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N° 3302

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 octobre 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1),
en conclusion des travaux d'une
mission d'information
sur l'entretien de la flotte(2)

et présenté par

MM. Charles COVA

et

Jean-Noël KERDRAON

Députés

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; M. Robert Gaïa, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Voisin, vice-présidents ; M. Jean-Claude Viollet, M. Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; M. Jean-Marc Ayrault, M. Jacques Baumel, M. Jean-Louis Bernard, M. André Berthol, M. Jean-Yves Besselat, M. Bernard Birsinger, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Pierre Braine, M. Jean Briane, M. Marcel Cabiddu, M. Antoine Carré, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy-Michel Chauveau, M. Alain Clary, M. François Cornut-Gentille, M. Charles Cova, M. Michel Dasseux, M. Jean-Louis Debré, M. François Deluga, M. Philippe Douste-Blazy, M. Jean-Pierre Dupont, M. François Fillon, M. Christian Franqueville, M. Yves Fromion, M. Yann Galut, M. René Galy-Dejean, M. Roland Garrigues, M. Henri de Gastines, M. Bernard Grasset, M. Jacques Heuclin, M. François Hollande, M. Jean-Noël Kerdraon, M. François Lamy, M. Claude Lanfranca, M. Jean-Yves Le Drian, M. Georges Lemoine, M. François Liberti, M. Jean-Pierre Marché, M. Franck Marlin, M. Jean Marsaudon, M. Christian Martin, M. Guy Menut, M. Gilbert Meyer, M. Michel Meylan, M. Jean Michel, M. Jean-Claude Mignon, M. Charles Miossec, M. Alain Moyne-Bressand, M. Arthur Paecht, M. Jean-Claude Perez, M. Robert Poujade, Mme Michèle Rivasi, M. Michel Sainte-Marie, M. Bernard Seux, M. Guy Teissier, M. André Vauchez, M. Émile Vernaudon, M. Aloyse Warhouver, M. Pierre-André Wiltzer.

La mission d'information sur l'entretien de la flotte est composée de :

M. Charles Cova, président ; M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur ; MM. Antoine Carré, Robert Gaïa et Jean-Yves Le Drian.

INTRODUCTION 5

I. - UN MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DE LA FLOTTE QUI EST ACTUELLEMENT INSATISFAISANT 9

A. L'ÉPREUVE DES FAITS 9

1. Des délais de réparation non tenus 9

a) une flotte de surface très affectée 9

b) Une flotte sous-marine non épargnée 11

2. Une qualité de travaux parfois défaillante 12

3. Des rechanges manquants 13

B. DES CONSÉQUENCES PRÉOCCUPANTES 15

1. Une disponibilité des navires à peine suffisante 15

2. Un moral des équipages affecté 16

II. - LA CONVERGENCE DE RAISONS STRUCTURELLES ET ORGANISATIONNELLES 19

A. LE DIFFICILE APPRENTISSAGE DE LA CONTRACTUALISATION DE L'ENTRETIEN 19

1. Le Code des marchés publics : un cadre juridique pas véritablement adapté 20

2. Un service de soutien de la flotte qui se familiarise progressivement avec son rôle de maître d'ouvrage 21

a) Des difficultés liées à la mise en place des structures d'un service créé très récemment 21

b) Les impératifs parfois contradictoires de la Marine 22

3. Les pesanteurs afférentes aux achats du maître d'_uvre DCN 23

B. UNE ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE ET INDUSTRIELLE NON MAÎTRISÉE 25

1. La réforme continue de la direction des constructions navales depuis dix ans 25

a) Une mutation de très grande ampleur 25

b) Des conséquences dommageables sur le niveau des compétences et l'encadrement 26

2. L'accélération du phénomène d'obsolescence des équipements 28

C. UNE TOILE DE FOND BUDGÉTAIRE QUI N'EST PAS SANS INCIDENCE 28

1. L'apparence de dotations budgétaires acceptables 29

a) La flotte et les munitions 29

b) La force océanique stratégique 30

2. Le constat d'une contrainte budgétaire réelle 32

a) Des reports de réparations faute de crédits 32

b) Les hypothèques du maintien en condition opérationnelle 34

III. - LES VOIES DE RETOUR À UN ENTRETIEN DE LA FLOTTE CONVENABLE 35

A. DES AMÉLIORATIONS ATTENDUES GRÂCE AUX ACTIONS EN COURS 35

1. Vers une meilleure gestion des rechanges aux effets perceptibles d'ici 2002-2003 35

2. L'accroissement de la réactivité du maître d'_uvre de référence grâce au changement de statut de DCN 37

B. DES RÉFORMES À APPROFONDIR : LA NÉCESSITÉ D'ALLER PLUS LOIN 38

1. Clarifier les rôles respectifs de DCN et des ateliers militaires de la flotte 39

2. Conformément au souhait de la Marine, renforcer la spécialisation des sites de maintenance en envisageant le transfert progressif des SNA à Brest à partir de 2006 40

3. Revoir la place et le rôle des équipages lors des opérations d'entretien majeur 42

4. Introduire plus de souplesse dans les procédures applicables lors de l'entretien 44

5. Intéresser l'industriel au respect des délais 45

6. Adopter une logique de coûts de possession et ne plus raisonner en termes de coûts d'acquisition 46

CONCLUSION 49

GLOSSAIRE 51

EXAMEN EN COMMISSION 53

ANNEXE N°1 : AUDITION DE MM. JEAN-MARIE POIMBOEUF ET MICHEL ACCARY (DCN) 63

ANNEXE N°2 : AUDITION DU VICE-AMIRAL YVES LAGANE, ET DU CAPITAINE DE VAISSEAU LAMBERT, (ETAT-MAJOR DE LA MARINE) 73

ANNEXE N°3 : AUDITION DE M. JEAN-PAUL PANIÉ, ET DU CONTRE-AMIRAL BENOÎT LE MASNE DE CHERMONT (SSF) 83

ANNEXE N°4 : DÉPLACEMENT DE LA MISSION D'INFORMATION À TOULON, LES 5 ET 6 JUILLET 91

ANNEXE N°5 : DÉPLACEMENT DE LA MISSION D'INFORMATION À BREST, LES 10 ET 11 JUILLET 115

ANNEXE N°6 : AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES FÉDÉRATIONS SYNDICALES DE DCN 151

MESDAMES, MESSIEURS,

En règle générale, l'entretien de la flotte focalise beaucoup moins l'attention que l'évolution des investissements de la Marine dans des matériels nouveaux à technologie avancée, tel le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. Pourtant, dès lors que l'on porte intérêt aux acquisitions de bâtiments militaires neufs, il doit en aller de même de leur maintenance une fois qu'ils sont entrés en service.

Aujourd'hui, le maintien en condition opérationnelle (MCO) de notre flotte préoccupe les personnels. Plusieurs parlementaires ont été saisis de témoignages de marins destinés à attirer leur attention sur les modalités de la prochaine période d'entretien majeur du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de nouvelle génération Le Triomphant. Sur la recommandation de notre collègue Charles Cova, la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale a décidé, le 16 mai 2001, de créer une mission d'information de cinq membres, au champ d'investigation consacré à la question plus large de l'entretien de l'ensemble des bâtiments de la Marine.

Véritable confirmation de l'intérêt de cette démarche plus que coïncidence, le Comité des prix de revient des fabrications d'armement a consacré une partie de son vingt-troisième rapport, publié le 28 avril dernier, à ce même sujet ; ce rapport est éloquent s'agissant de l'acuité du problème, comme l'illustre l'extrait1 qui suit : « Le comité tient à souligner l'importance du sujet de cette enquête et du problème qu'elle pose, c'est à dire les difficultés qu'éprouve la Marine à obtenir la disponibilité opérationnelle souhaitée pour ses systèmes d'armes en service tout en poursuivant le financement des équipements nouveaux. »

On ne saurait être plus clair quant à l'utilité d'engager, comme l'a fait la Commission de la Défense en créant une mission d'information, une investigation approfondie auprès des services et des personnels plus particulièrement concernés. Les travaux de cette mission se veulent avant tout une contribution à l'amélioration de l'entretien des matériels de la Marine.

*

La maintenance des équipements conditionne leur durée de vie et, partant, l'amortissement de l'investissement qu'ils représentent lors de leur acquisition. De telles considérations financières ne sont pas sans intérêt au regard des allocations budgétaires dont bénéficie la Marine chaque année. Trop souvent, la contrainte de l'achat d'équipements occulte celle de l'entretien, et pourtant, il s'agit des deux faces d'une même exigence : la préservation de la capacité opérationnelle des forces navales.

Traditionnellement, trois cycles d'entretien rythment la vie d'un bâtiment de guerre :

- l'entretien courant, qui est le fait quotidien de l'équipage et ne pèse pas sur la disponibilité opérationnelle du bateau ;

- l'entretien intermédiaire, qui est marqué par des visites et des réparations de faible importance mais qui rend le bâtiment indisponible pour quelques semaines à raison d'une ou plusieurs indisponibilités pour entretien intermédiaire (IEI) et, éventuellement, de plusieurs périodes d'indisponibilité intermédiaire (PEI), plus légères ;

- l'entretien majeur, qui est supposé permettre une révision de fond en comble du bateau en cale sèche et qui se traduit par une indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) allant de quelques mois pour les navires de surface (quatre mois et demi pour un aviso) à plus d'une année (entre dix-huit et vingt quatre mois pour les SNLE).

Au delà de son aspect technique, l'entretien de la flotte a également des incidences très concrètes sur les conditions de travail, voire même les conditions de vie des équipages. Un bon état des équipements détermine la sécurité, la qualité et l'ambiance du service accompli par les personnels. Ajoutons que la maintenance est au c_ur de leur tâche quotidienne ; ainsi, elle influe directement sur leur charge de travail.

Actuellement, la dégradation très sensible des conditions de réalisation du MCO affecte tout particulièrement le moral des équipages. La mission d'information a eu l'occasion de le mesurer par elle-même lors de deux déplacements à Toulon, les 5 et 6 juillet, et à Brest, les 10 et 11 juillet. Ses membres se sont entretenus avec des personnels de tous grades servant des bâtiments aussi divers que le pétrolier-ravitailleur Somme, la frégate antiaérienne Cassard, le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Casabianca, le SNLE de nouvelle génération Le Téméraire, le chasseur de mines tripartite Verseau, la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, ou encore le remorqueur Rari. Certes, tous ces bateaux rencontrent à des titres divers des difficultés ; il n'empêche que la convergence des témoignages recueillis et la force de certains propos constituent un révélateur pertinent.

La mission d'information ne s'est pas contentée de dresser un constat ; elle a aussi cherché à comprendre la situation actuelle. Pour ce faire, elle a auditionné de nombreux représentants des différentes parties concernées : le directeur de DCN, ainsi que le directeur de la branche MCO de ce même industriel et les directeurs des établissements de Toulon et Brest ; le Sous-chef d'Etat major « opérations-logistique » de la Marine ainsi que les autorités organiques de la force d'action navale (ALFAN) et de la force océanique stratégique (ALFOST) ; le directeur central du service de soutien de la flotte (SSF) ainsi que son directeur adjoint et les directeurs des antennes de Toulon et Brest. Les représentants des fédérations syndicales de DCN ont également été entendus.

Ces nombreuses auditions ont permis aux membres de la mission d'information de porter une appréciation plus complète sur les raisons d'une situation qui, en définitive, n'apparaît pas satisfaisante.

On observera tout d'abord que l'entretien des bâtiments de la Marine reste soumis à plusieurs contraintes : une contrainte budgétaire, bien sûr, mais aussi des contraintes techniques (liées notamment à l'obsolescence des équipements) et industrielles (en raison de la contractualisation des prestations sous la maîtrise d'_uvre du service de soutien de la flotte, créé le 1er juillet 2000). C'est l'ensemble de ces contraintes qui conditionne la disponibilité des équipements navals français.

La réorganisation du cadre industriel du MCO, via la contractualisation des relations entre la Marine et ses prestataires, suppose un changement radical des mentalités qui n'est pas encore entré dans les esprits. Par ailleurs, le cadre réglementaire est inadapté à une activité difficile à prévoir trop longtemps à l'avance, handicap qui se conjugue pour DCN avec les séquelles de restructurations parfois engagées sans que ne soient véritablement mesurées leurs conséquences. Enfin, il apparaît que le niveau des crédits budgétaires consacrés à l'entretien de la flotte ne permet pas d'optimiser des matériels toujours plus sophistiqués, performants et donc fragiles.

Ayant à c_ur de permettre aux maîtres d'_uvre et d'ouvrage de remplir leurs responsabilités dans les meilleures conditions, la mission d'information s'est attachée à formuler plusieurs propositions. Dans un contexte de réduction du volume humain et matériel des forces, lié à la professionnalisation des armées, il était nécessaire d'ajuster la conduite de la politique de maintenance, y compris en modifiant le mode de gestion des rechanges. Il faut poursuivre cette démarche, dont les effets ne peuvent être pleinement appréciés tant que la période de transition en cours n'est pas totalement achevée. L'outil industriel doit continuer à se réformer ; le changement de statut de DCN, annoncé le 6 juillet dernier, devrait y contribuer. De même, l'organisation de l'entretien de la flotte peut être davantage rationalisée, notamment sur la base d'une spécialisation accrue, mais pas exclusive, des sites de maintenance. Une clarification des rôles entre DCN et les ateliers militaires de la flotte (AMF) apparaît également nécessaire. D'autres initiatives, de moindre importance mais de nature à améliorer sensiblement la maintenance au quotidien, doivent aussi être envisagées.

*

Fruit d'un dialogue approfondi avec l'ensemble des acteurs concernés, le présent rapport d'information dresse un constat sans complaisance : l'entretien de la flotte est actuellement insatisfaisant. A l'analyse, les raisons de cette situation sont avant tout structurelles et organisationnelles. C'est la raison pour laquelle la mission d'information, tout en appuyant les réformes récemment engagées au sujet des rechanges et du statut de DCN, préconise des mesures complémentaires et concrètes qui font notamment écho aux préoccupations formulées par les équipages.

I. - UN MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DE LA FLOTTE QUI EST ACTUELLEMENT INSATISFAISANT

Le MCO de la flotte répond à deux exigences : d'une part, préserver et optimiser les fonctions opérationnelles du bâtiment (c'est l'objet des entretiens courant et intermédiaire) ; d'autre part, garantir l'intégrité structurelle du bâtiment (au moyen des réparations d'entretien majeur). Habituellement, on distingue les interventions préventives, qui visent à remplacer des équipements usagés avant qu'ils ne soient défaillants, des interventions correctives, purement réparatrices.

L'ensemble des personnes auditionnées par la mission d'information, y compris le Sous-chef d'Etat major « opérations-logistique » de la Marine, le
Vice-amiral Yves Lagane, ont convenu que l'organisation et la qualité de l'entretien des navires ne sont pas satisfaisants. Or, les répercussions de cette situation sur la motivation des personnels et les capacités opérationnelles de la flotte sont plutôt inquiétantes.

A. L'ÉPREUVE DES FAITS

Au cours de ses visites de navires en réparation à Toulon et à Brest, la mission d'information a pu constater par elle-même que la maintenance opérationnelle et l'entretien majeur de la flotte ne sont pas suffisamment efficaces. Les faits observés se suffisent à eux mêmes : délais de réparation non respectés, malfaçons dans les travaux, difficultés manifestes à obtenir des rechanges ; tel est le lot quotidien d'équipages qui en font l'expérience de plus en plus fréquemment.

1. Des délais de réparation non tenus

Les retards observés à l'occasion de réparations ne sont pas en soi injustifiables, dès lors qu'ils résultent d'avaries imprévues ou de phénomènes ponctuels et conjoncturels. Au demeurant, le dépassement des délais lors des opérations d'entretien de navires de la Marine n'est pas un phénomène nouveau. Néanmoins, la généralisation des retards à l'ensemble des catégories de bâtiments et leur caractère plus systématique suscitent à bon droit l'inquiétude.

a) une flotte de surface très affectée

La flotte de surface de la Marine nationale, dont le tableau ci-après fournit un aperçu des principaux éléments, est composée de 66 unités de combat, auxquelles s'ajoutent notamment des bâtiments de soutien, tels les pétroliers ravitailleurs ou les bâtiments de soutien logistique, des patrouilleurs de service public ainsi que des remorqueurs. Indéniablement, les navires de surface constituent la grande majorité, en nombre, des unités de la Marine.

DÉTAIL DES PRINCIPAUX BÂTIMENTS DE SURFACE DE LA MARINE

CATÉGORIE DE BÂTIMENTS

NOMBRE D'UNITÉS

ANNÉES D'ADMISSION AU SERVICE ACTIF

ANNÉES DE RETRAIT PROGRAMMÉ DU SERVICE

Porte-avions

1

2001

2041

Porte-hélicoptères

1

1964

Prolongée à 2006
(au lieu de 1995)

Transports de chalands de débarquement

4

1965, 1968, 1990 et 1998

Prolongées à 2004 et 2005 (pour les premiers) ;
2020 et 2028
(pour les plus récents)

Frégates lance-missiles et antiaériennes

3

1970, 1988 et 1991

2007, 2018, 2021

Frégates de type La Fayette

4(2)

1996, 1997, 1997, 1999

2026, 2027, 2027, 2029

Frégates de lutte anti-sous-marine

2 F-67
7 F-70

1974 et 1977 ;
entre 1979 et 1990

2008 et 2009 ;
entre 2009 et 2017
(avec abandon anticipé des capacités anti-sous-marines lourdes)

Avisos A-69

10

Entre 1979 et 1984

Entre 2002 et 2014
(par prolongation de 5 ans de la durée de vie de neuf de ces bâtiments)

Frégates de surveillance

6

Entre 1992 et 1994

Entre 2022 et 2024

Bâtiments
de transport léger

5

Entre 1974 et 1986

Entre 2003 (une prolongation de 2 ans étant à l'étude)
et 2011

Patrouilleurs de 400 tonnes

10

Entre 1986 et 1988

Entre 2011 et 2013

Chasseurs de mines tripartite

13

Entre 1983 et 1997

Entre 2013 et 2019

Pétroliers-ravitailleurs

4

1980, 1982, 1986, 1990

Entre 2010 et 2020

Bâtiment atelier polyvalent

1

1976

Prolongée de 2006 à 2012

Bâtiments
de soutien mobile

3

1963, 1965, 1967

Entre 2002 et 2008
(après prolongations)

Bâtiments
de service public

6

Entre 1967 et 1997

Entre 2005 et 2022
(après prolongations)

Remorqueurs
de haute mer

2

1972 et 1976

Reportées de 2002 à 2007
et de 2006 à 2011

Source : ministère de la Défense, 2001.

A la lumière de ce qu'elle a pu constater sur le terrain et des éléments qu'elle a recueillis, la mission d'information observe que les réparations de la plupart de ces bateaux, quelle que soit leur fonction opérationnelle, sont effectuées avec des retards de plus en plus systématiques. Les dépassements de délais concernent aussi bien les opérations d'entretien majeur, par définition plus longues, que celles qui ont trait à l'entretien intermédiaire.

On se bornera à citer, à titre d'exemples :

- l'IPER du pétrolier-ravitailleur Somme, opérationnel au moment de la venue de la mission d'information, qui a duré quatorze mois au lieu des six mois annoncés ;

- l'IPER de la frégate antiaérienne Cassard, dont l'allongement actuellement prévu pour cause de retards divers est de quatre mois et demi ;

- l'IPER du remorqueur Rari, initialement programmée pour quatre mois et demi et qui a dépassé ce délai d'au moins trois mois ;

- les IEI du remorqueur Malabar et du patrouilleur Sterne, terminées avec respectivement dix-sept et treize semaines de retard.

Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle montre que le phénomène affecte autant les bâtiments de combat qui ont vocation à intégrer un groupe aéronaval que des bateaux de moindre importance. Il est donc possible d'en déduire que les retards se généralisent.

Il convient tout de même de préciser que certaines opérations d'entretien majeur ou intermédiaire sont réalisées dans les délais impartis. Le cas de la frégate furtive Courbet, troisième de la série des cinq frégates de classe La Fayette, en offre l'illustration : conformément aux prévisions, le bateau est sorti d'IPER cinq mois après le début de son carénage à Toulon, le 15 juin dernier. La mission d'information constate cependant que ce qui devrait constituer la norme fait plutôt figure d'exception, ce dont personne ne saurait se satisfaire.

b) Une flotte sous-marine non épargnée

Les forces sous-marines françaises sont constituées de 10 bâtiments3 : 4 SNLE basés à Brest et 6 SNA à Toulon. Ces unités revêtent une importance stratégique majeure, les SNLE constituant le principal pilier de la force de dissuasion nucléaire nationale alors que les SNA sont également un instrument de supériorité tactique essentiel sur les théâtres de combat naval.

Jusqu'à une époque récente, ces bâtiments jouissaient d'un traitement privilégié par rapport au reste de la flotte. Ce n'est plus tout à fait le cas.

Signe révélateur, les difficultés rencontrées par les navires de surface à l'occasion de leurs opérations d'entretien sont également ressenties dans les escadrilles de sous-marins, un peu moins il est vrai au sein de l'escadrille des SNLE. A titre d'illustration, le SNA Rubis est sorti d'IPER quarante-deux semaines après la date prévue. De même, des constats de retards cumulés de vingt jours au premier semestre de 1999 puis de trente-cinq jours au second semestre de l'année 2000 ont été dressés dans la chaîne d'entretien des SNLE ; plus récemment, l'IE longue du SNLE de nouvelle génération Le Téméraire a débuté avec un mois de retard.

Cette tendance, nouvelle s'agissant des sous-marins, semble devoir s'accentuer compte tenu de la lourdeur des opérations de maintenance et de l'organisation de la chaîne d'entretien en flux tendus. A Brest, les installations de l'Ile Longue sont âgées de trente ans et justifieraient des investissements pour leur modernisation. En outre, l'effet cumulatif de ces retards s'est d'ores et déjà traduit par l'impossibilité de réaliser à Toulon l'entretien du SNA Améthyste conformément au calendrier prévisionnel.

Les délais d'entretien des sous-marins ne sont donc pas satisfaisants. Les marges de man_uvre des chaînes de maintenance sont trop réduites.

2. Une qualité de travaux parfois défaillante

L'une des critiques entendues le plus fréquemment par les membres de la mission d'information à l'encontre des opérations d'entretien des navires porte sur la qualité des travaux et des prestations fournis par les industriels en charge de la maîtrise d'_uvre.

Le Vice-amiral Jean-François Cot, adjoint au commandant de la force d'action navale à Brest a ainsi observé que certains bâtiments sortant de réparation revenaient avec des pannes graves, tel le pétrolier ravitailleur Meuse, y compris sur du matériel sortant de révision. Il semblerait que ce cas ne soit pas exceptionnel, même si les constats de défauts de qualité concernent le plus souvent la fonctionnalité des équipements. En l'occurrence, l'équipage du pétrolier-ravitailleur Somme a insisté sur le fait que le changement des consoles de radar ne s'était pas accompagné d'une adaptation en conséquence des sièges, ce qui gênait considérablement la posture des personnels de quart.

De même, l'équipage de la frégate antiaérienne Cassard a fait constater à la mission d'information que certains raccords sur les moteurs principaux avaient été exposés aux intempéries, donc à la rouille, avant d'être réinstallés sans précautions particulières. Il s'est également plaint que les ouvriers ne nettoient pas le chantier après chaque intervention, obligeant le bord à le faire à leur place. Le commandant en second du bateau a, à titre plus anecdotique, cité le cas des douches dont l'habillage a été refait avant même la plomberie, en dépit du bon sens.

Le commandant du remorqueur Rari s'est référé quant à lui à l'exemple de travaux dans l'infirmerie pour lesquels les personnels d'exécution ne prenaient pas suffisamment de précautions vis à vis du matériel médical : il a indiqué avoir envoyé une fiche d'amélioration de la qualité à DCN qui a répondu que les personnels ne pouvaient savoir que les locaux en question étaient ceux de l'infirmerie ; sur la base de ce constat, il en a déduit que le souci de qualité n'était pas à la hauteur de la facturation.

Une fois encore, les sous-marins ne sont pas épargnés par ce type de difficultés. L'équipage du SNA Casabianca a ainsi évoqué le cas d'une erreur de branchement de flexibles à la suite de laquelle un équipement s'était trouvé enduit d'huile. Le problème a également été abordé par l'équipage du SNLE Le Téméraire, qui a observé l'apparition de malfaçons auxquelles il n'était pas habitué. La mission d'information souhaite néanmoins nuancer les problèmes rencontrés par les escadrilles de sous-marins : ceux-ci ne portent pas sur les systèmes de propulsion ni sur les armes nucléaires, alors que les bâtiments de surface sont parfois confrontés à des défaillances de qualité qui portent sur leurs éléments principaux. Au demeurant, le Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine a lui-même salué la capacité de DCN à effectuer certaines réparations d'envergure, tel le changement du c_ur du réacteur du SNA Saphir au cours de l'année 2000 après un préavis d'un mois et demi seulement.

S'agissant des sorties de grands carénages, l'attention a également été attirée sur le fait que la plupart des navires de la Marine ayant récemment subi de lourdes réparations n'ont pas été remis à leurs équipages dans un état impeccable, ceux-ci palliant par eux-mêmes ce que d'aucuns appellent pudiquement les « séquelles d'IPER ».

En définitive, même si la qualité des prestations apparaît sensiblement meilleure pour les sous-marins, les exigences concernant la sécurité nucléaire y étant certainement pour beaucoup, elle ne donne plus totale satisfaction. On pourrait objecter que certaines observations ont trait davantage au confort des personnels qu'à la dimension opérationnelle des bateaux ; ce serait là oublier que le navire est autant un lieu de vie qu'un moyen de défense, y compris lors de ses réparations. Au demeurant, les critiques des équipages ne portent pas sur des détails, mais bien sur des éléments qui déterminent la fiabilité des bâtiments ; leurs remarques n'en ont que plus de poids.

3. Des rechanges manquants

Le problème des rechanges est certainement au c_ur des préoccupations des équipages et des autorités organiques. Il conditionne pour une large part la remise en l'état des matériels dans des délais relativement brefs : la défaillance de la gestion des rechanges est la cause de 35 % des indisponibilités non programmées des bateaux. La mission d'information a pu constater que l'absence de traçabilité des stocks et plus encore les difficultés d'approvisionnement étaient très mal ressenties par les marins.

Certains interlocuteurs de la mission ont critiqué la gestion des magasins de rechanges par DCN, faisant référence notamment à l'existence de pièces non nomenclaturées, de pièces en stocks ne correspondant plus aux bâtiments en service, de pièces cassées, ou de pièces inventoriées mais inexistantes. Les propos des membres d'équipages ont parfois été plus sévères encore, certains évoquant « la prise en otage » des rechanges de la Marine.

Cette situation tire son origine du fait que les équipages et les ateliers militaires de la flotte ne peuvent actuellement s'adresser qu'à DCN pour obtenir les pièces nécessaires aux réparations ; or, les délais d'approvisionnement sont souvent très longs.

Les exemples fournis par l'équipage de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, sont à cet égard très révélateurs : il a ainsi été fait état d'un délai de soixante et onze semaines pour la réparation d'une carte sécurité température de la turbine à gaz bâbord (la pièce étant commandée dix mois après l'avarie par les magasins de l'établissement de DCN à Toulon), d'un délai de quatre-vingt-cinq semaines pour les rechanges du pupitre de tir de 100 mm (la pièce étant restée sur les étagères des magasins de l'établissement de DCN à Toulon pendant soixante dix semaines) et d'un délai de vingt-trois semaines pour la réparation du séquenceur du missile Crotale. De tels délais sont inacceptables.

Lorsque sont en cause de menus rechanges, les personnels de bord sont exaspérés de ne pouvoir effectuer par eux mêmes certains achats de pièces à faible valeur dans le commerce civil. Au cours de la table ronde à bord de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, un Premier Maître responsable du secteur propulsion a fort justement mis en avant l'effet pervers d'une telle situation qui incite les personnels à formuler des commandes superfétatoires : ainsi, faute de livraison de joints coûtant 0,6 euro l'unité (4 francs), c'est un collecteur à injection complet de 305 euros (2 000 francs) qui est demandé.

L'autre conséquence est le prélèvement de pièces sur les navires indisponibles, pratique qualifiée de « cannibalisation ». Ainsi, la mission d'information a-t-elle appris qu'il devenait de plus en plus courant que certains bâtiments soient dépossédés de poignées de portes, d'ampoules, voire de leur table à cartes.

Certains membres d'équipage n'hésitent plus à effectuer par eux mêmes des achats, à l'image de cet officier marinier de la frégate Latouche-Tréville, qui a payé sur sa solde les roulements d'une pompe dont le prix avoisinait les 30,5 euros (200 francs) afin d'assurer un dépannage mineur du bateau. On observera néanmoins que la masse d'entretien, d'un montant avoisinant les 1 525 euros par semestre (10 000 francs), devrait, au prix de quelques aménagements réglementaires, permettre d'acheter des petits rechanges comme des embouts de matériel Kärcher.

Paradoxalement, pour des raisons de délais et de procédures, et non de compétences, il est préférable pour un navire de faire face à une petite avarie dans un port étranger ou européen : un flexible de la grue du chasseur de mines tripartite Verseau a ainsi pu être changé en quelques heures lors d'une escale au Royaume-Uni, ce qui aurait demandé au moins quatre semaines dans l'hypothèse où le bateau serait rentré à Brest.

B. DES CONSÉQUENCES PRÉOCCUPANTES

Le soutien des matériels de la Marine conditionne leur disponibilité. Une dégradation sensible de la maintenance peut remettre en cause la capacité de la flotte à répondre à des impératifs d'engagement et de projection qui, en cas de crise, peuvent être extrêmement contraignants.

En outre, bien qu'il soit souvent ignoré, l'impact de la qualité de l'entretien des navires sur le moral des personnels n'en est pas moins déterminant.

1. Une disponibilité des navires à peine suffisante

La maintenance des bâtiments de la Marine détermine le volume des forces opérationnelles au moins autant que les acquisitions nouvelles. Si elle influence directement la navigabilité des bateaux, elle conditionne également la qualification opérationnelle des équipages, laquelle exige un nombre minimum de jours d'entraînement en conditions réelles.

Le premier indicateur de l'aptitude des bâtiments au déploiement est leur taux de disponibilité ; il se situe actuellement aux alentours de 65 % alors qu'il devrait atteindre les 80 %. A titre de comparaison, le taux moyen de disponibilité opérationnelle de la flotte en 1990 avoisinait les 66,12 %, ce chiffre répondant à des critères beaucoup plus rigoureux puisqu'il portait sur un volume de 121 navires et reflétait des exigences plus strictes, les bâtiments étant aujourd'hui considérés comme disponibles même si certains équipements majeurs non indispensables pour la mission à effectuer ne le sont pas.

Selon les informations apportées par le Sous-chef d'Etat major « opérations-logistique » de la Marine, 32 bâtiments naviguent actuellement en permanence à la mer, 12 étant hors de leur port de base. Au cours de l'année 2000, les navires de la Marine ont passé en moyenne 120 jours en dehors de leur port base.

S'agissant des sous-marins, la permanence des patrouilles de SNLE est assurée à raison d'un taux de présence à la mer avoisinant les 1,5 bâtiments ; en d'autres termes, la FOST est constamment en mesure d'aligner si nécessaire deux unités à la mer, conformément aux objectifs qui lui sont assignés. En ce qui concerne les SNA, le taux de présence à la mer des unités est plus proche de 3 voire de 2,5 que de l'objectif de 3,5 ; dans certaines circonstances exceptionnelles, le nombre de bâtiments déployables est même inférieur.

Ces chiffres traduisent un niveau d'activité opérationnelle relativement faible pour une flotte de combat de 76 unités. Au demeurant, ils doivent être considérés avec prudence, le fait qu'un bâtiment navigue ne signifiant pas nécessairement qu'il soit au maximum de son potentiel de combat.

A cet égard, la mission d'information a pu constater que, dans la nécessité de réaliser des économies, les commandants de bâtiments étaient conduit à effectuer des choix entre les équipements devant être révisés et ceux susceptibles d'attendre ; il a été mis en exergue que les systèmes mécaniques étaient souvent privilégiés par rapport aux systèmes d'armes ou aux radars, dont certains ne sont pourtant plus de toute première jeunesse. Autrement dit, l'aptitude au combat des navires sortant de révisions ou de réparations n'est pas toujours optimale, de sorte que la disponibilité opérationnelle des unités à la mer s'en trouve affectée (même si ce phénomène n'est pas visible).

Un autre indicateur du caractère opérationnel de la flotte est le nombre de jours passés à la mer par les équipages : 85 jours de sortie en mer par an en moyenne4 pour les personnels navigants des SNA et des SNLE (contre un objectif de 110 jours de mer annuels) ; 92 jours par an par bâtiment pour la flotte de surface (alors que l'objectif visé se situe à 100 jours).

Les autorités organiques rencontrées par la mission d'information ont souligné que les niveaux d'activité actuels de la flotte étaient des seuils en deçà desquels l'entraînement des équipages ne serait plus optimal. Le personnel embarqué s'est également fait le relais de cette observation.

Au total, il semble bien que la disponibilité opérationnelle des navires et de leurs équipages soit à peine suffisante. Si la réduction du format de la flotte n'y est pas étrangère, la dégradation sensible des conditions d'entretien des bateaux est elle-aussi en cause.

2. Un moral des équipages affecté

Les personnels en service sur un bâtiment de la Marine accomplissent, entre autres missions, l'entretien quotidien du matériel dont ils ont la responsabilité. Cette maintenance est certainement la moins reconnue : elle est même difficile à appréhender, ses effets n'étant pas véritablement quantifiables.

A ce sujet, le Comité des prix de revient des fabrications d'armement reconnaît, dans le rapport dont il a été fait état précédemment, que les équipages « contribuent à l'entretien des navires pour une part jugée significative, mais qui ne peut être rigoureusement chiffrée, faute de définition comptable acceptable »5.

La participation des personnels à l'entretien des matériels de la Marine, pour essentielle qu'elle soit, est néanmoins devenue plus fastidieuse. D'une part, la réduction des effectifs des équipages, dans les sous-marins comme dans les bâtiments de surface, a conduit à accroître corrélativement la charge de la maintenance assurée par chacun. D'autre part, les personnels embarqués assument de plus en plus le rôle de cadres intermédiaires du maître d'_uvre en surveillant et en orientant le travail des équipes d'ouvriers chargées d'intervenir sur les bateaux. Certains commandants doivent même effectuer sans cesse des démarches auprès des responsables de chantier pour obtenir la venue de personnels d'exécution ; et ce, en plus de l'exercice de leurs responsabilités normales.

Une exaspération, née du sentiment que les marins supportent des charges indues, a été manifestée par la quasi totalité des membres d'équipages que la mission d'information a rencontrés. A titre illustratif, on évoquera l'exemple pris par un officier de la frégate antiaérienne Cassard : celui-ci a expliqué que dix membres d'équipage travaillaient, pour compenser l'impréparation des travaux, dans les compartiments de propulsion lors de l'IPER en cours, ce qui représentait 780 heures en supplément de leur charge quotidienne pour six mois d'IPER. Il a ajouté que ce travail s'apparentait parfois à celui de pures et simples tâches de nettoyage, ce qui n'était ni valorisant, ni motivant pour des marins.

Au demeurant, certaines IPER de bâtiments sont délocalisées, soit faute d'infrastructures suffisamment dimensionnées (comme c'est le cas pour les SNA à Toulon), soit pour des raisons de plan de charge de DCN (le pétrolier-ravitailleur Meuse a ainsi passé quatre mois à Brest dans ce cadre) ; dans ces cas, la séparation familiale est souvent mal vécue par les personnels embarqués.

A cela s'ajoute l'impatience de reprendre la mer, beaucoup de jeunes recrues n'ayant pas hésité à déclarer que pour elles le métier du bord s'était principalement résumé à la coordination des travaux au cours de l'indisponibilité pour entretien de leur bâtiment. Que dire alors des commandants, pour qui l'exercice d'une responsabilité opérationnelle pendant deux ans s'avère être une opportunité de plus en plus rare, compte tenu du désarmement de nombreux navires.

On observera enfin que les personnels embarqués, lorsqu'ils remplissent leur mission, vivent pendant une assez longue période sur leur bâtiment de rattachement. La qualité de l'entretien de ce dernier détermine donc directement leurs conditions de vie à bord. De ce fait, un défaut de maintenance peut avoir des conséquences fâcheuses pour le moral des marins.

La mission d'information se demande si tous ces éléments conjugués ne sont pas susceptibles d'entretenir une ambiance de travail assez peu propice à la fidélisation des recrues. A l'aune d'une nouvelle phase de la professionnalisation des armées, ce point mérite de retenir une attention toute particulière.

II. - LA CONVERGENCE DE RAISONS STRUCTURELLES ET ORGANISATIONNELLES

Au fur et à mesure de ses auditions, la mission d'information a acquis la conviction que la situation actuelle de l'entretien des navires de la Marine est le résultat de plusieurs phénomènes ou processus qui se conjuguent et se cumulent. En l'espace de dix ans, le cadre du MCO a profondément évolué : progressivement, les fonctions de maître d'ouvrage (c'est à dire de donneur d'ordres) et de maître d'_uvre (l'exécutant des travaux) ont été dissociées alors qu'auparavant elles étaient assumées par la même entité : la direction des constructions navales.

Plus que le principe, dont personne ne conteste aujourd'hui l'intérêt, ce sont les modalités de cette réforme qui ont abouti aux conséquences décrites plus haut. En effet, la réorganisation constante de l'activité industrielle de DCN et la mise en place pas tout à fait achevée d'une contractualisation avec le service de soutien de la flotte perturbent les conditions de réalisation de l'entretien. Certes, la période de transition actuelle devrait finir par déboucher, du moins en théorie, sur des améliorations sensibles. On observera néanmoins que la normalisation prévisible du processus de contractualisation ne permettra pas malgré tout de surmonter un certain nombre de handicaps structurels, comme la contrainte d'un budget constant malgré des équipements plus chers en maintenance et un cadre juridique inadapté.

A. LE DIFFICILE APPRENTISSAGE DE LA CONTRACTUALISATION DE L'ENTRETIEN

La contractualisation des opérations de réparation des bâtiments de la Marine est la conséquence logique de la séparation organique des fonctions de maître d'ouvrage et de maître d'_uvre. Elle est supposée permettre une bonne planification des travaux, et par conséquent des économies ; la mission d'information a pu cependant constater que le mécanisme est défaillant.

Aux termes d'un protocole convenu entre le service de soutien de la flotte et DCN, le devis initial doit être soumis au maître d'ouvrage dix-huit mois avant le début des travaux ; un premier contrat (dit contrat « A 0 ») doit intervenir douze mois avant l'opération afin de lancer les approvisionnements de longue échéance. Dans les faits, le délai moyen entre la formulation de la demande de prix initial et le début des travaux est de douze mois, alors que le délai entre le contrat A 0 et le début des travaux s'établit à un peu plus de trois mois. Bien souvent, le contrat fixant la nature des réparations est conclu juste au début des opérations de maintenance, parfois même après.

Les raisons de ces difficultés à tenir les objectifs sont multiples : les normes du Code des marchés publics ne favorisent ni les ajustements parfois nécessaires, ni les négociations ; DCN et le service de soutien de la flotte manquent de personnels qualifiés dans le domaine des achats ; la Marine ne joue pas toujours le jeu de la contractualisation.

1. Le Code des marchés publics : un cadre juridique pas véritablement adapté

L'application rigoureuse du Code des marchés publics est souvent source de blocages pour le maître d'ouvrage et pour le maître d'_uvre.

Le premier problème qui découle des prescriptions du Code des marchés publics concerne les délais de passation et d'exécution des marchés, souvent incompatibles avec l'exigence de réactivité inhérente à la maintenance des matériels : au dessus d'un seuil de 45 735 euros (300 000 francs), un marché de travaux ou de fournitures fait l'objet d'un appel d'offres ouvert ou restreint dont le délai de forclusion varie entre trente-six jours dans le premier cas, et vingt et un dans le second.

Ces délais sont parfois plus longs, puisque le maître d'_uvre doit lui aussi respecter ces procédures pour sous-traiter certaines opérations. Les seules marges de man_uvre réglementaires dont DCN bénéficie alors sont le passage d'un marché global de sous-traitance ou le passage d'un marché spécifique dans la limite d'un forfait, démarches qui résument tout le problème de la contractualisation pour l'industriel public.

Jusqu'à présent, la procédure des achats sur facture permettait au service de soutien de la flotte de pallier un certain nombre de situations difficiles, s'agissant de l'approvisionnement en rechanges notamment. En effet, le délai moyen d'un approvisionnement de DCN est de deux mois ; les achats sur facture demandent quant à eux quatre semaines. Cette procédure ne s'appliquait néanmoins que dans la limite d'une enveloppe d'un montant annuel présumé, toutes taxes comprises, de 45 735 euros (300 000 francs). Il semblerait à cet égard que les adaptations de la réglementation, qui résultent du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 portant Code des marchés publics, ne soient pas satisfaisantes. Les marchés sans formalités préalables, incluant les achats sur factures, bénéficieront certes d'un seuil de 90 000 euros hors taxes mais celui-ci englobera la valeur de l'ensemble des pièces alors que le seuil antérieur s'appréciait par fournisseur. Les responsables du service de soutien de la flotte ont indiqué qu'une bonne anticipation des contrats leur permettrait de surmonter les handicaps réglementaires ; la mission d'information considère que cela ne sera pas tâche aisée.

Le décret n° 2001-726 du 31 juillet 2001, relatif aux procédures de passation de certains marchés du service à compétence nationale DCN, permet de corriger en partie ces difficultés. En effet, aux termes de ce texte, DCN pourra désormais passer des marchés négociés sans mise en concurrence préalable (donc plus rapidement) ainsi que des marchés-cadres (donnant une certaine lisibilité aux fournisseurs). L'industriel étatique pourra, de même, sélectionner ses fournisseurs en fonction de leur qualité et verser des acomptes à chaque franchissement d'étapes techniques définies dans les marchés.

On observera cependant que les assouplissements des procédures concernent essentiellement les marchés complémentaires, les marchés de reconduction ou les marchés qui ne peuvent qu'être confiés à un prestataire déterminé pour des raisons techniques ou d'exclusivité.

Les dispositions du Code des marchés publics ont un autre effet pénalisant pour l'entretien de la flotte, dans la mesure où les formalités de mise en concurrence et d'appel d'offres s'appliquent également aux réparations de navires basés dans les Départements et Territoires d'Outre mer, où le chantier naval local est bien souvent seul à pouvoir répondre aux besoins de la Marine.

On citera à cet égard le cas du patrouilleur La Capricieuse, confronté dans les Antilles à des problèmes de coque pour lesquels il a fallu lancer un appel d'offre européen et perdre quatre mois en procédures alors que, dès l'origine, il était évident que le chantier local était le seul intéressé par ce marché de tôlerie. Il convient également de mentionner l'exemple du chantier naval de Madagascar, seul à même d'effectuer les réparations de bâtiments navigant près de La Réunion et de Mayotte.

La mission d'information ne conteste pas la nécessité d'un cadre juridique rigoureux s'appliquant aux marchés passés par l'Etat ou ses administrations, de manière à permettre un bon contrôle de la dépense publique. Elle observe néanmoins que si elles s'avèrent susceptibles d'accroître la réactivité de DCN dans l'entretien des matériels de la Marine, les dispositions du décret n° 2001-726 du 31 juillet 2001 sont malgré tout insuffisantes.

2. Un service de soutien de la flotte qui se familiarise progressivement avec son rôle de maître d'ouvrage

Les problèmes rencontrés à l'occasion de la contractualisation des travaux d'entretien sont partiellement imputables au maître d'ouvrage, le service de soutien de la flotte. Ce dernier, de création récente, a été mis en place progressivement dans les ports de Toulon puis de Brest. Compte tenu de ses besoins en effectifs pour faire face à l'ampleur de la tâche et aussi de la variation des exigences de la Marine, le service de soutien de la flotte s'est familiarisé sur le tas avec les contraintes inhérentes à la contractualisation.

a) Des difficultés liées à la mise en place des structures d'un service créé très récemment

Créé par le décret n° 2000-585 du 28 juin 2000, le service de soutien de la flotte est placé sous les ordres directs du Chef d'Etat-major de la Marine. Il assure la maîtrise d'ouvrage des activités garantissant la disponibilité technique de la flotte, puisqu'aux termes du premier alinéa de l'article 4 du décret susmentionné, il « définit et fait exécuter la maintenance » du matériel naval, et des munitions en service6.

Constitué d'une direction centrale à Paris et de directions locales dans les ports de Brest et de Toulon, ses effectifs s'élevaient au 1er juillet à quelque 720 personnes (pour un effectif autorisé de 770), dont 70 à Paris, 350 à Toulon et 300 à Brest (antennes de Cherbourg et Lorient incluses). S'agissant de leur niveau de compétence, on dénombre : 90 cadres issus de la DGA dont 6 ingénieurs de l'armement, et une centaine issus de la Marine, 250 officiers mariniers et 200 personnels à statut ouvrier ou fonctionnaires de niveau 3.

La mise en place du service de soutien de la flotte visait, notamment, à remédier aux redondances identifiées dans l'organisation antérieure, qui partageait la responsabilité du maintien en condition des bâtiments entre différentes autorités de la Marine et de la DGA. Elle était, d'autre part, destinée à assurer une contractualisation efficace avec les maîtres d'_uvre des travaux.

Ce service doit également piloter la totalité de la maintenance, qu'elle soit effectuée par les éléments de force maritime, les ateliers militaires de la flotte, les bâtiments de soutien, ou l'industrie étatique (DCN) ou de droit privé. Il a également pour mission d'assurer le soutien logistique du matériel naval et des munitions, depuis l'approvisionnement et la réparation des équipements jusqu'au ravitaillement des formations.

Du fait de son caractère récent, la constitution du service de soutien de la flotte ne peut pas déjà produire pleinement ses effets. Dans son vingt-troisième rapport d'ensemble adopté le 29 mars 2001, le Comité des prix de revient des fabrications d'armement regrette à cet égard que « toutes les fonctions et les moyens nécessaires ne lui ont pas encore été transférés ; par conséquent, pour rationnelle que soit cette réforme, on ne peut en attendre des résultats significatifs dans l'immédiat »7.

La mission d'information aboutit au même constat. Pour preuve, les directeurs du service à Toulon et à Brest ont souligné que les effectifs de spécialistes des achats étaient insuffisants : à titre d'exemple, on ne dénombrait qu'un seul préparateur de contrats pour la gestion de quelque 52 unités à Brest, l'arrivée d'un second cadre compétent le 1er juillet devant permettre de traiter les contrats en souffrance.

De surcroît, en plus de la mise en place des structures, les personnels du service de soutien de la flotte ont tout juste eu le temps de se familiariser avec leur fonction. Ceci explique sans doute certains des retards constatés dans la contractualisation A 0. La mission d'information est convaincue que ces ajustements sont transitoires, sous réserve que le principe de mobilité des personnels (notamment ceux issus de la Marine) ne soit pas appliqué avec une rigueur trop grande ; il convient en effet d'éviter un phénomène de turn over qui aurait pour conséquence de priver le service d'une compétence et d'une capacité d'expertise indispensables.

b) Les impératifs parfois contradictoires de la Marine

L'exercice de la responsabilité de maître d'ouvrage par le service de soutien de la flotte semble être également affectée par la décision de la Marine de reporter certaines opérations d'entretien initialement prévues, en raison d'impératifs opérationnels mais aussi parfois techniques.

A titre d'exemple, l'IPER de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, programmée en septembre 2000, a été reportée au dernier moment de huit mois avec une révision à la baisse des prestations ; alors que le bateau est arrivé à Brest le 2 mai 2001, le contrat d'IPER a été signé un mois plus tard, en raison d'une insuffisance de préparation imputable au maître d'ouvrage. Les travaux ont ainsi commencé le 30 juin dernier. Il en a été de même pour le pétrolier-ravitailleur Meuse, dont les réparations ont été reportées de septembre 2000 à janvier 2001, date à laquelle le plan de charge de l'établissement de DCN à Brest avait évolué, les personnels étant ainsi moins disponibles. Ces reports ont nécessairement des répercussions sur les délais d'acquisition des rechanges, puisque DCN ne peut suffisamment anticiper sans avoir reçu les acomptes correspondants.

Il arrive en outre que le maître d'ouvrage, sur instruction de la Marine, demande à DCN de réaliser des travaux parfois peu conformes au regard des besoins, quitte à prévoir au fur et à mesure des avenants pour des prestations supplémentaires. Ainsi, la réparation à Toulon de la grue du TCD Ouragan, dont la Marine a décidé de prolonger la durée de vie au-delà de 30 ans, s'est-elle révélée délicate : la structure du bâtiment était plus atteinte que prévue. Comme cela était prévisible, les délais du Code des marchés publics ont empêché l'établissement de DCN de passer rapidement un avenant au contrat initial pour effectuer les réparations nécessaires.

En outre, les directeurs des établissements de DCN à Brest et Toulon ont souligné que, faute de crédits, la Marine s'adresse parfois au maître d'_uvre en dernier ressort, après avoir fait intervenir le bord et les ateliers militaires de la flotte ; la commande de rechanges n'ayant pas alors été anticipée, l'application des délais prévus par le Code des marchés publics oblige les bâtiments à rester à quai plus longtemps.

Dans de telles conditions, il est clair que la contractualisation ne peut fonctionner de manière optimum. Le service de soutien de la flotte ne peut reprocher à DCN de ne pas contractualiser les travaux de MCO suffisamment à l'avance si lui-même, du fait des aléas souvent inévitables de la planification de certaines réparations de bateaux par la Marine, reporte plusieurs échéanciers initialement prévus.

