Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale Annexe au procès-verbal de la séance du 11 mai 1999

le 6 mai 1999

 

_____________

OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DE LA LÉGISLATION

_____________

 

 

 

RAPPORT

 

 

sur

 

 

L’EXERCICE DE L’ACTION CIVILE PAR LES ASSOCIATIONS

 

PAR

M. PIERRE ALBERTINI,

Député.

 

 

 

 

 


La composition de l’Office figure au verso de la présente page.

Justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Office parlementaire d’évaluation de la législation est composé de : Mme Catherine Tasca, présidente ; M. Jacques Larché, premier vice-président ; Mme Michèle Alliot-Marie, M. Christophe Caresche, Mme Dinah Derycke et M. Patrice Gélard, vice-présidents ; MM. Michel Duffour et François Sauvadet, secrétaires ; MM. Pierre Albertini, Guy Allouche, Robert Badinter, Mme Annick Bocandé, MM. Dominique Braye, Jacques Brunhes, Mme Martine David, MM. Patrick Devedjian, Marc Dolez, Jacques Fleury, Roger Franzoni, René Galy-Dejean, Daniel Goulet, Jean-Jacques Hyest, Charles Jolibois, Dominique Leclerc, Jacques Mahéas, Jacques Pelletier, Dominique Perben, Henri Plagnol, Jacques Valade, André Vallini.

 

 

(Composition de l’office à la date du présent rapport, le 6 mai 1999)

 

 

 

 

INTRODUCTION

I. —  UNE LÉGISLATION DÉSORDONNÉE

A. UNE NAISSANCE CHAOTIQUE

1. Les premières tentatives infructueuses

2. La recevabilité de l’action syndicale

3. L’amplification des interventions législatives

B. UN RÉGIME DISPARATE

1. L’éparpillement des sources

2. L’absence d’unité

II. —  LA MESURE DES ENJEUX

A. LA BALANCE DES ARGUMENTS

B. ESSAI D’APPRÉCIATION

III. —  PRINCIPES D’UNE CLARIFICATION

A. LES MODALITÉS D’ACCÈS À LA JUSTICE PÉNALE

1. La mise en mouvement de l’action publique

2. L’intervention au côté du ministère public et de la victime

3. L’action en représentation des victimes

B. LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE

conclusion 46

discussion du rapport par l'office 49

 

auditions :

— Représentants du ministère de la justice, Conférence des bâtonniers, Barreau de Paris, Association " équipe d’action contre le proxénétisme ", Institut de criminologie, Union syndicale des magistrats 53

— Associations : Union nationale des associations familiales, France nature environnement, Comité national de lutte contre le tabagisme, Fondation pour l’enfance, Equipe d’action contre le proxénétisme, S.O.S. attentats 63

Étude de droit comparé 79

INTRODUCTION 80

RAPPORTS NATIONAUX :

Allemagne – C. Hardouin & E. Verny 81

Angleterre – S. Klein & C. Trehudic 87

Droit belge – l. Teillot 95

Espagne – l.Monnet-Placidi & P. Urbansky 99

Italie – S. Bazin 105

Pays-Bas – S. Bazin 112

RAPPORT de synthèse :

Thème 1 : Cohérence et diversité des systèmes procéduraux en europe 115

Thème 2 : Prise en considération croissante mais inégale de la victime 121

Thème 3 : Propositions 127

annexe :

L’action civile des personnes morales (tableau) 131

 

 

 

 

 

MESDAMES, MESSIEURS,

 

A l’initiative de M. Pierre Mazeaud, alors Président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, créé par la loi du 14 juin 1996, m’a confié la rédaction d’un rapport portant sur l’action civile des associations.

S’interrogeant sur les avantages et les inconvénients d’une législation foisonnante, l’inspirateur de cette étude entendait que soit conduite une réflexion critique sur ce qui apparaît comme une spécificité française. Il est vrai que la multiplication récente de textes conférant à des associations, selon des modalités d’ailleurs variables, les droits reconnus à la partie civile fait se demander si elle a été guidée par une vision directrice ou si elle est, plus modestement, le fruit de sollicitations successives. Quoi qu’il en soit, la situation actuelle n’est guère satisfaisante : l’excessive complexité des règles en vigueur n’en facilite guère la compréhension (ou la lisibilité si l’on veut céder à la mode) ; les risques de dérives que comporte l’accumulation d’exceptions légitiment, au moment où s’ouvre un vaste débat sur la justice, une tentative d’appréciation s’inscrivant dans la seule perspective d’améliorer le dispositif existant au profit des justiciables.

Le présent rapport a seulement pour objectif de proposer une synthèse et quelques principes permettant d’introduire un peu d’ordre dans une matière où la passion s’exprime plus souvent que la raison.

Pour qu’il plonge le plus vite possible ses racines dans la réalité vécue et évite une analyse purement hexagonale, la méthode adoptée a consisté à procéder à une série d’auditions mettant en présence des représentants d’associations particulièrement concernées et des praticiens du droit (magistrats, avocats, universitaires) : le témoignage de chacun d’eux a été pour moi particulièrement éclairant. L’Institut de criminologie de Paris, sous la direction du professeur J.-H. Robert, a également réalisé une étude de droit comparé permettant de mieux situer la diversité des réponses apportées par les procédures pénales européennes.

J’espère que les matériaux accumulés ainsi par les uns et par les autres alimenteront un débat très ouvert et serein et inspireront les modifications législatives souhaitables. N’est-ce pas le but même de l’Office parlementaire ?

 

INTRODUCTION

 

Dans son rapport introductif () consacré aux problèmes et aux principes généraux de politique criminelle, Mme Mireille Delmas-Marty ouvre son exposé par cette question significative : " l’action publique menacée ou partagée ? ". Derrière ce propos provocateur, on voit s’esquisser une évolution du procès pénal et une possible redistribution des rôles, redoutée par les uns, acceptée – voire espérée – par les autres.

Dans la conception classique, celle qui prévaut au XVIIIe et au XIXe siècles, le but essentiel du procès pénal est la répression de l’infraction et la fin du trouble social qu’elle peut faire naître. Soulignant que la sanction est l’apanage d’un ordre juridique institutionnalisé (par opposition à la vengeance privée), la doctrine considère qu’il met en présence, principalement, le ministère public, représentant de la société, et l’auteur, présumé, de l’infraction. Il s’organise donc autour du diptyque : respect de la loi – punition du coupable et ne laisse guère de place, logiquement, à la victime elle-même.

Cependant, même dans une telle vision, le déclenchement de l’action publique, dont la finalité est répressive, n’est pas réservé à une autorité publique, même si celle-ci en est devenue, au fil du temps, le principal initiateur. Comme le rappelle opportunément M. Bernard Schnapper, le quasi-monopole du ministère public " ne s’établit que dans la deuxième moitié du siècle dernier " (). Si, pour stabiliser la Révolution, la remise en ordre de la société conduit le Consulat et l’Empire à rétablir un ministère public hiérarchisé et subordonné au pouvoir politique, le code d’instruction criminelle de 1808 ne lui confia nullement l’exclusivité du déclenchement de l’action répressive, sauf en matière de crime. L’enquête historique, à laquelle procède l’universitaire montre le déclin progressif de la proportion des actions civiles : c’est le Second Empire qui assure l’écrasante prédominance du parquet, par le renforcement massif des forces de police. En un siècle, de 1830 à l’entre-deux guerres, le taux des constitutions de partie civile est réduit des neuf dixièmes, l’initiative privée déserte l’enceinte judiciaire et laisse aux autorités spécialisées dans la répression le soin d’agir. Même s’il mérite d’être nuancé par la prise en compte de la nature des délits et par des disparités régionales, le phénomène démontre, au-delà de la statistique, une certaine corrélation entre la perception du rôle conjugué de la justice et de la police et l’ampleur des poursuites individuelles.

Au moment où, dans les faits, le parquet s’impose comme le régulateur de l’action publique, une lente évolution, d’abord timide puis plus insistante, dessine les contours d’une prise en compte souhaitable de la victime, dans le procès pénal. A la dichotomie classique : ministère public-accusé, se substitue, progressivement, une tendance à sa participation de plus en plus active au déclenchement des poursuites et à l’instance. Contrairement à la plupart des pays européens, le système français lui accorde, en effet, un droit général d’action devant les juridictions répressives, que consacre désormais l’article premier, alinéa 2, de notre Code de procédure pénale :

— L’action publique pour l’application des peines " peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code ".

Non seulement notre pays accueille la victime, mais il lui offre une procédure aisée à mettre en œuvre : celle d’une constitution de partie civile devant un juge d’instruction. Cette facilité remonte à l’arrêt Placet (dit Laurent Atthalin) rendu, le 8 décembre 1906, par la Cour de cassation : la plainte déposée entre les mains d’un juge d’instruction par la personne victime d’un crime ou d’un délit et accompagnée d’une constitution de partie civile produit les mêmes effets qu’un réquisitoire du procureur de la République ; subordonnée par l’article 2 du même code à l’existence d’un préjudice directement causé par l’infraction, elle met en mouvement l’action publique, obligeant ainsi le parquet à intervenir.

D’application longtemps restrictive, malgré l’affirmation de son principe en 1906, cette action civile ouvre à toute victime lésée par un crime ou par un délit () le choix entre deux voies distinctes :

—  elle peut être exercée " en même temps que l’action publique et devant la même juridiction " (art. 3 du Code de procédure pénale) ;

—  elle peut aussi l’être " séparément " (art. 4 du Code de procédure pénale) et de manière irrévocable (art. 5 du Code de procédure pénale) devant la juridiction civile compétente : dans cette hypothèse cependant, le principe selon lequel " le criminel tient le civil en l’état " impose qu’il soit sursis au jugement tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique si celle-ci a été mise en mouvement.

Désormais traditionnel en France, ce principe de l’accès de la victime au juge pénal lui permet, concrètement, de surmonter l’inaction éventuelle du ministère public : en effet, si celui-ci agit, la victime peut se contenter de se joindre à lui ; mais si, en revanche, il ne souhaite pas entreprendre de poursuites, elle peut alors saisir le juge d’instruction, sa plainte étant recevable à tout moment de la procédure. Ainsi, elle ouvrira le procès pénal, même si le procureur estime qu’il n’est pas opportun de poursuivre l’infraction, obligeant le juge à statuer (art. 85 et suivants du Code de procédure pénale). Dans les deux cas (jonction ou constitution de partie civile), la victime pourra se voir octroyer, après que la cour d’assises ou le tribunal correctionnel se sera prononcé sur l’action publique, des dommages-intérêts correspondant à l’ampleur du préjudice subi (art. 371 et 464 du Code de procédure pénale). Si les juges du fond ont un pouvoir souverain pour en déterminer le montant, en tenant compte le cas échéant du comportement de la victime, ils ne peuvent s’abstenir de se prononcer sur ce point et doivent mettre un terme à l’action civile ().

Comme on aura l’occasion de l’observer plus nettement encore s’agissant des personnes morales, cette évolution traduit une préoccupation qu’ignorait le procès pénal classique : donner à la fois un visage et une voix aux victimes. Même si, comme le rappelle à juste titre Mme Michèle Laure Rassat, le " droit pénal n’est pas fait pour les victimes " (), faut-il pour autant les écarter systématiquement du prétoire ?

Personne ne le pense plus aujourd’hui au vu de cette admission de plus en plus large de la partie civile au procès pénal, tant par le législateur que par la jurisprudence. L’un des signes les plus évidents de cette tendance est sans doute la loi du 8 juillet 1983 qui étend, significativement, la " protection des victimes d’infractions ". La nature même de certains actes de délinquance, l’atteinte portée à la dignité de la personne (maltraitance, violences sexuelles, attentats par exemple), surtout s’agissant de mineurs, donnent à la présence de la victime, pendant le procès pénal, une dimension humaine qui devrait en renforcer l’exemplarité.

Naturellement, cette transformation n’est pas sans susciter de nombreuses questions, non seulement au plan des principes mais aussi à celui des faits et des dérives qu’ils peuvent toujours générer. Présentée par les uns comme concurrente du parquet et contenant, en germe, un risque de " privatisation " () des poursuites, l’action civile des personnes lésées, a fortiori celle des associations, est ressentie par d’autres, au nom d’une exigence d’équilibre et d’équité, comme souhaitable et complémentaire. A travers ce débat que nous esquissons ici, c’est bien de la finalité respective de l’action publique et de l’action civile qu’il s’agit.

La première, exercée au nom de la société, vise à sanctionner une violation de la loi : son fondement est le principe de légalité, socle intangible d’un Etat de droit. La seconde, pourtant née de la même infraction, appartient à la victime qui peut y renoncer : elle tend à la réparation plus proportionnée du préjudice subi, sur la base de l’article 1382 du Code civil. Au-delà de ces différences, la solidarité que le législateur a établie entre elles, en permettant (sauf exception) de les porter, ensemble, devant le même juge répressif, est une singularité que souligne plus encore l’admission à agir des groupements.

Une personne morale peut évidemment demander, comme toute personne physique, réparation du dommage que lui a causé, directement, l’auteur d’une infraction. Ainsi, une association victime d’un vol ou un syndicat professionnel ayant subi un abus de confiance peut-elle se constituer partie civile, soit en se joignant à l’action du ministère public soit, en cas de carence de ce dernier, en déclenchant lui-même des poursuites. L’existence d’une infraction génératrice d’un préjudice direct (financier dans les cas évoqués) justifie la similitude autorisée par les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale. Mais, avec la reconnaissance d’un droit équivalent pour demander réparation d’un dommage qui n’est subi ni personnellement ni directement, le législateur a franchi une étape supplémentaire dont il n’a peut-être pas mesuré toutes les conséquences.

Inauguré avec les syndicats en 1920, poursuivi avec les ordres professionnels, amplifié avec les associations à compter des années 70, ce mouvement d’inspiration diverse provoque, chez les pénalistes, de fortes inquiétudes. Il s’agit ici, par dérogation légale aux dispositions de l’article 2, d’autoriser les groupements à exercer les droits reconnus à la partie civile pour la défense d’intérêts collectifs certes, mais, en principe, distincts de l’intérêt général : ceux d’une profession, d’une institution ou d’une cause sociale, humanitaire, etc.

Cette situation n’échappe pas à une certaine " ambiguïté " (), ainsi que le reconnaît la doctrine. Dans le procès pénal, ces groupements n’apparaîtront pas comme des victimes ordinaires en raison de la nature des intérêts statutaires qu’ils expriment. Entre l’intérêt général qui guide la société et l’intérêt particulier des personnes qui la composent, faut-il admettre l’existence d’une catégorie intermédiaire ou mixte, empruntant à l’un et à l’autre certains caractères ? Un véritable doute, au sens cartésien du terme, paraît légitime.

Quoi qu’il en soit de cette stimulante question, la balance des avantages et des inconvénients mérite d’être entreprise. D’autant que, sous les assauts désordonnés mais répétés du Parlement, la jurisprudence elle-même, d’abord restrictive, a admis la recevabilité de l’action civile des associations dans des conditions de plus en plus larges : ainsi, le juge a accepté leur constitution de partie civile en substitution à l’action de la victime directe, hors d’état de se prendre en charge, soit juridiquement (déportés, résistants décédés) soit pour des raisons de fait (personnes marginalisées ou exclues, incapables d’accéder à la justice).

Si les réponses proposées pour mettre fin à cette ambiguïté originelle divergent fortement, du moins l’aspiration à une remise en ordre est très largement partagée.

Après avoir brièvement décrit les contours d’une législation foisonnante (I), nous nous interrogerons sur ses enjeux (II) et proposerons quelques principes de clarification (III).

I. — une législation désordonnée

La question de l’octroi, plus au moins généreux, de l’action civile aux personnes morales, particulièrement aux associations, ne s’est posée ni récemment ni globalement. Au contraire, après des tentatives infructueuses à la fin du siècle dernier, ce sont les syndicats professionnels qui en ont bénéficié les premiers. Puis, des interventions législatives, rares encore jusque dans les années 70, ont amplifié et accéléré, selon des modalités variables, un droit longtemps limité à quelques intérêts collectifs nettement circonscrits.

Le rappel des conditions de cette naissance chaotique (A) éclairera la diversité des mobiles du législateur et, surtout, la disparité du régime applicable aujourd’hui aux personnes morales (B).

A. UNE NAISSANCE CHAOTIQUE

C’est paradoxalement au moment où s’établissait un quasi-monopole du ministère public que sont apparues les premières revendications visant à donner à certaines associations le droit de citer en correctionnelle les coupables de délits. Comme le montre M. Bernard Schnapper, ce paradoxe se dissipe si l’on prend en compte, pour expliquer cette concomitance, la montée de la délinquance et la moindre efficacité corrélative de la police et de la justice pour y mettre fin.

1. Les premières tentatives infructueuses

Le problème de la participation des associations à la poursuite des infractions a été clairement posé, dès 1894, par un livre de Paul Nourrisson dont les conclusions ont été soutenues immédiatement, avec autorité, par le pénaliste Henri Joly dans une série d’articles, créant ainsi les conditions d’un premier débat public à la fin du siècle dernier. Celui-ci trouva largement sa source dans l’accroissement d’une délinquance urbaine touchant particulièrement les jeunes et mettant en cause l’indignité ou l’irresponsabilité de leurs parents : mendicité, prostitution, vagabondage, vols, outrage aux bonnes mœurs... Devant la " Société des prisons ", furent échangés de nombreux arguments, les uns favorables, les autres hostiles à l’attribution aux associations d’un droit de citer, en correctionnelle, les auteurs de délits entrant dans leur domaine d’action. A la crainte de voir le ministère public affaibli ou dépossédé, les tenants d’une participation aux poursuites, sociétés de protection de l’enfance ou de lutte contre la licence et la pornographie, opposaient l’exigence d’une sévérité accrue, accompagnée à l’époque d’une forte coloration morale. En outre, dans l’attente de la consécration laborieuse du principe de la liberté d’association, certains se demandaient si, " faute de l’obtenir rapidement, il ne serait pas opportun de développer la place juridique des sociétés " () et d’en faire des auxiliaires de la justice.

En 1898, à l’occasion de la discussion d’une proposition de loi améliorant la protection des enfants, des sénateurs firent ainsi adopter un amendement reprenant la proposition de Paul Nourrisson et d’Henri Joly en l’assortissant d’un agrément du représentant de la société poursuivante par le ministère de la justice. Adopté en première lecture par le Sénat, ce texte fut violemment combattu en seconde lecture et repoussé à une écrasante majorité, à laquelle la gauche et la droite s’associèrent, pour des raisons opposées : la première pour faire barrage aux associations charitables mais d’inspiration cléricale et conservatrice, la seconde pour défendre l’autorité et la situation du parquet. Même si cette première tentative législative fut parasitée par la passion entourant, à l’époque, la question des relations entre l’Eglise et l’Etat, elle contenait déjà, en germe, la problématique actuelle : l’action publique doit-elle être réservée au ministère public ou partagée, et dans quelle mesure, avec des particuliers et des personnes morales ?

2. La recevabilité de l’action syndicale

Après des hésitations jurisprudentielles dès la fin du XIXe siècle, la recevabilité de l’action des syndicats professionnels a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt de 1913 (Cass. ch. réunies,  avril 1913). Après l’adoption de la loi du 21 mars 1884, certaines organisations, plutôt d’inspiration patronale ou agricole, tentèrent en effet de faire reconnaître leur capacité à défendre en justice les intérêts collectifs de leur profession. Malgré une forte résistance des juristes et de la Chambre criminelle, la Cour de cassation admit que les syndicats pouvaient exercer l’action civile " pour assurer la protection de l’intérêt collectif de la profession, envisagée dans son ensemble et représentée par le syndicat, dont la personnalité est distincte de la personne de chacun de ceux qui le composent ". Ainsi, pour la première fois, entre l’intérêt général, exprimé par l’Etat, et l’intérêt particulier, celui de la victime, s’intercalait celui d’une profession dont la prise en charge justifiait l’accès à la procédure pénale.

