans le respect des volontés de la femme et de l'enfant et dans un souci concomitant de rapprochement.

C'est pourquoi votre rapporteure se prononce contre la levée automatique du secret lorsque l'enfant atteint dix-huit ans. Pour les mêmes raisons, elle ne souhaite pas non plus donner la possibilité à la mère de rechercher son enfant à la majorité de celui-ci, dans l'hypothèse où l'enfant n'a fait aucune demande de recherche. Elle considère également qu'il n'est pas nécessaire d'informer l'enfant majeur que sa mère a levé le secret.

Elle propose d'informer l'enfant de la nécessité de renouveler régulièrement sa démarche, en lui précisant que des éléments nouveaux peuvent à tout moment compléter un dossier, vide jusqu'alors.

Comme la femme, l'enfant a besoin que sa vie ne soit pas bouleversée ou même détruite. Comme l'a souligné Mme Danielle Housset, présidente de l'association "Enfance et Familles d'adoption", devant la Délégation, "il est grave de surgir dans la vie d'un enfant devenu adulte où pire d'un adolescent, en lui imposant un passé qu'il n'a pas envie de voir immédiatement".

Alors qu'il a pu faire une demande quelque temps auparavant, l'enfant peut ne plus être en demande de recherche quelques années plus tard, au moment où sa mère se décide à lever le secret.

La décision de la mère à lever le secret a un caractère définitif. En règle générale, l'enfant en sera informé lorsqu'il viendra consulter son dossier, c'est à dire à un moment où il sera prêt à recevoir cette information.

En revanche, si l'on constate une concomitance dans le temps entre les deux démarches, celle de la mère et celle de l'enfant, l'information pourrait être automatiquement donnée à l'enfant. Aussi, la Délégation, sur proposition de votre rapporteure a-t-elle adopté une recommandation précisant que, lorsque la demande d'accès à la connaissance des origines a été formulée ou renouvelée par l'enfant dans l'année en cours, il soit automatiquement informé de la levée du secret de sa mère de naissance.

· Enfin, la médiation entre la femme et l'enfant doit être assurée par le Conseil national en liaison avec les acteurs locaux, aide sociale à l'enfance et organismes agréés et habilités pour l'adoption.

Les acteurs locaux, formés à cette mission seront, dans certains cas, mieux armés pour faciliter la médiation, puisque ce sont eux qui ont reçus la femme et les parents adoptifs. Dans d'autres cas, le souhait d'une confidentialité plus grande, l'éloignement géographique des deux parties en présence, pourront conduire la femme et l'enfant à préférer une médiation sous l'égide du Conseil national. Une grande souplesse doit être laissée dans la mise en _uvre de cette médiation. En tout état de cause, votre rapporteure souhaite que les document qui seront transmis au Conseil national le soient sous forme de copies, afin d'éviter tout risque de perte ou de détérioration.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation s'est réunie, le mardi 22 mai 2001, pour examiner le présent rapport d'information.

La rapporteure a indiqué que, dans le prolongement des lois du 8 janvier 1993 modifiant le code civil et celle du 5 juillet 1996 sur l'adoption, ce texte visait essentiellement à créer un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, dont il organisait le fonctionnement et précisait les missions.

Un certain nombre de rapports élaborés dans les dix dernières années ont tous insisté sur l'importance de propositions équilibrées permettant de répondre à la fois à la demande des enfants d'entamer un processus de recherche de leurs origines et au droit des femmes à préserver la confidentialité de leur accouchement et leur anonymat.

A l'heure actuelle, en raison de la place essentielle qui est donnée à l'enfant dans notre société, il y a une écoute favorable de la demande des enfants vers un accès à leurs origines. La rapporteure a estimé que le projet de loi faisait essentiellement droit à cette demande-là. Sans aller aussi loin que les propositions du rapport Bret-Fabius du 12 mai 1998 qui préconisait la levée du secret de l'identité de la mère de plein droit à la majorité de l'enfant, le texte prévoit que la mère sera "invitée" à laisser trace de son identité et que, dans le cas où son enfant la recherchera, le Conseil national sollicitera son accord pour lever le secret.

Les nombreuses auditions que la Délégation a menées sur le sujet ont conduit la rapporteure à souhaiter que, dans la situation douloureuse dans laquelle se trouvent la femme au moment de l'accouchement et ultérieurement mais aussi l'enfant, le rapprochement ne soit entrepris que si les deux parties le souhaitent. Elle a considéré que ce rapprochement ne peut se faire dans l'harmonie que s'il y a une volonté exprimée de la part des deux parties de façon concomitante. Il faut laisser à l'une et à l'autre partie la possibilité d'évoluer de manière différente.

La rapporteure a souhaité un texte équilibré qui prenne véritablement en compte la volonté de l'un et de l'autre et qui ne permette pas que la violence que la femme a connu au moment de son accouchement sous X soit exercée à nouveau à son encontre à un autre moment de sa vie.

La rapporteure a donné ensuite lecture de ses treize propositions de recommandations.

Les trois premières recommandations rappellent l'exigence absolue du maintien de l'accouchement sous X, la nécessité d'informer la femme de l'existence d'autres modes juridiques d'accouchement et des conséquences de chacun d'entre eux pour le présent et le futur. La décision de la femme doit être une décision éclairée : il faut en particulier qu'elle sache qu'elle pourra, au moment où elle le souhaite, lever ultérieurement le secret de son identité et donc que son premier choix de ne pas laisser son identité n'a rien de définitif.

La quatrième recommandation insiste sur l'importance de l'accompagnement psychologique et social. Il doit être assuré par au moins deux professionnels des services de l'aide sociale à l'enfance qui proposeront à la femme de laisser des éléments de son histoire et des éléments non identifiants.

La cinquième recommandation propose, comme le prévoit le projet de loi, la suppression de la faculté offerte aux parents de moins d'un an de "gommer" l'identité de leur enfant en le remettant à l'adoption en demandant le secret.

Les recommandations suivantes portent sur le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. La sixième recommandation propose d'ajouter à la liste des personnes qui le composent des représentants d'associations des personnes directement concernées - enfants, femmes, parents adoptifs - de manière à lui permettre une approche plus humaine des problèmes.

Les deux recommandations suivantes lui confient la mission d'harmoniser les pratiques des différents acteurs locaux, notamment par l'organisation de formations, et d'élaborer des documents à l'intention des femmes ainsi que des enfants.

La neuvième recommandation retire au Conseil national sa faculté de solliciter la mère de naissance après une demande de l'enfant. Estimant que cette démarche constituerait une nouvelle violence à l'égard de la femme, la rapporteure a considéré que c'est à la femme qu'il appartient de faire la démarche de lever expressément le secret.

Le rapprochement de la mère et de l'enfant devant être le rapprochement de deux volontés et de deux démarches concomitantes, la dixième recommandation prévoit que le Conseil pourra en outre être saisi d'une demande de la mère s'enquérant d'une démarche éventuelle de l'enfant ; cette information sur la demande de l'enfant peut aider la mère à prendre la décision de levée du secret ; il en sera laissé trace dans le dossier de l'enfant.

Les deux recommandations suivantes donnent au Conseil la mission de recenser les organismes autorisés et habilités pour l'adoption et d'assurer le suivi et l'évaluation régulière du dispositif.

Enfin, la dernière recommandation affirme que cet accès à la connaissance des origines ne crée pas de droits en matière de filiation.

Un débat s'est ensuite engagé entre les membres de la Délégation.

M. Patrick Delnatte a relevé que le texte des recommandations lui semblait bien traduire les débats qui avaient eu lieu au sein de la Délégation et qu'il lui paraissait équilibré. Il s'est demandé s'il fallait prendre en compte le souhait exprimé devant la Délégation par certaines mères de naissance de pouvoir avoir simplement des nouvelles de leur enfant, sans chercher à le connaître.

La rapporteure lui a fait observer que cela lui paraissait impossible dans le cas d'enfants adoptés de façon plénière, car les DDASS n'ont plus de dossier sur l'enfant ni de relation avec la famille adoptive.

A Mme Marie-Jo Zimmermann qui s'interrogeait sur la démarche inverse, à savoir celle d'un enfant souhaitant avoir des nouvelles de sa mère, si celle-ci ne le souhaite pas, la rapporteure a répondu qu'il s'agissait de la démarche proposée par le projet de loi, mais qu'elle s'inquiétait des modalités de cette recherche de la mère de naissance.

Mme Marie-Jo Zimmermann s'est alors rangé à l'avis selon lequel si l'enfant souhaite rencontrer sa mère, il lui faudrait obtenir l'aval de celle-ci.

La rapporteure a cité les propos du philosophe François Dagognet mettant en garde sur les dérives du naturalisme : "Il faut plutôt aider l'enfant à regarder l'avenir et non à fouiller le passé qu'il n'a pas à juger, à condamner ou même à effacer. Sortons le de cette impasse qui ajoute un malheur à la tragédie ancienne".

M. Patrick Delnatte s'est interrogé sur les différentes autres possibilités juridiques que l'accouchement sous X, offertes à la femme.

La rapporteure a évoqué la possibilité pour la femme d'accoucher sous son nom, de ne pas reconnaître l'enfant et de le remettre pour adoption. Elle a indiqué que l'on ignorait si le choix de l'accouchement sous X était un choix véritable ou s'il ne s'expliquait pas plutôt par un manque d'information de la femme. C'est pourquoi, il faut à la fois le maintenir absolument et informer des autres possibilités.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé impératif de laisser à la femme le choix de l'accouchement sous X. Elle a considéré qu'il était nécessaire de l'informer, de l'accompagner et de la mettre devant ses responsabilités tout en l'invitant fortement à laisser le maximum de renseignements sur l'enfant. Elle a exprimé sa conviction qu'une femme bien accueillie, bien informée et entourée recourrait peu à l'accouchement anonyme.

La rapporteure a déclaré partager ce point de vue qui justifie sa recommandation de remise à la femme d'un document écrit qu'elle puisse conserver. Les DASS et les ASE affirment que rares sont les femmes qui accouchent sous X sans être connues de leurs services. Elles ont généralement été "repérées" et prises en charge avant. Elles nécessitent cependant également un accompagnement postérieur, puisqu'elles ont un délai de rétractation de deux mois.

La rapporteure a estimé qu'il ne convenait pas d'insister auprès de la femme pour qu'elle donne des renseignements. Considérant qu'il ne faut pas ajouter une pression morale à la souffrance extrême qu'elle ressent déjà à accoucher sous X, il lui a semblé que laisser son histoire ou des renseignements non identifiants devrait être une démarche volontaire de la femme, après avoir été bien informée.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a relevé que les pratiques étaient très disparates d'un département à l'autre ou d'un établissement de santé à l'autre, mais qu'il y avait aujourd'hui des personnels formés pour accueillir les mères accouchant dans la confidentialité, pour recueillir certaines informations sur la mère et pour parler à l'enfant. Elle a estimé qu'une des missions essentielles du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles devrait être d'assurer une uniformisation des pratiques des services de l'aide sociale à l'enfance et des personnels de santé qui accueillent ces femmes.

A M. Patrick Delnatte qui évoquait le problème des renseignements médicaux à laisser par la femme, la rapporteure a indiqué que le carnet de santé de l'enfant figurait dans le dossier de l'enfant.

Mme Hélène Mignon a évoqué le cas de très jeunes femmes qui viennent accoucher sous X accompagnées de leurs mères qui les obligent à l'abandon et qui laisseront vraisemblablement une fausse identité.

La rapporteure a rappelé que, selon l'enquête du service des droits des femmes menée en 1999, il n'y avait pas de profil type de la femme qui accouche sous X ; que celle-ci est plutôt plus jeune que la moyenne mais qu'elle est surtout dans une situation de grande précarité matérielle et affective.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, a observé que la femme qui accouche sous X avait souvent été abandonnée par son compagnon.

Sur la neuvième recommandation, Mme Marie-Thérèse Boisseau s'est demandé s'il ne convenait pas, comme le prévoit le projet de loi, lorsque l'enfant est en recherche, de laisser au Conseil national la possibilité d'interroger la mère pour savoir si elle veut lever le secret, dans la mesure où sa situation a pu évoluer.

Mme Chantal Lacuey a alors rappelé que l'on se heurtait à un énorme problème, celui des modalités de recherche de la mère, si celle-ci a changé d'adresse.

La rapporteure a insisté sur l'importance de l'information donnée à la femme au moment de l'accouchement sur la possibilité de lever à tout moment le secret et sur la nécessité de respecter la femme et l'enfant en recherchant le rapprochement de leurs volontés. Elle s'est inquiété d'une recherche de la femme par l'intermédiaire de la procédure de recherche dans l'intérêt des familles qui fait appel à la police.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente, après avoir indiqué que même si d'autres modalités de recherche, par l'intermédiaire d'un travailleur social notamment, sont peut être envisageables, s'est interrogée sur les conséquences pour l'enfant d'une réponse négative de la mère.

Mme Chantal Lacuey a souligné que ce serait là un deuxième rejet de l'enfant par la mère.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a relevé l'importance de l'information au moment de l'accouchement et considéré que l'accouchement sous X devait être un recours en cas de situation extrême.

Elle a proposé une modification de la quatrième recommandation de manière à prévoir l'intervention de plusieurs professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, au lieu de deux comme initialement proposé.

La rapporteure a approuvé une telle modification qui vise à renforcer davantage le dispositif de l'accompagnement psychologique et social des femmes.

La Délégation a ensuite adopté à l'unanimité l'ensemble de ces recommandations.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES
PAR LA DÉLÉGATION

1. L'accouchement sous le secret de l'admission et de l'identité - couramment appelé accouchement anonyme ou sous X - doit être maintenu ; il demeure le seul recours pour les femmes en très grande détresse qui ne peuvent assumer leur maternité  ;

2. Toutes les autres solutions possibles doivent être proposées aux femmes dont l'objectif premier n'est pas le secret vis-à-vis de l'enfant, mais qui souhaitent une confidentialité vis-à-vis de l'entourage, ou simplement une remise de l'enfant dans de bonnes conditions en vue d'une adoption ;

3. Lors de son accompagnement psychologique et social ou lors de son admission à la maternité, la femme recevra un document écrit l'informant de toutes les possibilités qui s'offrent à elle au moment de l'accouchement, de toutes leurs conséquences pour l'enfant et pour elle-même ainsi que de sa faculté, ultérieurement et à n'importe quel moment, de lever le secret de son identité ;

4. L'accompagnement psychologique et social, institué par la loi du 5 juillet 1996 au bénéfice des femmes demandant à accoucher sous le secret, devra être mis en place de manière impérative dans tous les départements ; des professionnels des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance devront être chargés de cette mission d'accompagnement ; lorsque la femme ne souhaite pas laisser son identité, le temps de cet accompagnement est propice à une sensibilisation de la femme à l'importance pour l'enfant de connaître son histoire ; il sera donc proposé à la femme de laisser des éléments de son histoire et des renseignements non identifiants ;

5. La faculté offerte aux parents d'enfants de moins d'un an, qui ont une filiation connue et établie, de les remettre à l'adoption en demandant le secret de leur identité doit être supprimée, comme le prévoit le projet de loi ;

6. Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles devra être composé également de représentants d'associations de personnes confiées à l'adoption, de femmes et de familles adoptives ;

7. Il devra assurer une harmonisation des pratiques des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, des établissements de santé et des organismes autorisés pour l'adoption ; à cet effet, il pourra organiser des formations à l'intention des différents acteurs locaux ;

8. Il devra élaborer le document d'information qui sera remis aux femmes qui souhaitent accoucher dans la confidentialité ainsi qu'un document à l'intention des enfants qui entreprennent une démarche de recherche de leurs parents de naissance, pour les informer de la portée de celle-ci ;

9. Le rapprochement de la mère et de l'enfant étant un rapprochement de deux volontés, la déclaration expresse de levée du secret par le père ou la mère de naissance ne pourra pas être sollicitée par le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles ;

10. Le Conseil national aura pour mission, en association avec ses correspondants désignés par le président du conseil général, d'organiser le rapprochement des consentements entre la mère et l'enfant ; comme il est important que ceux-ci puissent se faire de façon concomitante, toutes les demandes de recherche adressées au Conseil devront être renouvelées ; le Conseil devra pouvoir en outre être saisi de la demande de la mère ou du père de naissance s'enquérant d'une démarche éventuelle de l'enfant ; il informera automatiquement l'enfant de tout élément nouveau concernant son père ou sa mère de naissance, dès lors que la demande de recherche de l'enfant aura été formulée ou renouvelée dans l'année ;

11. Le Conseil sera chargé de recenser l'ensemble des organismes autorisés et habilités pour l'adoption et de recueillir, pour ceux qui ont cessé leur activité, l'ensemble des dossiers en leur possession ;

12. Il assurera le suivi et l'évaluation régulière du dispositif ;

13. L'accès à la connaissance des origines personnelles ne pourra donner lieu à aucune action relative à la filiation, ni à fins de subsides, ni à indemnisation, sur quelque fondement que ce soit, au profit de qui que ce soit.

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Annexe

Comptes rendus des auditions de la Délégation

Personnalités auditionnées par la Délégation

   

Page

23 janvier

- Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance

35

27 mars

- Mme Fériel Kachoukh, adjointe à la chef du bureau des droits personnels et sociaux du service des droits des femmes et de l'égalité, rapporteure de "Accouchement sous X et secret des origines"

- M. Pierre Verdier, président et Mme Nathalie Margiotta, secrétaire générale de la Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines (CADCO)

45

59

24 avril

- Mme Fanny Hamouche, membre de l'association des mères de l'ombre (AMO)

- Mme Danielle Housset, présidente de l'association "Enfance et familles d'adoption"

- Mmes Maya Surduts, secrétaire générale, Nora Tenenbaum, Danielle Abramovici et Valérie Haudiquet, membres de la Coordination nationale pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC)

73

81

97

2 mai

- M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines, et Mme Laurence Stricanne, inspectrice de l'aide sociale à l'enfance chargée du service de l'accès aux origines, de l'adoption et des pupilles

- Mmes Françoise Laurent, présidente, Danielle Gaudry, présidente honoraire, Maïté Albagly, secrétaire générale, et Valérie Boblet, membre de la Confédération du Mouvement Français pour le Planning Familial

- Mme Simone Chalon, directrice de l'association "La famille adoptive française" et M. François-René Aubry, magistrat et vice-président de cette association

- Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste

103

119

127

135

9 mai

- Mme Marie-Cécile Moreau, juriste

143

Audition de Madame Ségolène Royal,

ministre déléguée à la famille et à l'enfance

Réunion du mardi 23 janvier 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, qui va nous présenter le projet de loi relatif à l'accès aux origines personnelles, examiné le 17 janvier en conseil des ministres et déposé depuis hier à l'Assemblée nationale.

Ce texte ne remet pas en cause le secret de l'accouchement sous X, puisque la mère n'a pas à faire connaître son identité à l'établissement de santé ; en revanche, elle est invitée à consigner son identité sous un pli fermé, soit lors de son admission, soit au cours de l'entretien avec le correspondant local du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

La création du Conseil national est le pivot de ce texte, puisqu'il devrait faciliter l'accès des enfants nés sous X à la connaissance de leurs origines, sous condition expresse que la mère ou les parents acceptent de lever le secret.

Je salue, madame la Ministre, votre volonté d'avoir voulu concilier le droit de savoir pour les enfants et le droit à l'anonymat pour la mère.

Bien qu'en diminution constante, le nombre de femmes accouchant sous X demeure élevé ; il est révélateur d'une grande souffrance des femmes. Pourriez-vous nous indiquer comment il serait possible d'assurer un meilleur accueil et un meilleur accompagnement de ces femmes ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Ce projet de loi est un texte important sur lequel la diversité des éclairages pourra se révéler très fructueuse au cours des débats parlementaires. Il y a très longtemps que la question de l'accouchement sous X est étudiée et fait l'objet de propositions. Une des dernières études en date est un rapport du Conseil d'Etat de 1990 qui avait avancé, pour la première fois, l'idée de la création d'un Conseil national pour l'accès aux origines. Ce Conseil est le c_ur du dispositif que j'ai présenté mercredi 17 janvier au conseil des ministres et qui permettra à la France de tenir ses engagements internationaux : en effet la convention internationale des droits de l'enfant précise, dans son article 7, que l'enfant a, dans le cadre des lois nationales, le droit de connaître ses parents, et la convention de la Haye de 1993 stipule, dans son article 30, que les Etats doivent conserver les informations qu'ils détiennent sur les origines de l'enfant et assurer l'accès de l'enfant à ces informations. Par ailleurs, en 1999, un rapport du service du droit des femmes a déterminé quelles étaient les femmes qui accouchaient sous X, ce qui constitue une étude sociologique importante. Enfin, le rapport de Mme Dekeuwer-Defossez sur la réforme du droit de la famille évoque également cette problématique.

J'ai abondamment consulté de nombreuses instances, non seulement les membres du Conseil supérieur de l'adoption, le médiateur de la République, la commission d'accès aux documents administratifs, c'est-à-dire les instances qui, jusqu'à présent, recevaient les demandes des personnes en recherche, mais aussi les associations des enfants nés sous X, la CADCO (Coordination des actions pour le droit à la connaissance des origines), ainsi que les représentants des parents adoptifs, de manière à prendre en compte la sensibilité des familles adoptives face à la crainte de voir leurs enfants rechercher leur mère naturelle.

Après avoir longuement consulté et réfléchi, je me suis retrouvée en présence de plusieurs prises de position qu'il a fallu minutieusement rapprocher. Certains craignaient la réversibilité du secret et la suppression de l'accouchement sous X, d'autres, au contraire, souhaitaient une réforme plus radicale, au nom des souffrances des enfants qui se sentent, tout au long de leur vie, amputés et privés d'un accès à leur histoire.

Il me semble que le projet réalise un équilibre entre des intérêts qui, jusqu'alors, étaient vécus comme contradictoires. D'abord, il maintient la sécurité de l'enfant et de la mère lors de la naissance par l'existence d'un accueil anonyme, gratuit et sans conditions, d'une femme en détresse dans un établissement de soins. Cependant, il rend réversible le secret de l'identité des parents de naissance en recueillant, sous le sceau du secret, l'identité de la mère et, le cas échéant du père, si celle-ci accepte de le désigner. Enfin, il organise l'accès de l'enfant - ou de l'enfant devenu adulte - à ses origines personnelles.

Il est important de noter que la levée du secret de l'identité des parents nécessite l'accord de ceux-ci ou de la seule mère biologique puisque, dans 90 % des accouchements sous X, le père est absent. Le Conseil national va rechercher l'accord des volontés entre l'enfant ou l'adulte en quête de ses origines, et le parent de naissance ; il a donc une mission non seulement de recueil des informations, mais également de conciliation entre les différentes parties.

Le Conseil national a par ailleurs une mission d'harmonisation des pratiques des différentes institutions concernées, et notamment des départements, sur le dispositif de recueil, de conservation des renseignements concernant l'histoire originaire de l'enfant et l'identité des parents de naissance, ainsi que sur le dispositif d'accueil des personnes et la formation des personnels concernés.

Toutes les personnes en quête de leurs origines pourront s'adresser à ce Conseil, quels que soient leurs dates et leurs lieux de naissance, y compris les enfants adoptés à l'étranger ; nous nous sommes rendu compte que par l'intermédiaire des consulats ou des établissements de soins, il était possible d'accéder à un certain nombre d'informations. Il faut noter que les enfants nés dans le secret, les anciens pupilles de l'Etat, sont de plus en plus nombreux à se mettre en quête de leurs origines personnelles. Ce Conseil vise donc à les accompagner et à les aider dans leurs démarches. Le projet est applicable également aux territoires d'outre-mer.

Ce dispositif marque clairement la force des liens familiaux vécus et institués dans les familles adoptives et ne remet pas en cause la solidité des liens de filiation dans le cadre de l'adoption, mais il clarifie la place de chacun des adultes qui a contribué à l'histoire de l'enfant et qui est ainsi reconnue dans sa complexité. Il s'agit donc de la création d'un nouveau droit de la personne humaine, celui de voir respecter son histoire, ses origines, et qui ne remet pas en cause la stabilité et la solidité du lien de filiation acquis par l'adoption. Ces idées ont pu mûrir et évoluer parce que de plus en plus de familles adoptives ont compris la complexité de l'histoire de l'enfant et admettent aujourd'hui que dans ce lien de filiation, c'est aussi un enfant qui adopte des parents. Dans le plus grand nombre des cas, lorsqu'un enfant adopté recherche ses origines, il ne remet pas en cause l'affection de sa famille adoptive, il recherche non pas des parents, mais ses origines - il a besoin d'une rencontre de douleur -.

C'est la raison pour laquelle le dispositif n'est pas symétrique : le Conseil des origines ne pourra pas être actionné par la mère, il devra d'abord l'être par l'enfant. Certaines vérités ne doivent pas, en effet, être imposées aux enfants, s'ils ne la demandent pas. Il s'agit d'un élément d'équilibre qui a été recherché dans ce texte et j'attends beaucoup du débat parlementaire pour continuer à l'améliorer.

M. Patrick Delnatte : Avons-nous une idée du nombre de femmes qui accouchent sous X et, par là même, du nombre d'enfants qui pourraient un jour rechercher leurs origines ?

Quelles sont les dispositions concernant le dossier médical ? Il est important pour un enfant adopté de connaître ses antécédents familiaux, notamment les maladies héréditaires. Le Conseil national ne pourrait-il pas détenir le dossier médical des enfants nés sous X et le leur communiquer, même à ceux qui ne désirent pas rechercher leurs parents biologiques ?

Mme Danielle Bousquet : Je voudrais tout d'abord vous féliciter d'avoir essayé de trouver des réponses à ces questions qui bouleversent un grand nombre de familles depuis de nombreuses années.

J'ai cependant un certain nombre de questions à vous poser, notamment sur la disposition qui interdit la levée du secret des origines par la mère biologique si l'enfant n'actionne pas, de son côté, le dispositif. Cet équilibre que vous avez souhaité mettre en place ne me semble pas juste, dans la mesure où 90 % des femmes qui accouchent sous X sont seules, le père étant inconnu ; on peut donc imaginer que la souffrance de ces mères est aussi grande que celle des enfants abandonnés.

Ma seconde question concerne les travailleurs sociaux : quel rôle jouent-ils dans ce domaine ? Les règles vont-elles être établies de façon définitive, sans dérogation possible ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il s'agit de situations douloureuses pour tous, à la fois pour la mère et pour l'enfant ; il était donc certainement difficile d'avancer en toute sérénité sur ces questions.

Ma première question concerne l'accès et le contenu du dossier. Comme vous l'avez très justement dit, la vérité n'est pas toujours libératrice. Pensez-vous qu'il appartient au Conseil des origines d'établir une sorte de code de déontologie et de déterminer les éléments qui doivent se trouver dans le dossier ?

En effet, je me demande quelle image l'on peut avoir de soi lorsqu'on apprend que l'on est né d'un viol ou d'un inceste. Il me semble donc qu'un regard déontologique doit être porté sur la qualité des informations contenues dans le dossier ; le Conseil pourrait effectuer un travail de mise en cohérence, entre les différentes directions départementales, du contenu de ce dossier.

Deuxièmement, il est fait référence, dans le texte, soit aux origines des parents, soit aux origines de la mère. Pensez-vous avancer sur la question du père ? Est-ce un sujet qui a été abordé et discuté avec les différentes instances et associations que vous avez rencontrées ?

Par ailleurs, vous indiquez dans ce texte que la possibilité de connaître ses origines est ouverte aux mineurs - la demande devant alors transiter par l'intermédiaire des parents - sans fixer d'âge minimum. Est-ce volontaire ?

Enfin, pour que le dispositif se mette en route, il convient que la mère lève le secret, mais surtout et avant tout que l'enfant entreprenne des démarches. Je comprends la crainte qui peut être celle des associations de parents adoptifs, mais n'aurait-il pas été envisageable qu'à partir du moment où un enfant adopté a atteint sa majorité, la mère biologique puisse, par l'intermédiaire du Conseil des origines, le rechercher ?

Nous commençons à recevoir un certain nombre de lettres d'associations qui posent, à travers ce texte, une question plus large : celle de la connaissance des origines dans le cadre de la procréation médicalement assistée. Avez-vous évoqué ce problème avec les associations ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : En ce qui concerne le nombre de demandes de consultation de dossiers, je puis vous donner l'information suivante : sur les deux dernières années, il y en a eu 13 244. Ce chiffre comprend les demandes émanant des enfants placés à l'aide sociale à l'enfance. J'ai demandé des études complémentaires afin de pouvoir distinguer les différents types de demandes. J'ai pu constater, d'après les dossiers auxquels j'ai eu accès par l'intermédiaire des associations, qu'il existe une grande hétérogénéité de comportements d'un département à l'autre. Des cas sont vécus très douloureusement, notamment lorsque l'assistante sociale, qui connaît l'identité de la mère, répond à l'adulte qu'elle est dans l'impossibilité de la lui communiquer, alors même que la mère est décédée, vu l'âge du demandeur. Par ailleurs, les formulations contenues dans les dossiers sont quelquefois très durement ressenties. Les enfants peuvent aujourd'hui avoir accès aux éléments non identifiants, qui sont en général très succinctement résumés. J'ai pu ainsi lire des annotations du genre : "Une femme vêtue d'une façon que la morale réprouve, outrageusement maquillée, s'est présentée pour accoucher sous X". Il y a donc une formation à assurer et une charte à mettre en place sur l'ensemble du territoire, le Conseil des origines pouvant être un élément moteur de cette réflexion.

La communication du dossier médical est une question importante ; elle est déjà possible, en l'état actuel des textes, par l'intermédiaire d'un médecin - pour que l'enfant connaisse son groupe sanguin, les maladies génétiques -. Nous sommes conscients que la non-communication du dossier médical est un handicap pour la santé de l'enfant. Ce problème pourra être évoqué au cours du débat, mais de toute façon le dossier médical sera dans le dossier de l'accouchement sous X - il fera donc partie des éléments communicables - étant donné qu'aujourd'hui cette communication est déjà prévue, mais de façon anonyme.

Pourquoi le dispositif ne pourra-t-il pas être activé à la demande de la mère ? Tout simplement parce que ce projet est placé sous le signe des droits de l'enfant ; une réforme législative a besoin d'une cohérence. Or la cohérence de cette réforme législative est la convention internationale des droits de l'enfant, le droit d'accès et le respect de l'identité et de l'histoire de l'enfant.

Par ailleurs, il conviendrait de trouver un fondement juridique pour expliquer qu'une mère qui a décidé d'accoucher dans le secret veut, tout d'un coup, imposer une vérité à un enfant qui ne la demande pas. En revanche, le Conseil pourra recevoir la demande de la mère ; l'enfant ne pourra pas être contacté - donc connaître une vérité imposée - s'il ne l'a pas lui-même souhaité, mais les nouvelles de l'enfant transmises spontanément par les familles adoptives aux associations ou à l'aide sociale à l'enfance pourront être transmises à la mère. Il est évident que le Conseil vérifiera si, en face de la demande de la mère, il y a une demande de l'enfant. On sera d'ailleurs là dans le cas idéal, où les deux parties demandent à se rencontrer.

M. Patrick Delnatte : Le Conseil devra donc, tout au long de la vie de l'enfant, recueillir des informations sur ce dernier !

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Les conseils généraux étant compétents dans le domaine de l'accouchement sous X, il y aura un correspondant par département et des personnels médico-sociaux, déjà formés, seront présents. Les présidents des conseils généraux désigneront un correspondant qui sera une personne qui accueille déjà des femmes qui souhaitent accoucher sous X.

Lorsque le Conseil sera mis en place, il élaborera une charte commune, un guide de l'entretien visant à expliquer aux femmes qui viennent accoucher dans l'anonymat pourquoi il est si important qu'un jour cet enfant puisse accéder à son histoire et à son identité, et à les inciter à donner des éléments sur le père ; il précisera également les fonctions de ces correspondants. Des équipes pluridisciplinaires existent déjà ; il conviendra simplement de les remettre à niveau, de les former. Il y aura donc une médiation, un accompagnement psychologique. L'objectif recherché par ce texte est bien entendu à terme la disparition de l'accouchement sous X : qu'il reste un accouchement anonyme pour les femmes qui le souhaitent, mais que le secret soit réversible. Nous voulons garder le bon côté de l'accouchement anonyme : protéger les femmes et les enfants, aider ces dernières à consentir à l'adoption dans de bonnes conditions, en étant bien au courant de leurs droits, et en particulier de celui leur permettant de changer d'avis dans les deux mois ; bien organiser la réversibilité du secret pour que l'enfant puisse, un jour, avoir accès à son histoire. Par ailleurs, les femmes qui ne sont pas en mesure d'élever leur enfant, peuvent déjà le reconnaître, puis consentir elles-mêmes, nommément, à son adoption.

En ce qui concerne la cruauté de certaines vérités, je voudrais dire deux choses. D'une part, les enfants nés sous X - vous le découvrirez au cours de vos auditions - s'imaginent toujours la plus atroce des histoires. D'autre part, selon les études du service des droits des femmes, très peu d'enfants nés sous X sont le fruit d'un viol ou d'un inceste. Les raisons pour lesquelles les femmes accouchent sous X sont généralement les suivantes : le dénuement, la pauvreté, l'âge -- il y a de très jeunes filles d'origine maghrébine qui subissent la pression de leurs parents et dont l'enfant pourrait être maltraité -. Il convient donc d'écarter tout jugement moral quant à la demande d'accoucher dans l'anonymat, et ne pas penser que tous ces enfants sont le fruit d'un viol ou d'un inceste.

Par ailleurs, je pense sincèrement que toute vérité n'est pas bonne à dire. Les spécialistes sont revenus sur les théories de Françoise Dolto - qui a énormément fait par ailleurs pour les enfants - qui prétendait que les enfants pouvaient tout entendre, que l'on pouvait leur dire la vérité pure et dure. La pédopsychiatrie a beaucoup évolué, et le docteur Ruffo explique - en prenant l'exemple de parents adoptifs venus le consulter, qui avaient adopté un enfant issu d'un inceste, qui ne lui avaient pas dit la vérité et qui avaient même enjolivé son histoire - que l'important est que l'enfant puisse se construire et que le fait de ne pas lui dire la vérité n'est pas un mensonge, du moment qu'il contribue à sa construction.

Je vous cite cet exemple pour vous expliquer que la façon dont sont rédigés les dossiers est tout à fait essentielle. Il s'agit ni de disqualifier la mère, ni de la salir, ni de faire des récits graveleux sur des contextes de violence, ni de donner des détails qui empêcheraient l'enfant de se reconstruire. Il appartiendra au Conseil des origines, lorsqu'il aura accès aux dossiers rédigés de façon très ancienne, avec des mots parfois très durs, de faire la part des choses avant de communiquer les éléments d'information à l'enfant.

En ce qui concerne les mineurs, et l'instauration d'une limite d'âge inférieure, nous n'avons pas examiné cette question.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est à partir de 13 ans qu'un enfant peut être entendu.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Nous ne nous sommes pas du tout intéressés à la limite inférieure ; nous n'avons pas imaginé que des parents adoptifs puissent anticiper la demande de leurs enfants, puisqu'aujourd'hui ils y sont plutôt réticents. Mais j'aurais tendance à vous répondre, sans avoir réfléchi à ce problème, qu'une demande de certains parents adoptifs, qui souhaiteraient connaître l'histoire de leur enfant le plus tôt possible pour l'aider à grandir avec cette histoire, serait plutôt positive. Voilà un sujet qui pourra être examiné au cours du débat parlementaire.

En ce qui concerne le lien avec la procréation médicalement assistée, c'est volontairement que le sujet n'a pas été abordé, car il sera traité dans la prochaine loi bioéthique. Ce projet de loi concerne les enfants nés sous X et donc non désirés par la mère, contrairement à la procréation médicalement assistée (PMA). Cependant, il conviendra d'établir une cohérence entre les textes : les CECOS devront demander aux parents de s'engager à informer l'enfant qu'il est né d'une PMA. En effet, on s'est rendu compte que dans certains cas de divorce, l'enfant apprend à ce moment-là qu'il n'est pas le fils ou la fille de son père, ce qui fait des dégâts considérables. Les psychologues estiment que cette information fait partie de l'histoire de l'enfant ; certains pays vont même jusqu'à lever l'anonymat des dons de sperme ; ce n'est pas la pratique actuelle des CECOS, mais cette question devra être débattue un jour ou l'autre.

Mme Danielle Bousquet : Cette réforme m'inquiète en ce qu'elle constitue un retour de la famille biologique. Le débat entre "hérédité" et "éducation" resurgit.

Par ailleurs, les parents adoptifs n'ont pas l'obligation de dire à leur enfant qu'il a été adopté. Comment gère-t-on cette non-obligation à dire à l'enfant la vérité ?

M. Patrick Delnatte : Tous les intervenants et les partenaires concernés par le problème de l'adoption conseillent aux parents adoptifs de dire la vérité à leurs enfants le plus tôt possible.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je m'interroge quant à l'impact de ce texte sur le processus de l'adoption plénière. Je n'imagine pas que l'adoption plénière, qui coupe en deux l'histoire de l'enfant, puisse continuer à exister. Cela me paraît complètement incompatible avec l'esprit non seulement de ce texte, mais également de la convention internationale sur les droits de l'enfant et de la convention de la Haye.

Il est sans doute prématuré de poser cette question, mais il me semble que l'on ne pourra pas laisser fonctionner longtemps le système de l'adoption plénière, telle qu'elle est conçue aujourd'hui en France.

M. Patrick Delnatte : S'agissant du problème d'une mère biologique qui désire connaître la situation de son enfant, y aura-t-il un suivi de l'enfant tout au long de sa vie ?

Par ailleurs, on m'a cité des cas de femmes étrangères, notamment belges, qui viennent accoucher sous X en France : comment le Conseil des origines va-t-il gérer ce problème ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Elles seront invitées, comme les autres femmes, à laisser leur identité. Le Conseil sera donc tout à fait compétent, comme il le sera pour les adoptions faites à l'étranger.

Se pose également le problème des enfants - maintenant devenus adultes - franco-allemands issus de la guerre, qui ont envie de savoir qui est leur père. Le Conseil pourra, par l'intermédiaire des consulats, recueillir des éléments identifiants.

En ce qui concerne la demande de la mère biologique, les indications que je vous ai données ne sont pas dans le texte, puisque nous avons uniquement prévu la demande de l'enfant. Cependant, après les consultations auxquelles j'ai procédées, notamment avec les associations, telles que celle des "Mères de l'ombre", et les familles adoptives - qui ne sont pas défavorables à cette solution, même si elles sont très hostiles à une demande unilatérale de la mère -, j'aurais tendance à penser que l'on pourra intégrer, au cours du débat, l'idée selon laquelle les mères biologiques puissent adresser une demande au Conseil et obtenir des éléments d'information sur leurs enfants - je ne parle pas de contact, bien entendu -. Pour ce faire, il n'est pas nécessaire de suivre l'enfant tout au long de sa vie. Le Conseil se retournera vers le correspondant du conseil général qui détient le fichier des enfants adoptés.

M. Patrick Delnatte : Ce correspondant pourra donc aller dans les familles se renseigner sur la situation de l'enfant ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Eventuellement, mais il me semble qu'une démarche volontaire préalable des familles adoptives devrait être encouragée. Si l'enfant est mineur, ce correspondant pourrait peut-être informer les parents que la mère biologique est en demande. Les parents adoptifs pourront très bien refuser d'accéder à cette demande. Le Conseil servira de médiateur.

M. Patrick Delnatte : Il ne faut pas déstabiliser le système adoptif.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Absolument, c'est la raison pour laquelle le système n'est pas symétrique entre la mère biologique et l'enfant, et que ce dispositif n'est pour l'instant pas inscrit dans la loi. Mais cette question est ouverte et l'on pourra en débattre ; on pourrait, par exemple, réserver ce droit aux mères dont l'enfant est majeur ou solliciter l'avis des familles adoptives sur ce point au moment de l'adoption.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mon approche concernait les enfants majeurs, car à ce moment-là, l'enfant a une certaine autonomie.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : En ce qui concerne "le tout biologique", je crois au contraire que ce texte remet le biologique à sa juste place. C'est justement la raison pour laquelle on peut avoir confiance dans le lien de filiation établi par l'adoption. Et si l'on peut le faire aujourd'hui, c'est parce que le même problème se pose pour les familles recomposées -- dans lesquelles le beau-père n'est pas substitué au père biologique qui garde l'autorité parentale -. Le point essentiel est donc le suivant : qu'il n'y ait pas confusion des rôles entre les différents adultes qui sont à l'origine de la complexité de l'histoire de l'enfant, que chacun reste à sa juste place avec la responsabilité qui est la sienne.

Le lien biologique est l'un des éléments de l'histoire de l'enfant, le lien de l'adoption, c'est le lien de filiation et la responsabilité parentale. Et je pense que les associations de parents adoptifs l'ont compris, car elles ont bougé sur le sujet - même si elles sont toujours farouchement attachées à l'adoption plénière -. Mais les choses vont également évoluer à ce niveau-là, car les parents adoptifs sentent bien qu'une adoption plénière, qui efface totalement l'histoire de l'enfant, n'est pas adaptée à la prise en compte de la complexité des choses.

Il y a d'ailleurs, parallèlement à ce projet de loi, une réflexion sur le dispositif de l'adoption ; ce sera sans doute ma prochaine étape devant le Parlement, si la loi doit être modifiée, ce qui n'est pas certain. De même, le fait de dire à un enfant qu'il a été adopté est une question qui doit être débattue - les parents adoptifs le font de plus en plus -, et l'adoption internationale a fait avancer les choses en ce sens. Les comportements ont changé. Toutes ces questions seront abordées dans le cadre d'un débat plus global, puisqu'un rapport parlementaire relatif à l'adoption internationale sera prochainement déposé et que le Conseil de l'adoption s'est réuni. J'ai remis en chantier un travail global relatif à la question de l'adoption pour tenter de répondre à un certain nombre d'interrogations et de problèmes rencontrés par les familles, tant par l'adoption nationale qu'internationale.

Mme Danielle Bousquet : Les enfants en recherche de leurs parents biologiques sont-ils majoritairement des enfants adoptés en France ou à l'étranger ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Ce sont les pupilles de l'Etat.

Mme Danielle Bousquet : Cela veut bien dire que c'est parce que nous avons une façon particulière d'aborder la famille biologique en France que la question se pose.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : L'adoption internationale est un système plus récent. Par ailleurs, les familles adoptives
-- ou du moins celles qui en ont les moyens - vont à l'étranger pour faire connaître à leurs enfants la culture du pays d'où ils sont originaires. La plupart des autres enfants sont en recherche de leurs origines à l'adolescence, au moment des crises d'identité. Un des effets positifs de ce texte, c'est qu'il va y avoir une prise de parole des familles adoptives pour exprimer les difficultés de l'adoption. Dans cette recherche des origines, il est tout de même apaisant pour l'enfant que leurs parents participent et reconnaissent la légitimité de cette recherche.

Mme Danielle Bousquet : S'il y a moins d'enfants d'origine étrangère à rechercher leurs parents, c'est parce qu'ils viennent souvent de très loin ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : C'est en effet une barrière supplémentaire ; ils imaginent qu'il n'y a pas de dossiers. Mais il n'y a pas de raison que l'on n'améliore pas aussi les choses sur ce point.

Mme Danielle Bousquet : L'évolution de l'adoption internationale devrait automatiquement conduire à cette réalité avec les pays avec lesquels nous avons des conventions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans le cadre de l'adoption plénière, comment un enfant peut-il remonter à ses origines ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Par l'intermédiaire du jugement de l'adoption. Le Conseil pourra accéder à l'acte de naissance d'origine, ce qui n'est pas le cas actuellement, et aux archives.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cette loi pourra-t-elle être rétroactive ; pourra-t-on remonter dans le passé dès lors que des dossiers existeraient ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance : Il y a les dossiers d'avant et d'après la décentralisation. Par ailleurs, de nombreux dossiers ont disparu ou ont été archivés. Certains sont conservés en l'état dans les départements, d'autres le sont par des associations privées ; il conviendra donc de les centraliser au niveau de chaque département.

Cette loi va surtout concerner les adultes et les pupilles de l'Etat. La personne la plus âgée que j'ai rencontrée en recherche de ses origines avait 98 ans ! Elle voulait connaître ses origines, retrouver sa s_ur, ses neveux ... Car il y a cela aussi : les adultes ont envie de retrouver leur fratrie.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est la raison pour laquelle le projet de loi donne la possibilité à des descendants d'aller recueillir les informations - de retrouver par exemple les grands-parents - à la place de la personne née sous X.

Audition de Mme Fériel Kachoukh,
adjointe à la chef du bureau des droits personnels et sociaux du service des droits des femmes et de l'égalité, rapporteure de "Accouchement sous X et secret des origines".

Réunion du mardi 27 mars 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Fériel Kachoukh, juriste, adjointe à la chef du bureau des droits personnels et sociaux du service des droits des femmes et de l'égalité. Ce service a, en octobre 1999, rédigé un rapport qui porte sur l'accouchement sous X et le secret des origines, à partir d'enquêtes menées auprès d'un grand nombre de maternités ayant réalisé de tels accouchements. Ce rapport comprend quatre parties :

- une analyse des questions juridiques posées par l'accouchement sous X ;

- une étude sociologique des femmes qui sont conduites à accoucher sous X ;

- un aperçu des législations internationales - aussi bien les Etats-Unis, le Canada qu'un certain nombre de pays européens - ;

- et des propositions de réforme.

Ce rapport, que je trouve excellent, sera communiqué à tous les membres de la Délégation.