3. Les pesanteurs afférentes aux achats du maître d'_uvre DCN

L'ancienne direction des constructions navales a été transformée en service à compétence nationale « DCN » par le décret n° 2000-326 du 12 avril 20008. Ce statut maintenant le compte de commerce, DCN a conservé son régime d'administration (avec tous les contrôles et toutes les procédures qu'il implique), tout en réalisant son activité selon des exigences semblables à celles des industriels de droit commun.

A l'évidence, les contraintes administratives pénalisent DCN dans l'exercice de son activité. Ainsi, à titre de comparaison, les Chantiers de l'Atlantique, après avoir choisi un fournisseur et négocié les prix, mettent une semaine à dix jours pour conclure un contrat de sous-traitance alors même que ce délai est porté à seize semaines pour DCN, en raison notamment des contrôles successifs de la Commission spécialisée des marchés, du Contrôle général des Armées et du Contrôle financier. La création d'un Contrôle financier déconcentré a encore accentué ces pesanteurs.

De surcroît, l'application des dispositions du Code des marchés publics ne favorise pas la réactivité, qui est primordiale en matière d'entretien de la flotte. A cet égard, l'extrait qui suit, tiré du document de travail interne sur l'évolution de DCN en date du printemps 20019, est très explicite. On y lit notamment : « Les procédures du code des marchés publics sont lourdes et inadaptées à un fonctionnement d'entreprise [...].

Le principe d'égalité de traitement des fournisseurs de l'Etat, qui vise à les protéger, ne permet pas de s'adapter rapidement aux demandes fréquentes de modifications des clients de DCN, aux aléas liés aux opérations de réparation, ni d'obtenir les meilleurs prix et performances au moment de la constitution de l'offre de DCN au client, puisque le fournisseur pressenti n'est pas sûr d'être choisi en cas de succès de l'offre DCN. »

Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant que les marins se plaignent de manière systématique des délais d'intervention ou d'approvisionnement en nouveaux rechanges.

La situation semble devoir perdurer au moins dix-huit mois, le temps que la transformation de DCN en société d'Etat, annoncée par le Gouvernement le 6 juillet dernier, entre en vigueur. Le directeur de DCN, M. Jean-Marie Poimboeuf, a estimé que le nouveau Code des marchés publics pose des problèmes insurmontables de réactivité pour l'entretien de la flotte. A l'appui de sa démonstration, il a expliqué que récemment la procédure d'urgence pour les travaux de réparation sur les hélices du porte-avions Charles de Gaulle avait mis du temps à être acceptée, empêchant ainsi la conclusion rapide d'un marché d'urgence pour effectuer l'opération le plus vite possible.

Les établissements de Brest et de Toulon réalisent actuellement 30 000 actes d'achats publics chaque année ; bien souvent, l'interprétation plus rigide des dispositions du Code des marchés publics par les organismes de contrôle inhibe toute prise de responsabilité par les personnels. Dans l'hypothèse d'une transformation du statut de DCN, l'entreprise ne conclura plus que 200 marchés publics avec le service de soutien de la flotte, les 29 800 autres opérations constituant alors des actes de sous-traitance de droit privé, ce qui facilitera la réactivité du maître d'_uvre dans le domaine du MCO.

Reste que DCN doit améliorer sa capacité de contractualisation, même s'il est compréhensible que, dans une logique de pure maîtrise d'_uvre, le processus d'approvisionnement en rechanges ne soit pas engagé sans versements d'acomptes de la Marine et, à plus forte raison, avant la signature du contrat A 0. La réalisation des plates-formes de forage SFX pour le compte de la société Schlumberger confère tout de même une certaine expérience à l'établissement de Brest en matière de contractualisation ; mais en tout état de cause, un recrutement de personnels spécialisés dans les achats s'impose à brève échéance.

B. UNE ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE ET INDUSTRIELLE NON MAÎTRISÉE

L'entretien de la flotte dépend de contraintes industrielles, qui résultent de l'efficacité de l'opérateur en charge de la maintenance, et de contraintes technologiques, liées aux caractéristiques des équipements des navires.

Les adaptations internes de l'ancienne direction des constructions navales ainsi que la complexité croissante des systèmes d'armes des bâtiments de la Marine ont ainsi des répercussions très concrètes sur la manière dont l'entretien peut et doit être réalisé. Dans le premier cas, des restructurations en profondeur ont été conduites avec une rapidité et une ampleur telles que la cohérence de l'outil industriel s'en est trouvée affectée. Quant au niveau technologique des équipements des navires, il a connu un saut qualitatif considérable qui s'est doublé d'une accélération de leur vieillissement, notamment en raison de la place grandissante des composants informatiques.

1. La réforme continue de la direction des constructions navales depuis dix ans

Depuis 1991, la direction des constructions navales, à l'image de tout le secteur industriel français de la défense, a été engagée sur la voie d'une transformation très importante. Les réformes, effectuées par touches successives, en ont considérablement modifié le format industriel et humain.

Toutes ces restructurations ont eu une influence très significative sur le moral de personnels, dont aujourd'hui encore les marins reconnaissent la qualité. Elles ont également eu de grandes incidences sur les compétences de DCN, avec pour corollaire un recours accru à la sous-traitance.

a) Une mutation de très grande ampleur

Les restructurations de l'ancienne direction des constructions navales n'ont pas cessé depuis dix ans :

- en 1991, création de DCN International, société détenue à 100 % par l'Etat, pour commercialiser les produits de la direction des constructions navales à l'exportation ;

- en 1992, distinction des tâches à caractère régalien (centres d'expertises et équipes de maîtrise d'ouvrage) des travaux à caractère industriel réalisés par le service industriel et le service technique de la direction des constructions navales ;

- au début de 1997, séparation des activités étatiques (transférées au service des programmes navals et à la direction des centres d'études de la DGA) et industrielles (seules attributions restantes de la direction des constructions navales) ;

- en mai 1999, mise en _uvre d'un plan d'entreprise se fondant sur une démarche comptable d'entreprise, une spécialisation en trois branches d'activité, une contractualisation des relations avec le service des programmes navals et une maîtrise des coûts ;

- en avril 2000, transformation de la direction des constructions navales en service à compétence nationale DCN.

Depuis 1991, l'activité de DCN a diminué de 40 %. Face à cette évolution du plan de charge, les effectifs ont été réduits à due proportion, c'est-à-dire de 40 %.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DE DCN (PAR SITES)

 

Année

DCN

Siège

Cherbourg

Brest

Lorient

Toulon

Indret

Ruelle

Papeete

Ingenierie

1993

23 225

-

4 318

6 224

3 305

4 703

1 939

1 496

400

840

1995

21 839

-

4 039

5 823

3 005

4 345

1 534

1 373

366

1 354

1996

20 860

-

3 950

5 595

2 786

4 057

1 484

1 312

332

1 344

1997

19 478

400

3 648

4 980

2 515

3 777

1 384

1 193

284

1 297

1998

17 599

400

3 363

4 581

2 307

3 240

1 255

1 018

270

1 165

1999

16 410

400

3 160

4 270

2 150

2 920

1 200

920

260

1 130

2000

15 267

352

2 905

3 931

2 065

2 716

1 154

860

260

1 024

Source : DCN.

 

A l'horizon 2002, 13 500 personnes travailleront pour DCN, soit près de 9 500 de moins qu'en 1993. Une partie de ces emplois est aujourd'hui affectée dans d'autres administrations ou services de l'Etat.

b) Des conséquences dommageables sur le niveau des compétences et l'encadrement

La réduction des effectifs de DCN a principalement été organisée par mesures d'âge, fondées, de 1998 à l'année 2000, sur le départ en retraite anticipé à 52 ans des personnels volontaires, mesures dont les effets pénalisants ont été en particulier :

- de fragiliser les compétences dans certains métiers stratégiques ; DCN manque cruellement de soudeurs (à titre d'exemple, un seul est capable d'analyser la gammagraphie sur le site de Toulon), de spécialistes de la décontamination, ou d'appareilleurs ;

- d'inverser la pyramide des âges des personnels ouvriers ; la tranche des personnels de 40-50 ans est majoritaire, de sorte que DCN devra absolument recruter dans un proche avenir ;

- de démotiver les personnels qui n'ont pu bénéficier de ces mesures tout en restant en poste au sein de DCN.

Ces effets se sont trouvés accentués par la fermeture des centres de formation des ouvriers, mesure prise il y a quelques années et dont les conséquences jouent à plein aujourd'hui.

Pour pallier les manques d'effectifs ou de compétences, DCN est amené à sous-traiter de nombreuses activités ; à titre d'exemple, un Major, adjoint à l'officier chargé de la prévention, du SNA Casabianca a souligné qu'en 1990, la direction des constructions navales avait réalisé 90 % de l'IPER du Saphir et que s'agissant du Casabianca, DCN n'assurait directement que 15 % des travaux, le reste étant sous-traité, ce qui manifestait une certaine perte de compétence.

Or, c'est bien dans les opérations de sous-traitance que se situent les principaux problèmes, étant donné que l'attachement des sous-traitants aux bâtiments de la Marine est, de l'aveu de beaucoup d'équipages, moins fort que celui des équipes de DCN. En fait, il semblerait que la présence des cadres intermédiaires de DCN sur les chantiers fasse cruellement défaut. Selon les directions des établissements de Toulon et de Brest ainsi que les représentants des fédérations syndicales de DCN, les chefs d'équipes sont trop accaparés par leurs tâches administratives.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a également convenu que les ressources humaines en encadrement de haut niveau sont insuffisantes, ce qui induit des problèmes dans la préparation des opérations d'entretien et leur conduite sur les chantiers. Alors que les effectifs de l'industrie aéronautique (dont la technicité de l'activité peut être comparée à celle d'un constructeur de sous-marins) se répartissent, selon les chiffres rendus publics par le GIFAS lors du dernier salon du Bourget, entre 29 % d'ingénieurs et de cadres, 33 % de techniciens, 27 % d'ouvriers et 11 % de personnel administratif, DCN recourt à 10 % d'ingénieurs et de cadres, 30 % de techniciens, 9 % de personnel administratif et 51 % d'ouvriers.

Le sous-encadrement de DCN était une réalité avant même la création du service de soutien de la flotte. A cet égard, la séparation des activités étatiques et industrielles de la direction des constructions navales en 1996-1997 a joué un rôle bien plus déstabilisant, notamment parce qu'elle ne s'est pas accompagnée d'un renouvellement des cadres partis au sein de la DGA.

Au total, DCN est frappé d'un réel problème de motivation de ses personnels, doublé d'un manque d'encadrement évident aux niveaux supérieur et intermédiaire. Le MCO attire moins les vocations que la construction neuve ; une revalorisation semble nécessaire : elle passe bien sûr par des recrutements, mais également par des investissements.

En l'occurrence, la mission d'information observe avec intérêt le plan de rénovation engagé sur le site de Brest pour un investissement de 76,2 millions d'euros (500 millions de francs) : en contrepartie de la fermeture des installations de Penfeld, le secteur de Laminon sera réindustrialisé ; le bassin de construction n° 9 est désormais équipé d'un portique d'une capacité de 400 tonnes ; le bassin n° 8 est lui aussi en cours de rénovation pour accueillir les IPER des SNLE de nouvelle génération. Il serait néanmoins tout aussi justifié de moderniser les grues des ports de Toulon et Brest, outils indispensables dont la plus grande partie n'est pas fonctionnelle.

2. L'accélération du phénomène d'obsolescence des équipements

Les matériels navals ont considérablement évolué grâce à l'apport des technologies avancées, que ce soit dans le domaine de la propulsion avec l'adoption notamment des réacteurs nucléaires pour les sous-marins et le porte-avions Charles de Gaulle, ou que ce soit dans le domaine de la gestion informatisée des systèmes d'armes dont sont dotés aussi bien le groupe aéronaval que les frégates.

Ces équipements coûteux sont d'un entretien délicat, en raison notamment de l'évolution accélérée des technologies. Certains membres d'équipage n'ont pas caché à la mission d'information que des composants de systèmes d'armes ou de radars en service sur des navires supposés avoir une bonne espérance de vie opérationnelle n'étaient actuellement plus fabriqués. Dans certains cas, l'étalement des programmes est tel que les bâtiments de fin de série ne possèdent pas tout à fait le même équipement que ceux du début de la série.

Un commandant de navire rencontré par la mission d'information a observé qu'aucun fournisseur industriel, y compris dans le secteur automobile, ne s'engage à fournir des pièces au-delà de dix ans.

Cette situation emporte deux conséquences :

- d'une part, une banalisation de la cannibalisation des pièces de systèmes installés sur les sister ship immobilisés pour cause d'entretien ;

- d'autre part, une utilisation à l'économie de certains équipements sophistiqués, en totale contradiction avec le potentiel pour lequel ils ont été acquis.

L'accélération de l'obsolescence de certains composants de systèmes d'armes ne signifie pas que les moyens de combat des navires de la flotte soient inefficaces. Elle implique néanmoins de réfléchir sur la notion de rechanges, celle-ci devant désormais s'apprécier dans la durée.

Ce problème est important, notamment au regard de la tendance à la généralisation des matériels sophistiqués et de l'automatisation des bâtiments, au détriment de leur simplicité d'entretien.

C. UNE TOILE DE FOND BUDGÉTAIRE QUI N'EST PAS SANS INCIDENCE

Les crédits d'entretien inscrits au titre V du budget de la Marine recouvrent les besoins de la flotte de surface, des forces nucléaires et de l'aéronautique navale, tant pour les travaux de l'entretien programmé majeur ou intermédiaire, que pour les réparations résultant d'avaries ou encore les rechanges, qu'ils impliquent ou non certaines modifications.

Le calendrier des opérations programmables est le compromis de différentes exigences. La principale demeure le maintien des capacités opérationnelles, mais comptent également le plan de charge de DCN et les disponibilités budgétaires. A la lumière des faits, ce dernier point n'est pas le moins préoccupant.

1. L'apparence de dotations budgétaires acceptables

La priorité donnée à la poursuite des programmes dédiés aux grands équipements a eu pour effet de contraindre certains autres postes de dépenses. Il en est ainsi des infrastructures et du soutien des forces, d'autant que la revue des programmes décidée le 8 avril 1998 a fixé un prélèvement de l'ordre de 5 % sur l'entretien programmé des matériels.

Le total des crédits de MCO consacrés à l'entretien de la flotte avoisine les 533,5 millions d'euros (3,5 milliards de francs), 50 % de ce montant étant affectés à l'entretien des 11 bâtiments de la Marine à propulsion nucléaire et le reste aux 65 autres unités de combat.

a) La flotte et les munitions

Les crédits alloués à l'entretien de la flotte classique font l'objet d'évolutions disparates selon que l'on considère le titre III (qui finance les rechanges courants, les charges logistiques de stockage, l'entretien des services militaires à terre, le maintien en condition opérationnelle des armes d'infanterie et l'entretien courant des munitions) ou le titre V (qui lui finance l'entretien programmé majeur et intermédiaire des SNA, l'entretien programmé majeur et l'entretien programmé non majeur des bâtiments de surface, les dépenses liées à l'approvisionnement et à la réparation des rechanges ainsi que certaines modifications réalisées sur les équipements). Le tableau suivant illustre les variations budgétaires successives observées au cours de la période 1998-2001 pour l'entretien programmé.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT
AFFECTÉS À L'ENTRETIEN PROGRAMMÉ
DE LA FLOTTE (HORS FOST) ET DES MUNITIONS

 

Loi de finances initiale (1)

Évolution en %

 

1998

1999

2000

2001

99/98

2000/99

2000/2001

Titre III

112,4

90,4

77,6

64

- 19,5

- 14,2

- 17,5

Titre V

288,8

372,9

481,3

404,9

+ 29,1

+ 29

- 15,9

TOTAL

401,2

463,3

558,9

468,9

+ 15,5

+ 20,6

- 16,1

(1) En millions d'euros.
Source : Ministère de la Défense.

A l'exception de l'exercice en cours, les dotations budgétaires pour l'entretien programmé de la flotte ont globalement progressé, cette tendance étant plus particulièrement due à l'évolution du titre V. Cette observation pourrait paraître satisfaisante, mais il n'en est rien car l'accroissement des crédits traduit, en l'occurrence, davantage le renchérissement du coût relatif de l'entretien des bâtiments qu'un investissement effectif dans les meilleures techniques d'entretien.

Deux raisons expliquent cette évolution : d'une part, les navires sont de plus en plus sophistiqués, ce qui se répercute sur la technicité de leurs composants et donc le coût de leurs rechanges ; d'autre part, l'organisation même de la maintenance a été génératrice de surcoûts. En revanche, ainsi que l'illustre le tableau suivant pour l'ensemble de la flotte, le tonnage des bâtiments à entretenir a sensiblement diminué depuis 1995, permettant de concentrer les crédits sur un plus petit nombre de bâtiments.

ÉVOLUTION DU TONNAGE APPROXIMATIF TOTAL DE LA FLOTTE (BÂTIMENTS DE PLUS DE 100 TONNES Y COMPRIS SOUS-MARINS)
ET DES CRÉDITS D'ENTRETIEN

Années

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Tonnage

470 250

470 250

470 250

469 550

415 129

410 958

383 341

354 500

Crédits (1)

533,57

487,84

411,61

426,86

335,39

396,37

396,36

320,14

(1) Crédits de paiement en millions d'euros.

La diminution, dans la loi de finances pour 2001, des abondements du titre V destinés à l'entretien de la flotte ne marque malheureusement pas véritablement une amélioration en ce domaine. Pour ce qui concerne la flotte de surface (hors munitions), les crédits de paiement s'inscrivent en baisse de 6,5 % et les autorisations de programme de 22,9 % en volume. On observera que la situation des paiements est néanmoins acceptable, dès lors que des achats prévus pour DCN, en 2000, n'ont pu être effectués en raison de difficultés conjoncturelles, notamment sur le site de Toulon. Les crédits ainsi non utilisés de ce fait seront réemployés en 2001.

Autant dire que l'entretien de la flotte classique, alors même qu'il est fondamental pour garantir l'efficacité des bâtiments, est fortement contraint.

b) La force océanique stratégique

Quatre SNLE composent aujourd'hui la force océanique stratégique (FOST), conformément à la loi de programmation militaire 1997-2002. Deux d'entre eux, l'Indomptable et l'Inflexible, sont des sous-marins du type Le Redoutable, admis au service respectivement en 1976 et 1985. Les deux autres appartiennent à la nouvelle génération (SNLE-NG) : Le Triomphant a été admis au service actif le 21 mars 1997, tandis que Le Téméraire a rejoint la FOST à l'automne 1999.

Par la suite, et compte tenu des ajustements prévus par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008, le calendrier du passage de relais entre l'ancienne et la nouvelle génération est ainsi bâti :

- fin 2003-mi 2004 : retrait de l'Indomptable et admission au service actif du Vigilant, 3ème SNLE-NG ;

- 2008-2010 : retrait de l'Inflexible et admission au service actif du Terrible, 4ème SNLE-NG.

Pilier de notre dissuasion nucléaire, la FOST, dont la maintenance obéit à une nomenclature budgétaire quelque peu différente de celle de la flotte classique puisqu'elle est intégralement inscrite au titre V, ne bénéficie pas pour autant d'un traitement budgétaire beaucoup plus favorable pour l'entretien des bâtiments qui la composent. Le tableau ci-après en fournit une illustration claire : les crédits dévolus à l'entretien programmé des SNLE et de leurs munitions y sont décrits comme subissant une diminution significative depuis 1999, sans toutefois atteindre le niveau plancher observé lors de la revue des programmes en 1998.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT AFFECTÉS À L'ENTRETIEN PROGRAMMÉ DE LA FLOTTE OCÉANIQUE STRATÉGIQUE (FOST)

 

Loi de finances initiale (1)

Évolution en %

 

1998

1999

2000

2001

99/98

2000/99

2000/2001

Titre V

181,1

223,6

197,7

191,3

+ 23,5

- 11,6

- 3,2

(1) En millions d'euros.
Source : Ministère de la Défense.

Les dispositions de la loi de finances initiale pour 2001 ont permis plusieurs opérations d'entretien, notamment pour les SNLE l'Inflexible et le Téméraire. On observera néanmoins que les ressources doivent également couvrir le financement de travaux relevant du Commissariat à l'Energie Atomique (entretien des c_urs de réacteurs, radioprotection, traitement des effluents).

Sur l'exercice en cours, les crédits d'entretien des forces nucléaires ont baissé en francs constants de 16,1 % en autorisations de programme et de 4 % en crédits de paiement. Toutefois, les moyens dévolus à l'entretien demeureront à peu près stables étant donné qu'une grande partie des diminutions résulte d'un transfert interne au titre V dont l'effet est de soustraire du domaine budgétaire de l'entretien programmé des matériels certaines des dépenses relatives à des contrats de maintien en condition d'installations portuaires.

La mission d'information souligne néanmoins qu'il est nécessaire de maintenir en permanence un niveau conséquent de crédits d'entretien programmé, ne serait-ce que pour faire face à la survenance éventuelle d'avaries importantes.

2. Le constat d'une contrainte budgétaire réelle

Les autorités organiques de la Marine, tout en soulignant l'existence d'une contrainte budgétaire, n'y voient pas le c_ur des problèmes d'entretien de la flotte. La mission d'information aboutit aux mêmes conclusions, même si elle relève une certaine contradiction à maintenir, voire diminuer, le niveau actuel de l'enveloppe des crédits de MCO alors que les matériels intègrent des technologies de plus en plus poussées et sont ainsi plus coûteux à l'entretien.

La tension budgétaire se manifeste par le fait que la Marine est de plus en plus amenée à reporter certaines révisions, imposant par là même aux commandants de définir des priorités pour leurs bâtiments, lorsqu'elle ne repousse pas purement et simplement les échéances des indisponibilités pour entretien et/ou réparation. Or, compte tenu des contraintes inhérentes à la mise aux normes de certains navires, des motifs d'inquiétude se font jour pour l'avenir.

a) Des reports de réparations faute de crédits

Personne ne conteste qu'il soit possible, et même souhaitable, de réaliser des économies lors des opérations d'entretien des bâtiments de la Marine. Cependant, il ne faut pas pour autant ériger cet objectif en ultima ratio, au détriment de la navigabilité des bateaux voire de la sécurité des équipages. A cet égard, l'encadré figurant ci-après, qui explique le processus de négociation de l'IPER du SNLE Le Triomphant, constitue une bonne illustration des enjeux du cadre nouveau de l'entretien.

De nombreux interlocuteurs de la mission d'information ont insisté sur la tendance récente aux reports de révisions, faute visiblement de crédits disponibles. Ainsi, le directeur de l'établissement de DCN à Brest a souligné que les négociations entre maître d'ouvrage et maître d'_uvre étaient à ce point serrées que certaines IPER restaient bloquées ou étaient reportées pour une divergence de coût comprise entre 152 450 et 304 900 euros (1 et 2 millions de francs).

Les personnels de bord, ont également insisté sur cette chasse aux coûts. Un Lieutenant de Vaisseau du SNLE de nouvelle génération Le Téméraire a ainsi estimé que, lorsque le coût des travaux suggérés par le bord se révélait élevé, le service de soutien de la flotte décidait de ne pas y donner suite.

De telles décisions peuvent avoir des répercussions importantes. On citera pour seuls exemples les reports de passage en bassin des chasseurs de mines tripartite qui pourraient poser des problèmes à l'avenir, s'agissant de la fiabilité des appareils à gouverner et la décision de ne réparer qu'en 2003 l'un des ballasts rouillés de la frégate antiaérienne Cassard, faute d'argent, qui constitue un véritable pari en matière de sécurité, la rouille pouvant toujours causer une voie d'eau menaçant le navire.

De surcroît, le report d'investissements en entretien préventif se répercute bien souvent par une majoration du coût de l'entretien correctif, doublée d'une absence de maîtrise des échéances : à titre d'illustration, après que la révision du moteur du chasseur de mines tripartite Verseau eut été repoussée de 6 000 à 8 000 heures de fonctionnement, une panne est intervenue aux alentours des 7 700 heures, immobilisant le navire plus de sept mois.

LES NÉGOCIATIONS ENTRE DCN ET LE SERVICE DE SOUTIEN DE LA FLOTTE SUR L'IPER DU SNLE LE TRIOMPHANT :

Comment respecter une enveloppe de 152,4 millions d'euros (1 milliard de francs) quand le maître d'_uvre réclame 221 millions d'euros (1 450 millions de francs) ?

Le devis d'une IPER nominale consistant à vérifier et à renouveler si nécessaire l'ensemble des composants du SNLE Le Triomphant avoisinerait 274,4 millions d'euros (1 800 millions de francs), soit à peu près autant que ce que la Royal Navy a décidé d'allouer à l'IPER du SNLE Vanguard.

Les propositions initiales de DCN s'élevaient à 221 millions d'euros (1 450 millions de francs) alors que le SSF avait pour mandat de cantonner le coût de l'opération à 152,4 millions d'euros (1 000 millions de francs). DCN souhaitait prendre à sa charge certains aléas industriels, ce qui expliquait une partie de l'écart avec l'estimation du maître d'ouvrage.

L'autorité organique a précisé que toutes les opérations nécessaires ayant trait à la sécurité seront effectuées. Les négociations ont porté sur la tranche opérationnelle des travaux. A titre d'exemple, la décision a été prise de vérifier seulement l'une des deux usines de production d'oxygène fonctionnant sur le bateau au motif que ces installations sont redondantes et qu'une seule permet d'assurer le renouvellement de l'oxygène en plongée. La mission d'information a été saisie, à titre officieux et non confirmé, d'éléments plus inquiétants s'agissant du non démontage des câbles extérieurs à la coque épaisse dont l'expérience montre qu'ils s'usent rapidement.

Se posent donc deux questions :

· Tout d'abord, l'enveloppe prévue par la Marine suffira-t-elle à couvrir les aléas découverts au fur et à mesure des travaux ? L'établissement de DCN à Brest met en avant que, au cours de l'année 2000, le SNLE Le Triomphant a bénéficié d'indisponibilités allégées pour un montant de 305 000 euros (2 millions de francs) alors qu'était initialement prévue une IE de 3,8 millions d'euros (25 millions de francs). L'autorité organique rétorque que le bateau est en très bon état et n'a pas subi une usure conséquente. On ne peut écarter néanmoins l'éventualité d'une majoration des coûts au moment des travaux en raison d'interventions supplémentaires, qui faute d'avoir été suffisamment anticipées pourront donner lieu à des retards d'approvisionnement en rechanges.

· En second lieu, les choix réalisés en matière de révision ne risquent-ils pas de se répercuter sur la disponibilité opérationnelle du bâtiment ? En tout état de cause, l'impératif de ne pas interrompre la mission perd de sa force lorsque la redondance de certains équipements n'est plus assurée. Cependant, la révision complète d'une des deux unités redondantes relativise fortement le risque de panne impromptue (qui de toute manière est toujours possible).

Le manque de crédits ne pénalise pas seulement l'entretien des bateaux : depuis janvier 2001, DCN assure la maintenance des installations de l'Ile Longue à Brest alors même que les contrats prévus à cet effet n'ont toujours pas été signés. Qu'arriverait-il si l'industriel ne prenait pas cette charge à son compte, s'agissant d'installations sensibles ?

La bonne utilisation des dotations budgétaires consacrées à l'entretien suppose indéniablement que le maître d'ouvrage soit plus regardant sur le contenu physique des réparations. Les équipages doivent se faire à ce changement de mentalité, ce qui n'est pas toujours facile étant donné que les bâtiments constituent également leur cadre de vie. La Marine ne doit pas pour autant faire de la recherche d'économies le principe cardinal de la contractualisation des réparations. La démarche n'est pas facile ; la mission d'information en convient d'autant plus facilement que le niveau des dotations budgétaires constitue manifestement une contrainte réelle.

b) Les hypothèques du maintien en condition opérationnelle

Il y a tout lieu de s'interroger sur le volume des crédits de la Marine qui sont consacrés au MCO, étant donné que la maintenance des navires est de plus en plus conditionnée par le paramètre technologique et les normes environnementales.

En effet, d'importantes contraintes techniques, liées à la complexité de plus en plus poussée des navires, sont prévisibles à terme. On se contentera de mentionner à cet égard l'exemple du système de combat du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, dont le coût d'entretien annuel par DCN s'élève à 30,5 millions d'euros (200 millions de francs), soit le tiers du coût d'une IPER de SNA.

Par ailleurs, certaines contraintes environnementales engendreront également des coûts d'adaptation supplémentaires. C'est le cas notamment :

- des opérations de désamiantage (dont le coût a été évalué par le Chef du bureau de soutien des navires et des formations à terre de l'Etat-major de la Marine à 150 millions d'euros, soit 1 milliard de francs) ;

- de la remise en état des circuits de fréons des bâtiments (plusieurs dizaines de millions d'euros, soit quelques centaines de millions de francs) ;

- ou encore de la mise en conformité des navires avec la convention Marpol qui interdit le rejet des « eaux noires » (quelques millions d'euros ou plusieurs millions de francs).

En conséquence, à ressources constantes le niveau actuel des crédits du MCO est vraisemblablement insuffisant pour faire face à ces charges nouvelles, sauf à ce que les gains de productivité escomptés par la réorganisation de l'entretien et de DCN soient au rendez-vous.

III. - LES VOIES DE RETOUR À UN ENTRETIEN DE LA FLOTTE CONVENABLE

Le ministère de la Défense n'est pas resté inactif devant le constat des problèmes d'entretien de la flotte. A cet égard, la mise en place de structures chargées de superviser et de gérer les opérations de maintenance lourde des équipements de la Marine répond à un besoin incontestable. La professionnalisation en cours d'achèvement, ainsi que les transformations de DCN ont rendu ces réformes nécessaires. Néanmoins, des résultats tangibles ne peuvent pas être attendus avant plusieurs mois, voire un an.

Par ailleurs, les mesures déjà engagées par le Gouvernement méritent d'être prolongées. Il convient en effet d'accompagner les acquis obtenus tant au niveau de l'organisation de la maintenance qu'à celui des procédures en vigueur. C'est dans cette optique que la mission d'information suggère quelques pistes de réformes tout à la fois concrètes et ambitieuses.

A. DES AMÉLIORATIONS ATTENDUES GRÂCE AUX ACTIONS EN COURS

L'abattement perceptible des personnels embarqués appelle des réponses. Des réformes ont été entreprises depuis l'année passée, mais leur traduction dans les faits tarde à se faire sentir. On ne saurait pour autant contester que des améliorations rapides sont attendues dans deux domaines : la gestion des rechanges d'une part, la réactivité du maître d'_uvre de l'autre.

Dans le premier cas, le transfert de responsabilité au service de soutien de la flotte a commencé au mois de juin ; ses effets ne seront sans doute pas perçus par les équipages avant la fin de l'année 2002. Quant à la réforme du statut de DCN, celle-ci devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2003. L'année 2002 restera donc une période délicate, au cours de laquelle les équipages devront s'accommoder d'une situation transitoire.

1. Vers une meilleure gestion des rechanges aux effets perceptibles d'ici 2002-2003

La maintenance repose sur la gestion de deux stocks de rechanges : un stock militaire, dont une partie est affectée directement aux bateaux, et un stock industriel. Les stocks de rechanges de bord posent moins problème puisque les pièces sont référencées et que la grande majorité correspond à des besoins réels. La mission d'information s'interroge néanmoins sur l'existence d'un volume de pièces apparemment inutiles. Quant aux stocks industriels, ils ne sont manifestement pas suivis avec suffisamment de rigueur.

Une bonne gestion des rechanges d'entretien courant et majeur suppose une bonne connaissance de l'état du bâtiment et des consommations, un magasinage efficace ainsi qu'une délivrance suffisamment réactive à la demande des navires.

Jusqu'à présent, les pièces de rechanges étaient commandées, stockées, répertoriées et délivrées par DCN. Outre les difficultés d'approvisionnement liées aux dispositions du Code des marchés publics dont il a été fait état précédemment, l'organisation de l'industriel était défaillante pour trois raisons :

- l'émiettement des bases de données sur l'état des commandes et des livraisons par rapport aux pièces manquantes, les systèmes BDARFS (retraçant la situation des stocks à Toulon) et MAGELLAN (son équivalent à Brest) étant cloisonnés ;

- l'absence de rationalisation du fonctionnement des magasins, à Brest surtout où l'on dénombre 64 entrepôts, dont les personnels étaient insuffisamment nombreux (suite aux départs volontaires à 52 ans) et peu motivés ;

- la faible mise à jour des stocks en raison d'un problème d'effectifs, de nombreuses pièces étant obsolètes et ne pouvant être éliminées, pour les plus onéreuses d'entre elles, qu'au terme d'une procédure de préemption du ministère de la Défense qui est complexe et lente10.

Devant ce constat, il a été décidé que le maître d'ouvrage, relayé par le Commissariat de la Marine, reprendrait en mains cette activité.

La responsabilité de la gestion proprement dite des stocks de rechanges réparables est en cours de transfert au service de soutien de la flotte, avec pour échéance 2002-2003. Le magasinage et la délivrance des stocks, quant à eux, vont être progressivement confiés au Commissariat de la Marine : le processus a commencé en juin à Toulon (site où se situent la grande majorité des rechanges de la flotte de surface, c'est-à-dire 260 000 références différentes selon la classification OTAN, pour une valeur de 900 millions d'euros soit 5,9 milliards de francs) et en septembre à Brest (où quelque 158 000 sortes de pièces référencées d'une valeur de 700 millions d'euros, soit 4,6 milliards de francs, sont concernées)11 ; il devrait se terminer en août 2003 à Toulon et en 2004 à Brest.

Le service de soutien de la flotte, afin de pallier l'émiettement des banques de données, assurera la gestion des rechanges grâce à un nouveau système d'information, le système SIGLE, qui intégrera l'ensemble des éléments concernant les opérations d'entretien de tous les bâtiments ; à l'horizon 2002-2003, les bateaux pourront ainsi informer les ports d'attache de leurs avaries, des demandes de réparations et d'expertise ; ils pourront également renouveler leurs rechanges en temps réel à quai.

Parallèlement, la Marine a demandé à être pourvue de 446 postes budgétaires pour permettre au service de soutien de la flotte de recruter les effectifs nécessaires à la gestion des rechanges. Il est en effet indispensable de doter le Commissariat de la Marine et le service de soutien de la flotte en magasiniers et aussi en cadres (notamment des acheteurs spécialistes du Code des marchés publics). DCN semble disposé à permettre le transfert de ses magasiniers, mais pas celui de ses cadres spécialisés dans les achats. Le service de soutien de la flotte devrait donc, faute de pouvoir proposer des rémunérations suffisamment concurrentielles, éprouver quelques difficultés à satisfaire ses propres besoins.

En attendant l'issue de ce processus de transfert, d'ici 2004-2005, DCN conserve un rôle essentiel : la gestion des magasins non transférés ainsi que les approvisionnements, à titre transitoire.

Les responsables du service de soutien de la flotte estiment que les effets bénéfiques de la nouvelle organisation des rechanges se feront sentir à partir de 2002. On observera tout de même que le service de soutien de la flotte, tout comme DCN l'était avant lui, devra se conformer aux règles du Code des marchés publics. Il lui faudra donc faire preuve d'une réelle capacité d'anticipation des besoins pour donner pleinement satisfaction aux équipages.

2. L'accroissement de la réactivité du maître d'_uvre de référence grâce au changement de statut de DCN

Le 6 juillet dernier, les Ministres de la Défense et de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ont annoncé dans un communiqué commun l'intention du Gouvernement de transformer DCN en société d'Etat de plein exercice à partir de 2003. Conférant la personnalité juridique au principal maître d'_uvre des opérations de MCO, cette réforme aura d'importantes répercussions.

La société d'Etat disposera d'un capital social, sera propriétaire d'un fonds de commerce et observera les voies d'exécution du droit commun (astreintes, injonctions de payer, saisies), offrant par là des garanties solides aux clients, fournisseurs et partenaires. Elle pourra également augmenter ses fonds propres.

Par ailleurs, le statut de société d'Etat exonérera DCN de l'application des règles du Code des marchés publics pour la passation de contrats, qu'ils concernent la sous-traitance ou des approvisionnements divers, avec des personnes morales de droit privé ou d'autres sociétés à capitaux publics : il en résultera une réactivité accrue, puisque le Code des marchés publics ne s'appliquera plus qu'aux contrats signés avec l'Etat ou ses établissements publics. DCN disposera de davantage d'autonomie et de marges de man_uvre, ce qui placera l'industriel public dans une position plus conforme à celle de ses concurrents.

Enfin, DCN pourra ajuster ses ressources humaines à ses besoins, ce que la fixation de ses effectifs aux niveaux interministériel et ministériel empêchait jusqu'alors. Dans ce contexte, il appartiendra à DCN de recruter des personnels d'exécution qualifiés (soudeurs, grutiers, etc.) ainsi que des cadres intermédiaires et supérieurs. Il est prévisible que le desserrement des contraintes administratives facilitera l'affectation des chefs d'équipes en priorité sur les chantiers.

Certes, beaucoup dépendra du contrat pluriannuel qui sera conclu entre l'Etat et la future société. C'est en effet ce document qui définira le niveau des investissements de l'actionnaire unique (engagement financier nécessaire pour une modernisation de l'outil industriel) et les embauches que la direction sera en mesure de réaliser (cette mesure étant indispensable au maintien et au développement des compétences). La mission d'information souhaite que l'activité de MCO soit prise en compte dans ce contrat pluriannuel au même titre que la construction neuve, l'ingénierie et les systèmes de combat, de manière à ce que DCN dispose d'une lisibilité suffisante pour en assumer la charge de façon réactive et satisfaisante pour la Marine. En contrepartie, cet engagement de l'Etat devra être accompagné par des garanties de l'industriel en matière de gains de productivité.

Cependant, il apparaît clairement que la Marine, principale intéressée à l'évolution du statut de DCN, y trouvera beaucoup d'avantages. Comme le soulignait le communiqué des Ministres de la Défense et de l'Economie, des Finances et de l'Industrie : « Le statut de DCN, service administratif du ministère de la Défense, ne lui permet pas de disposer de conditions de réactivité et de gestion industrielle comparables à celles de ses concurrents étrangers, ni d'exploiter toute son excellence technologique au bénéfice de la Marine nationale. » Réalisant 30 % de son chiffre d'affaires dans le MCO, DCN ne pourra s'abstenir de donner satisfaction à la Marine, sous peine de se voir privée de parts de marchés dont la séparation de la maîtrise d'ouvrage avec la maîtrise d'_uvre implique qu'elles ne seront pas nécessairement immuables.

La direction de DCN est bien consciente de cet enjeu ; M. Jean-Marie Poimboeuf a effectivement déclaré aux membres de la mission d'information que, comme ses concurrents à l'exportation (BAe Systems notamment), DCN se doit de conserver et développer sa compétence en matière de MCO afin de rester compétitif et attractif sur le marché de la construction navale.

B. DES RÉFORMES À APPROFONDIR : LA NÉCESSITÉ D'ALLER PLUS LOIN

Les initiatives gouvernementales vont assurément dans le bon sens. Elles ne semblent pas pour autant suffisantes, notamment dans la perspective de la période transitoire qui s'ouvre actuellement. Or, le moment est propice à une réflexion plus profonde sur le MCO de la flotte, notamment parce que :

- les équipages comprennent qu'une époque est révolue ; ils accepteront des réformes si celles-ci leur apparaissent clairement de nature à améliorer l'entretien de leurs bâtiments ;

- le principal maître d'_uvre du MCO, DCN, négocie les conditions d'accompagnement de son évolution statutaire, ce qui donne à l'Etat l'opportunité de fixer un certain nombre d'orientations et d'exigences ;

- la réforme de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances par la proposition de loi organique du Rapporteur général de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, impose aux administrations une logique de financements par objectifs, ouvrant la voie, en ce qui concerne les équipements des armées, à un raisonnement en termes de coûts de possession et non plus de coûts d'acquisition.

Sur la base de ce constat, la mission d'information se propose d'apporter sa contribution à un débat qu'elle appelle de ses v_ux.

1. Clarifier les rôles respectifs de DCN et des ateliers militaires de la flotte

Trois types d'intervenants entretiennent les navires de la Marine : le personnel embarqué, les ateliers militaires de la flotte et les industriels (DCN dans la plupart des cas).

Les ateliers militaires de la flotte ont été créés en 1945. Aux termes du décret n° 52-1020 du 1er septembre 1952, ces ateliers ont pour mission de « mettre à la disposition directe du commandement des moyens industriels autonomes, afin d'assurer, en toute priorité et dans les meilleures conditions de rapidité, l'entretien des bâtiments disponibles au matériel et le maintien de leur disponibilité. »

Le commandant de la base navale est leur autorité organique ; leur donneur d'ordres est le service de soutien de la flotte. Leurs effectifs s'élèvent à quelque 400 personnes à Toulon et à 300 personnels militaires et civils à Brest.

Les ateliers militaires de la flotte disposent essentiellement de compétences techniques dans les domaines de la productique, des systèmes mécaniques, électriques et métalliques ainsi que dans les structures composites. A titre d'exemple, alors que l'établissement de DCN à Brest emploie 8 spécialistes des moteurs diesel, les ateliers militaires de la flotte recourent quant à eux à 29 spécialistes du même type. La situation n'est pas différente à Toulon, où la flotte de surface est plus importante encore.

Théoriquement, les ateliers militaires de la flotte et DCN ne réalisent pas les mêmes interventions ; dans les faits néanmoins, les chevauchements sont de plus en plus fréquents :

- lors des périodes pour entretien intermédiaire (PEI), ce sont les équipages et les ateliers militaires de la flotte qui effectuent les réparations, sauf lorsque sont concernés des systèmes d'armes pour lesquels les ateliers militaires de la flotte ne disposent pas des compétences requises ; les bâtiments doivent être en mesure d'appareiller dans les 72 heures ;

- lors des indisponibilités pour entretien intermédiaire (IEI), les ateliers militaires de la flotte sont amenés à intervenir de plus en plus souvent à la demande du service de soutien de la flotte ;

- lors des indisponibilités périodiques pour entretien et réparations (IPER), les ateliers militaires de la flotte ne sont pas supposés intervenir, mais dans les faits ils interviennent de plus en plus ; la Marine y trouve l'avantage de l'économie puisqu'elle paie déjà la main d'_uvre alors qu'en faisant appel à DCN elle doit financer le recours à des personnels d'exécution extérieurs.

Cette situation n'est pas satisfaisante. En effet, les ateliers militaires de la flotte ne disposent pas de prévisionnistes ni de bureaux d'études ou de moyens d'achats. D'autre part, ces ateliers ne sont pas dimensionnés pour assurer des réparations de grande envergure, notamment en raison de la diminution des effectifs ces dernières années : ainsi, la visite des moteurs principaux de la frégate de lutte anti-sous-marine La Motte Picquet a été effectuée par les personnels des ateliers militaires de la flotte de Toulon pour pallier les réticences de DCN, mais ceux-ci se sont trouvés en limite de leurs capacités à cette occasion.

Il est absolument indispensable de clarifier les rapports des ateliers militaires de la flotte et de DCN. Il n'est pas inconcevable de recourir davantage aux ateliers militaires de la flotte pour les opérations d'entretien mécanique majeures, lors des IEI et des IPER ; DCN pourrait recentrer ses compétences sur la tôlerie, les systèmes d'armes-équipements, les opérations de haute technicité à plus forte valeur ajoutée. En ce cas, le service de soutien de la flotte serait investi d'un rôle de supervision inhérent à sa qualité de maître d'ouvrage.

Dans une telle hypothèse, l'Etat doit permettre aux ateliers militaires de la flotte de recruter les personnels nécessaires et de moderniser leurs infrastructures et équipements : à Brest par exemple, l'implantation de l'atelier de mécanique-productique date de la seconde guerre mondiale ; 7,6 millions d'euros d'investissement (50 millions de francs) sont nécessaires pour en construire un nouveau. Déjà, au niveau des stocks de rechanges, le service de soutien de la flotte a accepté de doter les ateliers militaires de la flotte d'un stock d'atelier qui leur évitera de passer commande à DCN.

Si en revanche DCN souhaite conserver la maîtrise des réparations mécaniques lors des opérations d'entretien majeur, il lui faudra spécifier le recrutement d'un nombre significatif de mécaniciens spécialistes des moteurs et de techniciens, à l'occasion de la signature du contrat pluriannuel avec son futur actionnaire unique. En l'état actuel des choses, les carences de DCN créent une confusion qu'il convient de dissiper rapidement, dans l'intérêt de chacun.

2. Conformément au souhait de la Marine, renforcer la spécialisation des sites de maintenance en envisageant le transfert progressif des SNA à Brest à partir de 2006

Actuellement, les bases portuaires de la Marine font l'objet d'une relative spécialisation :

- guerre des mines et lutte anti-sous-marine ainsi que SNLE à Brest ;

- lutte au-dessus de la surface, SNA, systèmes de combat et informatique à Toulon.

La création des branches d'activité de DCN, conjuguée avec la mise en place du service de soutien de la flotte, dessine une réorganisation organique mais aussi géographique des structures de maintenance des matériels cohérente avec celle des installations de la Marine.

Deux pôles de maintenance intégrés devraient ainsi, à terme, émerger : l'un à Toulon, pour le groupe aéronaval et la flotte de surface de la région maritime Méditerranée ; l'autre à Brest, pour la flotte sous-marine (les sous-marins nucléaires d'attaque de nouvelle génération, de type Barracuda, devant être rattachés à cette base par souci de profiter des synergies d'entretien avec les bâtiments de la FOST) et de la flotte de surface de la région maritime Atlantique.

Se pose ainsi la question d'une remontée des SNA de type Rubis à Brest. Par ailleurs, le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle entrera en IPER en 2006 ; ce bâtiment étant doté de deux chaudières nucléaires identiques à celles qui équipent les sous-marins, il mobilisera à cette occasion une grande partie des infrastructures et des personnels de l'établissement de DCN à Toulon. Le chantier du port méditerranéen ne sera donc pas en mesure d'assumer une IPER de SNA en supplément. D'ores et déjà, le chantier naval de Brest effectue des IE de SNA.

Pour cette raison, l'Etat-major de la Marine serait favorable au transfert de l'escadrille des sous-marins nucléaires d'attaque (ESNA) à Brest. Il semble rationnel de se résoudre à cette solution, sous réserve qu'elle soit mise en _uvre de manière progressive : l'entretien courant pourrait être rapidement délégué à l'établissement de DCN à Brest, mais l'entretien majeur serait transféré de façon plus étalée.

Le rattachement de l'ESNA auprès de l'escadrille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (ENSLE) à Brest se justifierait aussi pour d'autre raisons :

- l'état-major des forces sous-marines a déjà été transféré de Paris à Brest ;

- le retour d'expérience tactique d'un bâtiment à l'autre serait facilité et le mécanisme d'alerte s'en trouverait optimisé ;

- des économies seraient également réalisées en termes d'infrastructures et d'entretien ;

Il faut néanmoins concevoir que, l'entretien des SNA représentant 30 à 40 % du plan de charge de l'établissement de DCN à Toulon, un tel transfert à Brest soulève des problèmes industriels et nécessite des compensations de charge pour le chantier méditerranéen (en y maintenant quelques IPER de SNA, effectuées sans équipage, après l'IPER du Charles de Gaulle) : le maintien d'une compétence à Toulon pour les IE, les indisponibilités pour avaries est absolument nécessaire, notamment parce que les SNA navigueront en Méditerranée et que l'on ne peut pas exclure l'impératif de réparer des avaries dans le port le plus proche. La Marine et DCN devront avoir le souci de maintenir le plan de charge de l'établissement de Toulon par le rattachement des bâtiments à leur port et leur entretien.

En ce qui concerne le site de Brest, une adaptation de la chaîne d'entretien par d'importants investissements, voire même une augmentation des effectifs de DCN, s'impose : ainsi, la direction de l'établissement envisage de requalifier le bassin n° 10 des SNLE-M4, ce qui suppose des travaux susceptibles de durer quatre à cinq ans.

Les équipages ne doivent pas être laissés dans l'expectative. Un transfert de l'ESNA vers Brest suppose au moins trois ans de préavis pour les personnels embarqués ; une décision du ministère de la Défense devra tenir compte de cette exigence.

En effet, en réponse à une lettre commune du Président et du Rapporteur de la mission d'information, le directeur du personnel militaire de la Marine, le Vice-amiral d'escadre Alain Béreau, soulignait dans un courrier daté du 25 juillet 2001 : « En ce qui concerne l'éventuel transfert des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) vers Brest, les projections font état, en cas de rattachement avec peu ou pas de préavis, d'un taux d'attrition de 40 % pour les personnels titulaires de qualifications supérieures. Une telle perte qualitative et quantitative se révélerait extrêmement préjudiciable, voire insupportable, tant pour ces unités que par rapport à l'investissement humain opéré par la Marine. Dès lors, il est indispensable de fidéliser les équipages grâce à un large délai de préparation et à l'attractivité de mesures d'accompagnement. »

Ces mesures doivent principalement consister en :

- la création d'une cellule d'accompagnement particularisée, chargée de traiter des cas individuels et familiaux lors du transfert de l'ESNA ;

- l'augmentation du parc de logements mis à la disposition de la Marine à Brest ;

- une prospection des possibilités de réinsertion professionnelle des conjoints sur le bassin d'emploi brestois.

3. Revoir la place et le rôle des équipages lors des opérations d'entretien majeur

Les personnels embarqués rencontrés par la mission d'information ont constamment insisté sur leur implication dans les révisions et réparations effectuées à l'occasion de l'entretien majeur des navires. Ils ont souligné, à juste titre, qu'ils vivent les IEI ou les IPER, autant qu'ils en suivent le déroulement.

Cette précision a son importance dans la mesure où les membres d'équipage observent les mêmes règles et astreintes sur leurs bâtiments qu'ils soient déployés ou à quai, pour cause d'entretien. Or, on conviendra sans peine que la vie à bord est beaucoup moins confortable en période de travaux : à plusieurs reprises les personnels ont fait référence à des conditions sanitaires rudimentaires, au désordre etc. La mission d'information estime pour sa part qu'il serait sans doute plus judicieux de permettre aux personnels qui restent affectés aux bâtiments en opérations d'entretien majeur de vivre à terre et rentrer chez eux le soir, une permanence pouvant être assurée la nuit à tour de rôle.