Cette décision de principe, de nature jurisprudentielle, devait inspirer la loi du 12 mars 1920 dont les termes sont pratiquement repris par l’actuel article L. 411-11 du Code du travail : les syndicats professionnels " peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ".

Cette reconnaissance législative, très générale, a conduit la jurisprudence postérieure à accueillir très largement l’action syndicale sans que, par ailleurs, les organisations concernées aient été tentées d’en abuser.

3. L’amplification des interventions législatives

Sous la poussée de divers groupes d’intérêts, le refus de la Chambre criminelle à admettre l’action civile des associations (Cass. crim., 18 octobre 1913), a conduit le législateur à de multiples interventions qui, inspirées par des mobiles différents, peuvent être regroupées en plusieurs vagues successives.

La première, de 1915 à 1919, concerne, modestement, les associations de travailleurs (loi du 10 juillet 1915), les associations antialcooliques (loi du 9 novembre 1915) et celles de défense des appellations d’origine (loi du 6 mai 1919). Après une longue pause législative, pendant l’entre-deux-guerres, une nouvelle vague d’habilitations, celle des années 40, est doublement inspirée par des considérations de moralité et de santé publiques et par les principes politiques corporatistes qui guident le régime de Vichy. Elle bénéficie ainsi essentiellement aux associations familiales, aux fédérations de chasseurs et de pêcheurs ainsi qu’aux ordres professionnels. Comme on le voit, le rétablissement d’un certain rigorisme va de pair avec l’ébauche d’une organisation économique rompant avec la tradition jusqu’alors d’inspiration libérale.

Après un nouveau ralentissement législatif, la puissante vague des années 70 concerne, au contraire, une pluralité d’associations dont le domaine d’action, variable et diversifié, rend difficilement perceptible une éventuelle cohérence. En effet, le mouvement est amorcé par la loi du 1er juillet 1972 sur les associations de lutte contre le racisme qui représente une véritable innovation ; il se poursuit par celle du 9 avril 1975 concernant le proxénétisme, dont l’inspiration est plus classique, avant de s’ouvrir aux champs fertiles de la consommation, de l’environnement, de la santé, mais aussi à des " valeurs " de portée philosophique et historique touchant à la dignité de la personne. Autant de signes qui traduisent une évolution, voire une recomposition, de la société dont le dessin est ébauché par touches successives.

Fortement accéléré ces dernières années, cet impressionnisme juridique aboutit à insérer, tantôt dans le Code de procédure pénale, tantôt dans des codes ou des lois à portée plus limitée, des exceptions de plus en plus nombreuses à un principe dont la substance s’étiole régulièrement. " Désordonnée, signe qu’elle n’a pas été réfléchie " (), cette législation est d’autant plus complexe à déchiffrer qu’elle accorde elle-même aux associations bénéficiaires un traitement inégal et disparate.

B. UN Régime disparate

Avant d’illustrer la diversité, sinon la fantaisie, du législateur dans les règles applicables à l’action civile des associations, il convient de mettre à part, brièvement, le cas des syndicats et ordres professionnels dont le régime juridique, nettement plus cohérent, n’entre pas dans le champ de ce rapport. Nous en rappellerons seulement quelques traits.

Ayant en commun la défense d’une profession, objet auquel s’ajoute, pour les ordres, l’exercice d’une discipline, ils peuvent avoir largement accès au juge répressif à une double condition : l’existence d’un lien entre l’infraction commise et leur objet (statutaire ou législatif) et d’un préjudice résultant d’une atteinte aux intérêts " collectifs " ou " généraux " de la profession (). Au surplus, la pratique révèle que leur recours au juge, qui demeure assez rare, ne soulève guère de critiques. Etant des organisations représentatives et structurées, exerçant même pour les secondes la police de leur profession, syndicats et ordres considèrent la défense en justice de leurs intérêts collectifs comme l’un des aspects de leurs multiples actions qu’ils n’ont guère tendance à privilégier. Ajouté à un fondement peu contestable, cet usage modéré explique qu’ils échappent aux controverses que suscite, en revanche, l’action civile des associations.

1. L’éparpillement des sources

En matière associative, le foisonnement des interventions législatives depuis une vingtaine d’années se double d’une dispersion des sources qui rend aujourd’hui le recensement textuel particulièrement fastidieux.

Formellement, cette démultiplication se traduit d’abord par l’énumération, sans véritable fil conducteur, du Code de procédure pénale, dont l’article 2-1 à 2-16 prend l’allure d’un poème à la Prévert :

– racisme et discrimination fondés sur l’origine (2-1) ;

– violences, violences sexuelles (2-2) ;

– enfance martyrisée (2-3) ;

– crimes contre l’humanité, crimes de guerre (2-4) ;

– apologie des crimes de guerre ou de collaboration, destruction de monuments, violation de sépultures, diffamations ou injures (2-5) ;

– discrimination fondée sur le sexe ou les mœurs (2-6) ;

– incendie volontaire de forêt (2-7) ;

– discrimination en raison de l’état de santé ou du handicap (2-8) ;

– terrorisme (2-9) ;

– exclusion sociale ou culturelle (2-10) ;

– anciens combattants, victimes de guerre morts pour la France (2-11) ;

– délinquance routière (2-12) ;

– protection des animaux (2-13) ;

– défense de la langue française (2-14) ;

– accidents dans les transports collectifs et locaux ouverts au public (2-15) ;

– toxicomanie et trafic de stupéfiants (2-16).

Outre ces associations " privilégiées ", le législateur a eu également recours à un grand nombre de lois spéciales : ainsi, l’action civile des associations se retrouve-t-elle soit dans l’un des codes suivants :

– consommation,

– débits de boissons,

– famille et aide sociale,

– impôts,

– rural,

– santé publique,

– travail,

– urbanisme,

soit dans des lois ou ordonnances non codifiées dont le tableau, figurant en annexe, fournit les références.

Cet éparpillement, produit d’une accumulation qui n’a pas de raison de cesser, ne satisfait pas l’aspiration à l’ordre que tout juriste éprouve : mais surtout, il rend la matière difficilement accessible aux non-initiés qui, de loin les plus nombreux, en subissent les conséquences. Enfin, faut-il ajouter que, pour une même organisation, la possibilité d’exercer l’action civile peut être évoquée dans plusieurs codes ou lois, ce qui ne facilite pas sa tâche ? Ainsi, pour les syndicats professionnels, elle est répartie entre le Code du travail (instrument essentiel pour eux) mais aussi les codes de la santé publique, de la consommation, des débits de boisson ; de même, dans le domaine de la protection de l’environnement sous ses diverses formes, l’apparence d’unité de traitement conférée par l’agrément ne peut masquer la diversité des dispositions applicables.

Certes, la répartition des dispositions législatives entre les textes de portée générale (le Code de procédure pénale) ou plus limitée (les codes spécialisés) sera toujours un exercice délicat et discutable. Mais, ici, l’unité de vues, dont l’absence est imputable au caractère fragmentaire du travail parlementaire, fait cruellement défaut.

2. L’absence d’unité

Plus que l’origine et la forme, la disparité du régime applicable à l’action civile des associations se traduit par une série de règles entourant son exercice de conditions fort inégales. Sans vouloir en restituer toutes les nuances, nous en regrouperons les principales différences autour de trois points-clés :

—  le droit d’agir,

—  le domaine d’action,

—  les modalités d’exercice.

    •   Le droit d’agir des associations est souvent subordonné à une condition d’ancienneté dont la justification est d’éviter la création de toutes pièces, dans un but contentieux parfaitement identifiable. Cependant, cette condition n’est ni uniforme ni d’application générale. Ainsi, pour la quasi-totalité des associations mentionnées par le Code de procédure pénale, une ancienneté de cinq ans est exigée : celle-ci est appréciée " à la date des faits poursuivis ", à l’exception de celles qui se proposent de combattre les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux des résistants ou des déportés pour lesquelles, à l’évidence, l’application d’un tel critère en aurait écarté le plus grand nombre. Pour l’ensemble des autres, cette condition est variable : lorsqu’elle est requise, elle est ainsi tantôt de cinq, tantôt de trois ans, exceptionnellement de six mois (pour la seule protection des appellations d’origine). Pour quelques-unes, en revanche (consommation, proxénétisme, pêche, investisseurs, fraude fiscale), le législateur n’exige aucune ancienneté préalable.

Outre la condition d’ancienneté, très répandue au fil des textes, l’action civile des associations requiert souvent un contrôle administratif préalable : celui-ci prend la forme, le plus fréquemment, d’un agrément, plus rarement d’une reconnaissance d’utilité publique et, curieusement, des deux à la fois, de manière exceptionnelle. L’exigence d’un agrément est ainsi systématique en matière d’environnement, d’urbanisme, de consommation, mais aussi dans le domaine du sport, de la protection de la jeunesse, etc. Une reconnaissance d’utilité publique est imposée, traditionnellement, aux associations de défense des bonnes mœurs, mais également à celles agissant dans la lutte contre le proxénétisme ou l’alcoolisme, par exemple. Enfin, il arrive même que cette reconnaissance soit insuffisante et qu’un agrément administratif doive s’y ajouter : c’est le cas, en matière de publications destinées à la jeunesse pour lesquelles la loi du 16 juillet 1949 autorise l’action civile des associations reconnues d’utilité publique et dont les statuts ont été doublement agréés par le ministre de la justice et le ministre de l’intérieur ; dans ce registre, très particulier il est vrai, le principe de liberté qui fonde la loi de 1901 subit donc quelques entailles !

Devant cette diversité, est-il encore besoin de plaider pour une certaine harmonisation ?

    •   Le domaine d’action des associations est également défini de manière plus ou moins large, tant au point de vue de leur objet que du préjudice qu’elles peuvent invoquer. Comme le montre la comparaison dressée par M. Olivier Kuhnmunch (), il témoigne, au contraire des syndicats, d’une grande variété.

Certaines associations peuvent être qualifiées de " généralistes " : c’est le cas notamment des associations agréées de consommateurs qui sont habilitées à agir au civil comme au pénal pour tous les faits de nature à porter atteinte " à l’intérêt collectif des consommateurs " ; l’impossibilité de circonscrire la notion de consommateur et les formes qu’elle prend a conduit le juge à interpréter leur champ d’action de manière assez large (). Les associations familiales ont également accès à la procédure pénale pour défendre les " intérêts moraux et matériels de la famille ", ce qui recouvre aussi bien ceux des consommateurs que ceux de la moralité publique.

En retrait par rapport à cette vocation généraliste, la plupart des autres associations sont limitées, moins par leurs statuts que par la référence à une catégorie d’infractions, voire à certaines infractions seulement. Ici encore, le législateur recourt à diverses techniques : dans certains cas, il renvoie à une catégorie vaste d’infractions sans les énumérer (crimes de guerre et crimes contre l’humanité), parfois il fait référence aux infractions contenues dans un code particulier (débits de boissons, par exemple) ou à certaines d’entre elles seulement (protection de la nature et de l’environnement) ; enfin, certains textes précisent, de manière limitative, les infractions pour lesquelles les associations peuvent se constituer partie civile (violences sexuelles, discriminations fondées sur le sexe, etc.). Dans cette mosaïque législative, la situation la plus singulière est faite aux associations de lutte contre le proxénétisme : la loi du 9 avril 1975 les habilite, en effet, à agir non seulement pour les infractions de proxénétisme prévues par le Code pénal, mais aussi pour celles qui s’y rattachent directement ou indirectement, ce qui leur procure ainsi une marge d’appréciation que justifient sans doute la gravité et le développement de cette forme de délinquance.

Quant au préjudice porté à l’intérêt collectif exprimé par les associations, les textes les plus généreux à leur égard font état du caractère " direct ou indirect " qu’il peut présenter. C’est notamment le cas, pour l’ensemble de leur vocation, pour les associations de consommateurs et, pour certaines infractions seulement, des associations de protection de l’environnement (en matière de déchets). Cependant, la référence à ce caractère direct ou indirect ne justifie pas pour autant que l’association puisse obtenir réparation d’un préjudice matériel s’ajoutant à celle d’un préjudice moral, la Cour de cassation prenant soin de préciser que le premier ne se confond pas avec celui subi par les victimes. Dans les autres cas, le législateur se contente d’indiquer que les associations peuvent " exercer les droits reconnus à la partie civile " : cette formule qu’utilise systématiquement le Code de procédure pénale (art. 2-1 à 2-16) implique que leur demande en réparation ne soit accueillie par le juge que lorsqu’elles justifient d’un préjudice direct. Cependant, dans les faits, les différences qui résultent des textes sont assez largement gommées par une jurisprudence unificatrice, sans être uniforme, qui pourrait faciliter une réforme législative souhaitable.

    •   Enfin, les modalités d’exercice de l’action civile devant la juridiction répressive n’obéissent pas à un régime uniforme. On peut à cet égard établir une gradation fondée sur l’autonomie des associations et l’existence – ou non – de conditions limitatives.

La capacité associative est d’abord limitée, dans un certain nombre de cas, par l’exigence d’un accord préalable de la victime ou, si celle-ci est mineure, du titulaire de l’autorité parentale ou du représentant légal. Ainsi, le Code de procédure pénale subordonne à cette condition la recevabilité des associations agissant dans le champ des violences sexuelles (art. 2-2), des discriminations fondées sur l’état de santé ou le handicap (2-8), de l’exclusion sociale ou culturelle (2-10) et de la délinquance routière (2-12). De la même façon, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans la rédaction modifiée en 1972 et en 1990, impose aux associations dont la vocation est de combattre le racisme et les discriminations de recueillir préalablement l’accord des personnes individuellement mises en cause le cas échéant.

De façon plus restrictive encore, l’action civile de certaines catégories d’associations ne peut trouver à s’exercer devant le juge pénal que si l’action publique a été mise en mouvement, soit par le ministère public, soit par la partie lésée. Telle est la situation, par exemple, des associations de défense de l’enfance martyrisée (art. 2-3), de lutte contre le terrorisme (2-9), la délinquance routière (2-12) ou encore la toxicomanie et le trafic de stupéfiants (2-16). Celles-ci ne peuvent donc que se joindre au parquet ou à la victime dont elles accompagnent alors la démarche. Dans les autres cas, globalement équivalents en nombre, le législateur n’ayant posé aucune limite tenant à l’accord de la victime ou au déclenchement préalable des poursuites, la capacité associative est potentiellement plus ouverte. Encore conviendrait-il, en pratique, de corriger ces distorsions apparentes par la prise en compte de deux facteurs réducteurs de différence : d’une part, dans la plupart des procès, les associations agissent en accord avec la ou les victimes même lorsque cette condition n’est pas formellement imposée ; d’autre part, l’identification de victimes n’est pas toujours possible, notamment en matière d’environnement, de santé, de consommation, au moment où s’engagent des poursuites contre les auteurs des infractions.

*

* *

Ce rapide survol qui ne prétend pas à l’exhaustivité confirme la complexité, sinon l’incohérence, des réponses législatives mises en œuvre ces vingt ou trente dernières années. Les actions civiles des associations se développent en nombre dans un maquis textuel de plus en plus impénétrable. Comme le constate avec force M. Philippe Le Tourneau, le bilan législatif étant médiocre, à l’opposé " de la simplicité et de la sécurité que le droit doit apporter " (), peut-on laisser au juge le soin exclusif de conforter, par touches successives, un édifice hétérogène et fragmentaire ?

Depuis le début du siècle, la jurisprudence, longtemps restrictive à l’égard de l’action civile des associations, s’est beaucoup libéralisée, répondant à une pression sociale forte. Non seulement, la tendance générale de la Cour de cassation est d’accueillir plus ouvertement leur démarche, mais encore d’introduire un peu d’ordre et d’unité dans cet éparpillement de textes de circonstance, en constante augmentation. Mais l’inévitable lenteur de cette recherche de cohérence ne saurait justifier l’indifférence ou la paresse du législateur.

A travers la mesure des intérêts en présence, peut-on tenter une appréciation objective des avantages et des méfaits d’un phénomène aujourd’hui installé dans notre environnement juridique ?

II. — LA MESURE DES ENJEUX

L’action civile des associations n’est pas le fruit de l’arbitraire législatif, elle s’explique par une longue évolution sociale, rythmée par la transformation de l’Etat. Comment celle-ci aurait-elle pu ne pas retentir sur l’un de ses attributs essentiels : la justice ?

Tardivement reconnue et organisée dans notre pays, la liberté de s’associer est marquée par le contexte qui, au début du siècle, entoure la question des relations entre l’Eglise et l’Etat. Certes, la loi de 1901 est largement une loi de liberté civile permettant à des individus poursuivant ensemble un but exclusif de tout partage de bénéfices de se regrouper. Les conditions entourant la création d’une association ne sont guère contraignantes (licéité de l’objet) et le fonctionnement ultérieur est quasi-totalement libre (sauf l’interdit financier qui proscrit tout partage des bénéfices entre ses membres). Mais, elle porte également l’empreinte de la méfiance que la classe dirigeante, républicaine et laïque, éprouve à l’égard de la religion catholique et des congrégations : ainsi, le dispositif de 1901 ne se comprend que parallèlement à celui de 1905. Une association sous statut 1901 peut tout faire, sauf exercer des activités religieuses, inversement, celle sous statut 1905 ne peut avoir que des activités religieuses. En outre, sur le plan financier, la première peut recevoir des subventions, mais, sauf exceptions, pas de libéralités autres que des dons manuels, la seconde, au contraire, peut bénéficier de dons et legs qui valent aux donateurs des avantages fiscaux mais se voit interdire tout concours des collectivités publiques.

Imaginé dans un objectif de séparation des rôles, ce dispositif s’est progressivement affranchi de son origine conflictuelle. Le mouvement associatif a pu alors se développer au point qu’aujourd’hui, il représente un instrument de régulation sociale et même économique. Les grandes vagues de son considérable essor épousent, significativement, les aspirations nouvelles d’une société en voie de mutation. Au début du siècle, l’inspiration associative correspond surtout à des activités caritatives (lutte contre les fléaux sociaux, création d’hospices, de patronage, de maisons de retraite, de centres familiaux ...). Avec l’avènement de la gauche en 1936, l’emportent les préoccupations d’éducation populaire, ouvrière et de jeunesse dont le symbole le plus marquant est alors la naissance des grandes fédérations du type Léo Lagrange, JOC, etc. Les années cinquante à soixante-dix marquent, après l’humiliation de la défaite, de l’occupation et les privations qui les accompagnent, l’accès rapide à une consommation de masse : les intérêts qui se regroupent alors sous la forme associative ont une grande pluralité d’objets : familles, locataires, consommateurs, cadre de vie, culture, loisirs ... traduisant le fourmillement de découvertes d’une société dont le pouvoir d’achat est en croissance régulière. Après 1975, la vague se poursuit, provoquant une véritable explosion : on estime à environ 700 000 le nombre des associations existantes.