Mme Fériel Kachoukh : Avant d'aborder la genèse du rapport, son contenu et les enjeux qui nous ont semblé importants dans ce domaine, je voudrais préciser que ce rapport est le fruit du travail collectif d'un groupe de travail réunissant plusieurs directions de l'administration centrale du ministère de l'emploi et de la solidarité et associant un certain nombre d'experts ou de personnalités qualifiées, parmi lesquels je citerais Mme Nadine Lefaucheur, sociologue, dont vous connaissez sans doute les analyses assez lumineuses sur la situation des familles monoparentales et qui est partisan de la suppression de l'accouchement sous X. Participait également à ce groupe de travail, Mme Denise Cacheux, rapporteure de la loi du 8 janvier 1993 qui a introduit dans le code civil la possibilité d'accoucher dans le secret et l'interdiction d'établir judiciairement la maternité dans un tel cas.

Il s'agit d'un débat controversé, qui est abondamment relayé dans l'opinion, et où s'exprime de plus en plus fortement l'aspiration à la connaissance des origines personnelles. C'est également un débat d'experts, dans lequel les psychanalystes, notamment, expliquent les ravages des vérités non partagées et des secrets de famille, les blessures identitaires profondes laissées par l'impossibilité de faire le deuil de ce que l'on ignore. C'est un débat dans lequel interviennent également nombre de juristes qui critiquent des dispositions qui leur semblent contraires aux engagements internationaux de la France, notamment la convention internationale pour les droits de l'enfant et son article 7, même si cet article est pondéré par quelques réserves, ainsi que la convention de La Haye qui stipule notamment que les Etats parties doivent conserver toutes les informations relatives aux origines et aux circonstances de la naissance des enfants.

Des étapes importantes ont marqué ces dernières années la réflexion autour de l'accouchement secret et de l'accès à la connaissance des origines. Je citerais notamment quelques rapports.

Le premier rapport, qui me semble absolument fondamental et qui a peut-être tracé le premier la piste d'une solution médiane, axée sur la nécessité d'une rencontre des volontés et de la création d'un organisme indépendant chargé de veiller au rapprochement des parties ou au rapprochement des volontés - puisque l'on est dans le domaine de deux droits fondamentaux aussi irréductibles l'un que l'autre -, c'est le rapport "Statut et protection de l'enfant" du Conseil d'Etat de mai 1990. Le Conseil d'Etat a relevé l'égale légitimité des aspirations en conflit : la quête de vérité pour l'enfant, le droit au secret pour le parent. Il a plaidé pour la conciliation des droits, préconisé la création d'un Conseil pour la recherche des origines familiales et souhaité l'aménagement du régime du secret sur la base du principe de la rencontre des volontés du parent et de l'enfant.

Le rapport de la commission d'enquête parlementaire présidée par M. Laurent Fabius du 12 mai 1998 a passé au crible l'état des droits de l'enfant en France et préconisé la création d'un tel organisme, sans toutefois approfondir ses configurations et ses missions. Il a préconisé notamment la levée du secret durant la minorité de l'enfant, sous réserve du consentement de la mère, et la levée de plein droit de cette identité dès la majorité de l'enfant, sous réserve de la seule information de la mère.

Il faut citer également le rapport de Mme Irène Théry sur les réformes souhaitables en matière de droit de la famille, remis à Mmes Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, et Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, dans le cadre de la conférence de la famille de 1998, qui recommandait la suppression pure et simple de l'accouchement anonyme.

Enfin, le rapport Dekeuwer-Defossez, remis à la ministre de la Justice en septembre 1999, a élaboré un ensemble de recommandations visant à refondre le droit de la famille. Ce rapport a préconisé notamment d'abolir l'interdiction d'établir judiciairement la maternité en cas d'accouchement secret, donc de revenir sur les dispositions introduites par la loi du 8 janvier 1993. S'agissant de l'accès à la connaissance des origines et de l'accouchement secret qui figure dans le code de la famille et de l'aide sociale, notamment à son article 47, - j'utilise l'ancienne numérotation par commodité, mais ce code vient d'être refondu - le rapport a proposé simplement, en des termes très nuancés et très prudents, de réfléchir à des réformes du droit social, susceptibles d'aménager une troisième voie à côté de l'accouchement secret, de permettre un accouchement dans la discrétion ou dans la confidentialité et d'aménager une réversibilité progressive du secret.

Le groupe de travail, constitué en février 1999 à l'initiative du service des droits des femmes, avait pour principale mission d'analyser les questions laissées pendantes dans le débat public et d'apporter, dans la limite du mandat qui lui était fixé, des propositions alternatives à la tentation croissante qui semblait alors se faire jour, celle d'une suppression pure et simple de l'accouchement sous X, de l'accouchement secret.

Parmi ces questions pendantes, deux d'entre elles apparaissent majeures en la matière.

En premier lieu, la nécessité de sortir de la confusion permanente dans le débat des juristes, des experts ou des sociologues, comme dans les pratiques des acteurs sanitaires et sociaux, entre anonymat et secret, entre accès à la connaissance des origines et établissement de la filiation. Il faut aujourd'hui parvenir à établir la distinction fondamentale du point de vue juridique entre ces deux notions. L'accès à la connaissance des origines est sans effets juridiques et n'entraîne pas l'établissement de la filiation.

En deuxième lieu, il convient de connaître, de manière aussi fine et aussi actualisée que possible, les trajectoires, les motivations et les contraintes qui déterminent aujourd'hui le recours, dans une mesure qui reste statistiquement faible, à l'accouchement secret, dit sous X, dans les pratiques des maternités.

Ces accouchements qui concernaient environ 780 enfants en 1991, ont légèrement baissé et ne concernaient plus en 1999 que 560 enfants. Rapporté aux plus de 700 000 naissances annuelles, ce chiffre est certes en lui-même peu significatif, mais le reste fortement par la densité des enjeux symboliques qu'il soulève.

Selon des estimations du ministère de l'Enfance et de la Famille, on peut considérer qu'environ 400 000 personnes aujourd'hui peuvent être concernées par la question de l'accès à la connaissance des origines.

Le service des droits des femmes a donc tenté d'approcher au plus près les contraintes qui ont pesé sur les trajectoires des femmes ayant demandé le secret de l'accouchement et de redonner chair et sens à des histoires de vie, par définition forcloses, puisqu'elles n'existent plus, et que ces femmes n'ont jamais été mères, l'accouchement sous X étant un effacement, un déni juridique et social du fait même de la maternité. Il nous a semblé important de comprendre toutes celles qui étaient quotidiennement l'objet de jugements définitifs, sans que l'on prenne la peine d'analyser les motivations profondes de leur acte et les ordres de contraintes qui les ont conduites au recours, voulu ou non, à l'accouchement sous X.

Le groupe de travail a donc mené une enquête auprès de plus d'une centaine de maternités sur les accouchements secrets survenus entre 1994 et 1999, soit plus d'un millier d'accouchements. Ces données ont été complétées par de nombreuses auditions et un questionnaire adressé aux services d'aide sociale à l'enfance par le biais de l'Assemblée des Départements de France (ADF).

Je tiens à apporter quelques petites précisions sur la période de référence de cette enquête.

Dans le débat public, lorsque l'on parle d'accouchement sous X et de l'aspiration à connaître ses origines, il s'agit d'enfants devenus adultes et de situations largement passées, qui correspondent à des réalités survenues, la plupart du temps, il y a une trentaine d'années, voire plus. Il nous semble donc extrêmement important d'analyser les choses dans une perspective non pas faussement synchronique, faussement étale, mais dans une perspective diachronique, c'est-à-dire que nous voulons y réinjecter la temporalité : temporalité dans les histoires de vie, car la femme qui a demandé le secret de l'accouchement à un moment donné de son histoire, parce que cet enfant était impensable à ce moment-là, n'est plus forcément dans la même trajectoire de vie et n'est plus nécessairement dans le même état d'esprit vingt ans plus tard ; temporalité perceptible dans l'évolution des pratiques des intervenants en présence.

Par ailleurs, il nous a semblé que les pratiques des acteurs sanitaires et sociaux avaient une influence assez grande sur le recours à l'accouchement sous X, puisque nous nous sommes aperçu que, dans la majorité des cas, on proposait l'accouchement sous X, et non l'abandon, car cela représentait une solution de facilité. Il nous a donc semblé tout à fait important d'interroger les pratiques passées et présentes et de voir ce qui, au moins dans les cinq dernières années, avait motivé le recours à l'accouchement sous X.

Une réflexion a donc été menée également sur les pratiques des intervenants sociaux. Comme le rapport du Conseil d'Etat le mentionnait déjà, ces pratiques diffèrent sensiblement selon les départements pour des raisons diverses, notamment l'importance numérique des accouchements sous X et les moyens mis en _uvre. Cette disparité de pratiques est susceptible de porter en germe des ruptures d'égalité dans l'accès des femmes à l'information juridique et d'orienter leurs choix, ce qui entraîne des conséquences majeures sur le devenir des enfants et sur leur filiation.

Nous avons donc émis des préconisations en matière d'unification des pratiques d'accueil des femmes concernées, des pratiques de recueil et de conservation des secrets invoqués ainsi qu'en matière de formation, notamment la nécessité de formations conjointes des intervenants sanitaires et sociaux, car les personnels de maternité n'ont pas de formation et sont totalement démunis. Une naissance sous X est quasiment un non-sens dans une maternité, surtout au regard de la valeur symbolique de l'enfance aujourd'hui. Nous avons donc été conduits à proposer l'instauration d'un référent dans le cadre de chaque département chargé d'unifier ces pratiques.

Enfin, le groupe de travail s'est également attaché à approfondir une réflexion restée en jachère depuis les préconisations du Conseil d'Etat de 1990 sur la configuration juridique et les missions d'un Conseil national pour la recherche des origines. La création d'un tel organisme est aujourd'hui pleinement à l'ordre du jour, puisque le projet de loi portant création d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles viendra prochainement en débat.

Je voudrais à présent m'attarder quelque peu sur les principaux enseignements de l'enquête menée sur les situations des femmes concernées par l'accouchement sous X. Je voudrais préciser que l'échantillon est relativement faible puisqu'il s'agit d'une enquête menée sur une centaine de maternités. Néanmoins, ces données nous semblent suffisamment indicatives et significatives.

En termes d'âge, les deux tiers des mères de naissance ont moins de 25 ans. Une mère sur dix a moins de 18 ans. La part des femmes d'au moins 35 ans est d'environ 15 %. L'âge médian va de 21 à 24 ans. On peut en tirer deux principaux enseignements :

- d'une part, à peu près 10 % de mineures répertoriées dans cette enquête sont concernées par cet accouchement secret parce qu'elles n'avaient pu obtenir l'autorisation parentale pour accéder à l'IVG ;

- d'autre part, une mère sur deux a au plus 23 ans. Il s'agit donc de jeunes majeures, confrontées à toutes les difficultés de l'entrée dans la vie adulte que notre société connaît actuellement.

En termes de nationalité, l'enquête révèle une forte majorité de personnes de nationalité française, mais qui ont parfois des parents de nationalité étrangère. Une assez forte proportion, une forte minorité, voire une majorité, selon les maternités enquêtées et les années de référence, - la fourchette va de 25 % à 64 % des femmes concernées - sont maghrébines, soit par l'origine nationale de leurs parents, soit qu'elles aient elles-mêmes cette nationalité. Près de 10 % des mères qui demandent le secret sont originaires des territoires ou départements d'outre-mer et 10 % environ viennent des pays d'Afrique sud-saharienne.

Je voudrais souligner l'influence assez significative de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers sur l'accouchement sous X, notamment l'influence de l'exigence légale, aujourd'hui supprimée, d'être en situation régulière au regard du séjour pour pouvoir bénéficier d'une IVG. En effet, aucune pièce d'identité n'étant exigée pour l'accouchement sous X, il y a possibilité d'accoucher dans le secret, alors même que l'on est en situation irrégulière. Le même paradoxe vaut pour les mineures, puisqu'une mineure est juridiquement capable de reconnaître son enfant, d'accoucher sous X et de poursuivre le père aux fins de subside.

En termes de milieu social et d'insertion professionnelle, un quart seulement de ces femmes a un emploi déclaré ou un emploi au noir. Une minorité non négligeable d'entre elles est très jeune, de milieu moyen ou aisé, selon les travailleurs sociaux qui ont été interrogés, mais en tant que lycéennes ou étudiantes, elles sont dépourvues d'autonomie et de ressources propres.

Un autre indicateur est préoccupant. Au début des années 60, plus de 60 % des femmes abandonnant un enfant à la naissance avaient une profession non ou très peu qualifiée, et seulement 16 à 30 % étaient sans ressources. Elles sont 70 à 80 % sans ressources aujourd'hui à recourir à l'accouchement sous X.

En termes de circonstance de la grossesse, les cas où les grossesses sont issues de viols ou de rapports contraints ne sont pas absents des données recueillies. Ils ne sont cependant pas majoritaires. Ces données reposent sur les déclarations des femmes et demandent à être relativisées, car on ne sait pas dans quelle mesure le nombre de viols est surestimé ou sous-estimé. Il a pu être surestimé, car l'accouchement sous X apparaît, pour des femmes en grande détresse psychologique et se sentant jugées, comme une justification recevable de leur demande, ou, au contraire, il a pu être sous-estimé parce que, faute de suivi psychosocial ou d'accompagnement psychologique adapté, beaucoup de femmes ont du mal à déclarer ces viols, ou parce que les rapports contraints n'apparaissent pas toujours à certaines femmes comme des viols. Les cas d'inceste déclarés sont également rares au terme de l'enquête recueillie.

Près d'un quart des femmes qui ont accouché secrètement ont souligné l'impossibilité pour elles d'un recours à l'IVG pour des raisons légales ou financières. Cela regroupe les cas de mineures qui ont découvert très tôt leur grossesse, contrairement à ce que l'on dit habituellement du déni chez les mineures, ont consulté mais qui, devant l'impossibilité d'obtenir l'autorisation parentale, se sont enfermées dans le silence. Ces cas recouvrent également les étrangères en situation irrégulière, que je mentionnais tout à l'heure. Parmi les autres raisons légales d'impossibilité d'accès à l'IVG, figuraient également les cas de grossesse hors délai légal, difficultés prises en compte par l'actuel projet de loi sur l'IVG.

Enfin, parmi les raisons financières, il y a l'impossibilité d'aller à l'étranger recourir à une IVG, faute de pouvoir obtenir un visa ou faute de ressources.

Les trajectoires des femmes ayant recouru à l'accouchement sous X sont donc des trajectoires contrastées, mais qui mettent en évidence trois grands ordres de contraintes.

En premier lieu, elles reflètent le manque d'autonomie et les problèmes associés à la jeunesse et aux difficultés de l'entrée dans la vie adulte. Il s'agit de femmes jeunes et célibataires. Une sur deux a au plus 23 ans, alors que l'âge moyen de la maternité est aujourd'hui de 29 ans. Un quart au moins d'entre elles sont des mineures ou des jeunes majeures dont c'est la première grossesse et qui n'ont absolument pas d'autonomie en termes de ressources ou de logement propre.

Par ailleurs, un autre ordre de contrainte a trait à la précarité du statut lié à la législation sur l'immigration, mais également à la double contrainte des processus d'intégration. Un tiers environ de ces femmes, et la grande majorité de celles qui vivent encore chez leurs parents, appartiennent à une famille musulmane, originaire du Maghreb, un peu moins souvent d'Afrique sud-saharienne, où la grossesse hors mariage est un déshonneur. Elles sont prises dans l'étau de l'aveu impossible, sous peine du désaveu par le milieu familial d'origine qui, pour elles, représente encore un soutien, et un cadre de référence structurant, dans le processus d'intégration et d'insertion dans la société.

Enfin, dernier ordre de contraintes, l'isolement et la difficulté matérielle des familles monoparentales. Un tiers au moins de ces femmes sont des mères seules qui, bien que le plus souvent présentes sur le marché du travail, sont dans des conditions extrêmement précaires, ont des emplois peu qualifiés et se débattent dans de très grandes difficultés financières. Les plus jeunes ont déjà des enfants à charge et l'arrivée d'un autre enfant est proprement impensable dans les conditions qu'elles vivent. Les plus âgées, qui ont souvent plus de 35 ans, sont aussi souvent des femmes séparées, divorcées et qui ont subi des processus de violence dans le cadre de leur vie conjugale.

Le groupe de travail a élaboré un ensemble de propositions.

Il nous a d'abord semblé que le premier enjeu des accouchements sous X, avant même celui de la conciliation des droits, était de prévenir les grossesses non désirées. Cet enjeu a été fortement relayé par la première campagne sur la contraception qui vient de se dérouler, campagne qui va être relancée cette année et qui sera encore plus ciblée en direction des publics jeunes, en situation de grande précarité, voire en situation de rupture familiale et sociale. Cet enjeu est absolument majeur. Un autre enjeu pour prévenir les grossesses non désirées passe aussi par un accès amélioré à l'IVG. C'est tout le sens des dispositions du projet de loi examiné par le Parlement concernant les mineures qui ne peuvent pas bénéficier de l'autorisation parentale.

Le deuxième enjeu est celui de l'accès des étrangères en situation irrégulière à l'IVG. La réglementation a été modifiée en ce sens.

Une de nos propositions consiste à créer un dispositif cohérent d'accueil et d'accompagnement des femmes. C'est tout le sens de la nécessaire unification des pratiques d'accueil des personnes concernées, des pratiques de recueil et de conservation des secrets invoqués ainsi que de la nécessaire articulation de l'intervention des acteurs sanitaires et sociaux, personnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et personnels des maternités. C'est là un enjeu particulièrement crucial car les informations, notamment la qualité des informations données lors du premier accueil à la maternité, pèsent d'autant plus lourdement sur les conditions de choix des femmes - accouchement sous X ou abandon en laissant son nom - que ces femmes sont, la plupart du temps, dans une profonde ignorance du droit applicable et qu'elles se trouvent, par ailleurs, dans une situation de grande vulnérabilité psychologique et sociale.

L'enquête révèle bien et les auditions que nous avons menées également, notamment l'audition de l'association des mères de l'ombre, que, dans la plupart des cas, il s'agit d'un choix par défaut.

Pour toutes ces raisons, le groupe de travail a proposé la mise en place d'un référent, identifiable par chaque maternité d'un département, en charge de coordonner l'ensemble des actions relevant de l'accouchement secret : protocole d'accueil des femmes concernées, formation de l'équipe médico-sociale, coordination des relations avec les intervenants du service de l'aide sociale à l'enfance. Cette proposition a été largement reprise par le projet de loi portant création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

Enfin, en matière d'accompagnement psychologique et social, il nous a semblé extrêmement important d'être très vigilant sur les contenus des formations qui sont données à l'ensemble des acteurs qui interviennent en ce domaine, non seulement les acteurs institutionnels, mais également les acteurs associatifs.

Dernière proposition : la création d'un Conseil national pour la recherche des origines familiales. Il nous a semblé que le temps était venu, plus de dix ans après cette préconisation par le Conseil d'Etat, de créer un Conseil national pour la recherche des origines familiales.

Ce Conseil ne serait pas une autorité administrative indépendante, mais il aurait une autorité morale et disposerait d'un pouvoir d'investigation auprès des départements et d'un pouvoir d'unification des pratiques, en recommandant notamment aux départements un certain nombre de protocoles et de procédures d'accueil des femmes concernées, de recueil et de conservation des secrets invoqués. Ce Conseil pourrait également recevoir l'ensemble des demandes d'accès à la connaissance des origines, mais aussi les demandes de levée du secret formées par les mères elles-mêmes puisque, dans un certain nombre de cas, on nous a rapporté que des mères se présentaient dans des services et demandaient à lever le secret, comme la "loi Mattei" de 1996 leur en donne le droit, et qu'on leur opposait à ce moment-là l'irréalité même de leur accouchement, puisqu'il s'agissait d'un accouchement sous X. Nous avons entendu beaucoup de femmes nous dire qu'elles n'avaient pas eu la possibilité de lever le secret.

Enfin, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles pourrait être chargé d'une mission de médiation entre les parties puisque les débats sont assez tranchés entre les partisans d'une levée inconditionnelle du secret de l'identité et ceux qui estiment qu'aujourd'hui la société ne doit pas nécessairement prendre parti, mais qu'elle doit, après avoir contribué à organiser le déni social de l'accouchement, parvenir à articuler secret et transparence et à concilier deux droits, les droits des femmes et les droits des enfants. Cette mission de médiation entre les parties permettrait de ne pas attenter au droit au respect de la vie privée consacré par l'article 9 du code civil.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Votre rapport est très riche et comporte une première partie qui présente la complexité juridique de la législation relative à l'accouchement sous X. A ce sujet, je souhaiterais savoir s'il ne conviendrait pas d'unifier les dispositions législatives, qui se trouvent actuellement dans le code de la famille, dans le code de la santé publique et dans le code civil, ce qui permettrait une meilleure lisibilité des textes.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : J'ai bien aimé votre conclusion. Il est évident que le chemin est extrêmement difficile et très étroit. La levée inconditionnelle du secret me paraît totalement irréaliste. De toute façon, on peut toujours le dire, l'écrire et légiférer sur cette question, nous aurons malgré tout, toujours, sous une forme ou sous une autre, des accouchements sous X.

Même si je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut prévenir au maximum les grossesses non désirées, même s'il faut accompagner les femmes, dialoguer - c'est prévu d'ailleurs dans le projet de loi - et faire en sorte qu'elles n'accouchent pas totalement sous X, mais qu'elles laissent un certain nombre de renseignements identifiants et qu'on les éclaire bien sur les conditions dans lesquelles ces renseignements sont recueillis et pourront ensuite être éventuellement divulgués, on aura toujours des accouchements sous X.

Si la loi est trop coercitive, on retrouvera les "tours" tels qu'ils sont en train de revenir en Allemagne ou en Autriche. Ma position est donc extrêmement pragmatique. Je considère que le projet de loi est extrêmement équilibré.

D'après les témoignages que j'ai recueillis, j'ai bien compris - cela a été une découverte - la souffrance terrible, incommensurable des enfants nés sous X et des personnes qui ignorent leurs origines. Il faut donc, autant que faire se peut, essayer de recueillir des renseignements sur ces enfants pour qu'ils puissent en disposer ultérieurement, mais ne pas obliger les mères à se dévoiler et leur laisser la possibilité d'accoucher dans la totale confidentialité malgré tout. Ce n'est pas très satisfaisant, mais c'est un compromis.

Mme Fériel Kachoukh : Le service des droits des femmes et de l'égalité a contribué à l'élaboration de ce projet de loi qui est un texte de compromis et de recherche d'équilibre. Nous sommes dans un domaine qui a donné lieu, ces dernières années, à de très gros débats sur la souffrance et sur les droits de l'enfant, avec parfois d'ailleurs quelques dérives, parce que les droits de l'enfant étaient insuffisamment compris et que l'on en faisait l'alfa et l'oméga de toute lecture juridique d'un certain nombre de textes. On a aussi régulièrement opposé les droits des femmes et les droits des enfants.

Ce qui nous est apparu en analysant à fond ces questions, c'est qu'il y avait des enjeux très forts - des enjeux et des mutations - notamment au niveau de l'adoption, par rapport à l'accouchement sous X. Au service des droits des femmes, nous sommes toujours persuadés qu'il faut préserver absolument le secret de l'accouchement, car il y a des situations où le secret est nécessaire et vital. Il participe de l'ensemble des droits des femmes. Il participe notamment, en termes de préservation du secret, du droit inviolable au respect de la vie privée et des libertés individuelles.

En même temps, pour avoir entendu nombre de femmes, et notamment l'association des mères de l'ombre, nous avons aussi entendu que ce n'était pas forcément, dans beaucoup de situations, tant les droits des femmes que l'on cherchait à préserver que l'honneur des familles. Il s'agit dans la plupart des cas de milieux sociaux très précaires, défavorisés. On est vraiment dans un domaine de processus d'exclusion. Peut-être que l'acte, mais je ne voudrais pas interpréter l'acte d'accoucher sous X, est un aboutissement de ce processus d'exclusion. En gardant les dispositions telles qu'elles sont, on risquait de contribuer à organiser implicitement, de façon socialement invisible, une forme de "transfert" d'enfants de milieux défavorisés vers des milieux plus favorisés.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Favorisés, mais sans enfant.

Mme Fériel Kachoukh : Mais favorisés financièrement. De ce point de vue, les esprits sont plus mûrs, car il y a eu une évolution notable des débats et des attentes. Il me semble que nous sommes au milieu du gué. C'est un texte de compromis, mais c'est un compromis courageux, car il cherche à articuler étroitement les droits des uns et les droits des autres et il cherche à ouvrir la voie vers la réversibilité accompagnée du secret.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Dans les services de gynécologie, on m'a dit que c'était les maghrébines qui accouchaient sous X. Le confirmez-vous ?

Mme Fériel Kachoukh : Je le confirme en partie. Il y a beaucoup de jeunes filles françaises de parents de nationalité maghrébine (des trois principaux pays du Maghreb), qui sont prises dans la double contrainte des processus d'intégration que j'ai déjà évoquée ; il y a également un pourcentage non négligeable de maghrébines - entre 25 et 60 % - selon les départements, qui s'explique aussi par le fait qu'un certain nombre de femmes étaient en situation irrégulière et ne pouvaient pas accéder à l'IVG.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne la recherche de la connaissance des origines, c'est bien entendu la mère qui est la première concernée puisqu'elle a accouché. Certains pères sont parfois au courant, d'autres ne le sont pas ; en tous cas, les pères n'ont pas la possibilité, ou alors c'est extrêmement difficile, de faire une recherche en paternité. Il me semble d'ailleurs que cette recherche est plus d'ordre contentieux que gracieux. Dans le souci d'un texte équilibré, ne devrait-on pas préciser le projet de loi et permettre une recherche en paternité d'ordre gracieux, et pas seulement pendant les deux premières années de la naissance ou les deux premières années de la majorité ?

Dans le cadre de la procréation avec tiers donneur, notamment dans le cas de dons de sperme, cette recherche de la connaissance des origines, ne peut-elle pas conduire à une remise en cause de l'anonymat ?

Qu'est-ce qui vous semble être un préjudice pour l'enfant ? Est-ce la non-connaissance de ses origines ou est-ce le fait de sa filiation et, donc, de ne pas avoir pu être élevé par l'un ou l'autre ou les deux parents ?

Vous dites dans votre rapport qu'il y a un certain nombre de jeunes femmes en galère qui accouchent sous X. Il y a de plus en plus de jeunes femmes SDF et de jeunes femmes qui accouchent dans la rue. Avez-vous observé ce phénomène ?

Mme Fériel Kachoukh : La dispersion des textes se justifie par des raisons historiques. On a procédé par sédimentations successives. Le texte fondateur de l'accouchement secret, c'est l'article 47 du code de la famille et de l'aide sociale. Ensuite, en 1993, on a rajouté dans le code civil la loi du 8 janvier 1993 qui devait mettre notre droit interne en conformité avec la convention internationale des droits de l'enfant : elle a notamment institué le juge aux affaires familiales, l'audition de l'enfant en justice et l'autorité parentale partagée ; elle a également introduit dans le code civil la possibilité d'accoucher dans le secret, mais aussi l'impossibilité d'établir judiciairement la maternité dans le cadre d'un accouchement dans le secret.

La possibilité pour toute femme d'accoucher dans le secret est rédigée de façon assez vague, car on ne sait pas si cette femme peut être mineure ou majeure, si elle doit être mariée ou non mariée. Il y a là une ambiguïté et la doctrine est très divisée là-dessus. L'impossibilité d'établir judiciairement la maternité, dès lors que la femme a accouché dans le secret est une impossibilité de fait ; auparavant il fallait apporter des éléments de preuve, ce qui était très difficile dans le cadre de l'accouchement sous X, puisque, par définition, il n'y a pas eu d'accouchement, mais il n'empêche que l'action était ouverte, alors que maintenant elle est absolument fermée. Cette impossibilité d'établir judiciairement la maternité empêche par ricochet d'établir la paternité.

L'admission en milieu hospitalier est réglementée par le code de la santé publique. Ce texte est tombé d'ailleurs largement en désuétude et va être abrogé par l'effet du projet de loi qui concerne l'admission en milieu hospitalier des femmes demandant le secret lors de l'accouchement.

Le principal objet du projet de loi est de créer un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. Il organise ensuite de façon beaucoup plus cohérente, unifiée, la réception des demandes d'accès à la connaissance des origines, la réception des demandes de levée du secret formé par le parent concerné, les conditions d'admission et d'accueil des personnes qui demandent le secret, et la désignation d'une personne référente qui coordonnera l'ensemble de ces actions. Cet organisme est national et il peut être habilité - sans pouvoir d'injonction - à indiquer à l'ensemble des départements, qui sont responsables des service d'aide sociale à l'enfance, l'ensemble des procédures qui lui semblent propres à garantir les droits des personnes et à prévenir les ruptures d'égalité nées de la diversité des pratiques. Tout cela va former un tout cohérent et va permettre qu'a minima, dans le droit social - puisque ce sont les codes de la famille et de l'aide sociale qui sont concernés -, il y ait des dispositions plus uniformes et, donc, plus lisibles car, vous le soulignez à juste titre, la dispersion, mais aussi la complexité des textes dans leur articulation entre eux a amené des grandes difficultés d'interprétation de la part des principaux acteurs et bien entendu de grandes confusions.

Sur les aspects relatifs au droit civil, une réflexion sur l'ensemble des dispositions relatives à la filiation est actuellement en cours.

Il n'y a pas d'ouverture sur la filiation, paternelle ou maternelle, dans cette problématique de connaissance des origines. Nombre de pères, on l'a vu dans l'enquête, ne sont pas au courant de la demande d'accouchement secret. C'est un phénomène qu'il ne faut pas nier, mais qu'il faut situer dans un contexte de revendications sociales croissantes des associations de pères.

Je voudrais souligner, d'après les données recueillies, que, dans ce contexte d'abandon avec accouchement secret, on peut constater que l'abandon premier est le fait de l'homme. Majoritairement, il s'agit de femmes qui ont d'abord été abandonnées par leur conjoint ou leur concubin ou leur compagnon de passage. Certaines vérités sont bonnes à rappeler.

Il nous a semblé très important, à cause de cette impossibilité d'établissement de la paternité du fait de l'empêchement de l'établissement de la maternité, de poser le problème des reconnaissances anténatales. En effet, elles ne peuvent produire d'effets juridiques, car il faudrait que le père puisse reconnaître l'enfant à la naissance et puisse dire : "Mon enfant est né dans telle maternité, tel jour à telle heure." Mais précisément, il ne peut le faire, puisque l'enfant n'est pas son enfant et que l'accouchement n'a pas existé. D'ailleurs, une affaire célèbre a été jugée par la Cour d'appel de Riom, il y a à peu près trois ans, sur cette question. Cela représente une affaire sur plusieurs centaines d'accouchements sous X. Aujourd'hui, travailler sur l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, entre les pères et les mères, c'est aussi travailler sur l'égale prise de responsabilité des deux parents, que ce soit dans le couple ou dans l'après couple ou dans le hors couple. C'est un enjeu fondamental. Nous avons voulu dans cette démarche d'égalité, favoriser les droits du père, du moins, lorsqu'il souhaite les exercer.

Cette importance des reconnaissances prénatales paternelles était prise en compte dans la toute première mouture du projet de loi qui a été déposé par le Gouvernement. En raison de la confusion possible entre accès à la connaissance des origines et établissement de la filiation, il nous a semblé nécessaire, après réflexion et après examen du texte par le Conseil d'Etat, d'enlever de l'ensemble du projet de loi toutes les dispositions ayant des incidences sur le droit de la filiation et de ne travailler que sur la reconnaissance de la légitimité d'une aspiration qui devient croissante et très forte, celle de la connaissance des origines.

La chancellerie prépare parallèlement un projet de réforme du droit de la famille, dans lequel devrait figurer cet aspect.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Il faut des preuves biologiques. N'importe qui ne peut pas reconnaître n'importe quel enfant.

Mme Fériel Kachoukh : Oui, mais il y aura certainement encouragement des reconnaissances anténatales et vérification à ce moment-là par le Conseil national des origines qui aura recueilli dans la plus grande confidentialité un certain nombre de données. Sous réserve d'un examen comparé des sangs, la paternité pourra donc être établie à la demande du père. Il faut cependant remarquer que les pères ne sont pas très nombreux à demander l'établissement de cette paternité.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : On peut à la limite avoir une reconnaissance anténatale par le père d'un enfant dont la mère accouchera sous X. On peut arriver à séparer complètement les deux démarches.

Mme Fériel Kachoukh : Cet enfant ne sera jamais dépourvu de filiation. Comme l'adoption plénière crée le lien de filiation et fait obstacle à toute restitution à la famille d'origine, il y aura certainement des conjonctions à trouver entre le délai de remise d'un enfant à l'ASE et le délai à partir duquel il pourra être remis en vue d'adoption.

Mme Marie-Thérèse Boisseau : Ce sera quand même à mon avis des cas extrêmement rares.

Mme Fériel Kachoukh : Tout à fait.

Vous m'avez aussi demandé si les avancées en matière de recherche de la connaissance des origines pourraient remettre en cause le principe d'anonymat dans la procréation avec tiers donneur. Ce débat existe dans plusieurs pays d'Europe. Il n'est pas absent dans notre pays, puisque le Comité consultatif national d'éthique a eu à se prononcer sur cette question. Nous ne sommes pas sur une optique de vérité absolue et de prétendue pureté des origines, mais il est très possible que cette brèche dans la connaissance des origines puisse être suivie d'autres.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je ne vois pas comment on fait le distinguo d'un point de vue rationnel.

Mme Fériel Kachoukh : Les dispositions qui les régissent ne sont pas les mêmes sur le plan juridique. Mais sur le plan rationnel, vous avez raison. Le raisonnement poussé à l'extrême aboutit à une analogie, non pas de situation, mais de perspective, en matière d'origine. Dans un cas, le géniteur est virtuel et l'on parle de super-filiation, tellement elle est abstraite et verrouillée. Dans l'autre cas, le géniteur, particulièrement la génitrice, a bien existé et a porté l'enfant.

Vous m'avez également demandé quel était exactement le préjudice pour l'enfant, si c'était la non-connaissance de ses origines ou le fait même de la filiation, c'est-à-dire de ne pas être élevé par ses parents de naissance.

Je ne suis pas pédagogue, donc, je ne voudrais pas me prononcer de façon très nette sur le préjudice pour l'enfant, sachant que, par ailleurs, juridiquement, la notion de l'intérêt de l'enfant a des contenus assez peu stabilisés.

J'ai entendu de très nombreux enfants adoptés, beaucoup d'associations. Nous avons souhaité au service des droits des femmes et de l'égalité que notre groupe de travail, qui était un groupe de travail administratif, regroupe aussi des personnes qui étaient opposées à l'accouchement sous X. Nous n'avons pas voulu faire un groupe de travail monolithique, mais permettre que des divergences s'expriment au sein même du groupe.

Le préjudice pour l'enfant n'est pas tant l'établissement de la filiation, car l'enfant a une filiation et que - hormis le cas des enfants très lourdement handicapés qui eux ne seront jamais adoptés et demeureront dans les services de l'ASE - tous les enfants qui sont nés sous X ont été adoptés et m'ont tous affirmé avoir eu une enfance absolument heureuse. Non, le préjudice, c'est, fondamentalement, celui d'une béance identitaire sur les circonstances de sa naissance. C'est celui de ne pas détenir un secret qui est détenu par d'autres, par un tiers, par une administration le plus souvent. C'est celui de ne trouver aucune trace et d'être dans un système de vérité non partagée. C'est proprement ravageur. Quand on sait d'où l'on vient, on peut beaucoup plus facilement faire le deuil de ce que l'on a été, de ce que l'on n'a pas été et de ce que l'on n'a pas eu. Lorsque l'on ne sait pas, on a simplement le vide confronté à soi. Très souvent, le trouble s'aiguise énormément au moment de donner soi-même naissance à un enfant. Le nouveau géniteur, enfant venu de nulle part, ne sait pas quelle est la place dans l'ordre des générations de ce nouvel enfant.

En ce qui concerne le nombre de jeunes femmes en galère, SDF, etc ..., il y a une montée évidente et préoccupante de ce phénomène. Il y a des solutions à mettre en place, non pas seulement dans le cadre de ce projet, mais dans le cadre d'une politique plus globale de lutte contre les exclusions et de prévention des processus de précarité et d'exclusion.

Ce phénomène nous a conduit à réfléchir au renouvellement de la campagne d'information sur la contraception et à cibler plus particulièrement les jeunes qui sont en déficit d'information, qui sont sortis de tous les dispositifs et qui sont, en rupture familiale et sociale. C'est effectivement un enjeu fondamental aujourd'hui.

Mme Hélène Mignon : Je rejoins plusieurs de vos remarques. En ce qui concerne le problème des enfants adoptés, le plus douloureux, c'est le fait de ne pas savoir d'où l'on vient et aussi de ne pas savoir pourquoi on a été abandonné. Je ne sais pas si vous avez des chiffres, mais avez-vous entendu des enfants adoptés parler de la recherche de leur père ?

Mme Fériel Kachoukh : Très rarement.

Mme Hélène Mignon : C'est assez étonnant. J'ai posé la question aux enfants en leur disant : vous ne parlez jamais du père, toujours de la mère. Pourquoi ? Ils ont été assez interloqués. C'est probablement lié à l'image de la grossesse, de la mère.

En ce qui concerne les jeunes femmes et la rue, c'est en travaillant sur la loi contre les exclusions que je me suis rendu compte que l'exclusion concernait beaucoup de jeunes femmes, de plus en plus. J'ai rencontré de nombreux responsables de centres d'accueil qui m'ont dit que leur grossesse n'était pas suivie, car on s'en apercevait souvent au dernier moment. Par ailleurs, si l'on s'en aperçoit un mois ou deux avant l'accouchement, et qu'on les amène dans des résidences pour jeunes femmes enceintes, elles sont coupées du père, et donc, après l'accouchement, le père n'est plus là, car il est parti en errance ailleurs. Il y a souvent un ressenti contre le père qui va se manifester contre l'enfant. En même temps, il y a la peur d'amener ces enfants à un suivi de PMI de peur qu'on leur dise que l'enfant n'est pas bien avec elles dans la rue ou dans le squat et qu'on va le placer.

Actuellement, il y a non seulement des jeunes hommes et des jeunes femmes, mais il y a également de jeunes bébés dans la rue, avec tout ce que cela comporte de risques pour la santé physique et mentale. C'est un souci prégnant. Dans tous ces centres d'accueil, quand on arrive à ramener des jeunes dans l'insertion, il y a très rarement des lieux qui accueillent les jeunes couples. C'est un questionnement.

Quand vous parlez de campagnes de contraception, le malheur est que ces jeunes femmes-là ne vont pas être jointes par ces campagnes. Elles ne lisent pas, elles n'écoutent pas la télévision. Il y a une consultation à l'Hôtel Dieu qui reçoit tous les jeunes en grande difficulté ; le nombre de jeunes qui n'ont aucune notion de contraception est très important.

Mme Fériel Kachoukh : Ce sont effectivement des problématiques qui sont prises en compte dans le cadre de la préparation du plan national de lutte contre les exclusions, d'autant que la PMI a une mission importante, réaffirmée par la loi de lutte contre les exclusions, d'accompagnement des jeunes mères démunies et des jeunes filles enceintes démunies. Il nous semble absolument fondamental d'amplifier ces efforts d'accompagnement social.

S'agissant du ciblage des jeunes qui n'écoutent pas la télévision et sont dans la désocialisation la plus complète, nous proposons d'aller vers les populations les plus désocialisées, car elles ne vont pas vers les messages et ne sont pas en mesure, pour différentes raisons, de capter ces messages.

Sur la dissociation des couples dans l'errance, ces problématiques paraissent d'autant plus importantes que, dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, l'accompagnement et les moyens mis en _uvre, déjà importants, doivent être développés. Il nous paraît très important de ne pas dissocier le couple, mais il y a aussi dans ces couples beaucoup de phénomènes de violence à l'encontre des femmes, sur lesquels il convient de garder la plus grande vigilance.

Audition de M. Pierre Verdier, président

et Mme Nathalie Margiotta, secrétaire générale de la Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines (CADCO)

Réunion du mardi 27 mars 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous accueillons M. Pierre Verdier, président et Mme Nathalie Margiotta, secrétaire générale de la Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines (CADCO).

Cette Coordination, qui regroupe un certain nombre d'associations représentant les pupilles de l'Etat, les enfants nés sous X, les mères d'enfants nés sous X, milite en faveur du droit de toute personne à connaître son histoire et souhaite la suppression de la possibilité d'accoucher sous X et celle de demander le secret de l'identité.

Monsieur Verdier, vous êtes un ancien directeur de DDAS. Vous avez écrit de nombreux manuels sur l'aide sociale à l'enfance et vous avez publié de nombreux ouvrages qui ont tous pour thème les droits de l'enfant, l'adoption ou l'accouchement sous X.

Le projet de loi sur l'accès aux origines déposé le 17 janvier à l'Assemblée nationale cherche, dans la situation douloureuse que représente l'accouchement sous X, à concilier deux droits qui sont le droit à la connaissance pour les enfants et le droit à l'anonymat pour les mères. Ce texte représente une avancée certaine par rapport à la situation actuelle, même s'il ne va pas aussi loin que vous le souhaitez.

Nous aimerions connaître votre analyse du texte du projet de loi dont nous aurons en principe à débattre au printemps, vos propositions d'amélioration et de modification.

Par ailleurs, nous aimerions que vous nous exposiez concrètement les difficultés rencontrées aujourd'hui par les enfants nés sous X ainsi que par les mères de ces enfants pour obtenir des informations. Nous souhaiterions que vous nous présentiez une sorte de bilan des retrouvailles mère/enfant dont vous avez connaissance à votre Coordination. Par ailleurs, nous aimerions savoir comment se pose la question du père.

M. Pierre Verdier : J'ai eu connaissance des problèmes de connaissance des origines en tant que directeur de DDAS. Je préside encore le Conseil de famille des pupilles d'Etat de Paris. J'ai été pendant longtemps membre du Conseil supérieur de l'adoption. C'est à ce titre-là que j'ai rencontré des adoptants, puis les enfants qui sont en quête de leur histoire. Dans la démarche d'adoption, contrairement à tout ce que l'on dit, c'est d'abord le point de vue des adoptants qui est entendu, même si cela commence à changer quelque peu. C'est ainsi que j'ai pu m'intéresser et m'impliquer très fortement dans ces questions.

Dans la plupart des pays du monde, la naissance établit un lien de filiation entre la personne qui accouche et l'enfant. Chez nos voisins Belges, Anglais, cela paraît évident que celle qui accouche est la mère.

En France, ce n'est pas ainsi. En France, on peut faire comme si la mère n'avait pas existé, et a fortiori le père, puisqu'en général on ne peut connaître le père que par la mère. Dans le langage courant, on dit qu'un enfant n'a pas de père, alors que l'on devrait dire que son père est inconnu, puisqu'en effet on a toujours un père et une mère de naissance.

Je ne vais pas revenir sur le dispositif français, qui est un système juridique d'une telle complexité que même les spécialistes et les juristes ne sont pas toujours d'accord entre eux sur l'interprétation à donner. Tantôt on parle de secret de la filiation, tantôt du secret de la naissance ou du secret de l'identité. Les textes sont faits de sédiments successifs que l'on n'a jamais pris le temps de réécrire. Malgré les améliorations qui ont pu être apportées par la "loi Mattei", les textes contiennent encore beaucoup d'approximations et de termes flous.

Par exemple, s'agit-il de secret ou d'anonymat ?

Dans les textes, l'accouchement peut être secret, mais pour nous, le secret c'est le contraire de l'anonymat. Le secret est un savoir caché à autrui. Le secret commence avec le savoir, alors que l'anonymat est une absence de savoir. Dans les textes, on prévoit que la mère peut demander le secret de son identité, ce qui veut dire qu'une information est recueillie et est tenue secrète, alors que, dans la pratique, très souvent, l'accouchement est anonyme. Or, si l'on peut prévoir des modalités d'accès à un secret, cela devient impossible lorsqu'il y a anonymat.

Il en découle des diversités de pratiques suivant les départements et les lieux, car chacun interprète les textes, quelquefois même complètement à l'opposé de ce qu'a prévu le législateur. Par exemple, la "loi Mattei" a prévu que les personnes qui remettaient leur enfant à l'aide sociale à l'enfance pouvaient laisser des informations ne portant pas atteinte au secret, ce que l'on appelle des renseignements non identifiants. Ce terme n'apparaît pas dans la loi, mais il figure dans le rapport Mattei. En conséquence, certains départements disent que le droit de laisser des renseignements identifiants n'existe pas. Nous en avons des exemples. Certains départements refusent qu'une mère laisse une photo d'identité ou une lettre. Ils font une interprétation de la loi.

De même, cette loi prévoit que les femmes peuvent à tout moment revenir sur la demande de secret. Cela représente un progrès car, si cela a toujours existé, ce n'était pas écrit dans la loi. Dans certains départements, l'on dit à une mère accouchée sous X : "Prouvez que c'est vous qui avez accouché sous X, il y a 17 ou 20 ans." Or, faire la preuve d'un accouchement sous X antérieur à 20 ans est extrêmement compliqué. Dans un cas, qui s'est passé à Nanterre, on a quand même pu le prouver, car on a pu faire attester par un médecin qu'elle avait bien accouché à cette époque-là.

Ces lois sont tellement mal écrites que les interprétations sont très souvent restrictives.

Cela entraîne des souffrances très importantes et des difficultés pour les personnes auxquelles la loi refuse l'accès à leur identité. D'après notre expérience, ni les enfants, ni les mères ne s'en remettent jamais. Notre association compte 1.400 personnes qui font preuve d'une énergie extraordinaire. C'est le combat de toute leur vie. Parfois, elles ne peuvent faire autre chose tant qu'elles n'ont pas pu se réconcilier. Dans les exemples les plus heureux -je pense à certains qui m'ont envoyé un faire-part de naissance après avoir pu rencontrer leur mère- ils n'ont pu investir dans l'avenir que lorsqu'ils ont pu résoudre les problèmes passés.