De manière plus générale, on est en droit de s'interroger sur la pertinence du maintien de la totalité ou de la grande majorité des équipages à bord lors des IEI ou des IPER. Cette question vaut surtout pour les navires de surface puisque pour les sous-marins, les choses sont quelque peu différentes : en IPER, seuls les spécialistes techniciens des deux équipages de chaque bâtiment suivent l'évolution des travaux, de sorte que les autres personnels peuvent s'entraîner pour maintenir à niveau leur qualification opérationnelle.

Les marins ne semblent pas prêts à ne plus être présents à bord lors de l'entretien majeur ; ils n'y paraissent pas favorables non plus. Beaucoup mettent en avant, pour justifier leur implication, le manque d'encadrement des équipes de chantier, carence qu'ils pallient de facto ; de même, les équipages doivent conserver la mémoire des travaux réalisés sur leurs navires ; enfin, il faut certainement prendre en considération le fait que les périodes d'entretien constituent, au retour des missions, un moment où les personnels peuvent se rapprocher de leurs familles.

Certains arguments militent néanmoins en faveur d'IPER ou d'IEI sans équipages. L'expérience de l'établissement de DCN à Brest montre que l'absence de personnels embarqués évite les interférences et permet au maître d'_uvre de livrer dans les délais : on citera à cet égard le carénage du porte-avions Foch (rebaptisé Sao Paulo) pour le compte de la Marine brésilienne (contrat signé deux mois avant le début des travaux) et la rénovation du premier des avisos vendus par la France à la République turque, opérations réalisées toutes deux sans équipage à bord avec un mois d'avance sur l'échéancier.

Certes, les opérations d'entretien majeur sans équipage à bord supposent deux conditions : d'une part, que les prestations de l'industriel soient efficaces et que leur qualité soit garantie, le cas échéant par la mise en cause de sa responsabilité financière ; d'autre part, qu'un droit d'accès permanent au navire soit accordé par le maître d'_uvre aux personnels embarqué lors des travaux. On peut en outre envisager qu'un noyau de l'équipage, constitué d'officier mariniers spécialisés, suive plus particulièrement les travaux, afin d'en conserver la mémoire.

Dans l'hypothèse où une telle organisation serait adoptée, il reviendrait à la direction du personnel militaire de la Marine d'optimiser la disponibilité des personnels qui ne seraient ainsi plus astreints à rester en permanence à bord. Outre l'octroi de davantage de temps libre, dans la perspective d'une harmonisation de la durée de travail avec celle des personnels civils du ministère de la Défense (récemment passée à 35 heures hebdomadaires) et parce qu'il est essentiel de tenir compte de la nécessité de laisser souffler les équipages qui ont navigué pendant trois ans (ne serait-ce que pour conforter une vie de famille particulièrement perturbée), les personnels pourraient consacrer davantage de temps à leur qualification opérationnelle.

Au final, les personnels embarqués n'auraient plus l'impression d'être immobilisés indéfiniment à quai, sentiment en contradiction avec un motif profond de leur engagement au service de la Marine et par là même inquiétant au regard de l'impératif de fidélisation des recrues.

En tout état de cause, la mission d'information estime que cette éventualité doit faire l'objet d'une expérimentation sur de petites unités avant que le principe de sa généralisation soit, par la suite, adopté.

4. Introduire plus de souplesse dans les procédures applicables lors de l'entretien

Les contraintes réglementaires en vigueur pénalisent l'entretien des matériels en ce qu'elles ne permettent pas les ajustements nécessaires pour une activité dont le contenu est par nature difficile à définir complètement à l'avance. Ainsi, les marchés doivent-ils être renégociés lorsque les aléas techniques s'avèrent avoir des répercussions sur leur montant ; de même, les personnels de bord ne peuvent pas commander par eux mêmes de menus rechanges.

Actuellement, une renégociation des contrats est obligatoire quand les aléas de maintenance majorent de plus de 10 % leur montant initial ; or, bien souvent le montant des aléas liés à l'entretien des équipements de la défense est supérieur à ce pourcentage. Pour cette raison, il eut été judicieux de permettre, dans le nouveau cadre réglementaire de la passation des marchés publics, la possibilité d'avenants dès lors que le montant des marchés initiaux de maintenance militaire est dépassé d'un pourcentage de moyenne importance, de l'ordre de 20 à 25 %. Une telle éventualité aurait eu des répercutions positives, mais elle n'a pas été retenue.

De même, il paraît utile, sinon nécessaire, d'assouplir les procédures de revente des pièces de rechange de la Marine qui sont inutilisables, de manière à faciliter la gestion et l'organisation des magasins. En effet, les rechanges de la flotte sont peu susceptibles d'intéresser l'ensemble des ministères et il y a lieu d'éviter les délais superflus qu'un procédé de préemption généralisé engendre ; en l'occurrence, seul le droit de préemption des services du ministère de la Défense se justifie.

S'agissant des achats de rechanges consommables de faible coût par les équipages, la Commission de la Défense réfléchit actuellement à l'introduction de dispositions législatives octroyant directement cette possibilité aux personnels embarqués. Il est en effet invraisemblable que les équipages en soient réduits à acquérir sur leurs propres deniers des rechanges de faible valeur pour assurer le caractère opérationnel de leurs bâtiments.

On rappellera néanmoins que les ateliers militaires de la flotte disposaient d'une délégation d'engagement de crédits à hauteur d'environ 1 000 euros (6 550 francs) qui émanait du directeur de DCN et qui permettait de réaliser de petits approvisionnements auprès des fournisseurs locaux. Ce système a été supprimé en raison de la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales. Il pourrait être rétabli par l'intermédiaire du service de soutien de la flotte, si les directeurs de ce dernier accordaient eux-aussi une délégation de signature aux commandants des ateliers militaires de la flotte. La mission d'information estime qu'une telle initiative permettrait déjà de pallier un certain nombre de problèmes de petits rechanges.

Cette dernière mesure est très concrète. Elle correspond à des aspirations fortes et favoriserait très certainement, si elle était rapidement mise en _uvre, un meilleur déroulement de la période transitoire en cours qui est liée au transfert de la gestion des rechanges et à la transformation du statut de DCN.

5. Intéresser l'industriel au respect des délais

Le problème des délais de réalisation des opérations d'entretien étant partiellement imputable au maître d'_uvre, il convient d'y remédier en introduisant un mécanisme financier de nature à le mobiliser sur cette question. Deux possibilités existent en la matière :

- l'intéressement par une majoration des prix en cas de respect des délais prévus, proposition qui a la faveur des responsables du service de soutien de la flotte ;

- l'adoption de pénalités de retard dans le contrat, mécanisme suggéré par les membres d'équipages.

L'idée d'une rémunération des résultats de l'industriel en fonction de la réalisation des objectifs qui lui étaient assignés s'inscrit tout à fait dans la logique de la relation entre maître d'ouvrage et maître d'_uvre, avec en toile de fond l'évolution de DCN en véritable entreprise.

En ce cas précis, le nouveau Code des marchés publics offre de réelles opportunités au service de soutien de la flotte. En effet, le second alinéa de l'article 16 précise : « Des clauses incitatives liées aux délais d'exécution, à la recherche d'une meilleure qualité des prestations et à la réduction des coûts de production peuvent être insérées dans les marchés. »

La mission d'information estime que cette solution pourrait être appliquée à court terme. Certes le contrat pluriannuel devant être signé entre DCN et l'Etat prévoira un engagement de l'industriel sur les coûts des opérations et le respect des délais ; néanmoins, il ne semble pas inutile d'accompagner cette démarche par des mécanismes financiers afin d'en assurer l'aboutissement concret.

A l'heure actuelle, le système des pénalités n'est pas le plus incitatif, le maître d'_uvre pouvant fort logiquement reporter le coût de délais non tenus sur la facturation de ses autres prestations. Au final, les navires ne seraient pas entretenus plus vite et la Marine paierait plus cher. Néanmoins, on ne saurait exclure d'y recourir de manière progressive, c'est-à-dire à mesure que la future société DCN maîtrisera totalement le mode de fonctionnement et de gestion d'une véritable entreprise, afin de responsabiliser l'industriel en fonction des résultats.

6. Adopter une logique de coûts de possession et ne plus raisonner en termes de coûts d'acquisition

L'entretien de la flotte n'est pas suffisamment valorisé au regard des investissements dans les matériels neufs. Pourtant, l'acquisition n'est qu'un aspect du coût de possession, bien plus pertinent pour apprécier et gérer le poids d'un investissement. A cet égard, la récente modification de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances par une proposition de loi organique qui a été adoptée en lecture définitive par le Parlement le 28 juin dernier, ouvre des perspectives intéressantes.

Aux termes de cette réforme, les crédits votés seront regroupés par ensemble de programmes destinés à mettre en _uvre une action ou un ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d'intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l'objet d'une évaluation. Autrement dit, à l'horizon de 2006, l'utilisation des crédits votés par le Parlement en loi de finances pourra être mieux évaluée en fonction de l'objet pour lequel ils ont été décidés. Or, s'agissant des matériels des armées, le MCO participe pleinement à l'objectif de leur emploi éventuel sur un théâtre mettant en jeu les intérêts supérieurs de la nation.

Par conséquent, l'adoption de la réforme de l'ordonnance organique n°59-2 offre l'opportunité de concevoir l'acquisition et l'entretien des équipements dans leur globalité. Le maintien en condition opérationnelle et l'achat de matériels neufs sont les deux faces d'un même objectif ; il faut donc les apprécier en raisonnant en termes de coûts de possession et non plus selon un logique de court terme dissociant les investissements neufs des crédits d'entretien.

Cette méthode est en vigueur dans les pays anglo-saxons. Elle suppose un changement important des mentalités :

- du point de vue de l'exploitant des équipements, à qui il revient d'analyser et de prévoir en amont le coût d'utilisation d'un programme sur la totalité de sa durée de vie ;

- du point de vue des constructeurs d'équipements, qui doivent intégrer l'exigence d'entretien dès la phase de conception des matériels.

Les services du ministère de la Défense commencent-ils à réfléchir à cette question ? Faute de communication en la matière, les membres de la Commission de la Défense souhaitent apporter leur éclairage sur le sujet.

La mission d'information a pris note de l'argument selon lequel, en application d'un raisonnement en termes de coûts de possession, les chiffres « auraient de quoi faire peur » ; en tout état de cause, la Marine, comme les autres armées, craint de faire les frais d'un affichage du coût réel de fonctionnement de son patrimoine. Elle a pourtant beaucoup à y gagner.

En effet, étant donné l'accélération du phénomène d'obsolescence d'équipements de plus en plus perfectionnés et informatisés, il semble par exemple nécessaire de revoir la politique de rechanges en prévoyant notamment, dès l'entrée en service des bâtiments, une provision budgétaire pour renouvellement des composants dont on sait qu'ils ne seront plus fabriqués à une échéance de dix-quinze ans.

De même, on peut légitimement se demander si les contraintes d'entretien sont suffisamment prises en compte dès la conception des bateaux. Ainsi, la réalisation par tranches du premier SNLE de nouvelle génération a conduit à des redondances fonctionnelles et financières. Que ce serait-il passé sans l'astuce du concepteur de la ligne d'arbres du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, qui a permis leur compatibilité avec les hélices de rechange des porte-avions Foch et Clémenceau ?

La séparation de DCN en branches a conduit à un relatif cloisonnement des bureaux d'études. Il appartient à l'industriel de rapprocher les équipes de manière à développer les synergies entre la construction de navires neufs et leur entretien dans la durée. Une telle démarche est absolument indispensable. De même, la mission d'information estime qu'un rapprochement de ce type est également nécessaire du côté étatique, entre le service des programmes navals et le service de soutien de la flotte : pourquoi ne pas favoriser, par exemple, la mobilité des personnels de la DGA et des officiers de programme de l'un à l'autre ?

La mission d'information ne mésestime pas les difficultés que ce bouleversement des référents budgétaires suppose. Elle constate néanmoins que l'application d'un tel raisonnement permettrait certainement de pallier certaines incohérences constatées dans l'entretien de la flotte, au premier rang desquelles la tendance accrue à la cannibalisation des bâtiments indisponibles.

CONCLUSION

En réponse à une question écrite du président de la mission d'information sur la politique suivie en matière d'entretien de la flotte12, le Ministre de la Défense, a fait valoir que : « Le maintien des conditions d'utilisation et d'entretien des bâtiments à un niveau optimal fait partie des préoccupations permanentes du ministère de la Défense. [...] Il est d'ores et déjà constaté que la maintenance des bâtiments s'améliore. [...] Les ressources consacrées par la Marine nationale au maintien en condition opérationnelle des bâtiments seront maintenues à un niveau constant, et aucune réduction de ces crédits liés à cette activité n'est envisagée. »

La mission d'information ne peut que se réjouir de l'intérêt que porte le ministère à la question de l'entretien des bâtiments de la Marine. Elle relève que certaines réformes importantes, au premier rang desquelles la création du service de soutien de la flotte, ont été mises en _uvre. Elle porte néanmoins un jugement sensiblement différent quant à l'amélioration de la qualité de la maintenance des navires, appréciation qu'elle a pu forger au contact des équipages de bateaux en réparation.

L'objectif d'amélioration des conditions d'entretien des équipements de la Marine reste une exigence forte dont la traduction doit aussi se ressentir pour les personnels. A cet égard, il ne paraît pas cohérent d'envisager un simple maintien du niveau des crédits de MCO étant donné le renchérissement prévisible de l'entretien d'équipements de plus en plus complexes sur le plan technologique.

D'ailleurs le problème n'est pas essentiellement budgétaire. Depuis 1993, l'ancienne direction des constructions navales a subi une profonde désorganisation du fait des réductions aveugles d'effectifs, à contraintes réglementaires inchangées, puisque le Code des marchés publics vient tout juste d'être adapté pour DCN. L'encadrement des équipes techniques a été démotivé en raison de l'absence de perspectives, d'autant que l'entretien de la flotte n'a pas toujours été considéré comme la partie noble des activités de l'industriel étatique. En résulte une insuffisante performance industrielle, dont la Marine ne peut pas s'accommoder compte tenu de la réduction de son format induite par la professionnalisation.

La synergie entre la Marine et l'industriel de référence du secteur, DCN, est pourtant plus que jamais essentielle. L'annonce du changement de statut de ce dernier devrait accroître sa capacité à maîtriser ses coûts et son plan de charge. Cependant, rien ne pourra se faire sans un repyramidage des effectifs ainsi que des embauches, le plus rapidement possible, dans les métiers qui font défaut au sein de DCN.

Reste au service de soutien de la flotte de faire la preuve de son efficacité. Pour cela, ses effectifs devront être justement dimensionnés avec un minimum de stabilité, en particulier pour les personnels militaires. S'il ne réussit pas à concilier des crédits contraints avec l'objectif d'amélioration des prestations industrielles, la Marine ne sera plus en mesure de remplir toutes ses missions traditionnelles.

En définitive, le cadre de l'entretien de la flotte est en pleine mutation : la Marine et DCN se trouvent tous deux confrontés à un changement de repères, de mentalités, d'exigences. Sous réserve que les propositions de la mission d'information reçoivent un écho favorable, la période de transition actuelle devrait aboutir à des résultats tangibles d'ici dix-huit mois. Les attentes des personnels et des équipages sont fortes ; il ne faut pas les décevoir.

GLOSSAIRE

ALFAN : commandant la force d'action navale ;

ALFOST : commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique ;

AMF : ateliers militaires de la flotte ;

DCN : service à compétence nationale DCN (ancienne direction des constructions navales) ;

DGA : Délégation générale pour l'armement ;

ESNA : escadrille des sous-marins nucléaires d'attaque (basée à Toulon) ;

ESNLE : escadrille des sous-marins nucléaires lanceur d'engins (basée à Brest) ;

FAN : force d'action navale ;

FOST : force océanique stratégique ;

IE : indisponibilité pour entretien ;

IEI : indisponibilité pour entretien intermédiaire ;

IPER : indisponibilité périodique pour entretien et réparations ;

MCO : maintien en condition opérationnelle ;

PEI : période d'entretien intermédiaire ;

SNA : sous-marin nucléaire d'attaque ;

SNLE : sous-marin nucléaire lanceur d'engins ;

SNLE-M4 : sous-marin nucléaire lanceur d'engins de la génération des missiles à tête nucléaire M 4 ;

SNLE-NG : sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération ;

SPN : service des programmes navals (service de la DGA) ;

SSF : service de soutien de la flotte.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 3 octobre 2001, la Commission de la Défense a procédé à l'examen du rapport de la mission d'information sur l'entretien de la flotte.

Après avoir rappelé la composition et le mode de travail de la mission d'information sur l'entretien de la flotte, le Président Paul Quilès s'est félicité qu'elle suggère des propositions concrètes, parfois issues des équipages et des personnels civils, afin d'améliorer l'efficacité et la qualité du maintien en condition opérationnelle des bâtiments de la Marine.

Intervenant à titre liminaire, M. Charles Cova, Président de la mission d'information, a souligné que l'entretien de la flotte focalisait beaucoup moins l'attention que l'évolution des investissements de la Marine dans des matériels nouveaux à technologie avancée, tel le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. Il a néanmoins estimé que, dès lors que l'on portait un intérêt aux acquisitions de bâtiments militaires neufs, il devait en aller de même de leur maintenance une fois que ces mêmes bâtiments sont entrés en service.

Il a observé que le maintien en condition opérationnelle (MCO) de la flotte inquiétait les personnels, rappelant notamment que le Président Paul Quilès, d'autres députés et lui-même avaient été personnellement saisis de témoignages de marins destinés à attirer leur attention sur les modalités de la prochaine période d'entretien majeur du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de nouvelle génération Le Triomphant. Pour cette raison, il s'est félicité que la Commission de la Défense ait décidé, le 16 mai 2001, de créer une mission d'information consacrée à l'entretien des bâtiments de la Marine.

M. Charles Cova a indiqué que cette mission d'information avait travaillé rapidement, de manière à présenter ses conclusions au moment de l'examen du projet de loi de finances pour l'année 2002 et, hasard du calendrier, alors que le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008 était désormais formalisé. Il a considéré que la réflexion de cette mission était de nature à éclairer la Commission sur les problèmes posés par l'entretien des matériels de la Marine. Il a à ce propos observé que ces problèmes étaient en partie d'ordre budgétaire même s'ils ne pouvaient pas être réduits à leur seule dimension financière.

Il a précisé que les membres de la mission d'information avaient effectué deux déplacements : l'un à Toulon, les 5 et 6 juillet, et l'autre à Brest, les 10 et 11 juillet. Il a indiqué qu'à cette occasion, ils s'étaient entretenus avec des personnels de tous grades servant sur des bâtiments aussi divers que le pétrolier-ravitailleur Somme, la frégate antiaérienne Cassard, le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Casabianca, le SNLE de nouvelle génération Le Téméraire, le chasseur de mines tripartite Verseau, la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, ou encore le remorqueur Rari. Il a ajouté que les membres de la mission d'information avaient également pu mesurer que la situation actuelle était insatisfaisante, en raison notamment de délais de réparations non tenus, de défauts de qualité, ou de manque de rechanges.

M. Charles Cova a fait valoir que la mission d'information ne s'était pas contentée de dresser un constat, mais qu'elle avait aussi cherché à comprendre la situation actuelle. Il a ainsi indiqué qu'elle avait auditionné de nombreux représentants des différentes parties concernées : le directeur de DCN, ainsi que le directeur de la branche MCO de ce même industriel puis les directeurs des établissements de Toulon et Brest ; le Sous-chef d'état-major « opérations-logistique » de la Marine ainsi que les autorités organiques de la force d'action navale (ALFAN) et de la force océanique stratégique (ALFOST) ; le directeur central du service de soutien de la flotte (SSF) ainsi que son directeur adjoint et les directeurs des antennes de Toulon et Brest. Il a mentionné que les représentants des fédérations syndicales de DCN avaient également été entendus.

Le président de la mission d'information a estimé qu'avec le recul, la dégradation du MCO semblait être le résultat de processus cumulatifs, à savoir : les difficultés du service de soutien de la flotte (SSF), maître d'ouvrage créé il y a à peine 15 mois, et des industriels maîtres d'_uvre, DCN notamment, à se familiariser avec le mécanisme de contractualisation des opérations de réparation ; l'application de règles inadaptées, issues du Code des marchés publics ; la continuelle restructuration de l'industriel de référence, DCN, qui s'en est trouvé complètement désorganisé ; une contrainte budgétaire bien réelle.

Observant que le cadre de l'entretien de la flotte était en pleine mutation, il a convenu que la Marine et DCN se trouvent confrontés à un changement de repères, de mentalités et d'exigences. Néanmoins, il a insisté sur le fait que les mesures décidées par le Gouvernement concernant les rechanges et le statut de DCN ne devraient pas aboutir à des résultats tangibles avant dix-huit mois alors que les attentes des équipages sont fortes. Il a souhaité que ces attentes soient satisfaites, ne serait-ce que pour assurer la fidélisation des nouveaux engagés.

Concluant son propos, M. Charles Cova a souhaité saluer le caractère constructif des débats de la mission d'information. Il a fait valoir que, comme il est de tradition au sein de la Commission de la Défense, le travail de la mission d'information sur l'entretien de la flotte avait dépassé les clivages partisans en se préoccupant uniquement de l'intérêt de la Marine, de ses personnels et de l'industrie française de la construction navale.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a tout d'abord indiqué que le maintien en condition opérationnelle (MCO) de la flotte visait tout à la fois à préserver et à optimiser les fonctions opérationnelles des bâtiments, en particulier lors des entretiens courant et intermédiaire, et à en garantir l'intégrité structurelle au moyen des réparations d'entretien majeur. Il a ensuite distingué les interventions préventives, qui visent à remplacer des équipements usagés avant qu'ils ne soient défaillants, des interventions correctives, purement réparatrices.

Le rapporteur a souligné que l'ensemble des personnes auditionnées par la mission d'information avait convenu que l'organisation et la qualité de l'entretien des navires ne sont pas satisfaisants. Il a étayé ce constat en se fondant sur trois critères.

Il a indiqué, en premier lieu, que les délais de réparation n'étaient pas souvent respectés. Précisant que cette situation affectait tout particulièrement la flotte de surface, il a cité les exemples de la frégate antiaérienne Cassard, dont l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) a pris quatre mois et demi de retard, et du chasseur de mines tripartite Verseau, immobilisé sept mois pour un problème de joints. Il a observé que les sous-marins n'étaient pas épargnés par ce phénomène. Il a ainsi souligné que le SNA Améthyste ne pouvait pas être caréné cette année comme prévu et devait par conséquent rester à quai. Il a ajouté que l'indisponibilité pour entretien (IE) longue du SNLE Le Téméraire avait commencé avec un mois de retard.

Le rapporteur a précisé, en second lieu, que les équipages constataient des défauts de qualité dans les travaux de réparation. Il s'est référé au cas du pétrolier-ravitailleur Meuse, retourné à quai peu après son IPER. Il a également cité l'exemple de travaux exécutés sans logique.

M. Jean-Noël Kerdraon a fait valoir, en dernier lieu, que les équipages manquaient de rechanges. Il a indiqué que certains interlocuteurs de la mission d'information avaient critiqué la gestion des magasins de DCN, faisant référence notamment à l'existence de pièces non nomenclaturées, de pièces en stocks ne correspondant plus aux bâtiments en service, de pièces cassées, ou de pièces inventoriées mais inexistantes. Il a ajouté que des membres d'équipage n'hésitaient plus à acheter à leur frais des pièces accessibles immédiatement dans le commerce civil local pour un coût dérisoire. Il a enfin cité quelques exemples de délais de fourniture excessifs : 71 semaines pour la réparation de la turbine à gaz bâbord de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, 85 semaines pour les rechanges de son pupitre de tir de 100 mm et 23 semaines pour la réparation de son séquenceur de missiles Crotale.

Il a relativisé ce constat en évoquant le cas de bâtiments qui, à l'instar de la frégate furtive Courbet, étaient entretenus dans des conditions donnant entière satisfaction à la Marine. Il a néanmoins convenu que, d'une manière générale, la motivation des personnels et les capacités opérationnelles de la flotte étaient affectés.

Le rapporteur a ainsi souligné que le taux de disponibilité des bâtiments de la Marine se situait actuellement aux alentours de 65 % alors qu'il devrait avoisiner les 80 %. Il a précisé que la permanence des patrouilles de SNLE était assurée à raison d'un taux de présence à la mer avoisinant les 1,5 bâtiments et que la force océanique stratégique (FOST) était constamment en mesure d'aligner si nécessaire deux unités à la mer, conformément aux objectifs qui lui sont assignés. Il a indiqué que le taux de présence à la mer des SNA était plus proche de 3 voire de 2,5 que de l'objectif de 3,5 et ajouté que le nombre de bâtiments déployables pouvait même être inférieur dans certaines circonstances exceptionnelles.

Il en a déduit un niveau d'activité opérationnelle relativement faible pour une flotte de 76 bâtiments de combat. Il a également attiré l'attention sur les précautions à prendre pour interpréter les statistiques de présence à la mer, le fait qu'un bâtiment navigue ne signifiant pas nécessairement qu'il soit au maximum de son potentiel de combat. Il a ainsi observé que, dans la nécessité de réaliser des économies, les commandants étaient conduit à effectuer des choix entre les équipements à réviser en priorité et ceux dont l'entretien pouvait attendre. Il a souligné que les systèmes mécaniques étaient souvent privilégiés par rapport aux systèmes d'armes ou aux radars, dont certains ne sont pourtant plus de toute première jeunesse.

Abordant la question du moral des équipages, M. Jean-Noël Kerdraon a admis qu'il était affecté. Il en a attribué la raison au fait que la participation des équipages à l'entretien des matériels était devenue plus fastidieuse. D'une part en effet, la réduction des effectifs a conduit à accroître corrélativement la charge de la maintenance assurée par chacun et, d'autre part, les personnels embarqués assument de plus en plus le rôle de cadres intermédiaires du maître d'_uvre en surveillant et en orientant le travail des équipes d'ouvriers intervenant sur les bateaux. Il a souligné à ce propos que certains commandants devaient sans cesse effectuer des démarches auprès des responsables de chantier pour obtenir la venue de personnels d'exécution, en plus de l'exercice de leurs responsabilités normales.

Le rapporteur a observé que des jeunes recrues rencontrées par la mission jugeaient que, pour elles, le métier du bord s'était principalement résumé à la coordination des travaux au cours de l'indisponibilité pour entretien de leur bâtiment. Il s'est interrogé à cet égard sur la situation des commandants, pour qui l'exercice d'une responsabilité opérationnelle pendant deux ans devient plus rare, compte tenu du désarmement de nombreux bâtiments.

M. Jean-Noël Kerdraon a alors relevé l'accumulation de processus qui se conjuguent et amplifient leurs effets. Il a rappelé qu'en l'espace de dix ans, le cadre du MCO avait profondément évolué, les fonctions de maître d'ouvrage et de maître d'_uvre ayant progressivement été dissociées alors qu'auparavant elles étaient assumées par la même entité : la direction des constructions navales.

Il a estimé que la contractualisation des opérations de réparation était la conséquence logique de cette évolution, tout en insistant sur les défaillances de ce mécanisme supposé permettre une bonne planification des travaux, et par conséquent des économies. Il a précisé qu'un protocole entre le service de soutien de la flotte et DCN prévoyait la présentation du devis initial au maître d'ouvrage 18 mois avant le début des travaux, le contrat « A 0 » devant quant à lui intervenir 12 mois avant l'opération afin de permettre le lancement des approvisionnements de longue échéance. Il a observé que, dans les faits, le délai moyen entre la formulation de la demande de prix initial et le début des travaux était de 12 mois, alors que le délai entre le contrat A 0 et le début des travaux s'établissait à un peu plus de 3 mois. Il a ajouté que, bien souvent, le contrat fixant la nature des réparations était conclu juste au début des opérations de maintenance, parfois même après.

Le rapporteur a identifié plusieurs raisons pour expliquer ces retards. Il a mentionné les normes du Code des marchés publics, qui ne favorisent ni les ajustements parfois nécessaires, ni les négociations, malgré les dérogations fort opportunément accordées à DCN par un décret en date du 31 juillet 2001. Il a souligné en outre que les délais d'approvisionnement étaient trop longs et que la mise en concurrence ne se justifiait pas toujours, surtout dans les DOM-TOM où les chantiers locaux sont rares.

Il a évoqué également le déficit de personnels qualifiés dans le domaine des achats au sein du service de soutien de la flotte et de DCN. Il a à ce propos souligné que DCN était de surcroît confronté à un réel problème de pertes de compétences dû, d'une part, à la réduction aveugle des effectifs par mesures d'âge, et d'autre part, à un défaut d'encadrement intermédiaire et supérieur. Il a enfin fait état d'une mauvaise anticipation des besoins de la Marine, de nombreux travaux étant reportés au dernier moment. Sur ce dernier point, il a cité l'exemple de l'IPER de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, programmée initialement en septembre 2000, dont le report de huit mois avec une révision à la baisse des prestations n'avait pas empêché un retard dans la signature du contrat.

M. Jean-Noël Kerdraon a également insisté sur la situation de restructuration continue que connaissait DCN depuis dix ans, soulignant ses incidences importantes sur les compétences de l'industriel étatique. Il a également indiqué que les pièces de rechanges de nombreux équipements plutôt récents n'étaient plus produites, mettant plus particulièrement en cause l'étalement des programmes.

Il a ensuite observé que la gestion des stocks de rechanges de DCN se trouvait pénalisée par un mécanisme de préemption généralisé à l'ensemble des ministères qui ne se justifiait pas dans tous les cas. Il a souligné qu'il en résultait des difficultés pour la vente de pièces susceptibles d'intéresser le marché d'occasion.

Le rapporteur a souligné que la question des dotations budgétaires n'était pas secondaire. Indiquant que le niveau des crédits alloués à l'entretien de la flotte semblait satisfaisant, puisqu'il s'élevait à 533,5 millions d'euros (3,5 milliards de francs), dont 50 % étaient affectés au maintien en condition opérationnelle des onze bâtiments de la Marine à propulsion nucléaire, il a néanmoins considéré qu'il fallait désormais prendre en considération deux contraintes supplémentaires : le renchérissement du coût de la maintenance des équipements et le respect des normes environnementales, qui implique des adaptations des bâtiments pour satisfaire notamment aux obligations de désamiantage et d'interdiction des rejets d'eaux noires.

Il a estimé que le niveau actuel des crédits de MCO serait vraisemblablement insuffisant pour faire face à ces charges nouvelles, à moins que les gains de productivité escomptés de la réorganisation de l'entretien et de DCN ne permettent de dégager de nouvelles marges de man_uvre.

M. Jean-Noël Kerdraon, rappelant les réformes engagées par le Gouvernement depuis l'an passé, s'est déclaré confiant quant à leur aboutissement.

Il a ainsi souligné que la responsabilité de la gestion proprement dite des stocks de rechanges réparables était en cours de transfert au service de soutien de la flotte, avec pour échéance 2002-2003. Il a ajouté que le magasinage et la délivrance des stocks seraient progressivement confiés au Commissariat de la Marine, le processus ayant d'ores et déjà commencé en juin à Toulon et en septembre à Brest pour se terminer en août 2003 à Toulon et en 2004 à Brest.

Le rapporteur a précisé que, jusqu'à présent, les pièces de rechanges étaient commandées, stockées, répertoriées et délivrées par DCN. Il a ajouté que le service de soutien de la flotte, afin de pallier l'émiettement des bases de données, assurera la gestion des rechanges grâce à un nouveau système d'information qui intégrera l'ensemble des éléments concernant les opérations d'entretien de tous les bâtiments. Les bâtiments pourront ainsi informer les ports d'attache de leurs avaries, leur demander des réparations ou des expertises. Ils pourront également renouveler leurs rechanges en temps réel à quai.

Après avoir indiqué que les responsables du service de soutien de la flotte estimaient que les effets bénéfiques de la nouvelle organisation des rechanges se feraient sentir à partir de 2002, il a observé que ce service, tout comme DCN jusqu'à présent, devra se conformer aux règles du Code des marchés publics, ce qui nécessitera de sa part une réelle capacité d'anticipation des besoins pour donner pleinement satisfaction aux équipages. Il a ajouté que le service de soutien de la flotte devra aussi, pour mener à bien la réforme, s'attacher durablement les services de ses personnels militaires, en minimisant l'effet de rotation induit par leurs obligations de mobilité.

M. Jean-Noël Kerdraon s'est ensuite félicité de la réforme du statut de DCN, dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2003. Il a souligné que cette réforme conférerait davantage de souplesse et de réactivité à l'industriel maître d'_uvre. Il a fait valoir que la société d'Etat disposera d'un capital social, qu'elle sera propriétaire d'un fonds de commerce et qu'elle pourra mener une véritable politique de ressources humaines dans un cadre juridique de droit commun, notamment pour passer des contrats de sous-traitance. Il a exprimé le souhait que DCN puisse recruter rapidement les effectifs nécessaires dans les spécialités où les manques sont les plus flagrants.

Tout en reconnaissant l'intérêt de ces initiatives gouvernementales, il a estimé qu'elles ne semblaient pas pour autant suffisantes, notamment dans la perspective de la période transitoire qui s'ouvre actuellement. Il a observé que la conjoncture était propice à une réflexion plus profonde sur le maintien en condition opérationnelle de la flotte, soulignant entre autres que les équipages accepteront des réformes si celles-ci leur apparaissent clairement de nature à améliorer l'entretien de leurs bâtiments. Il a également fait valoir que DCN négocie les conditions d'accompagnement de son évolution statutaire, ce qui donne à l'Etat l'occasion de faire respecter un certain nombre d'exigences.

Le rapporteur a alors présenté les propositions de la mission d'information. Il a souligné la nécessité de clarifier les rôles respectifs de DCN et des ateliers militaires de la flotte, au besoin en confiant davantage de responsabilités à ces derniers dans les réparations mécaniques, sous réserve d'investissements en ressources humaines et en équipements.

Il a ensuite souligné la force des arguments en faveur du transfert progressif des SNA à Brest à partir de 2006, étant donné qu'à cette date le chantier de Toulon ne sera pas en mesure d'assumer de front une IPER du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et une IPER de SNA. Il a insisté sur les implications d'une telle éventualité, notamment en termes d'investissements à Brest, de compensation de plan de charge à Toulon et de délais d'annonce aux équipages, pour ne pas les laisser dans l'expectative.

Il s'est également prononcé en faveur d'une révision du rôle et de la place des équipages lors des opérations d'entretien majeur, de manière à permettre la conduite des IPER sans leur présence permanente à bord. Il a toutefois souligné la nécessité d'une expérimentation préalable et d'un engagement clair du maître d'_uvre sur la qualité de ses prestations. Il a fait valoir que, dans cette même optique, il paraissait indispensable d'intéresser le maître d'_uvre au respect des engagements contractuels, comme le Code des marchés publics en ouvre la possibilité, sans que l'éventualité de pénalités de retard ne soit exclue pour autant.

M. Jean-Noël Kerdraon a aussi souligné que les procédures applicables à l'entretien devaient être plus souples, ce qui suppose une délégation d'engagement de crédits du service de soutien de la flotte aux commandants des ateliers militaires et aux équipages, cette délégation permettant de réaliser de petits approvisionnements auprès des fournisseurs locaux. Il a enfin jugé nécessaire d'adopter une logique de coûts de possession et de ne plus raisonner en termes de coûts d'acquisition. Il lui a ainsi paru utile de revoir la politique de rechanges en prévoyant notamment, dès l'entrée en service des bâtiments, une provision budgétaire pour renouvellement des composants dont rien n'indique qu'ils seront toujours fabriqués à une échéance de 10-15 ans. Dans le même ordre d'idées, il a souhaité que DCN rapproche les bureaux d'études de ses différentes branches de manière à développer les synergies entre la construction de navires neufs et leur entretien dans la durée.

Après avoir félicité le Président et le rapporteur de la mission pour la concision de leurs propositions, M. Gilbert Meyer s'est demandé s'il ne pourrait pas être remédié à la souplesse insuffisante des conditions d'entretien courant des navires par l'instauration dans chaque bâtiment d'une régie d'avance permettant de faire face aux petites dépenses. Il s'est également interrogé sur le dispositif d'incitation proposé par la mission d'information, en s'étonnant qu'une prime puisse être attribuée au seul motif d'une bonne exécution d'obligations contractuelles.

M. Charles Cova a répondu que le montant des régies d'avance autorisé aujourd'hui était insuffisant et que la mise en _uvre dans des conditions satisfaisantes de la solution proposée par M. Gilbert Meyer supposait l'élaboration d'un texte législatif, dont les membres de la mission d'information entendaient bien prendre l'initiative.

M. Jean-Noël Kerdraon a indiqué que, indépendamment du système de pénalités pour retard actuellement appliqué, il fallait imaginer un dispositif d'incitation à la réalisation des travaux dans les meilleures conditions de délai et de qualité. Il a justifié cette proposition par la diminution de l'implication de DCN et du service de soutien de la flotte dans le suivi des travaux. En effet, les fortes réductions d'effectifs ont obligé DCN à avoir recours très largement à la sous-traitance et le service de soutien de la flotte ne remplit pas encore intégralement son rôle de maître d'_uvre.

Le Président Paul Quilès s'est alors interrogé sur le partage des tâches entre les ateliers militaires de la flotte et DCN.

M. Charles Cova a répondu que les ateliers de la flotte, armés par des personnels militaires, avaient toujours eu l'avantage de la réactivité par rapport à DCN pour des réparations courantes et ponctuelles telles que des travaux de soudage ou des interventions sur les moteurs Diesel. Il a considéré que les ateliers de la flotte devaient perdurer sans sortir de ce cadre.

M. Robert Gaïa, observant que les outils d'une meilleure gestion des activités d'entretien de la flotte se mettaient en place, a souligné la nécessité d'y intégrer une dimension de ressources humaines. Il a estimé que les mesures d'âge prises à DCN avaient abouti au départ de spécialistes tels que les dieselistes ou les soudeurs sans qu'ils soient remplacés. Les déséquilibres ainsi créés, couplés avec les effets de la séparation entre les secteurs étatique et industriel, ont abouti à une situation où l'entretien de la flotte se caractérise par un recours étendu au système D. Il a estimé que, pour en finir avec cette situation, la Marine devait assumer désormais une culture de client tandis que le service de soutien de la flotte et DCN devaient quant à eux acquérir une culture de service.

Il s'est également prononcé pour une politique de repyramidage des âges et de recrutement dans les qualifications manquantes au sein de DCN au cours de la période de transition précédant son changement de statut.

Il a ensuite fait observer que, mis à part les sous-marins, chaque bâtiment de la Marine était une pièce unique dont la maintenance était nécessairement plus coûteuse que celle de matériels de série. Il en a conclu que les gains de productivité les plus importants seraient obtenus par la construction en série de bâtiments du même type et par l'intégration des préoccupations de maintenance dès leur conception et leur construction.

Enfin, à propos du transfert de la maintenance des SNA sur un seul site, il a estimé que, si l'on pouvait comprendre les objectifs opérationnels de la Marine, il fallait aussi prendre en compte ses conséquences industrielles. Il a jugé qu'un site qui aurait vocation à assurer l'entretien d'un porte-avions nucléaire devrait, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, conserver une compétence nucléaire permanente, d'autant plus que les SNA sont amenés à naviguer essentiellement en Méditerranée. Il a également souligné qu'il convenait d'éviter, pour des raisons industrielles, que le site de Toulon connaisse des variations de charges trop prononcées, dues à une dépendance excessive à l'égard du cycle d'entretien du porte-avions nucléaire. Il a alors considéré que le départ progressif des SNA ne pourrait être envisagé qu'avec des compensations de plan de charge pour DCN Toulon, par exemple sous forme d'IPER de frégate.

M. Jean-Noël Kerdraon a évoqué les différents aspects de la question du transfert éventuel des SNA de Toulon à Brest, en indiquant qu'il convenait de tenir compte, tout à la fois, de données d'ordre stratégique, de nécessités de cohérence industrielle, des difficultés du bassin d'emploi de Toulon, ainsi que des conséquences de ce transfert sur les conditions de vie des sous-mariniers.

M. Jean-Louis Bernard, soulignant qu'il convenait de ne pas donner une vision indûment pessimiste de la situation de la flotte, a fait valoir que les capacités opérationnelles de la Marine se situaient à un niveau élevé et que des efforts importants étaient consentis en faveur de la maintenance des bâtiments. Il a estimé qu'il convenait d'éviter de donner à l'opinion un sentiment d'inquiétude en favorisant certains commentaires grinçants tels que ceux qui sont parus dans la presse lors de l'avarie d'hélice du porte-avions Charles de Gaulle.

Le Président Paul Quilès, a déclaré partager cette préoccupation en soulignant que les travaux de la mission d'information ne permettaient pas de tirer des conclusions de style misérabiliste sans rapport avec l'exacte situation des forces navales.

Après avoir souligné que le souci principal de la mission d'information était de voir remonter le taux de disponibilité des bâtiments de 60 ou 65 % à 80 %, M. Charles Cova a insisté sur le caractère argumenté de ses propositions qui ne pouvaient en aucun cas constituer des éléments de démoralisation pour les marins.

M. Bernard Grasset a insisté sur le rôle essentiel des ateliers militaires de la flotte qui, pour certaines opérations, faisaient preuve d'une bonne réactivité, en raison notamment, des liens de camaraderie et de solidarité que leurs personnels entretenaient avec les équipages.

M. Jean-Yves Le Drian a souhaité connaître la position exacte de la Marine à l'égard de la proposition consistant à faire réaliser des IPER ou des IE sans équipages, à l'instar de ce qui est généralement pratiqué par de nombreuses marines étrangères. Il a en outre indiqué qu'il formulerait, au titre de sa fonction de rapporteur pour avis des crédits de la Marine, une autre proposition préconisant, dès l'année 2002, une expérimentation de cette nature concernant un ou deux bâtiments.

M. Charles Cova a précisé qu'il conviendrait de commencer par de petites unités comme des patrouilleurs côtiers, sans exclure toutefois l'hypothèse d'engager cette expérimentation sur un SNA.

*

* *

La Commission a alors décidé à l'unanimité d'autoriser, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur l'entretien de la flotte.

ANNEXE N°1

AUDITION DE MM. JEAN-MARIE POIMBOEUF
ET MICHEL ACCARY (DCN)

Lors de sa première réunion du 4 juillet 2001, la mission d'information sur l'entretien de la flotte a procédé à l'audition de MM. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN et Michel Accary, directeur de la branche maintien en condition opérationnelle de DCN.

M. Charles Cova, Président, a rappelé que la mission d'information sur l'entretien de la flotte avait été créée le 16 mai 2001 à la suite de courriers d'officiers attirant l'attention des parlementaires sur les difficultés liées au carénage du premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) Le Triomphant.

Il a indiqué que la mission d'information s'était fixée pour objectif de rendre publiques ses conclusions avant l'examen du projet de loi de finances pour 2002, date à laquelle elle aurait mené à bien les auditions de plusieurs responsables de l'Etat-major de la Marine, du service de soutien de la flotte (SSF), mais aussi de membres d'équipages à Brest et Toulon.

Observant que DCN réalisait la grande majorité des opérations d'entretien des navires de la Marine, il s'est interrogé successivement sur les conséquences de la création du service de soutien de la flotte, l'évolution de l'organisation industrielle de DCN, les écarts de prix entre les estimations de la Marine et les estimations de DCN pour les IPER du Triomphant ainsi que d'autres bâtiments, et, plus généralement, sur les dotations budgétaires de l'entretien de la flotte ainsi que la pertinence de l'organisation actuelle du maintien en condition opérationnelle (MCO).

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a précisé que ce Service à compétence nationale était organisé en trois branches : la construction neuve, qui assure 40 % du plan de charge, les systèmes de combat et le maintien en condition opérationnelle (MCO), qui représentent chacune 30 % de l'activité totale.

La branche MCO emploie un peu moins de 7 000 personnes réparties entre les établissements de Brest (un peu moins de 4 000), Toulon (un peu moins de 3 000), et Papeete (250). Son chiffre d'affaires est de 4,2 milliards de francs (640 millions d'euros). Comme ses concurrents à l'exportation, BAe Systems notamment, DCN se doit de conserver et développer cette compétence afin de rester compétitif et attractif sur le marché de la construction navale.

Le directeur de DCN a souligné que la création du service de soutien de la flotte (SSF), le 1er juillet 2000, allait entraîner des redéploiements de compétence entre l'industriel qu'est DCN et le maître d'ouvrage donneur d'ordre qu'est le SSF. Il a ainsi expliqué que la gestion et la délivrance des rechanges étatiques devraient être transférées à la Marine et qu'une évolution similaire était envisagée pour la délivrance des munitions à bord. Les autres activités de DCN liées au MCO devraient continuer à être assumées par l'industriel.

M. Jean-Marie Poimboeuf a estimé que cette réforme était utile puisqu'elle rationalisait la maîtrise d'ouvrage auparavant séparée entre la DGA et la Marine nationale et qu'elle assurait ainsi plus de cohérence dans la passation des contrats. Il a rappelé que depuis 1997, DCN avait progressivement contractualisé ses activités de construction neuve et d'entretien de la flotte, soulignant que le processus n'était pas encore arrivé à un stade de maturité satisfaisant pour la seconde, étant donné la difficulté à spécifier la nature des besoins.

Pour illustrer ce problème, il a indiqué qu'un protocole d'accord avait été conclu entre le SSF et DCN au sujet des interruptions programmées pour entretien et réparation (IPER), aux termes duquel il était prévu qu'un premier contrat devait intervenir douze mois avant l'opération afin de lancer les approvisionnements de longue échéance et qu'un second contrat devait être signé trois mois avant les travaux afin d'en préciser le contenu. Il a mis en exergue qu'en réalité, le premier contrat était conclu cinq mois en moyenne avant le début de l'IPER et le second, au mieux, au jour de son commencement, voire même après.

Fort du constat de la complexité à définir la nature des opérations d'entretien de la flotte, le directeur de DCN a fait valoir que le Service à compétence nationale était confronté a deux handicaps se répercutant sur la bonne conduite de la maintenance des bâtiments de la Marine nationale.

Tout d'abord, les ressources humaines de DCN en encadrement sont insuffisantes, ce qui induit des problèmes dans la préparation des opérations d'entretien et leur conduite sur les chantiers. Alors que les effectifs de l'industrie aéronautique, dont la technicité de l'activité peut être comparée à celle d'un concepteur de sous-marins, se répartissent, selon les chiffres rendus publics par le GIFAS lors du dernier salon du Bourget, entre 29 % d'ingénieurs et de cadres, 33 % de techniciens, 27 % d'ouvriers et 11 % de personnel administratif, DCN recourt à 10 % d'ingénieurs et de cadres, 30 % de techniciens, 9 % de personnel administratif et 51 % d'ouvriers.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a considéré que le déficit réel d'encadrement de DCN devait être supérieur à ce que reflétaient les chiffres compte tenu de la sous-traitance.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a estimé que la situation était identique pour l'industrie de l'aéronautique. Il a insisté sur l'exception que constitue DCN par rapport à des entreprises de sa taille qui exercent une activité industrielle d'une technicité similaire.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les raisons du défaut d'encadrement constaté au sein de DCN.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a observé que le sous-encadrement de DCN était une réalité avant même la création du SSF, bien que cette réforme accentue sensiblement le phénomène. Il a souligné que la séparation des activités étatiques et industrielles de la direction des constructions navales en 1996-1997 avait affaibli les structures de DCN dans la mesure où les cadres partis au sein de la DGA n'avaient pas été renouvelés.

Resituant la problématique des effectifs dans le contexte de la fixation interministérielle du nombre de personnels de la fonction publique et des arbitrages du ministère de la Défense liés à la professionnalisation des Armées, il a insisté sur le fait que l'inadéquation entre les moyens affectés à DCN et son activité résultait de choix extérieurs à la direction de l'entreprise. Il s'est appuyé sur cette raison pour justifier sa demande d'un changement de statut pour DCN.

M. Robert Gaïa, a considéré que la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales avait été réalisée sans que soient définis au préalable les objectifs et les missions de DCN, ce qui avait conduit à une absence de réflexion sur la question cruciale de la gestion des ressources humaines. Il s'est demandé si la création du SSF n'entraînerait pas des conséquences dommageables du même ordre par le prélèvement de cadres de DCN.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a justifié la clarification des responsabilités entre le maître d'ouvrage et le maître d'_uvre, tout en jugeant indispensable de bien en définir les contours afin de maintenir une certaine symbiose entre DCN et le SSF.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO, a précisé que la création du SSF ne s'était pas traduite par l'affectation de cadres de DCN à cette nouvelle structure.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a expliqué que c'est la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales qui avait posé un véritable problème de ressources humaines dans la mesure où la réforme avait été effectuée sans moyens supplémentaires dans une période de déflation des effectifs.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO, a illustré le propos du directeur de DCN en indiquant que la réforme de 1996-1997 s'était traduite à l'échelon central de la direction des constructions navales par le départ de vingt cadres responsables de l'activité MCO au sein de la DGA, cinq de leurs homologues seulement restant au sein de l'industriel.

M. Charles Cova, Président, a constaté que les difficultés actuelles rencontrées dans l'entretien de la flotte trouvaient leur origine dans la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales.

M. Robert Gaïa, a précisé que c'est plutôt la mise en _uvre de cette séparation qui était à l'origine des problèmes d'entretien constatés par la Marine.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a exprimé sa volonté de rééquilibrer les effectifs d'encadrement des établissements en faveur du MCO même s'il a reconnu rencontrer des difficultés à attirer les personnels compétents, notamment pour l'établissement de Toulon.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a observé que la création du SSF clarifiait les rôles mais ne se traduisait pas encore par une amélioration du service rendu à la Marine en raison de l'absence de mesures d'accompagnement suffisantes.