Mais, en même temps que se poursuit cette diversification, le phénomène associatif change aussi quelque peu de nature. Avec la décentralisation, l’importance croissante des médias, la montée de la délinquance et de l’exclusion, les associations deviennent un instrument de la politique des pouvoirs publics et leur poids économique s’alourdit. Outre les communes qui ont, de longue date, soutenu le tissu associatif, les ministères eux-mêmes encouragent et subventionnent de " grandes " associations qui, par les fonds brassés, le personnel employé, n’ont plus rien de commun avec l’immense majorité des plus petites : le salariat y remplace le bénévolat. D’où les plus grands risques de dérives, allant de l’utilisation incontrôlée des fonds recueillis à des actes de corruption et de détournement à des fins d’enrichissement personnel que dénonce avec fougue, dans un ouvrage polémique, M. Pierre-Patrick Kaltenbach ().

Cependant, cette confusion des genres, à l’opposé de ce qu’avait imaginé le Parlement en 1901, ne peut conduire, selon l’expression anglaise, " à jeter le bébé avec l’eau du bain ". Les démembrements excessifs de l’Etat, l’abandon de certaines de ses prérogatives, souvent pour contourner les règles de la comptabilité publique, conduisent à une forme de vigilance accrue, non à une condamnation globale aussi injuste qu’absurde. Il n’en reste pas moins que, sous l’effet de ces évolutions, les associations sont marquées aujourd’hui du sceau de l’hétérogénéité, parfois d’une certaine ambiguïté.

Contentons-nous d’observer ici que les intérêts collectifs qu’elles regroupent sont d’ampleur et de consistance très variables : d’un petit nombre d’individus rassemblés par un but précis (sportif, culturel par exemple) à des ensembles incommensurables tels que ceux des consommateurs, des investisseurs ou des grandes causes humanitaires, sanitaires, sociales, etc. Cela n’est pas fait pour en faciliter la définition. Comme le souligne M. Philippe Robert, la notion d’intérêt collectif, peu claire, ne peut être située que négativement : " ni somme d’intérêts individuels ni intérêt social ou général " ().

Cette incertitude explique qu’à travers la personne morale qui en demande réparation, l’atteinte à un intérêt collectif concerne des séries de victimes potentielles de géométrie très variable. Celle-ci va du petit groupe de personnes situées sur un territoire délimité (une association de propriétaires, en matière d’urbanisme ou d’environnement par exemple) à des catégories plus vastes, mais identifiables soit par leur âge (enfants) soit par leur condition (handicapés, usagers des transports, résistants, déportés, etc.). Mais elle s’applique aussi à des ensembles abstraits dont les limites ne peuvent être déterminées par avance : c’est le cas des consommateurs, catégorie indéfinie à laquelle chacun de nous appartient, ou des individus heurtés, dans leur conscience, par certains propos, racistes ou antisémites par exemple.

Dans ces conditions, il est sans doute vain de rechercher, dans cette réalité multiforme et fluide, une typologie rigoureuse : le seul principe de classement est celui fondé sur des éléments de fait tenant à la structure des associations : nombre d’adhérents, modalités d’action, origine des fonds... Aussi, dans ses rapports avec la justice, notamment pénale, l’évolution de la nature et du rôle des associations suscite des jugements contrastés.

A. la balance des arguments

Le plaidoyer auquel se livrent partisans et adversaires de l’action civile des associations dans sa configuration actuelle s’appuie tour à tour sur des considérations de principe et une analyse des dysfonctionnements de la justice. Leur confrontation permettra de mieux situer leur vision respective du procès pénal.

    •   Les auteurs les plus réticents ou les plus hostiles à l’action associative ont en commun l’importance qu’ils attachent au ministère public et à l’opportunité des poursuites. Pour eux, l’action civile des associations est essentiellement vindicative, elle a pour objectif premier de déclencher l’action publique, portant ainsi atteinte au principe de l’opportunité qui permet au procureur, en toute sagesse, de poursuivre ou de classer discrétionnairement une affaire. En neutralisant cette faculté, les associations menaceraient la véritable action publique, exercée au nom de la société et dénatureraient le ministère public. Dans son rapport au Garde des sceaux de janvier 1997, Mme Michèle-Laure Rassat observe ainsi, de manière critique, qu’elles se mobilisent sur des " infractions de droit pénal artificiel, que le ministère public est souvent enclin à laisser dormir pour le plus grand bien de tous " ().

La légitimité même de cette démarche parallèle est mise en cause. Dans notre système judiciaire, une personne privée peut-elle contrecarrer, concurrencer une autorité étatique et s’arroger une prérogative régalienne, se demande ainsi le doyen Jean Carbonnier () ? Sa réponse personnelle est négative. Pour lui, la coexistence d’une action publique véritable et d’une fausse action publique finit par altérer la vocation du ministère public. Poussant jusqu’à son terme la logique de cette appréciation sévère, certains n’hésitent pas à évoquer la menace d’une " privatisation " de l’action publique (). La multiplication législative des exceptions au principe posé par l’article 2 du Code de procédure pénale conduirait à aggraver la méfiance de l’opinion à l’égard du ministère public et le discrédit de l’institution judiciaire. Sans aller jusqu’à revendiquer un retour pur et simple à la situation antérieure, les tenants d’un ministère public éminent, occupant une place centrale dans le système français, dénoncent les risques de dérives vers l’action populaire et de démembrement de la justice. Facteur d’équilibre et d’équité, le parquet est, pour eux, le meilleur garant d’une protection contre le déferlement d’actions entreprises par des groupements souvent incontrôlés et incontrôlables.

Sur un plan pratique, l’action civile des associations provoque, non seulement un éparpillement, mais aussi un encombrement des juridictions pénales. Certes, elle n’est la cause ni exclusive ni principale de l’engorgement de l’instruction. Mais ce contentieux, considéré comme artificiel le plus souvent, contribue à la surcharge de travail du cabinet des juges d’instruction. A l’image d’une justice civile déjà asphyxiée par l’explosion des recours, la justice pénale pourrait progressivement connaître le même sort s’il n’était pas mis un terme à la " constitution abusive de partie civile " ().

A travers ces risques soulignés avec force, c’est bien la nature de l’action associative qui est ainsi mise en cause par ses adversaires. Plus que la défense d’un intérêt collectif introuvable, les associations seraient, le plus souvent, les instruments de passions redoutables, même si elles sont légitimes. Car, interprétant les faits à travers le prisme déformant de leur sensibilité, elles sont incapables d’en apprécier, objectivement, la gravité. Leur appel au juge est inspiré par la recherche d’une reconnaissance que facilite la médiatisation des affaires les plus spectaculaires ou les plus dramatiques. Si la plupart se contentent de l’exemplarité du procès pour plaider leur cause auprès de l’opinion publique, quelques-unes ne sont pas indifférentes à l’octroi de dommages-intérêts élevés qui leur procurent ainsi des moyens plus étendus. M. J.-Henri Robert met ainsi en garde contre ces " associations-procureurs " qui ne " doivent se transformer ni en mendiants stipendiés ni en financiers avisés " (). Dans ce rôle de gardien de la morale, peut-on exclure que l’appel à des idéaux de noble apparence ne cache, en réalité, des intérêts bassement matériels ?

Comme on peut le voir à travers cette analyse, c’est bien de la défense d’une prérogative régalienne, menacée par l’éparpillement de l’action publique, qu’il s’agit. L’accès des associations au juge répressif est ressenti comme un contre-pouvoir. Néfaste pour les uns, nécessaire, au contraire, pour les autres.

    •   Au-delà du caractère désordonné et pointilliste de la législation actuelle qu’ils dénoncent également, les défenseurs de l’action civile des associations mettent l’accent sur sa contribution positive à la justice pénale, sous trois aspects essentiels.

En premier lieu, l’effectivité du respect des lois suppose que le parquet n’en soit pas le seul juge. Au moment où la délinquance urbaine submerge la police et la justice de faits auxquels elles ne répondent qu’imparfaitement, la tentation d’un traitement sélectif par un classement sans suite est naturellement forte. Aussi, l’action civile des associations est-elle présentée comme une contrepartie souhaitable à l’indifférence, à la carence ou à l’asphyxie des procureurs. Sans doute l’opinion a-t-elle une vision caricaturale de cette proportion élevée de classements. Pour une large part, celle-ci se compose de plaintes non fondées juridiquement et d’affaires non élucidées qui renvoient à l’efficacité de la gendarmerie et surtout de la police. Mais, même si le taux de classements sans suite ainsi corrigé est plus acceptable, il n’est guère compris par l’opinion, alimentant ainsi un soupçon pesant, globalement, sur le corps judiciaire. Au point que le projet de loi déposé le 3 juin 1998, à l’Assemblée nationale, a prévu un double mécanisme de motivation des décisions de classement et de recours contre elles () pour tenter d’en effacer les ravages.

Certes, on sait par expérience que l’amélioration de cette perception suppose, outre l’octroi de moyens supplémentaires à la justice, la mise au point de peines et de modes de réparation alternatifs permettant un traitement plus efficace et rapide de la délinquance de masse. Mais avant que ces conditions ne soient remplies, le principe de l’opportunité des poursuites dont le fondement n’est pas contesté mais dont l’application est mal vécue suscite son antidote : sa mise en échec possible, en cas d’inertie du parquet. Ainsi l’action collective est-elle largement justifiée par les dysfonctionnements de l’institution judiciaire, eux-mêmes imputables aux maux de notre société.

En second lieu, la défense d’intérêts collectifs par les associations peut également avoir un effet préventif, éducatif. Par la pédagogie de l’action qu’ont soulignée, dans leurs divers registres, toutes celles qui ont été interrogées, elles contribuent à l’exercice d’une fonction de vigilance : l’éventualité de leur recours au juge dissuade, parfois, la commission ou la perpétuation d’infractions : c’est le cas particulièrement en matière de consommation, d’environnement ou de santé où l’intervention d’associations ayant pignon sur rue est le meilleur gage du respect des normes : ainsi, elles " jouent un peu le rôle de sentinelles invisibles " (), selon Philippe Le Tourneau. Naturellement, l’impact d’une telle dissuasion est impossible à évaluer avec précision mais cette auto-censure, pratiquée notamment par des entreprises soucieuses de préserver leur notoriété, n’est pas nulle pour autant. Peut-on, dans cette perspective, considérer que les associations participent ainsi à un contrôle spontané par la société civile ? Certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs que très exceptionnellement recours au juge et privilégient d’autres moyens d’action (l’information notamment).

Enfin, cette analyse positive conduit certains auteurs à interpréter le mouvement associatif et l’action collective qu’il génère, non seulement comme un instrument de liberté, mais aussi comme un outil de la solidarité. Ainsi, Mme Delmas-Marty relie le phénomène à ce qu’on considère comme une recomposition de la société et plus précisément un accroissement de la part d’initiative par rapport à la part étatique : le droit pénal ne serait plus ainsi le seul défenseur de valeurs collectives, relayées par des groupements intermédiaires, catalysant l’énergie de leurs membres. Sans parler de justice de proximité, M. Le Tourneau souligne, dans le même sens, que les associations représentent une " sorte de démocratie directe à encourager " ().

Ce débat général est entretenu avec vivacité par de nombreux philosophes pour lesquels l’évolution des sociétés occidentales, aujourd’hui sécularisées, se marque par un déplacement du curseur séparant la sphère publique de la sphère privée, au détriment de la première. Sans y entrer, ce qui ne correspond pas à l’objet de cette étude, on peut retenir au moins que la question, ouvertement posée, appelle une réflexion et des réponses renouvelées.

B. ESSAI D’apprÉciation

La mise en parallèle des arguments avancés par les adversaires et les partisans de l’action collective des associations témoigne de l’existence de deux logiques distinctes : l’une et l’autre poursuivent pourtant le même objectif, améliorer le respect des lois et l’efficacité de la justice. Mais, l’identité du but à atteindre ne postule pas, dans ce domaine comme dans bien d’autres, le choix de moyens semblables. Une telle confrontation peut cependant nous aider à dresser un bilan, en privilégiant le champ des faits toujours plus fécond que celui des principes.

Globalement, la défense d’intérêts collectifs par les associations est incontestablement positive, mais son expression judiciaire, aujourd’hui mal encadrée, recèle des risques de dérive que l’on ne saurait sous-estimer, au prix de voir se dégrader une situation dont les inconvénients apparaîtront, au fil du temps, avec de plus en plus de netteté.

La multiplication sans limites de l’action civile comporte un danger, celui de porter atteinte aux libertés individuelles et, à travers elles, au principe d’égalité devant la justice. On sait que l’autorité judiciaire est, au terme de l’article 66 de la Constitution, " gardienne de la liberté individuelle ". Or, le recours abusif à la justice pénale, qui est, aux yeux de l’opinion, la plus solennelle et la plus grave peut mettre en cause la réputation et la situation d’un individu ou d’une entreprise. Rappelons qu’une association peut, en effet, provoquer non seulement l’ouverture d’une instruction (par la constitution de partie civile) mais aussi la comparution d’une personne devant le tribunal correctionnel (par la citation directe). Cette démarche, même sans fondement mais bien orchestrée, peut nuire gravement, et sans possibilité de réhabilitation complète, à l’honneur, à la dignité, au savoir-faire d’un particulier ou d’une personne morale. La question mérite d’autant plus réflexion que, dans une société où les médias cèdent fréquemment à la tentation de la dramatisation et du spectaculaire, certains sont plus exposés que d’autres à de telles dérives, par le caractère public et sensible de leur activité ou par l’environnement concurrentiel auquel ils sont soumis. Sans compter que des associations déguisées peuvent naturellement, sous couvert d’un intérêt respectable, poursuivre en réalité des buts moins avouables, tels que la volonté de nuire et l’élimination d’un concurrent, par exemple. Sans faire peser sur les associations un soupçon collectif injustifié, chacun reconnaît la nécessité de trouver une parade à une pratique qui, encore limitée aujourd’hui, pourrait être cultivée par des spécialistes sans scrupules de l’action judiciaire, devant un tribunal civil ou répressif. Ce type de danger n’est pas illusoire : déjà éprouvé aux Etats-Unis pour tout ce qui est " plaidable ", il ruinerait le principe d’égalité devant la justice qui, même s’il comporte une part de fiction, doit toujours inspirer notre système judiciaire comme un idéal vers lequel il tend.

En outre, si la plupart des associations habilitées à exercer les droits reconnus à la partie civile ont encore rarement recours au juge, pénal ou civil, quelques-unes peuvent être tentées d’exploiter leur avantage, lorsque leur domaine d’action s’y prête, sous la forme d’une " course " aux dommages-intérêts ou d’une recherche de compensations leur procurant alors des ressources inespérées.

L’importance des enjeux économiques et financiers et la présence de grandes entreprises soumises à une concurrence avivée expliquent que ce risque soit particulièrement ressenti en matière d’environnement, de santé ou, d’une manière plus générale encore, de consommation. En outre, la nature du préjudice subi ou supposé (maladies, intoxications, destruction du milieu naturel...) se prête à des évaluations, sinon arbitraires, du moins délicates. Ainsi, comment apprécier précisément l’atteinte portée à des consommateurs par une publicité mensongère ou interdite ? De même, que représente exactement le préjudice écologique causé par le rejet atmosphérique ou l’enfouissement de produits toxiques ? Certes, certaines associations, telles que France Nature Environnement, ont accumulé des observations et forgé des instruments de mesure qui aident grandement les juges dans leur tâche : mais, l’exercice comportera toujours une part d’incertitude qu’exprime la notion même de " principe de précaution ". Le doute entourant la réalité et l’étendue du dommage, la sensibilité chronique de l’opinion sont propices à des tentatives d’interprétation abusive, facilitées par les sommes en jeu.

Le vertige du " tout-judiciaire " () a frappé ainsi, ces dernières années, le Comité national contre le tabagisme, profondément divisé entre deux stratégies opposées. A partir de 1991, qui marque la promulgation de la loi Evin, l’association change en effet de dirigeants et se lance dans un activisme judiciaire encouragé par le talent d’un avocat médiatique et d’un nouveau directeur. Comme le fait observer l’Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport sur le CNCT, à l’approche antérieure, considérée comme " trop médicalisée de la lutte contre le tabagisme ", l’équipe en place a préféré la " protection des non-fumeurs et l’occupation du terrain judiciaire " que lui permettait désormais la loi du 10 janvier 1991. A travers les mécanismes d’interdiction de la publicité et d’information sur la nocivité du tabac, le Comité entreprend des poursuites fréquentes, non seulement contre les industriels peu zélés, mais aussi les supports médiatiques (télévision, presse, régies) : les condamnations à des dommages-intérêts obtenues devant les tribunaux judiciaires représenteraient ainsi, en 1997, près de 4,2 millions de francs.

Ce rôle de garant du respect des textes va aussi conduire l’équipe dirigeante à pratiquer ce qu’elle appelle pudiquement des " compensations médiatiques ". Il s’agit concrètement du versement d’une somme ou de la concession gratuite d’un espace publicitaire en échange d’un abandon des poursuites : ainsi, la transaction passée en 1992 avec une chaîne de télévision autorise la retransmission des grands prix de formule 1 moyennant 2,5 millions de francs ! Outre la prise en otage de téléspectateurs victimes des différences de régime publicitaire, cette confusion de genres est juridiquement contestable : une association, par ailleurs reconnue d’utilité publique et subventionnée par les pouvoirs publics, peut-elle proposer à des auteurs d’infractions le versement d’une somme d’argent en contrepartie d’une renonciation à les poursuivre dont l’opportunité devrait être appréciée d’abord par le ministère public ? Dans un Etat de droit respectant le principe d’égalité devant la justice, une autorité publique, plus qu’un groupement privé, fût-il éminemment utile, est mieux à même de peser et d’exprimer l’intérêt général.

Comme on peut le voir à travers ces exemples extrêmes, les causes les plus nobles (ici la protection de la santé) peuvent donner lieu à des pratiques regrettables. Autant, en matière de prévention du tabagisme, l’utilité de procédures judiciaires, civile ou pénale, ne saurait être sérieusement contestée, autant la recherche éperdue de ressources peut dénaturer la vocation d’une association et la plonger dans une crise dont elle a toujours du mal à ressortir intacte. Ce risque de dérive guette toute structure qui, reposant sur le bénévolat fragile de ses adhérents, en vient à manier des fonds considérables, d’origines multiples (), et dont l’utilisation est difficilement contrôlable.

Cependant, faut-il qu’un arbre cache une forêt ? Quels que soient les abus, craints ou avérés, l’action collective des associations, dans le domaine pénal, est à notre sens utile sous trois grands aspects.

Le premier concerne l’émergence de certains faits délictueux que la sensibilité de la victime et la nature des rapports sociaux occulteraient sans doute sans l’investigation patiente d’associations résolues à les combattre. Ainsi, la maltraitance d’enfants, les violences sexuelles se produisent souvent dans un climat affectif, familial qui les rendent difficilement perceptibles de l’extérieur. Et quand les soupçons se transforment en faits avérés, encore faut-il les exprimer et les soutenir contre des apparences contraires. Certaines perversions se parent du manteau de la respectabilité et de l’honorabilité et les victimes reculent parfois devant l’ampleur de conséquences qu’elles ne pourraient assumer seules. Il est inutile de rappeler combien est toujours douloureuse, et souvent tardive, la dénonciation des actes incestueux subis par un mineur. Or, du fait de l’expérience et de l’implication de leurs membres, les associations ont acquis une capacité d’observation, de détection, précieuse pour les policiers et pour les magistrats.