Des modifications sont maintenant possibles pour plusieurs raisons. Je voudrais en citer trois.

Pour la première fois depuis plusieurs années, les personnes intéressées commencent à parler. Pendant longtemps - et j'ai vécu cette époque-là, puisque cela fait près de 30 ans maintenant que je suis à la DDAS - ce sont des spécialistes qui en parlaient à la place des intéressés. D'éminents psychiatres ont dit que connaître son origine ne sert à rien, que c'est une quête commune à toute personne. Depuis dix ans maintenant, les intéressés, c'est-à-dire des abandonnés, des adoptés, ont commencé à parler. Pendant longtemps, on a pensé que les abandonnés n'avaient pas à parler, car ils n'avaient rien à dire. Aussi, par exemple, parmi les membres du Conseil supérieur de l'adoption, on avait prévu des adoptants et des organismes d'adoption, mais on n'avait pas prévu les adoptés. Cela vient d'être modifié tout récemment par la loi sur l'adoption internationale. On pensait toujours que les adoptés restaient des bébés. Seulement les adoptés ont grandi et aujourd'hui ils savent parler. D'ailleurs, ils nous disent que leurs parents sont leurs parents adoptifs, mais cela ne les empêche pas de vouloir connaître leur histoire et leur origine.

Je me suis beaucoup occupé de l'accès au dossier et j'ai reçu beaucoup de gens qui venaient consulter leur dossier. Il y a trois phrases que j'ai entendues avec une grande insistance : "On voudrait savoir qui l'on est. On est moins que les autres, puisque l'on ignore notre origine. Ce n'est pas juste."

Ils sont blessés à ces trois niveaux. Au niveau de l'identité, parce qu'ils ne savent pas qui ils sont. L'identité, c'est aussi notre origine. Dans toute notre culture occidentale, on est défini par notre origine. Si vous sortez votre carte d'identité, il y a un nom, un lieu de naissance. Quand on ne sait pas d'où quelqu'un vient, on ne sait pas qui il est.

Ensuite, ils disent : "on est moins que les autres puisque l'on ne sait pas qui l'on est". C'est très dévalorisant. D'ailleurs, certains nous disent qu'ils étaient traités de bâtards dans les cours d'école. Si vous n'avez pas été aimé par vos parents, vous n'êtes pas digne d'être aimé par la société. C'est inconsciemment très fort.

Puis, il y a le sentiment d'injustice ; ce qui est grave, ce n'est pas seulement de ne pas savoir, mais c'est de ne pas savoir ce que les autres savent. Le fait qu'il y a dans un dossier une information essentielle pour vous que l'on vous cache, est vécu avec un sentiment de révolte.

Récemment, vous avez pu voir comme moi sur la chaîne Arte un film qui s'appelait "Tu n'es pas un ange" qui montrait les consultations des dossiers à la DDAS de Strasbourg. Ce sont des pratiques absolument condamnables et d'ailleurs illégales. L'attaché territorial recevait les usagers, il avait les dossiers devant lui et les personnes en face de lui ; il leur disait qu'il y avait des choses dans le dossier mais qu'il ne pouvait pas les dire. C'est scandaleux. La loi prévoit un droit d'accès.

Le sentiment d'injustice est de ne pas avoir accès aux informations qui vous concernent et que quelqu'un d'autre que vous sait.

Les choses peuvent changer car, maintenant, les usagers, c'est-à-dire les adoptés, mais aussi les mères, parlent. Il a fallu un sacré courage à ces femmes pour sortir de l'ombre. D'ailleurs, le nom de leur association est "Les mères de l'ombre". Elles aussi, très souvent, sont des victimes et ont énormément de mal à se remettre.

Une deuxième raison d'un possible changement tient aux différents rapports officiels sur le sujet, depuis le rapport Fabius jusqu'au rapport d'Irène Thery, et plus timidement le rapport Dekeuwer-Defossez.

La troisième raison d'un changement est que nous sommes en défaut par rapport à nos engagements internationaux, notamment la convention internationale des droits de l'enfant et la convention de La Haye. La convention des droits de l'enfant prévoit que l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

M. Pierre Verdier : Dans la mesure du possible, cela veut dire pour nous dans la mesure du matériellement possible. Un enfant a le droit d'être élevé par ses parents. Si ses parents sont morts, bien sûr, ce n'est pas possible. Dans la mesure du possible, cela ne veut pas dire dans la mesure où cela nous intéresse et nous arrange.

A la CADCO, nous pensons qu'il y a moyen de concilier dans le droit français, comme dans beaucoup de pays voisins, des droits qui sont des droits réels, c'est-à-dire le droit de la mère qui accouche -je l'appelle la mère, d'autres auteurs, par exemple Catherine Bonnet, disent la femme qui accouche car elle a refusé d'être mère, mais même le code civil dans son article 341-1 parle de la mère pour celle qui accouche dans le secret- à le faire dans la discrétion, les droits de l'enfant à connaître son histoire et les droits des adoptants à une certaine tranquillité. Nous pensons que ces droits ne s'opposent pas, et qu'il y a moyen de les concilier.

Mme Nathalie Margiotta. Je suis née sous X, et je suis absolument contre l'accouchement sous X.

On dit souvent que l'accouchement sous X est un droit des femmes. Depuis environ cinq ans, j'ai beaucoup entendu les mères. Je me demande si elles ont vraiment exercé une liberté ou si elles ont subi une contrainte. Celles que je connais, dans leur grande majorité, ont subi une violence au moins égale à celle que l'on afflige à un enfant né sous X que l'on prive de son histoire : pression familiale ou sociale, grande détresse morale et financière, pas nécessairement financière d'ailleurs, solitude, méconnaissance de la langue française, voire analphabétisme ; bien des circonstances ont fait de ces femmes des proies pour des rabatteurs d'enfants nés sous X, notamment de certaines _uvres privées, dont on commence à découvrir les méfaits aujourd'hui. Il ne faut pas oublier que certaines _uvres ont eu un intérêt financier à avoir le plus possible de nourrissons sous  X.

Avant l'accès à la contraception et à l'IVG, la pression sociale dans certains milieux - qu'ils soient d'ailleurs très simples, très modestes ou très bourgeois - était tellement forte, le poids de la honte était tellement immense que nos mères n'ont vraiment pas eu le choix.

Si vraiment certaines d'entre elles ont exercé un droit ou en tout cas une liberté, je me pose la question dans ce contexte du devoir d'une mère puisque, quand on accouche, on est mère. C'est une expérience que j'ai vécue.

On est tous d'accord, les nés sous X et les autres : l'accès à la contraception et à l'IVG sont, après des années de combat, des acquis du féminisme dont nous sommes les bénéficiaires directs.

Mais, il nous semble qu'un mouvement comme le Planning familial fait fausse route quand il assimile l'accouchement sous X avec le droit des femmes à disposer de leur corps. Il y a une différence entre un embryon et un nourrisson. Une décision d'anonymat lèse un tiers, l'enfant de la femme qui a accouché.

Je crois que l'on est responsable des enfants que l'on met au monde et que fournir une identité constitue un minimum pour donner une chance à un enfant de se construire sur des bases solides. Je réclame cela en tant que femme, en tant que mère, car mon petit garçon ne connaît pas 50 % de son patrimoine génétique et notamment son hérédité médicale, ce qui me paraît tout à fait inacceptable. Quand vous allez chez la gynécologue lorsque vous êtes enceinte ou chez le pédiatre, on vous pose la question : de quoi sont morts vos parents ? C'est plus que pénible de répondre toujours : je ne sais pas, je suis née sous X. En tant que femme, en tant que mère, je ne reconnais pas à ma mère le droit de me priver de mon histoire.

Par ailleurs, je n'éprouve aucune rancune envers elle, car je connais bien son histoire désormais.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Chacun d'entre nous a un regard sur cette question-là, mais on ne peut pas imposer ce regard-là à l'ensemble de la société.

Mme Nathalie Margiotta : Seuls les intéressés peuvent dire qu'ils ne sont pas d'accord.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pas forcément. Je ne me reconnais pas le droit de juger.

Mme Nathalie Margiotta : On ne juge pas nos mères, on les défend bec et ongles.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Si des mères ou des femmes sont contraintes d'accoucher sous X, pour moi, il y a une part de respect.

Mme Nathalie Margiotta : On peut leur proposer une solution moins inhumaine pour elle comme pour l'enfant.

Il reste les cas minoritaires de l'inceste et du viol, qui sont brandis très souvent pour décourager de chercher. Cela arrive, mais c'est vraiment très rare. Ceux qui découvrent ce type de vérité sont unanimes, ils nous disent : "Finalement, cela ne m'étonne pas, je le sentais, je le savais, mais cela me fait du bien de le savoir." Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils prennent la nouvelle plutôt bien et mieux que ce que l'on pourrait s'imaginer quand on n'est pas directement concerné. Certains de mes amis qui ont découvert qu'ils étaient nés d'un viol par exemple décident de chercher le père pour lui dire ses quatre vérités. Peu y parviennent, mais c'est finalement lui que la loi protège, alors que c'est le seul coupable.

Une amie me disait : "On est pour l'égalité des chances entre nos pères et nos mères, on veut que les deux laissent leur nom."

Si cette solution radicale de l'accouchement sous X a arrangé beaucoup de nos pères, dont le mien qui ne voulait pas assumer un enfant non désiré, il y a aussi des pères qui se manifestent aujourd'hui, qui ont été privés d'un enfant par une décision unilatérale de la mère alors qu'ils auraient souhaité le reconnaître. En privant un enfant de son histoire, on le prive donc d'un père.

Nous ne voulons pas faire de l'abandon un délit ou poursuivre des femmes qui vont se sauver par la fenêtre après avoir donné une fausse identité. Il n'est pas question de poursuivre ou de sévir ou de condamner, mais il convient de supprimer une disposition qui organise et, de fait, encourage une injustice profonde, une violence faite à l'enfant, à l'adulte qu'il devient et à ses descendants ; on a, en effet, des enfants et des petits-enfants d'abandonnés qui nous appellent aujourd'hui et qui reprennent le flambeau et les recherches.

M. Pierre Verdier : La plupart des mères qui demandent le secret souhaitent une protection par rapport à leurs parents ou à leur entourage, mais non pas par rapport à l'enfant. Beaucoup nous disent qu'elles n'ont pas peur de leur enfant et qu'elles ne veulent pas être protégées de leur enfant, qui peut revenir en effet 20 ans après. Elles disent toujours : "Au fond, je savais que tu reviendrais et je le souhaitais."

En ce qui concerne le projet de loi de Mme Ségolène Royal, je vous ai apporté un article du journal du droit des jeunes dans lequel je viens d'en faire l'analyse.

Nous pensons qu'en France, comme dans beaucoup de pays, la naissance devrait entraîner la filiation. Lorsque le Portugal a ratifié la convention des droits de l'enfant, il a prévu que l'on demande à la mère de dire son nom ainsi que le nom du père. Les enfants sans filiation paternelle sont signalés au procureur, qui doit faire des recherches. Nous n'allons pas aussi loin et nous ne voulons pas d'un système policier qui fasse rentrer la police dans les maternités, mais nous pensons idéalement que tout enfant devrait avoir le droit de connaître ses parents. Actuellement, avoir des parents ce n'est pas un droit de l'enfant, c'est simplement une possibilité.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a une distinction dans les textes entre origine biologique et filiation sociale. A travers vos propos, il me semble comprendre que vous souhaitez qu'il n'y ait plus qu'un seul concept.

M. Pierre Verdier : Ce n'est pas ce que l'on demande actuellement. Tout le monde devrait avoir le droit de connaître son origine, ce que l'on pourrait appeler sa filiation biologique. Juridiquement, la filiation ne découle pas de l'accouchement. Elle découle toujours d'une parole socialement reconnue à travers la déclaration de naissance si l'on est marié, la reconnaissance volontaire ou un jugement.

Nous pensons qu'il devrait être possible de connaître son origine sans que cela n'établisse une filiation.

Nous ne remettons pas en cause l'adoption. L'enfant adopté a des parents, qui sont ses parents adoptifs, et qui sont ses vrais parents. Cela n'empêche pas le besoin de cet enfant de connaître son origine.

Un enfant peut avoir plusieurs parents. On peut avoir des parents de naissance, avoir des parents affectifs et des parents juridiques. Si ce sont les mêmes, c'est parfait, mais si ce ne sont pas les mêmes, du moment que c'est clair pour l'enfant, c'est vivable. En tout cas, on connaît des enfants qui ont plusieurs parents, et pour lesquels cela ne pose pas de problèmes.

Le projet de loi de Mme Ségolène Royal ne va pas assez loin dans ce sens, mais, selon moi, il apporte quand même quelque chose. Encore qu'à la CADCO, mon opinion est plutôt minoritaire et que beaucoup parmi les 1 400 autres adhérents pensent qu'il faut le rejeter complètement.

A mon sens, il apporte un certain progrès au niveau du recueil des informations, puisque les mères seront invitées à laisser leur identité. Certes, le terme "invitées" paraît un peu léger. On pourrait trouver une autre formulation, par exemple demander aux mères de laisser leur identité, sans qu'elles y soient obligées, c'est-à-dire trouver un moyen de les y inciter davantage.

Actuellement, dans certains hôpitaux, elles sont même parfois dissuadées de laisser leur identité. Sur les imprimés des services d'aide sociale à l'enfance, il est indiqué que des informations sont demandées, mais la personne est avertie qu'elle peut ne pas y répondre, ce qui est assez extraordinaire.

Mme Nathalie Margiotta : Certains sont tout à fait hostiles à la suppression de l'accouchement sous X et continueront à dire aux mères que la loi leur permet de laisser leur nom, mais qu'elles ne sont pas obligées. Le problème ne sera pas résolu par ce terme "invitées".

M. Pierre Verdier : L'important, c'est que le Conseil pour l'accès aux origines personnelles puisse se faire communiquer par les parquets des actes de naissance même annulés et des documents archivés. Actuellement, on peut reprocher au tribunal administratif son peu de pouvoir d'investigation. Lorsqu'un service d'aide sociale à l'enfance ou lorsqu'une _uvre privée d'adoption dit qu'il n'y a rien dans le dossier, on peut saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), qui interroge le service ; si celui-ci répond qu'il n'y a rien dans le dossier, il n'y a jamais de contrôle sur place. Le Conseil, lui, aura un peu plus de pouvoir d'investigation ; en tout cas, il pourra se faire communiquer certains actes. Si tout le monde joue le jeu, cela peut fonctionner.

Le projet de loi supprime aussi l'état civil provisoire. Je ne sais pas si vous connaissez cette possibilité qu'avait l'administration de faire des faux états-civils. C'est l'article 58 du code civil qui prévoit les démarches à suivre lorsqu'on trouve un enfant dans la rue. L'officier d'état-civil établit un état civil fictif où l'enfant sera réputé né au lieu où il a été découvert et il va lui donner trois prénoms dont le dernier tiendra lieu de nom de famille.

L'article 58 précise que pareil acte de naissance peut être fait pour les pupilles de l'Etat, lorsque les parents ont demandé le secret de leur identité.

Il y a donc des enfants dont la filiation a été établie, puis qui sont remis à l'aide sociale à l'enfance avec une demande de secret. Jusqu'à présent, le premier acte de naissance était annulé et un nouvel acte de naissance était établi dans une autre ville.

J'en ai connu qui, par exemple, disaient : "J'ai une carte d'identité d'après laquelle je suis né à Bar-le-Duc, mais j'ai un carnet de santé qui indique que je suis né à Verdun ; alors en fait où suis-je né, puisque tout est faux ?" Le projet de loi va supprimer cette possibilité de trafiquer l'état civil des enfants de façon unilatérale. Cette pratique était d'ailleurs devenue résiduelle.

Au niveau du recueil des informations, le projet de loi a été amélioré, suite aux observations faites par le Conseil d'Etat. L'avant-projet de loi prévoyait un conservatoire national pour les abandonnés, contre lequel nous nous sommes élevés. En effet, il était prévu que toutes les informations soient centralisées. Or, c'est toujours dangereux de faire des fichiers pour une catégorie de population. Dans le projet de loi actuel, il n'y a pas de fichier national et les informations sont conservées par les départements. S'il y a demande des intéressés, le Conseil se fait communiquer les informations par ceux-ci. C'est beaucoup plus protecteur et mieux sécurisé.

Au niveau de la communication, il y a progrès, c'est-à-dire qu'il y a une meilleure identification du lieu où il faut s'adresser. Après chaque émission télévisée ou sur notre site Internet, nous recevons des demandes de gens qui ne savent pas où ils doivent s'adresser. Certaines femmes n'imaginent pas que leur dossier est détenu par les services de l'aide sociale à l'enfance, car elles n'ont connaissance que de l'hôpital où elles ont accouché. Maintenant, il y aura un lieu spécifique où l'on pourra s'adresser, ce qui mettra fin à certaines disparités départementales.

En revanche, selon nous, le projet de loi pourrait être amélioré sur trois points.

D'abord, il conviendrait de rendre systématique le recueil de l'identité. Nous ne sommes pas favorables à des poursuites policières, mais si l'on demande aux femmes de laisser leur nom, la plupart le laisseront. Il y en aura toujours qui laisseront un faux nom, mais il y a une différence entre tolérer des situations marginales et organiser des situations marginales.

Actuellement, si vous allez vous faire opérer de l'appendicite, vous devez dire votre nom. Cela arrive de temps en temps que les gens ne donnent pas leur vrai nom, mais cela devient marginal.

Dans tous les pays où l'accouchement sous X n'existe pas, il y a toujours des femmes qui ne donnent pas leur nom. Mais, il y a une différence entre accepter des situations particulières et organiser le secret ; nous sommes contre l'organisation du secret.

Le système prévu par le projet de loi comporte des risques. Les femmes seront invitées à laisser sous pli cacheté leur identité. Evidemment, certains plis seront vides ou contiendront de fausses informations. Ce système est assez dangereux. Il vaudrait mieux que cette identité soit recueillie et vérifiée par le directeur de l'hôpital ou la personne désignée. On ne peut certes pas obliger les gens à donner leur identité. Mais, si je fais un chèque de 100 F au Prisunic, on me demande une carte d'identité. Pourrait-on laisser un enfant sans laisser son identité ? Cela me paraît absolument disproportionné comme situation.

Nous souhaitons donc un recueil de l'identité systématique.

Nous souhaitons également une communication de cette identité de plein droit à l'enfant majeur. On peut admettre qu'il faille l'accord de ses parents adoptifs lorsqu'il est mineur. En revanche, lorsqu'il est majeur, il doit y avoir droit. La mère serait informée au moment où elle remet l'enfant que son secret est protégé pendant 18 ans, mais qu'après il pourra être communiqué à l'enfant.

Nous souhaitons aussi qu'il y ait une certaine réciprocité entre la mère et l'enfant. Le projet de loi a prévu que l'enfant pouvait chercher sa mère, mais pas que la mère pouvait chercher son enfant. Dans ce dernier cas, on pourrait prévoir davantage de médiation, mais il faudrait prévoir une possibilité de réciprocité. J'ai parfois des appels téléphoniques assez émouvants et extraordinaires. L'autre jour, c'était une femme qui avait accouché à 16 ans à Strasbourg et à qui l'on avait dit que son enfant était mort. Récemment, elle a trouvé sur notre site un enfant né ce jour-là qui recherchait sa mère. On les a mis en relation.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pensez-vous qu'il faille un recueil de l'identité de la mère et si possible du père ?

M. Pierre Verdier : Dans notre pays, le code civil fait par Napoléon est très protecteur des hommes. D'ailleurs, dans le premier code, la recherche en paternité était interdite dans tous les cas. On en a introduit la possibilité seulement beaucoup plus tard. Si l'on dit aux hommes que leurs frasques extraconjugales ne seront plus protégées, cela va être un tollé général.

Mme Danielle Bousquet : J'ai parfaitement entendu vos propos sur le fait que les origines, ce n'est pas seulement une mère, c'est un père et une mère. Vous faites une différence entre le père et la mère, c'est-à-dire que vous dites qu'il faut absolument faire en sorte que l'on ait des informations concernant la mère ; pourquoi ne dites-vous pas qu'il faut absolument que l'on en ait concernant le père -sauf s'il s'agit d'un viol collectif- puisque le père est presque toujours identifié.

Mme Nathalie Margiotta : Pierre Verdier n'ose pas faire une proposition qui effectivement créerait un tollé général, car il est vrai que le père est très protégé. En tant que nés sous X, quand nous avons trouvé la mère, nous cherchons immédiatement le père. Parfois, nous faisons l'inverse, nous trouvons notre père avant de trouver notre mère. Les deux ont une importance égale à nos yeux, même si le père est un violeur. J'ai des amis qui recherchent leur violeur de père, histoire d'avoir une conversation avec lui, pas pour lui tirer un coup de fusil, mais pour lui dire : "Explique-moi". C'est quelque chose dont ils ont besoin dans leur vie, peut-être pour tourner une page et avancer. Pour nous, le père est aussi important.

Nous n'avons pas prévu actuellement de revendiquer cette place du père, mais cela ne va pas tarder car, aujourd'hui, ils sont nombreux à nous appeler pour des questions de recherche de paternité. Ils ont la même exigence que nous.

Mme Danielle Bousquet : Je comprendrais parfaitement que votre association soutienne cette demande.

M. Pierre Verdier : Je me rallie tout à fait à cela. J'ai dit "si possible", car il y a des cas où même la mère ne connaît pas le père.

Mme Nathalie Margiotta : On peut savoir aujourd'hui à coup sûr qui est le père.

M. Pierre Verdier : Si on le trouve, on peut le prouver.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : En ce qui concerne votre troisième proposition sur la réciprocité, on peut également se poser la question de savoir si cette réciprocité concerne la mère uniquement ou la mère et le père. Ne conviendrait-il pas de la permettre à partir du moment où l'enfant devient majeur, ce qui éviterait de perturber la vie de la famille adoptive, si celle-ci n'en éprouve pas le désir ?

M. Pierre Verdier : Oui. Pour beaucoup d'enfants, s'ils savent qu'ils pourront savoir un jour, leur souffrance sera beaucoup moins forte. En revanche, quand certains leur disent qu'ils détiennent des informations et qu'ils ne les leur donneront jamais, cela devient révoltant. S'ils peuvent le savoir à 18 ans ou même 21 ans, cela l'est moins.

Mme Nathalie Margiotta : Je me suis rendu compte, à deux ou trois reprises, qu'en ayant contacté des gens trop jeunes, même majeurs mais encore trop dépendants de leurs parents adoptifs, pas seulement financièrement, mais émotionnellement, on allait droit à l'échec quand les parents adoptifs vivaient cela très mal. Tant que l'enfant n'est pas pleinement construit comme adulte, il faut passer par les parents adoptifs. Un rejet violent et brutal de leur part entraîne un échec de la relation, qui pourrait être sereine par ailleurs, entre la mère de naissance et l'enfant retrouvé. Il faut tenir compte des parents adoptifs. Si l'on a affaire à un monsieur de 45 ans, on peut y aller, mais à 20 ou 25 ans, c'est encore une période critique. Là, la médiation est indispensable.

Mme Hélène Mignon : Avez-vous beaucoup de demandes de mères qui recherchent leur enfant ?

Mme Nathalie Margiotta : Une bonne centaine. Dans notre fichier, 10 % de nos contacts sont des mères ou des pères ou des familles, mais des mères en majorité, des frères, des s_urs. Il y a des fratries qui ont été abandonnées et séparées entre différentes familles. C'est une souffrance de savoir que l'on a un frère ou une s_ur et que l'on ne peut pas savoir qui il est. Il y a des demandes importantes aussi de frères, de s_urs, de grands-parents, de pères.

Mme Hélène Mignon : Actuellement, il semble qu'il y ait pas mal de mineures qui accouchent sous X sous la pression de la famille. A Toulouse, on m'a dit qu'il y en avait à peu près une par semaine.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ai pu voir autour de moi que, devenues "adultes", c'est-à-dire la rupture avec la famille ayant eu lieu, les conditions de vie ayant changé, une certaine aisance financière étant survenue -puisque les mères sont souvent dans la précarité lorsqu'elles accouchent sous X- des mères souhaitaient avoir des nouvelles ou rechercher leur enfant. Souvent, cela reste une blessure à vie, même s'il ne faut pas généraliser. La recherche n'est pas facile, notamment pour les périodes les plus lointaines.

Mme Nathalie Margiotta : Plus les mères ont agi sous la pression, plus elles sont capables de revenir. Celles qui ont pris des décisions plus éclairées ou qui étaient plus âgées au moment de l'accouchement ont du mal à le faire. Les femmes qui reviennent ont rarement au-dessus de 40 ans, c'est-à-dire que les femmes des générations précédentes n'arrivent pas à passer ce cap et à affronter ce tabou énorme, la honte d'avoir abandonné. Alors que nous sommes tous prêts à leur pardonner. Aujourd'hui, elles ne parviennent toujours pas à en parler, même si je suis convaincue qu'au fond d'elles-mêmes c'est une blessure intolérable.

M. Pierre Verdier : Vous avez demandé tout à l'heure comment se passent les retrouvailles. On n'en a pas des milliers, mais un nombre important.

Mme Nathalie Margiotta : On ne peut pas faire d'angélisme malheureusement. On ne peut pas dire que c'est merveilleux, que tout se passe bien, qu'ils sont heureux, qu'ils s'aiment, ce n'est pas vrai. Il y a des cas où effectivement cela se passe bien et des liens se nouent. Quand on a affaire à des gens intelligents, cela se passe ainsi.

Il y a des cas où cela se passe moins bien, où l'un comme l'autre n'ont pas très envie de se revoir, où la mère ne plaît pas, où la mère veut prendre trop de place dans votre vie.

Et puis, on peut se heurter à un refus massif de la femme. C'est le plus difficile à supporter. On en a connu qui, bien que l'on ait leur nom, prénom, date et lieu de naissance dans le dossier, affirmaient qu'elles n'avaient jamais accouché et elles tiennent longtemps sur cette position. D'autres, quand vous allez les voir, vous disent qu'elles vont appeler la police.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela signifie que la médiation est impérative.

Mme Nathalie Margiotta : Je vous parle en tant que médiatrice. En l'absence de services concernés, on est obligé de le faire, on n'a pas le choix. Les personnes concernées le font souvent avec beaucoup de tact et de sensibilité, car elles ont une empathie justement que certains acteurs sociaux extérieurs n'ont pas. Nous allons voir ces femmes, Pierre Verdier l'a fait aujourd'hui, je l'ai fait samedi, c'est du quotidien pour nous. On les respecte infiniment et on y va le plus doucement possible. Maintenant, des deux côtés, qu'il s'agisse d'un enfant ou d'une mère, on a une forte demande, une forte pression et il faut y aller pour le bien de l'un ou de l'autre, on espère pour le bien des deux. Si nous n'y allons pas, ce sont eux qui y vont en direct et cela fait des dégâts.

Mme Danielle Bousquet : Vous avez dit : elles tiennent longtemps sur cette position quand elles ont dit : "Non, je ne reconnais pas avoir accouché, ce n'est pas moi, je ne suis pas concernée" ; cela veut-il dire que vous y retournez éventuellement ?

Mme Nathalie Margiotta : Ce n'est pas tellement nous qui y retournons, mais nos amis n'acceptent pas.

Mme Danielle Bousquet : C'est-à-dire que l'on peut harceler une femme ?

Mme Nathalie Margiotta : On leur déconseille vivement de harceler, on les empêche, si l'on peut, de les harceler. Ainsi, on a le nom de la mère de Joël depuis un an. Il s'est fait jeter une première fois. J'ai appelé trois mois plus tard, je me suis fait jeter. La pression de Joël demeure énorme.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'estime que l'on n'a pas le droit de procéder ainsi. Il y a vraiment là une césure dans notre façon de concevoir la liberté des personnes.

Mme Nathalie Margiotta : Oui, mais vous n'empêcherez pas les nés sous X de le faire, alors aménagez-le.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : C'est bien ce que le projet de loi cherche à faire.

Sur beaucoup de points, je partage tout à fait votre analyse ; il y a effectivement un désir chez la mère de savoir ce qu'est devenu l'enfant, de le retrouver et il y a une culpabilité vraiment très grande. Je suis sûre que, la plupart du temps, la vie évoluant, les mères lèveront le secret, mais il faut leur laisser cette liberté-là. C'est une liberté, cela fait partie des droits fondamentaux.

Mme Nathalie Margiotta : Je suis une mère, je n'ai pas de droit sur mon enfant, je n'ai que des devoirs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je fais confiance aux femmes et à l'intelligence des rapports. La plupart du temps, ces femmes sont contraintes d'accoucher sous X, elles n'ont pas le choix, donc, elles feront la démarche, mais il ne faut pas les contraindre.

Mme Nathalie Margiotta : Je suis dans une situation particulière : je sais que ma mère me connaît très bien, mais ne veut pas me voir. Des circonstances de ma naissance, je sais que cette femme a accouché sous la pression de son mari. J'étais une enfant adultérine. Aujourd'hui encore, le mari est toujours vivant. Aujourd'hui encore, tous les gens qui ont organisé cette adoption et ce transfert d'enfant veulent qu'elle se taise. Elle est sans doute rongée de culpabilité, de remords et extrêmement malheureuse et elle n'arrive pas à faire le pas. Vous ne croyez pas que si je la contraignais à le faire, cela l'apaiserait ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Non, pas du tout. Faites-lui confiance. Donnez-lui la liberté de se libérer de cette tutelle.

Mme Nathalie Margiotta : Je lui fais confiance. C'est à son mari et à son entourage que je ne fais pas confiance. Cela fait 33 ans qu'ils l'empêchent de me contacter. J'ai rencontré ma mère quand j'avais 7 ans. Je l'ai reconnue, elle m'a reconnue. Vous croyez qu'elle va bien aujourd'hui ?

Mme Danielle Bousquet : Je suis persuadée que la contrainte est la plus grande catastrophe qui puisse arriver pour la suite des relations. Il faut attendre aussi tard que ce soit, mais ne jamais conduire à une situation de violence.

Mme Nathalie Margiotta : Je comprends tout à fait, mais je ne vois pas comment vous convaincrez un né sous X en recherche et en souffrance d'agir autrement. Quand il entame cette démarche, cela a été mon cas, mais aussi le cas de beaucoup d'autres, c'est un besoin vital. On ne s'arrête pas et on est incapable de s'arrêter.

Récemment - je ne sais pas si vous avez vu l'émission "52 sur la Une" - une de mes amies, Brigitte, est allée voir sa mère au Mexique car elle voulait la rencontrer. Elle a dû entrer presque par effraction chez sa mère qui, c'était hors caméra, mais elle me l'a confié, l'a attrapée par les cheveux, l'a jetée dehors. Elle a giflé son mari. Brigitte a giflé sa mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce n'est pas possible dans ces conditions.

Mme Nathalie Margiotta : Brigitte ne peut pas faire autrement. Quand elle est sortie, elle a dit à sa mère : "Maman, je t'aime beaucoup." et elle nous dit aujourd'hui qu'elle va y retourner ; et elle va y retourner et vous ne pourrez pas l'en empêcher. Elle n'est pas folle. C'est une maman, elle est charmante, mais elle est en souffrance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il y a un travail sur sa propre souffrance qui est à mener dans le respect de chacun.

M. Pierre Verdier : J'agis en tant que professionnel, donc je prends plus de recul, mais on ne peut pas résister à la demande.

Un exemple, un peu en sens inverse, d'une mère qui a identifié son fils qui a 35 ans à peu près. Elle ne savait pas comment prendre contact. Elle lui a écrit, il n'a jamais répondu. Devant son insistance, j'ai accepté de téléphoner. Il m'a dit qu'il allait réfléchir. Il a pris un tas de renseignements. J'ai tout donné, car je n'ai rien à cacher. Un an après, il m'a rappelé, c'était juste avant Noël l'année dernière, en me disant : "Cela m'a beaucoup perturbé ce que vous m'avez dit l'an dernier. J'en ai parlé avec ma fiancée. Que dois-je faire ?" Je lui ai fait une pression amicale en lui disant : "Rencontrez-là, vous ne risquez rien. C'est une femme que je connais, qui est tout à fait normale, agréable. On peut organiser une rencontre chez un tiers, dans mon bureau, où vous voulez." Ils se sont rencontrés. Ils sont restés quatre heures ensemble. Cela s'est bien passé.

Certains, après s'être rencontrés, ne veulent plus se revoir. Pour moi, cela ne veut pas dire que c'était inutile. Ils ne peuvent tourner la page que lorsqu'il y a eu cette rencontre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le désir est assouvi.

M. Pierre Verdier : Par ailleurs, nous sommes pour le droit à la connaissance des origines, mais pas pour l'obligation. Nous en connaissons aussi qui ne veulent pas savoir. S'ils ne veulent pas savoir, ils ont le droit de ne pas savoir. Mais on ne se sépare que de ce que l'on connaît, on ne peut pas se séparer de l'inconnu.

Mme Nathalie Margiotta : J'ai un dernier exemple qui est en contradiction avec la médiation obligatoire. C'est le cas d'une maman qui était en grande souffrance et qui cherchait sa fille de 50 ans. 75 ans, 50 ans, on peut imaginer que ce sont des grandes filles. Sa fille était née d'une liaison avec un prêtre et elle souhaitait vivement la revoir. On a retrouvé sa fille. C'est moi qui l'ai contactée une première fois le plus gentiment du monde. Je lui ai dit que sa mère la recherchait. Elle m'a dit que cela ne l'intéressait pas, qu'elle ne voulait pas savoir. La mère était très insistante, mais je lui ai dit que je ne donnerai pas son adresse. Elle a harcelé les services sociaux de Montpellier qui ont fait des recherches et qui se sont faits jeter par la fille. Grâce aux Mères de l'Ombre, elle a trouvé l'adresse de sa fille. Elle lui a écrit en direct à une date symbolique pour toutes les deux. La fille lui a répondu et depuis elles ont une relation vraiment profonde et qui ne cesse de croître en amitié, en affection. Elles ont toutes les deux trouvé l'apaisement. Je sais que la fille a perdu 20 kilos, que la mère est heureuse. Là, le médiateur a échoué - moi en l'occurrence, ainsi que les services sociaux - ; ce n'est pas un rôle que j'aime et que je fais volontiers ; je le fais en raison de l'absence de personnes dont c'est le métier.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous ne pouvez pas dire que la médiation a été un échec. Vous ne savez pas ce que cela a pu faire maturer.

Mme Nathalie Margiotta : La lettre de Raymonde a emporté la décision de la fille. Cette situation a duré pendant un an.

Mme Danielle Bousquet : Chaque fois, on se rend compte que le temps compte.

M. Pierre Verdier : C'est pour cette raison que l'on ne harcèle pas.

Mme Nathalie Margiotta : Quand on revient à la charge, c'est des mois et des mois après. Il ne s'agit pas d'appeler toutes les trois heures.

Audition de Mme Fanny Hamouche, membre de l'Association des Mères de l'Ombre (AMO), et Mme Anne Halversen (CADCO)

Réunion du mardi 24 avril 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Fanny Hamouche, responsable de l'antenne parisienne de l'Association des Mères de l'Ombre (AMO), dont la présidente est Mme Laëtitia Buron. Elle est accompagnée d'Anne Halversen, enfant née sous X, membre de la CADCO. Créée en juin 1998, l'AMO accueille et aide les mères de naissance, ayant accouché sous X, qui désirent lever le secret sur leur identité et établir des contacts avec leur enfant et sa famille adoptive.

Vous avez donc à la fois une mission d'information juridique, de soutien psychologique et un rôle de médiation, en cas de retrouvailles. Nous souhaitons vous entendre afin de mieux comprendre la démarche et la souffrance des mères qui accouchent sous X, connaître les contraintes qui les ont poussées à accoucher sous X et les difficultés auxquelles elles se heurtent pour lever le secret de leur identité.

Nous aimerions rechercher ensemble les améliorations à apporter à ce texte. Mme Ségolène Royal, lors de son audition par notre Délégation, le 23 janvier dernier, a semblé ouverte à l'idée de permettre à la mère de naissance, d'adresser une demande au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles, afin d'obtenir des informations sur son enfant, ce que le projet de loi ne prévoit pas actuellement.

Mme Fanny Hamouche : L'Association des Mères de l'Ombre (AMO) s'occupe des mères qui ont accouché sous X et revendique l'abolition de l'accouchement sous X. Cela entraîne une telle souffrance pour les mères et les enfants !

Après l'accouchement, la détresse qui s'ensuit et la remise de l'enfant à l'adoption, la mère vit dans une telle souffrance et une telle culpabilité qu'elle recherche tôt ou tard son enfant. Elle veut savoir ce qu'il est devenu, avoir de ses nouvelles et, généralement, les enfants aussi. L'AMO travaille notamment en collaboration avec les associations des enfants de la CADCO. Les mères cherchent autant que les enfants. La souffrance touche les deux parties.

En tant que mères, lorsque nous accouchons sous X, nous sommes déconsidérées, agressées verbalement ; ce qui ajoute à la culpabilité que nous éprouvons déjà. Certaines mères se sont présentées à la DDASS ou à l'aide sociale à l'enfance (ASE), pour demander la levée du secret, elles ont été rejetées de façon abominable. Les plus courageuses font la démarche et sont reçues ainsi. Après cela, nous les récupérons dans un état désastreux, complètement démolies.

Au niveau de l'administration, nous rencontrons des difficultés pour lever le secret. Certes, toutes les DDASS ne fonctionnent pas à l'identique. Pour ma part, je n'ai pas eu trop de problèmes à la DDASS de Marseille, mais certaines d'entre elles refusent d'effectuer la levée du secret. Une adhérente de l'association, qui a accouché dans le département des Hauts de Seine, a dû écrire à MM. Mattéi, Verdier et Pasqua pour obtenir l'autorisation de lever le secret ; mais on ne lui a pas accordé le droit de laisser la lettre de levée de secret. Grâce aux médias et à la télévision (l'émission "52 à la une"), elle a retrouvé sa fille, il y a trois semaines.

Employer ce genre de procédé demande du courage, il faut oser se montrer et surmonter la peur d'être jugée. On se sent très mal ! Toutes les mères ne sont pas en mesure de témoigner à la télévision. Elle a eu de la chance de retrouver sa fille ainsi. Combien de milliers de femmes dans ce cas ne sont pas entendues !

L'idéal serait l'abolition de l'accouchement sous X, afin que la mère puisse laisser quelque chose à son enfant : ses coordonnées, une lettre, des photos, son histoire. Les dossiers sont bien souvent si vides.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Ce que vous décrivez n'est pas exactement la suppression de l'accouchement sous X mais plutôt, ce que prévoit le projet de loi, la possibilité pour la mère d'accoucher et de laisser, si elle le souhaite, des éléments qui permettent à l'enfant de la retrouver.

Mme Anne Halversen : Soit une femme accouche anonymement sans laisser aucune trace ; dans ce cas, il est impossible à l'enfant de la retrouver. Soit elle accouche de façon secrète ou confidentielle ; son nom est alors relevé, de même que l'identité du père, si elle est connue. Dans les pays scandinaves, l'identité de la mère et du père est systématiquement relevée.

Tout est affaire de choix : on choisit de garder l'enfant, de ne pas prendre de moyens de contraception, de ne pas avorter, de le mettre au monde, de l'abandonner ou de le donner en adoption. Si toutes ces étapes sont choisies par la mère, voire par le père, il nous paraît logique que la mère et le père laissent leurs noms.

Nous souhaitons la confidentialité, ce qui abolirait l'accouchement sous X, c'est à dire l'anonymat. Ainsi, à partir de dix-huit ans, l'enfant pourrait avoir accès, de façon systématique, aux noms du père et de la mère, s'il le désire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Sans même la volonté de la mère ?

Mme Anne Halversen : Elle a quand même choisi de le mettre au monde, choisi de ne pas avorter ...

Mme Marie-Françoise Clergeau : Elle n'a peut-être pas choisi de ne pas avorter !

Mme Anne Halversen : Je suis née sous X et je ne peux répondre à cela. Une énorme pression pèse en tout cas sur les mères depuis toujours pour abandonner leur enfant. Cela ne se fait pas dans certains milieux d'avoir un enfant lorsque l'on n'est pas mariée ; parfois ces femmes n'ont pas les moyens économiques, etc...

Mmes Muguette Jacquaint et Odette Casanova : Donc, elles ne choisissent pas !

Mme Anne Halversen : Elles ont choisi d'accoucher plutôt que d'avorter.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pas forcément ! La loi concernant l'IVG s'inscrit dans une liberté très encadrée. De plus, il est fait référence ici à des situations datant de soixante à soixante-dix ans, à un moment où l'accès même à l'IVG n'était pas du tout possible.

Mme Anne Halversen : C'était tout à fait différent. De même, après la loi de 1941 et jusqu'aux lois sur la contraception de 1967 et sur l'IVG de 1975, il était rare que les femmes abandonnent leur enfant pour des raisons économiques. Dans 95 % des cas, la pression familiale contraignait des mères très jeunes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le service des droits des femmes a fait une étude extrêmement intéressante sur ces cinq dernières années faisant apparaître qu'il n'y a pas un type unique de femmes accouchant sous X.

Mme Anne Halversen : Nous considérons qu'à partir du moment où elles ont accouché, elles sont mères de naissance. Certes, la place reste vacante pour des parents adoptifs. La personne née sous X a des parents de naissance et des parents adoptifs, et non pas uniquement des parents adoptifs. Baser toute une relation adoptive sur cela est relativement pervers. Tôt ou tard, la relation est abîmée et l'on recherche. Libre à ceux qui ne veulent pas rechercher de ne pas le faire : mère ou enfant.

Mme Fanny Hamouche : Certaines mères ne cherchent pas parce qu'elles ont tourné une page.

Mme Anne Halversen : C'est exact. Mais, au sein de la CADCO, même des mères qui ne cherchent pas peuvent être retrouvées, parce que nous faisons des enquêtes policières tellement pointues que nous finissons souvent par les retrouver. Certaines sont âgées de 50, 60 ou 70 ans.

Près de six mois de médiation sont nécessaires, soit avec l'enfant, soit avec un médiateur, afin que la mère accepte de reconnaître sa maternité. Au début, elle nie en disant qu'elle n'est pas la coupable, ce qui signifie qu'elle est bien la mère. Ensuite, nous lui téléphonons chaque mois, nous lui écrivons une lettre. Un déclic se produit. Elle finit par dire, non pas qu'elle est la mère mais qu'elle ne peut rien dire sur le père. On en déduit que c'est bien elle la mère. On envoie alors des photos, et quand elle voit des photos, elle accepte de rencontrer l'enfant.

Chaque médiation est différente, certaines ne sont possibles que par l'intermédiaire de l'enfant. L'esprit du projet implique l'introduction d'un médiateur, alors qu'il conviendrait de laisser le choix à la mère et à l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mes collègues et moi-même avons envie de réagir très fortement.

Mme Muguette Jacquaint : Vous dites qu'il appartient soit à l'enfant soit à la mère d'exprimer ce désir de connaître l'identité. A la demande de qui fait-on une recherche ?

Mme Anne Halversen : Mère ou enfant, selon les associations. A la CADCO, les médiations se font à la demande des enfants.

Mme Fanny Hamouche : A l'AMO, cela se fait à la demande de la mère. Parfois, la mère a seulement besoin d'avoir des nouvelles. J'ai eu la chance que mon fils me recherche et souhaite me rencontrer. Au début, je voulais des nouvelles, parce que je ne savais rien du tout, je ne savais pas comment il allait, s'il était heureux, etc... Si les enfants veulent connaître leur mère et tisser des liens, tant mieux, mais obtenir des nouvelles demeure élémentaire.

Mme Odette Casanova : Vous avez parlé de femmes qui deviennent mères, qui le restent et qui veulent chercher leur enfant à un moment donné.

Nous pensons que cela dépend des cas. Je vais être très brutale : une femme violée lors d'une guerre, a-t-elle envie de rechercher son enfant ? De même, lorsqu'il s'agit d'un inceste, a-t-elle envie de retrouver cet enfant ? Nous devons nous poser cette question.

Vous avez aussi parlé d'une médiation qui me semble être menée de façon quelque peu agressive.

On dit que les femmes sont responsables, qu'elles ont choisi malgré elle. Alors, ce n'est pas véritablement un choix ! L'accouchement sous X n'est pas toujours lié aux pressions familiales, mais aux conditions économiques, au viol ou à l'inceste. Certaines femmes ont agi ainsi parce qu'elles ne connaissaient pas l'IVG, la contraception ou n'avaient pas les moyens d'y accéder du fait de leur culture ou d'interdits familiaux. Dès lors, il convient de se montrer non pas agressif, mais diplomate.

Vous avez dit aussi que la proposition devrait intégrer l'identité de la mère et du père. Mais, nous ne connaissons pas toujours l'identité du père s'il s'agit d'un viol, s'il est parti, etc... alors que nous avons celle de la mère. Obliger à laisser l'identité reviendrait à faire porter à la femme toute la responsabilité de ce qui s'est passé. Or, la femme doit conserver un pouvoir de décision total, surtout si elle est seule et ne peut donner le nom du père.

L'idéal serait de savoir les noms du père et de la mère dans tous les cas, mais le père est bien souvent absent.

Mme Danielle Bousquet : Je vous ai entendu parler d'enquêtes policières et de femmes coupables. Je voudrais que vous nous expliquiez ces termes qui ne me semblent pas acceptables.