Exposant la seconde difficulté rencontrée par DCN pour réaliser les opérations d'entretien des navires de la flotte, M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a mis en cause un système d'achats inadapté qu'il a jugé incompatible avec une activité par nature difficile à évaluer à l'avance.

S'appuyant sur la comparaison entre DCN et les chantiers de l'Atlantique, il a fait valoir qu'après avoir choisi un fournisseur et négocié les prix, ces derniers mettaient une semaine à dix jours pour conclure le contrat de sous-traitance alors même que ce délai était porté à seize semaines pour DCN en raison notamment des contrôles successifs de la Commission spécialisée des marchés, du Contrôle général des Armées et du Contrôle financier.

M. Charles Cova, Président, a demandé si cette situation découlait de l'application des règles du Code des marchés publics et si le décret du 7 mars 2001 portant réforme de ce Code présentait des avantages pour DCN.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a mis en cause plus particulièrement des procédures propres au statut d'administration de DCN. Il a également répondu que les achats sur facture les plus urgents seraient plus difficiles à réaliser à la suite de l'entrée en vigueur du décret du 7 mars 2001, les établissements devant désormais s'engager à ne pas dépasser un seuil pour recourir à cette procédure alors même que l'activité MCO est par nature imprévisible. Il en a déduit que si le nouveau Code des marchés publics facilitait l'activité de DCN dans le domaine de la construction neuve, il posait des problèmes insurmontables de réactivité pour l'entretien de la flotte.

A l'appui de sa démonstration, il a expliqué que récemment la procédure d'urgence pour les travaux de réparation sur les hélices du porte-avions Charles de Gaulle n'avait pas été acceptée, empêchant ainsi la conclusion d'un marché d'urgence pour effectuer l'opération le plus vite possible.

Le directeur de DCN a indiqué que les établissements de Brest et de Toulon réalisaient 30 000 actes d'achats publics chaque année. Il a souligné que dans l'hypothèse d'une transformation du statut de DCN, l'entreprise ne conclurait plus que 200 marchés publics avec le SSF, les 30 000 autres opérations constituant alors des actes de sous-traitance de droit privé, ce qui faciliterait la réactivité de DCN dans le domaine du MCO.

S'agissant de l'IPER du SNLE de nouvelle génération Le Triomphant, il a reconnu l'existence d'un écart important entre l'évaluation du SSF de l'ordre de 1 milliard de francs (152,5 millions d'euros) et le devis de DCN avoisinant les 1,5 milliard de francs (227,3 millions d'euros). Tout en admettant que DCN doit progresser pour acquérir une véritable culture d'entreprise, il a considéré que les personnels du SSF doivent également changer de référents, DCN ne pouvant plus se permettre de présenter des contrats qui n'intégrent pas les risques et aléas, tels les contrats prévalant du temps de la régie.

Le SNLE Le Triomphant est le premier de la série des sous-marins stratégiques de nouvelle génération et, par conséquent, les opérations de carénage ne sont pas les mêmes que pour ses prédécesseurs. En revanche, à l'image de ce que font les industriels de l'aéronautique, il serait souhaitable de mener une étude détaillée et critique des opérations de maintenance au cours de cette IPER afin d'optimiser les carénages des trois sous-marins suivants. Cette étude relève de la compétence de l'industriel et non du SSF. Son coût serait de plusieurs dizaines de millions de francs (une dizaine de millions d'euros au plus).

Constatant que le SSF était irresponsable sur les plans juridique, commercial et financier, M. Robert Gaïa s'est demandé si la création de ce service ne revenait pas à faire supporter à DCN les risques et les critiques concernant les opérations de MCO.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, s'est déclaré favorable à la création du SSF. Il a expliqué les divergences de devis avec DCN sur le carénage du premier SNLE de nouvelle génération par la période d'adaptation des personnels à la suite de la mise en place de procédures contractuelles entre les deux structures.

M. Charles Cova, Président, a fait remarquer que l'écart de 50 % entre les devis étaient significatifs.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO a observé que l'IPER du 1er SNLE de nouvelle génération britannique, le Vanguard, avait coûté 2 milliards de francs (305 millions d'euros) et que les industriels avaient reconnu avoir effectué des concessions financières considérables.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a insisté sur le caractère non pertinent de comparaisons de coûts entre des opérations d'entretien de bateaux très différents. Il a indiqué que des négociations étaient actuellement en cours avec le SSF de manière à exclure de la charge assumée par DCN les risques et aléas de l'IPER du Triomphant. Il a regretté que le contrat de cette IPER s'apparente de plus en plus aux contrats qui étaient conclus du temps de la régie.

M. Robert Gaïa a jugé l'organisation actuelle plus rationnelle dans la mesure où le coût des opérations d'entretien est désormais défini à l'avance et non a posteriori.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est demandé si les contraintes d'entretien étaient suffisamment envisagées dès la conception des bateaux. Il a cité à cet égard le premier SNLE de nouvelle génération dont la réalisation par tranches a conduit à des redondances fonctionnelles et financières. Il a également souligné l'astuce du concepteur de la ligne d'arbres du porte-avions Charles de Gaulle qui avait facilité l'intéropérabilité avec les hélices de rechange des porte-avions Foch et Clémenceau.

M. Charles Cova, Président, a demandé quelles étaient les compétences de DCN en matière de munitions.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO, a précisé que DCN assurera l'avenir des opérations de maintenance des munitions et que le SSF s'occupera de leur délivrance et de leur stockage. Il a ajouté qu'une partie des compétences de DCN sera transférée au SSF qui dispose déjà de l'ancienne section des munitions-pyrotechnie dont DCN a été privé lors de la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales.

M. Charles Cova, Président, s'est demandé si le SSF était prêt à collaborer avec DCN pour mettre en place des cahiers des charges de MCO correspondants aux spécificités de chaque matériel et planifiant autant que possible l'échéancier des opérations.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO a répondu qu'il était difficile d'établir des cahiers des charges, chaque bâtiment de la Marine constituant à lui seul un équipement spécifique. Il a observé que la dimension préventive de la maintenance ne posait pas de problème particulier surtout pour les sous-marins. Il a néanmoins souligné que la maintenance des navires comportait également une dimension de réparation corrective, par nature moins prévisible. Prenant l'exemple des transports de chalands de débarquement (TCD) Ouragan et Orage, il a indiqué que la décision de la Marine de prolonger la durée de vie de ces bâtiments induisait des travaux de réparations supplémentaires importants qui n'avaient pas été programmés à l'avance. A l'inverse, l'USS La Salle de la Marine américaine qui a le même âge que les deux précédents, est remis à Toulon pour une opération programmée de rénovation lui redonnant une durée de vie supplémentaire de 8 ans. Cette opération a pourtant nécessité une augmentation de 30 % du contrat initial pour travaux supplémentaires et le client a jugé cette augmentation parfaitement normale.

Il a conclu qu'il était normal d'adapter les opérations de maintenance à la réalité de chaque bateau et que c'était davantage les contraintes réglementaires imposées à DCN qui rendaient difficile la réalisation de ces opérations.

M. Robert Gaïa s'est demandé s'il était possible de bénéficier d'un effet d'échelle sur certaines séries de bâtiments.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO, a répondu qu'il était possible de l'envisager sur les chasseurs de mines, tout en précisant que ces bateaux n'étaient pas tous dans le même état.

M. Charles Cova, Président, a souhaité savoir comment les parlementaires pouvaient favoriser une évolution du Code des marchés publics qui soit favorable à DCN.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a rappelé que des discussions en faveur de dérogations au Code des marchés publics avaient été engagées concomitamment avec la création du Service à compétence nationale en 1999 et n'avaient pas encore abouti. Observant qu'un certain consensus se dégageait sur cette nécessité, il a précisé que les dérogations envisagées ne résoudront que 20 % des problèmes liés aux achats de DCN. Il en a déduit que le changement de statut de DCN était la meilleure des solutions.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est inquiété de ce que le statu quo persiste à l'égard des opérations en cours, dans l'intervalle de l'entrée en vigueur d'une telle réforme, dans dix-huit mois au mieux.

M. Robert Gaïa s'est demandé si la création d'une structure préfigurant le futur statut de DCN dans le projet de loi de finances pour 2002 permettrait de régler le problème.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a estimé qu'une structure intermédiaire pourrait réaliser les achats de DCN sans que cela soit nécessaire à l'exportation puisque les contrats sont signés par DCN International (DCNI), société de droit privé.

M. Charles Cova, Président, a demandé si DCN ne privilégiait pas les exportations au détriment de la maintenance des navires de la Marine nationale.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a répondu que la Marine était plus souvent prioritaire que les exportations. Il a ajouté que les achats de DCN pour les exportations ne posaient pas de problèmes particuliers puisque les marchés étaient passés par DCNI sans qu'il soit nécessaire d'observer les règles du Code des marchés publics.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO, a précisé que la priorité était actuellement donnée à l'entretien des frégates de la Marine nationale et non à la mise aux normes des Avisos revendus à la Turquie.

Constatant une montée en puissance des ateliers militaires de la flotte (AMF), M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souhaité savoir si le partage des rôles de DCN et des AMF était bien établi.

M. Michel Accary, directeur de la branche MCO, a indiqué que DCN assumait les opérations d'entretien programmé et que les AMF réalisaient les opérations d'entretien courant, notamment les indisponibilités pour entretien (IE) des bâtiments de surface. Il a ajouté néanmoins que DCN réalisait parfois des prestations sur des points bien particuliers et que le Service à compétence nationale apportait le plus souvent un soutien logistique déterminant aux AMF.

M. Charles Cova, Président, a demandé si DCN se préparait à la possibilité d'une mise en concurrence avec d'autres industriels.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a fait valoir que l'évolution de DCN vers un fonctionnement en entreprise supposait un accompagnement de l'Etat, matérialisé par une convention.

M. Robert Gaïa a observé qu'en l'état actuel du droit communautaire, une mise en concurrence n'était pas obligatoire.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a déclaré n'avoir rien à craindre de la concurrence une fois que DCN aura été transformé en société. Il s'est néanmoins prononcé en faveur d'un abandon des activités non compétitives, telles l'entretien des vedettes non construites par DCN par exemple.

M. Antoine Carré a considéré que l'application des règles de la concurrence ne pouvait se concevoir si DCN n'était pas dégagé de ses contraintes administratives et réglementaires actuelles.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a souligné que même en ayant changé de statut, DCN ne sera pas immédiatement concurrentiel. Il s'est prononcé en faveur d'une convention d'objectifs signée entre l'Etat et DCN et portant sur une période transitoire de cinq ans.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a estimé que l'optimisation de l'outil industriel était une condition essentielle pour que les personnels gardent confiance en l'avenir.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a précisé que des schémas de réorganisation en cours d'application poursuivaient cet objectif.

Insistant sur le caractère presque concurrent des activités de construction neuve et de MCO, M. Charles Cova, Président, a demandé comment la direction de DCN envisageait de conserver ou de recruter des personnels présentant des compétences dans ces deux domaines.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a insisté sur le faible niveau actuel de recrutement. Il a néanmoins mis en avant le développement de la complémentarité des équipes d'entretien de la flotte et de conception des nouveaux bâtiments, observant qu'à Brest le bureau des études sur l'entretien de la flotte et le bureau de DCN Ingéniérie-Construction neuve sont situés l'un à côté de l'autre, ce qui facilite les contacts entre équipes.

M. Charles Cova, Président, a constaté que le volume des chefs d'équipe travaillant sur les IPER était insuffisant.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a insisté sur l'importance de cette symbiose entre les marins et les personnels travaillant à l'entretien des bâtiments, s'inquiétant que la diminution des effectifs débouche sur une moindre confiance des équipages.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a reconnu que DCN avait été confronté, ces quatre dernières années, à une diminution brutale et forte de ses effectifs sur la seule base du volontariat, ce qui avait conduit a une déflation aveugle de certaines catégories de personnels. C'est pour cette raison que les dégagements de cadres à 52 ans ont été arrêtés.

Le directeur de DCN a convenu de la nécessité de rétablir la confiance des équipages dans DCN en accentuant la visibilité et la présence des équipes à bord des navires, en lieu et place des personnels de la sous-traitance. Pour ce faire, il s'est prononcé en faveur de mouvements internes, de recrutements et d'une formation plus adaptée. Il a indiqué que cet effort avait commencé, notamment par l'affectation d'une équipe de projet à temps plein à chaque opération d'entretien majeur à Toulon.

MM. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, et Robert Gaïa ont insisté sur le rôle du chef d'équipe qui est bien souvent l'interface avec la Marine et aussi la sous-traitance. M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est ensuite demandé si les marins des équipages devaient rester à bord de leur navire lors des IPER. Il a souhaité savoir quel était l'état des réflexions de la direction de DCN sur ce point.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a précisé que des discussions avaient eu lieu à ce sujet avec des responsables de la Marine. Se référant à l'exemple du bâtiment d'essais et de mesures Monge, immobilisé pour six à sept mois, il a estimé que pour que le dégagement des équipages soit réellement intéressant, il fallait que la durée d'indisponibilité des bâtiments soit suffisamment longue et que des navires similaires soient susceptibles d'accueillir les marins, ce qui n'est possible que pour les Avisos ou les chasseurs de mines.

M. Charles Cova, Président, a demandé à quelles échéances et selon quelles modalités les difficultés rencontrées par la Marine pour l'entretien de ses bâtiments pourraient être corrigées par DCN et le SSF.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a estimé qu'il était difficile de fixer une échéance à l'amélioration du service rendu par DCN, laquelle dépend de la suppression de contraintes administratives qui lui sont extérieures. Il a considéré que davantage de souplesse et d'autonomie de gestion des ressources humaines ainsi qu'une amélioration des règles encadrant les achats permettraient des améliorations significatives du jour au lendemain.

Il n'a pas exclu que des progrès voient le jour dans le cadre actuel, mais il s'est montré réservé quant à l'ampleur de leurs conséquences au regard des attentes de la Marine.

Il a conclu que le dimensionnement des moyens de DCN par rapport aux creux d'activité conduisait à un recours accru à la sous-traitance pour faire face aux variations de la charge des MCO, par nature imprévisibles. Il en a déduit une absence de réactivité suffisante pour passer les marchés de maintenance.

M. Antoine Carré a demandé si le maintien des avantages particuliers des ouvriers sous statut pouvait constituer un handicap pour DCN face à une éventuelle concurrence.

M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN, a estimé qu'il s'agissait là d'une question de second ordre, les personnels de DCN étant de bons professionnels qui réalisaient leur métier dans des conditions qui ne sont pas exorbitantes. Il a, à cet égard, observé que des soudeurs des chantiers de l'Atlantique étaient mieux payés que ceux de DCN. Il a insisté sur la nécessité d'externaliser les tâches secondaires de manière à éviter l'affectation de personnels techniques qualifiés à des tâches à faible valeur ajoutée.

ANNEXE N°2

AUDITION DU VICE-AMIRAL YVES LAGANE,
ET DU CAPITAINE DE VAISSEAU LAMBERT,
(ETAT-MAJOR DE LA MARINE)

Lors de sa deuxième réunion du 4 juillet 2001, la mission d'information sur l'entretien de la flotte a procédé à l'audition du Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, et du Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre ».

M. Charles Cova, Président, a tout d'abord rappelé le contexte de création de la mission d'information sur l'entretien de la flotte, ses objectifs et l'échéancier de son programme de travail. Il a fait valoir que le point de vue des opérationnels, utilisateurs des bâtiments de la Marine nationale, était essentiel pour évaluer l'efficacité de la réalisation du maintien en condition opérationnelle (MCO).

Il a notamment demandé si l'entretien de la flotte bénéficiait de dotations budgétaires suffisantes, en quoi l'organisation actuelle des MCO était efficace et quelles économies la Marine nationale attendait de la création du service de soutien de la flotte (SSF). Il a également souhaité avoir des précisions sur le différentiel de coût estimé pour l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du premier SNLE de nouvelle génération, l'évaluation de la Marine divergeant singulièrement de celle de DCN.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a exposé qu'il avait pour mission d'assurer l'armement des unités de combat de la Marine pour les autorités d'emploi que sont le Chef d'état-major des Armées et, dans le domaine plus spécifique de l'action de l'Etat en mer qui représente 20 % de l'activité des bâtiments, le Premier ministre. Il a expliqué que cette attribution impliquait une bonne connaissance de l'état des unités de combat, de manière à assurer la cohérence entre la gestion des exigences des utilisateurs et celles de la Marine.

Il a ensuite précisé que le directeur central du service de soutien de la flotte (SSF) assumait quant à lui la responsabilité de maître d'ouvrage pour la conduite des opérations de maintien en condition opérationnelle (MCO).

Evoquant les allocations budgétaires consacrées au MCO, le Vice-amiral Yves Lagane a indiqué que le budget total s'élevait à 3,5 milliards de francs (533,5 millions d'euros), 50 % de ce montant étant affectés à l'entretien des 11 bâtiments de la Marine à propulsion nucléaire et le reste aux 65 autres unités de combat. Il a fait valoir que 32 bâtiments naviguaient en permanence à la mer, 12 étant hors de leur port de base. Il a ajouté que les navires de la Marine avaient effectué 700 escales hors de métropole l'année passée.

S'agissant de la disponibilité des bâtiments qui est de l'ordre de 65 % alors qu'elle devrait avoisiner les 80 %, le Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine a souligné que la qualité de l'organisation du soutien de la flotte n'était actuellement pas satisfaisante, ce qui conduisait parfois à une certaine exaspération des équipages. Il a expliqué que trois facteurs objectifs étaient responsables de cette situation :

- la défaillance de la gestion des rechanges qui est la cause de 35 % des indisponibilités non programmées des bateaux ;

- les restructurations continues de DCN depuis une dizaine d'années, qui se sont répercutées sur le nombre, la qualité et les compétences des effectifs ;

- les difficultés de la contractualisation de DCN et du SFF, ce dernier ne disposant pas de personnel spécialisé en quantités suffisantes et DCN refusant logiquement de lui en transférer.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a souligné que l'application plus stricte des codes de marchés publics depuis quelques mois ainsi que les suites judiciaires concernant certains contrats réalisés par l'établissement de DCN Toulon avaient pour conséquence de figer les comportements des personnels chargés des achats au sein de DCN.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles sont effectués les dépannages d'urgence.

Prenant l'exemple du remplacement des hélices du porte-avions Charles de Gaulle, le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a insisté sur les blocages liés au formalisme des procédures, le marché des hélices du porte-avions ne pouvant être passé en urgence en raison de l'opposition du Contrôle général des Armées.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a exposé les mesures susceptibles, selon lui, d'améliorer sensiblement la situation de l'entretien de la flotte :

- la restauration de la gestion et de la délivrance des rechanges par le transfert de leur gestion au SSF et de leurs magasinage et approvisionnement au Commissariat de la Marine, transfert qui est en cours ;

- l'amélioration de la capacité du SSF et des industriels à contractualiser ;

- l'adaptation de la politique logistique de la Marine, DCN restant l'interlocuteur de référence pour la maîtrise d'_uvre des grosses opérations planifiées de remise en condition des bâtiments de combat, alors que d'autres industriels pourraient intervenir sur des bâtiments moins spécifiques au combat, tels les pétroliers ravitailleurs ou les nouveaux transports de chalands de débarquement (NTCD).

A terme, la Marine disposera de trois interlocuteurs : DCN, le secteur industriel et les ateliers militaires de la flotte (AMF) pour l'entretien courant. Le Vice-amiral Yves Lagane a précisé qu'il fallait tout de même saluer la capacité de DCN à effectuer certaines réparations d'envergure, tel le changement du c_ur du sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Saphir au cours de l'année 2000 après un préavis d'un mois et demi seulement.

Il a néanmoins ajouté que l'évolution du statut de DCN, pour autant qu'elle soit souhaitable, devait s'accompagner également :

- d'une redéfinition des exigences de disponibilité par la Marine ;

- d'une amélioration du pilotage de l'entretien par l'intermédiaire du SSF ;

- du développement de la fiabilité et du retour d'expérience ;

- et enfin, d'une réorganisation des infrastructures de soutien des bâtiments à propulsion nucléaire.

Répondant aux questions préliminaires du Président, il a ajouté qu'il était bien clair que l'entretien de la flotte était géré sous contrainte budgétaire, mais qu'il ne disposait pas d'éléments objectifs permettant d'estimer que les dotations étaient réellement insuffisantes ni d'évaluer le montant dont il faudrait les augmenter. Dans l'état actuel, il n'était en effet toujours pas capable de faire un lien entre les prix des grosses interventions annoncés par DCN et leur contenu physique réel. Par ailleurs, il a considéré que des gisements de productivité existaient. C'est la raison pour laquelle, faisant le double pari d'une amélioration induite par la dynamique engendrée par la création du SSF et comptant sur une réorganisation des structures industrielles, le Chef d'Etat-major de la Marine a décidé de maintenir l'enveloppe des crédits de MCO de la flotte à sa valeur actuelle.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a relativisé cette appréciation en faisant valoir que d'importantes contraintes techniques liées à la complexité de plus en plus poussée des navires étaient prévisibles à terme. Il a cité à cet égard l'exemple du système de combat du porte-avions Charles de Gaulle, dont le coût d'entretien annuel par DCN s'élève à 200 millions de francs (30,5 millions d'euros), soit le tiers du coût d'une IPER de SNA. Il a estimé qu'en conséquence, à ressources constantes, les crédits des MCO seront insuffisants. Il a ajouté par ailleurs que certaines contraintes environnementales engendreraient des coûts d'adaptation supplémentaires, se référant notamment au désamiantage (1 milliard de francs ou 150 millions d'euros), à la remise en état des fréons des bâtiments (plusieurs centaines de millions de francs ou plusieurs dizaines de millions d'euros), ou encore à la mise en conformité des navires avec la convention Marpol qui interdit le rejet des « eaux noires » (plusieurs millions de francs ou quelques millions d'euros).

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a observé que le cas spécifique de l'IPER du SNLE Le Triomphant était lié à la définition du contenu des opérations d'entretien telles que proposées par DCN.

M. Charles Cova, Président, a considéré que le décalage entre le devis de DCN et les estimations de la Marine tendait à démontrer que le budget MCO aidait à la restructuration de DCN.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a souligné qu'il était également possible d'interpréter ce cas précis comme l'illustration d'une absence plus générale de vision sur le coût véritable de la disponibilité des bateaux.

M. Robert Gaïa s'est interrogé sur la capacité de la Marine à se comporter en véritable client, compte tenu de sa culture d'administration.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a convenu que tous les torts ne se situaient pas du côté de l'industriel. Il a par ailleurs fait valoir que depuis 1994-1995, la création d'une section flotte en service avait été la première occasion de formaliser le besoin du client en correspondance avec l'industriel.

M. Robert Gaïa s'est déclaré inquiet de constater que DCN, une fois devenu industriel de plein exercice, devra contractualiser avec le SSF, administration soumise au Code des marchés publics. Il a également regretté que le SSF se voit attribuer une partie de l'encadrement de DCN.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre » a précisé que seulement 6 ingénieurs de l'armement travaillaient au SSF : 2 à Paris, 2 à Toulon et 2 à Brest. Il a ajouté que si la Marine participait à la restructuration de DCN et qu'elle en subissait les effets, elle avait également conscience qu'il était de son intérêt que cette évolution aboutisse.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a indiqué qu'un fonds d'adaptation industrielle de 400 à 500 millions de francs (60 à 75 millions d'euros) était prévu pour faciliter notamment la modernisation de DCN. Comprenant les difficultés rencontrées par la Marine, il a estimé qu'il était nécessaire de bien cerner les responsabilités de chacun.

Faisant état des protocoles signés entre le SSF et DCN pour les IPER, M. Charles Cova, Président, a considéré que la Marine prendrait désormais ses responsabilités de client en opérant des choix de manière à être en conformité avec ses objectifs budgétaires.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a répondu que la création du SSF avait justement pour but de permettre le respect des contrats d'entretien en termes de coûts, de délais et de qualité. Il a précisé que si la direction centrale du SSF constatait l'impossibilité de réaliser une opération, le Chef d'état-major de la Marine devrait rendre des arbitrages, ce qui constituait une véritable clarification des responsabilités. Il a ajouté que le directeur central du SSF répondait de ses résultats devant un conseil de gestion.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a estimé que des choix seraient effectués en fonction des enveloppes budgétaires, mais qu'ils ne donneraient aucunement lieu à des impasses.

M. Robert Gaïa a demandé quel organisme assumait le risque financier.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a répondu que ce point était au c_ur du problème, DCN devant assumer les risques industriels et le SSF les aléas postérieurs.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a estimé que cette question restait théorique, l'ensemble des responsabilités étant exercées dans le giron de l'Etat.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a acquiescé ce point.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a estimé que la reprise en main des rechanges par le Commissariat de la Marine donnerait lieu à une évolution perceptible par les équipages d'ici 12 à 18 mois.

M. Charles Cova, Président, a demandé comment se déroulait ce transfert de DCN vers le Commissariat de la Marine.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a répondu que cette réorganisation supposait surtout le recrutement de personnels compétents au sein du Commissariat.

Prenant l'exemple de l'IPER du SNLE Le Triomphant, dont le devis de DCN s'élève à 1,5 milliard de francs (228,7 millions d'euros) contre une estimation de la Marine de 950 millions de francs (144,8 millions d'euros), le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a observé que la réduction du volume de travaux demandé par la Marine ne se traduisait pas par une diminution proportionnelle du coût évalué par DCN.

M. Robert Gaïa a demandé si les estimations de la Marine étaient un objectif fixé en loi de finances ou un objectif ad hoc.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a répondu que cette estimation se fondait sur la base de référence du coût des IPER de l'ancienne génération de SNLE (soit 600 millions de francs environ ou 90 millions d'euros), auquel une majoration de 50 % avait été consentie, compte tenu des spécificités des nouveaux bâtiments.

M. Robert Gaïa s'est étonné que la Marine britannique accepte de payer 2 milliards de francs (305 millions d'euros) pour l'IPER du SNLE Vanguard.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a indiqué que l'Etat-major de la Marine n'avait pas effectué d'analyse comparative sur ce point.

M. Charles Cova, Président, a demandé sur quels critères était définie la part d'aléas admise par la Marine dans le coût des carénages.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a indiqué que des arbitrages étaient effectués en fonction des contraintes opérationnelles et qu'accepter le devis actuel de DCN pour l'IPER du Triomphant reviendrait à hypothéquer l'entretien de plusieurs autres navires.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a estimé nécessaire de clarifier les conditions financières de l'IPER du Triomphant. Il a fait valoir qu'en voulant trop diminuer les coûts, la Marine prenait des risques car ce bâtiment est un prototype qui obéit à une exigence de sécurité importante.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a précisé que tout travail non réalisé sur ce SNLE devra avoir reçu l'aval d'une commission des sages.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné que certains équipements comportaient des redondances sur lesquelles des économies pouvaient être réalisées. Il s'est interrogé sur la prise en considération du retour d'expérience en ce domaine par le SSF.

M. Robert Gaïa, dans le prolongement de cette question, a souhaité savoir si les contraintes d'entretien étaient suffisamment prises en considération dès la conception des navires.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, et le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », ont indiqué que le SSF était associé aux équipes de programme dès la conception des navires.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a mis en exergue le rôle du personnel technicien, évoquant le cas du concepteur de la ligne d'arbres du porte-avions Charles de Gaulle, qui avait eu la présence d'esprit d'en calquer l'architecture sur le modèle de celles des porte-avions Clémenceau et Foch.

M. Charles Cova, Président, a demandé quel était le coût de l'IPER d'une frégate, d'un Aviso, d'un SNLE et d'un SNA.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a apporté les précisions suivantes :

- le coût d'une IPER de frégate de combat F70 est de 68 millions de francs (10,4 millions d'euros) ;

- le coût d'une IPER de frégate de combat F67 est de 72 millions de francs (10,98 millions d'euros) ;

- le coût d'une IPER de frégate de surveillance est de 25 millions de francs (3,8 millions d'euros) ;

- le coût d'une IPER d'un Aviso est de 48 millions de francs (7,3 millions d'euros) ;

- le coût d'une IPER d'un SNLE NG est de 950 millions de francs (144,8 millions d'euros) ;

- le coût d'une IPER d'un SNA est de 350 millions de francs (53,4 millions d'euros) ;

- le coût d'une IPER de la Jeanne d'Arc est de 35 millions de francs (5,33 millions d'euros) ;

- le coût d'une indisponibilité pour entretien intermédiaire (IEI) de pétroliers ravitailleurs est de 30 millions de francs (4,6 millions d'euros).

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les négociations effectuées par la Marine avec les industriels au sujet des IPER.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a précisé que la date de chaque IPER était fixée trois ans avant les opérations. Après définition de leur contenu physique, la décision de leur réalisation est prise 20 mois avant le début des réparations. Le « contrat à 0 » est notifié 12 mois avant le travail d'entretien lourd ; le premier avenant intervient 10 mois avant les opérations de réparation. Il a convenu que dans la réalité, les contrats étaient plutôt notifiés 5 mois avant les réparations en raison de problèmes liés à l'absence de cultures d'entreprise et de client. Evoquant le cas du Jules Verne, il a précisé que son IPER avait été reculée d'un an par manque de crédits.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur la compatibilité de la réalisation concomitante d'une IPER du Charles de Gaulle avec celles des SNA à Toulon. Il a observé que l'hypothèse d'un transfert des opérations concernant les SNA à Brest n'était pas illogique, tout en mesurant les conséquences qu'une telle mesure entraînerait pour les équipages.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a rappelé que cette question préoccupait l'Etat-major de la Marine depuis 1998, date à laquelle le chef d'Etat-major avait demandé que soit étudiée l'hypothèse d'une remontée de la chaîne d'entretien lourd des SNA à Brest. Il a souligné que la concentration de l'entretien de 10 sous-marins nucléaires à Brest supposait une adaptation des infrastructures locales. Il a néanmoins observé qu'en l'état actuel des choses, sauf à accepter une modernisation significative des installations du chantier de Toulon, DCN n'était pas en mesure de mener de front des IPER de SNA simultanément avec celles du Charles de Gaulle, dont la première interviendra en 2006. Il a ajouté que les travaux d'entretien du SNA Améthyste étaient actuellement reportés afin de lisser la charge de l'établissement de DCN Toulon, et que, par voie de conséquence, la disponibilité opérationnelle des SNA serait faible au cours de cet été.

Le Capitaine de Vaisseau Lambert, chef du bureau « soutien des bâtiments et des formations à terre », a constaté que les personnels de DCN étaient démobilisés et qu'il fallait leur donner des perspectives, y compris en annonçant un transfert progressif de l'entretien des SNA à Brest. Il a fait valoir que cette décision devait être prise dès aujourd'hui, dans la mesure où l'IPER du porte-avions Charles de Gaulle à Toulon, en 2006, empêchera une IPER de SNA au même moment. Il a considéré qu'un rattachement des SNA à Brest apparaissait d'autant plus pertinent qu'il est désormais acquis que les nouveaux SNA de type Barracuda seront basés à Brest.

M. Charles Cova, Président, a souhaité avoir des précisions sur les économies engendrées par le carénage annuel de 2 SNA à Brest. Il s'est également interrogé sur les conséquences de ces opérations pour les équipages.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a indiqué qu'une opération d'IPER était lourde et qu'il était nécessaire de maintenir une relative spécialisation des ports sous peine de perdre les compétences industrielles acquises.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur la pertinence du maintien des équipages à bord lors des IPER.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a indiqué examiner cette question, plusieurs hypothèses étant envisagées. Il a précisé qu'une IPER était l'occasion pour les personnels naviguants de prendre du repos et de retrouver leur famille. Il a ajouté que ces opérations permettaient aux équipages d'acquérir des connaissances techniques. Il a souligné que les expériences étrangères étaient prises en compte tout en s'interrogeant sur la bonne estimation du volume d'entretien lié au porte-avions Charles de Gaulle.

M. Robert Gaïa a observé qu'en l'absence de chaîne de bâtiments de surface, les gains de productivité étaient forcément faibles.

M. Charles Cova, Président, a souhaité connaître quelles étaient les propositions de l'Etat-major de la Marine pour améliorer la situation.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a estimé que la maîtrise des rechanges était fondamentale et qu'une redéfinition des attributions logistiques de DCN et des ateliers militaires de la flotte (AMF) était également essentielle. Il a espéré que les premiers signes d'amélioration liés au transfert de la gestion des rechanges, de DCN vers le SSF et le Commissariat de la Marine, soient perceptibles dans 12 à 18 mois.

M. Robert Gaïa a observé que les cadres du SSF seront confrontés à l'application rigoureuse du Code des marchés publics.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a répondu que DCN n'était pas uniquement confronté au handicap du Code des marchés publics puisque le problème des rechanges était davantage issu d'un abandon industriel que de l'application des règles d'achat dudit Code.

M. Charles Cova, Président, a demandé quelles étaient les conséquences de la réorganisation des compétences entre DCN et la Marine au sujet de l'entretien, du stockage et du transport des munitions.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a précisé que le magasinage et le transit des munitions seraient assurés par le SSF.

M. Charles Cova, Président, a souhaité avoir le sentiment de l'Etat-major de la Marine sur les avancées issues de la création du SSF.

Le Vice-amiral Yves Lagane, Sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a considéré que ce service apporte des réponses quand les équipages et les autorités posent des questions, qu'il manifeste la prise en considération des doléances des personnels naviguants, ce qui se répercute sur leur moral, et qu'enfin il aide l'Etat-major de la Marine à mieux travailler dans une démarche de client à fournisseur.

ANNEXE N°3

AUDITION DE M. JEAN-PAUL PANIÉ,
ET DU CONTRE-AMIRAL BENOÎT LE MASNE DE CHERMONT (SSF)

Lors de sa dernière réunion du 4 juillet 2001, la mission d'information sur l'entretien de la flotte a procédé à l'audition de MM. Jean-Paul Panié, directeur central du service de soutien de la flotte, et du Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF.

Après avoir rappelé les circonstances ayant présidé à la création de la mission d'information sur l'entretien de la flotte, ses objectifs et l'échéancier de son programme de travail, M. Charles Cova, Président, a souligné l'importance que revêtait l'audition du directeur central du service de soutien de la flotte (SSF), structure créée par le décret du 28 juin 2000 et assurant, sous les ordres directs du Chef d'Etat-major de la Marine, la maîtrise d'ouvrage des activités garantissant la disponibilité technique des matériels maritimes.

Il a estimé nécessaire que soit dressé un bilan sur la mise en place des moyens et des personnels du SSF, et que soient également précisés l'intérêt d'une telle structure et les économies qui découleront de sa création. Il a souhaité en outre que soit abordée la question de l'organisation concrète des relations entre le SSF, la Marine et DCN, ainsi que celles du niveau des dotations budgétaires allouées à l'entretien de la flotte et de l'efficacité de l'organisation actuelle des MCO.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a rappelé qu'à la suite du constat d'une insatisfaction chronique des personnels de la Marine en matière d'entretien de la flotte, le Chef d'Etat-major de la Marine, l'Amiral Lefebvre à l'époque, et le Délégué général pour l'Armement, M. Jean-Yves Helmer, avaient lancé un audit portant sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des navires de combat.

Le directeur central du SSF a résumé les conclusions de cet audit. Il a indiqué que les circuits de décision y étaient décrits comme redondants et que les autorités de la Marine et de la DGA avaient souhaité unifier la maîtrise d'_uvre quels que soient les navires et le degré des opérations d'entretien, afin de ne conférer l'arbitrage des travaux qu'à un seul décideur. Outre ces deux buts de simplification des circuits de décision et de consolidation des opérations d'entretien, l'audit insistait également sur la nécessité de valoriser le retour d'expérience et d'améliorer la gestion et la délivrance des rechanges. En définitive, la Marine et la DGA ont réfléchi sur les manières d'assurer la meilleure disponibilité des bateaux à budget constant.

Le Contre-Amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a précisé que les soucis de l'Amiral Lefebvre portaient principalement sur les retards d'IPER et la qualité des opérations d'entretien. A la demande du Chef d'Etat-major de la Marine, l'audit devait plus particulièrement porter sur DCN ; mais d'un commun accord avec le DGA, il a également englobé le fonctionnement de toutes les parties étatiques, Marine et DGA, concourant à la fonction entretien de la flotte.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a indiqué que, sur la base des conclusions de l'audit, le Chef d'Etat-major de la Marine et le DGA avaient proposé au Ministre de la Défense de créer un service de soutien de la flotte mixte, organiquement rattaché à l'autorité du Chef d'Etat-major de la Marine. Ce service a été créé le 1er juillet 2000 et est organisé autour de trois axes d'efforts principaux :

- tout d'abord, des équipes du SSF, responsables d'un bâtiment, sont l'interlocuteur permanent des équipages et répondent aux différents besoins du bateau, que ce soit pour la programmation de l'entretien, pour l'expertise technique ou la fourniture de rechanges ;

- ensuite, la gestion des rechanges est en cours de transfert au SSF, le Commissariat de la Marine assurant sous son pilotage le magasinage, le stockage, les achats et la délivrance à bord, de manière à être plus proche des besoins des clients ; désormais, les équipages s'adresseront au SSF qui donnera au Commissariat l'ordre de délivrer les rechanges ;

- enfin, la gestion des opérations d'entretien des navires a été intégrée dans un nouveau système d'information dont le SSF assure le fonctionnement ; à l'horizon 2002-2003, les bateaux pourront ainsi informer les ports d'attache de leurs avaries, des demandes de réparations et d'expertise ; ils pourront également renouveler leurs rechanges en temps réel à quai.

Le directeur central du SSF a observé que DCN, qui avait en charge cette responsabilité jusqu'à présent, mettait en _uvre des systèmes d'information différents pour chaque aspect de l'entretien. Il a estimé que l'insertion des données dans le système du SSF risquait de prendre du temps.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé quelle était la répartition des compétences entre DCN et les ateliers militaires de la flotte (AMF).

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a précisé que les AMF ne relèvent pas organiquement du SSF. Il a ajouté que s'ils restent aux ordres du commandement de la base navale, ils répondent aux directives du SSF. Il a admis que la limite du partage de responsabilité entre les AMF et DCN n'était pas fixée de façon intangible, mais que la répartition visait à optimiser, en liaison avec le commandant de la base qui en est responsable, le potentiel humain et matériel.

M. Charles Cova, Président, a demandé quelle part des 3,5 milliards de francs (533,5 millions d'euros) de crédits destinés au MCO revenait aux AMF.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a répondu que les AMF n'émergeaient pas sur ces crédits, à l'exception des petits rechanges et des matières consommées, les dépenses de personnel relevant d'autres chapitres.

M. Robert Gaïa, constatant que le SSF aura un rôle important dans le domaine des achats, s'est interrogé sur les contraintes qu'il était susceptible de rencontrer en raison de l'application du Code des marchés publics.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a admis que lorsque DCN bénéficierait d'un statut lui conférant davantage de souplesse, le SSF devrait toujours contractualiser selon les règles du Code des marchés publics, ce qui poserait un certain nombre de problèmes, notamment au niveau des délais.

M. Robert Gaïa a demandé comment le SSF pouvait échapper à la difficulté du Code des marchés publics et gérer l'exigence de réactivité.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a répondu qu'une des difficultés actuelles venait du fait que les achats de rechanges étaient réalisés après le constat des manques. Il a souligné que le Code des marchés publics était en ce cas précis incompatible avec l'impératif de réactivité tout en faisant valoir que dans l'hypothèse d'une anticipation du passage de marchés globaux, il était malgré tout possible de maîtriser davantage les délais.

Se référant à son expérience personnelle au sein de l'Etat-major de la Marine en 1998, le Contre-Amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a évoqué la situation des chasseurs de mines tripartites basés à Brest en faveur desquels un certain nombre de mesures, telles l'échelonnage des demandes selon les souhaits d'échéancier, la création d'un pôle priorisant les ordres d'achats pour DCN et l'accentuation de l'anticipation, avaient permis de rétablir une disponibilité des rechanges à l'échéance des demandes dans 80 % des cas, contre 70 % auparavant. Il en a conclu que par une bonne organisation, il était possible d'améliorer la disponibilité des bâtiments dans le cadre du Code des marchés publics.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a ajouté qu'une bonne anticipation permettait ainsi de s'abstraire des contraintes du formalisme des règles du Code des marchés publics. Il a néanmoins convenu que la situation était sensiblement différente pour les opérations d'entretien elles-mêmes. En effet, l'entretien correctif, qui représente plus de 50 % du MCO, est par définition moins prévisible que l'entretien préventif. En conséquence, l'application du Code des marchés publics engendrera une gêne pour la contractualisation des relations entre le SSF et DCN ; d'ailleurs, il pose déjà des problèmes pour la contractualisation entre DCN et les sous-traitants. En ce qui concerne les SNLE, il a estimé qu'il y aurait moins de problèmes dans la mesure où leur entretien est essentiellement préventif. A contrario des difficultés pourraient être importantes s'agissant des bâtiments sur lesquels la Marine fonctionne davantage à l'économie.

M. Robert Gaïa a demandé qui assumait le risque financier des opérations d'entretien.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a répondu que le SSF devrait supporter les risques de coût et délais liés aux imprévus rencontrés en cours d'IPER. Il a considéré que si DCN devait remplir ce rôle, l'industriel devrait provisionner des marges pour risque trop importantes.

M. Robert Gaïa a émis des réserves quant au fonctionnement du SSF, service administratif, selon une véritable culture de client. Il s'est interrogé sur les conséquences d'une mauvaise appréciation des conditions des marchés par le maître d'ouvrage.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a estimé que le SSF avait les moyens de gérer les risques à défaut de pouvoir les éliminer. Reconnaissant l'importance de la responsabilité de son service, il a fait valoir que des économies pouvaient être dégagées dès lors que DCN serait plus productif, la difficulté de l'application des règles du Code des marchés publics, bien que réelle, n'étant pas essentielle.

Le Contre-Amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a distingué les marchés génériques des marchés particuliers, soulignant qu'en cas de difficultés, à l'image de ce qui s'était produit pour la grue du transport de chalands de débarquement (TCD) Ouragan, il était possible de récupérer une certaine marge de man_uvre via le marché générique. Il a estimé que DCN rencontrait de réelles difficultés à passer les contrats dans la stricte application des règles du Code des marchés publics.

M. Charles Cova, Président, a demandé s'il n'était pas possible d'envisager la reconnaissance dans le Code des marchés publics de la possibilité de dépasser le montant du marché initial selon un pourcentage qui serait défini dans le Code.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a considéré qu'une telle éventualité aurait des répercutions positives, une renégociation des contrats étant rendue obligatoire dès lors que les aléas de maintenance majorent de plus de 10 % leur montant initial. Si le montant des aléas est inférieur à 10 % du marché initial, les problèmes sont résolus ; ce cas de figure est néanmoins fort limité.

Le Contre-Amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a souligné qu'un marché générique suffisant permettait de servir de variable d'ajustement.

M. Charles Cova, Président, a souhaité savoir si le SSF disposait des moyens techniques nécessaires pour suivre les bâtiments de la Marine.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a observé que dans le cadre des compétences initiales du SSF, c'est-à-dire à l'exclusion de la gestion des rechanges, les personnels étaient de nombre et de compétences suffisants. Il a convenu que la perception de la situation pouvait être différente sur le terrain, à Toulon notamment.

M. Charles Cova, Président, a demandé quelle était la formation des personnels du SSF.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a fait valoir que de part la mixité du recrutement, certains avaient une véritable culture de client puisqu'ils avaient auparavant passé une partie de leur carrière auprès d'ALFOST et d'ALFAN. Il s'est déclaré convaincu que les autres acquièrent eux aussi cette culture au fur et à mesure.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souhaité savoir quels étaient les effectifs du SSF.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a indiqué que le SSF employait à ce jour 720 personnes (effectif autorisé de 770) dont 70 à Paris, 350 à Toulon et 300 à Brest (y compris antennes). Il a précisé leur répartition : 90 cadres issus de la DGA dont 6 ingénieurs de l'armement, et une centaine issus de la Marine, 250 officiers mariniers et 200 personnels à statut ouvrier ou fonctionnaires de niveau 3.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur le degré de réactivité du SSF face aux avaries accidentelles.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a répondu que le Chef d'Etat-major de la Marine avait fixé au SSF l'objectif de porter un diagnostic et d'élaborer un plan d'intervention dans les 48 heures. Il a toutefois souligné que l'action corrective pouvait être parfois plus longue.

M. Charles Cova, Président, a demandé s'il était possible de s'adresser à un autre interlocuteur que DCN pour obtenir des rechanges.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a expliqué que cela était à ce jour difficile car il ne disposait pas encore en propre de marchés ad hoc, et que les achats sur facture offraient des possibilités très limitées.

M. Charles Cova, Président, a constaté un réel problème de capacité à réagir.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a mis en avant les avantages de l'intervention des AMF tout en regrettant que leurs moyens soient limités.

M. Robert Gaïa a souhaité savoir si la répartition des compétences entre les AMF et DCN était réellement efficace.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a observé que les munitions étaient au c_ur du problème, même si une rationalisation de leur gestion était en cours. Il a estimé que dans le domaine de l'entretien de la flotte, les choses étaient intellectuellement claires, le SSF assurant la maîtrise d'ouvrage et coordonnant l'activité de DCN avec ses fournisseurs. Il a admis que certaines opérations mineures pouvaient être alternativement confiées à DCN ou aux AMF, tout en relativisant ce constat dont la raison est avant tout conjoncturelle. Il a estimé que dans le domaine de l'entretien de la flotte, la répartition des rôles de DCN et du SSF était intellectuellement claire, le SSF assurant la maîtrise d'ouvrage et coordonnant le cas échéant l'activité de DCN et des AMF. Il a observé qu'une rationalisation était en revanche en cours dans le domaine des munitions.

Le Contre-Amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a précisé que les AMF avaient pour mission d'intervenir sur les bâtiments disponibles, DCN intervenant principalement lors des opérations d'entretien majeur, au cours des IPER notamment.

M. Charles Cova, Président, a craint que la complexité de l'organisation du MCO n'opacifie les responsabilités des différents intervenants.

M. Robert Gaïa a demandé qui était responsable des dépassements de coûts de l'entretien, soulignant que si c'était le SSF, ils seraient budgétés et que, en revanche, si c'était DCN, ils seraient facturés.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a admis que le SSF devait être capable de provisionner les variations de coûts dues aux aléas. Il a constaté qu'aujourd'hui, des travaux imprévus n'étaient plus engagés sans discussion préalable avec DCN. Il a également observé que toute évolution, constatée par rapport aux engagements contractuels avec DCN conclus entre 12 et 13 mois avant les grands carénages, donnait lieu à des bons de commande de la part de l'ingénieur chargé des programmes, un avenant au contrat étant signé en cas de montant trop élevé des variations de coûts. Il a considéré qu'actuellement la Marine finançait les dépenses de DCN à l'exception des exportations.

M. Robert Gaïa s'est demandé s'il n'était pas possible de fixer en loi de finances initiale un montant maximum pour les IPER.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a attiré l'attention sur le fait que les dépassements de délais d'IPER étaient rarement dus à des problèmes budgétaires.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souhaité connaître l'analyse du directeur central du SSF sur le décalage entre le devis de DCN et l'estimation de l'Etat-major de la Marine pour l'IPER du SNLE Le Triomphant.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a indiqué qu'en l'occurrence la Marine ne disposait pas des dotations budgétaires suffisantes pour payer l'IPER du SNLE sur la base du devis fixé par DCN. Il a estimé qu'en présentant un coût de 1,5 milliard de francs (228,6 millions d'euros), DCN pouvait effectivement prendre à sa charge les risques, sans néanmoins garantir que le forfait ne soit absolument intangible. En conséquence, la Marine a décidé de prendre à sa charge les risques, de manière à ne pas dépasser ses objectifs financiers. Il s'est déclaré optimiste quant à la charge des aléas, Le Triomphant ayant peut navigué pour son âge, il a cependant fait observer que ce bâtiment très ambitieux techniquement n'avait pas été conçu pour être économique en entretien.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a constaté que la force océanique stratégique (FOST) ne bénéficiait plus d'un traitement budgétaire totalement favorable. Il s'est demandé quel rôle le SSF pouvait jouer pour optimiser l'entretien des futurs SNLE.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a convenu qu'il appartenait au SSF de remplir ce rôle en profitant du retour d'expérience des IPER actuelles pour les sous-marins futurs. Il a souligné que le carénage du Triomphant bénéficierait davantage aux sous-marins nucléaires d'attaque de type Barracuda qu'aux SNLE de nouvelle génération.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les effets des recrutements du SSF au sein du personnel de DCN.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a contesté l'argumentation selon laquelle le SSF prélevait des personnels d'encadrement de DCN à son profit. Il a observé que la gestion logistique des rechanges incombant désormais à son service, il lui revenait de recruter des effectifs compétents qui n'avaient plus de raison de rester au sein de DCN. Pour le reste, il a estimé que la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales en 1997 avait eu des répercutions sur le niveau d'encadrement actuel de DCN. Constatant que DCN a autant besoin de recruter des acheteurs compétents dans des domaines très divers que le SSF dans le domaine des rechanges, il a dit ne pas considérer que DCN était un gisement suffisant où se servir.

M. Charles Cova, Président, a souhaité que soit dressé un premier bilan de l'activité du SSF.

Dans le prolongement de cette question, M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a mentionné la conduite d'une enquête de satisfaction des clients du SSF dont il a souhaité connaître les résultats.