La connaissance des phénomènes sectaires est, à cet égard, très révélatrice ; il faut accumuler beaucoup d’indices, de témoignages avant de découvrir la réalité de certaines organisations dont les statuts ont toujours une apparence culturelle ou historique avouable. Dans ce domaine comme dans plusieurs autres, le dévouement à une cause, le désintéressement et la compétence de quelques bénévoles fournissent un concours important à la justice. Celle-ci en bénéficie également dans la lutte contre le proxénétisme, qui n’est pas toujours entreprise par la police avec la sévérité qu’elle mériterait. Le développement d’une délinquance de masse, l’engorgement de l’instruction, la surpopulation carcérale, qui obligent la police et la justice à faire face au plus pressé, conduiraient à ne pas poursuivre certains délits que les associations contribuent à mettre au jour. En ce sens, elles en sont de véritables auxiliaires.

Le second a trait à l’aide que les associations peuvent apporter aux victimes sur divers registres, psychologique, financier, avant, pendant ou après le procès. Certes, ces formes d’assistance n’impliquent pas nécessairement que les associations prennent elles-mêmes l’initiative de mettre en mouvement l’action publique : elles peuvent, en effet, s’exprimer largement sans qu’elles soient parties à l’instance, au point que certains songent à une reconnaissance formelle de cette fonction d’assistance, déconnectée de toute intervention judiciaire. Sans aller jusqu’à une telle consécration, qui ne manquerait pas de susciter avec les avocats d’inextricables problèmes de répartition des responsabilités, on peut aisément constater que, dans certaines catégories d’affaires, le soutien associatif prépare la victime à affronter la dureté d’un procès toujours traumatisant, notamment devant une Cour d’assises. Avant et après celui-ci, le travail de reconstruction de sa personnalité implique qu’elle ne soit pas abandonnée à son sort : l’isolement, voire l’oubli, ont toujours de funestes conséquences sur une personne en situation de fragilité ou a fortiori de détresse. Naturellement, l’action de spécialistes (médecins, psychologues) est irremplaçable, mais on sait qu’elle n’a qu’un temps, pour des raisons de disponibilité et de coût : aussi, l’écoute, l’attention, les conseils que peut prodiguer une association prolongent leur intervention et l’inscrivent dans la durée.

Les exemples de tels effets pour divers types de victimes sont nombreux : mineurs, femmes isolées, exclus en voie de marginalisation, personnes ayant subi des actes de terrorisme (enlèvements, attentats ...) illustrent hélas l’utilité de ce long accompagnement des victimes et de leurs familles. L’action entreprise dans notre pays par SOS attentats, par exemple, souligne ainsi la complémentarité entre justice et associations : celle-ci n’est d’ailleurs perturbée en rien par des considérations financières, puisque les mécanismes d’indemnisation mis en place () garantissent les victimes d’actes de terrorisme, à la satisfaction générale. En revanche, dans un domaine où l’instruction est longue et où la raison d’Etat conduit parfois à une absence totale de poursuites, l’assistance psychologique à des êtres aveuglément frappés et traumatisés pour longtemps est un secours important. Pendant le procès, le face à face entre terroristes et victimes peut être insoutenable et la présence de représentants d’associations expérimentés ne fait pas double emploi avec celle du ministère public. En cas de jugements par contumace, ressentis comme expéditifs, le relais pédagogique et symbolique qui incombe alors à des associations spécialisées et respectées n’est pas non plus négligeable.

Enfin, au-delà du soutien ainsi procuré aux victimes de diverses façons, comment ne pas évoquer la contribution qu’apportent également les associations au respect de la loi, spécialement dans le domaine où les infractions commises concernent une collection de victimes impossibles à identifier ou à circonscrire ? Pour l’illustrer, deux exemples viennent à l’esprit.

Ainsi, parmi les faits de société, les délits d’opinion, alimentés par le racisme, l’antisémitisme ou le " révisionnisme " par exemple, peuvent être constitués sans se rapporter à des personnes dénommées : en outre, dans quelques dizaines d’années, les déportés, les résistants, les engagés de la France libre, etc. auront disparu. Pour entretenir le devoir de mémoire qui impose de ne pas céder à l’oubli honteux, la fonction de vigilance et de représentation assumée par des associations est irremplaçable. Dans le présent même, celle-ci trouve à s’exercer à l’encontre des propos qui portent atteinte à des valeurs ou à des principes protecteurs de la dignité humaine. Certes, rien ne pourra ici se substituer à la conscience individuelle de chacun, mais l’effort d’explication fourni par certaines associations peut aider à la cultiver et à l’approfondir en même temps qu’il garde la démocratie de ses propres excès.

Dans le domaine de la consommation, de l’environnement et de la santé, le recours des associations au juge pénal demeure limité, mais participe aussi à l’effectivité du droit. Ainsi, les associations de défense des consommateurs ou de la famille sont assez rarement à l’origine directe de poursuites (la proportion des constitutions de partie civile initiales est faible) mais leur vigilance les conduit plus souvent à alerter l’administration (la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) ou le parquet pour les inciter à réprimer les infractions constatées par elles. En matière d’environnement, la stratégie des associations paraît assez variable : la quasi-totalité des actions pénales est engagée par celles qui défendent la chasse (), la pêche ou les animaux ; au contraire, les autres secteurs (déchets, nuisances sonores, pollution...) font surtout l’objet d’un contentieux administratif sous la forme la plus fréquente du recours pour excès de pouvoir dont l’objet est de prévenir la survenue de dommages. Mais, par des voies différentes selon leurs objectifs et leurs moyens, l’ensemble concourt à une meilleure application du droit.

Comme l’écrit la Commission européenne dans une communication du 25 octobre 1996, l’intérêt de développer l’accès aux tribunaux est d’autant plus évident que l’environnement est ressenti comme notre " patrimoine commun " et qu’il ne fait l’objet, dans beaucoup de ses composantes (air, eau, faune, flore ...) d’aucune appropriation privée. Aussi, il est assez fréquent encore que certaines agressions soient sans réaction immédiate et que des personnes physiques n’aient, individuellement, aucune possibilité d’agir juridiquement pour assurer le respect du droit. D’où l’utilité, selon la Commission européenne, d’une action associative largement reconnue. Dans un domaine voisin, les succès judiciaires obtenus ces dernières années par le Comité national contre le tabagisme (29 condamnations définitives en cinq ans si l’on en croit l’Inspection générale des affaires sociales) prouvent, s’il en était besoin, que l’effectivité de certaines lois est encore largement perfectible...

En définitive, ce " pluralisme judiciaire " () est à la mesure des difficultés que rencontrent, dans une société complexe et émiettée, l’autorité et le respect du droit : le développement relatif des actions associatives n’en est que la pathologie. A défaut d’une étude récente et générale, dont on peut regretter l’absence, il convient de rappeler que, pour la plupart des associations, la saisine du juge pénal, civil ou administratif n’est pas une fin en soi, elle s’inscrit, comme plusieurs auteurs l’ont montré (), dans une panoplie de moyens éducatifs et préventifs. Et si la politique était vraiment, comme le disent les plus pessimistes, le choix entre deux inconvénients, lequel présenterait, en matière pénale, le plus grand danger pour les justiciables ? Nous emprunterons la réponse à M. Olivier Kuhnmunch, qui conclut avec fermeté : " Mieux vaut l’éclatement des poursuites que leur étouffement " ().

Mais, cette hiérarchisation des risques ne saurait dispenser le législateur d’une réflexion en vue d’améliorer, si possible, le régime actuel. Conforme à l’évolution vers une justice plus humaine, plus accessible, l’action civile des associations n’en mérite pas moins une nécessaire clarification.

iii. —  principes d’une clarification

Le débat sur l’action civile des associations dure, dans notre pays, depuis un siècle. Il n’est pas près de s’éteindre et risque même de connaître des poussées de fièvre si n’est pas entreprise, rapidement, la clarification que justifie une accumulation désordonnée d’habilitations législatives ponctuelles. Car ce foisonnement est aujourd’hui préjudiciable à la fois à l’image des associations et à la compréhension de la justice.

Faut-il accueillir sans limites l’action associative ? A l’opposé, faut-il réserver au ministère public et à la victime l’exercice des poursuites pénales ? Aucune de ces deux propositions extrêmes ne nous paraît adéquate. En réalité, c’est dans une relation de complémentarité, et non de concurrence, qu’il convient d’inscrire la protection de la société, par le parquet, et la défense d’intérêts collectifs, par les associations. L’indispensable mission du premier mérite d’être réaffirmée et renforcée, mais le rôle des secondes sera d’autant plus utile et compris qu’il se développera selon des règles plus simples, évitant les quelques dérives constatées.

Ce débat n’est pas propre à la France, il agite également les autres pays européens, sans parler des Etats-Unis. La tendance générale va dans le sens d’une extension de l’action en justice des associations, même si elle se manifeste encore sous des formes très diverses que le droit européen, embryonnaire en ce domaine, n’a guère uniformisées.

De ce mouvement spontané, peut-on tirer quelques indications utiles à la mise en ordre souhaitée pour notre système juridique ? Sur le plan de la méthode, deux types d’approche différentes coexistent. Certains Etats, comme la Belgique ou l’Allemagne, n’ont consacré le droit d’action des associations que de manière limitée, en l’accordant seulement à certaines d’entre elles : ainsi, en bénéficient les associations de défense des consommateurs et de l’environnement, plus exceptionnellement celles qui luttent contre les discriminations racistes ou sexistes, par exemple. D’autres pays, au contraire, ont tenté de résoudre la question par une réponse de caractère général, qu’elle soit législative ou jurisprudentielle : c’est le cas des Pays-Bas et de l’Italie qui ont défini des conditions identiques, mais pas nécessairement souples, pour l’accès au juge de l’ensemble des associations. A cette différence de méthodes s’ajoute encore une grande diversité de règles relatives à la recevabilité des actions associatives devant les juridictions, civile, répressive ou administrative. Il est donc difficile de déduire de la multiplicité des situations l’existence d’un quelconque modèle.

Au sein des institutions communautaires, les tentatives d’harmonisation demeurent limitées. Si des directives sont intervenues en matière de publicité trompeuse et, d’une manière plus générale de consommation (), un droit général d’action est loin d’être consacré au profit des associations. Néanmoins, la Commission et le Parlement poussent en faveur d’une reconnaissance des actions associatives, dans les pays européens, en particulier pour la protection des intérêts collectifs de la consommation et de l’environnement. Récemment, une résolution du Conseil du 7 octobre 1997 réaffirme ainsi l’intérêt des recours entrepris par les organisations non gouvernementales pour faire contrôler l’application de la législation nationale devant les juridictions administratives, civiles ou pénales, selon le système propre à chaque pays. Même s’il n’existe aujourd’hui aucun texte communautaire de portée générale, on voit donc que l’idée chemine et marque des points.

Si l’on s’inscrit dans ce courant, l’hétérogénéité des associations comme la diversité du régime qui leur est applicable rendent vaine la recherche d’une uniformisation dépourvue de sens. Mais, elles n’interdisent pas une tentative de simplification à la fois dans les modalités de l’accès au juge pénal et dans la réparation du préjudice subi. Ce sont ces deux pistes que nous souhaitons explorer.

a. les modalités d’accès à la justice pénale

Grâce à la plasticité de la loi de 1901, le mouvement associatif est fort hétérogène : dans leurs buts, dans leur représentativité, dans les moyens dont elles disposent, les associations présentent une infinité de visages, malgré la référence à un cadre juridique commun. Les habilitations législatives dont bénéficient une partie d’entre elles (une quarantaine) leur ayant été accordées au fil du temps et sans idée directrice, l’impression de cacophonie est donc à son comble. Sans doute, est-il temps d’introduire, non une hiérarchie, mais un principe de répartition dans leurs recours au juge répressif. En rapportant ceux-ci à leur utilité sociale, à leur vocation, une distinction entre le déclenchement autonome de l’action publique et l’intervention au côté du ministère public ou de la victime peut être source de clarification d’un régime juridique aujourd’hui trop complexe.

1. La mise en mouvement de l’action publique

Parmi les modalités d’un recours au juge pénal, la faculté pour les associations de déclencher l’action publique est celle qui marque la plus forte rupture avec les principes traditionnels de notre procédure. En effet, en autorisant certaines d’entre elles à exercer les mêmes droits que la partie civile, le législateur a dérogé à l’article 2 qui précise que la possibilité de demander réparation du dommage causé par une infraction appartient à celui qui en a " personnellement souffert ". Aussi, une telle dérogation devrait être réservée, selon nous, aux associations que l’on entend investir, de manière permanente, d’une sorte de mission de participation à l’application du droit.

Celle-ci s’analyse en une collaboration avec l’ensemble des institutions qui concourent à l’effectivité du droit : administrations de l’Etat et des collectivités locales, police et, pour ce qui nous intéresse particulièrement ici, justice. De plus en plus en effet, la multiplication et la technicité des règles mobilisent une vigilance accrue de la part d’un plus grand nombre d’acteurs. Il serait chimérique d’imaginer que l’on puisse substituer désormais à la complexité de nos systèmes juridiques un ordre élémentaire reposant sur l’énoncé de quelques commandements simples. Comme le faisait déjà observer Alfred Sauvy, de façon prémonitoire, " il n’y a qu’un pronostic certain : nous allons vers une complication croissante si bien engagée que tout effort simpliste de simplification ne fait qu’ajouter quelques paramètres de plus ". Aussi, conformément à l’évolution qui se dessine dans plusieurs pays européens, la détection et la punition de certains actes répréhensibles ne peuvent que gagner à associer au ministère public, dont la mission demeure fondamentale, des groupements spécialisés le faisant profiter de leur expérience et de leurs réseaux d’information. On pourrait alors avantageusement leur reconnaître un tel rôle dans une formulation générale à insérer dans le Code de procédure pénale.

Mais, ce privilège dérogatoire ne peut, à l’évidence, être attribué sans conditions et sans limites.

Il convient d’abord de s’interroger sur les grandes familles d’intérêts collectifs justifiant une telle collaboration au service public de la justice. Ce sont, pour l’essentiel, celles que le Code de procédure pénale énumère sous les articles 2-1 à 2-16 : mais l’expérience acquise depuis une vingtaine d’années conduit à y ajouter les associations qui, en matière d’environnement, d’urbanisme, de santé, de consommation, ou de lutte contre les sectes, ont fait largement la preuve de leur utilité. Ainsi, pourrait-on regrouper en une disposition unique l’ensemble des associations habilitées à mettre en mouvement l’action publique, ce qui permettrait une bien meilleure lisibilité.

Si l’on s’accorde sur une telle démarche, on pourrait, dans le même temps, préciser les conditions qu’elles doivent réunir et l’étendue de leur droit d’agir.

Ainsi, la durée minimale d’existence et l’exigence d’un agrément préalable qui font aujourd’hui l’objet de réponses variées, obéissant à une logique mystérieuse, peuvent donner lieu à une harmonisation, sans grandes difficultés. Nous proposons que le principe unificateur soit la reconnaissance d’utilité publique dont disposent d’ailleurs aujourd’hui la plupart des " grandes " associations. Contrepartie du déclenchement de l’action publique, cette reconnaissance, qui dépend d’un examen préalable par le Conseil d’Etat, aurait l’avantage de soumettre à un régime plus rigoureux les associations ainsi distinguées.

De même, les restrictions entourant le droit d’agir de plusieurs associations, limité à certaines infractions ou catégories d’infractions, posent de redoutables questions au juge : n’étant ni précises, ni toujours justifiées, elles pourraient être remplacées par la seule référence à des infractions portant directement atteinte à l’objet statutaire poursuivi.

Enfin, reste une interrogation légitime sur la nécessité ou non de recueillir l’accord préalable de la victime. La plupart des associations visées par le Code de procédure pénale en sont dispensées, mais quelques dispositions l’exigent encore, en matière de discriminations fondées sur la race ou le sexe, de violences sexuelles, d’exclusion sociale ou culturelle. Ce traitement différencié doit-il être maintenu ? En pratique, la question ne présente qu’un intérêt limité, les associations agissent en effet avec l’accord des victimes même lorsque ce dernier n’est pas obligatoire.

Ainsi, pourrait être insérée dans le Code de procédure pénale une nouvelle rédaction unifiant la mise en mouvement de l’action publique par les associations, sous le double aspect des conditions à réunir et de l’étendue de leur droit :

" Par dérogation aux dispositions de l’article 2, les associations reconnues d’utilité publique, dont l’objet statutaire correspond à l’un des domaines suivants, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour toute infraction portant directement atteinte aux intérêts collectifs qu’elles défendent :

— discriminations fondées sur l’origine, la race, le sexe, les mœurs, l’état de santé, le handicap ou la pauvreté ;

— violences sexuelles, atteintes à l’intégrité de la personne et des mineurs, proxénétisme ;

— phénomènes sectaires, atteintes à la dignité de la personne ;

— crimes contre l’humanité, crimes de guerre, atteintes aux intérêts moraux des résistants et des déportés, terrorisme ;

— atteintes aux intérêts des consommateurs ;

— atteintes à la protection de l’environnement, de la nature et des animaux ;

— atteintes aux intérêts matériels et moraux de la famille, de la jeunesse ;

— toxicomanie et trafic de stupéfiants. "

Comme on le voit, cette liste regroupe, par grandes familles, des intérêts collectifs auxquels font référence aujourd’hui, de manière dispersée, un grand nombre de codes : elle permettrait donc de disposer d’une source unique, facilitant la compréhension de la procédure pénale et le travail législatif ultérieur.

2. L’intervention au côté du ministère public et de la victime

Par différence avec celles dont le Code de procédure pénale reconnaîtrait ainsi le rôle d’auxiliaires de la justice, le concours que les autres associations peuvent apporter à la répression des infractions pénales se limiterait, à nos yeux, à une intervention au côté du ministère public ou de la victime. Ne disposant pas de l’initiative, réservée aux associations exprimant de vastes intérêts collectifs et reconnues d’utilité publique, elles participeraient néanmoins à l’instruction et au procès, en en renforçant la fonction pédagogique, sans pour autant en accroître le nombre. Au moment où la justice répond avec lenteur aux nombreuses sollicitations dont elle est l’objet, il est plus que sage de lui épargner un engorgement supplémentaire.

Rompant avec le maquis des textes actuellement en vigueur, une telle assistance gagnerait à être encadrée par une définition commune. La capacité à agir des associations pourrait ainsi être homogénéisée pour éviter au juge d’avoir à trancher de redoutables questions de recevabilité. Cet effort de simplification gravite autour des conditions suivantes :

— une ancienneté au moins égale à trois ans ;

— l’accord de la victime ;

— l’existence d’un lien direct entre l’infraction et l’objet statutaire.

Faut-il y ajouter la nécessité d’un agrément administratif, requise encore pour un certain nombre, minoritaire, d’associations ? Il est permis d’en douter si l’on considère la diversité des critères pris en compte et les circonstances dans lesquelles il est instruit et délivré. Comme le montre le tableau établi par M. Louis Boré (), les décrets habilitant les ministres à l’accorder partent dans tous les sens, en ce qui concerne la durée minimale d’existence (de 0 à 5 ans) et le nombre d’adhérents (d’un nombre " suffisant " ou " représentatif " à 10.000 membres, en passant par tous les seuils imaginables). Quant à la validité de l’agrément qui permettrait, le cas échéant, un contrôle de la conformité des actions à l’objet social, elle est, le plus souvent, sans limitation de durée. Dans ces conditions, l’agrément tel que pratiqué par l’administration n’a qu’un intérêt très relatif. Dans les rares cas où il est refusé, il est ressenti comme une atteinte au principe de liberté qui fonde la loi de 1901. Dans la plupart des situations, il ne permet guère d’apprécier, dans le temps, l’effectivité et l’utilité sociale des milliers d’associations qui en bénéficient.