M. Patrick Delnatte : La double volonté mère-enfant est-elle réellement indispensable ou une seule suffit-elle ? Nous devons avoir une position précise à ce propos. Par ailleurs, quelles sont les limites de la notion de "nouvelles" ? Est-ce avoir un bilan de la situation de l'enfant ? Cela supposerait que l'organisme ait les moyens de suivre l'enfant jusqu'à un certain âge. Ou bien, la prise de nouvelles a-t-elle pour but d'établir une relation sur le principe de la double volonté ?

Mme Anne Halversen : En tant que membre de la CADCO, je représente les enfants nés sous X. Les mères n'ont pas toujours envie, trente ou quarante ans après, que l'on s'immisce dans leurs vies. Avant de débuter une médiation, l'on s'assure que c'est la bonne personne, après avoir fait une "enquête policière", c'est-à-dire que nous procédons à des investigations considérables. Par exemple, sur un dossier de la DDASS masqué, peu d'indications apparaissent ; on peut lire : "Deux SS, 1932" (SS pour Deux Sèvres), date de naissance de la mère, tout le reste est masqué. Ces investigations durent parfois de nombreuses années.

M. Patrick Delnatte : La méthode est donc une enquête administrative et non pas "policière".

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous sommes sur un sujet passionnel. Nous avons eu, lors de la dernière audition, le même débat sur le positionnement des enfants par rapport aux mères et nous étions en désaccord sur ce qui nous était exprimé, car cela nous semblait un jugement porté sur la mère.

Mme Anne Halversen :  Je n'ai porté aucun jugement. Dans les six derniers mois, j'ai effectué une médiation. Lors de la première conversation téléphonique, la mère de naissance elle-même m'a dit : "Je ne suis pas cette personne, je ne suis pas la coupable !" Là, j'ai compris que, pour qu'elle se sente coupable à ce point, elle était forcément la mère de naissance de la personne.

Aujourd'hui, la médiation est terminée, elles vont se rencontrer et la mère m'a remerciée de l'avoir contactée régulièrement, sans la brusquer, en gardant la confidentialité. Elle craignait que l'on informe sa famille, ce que nous n'avons pas fait. Nous avons envoyé des photos et à partir du moment où elle a senti qu'elle ne serait pas agressée, elle a accepté de voir sa fille.

Mme Fanny Hamouche : Il est primordial de ne pas laisser le dossier vide, même en cas de viol ou d'inceste. Des années après, certaines femmes ne veulent plus en entendre parler, mais d'autres ont envie de savoir. Malgré tout, c'est leur enfant ! Elles l'ont porté, mis au monde ! Elles se demandent si leur enfant sait qu'elle existe, s'il pense à elle et toutes les questions qui en découlent.

Pour répondre à M. Patrick Delnatte, si la mère ou l'enfant ne désire pas savoir, il suffit qu'il ou elle ne consulte pas son dossier et il ou elle ne saura rien.

M. Patrick Delnatte : Dans l'état actuel du projet, si l'un des deux le souhaite et l'autre non, l'enfant ne saura rien.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La réflexion de M. Patrick Delnatte vous paraît-elle correspondre à un aspect critiquable du projet de loi ? Pensez-vous comme Mme Anne Halversen que, quel que soit le désir de la mère, l'enfant a le droit de connaître ses origines à sa majorité ? Ou bien votre association pense-t-elle qu'il est préférable de ne pas lever le secret sans l'accord de la mère ?

Mme Fanny Hamouche : Notre association voudrait que l'enfant connaisse systématiquement l'identité de la mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quel que soit le désir de la mère ?

Mme Fanny Hamouche : Oui, à sa majorité, et avec l'accord des parents adoptifs tant qu'il est mineur.

Mme Véronique Nieiertz : Vous êtes pour la suppression de l'accouchement sous X ?

Mme Fanny Hamouche : Oui.

Mme Véronique Neiertz : Ainsi, c'est clair ! Vous voulez une confidentialité et supprimer l'anonymat. Vous avez introduit cette nuance. Cette confidentialité permettrait de recueillir tous les éléments identifiants, même si la mère n'est pas d'accord, et de les communiquer à la majorité de l'enfant, s'il le désire. C'est cela que vous souhaitez ! Ce qui équivaut, selon nous, à la suppression de l'accouchement sous X. Selon vous également ?

Mme Fanny Hamouche : Oui.

M. Patrick Delnatte : Comment donner des nouvelles, sans établir une relation ? Est-ce une demande qui existe ou bien la demande de nouvelles induit-elle un objectif de rencontre ?

Mme Fanny Hamouche : J'ai abordé ce sujet en lien avec les difficultés actuelles d'accès aux informations. Tout est tellement bloqué ! On ne peut rien savoir concernant son enfant. A défaut d'obtenir davantage, certaines mères se contenteraient d'avoir des nouvelles.

Mme Muguette Jacquaint : "Se contenter d'avoir des nouvelles", où cela s'arrête-t-il ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Est-ce pouvoir établir des relations, organiser des retrouvailles entre la mère et l'enfant mineur dans sa famille adoptive, nouer des liens ? Est-ce cela ou simplement, savoir, par le biais du Conseil national d'accès aux origines, que l'enfant est dans tel type de famille, dans telle région de France, qu'il grandit bien, qu'il est normal, etc ... ?

Mme Fanny Hamouche : En ce moment, on n'a rien ! Je parle en connaissance de cause. Quand vous faites la démarche de lever le secret, vous souhaitez savoir en premier lieu si l'enfant que vous avez donné en adoption est vivant, s'il va bien, s'il a été aimé et surtout, s'il a une famille ; tout ce que vous n'avez pas pu lui donner.

Avec cela, il y a un premier réconfort. Ensuite, les femmes qui adhèrent à l'AMO ont toutes le même souhait ; si l'enfant désire les voir, effectivement, elles sont d'accord.

Mme Véronique Neiertz : Si je vous ai bien comprise, l'enfant qui veut voir sa mère le peut, à partir de la majorité, même si la mère ne veut pas. Mais si l'enfant ne veut pas voir sa mère alors qu'elle le souhaite, la mère n'ira pas contre sa volonté. Alors, elle pourrait avoir des nouvelles du type de celles que vous avez citées, en s'adressant à une instance (assentiment de Mme Hamouche).

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous parlons bien de l'enfant ayant atteint sa majorité. Le fait que l'initiative de recherche d'informations émane de la mère n'est pas prévu dans le projet de loi.

Mme Danielle Bousquet : Des parents !

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Oui, mais souvent le père est absent. Certains le recherchent et cela m'amène à la question suivante : comment permet-on une recherche des origines en direction du père, sans lier cette connaissance à une filiation ? Ceci est valable également pour la mère.

Pour réitérer la question de Mme Véronique Neiertz : lorsque l'enfant est majeur, est-il envisageable que la mère puisse le rechercher si jusqu'alors lui n'a pas fait de démarche de recherche et que sa famille n'a pas souhaité qu'il le fasse ? Pensez-vous normal que la mère recherche cet enfant, ait des nouvelles ou une rencontre, sans l'accord de celui-ci ?

Mme Fanny Hamouche : Dès l'instant où il sera adopté, elle ne connaîtra pas sa nouvelle identité, sauf si on a bien voulu lui donner le nom des parents adoptifs.

Mme Véronique Neiertz : C'est un problème tellement lourd que le projet de loi, outre qu'il met fin aux atrocités que vous avez vécues, l'une comme l'autre, prévoit que la rencontre à partir de dix-huit ans ne se fera que si l'enfant, comme la mère sont d'accord. Ce qui n'empêche pas qu'il puisse y avoir réticence de l'un ou de l'autre et donner lieu à médiation.

Ce texte est fait pour dédramatiser. L'équilibre entre les deux volontés est à rechercher afin d'éviter un traumatisme terrible. Il fallait garantir cet équilibre entre l'accord de la mère et le désir de l'enfant.

Mme Fanny Hamouche : D'où l'utilité de la médiation.

Mme Véronique Neiertz : C'est peut-être à approfondir.

Mme Danielle Bousquet : La notion d'équilibre me paraît fondamentale.

Audition de Mme Danielle Housset, présidente de l'association

"Enfance et Familles d'Adoption" (EFA),

et de Mme Marie-Hélène Theurkauff

Réunion du 24 avril 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Danielle Housset, présidente de l'association "Enfance et Familles d'Adoption" (EFA), et Mme Marie-Hélène Theurkauff. L'association "Enfances et Familles d'Adoption" est reconnue d'utilité publique depuis 1984 et regroupe des associations départementales. Vous n'êtes pas directement une _uvre d'adoption, vous ne proposez pas d'enfant à adopter mais vous faites connaître et respecter les droits de l'enfant. Vous défendez les intérêts des adoptants et des adoptés. Vous aidez les familles adoptantes, notamment sur les plans psychologique et juridique.

Nous aimerions connaître votre avis sur le projet de loi de Mme Ségolène Royal, relatif à l'accès aux origines personnelles et les modifications que vous souhaiteriez y apporter. On dit souvent que les parents adoptants sont favorables au maintien de l'accouchement sous X pour ne pas voir diminuer le nombre d'enfants adoptables, ni perturber leur vie de famille. Ne confond-on pas trop souvent anonymat et secret et ne serait-il pas nécessaire de mieux informer les femmes sur les autres possibilités qui leur sont ouvertes ? Que pensez-vous des dispositions régissant l'adoption plénière et des modifications envisagées ?

Mme Danielle Housset :  Notre association se nomme "Enfance et Familles d'Adoption". "Enfance" signifie le droit à l'enfance pour tout enfant. "Familles", au pluriel, car toutes sortes de familles d'adoption existent parallèlement à l'adoption plénière.

Nous ne sommes absolument pas un organisme autorisé pour l'adoption. Nous n'intervenons pas dans l'apparentement entre les parents et les enfants, même si nous avons un service "enfants en recherche de famille" qui met en rapport des familles ayant un projet très large d'adoption avec des enfants dits "à particularités". Cela permet d'offrir une possibilité d'adoption à des enfants difficilement adoptables : malades, handicapés, grandes fratries, enfants trop âgés ou enfants restés très longtemps en famille d'accueil, à l'aide sociale à l'enfance avant d'être déclarés juridiquement adoptables. Ils ont une histoire un peu plus complexe que les autres, qui demande une attention particulière et un projet de famille en coïncidence. Nous répertorions et accompagnons toutes ces familles. L'aide pour l'adoption de ces enfants s'inscrit dans le projet de travail de la ministre de l'enfance et de la famille.

Nous nous défendons entièrement d'être un syndicat de défense des postulants à l'adoption. Nous ne sommes pas faits pour revendiquer un droit à l'enfant. Nous essayons de faire comprendre, en accompagnant les postulants, que l'adoption est faite pour offrir une famille à un enfant qui n'en a pas et non pour satisfaire les parents qui recherchent un enfant.

Le choix entre l'adoption plénière et l'adoption simple dépend strictement du besoin d'un enfant. Certains ont des besoins particuliers. Ils ont des liens avec des familles d'origine, des liens basés sur la vie commune ou sur une histoire qu'ils ne veulent pas perdre. Ils doivent donc bénéficier d'une adoption simple, de la même façon que l'on peut bénéficier de l'adoption plénière dans d'autres situations. Certains enfants n'ont pas de parents pour des raisons multiples : soit parce que les parents ne pouvaient pas les accepter, soit parce que la société a jugé qu'ils ne devaient pas être parents de ces enfants.

Tous ces cas reflètent l'histoire de nos enfants. Pour eux, il est nécessaire de créer, non pas une filiation secondaire mais seconde, pleine et entière.

Les associations de famille adoptives n'ont jamais prôné l'accouchement sous X. Elles l'ont défendu très longtemps. Les mères qui accouchent sous X sont les mères de nos enfants, elles ne sont pas n'importe qui. Il y a forcément une profonde détresse du fait de devoir abandonner, de ne pas reconnaître un enfant, de le confier à la société. Nous pensions que l'accouchement sous X était l'un des moyens parmi d'autres de donner aux mères la possibilité d'accoucher décemment, d'être entourées pendant ce moment difficile, et de consentir (même si juridiquement elles n'en avaient pas le droit), à l'adoption de l'enfant mis au monde.

C'était aussi l'un des moyens pour que les enfants soient juridiquement adoptables très rapidement afin qu'ils ne soient pas tiraillés entre famille, familles d'accueil et aide sociale à l'enfance.

Nous avons soutenu cette position très longtemps en précisant que ce n'était qu'une possibilité parmi toutes celles qui pouvaient être proposées aux mères et qui sont les suivantes :

1. Il y a l'accouchement sous X : entrée anonyme en maternité sans donner son nom à ce moment-là ni au moment où l'enfant naît, ne pas le reconnaître, et ne pas avoir la capacité juridique de consentir à l'adoption de cet enfant, mais simplement le remettre à la collectivité publique.

2. L'accouchement avec demande de secret d'identité : on entre à la maternité en donnant son nom, mais à l'accouchement, on demande que le nom ne soit pas divulgué et qu'il n'apparaisse pas dans le dossier de l'enfant. Une entrée à la maternité en donnant son nom, donnait une possibilité certaine, soit de reconnaissance ultérieure de l'enfant, soit de se faire reconnaître plus tard comme celle ayant mis au monde l'enfant.

3. Ensuite, il y a la possibilité d'entrer à la maternité, de donner son nom, mais de ne pas reconnaître l'enfant à l'état civil.

4. Enfin, le dernier cas, le plus utilisé : donner son nom, mettre au monde un enfant en lui donnant son nom et le reconnaître à l'état civil. Le reconnaître, mais aussi avoir la possibilité de le confier en vue d'adoption.

Il est fondamental que le projet de loi, et non pas les décrets d'application - que la mère soit invitée à donner son nom, qu'on maintienne l'accouchement sous X ou que l'on le supprime - précise qu'il faut remettre à toute femme qui accouche d'un enfant un document écrit lui présentant l'ensemble des possibilités et l'ensemble des aides matérielles ou psychologiques existantes et qu'elle dispose de deux mois de réflexion pour décider de reprendre l'enfant ou de le confier au service de l'aide sociale à l'enfance. Ces mères, ces pères sont forcément des êtres en détresse. Ils ont besoin de cet accompagnement, et nous devons leur faire connaître leurs droits.

En ce qui concerne le Conseil national d'accès aux origines, il faudra aussi leur laisser un écrit expliquant quelles sont leurs possibilités de se faire connaître, leur capacité à aller ou non vers l'enfant qu'elles ont mis au monde. Cela n'a pas été fait jusqu'à présent. Nous l'avions demandé lors de la loi de 1996. Or, rien n'a été fait en ce sens, ce qui est lamentable !

L'effort méthodologique consistant à formaliser un questionnement relatif à l'accompagnement des mères de ces enfants, n'a pas été fait non plus. Cela doit être fait quelle que soit la modification de la loi. Il faut prévoir des accompagnements très spécifiques.

Depuis cinq ans, nous ne prenons plus position par rapport au maintien ou à la suppression de l'accouchement sous X. En premier lieu parce que l'on nous a dit que cela ne nous regardait pas ! (personne ne parlait alors de l'accouchement sous X, de ces mères). Nous avons beaucoup travaillé avec l'association des pupilles de l'Etat qui nous disait la grande difficulté d'accès à leurs dossiers. Cela est sans rapport avec l'accouchement sous X, mais avec la pratique administrative qui se modifie quelque peu, depuis la loi sur l'accès aux documents administratifs.

Depuis quelques années, les adoptés ont une revendication qui, pour ceux qui font partie de cette association, correspond à une demande existentialiste. Ils sont les premiers acteurs de cette histoire. On voit également apparaître des associations de mères ayant accouché sous X. Les deux acteurs sont présents pour parler.

Mme Muguette Jacquaint : Il manque les pères !

Mme Danielle Housset : Et nous, parents adoptants. S'agissant du maintien ou de la suppression de l'accouchement sous X, nous ne prenons pas position. Néanmoins, nos demandes sur l'accès aux origines demeurent, en dépit de la modification de la loi.

S'agissant des pères, vous avez raison. D'ailleurs, je n'ai jamais dit "les mères" de nos enfants, sauf s'agissant de l'accouchement. Nos enfants nous posent des questions sur leurs parents de naissance. Ils le font au fil de leur vie. Ils les posent avec des mots différents et attendent des réponses différentes. Ils parlent de leurs pères comme de leurs mères de naissance.

Les quelques études faites sur l'accouchement sous X démontrent que beaucoup de mères ne veulent pas donner le nom du père. Allons-nous faire comme en Allemagne où l'on est obligé de donner le nom de la mère, de même que le nom du père ? Le but n'étant pas qu'il reconnaisse l'enfant, lui donne un nom ou une histoire, mais qu'il paye certaines choses. L'aspect obligation pécuniaire des parents de naissance prévaut. Nous sommes dans une philosophie totalement différente dans les pays latins.

Lorsque Mme Ségolène Royal a présenté son projet de Conseil national d'accès aux origines, cela a fait écho, pour nous, à quelque chose de très ancien. Nous avions écrit avec M. Pierre Verdier (qui était à la DDASS), l'association des pupilles, des psychologues et d'autres associations, un livre sur le droit à la connaissance des origines. Nous y évoquions la nécessité de créer un organe de médiation qui puisse favoriser la rencontre ou la connaissance entre les parents de naissance et leur enfant, adopté ou non.

Les annales des travaux des Nations-Unies montrent que l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant n'a pas été entièrement conçu pour que les parents de naissance se fassent toujours connaître des enfants, mais aussi pour que certains enfants aient droit à un état civil. Il s'adresse à certaines minorités ou situations, comme les Tamouls au Sri Lanka ou les vols d'enfants en Argentine. D'autres raisons président à l'article, outre le simple fait de connaître le nom de ses géniteurs.

Suite à la convention internationale, les adhérents de EFA se sont demandés comment faire se rencontrer des gens qui ont la volonté de se rencontrer. Quel est le lien que l'on peut créer, quel est le lieu que l'on peut trouver ? Il nous a paru pertinent de concevoir un organe de médiation nationale connu de tous, que l'on puisse saisir, qui soit détenteur de l'éthique, de l'information et du transfert de l'information. Au nom de quoi, pourrait-on empêcher deux adultes de se rencontrer dès lors qu'ils ont la capacité à le faire !

Nous demandions seulement de protéger la fragilité des enfants. Nous continuons à le demander. Le Conseil national, tel qu'il est proposé aujourd'hui, nous semble être une bonne proposition. Cela nous paraît être une avancée, quelle que soit l'idée que l'on puisse avoir du maintien ou de la suppression de l'accouchement sous X.

Pour l'administration, une nouvelle culture est en train de se mettre en place, car c'est elle qui a cultivé le secret. Pour citer mon cas, on m'a remis mon fils aîné en me disant "on ne sait rien de lui". Quand il a voulu voir son dossier, il y avait une vie entière dans son dossier et on la lui avait enlevée pendant des années !

Les renseignements sont importants, mais il convient cependant de s'assurer de leur exactitude.

Mme Martine Lignières-Cassouprésidente : Et qu'ils ne portent pas de jugement sur la mère.

Mme Danielle Housset : La nouvelle culture ne doit pas être empreinte de secret et de culpabilisation. Toute personne qui s'adresse à l'aide sociale à l'enfance se sent coupable ; même les postulants à l'adoption ont l'impression d'avoir à faire leurs preuves. Avant même de postuler à l'adoption d'un enfant, il faut prouver que vous allez être les meilleurs parents de la terre. Qui peut prouver qu'il saura être parent avant d'avoir un enfant et, avant la fin de la vie de ces enfants, qu'il a été un bon parent ?

Les services de l'aide sociale à l'enfance peuvent accompagner les familles en difficulté, mais nous ne sommes pas encore dans des rapports permettant à un citoyen d'aller de façon naturelle vers l'ASE pour demander de l'aide. Les gens ont trop peur d'être jugés.

Les parents qui venaient abandonner leur enfant étaient culpabilisés. Il y a quarante ans, les mots employés n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, mais il est vrai que les dossiers ne devaient être lus par personne. Des choses horribles ont été écrites dans les dossiers de nos enfants. Certaines choses sont inconcevables, on ne peut pas les faire lire à un enfant. Certes, certains enfants ont tellement fantasmé sur leur histoire, que quoiqu'ils découvrent, adultes, dans leur dossier, c'est souvent moins horrible que ce qu'ils avaient imaginé. Mais il faut accompagner la lecture de ces mots et de ces jugements.

Le projet de loi de Mme Ségolène Royal sera encore meilleur si cet accompagnement est particulièrement soigné, tant dans les services de santé pour l'accueil des mères, que dans les services de l'aide sociale à l'enfance pour l'accompagnement des mères de naissance, des pères, des enfants et de leurs familles adoptantes, susceptibles de se présenter.

Il est inconcevable de s'en remettre à une seule personne par département. Il suffit qu'elle soit absente ... Si deux personnes arrivent pour accoucher dans une maternité et que l'une se sauve, on aura tout raté. Cela s'est produit dans mon département, il y a quinze jours. Il est inadmissible d'en être encore là aujourd'hui.

Cet accompagnement doit donc être sincère, ne pas juger et offrir une continuité dans l'aide proposée, au fur et à mesure des événements de la vie.

En ce qui concerne les renseignements et les identités, le projet est-il fait pour les enfants ou pour les parents de naissance ? A notre sens, il est fait pour les enfants. Le projet sur l'accès aux origines personnelles s'adresse aux enfants qui veulent savoir d'où ils viennent et connaître leur histoire.

Lorsqu'il y a deux intérêts en présence, on est toujours obligé de sacrifier un intérêt pour que l'autre puisse avoir toute sa plénitude. Ces enfants ont souffert au départ de la rupture d'avec leurs parents de naissance qui ont fait un choix à un moment difficile pour eux. Le choix a été fait, l'enfant a été adopté, je le souhaite pour lui. Il a envie ou pas de revenir en arrière.

La volonté de l'enfant est primordiale. C'est donc à lui de demander à connaître ses parents de naissance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous trouvez donc normal que, dans le projet de loi, il n'y ait pas la possibilité pour la mère de rechercher l'enfant à partir de sa majorité ?

Mme Danielle Housset : La proposition qui avait été faite dans le rapport de la commission d'enquête présidée par M. Laurent Fabius énonçait que de façon systématique, à dix-huit ans, l'identité des parents de naissance soit mise au dossier de l'enfant. S'agissant de l'aspect systématique, la réponse des parents adoptants est "non". La demande de l'enfant existe, mais pas toujours uniformément ; elle n'existe pas pour tous les enfants, pas de la même façon et n'a pas le même objectif. Laissons aux enfants cette capacité de choisir le moment, le lieu et jusqu'où.

Il est primordial de ne pas introduire l'aspect systématique. Autant l'on peut faire énormément de bien aux enfants et à leurs parents de naissance avec ce projet de loi, autant on peut détruire des vies.

Certains enfants ne demandent rien, tandis que d'autres posent sans cesse des questions. La CADCO et les "X en colère" le confirment. Ils ont besoin de savoir à qui ils ressemblent. Les enfants accouchés sous X ne peuvent pas le savoir, mais la plupart des enfants adoptés le savent. En adoption internationale, beaucoup de familles ont des photos des parents de leurs enfants.

Il est grave de surgir dans la vie d'un enfant devenu adulte, ou pire, d'un adolescent, en lui imposant un passé qu'il n'a pas envie de voir immédiatement. Nous savons combien les adolescences sont difficiles. A certains moments, on n'a pas envie de voir bouleverser sa vie et il y en a d'autres où l'on a envie de changer sa vie. Nous n'avons pas le droit de bouleverser la vie des enfants.

Le projet devra être très précis en ce qui concerne la recherche sur la mère. Particulièrement pour ces femmes qui ont reconstruit leur vie en cachant ce qu'elles ont vécu. Certains membres de la famille peuvent ignorer cet événement de leur passé. Il convient de se montrer très discret. De la même façon qu'elles ont été protégées au moment où elle ne pouvait pas garder leur enfant, il sera nécessaire de les protéger à nouveau lorsque leur enfant voudra les connaître.

Beaucoup de demandes n'ont pas l'objectif de rencontre, mais de connaissance de l'histoire. Les informations que l'on possède au moment de l'adoption doivent être impérativement transmises aux parents adoptants.

Selon une personne que vous avez auditionnée, les parents adoptants ne veulent pas connaître l'histoire de leur enfant. Ce ne sont pas des adoptants qui ont pu dire cela ! Si vous saviez combien les enfants demandent et combien il est important de répondre à leurs questions ! Il convient d'employer leurs mots, les mots de leur âge ; vous ne répondez pas la même chose à un petit garçon de quatre ans, une fille de quinze ans ou une future maman de vingt-cinq ans !

Nos enfants disent par exemple : "Peut être que ma mère avait les mêmes cheveux que toi !", ils disent cela et n'attendent rien d'autre. Parfois, cette phrase passe ou bien elle est dite dans un autre contexte, et alors vous sentez qu'il faut prendre le temps et dire des choses plus importantes.

Citons la question récurrente : "Est-ce que mes parents avaient d'autres enfants ?". Cela les intéresse beaucoup. Quand nous leur disons qu'il était un premier enfant, cela est satisfaisant jusqu'à un certain âge. Plus l'enfant grandit, moins cela suffit... Ensuite, il réalise qu'après un premier enfant, on peut en avoir d'autres. Un petit enfant dont la mère est célibataire et le père inconnu pense qu'il est possible de faire un enfant tout seul ! Plus âgé, il se pose la question de la réalité de l'homme dans l'acte de faire un enfant.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Vous avez demandé tout à l'heure si la mère pourrait savoir ou se trouve l'enfant ou obtenir de ses nouvelles.

Cela sous-entend que les parents adoptifs, seraient tenus d'effectuer un état du devenir de l'enfant, de rendre des comptes à l'administration et donc, ne pas être des parents comme les autres. La situation est ambiguë. Il serait préférable d'inciter les familles à mettre des éléments dans un dossier qui pourrait être consulté par la mère de naissance de l'enfant. Laisser trace du parcours de l'enfant afin que la mère ait des nouvelles à tout moment ne me paraît pas cohérent...Il nous est demandé d'être parents à part entière et nous voulons que nos enfants s'intègrent dans notre famille. Cet élément peut insécuriser les parents et les enfants dans leur statut.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La personne que l'on a auditionnée tout à l'heure disait que les mères aimeraient au minimum avoir des nouvelles.

Mme Danielle Housset : C'est vraiment quelque chose de très difficile.

L'adoption internationale nous montre l'exemple. Les enfants que l'on n'adoptait pas en France il y a vingt ans, sont adoptés aujourd'hui grâce à l'adoption internationale. Certains pays demandent un suivi. Quand le suivi est juridiquement organisé, cela est assez gênant, en raison de notre conception de la famille et du droit au respect de la vie privée. En revanche, dans les pays où l'on nous demande des nouvelles, cela s'effectue sur la base du volontariat. Si l'on est capable d'envoyer de manière régulière des nouvelles, des photos, une lettre, on peut choisir d'adopter dans un pays qui demande un tel engagement. Sinon on n'y adopte pas. Cela doit rester volontaire. Certaines familles sont tout à fait capables de faire cela.

De la même façon, des éléments de la vie de l'enfant peuvent être mis à la disposition de la mère par l'intermédiaire de l'enfant lui-même. Nous ne parlons pas constamment du passé avec nos enfants, mais cela revient périodiquement. Il est rare qu'une famille adoptive dise que l'enfant n'a jamais parlé de son passé. A cette occasion, face à un enfant qui demande comment était sa mère, nous pouvons insuffler que, peut-être, elle aussi aimerait savoir comment il est... S'il demande comment on peut faire pour qu'elle le sache, nous pouvons alors lui expliquer qu'il existe un dossier dans lequel il peut déposer une photo.

Il appartient aux parents d'ouvrir les portes qui conduisent vers le passé de nos enfants, de leur permettre cette liberté.

Dans mon cas précis, on nous a dit que le dossier était vide, ce qui était faux. Cette porte a été ouverte. Maintenant, notre enfant sait qu'il peut y retourner tout seul, ce que nous lui avons rappelé quand il a eu dix-sept ans. Sa réponse a été : "Vous viendrez quand même avec moi ?"

Nous n'avons pas de crainte à avoir, mais des portes à ouvrir. Nous avons fait grandir nos enfants pour qu'ils deviennent des adultes et qu'ils aient cette liberté de faire ce qu'ils veulent de leur passé et de leur futur.

Dans le cas des enfants étrangers, nous devons également leur donner le droit et la liberté de se rendre ou pas dans leur pays. Cela leur appartient et ce serait dommage que leurs parents eux-mêmes les en empêchent.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : L'une de nos demandes est que le Conseil national d'accès aux origines personnelles intègre aussi le volet adoption internationale, comme prévu dans les termes de la convention de la Haye.

Les autorités centrales doivent conserver les éléments mis à leur disposition. Tous les pays n'entrent pas forcément dans le système conventionnel. Par contre, de nombreux pays se tourneront peut-être, à l'avenir, plus facilement vers des conventions bilatérales, comme la France l'a fait avec le Vietnam.

Il est important d'intégrer cette notion dans les conventions bilatérales signées par la France : que tout élément sur le passé de l'enfant qui pourrait être porté à la connaissance des autorités centrales concernées soit centralisé en un lieu précis. Ainsi, les parents pourraient, tout comme en France, se faire connaître des années après avoir remis leur enfant en adoption.

Que fait-on de cette demande des familles ? Où arrive-t-elle ? Il n'y a pas de structures qui centralisent les démarches individuelles. Certains organismes cessent leur activité, d'autres ont parfois travaillé avec un pays qui s'est fermé à l'adoption. Que deviennent leurs archives ? Dans l'actuel décret sur les OAA, les archives sont déposées auprès du conseil général du lieu de création de l'organisme agréé. Or, les familles ont pu déménager dans un autre département... Il nous semble plus judicieux que les archives de ces organismes soient conservées par le Conseil national d'accès aux origines afin de centraliser les informations dans un lieu repéré.

Mme Danielle Housset : Vous souhaitiez savoir si le texte ne s'opposait pas à l'idée que nous avons en France de l'adoption plénière. Tout d'abord, l'adoption plénière permet d'aller vers ses origines de la façon la plus simple. Elle installe de manière définitive un enfant dans sa famille. S'il claque la porte, il sait qu'il peut revenir, comme dans une famille de naissance. A partir du moment où il a ce sentiment d'appartenance, essentielle, il peut construire sans culpabilité un sentiment d'appartenance à une autre famille.

Dans un système unique d'adoption simple, l'enfant est encore lié à sa famille de naissance qui semble l'avoir renié, sans quoi il ne serait pas adopté... Il demeure une obligation d'ordre alimentaire. Néanmoins la place que la société lui a faite est dans cette deuxième famille. Comment revenir vers la première lorsque l'on n'est pas certain de pouvoir rester dans la seconde ! De plus, cette filiation peut être révoquée.

Le sentiment de l'appartenance, la stabilité, la certitude que vos parents sont vos parents permettent la confrontation au passé. J'en suis intimement persuadée. Le sentiment d'une double appartenance ne peut éclore qu'à partir du sentiment de l'appartenance réelle.

En second lieu, par rapport à la loi présente ou future, en quoi le fait de pouvoir revenir vers ses origines empêcherait-il qu'il y ait une filiation pleine et entière ?

En termes de filiation, juridiquement parlant, soit on postule que le fait de mettre un enfant au monde crée la filiation, et alors on ne peut rien faire ensuite, soit on établit que ce qui crée la filiation est la volonté d'être parents, une volonté dite, comme elle peut l'être par le biais de la reconnaissance. Cette volonté dite est celle de l'adoption. Dès lors, la filiation est un acte juridique qui n'a rien de commun avec le fait d'"être mis au monde par" ou d'"avoir été conçu par", s'agissant des pères.

Le fait de donner la possibilité aux enfants de rencontrer leurs parents de naissance - l'objectif est bien celui-ci - ne remet nullement en cause le fait que l'adoption plénière puisse subsister de manière pleine et entière en installant l'enfant dans sa famille adoptive de façon juridiquement stable et irrévocable.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : On a malheureusement lu dans des jugements de familles candidates à l'adoption plénière que la famille demandait ce type d'adoption dans le but de gommer l'origine des enfants. Il y a une confusion entre le lien juridique et le lien affectif. Nous jugeons indispensable que le statut soit toujours le plus stable possible et offre suffisamment de sécurité.

La situation juridique de l'enfant venant de l'étranger rencontre la réalité affective de cet enfant qui a pu maintenir des liens avec les membres de sa famille d'origine. Il bénéficie d'une adoption plénière sans pour autant que le lien affectif établi auparavant soit rompu. L'un n'est pas en contradiction avec l'autre.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'adoption plénière aboutit souvent au gommage de l'identité originelle : le nom, le prénom ; éléments symboliques extrêmement forts aujourd'hui.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Il faudrait que vous disposiez d'éléments statistiques. De plus en plus, les familles maintiennent le prénom de l'enfant en première ou deuxième place. Les enfants font très vite leur choix. Il est aujourd'hui rarissime que les familles modifient complètement l'état civil de l'enfant. La connaissance des origines n'est en aucun cas gommée par l'adoption plénière. L'état civil de naissance apparaît dans le jugement. Quand la filiation est connue, elle apparaît dans les documents qui lui sont propres et que les familles gardent précieusement dans le dossier de l'enfant. L'adoption plénière n'empêche pas du tout cela.

Mme Véronique Neiertz : J'ai largement participé à la réforme de l'adoption, je suis heureuse de vous réentendre et de constater que le texte sur l'accouchement sous X n'a de sens - pour moi qui suis rapporteure pour la commission des lois - qu'en raison de l'existence de l'adoption plénière pour toutes les raisons que vous avez développées.

En temps opportun pour l'enfant, il convient de faire coïncider la volonté de l'enfant (avec le consentement des parents adoptifs) avec le désir de la mère biologique. Les renseignements identitaires étant conservés par une instance nationale, cela me paraît inévitablement lié, sur les plans juridique, psychologique, voire existentiel, à la forme plénière d'adoption telle qu'elle est pratiquée en France.

Nous sommes d'accord sur le fait que ce texte ne le remet pas en cause. Il intègre les aspects positifs de l'adoption plénière tant pour l'enfant que pour ses parents adoptifs.

S'agissant de l'adoption internationale, je suis obligée d'aller au-delà. Nous avons déjà débattu de cela. Il y a des pays ou l'adoption n'est pas reconnue. En France, on ne peut pas ignorer le problème de l'adoption d'enfants maghrébins d'origine musulmane. Dans ce cas, l'accès aux origines est synonyme de condamnation à mort pour la famille. Dans un premier temps, nous serons contraints de légiférer hors conventions bilatérales avec les pays maghrébins et de continuer tant bien que mal, selon les méthodes que vous connaissez.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : La loi actuelle de ces pays ne permet plus aux enfants maghrébins de venir sur le sol français pour adoption. Le problème est donc pratiquement résolu !

Mme Véronique Neiertz : Je m'étais arrêtée à la possibilité de le faire, mais par des voies détournées et inavouables.

Nous avons réglé la situation avec le Vietnam. Les pays tels que la Chine ne voulaient pas accepter l'adoption plénière. Certains pays veulent garder un lien avec la famille d'origine. Comme vous le disiez très bien, si les parents adoptants ne peuvent supporter ce type de situation, il est préférable qu'ils n'adoptent pas dans ces pays.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Une réunion avec tous les pays signataires de la convention de La Haye a eu lieu ; dix-sept pays d'origine des enfants étaient représentés. Tous ont réclamé pour leurs enfants adoptés en France un statut d'adoption plénière.

Mme Véronique Neiertz : C'est très réconfortant !

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Le Sri Lanka, la Colombie, mais aussi le Costa Rica, le Mexique, le Burkina Faso, etc. Ce qui n'empêchait pas certains de demander un suivi pour avoir des nouvelles. Ils voulaient être certains que leurs enfants bénéficieraient du statut le plus favorable, comme les petits Français. En même temps, ce sont encore leurs enfants. Ils ont distingué ces deux plans.

Mme Véronique Neiertz : Les organismes de médiation pourraient prendre cela en charge.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Comme l'autorité centrale.

Mme Véronique Neiertz : Ce sont les associations qui recueillent les éléments identitaires contenus dans les dossiers des associations disparues pour de multiples raisons. Serait-il envisageable d'intégrer à la loi une disposition prévoyant que, dans ce cas, l'association aurait la possibilité de remettre les dossiers qu'elle détient, et qu'elle ne peut garder, à l'instance nationale de conservation des dossiers ? Il convient de le prévoir. Nous n'avions pas pensé à ces cas précis, mais cela me paraît être une disposition nécessaire à l'application future de la loi, de même que pendant la période de transition.

Mme Danielle Housset : Nous vous soumettons l'idée selon laquelle, les informations contenues dans les archives des organismes habilités pour l'adoption en cessation d'activité doivent être impérativement transmises au Conseil national d'accès aux origines.

Mme Véronique Neiertz : Les associations ne verraient-elles pas cela d'un mauvais _il ?

Mme Danielle Housset : Les associations de familles adoptives, non ! Un organisme agréé est chargé aujourd'hui d'une mission de service public d'adoption. Il est soumis, à minima, aux même règles que le service public.

Mme Véronique Neiertz : Si l'on parle d'organisme agréé, la chose est résolue.

Mme Danielle Housset : Nous ne demandons pas qu'ils transmettent toute information en leur possession lorsqu'ils sont en fonction, mais seulement en cas de cessation.

Mme Véronique Neiertz : Peut-on l'inscrire dans la loi afin de garantir le droit des enfants, comme de la mère biologique, de se retrouver et d'éviter que ces précieux dossiers ne disparaissent dans la nature ou dans le grenier d'un héritier ?

Mme Danielle Housset : Tout un cheminement de pensée s'est produit dans la société française. Nous ne sommes plus du tout dans l'état d'esprit des années 80 quand les parents de naissance étaient encore montrés du doigt. Cette évolution est acquise. La question ne se pose plus de savoir si l'on a raison de le faire ; nous devons le faire !

La conférence de La Haye rassemble quasiment tous les pays d'origine et d'accueil des enfants et nous sommes dans un mouvement irréversible. D'autres évolutions apparaîtront peut-être dans vingt ou trente ans.

Nous élaborons cette loi aujourd'hui et nous devons envisager les demandes potentielles des autres pays en matière de transmission des informations à destination des parents et des enfants. Il faut annoncer dès à présent l'existence du Conseil national d'accès aux origines personnelles afin d'ouvrir la voie à l'adoption internationale. Ce volet est à inclure même si peu de pays aujourd'hui fournissent de vrais renseignements sur les enfants, bloquent les recherches effectuées sur place et nous demandent néanmoins des nouvelles.

Dans les dossiers de nos enfants, il y a parfois un élément bloquant qui stoppe les recherches dans certains pays d'origine. Une idéologie différente en matière de circulation des enfants ou de droit des adultes et de certaines minorités est souvent à l'origine de ce phénomène.

Nous sommes dans un système différent pour les enfants des pays de droit musulman. Aujourd'hui encore, beaucoup de jeunes femmes musulmanes accouchent sous X, parfois même accompagnées par leur ami, musulman également. Ils ne peuvent pas dire à la communauté qu'ils sont musulmans et qu'ils ont un enfant parce qu'ils ne sont pas mariés. Ils risquent trop à le faire et l'enfant risque encore plus qu'eux ! Des évolutions se produiront...

Prenons donc toutes les précautions afin que, lorsque cela arrivera, on n'ait pas à changer à nouveau la loi ! Une loi doit être stable, marquer le droit, et les droits. Si elle est modifiée tous les trois à cinq ans, elle perd sa signification.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : En ce qui concerne la demande de renseignements en France, il me semble important qu'elle se fasse de façon concomitante. Imaginons un jeune de dix-sept, dix-huit ans, qui consulte son dossier. Il n'y a pas l'identité de sa mère dans le dossier. Quatre ans plus tard, la mère de naissance lève le secret. Que fait-on ? Prévient-on le jeune dont la demande n'est peut-être plus d'actualité ?

La consultation du dossier nécessite une explication et un accompagnement afin de bien expliquer au jeune adulte ou à l'adolescent que d'autres informations peuvent surgir et qu'il devra réitérer sa demande pour les obtenir.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Concrètement, comment fait-on ?

Mme Marie-Hélène Theurkauff : S'il sait que d'autres informations peuvent apparaître plus tard, il peut renouveler sa demande tous les ans ou tous les deux ans, mais encore faut-il le lui avoir expliqué !

Mme Danielle Housset : Le cas cité est déjà prévu dans la loi de 1996. L'essentiel est que lorsque l'enfant vient la première fois, il soit informé de toutes les éventualités. S'il ne revient pas, cela veut dire qu'il a fait le deuil, que sa vie peut se dérouler pendant un certain temps sans qu'il ait besoin de cette rencontre. Ce besoin de savoir qu'il avait et n'a plus peut resurgir plus tard.

Cette loi doit être conçue pour les enfants. Il ne s'agit pas de sacrifier quelqu'un. Au départ, lorsque l'on permet aux parents de confier leur enfant sous le secret ou non, que la collectivité prend en charge cet enfant et le confie à d'autres parents pour créer une vraie famille pour cet enfant, on a aidé les parents de naissance qui ne pouvaient pas assumer cette naissance, on leur a donné cette chance. La chance est également donnée à l'enfant de faire sa vie et de devenir un adulte équilibré. Il est bien dans ses baskets ! Allons-nous les lui délacer à un moment où il n'en a pas envie ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lorsque la mère lève le secret cinq ans après la première demande de l'enfant, le Conseil des origines pourrait-il informer l'enfant majeur que sa mère a levé le secret, simplement cette information ? Ensuite, celui-ci en ferait ce qu'il veut.

Mme Danielle Housset : Non, justement, on n'en fait pas ce que l'on veut. Récemment, dans un département, une mère à levé le secret de son identité. L'ASE a jugé bon de prévenir la famille adoptive. Un an auparavant, l'enfant était allé consulter son dossier. Cela ne signifie pas forcément avoir envie de connaître une identité ou rencontrer ses parents de naissance, mais avoir envie de connaître une histoire. Cette gradation entre connaître une histoire, une identité, rencontrer s'étend parfois sur toute une vie.

La famille s'est donc retrouvée avec ce problème qui lui a encombré l'esprit et a modifié son comportement à l'égard de l'enfant. Elle s'est demandé : "Dois-je le lui dire puisqu'il l'a demandé, il y a un an ou dois-je le taire parce qu'il ne le demande plus ?" Cette décision est très difficile à prendre. Voulez-vous faire reposer cette responsabilité sur les épaules des parents adoptants ?

Mais alors a-t-on le droit de faire reposer cette responsabilité sur les épaules de l'enfant ? Cet enfant qui ne demande plus rien ou encore rien, allez-vous lui donner la responsabilité de dire "non, je ne veux pas " ou l'obliger à dire, "oui, je le dois" ? N'allez-vous pas induire chez cet enfant une dette par rapport à sa famille de naissance ?

Mme Marie-Hélène Theurkauff : D'ailleurs, il ne serait possible de contacter les enfants que par l'intermédiaire des parents adoptants, car le Conseil national des origines n'aura pas les coordonnées des enfants devenus adultes, en l'absence de demande de sa part. C'est donc bien sur les parents adoptifs que reposera la responsabilité de dire s'il y a une nouvelle information dans le dossier des enfants.

M. Patrick Delnatte : Vous avez parlé d'éléments à donner aux parents adoptifs afin qu'ils puissent les remettre à l'enfant au fur et à mesure que celui-ci grandit. En cas d'adoption, seriez-vous favorable à ce que l'on remette aux parents adoptifs un dossier contenant des éléments non identifiants (dossier médical, historique, etc.).

Vous dites que tout doit être fait sur la base de la volonté de l'enfant. Le texte parle de double volonté : volonté de la mère et de l'enfant. On a entendu la proposition selon laquelle, à partir de sa majorité, la volonté de l'enfant suffit pour connaître les origines. Un équilibre est à trouver dans tout cela. La double volonté semble incontournable.

Mme Danielle Housset : S'il n'y a pas de demande de secret, tous les éléments concernant les parents d'origine peuvent être obtenus. J'ai adopté en France et à l'étranger. A l'étranger, on a l'identité, la date, le lieu de naissance, etc. En France, on a beaucoup plus que ce que l'on croit : le jugement d'adoption fait référence au consentement et aux noms des parents quand il ne s'agit pas d'un accouchement sous X.

Quand notre fils aîné nous a été confié, une fratrie de trois enfants nous a été proposée. Nous avons refusé cette fratrie, nous ne nous en sommes pas sentis capables. Ces enfants avaient un nom, une histoire qui nous a été racontée en détail. Il fallait que nous le sachions pour prendre une décision. Il serait faux de croire que la mise en relation des parents adoptants avec l'histoire de leur enfant se passe dans le plus grand anonymat !

Tous les renseignements que l'on possède sur l'enfant et l'histoire des parents peuvent être identifiants. La loi de 1996 parlait de renseignements non identifiants uniquement en référence à l'accouchement sous X. Toutes les informations connues des services doivent être portées à la connaissance des parents. C'est à nous qu'ils posent des questions !

M. Patrick Delnatte : Vous êtes cependant favorable au maintien de l'accouchement secret ?

Mme Danielle Housset : S'il y a une demande de secret d'identité, il faut la respecter. Cela peut se faire sans l'anonymat de l'accouchement sous X : il n'y a pas d'identité dans le dossier des enfants et dans l'histoire que l'on donne aux parents. Les cas autres que l'accouchement sous X sont beaucoup plus importants en nombre.

Mme Marie-Hélène Theurkauff : Si on peut ne pas avoir l'identité, dès lors que l'on a un certain nombre d'éléments qui nous permettent de répondre à nos enfants, c'est déjà bien. Il est dommage de les découvrir dans un dossier lorsque l'enfant atteint treize ou quatorze ans.