M. l'Ingénieur général de l'armement Jean-Paul Panié, directeur central du SSF, a justifié les réformes engagées depuis un an avec la création du SSF. Reconnaissant la forte attente des équipages, il a fait valoir que le SSF apparaissait déjà comme un interlocuteur utile des bâtiments. Il a estimé que les difficultés de DCN étaient liées en partie à une mauvaise répartition des personnels, le travail en atelier se révélant être pour beaucoup plus confortable que le travail sur les bateaux, souvent plus difficile et moins valorisé. Jugeant que les départs anticipés de personnels à 52 ans avaient nuis à la compétence de DCN, il a souhaité que les évolutions du statut permettent de pallier progressivement ce problème.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a abondé dans ce sens, observant que les personnels des entreprises sous-traitantes de DCN effectuaient essentiellement des travaux d'exécution et non d'encadrement et qu'ils se révélaient ainsi dans l'incapacité de pallier les défauts de coordination constatés au niveau du maître d'_uvre.

ANNEXE N°4

DÉPLACEMENT DE LA MISSION D'INFORMATION
À TOULON, LES 5 ET 6 JUILLET

Lors de son déplacement à Toulon, les 5 et 6 juillet 2001, la mission d'information sur l'entretien de la flotte a procédé à l'audition de plusieurs autorités organiques de la Marine, membres d'équipages, représentants du service de soutien de la flotte et de la direction de DCN.

I. - COMPTE RENDU DES AUDITIONS DE LA JOURNÉE DU 5 JUILLET

1.1. Audition du Vice-amiral d'escadre Jean Moulin, Commandant la force d'action navale (ALFAN)

Le Vice-amiral d'escadre Jean Moulin a souligné que l'entretien des navires était plus que jamais inséparable du moral des personnels, qu'il a jugé atteint en raison d'une situation insatisfaisante due à des difficultés quotidiennes sans nombre. Il a estimé que sans le concours des ateliers militaires de la flotte (AMF) et des bâtiments ateliers, d'une qualité exceptionnelle, beaucoup de bâtiments ne navigueraient pas.

ALFAN a distingué trois phases essentielles de l'entretien :

- la préparation, qui repose sur une programmation des opérations, la réalisation de devis et la contractualisation entre la Marine et les industriels ; cette phase n'est pas satisfaisante dans la mesure où DCN n'a actuellement pas la capacité de définir la nature des travaux ni celle de contracter avec la Marine alors même que les réparations sont planifiées dix-huit mois à l'avance ;

- la conduite des travaux ; elle fait l'objet de retards de plus en plus marqués depuis quelques années : à titre d'exemple, lors de la mise en indisponibilité pour entretien (IE) du transport de chalands de débarquement (TCD) Foudre, il a fallu attendre 5 semaines avant que les ouvriers ne commencent leurs travaux ; elle est également de plus en plus erratique, par manque de coordination, ce qui induit des retards ;

- le contrôle-qualité ; il est mal assuré en raison de la faiblesse numérique de l'encadrement de DCN (les chefs d'équipes se font rares sur les chantiers) ; même si les ouvriers de DCN sont de qualité, ils ne sont pas orientés dans leurs tâches d'exécution.

A une question de M. Robert Gaïa concernant l'encadrement des personnels des sous-traitants de DCN, le Vice-amiral d'escadre Jean Moulin a répondu qu'il était meilleur.

ALFAN a mis en exergue l'apparition d'un fossé entre DCN et les équipages de la Marine, lequel prend parfois même l'apparence de vifs affrontements verbaux.

Le Vice-amiral d'escadre a ensuite indiqué que la gestion des rechanges de la Marine lui semblait être un autre point fondamental. Il a précisé que le service de soutien de la flotte (SSF) et le Commissariat de la Marine étaient en train de reprendre la gestion directe et la délivrance des stocks en lieu et place de DCN qui avait laissé s'installer une situation insatisfaisante (pièces non nomenclaturées, pièces en stocks ne correspondant plus aux bâtiments en service, pièces cassées, pièces inventoriées mais inexistantes).

S'agissant des munitions, après avoir souligné que de nombreuses commandes n'avaient pas été passées par DCN, il a indiqué que si le stock de combat était assuré, il n'en était pas de même pour celui des entraînements, y compris en matière de missiles. Tout en admettant l'argument de DCN selon lequel le Code des marchés publics s'avère inadapté pour permettre un renouvellement rapide des stocks, il a observé que DCN éprouvait de réelles difficultés dans le secteur de la manutention et de l'entretien des munitions.

A une interrogation de M. Charles Cova, Président de la mission, sur l'échéance du renouvellement du stock de munitions de la Marine, ALFAN a précisé que des livraisons de munitions d'entraînement interviendraient en 2002-2003 et que la Marine était, en l'état actuel des choses, en mesure de faire face à toute situation de combat. Il a néanmoins regretté que des munitions de combat doivent être déclassées pour servir à l'entraînement.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur l'impact des départs anticipés à la retraite à 52 ans au sein de DCN. Le Vice-amiral d'escadre Jean Moulin a indiqué que les réductions d'effectifs avaient eu des conséquences sectorielles parfois importantes, citant à cet égard le nombre des 14 spécialistes de DCN en moteurs diesels à Toulon alors que 37 navires qui y sont basés ont un mode de propulsion de ce type.

Après avoir supposé que la faible réactivité de DCN était due en partie à un déséquilibre dans la répartition de ses effectifs en fonction de ses activités (600 personnes dans les ateliers à Toulon pour 2 000 administratifs), il a ajouté que le transfert de la gestion des stocks de rechanges au Commissariat de la Marine, effectif d'ici à deux-trois ans seulement, constituera une avancée significative.

A une question de M. Charles Cova, Président, demandant quel était le degré de réactivité de la Marine à toute situation de crise, ALFAN a répondu que la majorité des bateaux restait disponible, naviguait et avait fait la preuve de son aptitude à faire face à toute demande opérationnelle. Il en a déduit que la situation était tolérable au regard de l'environnement stratégique mais très mal vécue par les équipages des navires en réparation.

M. Robert Gaïa a demandé s'il n'était pas possible d'envisager que les indisponibilités périodiques pour entretien et réparation (IPER) des bâtiments ne requièrent plus la présence de la totalité des équipages. Le Vice-amiral d'escadre Jean Moulin a répondu qu'une telle éventualité ne saurait se concevoir sans garanties sur la réalisation des réparations demandées à l'industriel. Il a ajouté que les équipages devaient conserver la mémoire des travaux et s'est prononcé pour le maintien à bord des éléments spécialisés dans les domaines techniques lors des IPER, ceux-ci vivant à terre hors des périodes d'entretien (soir, etc.). Il a également souligné que les hommes du bord accomplissaient eux aussi de nombreuses opérations d'entretien, citant le cas du porte-avions Charles de Gaulle dont 10 000 des 12 000 lignes de travaux sont assurées par l'équipage.

Le Chef d'état-major d'ALFAN a attiré l'attention sur le fait que la plupart des navires de la Marine ayant récemment subi de lourdes réparations n'avaient pas été remis à leurs équipages dans un état impeccable, ceux-ci palliant par eux-mêmes, à l'occasion des sorties de grands carénages, ce que d'aucuns appelaient pudiquement les « séquelles d'IPER ».

Le Vice-amiral d'escadre Jean Moulin a souligné que les préoccupations d'entretien étaient insuffisamment prises en compte dès la conception des navires. Il s'est étonné du cloisonnement des bureaux d'étude et de ceux du maintien en condition opérationnelle (MCO) à l'établissement de DCN à Toulon.

A l'initiative de M. Charles Cova, Président, et après s'être félicité de la création du SSF, il a formulé ses propositions pour améliorer la qualité de l'entretien de la flotte : que DCN devienne une entreprise industrielle à part entière avec un statut et un mode de fonctionnement nouveaux, et que la Marine puisse recourir à d'autres entreprises si besoin. Il s'est enfin déclaré favorable à ce que le commandant et le Commissaire de bord de chaque navire puissent disposer d'une certaine somme d'argent pour parer à l'approvisionnement direct des rechanges et matériels les plus mineurs.

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Rapport sur le moral d'un équipage de bâtiment en IPER à Brest,
annexé à la demande du Vice-amiral d'escadre Jean Moulin

Etat de préparation morale de la formation au combat

La cohésion de l'équipage, bonne à l'entrée du bâtiment en IPER, s'est renforcée au cours des semaines face à un industriel peu réactif et dont la volonté de s'impliquer dans le maintien en condition opérationnelle des bâtiments et d'améliorer ses prestations reste à démontrer.

L'état de préparation morale de la formation est en chute depuis le début de l'IPER ; l'équipage qui a préparé de longue date cette période d'entretien, a découvert très rapidement que l'industriel (DCN) n'a, non seulement tenu aucun compte des écrits préparatoires émis par le bord (liste de rechanges par exemple), ni effectué aucun travail préalable permettant à cette période de démarrer normalement (recherche des plans du bâtiment, historique des IPER précédentes, préparation des travaux par les différentes spécialités).

Parmi les principales déficiences, on peut citer :

- les délais d'approvisionnement des rechanges ;

- les retards dans l'avancement des travaux dus à un manque de coordination font partie du quotidien (exemple : retard d'une semaine pour la sortie du bassin suite à l'oubli d'un joint de ligne d'arbres sur un bon de commande) ;

qualité aléatoire des approvisionnements (exemple : 80 % des joints de vannes de coque mal confectionnés malgré les modèles fournis par le bord) ;

qualité aléatoire des prestations industrielles (exemples : collecteurs d'admission d'air des MP revenant d'atelier (après plus de quatre mois) en plus mauvais état qu'au départ du bord, caissons à munitions revenant à bord non réparés mais avec la certification du travail effectué) ;

qualité/management/coordination :

· environ 7 % du montant de l'enveloppe d'IPER correspond à la ligne management/coordination/qualité des travaux par DCN ; j'estime que la prestation de DCN dans ce triple domaine a été inexistante ou de particulièrement mauvaise qualité ; par contre, je salue la disponibilité et le travail remarquable effectué par l'équipage qui, devant l'incurie de l'industriel, a pris les choses en main en suivant, vérifiant et contrôlant les prestations ;

· le traitement des FAQ (fiche d'amélioration de la qualité) est symptomatique du manque de responsabilité de l'industriel ;

· l'industriel n'a pas assumé son travail de préparation des essais de fin d'IPER en négligeant la rédaction des procédures d'essais.

La faiblesse de l'engagement, le manque de volonté général et le défaut global de coordination de l'industriel, auxquels il faut ajouter les délais d'approvisionnement des rechanges sont les raisons essentielles des retards à répétition dans la date de fin des travaux (DFT) d'IPER (sept reports à ce jour - 13/04 ; 11/05 ; 01/06 ; 20/06 ; 22/06 ; 29/06 ; 12/07 ; 20/07).

La façon dont les décalages ont été officialisés est également symptomatique de l'intérêt que l'industriel porte à son client principal, la marine nationale : pour chaque report de DFT, en réunion hebdomadaire des travaux ou en conférence des réparations deux à trois jours avant l'annonce, l'industriel garantissait le respect du planning...

1.2. Audition de plusieurs membres d'équipage du pétrolier-ravitaileur Somme

Le commandant du bâtiment a précisé que son navire, désormais disponible et opérationnel, s'était trouvé en IPER pendant 14 mois, contre 6 initialement prévus. Analysant le processus de ce genre d'opérations d'entretien, il a indiqué que préalablement à une IPER, l'équipage s'attachait à prendre en compte trois paramètres majeurs :

- le calendrier des visites périodiques pour chaque composant (à titre d'exemple, elles s'imposent toutes les 20 000 heures pour les moteurs de la Somme), à partir duquel est fixé l'ensemble des vérifications et interventions normalement prévisibles ;

- la liste des composants à réparer en fonction de leur état, qui se surajoute aux éléments précédents ;

- les modifications et rectifications demandées au niveau opérationnel.

C'est le SSF qui, en fonction du budget disponible et du devis de DCN ou des industriels, arrête les réparations réalisées.

Les problèmes rencontrés à l'occasion de l'IPER du pétrolier-ravitailleur Somme sont davantage liés aux difficultés de contractualisation de DCN (marché moteur infructueux, ce qui a nécessité un nouvel appel d'offre) et d'obtention de rechanges, qu'à des contraintes budgétaires.

Les membres de l'équipage du pétrolier-ravitailleur Somme ont souligné le poids du formalisme des procédures applicables, évaluant à cinq ans le délai pour permettre aux demandes d'aboutir.

Se plaignant des difficultés rencontrées pour réaliser certaines réparations courantes, ils ont cité l'exemple de la caisse à eaux usées, dont le revêtement doit être renouvelé à chaque IPER : le SSF a convenu qu'il fallait donner suite à ce besoin, mais il a fallu attendre avant de savoir l'issue des procédures engagées (cette opération de maintenance a finalement été effectuée).

Ils ont également insisté sur leur implication quotidienne dans les travaux, faisant notamment valoir que sans leur insistance auprès de DCN et leur détermination à réaliser les essais des moteurs, les délais de réparation n'auraient pas été tenus.

S'agissant des radars, le Second Maître responsable a expliqué que les tests avaient été conduits en janvier 2001 et non en septembre 2000, du fait des retards. Il a ajouté qu'il n'avait pas bénéficié d'une formation adaptée et efficace pour mettre en _uvre ce type d'appareils nouveaux. A la demande de précisions de M. Robert Gaïa, qui s'étonnait que DCN soit mis en cause et non l'Etat-major de la Marine responsable de l'acquisition de ces matériels, le Second Maître a indiqué que les radars en question avaient été acquis sur étagère et que le fournisseur de DCN assurait une formation complète des civils en vingt-quatre heures. Le commandant a également regretté que les chaises ne soient pas adaptées aux nouvelles commandes, ce qui gênait considérablement la posture des personnels de quart. Il en a conclu que l'environnement des opérateurs avait été oublié par les bureaux d'études de DCN, ce qui choquait beaucoup l'équipage.

A une question de MM. Charles Cova, Président, et Robert Gaïa, sur l'intervention du SSF pour les recharges du pétrolier-ravitailleur Somme, il a été répondu qu'il était nécessaire de favoriser l'émission de commande de pièce par le bord suffisamment à l'avance (six mois environ), sous peine d'être confronté à des retards. Illustrant ce propos par l'exemple du remplacement d'une ampoule, il a été précisé que si cette opération n'était pas prévue au niveau de l'allocation complémentaire de l'IPER, il fallait adresser une demande auprès du SSF ; à défaut une commande sur le budget de fonctionnement du navire (hors IPER) pouvait être envisageable. Dans tous les cas, il a été mis en exergue que l'équipage ne pouvait pas s'adresser directement à DCN.

M. Charles Cova, Président, a demandé quels rechanges l'équipage pouvait payer directement. Il lui a été répondu que la masse d'entretien, d'un montant avoisinant les 10 000 francs par semestre (1 524,5 euros), permettait d'acheter des rechanges de faibles valeurs, telles des embouts de karcher. Tout ce que DCN et les AMF sont supposés en mesure de pouvoir fournir aux équipages, quand bien même les stocks seraient épuisés, doit faire l'objet de demandes auprès de ces deux structures. Les personnels entendus se sont déclarés favorables à la transposition du régime des masses à terre à la masse d'entretien, afin de lui conférer davantage de souplesse. Ils ont porté un jugement positif sur les rôles du SSF et des AMF, s'inquiétant néanmoins de la diminution des stocks de rechange des ateliers de la flotte.

A la demande de la mission d'information, les membres de l'équipage du pétrolier-ravitailleur Somme ont apporté quelques précisions sur les attributions respectives de DCN et des AMF pour l'entretien des navires : lors des IPER, DCN est le principal intervenant, les AMF ne pouvant lui apporter leur concours que sur dérogation ; en revanche, si le bateau est disponible à l'emploi opérationnel, ce sont les AMF qui réalisent les travaux, à moins que l'aide de DCN ne s'impose en raison de la capacité des ateliers AMF. Si les AMF ont la capacité d'assumer de grosses opérations d'entretien, il leur manque tout de même les outils nécessaires pour effectuer des démontages.

Dans certains cas, le SSF peut notifier les travaux aux AMF en lieu et place de DCN : à titre d'exemple, le pétrolier-ravitailleur Somme s'est trouvé en indisponibilité pour avarie (IA) deux mois après la fin des travaux d'IPER, la pompe à incendie se trouvant bloquée : l'AMF de Toulon a été désigné par le SSF et a réparé en trois jours alors que DCN avait indiqué que le travail ne pourrait être réalisé avant trois mois.

Insistant sur l'influence du déroulement d'une IPER sur le moral des personnels, les membres d'équipage du pétrolier-ravitailleur Somme ont insisté sur l'apport des marins lors des travaux d'entretien, estimant qu'en leur absence, l'IPER de leur bâtiment se serait plus mal déroulée encore. Ils ont convenu qu'un bon suivi industriel pouvait permettre d'alléger le dispositif, tout en constatant que ce n'était pas le cas actuellement avec DCN, notamment au regard du précédent, vécu par certains, des réparations du Var par les CMR.

Les participants à la table ronde avec la mission d'information se sont montrés défavorables à une délocalisation des IPER par rapport aux ports de rattachement, notamment par souci de préserver la vie familiale des personnels en dehors des périodes de navigation. Ils ont objecté aux observations de MM. Charles Cova, Président, et Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, que la professionnalisation des armées s'accompagnerait d'une fidélisation des recrues uniquement si un équilibre indispensable entre disponibilité pour raisons de service et vie familiale était maintenu.

1.3. Audition de plusieurs membres d'équipage de la frégate anti-aérienne Cassard

Le commandant du Cassard a expliqué que la quatrième IPER du navire poursuivait un double objectif : récupérer une capacité de man_uvre (rénovation des moteurs, amélioration de la stabilité) et accroître les capacités opérationnelles (liaison 16, senseur de veille infrarouge). Il a indiqué que le programme initial prévoyait une sortie d'IPER le 18 juin 2001, date repoussée à présent au 1er novembre de la même année.

Il a illustré ce retard de quatre mois et demi par quatre exemples de défaillances :

- la signature du marché d'installation de la liaison 16 six mois après l'entrée du Cassard en IPER, en raison de problèmes de définition du devis par l'établissement de DCN à Toulon, de provisions insuffisantes et de difficultés de sous-traitance ;

- les aléas industriels de la livraison des hélices, le fournisseur récemment racheté et en pleine restructuration privilégiant d'autres clients ; la livraison prévue au printemps 2001 est désormais espérée pour septembre ;

- les vicissitudes du démontage/remontage des diesels alternateurs, le premier d'entre eux ne devant être opérationnel que fin juillet au lieu de février ;

- la mauvaise contractualisation du marché de réfection des moteurs qui, après avoir été déclaré infructueux, a échu à DCN dont les ouvriers se sont montrés mal préparés et peu motivés à l'idée de travailler dans un local très confiné ; la disponibilité de ces moteurs prévue initialement en mai était attendue pour début août, mais elle n'est plus espérée avant septembre.

Le commandant a salué l'action de son équipage qui assure un grand nombre des lignes de travaux, coordonne les réparations et s'occupe de la prévention et la sécurité sur le chantier. Il a souhaité que ce rôle de l'équipage soit davantage reconnu et aidé, notamment par l'octroi de moyens et d'outils.

A une question relative à leur vécu des IPER, les membres d'équipage ont apporté les réponses suivantes :

- l'un d'eux a indiqué avoir assisté à l'IPER du bateau qui s'était déroulée en 1992 à Lorient. Il a observé que DCN avait tenu les délais de huit mois initialement prévus. Il a souligné que l'établissement de DCN à Lorient recourait moins à la sous-traitance et qu'il présentait l'avantage d'avoir construit le bateau. Il a regretté qu'il ait fallu attendre quatre mois à Toulon avant le début des travaux sur les armes-équipements alors que les ouvriers de DCN étaient intervenus tout de suite à Lorient. D'une manière générale, il a constaté une dégradation des conditions d'entretien depuis une dizaine d'années ;

- un autre a remarqué l'absence des chefs d'équipes sur le chantier, faisant valoir que c'étaient les membres d'équipage qui assuraient leur rôle de coordination du travail sur place. Il s'est étonné de l'absence de suivi par DCN, constat qu'il a illustré par l'exemple des plans utilisés par le maître d'_uvre au début des travaux et dont il a indiqué qu'ils étaient non tenus à jour depuis 1998 ;

- un autre enfin, se fondant sur l'exemple des rechanges en joints non amiantés, a critiqué le mode de gestion et de livraison des pièces par DCN, l'imputant notamment à un système informatique inadapté.

Répondant à M. Charles Cova, Président, le commandant a évalué l'IPER du Cassard à 90 millions de francs (13,7 millions d'euros), hors modifications liées à la liaison 16 et à la stabilité/structure du navire.

M. Robert Gaïa a estimé qu'il fallait chiffrer et valoriser le concours de l'équipage à l'IPER, de manière à déterminer le rapport entre la Marine et l'industriel. Un officier a répondu que dix membres d'équipage travaillaient, pour compenser l'impréparation des travaux DCN, dans les compartiments de propulsion, ce qui représentait 780 heures en supplément de leur charge quotidienne pour six mois d'IPER. Il a ajouté que ce travail s'apparentait parfois à celui des femmes de ménage, ce qui n'était ni valorisant, ni motivant pour des marins. Détaillant les activités de cinq de ces personnes dans un compartiment moteur-propulsion, il a précisé que l'une d'entre elles passait la totalité de son temps à gérer les co-activités avec les industriels, qu'une autre s'occupait de la propreté du site, que les deux restantes se chargeaient de l'entretien alors que la dernière était en permission, récupération de service ou stage de formation.

L'ensemble des membres d'équipage présents à la table ronde a constaté la quasi absence des responsables de lots de travaux sur le terrain. Ils ont regretté ne pas disposer des outils nécessaires pour assurer certaines opérations d'entretien qu'ils jugent de leur devoir de réaliser par eux-mêmes pour assurer le minimum de confort indispensable à la vie à bord.

Plus généralement, ils se sont plaints d'une écoute insuffisante de la part des maîtres d'_uvre et d'ouvrage, citant l'exemple de la modernisation des écrans de visualisation du Central opération à partir d'écrans d'ordinateurs que le bord a formulée pour un coût de 250 000 francs (38 112 euros) au lieu de la solution d'un renouvellement par des équipements dédiés, retenue par la direction centrale du SSF, pour un coût de 2 millions de francs (305 000 euros). La modification proposée par le bord a finalement été acceptée grâce à l'appui du SSF Toulon.

Revenant sur les difficultés rencontrées par DCN dans son rôle de maître d'_uvre, ils ont souligné la pesanteur des procédures en vigueur : à titre d'exemple, ils ont fait valoir qu'une fiche additive de travaux demandait un délai de traitement de deux mois et demi en raison notamment des lenteurs de DCN. Ils se sont plaints, par ailleurs, des fortes contraintes liées à la passation de marchés publics qui ôtent toute souplesse dans l'entretien même majeur d'un navire militaire.

Projetant des photos numériques des réparations, un officier de l'équipage a indiqué que l'un des ballasts rouillés ne serait pas réparé avant 2003, faute d'argent. Il a insisté sur le pari que l'équipage et le SSF étaient forcés de prendre en matière de sécurité, la rouille pouvant toujours causer une voie d'eau menaçant le navire. Le commandant en second a, à titre plus anecdotique, cité le cas des douches dont l'habillage a été refait avant même la plomberie, en dépit du bon sens. Un officier s'est ensuite plaint que les ouvriers ne nettoient pas le chantier après chaque intervention, obligeant par là-même l'équipage à le faire à leur place. Il a néanmoins observé qu'une équipe de l'établissement de DCN à Brest qui était intervenue au niveau de la salle de commandement opérationnel pendant quatre mois avait adopté un comportement très différent.

Beaucoup d'intervenants de la table ronde se sont référés à leur dialogue avec le personnel de DCN, pour observer que l'encadrement et le personnel d'exécution s'attribuaient chacun l'un à l'autre la responsabilité de la situation. Exprimant un sentiment mêlé d'exaspération et de dépit, ils ont craint que la « cannibalisation », déjà en cours, des bâtiments en réparation ne s'accentue, risquant ainsi de mettre à mal l'intégrité technique et fonctionnelle des systèmes d'armes.

1.4. Audition du Contre-amiral Philippe Sautter, directeur du SSF de Toulon

Le Contre-amiral Philippe Sautter a rappelé la mixité de la composition des personnels du SSF, provenant à parité de la Délégation générale pour l'Armement (DGA) et de la Marine nationale. Insistant sur les modes de gestion très différents de la DGA et de la Marine, il a observé que l'année passée les marins affectés au SSF ne s'étaient pas tous portés volontaires en raison de la nouveauté du service. Il s'est réjoui qu'au bout d'une année d'existence, le volontariat des marins souhaitant rejoindre le SSF progresse.

Le directeur du SSF de Toulon a insisté sur le caractère éclaté de la structure de son service, soulignant qu'un officier marinier spécialisé effectuait des tâches plus valorisantes dans la mesure où il traitait tout à la fois des problèmes rencontrés au cours de l'entretien et du retour d'expérience. Il a fait valoir qu'une étude approfondie avait été menée sur les dix problèmes majeurs rencontrés par les bâtiments : la moitié de ces difficultés est en voie de règlement ; le tiers ne pourra pas trouver de solution.

A une question de M. Robert Gaïa sur la co-existence des cultures différentes des personnels du SSF, le Contre-amiral Philippe Sautter a répondu en soulignant la complémentarité des équipes, la culture militaire étant caractérisée par la volonté de faire aboutir rapidement des solutions alors que la culture des personnels de la DGA est plus portée sur l'analyse dans la durée. Il a précisé que le SSF recourait à des ingénieurs et des officiers (niveau 1), des techniciens et officiers mariniers (niveau 2) et des secrétaires administratifs et ouvriers (niveau 3).

Il a constaté que, au bout d'un an d'existence, les moyens du SSF étaient suffisants pour permettre un suivi technique quotidien des navires et assurer le retour d'expérience, fonctions pour lesquelles les effectifs étaient passés de quatre personnes au total, à neuf personnes par groupe de navires (un officier de niveau 1 plus huit personnes de niveau 2). Il a mis en exergue que les retards commençaient à s'écluser, l'objectif interne du SSF étant d'apporter son expertise sur les fiches techniques d'avaries dans les deux mois, alors que l'Etat-major de la Marine lui demande d'apporter des réponses dans les six mois. Observant que le SSF permettait de prendre des décisions relatives à l'entretien sans passer par l'Etat-major, il a estimé qu'en résultait une diminution des délais significative.

Le directeur du SSF de Toulon a fait état d'une relative spécialisation des sites :

- guerre des mines et lutte anti-sous-marine ainsi que SNLE à Brest ;

- lutte au-dessus de la surface, SNA, systèmes de combat et informatique à Toulon.

Evoquant la montée en puissance des installations (les effectifs devant passer de 350 personnes à 500), il a admis que manquaient certaines compétences, notamment un ingénieur optronique ainsi qu'un officier marinier man_uvrier. Au demeurant, il a considéré qu'il fallait éviter de faire du SSF un service pléthorique.

Le Contre-amiral Philippe Sautter a ensuite abordé la question de la contractualisation avec les maîtres d'_uvre. Il a mis en avant la capacité de son service à conclure des contrats avec DCN, deux personnes de niveau 1 et neuf personnes de niveau 2 étant chargées de vérifier la qualité des opérations de DCN. En revanche, il a convenu que tel n'était pas le cas pour les contrats avec les entreprises privées, son service manquant de juristes. Il a indiqué toutefois que les capacités achats-finances seraient utilement renforcées par l'apport de personnels de la DGA et de la Marine.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur les rémunérations des personnels du SSF, il a répondu que les marins étaient budgétés sur les crédits de la Marine et que les personnels de la DGA relevaient du budget de la délégation. Il a précisé que depuis le 1er juin 2001, des personnels de DCN étaient mis à disposition dans le cadre de la reprise de la gestion des rechanges par la Marine en attente d'un transfert définitif. S'agissant des juristes, il a indiqué que la DGA devrait être en mesure d'en fournir et que le recours à des contractuels ne saurait être exclu, même si les rémunérations du SSF n'étaient sans doute pas suffisamment attractives pour recruter des acheteurs. Il a insisté sur l'intérêt du recrutement d'officiers mariniers cherchant une seconde carrière comme fonctionnaires (loi 70.2).

Le directeur du SSF de Toulon a évoqué ensuite les difficultés d'analyse des devis de DCN compte tenu du manque de transparence du coût des prestations de l'industriel public. Il a observé que les problèmes du directeur de DCN étaient sensiblement différents des siens, constatant le décalage du niveau des délégations de DCN et du SSF lors des conférences de passage en revue des navires en MCO, chaque mercredi.

Après que M. Charles Cova, Président, l'ait interrogé sur les possibles sujets dissonants du SSF de Toulon avec la direction centrale de Paris, le Contre-amiral Philippe Sautter a évoqué les divergences concernant les effectifs futurs nécessaires à la contractualisation des marchés de fourniture de rechanges, ce qui pose un problème de spécification des contrats d'achat. D'autre part, il a insisté sur le problème de l'obsolescence de certaines fournitures voire de la disparition des fournisseurs pour des navires âgés de plusieurs dizaines d'années.

Il s'est félicité des bonnes relations du SSF avec les AMF, tout en mettant en avant que ces ateliers militaires, dont la majorité des 400 personnels sont des ouvriers à statut militaire, ne disposent pas de prévisionnistes ni de bureaux d'études. Se référant à l'exemple de la frégate de lutte anti-sous-marine La Motte Picquet dont la visite des moteurs principaux est assurée par les AMF pour pallier les insuffisances de DCN, il a observé que les AMF s'étaient trouvés en limite de leurs capacités dans ce cas précis.

M. Charles Cova, Président, a demandé s'il fallait renforcer les moyens des AMF. Le Contre-amiral Philippe Sautter a estimé que la logique d'une telle démarche conduirait à recréer l'ancienne direction des constructions navales. Il a indiqué que les AMF pouvaient participer à certaines opérations d'entretien, y compris à des opérations d'entretien majeur, mais que le concours d'un industriel intégrateur était également nécessaire. Il a fait valoir que DCN ne pouvait se désengager de l'activité MCO sous peine de perdre des compétences indispensables pour la construction neuve. Il a regretté que le retour d'expérience de l'entretien en matière de construction neuve au sein de DCN soit assez faible.

Abordant la question des infrastructures de son service, Le directeur du SSF de Toulon a mis en exergue que la dispersion sur trois sites pouvait constituer un handicap. Le regroupement sur un site unique (un ancien bâtiment de direction de DCN) est trop lent à son avis.

Il a considéré que le SSF était tributaire des contraintes de DCN car s'il fixait les objectifs à atteindre, il ne pouvait pas vraiment peser sur la réalisation des travaux et le respect des délais. Il a cité à cet égard l'exemple de la frégate anti-aérienne Cassard, résultat selon lui d'un processus de délitement issu de la conjonction d'arrêts de travail avec, entre autres, l'attente des pièces de moteurs ou des hélices. Il s'est également référé aux difficultés de réparation de la grue du TCD Ouragan, conséquence d'un contentieux entre DCN et son sous-traitant. Il a néanmoins relativisé ce constat par le fait que les bateaux du port de Toulon étaient dans leur majorité opérationnels, soulignant que l'ensemble des bâtiments prévus pour l'exercice interalliés en Méditerranée « Trident d'Or » était au rendez-vous.

Donnant son sentiment sur les incidences de l'entrée en vigueur du nouveau Code des marchés publics sur la conduite du MCO, il s'est montré inquiet devant les nouveaux mécanismes des achats sur facture, aux seuils certes plus élevés mais regroupés avec l'ensemble des marchés selon des codes produits, et donc moins accessibles, dans la mesure où le seuil sera souvent atteint. Il a estimé que, pour les achats d'urgence, les achats par régie d'avance ne devraient pas être inclus dans les volumes prévus pour les marchés sans formalité préalable. Il a craint que l'application stricte du nouveau Code des marchés publics fasse perdre son intérêt à la régie d'avance, celle-ci ne pouvant désormais servir qu'au fonctionnement du SSF et non à celui des bateaux. Il a conclu qu'il fallait que l'objet des marchés soit suffisamment large pour permettre de faire face aux aléas par avenant.

A une question de M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, sur les modalités du transfert de la gestion des rechanges au SSF, le Contre-amiral Philippe Sautter a répondu qu'une bonne gestion des rechanges d'entretien courant et majeur supposait une bonne connaissance de l'état du bateau et des consommations, un magasinage efficace ainsi qu'une délivrance suffisamment réactive à la demande des navires. Il a précisé que le SSF avait amorcé la reprise du stock de rechanges réparables dont la valeur s'élève à 7 milliards de francs (1,1 milliard d'euros), processus qui s'achèvera d'ici août 2002, avec la fin du transfert physique des pièces, désormais magasinées par le Commissariat de la Marine.

Le directeur du SSF de Toulon a estimé que DCN avait négligé la gestion des stocks de rechanges en raison de la déflation de ses effectifs et d'un système de gestion informatique ancien.

En conclusion, dressant le bilan de l'activité du SSF, il a considéré que les personnels étaient motivés et qu'ils jouissaient d'une perception positive des équipages. Reconnaissant certains problèmes de disponibilité des bateaux, il a fait valoir que le SSF restait trop tributaire de DCN et que le Code des marchés publics n'était pas toujours adapté. Il s'est déclaré relativement inquiet sur l'avenir des rechanges, dont il a estimé que les problèmes pourraient être plus difficiles que prévu. Enfin, s'agissant des munitions, il a indiqué que les effectifs de DCN étaient suffisants mais que l'application des 35 heures poserait des problèmes pour assurer la permanence de la sécurité dans les trois pyrotechnies dont le SSF Toulon a la responsabilité. Il a enfin attiré l'attention sur le fait que plus de la moitié des grues du port de Toulon étaient en panne et que la pyrotechnie faisait l'objet d'une remise aux normes de sécurité évaluée à 350 millions de francs (53,35 millions d'euros).

II. - COMPTE RENDU DES AUDITIONS DE LA JOURNÉE DU 6 JUILLET

2.1. Audition du Vice-amiral Edouard Scott de Martinville, commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique (ALFOST)

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a souligné que l'entretien était au c_ur de ses préoccupations en raison de son impact d'une part sur le moral des équipages et d'autre part sur la sécurité de mise en _uvre des sous-marins. Il a précisé qu'une des responsabilités essentielles du commandement organique était de décider si en fonction de son état en matériel comme en personnel, un sous-marin pouvait ou non partir en mer.

ALFOST a indiqué que le budget d'entretien de l'ensemble des sous-marins avoisinait 1,5 milliard de francs (228,7 millions d'euros), soit près de 50 % du budget total de MCO des bâtiments de la Marine.

Il a indiqué qu'actuellement les forces sous-marines étaient réparties en deux escadrilles :

- l'escadrille des sous-marins nucléaires d'attaque (ESNA) ;

- l'escadrille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (ESNLE) qui comportait encore jusqu'à son retrait du service actif le 14 juillet le dernier sous-marin diesel, l'Ouessant.

Il a rappelé que l'état-major des forces sous-marines avait été transféré de Paris à Brest et qu'en sus du commandement organique de l'ensemble des sous-marins, c'est-à-dire en particulier la supervision de leur entretien, il exerçait le commandement opérationnel des SNLE.

Abordant la question de l'implantation de l'ESNA à Toulon, il a précisé que l'Etat-major de la Marine réfléchissait à son transfert à Brest afin de réduire les coûts de structures de soutien et également pour optimiser leur entretien. Il a souligné que, l'entretien des SNA représentant 30 à 40 % du plan de charge de l'établissement de DCN à Toulon, un tel transfert soulevait des problèmes industriels.

Après avoir rappelé l'évolution du format des forces sous-marines passées de 5 SNLE et 20 sous-marins diesel en 1980 à 4 SNLE et 6 SNA en 2001, il a indiqué que cette réduction de format s'était accompagnée de l'armement de tous nos sous-marins nucléaires à deux équipages afin de pouvoir les utiliser de façon intensive.

Ainsi, en 1980, il y avait 5 SNLE construits ; un était en carénage, les quatre autres dans le cycle opérationnel pour assurer la permanence de 3 sous-marins à la mer. Le chantier de Brest avait été dimensionné en conséquence. En ce qui concerne le chantier de Toulon, il avait été dimensionné dès l'origine au plus juste. Si le format des forces sous-marines a évolué, les principes qui régissent leur mise en _uvre opérationnelle à deux équipages restent exigeants pour les chantiers.

L'objectif initial de 110 jours de mer par an pour chaque équipage, soit 220 jours de mer par an pour chaque SNA, n'a en fait jamais été atteint ; aujourd'hui chaque équipage effectue en moyenne 85 jours de mer par an. Le rythme d'activité des équipages est ponctué par les opérations d'entretien de courte (IE) ou de longue (IPER) durée. Chaque IPER est désormais espacée de huit ans (contre cinq auparavant) pour réduire les coûts de maintien en condition opérationnelle. ALFOST a attiré l'attention sur l'impact qu'a eu cette démarche sur les règles d'entretien des circuits d'eau de mer.

Après avoir indiqué que pour assurer l'armement des sous-marins avec tous les spécialistes nécessaires, il fallait une gestion fine des personnels, le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a reconnu qu'existait un problème d'effectifs chez le personnel atomicien lié tout à la fois à un flux de départ très élevé et à un flux d'entrée insuffisant, problème qui avait eu pour conséquence la suppression du second équipage de 2 SNA. Il a néanmoins indiqué qu'il pensait que cette difficulté pourrait être résolue d'ici deux-trois ans.

S'agissant des équipages, ALFOST a précisé que les commandants de SNLE devaient obligatoirement avoir commandé auparavant un SNA mais que les officiers mariniers accomplissaient pour la plupart leur carrière sur le même type de sous-marin.

Rappelant la mission de la FOST, à savoir assurer la permanence de la dissuasion nucléaire en déployant si nécessaire 2 SNLE en patrouille en mer, il a souligné que ceci nécessitait l'existence de 4 SNLE.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a précisé qu'aujourd'hui, la FOST assurait un niveau de présence à la mer compris entre 1 et 2 sous-marins. Il a indiqué qu'un des éléments dimensionnants de la mission qui lui avait été confiée était de faire fonctionner la FOST avec un budget de maintien en condition opérationnelle constant ; il a souligné les efforts nécessaires compte tenu du fait que les SNLE de type M4 étaient désormais remplacés par des SNLE de nouvelle génération plus chers d'entretien. Il a fait valoir que pour diminuer les coûts d'entretien, le nombre d'indisponibilités pour entretien (IE) faites par les SNLE à l'Ile Longue avait été réduit à 8 par an et que des négociations étaient en cours pour contenir l'enveloppe de l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du SNLE de nouvelle génération Le Triomphant aux alentours de 1 milliard de francs (152,5 millions d'euros).

Evoquant le cas des SNA, il a rappelé que l'escadrille était constituée de 6 unités de type Rubis. Compte tenu du dimensionnement du chantier de Toulon, la disponibilité moyenne des SNA, qui devrait théoriquement être de 3,5 bâtiments, était de 2,5, voire légèrement moins en ce moment. Il a souligné que 85 jours de mer par an pour chaque équipage était un seuil plancher pour maintenir le niveau d'entraînement des personnels.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville s'est inquiété des interférences générées dans l'entretien des SNA par l'arrivée à Toulon du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. Il a mis en exergue que des études récentes Marine/DCN avaient montré que lorsque le porte-avions sera en grand carénage à Toulon en 2005-2006, aucun SNA ne pourra y réaliser son IPER, compte tenu du dimensionnement actuel du chantier. Il a indiqué que ce constat était un des éléments pris en compte dans l'étude du transfert de l'ESNA à Brest ; il a souligné qu'il fallait prendre une décision dès à présent pour lancer les investissements nécessaires en matière d'infrastructures. Il a indiqué que des IE de SNA étaient effectuées à Brest depuis 1988, mais que cette solution, destinée à soulager le chantier de Toulon, n'était pas satisfaisante car elle éloignait les équipages de leurs familles. Il a fait valoir que c'est pour cette raison qu'il n'avait pas souhaité que soit réalisée une troisième IE de SNA à Brest en 2001, ce qui avait pour conséquence d'immobiliser un SNA à quai en attente de réparation jusqu'à début 2002.

Il a néanmoins relativisé ce constat un peu négatif en présentant le déploiement de cinq mois réalisé récemment par un SNA en Océan Indien.

Le commandant de l'escadrille des SNA a insisté sur les particularités de ces bâtiments en terme de sécurité, complexité, compacité et sévérité des conditions de mise en _uvre. Il a rappelé que l'entretien relevait de logiques industrielle, organique et opérationnelle qui se traduisaient par un besoin de régularité du travail des chantiers et la mise en place de chaînes continues d'IPER et d'IE. Il a indiqué que le délai entre chaque IPER pour les SNA était maintenant de huit ans et que les bateaux faisaient jusqu'à présent l'objet de 3 IE de quatre semaines par an. Cette organisation était en cours de changement pour donner plus de souplesse au chantier.

Dressant un constat de dégradation de l'entretien, il s'est référé aux situations d'indisponibilité exceptionnelles des unités au cours de l'automne 2000, le Rubis n'étant disponible que dix mois après la date prévue et le Saphir étant confronté à un problème de c_ur de réacteur imprévu venant s'ajouter aux périodes d'entretien programmé de deux autres unités. Il a souligné qu'à cette période, seule l'Émeraude naviguait. Actuellement, l'Améthyste est arrêté pour plusieurs mois car le chantier de Toulon n'est pas en mesure d'assurer son IE.

Soulignant que la disponibilité effective des SNA variait entre 2,5 bâtiments (en 1998 et 2001) et 3,5 (en 1997), ce dernier chiffre étant plus conforme à la disponibilité requise, il a mis en cause les retards de l'industriel dans la réalisation des opérations, retards qui se sont accumulés depuis 1996. Il a également attiré l'attention sur la tendance à l'accroissement des prélèvements de matériel sur les bâtiments en entretien pour permettre aux bâtiments en sortie de période d'entretien de pouvoir prendre la mer.

Le commandant de l'escadrille des SNA a considéré que les causes de ces difficultés résidaient principalement dans :

- le sous-dimensionnement du chantier de réparation de Toulon qui a dû faire face aux effets conjugués de la réduction du temps de travail, de l'arrivée du Charles de Gaulle et de la diminution des effectifs ;

- le sous-encadrement des personnels ;

- une sous-traitance accrue à des entreprises qui n'ont pas la culture du nucléaire ;

- un déficit de planification et de coordination des opérations par l'industriel ;

- la perte de réactivité liée au sous-dimensionnement du chantier et au fait que DCN a perdu son autonomie dans certains domaines avec, en toile de fond, l'application d'un Code des marchés publics inadapté ;

- des infrastructures vieillissantes ;

- une situation insatisfaisante des rechanges ;

- la précarité des calendriers, accentuée par le programme d'entretien du Charles de Gaulle dont les évolutions se répercutent sur l'entretien des SNA.

Le commandant de l'escadrille des SNA a ensuite analysé les voies d'amélioration possibles :

- la création du SSF ;

- la réduction du déficit de DCN en cadres, action difficile à réaliser au niveau intermédiaire des responsabilités puisque les chefs d'équipes ne se recrutent pas comme des ingénieurs ; néanmoins le service achat de DCN s'est renforcé et 2 ingénieurs supplémentaires ont été recrutés dans la spécialité nucléaire ;

- l'amélioration de la planification et de la coordination ;

- la mise en place d'un nouveau rythme d'entretien : les IPER sont désormais effectuées tous les huit ans ; une IE de sept à huit semaines (et non plus 3 IE de quatre semaines) est réalisée sous maîtrise d'_uvre de DCN chaque année ; deux périodes d'entretien intermédiaires (entretien allégé) (PEI) de trois semaines chacune sont assurées par du personnel militaire (équipages, AMF). C'est un système très sensible aux indisponibilités pour avaries (IA) ;

- la fiabilisation des installations sensibles ;

- le redressement de la situation des rechanges, à travers un transfert de la délivrance des magasins de DCN vers le Commissariat de la Marine ;

- et enfin une implication accrue des AMF pour être cohérent avec la logique des PEI et garder ainsi une certaine souplesse.

A la question de M. Charles Cova, Président, sur le soutien systématique du Charles de Gaulle par un SNA, le commandant de l'escadrille des SNA a répondu par l'affirmative pour les grands déploiements du porte-avions.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a précisé que les interférences de l'entretien du Charles de Gaulle sur la maintenance des SNA étaient assez bien évaluées pour les IPER mais beaucoup moins bien s'agissant de l'entretien courant. Il a ajouté qu'il avait été dit aux équipages de SNA qu'un préavis de trois ans serait respecté entre l'annonce d'un éventuel transfert de l'ESNA à Brest et sa réalisation. Il a précisé d'autre part qu'un tel transfert impliquait que le bassin 10 utilisé autrefois pour les IPER des SNLE M4 soit remis à niveau pour les IPER de SNA. Les délais nécessaires sont évalués à quatre ou cinq ans. Il a conclu qu'une décision devait être prise maintenant pour tenir l'objectif de 2005-2006, lié à l'entrée en IPER du porte-avions.

Abordant la question des IE hors du port-base, il a considéré qu'il n'y avait pas vraiment de solution administrative pour faire face au mécontentement des équipages qui se trouvent ainsi éloignés de leurs familles.

M. Charles Cova, Président, a demandé s'il n'était pas souhaitable de renforcer la compétence des AMF dans le domaine des sous-marins. Le Contre-amiral Yves Lagane, sous-chef d'Etat-major « opérations-logistique » de la Marine, a fait observer que DCN avait les compétences pour l'entretien planifié lourd mais que les AMF tendaient à prendre de l'importance dans les opérations d'entretien courant. Il a fait valoir que les domaines du nucléaire et de la sécurité de plongée des sous-marins étaient trop spécifiques pour relever de la compétence des AMF. Il a observé que l'amélioration de la situation serait de toute manière lente et qu'il fallait décider rapidement si les SNA devaient être transférés à Brest.

M. Robert Gaïa s'est interrogé sur les conséquences d'un transfert total des opérations d'entretien des SNA à Brest sur les compétences du chantier de Toulon dans le domaine nucléaire et notamment sur les implications qu'une telle démarche engendrerait pour l'entretien du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a estimé qu'un transfert des compétences à Brest supposait de toute manière le maintien de certaines capacités à Toulon car les SNA navigueront toujours en Méditerranée et l'on ne peut exclure d'avoir à réparer des avaries à Toulon.

M. Jean-Noël Kerdraon s'est déclaré confiant quant aux effets de l'évolution du statut de DCN sur la qualité et la réactivité des opérations d'entretien, la future société pouvant recruter les personnels compétents plus facilement que le compte de commerce actuel.

2.2. Audition de plusieurs membres d'équipage du SNA Casabianca

Le commandant du SNA Casabianca a indiqué que son bâtiment se trouvait en IPER depuis le mois de septembre 2000 pour des opérations de vérification de la corrosion de la coque et des installations de plongée notamment. Il a expliqué que cinq des huit mois de retard étaient dus aux problèmes imprévus rencontrés par le SNA Saphir, dont le c_ur du réacteur avait été changé à l'automne, le reste étant dû au traitement particulier de la peinture des SNA qui contenait de l'amiante.

Il a rappelé les responsabilités du commandement du navire lors de l'IPER en matière d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (HSCT), tout en insistant sur son rôle de représentant de l'exploitant. Il a souligné que ses principales préoccupations avaient trait à la sécurité, au personnel, au respect des échéances, ce dernier aspect n'étant pas évident en raison des difficultés de contractualisation induites par le Code des marchés publics.

Le commandant en second du SNA Casabianca a précisé ses attributions en tant qu'officier de prévention nucléaire, Chef organisation de sécurité, et en matière de gestion du personnel et de contrôle des services. Il a insisté sur le cadre assez inhabituel des IPER pour les équipages, moment au cours duquel il fallait aussi maintenir la qualification opérationnelle malgré l'indisponibilité du bateau. Il a précisé qu'un seul des deux équipages du bâtiment assurait le suivi de l'IPER, les spécialistes machines étant plus nombreux que les spécialistes opérationnels en raison de l'aspect technique de l'entretien. Il a ajouté que la spécificité d'un chantier d'IPER était liée au fait que l'équipage ne pouvait ni en accélérer ni en freiner le cours.

Le Lieutenant de vaisseau, Chef du service réacteur, a énuméré trois difficultés liées à l'entretien de la chaufferie nucléaire, à savoir :

- le vieillissement des infrastructures du chantier ;

- le manque d'encadrement et de certaines compétences des personnels de DCN ;

- le problème de la planification en personnels ou matériels ou gestion des coactivités.

Il a fait valoir qu'en cas d'aléas techniques, la réactivité industrielle était quasi-nulle, le bord devant pallier ces manques en gérant notamment les co-activités et en insistant sur les priorités en matière de sécurité nucléaire. Il a évalué à 10 % la perte potentielle de travail que représentaient ces charges indues pour les marins. Il a estimé qu'une meilleure organisation de DCN permettrait d'améliorer la situation, observant que les ingénieurs spécialisés dans la prévention nucléaire ne venaient sur le chantier que quand leur présence était requise.

Un Major, Chef de la cellule Chaufferie, a précisé que cette cellule chaufferie avait été créée en raison du caractère particulier que constitue tout chantier d'IPER. Il a regretté que des guides n'aient pas spécialement été créés dans ce secteur pour ces phases particulières d'arrêt, estimant que les procédures devaient être réécrites. Se référant aux travaux sur les fiches d'intervention émises par les ingénieurs de prévention nucléaire, il a fait valoir que les procédures élaborées par les bureaux n'étaient pas toujours adaptées à la réalité des difficultés rencontrées sur le terrain. Observant que les ingénieurs responsables du chantier avaient le plus souvent une vue globale de l'IPER alors que les équipages avaient une vue plus fine, il a constaté que la remontée des informations était parfois mauvaise.