Pourquoi alors ne pas reconnaître à toutes les associations remplissant les conditions évoquées ci-dessus la possibilité de se joindre au ministère public et à la victime ?

" Toute association, régulièrement déclarée depuis au moins trois ans à la date des faits, peut, avec l’accord de la victime, se joindre à celle-ci et au ministère public pour toute infraction ayant porté directement atteinte à l’objet statutaire qu’elle poursuit ".

Si, au contraire, l’agrément méritait d’être maintenu, à tout le moins pourrait-on uniformiser les conditions selon lesquelles il est délivré. Face à l’extrême variété des décrets qui affaiblit la crédibilité du procédé, on pourrait les refondre dans un texte commun, à l’image de ce qui a été, partiellement, réalisé dans le domaine de l’environnement avec la loi du 2 février 1995 pour l’action en justice et le décret du 7 juillet 1977 pour la procédure d’agrément.

3. L’action en représentation des victimes

Contrairement à la class action américaine, l’action de groupe, en France, ne trouve dans le droit positif et la doctrine qu’un faible écho. Mise à part l’action de substitution des syndicats que le Conseil constitutionnel a d’ailleurs entourée de réserves, dans une décision du 25 juillet 1989, elle heurte notre tradition juridique qui assure la primauté de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif. Aussi, les rares tentatives pour transposer une procédure inspirée des modèles américain et québécois n’ont abouti qu’à consacrer, timidement, une " action en représentation conjointe " dont l’usage est resté jusqu’ici modeste.

Introduite par la loi du 18 janvier 1992, celle-ci permet aux associations de consommateurs agréées au niveau national d’agir lorsque plusieurs personnes physiques, identifiées, ont subi un préjudice individuel causé par le fait d’un même professionnel, à condition d’avoir été mandatées par au moins deux d’entre elles (art. L. 422-1 à 422-3 du Code de la consommation). En matière pénale, l’association peut alors se constituer partie civile devant le juge d’instruction ou devant la juridiction de jugement, mais, en application de la théorie du mandat, ce sont les consommateurs – et non la personne morale – qui ont le statut de partie civile. Dans la pratique cependant, il semble que de telles dispositions, qualifiées par des associations de consommateurs de " cadeau empoisonné " ou de " faux semblant ", soient restées lettre morte, en raison du partage indécis des frais et des responsabilités qu’elles supposent.

On peut penser qu’il en sera de même avec la loi du 8 août 1994 et celle du 2 février 1995 qui ouvrent, respectivement, aux associations agrées de défense des investisseurs et de protection de l’environnement une action en représentation conjointe dans des conditions très voisines.

Celle-ci est-elle inadaptée à notre système juridique ou, plus simplement, en avance sur des évolutions prévisibles ? Il est difficile de répondre aujourd’hui de manière catégorique. Juridiquement complexe, financièrement mal résolue, l’action en représentation conjointe demeure une procédure hybride ne paraissant pas appelée à se développer significativement.

Sans doute serait-il plus efficace d’encourager un simple regroupement des victimes en leur offrant la possibilité d’exercer collectivement leur action civile. Dès lors, en effet, que chacune d’elles est recevable, pourquoi ne pas attribuer à la personne morale qui les rassemble les droits reconnus individuellement à ses membres ? Cette faculté est déjà prévue par le Code de procédure pénale pour les seules associations de victimes d’accidents survenus dans les transports collectifs ou les lieux ouverts au public (art. 2-15) : mais elle est curieusement subordonnée à un agrément préalable, après avis du ministère public. Un régime plus libéral, ouvert à toutes les catégories de victimes () permettrait au juge de pratiquer un traitement global, préférable à la juxtaposition de cas individuels :

" Les personnes physiques victimes d’une même infraction peuvent, si leur action civile est individuellement recevable, exercer celle-ci par la voie d’une association spécialement créée à cet effet. Cette association bénéficie alors des droits reconnus à chacun de ses membres. "

B. LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE

La réparation du préjudice collectif subi par une association conduit à s’interroger non seulement sur ses modalités mais aussi sur sa finalité.

En effet, l’exercice de l’action civile aboutira, si la culpabilité de la personne poursuivie est retenue, au prononcé d’une sanction pénale.

Mais, en même temps, si l’association l’a demandé, le juge répressif peut lui octroyer des dommages-intérêts dont le montant, resté longtemps symbolique, atteint de plus en plus souvent des sommes conséquentes allant, exceptionnellement, jusqu’à plusieurs millions de francs. On conçoit qu’alors l’enjeu financier éclipse le but premier du procès pénal. Dénoncée avec force par ceux qui s’y opposent, la perspective d’une course aux dommages-intérêts, même peu fréquente, renouvelle la réflexion sur les principes qui devraient guider l’action associative. Car, en changeant de dimension, la réparation du préjudice, devant les juridictions répressives, ne risque-t-elle pas de changer de nature ?

Concrètement, il convient donc d’éviter les dérives constatées sans pour autant se priver de la vigilance, du concours, de la régulation sociale des associations que nous considérons comme positifs.

    •   La nature du préjudice subi par une association ne fait guère l’objet d’une proposition unanime. L’existence même d’un préjudice collectif est niée par ceux qui le considèrent comme un simple prétexte pour avoir accès au juge et en tirer une forme de reconnaissance. A l’opposé, certains soutiennent qu’il correspond au risque que l’infraction ferait peser sur une collectivité plus ou moins vaste. Entre ces deux thèses inverses, mais aux conséquences aussi inacceptables, la voie est étroite : la seule définition praticable est celle d’une atteinte à la cause que défendent les associations. Exprimée par leur objet social, non réductible à l’addition des intérêts individuels de leurs membres, celle-ci est le fondement de leur existence et le moteur qui les fait agir. A l’exception des groupements de victimes qui, par définition, ne rassemblent que des personnes physiques ayant subi un dommage, les associations habilitées à exercer les " droits reconnus à la partie civile " le font au nom de leur vocation statutaire. Celle-ci gagnerait d’ailleurs à être décrite le plus précisément possible pour dissiper contresens et malentendus.
    •   Mais si l’on convient que le préjudice éprouvé résulte de l’atteinte à cet objet statutaire, son évaluation est délicate, voire arbitraire. Comment, en effet, déterminer le dommage provoqué par l’auteur d’une infraction à un intérêt moral, humanitaire, sanitaire, etc. ? Selon M. Louis Boré, cela serait " rigoureusement inévaluable en argent " (). Il est vrai que réparer ainsi ce qui n’a pas de traduction patrimoniale ou pécuniaire n’a pas grande signification. Mais, à l’inverse, du point de vue de l’association, qui a engagé des frais pour la défense de sa cause, l’octroi du franc symbolique n’est guère satisfaisant.

L’évolution de la jurisprudence depuis une trentaine d’années est significative. Ainsi, à l’origine, les tribunaux refusaient d’accorder toute réparation à des associations invoquant une atteinte à leur objet social : la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 1959, a dénié au Comité national de défense contre l’alcoolisme toute indemnité qui constituerait, selon elle, une " véritable peine privée ", inconnue dans notre droit et s’ajoutant à la sanction pénale frappant l’auteur de l’infraction. Puis, dans les années 70 et 80, les juges ont commencé à octroyer aux associations des dommages-intérêts d’un montant modeste : selon une étude réalisée par Mme A. Morin (), les associations de consommateurs auraient ainsi obtenu, de 1974 à 1982, dans plus de 99 % des décisions judiciaires, des dommages-intérêts inférieurs à 10 000 francs. Mais, plus récemment, l’attitude des juges a changé : dans les domaines de l’environnement, de la santé et de la consommation, le niveau des sommes accordées a notablement augmenté. Il atteint assez fréquemment plusieurs dizaines de milliers de francs, le record étant représenté par le CNCT qui, devant un tribunal de commerce, a obtenu, en 1994, quatre millions de francs. Certaines juridictions, en Bretagne, se sont également mises à évaluer le montant du préjudice écologique sur la base d’un barème tenant compte de la nature de la pollution causée par l’auteur de l’infraction.

Ces évaluations erratiques traduisent l’embarras du juge face à ce que l’on peut qualifier de mission impossible. La Cour de cassation s’en fait largement l’écho dans un arrêt de 1986. Après avoir rappelé que les juges " apprécient souverainement le montant des dommages-intérêts dans les limites des conclusions de la partie civile ", elle affirme qu’il leur " appartient cependant, en cas d’absence ou d’insuffisance des justifications, d’évaluer le préjudice d’après les éléments dont ils disposent, au besoin après avoir ordonné toutes mesures utiles, sans pouvoir se borner à allouer une indemnité symbolique en raison du montant incertain du dommage " (). La perplexité dans laquelle nous plonge cette rédaction n’est pas faite pour dissiper, bien au contraire, la crainte d’une jurisprudence flottante.

En réalité, dans le calcul des dommages-intérêts, le juge ne peut rester indifférent à la gravité de la faute commise et à ses conséquences, immédiates ou différées. C’est ce qui explique leur évolution à la hausse dans tous les domaines " sensibles " où l’opinion attend de lui un verdict exemplaire et dissuasif. Mais, ce faisant, l’action civile des associations ne l’amène-t-elle pas à passer, graduellement, du registre de la réparation à celui de la punition, pour les mêler confusément ? En d’autres termes, le juge répressif fait-il encore une différence objective entre des dommages-intérêts compensatoires, destinés à effacer un préjudice et des dommages-intérêts punitifs ayant pour but de sanctionner plus lourdement un coupable ?

Déjà, l’appréciation du préjudice moral subi par la victime est éminemment difficile : elle l’est plus encore s’agissant d’une association revendiquant la réparation d’une atteinte à la cause statutaire qu’elle défend. L’octroi de dommages-intérêts en fonction des dépenses engagées par l’association ne peut être, au mieux, qu’un indice parmi d’autres. Sur le plan des principes, la systématisation d’une telle méthode rencontrerait d’ailleurs très vite ses limites : l’atteinte à un intérêt collectif altruiste ne peut se résumer au montant des frais de justice, d’expertise, d’information exposés par l’association. En cas d’actions multiples, faudrait-il alors partager, et selon quels critères, les dommages-intérêts entre les diverses associations concernées ?

La confusion, volontaire ou non, qui accompagne aujourd’hui l’évaluation du préjudice associatif est regrettable. Elle heurte la conception traditionnelle des pouvoirs du juge répressif. En matière pénale en effet, ceux-ci doivent être maintenus dans certaines limites, celles qui résultent du principe d’interprétation stricte de la loi que rappelle opportunément l’article 111-4 : " La loi pénale est d’interprétation stricte ".

Alors que le Code pénal ne fixe plus désormais qu’une limite maximale à la peine encourue, l’octroi de dommages-intérêts punitifs, d’un montant d’autant plus élevé qu’il ne connaît aucun plafond et s’ajoute à ceux des victimes identifiées, permet au juge d’alourdir la sanction pénale par une condamnation supplémentaire et financièrement dissuasive. Un tel objectif est certes louable mais correspond-il encore à la mission singulière du procès pénal ? En outre, il peut induire, comme nous l’avons vu, un comportement qui dénature, plus ou moins, la vocation des associations. Sans but lucratif, celles-ci doivent rester fidèles aux valeurs désintéressées qu’elles souhaitent promouvoir : le respect du droit, la recherche et la punition des coupables sont des mobiles nobles qui peuvent être pervertis par une course effrénée à l’octroi de dommages-intérêts déraisonnables.

Comment trouver l’équilibre souhaitable entre deux exigences contradictoires : l’indemnisation, plus que symbolique, du préjudice associatif et le refus d’un enrichissement alimenté par les manquements aux lois. Plusieurs propositions ont été avancées sans recueillir notre adhésion :

—  l’interdiction pure et simple de demander, devant la juridiction pénale, des dommages-intérêts découragerait les associations, spécialement celles dont les ressources sont faibles, de se constituer partie civile, privant ainsi le juge et la victime du concours qu’elles peuvent leur apporter ;

—  le versement des sommes obtenues, non à l’association plaignante, mais à un organisme d’intérêt général, tel que la Fondation de France, présenterait l’inconvénient de déconnecter l’indemnisation de la partie civile bénéficiaire : en outre, comment répartir ensuite, sans contestation possible, les dommages-intérêts ainsi collectés entre des œuvres comparables ?

—  enfin, la fixation d’un barème ou d’un plafond exposerait son initiateur à d’incessantes critiques sur la vanité et le caractère arbitraire de la démarche et serait interprétée comme une marque de défiance à l’égard du juge.

La seule voie qui nous semble fructueuse est celle d’une circulaire qui substituerait aux incertitudes et flottements actuels des orientations susceptibles de guider l’évaluation du préjudice associatif. Ainsi, sans enfermer le juge pénal dans une conduite rigide, peut-on espérer apporter à la réparation du préjudice collectif une réponse équitable.

conclusion

Le lecteur qui attendrait de ce rapport des propositions spectaculaires et radicales serait déçu. Notre propos était plus modeste : il ne s’agissait pas de faire table rase d’un système construit progressivement, par la sédimentation de lois ponctuelles, mais plutôt d’y introduire quelques principes de clarification pour le rendre, à la fois, plus compréhensible et plus efficace.

Aussi, la conclusion à laquelle cette analyse nous conduit peut être formulée en quelques lignes : entre le ministère public, qui est seul juge de l’opportunité des poursuites, et une action associative encadrée par des règles simples, un équilibre est souhaitable et possible.

La confrontation des procédures pénales en Europe, loin de mettre au banc des accusés celle que nous pratiquons, en souligne l’originalité. Comme le montre l’étude de droit comparé de l’Institut de criminologie, la place de la victime, et plus encore des personnes morales, dans le procès pénal est très variable. Elle est d’ailleurs largement indépendante du choix du principe de légalité ou d’opportunité des poursuites. Ainsi, en Allemagne, où procédure pénale et procédure civile sont hermétiquement séparées, les personnes morales ne peuvent intervenir pour défendre un intérêt collectif devant le juge répressif que de manière exceptionnelle, dans le seul domaine de la concurrence déloyale et de la publicité mensongère. A l’inverse, en Espagne, l’association victime d’une infraction portant atteinte à son objet statutaire peut agir par la voie de l’action populaire, ouverte dans ce pays à tout citoyen ! Entre ces deux pôles opposés, les associations ont, aux Pays-Bas, en Italie ou en Belgique, un droit d’agir devant les juridictions répressives plus ou moins étendu. La tendance générale va cependant, à un rythme lent mais continu, vers un élargissement de l’action associative, notamment en matière de consommation et d’environnement.

Si l’on excepte l’Angleterre avec laquelle toute comparaison est délicate en raison de la spécificité de son organisation judiciaire, le droit français assure aux victimes et aux associations une situation plus favorable sur laquelle on ne saurait revenir. Si l’on se contente d’une appréciation purement quantitative, on doit d’ailleurs considérer que l’action civile des associations ne représente encore qu’une faible part du contentieux porté devant les juridictions pénales (). Le caractère spectaculaire de certaines affaires ne peut dissimuler le petit nombre des procès et l’étroitesse des ressources de l’immense majorité des associations. L’encombrement et la lenteur de l’institution judiciaire ne sont pas vraiment imputables au développement des actions associatives, contrairement à ce que voudraient faire croire ceux qui y sont résolument opposés.

Au-delà de ce constat, une vision plus qualitative permet de souligner ce que l’exercice, mesuré, de l’action civile par les associations peut apporter à la justice de supplément d’humanité et d’efficacité. La recherche d’un équilibre, dans le déclenchement des poursuites comme dans le déroulement du procès pénal, qui a guidé cette étude pourrait cependant être compromise si l’acceptation résignée du statu quo l’emportait sur la volonté d’améliorer le dispositif actuel et d’en éviter les dérives, minoritaires certes mais réelles. Cet objectif peut être, selon nous, atteint à deux conditions.

La première impose la simplification d’une législation désordonnée qui, pour le non-initié, a toutes les apparences d’un maquis impénétrable. Dans cette perspective, nous proposons de distinguer deux formes d’actions associatives répondant à des fonctions différentes. L’une serait ouverte aux seules associations reconnues d’utilité publique, agissant dans l’un des domaines énumérés par le Code de procédure pénale et provoquerait la mise en mouvement de l’action publique : elle correspond aux grands intérêts collectifs qui, reposant sur des valeurs largement partagées, structurent la société civile et la protègent d’une atomisation, préjudiciable aux plus faibles. L’autre, offerte à l’ensemble des associations, serait d’un objet plus limité, leur permettant seulement d’intervenir aux côtés du ministère public et de la victime, jouant ainsi un rôle précieux d’assistance et d’accompagnement. Pour chacune d’elles, une harmonisation et une simplification des conditions d’admission, aujourd’hui disparates, sont tout à fait envisageables : cela procurerait incontestablement à l’action associative une meilleure lisibilité.

La seconde concerne la réparation du préjudice subi par les associations, dont l’évaluation et la finalité mériteraient d’être précisées. La mission essentielle des associations s’adressant au juge pénal est de concourir au respect du droit, par la recherche de sanctions adaptées à la gravité de la faute : elle est donc de caractère préventif et pédagogique. La réparation du préjudice causé à l’intérêt commun qu’elles défendent doit être encadrée par une circulaire générale qui en trace les limites, entre le franc symbolique qui ne peut être systématisé sans réduire l’importance de l’action associative et l’octroi arbitraire de dommages-intérêts mirobolants qui risque, à l’inverse, de la discréditer.

D’ores et déjà, il existe des moyens de remédier à ces écueils. D’une part, le développement de l’aide juridictionnelle, rarement octroyée aujourd’hui aux associations, leur permettait de mieux faire face aux dépenses que génère l’exercice de l’action civile. Or, l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 est anormalement restrictif puisqu’il stipule lui-même que cette forme d’aide " peut être exceptionnellement accordée aux personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France ". Versée dans un but précis à l’avocat qui travaille pour elles, elle nous paraît pourtant plus adaptée que l’octroi de subventions dont l’usage est plus ou moins bien contrôlé. D’autre part, le juge a également la possibilité de lutter contre les abus de constitution de partie civile : en condamnant l’association qui, témérairement ou de mauvaise foi, mettrait en mouvement l’action publique au paiement de dommages-intérêts, il peut décourager un harcèlement éventuel et prémunir le prétoire contre toute surenchère.

Ainsi, pourrait-on conserver du mouvement associatif ce qu’il peut apporter de meilleur au fonctionnement de la justice pénale.

*

* *

 

Après l’exposé du rapporteur, plusieurs membres de l’Office sont intervenus.

Soulignant la qualité du rapport présenté par M. Pierre Albertini, Mme Catherine Tasca a estimé que cette contribution donnait sur le sujet un éclairage intéressant et s’inscrivait dans le prolongement d’une évolution récente du droit consistant à établir un statut de la victime. Observant que le rapport de M. Pierre Albertini comportait des propositions très concrètes, Mme Catherine Tasca a considéré qu’il s’inscrivait parfaitement ainsi dans la mission de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation et exprimé le souhait que certaines de ces propositions soient reprises par le législateur.

M. Patrice Gélard s’est interrogé sur les dérives que pouvait comporter l’action en justice des associations ; il a ainsi évoqué les inégalités entre les parties qui pouvaient apparaître lorsque, par exemple, un grand nombre d’associations se portaient parties civiles face à un seul prévenu ou accusé. Il a également inclus, dans les dérives possibles, le dépôt systématique de plaintes par certaines associations au niveau local. Il a estimé, en conséquence, qu’il convenait de réfléchir aux remèdes à apporter contre les plaintes abusives, les tribunaux ne sanctionnant que rarement les recours abusifs.