Mme Danielle Housset : A propos de la double volonté, il aurait été préférable que le projet parle de demandes concomitantes. Nous aurions pu prévoir par exemple une demande qui se situe dans un espace temps de six mois, un an ou une demande qui a été faite et renouvelée.

Le projet de Mme Ségolène Royal renforce le droit donné à l'enfant en envisageant la démarche de recherche à son initiative : "à la demande de l'enfant". EFA ne s'était pas orienté dans cette direction, préférant deux demandes qui se rencontrent dans un laps de temps donné.

La difficulté réside dans la capacité de toucher uniquement la personne intéressée. Seuls le père et la mère sont éventuellement intéressés. Les maris de ces femmes sont-ils informés de son histoire ? Les enfants ? Moins souvent qu'on ne le croit ! Il faudra donc un tact que l'administration n'a pas toujours. Il faut empêcher toutes les officines qui pourraient se mettre sur les rangs pour faire de la recherche de parents d'origine au bénéfice des personnes demandeuses ou non.

Nous aurions donc préféré la demande concomitante.

Mme Véronique Neiertz : Vous voulez dire sur une durée délimitée dans le temps ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et que l'on pourrait renouveler ?

Mme Danielle Housset : Lorsqu'un enfant dit qu'il veut rencontrer sa mère, on l'informerait que si dans deux ans par exemple, il ne la renouvelle pas, la demande est annulée. Du côté des parents, les choses sont différentes, on a une demande de secret puis une levée de secret. Une fois que le secret est levé, c'est irréversible ! L'identité se trouve dans le dossier de façon définitive.

Dans le projet, un point m'inquiète beaucoup, car je crains que l'on aille trop loin. Il est dit qu'à partir du moment où l'enfant fait connaître au Conseil national d'accès aux origines sa demande à connaître ses origines, les demandes qui émanent de sa famille d'origine lui sont adressées. Quelle est la demande de l'enfant ? Est-ce une demande d'identité, de rencontre ou d'histoire ? Dès lors que l'enfant adresse une demande au Conseil national des origines, si une demande de rencontre émane de la famille de naissance, l'enfant sera recherché. A une demande d'identité, on répondra par une offre de rencontre. Il faut faire attention à tout ce qui est en nuance dans ce projet.

M. Patrick Delnatte : Comment pourrions-nous parvenir à légiférer sur toutes ces nuances ? Il faut trouver une formule de médiation qui soit capable de faire l'analyse et la synthèse de ces nuances.

Audition de Mmes Maya Surduts, secrétaire générale,

Nora Tenenbaum, Danièle Abramovici et Valérie Haudiquet,

membres de la CADAC.

Réunion du mardi 24 avril 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Maya Surduts : Nous souhaitons comprendre pourquoi il est devenu si important de connaître ses origines et pourquoi l'accent est mis sur l'accouchement sous X, alors qu'existent également l'abandon, la procréation médicalement assistée et l'adoption plénière. Nous pensons que cela s'inscrit dans une volonté d'accorder le primat au biologique par rapport à l'affectif et au social.

Nous considérons que les vrais parents sont ceux qui élèvent l'enfant. C'est très important. Il y a une véritable remise en question d'un débat qui semblait dépassé : la distinction entre procréation et filiation. Cette différence d'importance est liée à l'évolution des techniques de contraception et à l'IVG.

Pourquoi parle-t-on autant des enfants ? Les femmes sont ignorées. On ne sait rien des mères. Lorsque l'on connaît tous les problèmes qui touchent la jeunesse et l'incertitude de l'avenir, on se demande pourquoi ces enfants auraient pour seul souci de connaître leurs origines. Cela nous choque !

Les pères sont absents, le silence est fait sur les mères. Il ne s'agit pas de violence à chaque fois, mais il peut y avoir des traumatismes. Sur le terrain de l'IVG, nous avons toujours revendiqué de ne pas questionner les femmes. C'est leur choix !

Nous sommes face à une situation extrême. A ce propos, je vous recommande le livre de Catherine Bonnet qui a fait une étude sur l'accouchement sous X. Le déni de grossesse est hallucinant ! Il est épouvantable de s'apercevoir par exemple qu'une femme a accouché debout dans la rue, sans douleur, sans savoir qu'elle accouchait ! Il y a des cas extrêmes, hallucinants, le déni est tel ! On ne peut pas le comparer à l'IVG. Quand la femme atteint six ou sept mois de grossesse, elle n'est plus en état de choisir.

Si une femme est dans l'incapacité de reconnaître son état de grossesse, comment pourrait-elle, non seulement élever l'enfant, mais aussi plus tard envisager de dévoiler son identité ? Ce peut être un traumatisme terrifiant pour elle et pour l'enfant.

La "loi Mattéi" de 1996 crée des conditions pour laisser des renseignements. S'il est possible de les compléter plus tard, tant mieux. Mais, cela pose d'autres problèmes ; cela signifie que, pendant ces années-là, on ne peut pas faire le deuil.

On en fait un problème de société de premier plan. Cela fait deux ans qu'il y a des émissions dans lesquelles l'on entend uniquement ceux qui ont souffert. Il faudrait avoir des études plus précises pour savoir qui en a souffert. Ce sont des cas isolés. Plus on en parlera et plus on dramatisera, plus cela deviendra le problème de ces personnes.

Nous considérons que les seuls parents sont ceux qui ont élevé l'enfant.

Ensuite, il y a un problème lié à la majorité. Supposons que le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles contacte la mère. Comment va-t-elle être contactée ? Par lettre simple, mais n'importe qui peut l'ouvrir, par lettre recommandée, souvent accompagnée d'une lettre simple, par acte d'huissier, par la police ou par la gendarmerie ? Dans tous les cas, cela représente une intrusion dans la vie privée de la femme. On va violer délibérément le droit au respect de sa vie privée.

Citons Mme Françoise Héritier qui considère que l'important, ce n'est pas l'identité mais l'histoire. Il est important de savoir d'où l'on vient, d'en avoir une idée même approximative. L'identité est-elle vraiment indispensable ? Cela peut être un choc pour tout le monde. En premier lieu pour la mère qui ne veut pas être mère. A-t-on le droit de ne pas être mère ou d'être une mauvaise mère  ?

Il y a eu une histoire hallucinante : une femme avait été violée par son oncle ; suite à cela, il y avait eu des viols successifs sur ses enfants. Elle a été condamnée à une peine terrible et lui n'a rien eu, alors qu'il était à l'origine de l'histoire.

A-t-on le droit de ne pas assumer d'être mère ? Se retrouver en situation de procréation ne signifie pas que l'on va devenir mère ! Peut-être vaut-il mieux aussi pour l'enfant qu'il en soit ainsi.

Mme Véronique Neiertz : Vous avez parlé de la "loi Mattéi". J'ai participé au débat sur l'accouchement sous X, j'ai vu les partisans de l'accouchement sous X, je suis heureuse d'entendre que le compromis auquel nous étions parvenus vous convient. Ce compromis était un peu une hypocrisie. On avait dit que l'on ne toucherait pas à l'accouchement sous X, mais qu'on pourrait demander à la femme qui accouche sous X un certain nombre d'éléments non identifiants.

Le texte précise : "La liste des éléments non identifiants, sera précisée par décret". Aucune des personnes que nous avons auditionnées n'a pu nous aider à préciser ces éléments. Nous avons renvoyé cela au décret qui n'a jamais pu sortir.

En fait, la "loi Mattéi" réformait l'adoption et apportait des précisions utiles. Le problème de l'accouchement sous X, abordé en fin de discussion, n'était pas l'objet du débat, ni même le but premier de la réforme.

Depuis 1996, de nombreux travaux de réflexion ont été menés sur les conséquences psychologiques qui pèsent sur les enfants qui ne connaissent pas leur histoire.

Plusieurs collègues revendiquaient le droit de l'enfant à connaître ses origines qui est inscrit dans la convention de La Haye que la France a ratifiée. Personne n'a contesté cela.

Puis, nous avons abordé le droit des femmes que vous venez d'exposer. Le droit élémentaire de ces femmes qui accouchent dans le secret pour toutes sortes de raisons, parfois traumatisantes, cruelles ou douloureuses et de toutes façons qui laissera des traces dans leur vie, est de pouvoir garder le secret. Dans le texte qui est proposé, elles gardent le secret et l'anonymat.

J'ai reçu à mon nom, en tant que rapporteure de la commission des lois, 6 650 cartes postales de l'association "Droit de naître". Vous connaissez leur argument  "En votant le texte, vous encouragez les femmes à avorter !". Or, dans mon département nous savons fort bien que le déni de grossesse ou la peur d'avouer sa grossesse conduit, soit à l'accouchement sous X dans le meilleur des cas, soit à l'infanticide ou encore au suicide. Et, l'on retrouve le bébé dans un sac plastique dans les poubelles. Dans le journal "le Parisien" de la Seine-Saint-Denis, tous les mois des nouvelles de ce genre sont relatées.

Pour nous, l'accouchement sous X est in-tou-cha-ble ! Il faut partir de ce postulat afin de bien se comprendre.

Ensuite, la mère peut changer d'esprit parce que cela devient moins douloureux, que son histoire évolue. Il peut y avoir ou pas demande de l'enfant. Le texte introduit la possibilité d'une demande de l'enfant de connaître son histoire ou des éléments de son identité, selon ce que la mère aura choisi de laisser et de communiquer.

Selon quelles modalités ? Nous devons en discuter afin de préserver les droits de la mère à garder l'anonymat, mais aussi pour permettre une rencontre souhaitée qui peut mettre fin à certaines souffrances ; il est permis de l'envisager aussi. Le texte est fait pour ces cas précis.

Selon quelles modalités ? Ce point est le plus délicat à préciser.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Même si les décrets ne sont pas intervenus, la "loi Mattéi" permet d'effectuer de nombreuses démarches de recherche des origines en direction de certains organismes. Un Conseil national d'accès aux origines personnelles qui centraliserait les informations n'avait cependant pas été envisagé. Aujourd'hui, les parents ou les enfants trouvent n'importe quoi dans les dossiers de la DASS. Ce texte propose de recueillir des informations impartiales, neutres et non culpabilisantes au sujet des parents de naissance.

L'accouchement sous X permet une protection pour la mère, mais celle-ci y consent par non-choix. Un excellent rapport du service des droits des femmes montre les différentes typologies de femmes, abandonnées par les hommes, contraintes dans la majeure partie des cas d'accoucher sous X, pour des raisons économiques ou culturelles, s'agissant de femmes venant du Maghreb notamment. L'accouchement sous X est une mesure de protection pour la mère et l'enfant.

L'une de mes préoccupations par rapport à ce texte est celle de parvenir à un certain équilibre au niveau de la recherche des origines, de l'histoire ou des nouvelles.

Nous sommes amenés à légiférer à nouveau, cinq ans après la "loi Mattéi", parce que nous n'avons pas été au bout de la démarche, notamment en ce qui concerne le recueil des informations.

Mme Véronique Neiertz : Oui, mais cela était volontaire.

Mme Nora Tenenbaum : Au nom de quoi remettre en question l'accouchement sous X ? Sauf à s'appuyer sur le seul droit de l'enfant à connaître ses origines... Cela néglige le droit de la femme à vivre son histoire. Cela remet en question l'égalité de traitement homme-femme, comme par exemple dans le cas de l'anonymat des dons d'ovocytes et de spermatozoïdes. Privilégier l'accès aux données biologiques, au nom du droit de l'enfant à connaître ses origines, remettrait aussi en question l'anonymat des dons de gamètes.

Nous proposons de conserver l'accouchement sous X en laissant à la femme la possibilité de donner des éléments non identifiants ou son identité, au moment de son choix. A partir de là, on pourrait imaginer la mise en place d'une commission de "sages" ayant le recueil de ces renseignements susceptibles de permettre à la mère d'exprimer son identité, à l'enfant d'accéder aux informations, et de favoriser une rencontre si tel est leur souhait.

Actuellement, le biologique prévaut sur l'histoire et le vécu des personnes. La famille biologique devient presque plus importante que la famille adoptante. Sur cette évolution, nous restons très critiques.

Mme Véronique Neiertz : Les familles adoptantes n'ont pas cette inquiétude. Il est assez rassurant de constater qu'elles prennent ce texte avec beaucoup de philosophie. Les balises posées dans le texte, visant à donner le droit de rechercher une information sur son histoire ou ses origines, rendent les familles extrêmement confiantes en cas d'adoption plénière. Ce texte conforte l'adoption plénière.

A dix-huit ans, l'enfant est confronté à un choix. La famille adoptive doit-elle être seule face à la demande de cet enfant qui veut connaître son histoire ? Beaucoup aimeraient être aidés.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les démarches peuvent être faites avant dix-huit ans. Mais à partir de dix-huit ans, l'enfant devenu adulte n'a plus besoin de l'accompagnement des parents.

Mme Véronique Neiertz :  Enfant, il peut faire les démarches avec ses parents adoptifs, mais le dossier peut être vide.

Mme Maya Surduts :  Aujourd'hui, les parents adoptifs ne prétendent pas que les enfants sont de leur chair, ils disent la vérité assez tôt à l'enfant. Dans la mesure où l'attitude des parents adoptants évolue, le problème ne se pose plus dans les mêmes termes.

Mme Danielle Bousquet : C'est justement parce que les parents adoptants ont une parole vraie en direction des jeunes que le problème est posé. Je n'ai pas envie que seuls les droits de l'enfant prévalent. La femme qui ne veut pas être mère l'a été parfois par accident de son histoire. Elle a le droit de refuser cette histoire. Nous devons veiller au respect de la vie privée de la femme dans la manière dont on s'adresse à elle pour lui demander si elle souhaite dévoiler quelque chose.

Je suis très inquiète de cette disposition. On ne peut pas décider de troubler la vie d'une femme en lui présentant un enfant qu'elle a essayé de gommer de sa vie ! C'est son droit le plus strict, autorisé par la loi sur l'accouchement sous X. Il faut absolument veiller à respecter la femme autant que l'on souhaite respecter l'enfant. Ce n'est pas antinomique. Or, le texte semble les opposer en valorisant le droit de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tous ceux qui se sont exprimés à présent sont assez d'accord et pensent que c'est un texte d'équilibre.

Mme Véronique Neiertz : L'accouchement sous X continue d'être la seule solution pour un très grand nombre de très jeunes femmes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le rapport du service des droits des femmes indique qu'il y avait environ 10 000 femmes accouchées sous X par an en 1950, et qu'elles ne sont plus que 700 aujourd'hui : on se situe donc plutôt dans la symbolique.

Mme Danièle Abramovici : L'enfant a droit à un accouchement décent plutôt que dans la rue ou dans de mauvaises conditions.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Tout à fait, mais il y a possibilité de recourir à d'autres modes d'accouchement qui préservent la confidentialité.

Longtemps, l'accouchement sous X a été proposé aux femmes afin d'obtenir une adoption plénière plus facile. Un certain nombre d'associations le confirment. Les autres formes d'accouchement n'étaient pas valorisées au moment de l'accouchement.

Mme Danielle Bousquet : Différents moyens permettent de respecter l'anonymat de la femme, mais l'intérêt de l'enfant est aussi à considérer.

Audition de M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines et de Mme Laurence Stricanne, inspectrice de l'aide sociale à l'enfance chargée du service de l'accès aux origines, de l'adoption et des pupilles

Réunion du mercredi 2 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Christophe Darasse, directeur de l'action sociale du département des Yvelines, et Mme Laurence Stricanne, inspectrice de l'aide sociale à l'enfance, chargée du service de l'accès aux origines, de l'adoption et des pupilles. La Délégation aux droits des femmes mène actuellement une série d'auditions sur le projet de loi de Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles. Nous avons déjà entendu les enfants nés sous X et les "mères de l'ombre", qui ont évoqué les difficultés des enfants pour accéder à leur dossier et la difficulté des mères à lever ultérieurement le secret de leur identité.

Sous votre responsabilité, votre service a mis en place un dispositif spécifique d'accompagnement pour la recherche des origines, dont nous aimerions connaître le fonctionnement. Nous souhaiterions également approfondir avec vous les difficultés auxquelles se heurtent les enfants qui recherchent leurs origines, les raisons de ces difficultés et les mesures susceptibles d'y remédier, ainsi que, de la même façon, les difficultés spécifiques aux mères qui désirent lever le secret.

M. Christophe Darasse : Je vais vous décrire l'organisation des services du département des Yvelines et aborder notamment les deux points en question : l'accouchement sous le secret et les problèmes posés par l'accès aux origines personnelles.

Nous avons constitué, dans les Yvelines, une petite équipe composée de deux professionnelles - une assistante sociale et une éducatrice - afin de travailler autour de l'accouchement sous le secret. Cette équipe intervient dans le cadre d'une délégation du président du conseil général et travaille en lien avec un psychologue vacataire, un cadre technique socio-éducatif et l'inspecteur des adoptions.

Cette équipe travaille de la manière suivante. Elle rencontre, lorsque cela est possible, les femmes avant l'accouchement, ce qui leur permet de mieux préparer l'entretien qui a lieu peu de temps après la naissance de l'enfant.

Le plus souvent, ce sont des assistantes sociales des hôpitaux ou des services de la protection maternelle et infantile qui orientent vers elles les femmes souhaitant obtenir des renseignements préalables sur cette démarche. Lorsqu'elles rencontrent ces femmes à la maternité, elles leur précisent qu'elles ont le droit de choisir les prénoms de l'enfant, ce qui est souvent le cas, et de laisser des éléments non identifiants ou identifiants qui seront conservés au dossier sous pli confidentiel.

Par ailleurs, les professionnelles de cette équipe communiquent leurs coordonnées à ces femmes qui accouchent, après leur avoir bien mentionné les délais et les conditions de rétractation et leur avoir précisé qu'elles restaient à leur disposition pour tout soutien éventuel.

Sur le plan quantitatif, dans le département des Yvelines, en 1999, huit enfants sont nés sous le secret et, en l'an 2000, vingt. Dans les années qui précèdent 1999, la moyenne des enfants nés sous le secret dans le département des Yvelines se situait généralement autour de quinze à vingt enfants.

Les problèmes liés à l'accouchement sous le secret que nous avons relevés sont les suivants :

- l'urgence : lorsque la mission s'exerce, elle doit l'être dans un délai très court. Nous avons pu constater que nombre de femmes partaient très rapidement après l'accouchement, à savoir trois à quatre heures après ; il y a donc nécessité de travailler en lien avec les maternités et d'impulser des formations communes pour sensibiliser les professionnels et améliorer l'accueil de ces femmes.

Dans les Yvelines, un réseau associant l'ensemble des maternités publiques et privées a été mis en place. Le 6 février 2001, s'est effectué un échange sur la conduite à tenir en cas d'accouchement sous le secret.

- les mineures : l'ensemble des professionnels semble se trouver en difficulté quand la situation d'une mineure se présente. De fait, les dispositions de l'article L. 226-6 du code de l'action sociale et des familles précisent qu'une pièce d'identité n'est pas exigée, mais la pratique de certaines maternités fait que souvent l'identité est recueillie "temporairement", le temps de l'accouchement, pour le cas où la femme décéderait. Cette angoisse est très forte quand une mineure accouche et que sa famille n'est pas informée de la situation.

Le cas des mineures illustre parfaitement la contradiction qui existe actuellement sur la notion de secret, écrite dans la loi, mais qui est souvent détournée pour des motifs autres que ceux de l'intérêt de l'enfant.

- le point de vue des pères : l'accouchement sous le secret peut constituer, dans certains cas, un abus de pouvoir, source d'inégalité entre l'homme et la femme. Des femmes peuvent en effet, en toute légalité et contre l'avis du géniteur, accoucher sous le secret d'un enfant qui aurait pu bénéficier d'une filiation et d'une prise en charge de la part de son père biologique.

- l'interdiction de recherche en maternité : dans la même optique, se pose le principe de l'égalité entre l'homme et la femme. En effet, les recherches en paternité sont admises, même post mortem, alors que les recherches en maternité ne sont pas autorisées.

- la contradiction entre le respect de la confidentialité et l'anonymat : actuellement, rien n'interdit à une femme accouchant sous le secret de laisser son identité dans le dossier de l'enfant. C'est le cas dans certains dossiers détenus par le département des Yvelines. Très souvent d'ailleurs, une lettre à l'intention de l'enfant accompagne l'identité.

De plus, l'expérience des professionnelles intervenant pour cette mission, dans les Yvelines, a pu mettre en évidence que, dans les situations où le recueil de l'identité n'est pas effectué dans les premiers jours qui suivent l'accouchement, la femme ne transmet pas ultérieurement son identité, malgré des promesses sûrement sincères.

Cette remarque rejoint le débat actuel mis en évidence dans le projet de loi de Mme Ségolène Royal. Des modalités de recueil de l'identité seraient uniquement incitatives, puisque la femme serait seulement "invitée" à consigner son identité sous pli fermé, d'où le problème prévisible des enveloppes vides et des dossiers inéluctablement vides.

Un recueil systématique de l'identité, inscrit dans la loi, clarifierait cette question. La confidentialité de l'identité de la femme serait préservée au niveau de l'état-civil, des tiers et de l'hôpital, mais elle serait conservée dans le dossier de l'enfant et à son intention. Cette nouvelle disposition, eu égard à la pratique des Yvelines, semblerait préférable si effectivement elle est proposée dans le cadre d'entretiens particulièrement préparés et respectueux et de la mère et de l'enfant. D'où la nécessité de prévoir des formations extrêmement pointues pour tous les professionnels intervenant dans ce domaine.

La question du délai de conservation de l'identité, avant sa divulgation à l'enfant ou à ses représentants légaux, est fondamentale. A cet égard, l'action du Conseil national d'accès aux origines personnelles, en lien avec les départements, présenterait un intérêt certain de par les médiations psychologiques qu'il pourrait proposer.

De plus, la notion de dépositaire du secret est à considérer. En effet, le projet de loi a précisé que l'identité serait conservée, sous pli fermé, par le Conseil national d'accès aux origines personnelles. L'opportunité que le correspondant local du Conseil soit également destinataire du pli, mais sans être forcément habilité à le communiquer, semble une donnée à prendre en compte. Cela permettrait de garantir la perte éventuelle du pli au cours de sa transmission au Conseil et, de façon symbolique, la désacralisation de la notion de secret revenant exclusivement à un organisme d'Etat. Nous avons déjà, à l'heure actuelle, une mission de proximité qui permet d'éviter cette "sacralisation" du sujet.

Par ailleurs, vous avez interrogé le département des Yvelines sur un second point, à savoir les problèmes posés par l'accès aux origines personnelles. S'agissant des modalités actuelles de consultation dans le département des Yvelines, l'usager, après un premier contact téléphonique avec le service, est invité à rédiger un courrier dans lequel il indique, le plus précisément possible, son nom d'origine, s'il en a connaissance, et la date éventuelle du prononcé de son jugement d'adoption.

Dès réception de la demande, un courrier d'attente est adressé par le service qui effectue des recherches minutieuses, en lien avec la classothèque du département et les archives départementales. Le dossier est alors transmis au service "adoption-pupilles-accès aux origines" où il est entièrement reclassé par ordre thématique et chronologique.

Une note de synthèse est ensuite rédigée et les points juridiques étudiés par le service, si nécessaire en liaison avec la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), sollicitée pour avis. En application stricte du droit des usagers, une consultation très large des pièces contenues dans leur dossier est la règle, le dossier médical étant quant à lui transmis systématiquement par l'intermédiaire d'un médecin.

Une centaine de consultations de dossiers est organisée en moyenne, chaque année, dans les Yvelines. Il convient de rappeler que le département des Yvelines a la charge de la Seine-et-Oise, grand département initial, ce qui renforce probablement nos obligations à ce titre. Ces entretiens s'avèrent souvent délicats car ils se situent à un moment particulier dans la vie de l'usager. La culture du secret ayant beaucoup évolué au cours de ces dernières années, la consultation des anciens dossiers suscite de multiples difficultés. Nous en avons relevé au moins deux.

- Le secret abusif :

Il peut aisément trouver une réponse quand il apparaît qu'un secret abusif a été décidé par l'autorité administrative de tutelle de l'époque et qu'il ne repose pas sur une demande expresse des parents biologiques. Dans ce cas, des levées du secret sont effectuées.

- La formulation et les levées possibles du secret :

La formulation du secret, expressément sollicitée par les parents biologiques, génère également problème quand elle se fonde sur une énonciation portant à controverse, comme celle du secret du lieu de naissance.

Les actions de médiation s'avèrent indispensables, dans certains cas, pour préparer les parents biologiques à une éventuelle rencontre avec leur enfant, parfois très en souffrance. A ce propos, il est important de relever la nette évolution de la société qui, auparavant, contraignait les jeunes femmes célibataires (pour des raisons de morale ou de culture très ancrées) à se séparer contre leur gré de leur enfant et surtout d'accoucher sous le secret.

A ce titre, des levées de secret de leur part devraient, par des actions de sensibilisation et d'information de la part du Conseil national d'accès aux origines personnelles, être facilitées. Le département des Yvelines commence à recevoir des courriers de femmes ayant accouché sous le secret, à l'intention de leur enfant.

Aujourd'hui, certaines études démontrent que les femmes qui accouchent sous le secret ne le font plus pour les mêmes raisons qu'il y a cinquante ans. Les situations sont plus complexes et concernent peut-être davantage de problématiques sur le plan psychologique.

En ce qui concerne les propositions du projet de loi, nous considérons que ce projet contient une disposition très importante qui devrait permettre une avancée pour le respect du droit aux origines. En effet, des demandes de secret, limitées par la "loi Mattei" à des enfants de moins d'un an, ne seront plus autorisées, dès lors que l'on aura considéré le caractère indéfectible pour un enfant de sa filiation juridiquement établie à l'égard de ses parents.

Pour les demandes de secret précédemment formulées par les parents, on peut imaginer, dans certains cas, des recherches effectuées par le biais du Conseil national d'accès aux origines personnelles pour s'assurer du maintien ou non du secret, si l'enfant souhaite une rencontre. Une autre solution serait de fixer un délai au-delà duquel le secret serait automatiquement levé. Cette hypothèse, peut-être trop avant-gardiste, a été défendue par l'Association nationale des directeurs de l'action sociale et de la santé (ANDASS).

J'ai préparé ce propos liminaire conjointement avec Mme Laurence Stricanne, qui travaille depuis plus de huit ans dans ce département. Elle a suivi l'organisation de ce service et a également participé à quelques commissions de travail autour des projets de loi, notamment la "loi Mattei".

Mme Danielle Bousquet : Ma première question portera sur les raisons qui vous ont conduit à ces modifications de pratiques. Pouvez-nous expliquer ensuite concrètement comment les choses se passent et comment intervient la petite équipe de professionnelles que vous avez mentionnée et qui rencontre les jeunes femmes ?

Vous avez indiqué que le dossier médical était envoyé systématiquement à la personne qui souhaitait avoir accès à ses origines. Qu'en est-il du reste du dossier ? Comment traitez-vous matériellement la demande d'une femme qui souhaite retrouver la trace d'un enfant dont elle a accouché sous X, un certain nombre d'années auparavant ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez souligné plusieurs éléments qui vous posent problème, notamment le fait que vous travaillez dans l'urgence, puisque ces femmes partent parfois trois ou quatre heures après l'accouchement. Comment s'organise concrètement le partenariat entre les services d'aide sociale à l'enfance des hôpitaux et votre service qui ne compte que deux professionnelles ?

Vous avez souligné que les pères pouvaient se retrouver exclus en raison du pouvoir abusif des mères. Avez-vous eu à traiter de demandes venant des pères ? Vous mettez en parallèle la difficulté pour les pères de pouvoir faire jouer l'accès à la connaissance des origines et l'interdiction de la recherche de maternité. Il me semble que ce projet de loi organise bien la distinction entre la connaissance biologique des origines et la filiation sociale. Je m'interroge plutôt sur le fait de savoir s'il ne manque pas, pour les pères, le pendant de ce que nous reconnaissons actuellement pour les mères, c'est-à-dire une déconnexion complète de la connaissance des origines et de la filiation sociale.

J'ai été très surprise de votre réticence sur la disposition du projet de loi qui ne fait qu'inciter les femmes à donner leur identité. J'ai cru comprendre que vous étiez plutôt enclin à supprimer la procédure de l'accouchement sous X, notamment lorsque vous mentionnez une levée du secret automatique à l'âge de 18 ans. Pourriez-vous expliciter ce point ?

M. Christophe Darasse : On constate une évolution de la prise en charge de l'accès aux origines et du secret, qui est menée de manière de plus en plus professionnelle. Auparavant, il n'y avait pas nécessairement de personnes formées ou une attitude définie à l'avance sur cette mission des conseils généraux.

L'organisation, conçue au sein du conseil général des Yvelines, a pu l'être grâce à la taille de ce conseil général, qui lui a permis d'organiser le recours à deux professionnelles. Toutefois, cette cellule est adossée à un service de l'aide sociale à l'enfance consacré entièrement à l'adoption et à un inspecteur, qui n'est chargé d'aucune autre tâche que celle de l'adoption. Nous avons pu rassembler, entre les mains d'une seule personne associée à un service, un ensemble de travaux et de tâches qui permettent à la fois d'unifier l'intervention et de lui donner une plus grande force.

Au niveau du conseil général, le partenariat avec l'ensemble des acteurs du département a été enclenché au travers d'un outil appelé le contrat social. Ce contrat social, que nous avons co-signé avec le préfet, a ouvert ce partenariat à vingt-sept grands organismes et associations. Une culture du partenariat a ainsi pu être engagée, de manière assez ouverte, sur l'ensemble des missions sociales et médico-sociales.

Enfin, autant nous constatons une rotation régulière des effectifs travaillant dans les domaines du service social ou de l'éducation, autant nous constatons une grande fidélité des personnels qui travaillent dans le domaine de l'adoption. Ces personnes y restent en général suffisamment longtemps pour acquérir une bonne pratique.

Ce sont les quelques éléments que je souhaitais ajouter sur les pratiques et la façon dont elles se sont modifiées. En fait, il n'y avait pas de pratiques ponctuelles, mais un ensemble de situations pour lesquelles des solutions ont pu progressivement être élaborées.

Mme Laurence Stricanne : Si l'intérêt des départements sur ces questions s'est accentué, c'est également dû à une meilleure connaissance du droit d'accès, qui a fait l'objet d'une médiatisation. De ce fait, de plus en plus de personnes demandent l'accès à leur dossier, en application des lois de 1978, de 1979 et d'avril 2000.

La prise en compte de ce droit par les parents adoptifs a également permis, dans le département des Yvelines, la consultation de dossiers par des enfants mineurs ou, au préalable, par les parents adoptifs du dossier de leur enfant, afin d'être plus à même de répondre à leurs questions.

S'agissant des modalités de consultation, on constate une évolution car, pour les dossiers plus anciens, la base de nos recherches est le nom d'origine. En fait, les personnes d'une quarantaine d'années n'ont pas connaissance de leur nom d'origine et du jugement d'adoption dont sont détenteurs leurs parents adoptifs. On suppose qu'il n'y a pas suffisamment de possibilités pour qu'ils aient accès directement à cette information, ce qui complique nos recherches.

Nous procédons à des recherches très minutieuses pour obtenir le dossier que nous reclassons, afin d'en faciliter l'accès à l'usager. Nous prévoyons une consultation très large dans la mesure où, par exemple, il peut y avoir des secrets que l'on qualifie d'abusifs, c'est-à-dire que le lieu de naissance de la personne a été changé sans demande expresse des parents biologiques. Le premier acte est donc nul, car il y en a eu un deuxième et qu'il y a eu adoption.

Comme nous ne sommes pas autorisés à transmettre ce document, l'usager peut le consulter sur place et recopier les mentions d'état civil sur ses parents biologiques, pour éventuellement engager des recherches. Lui sont également communiqués les documents judiciaires contenus dans le dossier et qui peuvent apporter des éléments significatifs dans le cas d'un jugement de déchéance.

L'usager peut consulter son dossier en plusieurs temps. Il n'est pas rare que sa démarche soit ponctuée d'un ou deux entretiens dans une période de temps qui lui convient. Le second entretien peut lui être proposé immédiatement, sinon on lui indique notre disponibilité s'il souhaite revenir pour accéder à son histoire.

En fait, aucun élément de secret n'est caché à l'usager. Quand il y a eu secret abusif, il a accès à tous les éléments qui lui ont été cachés. On peut voir des personnes âgées qui prennent ainsi connaissance de leur lieu de naissance. A la place de leur commune de naissance, était indiquée la mention AP (Assistance publique), car elles ne connaissaient pas leur lieu de naissance. En fait, à l'examen du dossier, cette mention ne reposait sur aucune demande des parents biologiques. Parfois même, ces dossiers contiennent des courriers des parents biologiques demandant des nouvelles de leur enfant qu'on plaçait le plus loin possible d'eux. C'était alors la politique des services. A l'époque, selon les spécialistes de l'enfance, il était préférable de dire à ces enfants que leurs parents biologiques étaient décédés, voire leur cacher qu'ils étaient adoptés.

Je reçois trois ou quatre fois par an des courriers de personnes d'une cinquantaine d'années qui découvrent qu'elles ont été adoptées. Elles s'en aperçoivent lorsqu'à un moment donné, elles ont besoin d'une copie intégrale d'un acte de naissance ou en raison de démarches faisant suite au décès des parents adoptifs.

En ce qui concerne le dossier médical, l'usager a accès à son dossier qui comprend souvent le carnet de santé et d'autres éléments très importants. Ces éléments médicaux sont souvent demandés par les usagers qui envisagent d'être parents ou suite à la consultation du dossier.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Cela signifie que vous êtes en contact avec les personnes qui viennent consulter, sans pour autant savoir ce qu'il adviendra après la consultation. Si l'usager souhaite entrer en contact avec sa mère biologique, êtes-vous sollicitée pour faire une médiation ?

Mme Laurence Stricanne : L'accès au dossier médical se fait par l'intermédiaire de notre médecin aux actions de santé. Ce médecin, qui fait aussi partie de la commission d'agrément d'adoption, sert de référent, pour notre service adoption, avec le médecin de l'usager.

S'agissant de la consultation de dossiers, nous recevons environ 380 demandes, tous types confondus, dont 120 à 150 demandes de consultation de dossier. Toutes ces demandes ne concernent pas des personnes qui ont été adoptées, mais aussi des personnes admises par décision administrative ou judiciaire dans les services de l'aide sociale à l'enfance.

Il peut arriver que certaines personnes nous demandent d'entrer en contact avec leurs parents biologiques, mais ce type de demande provient plus particulièrement de mineurs. Dans ce cas de figure, nous avons eu la demande d'une jeune fille, pupille de l'Etat, qui n'avait pas été adoptée et qui avait été remise par sa mère biologique à sa naissance. Cette jeune fille était très en souffrance et avait une quête très importante à ce sujet. Nous étions encore en contact avec la mère, qui avait d'autres enfants. Au niveau du service, par le biais de notre psychologue qui accompagne les usagers dans la consultation de leur dossier, nous avons organisé, sur une durée d'un an et demi, plusieurs entretiens entre la mère biologique et la jeune fille qui vivait en province. Nous avons attendu que la jeune fille soit prête pour enfin rencontrer, dans nos locaux, sa mère.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Comment le service est-il entré en contact avec la mère biologique ?

Mme Laurence Stricanne : En fait, l'assistante sociale était en relation avec cette maman pour d'autres questions et, à l'issue d'un entretien, elle lui a fait part de cette demande et lui a proposé de venir nous rencontrer pour que nous lui communiquions tous les éléments pour parvenir à cette rencontre.

Mme Danielle Bousquet : Il existait donc un contact habituel avec l'assistance sociale sur d'autres questions ?

Mme Laurence Stricanne : Tout à fait. Nous avons eu aussi le cas d'un jeune qui était dans un établissement pour handicapés. La mère nous avait écrit pour nous demander à reprendre contact avec l'enfant qui lui avait été enlevé à la naissance car, dans cette affaire, les démarches avaient été effectuées par le père. En faisant part de cette demande au tuteur de ce jeune, nous avons réussi à le localiser plus facilement. En partant de la dernière adresse de son établissement d'accueil, nous avons pu obtenir les deux suivantes.

Nous avons aussi beaucoup de demandes qui concernent les frères et s_urs, car certaines fratries ont été adoptées séparément. Des personnes viennent consulter les dossiers et demandent à entrer en contact avec leurs frères et s_urs. Dans un tel cas, nous avions demandé à une jeune fille de rédiger un courrier que nous avons transmis, dans un autre département, où sa s_ur avait été adoptée. Dans ce courrier, nous demandions de vérifier si celle-ci étaient venue consulter son dossier et, dans cette éventualité, de la recontacter, car il contenait un élément nouveau. En effet, quand une personne est déjà venue consulter son dossier et que nous recevons un nouvel élément, nous reprenons toujours contact avec elle pour l'en avertir.

Dans un autre cas, il y a plusieurs années, un père biologique s'était manifesté. Comme le jeune homme était venu consulter son dossier, nous lui avons écrit pour l'informer que nous avions des éléments nouveaux dans son dossier et que nous étions à sa disposition pour un entretien et les lui communiquer. Nous préférons communiquer tout élément nouveau dans le cadre d'un entretien plutôt que d'envoyer un courrier qui peut être reçu brutalement.

C'est dans la même optique que nous procédons à des transferts de dossiers. Quand un de nos usagers habite à l'autre bout de la France et que le département des Yvelines est détenteur de son dossier, nous contactons notre homologue du département du lieu de domicile de cet usager pour lui proposer de faire transférer son dossier, avec l'accord de l'usager. Nous effectuons par an environ une quarantaine de transferts de dossiers, ce qui donne l'occasion d'échanger avec les autres départements.

A cet égard, nous ressentons, au niveau du service, une évolution dans les départements et une réflexion globale, puisque ces transferts donnent lieu à un échange de pratiques ou de positions. C'est ce qui est arrivé récemment avec un département de l'Est. En préparant le dossier, j'ai constaté qu'il y avait eu deux actes de naissance, sans trouver aucun document qui étaye cette demande d'acte. Le département m'a alors fait part de sa position, à savoir que pour eux, l'usager avait accès à l'ensemble du dossier puisqu'il n'y avait pas secret.

Il est rare que les départements nous fassent barrage lorsque nous les contactons. Ils sont plutôt enclins à une transmission de documents qui, parfois, lorsqu'ils contiennent des documents d'état civil ou juridictionnels, peuvent poser des problèmes juridiques. C'est pourquoi nous permettons la consultation des documents, mais uniquement la copie de documents administratifs.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Lors d'une simple consultation du dossier, celui-ci contient parfois des éléments qui peuvent être identifiants. Quelle est alors la procédure suivie ? L'enfant contacte-t-il directement la mère, ce qui signifie qu'il n'y a pas de médiation, alors qu'elle nous parait être un élément clé dans le processus ? Les dossiers concernant les autres formes d'accouchement que celui sous X sont accessibles par les usagers et aucune médiation n'est prévue ou mise en place. Quels en sont les effets ?

Mme Laurence Stricanne : S'agissant des entretiens, l'usager y assiste parfois accompagné de son épouse ou, pour les jeunes majeurs, d'un des parents adoptifs qui les soutiennent dans ces recherches individuelles. Un certain nombre d'autres usagers passent par l'intermédiaire d'associations qui peuvent les avoir soutenus, voire encouragés à consulter leur dossier.

M. Christophe Darasse : Il y a une mise à disposition systématique des services. Même s'il n'y a pas de médiation, qui pourrait être un passage obligé dans ce processus, cette mise à disposition est conduite de telle manière que la personne qui veut accéder à ses origines se sente accueillie, soutenue et aidée. C'est l'objectif que nous recherchons, chaque fois que nous sommes confrontés à une telle situation.

Les usagers peuvent agir de manière autonome et avec leurs propres moyens d'action, mais ils savent que systématiquement ils trouveront, grâce aux professionnels de ce service, l'aide et le soutien nécessaires, y compris dans une démarche ultérieure d'accompagnement psychologique, due à la difficulté de recevoir cette information ou de la travailler.

Par ailleurs, même si nous n'avons pas de réponses quantitatives sur ce point, il me semble que cette recherche de données concerne plus la connaissance de ses origines qu'une éventuelle rencontre avec la mère de naissance.

Mme Laurence Stricanne : En 1994, nous avons participé, conjointement avec d'autres départements, à une enquête menée par M. Pierre Verdier, ayant pour objet d'obtenir des renseignements sur les usagers qui venaient consulter leur dossier et sur les suites données.

Je me suis replongée dans ce questionnaires ces derniers jours. L'une des questions était "qu'envisage de faire l'usager après avoir eu les éléments ?". Curieusement, mais peut-être n'est-ce pas significatif, j'ai souvent vu apparaître la réponse "rien pour le moment". Le simple fait de savoir est peut-être un élément important.

S'agissant des femmes qui lèvent le secret, nous avons été amenés à recevoir soit des courriers, soit des jeunes femmes qui souhaitaient parler de la naissance de l'enfant. Très souvent, cette demande a lieu des années après la naissance.

Nous avons eu le cas récent d'une jeune femme dont la fille vient d'être majeure. Cette mère était passée par une association qui nous transmettait ses coordonnées en indiquant qu'au moment de l'accouchement, elle n'avait pas eu la possibilité d'être écoutée. Au lieu de simplement classer dans son dossier les coordonnées transmises par l'association, nous avons écrit à cette mère en lui indiquant que l'association nous avait transmis ses coordonnées, mais qu'elles seraient classées dans le dossier de sa fille biologique, car nous avions des éléments suffisamment précis (prénom et date de naissance de l'enfant, lieu de l'accouchement, origine de la mère) pour faire la concordance. En même temps que nous avons classé ces coordonnées, nous avons indiqué à cette mère qu'elle pouvait nous contacter par courrier si elle le souhaitait. Cette femme nous a récemment adressé un courrier à l'intention de sa fille qui n'est pas venue consulter son dossier. Elle a joint une photo et écrit une lettre dans laquelle elle remercie la famille adoptive d'avoir pu prendre en charge sa fille.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Allez-vous prévenir la jeune fille ?

Mme Laurence Stricanne : Non. Cela n'est pas prévu dans les textes. Il est évident que, par rapport aux éléments que la jeune fille a pu obtenir de ses parents adoptifs, elle doit penser que son dossier est vide. A une époque, la politique des services était de dire aux parents adoptifs qu'il n'y avait rien dans le dossier, même s'il contenait des éléments.

Nous avons eu le cas d'un jeune homme qui croyait que son dossier était vide, alors qu'il contenait un grand nombre d'éléments. Il est venu le consulter avec son père adoptif. Lorsque je l'ai croisé plus tard dans le couloir, il était rayonnant, sans pour autant savoir la suite qu'il donnerait à cette consultation.

Le soutien des parents adoptifs est très important. Ils sont de plus en plus sensibilisés à ce problème. Lorsque nous organisons, au niveau du service, le premier contact entre les parents adoptifs et l'enfant adopté, je les reçois en deux temps avec l'assistante sociale. C'est elle qui les a suivis tout au long de la procédure d'agrément d'adoption et après l'agrément. Elle reste en contact avec eux pour leur proposer éventuellement un accompagnement social ou psychologique. Il n'est pas rare que les parents adoptifs, à l'issue du deuxième entretien, lorsqu'ils vont aller chercher l'enfant, abordent le sujet de l'accès au dossier. Ils me demandent s'ils peuvent le consulter et les éléments qu'il contient.

Il y a une information, très méconnue, que je donne systématiquement aux parents adoptifs, à savoir que les enfants mineurs ont accès à leur dossier, en spécifiant bien aux parents adoptifs et aux enfants que d'autres éléments peuvent être versés au dossier dans le futur. Cette information est donnée, mais elle est perçue différemment.

Nous avons pu constater, sur une période de huit ou dix ans, une évolution par rapport au prénom. Les mères qui accouchent sous le secret choisissent très souvent un prénom pour l'enfant. Dans la plupart des cas, les parents adoptifs le gardent, que ce soit en premier ou en deuxième prénom.

Des albums de photos, qui sont compilés de la maternité à la pouponnière, sont remis aux parents adoptifs. Ces derniers peuvent recevoir également des petits vêtements laissés par la mère biologique. Dans certains cas, nous avons connaissance que la mère biologique s'est occupée de l'enfant à la maternité. Ce sont des éléments qui sont retransmis aux parents adoptifs. Le fait d'avoir connaissance de ces éléments nous permet aussi de proposer, à la décision du tuteur et du conseil de famille, la famille qui pourra le mieux prendre en compte l'enfant avec son histoire. Nous faisons en sorte que tous ces éléments puissent être pris en compte et respectés par les parents adoptifs, dans l'intérêt de l'enfant.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Quand l'équipe des deux professionnelles - l'assistante sociale et l'éducatrice - rencontrent la femme qui va accoucher sous X, lui remettent-elles un document d'information lui indiquant qu'elle peut lever le secret à tous moments ? A-t-elle trace de cet entretien et sous quelle forme ?

Ma seconde question s'adresse à M. Christophe Darasse. Est-ce parce qu'il vous semble tellement important que le contact soit fait au plus près que vous proposez qu'un correspondant départemental du Conseil national d'accès aux origines effectue des démarches sur le terrain ?

Mme Laurence Stricanne : En ce qui concerne les documents qui peuvent être remis à la mère lors de l'entretien, il peut y avoir des modèles de lettres de rétractation. Mais le plus souvent, même si l'accouchement se passe rarement à un moment facile de la vie des femmes, les professionnelles de l'équipe "remise d'enfants" donnent leurs cordonnées précises pour être contactées par les femmes qui accouchent sous le secret, dans le cas où celles-ci souhaiteraient laisser des éléments supplémentaires. A cette occasion, le problème de l'identité est abordé.