Regrettant que cet état de fait ne permette pas d'optimiser le retour d'expérience, le commandant a considéré que DCN se préoccupait de la conduite des opérations et que les conflits entre le bord et l'industriel public étaient gérés par le SSF. Il a cité à cet égard l'exemple d'un test d'épreuve de résistance de la cuve dont la température n'avait pas atteint le palier nécessaire, test recommencé après avis du SSF et de Technicatome, ce qui s'était traduit par un retard de trois jours. Il a ajouté que la sécurité nucléaire était souvent assurée au détriment du planning.

Le Premier Maître responsable de la radioprotection a rappelé que la législation applicable était lourde et contraignante, une directive européenne de 1996 ayant divisé les seuils de radioprotection par 5 en matière d'exposition aux risques pour le personnel public. Il a fait valoir que l'équipage perdait beaucoup de temps à s'assurer de la sécurité des ouvriers travaillant sur le SNA Casabianca et que les modifications des normes applicables avaient eu des conséquences sur l'organisation des travaux.

Un Major, Adjoint à l'Officier chargé de la prévention, a fait état de l'interface entre DCN et le bord sur les critères HSCT. Il a estimé que la responsabilité du commandant en matière de sécurité à bord du navire tout au long de l'IPER n'était pas logique, le commandant se retrouvant de fait responsable de la sécurité des ouvriers travaillant sur l'IPER. Il a mis en avant le fait que réaliser une IPER était un véritable métier et que les marins n'étaient pas formés à la prévention des risques encourus par les personnels d'exécution du maître d'_uvre.

Il a ajouté que les conflits entre DCN et l'équipage se révélaient souvent utiles, l'équipage conservant un droit de regard critique qui permettait d'optimiser les travaux.

Il a enfin précisé que l'IPER du SNA Casabianca était la troisième à laquelle il participait. Il a souligné qu'en 1990, DCN avait réalisé 90 % de l'IPER du Saphir et que s'agissant du SNA Casabianca, il n'assurait directement que 15 % des travaux, le reste étant sous-traité, ce qui manifestait une réelle perte de compétence. Il a regretté également l'absence de niveau intermédiaire entre les responsables de chantier de DCN et les équipes des sous-traitants, les chefs d'équipes faisant cruellement défaut.

Le commandant a estimé que certaines spécialités vitales de DCN étaient en cours de dépérissement. Il a cité à cet égard la diminution du nombre d'appareilleurs, l'absence de soudeurs de haut niveau (un seul se révélant capable d'analyser la gammagraphie sur le site de Toulon) et les manques en personnels spécialistes de la décontamination. Il a également regretté que le bureau de prévention de la sécurité de DCN soit insuffisamment étoffé. Il a enfin considéré que le recours à la sous-traitance était très pénalisant en ce qu'il obligeait de contractualiser.

A une question de M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, sur la continuité des entreprises de sous-traitance, il a été répondu qu'à l'exception d'une nouvelle entreprise intervenant dans le domaine de l'électricité, les industriels travaillant sur l'IPER étaient les sous-traitants habituels de DCN.

Un Premier Maître, responsable HSCT, a mis en exergue la spécificité et la complexité du chantier, liées à l'exiguïté des locaux. Il a rappelé que les militaires étaient responsables de la sécurité des personnels civils d'exécution, ce qui impliquait leur présence permanente sur le terrain. Il a souligné ensuite que l'équipage assurait la coordination des tâches et qu'il constatait, pour sa part, un manque de petits matériels de sécurité, tels les appareils de contrôle de l'atmosphère ou les outils d'éclairage pour les interventions sur ballasts.

Un Maître Principal, président des officiers mariniers, a insisté sur l'absence de moyens, ainsi que sur les logements rudimentaires des équipages des bâtiments en IPER. Le commandant a précisé que les choses allaient s'améliorer et que la situation était liée au fait que la villa d'IPER était provisoirement indisponible en raison de travaux.

Un Maître, technicien spécialiste d'installations, a mis en exergue l'ancienneté de certains équipements, qui se trouvent parfois incompatibles avec la loi, notamment dans le domaine de l'électricité. Il s'est plaint que la consignation des éléments électriques ait été difficile à mettre en _uvre avec le personnel de DCN au début de l'IPER. Il a également soulevé le problème de l'intervention de plusieurs corps de métiers pour une même opération, soulignant que la coordination était dégradée du fait de l'absence de chefs d'équipes de DCN, souvent en réunion ou présents sur d'autres chantiers.

Le commandant a indiqué que peu d'opérations de l'IPER étaient réalisées par le bord mais que l'équipage jouait un rôle important dans la coordination des sous-traitants et la prévention en matière de sécurité.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur l'appréciation du rôle du SSF par l'équipage, il a été répondu que si un officier du SSF était désigné pour l'IPER du SNA Casabianca et que c'était lui qui débloquait les difficultés, le service n'avait pas un effectif suffisant pour assumer le contrôle des travaux et qu'il déléguait beaucoup, le contrôle qualité notamment, à l'équipage.

En conclusion, le commandant a estimé que la sécurité nucléaire était bonne, que des soucis pouvaient se faire jour en matière HSCT, que le contrôle étatique de la qualité des travaux industriels n'était pas suffisant et que la contractualisation pesait sur la réactivité du chantier.

2.3. Audition de l'Ingénieur général de l'Armement François Tandéo, directeur de l'établissement de DCN à Toulon

M. François Tandéo, directeur de l'établissement de DCN à Toulon, s'est déclaré non surpris par les doléances fortes des équipages auxquelles DCN avait des difficultés à répondre. Il a estimé que des gains de productivité devaient être faits et qu'ils étaient possibles : il a évalué la baisse des coûts dans les années à venir à 10 à 15 %.

Analysant les difficultés de l'établissement de Toulon, il a insisté sur les points suivants :

- DCN est en constante restructuration depuis une dizaine d'années : outre la forte réduction d'effectifs accompagnant la réduction de la charge, le site de Toulon a subi l'éclatement des activités d'entretien et des études amont, puis la séparation des activités étatiques et industrielles. Ces restructurations ont été conduites par amputations d'activités et d'effectifs, et en laissant à l'établissement de Toulon des charges qui ne devraient pas lui revenir, ce qui se répercute sur son fonctionnement et ses coûts. Sur les 2 750 personnes que compte actuellement l'établissement, la sous-direction technique emploie 1 600 personnes dont 450 pour les bâtiments de surface, 300 à la pyrotechnie, 400 pour les sous-marins, 300 dans les systèmes armes-équipements et 150 aux études et essais. M. François Tandéo a convenu que la part des personnels administratifs était importante mais il a fait valoir qu'elle était liée au statut d'administration de DCN, statut qui lui imposait de consacrer davantage de moyens qu'une entreprise industrielle normale aux ressources humaines et aux achats ;

- la séparation des activités étatiques et industrielles de l'ancienne direction des constructions navales a été appliquée à l'activité MCO malgré certaines réticences exprimées en interne en raison du mode de fonctionnement intégré de cette activité par rapport aux besoins de la Marine. Avec le recul, cette séparation n'apparaît pas avoir été une réussite : une nouvelle organisation administrative, le SSF, a ainsi été créée afin d'assurer la maîtrise d'ouvrage industrielle. Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a estimé que cette séparation n'avait un intérêt et une justification véritables qu'à partir du moment où DCN disposerait d'un statut différent (c'est-à-dire d'industriel et non plus d'administration). Il a estimé qu'actuellement la contractualisation n'était pas au point et que le maître d'ouvrage devait améliorer ses contrats ;

- DCN subit enfin les difficultés de son statut d'administration dans le domaine des achats. Le Code des marchés publics est un outil inadapté à l'activité industrielle et tout particulièrement à l'entretien de la flotte, en gênant la programmation des travaux. M. François Tandéo a convenu néanmoins que DCN ne préparait pas assez les opérations d'entretien en raison d'un manque de cadres. Il a reconnu également qu'un problème d'organisation se posait.

Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a fait valoir que, s'agissant de la qualité technique des prestations de DCN, son établissement était la seule entité en mesure d'aligner, parfois d'extrême justesse, les 400 compétences spécifiques différentes nécessaires à la maintenance des équipements de la Marine, de techniques diverses, de générations successives et de complexité croissante. Il a fait valoir que le moral des personnels de DCN était mauvais, du fait des restructurations continuelles depuis 10 ans, mais que cela ne les empêchait pas d'accomplir des opérations difficiles avec beaucoup de conscience professionnelle.

Il a reconnu en revanche que DCN éprouvait beaucoup de difficultés à tenir les délais aujourd'hui. Il a également convenu que, dans certains cas, les interventions des équipes faisaient l'objet d'un certain laisser-aller.

M. Robert Gaïa a observé que l'organisation de DCN n'était pas calquée sur celle de son client puisque le SSF, maître d'ouvrage délégué, avait un responsable sur chaque bâtiment alors que DCN, maître d'_uvre, ne déléguait pas un responsable d'IPER sur chaque bateau. M. François Tandéo a précisé qu'un effort en ce sens avait cependant été fait, et qu'une équipe de projets suivait chaque bateau en IPER. Il a souligné que les périmètres d'activité de DCN étaient encore enchevêtrés avec ceux de la Marine en matière de soutien logistique et d'entretien, et qu'il était nécessaire de clarifier davantage les responsabilités à l'occasion de la contractualisation.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a soulevé le problème de l'encadrement intermédiaire, en évoquant les témoignages d'équipages aux termes desquels la coordination était le fait du bord et non du maître d'_uvre.

Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a expliqué que la sous-traitance, si elle procurait une certaine réactivité, n'était pas une véritable panacée dans la mesure où il était plus difficile de contrôler la qualité des prestations. Soulignant que la sous-traitance interne, c'est-à-dire le recours à des spécialistes extérieurs, n'était plus permise en ce qu'elle constituait un délit de marchandage aux termes du Code du travail, il a mis en avant le fait que DCN est en train de se restructurer et qu'il met au point une offre lui permettant de nouer des rapports de sous-traitance globale. Il a ajouté qu'après avoir rencontré de sérieuses difficultés dans le domaine des achats au cours de l'année 2000, l'établissement de DCN à Toulon entreprenait une action vigoureuse pour pallier ses carences en anticipant le plus possible les besoins d'achat.

Abordant la question des délais, M. François Tandéo a insisté sur le fait que ceux qui étaient prévus pour les PEI étaient tenus dans la majorité des cas. Il a ajouté que 20 % des travaux demandés par la Marine étaient refusés par DCN aux motifs que les contrats étaient notifiés après le début des travaux, que les délais d'approvisionnement résultant de l'application du Code des marchés publics n'étaient pas compatibles ou que les délais de réalisation n'étaient pas réalistes au regard des objectifs de fin de travaux. Il a mis en exergue que la référence de DCN était le contrat signé avec le SSF et non les demandes formulées par le bord.

M. Charles Cova, Président, a observé que si des problèmes étaient découverts en cours d'opération par les équipages, il était normal que ceux-ci souhaitent que des réparations soient effectuées. M. Robert Gaïa, constatant que la Marine est entrée dans un processus d'acquisition d'une culture de client, s'est demandé comment faciliter l'osmose avec DCN.

Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a mis l'accent sur l'effort engagé par ses services pour mieux préparer les opérations d'entretien, tout en concevant que beaucoup reste encore à faire. Il a néanmoins insisté sur les responsabilités qui incombent au SSF. Il a ajouté qu'une bonne optimisation de l'entretien de la flotte supposait certes un bon maître d'_uvre et un bon maître d'ouvrage, mais qu'elle nécessitait également un niveau de crédits suffisants. Se référant à l'exemple de la révision de la grue du TCD Ouragan, dont la Marine a décidé de prolonger la durée de vie au-delà de 30 ans, il s'est interrogé sur la responsabilité du maître d'ouvrage qui avait demandé une simple réparation d'un matériel dont les faits ont démontré qu'il aurait été préférable de le changer. Il a ajouté à propos de cet exemple que les délais du Code des marchés publics empêchaient de passer rapidement un avenant au contrat initial pour apporter les modifications nécessaires à une structure plus atteinte qu'on pouvait imaginer.

MM. Charles Cova, Président, et Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, se sont interrogés sur la qualité des infrastructures portuaires. M. François Tandéo a reconnu que l'outil industriel était vétuste et que certaines contraintes pesaient sur la gestion des matériels. Il a insisté sur la réduction des marges de man_uvre de son établissement, rappelant que les mesures de départs volontaires à 52 ans avaient conduit à un dégraissage aveugle des effectifs qui se répercutait sur les compétences de DCN.

M. Robert Gaïa a demandé quelle profession DCN devait plus particulièrement recruter. Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a répondu qu'aux côtés de compétences de spécialistes, il fallait aussi maintenir certaines compétences insusceptibles d'être sous-traitées, tels les métiers de soutien de chantier, les appareilleurs par exemple, métiers qui, il y a trois ans encore, n'étaient pas considérés comme stratégiques pour l'établissement, et qui s'avèrent faire défaut aujourd'hui.

M. Charles Cova, Président, a demandé des précisions sur la situation des magasins de rechanges. M. François Tandéo a considéré que, si une certaine dégradation était constatée depuis une dizaine d'années en raison de la diminution des crédits et des restructurations parfois aveugles de DCN, il ne fallait pas opposer DCN et la Marine ni prendre certains propos pour argent comptant. Il a admis que certains stocks étaient inutiles et pesaient sur les comptes de DCN. Il a estimé que le transfert de la gestion des rechanges au SSF permettait de rationaliser la situation, tout en insistant sur la nécessité d'un partage fonctionnel cohérent dans lequel DCN se recentrerait sur la maîtrise des chantiers et les opérations de haute technicité. Dans ce cadre, il n'a pas contesté que la Marine souhaite récupérer la logistique des bâtiments militaires, dont les rechanges sont un aspect essentiel à leur disponibilité. Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a néanmoins attiré l'attention sur le fait que ce partage des fonctions n'était pas encore optimal. Il a toutefois convenu que l'évolution en cours permettrait de réduire les conflits de priorités.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur les rôles respectifs des AMF et de DCN. M. François Tandéo a mis en avant leur collaboration. Il a précisé que DCN gérait les rechanges des AMF, soulignant au passage que le service des achats d'urgence de DCN réalisait ainsi 50 % de son activité pour des achats dévolus à la Marine.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a observé que DCN, une fois transformée en société d'Etat, bénéficierait d'une réelle souplesse de gestion alors que le SSF devrait se conformer aux règles du Code des marchés publics. Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a estimé que la maîtrise d'ouvrage de la Marine était trop étoffée. Il a fait valoir que DCN devait renforcer sa capacité d'anticipation et de maîtrise d'_uvre afin de permettre un allégement de la maîtrise d'ouvrage. Concernant les AMF, il a considéré qu'un réajustement du périmètre serait nécessaire afin de clairement définir les rôles de chacun.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur l'éventualité de la concurrence d'industriels privés dans la réalisation du MCO. M. François Tandéo a craint que le maître d'ouvrage prenne des décisions insuffisamment réfléchies à l'encontre de DCN, dans une vision de court terme. Il a mis en avant la spécificité de nombreux matériels de la Marine pour faire valoir la difficulté de réaliser une activité sur mesure. Prenant l'exemple du site de Toulon, il a indiqué qu'il existait 100 types de compresseurs différents et 100 types de moteurs diesels différents.

M. Robert Gaïa s'est interrogé sur la compatibilité de l'entretien des SNA à Toulon lors des opérations d'entretien du porte-avions Charles de Gaulle. Le directeur de l'établissement de DCN à Toulon a estimé, à titre personnel, que les SNA de nouvelle génération Barracuda devaient être basés à Brest, la France n'ayant plus les moyens d'entretenir deux bases sous-marines distinctes. Il a néanmoins observé que Brest n'était pas en mesure de recevoir la totalité de l'entretien des SNA à court terme. Il s'est donc prononcé en faveur d'un transfert étalé, l'entretien courant des SNA pouvant être rapidement délégué à l'établissement de Brest, alors que le transfert des IPER devra être plus progressif compte tenu de son impact sur le plan de charge de l'établissement de Toulon. Tout en convenant du manque de marges de man_uvres dû à la conjonction de l'entretien du porte-avions Charles de Gaulle et des SNA, il a plaidé pour une solution réfléchie intégrant une dimension économique quant aux coûts qui en résulteront.

M. Robert Gaïa a fait valoir que le transfert de l'entretien des SNA à Brest risquait de conduire à une perte de savoir-faire de l'établissement de Toulon dans le domaine nucléaire. M. François Tandéo s'est prononcé dans ce domaine en faveur d'une pérennisation des activités de DCN dans une société commune avec Technicatome. Il a considéré qu'à l'échéance de 2012-2013, il était envisageable de réaliser quelques IE ou IPER de SNA à Toulon dans la mesure du possible. Concluant l'entretien, il a mis en exergue que le nombre de chefs d'équipes était suffisant mais que leurs tâches étaient trop administratives en raison notamment des problèmes rencontrés dans le cadre de la contractualisation, la préparation et les approvisionnements. Il a admis que DCN manquait de cadres et de certaines professions ouvrières. Néanmoins, il a attiré l'attention sur le fait que la Marine consacrait à Toulon 1,8 milliard de francs (270 millions d'euros) par an au MCO d'un patrimoine qu'il a évalué à 90 milliards de francs (13,72 milliards d'euros), soit un ratio de 2 % du prix d'acquisition (plus précisément 3 % pour les SNA et 1,5 % pour la flotte de surface) ; ce ratio est faible en regard de celui des autres pays européens.

2.4. Visite de la pyrotechnie

Au cours de cette visite, la mission d'information a pu constater que les installations couvrent une zone très étendue dont la surveillance est difficile et donne lieu à de nécessaires investissements pour pallier les effets de la professionnalisation, investissements dont il faudra absolument assurer le financement.

ANNEXE N°5

DÉPLACEMENT DE LA MISSION D'INFORMATION
À BREST, LES 10 ET 11 JUILLET

Lors de son déplacement à Brest, les 10 et 11 juillet 2001, la mission d'information sur l'entretien de la flotte a procédé à l'audition de plusieurs autorités organiques de la Marine, membres d'équipages, représentants du service de soutien de la flotte et de la direction de DCN.

I. - COMPTE RENDU DES AUDITIONS DE LA JOURNÉE DU 10 JUILLET

1.1. Audition du Vice-amiral Edouard Scott de Martinville, commandant les forces sous-marines et la force océanique stratégique (ALFOST)

Après avoir rappelé pourquoi l'entretien des sous-marins influait sur le moral des équipages et la sécurité des sous-marins, le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a indiqué que les crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle (MCO) des SNLE s'élevaient à 1,1 milliard de francs (167,7 millions d'euros), soit environ le double de ceux alloués à la maintenance des SNA. Il a précisé que la force océanique stratégique (FOST) était composée de 2 SNLE-M4 et de 2 SNLE de nouvelle génération, plus chers en termes d'entretien alors qu'il était visé de maintenir constant le budget consacré à leur maintien en condition opérationnelle.

Il a souligné que l'équation budgétaire conduisait à réaliser des économies sur l'entretien courant en diminuant le nombre d'IE effectuées à l'Ile Longue chaque année (huit actuellement contre dix-sept en 1992). Se référant à la mission de la FOST, assurer la permanence de 2 SNLE à la mer si nécessaire, il a justifié la nécessité de disposer de quatre sous-marins dont 3 dans le cycle opérationnel, armés à deux équipages. Il a ajouté que l'entrée en service du missile M 51 devrait intervenir avant la fin de la décennie ; elle sera couplée avec l'admission au service actif du quatrième SNLE de nouvelle génération.

ALFOST a considéré que les 85 jours de mer par an effectués aujourd'hui en moyenne par chaque équipage constituaient un seuil en deçà duquel il ne fallait pas descendre.

Abordant la question des économies réalisées sur l'entretien majeur, il a illustré son propos par l'exemple de l'IPER du SNLE Le Triomphant, dont le coût et la nature des prestations sont toujours en discussion entre l'autorité organique, le maître d'ouvrage, le SSF, et le maître d'_uvre, DCN.

A une question de M. Charles Cova, Président de la mission, sur le devenir des missiles démantelés, le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a répondu que les propulseurs étaient détruits et que les matières fissiles des têtes nucléaires étaient récupérées, afin de fabriquer les nouvelles têtes, le renouvellement des matières fissiles étant impossible depuis la fermeture des installations de production. Il a précisé que les stocks avaient été jugés juste suffisants pour garantir la constitution des lots de têtes futurs.

Le Chef d'état-major du commandant de l'escadrille des SNLE (ESNLE) a ensuite effectué une présentation de la problématique de l'entretien des SNLE.

Il a indiqué que compte tenu des missions de la FOST et du nombre de bâtiments en service, le cycle d'entretien s'articulait autour d'une chaîne continue d'IPER concernant à tour de rôle une seule des 4 unités ; deux sous-marins sont constamment disponibles ; le quatrième bâtiment fait l'objet d'un entretien courant.

Deux chantiers d'entretien s'organisent autour de deux bassins : l'un est dédié aux IPER de longue durée ; l'autre est dédié aux indisponibilités pour entretien, à raison de huit par an. En février 2002 commencera l'IPER du SNLE Le Triomphant, prévue pour durer jusqu'en 2004.

Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a insisté sur les contraintes liées à l'entretien, à savoir :

- une obligation de disponibilité forte, de 95 % hors périodes d'entretien ;

- des installations complexes ;

- des exigences de sécurités sévères s'agissant des systèmes d'armes, des chaufferies et des installations nucléaires ;

- la continuité de la chaîne d'entretien.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a précisé qu'avant de prononcer la disponibilité pour patrouille de chaque unité, il passait deux jours à bord afin de juger de l'état du bâtiment. Il a indiqué qu'il arrivait que de petits problèmes techniques soient décelés à cette occasion imposant un retour à quai.

Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a fait valoir que les retards d'entretien, apparus à partir du premier semestre 1999 (vingt jours cumulés), s'étaient accentués au cours de l'année 2000 (trente cinq jours de retard cumulés au second semestre 2000). Il a mis en avant la difficulté de la chaîne d'entretien à absorber les retards qui se cumulaient, insistant sur le fait que cette situation n'avait pas eu d'incidence majeure sur la disponibilité opérationnelle des SNLE pour le moment.

Il a évoqué certains défauts concernant la qualité des prestations du maître d'_uvre, soulignant que le chantier de l'Ile Longue avait vu ses effectifs fortement réduits. Désormais, le personnel est prioritairement mobilisé par la réalisation des travaux, au détriment de la réflexion de fond sur les problèmes techniques dans les bureaux d'études.

M. Charles Cova, Président, a demandé si le maître d'_uvre réalisait des travaux supplémentaires à ceux demandés par le SSF. Il lui a été répondu que cela arrivait pour la réparation d'avaries constatées en cours de travaux.

Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a ajouté que les personnels du chantier de l'Ile Longue travaillaient désormais huit heures par jour et que la gestion de leur temps de travail influait nécessairement sur l'organisation du cycle d'entretien, ce qui était moins le cas auparavant dans la mesure où le personnel du chantier était organisé pour pouvoir travailler dès que nécessaire selon le mode des deux huit. Il en a déduit que la diminution des effectifs de DCN rendait plus difficile la programmation du cycle d'entretien, toute erreur de coordination étant susceptible de se répercuter sur la qualité des travaux et la disponibilité des unités.

L'ingénieur de l'armement responsable de l'entretien des SNLE à Brest, l'IPA de Garidel qui assistait à l'audition, a estimé que la réorganisation de DCN, qui avait été engagée pour diminuer ses coûts, avait pour corollaire de réduire la réactivité du maître d'_uvre.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a attiré l'attention sur le fait que les retards de quelques jours qui étaient constatés à l'occasion de l'entretien des SNLE, devaient être relativisés au regard des 42 semaines de retard en sortie d'IPER subies par le SNA Rubis. Il a insisté sur leur non-incidence quant à la disponibilité des SNLE.

Concluant sa présentation, le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a considéré que la situation de l'entretien des SNLE était acceptable en termes de délais mais vulnérable sur le plan de la qualité. Il a mis en exergue des marges de man_uvre réduites.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les conséquences de la réorganisation des capacités de production de DCN sur l'entretien des SNLE. Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a rappelé que le contexte stratégique était différent de celui de la guerre froide. Il a souligné que l'environnement actuel ne justifiait plus une chaîne de travaux fonctionnant 24 heures sur 24, ce qui permettait de réaliser des économies de fonctionnement.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur la spécialisation des personnels, il a été répondu que les personnels qualifiés de DCN étaient relativement limités et qu'il fallait parfois jongler entre les différents chantiers en fonction des priorités.

Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a mis en exergue les difficultés majeures rencontrées à l'occasion de l'entretien des SNLE, en l'occurrence :

- les déficits en personnels de DCN ;

- une dissociation trop forte du travail des ateliers par rapport à celui des chantiers ;

- les délais de passation des marchés publics : la passation du marché pour le contrôle du turboalternateur de l'Indomptable lors de son IE longue a pris plus de temps que l'exécution des travaux elle-même ; celle-ci n'est intervenue qu'à la fin de l'IE, ce qui aurait pu avoir des conséquences sur la disponibilité du bâtiment ;

- les difficultés d'organisation liées à la dualité des SNLE (M4/nouvelle génération), même si les faits ont validé les choix effectués.

Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a précisé ensuite que le taux de présence des SNLE à l'Ile longue se situait entre 1 et 1,2 entre 1986 et 1990. Ce taux est monté jusqu'à 3,1 en 1996 et avoisine les 2,6 aujourd'hui. Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE en a déduit que ce taux lié à une moindre activité à la mer de la force, conséquence du nouveau contexte stratégique, pesait sur la disponibilité des installations de la base de l'Ile longue d'autant plus qu'elles avaient trente ans maintenant.

Il a alors évoqué le contexte de la contractualisation des travaux, soulignant que les moyens du SSF de Brest étaient accaparés par ce processus du fait que DCN Brest adoptait une position d'industriel pur en n'anticipant pas les commandes, à l'image de l'IE de l'Indomptable qui avait pris 15 jours de retard pour cette raison.

L'Ingénieur en Chef de l'Armement (ICA) Xavier Lebacq, directeur du SSF de Brest, a considéré qu'il était difficile de faire appel à un autre maître d'_uvre que DCN Brest pour l'entretien des SNLE. Il n'en a pas moins considéré que le client, la Marine, était en droit et en devoir de négocier les devis, processus qu'il a estimé en cours d'apprentissage.

Répondant à une question de M. Charles Cova, Président, sur la marge de man_uvre du maître d'ouvrage pour organiser et contractualiser les autres grands carénages de sous-marins, il a ajouté que les autorités organiques devaient hiérarchiser leurs priorités. Il a précisé que DCN était un bon maître d'_uvre sur le plan technique mais que l'industriel public était confronté aux difficultés liées aux processus contractuels (internes avec le SSF et externes avec le Code des marchés publics). Il en a déduit qu'en cas de divergences fortes à l'occasion des négociations de contrats, les arbitrages devraient probablement remonter au niveau ministériel.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a souligné que la contractualisation des opérations d'entretien était le gage d'une bonne transparence de l'utilisation des crédits.

L'ICA Xavier Lebacq a attiré l'attention sur le fait que le cadre réglementaire du Code des marchés publics était devenu à ce point compliqué qu'il était désormais une affaire de spécialistes. Il a souligné que DCN et le SSF (2-3 acheteurs font défaut à ce dernier sur l'effectif pour 2001) manquaient de professionnels des achats, ce qui se répercutait sur leur réactivité.

Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a illustré le débat par l'exemple de l'IPER du SNLE Le Triomphant. Il a indiqué que le devis d'une IPER nominale devait être voisin de 1 800 millions de francs (274,4 millions d'euros), que les propositions initiales de DCN avoisinaient 1 450 millions de francs (221 millions d'euros) et que le SSF avait pour mandat de ramener le coût de l'opération à 1 000 millions de francs (152,4 millions d'euros). Après avoir précisé que les opérations ayant trait à la sécurité ne seraient pas concernées, il a fait état des difficultés à définir la tranche optionnelle des travaux, sujet des discussions en cours. Il a ainsi pris l'exemple des usines de production d'oxygène, expliquant que la décision avait été prise de vérifier seulement l'une des deux unités fonctionnant sur le bateau au motif que ces installations sont redondantes et qu'une seule permet d'assurer le renouvellement de l'oxygène en plongée.

Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a observé que le SNLE Le Triomphant avait navigué 13 cycles, soit deux fois moins qu'un SNLE de type M4 entrant en IPER, ce qui rendait possible des économies sur les travaux d'IPER. Il a ajouté que le bâtiment avait subi par ailleurs une IE allongée de six mois, il y a un peu plus d'un an.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé quelles propositions le SSF de Brest avait suggéré pour diminuer le coût de l'entretien des SNLE. Le Chef d'état-major du commandant de l'ESNLE a répondu qu'une amélioration de la coordination et de la planification des travaux était susceptible de favoriser les gains de productivité de l'industriel.

L'ingénieur de l'armement responsable de l'entretien des SNLE à Brest a précisé que le SSF contractait quasi-exclusivement avec DCN et que le bord et les AMF ne réalisaient presque pas de travaux sur les SNLE, quand bien même cette tendance était en cours d'inflexion en raison des contraintes budgétaires.

Il a expliqué que les contrats d'entretien portaient sur les IE et les installations de soutien (entretien courant), les IPER et IE longues (entretien majeur) ainsi que sur des prestations connexes (rechanges, essais et mesures, etc.). Après avoir observé que DCN se désengageait de plus en plus de la gestion des infrastructures, opérations externalisables, il a évoqué l'organisation matricielle du SSF de Brest, dont l'équipe réalisant le suivi des SNLE est composée de 17 personnes et gère un budget d'1,1 milliard de francs (167,7 millions d'euros).

Il a rappelé les contraintes spécifiques à l'entretien des SNLE, insistant tout particulièrement sur la diminution des crédits qui y étaient consacrés : 1 600 millions de francs (243,9 millions d'euros) en 1997 ; 1 200 millions de francs (182,9 millions d'euros) en 2000 ; 1 100 millions de francs (167,7 millions d'euros) en 2001 et 2002. Il a ensuite apporté les précisions suivantes sur le coût des opérations d'entretien :

- l'IPER de l'Inflexible (de 1997 à 1999) a coûté 640 millions de francs (97,6 millions d'euros) ;

- une IE de SNLE M4 coûte 17 millions de francs (2,6 millions d'euros) contre 25 millions de francs (3,8 millions d'euros) pour une IE de SNLE de nouvelle génération ;

- l'IE longue du Triomphant (de 1999 à 2000) a coûté 165 millions de francs (25,1 millions d'euros) alors que celle du Téméraire, SNLE de nouvelle génération lui aussi, ne coûtera que 122 millions de francs (18,6 millions d'euros).

L'ingénieur de l'armement responsable de l'entretien des SNLE à Brest a souligné que le SSF de Brest assumait les charges suivantes :

- une maîtrise d'ouvrage lourde ;

- la contractualisation des opérations avec DCN ;

- l'expertise technique des réparations ;

- la reprise de certaines tâches anciennement dévolues à l'autorité organique ;

- la planification des opérations à venir.

Il a estimé que les retards de réparation constatés étaient dus pour l'essentiel à l'application du Code des marchés publics. Il s'est référé, à cet égard, à l'exemple d'une intervention sur un rotor de l'Indomptable, opération nécessitant quinze jours de travaux qui a nécessité huit mois de délais dû à l'application du cadre réglementaire par le maître d'_uvre, avec au final une semaine de retard.

L'ICA Xavier Lebacq a précisé que les seules marges de man_uvre réglementaires donc DCN bénéficie pour sous-traiter certaines opérations sont l'utilisation de marchés globaux de sous-traitance ou la notification de marchés spécifiques forfaitaires, démarches qui résument tout le problème de la contractualisation pour DCN.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur le caractère de prototypes des SNLE, le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a répondu que les trois premiers SNLE de nouvelle génération seront identiques, le quatrième comportera certaines différences au niveau des équipements liées aux obsolescences informatiques. Ainsi son système d'armes tactique devrait être le même que celui des SNA de type Barracuda.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est demandé si le SSF adoptait une démarche de retour d'expérience permettant d'optimiser l'entretien dès la conception des bâtiments futurs. Le directeur du SSF de Brest a répondu que son service entretenait des contacts étroits avec le service de programmes navals (SPN) de la DGA. Il a estimé que les concepteurs des navires se préoccupaient davantage, désormais, de faciliter leur entretien. Il a convenu qu'une logique de programmes fondée sur le coût de possession était pertinente, tout en soulignant que les chiffres, dans le cadre d'un tel raisonnement, seraient plus impressionnants (car se rapportant à l'acquisition et au MCO pendant les 40 années de vie d'un bâtiment).

L'ingénieur de l'armement responsable de l'entretien des SNLE à Brest a souligné que certaines non-qualités étaient imputables à la sous-traitance de DCN, ce dernier étant insuffisamment dimensionné et compensant par un recours aux sous-traitants, le plus souvent sur la base du moins disant. En cas de malfaçon, DCN peut se retourner contre le sous-traitant, sous réserve que les spécifications initiales aient été suffisamment précises pour que l'entreprise mise en cause ne puisse en exciper afin de se décharger de ses responsabilités.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé le sentiment d'ALFOST sur la présence à bord des équipages, lors des IPER et des IE. Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a précisé que les deux équipages restaient à bord lors des IE et qu'un seul équipage, en format réduit, suivait le déroulement des IPER. Le rôle du personnel militaire pendant l'IPER était en cours de réexamen.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur les incidences, en termes de gestion des ressources humaines, du transfert éventuel des SNA à Brest. Le Vice-amiral Edouard Scott de Martinville a fait valoir que ce transfert se justifiait par des raisons organiques : le retour d'expérience tactique entre les deux types de sous-marins sera facilité ; le regroupement des escadrilles engendrera des économies au niveau des structures d'encadrement et de soutien. Il a convenu toutefois que cette réorganisation se traduirait par une charge de travail plus forte pour le site de Brest, ce qui supposait une adaptation de la chaîne d'entretien tout en maintenant une compétence à Toulon pour les interventions occasionnelles.

Au terme de l'entretien, l'ICA Xavier Lebacq a mis en avant que les sous-marins étaient privilégiés s'agissant des rechanges, jugeant la situation de la flotte de surface plus préoccupante.

1.2. Audition de plusieurs membres de l'équipage bleu du SNLE de nouvelle génération Le Téméraire

Le commandant du SNLE-NG Le Téméraire a indiqué que son bâtiment était entré en IE longue le 18 juin 2001 et devait en sortir le 15 mars 2002. Il a précisé que l'immobilisation était principalement justifiée par une visite complète des circuits d'eau de mer.

Abordant la question de l'entretien sous son angle pratique, il a expliqué que la première des difficultés auxquelles il s'était trouvé confronté était de proposer à l'autorité organique l'ordre de priorité des différents travaux du fait de la méconnaissance du coût de chaque intervention, le coût des interventions pouvant amener à faire appel à l'équipage pour effectuer des opérations d'entretien autrefois dévolues à la direction des constructions navales. Il a insisté sur le fait que l'équipage prenait à son compte une charge de travail supplémentaire dont il a estimé qu'elle ne se traduisait pas par un retour financier suffisant, les coûts ne diminuant pas à due proportion. Cet effort supplémentaire de la part des équipages atteindra vite ses limites en raison de leur effectif peu nombreux.

Le commandant a souligné que la sécurité du chantier était également au nombre de ses principales préoccupations, sa responsabilité étant d'éviter tout accident. Il a regretté que DCN recoure de plus en plus à la sous-traitance, observant que cette tendance se traduisait par une moindre qualification du personnel ouvrier, qui n'était pas compensée par un encadrement suffisamment étoffé, d'autant plus qu'une grande partie de cet encadrement avait été renouvelée depuis peu.

Le commandant adjoint opérations a rappelé que l'IE du SNLE Le Téméraire était la première à faire l'objet d'une contractualisation détaillée entre SSF et DCN, ce qui avait engendré quinze jours de retard avant le début des travaux, retard auquel s'étaient rajoutés quinze jours supplémentaires en raison de la reconfiguration des équipes de DCN. Il a ajouté que la contractualisation mobilisait beaucoup d'énergie (un tiers de charge de maintenance en plus pour l'équipage) pour un gain qui n'était pas toujours évident, ce qui avait des incidences sur le moral. Il a estimé que DCN avait du mal à chiffrer clairement chaque ligne de travail.

Le Major chef du secteur « réacteur » a souligné qu'il ne rencontrait pas de difficultés particulières dans son secteur, étant donné son caractère prioritaire. Il a néanmoins constaté une dégradation des relations entre DCN et le bord en raison des contraintes croissantes (équipes moins nombreuses) qui pèsent sur DCN (atelier réacteur) et craint une perte de compétences qui pourrait résulter de cette baisse des effectifs DCN et du recours éventuel à la sous-traitance.

Le Premier Maître responsable de la mise en _uvre des missiles a porté un jugement similaire pour son secteur.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur l'appréciation du rôle du SSF de Brest par l'équipage, un Maître Principal a répondu que le SSF assumait une lourde charge de travail et que la circulation de l'information entre le SSF et DCN avait des difficultés à se mettre en place convenablement. Le commandant a ajouté que le personnel du SSF qui était issu de la DGA ou de DCN se trouvait parfois en porte à faux et que l'esprit de corps pouvait biaiser les rapports du SSF avec DCN. Il s'est prononcé en faveur d'un maître d'ouvrage complètement étatique et impartial.

Le Lieutenant de Vaisseau en charge du secteur des armes stratégiques a estimé que le SSF se plaçait parfois du côté de DCN, relevant que dans l'hypothèse où le coût des travaux que l'équipage se proposait de prendre à sa charge, pour réaliser des économies, se révélait important, le SSF décidait de ne pas y donner suite (pour des raisons de plan de charge DCN). Il a noté que dans le domaine des tubes de missiles, DCN avait perdu des compétences. Un Maître Principal a ajouté que la sous-traitance des activités de DCN rendait plus difficile à tenir compte du savoir-faire des intervenants.

Un autre Maître Principal, responsable des installations hydrauliques et président des officiers mariniers, a souligné que les personnels des sous-traitants ne connaissaient pas vraiment le bateau, ce qui imposait à l'équipage d'assurer leur formation sur ses caractéristiques techniques et de les surveiller afin d'éviter des accidents.

M. Charles Cova, Président, a demandé combien de lignes de travail l'équipage reprenait à son compte. Le commandant a répondu que très récemment encore, DCN effectuait la totalité des réparations et inspections. Désormais, dans un souci d'économies, le bord effectue une partie des travaux (23 % des travaux préventifs, en nombre de travaux demandés). Il s'est plaint qu'il faille parfois se battre pour que le démontage et le remontage de certaines pièces soient réalisés dans les temps. Il a également constaté l'apparition de malfaçons, phénomène qui n'existait pas quand la sous-traitance était moindre. Il a regretté que le recours à la cannibalisation des pièces tende à se banaliser.

Le Major chef du service réacteur a expliqué que les modèles d'écran de pupitres réacteurs sur Le Téméraire n'existaient plus, ce qui posera des problèmes de rechange à terme.

Un Premier Maître a manifesté l'inquiétude des équipages qui, demandant le remplacement de flexibles d'installations parvenus à l'échéance, risquent d'obtenir des rechanges périmées. Il a insisté sur les délais imposés par les procédures en vigueur, les jugeant inadaptées.

Le Major chef du service lutte au dessus de la surface a attiré l'attention sur le fait qu'avant l'IE du SNLE Le Téméraire un seul périscope était disponible pour les deux sous-marins en service (Le Téméraire et Le Triomphant), la seconde installation servant à fournir les rechanges nécessaires. Le commandant a expliqué que ce problème était lié à l'arrêt de la production des caméras infrarouges par le fournisseur ; les troisième et quatrième SNLE-NG recourront à une technologie différente. Il a attiré l'attention sur le problème de l'évolution technologique et de la péremption des rechanges, observant qu'aucun fournisseur, y compris dans le secteur automobile, ne s'engage à fournir des pièces au-delà de dix ans après la fin de production d'un modèle de véhicule. Il s'est prononcé en faveur d'une révision de la politique de rechanges de la Marine, par un provisionnement, dès l'entrée en service des bâtiments, du renouvellement des équipements obsolètes à une échéance d'une dizaine d'années. Il a regretté que le SSF ne dispose pas de magasiniers ni de suffisamment d'acheteurs pour gérer dès à présent les stocks existants.

Un Premier Maître a souligné que même l'ampoule de la table à cartes de la passerelle était échangée entre le bâtiment entrant et le bâtiment sortant d'IE.

Le commandant a précisé qu'une poignée de porte avait même été laissée à un sous-marin reparti en patrouille. Il a ajouté que les Commissions de maintenance (dont font partie la DGA (SPN/MOP), DCN, le SSF, des représentants de l'autorité organique), chargées d'adapter le niveau des rechanges aux besoins, avaient formulé des recommandations qui n'avaient eu aucune suite concrète.

Observant que le temps administratif n'a pas la durée du temps industriel, il a illustré son propos en indiquant qu'une modification d'allocation de matériels qui avait été formulée à l'été 2000 était actuellement en cours de traitement. A titre de comparaison, il a considéré que dans le secteur concurrentiel, une commande était honorée en quinze jours.

Le commandant adjoint opérations a fait valoir que le SSF de Brest, qui manque de personnels et parfois de formation, n'a pas encore atteint ses pleines capacités de fonctionnement.

Le Major chef du secteur réacteur a constaté qu'un délai de trois semaines s'était écoulé pour la fourniture de matériels pour les chaufferies, en application du Code des marchés publics, alors même que Technicatome disposait des pièces en question ; le marché étant mal passé, il a fallu attendre.

Le commandant a souligné que la rédaction des contrats initiaux n'était pas toujours exhaustive, obligeant l'introduction d'avenants générateurs de retards.

Le commandant adjoint opérations a reconnu que les forces sous-marines bénéficiaient d'une situation acceptable, comparativement à la flotte de surface. Il n'en a pas moins constaté le début d'une dégradation de la réalisation des travaux d'entretien.

Le Capitaine de Corvette responsable de la sécurité plongée a estimé que si la Marine devait elle aussi apprendre à faire des économies, il ne fallait pas aller trop loin sous peine de porter atteinte à la sécurité des équipages et ce, tout particulièrement dans le cas des sous-marins du fait des risques induits par la navigation en plongée.

Le commandant a fait valoir que Le Téméraire était un navire remarquable et très discret mais que les coûts d'achat et d'entretien étaient proportionnels à sa haute technicité. En réponse à M. Charles Cova, Président, sur les avaries rencontrées en mer, il a ajouté qu'il n'était pas question aujourd'hui d'interrompre une mission pour des raisons de maintenance, ce qui serait plus difficile à réaliser dès lors que la redondance des équipements ne serait plus assurée totalement à l'appareillage.

1.3. Audition du Vice-amiral Jean-François Cot, adjoint au commandant de la force d'action navale

Le Vice-amiral Jean-François Cot a observé plusieurs retards de réparation de bâtiments de surface basés à Brest. Il a cité à cet égard :

- le cas du chasseur de mines tripartite Verseau, tombé en avarie juste avant son IPER et immobilisé depuis en raison de l'indisponibilité de rechanges ;

-  le cas de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, entrée en IPER avec un mois de retard à cause de difficultés de contractualisation entre le SSF et DCN ;

- et enfin, le cas du remorqueur Rari, dont l'IPER avait pris trois mois de retard en raison d'une réalisation aléatoire des travaux de réparation.

Le Vice-amiral Jean-François Cot a estimé que l'origine du problème n'était pas financière, à l'exception notable de la question des stocks de rechanges.

Il a cité d'autres exemples de retards : la sortie d'IEI du remorqueur Malabar dix-sept semaines après la date prévue, la sortie d'IEI du patrouilleur Sterne treize semaines après l'échéance initiale. Il en a déduit de fortes implications sur le moral des équipages.

Observant que l'établissement de DCN à Brest disposait d'atouts pour surmonter ses difficultés, il a jugé que l'établissement de Toulon était moins réactif. Il s'est référé à cet égard à la panne de la frégate de lutte anti-sous-marine Tourville, lors d'un exercice interallié en Méditerranée : alors que l'établissement de DCN à Toulon s'est révélé incapable d'envoyer une équipe réparer les chaudières du bateau, en avarie à Naples, l'établissement de DCN à Brest a mis en place une équipe incorporant des personnels des AMF, ce qui a permis de réparer le bateau en cinq jours.

Le Vice-amiral Jean-François Cot a considéré que l'établissement de DCN à Brest était confronté à des problèmes de défauts de recrutements (manque de chefs d'équipe) et de disparition de certaines compétences (conséquence des départs anticipés à 52 ans).

Alors que M. Charles Cova, Président, constatait que la majorité des grues du port de Toulon était en panne, le Vice-amiral Jean-François Cot a fait remarquer qu'il en allait de même à Brest.

En réponse à une interrogation de M. Charles Cova, Président, sur l'absence de réaction devant la perte de compétences de DCN depuis 1996-1997, le Chef d'état-major du Vice-amiral Cot a souligné que la dégradation de la situation était observée à Brest depuis un an seulement. Il en a attribué la cause à la désorganisation de DCN.

Le Vice-amiral Jean-François Cot a ajouté que l'application plus rigide du Code des marchés publics depuis un an pénalisait DCN. Il s'est référé au cas du chasseur de mines tripartite Verseau, dont les pièces de rechange (des joints pour un montant total d'une valeur de 100 000 francs, soit 15 244,5 euros) n'existant pas en stock, devaient faire l'objet d'un appel d'offre et donc d'un approvisionnement avec un retard de huit semaines.

Il s'est inquiété des répercussions de cette situation sur la crédibilité opérationnelle de la Marine, soulignant que la présence de bâtiments à proximité de l'Afrique afin de protéger les ressortissants français ou européens pouvait en être affectée.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur la qualité des travaux du maître d'_uvre. Le Vice-amiral Jean-François Cot a observé que certains bâtiments sortant de réparation revenaient avec des pannes graves, tel le pétrolier ravitailleur Meuse. Il a considéré qu'il était difficile de définir les responsabilités, DCN recourant de plus en plus à la sous-traitance.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné l'impact des restructurations successives de DCN sur l'encadrement des personnels d'exécution. Le Chef d'état-major du Vice-amiral Cot a expliqué que les problèmes les plus significatifs concernaient les rechanges, pour lesquels les équipages ne pouvaient s'approvisionner directement dans les commerces de la ville en raison du cadre réglementaire, et l'absence de coordination des travaux de réparation à bord des bateaux, du fait du manque de chefs d'équipe. Il en a déduit l'absence de garantie sur les échéances des réparations.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur l'efficacité et le rôle du SSF de Brest face à une telle situation. Le Vice-amiral Jean-François Cot a indiqué que le service de Brest avait été mis en place fin septembre, ce qui était récent. Il a considéré que le suivi technique des réparations était assuré mais que des effectifs spécialisés dans la passation des marchés publics manquent. Il a ainsi admis que le retard de l'IPER de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville était partiellement imputable au SSF de Brest qui n'avait pas réussi à négocier au mieux et dans les temps avec l'établissement de DCN, préparé à cette méthode depuis la réalisation des plates-formes pétrolières SFX. Il a ajouté que le SSF sera toujours tenu d'observer les règles du Code des marchés publics, ce qui pourrait poser un problème de réactivité.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a estimé que le SSF pourra s'appuyer sur des contrats spécifiques intelligemment conçus ou sur des marchés génériques pour gagner en souplesse ; il s'est déclaré confiant dans l'amélioration de la situation, d'autant que DCN pourra réagir plus rapidement.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur l'opportunité d'allouer une somme permettant à chaque équipage d'acheter par lui-même des pièces de rechange de faible valeur, le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a répondu que cette question était en cours d'examen et que la régie mise en place auprès de chaque directeur local du SSF allait permettre de régler ce genre de menues dépenses.

Le Chef d'état-major du Vice-amiral Cot a observé que la traçabilité des pièces de rechange était très faible : les pièces de rechange des pompes du chasseur de mines tripartites Verseau ont été trouvées par hasard.

Le Vice-amiral Jean-François Cot a évalué à deux-trois ans la période au cours de laquelle la situation des rechanges sera délicate.

Alors que M. Charles Cova, Président, relevait que les règles du Code des marchés publics visaient aussi à éviter que des liens trop étroits ne se nouent entre acheteurs et fournisseurs, le Vice-amiral Jean-François Cot a souligné que la mise en concurrence trouvait ses limites lorsque, en Outre mer notamment, un seul chantier de réparation s'avère capable de réaliser les travaux. Il a cité le cas du patrouilleur La Capricieuse, confronté dans les Antilles à des problèmes de coque pour lesquels il a fallu lancer un appel d'offre européen et perdre quatre mois en procédures alors que dès l'origine il était évident que le chantier local était le seul intéressé par ce marché de tôlerie.

M. Antoine Carré s'est étonné que les effets de seuil du Code des marchés publics empêchent des fournitures, en joints par exemple, dont la valeur unitaire est faible. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a précisé que les seuils jouent désormais par produits et non plus par fournisseur. Il a estimé qu'un rétablissement des stocks de rechanges était nécessaire pour améliorer la situation. Il a évalué le montant de l'investissement à 200 millions de francs (30,5 millions d'euros) par an, pendant trois ans.

M. Antoine Carré a demandé combien de bâtiments de la flotte de surface basée à Brest étaient disponibles. Le Vice-amiral Jean-François Cot a répondu que 5 des 10 chasseurs de mines tripartite étaient en IA et que seulement 2 étaient véritablement opérationnels. Compte tenu du degré de sophistication et de la relative fragilité de ces bâtiments, il faut que le maintien en condition opérationnelle soit assuré très rigoureusement pour que l'on puisse participer aux grands exercices internationaux conformément à la programmation annoncée à nos alliés.