M. Jean-Jacques Hyest a souligné le caractère mesuré du rapport présenté par M. Pierre Albertini. Jugeant utile la possibilité donnée aux associations de se constituer partie civile dans certaines instances, notamment celles faisant suite à des actes de terrorisme ou de grands accidents, il a cependant estimé que certaines d’entre elles abusaient du droit qui leur était reconnu. Il a considéré qu’il était de ce fait nécessaire de préciser les conditions de leur agrément ou de la reconnaissance d’utilité publique. Evoquant le cas des associations de défense de l’environnement, il a jugé que certaines d’entre elles avaient pu nuire à des entreprises en favorisant les situations de distorsion de concurrence. Pour cette raison, il a estimé nécessaire que les associations aient une ancienneté de cinq ans pour recevoir l’agrément leur permettant d’ester en justice. Il a en outre regretté la timidité des juges pour engager des poursuites en matière de plainte abusive. Enfin, évoquant la question des dommages et intérêts, il a considéré que ceux-ci étaient la plupart du temps impropres à réparer le préjudice subi par les associations, celui-ci n’étant d’ailleurs pas toujours lié à la gravité de l’infraction commise. Il a conclu son propos en indiquant qu’au travers de l’intervention des associations dans l’action civile se posait la question du rôle du ministère public, auquel il revenait, en premier lieu, d’engager des poursuites.

M. Jacques Larché a tout d’abord rendu hommage au travail accompli par M. Pierre Albertini. Il s’est cependant interrogé sur la place qu’il convenait de donner aux associations dans l’action civile. Evoquant l’exemple d’une procédure utile, mais dans laquelle vingt-quatre associations défendaient la même position face à un seul prévenu, il a jugé que la constitution en partie civile de multiples associations pouvait déséquilibrer le déroulement des audiences sans qu’aucune solution satisfaisante n’ait pu être trouvée. Il a par ailleurs observé que les poursuites pour plainte abusive demeuraient très rares, notamment en raison de la lenteur des procédures. Il a enfin jugé souhaitable que l’agrément permettant aux associations de se constituer partie civile soit réservé à celles qui ont une ancienneté de cinq ans.

M. Jacques Mahéas a considéré que le législateur devrait mieux préciser les critères d’agrément ou de reconnaissance d’utilité publique des associations pouvant se constituer partie civile, afin de mettre un terme à la situation actuelle caractérisée par l’arbitraire des décisions. Il s’est par ailleurs interrogé sur l’opportunité d’obliger les différentes parties civiles à un procès à se regrouper en association. Enfin, évoquant les quelque sept cents élus faisant l’objet d’une mise en examen, il s’est demandé dans quelle mesure les associations d’élus ne pourraient recevoir un agrément en vue de les défendre.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes.

—  S’agissant de la multiplication des actions civiles, le rapporteur a reconnu que certains magistrats se considéraient submergés par la quantité de plaintes déposées par les associations ; il a cependant estimé que cette situation résultait davantage de la pratique du procès pénal que des dispositions législatives. Il a, par ailleurs, rappelé que, de longue date, le reproche était fait à la procédure pénale de ne pas tenir assez compte du point de vue de la victime. A cet égard, il a fait observer que l’introduction croissante d’éléments contradictoires dans le déroulement du procès pénal pourrait permettre de réguler les excès, par exemple en autorisant le président du tribunal à équilibrer les temps de parole respectifs de la défense et de l’accusation.

—  En ce qui concerne le problème des recours abusifs, il a rappelé qu’il existait, d’ores et déjà, des possibilités de sanctionner les recours manifestement infondés, tout en indiquant que, peu utilisée devant les juridictions judiciaires, cette procédure était plus fréquente en contentieux administratif, notamment dans les dossiers d’urbanisme où les sanctions prononcées étaient parfois non négligeables.

—  S’agissant de l’agrément des associations autorisées à se constituer partie civile, il a considéré que la multiplication des conditions exigées lors de son octroi ne garantissait pas, en pratique, un exercice satisfaisant par l’association bénéficiaire des compétences qui lui sont reconnues par la loi et jugé, en conséquence, qu’il convenait surtout de réfléchir aux modalités de retrait éventuel de cet agrément.

—  Sur le principe même du recours associatif, il a insisté sur le fait que celui-ci se confondait fréquemment avec l’intérêt de la société, évoquant les recours formés par les associations de déportés ou de victimes de guerre ou ceux formés en matière de santé publique, qui permettent de faire valoir les intérêts de victimes disparues ou non identifiables.

—  S’agissant de la question de la réparation du préjudice, il a insisté sur le fait que celle-ci ne pouvait se limiter au franc symbolique, faisant état d’une jurisprudence de la Cour de cassation qui réaffirme que le juge doit évaluer la réalité du dommage subi par les parties civiles.

—  Revenant sur ses propositions, il a souligné que leur mise en œuvre permettrait de trouver un équilibre entre des objectifs parfois contradictoires, d’une part en responsabilisant davantage les associations représentant de grandes causes nationales et, d’autre part, en exigeant, pour les autres, l’accord de la victime et une plus grande ancienneté tout en limitant leur compétence à la possibilité de se joindre à l’action formée par la victime sans pouvoir déclencher par elles-mêmes l’action publique.

L’Office a adopté les conclusions du rapporteur, puis, en l’absence d’opposition de Mme Catherine Tasca, auteur de la saisine, a décidé que le rapport serait déposé sur le bureau de chaque assemblée.

Audition

Représentants du ministère de la justice
(M. Marc Moinard),

Conférence des bâtonniers (M. Daniel Landry),

Barreau de Paris (M. Marc Maisonneuve),

Association " équipe d’action contre le proxénétisme "
(M. Jean-Pierre Cochard)

Institut de criminologie (M. Jacques-Henri Robert)

Union syndicale des magistrats (Mme Berkani)

M. Pierre Albertini, député, remercie ses interlocuteurs et indique qu’il souhaite évoquer, dans le cadre d’une étude réalisée pour l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, les problèmes liés à l’action civile des personnes morales, en particulier celle des associations.

L’objectif est ainsi de procéder à une réflexion critique sur l’état du droit et de la jurisprudence mais également d’évoquer les législations européennes au sujet desquelles l’Office a confié une étude de droit comparé à l’Institut de criminologie de l’Université de Paris sous la direction du professeur Jacques-Henri Robert.

Il rappelle que la législation s’est beaucoup développée, sans grande cohérence, à partir des années 1970, souvent en réponse à des sollicitations précises. En l’absence de réflexion globale sur leur rôle, les associations sont désormais nombreuses à pouvoir mettre en œuvre l’action publique dans des conditions très inégales, notamment en ce qui concerne l’agrément, l’ancienneté, la nécessité ou non de l’accord de la victime. Ainsi, à la trentaine d’associations explicitement mentionnée par les textes, s’ajoute la possibilité offerte à tout groupement de victimes constitué en association pour la circonstance, d’entreprendre une action en justice.

Il conviendrait, par conséquent, de mieux structurer une législation foisonnante qui donne lieu à des appréciations contrastées : certains dénoncent une tendance à la " privatisation " de l’action publique, tandis que d’autres souhaitent une véritable reconnaissance des recours collectifs devant le juge répressif. La présente discussion devrait permettre de définir une position conciliatrice, les représentants d’association ayant déjà fait connaître leur point de vue sur différentes questions, notamment la nécessité d’un contrepoids à la carence du ministère public, la volonté de faire participer la victime et les intérêts collectifs qui l’entourent, à une fonction de prévention ou la dimension pédagogique du procès pénal.

M. Marc Moinard, directeur des Affaires criminelles et des grâces, évoque tout d’abord le problème de l’action civile des associations dans le cadre, plus large, de la politique pénale. Il observe que le principe de l’opportunité des poursuites a conduit le législateur à donner le pouvoir de mettre en œuvre l’action publique à d’autres personnes que le procureur : les victimes pour leur préjudice direct, puis les syndicats, au titre des intérêts collectifs qu’ils représentent, enfin, progressivement, les associations, auxquelles correspondent des régimes différents dont la justification n’est pas toujours évidente. Ce dispositif permet donc l’intervention d’autres organes de poursuite lorsqu’il y a carence du ministère public.

Revenant sur la notion de carence, il souligne que l’appréciation selon laquelle le ministère public classe 80 % des affaires ne tient pas compte du fait que 60 % des procès-verbaux concernent des infractions dont l’auteur est inconnu. Ainsi, la proportion de classement des affaires dont l’auteur est identifié est évaluée à 30-35 %, ce qui conduit à s’interroger sur le fondement d’une telle appréciation.

Par ailleurs, il ajoute que l’apport des associations peut être indispensable tant en préalable à des poursuites que par le déclenchement de l’action publique comme c’est le cas sur des sujets tels que l’environnement ou les sectes. Il est donc difficile d’avoir un point de vue très tranché sur cette question.

Plus d’une vingtaine d’associations sont désormais explicitement référencées notamment dans le Code de procédure pénale, et assorties de régimes juridiques très différents, tant en ce qui concerne leur contrôle, leur durée d’existence, que leur faculté de mettre en mouvement l’action publique de manière autonome ou de n’être que partie jointe. Il s’agit toutefois d’un débat de principe car le déclenchement de l’action publique est rarement le fait des seules associations.

M. Marc Moinard évoque plusieurs questions : celle de l’autonomie d’action des associations, celle de l’exigence de l’accord de la partie lésée, en préalable à leur intervention, même si, en pratique, les associations agissent le plus souvent avec l’accord de celle-ci. Il convient également de prêter attention à un phénomène nouveau qui consiste, pour certaines associations, à devenir le réceptacle des intérêts individuels de leurs membres. En tout état de cause, le débat " extrémiste " relatif à l’intervention ou l’exclusion des associations dans les procédures judiciaires n’est plus d’actualité.

Enfin, les projets en cours définissent une nouvelle catégorie d’associations et prévoient l’existence d’une commission des recours contre les classements sans suite. Ainsi, une association dénonçant des faits sans pouvoir engager l’action publique, pourrait former un recours devant une commission susceptible, le cas échéant, de demander au procureur d’engager des poursuites. La question de l’unification des régimes des associations auxquelles ont été reconnues des prérogatives de puissance publique reste posée.

M. Pierre Albertini souligne que la conscience collective et la sociologie du droit ont fait évoluer les mentalités et disparaître les points de vue extrêmes. Il rappelle que, sans écarter une analyse sur les principes, il convient essentiellement d’améliorer le fonctionnement du dispositif. Sur ce point, il semble difficile d’envisager une uniformisation du régime juridique des associations, certaines d’entre elles s’étant vues reconnaître une forme de mission de service public.

M. Daniel Landry, de la conférence des bâtonniers, rappelle que les associations dont l’action était, à l’origine, relativement circonscrite, ont pris une importance croissante au détriment d’une certaine cohérence. S’il convient incontestablement de procéder à une remise en ordre, une réflexion sur le rôle des associations devant les juridictions civiles et les tribunaux administratifs serait également utile.

Il fait état de deux préoccupations. La première concerne les associations de protection des consommateurs qui se constituent partie civile, peuvent se voir confier une mission d’assistance et bénéficier, le cas échéant, de prérogatives voisines de celles des avocats. Or, aucune disposition ne fait référence à la responsabilité civile de ces associations dans le cadre du mandat qui peut leur être confié, ni à une obligation d’assurance. Se posent enfin les questions de la compétence et de la représentativité de ces associations, de leur apport dans un certain nombre d’affaires peu importantes où l’on ne relève pas de carence du ministère public.

Par ailleurs, l’exemple d’associations de protection de l’environnement parfois constituées pour régler des litiges individuels conduit à suggérer une remise en ordre du dispositif existant afin d’empêcher les dérives.

Après avoir évoqué les difficultés rencontrées dans le cadre de la médiation, M. Daniel Landry s’interroge sur la nature et le fondement du conventionnement envisagé pour les associations auxquelles le procureur pourrait avoir recours.

Il pose enfin le problème de l’indemnisation des victimes : déplorant le défaut de formation des magistrats et des avocats sur ces questions, il s’interroge sur les compétences de non professionnels et l’avenir de la réparation dans ce type de procédure. Pour ces raisons, il suggère qu’une large réflexion soit menée avant d’étendre d’avantage les prérogatives des associations.

Mme Berkani, secrétaire générale de l’Union syndicale des magistrats, souhaite situer sa réflexion dans le cadre de la recherche d’un équilibre, dans le procès pénal, contre la parquet et la défense, bien sûr, mais aussi la victime. Cette préoccupation est désormais incontournable comme le montre la discussion du projet de loi sur les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Pour autant, elle n’est pas favorable à une instrumentalisation systématique de la justice ni à une explosion du contentieux due à une utilisation excessive du juge. Il faut certainement insérer les possibilités d’action des associations dans un cadre harmonisé et structuré : le juge pénal fait face à des demandes en constante augmentation sans qu’il puisse, en fin de compte, y retrouver l’essentiel de sa mission qui est de juger. La justice pénale n’est pas une justice de grande consommation.

Dans cette perspective, l’action des associations s’inscrit dans une problématique plus vaste qui est celle de l’accès au droit et non pas forcément de l’accès au juge : autant il paraît opportun d’élargir l’accès au droit, autant il semble important de mener une réflexion sérieuse sur l’accès au juge et de limiter l’intervention de celui-ci au strict nécessaire. L’analyse de l’USM sur les associations va donc bien au-delà de l’exercice de l’action civile : elles sont nécessaires, notamment en amont, dans le cadre général de l’accès au droit ; en revanche, il conviendrait de restreindre la possibilité de saisine du juge pour ne pas favoriser systématiquement le règlement des conflits par un débat judiciaire et par un jugement. Les juges français n’y arrivent pas, nos concitoyens en souffrent et la justice est mal rendue.

M. Patrick Maisonneuve, du barreau de Paris, faisant référence à un fait divers où les familles des victimes ont été sollicitées par des associations mystérieuses, pose le problème de déontologie lié au comportement des associations et celui de leur responsabilité dans l’hypothèse d’un élargissement de leurs facultés d’intervention.

Tout en convenant qu’il est impossible d’imaginer un dispositif où le ministère public disposerait du monopole de l’action publique, il fait part de son inquiétude quant à une éventuelle privatisation de l’action publique. S’il approuve le principe d’une remise en ordre, si elle est possible, de l’action des associations, il craint une vraie dérive dans l’hypothèse d’une extension, à toute association déclarée, du droit de déclencher l’action publique. Une telle situation aboutirait à une remise en cause de l’action du ministère public dans son appréciation de l’opportunité des poursuites. Faisant référence à des exemples récents, il redoute de voir des associations rapidement constituées bloquer les débats judiciaires.

Par conséquent, il est essentiel de préserver la condition de durée, gage d’une meilleure connaissance de l’action des associations, lesquelles ne peuvent faire l’objet d’appréciations déontologiques ou disciplinaires. M. Patrick Maisonneuve rappelle également que, si la sanction du coupable constitue incontestablement une prérogative du ministère public, les associations ont davantage vocation à sensibiliser l’opinion publique, mission pour laquelle la procédure judiciaire n’est pas le moyen le plus adapté.

Enfin, après avoir regretté l’affirmation trop fréquente selon laquelle le ministère public ne poursuit pas, ce qu’il estime ne pas correspondre à la réalité, il émet le souhait qu’une association n’intervienne dans une procédure judiciaire que dans l’hypothèse où cette action reflète réellement l’intention de ses membres.

M. Pierre Albertini rappelle qu’en effet, si la sanction du coupable n’est pas du ressort des associations, certaines poursuites n’auraient pas lieu en l’absence de celles-ci, comme c’est le cas en matière de publicité mensongère ou interdite, par exemple. Par ailleurs, leur rôle de sensibilisation de l’opinion est lié à la médiatisation désormais fréquente des procès. Enfin, il souligne que la proportion annoncée des classements sans suite, non assortie des explications correspondantes, a des conséquences dramatiques sur l’opinion.

M. Jean-Pierre Cochard, de l’association " Equipe d’action contre le proxénétisme ", approuve ce qui vient d’être dit et observe que les discours extrémistes, en particulier ceux mettant en cause l’action des associations, n’ont plus cours aujourd’hui.

Il souligne que la liberté offerte par la loi de 1901 a conduit les associations à se développer dans un contexte anarchique ; on en compte aujourd’hui plus de 700 000 dont certaines sont devenues de véritables lobbies ou utilisent la législation à des fins commerciales, situation qui justifie une remise en ordre. S’il n’apparaît pas raisonnable d’attribuer un statut unique à des associations aux missions très différentes, certaines distinctions pourraient être réalisées dont la reconnaissance d’associations d’intérêt public et la prise en compte de différents critères dont l’ancienneté des associations.

Il conviendrait également de réhabiliter le ministère public auquel il appartient de conduire l’action publique, sous réserve de l’existence d’une politique pénale assortie de règles précises et d’un contrôle de l’action des parquets dont l’insuffisance conduit aujourd’hui à de fortes distorsions.

Sur le problème des classements sans suite, M. Jean Pierre Cochard déplore l’absence de résultats des services de police et de gendarmerie dans un certain nombre d’infractions et le défaut de poursuites pour les atteintes aux personnes notamment celles liées à la délinquance juvénile ou au proxénétisme.

Par conséquent, il se dit défavorable à une privatisation de l’action publique, où l’indemnisation de la victime prend le pas sur l’action répressive ainsi qu’à l’intervention anarchique de multiples associations. S’il est légitime qu’une victime obtienne réparation, peut-être dans le cadre d’un système d’assurance, il n’est pas acceptable que des magistrats délèguent à des associations leur pouvoir d’explication des classements sans suite. Il conviendrait enfin de réfléchir à la médiation pénale, laquelle favorise l’indemnisation de la victime au détriment de l’égalité devant la loi.

En définitive, M. Jean-Pierre Cochard constate la difficulté d’unifier le statut d’associations très diverses même s’il convient incontestablement d’effectuer une remise en ordre et de permettre à un nombre très limité d’entre elles de faciliter l’action du ministère public. En revanche, il serait souhaitable qu’un certain nombre d’obstacles soient levés, notamment en matière d’aide juridictionnelle, et qu’il soit mis fin aux abus de constitution de partie civile qui paralysent certaines procédures.

M. Pierre Albertini déplore que certaines associations " choisissent " leur juge dans le cadre de constitutions de partie civile et souligne la complémentarité existant entre le parquet et les associations. Revenant sur la notion d’utilité publique reconnue aux associations, il souligne que cette distinction, dont la justification est essentiellement fiscale, concerne environ deux mille d’entre elles, ce qui rend difficile toute limitation quantitative et qualitative. En revanche, une distinction peut être établie entre la faculté de déclencher l’action publique et celle de se joindre à une procédure. La question de l’ancienneté des associations, afin d’empêcher la constitution d’associations de circonstance, semble faire l’unanimité. Enfin, il rappelle qu’il ne lui appartient pas de revenir sur la loi de 1901, parfois utilisée à des fins que n’avait pas envisagées le législateur, ni d’étendre cette réflexion aux juridictions civiles et administratives, ce qui serait par ailleurs fort utile.

M. Jacques Henri Robert, directeur de l’institut de criminologie – Université Paris II, constate l’existence d’associations dont les intérêts réels ne correspondent pas aux missions déclarées comme c’est parfois le cas dans les secteurs de la consommation ou de l’environnement. Cette situation pourrait conduire à de véritables dérives si les Français étaient aussi procéduriers que les américains.