Dans les anciennes situations concernant des femmes accouchant sous le secret, cela se faisait la nuit, dans l'urgence. Parfois la jeune femme était d'origine étrangère, acculée à cette décision contre son gré. Une mère est venue, un jour, me voir car elle souhaitait laisser des éléments dans le dossier de l'enfant, mais elle avait oublié le jour précis de la naissance, car on ne lui avait remis aucun document. En collectant différents renseignements, nous avons fait des recherches au niveau de tous les dossiers des enfants qui étaient nés durant la même période, afin de faire le rapprochement avec les quelques éléments en notre possession. Mais la corrélation entre la mère biologique et l'enfant né sous X par manque d'éléments pose un réel souci.

Les femmes qui accouchent sous le secret ont maintenant généralement un ou plusieurs entretiens avec ces professionnelles. Ainsi quand les mères reviennent sur leur décision, il est plus facile pour ces professionnelles de les contacter, car elles les ont physiquement rencontrées.

M. Christophe Darasse : S'agissant du correspondant départemental, la décentralisation nous a permis de constater que l'observation des demandes et l'analyse de la réponse faite n'étaient pas simplement liées à des problèmes juridiques ou de constitution de dossier, mais aussi à des situations globales. La situation de ces usagers, dans un département donné, peut être confrontée à des obstacles ou des difficultés en matière de transport, de suivi, d'échange avec un hôpital, un service social ou un ensemble de services publics.

L'échange, qui a été opéré entre les services centraux et les services déconcentrés sur un département, permet une plus grande activité des services, qui rencontrent plus de femmes, dans de meilleures conditions, et qui s'ouvrent non pas seulement à ceux qui viennent faire la demande, mais à ceux qui sont rencontrés régulièrement dans des sites sur place.

Je voudrais insister sur cet aspect d'accessibilité en termes de visualisation, de connaissance, avec le côté ordinaire d'un service social ou d'action sociale d'un département. Lorsque l'usager se rend dans un tel service, il s'y échange, à l'occasion, différents éléments, qui font la qualité d'un service. C'est pourquoi les services sociaux des départements ont pu faire des progrès lorsqu'il y avait cette proximité de territoire.

Plus globalement, cela renvoie au travail des services des PMI et des services sociaux des maternités, qui sont nos principaux relais. Ces services ont la possibilité de rencontrer les femmes susceptibles d'accoucher dans ces services. Ensuite, nous avons des réseaux partenariaux qui sont bien au fait de nos missions. Chaque fois qu'une telle situation est connue ou observée quelque part, elle est immédiatement répercutée dans le réseau PMI.

Enfin, les services sociaux peuvent aussi avoir connaissance de situations de détresse, ce qui nous permet d'anticiper des demandes probables d'accouchement sous X. C'est pourquoi nous sommes souvent, au regard du petit nombre d'accouchements sous X, en situation de connaître ces femmes et de les relayer par les services sociaux ordinaires. Pour autant, cela ne permet pas toujours de prévenir ces situations.

S'agissant de la place des pères biologiques, je ne pense pas qu'il faille dire qu'il y a un "sous-regard" vis-à-vis des pères. Le premier regard d'un service social de l'aide à l'enfance porte sur l'intérêt de l'enfant. Ce qui fonde la détresse ou la souffrance de l'enfant, c'est de n'avoir pas grand-chose ou grand monde à qui se raccrocher. Par conséquent, l'ensemble des dispositifs sociaux des départements sont sensibilisés à cette détresse que les enfants peuvent avoir de rarement connaître leur père, pour une bonne partie, voire ni leur père ni leur mère lorsqu'ils sont dans une situation d'adoption. C'est une des raisons pour lesquelles nous souhaiterions que ce regard au père puisse émerger au travers de ce projet et qu'il puisse se faire connaître.

Pour citer des cas pratiques, nous avons celui d'un père qui avait connaissance d'un accouchement à venir, mais n'avait pratiquement aucune possibilité de se faire connaître auprès de services.

Mme Laurence Stricanne : En ce qui concerne les informations sur les pères, qui nous sont toujours transmises par la femme qui accouche sous le secret, il existe certaines situations où elles ne sont pas en mesure de savoir qui est le père. Elles donnent aussi des informations erronées. J'ai eu la situation d'un jeune père qui avait fait le tour de l'ensemble des services, cinq ans après la naissance de l'enfant. Il m'a relaté qu'il avait été informé de la grossesse de son amie et qu'elle lui avait dit que l'enfant était décédé. Puis l'ayant revu, elle lui a appris que l'enfant avait été remis pour adoption. A l'époque de la naissance de l'enfant, il vivait chez ses parents et n'aurait pas pu s'en charger. Par ailleurs, il évoquait son impossibilité à devenir père avec sa nouvelle compagne. Selon les investigations médicales que le couple avait faites, le problème venait de lui. En fait, il lui semblait que tant qu'il n'aurait pas vu cet enfant, il ne pouvait envisager d'être père à nouveau. Il est allé au tribunal. Cette situation avait beaucoup remué notre service.

Nous avons aussi eu le cas d'un contentieux juridique d'un père qui voulait faire une reconnaissance prénatale. J'ai été contactée par ce père qui voulait obtenir la date et le lieu de l'accouchement de la jeune femme, et le prénom sous lequel serait déclaré l'enfant. Ce père trouvait la situation injuste, car il était prêt à s'occuper de l'enfant.

Mme Véronique Neiertz : La faible proportion d'enfants nés sous X (de quinze à vingt par an) dans le département des Yvelines explique pourquoi votre service est aussi humain. Avec aussi peu de cas par an, il est plus facile de chercher à améliorer la façon dont sont traités les protagonistes, que ce soit le père, la mère ou l'enfant. Pour ma part, je suis élue de Seine-Saint-Denis, département dans lequel les choses ne se posent pas du tout de la même façon.

J'ai cru comprendre, Monsieur Darasse, que vous étiez favorable à un accès automatique aux origines à partir de 18 ans. Pourriez-vous en expliquer les raisons, car un accès automatique aux origines à l'âge de 18 ans conduit d'office à la suppression de l'accouchement sous X.

M. Christophe Darasse : Dire que l'accès automatique aux origines à l'âge de 18 ans revient d'office à une suppression de l'accouchement sous X, ce serait faire fi de cette durée de dix-huit ans.

Le fait que je suis en faveur de cette levée du secret est lié à la situation des enfants qui nous sont confiés. Aujourd'hui, nous avons à rechercher les moyens de combler les souffrances de ces enfants qui ne trouvent rien ou qui n'ont pas su trouver les réponses qu'ils attendaient. Peut-être aussi est-ce lié au fait d'une évolution de notre société - c'est-à-dire de l'action publique - qui hier allait jusqu'à modifier un dossier, lui donner un autre contour, faisant en sorte que l'on ne puisse plus retrouver l'identité.

Ce dossier est vraisemblablement plus sociologique que de convictions personnelles. Il était indispensable de permettre ces accouchements sous X afin d'éviter des infanticides. De plus, la République a préféré se voir confier l'essentiel de l'existence de ces enfants pour peut-être ensuite mieux s'assurer qu'ils puissent continuer à faire de la "chair à canon".

Une des associations, que nous continuons d'entretenir, est l'association d'entraide des pupilles et anciens pupilles. Dans le département des Yvelines, cette association a failli disparaître du jour au lendemain, faute de jeunes en situation de pupille. Parallèlement, de plus en plus de jeunes, issus de l'aide sociale à l'enfance, qui ne sont peut-être pas confrontés à ces problématiques autour de la méconnaissance de la mère mais souvent de leur père, forment la plupart de ces situations de souffrance.

Il me semble que l'évolution à la fois des éléments de société et les aides que l'on peut apporter à ces femmes, peut conduire à réserver ce secret à des cas tout à fait exceptionnels. Peut-être ce caractère exceptionnel pourrait-il progressivement disparaître si nous offrons des aides telles que plus aucune femme ne se retrouve à devoir accoucher sous X.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Les accouchements sous X représentent environ sept cents naissances par an alors que, dans les années cinquante ou soixante, ils étaient environ dix mille. Il y a eu, grâce notamment à la loi sur l'IVG et au développement de la contraception, une chute très importante du nombre d'accouchements sous X.

Même s'il existe des situations de déni de grossesse ou de jeunes femmes qui viennent de Belgique ou du Maroc pour accoucher sous X en France, nous avons quasiment atteint un seuil. Toutefois, ce n'est pas pour autant que nous vous suivrons sur la levée automatique de l'identité de la femme. Je suis relativement satisfaite que le projet de loi incite la femme à laisser ses coordonnées plutôt que de lui en faire une obligation. Le texte, tel qu'il nous est présenté, nous semble être un texte d'équilibre entre les droits des uns et des autres.

Mme Véronique Neiertz : Nous travaillons actuellement sur un sujet très grave, à la fois éthique et philosophique, et qui touche aux libertés et aux droits de chacun. Plusieurs d'entre nous font partie de la Délégation aux droits des femmes. Pour ma part, je représente la commission des lois, donc le point de vue juridique et d'équilibre des droits.

Par conséquent, M. Darasse, lorsque je vous entends dire que le premier regard doit être celui de l'intérêt de l'enfant, et même si notre siècle a développé cette valeur de l'enfant-roi, je ne peux aller dans le sens de privilégier un droit par rapport à un autre. Je pense notamment aux droits de la femme-enfant qui est souvent le cas des mères qui accouchent sous X. Cette femme-enfant a autant de droits que l'enfant qu'elle va mettre au monde. L'équilibre des droits est donc absolument nécessaire dans la recherche d'une nouvelle législation.

Par ailleurs, s'agissant de l'intérêt de l'enfant, lorsque vous évoquez les droits du père, c'est-à-dire son intérêt vis-à-vis de l'enfant en tant que géniteur, on peut se demander s'il a eu un tel intérêt pour la jeune fille qu'il a mise enceinte. Il conviendrait peut-être qu'à une époque où les médias rapportent les "tournantes" qui ont lieu dans nos banlieues, on s'interroge sur la vision que l'on donne à nos jeunes gens des droits des femmes.

Je ne suis ni l'auteur ni le défenseur acharné de l'accouchement sous X, mais, dans mon département, c'est la seule solution qui s'offre à des femmes d'origine étrangère enceintes, qui risquent la mort ou la mise à la rue, si elles révèlent leur grossesse. Souvent elles n'ont pas accès à l'information sur la contraception ou l'IVG. De plus, elles sont considérées comme des mineures jusqu'à leur mort, par les hommes de la famille.

Il me semble qu'il faut faire très attention lorsque l'on dit que le premier regard à porter sur le sujet doit être celui de l'intérêt de l'enfant. Le père comme la mère ont aussi été des enfants, ils sont à prendre en considération et à égalité. Si la femme qui accouche sous X a déjà eu plusieurs enfants et qu'elle n'en veut plus, elle est d'autant plus consciente de sa responsabilité et de la souffrance qu'elle va provoquer.

Si on attachait autant d'importance dans l'organisation de nos sociétés à l'information sur la sexualité et aux échecs possibles de la sexualité, peut-être y aurait-il moins d'enfants dans une situation que vous avez raison de juger épouvantable.

Enfin, vous avez indiqué que les femmes qui accouchent sous X quittent l'hôpital trois ou quatre heures après l'accouchement. Comment cela est-il possible ?

Mme Laurence Stricanne : Nous avons eu deux cas récemment de jeunes femmes qui ont accouché dans la nuit. Elles ne sont restées que trois ou quatre heures, non pas du fait de l'établissement, mais de leur propre choix, ce qui montre bien leur état de détresse.

Mme Véronique Neiertz : Certains hôpitaux ont mis en place une réflexion sur la façon d'accueillir et de parler à ces bébés nés sous X. On peut demander à la mère si elle veut voir l'enfant, lui parler, lui expliquer elle-même ce qu'elle fait. Si elle ne le souhaite pas, une médiation est généralement faite par le pédopsychiatre ou la sage-femme, mais jamais on ne laisse le bébé abandonné. Quand la jeune femme part au bout de quatre heures, ce pauvre enfant court à la catastrophe.

M. Christophe Darasse : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Les services d'accès aux origines et d'adoption s'inscrivent dans les services de l'aide sociale à l'enfance. C'est de ces services que relève le premier regard, à l'égard de l'enfant ou de la jeune femme, et non pas du service du conseil général ou, d'une manière globale, de la société.

Néanmoins, il est certain qu'il y a une orientation naturelle de ce service de l'aide sociale à l'enfance à poser d'abord un regard sur l'enfant. C'est pourquoi je le mettais en avant, sans pour autant être sûr que ce soit le meilleur regard que l'on puisse avoir.

Mme Véronique Neiertz : C'est pourquoi votre partenariat avec les services de PMI est si important, car ils s'occupent de la femme.

M. Christophe Darasse : Je souhaiterai aborder un deuxième élément quant à l'équilibre entre l'intérêt de l'enfant et de la mère, voire d'une enfant-mère. Nous avons, à l'heure actuelle, dans tous les départements, des centres maternels ou des sections de centre maternel à l'intérieur des établissements.

Les centres maternels, dans le cadre de leurs missions, rencontrent beaucoup de difficultés à organiser un accueil spécifique des mineures enceintes. Par ailleurs, ils ont toutes les peines du monde à ne pas confondre la mission d'accueil de ces mineures, qui est la défense de leur intérêt et leur protection, et d'"oublier" qu'un enfant serait susceptible d'être confié à cette jeune fille mineure et de lui conseiller d'accoucher sous X.

Ces centres maternels et nos services sont confrontés matériellement à ce travail totalement contradictoire et écartelant entre l'intérêt de la jeune femme et celui de l'enfant. Nous sommes là dans le cadre des équipes et des liens très étroits qui peuvent exister entre un inspecteur de l'aide sociale à l'enfance, une équipe de type centre maternel, voire une maternité.

C'est d'ailleurs la situation que l'on retrouve dans le département des Yvelines. Nous avons un lien très étroit avec la maternité voisine, ce qui permet éventuellement de jouer une carte sensible et multi-approches auprès de la jeune femme.

Nous sommes confrontés physiquement et matériellement à cette contradiction, qui n'est pas portée de manière légère. Même si le département des Yvelines compte peu d'accouchements sous X, rares sont les départements où se justifie la construction d'un service. Mais fondamentalement, il est indispensable que chaque département - comme je l'ai vu en Corrèze, où je travaillais avant d'être dans les Yvelines - dispose d'une organisation tout à fait spécifique autour de l'adoption, avec une personne chargée des formations faites aux professionnels et aux assistants sociaux, avec un psychologue dévolu à cette question et des liens particuliers entre les différents intervenants.

Il me semble que l'ensemble des départements a pris conscience de ce problème. Dans mon introduction, j'évoquais une professionnalisation des services de l'adoption dans les conseils généraux. Il faut engager ces conseils généraux à trouver les outils et les ressources pour leur permettre de répondre de façon professionnelle à cette question, non seulement avec du recul, mais avec des formations et une interdisciplinarité obligée.

Sur le droit du père, il y a une marge entre la révélation de la grossesse et le fait de laisser la possibilité de connaître pour l'enfant à 18 ans le nom de sa mère. Les services sociaux sont véritablement dans l'obligation - et il faut que ce soit organisé comme tel - de pouvoir recevoir ces femmes dans la plus grande discrétion, avec tout le secret nécessaire pour la protéger, de leur permettre éventuellement d'accoucher sous la forme qui leur semble la plus adéquate selon leur situation, et puis de faire en sorte que le retour dans son milieu puisse se faire sans qu'il y ait maltraitance ou situation difficile complémentaire. C'est là que nous avons non seulement des moyens financiers, mais aussi des prises en charge qui normalement devraient éviter qu'il y ait ces révélations dont vous parliez et qui peuvent être mortelles.

Il me semble que cela fait partie des missions du conseil général qui sont à hauts risques, mais nous assumons nombre de missions sur lesquelles nous avons de hauts risques. Ce sont les missions du service social, de la promotion de la santé, de l'inspection de l'enfance. Ces services, aujourd'hui engagés dans ces missions, peuvent aussi suivre et améliorer l'accueil de ces femmes, majeures ou mineures. Aujourd'hui déjà, les conditions de l'accueil des jeunes femmes mineures sont très en dessous de ce qui devrait être fait, parce que c'est à la fois un problème très limité et qui demande des ressources tout à fait importantes.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Vous avez mentionné tout à l'heure que beaucoup de familles adoptives comme d'enfants adoptés pensaient que leurs dossiers étaient vides. Pourquoi, et cela malgré la loi de 1996 ?

Mme Laurence Stricanne : Ce sont plutôt des dossiers qui datent d'avant la loi de 1996. Depuis plusieurs années, on communique, au moment du placement en vue d'adoption de l'enfant, des éléments de son histoire, alors qu'avant, cela ne se faisait pas. Ma remarque concernait plutôt les dossiers d'il y a trente ou quarante ans.

Actuellement, nous avons des parents adoptifs qui viennent consulter le dossier de l'enfant, après le jugement d'adoption plénière. Ils formulent des demandes très précises dans ce cas ou accompagnent l'enfant. La plus jeune que nous avons reçue avait huit ans. Ses parents étaient parfaitement informés de cette possibilité. C'est une information que je donne dans le cadre général de l'entretien.

Mme Véronique Neiertz : Au fond, vous donnez systématiquement cette information au cours d'un entretien, voire d'une rencontre qui porte sur un autre sujet, afin ne pas traumatiser la personne.

Mme Laurence Stricanne : Cela nous paraît parfois trop brutal de passer par l'administratif, même s'il faut néanmoins replacer les choses dans le cadre de la loi.

Mme Véronique Neiertz : Si la personne demande à vous voir et qu'elle ne vient pas, que se passe-t-il ?

Mme Laurence Stricanne : C'est rarement le cas. On prévient les personnes par lettre ou par téléphone qu'il y a des éléments nouveaux. Par téléphone, nous ne parlons qu'à la personne concernée. Puis nous confirmons toujours par lettre recommandée et accusé de réception.

Si nous n'arrivons pas à joindre la personne par téléphone, nous l'informons automatiquement par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la personne concernée, afin de préserver l'anonymat.

Mme Danielle Bousquet : Que pensez-vous de l'obligation de laisser des éléments médicaux comme le carnet de santé dans les dossiers ?

Mme Laurence Stricanne : Nous avons le carnet de santé original de tous les enfants, avec occultation des mentions de la mère biologique quand il y a secret. Tous les éléments médicaux sont recopiés intégralement par le médecin, sauf la première page du carnet de santé où les prénoms sont marqués au crayon, car l'enfant va être adopté et garder ou non son prénom, selon un certain ordre.

Mme Danielle Bousquet : Ma question portait sur les antécédents possibles en termes de santé des parents.

Mme Laurence Stricanne : Ces éléments ne sont pas notés dans le carnet de santé, mais quand nous avons connaissance d'antécédents sur le plan médical, nous avons systématiquement un entretien avec les parents adoptifs et le médecin du conseil de famille. Au préalable, nous recevons les parents, parfois même dans le cadre du placement d'enfants ayant des particularités sur le plan médical, afin que les parents adoptifs disposent de tous les éléments qui leur seront transmis ensuite via leur médecin. Cela permettra de prendre en charge des enfants qui ont besoin de soins spécifiques ou des enfants porteurs de maladie particulière.

Audition de Mmes Françoise Laurent, présidente, Danielle Gaudry, présidente honoraire, Maïté Albagly, secrétaire générale et Valérie Boblet, membre de la Confédération du Mouvement français pour le planning familial

Réunion du mercredi 2 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir de vous accueillir pour nous exposer votre expérience de terrain et nous livrer votre réflexion sur l'accouchement sous X qui, je le souligne, n'est nullement remis en cause dans le projet de loi de Mme Ségolène Royal.

Dans un propos liminaire, vous pourriez nous exposer les raisons qui, selon vous, poussent une femme à accoucher sous X, les principales pressions auxquelles elle est soumise, ainsi que vos réflexions sur le fait que certaines mères sont peut être poussées à accoucher sous X alors qu'elles pourraient accoucher sous le secret, sur la place des pères et la mise en place d'un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles.

Mme Valérie Boblet : Mon expérience d'accueil et d'accompagnement de femmes, dans le cadre d'une demande d'interruption volontaire de grossesse, m'a permis de rencontrer des femmes qui arrivaient dans des délais dépassés, pour la France comme pour l'étranger. Leur situation nous a obligés à réfléchir à leur proposer d'autres solutions, sachant qu'elles exprimaient très fortement le fait qu'elles ne voulaient pas garder l'enfant. Elles se sentaient encombrées de cette grossesse, l'exprimant parfois dans des termes crus, et ne voulaient absolument pas assumer la venue de cet enfant.

Notre premier travail est de dire à ces femmes qu'elles ont le droit de ne pas être mère, mais qu'elles doivent prendre en compte le fait qu'elles ont dépassé les délais possibles d'une IVG, et que, par conséquent, elles doivent aller jusqu'à l'accouchement. Il faut donc tenir compte de l'enfant à venir, tout en leur permettant de conserver ce droit à ne pas être mère.

C'est souvent au Planning qu'elles prennent conscience du dépassement, parfois important, des délais, voire de la grossesse. Ces femmes étaient éventuellement suivies, pour un retard de règles important, par un médecin, à qui elles avaient affirmé qu'elles n'avaient eu aucun rapport sexuel, voire étaient convaincues d'avoir un kyste à l'ovaire. Puis elles ont fait un test de grossesse qui s'est révélé positif et elles ont découvert alors qu'elles étaient enceintes de sept mois.

Avant cette révélation de la grossesse que le corps ignore, elle ne se voit pas. Puis, après leur venue au Planning et à partir du moment où la grossesse est révélée, le corps change. C'est alors qu'il va leur falloir accepter cet "envahissement" et envisager les différentes solutions, dont l'accouchement dans l'anonymat. Ce processus de réflexion va nécessiter plusieurs rencontres.

Peut-on considérer que l'on pousse à l'accouchement sous X ? En Seine-Saint-Denis, nous avons monté un groupe de travail, il y a neuf ans, auquel participent uniquement des professionnels de terrain de l'hôpital Delafontaine, du centre d'information des droits des femmes, d'une structure de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu'une conseillère conjugale. Ce groupe de travail a été constitué, car nous estimions qu'en tant que professionnels, nous étions peu formés sur cette question de l'accouchement sous X.

Malgré ce manque d'information, je n'ai jamais rencontré, dans ma pratique de terrain, de professionnels qui auraient poussé ces femmes à accoucher sous X.

S'agissant du profil de ces femmes, selon mon expérience du Planning en Seine-Saint-Denis, mais qui semble recouper l'expérience d'autres professionnels, ces femmes sont la plupart du temps majeures - j'ai dû rencontrer une mineure de 17 ans -, avec une fourchette d'âge allant de 20 à 45 ans. Ces femmes peuvent déjà avoir des enfants ou ne pas en avoir, être en couple ou seule. Leurs compagnons peuvent les avoir quittées sans savoir qu'elles étaient enceintes ou parce qu'elles l'étaient. Mais, j'ai rencontré des couples en demande d'accouchement sous X, le conjoint accompagnant la future mère.

Il n'existe pas un profil type d'une pauvre jeune fille mineure subissant les pressions de sa famille qui considère qu'on ne peut être enceinte sans être mariée. De tels témoignages sont ceux de femmes d'une autre époque, d'il y a trente ou quarante ans.

S'agissant des pressions que ces femmes peuvent subir, il y a la part du conscient, qui s'exprime dans leur discours, et le fond du problème dont nous n'avons pas forcément connaissance. Nous ne sommes pas, dans le cadre du Planning, des psychothérapeutes ou des psychanalystes.

Nous avons le cas de quelques femmes maghrébines qui nous disent que l'arrivée d'un enfant, avant le mariage, est impossible ou pour d'autres, que leur grossesse est le fruit d'une rencontre de vacances. J'ai rencontré des femmes divorcées, mères de trois ou quatre enfants, se trouvant enceintes d'un cinquième enfant sans qu'elles le sachent. Dans de telles situations, elles ne veulent pas le garder, parce que leurs autres enfants sont déjà de jeunes adultes et qu'elles ne veulent plus être mères. Certaines de ces femmes ont fait l'objet d'agressions sexuelles, de viols ou d'inceste ; mais les grossesses qui aboutissent à un accouchement sous X sont très rarement issues de ce type de situation. Il est vrai que l'on ne connaît pas l'histoire de toutes ces femmes, mais cela ne semble pas en être le point commun. Le seul point est le refus de cette grossesse qu'elles n'avaient même pas envisagée avant d'en arriver à sept mois de grossesse.

Il y a également des femmes qui arrivent à l'hôpital sans avoir eu aucun suivi avant leur accouchement et que nous ne rencontrons pas. Elles arrivent le matin à l'hôpital et en ressortent l'après-midi, après avoir accouché le jour même.

En ce qui concerne la place des pères, selon notre expérience, ceux-ci sont très majoritairement absents, s'étant eux-mêmes complètement écartés ou ayant été écartés par les femmes. Certaines ne veulent pas informer leur compagnon de leur grossesse, car elles ont déjà choisi que cette grossesse n'était pas possible pour elles.

Mme Danielle Gaudry : Je travaille dans le Val-de-Marne. Nous n'avons pas de groupe de travail comme en Seine-Saint-Denis, mais nous rencontrons aussi des femmes qui vont accoucher sous X.

Dans ma pratique de gynécologue, j'ai eu l'occasion de rencontrer des femmes qui ont eu un accouchement sous X. Elles en parlent, mais seulement une fois qu'elles ont reconstruit leur vie. Après un accouchement sous X, il y a une période de temps importante, que l'on peut qualifier de travail de deuil, durant laquelle elles reconstruisent leur vie. Elles trouvent un compagnon, ont d'autres enfants et organisent une vie familiale.

C'est à l'occasion de nouvelles grossesses qu'elles indiquent, sous le secret médical, car cela fait partie de leur histoire médicale, qu'elles ont déjà accouché, mais sous X. C'est alors que nous reparlons de cet accouchement, qui n'est pas toujours exprimé avec une très grande culpabilité. Cet accouchement fait partie de leur histoire, mais elles ont reconstruit une autre vie avec l'impossibilité de parler de cette première grossesse et de cet enfant, avec leur compagnon et au sein de leur cellule familiale.

Au niveau du dossier médical, nous sommes obligés de noter que la mère n'est pas une primipare. Dans le même temps, tout en restant attentifs au respect du secret médical vis-à-vis de l'équipe qui pratiquera cet accouchement, nous devons faire en sorte que cet enfant soit accueilli par sa mère. C'est un équilibre important à prendre en compte car, ces femmes, mêmes si elles ne représentent qu'un petit nombre de cas par an, se sont reconstruit une vie qu'il faut respecter.

Nous parlons beaucoup de l'accompagnement des femmes ayant accouché sous X et des lieux de paroles dont elles peuvent disposer. Il faut leur donner une telle possibilité, sachant qu'elles ne reviendront pas systématiquement voir, lors de leurs futures grossesses, la personne qui les a accompagnées lors de l'accouchement sous X. Il nous semble important que le projet de loi prenne en compte cette histoire.

Mme Valérie Boblet : Nous avons rencontré régulièrement, parfois une fois par semaine, un certain nombre de femmes jusqu'à leur accouchement. Elles exprimaient une forte volonté, non seulement que cela ne se sache pas, au niveau de l'entourage direct, mais aussi que cela ne soit pas inscrit dans leur histoire officielle ; d'où leur demande d'anonymat.

Puis, après l'accouchement, jusqu'à l'expiration du délai de rétractation, leur discours change totalement. Certaines ont des desiderata pour cet enfant, tout en maintenant un désir fort de non-maternité et de non-inscription de cet accouchement dans leur histoire. Elles veulent être sûres qu'il sera bien dans la famille où il sera placé. Par exemple, une mère musulmane préférera que son enfant porte un prénom arabe ou qu'il ne soit pas placé dans une famille juive. Elles espèrent qu'ils recevront une bonne éducation et feront des études.

Nous avons pu constater, depuis quelques années, que les femmes voulant accoucher sous X venaient vers nous, alors que nous n'avions pas vraiment eu une réflexion et une formation sur la façon de les accompagner. Mais il existe peu d'autres structures. Nous avons découvert récemment une structure unique en France, l'association "Illythie". Cette structure d'accueil et d'hébergement de femmes, en demande d'accouchement sous X ou en difficulté par rapport à l'arrivée d'un enfant, localisée à Meudon, dépend du conseil général des Hauts-de-Seine.

Cette structure héberge, quel que soit le moment de la grossesse et jusqu'à trois semaines après l'accouchement, des femmes qui s'interrogent sur l'arrivée de cet enfant, plutôt dans la perspective de ne pas le garder. Elle compte une équipe étoffée, comportant des assistantes sociales, des éducateurs, des psychanalystes et des psychologues, qui vont permettre à ces femmes de prendre le temps de vivre cette grossesse et non pas de la dénier. Elle a l'avantage de pouvoir permettre à ces femmes d'être hébergées et de parler de leur choix. Ce type de structure manque cruellement en France.

Plusieurs autres départements ont mis en place au moins une structure d'accueil, sinon d'hébergement. Or, on s'aperçoit que l'hébergement est essentiel pour certaines femmes, car cela leur permet de s'éloigner de leur milieu familial, social et professionnel. Je suis même stupéfiée par l'imagination de certaines jeunes filles, notamment maghrébines, relativement surveillées à la maison, qui trouvent des prétextes (tels que des stages) pour s'éloigner de leur famille pendant deux mois.

Il est dommage que le projet de loi de Mme Ségolène Royal n'insiste pas davantage sur cet aspect de l'accompagnement. La "loi Mattei" de 1996 avait tenté de transférer cette responsabilité à l'aide sociale à l'enfance (ASE) dans chaque département. Cela a été plus ou moins - plutôt moins que plus - mis en pratique. Par ailleurs, il n'y a pas eu de décret d'application, ce qui rend les choses plus difficiles à mettre à place. Néanmoins, certains départements l'ont fait, et on constate que cela fonctionne bien. De plus, une structure, telle que l'"Illythie", n'a aucun parti pris sur l'accouchement sous X. Son but est d'accompagner au mieux les femmes qui font ce choix.

S'agissant du Conseil national d'accès aux origines, il me semble que c'est une bonne idée de créer un lieu clairement identifié qui se préoccupe de la formation des professionnels. Toutefois, comme chaque professionnel ne rencontrera que deux ou trois fois un tel cas dans sa carrière, il est difficile de former spécifiquement les professionnels à cette situation. Il convient donc de disposer d'une structure "repérée" qui travaille dans ce domaine et vers laquelle on orientera plus facilement les femmes et d'un support écrit expliquant très précisément les procédures aux professionnels. C'est la raison pour laquelle, par exemple, nous avons édité une plaquette sur ce sujet, en direction des professionnels, intitulée "L'accouchement secret, dit sous X".

L'avantage de la "loi Mattéi" est qu'elle permet à une femme d'être informée qu'à tous moments elle peut lever le secret de son identité. Certes, c'était déjà le cas auparavant, mais sans que cela se sache. Le mérite de la loi de 1996 est d'avoir également clarifié les pratiques, et que des pratiques un peu folles n'aient plus cours ou soient attaquables si elles ont cours. Cette loi a eu le mérite de tenter d'uniformiser, dans le bon sens, des pratiques diverses. Cet aspect est d'ailleurs maintenu dans le projet de loi de Mme Ségolène Royal.

En revanche, nous comprenons mal la raison pour laquelle ce projet de loi prévoit une "invitation" faite à ces femmes de consigner leur identité dans une enveloppe scellée qui sera conservée. Nous nous interrogeons sur cette double sécurité.

Certes, c'est une invitation et non pas une obligation, mais Mme Ségolène Royal estime que cette demande à l'égard des mères fait qu'à moyen terme l'accouchement sous X disparaîtra, ce qui nous paraît extrêmement dommageable. Il faut prendre en compte cette réalité que des femmes ne veulent ou ne peuvent garder leur enfant. Le contexte a évolué depuis ces témoignages très douloureux de femmes qui avaient été poussées à accoucher sous X, il y a trente ou quarante ans. De plus, la loi est plus claire sur leur accompagnement.

Par cette incitation à laisser son identité, on se retrouve dans la même situation que celle dont se plaignent certains enfants nés sous X. En effet, lorsqu'ils sont à la recherche de leurs origines et vont dans les services d'adoption de l'ASE d'un département, les fonctionnaires leur répondent qu'ils ont bien l'identité de leur mère, mais que, comme elle a accouché sous X, ils ne peuvent pas la leur donner. Quant aux services du Conseil national d'accès aux origines, ils auront bien l'identité de la mère qu'ils iront rechercher dans le respect de sa vie privée. Il y a une vraie réflexion à mener sur ce que signifie le respect de la vie privée, parce que ces services vont appeler ces femmes chez elles, leur envoyer un courrier qui sera peut-être ouvert par un autre membre de sa famille. Et que diront les services à l'enfant si la mère refuse catégoriquement de lever le secret de son identité ? Nous nous retrouverons dans la situation actuelle, à savoir un enfant confronté au fait que l'administration connaît l'identité de sa mère, mais ne peut le lui communiquer, d'où le risque de provoquer des problèmes graves chez l'enfant.

Pour l'enfant, se pose aussi la question de l'enveloppe qui peut ne contenir aucune identité. Les mères qui reviennent sur le secret de leur identité le font rapidement après l'accouchement, souvent dans un délai de deux mois. C'est pourquoi le raccourcissement du délai de trois mois à deux mois ne nous a pas choquées outre mesure. Quant aux femmes qui reviennent donner leur identité dans leur dossier, j'ai moins d'expérience sur cet aspect de la question.

Mme Danielle Gaudry : Il nous semble important de fixer une limite dans le temps à cette recherche des parents par les enfants et à la nécessité pour la mère de réitérer son refus de révéler son identité. A cet égard, la femme doit avoir la certitude qu'un jour elle ne pourra plus être interrogée sur cet accouchement. Cet aspect d'une limitation dans le temps, qui n'est pas spécifiée dans le projet de loi, nous semble un élément important, tant dans l'intérêt de la femme que de celui de l'enfant, afin qu'il puisse se construire sur ce refus.

Mme Françoise Laurent : Un autre aspect, qui nous semble poser problème, c'est que pour rappeler à la mère qu'elle peut lever le secret de son identité, il faut pouvoir la joindre personnellement en vue d'un entretien préalable. A cet égard, le législateur doit se garder de la pression de ceux qui veulent faire avancer les droits de l'enfant en refusant de voir qu'à certains moments ils sont antagonistes de ceux d'autres individus.

Nous avons soulevé cette question s'agissant des procréations médicalement assistées. Nous estimons qu'il faudrait disposer de lieux d'information et d'accueil destinés aux femmes et aux couples, qu'ils soient intéressés par cette méthode ou en cours de traitement. Ces lieux permettraient aux femmes, à tous moments de leur vie, de trouver une écoute les respectant complètement.

Chaque département devrait disposer d'un lieu identifié, où toute femme pourrait s'exprimer, être écoutée et accompagnée. Il est certain que les institutions et les services sociaux accompagnent ces femmes pendant leur grossesse et l'accouchement sous X, mais cela concerne un laps de temps très court de leur vie. Cet accompagnement se fait sans une réelle prise en charge des problèmes ayant poussé ces femmes vers ce type d'accouchement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble que vous remettez en cause l'article L. 146-4 du projet de loi selon lequel : "(...) Sauf s'il en dispose déjà, le Conseil sollicite la déclaration expresse de levée du secret par le père ou la mère de naissance."

Mme Véronique Neiertz : Dans l'article 2 du projet de loi est utilisé le vocable "inviter". Je considère donc, pour ma part, qu'il ne s'agit pas d'une obligation. La mère peut également fournir un faux nom.

Mme Valérie Boblet : Nous avons l'impression que cette "invitation" aurait pour objectif de faire disparaître à terme l'accouchement sous X, de mettre fin au secret des familles et de s'ouvrir à la transparence. Nous devons rester vigilantes, car personne ne peut être sûr que son père est bien son père ou sa mère sa mère. Qui peut prétendre connaître toute la vérité sur sa naissance ?

Mme Véronique Neiertz : Un amendement à cet article, selon lequel la femme serait invitée à consigner son identité sous pli fermé, mais qu'elle pourrait aussi le refuser, si elle le souhaite, serait-il de nature à apaiser vos inquiétudes ?

Mme Valérie Boblet : La femme saurait de façon claire qu'elle a le droit de refuser de donner son identité. Ce texte d'ailleurs devrait lui être lu.

Mme Véronique Neiertz : Il est vrai que l'on peut supposer que cela pourrait conduire à terme à la disparition de l'accouchement sous X, mais ce n'est pas le postulat de base de cette Délégation. Nous sommes pour le maintien de l'accouchement sous X.

Force est de constater qu'il existe une forte pression allant dans le sens de la recherche des origines. On ne peut pas non plus dénier que les mentalités ont beaucoup évolué par rapport à il y a vingt ou trente ans. Nous devons donc accompagner cette évolution, sans pour autant privilégier les droits de l'enfant sur les droits de la mère. Il faut essayer de garder un équilibre. Je trouve que le texte de Mme Ségolène Royal est relativement subtil, car il essaie d'aller dans le sens de cet équilibre préservé, tout en gardant la possibilité d'être amendé et conforté.

En revanche, je suis moins tranchée que vous quant aux conséquences dramatiques que pourrait entraîner, après un certain nombre d'années, une seconde interrogation de la mère ayant accouché sous X à donner son identité, lorsqu'on lui fait connaître que son enfant veut renouer avec elle. Je n'accorde pas la même importance que vous sur le fait de fermer, une fois pour toutes, la boîte de Pandore. Il me semble que l'on doit arriver à faire accepter à ces femmes cette part de leur vie et leur donner le courage de dire non une seconde fois. C'est ce que prévoit le texte.

On peut supposer que devoir refuser une seconde fois va déchirer la mère, encore qu'on n'en soit pas sûr. Elle s'est peut-être bâti une autre vie. Mais cette seconde possibilité offre une nouvelle chance à la mère et à l'enfant de renouer. Personne ne peut préjuger de la réponse.

Mme Danielle Gaudry : Nous avons toujours souligné la contradiction qui existe entre la recherche poussée de la biologie et les discours sur la parentalité. Nous voyons également une contradiction entre ce projet de loi et celui sur la bioéthique, quant à l'anonymat du don des donneurs de gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes). C'est une de nos interrogations par rapport aux lois françaises. Si on accepte l'anonymat des donneurs de gamètes, chose que nous trouvons tout à fait positive, cet anonymat doit être étendu à d'autres situations exceptionnelles.

Mme Françoise Laurent : C'est vrai que cela donne une nouvelle chance à une femme, qui s'est reconstruit une vie, de pouvoir renouer avec son enfant. Mais cette révélation ne doit pas se faire par l'envoi d'un enquêteur, suite à la demande de l'enfant de vouloir connaître sa mère. Ce n'est pas ainsi que la femme en viendra à se dire qu'elle a eu tort et qu'elle va lever le secret. Cette décision de levée le secret sur son identité revient entièrement à la mère, décision qu'elle devrait prendre en passant par des lieux d'écoute identifiés, où les femmes pourraient s'exprimer et être informées sur leurs droits en ce domaine.

Par ailleurs, au regard de la force des lobbies des droits de l'enfant, nous sommes réticentes sur les dispositions du texte de Mme Ségolène Royal concernant le Conseil national d'accès aux origines. En effet, celui-ci sera soumis à la pression de ces lobbies et non pas à la pression de ceux qui souhaitent un équilibre entre les droits de l'enfant et ceux de la femme.

J'ai la quasi-certitude que ce Conseil national d'accès aux origines, même avec la nomination de professionnels, de chercheurs, d'experts, de personnalités ayant le sens des nuances, n'ira pas dans le sens d'un respect des droits de la femme. A terme, ce Conseil national d'accès aux origines, dont la loi doit définir le rôle, laissera un certain nombre de ces professionnels entamer des démarches qui feront pression sur la mère.

Vous dites vous-même qu'à une époque, dans certaines maternités, on faisait pression sur les femmes pour qu'elles accouchent sous X, ce qui est sans doute maintenant beaucoup moins fréquent.

C'est un aveu de faiblesse de notre société de ne pas pouvoir affirmer que la loi a pour effet de défendre un équilibre entre les droits de l'enfant et ceux de la femme.

Mme Véronique Neiertz : Dire à la femme qu'elle peut revenir à tous moments sur la levée du secret de son identité la rassure psychologiquement.

Mme Françoise Laurent : Mais c'est déjà le cas. Pourquoi ne pas faire en sorte que ces femmes, qui sont passées au travers de drames, lèvent le secret de leur identité lorsqu'elles se sentent prêtes à le faire ?

Il faut que la loi indique clairement que la femme, lorsqu'elle est "invitée" à donner, au moment de l'accouchement, son identité sous pli scellé qui sera gardé secret, n'est pas obligée de mettre son nom dans l'enveloppe. Ensuite, quand l'enfant demandera aux services compétents à connaître l'identité de sa mère, il faudra bien insister sur le fait que certaines femmes auront donné leur identité, mais que d'autres ont souhaité garder un anonymat complet.

Par ailleurs, le Conseil national d'accès aux origines devrait défendre cette démarche et non pas considérer que les femmes ont accouché sous X sous une quelconque pression familiale. En effet, un certain nombre de personnes qui ont contribué à la rédaction du projet nous ont dit que les femmes qui accouchent sous X étaient des jeunes filles mineures de la bourgeoisie et qu'une fois hors de la pression de la famille, c'est-à-dire dix ans après, elles seraient tout à fait prêtes à lever le secret de leur identité. Je crois que beaucoup se racontent des histoires.

Si nous voulons qu'il y ait respect de l'équilibre entre les droits de l'enfant et ceux de la mère, il faut être extrêmement précis dans la terminologie et ne pas utiliser des termes tels que celui d'"invitée".

M. Patrick Delnatte : Il faut maintenir l'accouchement sous X, car le secret du nom ainsi que d'autres éléments non identifiants permettent de régler un certain nombre de problèmes et d'apporter un apaisement à ces femmes. Leur accompagnement est aussi très important.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un élément intéressant du texte me semble être que le Conseil national d'accès aux origines permettra une certaine uniformisation des pratiques, qui, comme on peut s'en rendre compte, est loin d'être parfaite.

Mme Véronique Neiertz : Même si ce Conseil présente effectivement des avantages, nous devons préciser la manière dont le législateur souhaite qu'il soit constitué et composé. Sinon, il sera constitué d'une majorité de lobbies des droits de l'enfant et de l'accès forcé aux origines, ce qui conduira à une programmation de la disparition de l'accouchement sous X.

Cette composition doit remplir un double principe absolu : la parité homme-femme et la parité des droits, c'est-à-dire ceux qui défendent l'accouchement sous X et ceux qui défendent le droit de l'accès aux origines.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A l'heure actuelle, il est prévu que le Conseil national comprenne des membres de la juridiction administrative, des magistrats de l'ordre judiciaire, des représentants des ministres et des collectivités territoriales, ainsi que des personnalités qualifiées. La présence des associations en tant que telles n'est pas prévue.

Mme Véronique Neiertz : Nous devons travailler sur la composition du Conseil afin que les droits des uns ne l'emportent pas sur les droits des autres. Il est certain qu'une telle instance doit comprendre non seulement des administrations, mais aussi des professionnels qualifiés représentant chacune des parties.

Mme Valérie Boblet : Il faut aussi tenir compte du caractère peu fréquent de l'accouchement sous X, qui ne concerne environ que sept cents femmes par an. C'est donc une situation exceptionnelle.

Mme Françoise Laurent : L'accouchement sous X fait partie du droit des femmes à décider des suites à donner à leur grossesse et de leur procréation en général. Il est plus facile pour un homme de maintenir le secret qu'une femme. La société doit donc organiser la capacité des femmes à décider, même dans les cas les plus graves.

Audition de Mme Simone Chalon,

directrice de l'association "La famille adoptive française"

et de M. François-René Aubry, magistrat et vice-président de cette association

Réunion du mercredi 2 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous vous accueillons aujourd'hui dans le cadre du projet de loi de Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles. Vous êtes favorable au maintien de l'accouchement sous X qui, en tant que tel, n'est pas remis en cause par ce projet. Le texte prévoit seulement une procédure permettant d'avoir accès à l'identité de la mère, si celle-ci a formulé son accord. Pouvez-vous nous parler de votre expérience, notamment de l'accueil de ces femmes ? Quelles sont les motivations qui les amènent à accoucher sous X ? Subissent-elles des pressions ? Pourraient-elles faire appel à un autre type d'accouchement ? Dans quelle proportion les mères sont-elles venues vous demander la levée du secret de leur identité ? Etes-vous amenée à donner des renseignements aux enfants sur leur mère et aux mères sur leur enfant ? Quelle est votre position sur l'accès à la connaissance des origines, tel qu'il est organisé par le projet de loi ? Auriez-vous des suggestions à faire par rapport à ce projet de loi ?

Mme Simone Chalon : Je vous parlerai en tant que directrice d'un organisme autorisé pour l'adoption, fonction que j'exerce depuis vingt-cinq ans, d'où ma connaissance du problème. Je vois et revois les mères qui nous confient leur enfant, les enfants adoptés et les parents qui adoptent.

Les dispositions de la "loi Mattei" me paraissent tout à fait appropriées et, dans notre association, sont parfaitement respectées. Je reçois des jeunes femmes de tous milieux sociaux, qui prennent librement leur décision. Elles savent parfaitement qu'elles ont deux mois pour changer d'avis si elles le désirent, qu'elles peuvent même, pendant ces deux mois, si elles en expriment le souhait, voir leur enfant. Si les choses sont faites dans le respect de la mère, de l'enfant et de la famille adoptante, il ne devrait pas y avoir de problèmes.

J'ai reçu deux lettres dont je souhaite vous lire quelques extraits. La première, en date du 16 avril 2001, est celle d'une jeune femme. Voici le dernier paragraphe de son courrier : "Je vous remercie de me donner des nouvelles de Soraya et ce depuis seize ans."