En réponse à M. Charles Cova, Président, sur la cannibalisation des pièces des 5 chasseurs de mines tripartite en IA, le Vice-amiral Jean-François Cot a répondu que les turbines à gaz et les gouvernails actifs étaient les équipements tombant le plus en panne et qu'il était difficile de cannibaliser le reste des matériels, sous peine de les fragiliser.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé si la modernisation des chasseurs de mines tripartite avait commencé et quel rôle jouaient les AMF dans ce processus. Le Vice-amiral Jean-François Cot a répondu que l'IPER/modernisation de l'Andromède venait de débuter et qu'elle serait réalisée par DCN, pour l'essentiel. Il a précisé qu'en revanche DCN ne réalisait que 5 à 10 % des travaux pendant les périodes d'entretien intermédiaire habituelles, le reste étant dévolu aux bords et à l'AMF. Il a jugé que le travail des AMF était efficace et s'est prononcé pour le renforcement de leurs capacités, dans le domaine des achats notamment.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné que les AMF étaient confrontés à l'application du Code des marchés publics. Le Vice-amiral Jean-François Cot a répondu que le SSF passerait les marchés et que DCN et les AMF n'intervenaient pas pour les mêmes opérations d'entretien. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a précisé que le SSF avait prévu de doter les AMF d'un lot d'atelier correspondant à un stock de rechanges équivalent à un an d'opérations d'entretien.

Le Chef d'état-major du Vice-amiral Cot a souligné que les équipages étaient exaspérés de ne pouvoir s'approvisionner en rechanges disponibles dans le commerce civil.

Le Vice-amiral Jean-François Cot a considéré qu'il serait sans doute utile que les équipages puissent financer directement les approvisionnements en petits rechanges. M. Charles Cova, Président, a répondu que la Commission de la Défense étudiait les voies législatives permettant d'ouvrir cette possibilité.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a fait observer que les commandants de bâtiments en escale à l'étranger pourront disposer dans un avenir proche d'une dotation d'un montant maximum de 10 000 francs (1 500 euros) pour réaliser des achats divers, après qu'ils en auront fait part au SSF. Le Vice-amiral Jean-François Cot a souhaité que cette mesure soit élargie aux rechanges et aux bâtiments à quai dans leur base. Revenant sur le rôle des Contrôleurs généraux des Armées, il a tenu à préciser que ceux-ci n'exerçaient pas seulement un contrôle tâtillon : à Brest par exemple, le Contrôleur général des Armées a contribué à débloquer des achats sur facture de DCN, favorisant ainsi l'aboutissement plus rapide de certaines réparations de bâtiments.

1.4. Audition de plusieurs membres d'équipage du chasseur de mines tripartite Verseau

Après avoir présenté son bâtiment (50 membres d'équipage, coût de 500 millions de francs, soit 76,2 millions d'euros) le commandant du chasseur de mines tripartite Verseau a indiqué que celui-ci se trouvait en IA depuis le 1er janvier 2001 en raison de problèmes de propulsion. Il a expliqué que le bateau n'était toujours pas disponible à cause de rechanges en attente, dont le coût avoisine les 100 000 francs (15 244,50 euros). Le commandant a insisté sur les conséquences de l'immobilisation prolongée de son bâtiment, et pour la qualification opérationnelle, et pour le moral de son équipage.

Au cours de la table ronde qui a suivi avec les membres d'équipage, un Maître Principal a fait valoir son sentiment d'amertume et d'incompréhension. Il a estimé que le budget de la Marine nationale était incompatible avec les ambitions qu'on lui assignait.

MM. Charles Cova, Président, et Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, ont mis en parallèle la situation de la Marine avec celle des autres armées. Ils ont souligné que l'entretien était surtout confronté à un problème d'utilisation des crédits.

Un Premier Maître a observé que les mécaniciens du Verseau attendaient les rechanges pour réparer depuis 160 jours. Il a indiqué que les joints nécessaires étaient attendus fin juillet et que l'équipage devrait fournir un gros effort pour que le navire soit paré à appareiller en septembre. Le commandant a ajouté que 30 % de nouvelles recrues arriveront au cours de l'été ; ce phénomène se cumulera avec le défaut d'entraînement du reste de l'équipage. Il a insisté sur le besoin de retrouver un niveau de qualification opérationnelle en phase avec l'objectif de déploiement en Méditerranée et à Djibouti pour trois mois à partir de septembre.

Après que M. Charles Cova, Président, eut évoqué les raisons structurelles des difficultés d'entretien flotte, le commandant a déploré que le système de gestion des rechanges en flux tendus ait été adopté avant que les procédures d'achat par SSF ne soient mises en place et que les fournisseurs soient identifiés. Il a estimé qu'à bord du Verseau cette situation, au regard des rechanges commandées et des sommes engagées (six semaines pour une première commande de joints pour le moteur d'un montant de 750 francs hors taxes, seize semaines et environ 100 000 francs hors taxes pour la seconde), avait conduit à des durées d'immobilisation excessives des matériels, incompatibles avec la mission de défense assignée à son bâtiment.

Le Premier Maître chef mécanicien s'est déclaré déçu devant les moyens du SSF. Il a estimé que l'implication du bord était essentielle pour faire aboutir les demandes de rechanges.

Le commandant, reprenant l'exemple des cylindres de moteurs, a expliqué que DCN avait anticipé la commande de 36 cylindres à l'occasion des problèmes rencontrés sur le Verseau, de manière à être en mesure de fournir trois unités en pièces. Il a observé que l'équipe du SSF de Brest qui assurait le suivi des chasseurs de mines tripartite était sous dimensionnée au regard de la charge de travail lui incombant.

Le Premier Maître chef mécanicien a souligné que les AMF avaient effectué les visites et l'épreuve des culasses du moteur et que le bord se chargeait seul de la gestion des difficultés du système de propulsion.

Le commandant a mis en avant que l'équipage savait démonter les culasses et que les AMF étaient en mesure de prendre le relais. Il a expliqué que les compétences des moyens militaires, seuls intervenants sur le Verseau, suffisaient, mais que le problème se situait au niveau des rechanges. Il a également expliqué que certaines échéances de révision avaient été reportées par souci d'économie : la révision du moteur a ainsi été repoussée de 6 000 à 8 000 heures, alors que la panne est intervenue aux alentours des 7 700 heures de fonctionnement.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a convenu que ces reports d'échéance de visite avaient, dans le cas présent, atteint leurs limites.

Le commandant a attiré l'attention sur les reports de passage en bassin, lesquels pourraient poser des problèmes à l'avenir s'agissant de la fiabilité des appareils à gouverner.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a estimé que le transfert de la gestion des rechanges au service de soutien de la flotte permettrait d'améliorer la situation, tout en reconnaissant que la situation transitoire actuelle sera difficile. M. Charles Cova, Président, a invité les membres d'équipage à garder l'espoir dans l'action du SSF, dont il a observé qu'il n'avait que neuf mois d'existence à Brest.

Un Matelot a exprimé son désir de partir en mer, soulignant que l'attente se répercutait sur le moral de chacun.

Le commandant a précisé que les joints nécessaires arriveraient à la fin du mois de juillet alors que le marché avait été notifié il y a un mois. Le Maître Principal s'est demandé si la réputation selon laquelle l'Etat était un mauvais payeur était susceptible d'expliquer le retard du fournisseur.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a admis que le service liquidateur de DCN tardait à émettre les paiements, même s'il s'améliorait.

Le commandant a cité l'exemple des caissons de décompression des plongeurs embarqués à bord des chasseurs de mines tripartite, pour lesquels un fournisseur, dans l'attente du paiement depuis un an d'une facture de 1 754 francs (267,4 euros), avait logiquement refusé de remplacer les « cellules SEIDAM » des caissons, avec pour conséquence une limitation importante de la capacité opérationnelle des bâtiments (plongées à l'air limitées à 35 mètres).

Il a ajouté, qu'à son sens, la Marine constituait toujours un client captif de DCN à une période où cette dernière cherchait à diversifier sa clientèle en acceptant des clauses de pénalités pour ces nouveaux contrats. Il a estimé qu'il pouvait en résulter une moindre disponibilité de DCN pour honorer les contrats Marine, expliquant certains retards pris pour des opérations d'entretien flotte.

Un Premier Maître a considéré que les rechanges des bâtiments de la Marine étaient « pris en otage » par les magasins de DCN, alors même que ces derniers se situent à quatre kilomètres seulement des quais.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a mis l'accent sur les sous-effectifs des personnels des magasins de DCN. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a expliqué que ce déficit était dû, en partie, à la disparition de la sous-traitance interne au sein de DCN, disposition que DCN avait prise conformément au Code des marchés publics.

Au cours de la visite du bateau qui a suivi la table ronde, le commandant a fait observer qu'un flexible de la grue avait été remplacé en quelques heures lors d'une escale au Royaume-Uni, processus qui aurait pris quatre semaines au moins si l'avarie était survenue à quai en France. Il a estimé qu'obtenir des rechanges en escale dans des ports européens, grâce aux procédures OTAN, était plus rapide et facile que de retourner au port d'attache.

1.5. Audition de l'Ingénieur Général de l'Armement Jean-Louis Rotrubin, directeur de l'établissement de DCN à Brest

M. Jean-Louis Rotrubin a présenté l'établissement de DCN à Brest en insistant sur le fait qu'y coexistaient des activités de natures diverses, à la différence de Toulon. Il a précisé que le site de Brest regroupait :

- l'établissement de maintien en condition opérationnelle (MCO) des bateaux, des missiles stratégiques et des munitions classiques ;

- un bureau ingénierie (160 personnes), rattaché à DCN-Ingénierie ;

- un centre de développement de logiciels pour les systèmes de combat des sous-marins (60 personnes), rattaché à la branche systèmes de combat et équipements.

Il a indiqué que le site de DCN à Brest employait 4 008 personnes, dont 507 cadres, ces personnels étant répartis comme suit :

- 597 non cadres et 61 cadres à l'Ile Longue ;

- 2 602 non cadres et 415 cadres à l'arsenal principal ;

- 166 non cadres et 21 cadres à la pyrotechnie de Saint Nicolas ;

- le reste dans les autres sites.

Il a dénombré 2 721 ouvriers et personnels de bureaux, 780 techniciens et 507 cadres. Il a ensuite présenté l'activité de son établissement : 35 % est consacré à l'entretien de la FOST, 23 % à celui de la flotte de surface et 10,5 % à celui des munitions. Il a ajouté qu'actuellement, le site de Brest assurait le carénage de 5 avisos pour le compte de la République turque et qu'une reprise des constructions neuves, liées aux nouveaux transports de chalands de débarquement (NTCD) était prévue à partir de cette année.

M. Charles Cova, Président, a demandé si cette reprise des constructions neuves s'effectuerait au détriment du MCO. M. Jean-Louis Rotrubin a répondu par la négative. Par ailleurs, il a précisé que le site de Brest était l'objet d'un projet de rénovation (pour un investissement de 500 millions de francs, soit 76,2 millions d'euros) : le transfert des installations de Penfeld est envisagé à moyen terme ; le bassin de construction n° 9 est désormais équipé d'un portique d'une capacité de 400 tonnes ; le bassin n° 8 est lui aussi rénové et adapté pour les IPER des SNLE du type Le Triomphant.

M. Charles Cova, Président, a fait part du sentiment des équipages rencontrés par la mission d'information. Il a demandé quelles étaient les raisons d'une situation aussi dégradée. Se référant à son expérience personnelle, le directeur de l'établissement de DCN à Brest a estimé que le thème de la dégradation de la qualité de l'entretien des bateaux n'était pas nouveau. S'attachant à expliquer les causes de la situation actuelle, il a apporté les précisions suivantes :

- la séparation de la maîtrise d'_uvre et de la maîtrise d'ouvrage ne s'est pas accompagnée d'une évolution des mentalités. Faute de crédits, la Marine s'adresse à DCN en dernier ressort, après avoir fait intervenir le bord et les AMF ; il est souvent trop tard et la commande de rechanges n'ayant pas été anticipée, l'application des délais prévus par le Code des marchés publics oblige les bâtiments à rester à quai plus longtemps ;

- la contractualisation des IPER entre DCN et la Marine est insatisfaisante, les contrats A 0 de préparation d'IPER n'étant pas signés douze mois avant le début des travaux, ce qui retarde le processus d'acquisition des rechanges. A titre d'exemple, on sait que chaque année le bateau école Jeanne d'Arc doit être révisé ; pour l'année 2001, le contrat A 0 a été signé le 14 avril alors que le navire entrait au port pour réparation le 15 mai ; le contrat de réalisation, quant à lui, a été signé après le début effectif des travaux. Autre exemple, l'IPER de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville a été reportée au dernier moment par la Marine de 2000 à 2001, avec une révision à la baisse des prestations : alors que le bateau est arrivé à Brest le 2 mai 2001, le contrat d'IPER a été signé un mois plus tard, les travaux commençant ainsi le 30 juin. Dernière illustration, le cas du pétrolier ravitailleur Meuse dont les travaux ont été reportés de septembre 2000 à janvier 2001, date à laquelle le plan de charge de l'établissement de DCN à Brest avait évolué (les personnels étant ainsi moins disponibles).

M. Jean-Louis Rotrubin a mis cette situation en parallèle avec le carénage du porte-avions Foch pour le compte de la Marine brésilienne (contrat signé deux mois avant le début des travaux mais aucune modification intempestive n'est intervenue) et la rénovation du premier des avisos vendus par la France à la République turque, opérations réalisées toutes deux avec un mois d'avance sur l'échéancier.

Il a expliqué que le contrat A 0 supposait le versement d'un acompte à DCN, ce qui n'avait pas été le cas pour le pétrolier-ravitailleur Meuse, opération d'entretien de 20 millions de francs (3,1 millions d'euros) pour laquelle DCN n'avait même pas été rémunéré à ce jour alors que le bateau était reparti de Brest fin mai.

Il a admis que le processus de contractualisation ne fonctionnait pas, soulignant que la Marine demandait à DCN plus que ce qui était prévu aux contrats. Il a mis en avant que la situation était meilleure dix ans plus tôt car DCN était responsable de l'exécution mais aussi de la décision des travaux, ce qui lui permettait d'anticiper les besoins.

M. Charles Cova, Président, a observé que les équipages se plaignaient de l'absence de chefs d'équipe sur les chantiers. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a expliqué ce constat par l'accaparement des chefs d'équipe par les tâches de planification « après coup », tâches administratives indispensables. Il a fait valoir que dans le cadre de contrats bien préparés, tel celui des avisos turcs, les chefs d'équipe étaient présents sur le chantier.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur le niveau d'encadrement de la sous-traitance, M. Jean-Louis Rotrubin a répondu que les sous-traitants étaient responsables de la qualité de leurs travaux, observant que les sous-traitants de l'établissement de DCN à Brest étaient bons.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a observé que la dégradation de l'entretien de la flotte était ressentie à Brest depuis un an. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a estimé que les marins voulaient assumer un rôle de maître d'_uvre pour lequel ils n'étaient pas formés. Soulignant que l'établissement de DCN à Brest disposait de 350 préparateurs, il a fait valoir que de bonnes conditions de contractualisation pourraient améliorer sensiblement la situation. Il a ajouté que l'absence d'équipage à bord évitait les interférences et permettait à DCN de mieux livrer dans les délais. Il s'est prononcé pour l'adoption d'une telle méthode par la Marine, espérant qu'elle puisse être inaugurée à l'occasion de l'IPER du SNLE Le Triomphant.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné que les équipages étaient la mémoire des travaux d'entretien sur un bâtiment. M. Jean-Louis Rotrubin a répondu que DCN pouvait assumer cette tâche et permettre aux marins de suivre l'évolution du chantier sans que les équipages continuent de vivre à bord.

Evoquant la situation des SNLE, il a noté que pas un bâtiment en service n'avait appareillé avec un jour de retard entre 1982 et 1989, notamment parce que la planification et le budget de l'entretien étaient optimaux. Il a observé que, au cours de l'année 2000, Le Triomphant avait bénéficié d'indisponibilités allégées pour un montant de l'ordre de 2 millions de francs (305 000 euros) alors qu'était initialement prévue une IE de 25 millions de francs (3,8 millions d'euros) : il en a déduit une augmentation prévisible de travaux à faire lors de l'IPER du bâtiment à partir de l'année prochaine.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur les améliorations à attendre de la mise en place du SSF. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest regrette que le SSF n'applique une méthode au terme de laquelle seulement 30 à 40 % des travaux sont contractualisés en A 0, le reste étant décidé au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Evoquant le cas des infrastructures stratégiques (en particulier de l'Ile Longue), il a mentionné l'absence de contrat depuis janvier 2001, faisant valoir que DCN en assurait l'entretien sans être assuré d'une rémunération de ses prestations.

Il a indiqué qu'il participait à des réunions périodiques avec le SSF et les autorités organiques. Il s'est néanmoins plaint que le directeur du SSF de Brest signe des lettres d'intention de commande et non des commandes.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les raisons de l'attitude du maître d'ouvrage lors de la contractualisation des opérations d'entretien. M. Jean-Louis Rotrubin a estimé que le coût était désormais la principale préoccupation de la Marine, ce qui conduisait à d'intenses négociations qui, en raison de leur durée, pouvaient au final lui faire perdre davantage qu'elle n'estimait avoir gagné. Mettant en exergue un besoin de cohérence entre les financements du MCO et les spécificités technologiques d'équipements aussi avancés que les SNLE-NG, il a conclu que les méthodes de négociation actuelles étaient inadaptées.

M. Antoine Carré s'est demandé si l'origine de cette situation n'était pas purement et simplement budgétaire. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a fait valoir que les économies tenaient davantage à une bonne planification des besoins et à une relative marge de man_uvre de l'industriel qu'à la fixation de prestations dont on s'aperçoit au fur et à mesure qu'elles sont insuffisantes. Il a expliqué que la contractualisation de certaines IPER restait bloquée ou était reportée pour une divergence de coût comprise entre 1 et 2 millions de francs (soit entre 152 450 et 304 900 euros).

M. Charles Cova, Président, a estimé que l'absence de standardisation de certains matériels de la Marine pesait également sur les coûts de leur entretien. M. Jean-Louis Rotrubin a estimé que l'effet de série attendu de l'entretien des chasseurs de mines de type Eridan n'était pas au rendez-vous. Il a souhaité que le travail sur ce genre de bâtiments soit standardisé pour réaliser des économies d'échelle, tout en observant que l'on n'en prenait pas le chemin.

M. Charles Cova, Président, a demandé s'il n'était pas possible d'expérimenter des IPER de petites unités sans équipage à bord. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a souligné que les travaux d'entretien sur les petits bateaux de la Marine étaient confiés au bord, aux AMF et, seulement dans une moindre mesure, à DCN. Il a estimé que pour valider un carénage sans équipage afin d'en apprécier l'intérêt, il faudrait que les AMF travaillent sous la maîtrise d'_uvre de DCN.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a constaté que la dégradation de la situation de l'entretien coïncidait avec la mise en place du SSF. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a observé qu'auparavant, les relations des équipes de DCN avec les équipages étaient plus directes. Il a cité l'exemple de la demande d'ALFAN de doter le bâtiment de soutien mobile Loire d'un radar plus performant, au cours de l'IPER actuelle, jugeant que cette décision était cohérente avec le programme de modernisation des radars de la flotte de surface tout en contestant la méthode retenue puisque le SSF n'avait pas prévenu DCN de cette priorité.

Abordant la question des achats, il a mis en exergue que la création du contrôle financier déconcentré, destiné à vérifier que DCN dispose des sommes nécessaires, se traduisait par un délai supplémentaire d'un mois pour les approvisionnements, ce qui avait des incidences très concrètes au niveau des rechanges.

Il a illustré les difficultés induites par le Code des marchés publics pour la fourniture des pièces en prenant les exemples suivants :

- la réparation du gouvernail actif des chasseurs de mines tripartite a fait l'objet d'un appel d'offre européen remporté par le souscripteur le moins-disant, un industriel allemand : celui-ci n'a pas voulu signer le marché au motif que ses spécifications étaient rédigées en français ; en conséquence, la procédure des achats, engagée depuis six mois, est gelée sans que DCN soit en cause ;

- la visite de moteurs diesels de la frégate ASM Latouche-Tréville a fait l'objet d'un appel d'offres ; le concepteur des moteurs y a souscrit, pour un prix trois fois plus cher que les autres souscripteurs ; or, il ne veut ni fournir les pièces à ses concurrents, ni s'engager sur la qualité des rechanges s'il était retenu.

Il a attiré l'attention sur le fait que le nouveau Code des marchés publics interdit les achats sur facture au 1er janvier 2002 alors même que DCN en effectue près de 8 000 à Brest. Il en a déduit que s'il fallait passer des marchés d'approvisionnement selon le nouveau Code, les délais s'échelonneraient entre quatre et six mois.

M. Charles Cova, Président, a demandé pourquoi il n'était pas possible à DCN d'anticiper les reports des opérations d'entretien. M. Jean-Louis Rotrubin a mis en avant le caractère moins prévisible des opération décidées par la Marine. Il a souligné que du temps où l'entretien préventif était plus systématique pour les SNLE, DCN lançait des demandes de rechanges deux ans à l'avance.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur la situation des magasins de rechanges de DCN. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a contesté les critiques sur ce point, mettant en avant que les magasins de Brest sont performants et informatisés. La Marine a accès à l'état des stocks par la consultation de la base de données MAGELLAN.

M. Jean-Louis Rotrubin a convenu que le métier de magasinier n'était pas suffisamment valorisé et que la profession avait subi de plein fouet les départs à la retraite anticipée à 52 ans. Ce manque de ressources conduit à une perte d'efficacité. Il a également admis que DCN gagnerait à organiser la visite de ses magasins par les équipages afin qu'ils ne puissent donner corps à certaines rumeurs. Il a néanmoins jugé que la réforme de la gestion des rechanges était complexe. Il a ajouté que l'élimination des rechanges de navires retirés du service obéissait à des règles lourdes : la liste des rechanges doit être diffusée à l'intérieur du ministère de la Défense pour s'assurer qu'elles sont insusceptibles de servir à un service quelconque ; ce n'est qu'ensuite, après plusieurs années, que ces rechanges peuvent être vendues.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé des précisions sur le fonctionnement de la gestion et la délivrance des rechanges une fois la réforme arrivée à son terme. Le directeur de l'établissement de DCN à Brest a expliqué que la gestion des stocks serait entièrement transférée au SSF et le stockage au Commissariat de la Marine avec une fin de l'opération en 2005. Dans un premier temps, l'achat de rechanges continuera à être effectué par DCN.

M. Charles Cova, Président, a demandé comment était assuré le contrôle qualité de DCN. M. Jean-Louis Rotrubin a souligné que DCN avait adopté une démarche qualité s'articulant autour d'une certification ISO 9001 par le Lloyd's, qui en contrôle la validité tous les six mois, et également autour de clauses d'assurance-qualité dans les contrats passés avec la sous-traitance. Il a précisé qu'un questionnaire qualité était soumis à la fin de chaque IPER aux équipages et au SSF. Le contenu est adressé au directeur de l'établissement, à celui de la branche MCO et au directeur de DCN. Il a estimé que cette démarche facilitait le retour d'expérience. Il a ajouté que la certification ISO version 2000 serait recherchée d'ici à 2003.

Concluant l'entretien par la question de l'IPER du SNLE le Triomphant, il a mis en exergue que le montant validé dans le contrat avec le SSF serait certainement majoré lors de la réalisation des travaux, les choix arrêtés par la Marine se révélant probablement amendés par des avenants générateurs de retards dus à la non-anticipation des rechanges nécessaires et à la désorganisation du chantier. Il a considéré qu'au final, le coût de l'IPER ne serait sans doute pas très différent du devis proposé par DCN.

II. - COMPTE RENDU DES AUDITIONS DE LA JOURNÉE DU 11 JUILLET

2.1. Présentation de la problématique de l'entretien de la flotte par le SSF de Brest

Après avoir insisté sur le concept de soutien logistique intégré (système mis en place dès l'acquisition pour optimiser l'entretien et la vie de chaque bâtiment), le Capitaine de frégate Le Moigne a opéré une distinction entre la phase d'acquisition des navires (relevant du SPN de la DGA) et leur suivi en service (par le SSF). Il a précisé que dans le cadre de la maintenance courante et intermédiaire, les navires restaient disponibles en moins de 72 heures, alors que leur maintenance majeure supposait des interventions plus lourdes.

Il a indiqué que chaque matériel et chaque installation étaient analysés sur le plan technique et que la maintenance de routine (dite de niveau technique 1) est le fait des équipages, la maintenance par ateliers (niveau technique 2) étant réalisée par les AMF et la maintenance industrielle (niveau technique 3) par DCN.

M. Charles Cova, Président, a fait observer le chevauchement des différents intervenants, soulignant que le directeur de l'établissement de DCN à Brest soutenait que l'implication des équipages dans le MCO était contre-productive. Le Capitaine de frégate Le Moigne lui a répondu que l'imbrication des tâches n'empêchait pas des attributions claires et que l'intervention des équipages dans l'entretien n'avait rien d'anormal. Il a ajouté que la maintenance reposait sur la gestion de deux stocks de rechanges : un stock militaire, dont une partie est affectée directement aux bateaux, et un stock industriel. Se référant au transfert de la gestion des stocks de rechanges au SSF, le magasinage et la délivrance étant du ressort du Commissariat de la Marine, il a précisé que cette réforme concernait 330 000 pièces référencées pour un volume de 4 milliards de francs (610 millions d'euros). A l'échéance de 2004, le SSF doit avoir récupéré le contrôle de la gestion et du magasinage en liaison avec le commissariat de la Marine ; il doit également avoir recruté des acheteurs, dont la plupart proviendront vraisemblablement de DCN.

Après que les membres de la mission d'information aient remarqué que le SSF sera tributaire du Code des marchés publics au moment où il aura repris la gestion des rechanges, M. l'ingénieur en Chef de l'Armement (ICA) Xavier Lebacq, directeur du SSF de Brest, a expliqué qu'il serait nécessaire d'anticiper les besoins pour ne pas être contraint à une gestion en flux tendus difficilement conciliable avec les prescriptions du Code des marchés publics.

Poursuivant sa présentation, le Capitaine de frégate Le Moigne a indiqué que la sous-direction de planification définissait chaque année un plan local d'entretien synthétisant les demandes opérationnelles, ce plan étant réactualisé tous les trimestres. S'agissant des rechanges, il a observé que co-existaient actuellement plusieurs bases de données qui n'étaient pas toujours cohérentes, ce qui justifiait la mise en place d'un système fédérateur intitulé SIGLE, qui sera opérationnel d'ici deux ans.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est demandé si les personnels de la Marine avaient accès aux bases de données de DCN sur la situation des stocks de rechanges. L'ICA Xavier Lebacq a cité les bases de données BDARFS et GAMA, retraçant la situation des stocks à Toulon, et MAGELLAN, son équivalent à Brest. Depuis deux mois, le SSF de Brest a accès à GAMA, en plus de MAGELLAN. Regrettant la dispersion des données sur l'état des commandes et l'état des livraisons par rapport aux pièces manquantes, il a souligné qu'il faudrait s'accomoder de cette situation en attendant la mise en service de SIGLE d'ici deux ans.

Le Capitaine de frégate Le Moigne a mis en exergue la charge de travail du SSF, lequel doit faire le lien entre le MCO et la conception des programmes, assurer le suivi des évolutions et de la configuration, mettre à jour la configuration technique, optimiser les stocks de rechanges et participer à la mise en place du système SIGLE.

M. Charles Cova, Président, s'est interrogé sur les recrutements en personnels du SSF afin de faire face à ces fonctions. L'ICA Xavier Lebacq a répondu que dans la mesure où DCN ne sera plus en charge des rechanges, le SSF bénéficiera d'un transfert de postes budgétaires. Il s'est déclaré confiant dans la possibilité de recruter les personnels de DCN auparavant en charge des rechanges, certains candidats se présentant déjà pour postuler sans que DCN accepte pour l'heure de les laisser partir. Il a ajouté que des recrutements externes, même s'ils sont extrêmement contingentés, ne sauraient être exclus, sous réserve que des avantages puissent être proposés aux postulants.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont, directeur central adjoint du SSF, a précisé que les transferts de personnels de DCN vers le SSF se faisaient actuellement sur la base du volontariat. Il a ajouté que la Marine avait demandé à être pourvue de près de 400 postes budgétaires pour permettre au SSF et au Commissariat de recruter les effectifs nécessaires à la gestion et au magasinage des rechanges.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a observé que la position de DCN au sujet des transferts de personnels pouvait se comprendre dans la mesure où l'industriel public continuera à effectuer un nombre important d'achats pour ses opérations industrielles. L'ICA Xavier Lebacq a attiré l'attention sur la distinction entre la gestion des rechanges et les approvisionnements industriels, tout en admettant que l'activité de construction neuve supposait aussi l'achat de rechanges pour les bateaux livrés. Il a mentionné l'existence de 64 magasins de rechanges gérés par DCN sur le site de Brest, ce qui constitue à ses yeux une grande difficulté.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur les difficultés d'élimination des rechanges obsolètes. L'ICA Xavier Lebacq a souligné que la revente de ces rechanges n'impliquait pas une information préalable du ministère de la Défense lorsque leur valeur ne dépassait pas un certain seuil. Il a estimé qu'il faudrait éliminer les rechanges inutiles au fur et à mesure du transfert des stocks au Commissariat de la Marine.

Le Capitaine de frégate Leblond a distingué l'entretien courant de l'entretien intermédiaire (soixante jours d'immobilisation pour un aviso) et l'entretien majeur (quatre mois et demi d'arrêt tous les six à sept ans pour un aviso). Il a expliqué que l'entretien des 52 bâtiments basés à Brest et outre-mer, dont il est directement responsable, parmi lesquels 32 navires majeurs, était géré par des équipes responsables bâtiments (ERB) spécialisées chacune dans une famille de navires (sous-marins, frégates de lutte anti-sous-marine, etc.). Il a précisé que des coordinateurs servaient d'interface.

A une question de M. Charles Cova, Président, sur le niveau des effectifs pour conclure les contrats A 0, le Capitaine de frégate Leblond a répondu que l'arrivée d'un second acheteur au sein du SSF de Brest quinze jours auparavant permettait de rattraper les contrats en retard. Il a mis en exergue que les retards étaient également imputables à DCN, mentionnant le cas d'un contrat A 0 envoyé le 17 décembre 2000 à DCN, qui n'avait retourné son devis qu'en avril 2001, soit cinq mois plus tard.

L'ICA Xavier Lebacq a insisté sur le partage des responsabilités des retards entre DCN et le SSF. Il a cité l'exemple du retour du patrouilleur Albatros des Terres Australes, retour qui était programmé depuis un an, et dont le début des réparations avait été retardé d'un mois, DCN n'ayant pu notifier à temps un marché de sous-traitance alors que l'opération était prévue depuis deux ans. Il s'est également référé au cas de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, dont la réparation du moteur se heurtait à un problème d'approvisionnement de rechanges lié à la mauvaise volonté du concepteur, Pielstick. Il a mis en avant le travail en commun du SSF et de DCN pour limiter les effets négatifs de ces retards sur les équipages qui ne comprennent pas toujours.

Abordant la question de l'application du Code des marchés publics, il a fait valoir que le problème n'était pas tant les procédures (le nouveau texte prévoyant un équivalent aux achats sur facture), que le besoin de recruter des professionnels des achats.

Le Capitaine de frégate Leblond a poursuivi sa présentation, en insistant sur les caractéristiques de :

- l'entretien courant, qui incombe à l'équipage. Bien souvent, l'historique des réparations du bateau relève davantage du système D que de la gestion normalisée. Le système SIGLE comblera cette lacune ;

- l'entretien intermédiaire, dont le SSF fixe la teneur sur la base des besoins exprimés par l'équipage six semaines auparavant. C'est le SSF qui décide de faire exécuter les réparation par les AMF ou DCN, ce dernier n'intervenant le plus souvent que pour les réparations des armes-équipements. Cependant, comme DCN gère les rechanges des AMF, des retards sont parfois constatés. Après que M. Charles Cova, Président, ait demandé si le SSF faisait appel à DCN quand les AMF se trouvaient dans l'impossibilité de poursuivre les travaux, le Capitaine de frégate Leblond a admis qu'un tel cas de figure pouvait se produire, mais rarement. Il a fait valoir que le SSF pouvait également recourir à des prestations d'entreprises privées quand ni les AMF ni DCN n'avaient la compétence nécessaire ;

- l'entretien majeur, dont les prestations font l'objet de négociations technico-commerciales entre le SSF et DCN qui établit un devis. La notification du contrat A 0 permet le lancement des commandes de rechanges avant le début des réparations. Pour certains navires tels le patrouilleur Albatros ou l'aviso Lieutenant de vaisseau Le Henaff, les choses se passent bien. Cependant, l'ERB a eu à traiter 17 contrats au cours du dernier exercice et l'arrivée d'un préparateur supplémentaire a permis de combler les retards ; ainsi les objectifs du SSF sont en passe d'être atteints.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné la difficulté de mettre en place des méthodes et des habitudes nouvelles. Il a par ailleurs observé qu'un problème budgétaire se faisait jour, la Marine cherchant à diminuer les coûts de MCO avec une enveloppe constante.

M. Charles Cova, Président, a fait état de l'analyse du directeur de l'établissement de DCN à Brest sur le coût final de l'IPER du SNLE Le Triomphant, coût qui sera certainement majoré à force d'avoir trop voulu réaliser des économies.

L'ICA Xavier Lebacq a convenu que DCN avait partiellement raison, le maître d'ouvrage et le maître d'_uvre étant obligés de distinguer les travaux indispensables à réaliser de ceux superfétatoires, sans pour autant être assurés que des travaux supplémentaires ne seraient pas nécessaires au cours du déroulement de l'IPER. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a souligné les difficultés de DCN à produire un devis au meilleur prix, compte tenu de ses référents antérieurs qui étaient basées sur des nombres d'heures passées effectivement sur les opérations d'entretien.

Le Capitaine de frégate Leblond a conclu sa présentation en mentionnant les problèmes rencontrés par le SSF, à savoir :

- une maintenance courante en diminution sensible, certains personnels ne sachant pas se servir d'outils les plus simples ;

- un entretien intermédiaire pénalisé par le manque de rechanges, le délai moyen d'un approvisionnement de DCN étant de deux mois alors que les achats sur facture demandent quatre semaines ;

- le sous-effectif de DCN dans certaines spécialités (transmissions, moteurs) et la restructuration de sa sous-traitance ;

- l'application du Code des marchés publics ;

- l'absence de traçabilité des opérations de maintenance, base de l'entretien préventif.

Le Capitaine de frégate Le Moigne a dressé un bilan de la situation de l'entretien de la flotte à Brest : les navires sont confrontés à trente jours d'indisponibilité pour avaries en moyenne par an ; les indisponibilités pour entretien programmées prennent vingt jours de retard en moyenne ; une rechange sur deux est indisponible. Le budget du SSF de Brest s'élève à environ 2 milliards de francs (300 millions d'euros), dont 602 millions de francs (91,8 millions d'euros) pour la flotte de surface. L'objectif assigné au SSF de Brest est de diminuer le coût du MCO de 3 % par an à moyen terme.

M. Antoine Carré a demandé si certains bâtiments de la Marine étaient entretenus par les industriels privés. L'ICA Xavier Lebacq a répondu que la proportion était très faible à Brest mais que les bâtiments basés en Outre mer étaient souvent réparés dans des chantiers locaux privés. Par ailleurs, il a ajouté que des acheteurs étaient indispensables pour passer commande de réapprovisionnements en munitions.

M. Antoine Carré s'est inquiété des limites fixées à la sous-traitance privée en raison des exigences de confidentialité afférentes au secret-défense. L'ICA Xavier Lebacq a observé que de nombreux matériels de la flotte de surface basés en Outre mer n'étaient pas à ce point sophistiqués que la confidentialité des réparations soit requise. Il a souligné que les SNA et les SNLE n'étaient pas concernés par ce type de sous-traitance. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a expliqué que l'intervention de l'industriel privé ne posait pas de problème pour ce qui concerne les interventions sur les matériels coque, machines, électricité et sécurité, mais que les opérations concernant les armes et les équipements posaient bien naturellement des questions de confidentialité.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a fait valoir que les reports d'opérations d'entretien se répercutaient sur les coûts. Le Capitaine de frégate Leblond a fait valoir que l'entretien de la flotte n'était pas une science exacte. L'ICA Xavier Lebacq a ajouté qu'une bonne analyse du vécu du bateau était absolument nécessaire et que compte tenu de la contrainte budgétaire, le maître d'ouvrage devait procéder à des choix intelligents en distinguant les révisions nécessaires de celles qui peuvent attendre.

2.2. Audition de plusieurs membres d'équipage de la frégate de lutte anti-sous-marine (ASM) Latouche-Tréville

Après avoir présenté les caractéristiques opérationnelles de son bâtiment (le dernier de la série inaugurée douze ans auparavant par la frégate Georges Leygues) et rappelé les exercices et missions auxquels le bateau avait participé entre 1999 et 2001, le commandant a précisé que l'IPER de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville avait commencé le 11 juin 2001, alors qu'elle était initialement prévue le 14 mai.

Le commandant adjoint navire (COMANAV) a ensuite apporté des précisions sur l'IPER : longue de cinq mois, elle porte sur la visite des moteurs principaux, de deux diesels alternateurs, des lignes d'arbres, l'échange de la tourelle Crotale, la révision du radar et la dotation de la torpille Mu 90. L'Etat-major de la Marine avait fixé un échelonnement des réparations entre le 14 mai et le 9 novembre 2001, après un report initial de huit mois (proposé par le SSF compte tenu du bon état des moteurs, afin d'optimiser le nombre d'heures de fonctionnement de la propulsion, ce qui permettait également de lisser le plan de charge et de reporter les charges de financement).

Le commandant a expliqué que le mois de retard avec lequel l'IPER avait été lancée était dû à l'échec de l'appel d'offres concernant les moteurs principaux, échec qui avait obligé la mise en place d'un nouveau montage industriel pour les travaux. Il a indiqué que la fin de l'IPER s'en trouvait décalée au 30 novembre 2001, DCN s'étant engagé sur cette date.

Il a observé que la coordination entre le bord, le SSF et l'ingénieur de DCN était bonne. Evoquant les problèmes d'approvisionnement de DCN auprès du concepteur des moteurs, il a estimé que l'équipage était prisonnier d'une procédure administrative se situant en amont des réparations. Il en a déduit des difficultés de contractualisation internes à la Marine (entre le SSF, l'Etat-major et DCN), et des difficultés de contractualisation avec la sous-traitance (liées à DCN).

SYNTHÈSE DES RETARDS SUBIS PAR LE BÂTIMENT
POUR LA RÉALISATION DE SON IPER

 

Dates théoriques

Dates réalisées

Décision d'IPER

Juillet 2000

19 janvier 2001

Notification A 0 13

Septembre 2000

10 avril 2001

Notification A 1 14

Février 2001

Juillet 2001

Pré-IPER

2-14 mai 2001

2-10 juin 2001

Début des travaux

14 mai 2001

11 juin 2001

Source : Equipage de la frégate ASM Latouche-Tréville.

Se référant à la précédente IPER de son bâtiment, en 1997-1998, le commandant a observé que celle-ci s'était bien déroulée. Il a relevé, depuis, des difficultés d'approvisionnement en rechanges, citant notamment un délai de 71 semaines pour la réparation d'une carte sécurité température de la turbine à gaz bâbord (la pièce étant commandée 10 mois après l'avarie par les magasins de l'établissement de DCN à Toulon), un délai de 85 semaines pour les rechanges du pupitre de tir de 100 mm (la pièce étant restée sur étagère des magasins de l'établissement de DCN à Toulon pendant 70 semaines) et un délai de 23 semaines pour la réparation du séquenceur du Crotale.

Le COMANAV a souligné que l'échéance des visites de routine des turbines à gaz se situait toutes les 250 heures. Il a précisé que certaines pièces commandées il y a deux ans n'avaient pas encore été livrées alors que le potentiel des turbines ne s'élevait plus qu'à 15 heures de fonctionnement.

Se référant à une expérience menée conjointement par l'autorité organique dont dépendaient les chasseurs de mines tripartite et l'ex-section flotte en service du Service des Programmes Navals, le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a fait valoir qu'avec une bonne organisation et une priorisation des achats de rechanges, la disponibilité des matériels pouvait s'améliorer. Le COMANAV a répondu que le personnel du SSF n'effectuait qu'un suivi des réparations et ne disposait d'aucun pouvoir sur les organismes chargés de ravitailler le bord en rechanges. Il a également mentionné des problèmes d'approvisionnement des organismes de soutien, tels les AMF. Il a conclu que la création du SSF ne s'était pas encore répercutée sur la situation des rechanges.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a mis en avant l'impératif de reconstitution des stocks, nécessité se heurtant à un besoin de ressources financières.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a observé que le SSF avait reporté plusieurs IPER de bâtiments, au premier rang desquels celle de la frégate ASM Latouche-Tréville, empêchant ainsi DCN de lancer le processus d'acquisition des rechanges suffisamment en amont. Le COMANAV a constaté que le report, au cours de l'année 2000, de l'IPER du bâtiment à 2001 n'avait pas été mis à profit pour respecter les procédures d'entrée en IPER et effectuer les commandes des rechanges nécessaires aux opérations programmées.

Au cours de la table ronde qui s'en est suivie avec l'équipage, un Premier Maître responsable du secteur propulsion a mis en avant l'existence d'un problème de rechanges, générateur de commandes superfétatoires. Il a illustré son propos en citant l'exemple de la commande d'un collecteur à injection complet coûtant 2 000 francs (305 euros) faute de livraison de joints coûtant quatre francs (0,6 euro) l'unité, commandés pourtant depuis deux ans.

Insistant sur l'exaspération des équipages devant l'attente de rechanges de faible valeur et disponibles dans le commerce local civil, un Enseigne de Vaisseau responsable de la propulsion a évoqué l'achat par le bord dans le secteur civil de roulements d'une pompe dont le prix avoisinait les 200 francs (30,5 euros), initiative prise afin de rendre disponible une pompe eau de mer.

Un Premier Maître responsable du sonar a appelé l'attention sur la situation critique des pièces de rechanges, soulignant que les stocks contiennent le plus souvent des pièces défectueuses qui n'ont pas été remplacées. Le commandant a précisé que ce point concernait les sept bateaux de la série, ce qui posait à terme un problème de performance du SONAR. Il s'est inquiété de l'apparition de cette difficulté alors que son bâtiment n'est âgé que de onze ans et a une espérance de vie de plus d'une vingtaine d'années.

Un Second Maître responsable des transmissions et du système de combat a fait état d'un problème d'approvisionnement en escale pour des raisons logistiques. M. Charles Cova, Président, a indiqué que les autorités réfléchissaient à la possibilité de doter les SSF de chaque port de crédits facilement employables pour faire face aux réparations mineures. Il a demandé si l'équipage était favorable à l'octroi d'une possibilité pour le bord d'effectuer des achats de rechanges dans une certaine limite.

Le commandant s'est déclaré favorable à toute initiative accroissant la réactivité des réparations. Il a précisé que la réactivité ne devrait pas incomber au bord mais à l'organisme de soutien militaire, mieux à même de constituer un stock tampon. Il a observé qu'en cas d'avarie, l'allocation des rechanges à bord pourrait s'avérer insuffisante.

Un Maître Principal ayant effectué une partie de sa carrière dans les AMF a fait valoir que les ateliers militaires disposaient avant le 1er janvier 1999 d'une délégation d'engagement de crédits à hauteur de 6 550 francs (environ 1 000 euros) qui émanait du directeur de DCN et permettait de réaliser de petits approvisionnements auprès des fournisseurs locaux. Il a regretté que cette possibilité ait été supprimée.

Le Second Maître responsable des transmissions du système de combat a appelé l'attention sur l'obsolescence de certains composants du système SENIT 4, certaines pièces, telles des diodes, n'étant plus produites du tout.

MM. Charles Cova, Président, et Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, ont demandé s'il n'était pas préférable, dans de telles conditions, de renouveler les systèmes de traitement de l'information. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a indiqué que le programme SENIT 4 des frégates ASM avait été gelé pour des raisons financières.

Le Maître Principal responsable de l'artillerie a jugé que l'ensemble des armes du bâtiment était bien entretenues, 100 % des cibles tirées au centre d'essai des Landes ayant été détruites. Il a néanmoins souligné le problème de l'échange standard des tourelles de tir, celles-ci devant être renouvelées tous les six ans alors que dans les faits leur durée de vie est prolongée, parfois au détriment de la sécurité des équipages. Il a cité à cet égard l'exemple de la tourelle de l'aviso accompagnant la frégate ASM Latouche-Tréville au cours de la dernière mission, celle-ci fonctionnant depuis onze ans et étant en mauvais état. Il a regretté que la visite de la tourelle de la frégate ASM Latouche-Tréville soit reportée pour des raisons financières à la prochaine indisponibilité pour entretien intermédiaire, en 2003.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a mis en avant que la reprise des visites des tourelles par l'établissement de DCN à Ruelle était prévue.

Le Maître Principal responsable de l'artillerie a souligné que le personnel qualifié se faisait rare à DCN, citant l'exemple d'une intervention technique demandée en novembre 2000 qui n'avait réglé les problèmes qu'une semaine avant le départ en mission en janvier 2001, faute d'effectifs qualifiés disponibles. Il s'est ensuite inquiété du vieillissement du shelter de Crotale, âgé de douze ans alors qu'il aurait dû être remplacé tous les cinq ans.

Le Premier Maître responsable de la conduite de tir s'est référé à des problèmes de rechange de diodes coûtant 1,50 franc (0,23 euro) dans le commerce ; il a expliqué qu'il avait pris la décision d'effectuer lui-même l'achat afin de dépanner son matériel. Il a souligné que l'artillerie ne souffrait pas d'approximations : il a cité le cas de la réparation du moniteur de la séquence de tir qui, après avoir été envoyé une première fois à l'établissement de DCN à Toulon où il était resté 48 semaines, a dû y retourner provoquant un retard final de 85 semaines.

M. Antoine Carré a demandé quel était le coût des réparations des systèmes d'artillerie. Le représentant du SSF a répondu que l'échange d'une tourelle était facturé 700 000 francs (106 715 euros) par l'établissement de DCN à Ruelle, le carénage de la tourelle coûtant quant à lui 7,5 millions de francs (1,15 million d'euros). Un Premier Maître a ajouté qu'il y a une véritable perte de compétences au sein de l'établissement à Brest due à des départs dans les deux dernières années.

M. Antoine Carré a demandé quel était l'organisme qui prenait la décision de reporter les réparations. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a indiqué que cette responsabilité incombait au SSF, et qu'elle était prise au regard de critères techniques et financiers, après avoir recueilli l'avis de l'autorité organique concernée.

Le commandant a appelé l'attention sur les difficultés qu'il avait à définir les réparations prioritaires. Il s'est référé aux rechanges des installations frigorifiques, installations qui peuvent paraître secondaires mais pourtant nécessaires au fonctionnement du système de combat, dont le fonctionnement avait été assuré en mer grâce au bricolage de l'équipage.

Le Chef du service détection-lutte au-dessus de la surface a mis en exergue le recours de plus en plus général à la cannibalisation des matériels en fonctionnement. Il a ainsi fait état du prélèvement de pièces sur le radar de la frégate ASM Tourville à Brest pour dépanner la frégate ASM Latouche-Tréville en déploiement. D'une manière générale, le nombre de pièces de rechange lui est apparu insuffisant. Le commandant adjoint opérations a même ajouté que compte tenu des choix opérés sur les révisions à effectuer, l'équipage en était réduit à économiser le radar du bâtiment en l'utilisant par intermittence.

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a reconnu que les conséquences des choix effectués en matière d'entretien de la flotte étaient perceptibles après coup et que le fait que les bateaux ne soient pas dans un état opérationnel optimum influençait le moral des personnels. Le commandant a ajouté que le choix de reporter les révisions pouvait avoir des incidences plusieurs années plus tard et que la responsabilité de définir des priorités lors de ces révisions était lourde à assumer.

2.3. Audition de plusieurs membres d'équipage du remorqueur Rari

Le commandant a indiqué que son bâtiment, mettant en _uvre 26 membres d'équipage, était auparavant basé à Mururoa. Il a précisé que l'IPER du remorqueur Rari durait depuis sept mois et demi, alors que l'échéance initialement prévue était de quatre mois et demi. Il a souligné que sur décision de la Marine, l'IPER avait été reportée une première fois de janvier à décembre 2000.

Le commandant s'est étonné du double langage des représentants du maître d'_uvre qui, lors des réunions hebdomadaires des travaux à bord et lors de la conférence générale des réparations, affirment que les délais seront tenus, puis précisent par téléphone que des retards supplémentaires interviendront. S'attachant à définir les raisons des retards de réparation, il a fait état des problèmes liés aux délais d'approvisionnement des pièces de rechange et du manque de coordination des équipes de DCN, l'ingénieur navire et le chef de chantier n'étant pas relayés par le personnel d'encadrement intermédiaire nécessaire. Il a également mis en cause une qualité aléatoire des approvisionnements, citant l'exemple de joints qui ne correspondent pas à 80 % à ceux qui ont été commandés, et une qualité aléatoire des prestations industrielles, certains sous-traitants se révélant ne pas disposer des compétences requises.

M. Charles Cova, Président, a demandé si le budget de l'IPER et le devis de DCN avaient été communiqués au commandant avant les travaux d'entretien. Le commandant a répondu par l'affirmative, observant au passage que 8 % du coût de l'IPER (1 million de francs, soit 150 000 euros) était facturé pour des opérations de qualité, management et coordination, opérations au sujet de la teneur desquelles il s'est interrogé. Il s'est référé à cet égard à l'exemple des travaux dans l'infirmerie, pour lesquels les personnels d'exécution ne prenaient pas suffisamment de précautions : il a indiqué avoir envoyé une fiche d'amélioration de la qualité à DCN qui a répondu que les personnels ne pouvaient savoir que les locaux en question étaient ceux de l'infirmerie ; sur la base de ce constat, il en a déduit que le souci de qualité n'était pas à la hauteur de la facturation.