Il convient d’établir une distinction entre le déclenchement de l’action publique et la jonction à une procédure en cours, avec l’accord de la principale victime, toutefois, une telle orientation, représentant un retour en arrière par rapport aux dispositions existantes, ne manquerait pas de poser des difficultés. L’agrément des associations dans la mesure où celles-ci sont, de fait, contrôlées par l’administration apparaît, ainsi que la reconnaissance d’utilité publique, comme un faux remède.

Enfin, il relève que la jurisprudence a beaucoup évolué depuis vingt ans, la Cour de cassation ayant, par exemple, pris en compte l’intervention d’associations de consommateurs dans certaines affaires récentes.

Mme Berkani, constatant que la justice est sursollicitée et que les victimes sont rarement satisfaites, propose de consacrer législativement le rôle des associations sans pour autant leur reconnaître un droit général à l’action. Certes, elles peuvent intervenir en cas d’inertie du parquet, mais aussi pour informer les victimes et les aider à surmonter les traumatismes du procès, notamment du fait de la charge de la preuve et de la manifestation de la vérité : leur présence dans la prétoire est alors fort utile, particulièrement lorsqu’il s’agit de mineurs victimes. Cet accompagnement peut aussi s’exercer, en dehors du procès, dans la reconstruction de la personnalité de la victime. On pourrait ainsi s’interroger sur l’assistance qu’elles peuvent fournir devant les commissions d’indemnisation des victimes d’infractions pénales : celles-ci travaillent efficacement s’agissant des réparations matérielles mais évaluent mal ou peu les préjudices moraux et psychologiques, notamment dans les cas de maltraitance d’enfants. En résumé, la sensibilité de l’USM serait celle-ci : ne pas instrumentaliser le juge pénal, ne pas ouvrir mais harmoniser l’action civile des associations et, surtout, améliorer l’accompagnement des victimes.

En guise de synthèse, M. Pierre Albertini rappelle la nécessité d’une remise en ordre des modalités d’intervention des associations, même si les dérives constatées et la mise en œuvre de l’action publique par celles-ci restent minoritaires. Il souligne que les poursuites doivent rester de la compétence du ministère public, les associations ayant, outre leur intervention dans des procédures judiciaires, une mission d’information et de prévention. Enfin, l’expression " d’opportunité des poursuites " lui semble inappropriée, car elle donne l’impression d’occulter le principe de légalité qui demeure un des fondements de l’Etat de droit.

Un débat s’engage, au cours duquel les intervenants apportent les précisions suivantes :

M. Marc Moinard souligne que l’opportunité est pratiquée même dans les pays régis par le principe de légalité des poursuites et que l’absence d’ouverture d’information peut correspondre à la défense de l’intérêt des victimes, comme ce fut le cas lors de prises d’otages. Enfin, si le déclenchement de l’action publique par les associations constitue une réalité sur laquelle il est difficile de revenir, on pourrait envisager que les associations concernées répondent à certaines conditions notamment qu’elles n’interviennent qu’avec l’accord des victimes.

M. Jean Pierre Cochard, tout en insistant sur la nécessité de n’attribuer la reconnaissance d’intérêt public qu’à un nombre limité d’associations, rappelle le caractère indispensable d’un contrepoids à l’action publique, même s’il doit demeurer exceptionnel. Prenant l’exemple d’une affaire récente, il souligne la difficulté d’agir, sans avoir connaissance des enquêtes préliminaires et fait état d’un contexte désormais caractérisé par l’émancipation des parquets ce qui justifie des actions d’aide à la répression de la part d’associations. Après avoir relevé l’absence de coordination entre les parquets et en matière de politique pénale, il souligne le rôle déterminant des associations, dans l’hypothèse où les victimes ne sont pas en mesure de dénoncer les sévices dont elles sont l’objet. De même, dans des cas particulièrement graves tels que les atteintes physiques ou psychiques sur les enfants, des associations, très limitées en nombre, devraient intervenir afin que les parquets soient informés. Sur ce dernier point, il serait souhaitable qu’un enfant se déclarant victime de sévices bénéficie, de droit, de l’assistance d’un avocat. Il estime enfin que l’expérience des personnes qualifiées, mise au service des associations, devrait être reconnue.

M. Jacques Henri Robert rappelle que la " commission Truche ", dont il était membre, a conduit sa réflexion sur la base d’une dépendance du ministère public à l’égard du gouvernement, ce qui l’a amené à proposer l’existence d’instructions communiquées par celui-ci au ministère public pour la poursuite de telle ou telle type d’infractions.

M. Patrick Maisonneuve souligne la difficulté de définir des critères à destination des associations protégeant les atteintes aux personnes. De même que l’appréciation des compétences des membres de ces associations reste subjective, il est difficilement concevable que ces dernières se substituent à l’intérêt de victimes ne souhaitant pas nécessairement la mise en mouvement de l’action publique.

M. Daniel Landry indique, à l’adresse de M. Cochard, que personne ne songe à remettre en cause les associations du type de celles qu’il préside. En revanche, une remise en ordre s’impose pour éviter que des associations, parfois de circonstance, dont les objectifs réels ne correspondent pas aux missions, entravent le bon fonctionnement de certains tribunaux. Il conviendrait donc de s’orienter vers un contrôle déontologique, afin d’éviter les dérives. Dans cette perspective, la distinction entre le déclenchement de l’action publique sous certaines conditions et la partie jointe, ou l’intervention des associations avec l’accord de la victime lorsqu’il peut être recueilli, constituent des propositions allant dans le bon sens.

M. Pierre Albertini fait part de ses réflexions sur les thèmes qui viennent d’être abordés : l’agrément des associations, au-delà de la difficulté d’en établir les conditions, sera toujours ressenti comme un contrôle ; on peut s’interroger sur le statut exceptionnel proposé par M. Cochard car à titre d’exemple, le critère de défense des atteintes à la dignité de la personne peut concerner un grand nombre d’associations. Certaines associations à l’image de " SOS attentats " agissent en amont du procès en direction des victimes et de l’opinion. Par ailleurs, certains attentats ne donnant lieu à aucune information judiciaire, il est utile que des associations rappellent l’importance de la protection des personnes. Enfin, dans la perspective d’une coopération entre les associations et les services judiciaires, on ne peut occulter la difficulté d’une répartition adéquate du rôle de chacun.

En guise de conclusion, M. Pierre Albertini, relevant l’existence de fréquentes mises en cause du fonctionnement de la justice, souligne que le gouvernement et les parlementaires devraient, sans doute, s’attacher à définir les priorités d’une politique pénale. Toutefois, la présente étude a pour objet d’élaborer des propositions pragmatiques destinées à améliorer le fonctionnement du dispositif en vigueur. Les points de convergence relevés au cours de la présente réunion guideront les réflexions qui seront développées dans un prochain rapport. Il remercie les intervenants.

Audition d’ASSOCIATIONS

Union nationale des associations familiales
(M. Lucien Bouis),

France nature environnement
(MM. Raymond Leost et Benoît Busson),

Comité national de lutte contre le tabagisme
(MM. Jean Carrier et Christian Peschang,
Me Marie-Hélène Antonini),

Fondation pour l’enfance
(MM. Arnaud Gruselle et René Bucco-Riboulat)

Equipe d’action contre le proxénétisme
(MM. Jean-Pierre Cochard et Claude Zambeaux)

SOS attentats

(Mme Françoise Rudetzki)

M. Pierre Albertini, député, remercie les participants d’avoir répondu à son invitation. Il rappelle que l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, créé par la loi du 14 juin 1996, commence à peine à fonctionner et qu’il lui a été confié le soin de réaliser une étude devant dans la mesure du possible, se traduire par des propositions, sur le thème de l’action civile des personnes morales, en particulier celle des associations.

Il s’agit donc de mener une réflexion critique visant à dresser le bilan d’une législation dérogatoire d’origine et d’inspiration diverses, foisonnante et inégale. En effet, les conditions et les modalités d’exercice de l’action civile par les différentes associations bénéficiaires sont très variables, en ce qui concerne l’agrément, l’ancienneté, la nécessité ou non de l’accord de la victime. En outre, pour ajouter à la complexité, celles-ci sont répertoriées dans le Code de procédure pénale, dans d’autres codes, comme celui de la famille ou de l’urbanisme, dans les futurs codes de l’environnement, du patrimoine ou de la communication ou dans de simples lois.

Ce régime, très dispersé, s’explique par le caractère ponctuel des législations successives mises en place à partir des années 1970 et aboutit aujourd’hui à une inégalité de traitement préoccupante. Il estime qu’il serait donc souhaitable de parvenir, non à une uniformisation, mais à une harmonisation qui favoriserait une participation à la défense des intérêts collectifs liés à ceux de la victime.

Il souligne que l’accès au procès des personnes morales est une spécificité française et belge, les autres pays européens ne leur reconnaissant pas les mêmes facilités. Il indique que l’Institut de criminologie de l’Université de Paris réalisera d’ailleurs à la demande de l’Office une étude de droit comparé afin de mieux situer la singularité française dans le droit européen.

Il précise enfin que, d’après le recensement auquel il a procédé, une trentaine d’associations sont concernées, la première difficulté étant justement de les identifier. Il ajoute que ce phénomène tend à se développer et cite, à titre d’illustration, une récente proposition de loi tendant à reconnaître aux associations de contribuables la possibilité de se constituer partie civile chaque fois qu’un intérêt financier est en jeu, ce qui reviendrait à une véritable ouverture du prétoire.

M. Pierre Albertini propose aux différents intervenants d’apporter leurs témoignages et de faire part de leur appréciation sur la législation actuelle. Il suggère à chacun de présenter dans un premier temps son association.

M. Lucien Bouis, de l’Union nationale des associations familiales, rappelle que quatre-vingt-dix-neuf unions départementales coexistent, compétentes sur leur propre territoire. L’UNAF, créée par une loi de 1945, tient son originalité dans le fait qu’elle exerce une responsabilité territoriale nationale ; elle n’est pas la fédération des UDAF mais un lieu de réflexion générale.

Il indique que la mission confiée à l’UNAF en 1945 et rappelée en 1975 est de représenter les intérêts matériels ou moraux de l’ensemble des familles vivant sur le territoire français. Pour cela, elle fournit des avis aux pouvoirs publics, désigne des représentants dans certaines instances, gère des services dans l’intérêt des familles à la demande des pouvoirs publics et peut ester en justice, devant toutes les juridictions, sans agrément ou autorisation préalable, au nom des familles.

Il précise que l’UNAF exerce des responsabilités dans des secteurs où la fonction familiale est prise en considération, en particulier dans le secteur de la consommation ; elle peut donc se porter partie civile pour la représentation des intérêts consommateurs des familles. Reconnue d’utilité publique, elle peut également se porter partie civile dans des domaines touchant à l’environnement et à la protection de la nature.

Il souligne que l’UNAF ne va pas de façon systématique devant les tribunaux, mais se porte partie civile pour des affaires d’intérêt général, comme ce fut le cas lors de l’accident d’autocars de Beaune, où l’association a posé la question de l’agrément pour la circulation de tels véhicules.

M. Raymond Leost, de l’association France nature environnement, indique que cette association, reconnue d’utilité publique depuis 1976, fédère cent soixante associations régionales et repose essentiellement sur le bénévolat.

Elle participe à de multiples commissions administratives, agit dans le domaine pédagogique, dans celui de la prévention, donne avis et expertises lors des études d’impact et participe à l’élaboration de prescriptions techniques.

M. Jean Carrier, du Comité national de lutte contre le tabagisme, indique que cette association, fondée en 1868, est la doyenne des associations ; elle s’est d’abord dénommée " association française contre l’abus du tabac " puis a pris son nom actuel en 1968. Elle a été reconnue d’utilité publique en 1977 et met particulièrement l’accent sur la prévention, en direction des enfants tout particulièrement.

Il précise que l’association intervient selon les axes fixés par l’Office mondial de la santé : vérification du respect des lois et actions judiciaires contre les délinquants; encouragement à des hausses de prix régulières, dissuasives tout particulièrement pour les jeunes acheteurs ; protection des non-fumeurs dans les lieux publics, notamment les lieux de travail ; aide aux personnes souhaitant s’arrêter de fumer ; campagnes d’information et d’éducation sanitaire afin de parvenir à la plus large formation possible.

Il explique que se sont récemment ajoutées des actions mondiales, car il s’est avéré, lors de la conférence de Pékin en 1997, que ce problème doit maintenant être traité sur le plan international. Enfin, il rappelle qu’en France 65 000 personnes meurent des suites du tabagisme chaque année, soit davantage que toutes les autres causes de mortalité réunies, et qu’on en comptera sans doute 120 000 dans trente ans ; dans le monde, 3,5 millions de morts sont aujourd’hui imputables au tabac ; il y en aura environ 10 millions dans vingt ans.

M. René Bucco-Riboulat, de la Fondation pour l’enfance, indique que celle-ci a été créée en 1977 par Mme Anémone Giscard d’Estaing pour lutter contre la maltraitance des enfants. Dès sa création, elle a été reconnue d’utilité publique.

Il précise que ses principaux pôles d’action sont l’information, grâce à un centre de documentation informatisé ; la participation à des rencontres en France ou à l’étranger avec d’autres associations ; des actions de formation au service de professionnels ; la prévention, par la création, notamment, d’" allô maman bébé ", ligne téléphonique donnant des conseils aux jeunes mamans ; la participation à la création d’un office européen pour les enfants disparus et exploités ; enfin l’accueil, par téléphone ou dans une antenne, des personnes intéressées par les problèmes de l’enfance, les bénévoles pouvant procéder aux compléments d’enquête nécessaires.

Outre ses interventions auprès des pouvoirs publics, l’association, reconnue d’utilité publique, a capacité à agir. A titre d’exemple, il indique qu’en 1990, elle s’est ainsi portée partie civile dans une affaire d’abus sexuels : un médecin anesthésiste, qui abusait de ses jeunes victimes durant l’anesthésie, a été condamné. En 1995, elle s’est portée partie civile aux côtés d’une vingtaine de familles : un directeur d’établissement qui punissait de manière particulière les enfants, ainsi que la directrice de l’établissement qui avait tenté d’étouffer l’affaire, ont été condamnés à une interdiction d’exercer cette profession. A plusieurs reprises, la fondation a dénoncé le caractère pornographique de certains extraits de publications destinées aux enfants.

Il ajoute que la Fondation est régulièrement entendue, au Parlement, par des commissions permanentes ou des commissions d’enquête, et qu’elle propose des amendements lors de la rédaction de certains textes : elle attache une importance primordiale à la fonction législative et se fait un devoir de participer, dans la limite de ses compétences, à l’élaboration et aux respects des lois concernant tout particulièrement l’enfance maltraitée.

M. Jean-Pierre Cochard, d’Equipe d’action contre le proxénétisme, indique que cette association, qui s’appelait à l’origine équipe d’action contre la traite des femmes et des enfants, est la seule en France à intervenir directement devant les juridictions pénales pour demander la répression d’une criminalité polyvalente, forme du grand banditisme, niée et non sanctionnée en Europe actuellement.

L’association dispose d’un centre d’accueil, d’orientation et de secours et s’efforce, en liaison avec la police, d’assurer la protection des personnes ayant dénoncé des pratiques de proxénétisme, de les assister et de les défendre, et, lorsqu’il s’agit d’étrangers, d’assurer leur rapatriement. De plus, les dommages et intérêts permettent de donner à ceux qui veulent sortir de la prostitution, femmes mais aussi de plus en plus souvent adolescents, garçons et filles, assistance matérielle et hébergement.

L’association s’efforce tout particulièrement de faire reconnaître l’existence d’une prostitution enfantine en France et d’un déferlement pornographique ; elle se propose d’être le conseiller juridique des grandes associations familiales en ce qui concerne notamment les sévices sur enfants et la pédophilie.

M. Jean-Pierre Cochard explique que cette association a fait, au plan national et international, des propositions pour lutter contre le proxénétisme et les atteintes sexuelles concernant les enfants, et s’oppose à la réouverture des maisons closes.

Il ajoute qu’en vertu de la loi du 9 avril 1975, les associations reconnues d’utilité publique constituées pour lutter contre le proxénétisme et exercer une action sociale en faveur des personnes en danger de prostitution ou de celles se livrant à la prostitution en vue de les aider à y renoncer peuvent exercer l’action civile. L’association intervient régulièrement dans des affaires de proxénétisme national ou international et a notamment fait condamner des serveurs de Minitel, des distributeurs de journaux gratuits et même Pariscope : il souligne que prévention et répression sont liées. Il considère que cette loi du 9 avril 1975, qui tend à permettre que la loi pénale soit appliquée et qu’elle soit la même pour tous, peut servir de modèle pour d’autres associations.

Enfin, il appelle l’attention sur les risques qu’il y a à vouloir une simplification et une unification du régime des associations car il estime qu’il ne faut pas chercher à limiter leur champ d’action.

Mme Françoise Rudetzki, de SOS attentats, indique que l’association a été créée le 24 janvier 1986 : avant cette date, il n’existait pas, en France, d’association de victimes du terrorisme.

En tant que victime directe d’un attentat, elle s’est d’abord posée le problème de l’indemnisation des victimes, mais s’est vite rendue compte qu’il fallait aller au-delà et proposer aux victimes qui ont été nombreuses dans les années 80 une aide judiciaire. A l’époque, il n’était pas rare de constater le classement sans suite de telles affaires. Elle précise à ce propos qu’elle a elle-même reçu un non-lieu pour l’attentat dont elle a été victime sans être jamais entendue par le juge d’instruction. Cet exemple est révélateur : la victime, notamment celle qui ignore tout du fonctionnement judiciaire, a la sensation de ne pas être écoutée alors même que le procès-verbal, avant de procéder à la réparation matérielle, permet aussi de " faire son deuil " pour se reconstruire.

La question du terrorisme est évidemment très particulière puisqu’elle renvoie aux relations d’Etat. Un tel contexte permettait souvent soi la non-ouverture d’une information judiciaire, soit le classement sans suite, soit la correctionnalisation de certaines affaires sous la pression des menaces exercées. Elle ajoute que cela explique les difficultés, éprouvées par les victimes, d’agir individuellement dans un contexte politiquement et internationalement très lourd. Il faut, en effet, convaincre l’Etat de la nécessité d’un procès et, surtout, aider les victimes à supporter la lourdeur et la longueur des procédures. Ainsi, le juge Bruguière, chargé de l’instruction de l’attentat du D.C. 10 en 1989, a rendu ses conclusions il y a quelques mois à peine. Une victime ne peut tenir financièrement aussi longtemps, même avec l’aide juridictionnelle, d’autant que les procès en matière de terrorisme durent parfois plusieurs semaines. SOS attentats qui perçoit des subventions de l’Etat peut, quant à elle, le faire. Les victimes les plus récentes, celles de l’attentat dans le RER, sont issues des milieux les plus modestes, elles ont donc plus encore besoin d’une assistance dans leur parcours de réinsertion, notamment pour la contribution des dossiers soumis à la COTOREP.

M. Pierre Albertini remercie les intervenants de cette présentation de leurs associations. Il précise tout d’abord que sa mission est tout à fait personnelle, que le rapport qu’il présentera à l’Office d’évaluation de la législation ne s’apparente pas à un rapport parlementaire classique et qu’il est libre de développer sa propre analyse.