La seconde lettre, en date du 22 mars 2001, m'a été adressée par une jeune fille adoptée : "Je soussignée ---- interdis à toute personne de donner quelque renseignement que ce soit à mon sujet à ma famille biologique. Si, par hasard, mon père ou ma mère biologique ou un frère ou une s_ur désirait me retrouver, ou avoir le moindre petit renseignement à mon sujet, je m'y oppose formellement, et cela pour n'importe quel motif. J'ai une famille formidable que j'adore. J'estime que des gens qui abandonnent leur enfant pour X raisons quand ça les arrangeait bien, n'ont aucun droit pour X raisons de savoir quoi que ce soit. Ils doivent vivre avec la peine, le regret, le remords si c'est à vie, et surtout dans le doute. Merci de ne donner aucun renseignement à mon sujet, car cela pourrait nuire à mon équilibre et à celui de mes proches. La seule chose que vous pouvez leur dire, rien du tout."

Notre organisme existe depuis 1946. Au départ, il s'agissait de faire adopter les enfants de père allemand nés en France et, en collaboration avec l'Assistance publique et la Croix-Rouge, faire adopter les enfants de Français nés en Allemagne. Ces enfants étaient placés dans des orphelinats français en Allemagne, sous la responsabilité du commandement de l'époque.

Aujourd'hui, dans la recherche de leurs origines, certains enfants ont retrouvé leur famille allemande, car la mère, lorsqu'elle déposait l'enfant à l'orphelinat, donnait le nom. Nous en sommes aujourd'hui à cinq mille adoptions d'enfants nés en France et à l'étranger. Je reçois environ cinquante demandes de renseignement de jeunes qui viennent consulter leur dossier. Les années passées, je n'en recevais aucune. Les gens qui viennent me voir, dont certains ont une quarantaine d'années, commencent seulement à s'interroger sur leurs origines. C'est devenu un phénomène de mode.

Je suis favorable au maintien de l'accouchement sous X, même s'il n'est pas remis en cause, en tant que tel, dans le projet de loi. J'ai d'ailleurs indiqué au Conseil supérieur de l'adoption que supprimer cet accouchement serait s'exposer à trouver plus d'enfants dans nos poubelles. En Allemagne, où n'existe pas l'accouchement sous X, viennent d'être installées, dans les hôpitaux, des "boîtes à bébés" où des mères peuvent déposer l'enfant qu'elles ne souhaitent pas garder. A Hambourg, où ces "boîtes" sont installées depuis un an, on n'a plus trouvé d'enfants dans la rue depuis cette date, alors que, l'année précédente, on en avait trouvé sept, dont deux décédés. Cela démontre bien leur utilité. La Hollande et le Danemark s'apprêtent à faire la même chose. De plus, la Hollande et la Belgique demandent l'introduction de l'accouchement sous X, pour ne plus trouver d'enfants abandonnés dans la rue.

J'ai demandé à Mme Ségolène Royal qu'une étude soit effectuée notamment auprès de la brigade des mineurs, afin d'établir le nombre d'enfants abandonnés, trouvés chaque mois dans nos départements. En effet, dans certains, on en retrouve jusqu'à quatre.

Je rencontre souvent des femmes qui ont de grosses difficultés. Quand je leur pose la question, quand elles arrivent enceintes de huit mois, sans parfois même s'en être rendu compte, ce qu'elles auraient fait, la dernière m'a répondu qu'elle l'aurait posé sur le trottoir et aurait regardé si quelqu'un le ramassait. Quand je lui parle de l'aide sociale à l'enfance, elle me répond qu'elle en sort. Elle préférerait qu'un passant ramasse son bébé sur le trottoir et qu'il soit ainsi pris en charge, plutôt qu'il ne reste dix-huit ans dans une institution.

Je vais maintenant vous présenter les documents que nous faisons remplir à une femme qui nous confie son bébé. Nous avons une psychologue et une assistante sociale qui assurent l'accueil des parents, le suivi des enfants, et qui rencontrent la mère si celle-ci le désire. Pour ma part, je rencontre personnellement toutes ces femmes, car elles ont besoin de se confier à une personne plus âgée, qui fait figure de mère et de grand-mère à leurs yeux. Je les emmène déjeuner, nous discutons, et je prends tous les documents que je peux transmettre à l'enfant.

A chaque mère qui nous confie son bébé, je lis le passage suivant : "Je sais que je peux à tous moments remettre à "La famille adoptive française" une lettre contenant mon identité. Cette lettre sera jointe au dossier de l'enfant et pourra lui être remise s'il le demande." Elles remplissent le document dont un double va au dossier et dont elles gardent une copie. Quand elles me demandent des nouvelles de l'enfant, je peux leur en donner car je demande également aux parents adoptifs de me donner régulièrement des nouvelles.

Au cours de la longue existence de notre organisme, les choses ne se sont pas toujours déroulées ainsi. Quand une femme, qui a confié un enfant il y a quarante ans, nous demande des nouvelles de l'enfant, je ne peux pas toujours lui en donner. C'est pourquoi chaque année, nous organisons une fête à laquelle viennent assister des enfants "anciens" adoptés.

A toute femme qui vient et qui nous confie son enfant, je lui explique qu'elle peut accoucher anonymement, sans donner son nom, mais je prends néanmoins des renseignements sur la mère pour les transmettre à l'enfant, tels que sa morphologie, son origine, son activité dans la vie, ses goûts. De plus, je demande des renseignements sur le père, même s'il est certain que, dans une telle situation, le père ne s'intéresse pas à l'enfant, sinon souvent la mère l'aurait gardé.

M. François-René Aubry : Je m'exprime ici en tant que père adoptif. J'ai trois enfants adoptés, qui viennent de trois continents différents ; un est issu d'un accouchement sous X, un autre est né à l'étranger et un troisième a été abandonné par procès-verbal.

Il me semble que l'accouchement sous X est certainement une réponse appropriée pour un certain nombre de femmes qui connaissent de grandes difficultés, au plan personnel et social. C'est par égard pour ces femmes qu'il faut maintenir cet accouchement sous X, qui représente une porte de sortie qui peut leur permettre de résoudre un certain nombre de problèmes.

Par ailleurs, en tant que père adoptif, je crois vraiment représenter la tendance actuelle de la majorité des parents adoptifs. Nous faisons en sorte que nos enfants éprouvent du respect à l'égard de leur mère d'origine. Nous l'évoquons, elle fait partie de notre vie quotidienne, dès lors que l'enfant est totalement persuadé que sa vraie famille est sa famille adoptive. Quand l'enfant est rassuré sur ce point, nous pouvons facilement aborder le problème de ses origines, de sa mère d'origine et parfois du père d'origine, sur lequel il y a souvent peu de renseignements.

C'est dans cet esprit que l'on peut dire que le projet de loi actuel correspond tout à fait à cette attente, à la fois le maintien de l'accouchement sous X et cette possibilité d'aller vers le parent d'origine. Mais les enfants sont finalement, me semble-t-il, plus préoccupés par la pérennité de leur statut d'enfant adopté, par le fait qu'ils sont confortés d'être l'enfant de leurs parents adoptifs, plus que par leurs origines. Si la question des origines se pose, elle se posera peut-être plus tard, avec des acuités très différentes d'un enfant à un autre.

Certes il faut rester attentif aux phénomènes de mode, mais tout en respectant cette démarche des enfants qui consistent à aller vers leurs parents d'origine ou, tout du moins, vers une connaissance des raisons de l'abandon et de la personnalité de leurs parents de naissance. La question que se pose souvent l'enfant est de savoir à qui il ressemble, peut-être plus que de savoir qui sont ses parents. Il y a là une recherche de sa propre identité, sans pour autant vouloir aller très loin dans la connaissance des parents.

Quant au contact avec la mère de naissance, c'est une démarche difficile pour l'enfant dans laquelle il sera accompagné par ses parents adoptifs. Il me semble que c'est sur ce plan-là que la loi doit rester extrêmement attentive et bien définir les choses. L'enfant doit bénéficier du meilleur répondant et accompagnement possible à ce moment difficile de sa vie, car il sera souvent encore adolescent et en train de construire sa personnalité.

Il est vrai que lorsque des parents ont eu la chance d'adopter l'enfant par le biais d'une association telle que "La famille adoptive française", ils restent en contact avec cette association, l'enfant en connaît les responsables et peut assister aux activités comme la fête des anciens adoptés. L'enfant pourra plus facilement aller vers Mme Simone Chalon et lui demander des renseignements, éventuellement lui dire qu'il souhaite rencontrer sa mère d'origine, même si le nombre d'enfants qui font cette demande est restreint.

Or, le problème est qu'actuellement les enfants nés sous X et accueillis par une association représentent moins de 5 % de cette population. Tous les autres passent par des DDASS, certaines très organisées pour répondre à ce type de demandes, d'autres moins. La création d'un organisme centralisateur, qui vérifie la façon dont les choses se passent, me paraît opportune, sans pour autant qu'il se charge de ce travail important d'accompagnement qui consiste à accueillir les enfants et les mères.

Cet organisme peut, en revanche, aider ceux qui seront délégués pour effectuer ce travail d'accompagnement. Toutefois, une trop grande centralisation me paraît poser des problèmes matériels difficiles, comme pour les archives. Par ailleurs, il serait peut-être regrettable de se priver des possibilités d'accompagnement de quelques associations qui ont fait ce travail et pour lequel elles sont bien formées.

Ces _uvres d'adoption se sont tout autant adressé à ces mères en difficulté qu'aux enfants. Leur vocation était à la fois de donner aux enfants des familles adoptives, mais aussi d'accompagner et de rassurer la mère dans son choix, et de lui garantir la dignité pour son enfant.

Ces _uvres pourraient continuer leur travail en collaboration étroite avec cet organisme national, qui aurait un rôle de contrôle plus qu'un rôle direct, car la décentralisation, dans ce domaine, me paraît être nécessaire.

Mme Simone Chalon : Nous avons discuté de ce projet de loi au Conseil supérieur de l'adoption. Je conviens que l'enfant et la mère puissent se retrouver, mais pas de n'importe quelle manière, car il y a une façon d'expliquer les choses aux enfants. Si ces enfants se retrouvent face à un fonctionnaire et lui posent des questions sur leur mère, le fonctionnaire ne pourra pas répondre.

Pour ma part, je reçois des enfants mineurs qui viennent accompagnés de leurs parents. A l'association, nous connaissons toutes les mères. Comme nous avons noté toutes les informations les concernant, nous pouvons les donner à l'enfant lorsqu'il nous interroge. Mais cela ne sera pas possible dans le cas d'une centralisation trop importante. Il faut faire confiance aux personnes qui ont rencontré les parents biologiques, l'enfant, puis les parents adoptifs, qui ont fait le choix d'une famille en fonction des parents qui nous ont confié l'enfant. Il faut laisser à l'organisme le soin de faire des médiations.

Mme Véronique Neiertz : La problématique que vous posez sur la manière de faire la médiation nous paraît aussi essentielle. L'administration n'a pas toujours les moyens de la faire comme cela serait souhaitable, ni même la formation adéquate.

Nous nous sommes interrogés sur le bien-fondé de la création d'un Conseil national. L'avantage est qu'il peut permettre d'harmoniser des pratiques, avec éventuellement un correspondant départemental, et donner une sorte d'officialité et de sérieux à la façon d'aborder le problème. Toutefois notre inquiétude concerne plutôt la composition de ce Conseil, qui comprend essentiellement des fonctionnaires et des magistrats.

Mme Simone Chalon : En tout premier lieu, ces fonctionnaires doivent être formés. En effet, certains comptes rendus, qui nous sont envoyés par les fonctionnaires chargés d'octroyer les agréments, afin que nous retenions des demandes d'adoption, nous semblent scandaleux. Par exemple, nous avons reçu un agrément donné à un couple auquel on avait déjà retiré trois enfants qui ne voulaient plus voir leur mère depuis qu'elle était remariée.

Il n'est pas souhaitable que des fonctionnaires non formés soient chargés de la rencontre entre les parents et les enfants. Ce n'est pas dans l'intérêt des enfants. Il y a quelques années, quand on a annoncé à une femme, venue au service de l'aide sociale à l'enfance pour voir son dossier, que son père était son grand-père, elle est allée se jeter dans la Seine.

Mme Véronique Neiertz : L'ASE est tout naturellement désignée pour être formée de fonctionnaires qualifiés, sauf que certains le sont et d'autre pas. S'il leur faut suivre une formation spéciale, qui peut la leur donner ?

Mme Simone Chalon : Je ne sais pas. Je sais qu'une personne au Centre d'orientation psychologique et sociale (COPES) fait des formations très valables. Mais il suffit d'avoir un psychologue et une assistante sociale avec du bon sens qui n'iront pas lancer brutalement une information à la figure d'un enfant. Il faut lui dire la vérité, mais avec bon sens.

Le mois dernier, j'ai reçu un enfant que ses parents sentaient inquiet et qui voulait avoir des renseignements sur sa mère. Lorsque j'ai rencontré l'enfant, je lui ai dit comment était sa mère et qu'elle m'avait demandé, quand elle me l'avait confié, de lui donner une famille pour qu'il travaille bien à l'école, qu'il ne soit pas sans situation comme elle, et qu'il ait des notes brillantes à l'école. Le père m'a téléphoné peu de temps après pour me dire que l'enfant avait très bien redémarré à l'école.

M. Patrick Delnatte : Les pratiques ont évolué, et la décentralisation est venue compliquer les choses. Avant, une seule personne interlocutrice au niveau des DDASS, remplissait le rôle que vous remplissez en tant qu'association. Maintenant la pratique dans les départements multiplie les interlocuteurs. On ne retrouve pas cette unité de l'interlocuteur unique qui donnait l'agrément, confiait l'enfant et qui parfois ensuite demandait des nouvelles. La décentralisation, dans ce domaine, a créé, par cette diversité des pratiques, des situations qui ne sont pas toujours satisfaisantes.

Par ailleurs, ce qui est intéressant dans votre expérience, c'est que vous demandez aux parents adoptifs de s'engager à donner des nouvelles, ce qui n'est pas demandé par les DDASS ou l'ASE. Une bonne application de la nouvelle loi suppose, me semble-t-il, que maintenant on demande aux parents adoptifs de donner des éléments d'information sur l'enfant.

Mme Simone Chalon : Cela tranquillise la femme qui nous a confié l'enfant et qui demandera des nouvelles. Quand on n'a rien à lui dire, c'est là qu'elle commence à s'inquiéter.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le point de vue de "La famille adoptive française" n'est pas celui de l'ensemble des associations. Les mentalités ont encore besoin d'évoluer.

Mme Danielle Bousquet : Quelle appréciation portez-vous sur le fait que des enfants adoptés puissent avoir connaissance qu'il existe quelque part des informations concernant l'identité de leur mère, qui peut ne pas leur être révélées ? Je me situe dans l'optique de la nouvelle loi, qui ne fait pas obligation à la mère de donner son identité, mais qui l'y incite fortement. Cela supposerait que les femmes déposent leur identité sous pli confidentiel cacheté et que les enfants sachent que l'information existe sans y avoir accès.

Mme Simone Chalon : Je suis contre cette incitation car, de toute façon, elle peut mettre une feuille blanche dans l'enveloppe. Si les femmes que je rencontre veulent mettre leur nom, elles le notent sur le document. Elles ne reconnaissent pas forcément l'enfant, mais elles donnent leur nom. Elles savent que le nom sera communiqué à l'enfant, comme il est communiqué aux parents. Toutefois, il est fort possible que si elles savent qu'on exige d'elles qu'elles donnent leur nom, on trouvera davantage d'enfants abandonnés dans la rue.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La femme qui va vous confier un enfant remplit-elle obligatoirement un document ?

Mme Simone Chalon : Oui. Il y a un exemplaire pour moi et un pour elle. Je leur donne également mon nom et mon numéro de téléphone et je leur demande de me téléphoner lorsqu'elles souhaitent avoir des nouvelles.

Lorsqu'une mère nous confie son enfant, j'envoie au service de l'aide sociale à l'enfance de Paris un petit résumé indiquant que cette jeune femme, mère de quatre enfants, ne peut assumer la venue d'un cinquième et qu'elle nous l'a donc confié en vue d'adoption. Par conséquent, si l'enfant se rend uniquement au service de l'aide sociale à l'enfance pour rechercher son dossier, l'ASE lui indiquera qu'il a été adopté par "La famille adoptive française" et lui donnera les informations que nous avons transmises.

Ensuite, quand l'enfant vient nous voir, nous pouvons lui montrer le document rempli par la mère, parfois une lettre et une photo. Je demande maintenant aux mères de donner une photo que je mets dans le dossier. Ainsi quand l'enfant reçoit la photo et la lettre de sa mère, en général il arrête ses recherches. En fait, la plupart des enfants sont surtout désireux de voir le visage de leur mère de naissance.

M. Patrick Delnatte : Avez-vous des femmes d'origine maghrébine ?

Mme Simone Chalon : Oui, et certaines donnent leur nom en entier. La situation des femmes d'origine maghrébine est particulièrement dramatique. Je vous cite des cas précis. Certaines ont parfois été mariées avec un homme de 65 ans, sans qu'il soit encore venu en France, alors qu'elles ont 18 ans. Entre-temps, elles ont rencontré un jeune homme et se sont retrouvées enceintes. Je dois dire qu'il nous est arrivé de faire refaire des hymens pour qu'au moment du mariage, il y ait du sang sur le drap.

Si une femme enceinte de deux mois vient nous voir, je lui donne l'adresse du Planning familial, car je considère que nous ne sommes pas là pour récupérer des enfants. Si la jeune femme est mineure et que ses parents demandent qu'elle confie cet enfant, je les fais sortir et je leur dis que c'est elle qui doit prendre la décision et remplir ce document. Si elle ne peut pas écrire, nous avons un interprète pour lui expliquer la procédure. Mais nous recevons des femmes de toutes nationalités.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Combien y a-t-il en France d'associations telles que la vôtre ?

Mme Simone Chalon : Je crois être la directrice de la seule association qui travaille de cette façon.

M. François-René Aubry : A ma connaissance, il y avait l'association des Nids de Paris, mais elle a très peu d'adoptions maintenant ainsi qu'une association à Lyon. Mais notre association travaille encore avec un nombre non négligeable d'enfants qui lui sont confiés chaque année.

Dans mon département d'Ille-et-Vilaine, il existe un organisme qui est proche de l'hôpital, le Service d'aide et d'accueil aux femmes et aux enfants en difficultés (SAFED). C'est un des tout premiers en France à avoir accompagné les femmes en difficulté qui ont fait le choix de l'abandon et éventuellement de l'accouchement sous X. Ce sont de tels organismes qu'il serait intéressant d'associer à la révélation de l'identité de la mère et à la mise en contact éventuelle, parce qu'ils ont rencontré ces femmes. Ce service pourrait collaborer avec un service de l'ASE plus classique qui n'a pas toujours un contact avec la mère. Peut-être conviendrait-il déjà de repérer les différentes associations et services, établis dans les départements, pour effectuer ce travail le mieux possible.

Dans chaque département, il existe également, à l'aide sociale à l'enfance, un service spécialisé dans l'adoption avec un personnel tout à fait habilité et formé pour ce type de travail.

Mais chaque département a sa particularité. Pour avoir été juge des enfants et actuellement chargé des mineurs à la cour d'appel de Rennes, je connais bien ce problème. Mais il est vrai que ce qui caractérise l'ASE, c'est une multiplicité d'organisations.

Mme Danielle Bousquet : Que signifie "La famille adoptive française" ?

Mme Simone Chalon : Cette association est une émanation du service social de la SNCF qui, pendant la guerre, a dû prendre en charge les enfants orphelins des cheminots. En 1946, l'association s'est déclarée en _uvre d'adoption, afin de pouvoir prendre en charge, en particulier, les enfants pour lesquels l'Assistance Publique ne trouvait pas de famille, et surtout les enfants nés en Allemagne de jeunes femmes allemandes et de soldats français.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A l'heure actuelle, combien d'enfants nés sous X vous sont confiés ?

Mme Simone Chalon : Nous avons une quarantaine d'enfants nés en France. Mais nous collaborons avec la Chine pour sauver les petites filles et les faire adopter. C'est une collaboration qui a été difficile à mener avec les autorités chinoises. Chaque année, la psychologue et l'assistante sociale se rendent en Chine, puis nos familles partent pour aller chercher une petite fille dans un orphelinat. Nous collaborons également, depuis 1977, avec la Colombie et la Roumanie.

Audition de Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste

Réunion du mercredi 2 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières-Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente: Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, qui a fait partie, de 1993 à 1999, de l'équipe de gynéco-obstétrique du professeur Milliez à l'hôpital Saint-Antoine. Vous enseignez et donnez des conférences dans de nombreuses universités françaises et étrangères et vous êtes membre de plusieurs centres d'éthique bio-médicale.

Vous avez publié de nombreux ouvrages et articles sur les thèmes de la procréation médicalement assistée, du statut de l'embryon, du respect de l'histoire et de la dignité de l'enfant. Vous êtes, entre autres, auteur de "L'art d'accommoder les bébés" avec Suzanne Lallemand en 1979, "La part du père" en 1981, "L'enfant à tout prix" en 1983, "Enfant de personne" en collaboration avec M. Pierre Verdier en 1994, et "La part de la mère" en 1997, qui relate notamment votre expérience de psychanalyste à l'hôpital Saint-Antoine.

Nous aimerions avoir votre appréciation sur les problèmes posés par l'accouchement sous X pour les mères et pour les enfants, et, plus généralement, sur le projet de loi présenté par Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Outre les quelques livres que j'ai écrits, j'ai surtout une assez longue expérience clinique de ces questions. Je suis psychanalyste, mais les hasards de l'histoire ont fait que je me suis intéressée aux questions de procréation médicalement assistée dès 1977. J'ai ainsi abordé le sujet de la filiation médicalement assistée, mais aussi de la filiation socialement assistée, c'est-à-dire toutes ces atypies de conception qui ont pour but de faire circuler les enfants dans la société. C'est un concept ethnologique que j'ai beaucoup travaillé avec Suzanne Lallemand. C'est également un concept métapsychologique dans la mesure où cette circulation d'enfants se fait à "base" de dons et de contre-dons.

Je parlerai de cette filiation socialement assistée que pose l'accouchement sous X. C'est une particularité du droit français, mais qui se comprend dans le cadre général de l'adoption. Pour qu'il y ait adoption, il faut qu'il y ait des enfants à adopter. Pour qu'il y ait des enfants à adopter, il faut que ces enfants soient préalablement abandonnés.

L'accouchement sous X se situe dans ce domaine extrêmement pointu qui rend des enfants facilement abandonnables, non pas au point de vue psychologique, mais au point de vue juridique, puisque la mère de naissance n'est même pas la mère et qu'elle n'a rien à signer puisque, dans l'accouchement sous X, elle est anonyme. Il s'agit donc d'un abandon anonyme, voire de pas d'abandon du tout, puisque personne n'est abandonné et personne n'abandonne.

A la différence de l'adoption, tel que la loi de 1966, révisée en 1996, le prévoit, l'accouchement sous X, qui donne lieu à adoption, relève d'une autre perspective. Dans l'adoption classique, une mère, un père ou un couple donne un enfant à une institution - la DASS - qui le rend adoptable par des parents. En tant que psychanalyste, cette loi me parait tout à fait bonne et sensée, car elle permet aux différents protagonistes de faire le deuil de cet acte extrêmement difficile qui consiste, pour la mère de naissance, à laisser son enfant, pour les parents qui adoptent, d'adopter un enfant avec une histoire, et pour l'enfant, de pouvoir, dès sa majorité, se retourner vers l'institution pour obtenir les documents qu'elle possède sur lui, c'est-à-dire son acte de naissance, le consentement de la mère et le jugement d'adoption.

L'accouchement sous X, bien que se plaçant sous la bannière de l'adoption, ne rentre pas dans le cadre de la loi de 1966, révisée en 1996, qui régit l'adoption. L'accouchement sous X est une sorte de codicille dont l'histoire est très ancienne. Elle est passée dans le droit français sous le régime de Pétain en 1942. Puis elle a été intégrée dans le code de la famille et de l'aide sociale jusqu'en janvier 1993 où elle était, à mon sens, fort bien située. Même si je suis très réservée sur cette possibilité d'abandon anonyme, par expérience, je sais qu'il existe des situations très difficiles où des mères enceintes ne peuvent garder l'enfant et font le choix de le faire adopter. Cette mesure de salubrité publique se retrouvait à l'article 47 du code de la famille et de l'aide sociale.

En 1993, l'introduction de cette mesure dans le code civil lui a donné une toute autre portée symbolique, puisque, dans le code civil, on introduit une sorte de non-mesure. Il me semble que l'un des intérêts du projet de loi de Mme Ségolène Royal est de remettre cette mesure dans le code de la famille et de l'aide sociale.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il n'y a aucune modification du code civil. Les dispositions sur l'accouchement secret restent dans le code de la famille et le code civil, la filiation relevant du code civil et le projet de loi déconnectant les origines biologiques de la filiation sociale.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Le projet de loi de Mme Ségolène Royal a néanmoins le grand intérêt de créer parallèlement un conservatoire de l'identité de la mère de naissance, voire du père de naissance, et ainsi de permettre à l'enfant, à sa demande et après sa majorité, de recourir à un médiateur.

Je souhaite approfondir ma réflexion sur le fait que la loi sur l'accouchement sous X, telle qu'elle existe actuellement, me semble, comme psychanalyste, contraire à la dignité et aux intérêts des principaux protagonistes en cause, qui sont la mère de naissance, le père de naissance et l'enfant qui sera adopté.

Ces trois protagonistes principaux sont, à mon sens, très mal protégés. Leur travail de deuil est totalement court-circuité. J'ajoute, aux protagonistes principaux que je viens de citer, les parents adoptifs qui, selon mon expérience et contrairement à ce qui est dit, ne sont pas forcément "preneurs" d'un enfant né sous X.

Peut-être était-ce le cas il y a une quinzaine d'années, mais l'évolution des mentalités s'est faite vers beaucoup plus de transparence et de respect. Les parents adoptifs d'enfants nés sous X - et j'en connais un certain nombre - mènent un combat avec leur enfant pour l'aider à retrouver la trace de sa mère de naissance, bien qu'en théorie, cela ne soit pas possible.

En réalité, on assiste malheureusement, en raison de cette loi sur l'accouchement sous X, à l'émergence de circuits parallèles utilisant des détectives privés, qui font que ces enfants adoptés, nés sous X se sentent complètement lésés et différents des autres, notamment des autres enfants adoptés. Je connais plusieurs familles qui comptent trois enfants adoptés : un né sous X et deux adoptés selon la loi "normale". L'enfant né sous X se sent marginal par rapport à ses frères et s_urs qui peuvent, à leur majorité, aller à l'ASE et demander le dossier de leur mère de naissance.

Je vais maintenant vous exposer brièvement les raisons pour lesquelles, en tant que psychanalyste, j'estime que la mère de naissance est lésée par l'accouchement sous X. L'argument principal du maintien de cette loi, et notamment de son inscription dans le code civil, était que cela permettrait une meilleure protection des femmes en détresse, qui ainsi, disait-on dans les débats parlementaires, pourraient aller à l'hôpital, ne pas donner leur nom et repartir deux jours après, ni vue ni connue, même pas de l'hôpital. L'argument principal était que si une femme était poursuivie par une tierce personne, que cette dernière appelle l'hôpital pour s'enquérir de cette femme, le personnel répondrait qu'il ne la connaissait pas ; elle était donc ainsi totalement protégée.

Quand on connaît le psychisme humain, il est impossible d'imaginer qu'une femme puisse accoucher, quitter l'hôpital deux jours après et tourner la page. Il est évident que la femme, qui a dû garder une grossesse non désirée, quelquefois dans des situations difficiles et précaires, en général sans compagnon ou sans le père de l'enfant, qui a mené cette grossesse à terme souvent dans des conditions respectables, qui a donné naissance à un bel enfant, car elles accouchent très peu prématurément, enfant qu'elle a refusé de voir pour ne pas s'y attacher, a à gérer cette histoire douloureuse.

De plus, les femmes qui accouchent sous X ont souvent un secret lourd à gérer. L'accouchement sous X leur offre la possibilité de dire qu'il ne s'est rien passé, puisqu'elles n'ont même pas accouché, que ce soit sur un plan légal ou médical.

Ensuite, ces femmes reprennent le cours de leur vie, mais cacheront, à tous, éventuellement à leur futur compagnon, qu'elles ont accouché d'un enfant qu'elles n'ont pas gardé. Des femmes d'une cinquantaine d'années, retrouvées par leur enfant, sont parfois dans l'obligation de l'annoncer à leurs autres enfants ou à leur compagnon. Ces mères ont à faire le deuil de ce projet d'enfant, car elles auraient pu non seulement avorter, mais aussi faire des fausses couches. Or, elles ne l'ont pas fait, elles ont mené cette grossesse à terme.

L'accouchement sous X ne les aide absolument pas à gérer ce passage de leur vie. Au contraire, il les aide à verrouiller le couvercle et à cacher cette naissance. En effet, à quoi bon dire à son futur compagnon ou à ses enfants qu'elle a eu un enfant autrefois, car de toute façon, elle n'a aucun moyen de le retrouver et lui non plus.

Ces mères, parfois en grande détresse, se font maintenant entendre de notre société. Certaines se sont regroupées en association comme les "Mères de l'ombre", sous la bannière de la CADCO, dirigée actuellement par M. Pierre Verdier.

S'agissant de l'enfant, c'est un domaine que les psychanalystes et les pédopsychiatres connaissent bien. Toutefois, les intérêts des enfants adoptés avaient été quelque peu amalgamés sous la bannière de l'adoption issue de la loi de 1966. Ces enfants étaient des citoyens comme les autres et pouvaient, à tout moment de leur vie, demander à la DASS le dossier de leur mère de naissance. J'ai souvent vu de jeunes pères ou mères suivre cette démarche, non pas pour nouer des relations avec leur mère, mais pour connaître son histoire, la généalogie dans laquelle elle s'inscrit, son origine, les raisons de l'abandon. Quand on met un enfant au monde, on transmet, en plus de sa propre histoire, celle de ses ancêtres.

La plupart des enfants nés sous X souhaitent retrouver leur mère de naissance, non pas pour lui reprocher de l'avoir mis au monde et de l'avoir abandonné, mais pour la remercier de lui avoir donné la vie. Ils veulent aussi savoir, au travers de leur mère de naissance, qui est leur père de naissance.

La loi française maltraite épouvantablement les pères de naissance, dès lors qu'une femme mariée veut accoucher sous X. J'en ai relaté un cas dans mon livre "La part de la mère", sous couvert de l'anonymat. Cette femme, mère de deux enfants, était en instance de divorce. Vivant déjà séparément de son mari, elle était enceinte de lui. Elle avait annoncé son intention d'accoucher sous X, ce qu'elle a fait à l'hôpital. Cet homme n'a même pas pu savoir qu'il avait un enfant et le reconnaître.

Par ailleurs, beaucoup de jeunes pères, qui sont le compagnon d'une femme à un moment donné de son histoire, qui ne veulent pas forcément avoir d'enfant et sont même désagréablement surpris par la grossesse, ne veulent pas pour autant être tenus à l'écart de la naissance de cet enfant. Il est certain que, s'ils formaient un véritable couple avec la mère, ils consentiraient à l'abandon et à l'adoption, mais dans le cas présent, ils se sentent totalement floués.

Enfin, de plus en plus de parents adoptifs, sensibilisés à cet immense mouvement, qui n'est pas la recherche des origines au sens ethnique mais la recherche de l'histoire, souhaiteraient, devant la détresse de leur enfant, les aider à retrouver leurs racines. Une de mes patientes vient de retrouver sa mère de naissance au Canada, pays dans lequel ses parents adoptifs l'ont aidée à se rendre et à la retrouver.

J'ai eu à traiter d'une dizaine de cas de retrouvailles, y compris de présentation des parents adoptifs et de naissance. Ces mères se remercient mutuellement. La mère de naissance remercie la mère adoptive d'avoir pris soin de son enfant et d'en avoir fait celui qu'il est aujourd'hui, sans pour autant se situer en rivalité vis-à-vis d'elle. Quant aux parents adoptifs, ils remercient la mère de naissance de leur avoir donné un enfant.

Pour ma part, j'estime que la loi sur l'accouchement sous X ne se défend d'aucune manière. Je ne constate strictement aucun argument favorable quant au travail de deuil. Le projet de loi de Mme Ségolène Royal ne me semble pas parfait tel qu'il est, mais je crois qu'on ne peut directement affronter une résistance. Ce texte permet de biaiser les choses. Petit à petit, et via ce conservatoire de l'identité de la mère de naissance, les idées vont évoluer vers une suppression, dans cinq ou dix ans, de l'accouchement sous X, que je considère une honte pour le droit français.

Mme Danielle Bousquet : Je suis quelque peu surprise de la façon dont vous vous exprimez, dans la mesure où vous êtes la première à les exprimer ainsi, même si la CADCO, pour d'autres raisons, a eu la même position que vous.

En effet, que ce soit les associations représentant les femmes en général ou les parents adoptants, chacun d'entre eux a souligné à quel point l'accouchement sous X était une manière digne pour les femmes d'accoucher et de ne pas abandonner un bébé dans un panier dans la rue.

En quoi vous semble-t-il impossible que ce deuil puisse être fait par une femme qui décide d'accoucher sous X et qui n'a pas d'autre solution pour sa survie à elle ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Je connais fort bien l'argument, en particulier d'un certain groupe de féministes, qui consiste à dire que l'accouchement sous X est la meilleure façon de protéger les femmes. Ce sont d'ailleurs ces mêmes féministes qui se sont battues pour l'IVG et la contraception.

Il me semble que c'est une mauvaise interprétation de la liberté des femmes que de les piéger dans l'accouchement sous X. En effet, lorsque des femmes se trouvent dans des situations de grande détresse, le droit français leur offre une possibilité parfaitement protectrice, qui est celle d'accoucher gratuitement à l'hôpital et de manière parfaitement confidentielle. A cet égard, le secret hospitalier est une réalité. Le personnel hospitalier a des consignes très formelles de ne pas donner le nom de la femme. Si quelqu'un appelle pour rendre visite à une Mme Dubois qui vient d'accoucher, le personnel lui répond que le service ne compte aucune Mme Dubois. C'est pourquoi il n'est pas indispensable que Mme Dubois accouche sous X pour avoir le respect de la confidentialité de l'accouchement.

Ces femmes en détresse, qui arrivent à l'hôpital, sont suivies pendant toute leur grossesse. Avant ou après l'accouchement, elles annoncent qu'elles ne veulent pas garder l'enfant et consentent à l'adoption. Leur décision est respectée. Lorsque l'officier d'état civil passe à la maternité, le personnel lui indique de ne pas s'arrêter dans telle chambre. C'est ce que l'on appelle la filiation connue mais non établie. Le dossier de Mme Dubois sera classé à la lettre "X" dans les archives de l'hôpital, mais la filiation n'étant pas établie, l'enfant partira deux ou trois jours après à l'ASE puis, dans un délai de deux mois du recueil du consentement, conforme à la loi, la femme signera le consentement de remise de l'enfant pour adoption.

Il me semble que, dans le cas présent, la femme est mieux protégée que dans l'accouchement sous X, car elle est aussi bien traitée, tant au sens social que médical du terme, mais surtout elle est respectée en tant que mère, puisqu'on lui donne acte du fait qu'elle a mené une grossesse à terme et accouché d'un enfant de sexe féminin ou masculin dont elle ne veut pas et avec lequel elle n'établit aucune filiation.

On lui explique très clairement que l'enfant sera adopté, de manière plénière, par un couple et qu'elle n'aura aucun droit ni devoir à l'égard de cet enfant, et réciproquement. Honnêtement, je ne vois pas en quoi la protection serait meilleure pour une mère qui accouche sous X, par rapport à une mère qui abandonne son enfant, selon la loi de 1966.

S'agissant des parents adoptifs, il est vrai que, jusqu'à des années récentes, leur préférence allait à des enfants nés sous X, dans la mesure où ces enfants étaient vierges de toute histoire et qu'ils pensaient pouvoir plus facilement leur imprimer leur propre histoire. Chacun sait que lorsque ces parents adoptent ces enfants, ils leur donnent leur nom, leurs biens, mais aussi leur histoire familiale.

Je situe l'évolution de nombre de ces parents adoptifs à un congrès récent où j'ai rencontré Mme Danielle Housset, présidente  d'''Enfance et familles d'adoption", la plus grande fédération de parents adoptifs, qui a indiqué que la majorité des adhérents, notamment elle-même, qui a adopté deux enfants à l'étranger et un enfant né sous X, commençaient à prendre conscience que l'accouchement sous X était préjudiciable à leur enfant parce qu'il ne pouvait se figurer aucune image maternelle. Comme ces enfants n'ont aucun renseignement sur leur mère de naissance, ils ne peuvent fantasmer qu'en l'imaginant accouchant dans la rue et se débarrassant le plus rapidement possible du "paquet" en le donnant à quelqu'un. Leur mère est une femme qui n'a pas été respectée comme mère et qui n'est qu'une "pondeuse". Je donne acte à Mme Danielle Housset et à son association de l'évolution notable d'un grand nombre de parents adoptifs, même si certains préfèrent encore adopter des enfants nés sous X.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Il me semble, puisque l'on parle des représentations, qu'il y a plusieurs droits en jeu. Vous parliez des féministes que l'on retrouve dans le même combat, celui pour l'IVG et la contraception, et celui pour l'accouchement sous X. Dans l'accouchement sous X, contrairement à l'accouchement sous le secret, se pose le droit de ne pas être mère.

Lorsque vous dites que l'accouchement sous X ne permet pas de faire un travail de deuil, est-ce réellement la forme juridique de l'accouchement ou est-ce la problématique de l'abandon qui conditionne la possibilité de faire un travail de deuil ?

J'ai eu à connaître une femme qui avait abandonné son enfant, mais pas dans le cadre d'un accouchement sous X, puisqu'elle lui avait donné son identité. Cette naissance a été un secret de famille pendant plus de soixante ans et toute la douleur est remontée au moment des retrouvailles. C'est pourquoi il me semble que c'est plus la problématique de l'abandon qui est au c_ur du travail de deuil que la forme juridique de l'accouchement sous X.

Par ailleurs, je constate que la "loi Mattei" de 1996, à laquelle le projet de loi de Mme Ségolène Royal apporte peu de modifications, est fort mal connue, notamment le fait de pouvoir remettre des renseignements non identifiants et donc de reconstituer une histoire. Aujourd'hui, nous nous apercevons que nombre de personnes pensaient que leurs dossiers étaient vides, alors qu'ils contenaient des éléments même non identifiants. Il y a aussi le fait que la mère a pu lever le secret sur son identité, ce qu'elle peut faire à tous moments. Je me demande si l'on ne fait pas un faux procès à l'accouchement sous X.

En ce qui concerne la place du père, selon la plupart des études qui ont été menées, notamment celle du service des droits des femmes, il y a plusieurs cas de figures : les femmes ont été abandonnées sans que le père soit informé de la grossesse, l'abandon est consécutif à l'annonce de la grossesse, ou les femmes ne souhaitent pas en informer le père.

L'une des questions que je me pose concerne la connaissance des origines, car un enfant est issu de deux lignées. Autant la lignée de la mère peut être facilement retrouvée, autant celle du père ne l'est pas.

Puisque la recherche en paternité dans notre droit est de nature contentieuse, quelle place donner à une connaissance des origines paternelles équivalente à celle des mères ? Comment est-il possible de faire la distinction entre connaissance des origines et filiation ?

Notre droit s'appuie sur le fait que le mari de la mère est toujours le père. Par conséquent, la recherche en paternité est très limitée. De ce point de vue, en prenant en compte tous les risques que cela peut induire, comment faire pour améliorer les choses ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : S'agissant de l'accouchement sous X, lorsque vous dites que c'est le droit de ne pas être mère, dans la lignée de la contraception et l'IVG, je suis d'accord sur le principe, mais il faut aussi considérer que le corps de la mère a "parlé". De facto elle est mère génitrice. Son inconscient a accepté cette expérience, même si elle ne l'a pas désiré, car elle aurait pu ne pas tomber enceinte, avorter volontairement ou accidentellement.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Au travers de différents témoignages, nous avons souvent constaté que les femmes qui recourent à l'accouchement sous X aujourd'hui sont celles pour lesquelles il y a eu un déni de grossesse ou une méconnaissance de la grossesse. La situation, ne serait-ce qu'en termes quantitatifs, a changé avec la reconnaissance de l'IVG et le développement de la contraception. Les accouchements sous X sont alors passés de dix mille, dans les années cinquante, à aujourd'hui sept cents par an. Les femmes font plutôt le "choix" d'une IVG quand elles sont dans les délais légaux en France et à l'étranger, les autres cas étant des dénis de grossesse ou de méconnaissances de grossesse.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Les chiffres que l'on cite pour le déni de grossesse me semblent très exagérés. Le déni de grossesse est un mécanisme psychopathologique très lourd. Ce n'est pas simplement la dénégation par laquelle la femme refuse de voir qu'elle est enceinte. Le déni de grossesse, stricto sensu, concerne une femme qui, à sept mois, ignore totalement qu'elle est enceinte. Le déni de grossesse est à la limite de la psychose, et ce sont des cas rares.

En disant cela, je ne crois pas être en dissension avec mes collègues psychanalystes. Même Catherine Bonnet qui, au départ, évoquait beaucoup le déni de grossesse, reconnaît maintenant volontiers qu'il y en a très peu. Je respecte parfaitement le droit d'une femme de ne pas être mère, mais il faut l'aider.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : J'ajouterai qu'il faut l'aider à ce moment-là, car elle peut être mère plus tard.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval : Je ne comprends pas pourquoi on particularise l'accouchement sous X. Les femmes peuvent très bien accoucher sous leur nom, ce qui est un acte digne, et puis dire qu'elles ne peuvent garder l'enfant. A l'heure actuelle, personne ne les juge pour cela. Tous ces arguments sur l'accouchement sous X me semblent spécieux du fait qu'il s'agit de mères qui ne veulent pas garder leur enfant.

Encore une fois, le droit de ne pas être mère est une mesure de santé publique. Il est préférable que la mère ne garde pas l'enfant si elle n'en veut pas plutôt que d'être malheureuse toute sa vie et de rendre l'enfant malheureux. Je suis loin d'être une fanatique de l'idée que le sentiment maternel s'éveille avec la grossesse ; ce n'est pas vrai. Certaines femmes enceintes expriment, pendant toute leur grossesse, le fait qu'elles ne veulent pas de l'enfant.

Quant à la définition du deuil, d'un point de vue métapsychologique, c'est pouvoir faire un travail d'élaboration mentale à partir de traces qui existent. On a vu, malheureusement, par exemple dans la Shoah, des cas dramatiques et nombreux de deuils pathologiques de descendants d'enfants de personnes qui ont été exterminés par la Shoah et qui sont morts sans laisser de trace. Un travail est effectué pour reconstituer les listes et avoir des noms. Quand un enfant sait que son père est mort à Auschwitz, il peut enfin se dire qu'il ne rentrera plus, car certains les ont attendus pendant vingt ans. Retrouver un nom sur une liste, un numéro dans un camp sont des traces qui peuvent éventuellement permettre de faire une tombe ou une plaque dans un cimetière et reconstituer une date probable de décès. C'est un exemple tragique, mais qui montre à quel point le deuil ne peut pas se faire à partir de rien.

De la même façon, j'ai essayé de montrer que, dans la procréation médicalement assistée, on peut difficilement faire le deuil de la paternité du donneur, car le donneur est réduit à une paillette de sperme, avec un numéro qui ne signifie rien. La trace, dans ce cas, c'est le nom de la femme qui a porté l'enfant et accouché.

Or, l'accouchement sous X, c'est un abandon anonyme. L'enfant, né de rien, ne peut faire ce travail de deuil, pas plus que la mère. J'ai vu certaines mères se demander si elles avaient vraiment accouché, si elles n'avaient pas rêvé.

S'agissant des éléments non identifiants de la « loi Mattei », il me semble que c'est une fausse bonne solution. Certes, c'est une meilleure solution car, à partir de maintenant, les travailleurs sociaux sont beaucoup plus informés du fait qu'il faut demander le maximum de renseignements non identifiants aux femmes enceintes qui ne veulent pas garder l'enfant. Mais cette loi n'est pas rétroactive, comme aucune loi d'ailleurs.

Néanmoins, les enfants ne se contentent pas de renseignements non identifiants, c'est à dire savoir si leur mère était blonde ou brune... Ils veulent savoir son nom, car cela leur permet déjà de trouver leur origine. Le nom peut être de consonance étrangère. Il est déjà porteur d'une histoire. Je trouve que les renseignements non identifiants sont même pires et pervers. C'est un peu comme de montrer une photo et de cacher le visage tout en laissant deviner la silhouette.

Ces renseignements non identifiants semblent laisser croire que l'on veut dire quelque chose, mais pas le vrai nom, qui reste sous clé dans un dossier, quelque part à l'hôpital. Quelques spécialistes y ont accès, mais pas l'enfant. Comment éviter alors que ne flambent des fantasmes de type paranoïde quand l'enfant, qui peut avoir quarante ou cinquante ans, se trouve face à quelqu'un qui lui dit que, dans son intérêt ou dans celui de sa mère de naissance, il ne peut rien lui dire. Le projet de loi de Mme Ségolène Royal va cependant plus loin que la "loi Mattei", au sens où cette possibilité de conservatoire existe.

S'agissant du père, une amorce de solution peut être de recourir au système de la loi de 1966, à savoir de filiation connue mais non établie quand la mère ne veut pas garder l'enfant. En effet, dans le système de la filiation connue, la mère donne son nom. Si elle est mariée, la question du père ne se pose pas. Si elle ne l'est pas, on le lui demande.