Le commandant a ajouté que l'équipage encadrait les ouvriers sous-traitants de DCN afin de palier les manques de chefs d'équipe. Il s'est étonné que personne n'aie répondu favorablement à son invitation à une séance d'information et de préparation quinze jours avant l'IPER.

M. Charles Cova, Président, a demandé quel était l'intérêt des réunions préparatoires avec DCN. Le commandant a souligné que ces réunions permettaient de mener une visite technique du bâtiment, de présenter les intervenants (bord, SSF, DCN), de fixer les additifs aux travaux et de préciser les inconnues (78 fiches de travaux supplémentaires ont ainsi été adoptées pour le Rari). Se référant à l'entretien des remorqueurs BSHM Ailette et Alcyon, il a observé que ces bateaux étaient immobilisés trois semaines seulement tous les deux ans et que leur taux de disponibilité était de 100 % entre chaque IE.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé si les retards constatés dans l'entretien du Rari étaient dus à une notification tardive du contrat A 0. M. Charles Cova, Président, s'est interrogé quant à lui sur le degré de priorité dont bénéficiait ce remorqueur.

Le Capitaine de corvette ingénieur responsable du suivi du bateau pour le compte du SSF a fait valoir que chacun des bâtiments en réparation bénéficiait du même degré de priorité du point de vue du SSF, l'autorité organique modulant celle-ci selon les nécessités opérationnelles.

Le Major, chef du service flotteur-mobilité du bateau, a mis en avant les difficultés de planification de DCN. Les marins savent, en fonction de l'état de leur bateau, ce qui doit être révisé bien à l'avance. A titre d'exemple, la visite du moteur du Rari (qui avait fonctionné 16 000 heures) était prévue depuis 1999, mais rien n'a été suffisamment anticipé depuis cette date. De même, les flexibles ont une durée de vie de huit ans ; l'équipage avait listé les pièces devant être changées dès le mois de mai 2000, mais seulement 30 % des besoins ont été satisfaits à ce jour.

Le commandant a insisté sur le manque de coordination des travaux, mentionnant l'impossibilité dans laquelle les ouvriers se trouvent de prendre des initiatives permettant de palier aux avaries imprévues, faute de chefs d'équipe et alors même que tout le monde sait qu'il faudra bien réparer.

M. Antoine Carré s'est interrogé sur le contraste entre l'affairement des personnels de DCN sur la frégate ASM Latouche-Tréville et l'absence d'ouvriers sur le Rari. Le Capitaine de corvette ingénieur responsable du suivi du bateau pour le compte du SSF a estimé que la frégate bénéficiait d'un traitement privilégié en raison de son importance opérationnelle et que derrière ce constat il fallait voir un problème d'organisation générale du chantier. Le commandant a ajouté que le nombre d'ouvriers présents sur son bâtiment fluctuait en fonction du plan de charge de l'établissement de DCN et également en fonction de ses interventions auprès de l'ingénieur navire, du chef de chantier, voire du sous-directeur affaires et projets, ce qu'il a jugé éprouvant sur le plan nerveux. En outre, il a observé que bien souvent les équipes d'ouvriers ne voulaient pas signer les procès-verbaux attestant que le travail avait été fait et que les machines pouvaient être testées sous leur responsabilité.

M. Antoine Carré a demandé quelle était l'autorité du responsable de chantier de DCN. Le commandant a considéré que la responsabilité était diluée dans la mesure où le chef de chantier assumait le suivi de sept bateaux en même temps sans pouvoir se reposer sur des personnels d'encadrement intermédiaire.

Un Maître Principal et un Premier Maître ont évoqué des problèmes de matériel et de coordination, palliés bien souvent par le bord. Le commandant a précisé qu'une bonne coordination était le gage d'un gain de temps et d'argent. Il a abondé dans le sens de ses subordonnés qui ont déclaré que pour eux, le métier du bord s'était résumé à la coordination des travaux au cours de l'IPER.

M. Charles Cova, Président, a demandé s'il n'était pas possible à l'avenir de faire réaliser des carénages similaires à celui du Rari par des chantiers privés. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a cité l'exemple de l'IPER du pétrolier-ravitailleur Var, effectuée sous maîtrise d'_uvre par les CMR à l'entière satisfaction de la Marine.

Evoquant les délais de réponse de DCN, le Capitaine de corvette ingénieur responsable du suivi du bateau pour le compte du SSF a indiqué à titre d'exemple que le contrat A 0 de l'IPER du Latouche-Tréville avait été envoyé par le SSF à DCN en octobre 2000. Il a constaté que le devis de DCN était parvenu au SSF mi-avril 2001, avec des prix incompatibles avec les moyens prévus par la Marine, ce qui avait conduit au report de la contractualisation.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé des précisions sur le rôle concret du SSF au cours de l'IPER du Rari. Le Capitaine de corvette ingénieur responsable du suivi du bateau pour le compte du SSF a estimé qu'il avait joué un rôle d'interface et de relais du commandant auprès du chef de chantier et de l'ingénieur navire de DCN. Il a jugé que ses moyens d'action étaient somme toute limités. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a fait observer que le personnel du SSF était parfois amené à assumer certaines des responsabilités de maîtrise d'_uvre, qui normalement ne lui incombent pas.

Le commandant a dressé un état des lieux de la situation de son bateau après sept mois et demi d'IPER : un seul des deux moteurs fonctionne ; le treuil de remorque n'est pas opérationnel ; la grue est tombée en panne et si son moteur n'est pas réparable, il faudra en commander un ce qui, compte tenu des délais prévus par le Code des marchés publics, engendrera un retard supplémentaire de six mois alors que le bateau sera amputé de 70 % de ses capacités.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a estimé que l'industriel, lorsqu'il est défaillant, doit être sanctionné par des pénalités. Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a fait valoir que l'intéressement de l'industriel au strict respect des délais prescrits dans les contrats était sans doute une meilleure solution, les pénalités n'ayant pas, pour le moment, réellement de sens.

2.4. Audition du Capitaine de vaisseau René Tréanton, commandant des ateliers militaires de la flotte (AMF) de Brest

Le Capitaine de vaisseau René Tréanton a tout d'abord rappelé l'historique de la création des AMF : création des ateliers centraux de la flotte en 1897 ; 1929, armement de ces derniers par du personnel sédentaire ; création des ateliers militaires de la flotte (AMF) en 1945 ; décret du 1er septembre 1952 définissant la mission des AMF ; création en 2000 des spécialistes d'ateliers navals appartenant au corps des équipages de la flotte et donc désormais soumis comme tous leurs camarades aux règles de mutation. Il a ensuite exposé les missions des AMF, reprenant les termes du décret de 1952 : « mettre à la disposition du commandement les moyens autonomes, afin d'assurer, en toute priorité et dans les meilleures conditions de rapidité, l'entretien des bâtiments disponibles au matériel et le maintien de leur disponibilité ». Il a souligné que cette mission concernait surtout les bâtiments de surface, même si les AMF apportent leur soutien aux SNA en indisponibilité à Brest et à certaines installations à terre (sémaphores).

L'AMF exécute également deux missions secondaires ; l'une consiste à mettre à la disposition des commandants de bâtiments à faible effectif, une équipe de soutien (ESBFE) chargée d'aider le bord dans ses travaux d'entretien et de maintenance lors des PEI et des IEI, l'autre étant axée sur la formation du personnel appelé à servir Outre-mer sur les bâtiments ateliers ou dans les bases navales.

Il a indiqué que les AMF avaient pour donneur d'ordres le service de soutien de la flotte (SSF) et pour autorité organique la base navale. Les effectifs de l'AMF s'élèvent à 300 personnes, militaires et civiles, dont seulement 33 % étaient issues du corps des équipages de la flotte avant la création des ATNAV. Neuf ateliers répartis sur 16 000 m2, équipés d'environ 300 machines-outils permettent de mener à bien les travaux ordonnés, consommateurs de rechanges et de matières pour un montant annuel de 30 millions de francs (4,6 millions d'euros). L'AMF de Brest est certifié ISO 9002 depuis le 6 mai 1994.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a demandé si les AMF disposaient de bureaux d'étude. Le commandant des AMF de Brest a fait valoir que la présence d'un tel outil ne s'imposait pas pour la mission principale dévolue à l'unité, le soutien opérationnel. Il a ensuite présenté les différentes catégories de personnels. S'agissant des civils, au nombre de 38 pour un plan d'armement de 46 personnes, 5 sont fonctionnaires et 33 ouvriers, dont 18 sont issus de DCN (PROXIMA). Les militaires se répartissent en 9 officiers, 88 équipages de la flotte, 161 spécialistes d'ateliers navals et ex marins des ports et 4 appelés.

Il a souligné que les AMF disposaient de compétences techniques dans les domaines aussi variés que la productique, la mécanique, l'électromécanique, les structures métalliques et composites, les armes-équipements. Les effectifs, suite à la professionnalisation, au transfert de certaines activités vers la base navale (restauration et hébergement) et aux aménagements de plusieurs bâtiments, sont passés de 448 militaires et 25 civils en 1998 à 258 militaires et 38 civils en 2001. Ils permettent sans difficulté de faire face au plan de charge et d'assurer le soutien opérationnel d'une flotte estimée à Brest à environ 80 000 tonnes.

Evoquant la répartition des attributions des AMF et de DCN lors des opérations d'entretien, il a apporté les précisions suivantes :

- les AMF interviennent lors des périodes d'entretien intermédiaire (PEI) et lors des indisponibilités pour entretien intermédiaire (IEI), sauf lorsque les travaux sont hors compétence des ateliers, principalement dans le domaine armes-équipements ;

- lors des indisponibilités périodiques pour entretien et réparation (IPER), les AMF qui n'ont normalement pas vocation à intervenir sont de plus en plus sollicités, soit pour suppléer DCN en déficit de personnel, soit en raison de crédits insuffisants dédiés à une opération (les facturations AMF ne prennent en compte que les dépenses liées aux rechanges et aux matières).

Après avoir expliqué le processus de traitement des demandes de travaux lors des PEI, le commandant a précisé que les AMF n'avaient pas le choix de leurs fournisseurs en matière de rechanges mais devaient s'adresser à DCN et au Commissariat de la Marine. Il a ajouté que depuis la séparation de l'étatique et de l'industriel, les AMF avaient perdu la possibilité d'exécuter des achats ville pour l'approvisionnement de petites fournitures.

Le Capitaine de vaisseau René Tréanton a observé que la situation des rechanges était actuellement délicate. Il a estimé que ce contexte s'améliorera dès que le SSF sera en mesure de passer des marchés.

Concluant sa présentation, il a considéré que les principales difficultés de l'AMF Brest résidaient actuellement dans la mise à disposition des rechanges, dans le recrutement des ATNAV et du personnel civil et dans la modernisation et l'adaptation de l'outil industriel (la construction d'un atelier de mécanique/productique pour remplacer l'actuel atelier aménagé dans un souterrain datant de la seconde guerre mondiale s'élèverait à une cinquantaine de millions de francs, soit 7,6 millions d'euros).

Le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont a mis en avant que le travail des AMF serait bientôt facilité par la dotation d'un stock d'atelier incluant un certain nombre de rechanges à consommation périodique.

La mission d'information a alors effectué une rapide visite des ateliers au cours de laquelle elle a pu constater le niveau de la charge de travail, l'éventail des compétences, mais aussi les besoins d'investissement en infrastructures de l'AMF Brest.

2.5. Entretien avec les personnels du SSF de Brest

Les personnels du SSF de Brest ont estimé être l'interface entre le bord et l'industriel maître d'_uvre. Ils ont considéré que leur service présentait une plus grande continuité d'action que la section flotte en service du SPN de la DGA.

Alors que M. Charles Cova, Président, leur demandait si les effectifs du SSF leur paraissaient suffisants, ils ont mis en avant leur appréhension face à l'ampleur de leur tâche, qu'ils ont qualifiée de travail passionnant et enrichissant.

Ils ont souligné que le problème le plus saillant était celui des rechanges, exprimant leur relatif désarmement devant les délais d'approvisionnement découlant de l'application du Code des marchés publics. Ils ont fait valoir qu'un changement de mentalité des équipages était nécessaire, ceux-ci devant prendre conscience qu'ils gèrent au quotidien un patrimoine.

L'ICA Xavier Lebacq a mis en avant l'intérêt des marins à effectuer une partie de leur carrière au sein du SSF, passage à même de leur faire prendre conscience des difficultés de la maîtrise contractuelle et financière du MCO.

Après que le Contre-amiral Benoît Le Masne de Chermont ait insisté sur la complémentarité entre la Marine et la DGA au sein du SSF, le directeur du SSF de Brest a souligné la nécessité de capitaliser les acquis et les connaissances des personnels en évitant un turn over trop important.

M. Charles Cova, Président, a demandé aux personnels s'ils avaient été volontaires pour travailler au SSF. Il lui a été répondu qu'il s'agissait d'une affectation comme une autre. Il a ensuite souhaité savoir où étaient recrutés les juristes du SSF. L'ICA Xavier Lebacq lui a précisé qu'un juriste de formation civile devait être prochainement recruté. Il a néanmoins reconnu que le SSF rencontrait des problèmes similaires à ceux de DCN en ce domaine.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est inquiété de la continuité des affectations des personnels du SSF. Il lui a été répondu qu'il était aussi indispensable de recruter des personnels spécifiques que de former les marins à la problématique de l'entretien. La mixité des corps d'origine a été présentée comme le gage d'une compréhension réciproque entre la Marine et la DGA. Un ingénieur de l'armement a admis avoir mis un an, avant de s'habituer aux rouages de fonctionnement du SSF, et ce malgré une expérience de vingt quatre ans dans le domaine naval.

Les personnels du SSF ont mis en exergue, pour le regretter, le creusement d'un fossé avec certains commandants de navires. Ils ont mis cette situation sur le compte d'une méconnaissance du SSF. Ils ont espéré que les choses s'arrangent lorsque la gestion des rechanges sera plus performante.

L'ICA Xavier Lebacq a considéré qu'à terme il reviendrait au SSF de faire jouer la concurrence entre plusieurs maîtres d'_uvre, processus qu'il a jugé bénéfique pour DCN. Il a mentionné au passage que la construction navale militaire utilise de plus en plus de matériels civils. Il a d'ailleurs observé que lorsque DCN est placé en situation de concurrence et qu'il est intéressé par l'obtention du marché, il est compétitif.

2.6. Entretien conclusif avec l'Ingénieur en chef de l'Armement Xavier Lebacq, directeur du SSF de Brest

Le directeur du SSF de Brest a précisé le nombre des effectifs de son service, 330 personnes. Il a indiqué qu'ils avaient en charge l'entretien de 133 unités basées à Brest, celui de 12 unités à Cherbourg ainsi que la maintenance des 36 bâtiments en Outre mer, des pyrotechnies de Saint Nicolas, Lorient et Cherbourg (ces deux dernières étant en cours de fermeture).

Il a rappelé que les objectifs du SSF de Brest étaient d'assurer le MCO (avec un budget de 2 017 millions de francs, soit 307,5 millions d'euros), la reprise de la fonction logistique ainsi que de certaines fonctions assurées jusqu'à présent par DCN dans les pyrotechnies.

Il a fait valoir qu'à partir du moment où DCN devenait un industriel de plein exercice, la Marine devait contracter l'entretien de ses navires.

L'ICA Xavier Lebacq a convenu que des progrès devaient être réalisés au niveau de la contractualisation, le délai entre la formulation de la demande de prix initial et le début des travaux étant de douze mois (et non dix-huit, comme prévu), alors que le délai entre le contrat A 0 et le début des travaux s'établit à 3,4 mois (contre douze selon les objectifs).

M. Charles Cova, Président, a évoqué les conséquences des reports d'entretien pour le maître d'_uvre.

L'ICA Xavier Lebacq a attiré l'attention sur la difficulté de gérer un service et d'y mettre en place, au même moment, les outils nécessaires à son fonctionnement. Il a observé qu'après neuf mois d'existence, son service commençait à lancer des appels d'offres et à passer des contrats. Il a estimé que les équipages commenceraient à percevoir le travail de fond entrepris depuis novembre 2000, dès le second semestre de l'année 2001.

Il a justifié le transfert de la gestion des rechanges, dont les premiers stocks gérés par DCN seront transférés au SSF et au commissariat de la Marine en septembre. Il a admis que le processus durera jusqu'en 2004. Il a relevé que les stocks de rechanges de bord posent moins problème puisqu'elles sont référencées. Il a conclu que la tâche était importante mais que sa réussite est cruciale et qu'il s'agit d'un travail d'équipe entre les équipages, les autorités organiques, le SSF, le commissariat et DCN.

ANNEXE N°6

AUDITION DES REPRÉSENTANTS
DES FÉDÉRATIONS SYNDICALES DE DCN

Lors de la réunion du 12 juillet 2001, la mission d'information sur l'entretien de la flotte a procédé à l'audition des représentants des fédérations syndicales de DCN.

Après avoir insisté sur la rapidité avec laquelle la mission d'information s'était saisie de son champ d'investigation, M. Charles Cova, Président, a rappelé aux représentants des fédérations syndicales de DCN que les membres de la mission avaient auditionné le directeur de DCN, des représentants de l'Etat-major de la Marine, les directeurs locaux de DCN et surtout de nombreux membres d'équipages. Il a souhaité recueillir le sentiment des représentants des fédérations syndicales de DCN sur la situation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des navires de la Marine nationale, situation dont il a constaté qu'elle était préjudiciable aux matériels et aux personnels. Il s'est demandé si les fédérations syndicales de DCN avaient été alertées sur la dégradation des MCO et s'est interrogé sur l'historique de cette situation.

M. Lepinard, délégué de la FEAE-CFDT, a observé que le constat de la diminution du taux de disponibilité des bâtiments de la Marine était désormais bien établi au regard de la perception de la situation par l'Etat-major de la Marine et des personnels sur le terrain. Il a resitué cette évolution dans le processus plus général qui a affecté l'entretien des matériels de l'ensemble des Armées depuis 7-8 ans en se référant notamment à la dégradation de la disponibilité des aéronefs de l'armée de l'Air, qui a commencé à se rétablir depuis un an seulement.

Analysant les causes de cette dégradation du MCO, il a estimé qu'elle était principalement imputable à une diminution régulière des crédits qui y sont consacrés, à une réduction des effectifs des personnels d'exécution qui n'était pas compensée par des embauches et par un maintien des compétences de DCN, et également aux réformes successives qui ont affecté DCN depuis la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales. Il a ajouté que les personnels de DCN s'interrogeaient sur leur avenir, ce qui se répercutait sur leur moral. Il a également précisé que ces personnels n'étaient pas désireux de rejoindre le service de soutien de la flotte (SSF) en raison des ambiguïtés entourant le statut des effectifs mis à sa disposition, ce qui expliquait qu'il manque de personnels pour un bon exercice de ces missions.

M. Lepinard a enfin évoqué les difficultés rencontrées en raison de l'application plus stricte du Code des marchés publics, observant que l'engagement de certaines poursuites judiciaires avait incité les personnels des achats à ne plus prendre leurs responsabilités. Il a conclu que la situation de paralysie actuelle appelait des mesures.

M. Didier Duret, délégué de la FNTE-CGT, a fait valoir que la réflexion sur le MCO ne pouvait être abordée en dehors du contexte des restructurations des services du ministère de la Défense et plus particulièrement des restructurations de l'ancienne direction des constructions navales. Il a considéré qu'était en cause l'avenir des établissements de DCN à Brest et Toulon.

Observant que depuis 1998, l'éclatement de DCN en branches avait fait perdre à l'industriel plus de 3 millions d'heures de travail dans le domaine du MCO, il a considéré que la création du SSF confirmait une volonté politique de marginaliser les activités de maintenance au profit de l'expertise. Il a estimé que l'avenir de l'entretien de la flotte passait par une rupture politique par rapport aux mesures actuellement mises en _uvre ainsi que par un renouvellement de la flotte de surface qui était fortement sollicitée dans le cadre d'opérations extérieures que sa fédération syndicale n'approuvait pas.

Critiquant la politique du Ministre de la Défense, notamment en raison de ses conséquences pour les agents civils qui s'interrogent sur leur avenir et leur situation administrative, il s'est également prononcé en faveur de l'attribution de l'ensemble des opérations de MCO aux établissements de DCN à Brest et Toulon.

M. Jean-Michel Janeau, délégué de l'UNSA-Défense, s'est inquiété de l'évolution actuelle de la situation du MCO. Il y a vu le résultat du désarmement prématuré de navires, de la vente de certains d'entre eux à l'étranger, du vieillissement plus général de la flotte et de la diminution du budget de la Marine qui était consacré à l'entretien.

Après avoir constaté que l'activité de DCN avait fortement diminué et que ses effectifs avaient été ajustés en conséquence, il a émis le doute que la montée en puissance du SSF se traduise rapidement par des effets positifs alors que ses effets négatifs étaient d'ores et déjà prévisibles, notamment au regard des réactions des personnels dans le cadre des externalisations d'opérations de maintenance qui avaient récemment eu lieu, à l'exemple de l'entretien du pétrolier ravitailleur Var à Toulon.

Evoquant les négociations actuelles sur l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du SNLE le Triomphant, il a fait valoir que les tergiversations sur le coût final, alors que la date des travaux n'avait pas changé, risquaient d'avoir des conséquences sur les délais de réalisation du carénage, ne serait-ce que parce que le Code des marchés publics imposait des délais à DCN pour contracter avec ses sous-traitants, délais qui se répercuteront nécessairement sur les travaux.

Il a enfin attiré l'attention sur le problème de l'avenir des pyrotechnies et sur celui de la répartition des tâches entre DCN et les ateliers militaires de la flotte (AMF), ces derniers exerçant bien souvent une concurrence hors de propos avec l'industriel public.

Après avoir insisté sur les risques de dérive d'une transformation du statut de DCN, qui pourrait préfigurer une éventuelle privatisation de la nouvelle société, M. Gérard Aubert, délégué de Défense-CGC, a observé que le projet actuel du Gouvernement conduisait à un manque de cohésion des personnels dont les statuts seront diversifiés. Il a souligné que Défense-CGC n'était pas favorable à la transformation de DCN en société anonyme et que le statut de société d'Etat ne rassurait pas totalement cette fédération syndicale.

Rappelant que le MCO des bâtiments de la Marine était l'apanage de DCN il y a peu, il a indiqué que le paysage industriel avait été modifié par la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales, réforme marquant le début d'une évolution de DCN vers le secteur concurrentiel. Il a précisé que le SSF assurait la fonction de maître ouvrage délégué sous l'autorité du chef d'Etat-major de la Marine et que 50 % de ses effectifs provenaient de la délégation générale pour l'armement (DGA).

Il a émis la crainte que cette situation n'engendre deux tentations condamnables à savoir :

- la création d'un substitut à DCN dans la réparation navale qui s'appuierait sur les AMF ;

- un recours de plus en plus fréquent aux concurrents de DCN issus du secteur privé.

Il a observé que les marins se trouvaient ainsi dans une situation d'autonomie de plus en plus manifeste par rapport à DCN, industriel de référence qui a pourtant fait ses preuves d'intégrateur et qui maîtrise plus de 300 métiers différents. Il a conclu que DCN était sacrifié sur l'autel de la réduction des coûts de fonctionnement de l'Etat, la perte de ses compétences lui étant imposée par des restructurations arbitraires.

Il a souligné ensuite que les méthodes de travail, les pratiques en matière d'hygiène et sécurité des conditions de travail (HSCT) qui étaient exigées par la Marine, ainsi que les procédures du Code des marchés publics, dont il a mis en exergue qu'il n'était pas nécessairement le plus pénalisant en termes de délais, pesaient sur la compétitivité de DCN. Se référant au précédent de l'externalisation du MCO du pétrolier ravitailleur Var, il a observé que l'industriel privé avait bénéficié de dérogations en termes de qualité de travail qui n'auraient jamais été acceptées pour DCN.

Reconnaissant que les objectifs de diminution des coûts et d'accroissement de la compétitivité de DCN pouvaient être légitimes, il a estimé que la méthode retenue par les autorités politiques n'était pas la bonne. Il a fait valoir que la Marine, et donc l'Etat, devait mettre le juste prix pour garantir un entretien de qualité aux navires. Il a émis le doute que la création du SSF, structure redondante par rapport à DCN, atteigne son but d'économie. Insistant sur l'incohérence entre le discours tenu par certaines autorités et leur pratique, il a souligné que l'avenir de quelque 15 000 personnes était en jeu.

M. Albert Sparfel, délégué de FO, a partagé l'analyse des représentants de la FEAE-CFDT. Il a fait remarquer que le problème de la diminution du budget consacré au MCO avait été mis en exergue par FO depuis plusieurs années déjà. Observant que la nature des relations entre l'Etat-major de la Marine et DCN avait également modifié la nature des prestations de l'industriel, il a constaté que les activités d'ingénierie y avaient été renforcées au détriment de celles d'exécution, et donc du MCO.

Il a fait valoir que le problème de l'entretien de la flotte devait être abordé dans le cadre des relations entre l'Etat-major de la Marine et les constructeurs-réparateurs. Observant que la portée des réalisations du SSF n'était pas quantifiable, il a estimé qu'il faudra clarifier les attributions respectives, sous l'autorité du SSF, de DCN et des AMF.

Abordant l'aspect social, il a insisté sur les conséquences des transferts non concertés des personnels de DCN vers d'autres structures administratives, effectuées selon lui sur des bases juridiques floues, ce qui avait conduit à priver DCN d'un certain nombre de compétences, d'une dynamique et d'une certaine sérénité sociale.

M. Albert Sparfel a enfin estimé que la séparation de DCN en branches d'activité ne clarifiait pas ses rapports avec l'Etat-major de la Marine et qu'elle ne facilitait pas la réalisation du MCO.

M. Charles Cova, Président, a observé que certaines remarques des représentants des fédérations syndicales de DCN confortaient les informations recueillies sur le terrain par des membres de la mission, notamment au sujet des pertes d'effectifs et de compétences de DCN. Il a demandé quand la dégradation des conditions de réalisation du MCO avait commencé.

M. Philippe Congordan, délégué de la FNTE-CGT, a estimé que la création de la section « flotte en service » au sein de la DGA avait conduit au transfert arbitraire des techniciens de DCN et s'était répercutée sur ses compétences en matière d'entretien. Il s'est également référé aux départs anticipés à 52 ans, mesure prise par la suite, qui traduisait davantage une gestion comptable des effectifs qu'une vision stratégique industrielle soucieuse des compétences de DCN. A cet égard, il s'est prononcé en faveur d'embauches dans certains secteurs, de soudeurs notamment.

M. Jean-Michel Janeau, délégué de l'UNSA-Défense, a considéré que les difficultés rencontrées dans le domaine du MCO découlaient de la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales. Il a fait valoir qu'à partir du moment où des services étatiques avaient souhaité organiser la mise en concurrence sur le plan industriel, DCN, ayant en parallèle diminué considérablement ses effectifs, s'était lancé dans une politique de sous-traitance globale inadaptée à la maintenance des navires, tout comme le Code des marchés publics qui restait applicable.

Evoquant les départs prévisibles au sein des établissements de Brest et Toulon, notamment en raison des mesures réglementaires concernant l'amiante, il s'est inquiété de conditions de réalisation du MCO plus difficiles encore. Il a considéré comme essentiel de renforcer certaines compétences de DCN : il a cité à cet égard le cas des spécialistes des moteurs diesel, beaucoup moins nombreux qu'aux AMF, lesquels exécutent de plus en plus les tâches de réparation des moteurs. Il a justifié cette nécessité par le fait que le moteur était bien souvent à l'origine des opérations d'entretien. Il s'est également prononcé en faveur de recrutements de grutiers et d'appareilleurs, entre autres.

M. Didier Duret, délégué de la FNTE-CGT, a constaté une nette dégradation des conditions du MCO depuis la mise en place du SSF, résultat d'une politique ayant pour finalité, à terme, de filialiser les activités de DCN. Il a regretté que les déclarations du Ministre de la Défense et du directeur de DCN ne placent pas le MCO au c_ur des priorités de l'industriel. Il s'est interrogé sur l'identité du maître d'_uvre chargé de cette tâche à l'avenir, prédisant de nombreux conflits sociaux semblables à ceux qui s'étaient déjà produits en 1998 au cas où les chantiers privés se verraient confier certaines des attributions de DCN.

Il a fait valoir que la FNTE-CGT considérait que les trois activités majeures de DCN étaient toutes complémentaires et qu'à ce titre il ne fallait pas les distinguer. Mettant en avant la spécificité de l'activité de construction navale militaire, activité régalienne par excellence, il a estimé que céder certaines des activités de DCN à des industriels privés porterait atteinte à la souveraineté nationale. Appelant à la manifestation d'une volonté politique claire d'attribuer l'ensemble des activités MCO à DCN, il s'est prononcé en faveur de recrutements de personnel qualifié, y compris au sein de la sous-traitance.

M. Albert Sparfel, délégué de FO, a considéré que la situation actuelle du MCO pouvait faire l'objet de deux lectures : l'une reflétant la perception de l'Etat-major de la Marine et des responsables nationaux, avisés depuis longtemps par des signaux précurseurs, l'autre ressentie par les personnels dans leur ensemble, qui n'avaient été ni prévenus, ni sensibilisés aux problèmes et qui les découvrent de façon plus brutale. Il a estimé pour sa part que la dégradation du MCO de la flotte n'était pas un événement brutal, mais plutôt le résultat d'une évolution progressive.

M. Daniel Albergucci, délégué de Défense-CGC, a mis en exergue le vieillissement des actifs de DCN, qu'il a mis en regard avec l'absence de renouvellement. Il a estimé que les départs anticipés de personnels à 52 ans à partir de 1998 avaient conduit à une perte importante de compétences, mais que le processus puisait ses origines plus loin.

M. Robert Gaïa a manifesté qu'il partageait le souci des représentants des fédérations syndicales de DCN d'avoir un industriel national au service de la Marine. Il s'est déclaré inquiet de constater une certaine rupture entre les équipages et les personnels de DCN, se référant en cela au constat dressé par le bord d'une absence d'encadrement des ouvriers par des chefs d'équipes et d'une absence de réactivité de DCN due au Code des marchés publics.

Considérant que la séparation des activités industrielles et étatiques de la direction des constructions navales était intellectuellement acceptable mais que son application avait été réalisée sans être suffisamment préparée, il a exprimé sa crainte d'une répétition du phénomène à l'occasion de la mise en place du SSF. Il a alors demandé quelle était l'analyse des représentants des fédérations syndicales de DCN sur les fonctions essentielles de la maîtrise d'ouvrage et les compétences du maître d'_uvre. Il a également souhaité savoir comment ne pas répéter les erreurs du passé.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a indiqué que le problème des rechanges avait été souligné à plusieurs reprises. Il y a vu la résultante d'une application plus rigide que par le passé des dispositions du Code des marchés publics. Il a souligné que cette situation trouvait également son origine dans une gestion insatisfaisante des magasins de DCN. Il a souhaité avoir le sentiment des représentants des fédérations syndicales de DCN sur ce point.

Il s'est également interrogé sur les rapports entre les concepteurs des bateaux et les cadres chargés de leur entretien, de manière à identifier les synergies susceptibles d'être dégagées dans le domaine de la maintenance. Il a pour sa part estimé qu'il était nécessaire que ceux qui conçoivent et ceux qui réparent entretiennent des relations de travail très étroites.

M. Charles Cova, Président, a indiqué que la mission avait recueilli des propos de marins faisant état de l'existence de rechanges dont les responsables des magasins soutenaient qu'ils n'en avaient pas. Il a également souligné que les équipages reprochaient à DCN une absence de coordination des travaux. Il a souhaité savoir quelle était l'analyse des représentants des fédérations syndicales de DCN à ce sujet.

M. Robert Gaïa a précisé que si les critiques des marins concernaient la coordination des travaux, elles ne portaient pas sur la qualité des personnels.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné qu'il fallait tout de même convenir que DCN était confronté à un manque de spécialistes en moteurs diesel, de man_uvriers, de soudeurs.

M. Lepinard, délégué de la FEAE-CFDT, a fait valoir que la fermeture des centres de formation de DCN, il y a une dizaine d'années, avait eu des conséquences très négatives sur le volant et la compétence des effectifs, les apprentis constituant un apport de main d'_uvre qualifiée appréciable pour pallier les variations du plan de charge jusqu'alors. Il a également souligné que la suppression des postes de chefs d'équipe était le résultat d'une politique délibérée depuis 7-8 ans, DCN et la direction du personnel militaire de la Marine s'étant rendus compte des problèmes que cela engendrait il y a 2 ans seulement.

M. Manach, délégué de la FEAE-CFDT, a critiqué la spécialisation des établissements de DCN, dont il a estimé qu'elle était un gage des pertes de compétences. Il a à cet égard cité l'exemple du transfert de l'entretien des tourelles de 100 mm à l'établissement de Ruelle, transfert qui a eu pour conséquence de priver les établissements de Brest et Toulon, où se trouvent les navires, de personnels capables de réparer et de monter ces tourelles sur place en des temps très courts.

M. Didier Duret, délégué de la FNTE-CGT, a observé que tout le monde portait une analyse convergente sur le constat des problèmes, tout en insistant sur le fait que cette situation n'était pas nouvelle. Considérant que les autorités ministérielles avaient été alertées sur ce qu'il a qualifié de « désorganisation organisée du travail », il a estimé qu'il était de la responsabilité du Gouvernement et de la direction de DCN d'afficher une stratégie ambitieuse de recrutement de personnels qualifiés, notamment en rouvrant les écoles de formation. Insistant sur la qualité reconnue des bateaux construits par DCN, il a rappelé que leur réalisation avait été conduite dans le cadre des dispositions du Code des marchés publics. Il en a déduit que ce n'était pas tant le Code des marchés publics lui-même que le zèle de certains contrôleurs généraux des Armées à en appliquer les principales dispositions qui posait problème.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a fait remarquer que le problème de l'application des dispositions du Code des marchés publics se posait en des termes différents pour le MCO et pour les constructions neuves, l'entretien supposant un certain degré de réactivité que le Code permet d'autant moins que son application a été durcie.

M. Philippe Congordan, délégué de la FNTE-CGT, a indiqué que la diminution des moyens de la Marine impliquait des choix qui avaient des incidences sur le caractère opérationnel des navires.

Il a ajouté que les personnels étaient démotivés, certains d'entre eux n'étant pas nommés chefs d'équipe alors qu'on le leur laissait entendre et qu'ils pouvaient assumer cette fonction.

S'agissant des rechanges, il a diagnostiqué un manque d'effectifs. Il a conclu que la Marine portait sa part de responsabilité dans cette situation, certains travaux étant confiés aux AMF en dépit du bon sens et revenant in fine à DCN, ce qui se traduit sur les délais. Il a également mis en avant que certaines sociétés fournisseurs, telles Sagem et Thales, livraient DCN sous certains délais d'approvisionnement, ce qui, cumulé avec les procédures du Code des marchés publics, conduisait à des délais de fourniture de l'ordre de 18 mois. Il a ajouté que le SSF resterait quant à lui soumis aux procédures du Code des marchés publics.

M. Charles Cova, Président, a fait remarquer que le SSF réfléchissait actuellement aux méthodes à appliquer pour anticiper suffisamment les marchés de manière à s'abstraire des contraintes de délais du Code des marchés publics.

Prenant l'exemple de l'IPER du SNA Casabianca, M. Philippe Congordan, délégué de la FNTE-CGT, a souligné que le contrat A 0 avait tout de même été conclu six mois après le début des travaux.

M. Jean-Michel Janeau, délégué de l'UNSA-Défense, a fait état d'un problème d'encadrement intermédiaire à DCN qui concernait plus particulièrement les chefs d'équipe et les cadres techniques (TSEF et IEF). Il a insisté sur la nécessité de reconnaître ces personnels.

Evoquant le processus de contractualisation, il a estimé que ce dernier se trouvait complexifié par le passage d'un système à deux contractants, la DGA et DCN, à un système à trois acteurs, la Marine, le SSF et DCN. S'agissant des demandes de modifications imprévues en cours d'entretien, il a précisé qu'aujourd'hui les marins devaient s'adresser au SSF qui rédigeait alors un avenant au contrat initial, ce qui posait un problème de réactivité. Il a souligné les contradictions d'une contractualisation ayant pour objectif de mieux cerner les coûts et de les diminuer avec le souci d'une meilleure réactivité.

Au sujet de l'application du Code des marchés publics, M. Jean-Michel Janeau a fait valoir que les difficultés se situaient surtout en amont, c'est-à-dire aux niveaux du financement et de l'expression du besoin. Il a reconnu que les contrôles a posteriori conduisaient les acheteurs à prendre des précautions, voire qu'ils les inhibaient pour prendre leurs responsabilités. Il a précisé à cet égard qu'en plus du contrôle financier central et de celui de la commission spécialisée des marchés, un contrôle financier déconcentré s'appliquait désormais.

Tout en reconnaissant la nécessité pour DCN de s'inscrire dans une démarche qualité à travers les normes ISO 9001, il a souligné que cette exigence se traduisait pour les personnels d'encadrement par un surcroît de charges administratives, les empêchant ainsi d'encadrer les ouvriers sur place.

En ce qui concerne le retour d'expérience, il a regretté que le fossé se creuse entre le service des programmes navals et DCN, en mettant en exergue les problèmes de renouvellement de compétences et de savoir-faire que cette situation induisait. Il s'est prononcé en faveur d'une meilleure prise en considération des exigences d'entretien dès la conception, tout en attirant l'attention sur les implications financières d'un tel mode d'organisation.

Convenant des problèmes de délais d'approvisionnement en matière de rechanges, il a mentionné les difficultés liées à la disparition et à l'obsolescence de certaines catégories de rechanges, mentionnant notamment les systèmes électroniques du SNLE de nouvelle génération Le Triomphant. Il s'est fait l'avocat d'une meilleure anticipation des achats de rechanges et d'une augmentation sensible des dotations budgétaires à cette fin.

Observant que les reports d'IPER par la Marine se répercutaient sur la gestion du MCO par DCN, il a constaté que le SSF n'était pas vraiment opérationnel et ne pouvait ainsi pallier ces problèmes.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a adhéré à cette analyse, justifiant que DCN ne réalise pas de commandes d'approvisionnement de rechanges avant les contractualisations d'IPER avec le SSF. Admettant que cette logique gestionnaire présentait quelques défauts sur le plan de l'anticipation, il a considéré que la Marine portait elle aussi sa part de responsabilité en reportant certaines IPER et en provoquant des modifications sur le tas aux contrats initiaux.

M. Charles Cova, Président, a fait valoir que la Marine devait bien se préoccuper de réparer les éléments défectueux des équipements, y compris lorsque le constat des défectuosités était opéré au cours des travaux.

M. Gérard Aubert, délégué de Défense-CGC, a argumenté que la disponibilité des cadres de DCN pour le MCO était conditionnée par le surplus des démarches administratives auxquelles ils devaient faire face. Il a reconnu qu'il était compréhensible que les militaires s'en plaignent et en a déduit, paraphrasant les propos du précédent Délégué général pour l'Armement, M. Jean-Yves Helmer, qu'« il fallait que les cadres arrêtent de se faire travailler entre eux ».

Après avoir porté un jugement nuancé sur les avantages et les inconvénients de la contractualisation, en estimant notamment que celle-ci suppose un niveau de crédits suffisant, il a observé que la situation des rechanges résultait de la diminution des dotations financières des magasins de DCN. Il a souligné que la réduction du nombre de pièces obligeait DCN a se concentrer sur l'entretien curatif au détriment de l'entretien préventif : citant l'exemple d'un problème de joints sur une pompe, il a expliqué qu'auparavant DCN changeait la pompe ou la révisait en atelier, alors que désormais l'intervention était plus ciblée.

Exprimant son inquiétude à l'égard de l'état d'esprit des personnels qu'il a jugé déplorable, il a observé que leur principal souci actuellement concernait leur statut et leur devenir individuels, et non ceux de DCN.

Souscrivant aux propos des interlocuteurs antérieurs, M. Albert Sparfel, délégué de FO, s'est interrogé pour l'avenir. Il a relevé que les fonctions de concepteur et de réparateur de bâtiments navals étaient désormais clairement différenciées au sein même de DCN et que, dans un futur proche, DCN n'assurerait peut-être plus, du fait d'une mise en concurrence, la conception et l'entretien d'un même navire. Il en a déduit que les habitudes et les réflexes devraient évoluer et que l'avenir serait conditionné par la transformation du statut de DCN.

Constatant un manque de confiance des personnels de la Marine envers DCN depuis une dizaine d'années, phénomène qu'il a appelé « divorce consommé », il a considéré qu'il fallait se préparer aux bouleversements à venir sous peine d'aggraver l'incompréhension mutuelle.

M. Albert Sparfel a estimé que les problèmes des stocks de rechanges étaient dus à une diminution importante du nombre des pièces ; il a appelé à une meilleure surveillance du niveau des stocks afin d'éviter que la situation actuelle ne perdure. Il a regretté à cet égard que le rôle de l'organisme de la DGA qui contrôlait la réalisation des stocks, la DPMSQ, ait diminué.

Se référant à son expérience personnelle dans le domaine du MCO, il a insisté sur le fait que la réactivité ne pouvait pas constituer le maillon faible de la chaîne de maintenance.

M. Charles Cova, Président, a fait état de nombreuses anecdotes de marins concernant des difficultés à obtenir des rechanges, citant notamment le cas du manque d'ampoules pour le récent transport de chalands de débarquement (TCD) Sirocco, ou encore les échanges de cartes entre équipages de frégates pour permettre aux bateaux d'appareiller.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, s'est interrogé sur la pertinence d'une présence à bord des équipages lors des IPER. Il s'est référé à cet égard à l'exemple de la remise à niveau par l'établissement de DCN à Brest des avisos vendus par la France à la République turque, opération qui se déroule sans que les équipages turcs ne vivent à bord et qui s'est traduite par la livraison de la première unité avec un mois d'avance.

M. Manach, délégué de la FEAE-CFDT, a considéré que l'absence d'équipage à bord facilitait la tenue des travaux, notamment en empêchant les demandes de modifications intempestives qui s'éloignaient du cahier des charges contractuellement établi. Il a estimé que la Marine nationale n'a pas encore intégré la nouvelle donne de la contractualisation des opérations de MCO : désormais elle n'en aura que pour son argent et pas plus.

M. Didier Duret, délégué de la FNTE-CGT, après avoir constaté que beaucoup des intervenants tenaient un même langage, axé autour des coûts, des délais et des contraintes statutaires, a jugé que la situation de l'entretien de la flotte était grave et que DCN éprouvait certaines difficultés, non seulement pour des raisons d'ordre budgétaire, mais également à cause de l'objectif politique d'intégrer les capacités industrielles de MCO au niveau européen. Il s'est référé en cela à l'exemple de l'attribution par le ministère de la Défense britannique de l'entretien de l'un des systèmes majeurs de l'aéronautique britannique à l'entreprise privée MBDA. Il a regretté également que soient mis en concurrence les établissements de DCN à Brest et Toulon, à l'occasion des carénages de SNA.

M. Philippe Congordan, délégué de la FNTE-CGT, a regretté que la mission d'information ne se soit pas entretenue avec les personnels de DCN dans leurs ateliers à Brest et à Toulon.

M. Charles Cova, Président, a répondu que la mission d'information avait effectué de nombreuses auditions dans un laps de temps très restreint et que pour sa part il avait conduit des entretiens sur place avec des personnels de DCN travaillant sur les bateaux. Il a émis des doutes quant à la volonté stratégique de la direction de DCN d'abandonner l'activité MCO qui représente 30 % du chiffre d'affaires de l'industriel.

M. Jean-Michel Janeau, délégué de l'UNSA-Défense, a souhaité que l'activité MCO soit revalorisée au sein de DCN. Il s'est prononcé pour un accroissement des dotations budgétaires de la Marine en faveur de l'entretien de la flotte et une mise en concordance des moyens humains et matériels de DCN avec l'objectif de maintien en disponibilité des navires.

Il a espéré que soit prochainement clarifiée la situation du MCO des bâtiments à propulsion nucléaire, c'est-à-dire que soient définis les sites concernés ainsi que les répartitions industrielles, une filialisation de l'établissement d'Indret avec Technicatome lui paraissant à cet égard dangereuse.

Tout en préconisant une révolution culturelle de l'État-major de la Marine en matière de réactivité et de planification des opérations de MCO, il a souhaité une amélioration budgétaire qui confère une certaine lisibilité de plan de charge à DCN.

S'agissant du problème des ampoules du Sirocco, M. Gérard Aubert, délégué de Défense-CGC, s'est demandé si le Commissaire de bord ne pouvait pas acheter des équipements manquants de ce type.

MM. Charles Cova, Président, et Robert Gaïa ont précisé que cela n'était pas possible en l'état, mais que la Commission de la Défense réfléchissait aux mesures à entreprendre sur le plan législatif pour améliorer les choses.

M. Gérard Aubert, délégué de Défense-CGC, s'est ensuite référé aux situations de co-activité mettant parfois aux prises l'équipage, DCN et les AMF, pour souligner la complexité des travaux d'entretien et les difficultés nées des interactions entre les différents intervenants. Il a estimé que l'équipage demandait souvent des améliorations légitimes par rapport aux prestations définies sur le plan contractuel. Il a observé que les relations difficiles entre le bord et DCN accroissaient parfois l'incompréhension des équipages face à l'absence de satisfaction de leurs demandes extracontractuelles. Il a regretté ce dialogue « par avocat interposé », c'est-à-dire par l'intermédiaire du SSF. Il a jugé nécessaire que DCN et la Marine joignent leurs forces pour obtenir des résultats. Il a toutefois reconnu que la différence de statut entre les civils et les militaires pouvait parfois créer un décalage, illustrant son propos par l'accord-cadre signé entre le Ministre de la Défense et les représentants des fédérations syndicales du ministère s'agissant de l'application des 35 heures.

M. Albert Sparfel, délégué de FO, a fait valoir que pour respecter les stipulations contractuelles entre DCN et la Marine, chacun devait savoir à quoi s'en tenir. Il a souligné qu'il existait des raisons justifiant que les équipages restent à bord. Il s'est pour sa part prononcé en faveur d'une distinction entre l'entretien majeur et l'entretien courant pour apporter des réponses à cette question.

S'interrogeant sur la manière dont la branche MCO de DCN sera intégrée dans la future société d'Etat qui verra vraisemblablement le jour le 1er janvier 2003, il a mis en garde contre un doublonnage des structures qui favoriserait un accroissement des coûts, à l'image de ce qui s'était produit dans l'armement terrestre pour Giat-Industries.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a souligné que la mission d'information, à l'occasion de ses déplacements, n'avait pas constaté de dissensions entre les civils et les militaires. Il a au contraire estimé que les marins appréciaient les personnels de DCN et que leurs critiques concernaient essentiellement l'organisation du maître d'_uvre et les manques d'effectifs.

M. Charles Cova, Président, a exprimé l'espoir d'une normalisation des rapports entre la Marine, le SSF et DCN, dans l'intérêt de chacun.

3302. - Rapport de M. Charles Cova (commission de la défense) en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'entretien de la flotte -Défense-

1 Comité des prix de revient des fabrications d'armement, 23ème rapport d'ensemble adopté par le comité au cours de la séance du 29 mars 2001 ; JO, édition des documents administratifs, samedi 28 avril 2001 ; p. 8.

2 Le cinquième bâtiment de la série, la frégate Guépratte, sera admis au service actif au dernier trimestre de l'année 2001, ce qui portera le nombre des bâtiments de surface de la flotte de combat à 67. Cependant, ce nombre repassera à 66 à l'été 2002, du fait du désarmement de l'aviso M. Lebihan, vendu à la République Turque.

3 Le 14 juillet dernier, le dernier sous-marin à propulsion diesel, l'Ouessant, a été retiré du service actif.

4 Il convient de préciser que chaque sous-marin nucléaire, à l'exception de deux SNA, met en _uvre 2 équipages qui se relaient, ce qui signifie que les bâtiments passent le double de ce temps en mer.

5 Comité des prix de revient des fabrications d'armement, 23ème rapport d'ensemble adopté par le comité au cours de la séance du 29 mars 2001 ; JO, édition des documents administratifs, samedi 28 avril 2001 ; p. 8.

6 Décret n° 2000-585, JORF du 29 juin 2000, p. 9776.

7 Comité des prix de revient des fabrications d'armement, 23ème rapport d'ensemble adopté par le comité au cours de la séance du 29 mars 2001 ; JO, édition des documents administratifs, samedi 28 avril 2001 ; p. 8.

8 Décret n° 2000-326 du 12 avril 2000, JORF du 14 avril 2000, p. 5716 et suivantes.

9 Document de travail « Azur », dossier argumentaire, évolution de DCN, printemps 2001.

10 Lorsque la valeur des rechanges excède un certain seuil, l'organisme chargé de les revendre doit au préalable en informer tous les services du ministère de la Défense et des autres ministères, au cas où l'un d'entre eux souhaiterait conserver les pièces en cause. Cette procédure prend, au mieux, plusieurs mois.

11 Les chiffres cités se basent sur les NNO, références en vigueur selon les normes OTAN. Ces rechanges, comptabilisées par le service de soutien de la flotte, n'incluent pas les articles qui ne sont pas couverts par les normes OTAN. Il faut également y ajouter les pièces stockées par les établissements de DCN de Papeete, Ruelle, Cherbourg, Lorient, Indret, Saint Tropez, notamment.

12 Journal Officiel, questions-réponses, 4 juin 2001, p. 3242, 3243.

13 Contrat de SSF à DCN lui notifiant les grands travaux planifiés et les modifications qui seront réalisées pendant l'IPER (DDT - 20 mois).

14 Avenant au contrat A0 de SSF à DCN, il prend en compte l'état de besoins détaillé exprimé par le bord (DDT - 3 mois).