En principe, la mère rencontre des travailleurs sociaux et des sages-femmes à plusieurs reprises, qui lui disent que, dans le cadre de l'accouchement sous X, il peut être intéressant de donner le nom de l'identité du géniteur, même s'il n'est pas au courant, en lui expliquant que l'enfant aura accès à ces informations à sa majorité. Certaines ne le feront pas, d'autres le feront.

Le droit nordique, à commencer par le droit belge, autorise une recherche en identité paternelle, à laquelle je ne suis pas très favorable. Je pense que la différence entre le père et la mère, c'est qu'elle a porté l'enfant pendant neuf mois, alors que le père peut n'avoir eu qu'une histoire totalement éphémère et non signifiante avec la mère. Quand cela est possible, il est effectivement préférable de connaître l'identité du père de naissance, mais à l'impossible nul n'est tenu.

La théorie psychanalytique du deuil se fait au travers de traces. Quand une femme perd son conjoint ou un parent, les habits du mort restent dans la penderie, parfois pendant de longues années, puis un jour elle s'en débarrasse. Le travail de deuil est un travail que chacun fait individuellement, à partir de traces que l'on prend ou que l'on rejette, avec toute l'ambivalence que cela représente.

Audition de Mme Marie-Cécile Moreau, juriste

Réunion du mercredi 9 mai 2001

Présidence de Mme Martine Lignières Cassou, présidente

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Marie-Cécile Moreau. Comme nous l'avons déjà fait pour un autre texte important, à savoir la révision de la loi sur l'IVG et la contraception, nous avons souhaité vous auditionner pour que vous puissiez nous exposer, de votre point de vue de juriste, comment le projet de loi de Mme Ségolène Royal relatif à l'accès aux origines personnelles, concilie à la fois les droits de la femme à accoucher sous X et le droit de l'enfant à connaître ses origines. Nous aimerions également que vous évoquiez le problème de la recherche de paternité en cas d'accouchement sous X et que vous nous précisiez les conséquences de l'introduction dans la loi française d'une reconnaissance de l'accès aux origines personnelles.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je traiterai successivement de l'accouchement sous X, de la recherche de paternité, puis de leur traitement respectif par la loi de 1993. Enfin, je regarderai si le projet de loi sur l'accès aux origines personnelles est compatible avec les textes existants, notamment sur l'accouchement sous X.

En guise d'introduction, j'indiquerai très brièvement que les quatre questions que je viens de poser sont toutes prédominées, de manière très prégnante, par de grands débats qui actuellement divisent, entre autres les juristes, sur les points suivants : quelle part faire à la filiation biologique et à la filiation juridique ou sociale, quelle part faire à la volonté individuelle et, en revanche, aux règles d'ordre public. Il y a également un débat plus large, mais peut-être mieux réglé, sur la façon d'organiser l'égalité entre les différentes catégories d'enfants. Je m'en tiendrai, cependant, aux quatre questions indiquées.

S'agissant de l'accouchement sous X, je considère que ce terme d'accouchement sous X est une faculté plutôt qu'un droit que la mère possède de demander, lors de l'accouchement, le secret de son admission et de son identité. L'article 341-1 du code civil a été introduit, dans notre droit, à une date très récente, par la loi du 8 janvier 1993.

L'accouchement sous X est donc une disposition nouvelle que je pourrais résumer en lui donnant les caractères suivants. C'est une disposition spécifique, cohérente avec le reste de notre droit et qui comporte des conséquences radicales très importantes.

C'est une disposition spécifique, parce que la recherche de maternité n'est pas entamée par ce texte. Elle existait avant, elle existe encore maintenant. Elle est supprimée par le nouvel article issu de la loi de 1993, dans le cas spécifique où la mère demande le secret de son admission et de son identité.

Cette disposition spécifique est néanmoins cohérente - malgré ce que peuvent en dire ceux qui y sont opposés - avec le reste de notre droit, pour la raison suivante. Dans le droit français, l'établissement de la filiation n'est pas obligatoire. Un enfant qui naît n'est pas rattaché, par l'officier d'état-civil, soit au père, soit à la mère. En matière de filiation naturelle, le père et la mère doivent faire une reconnaissance.

C'est donc une disposition cohérente avec le reste de notre droit, ce qui pourrait ne pas être le cas pour d'autres pays qui n'admettent pas ou ne connaissent pas cette possibilité et cette exigence de la reconnaissance, créatrice d'un lien juridique. Certains pays font rechercher, par le Parquet, la filiation de l'enfant. Dans notre législation, nous ne connaissons pas cette difficulté.

Cette disposition, en troisième lieu, comporte des effets radicaux quant à la mère, au père et à l'enfant, effets radicaux que d'ailleurs le législateur de 1993 ne semble pas avoir aperçus. Ces effets sont radicaux quant à la mère, car nul ne pourra introduire d'action en recherche contre elle puisqu'elle est anonyme ; il y a donc fermeture de l'action en recherche de maternité, laquelle est encore plus importante qu'une fin de non-recevoir procédurale. Mais cela signifie aussi la fermeture pour la mère de pouvoir, si l'enfant est adopté, demander, dans le délai de la loi, à le reprendre. La Cour de cassation s'est prononcée en 1996 sur ce point, en répondant que la mère ne le peut pas, car il est anonyme.

Les effets sont également radicaux en ce qui concerne le père. La jurisprudence s'est prononcée en disant que le père ne peut reconnaître un enfant né sous X, car l'enfant n'a pas d'identité. Même la reconnaissance prénatale sera dépourvue de tout effet car prenant effet, selon la loi, à la date de l'accouchement. L'enfant, étant né sous X d'une mère sous X, ne peut être l'objet d'une reconnaissance.

Enfin, les effets sont radicaux quant à l'enfant qui est un enfant né d'une mère X et qui est lui-même un enfant X. Je crois que ce double X n'est pas suffisamment souligné.

C'est en raison des effets radicaux, qui se découvrent au fur et à mesure que la jurisprudence intervient, que naît la contestation de cette situation, qui porte sur de nombreux points.

La recherche de paternité naturelle est traitée également dans la loi du 8 janvier 1993, qui a considérablement allégé la procédure conduisant à l'établissement d'une filiation naturelle. Cet allégement très important concerne les cinq cas d'ouverture que la mère doit remplir ou démontrer et les trois fins de non-recevoir.

Jusqu'en 1993, aucune femme représentante de son enfant mineur ne pouvait intenter une action en recherche de paternité si elle ne pouvait, au préalable, démontrer qu'il s'agissait :

- d'un cas de viol ou d'enlèvement,

- d'un cas de séduction dolosive,

- d'un cas où le père avait laissé des écrits qui pouvaient rattacher l'enfant à lui,

- d'un cas de concubinage notoire pendant la période légale de conception,

- d'un cas où le père avait entretenu l'enfant.

La mère avait, jusqu'en 1993, à faire la preuve de l'un de ces cinq cas d'ouverture.

Quant au père, il pouvait faire échec à la procédure par un moyen non moins radical, qui s'appelle la fin de non-recevoir. Il disposait de trois possibilités de faire écarter l'action, sans que l'on examine le lien de filiation :

- dans le cas où la femme avait été d'une inconduite notoire,

- au cas d'éloignement du père prétendu,

- au cas où le père prétendu démontrait par un examen des sangs qu'il ne pouvait pas être le père de l'enfant.

La lourdeur de la procédure a été assouplie, en 1993, par la loi et les cinq cas d'ouverture et les trois fins de non-recevoir ont été supprimés.

L'allègement vient au secours de la mère et de l'enfant.

L'action peut être intentée par la mère représentante de l'enfant, dans les deux ans de la naissance ou de la fin du concubinage ou de l'entretien. Cette action renaît lorsque l'enfant atteint sa majorité, pendant deux ans, si l'action n'a pas été intentée auparavant. Le père est en fait libéré, grâce à cette déchéance des deux ans après la naissance ou la fin du concubinage ou l'entretien, soit vingt ans plus tard. Or l'action en recherche de maternité ne comporte pas ces déchéances et il y a donc, selon le code civil, application de la prescription trentenaire. En faisant jouer la jurisprudence qui dit que le délai ne commence pas à courir contre un mineur avant sa majorité, c'est pendant quarante-huit ans qu'une action en recherche de maternité est possible. Cela montre une différence, à cet égard, qui profite au père.

L'allègement a également été confirmé en matière de recherche de filiation légitime lorsque l'enfant n'a pas la possession d'état, puisqu'auparavant la loi exigeait un commencement de preuve par écrit et que désormais elle exige simplement des présomptions et indices graves.

J'ajoute immédiatement que, selon la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, qui dit qu'en matière de filiation la vérité prime tout, on peut peut-être aussi envisager qu'après avoir supprimé les commencements de preuves par écrit, on supprime également les présomptions et indices graves, de sorte que seule la procédure par l'examen biologique du sang ou des empreintes génétiques fera finalement loi en matière de filiation.

Ces différences de traitement entre la recherche d'une mère ou d'un père permettent-elles de dire que les détracteurs ont raison lorsqu'ils affirment que la femme est bénéficiaire d'une discrimination au détriment des hommes ? La question est ouverte. Toutefois, c'est l'argumentation que beaucoup d'opposants à l'accouchement sous X donnent sur un terrain juridique, dont ils pensent qu'il peut emporter une conviction.

A ceux-ci, je dirai tout d'abord que la recherche de maternité existe comme la recherche de paternité. L'homme et la femme sont tous les deux susceptibles de voir rechercher le lien de droit qui les rattacherait à l'enfant. On peut également ajouter que la disposition de l'accouchement sous X se rattache non pas à la conception, dans laquelle l'homme et la femme ont un rôle, mais à l'accouchement et à l'accouchement - deuxième spécificité - d'une femme qui est dans la détresse.

Certes - et je le regrette pour ma part - cette exigence de la détresse ne figure ni dans le code civil, ni dans le code de l'action sociale et des familles. En face d'une disposition, liée à l'accouchement et non pas à la conception, et qui concerne une femme, car seule une femme peut accoucher dans la détresse, je considère dans cette accusation de discrimination, une manière assez machiste de voir les choses et quelque peu de mauvaise foi. D'ailleurs, par le manque de confiance qu'elle sous-tend dans ce qu'est le comportement d'une femme vis-à-vis de la maternité, elle me rappelle ce que l'on a pu entendre sur le projet de réforme de l'IVG, qualifiée de porte ouverte à l'eugénisme.

Selon moi, l'accouchement sous X n'est pas vraiment condamnable sur le terrain des discriminations, pour la troisième raison suivante. Je crois que contester cette disposition relève d'une vision qui a été longtemps la nôtre, dans laquelle le lien biologique et le lien juridique ou social se confondaient. Selon moi, le droit actuel est en train de changer. J'en prendrai pour exemple les textes de 1994 sur la procréation médicalement assistée. Il me semble que les deux liens sont en train de se séparer et que peut-être, d'ici quelques années, l'accouchement sous X sera regardé différemment, dans la mesure où l'auteur d'un enfant ne sera pas nécessairement son parent. C'est une phase qu'il convient évidemment d'examiner, de remodeler, de repenser. Mais, pour ma part, je considère que la vision de l'avenir ne doit pas être trop limitée et doit être ouverte.

J'en arrive au projet de loi sur l'accès aux origines personnelles. Selon l'exposé des motifs, notre droit interne doit se concilier avec des règles d'ordre international, c'est-à-dire avec l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Je note néanmoins que la loi de 1993, qui a introduit, dans le code civil, l'accouchement sous X et les réformes en matière de recherche de paternité, a également transposé une partie des dispositions de cette convention internationale des droits de l'enfant. Il est assez intéressant de constater qu'en 1993, nul n'a vu d'opposition et que, huit ans plus tard, la situation paraît incompatible entre l'accouchement sous X et l'accès aux origines personnelles, lequel est recommandé par l'article 7 de la convention.

J'ajoute que l'article 7 émet des réserves en disant "dans la mesure du possible". Ce n'est donc pas un texte totalement impératif. Certains auteurs considèrent même que l'élément important, c'est que l'enfant puisse vivre avec ses parents, c'est-à-dire le connaître pour vivre avec lui. C'est encore une petite limitation du texte.

L'exposé des motifs nous parle de cette nécessaire harmonisation entre notre droit interne et cet article 7 de la convention. Il aurait pu également nous parler - mais cela l'entraînait beaucoup trop loin - de la convention européenne des droits de l'homme qui, dans ses articles 8 et 14, évoque cette vie familiale et dont les derniers développements de la jurisprudence de la cour de Strasbourg préconisent la possibilité d'aller rechercher ses origines. Sur ces articles de la convention européenne des droits de l'homme, sont intervenus une série d'arrêts, dont aucun encore contre la France, mais cela pourrait venir.

En ce qui concerne les dispositions du projet de loi, il est assez sympathique de voir que l'on s'aventure vers une sorte de construction juridique de la filiation biologique pour les cas où la filiation juridique ne peut ou ne veut pas se faire reconnaître. Notez ce terme "sympathique", qui n'est pas un terme juridique. Mais est-ce efficace ?

Les dispositions de ce projet de loi concernent, en tout premier lieu, le statut des pupilles de l'Etat que sont effectivement les enfants des mères abandonnantes. Toutefois, ces mères abandonnantes sont au nombre de 560 par an sur un nombre de naissances d'environ 785 000, parmi lesquels 300 000 enfants nés hors mariage dont 80 % sont reconnus dans le mois qui suit la naissance. Ces reconnaissances n'ont pas forcément pour objet d'assumer un lien affectif de paternité, mais sont plus souvent liées à des obligations sociales pour la perception d'un certain nombre de droits. Le projet de loi modifie le code de la famille et de l'aide sociale, devenu le code de l'action sociale et des familles, manifestement sur l'invitation pressante d'associations - d'ailleurs l'exposé des motifs l'indique - de parents ou d'enfants qui répondent à la catégorie de pupilles de l'Etat.

Ce texte nous dit qu'il règle également la question de l'enfant né sous X, immatriculé pupille de l'Etat, qui a pour origine la volonté maternelle de rester secrète.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Le texte est ouvert non seulement aux enfants nés sous X, mais également aux enfants de moins d'un an adoptés de manière plénière dont les parents ont demandé le secret de l'identité.

Mme Marie-Cécile Moreau : Par une espèce de forçage, ce texte concerne les enfants nés sous X, qui sont des pupilles de l'Etat, et qui se voient soumis à des règles qui ne sont pas compatibles, me semble-t-il, avec leur statut initial.

En effet, comment une mère, qui demande le secret de son admission et de son identité, dont j'ai dit aussi qu'elle était en détresse, peut-elle tomber dans le cadre de ce projet de loi qui lui demande de consigner son identité, même si elle est fausse ou occultée, dans une enveloppe ? Comment peut-on demander à la femme - et aux femmes que nous sommes - parce qu'elle est en détresse, parce qu'il en va de sa sécurité et de celle de l'enfant qu'elle vient, comme parturiente, déposer à la maternité, de se désaccoupler entre "je suis anonyme" et "je vais vous laisser tous les renseignements", même s'ils sont momentanément secrets puisque l'enveloppe sera fermée et ira au Conseil national ? Cela me semble être d'une abstraction assez confondante et aller directement à l'encontre de ce que dit le code civil quand il institue l'accouchement sous X.

Je considère que cette disposition ne convient pas. La mère ne croira pas au secret. Je considère même qu'il serait très déplaisant de lui poser cette question, de lui dire qu'on ne la recherchera pas, mais de néanmoins mettre son nom, de fermer l'enveloppe et, sur l'enveloppe, d'indiquer le nom de l'enfant qu'elle abandonne.

Vous savez que, pour constituer le nom d'un enfant abandonné, la mère, tout en restant anonyme, peut lui donner trois prénoms et que le troisième prénom devient le patronyme. Certes, seuls ces trois prénoms figureront sur l'enveloppe, mais il y aura aussi, dit le texte, le lieu où l'enfant est né : ce sont de petits signes qui, finalement, permettent de lever le secret.

Par principe, je pense qu'il y a là une acrobatie demandée à ces 560 mères qui ne me parait pas digne de leur souffrance. De plus, ceci est aggravé, selon moi, par le fait que ce projet de loi - et ce serait peut-être une amélioration à suggérer - ne met pas de limitation dans le temps à la divulgation. Ainsi un père mal intentionné ou qui a reconnu l'enfant de façon prénatale peut, dans les jours qui suivent, solliciter la levée du secret.

Ceci me conduit au Conseil national qui n'a aucune obligation, puisqu'il ne s'agit pas d'un organe juridictionnel, de regarder les intentions de celui qui demande. Seul le juge pourrait le faire. Il n'a aucune obligation de s'enquérir des raisons de la demande, dans l'intérêt ou au détriment de qui elle est faite. Les exemples de jurisprudence, qui d'ailleurs sur l'accouchement sous X ne sont pas très nombreux, ne me rassurent pas complètement.

On pourrait admettre qu'il y ait pour ces femmes un secret absolu, mais encore une fois, je n'ai pas totalement arrêté mon opinion sur ces sujets graves, sur lesquels j'ai d'ailleurs déjà changé d'opinion.

Mme Danielle Bousquet : Je vous remercie de cet exposé qui éclaire, de manière juridique, le sentiment que nous avions déjà, de manière plus diffuse, sur la différence de traitement entre le père et la mère. Il montre bien cet antagonisme qui existe entre la volonté de secret de la mère qui accouche sous X et cette espèce de violence qui sera faite, juste après l'accouchement, à cette femme en situation de grande détresse, en lui demandant son identité. Cet éclairage nous conforte dans notre ressenti.

Votre introduction concernant la non-incompatibilité avec les traités internationaux me frappe aussi beaucoup. En 1993, effectivement nul n'a dénoncé le fait que la loi était largement insuffisante face à tous les textes internationaux. Puis, brutalement, on voit apparaître une exigence ou pseudo-exigence extrême de la société, qui tout à coup trouverait totalement inconvenant que les femmes aient certains droits et que les droits des enfants ne soient pas complètement reconnus.

Je comprends parfaitement le besoin et le souhait d'un enfant de connaître ses origines, mais je ne suis pas certaine que cela doive passer par cette entreprise d'anéantissement de la situation d'une femme abandonnante et de sa possibilité de se reconstruire.

Au-delà de la prudence que nous allons devoir apporter à l'analyse du texte, un autre point m'inquiète également beaucoup, c'est comment inciter la mère abandonnante à préserver son futur. Si elle s'est reconstruite ou a reconstruit une vie, comment peut-on lui garantir qu'elle aura connaissance de la recherche de cet enfant, dans des conditions qui ne la "démolisse" pas, elle et la vie qu'elle aura éventuellement reconstruit. C'est une inquiétude très forte.

Je ne sais pas si nous pourrons infléchir le texte, car nous sentons bien qu'il y a une pression sociale considérable. Toutefois, nous aurons à mettre des garde-fous considérables pour la protection de cette femme. Avez-vous quelques pistes de réflexion à nous donner à ce sujet ?

Mme Nicole Catala : Je partage tout à fait les préoccupations que Mme Danielle Bousquet vient d'exprimer. J'y ajouterai une préoccupation supplémentaire. Ce texte ne permettra-t-il pas à des personnes malintentionnées de troubler la paix d'une famille ? En effet, j'imagine l'arrivée, dans un foyer tranquille, d'un courrier du Conseil national d'accès aux origines personnelles. Si le père décachette le courrier, je vous laisse imaginer le traumatisme. Je suis très dubitative sur le bien-fondé d'un tel projet.

Je m'interroge également sur le sens à donner à l'article L. 222-6 à l'article 2 du projet de loi, selon lequel "toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est invitée à consigner cette identité." Qu'entend-on par là ? Est-ce une simple proposition ou est-elle invitée, comme on l'est parfois par les forces de l'ordre, à s'arrêter sur le bord de la route après un excès de vitesse ?

Je souhaiterais que l'on précise les implications de ce terme "invitée". Lui propose-t-on de laisser son identité ? Auquel cas il conviendra de l'informer des conséquences de la proposition qui lui est faite, dans ses aspects et prolongements, y compris dans le temps. Ou est-ce une obligation ? Le texte est particulièrement ambigu sur un point fondamental.

Enfin, je voudrais évoquer un point qui avait été débattu lors de l'examen de la loi de 1993, celui de l'examen biologique de la preuve par le sang, qui peut jouer pour la mère comme pour le père.

Mme Marie-Cécile Moreau : La preuve biologique par le sang est nécessairement faite avec un prélèvement des trois, le père, la mère et l'enfant. Il n'est pas question de les séparer dans l'examen.

Mme Nicole Catala : Je pensais que la recherche de paternité naturelle conduisait à des examens du sang du père.

Mme Marie-Cécile Moreau : La mère est aussi nécessairement investiguée, pour des raisons scientifiques que je ne peux vous expliquer.

Mme Nicole Catala : Je l'ignorais. Je pensais, en écoutant les échanges précédents, au problème posé par l'affaire Yves Montand et la recherche sur l'ADN. J'avais demandé, lors des débats de 1993, si cela n'allait pas conduire à des exhumations. Mme Denise Cacheux, qui était rapporteure, m'avait dit n'y voir aucun inconvénient. Pour ma part, j'en vois. Je trouve que l'on va trop loin. L'exhumation d'un corps pour établir un lien de filiation me choque parce que, dans de telles affaires, ce n'est plus une question affective qui est en cause, mais une question matérielle et financière. En admettant de telles solutions, on aboutit à des conséquences tout à fait extrêmes, intentatoires à la dignité de l'homme, même mort.

Je me posais la question, en vous écoutant, de savoir s'il ne conviendrait pas de prendre position, à l'occasion de ce projet de loi, sur une question comme celle de l'exhumation d'un corps d'homme aux fins d'accès aux origines. Le problème ne concerne pas seulement les femmes, mais aussi les hommes, à travers la recherche de paternité post mortem. Sur ce plan-là, je ne vois pas pour quelles raisons on dissocierait le problème des femmes ou des hommes et les solutions applicables pour les deux. Si on est partisan de l'accès aux origines pour les hommes, il faut l'être pour les femmes, et vice versa.

Dans les deux cas, pour ma part, je suis pleine de réserve. Comme vous, j'hésite un peu, mais sur le fond, je me demande si on ne va trop loin pour un nombre limité de personnes.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je constate que nous sommes d'accord pour trouver que c'est un texte susceptible de nous inquiéter en ce qui concerne la maternité sous X. Il est certain que la manière dont le texte utilise le mot "invitée" est quelque peu inquiétante, d'autant que la suite de l'article n'évoque pas le cas où elle refuserait, ce qui me parait être une carence.

Pour résumer, je suis très réservée sur le fait que, bien que sachant que cette femme vient d'accoucher sous X, on lui demande néanmoins un certain nombre de renseignements. De plus, ce qui domine cette question est de savoir la manière dont elle sera interrogée.

Par ailleurs, il n'y a aucune vérification des motifs pour lesquels la demande est formulée. Dans notre système juridique, seul le juge est habilité à le faire, mais son rôle est totalement écarté. Certes, on retrouve des magistrats dans la composition du Conseil, mais c'est là leur profession d'origine. Lorsqu'ils siégeront au Conseil, ils seront conseillers, mais n'agiront pas avec un pouvoir juridictionnel.

Enfin, je suis inquiète au vu de la liste des personnes susceptibles de présenter une demande d'accès à la connaissance. Le texte dit : "S'il est majeur, par celui-ci. S'il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même, avec l'accord du ou des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur." S'il est mineur, rien n'empêche d'imaginer un cas de demande très rapide, juste après l'accouchement.

Le troisième cas est le suivant : "S'il est majeur, placé sous tutelle par son tuteur." A cet égard, comme l'a noté Mme Nicole Catala, le but des demandes et actions de recherche en paternité n'est pas de relier affectivement un père à son enfant, mais de savoir si le père versera une pension alimentaire ou si l'enfant sera son successible. C'est un aspect qu'il ne faut pas se cacher. Pour preuve, il suffit de feuilleter les recueils de jurisprudence pour constater que, souvent, la recherche de paternité ou la création d'un lien juridique a une finalité alimentaire ou patrimoniale plutôt qu'affective ou éducative.

Lorsque vous avez dit "perturber la vie d'une femme et d'une famille", vous pensez à la mère pour qui c'est déjà une souffrance d'abandonner l'enfant qu'elle vient de mettre au monde. Je n'ai peut-être pas suffisamment insisté sur cette détresse qui me parait extrêmement grande, dans notre contexte actuel. Cette femme, qui rencontre des problèmes pour sa maternité, est une femme qui n'a pas réussi une contraception, puis qui n'a pas, dans les délais légaux, pu recourir à une IVG. Il me semble qu'il y a là une gradation qui est de nature à nous faire dire qu'il faut vraiment que la situation qu'elle connaît soit dramatique pour elle et la famille qu'elle a pu créer, ensuite.

Je continue la liste des personnes susceptibles de présenter une demande : "S'il est décédé, par ses descendants en ligne directe majeurs." Est-ce des enfants de la mère dont on parle, au cas où elle a refait sa vie ? Est-ce des enfants du pupille s'il est décédé ? Nous avons vu des cas où des pupilles décédés étaient extrêmement fortunés. C'est d'ailleurs une des jurisprudences les plus discutées. L'aide sociale à l'enfance avait introduit un débat qui ne portait que sur la succession.

Le projet crée un ensemble de règles qui ne me paraissent pas compatibles avec la dignité de la situation de la femme qui a accouché en mère X. Il est incontestable qu'elle reste une mère, mais plutôt que de la voir avec la nécessité pour elle de recréer un lien, je la vois plutôt dans sa souffrance.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans votre introduction, vous m'avez beaucoup étonnée lorsque vous avez dit que l'accouchement sous X était une faculté plutôt qu'un droit. Je relie cela au fait que vous regrettiez que, dans le texte, il ne soit mentionné, à aucun moment, qu'une femme qui accouche sous X le fasse au motif de détresse.

Si l'accouchement sous X est plus une faculté qu'un droit, qui serait établi par la situation de détresse dont la femme est seule juge, vous paraît-il possible que des enfants ayant retrouvé leur mère puissent se retourner contre elle pour cause d'abandon ?

Je suis partagée en ce qui concerne la paternité. Je trouve profondément injuste que l'on puisse, uniquement parce qu'une femme a porté un enfant, se retourner ou rechercher les origines de la mère. J'étais en accord avec votre exposé liminaire selon lequel le droit est en train de reconnaître la séparation entre filiation biologique et sociale et j'entends ce que vous dites quant aux motifs de la recherche qui ne sont pas toujours très nobles. Dans l'article 2, on ne parle pas, au titre des informations qui pourraient être données par la mère, du nom éventuel et des coordonnées du géniteur. Serait-il concevable d'organiser pour le père la même séparation entre filiation biologique et filiation sociale ?

Ce texte se veut une reconnaissance des droits de l'enfant et ne prévoit pas qu'une femme, ayant refait sa vie, puisse elle-même dire, lorsque l'enfant a atteint 18 ans, qu'elle lève le secret et souhaite en informer son enfant. Libre à l'enfant d'accepter ou de refuser la démarche de la mère de naissance. Il faudrait avoir là un certain parallélisme.

Ce qui me gêne également dans ce texte, c'est le fait que le Conseil national sollicite la déclaration expresse de levée du secret. La forme et la façon de l'organiser est déterminante.

Je m'interroge sur la cohérence de l'article 1 : à l'article L. 146-2, qui énumère les personnes susceptibles d'interroger le Conseil national d'accès aux origines, figurent les demandes de rapprochement auprès de l'enfant formulées par les ascendants, descendants et collatéraux privilégiés de son père ou de sa mère de naissance ; au deuxième alinéa de l'article L. 146-4 sont indiquées les conditions dans lesquelles le Conseil lève l'identité : "lorsque le père ou la mère a expressément levé le secret, le Conseil communique l'identité de l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines aux personnes mentionnées au troisième alinéa de l'article L.146-2". Cela signifie-t-il que des grands-parents de naissance peuvent demander à connaître l'enfant ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Je pense que c'est bien cela.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Et quel que soit son âge ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Absolument.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je voudrais vous demander également quelles sont les conséquences de l'article 4 qui supprime la possibilité, pour des parents, de confier leur enfant avant qu'il n'ait atteint l'âge d'un an à l'aide sociale à l'enfance, en demandant le secret de leur identité. Je ne sais pas combien d'enfants cela concerne aujourd'hui par an.

Vous avez souligné la contradiction qu'il peut y avoir entre accouchement sous X et le fait que la femme soit invitée à donner son identité, sans qu'il soit précisé qu'elle peut refuser, ni les conséquences que pourrait avoir un tel refus. Ensuite, le projet précise qu'elle est informée de sa possibilité de lever ultérieurement le secret. Peut-être serait-il plus sain qu'un document lui soit remis ? En effet, dans un tel moment de grande détresse, où la mère n'entend pas réellement cette possibilité ultérieure de lever le secret, elle ne saisit pas forcément les conséquences du fait de donner ou pas son identité.

Mme Nicole Catala : Je souhaite compléter l'interrogation de notre présidente en indiquant qu'à mon avis, la demande de rapprochement, visée au troisième alinéa de l'article L.146-2, n'est pas une demande d'accès à l'identité de l'enfant. C'est une demande de droit de visite, si je puis dire, et elle ne peut jouer que si l'article L.146-4 deuxième alinéa a été appliqué.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est également mon interprétation. Selon mon opinion personnelle, ce texte vise majoritairement d'autres cas que le cas de la femme qui a accouché sous X.

Si vous lisez le texte dans son sens global, la première observation est qu'il concerne, quantitativement et qualitativement, beaucoup d'autres situations que celle de la mère abandonnante. C'est pourquoi l'article 2 a dû être introduit pour le cas de la mère ayant accouché sous X. En effet, selon l'aide sociale à l'enfance, son cas correspondrait au premièrement de l'article 61 de l'ancien code de la famille et de l'aide sociale qui est "l'enfant né sans filiation", c'est-à-dire les enfants immédiatement immatriculés en qualité de pupilles de l'Etat.

Mais l'enfant né sous X a une spécificité. On a rajouté un élément, à savoir l'article 2 du projet de loi, qui concerne vraiment la femme qui accouche sous X, sans toucher à l'article du code civil qui concerne la mère ayant accouché sous X.

Il est vrai que ce que l'on appelle l'accouchement sous X a d'abord été traité par le code de la famille et de l'aide sociale, mais sous un aspect matériel accessoire. Les DDASS avaient besoin d'un texte pour la prise en charge des frais d'hébergement et de maternité. Mais ce n'est qu'en 1993 que le code civil a traité l'accouchement sous X.

Ce projet de loi revient indirectement sur les dispositions du code civil. Il ajoute une disposition dans le code de l'action sociale et des familles, comme si cela allait conduire à une modification du code civil, dans un sens qui me paraît inquiétant, celui de la suppression de l'accouchement sous X.

L'enfant abandonné, pupille de l'Etat, présente comme caractéristique d'être immédiatement adoptable, de sorte qu'il sera adopté, sous réserve qu'il ne tombe pas dans la catégorie des enfants à particularités.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Dans ce texte, on donne à l'enfant l'initiative de rechercher sa mère. Pourquoi cette initiative n'est-elle pas aussi confiée à la femme, lorsque l'enfant a plus de 18 ans ? La vie peut changer. Une femme peut se sentir en capacité, à un moment donné, soit de chercher des informations, soit de souhaiter retrouver l'enfant, si bien entendu cette volonté existe des deux côtés.

Mme Marie-Cécile Moreau : Il s'agit d'un texte qui vise à rechercher les origines. Il s'agit donc d'une recherche de l'enfant vers ses parents et non pas le contraire. Je comprends votre interrogation. Mais si on donnait cette possibilité à la femme, elle se heurterait au statut qui sera celui de l'enfant, au moment où elle aura cette curiosité. S'il est adopté, par exemple, de façon plénière, ce n'est pas possible.

Il y a une deuxième situation qui vient d'être réglée par la Cour de cassation, d'une manière assez inquiétante, puisque la Cour dit que la mère abandonnante, qui est anonyme, ne peut pas retrouver un enfant qui lui-même a été immatriculé comme anonyme.

La difficulté qui se pose là, c'est encore le déclinaison de cet article de la loi de 1993 sur l'accouchement sous X, selon lequel l'enfant né d'une mère X est lui-même un enfant X. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation on ne peut identifier un enfant qui n'est pas identifié ni identifiable.

Pour rendre possible la démarche que vous envisagez, il faudrait d'abord qu'un texte le stipule et qu'il soit également précisé que la recherche, comme celle qui est prévue par ce texte, ne porte que sur l'une des deux filiations, à savoir la filiation biologique.

Si seul le nom est révélé, que va-t-on en faire ? L'identité ainsi révélée ne permet-elle pas, avec les moyens divers que l'on possède aujourd'hui, de tout savoir de quelqu'un, y compris si la mère a voulu l'enfant, les raisons de l'abandon, de sa séparation avec le père, si cet enfant est le fruit d'un inceste ?

Le problème de l'inceste est dominant. D'ailleurs les CECOS s'organisent de telle sorte que, comme ce sont souvent les mêmes donneurs, cela ne se passe pas toujours dans la même région, sinon cela expose à des risques de consanguinité et autres. Ceci pour dire que l'objet même de ce qui va être révélé, que ce soit à l'enfant ou à la mère, pose un problème énorme.

Mme Odette Casanova : Pour ma part, il me semble que ce texte propose carrément l'abandon de l'accouchement sous X.

Lorsque j'ai interrogé des enfants nés sous X, qui sont maintenant des pupilles, et des responsables dans mon association départementale, ils ont évoqué quelques points. En particulier, ils souhaitent - mais c'est leur avis personnel - que demeure la possibilité pour la femme d'un accouchement sous X, dans sa forme actuelle, c'est-à-dire que la femme ne laisse aucune information. En effet, ils craignent une contrainte qui ne soit pas opportune. Les expériences qu'ils ont vécues leur permettent de dire cela. Parmi ces personnes, qui ont entre quarante et cinquante ans, certains ont retrouvé leurs origines, d'autres pas.

Puisque l'on a évoqué l'inceste, ils m'ont aussi rapporté qu'ils n'auraient pas aimé savoir qu'ils étaient nés d'un viol ou d'un inceste. En fait, ils considèrent qu'il est préférable de ne pas savoir. Ce sont des témoignages de terrain.

Un autre point que je souhaite soulever concerne le deuxième alinéa de l'article L.146-2 selon lequel "la demande expresse de levée du secret formulée par le père ou la mère de naissance. Ce "ou" me gêne.

Mme Marie-Cécile Moreau : Ce texte est écrit pour une autre situation que celle de l'accouchement sous X.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : A moins d'envisager, dans les informations délivrées par la mère, qu'elle donne le nom du père, mais rien ne le précise.

Mme Marie-Cécile Moreau : Dans le cadre d'une procédure, nous faisons un travail important pour retrouver les tenants et les aboutissants, les preuves. Certes, tout est possible avec le Minitel et Internet, mais il faut pouvoir départager ce qui est vrai de ce qui est faux.

Le droit à la connaissance des origines me paraîtrait devoir appartenir uniquement à celui qui est concerné. Est-ce le rôle du législateur d'agir de telle manière, non pas dans le principe mais dans la réalisation matérielle ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La mère a-t-elle un recours en préjudice pour abandon ?

Mme Marie-Cécile Moreau : L'accouchement sous X a ceci de particulier que si l'accouchement n'avait pas existé, la mère aurait peut-être recouru à un infanticide ou à un abandon, lesquels sont considérés comme un crime. Par conséquent, son histoire se serait terminée en cour d'assises.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Un enfant ne peut donc pas se retourner contre sa mère qui l'a retrouvé, au motif qu'elle lui a fait subir un préjudice pour abandon.

Mme Marie-Cécile Moreau : Si l'enfant a une autre filiation juridique, c'est-à-dire s'il a été adopté, il ne le peut certainement pas. Pour le moment, on fait privilégier ce lien juridique, qui est aussi le lien traditionnel auquel on accorde le plus d'importance. S'il tente de se retourner contre sa mère de naissance, cela démontrerait immédiatement la nature des intentions de sa recherche d'origine. Si c'est pour lui demander des dommages et intérêts, on ouvre vraiment une boîte de Pandore.

Mme Danielle Bousquet : Mais c'est la jurisprudence qui le dira.

Mme Marie-Cécile Moreau : Actuellement, la jurisprudence n'a pas d'exemple, car elle est organisée selon le mode que je vous indiquais tout à l'heure, à savoir que l'enfant n'est pas identifiable. Il ne pourra pas, en l'état du droit, rechercher sa mère.

Mme Nicole Catala : On peut néanmoins s'inquiéter de l'impact sur ce sujet de la jurisprudence Perruche. Si le seul fait d'être né peut être en soi un préjudice, le fait d'être né sous X a fortiori doit pouvoir être considéré comme une cause de préjudice.

Mme Marie-Cécile Moreau : Des esprits encore plus aventureux pourraient le penser, mais en l'état de notre droit, ce n'est pas possible. D'ailleurs l'arrêt Perruche est très critiqué. Cette décision ne passera pas le siècle, voire les huit ans jusqu'à la prochaine révision. Mais il faut que nous ayons cette inquiétude à l'esprit pour éviter tout problème.

Mme Nicole Catala : Vous évoquiez tout à l'heure une sorte de vérification des motifs de la recherche des origines. Est-elle concevable ? Il existait des cas d'ouverture pour l'action en recherche en paternité, mais ils se reliaient à des événements tangibles, en tout cas vérifiables. Dans le cas de l'accouchement sous X, comment vérifier que l'intention de l'enfant est noble et désintéressée ou, au contraire, très intéressée ? Je ne vois pas qui pourrait s'en charger, de même que définir les motifs acceptables et ceux qui ne le seraient pas.

Mme Marie-Cécile Moreau : Votre comparaison avec la recherche de paternité, selon moi, n'est pas fondée car la recherche de paternité crée une filiation juridique. C'est cela le but.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Je regrette qu'on ne sache pas dissocier filiation biologique et filiation sociale. De la même façon que l'on sait dire, à travers ce texte, que pour une femme il y a une filiation biologique qui n'est pas une filiation sociale, pourquoi ne parvient-on pas à dire qu'il y a pour le père une filiation biologique qui n'est pas une filiation sociale ? Pourquoi la dissociation des deux filiations qui est envisageable pour la mère ne l'est-elle pas pour le père ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Il y a, pour le père, l'action à fins de subsides, mais il n'y a pas de filiation juridique dans cette action. L'action à fins de subsides n'est ouverte que contre un père et pas contre une mère.

Vos interrogations m'amènent à vous répondre, sans doute trop partiellement, que la filiation biologique avec le père, lorsque la mère ou l'enfant a laissé passer le délai de déchéance de deux ans, existe. La vérité biologique existe toujours.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Mais elle n'est pas forcément démontrée.

Mme Marie-Cécile Moreau : Mais un enfant qui aurait échoué dans une procédure en recherche de paternité aurait quand même cette possibilité. La différence entre la recherche de paternité et la recherche de maternité dans le cadre d'un accouchement sous X, c'est que l'on connaît le père - on le suppose en tout cas - tandis que la mère est anonyme. Vers qui dirige-t-on l'action ?

Pour l'accouchement sous X, la loi a décidé de ne pas introduire de fin de non-recevoir. Le cas du verrou posé par la loi sur l'accouchement sous X, quant à la recherche du lien de filiation, est un verrou beaucoup plus important que la fin de non-recevoir, car la fin de non-recevoir concerne quelqu'un qui est déjà engagé dans le cadre d'un procès.

L'accouchement sous X est beaucoup plus radical dans ses effets. Le seul point de ressemblance dans le code civil avec l'accouchement sous X, c'est l'article selon lequel aucune action de filiation ne peut être introduite, parce qu'il n'y a pas d'objet, pour un enfant qui n'est pas né viable. Avec l'accouchement sous X, nous sommes dans ce cadre d'une absence d'action.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'accouchement sous X verrouille de fait tout accès à une filiation biologique du père.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est un arrêt très connu de la cour de Riom de 1997. Le père a fait une reconnaissance prénatale, qui prend effet le jour de la naissance. Mais l'enfant n'est pas né, car c'est un enfant X de X. Le père a refait une reconnaissance et c'est à la deuxième reprise que la Cour lui a demandé quel était l'objet de sa reconnaissance, puisque l'enfant n'était pas identifié ni identifiable. Le père a été débouté.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : L'article 4 du projet de loi concerne la suppression de la possibilité pour des parents de confier leur enfant avant qu'il ait atteint l'âge d'un an à l'aide sociale à l'enfance, en demandant le secret de leur identité. Cela ne concerne pas le cas de l'accouchement sous X, mais c'est dans le texte.

Mme Marie-Cécile Moreau : C'est pourquoi je vous ai dit que ce texte n'était pas écrit pour l'accouchement sous X. Il traite de beaucoup d'éléments, et l'accouchement sous X en est un, mais non pas le principal.

Mme Danielle Bousquet : Que penseriez-vous de la suppression de l'article 2 de ce texte ?

Mme Marie-Cécile Moreau : Cela supprimerait l'intérêt du texte, puisque l'exposé des motifs explique que ce texte est fait en comparant l'accouchement sous X et la volonté de connaître les origines. Plutôt que de supprimer ce texte, il conviendrait de le compléter, car il pèche par l'absence de garde-fous.

De plus, ce texte me parait contraire à ce qui se passe pour l'assistance médicale à la procréation, où l'anonymat est stipulé. L'accès aux origines n'est-il vrai que pour certaines personnes ? Est-ce à l'Etat de faire cela ? Peut-être, mais il conviendrait de rendre ce texte plus technique. Ainsi, dans l'article 2, on ne voit pas la réalité, on ressent les choses de façon éthérée et cela me paraît un peu inquiétant.

Mme Danielle Bousquet : Mais si on supprimait l'article 2, on toucherait moins à l'accouchement sous X.

Mme Marie-Cécile Moreau : Mais l'accouchement sous X tombe encore plus sous le coup de l'impossibilité de connaître les origines. Voulez-vous dire qu'on l'écarterait, comme on le fait pour la procréation médicalement assistée, de la recherche possible des origines, sur la base de ces textes et par le biais du Conseil national ?

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : La seule innovation de ce texte est le fait de créer le Conseil national.

Mme Danielle Bousquet : On peut laisser mettre en place ce Conseil national d'accès aux origines, mais supprimer l'article 2. Je suis consciente que c'est l'un des pivots du texte. Toutefois, nous pouvons dire que nous considérons que le maintien de l'accouchement sous X est très important, mais qu'il est impossible que l'on puisse faire pression sur une femme pour qu'elle donne son identité à ce moment-là.

Mme Marie-Cécile Moreau : Lorsqu'on l'on crée un organisme, il convient de savoir comment il va agir. Tous les articles concernent ensuite l'articulation, autour de cet organisme nouveau, de la manière dont il va travailler, qui va le saisir et ce qu'il pourra faire.

Mme Martine Lignières-Cassou, présidente : Pourquoi inviter la femme à laisser son nom et son adresse si ce n'est parce que le Conseil va la solliciter, si elle n'a pas levé le secret. Mais le texte ne dit pas comment.

Mme Marie-Cécile Moreau : Le premier souci du texte n'a pas été de créer un organisme de plus, mais de chercher à pallier les moindres dégâts, d'où la création de ce Conseil. Mais il est nécessaire de savoir comment il va agir.

Parmi les enfants qui ne peuvent pas connaître leurs origines, il y a les enfants adoptés de manière plénière et les enfants nés sous X. Ces deux catégories d'enfants sont comprises dans la catégorie des pupilles de l'Etat, donc traitées par le code de l'action sociale et des familles. Mais il y a un grand absent, dont la situation est réglée par la loi de 1994, c'est l'enfant né d'une procréation médicalement assistée.

Je trouve ce texte sympathique, car on se dirige volens nolens vers un désaccouplement des deux filiations. Par conséquent, il faut sans doute organiser la filiation biologique, c'est-à-dire ne pas laisser des enfants nés sans connaître leurs origines. La jurisprudence connue de la Cour européenne des droits de l'homme est aussi assez prégnante dans ce projet.

Mme Danielle Bousquet : J'ai plutôt l'impression au contraire qu'il redonne, à la filiation biologique, toute sa prééminence. C'est en ce sens qu'il m'inquiète aussi.

Mme Marie-Cécile Moreau : Je n'en suis pas certaine. Mais s'agissant de la prééminence, la jurisprudence de la Cour de cassation s'est déjà décidée. Elle a dit qu'en appliquant les méthodes scientifiques de recherche des liens de filiation, c'était maintenant le tout scientifique. Elle a fait sauter ce que nous appelons les adminicules ou éléments de preuves, dans les recherches de paternité, où il est nécessaire d'avoir déjà des indices et présomptions graves.

La Cour de cassation semble admettre maintenant que, dans le cadre d'une recherche de paternité, un juge puisse décider immédiatement de recourir à l'analyse des sangs. Comme je vous le disais en préambule, il y a des questions qui surplombent ces affaires de manière très prégnante. Le tout biologique est-il vraiment le but ?

En tant que juriste, je peux vous faire part de mon avis, mais je vous dirais également que de telles questions ressortent de la seule compétence de la représentation nationale que vous êtes. C'est au législateur de décider sur cette question et non pas aux juristes seuls. C'est une question de civilisation.

3087 - Rapport d'information de Mme Danielle Bousquet au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi (n° 2870) relatif à l'accès aux origines personnelles

() Ancien code de la famille et de l'aide sociale (CFAS).

() Devenu l'article L. 222-6 du CAS.

() Devenu l'article L. 224-5 du CAS.

() Devenu l'article L. 222-6 du CAS.

() Devenu l'article L. 224-5 du CAS.