Il reconnaît que se développe chez certains praticiens la thèse selon laquelle l’action civile des associations est une forme de privatisation de l’action publique. Il déclare pourtant que plusieurs raisons militent en faveur d’une action civile largement ouverte aux associations : elle doit être, selon lui, la nécessaire contrepartie à l’opportunité des poursuites, principe dont les conséquences risquent d’être aggravées par la réforme de la justice dont la teneur n’est pas encore connue. L’apparente volonté de supprimer instructions ou réquisitions individuelles va probablement accroître la liberté d’appréciation des procureurs généraux ; il estime que, dans un parquet en apprenne hiérarchisé, la question de leur autorité réelle reste posée.

M. Pierre Albertini invite les intervenants à préciser ce qui justifie selon eux le fait que les associations puissent se porter parties civiles.

M. Raymond Leost rappelle que la faculté pour certaines associations de se porter partie civile est une originalité française, même si certains pays comme l’Italie présentent des traits spécifiques et qu’un projet de directive communautaire va plus loin que le droit français, en matière de consommation notamment.

Il estime que l’existence du classement sans suite justifie l’action civile des associations et que ne pas permettre aux victimes de participer au procès pénal revient à faire régresser le droit à réparation car, en l’état actuel des choses, les décisions des tribunaux répressifs s’imposent par l’autorité de la chose jugée, notamment pour l’exactitude matérielle des faits ou l’appréciation donnée en matière de négligence ou d’imprudence, au juge civil. Or il fait valoir que les associations peuvent intervenir utilement sur ces points, pour contrecarrer notamment l’action des prévenus et soutenir l’action du ministère public. Il souligne que si l’on ne permettait pas aux victimes d’agir, il faudrait qu’elles attendent que le juge pénal ait tranché pour aller devant le juge civil, ce qui retarderait la réparation de cinq ou six ans.

Il explique que l’action des associations se justifie également par le fait que les administrations essayent d’adapter les réglementations et prescriptions techniques aux situations infractionnelles, ce qu’il juge tout à fait inadmissible. Ce n’est qu’avec l’intervention du juge judiciaire que l’infraction va cesser : il est donc normal que les associations interviennent pour constater une défaillance des services de l’Etat et tentent de remédier aux lacunes du législateur. Il convient qu’en matière de protection de la nature, l’idéal serait la discussion ou l’établissement de contrats, mais, faute d’accord sur les objectifs, la seule solution est malheureusement le recours contentieux.

Il fait observer que, dans certains cas, son association a été obligée d’agir dans un premier temps jusqu’à ce que les parquets prennent le relais. Il considère alors qu’elle a accompli sa mission, même si elle ne revendique pas, bien entendu, de remplacer le parquet.

Il cite encore l’exemple des élevages de porcs en Bretagne, où les deux tiers des installations classées sont en situation irrégulière pour extension illicite. L’association a saisi le juge d’instance, a fait des citations directes et a poursuivi les procédures jusqu’à la Cour de cassation. Depuis, les services vétérinaires dans le Finistère ont revu leur méthode d’action et il précise que la Bretagne est l’une des seules régions françaises où l’on fasse du droit pénal de l’environnement.

M. René Bucco-Riboulat estime que les associations peuvent et doivent jouer un rôle en matière d’action civile et que législateur, magistrats et administrateurs sont bien inspirés quand ils tiennent compte de l’expérience de ces associations.

M. Jean-Pierre Cochard souligne que l’action civile des associations devant les juridictions répressives, spécificité française, ne peut se comprendre que si l’on fait référence à une autre spécificité française qui est l’action publique exercée par le ministère public, c’est-à-dire par le procureur de la République. Une victime d’infraction peut ainsi, s’il y a inertie du Procureur de la République, mettre en œuvre l’action publique si elle a subi un préjudice direct.

Il souhaite mettre l’accent sur le fait que la réforme de la justice envisagée va permettre au procureur de la République de pouvoir classer sous le seul contrôle des procureurs généraux une infraction, sans dépendre du garde des sceaux ; or on constate, selon lui, un déclin de certaines actions de répression, notamment en ce qui concerne les poursuites contre la criminalité organisée, polyvalente, liée au trafic de drogue, d’armes et à l’immigration clandestine. Il fait valoir que chaque procureur fait ce qu’il veut au regard de la loi pénale : 80 % des affaires ne sont plus poursuivies et, en matière de délinquance des mineurs, les poursuites et condamnations ont diminué de plus de 70 % depuis dix ans.

Il souhaite donc que l’on tienne compte d’une certaine vacuité dans le domaine de la répression et que l’intervention des associations, qui est une aide à la répression, soit un contrepoids à un pouvoir qui confine à l’arbitraire, de façon à ce que la loi soit égale pour tous.

S’il déplore la " victimolâtrie ", c’est-à-dire le fait que la société trouve plus facilement des victimes que des responsables, il rappelle que de grandes possibilités sont données à la victime d’une infraction pour obtenir réparation et que, grâce aux lois adoptées depuis 1977 à la suite des actes terroristes, les victimes peuvent demander directement réparation à une commission d’indemnisation ; ce système d’assurance ne nécessite pas d’avocats et la commission se prononce directement pour allouer des dommages et intérêts. Une nouvelle voie est donc ouverte à côté de l’action civile : obtenir réparation sans même avoir à porter plainte. Il lui semble donc possible que l’action civile soit à revoir en ce qui concerne l’indemnisation en tant que telle d’une victime.

M. Benoît Busson, de l’association France nature environnement, souligne que le contentieux administratif n’est pas négligeable car il concerne les permis de construire et le droit de l’urbanisme. Le préfet devrait en ce domaine assurer un contrôle plus strict sur les actes des autorités locales mais, en fait, le nombre de déférés est très faible.

M. Pierre Albertini objecte que, bien qu’il ne soit pas indifférent à l’intervention d’autres juges, le champ de sa réflexion se borne au juge répressif.

M. Benoît Busson précise que c’est souvent en raison d’un manque de contrôle en amont, en particulier de la part des préfets sur la passation des marchés publics, qu’intervient un contentieux pénal. Les chambres régionales des comptes interviennent a posteriori et transmettent au parquet, souvent à la suite de plaintes : il n’est donc pas possible de dissocier entièrement les deux aspects des choses.

M. Pierre Albertini fait valoir que le contentieux administratif a cru depuis les lois de 1982 en raison de la carence vraie ou supposée du contrôle de légalité. Il souligne qu’il faudrait une étude qui place les choses en perspective car, jusqu’en 1982, les actes administratifs les plus importants des collectivités locales étaient soumis à un contrôle a priori, ce qui rend les comparaisons difficiles, et il rappelle que cette question n’entre pas dans le champ de son étude.

M. Lucien Bouis souligne que si certaines associations utilisent l’action civile en vue d’en retirer un bénéfice financier ou une reconnaissance particulière, ce n’est pas le cas des associations présentes pour lesquelles l’action civile n’est pas une fin en soi mais constitue l’un des axes d’une action plus large, qui va du civisme au social.

Il souligne qu’en France, à la suite des Etats-Unis, la reconnaissance de la faute par assurances interposées ramène tout au niveau de l’individu. Or il fait valoir que les problèmes posés autour de cette table ne sont pas des problèmes d’individus, mais que des individus se trouvent dans des situations créées par l’organisation de la vie en société.

Il fait remarquer que certains magistrats ne comprennent pas pourquoi les associations interviennent dans un champ qui leur apparaît être un pré carré : il faudrait donc faire ressortir le fait que pour celles-ci l’action civile s’intègre dans une série de démarches de l’ordre de la citoyenneté.

M. Jean Carrier ajoute que la part des associations ne doit pas diminuer si l’Etat se retire en partie, bien au contraire. Il déclare par ailleurs avoir constaté que les magistrats les plus proches des citoyens sont les juges des tribunaux administratifs.

Me Marie-Hélène Antonini, du Comité de lutte contre le tabagisme, rappelle que le tribunal correctionnel est le juge naturel du Code de la santé publique qui réglemente la publicité en faveur du tabac, aujourd’hui strictement interdite. Pourtant, l’association va, lorsque c’est possible, devant le juge civil afin de faire cesser la diffusion de certaines publicités. Celles-ci n’étant toutefois diffusées que dans un laps de temps très court, cette voie a peu d’intérêt car l’ordonnance de référé est obtenue lorsque la publicité et l’éventuelle astreinte ne sert plus alors à rien.

Le recours au tribunal correctionnel est donc le seul réellement possible. Elle confirme qu’un certain nombre de magistrats manifestent une certaine hostilité et estiment que la citation directe doit rester l’exception, ce qui n’est écrit nulle part. Elle fait observer que, sans citation directe, il faut une plainte, qui est entre les mains du procureur et qu’on ne voit pas aboutir, alors que les plaintes avec constitution de partie civile sont entre les mains du doyen des juges d’instruction.

Elle souligne enfin que des actions qui peuvent apparaître comme répressives sont en fait préventives pour le Comité de lutte contre le tabagisme, car l’action judiciaire vise à faire cesser les publicités interdites qui ont une très grande influence, sur les plus jeunes notamment, et à faire condamner les fabricants de tabac qui les multiplient.

Mme Françoise Rudetzki précise que son association a été très souvent partie civile dans les affaires liées au terrorisme international. Ce n’est pas le cas, en revanche, pour les attentats commis en Corse où il est difficile de démêler ce qui relève de la politique et du banditisme. Elle rappelle que SOS attentats ne peut se constituer directement partie civile et que l’accord de la ou des victimes est nécessaire, ce qui pose problème lorsque, par exemple pour les otages du Liban ou l’assassinat des moines de Tibérine, l’Etat n’ouvre aucune information et que les victimes ou leurs familles ne souhaitent pas se manifester, pour des raisons parfaitement compréhensibles. Cela étant, elle insiste sur la nécessité de faire des procès dans le domaine qui la mobilise : non seulement, pour les victimes mais aussi comme le procès Carlos l’a bien montré, pour mettre les accusés devant leurs responsabilités et leur faire mesurer que le combat pour leur " idéal " touche des personnes parmi les plus modestes. Le rôle de l’association, dans ce cadre est de préparer les victimes au procès d’assises qui est toujours très impressionnant : certaines n’auraient jamais déposé à la barre si elles n’avaient été soutenues et préparées au cours de réunions d’explication pédagogique avec les avocats.

M. Pierre Albertini souhaite aborder la question des moyens des associations et tout particulièrement celle des dommages et intérêts. Il demande s’il ne semble pas anormal au regard du principe de l’égalité devant la loi et de l’égal accès au juge que les associations soient conduites à actionner telle juridiction plutôt que telle autre.

M. Raymond Leost souligne en préalable que le préjudice moral reconnu aux associations de protection de la nature par la cour de Cassation depuis 1982 n’est pas le préjudice écologique en soi, mais représente la ruine des actions accomplies par celles-ci, ce qui légitime les dommages et intérêts, qui ne peuvent se réduire au franc symbolique.

Il fait valoir que, dans le cas où l’infraction est commise sur tout le territoire, il est préférable d’aller devant le juge qui a déjà rendu une décision favorable. Il précise que son association a comparé le coût d’établissement de la preuve et la rapidité des jugements rendus : il lui est apparu qu’il est plus simple de recourir au juge pénal afin de faire cesser des dommages collectifs.

Constatant que le parquet ne mettrait pas en cause une grande revue nationale ou un établissement public comme EDF ou GDF, il regrette l’hostilité qu’il éprouve à l’égard de la citation des personnes morales, ce qui permettrait pourtant que les collectivités publiques récupèrent des dommages et intérêts de manière plus simple.

M. Jean-Pierre Cochard relève que les juges tentent de décourager les associations modestes en demandant la consignation d’une somme très importante. Il estime que, l’action civile étant une mission d’utilité publique, les juges d’instruction ne devraient pas pouvoir l’exiger.

M. Lucien Bouis fait valoir que les tribunaux ne doivent pas apprécier l’action d’une association en fonction de tel ou tel dommage mais en fonction de l’investissement global qui a été fait par l’association. Il pense donc qu’attribuer un franc symbolique est une aberration et qu’il est anormal que certains jugements cherchent à écarter la notion de responsabilité en matière de dommages et intérêts car ceux-ci ne peuvent être indépendants de la réalité économique.

M. Pierre Albertini pose la question de l’inégalité des associations entre elles ; il convient en effet de rappeler que certaines associations sont subventionnées par les pouvoirs publics et que leur domaine d’action leur rapporte des revenus plus ou moins importants. Il fait observer ainsi que la lutte contre l’enfance maltraitée, contre le proxénétisme, contre le racisme ou l’antisémitisme n’est pas comparable avec le champ d’action du Comité d’action contre le tabagisme, qui a un " ennemi " bien identifié et intervient dans un secteur procurant à l’Etat des ressources considérables.

M. Raymond Leost souhaite appuyer les propos de M. Lucien Bouis concernant le franc symbolique. Il précise que le calcul des dommages et intérêts dépend de la nature du préjudice et de son étendue, selon les activités menées par l’association. Le montant des dommages et intérêts est proportionnel aux dégâts occasionnés et les tribunaux suivent, étant précisé que les dommages et intérêts sont réinvestis dans une action pédagogique auprès des enfants. Il considère que, au vu du coût d’une expertise, il n’y a pas de scrupules à dire que les associations ont besoin de dommages et intérêts.

Il ajoute que ces derniers jouent même un rôle de prévention car, en raison de leur montant élevé, les assureurs eux-mêmes souhaitent procéder à des vérifications sur les installations et intègrent mieux le problème du respect de l’environnement.

M. Claude Zambeaux, de l’association Equipe d’action contre le proxénétisme, indique que son association a souvent fait appel quand elle s’est vu attribuer seulement un franc de dommages et intérêts. Il souligne que son association lutte non pour un principe mais contre les conséquences du proxénétisme et que le reclassement des prostituées a un coût.

En réponse à M. Raymond Leost, il se déclare moins optimiste sur l’efficacité des recours pénaux, qui offrent de nombreuses voies de repli
– défaut, opposition, appel ; il ne conseillerait donc pas, pour sa part, à des victimes de dommages corporels d’avoir recours à la voie pénale. Il ajoute que leur association n’a pu récupérer des milliers de francs car les sociétés de serveurs Minitel, par exemple, déposent leur bilan dès qu’elles sont condamnées.

M. François Mahieux, de l’Union nationale des associations familiales, confirme que certaines personnes poursuivies sont assez habiles pour disparaître. Dans le domaine de la télématique notamment, il n’est pas rare qu’après un dépôt de bilan les responsables, ayant la même adresse, contractent avec France Télécom dès le lendemain et offrent le même service sous un nouveau nom. Les associations ne perçoivent donc pas les dommages et intérêts qui leur sont attribués.

Il précise que le but des associations n’est pas de faire recette mais de faire cesser l’infraction : il faut donc que poursuivre le service coûte plus cher aux contrevenants que de l’interrompre. Il explique que s’il était impossible de passer outre les décisions de justice son association aurait un comportement différent.

M. Jean-Pierre Cochard ajoute que son association, qui fait parfois appel à l’aide juridictionnelle, voit de plus en plus souvent ses demandes rejetées. Il fait valoir que ceci constitue une façon de paralyser l’action des associations, et tout particulièrement des petites.

M. Raymond Leost déclare constater la même chose dans le domaine de l’environnement.

M. Christian Peschang, du Comité national contre le tabagisme, fait valoir qu’il est difficile de fonder une demande de dommages et intérêts pour les salariés qu’il défend. En effet, quel va être le prix de l’humiliation, le prix des troubles que subit la personne qui craint un licenciement, le prix du chômage, ou bien d’une année scolaire perdue par un étudiant contraint de quitter son établissement pour raison de santé ?

M. Jean-Pierre Cochard lui répond, en tant qu’ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, que des dommages et intérêts importants peuvent être demandés devant la juridiction prud’homale ou devant celle du second degré.

M. Christian Peschang dit avoir été débouté.

Me Marie-Hélène Antonini explique que les associations défendent toutes des intérêts généraux contre des adversaires multirécidivistes qui ont un grand intérêt financier à violer la loi, qu’il s’agisse de l’urbanisme, de la fabrication de tabac ou du proxénétisme. Il lui semble important de considérer ce point quand on parle de dommages et intérêts, qui sont dérisoires par rapport aux sommes engagées.

M. Pierre Albertini demande aux intervenants s’ils pensent avoir pu, dans certains cas, suppléer les réticences des victimes : par crainte d’agir elles-mêmes, d’apparaître dans les médias ou de devoir affronter des réseaux ou des prévenus, se sont-elles appuyées sur le caractère collectif des associations pour dénoncer, réprimer et peut-être prévenir d’autres pratiques ?

Il demande également si les intervenants ont le sentiment d’avoir aidé à l’émergence et à la dénonciation d’agissements qui, si l’on avait laissé les victimes agir seules, auraient peut-être été passés sous silence, notamment pour les violences sexuelles ou la maltraitance.

A titre d’exemple, M. Lucien Bouis cite l’affaire dite du talc Morange : les familles étaient totalement désemparées à la suite du décès de leur enfant, sans qu’une malversation soit en cause. Ceci a justifié l’action judiciaire et pédagogique de l’association, qui n’a donc pas défendu de simples intérêts personnels.

Me Marie-Hélène Antonini cite l’exemple du palais de justice : le personnel envahi en permanence par la fumée n’aurait jamais initié lui-même une procédure. Mais l’intervention de l’association, qui a engagé des procédures, a permis un accord à la suite de négociations.

M. Christian Peschang indique que son action vise à défendre des salariés non fumeurs victimes du tabagisme passif dans leur entreprise. Il aide les salariés isolés dans leur entreprise qui, subissant un rapport de subordination vis-à-vis de leur hiérarchie, peuvent craindre pour leur emploi même. Il cite ainsi le cas d’une adhérente licenciée au motif d’un manque de respect à l’égard de ses supérieurs pour avoir demandé l’application de la loi Evin dans son entreprise.

Il explique que ces personnes démunies, isolées, subissent des pressions et que leur accueil les réconforte. L’association les informe sur leurs droits, les conseille et leur propose de tenter une conciliation avec leur hiérarchie en déclarant qu’elles sont adhérentes du Comité. Il précise qu’il lui arrive d’intervenir directement auprès des employeurs et que, grâce à cette action de conciliation, 30 % environ des cas sont réglés. Certaines personnes laissent des messages anonymes car elles ont peur et donnent les coordonnées de leur entreprise, mais il est impossible d’agir si elles ne s’identifient pas. Il ajoute que ce n’est que lorsque toutes les tentatives de conciliation ont échoué qu’il engage une procédure devant les tribunaux.

M. Arnaud Gruselle, de la Fondation pour l’enfance, juge fondamental que les associations puissent se porter partie civile pour les questions de l’enfance et du proxénétisme car les problèmes qui touchent à la dignité humaine laissent souvent les victimes désarmées. Sans l’autorité morale d’une association et le soutien juridique des avocats, elles hésitent à engager des procédures. L’intervention des associations a non seulement une vertu curative pour les victimes, mais aussi une vertu préventive pour la cause que défend l’association car celle-ci est souvent très médiatisée.

M. Pierre Albertini demande s’il n’y a pas une forme de dérive liée à une médiatisation excessive. Il souligne que les associations se plaignent parfois de la presse et des médias, mais qu’elles doivent aussi envisager les conséquences de ce qu’elles entreprennent elles-mêmes. Il désire savoir si, en ce qui concerne les violences sexuelles ou la maltraitance par exemple, la médiatisation ne peut pas amplifier des faits qu’elle est censée non seulement condamner mais prévenir.

M. Arnaud Gruselle convient qu’il s’agit d’une arme à double tranchant. Il fait observer que la presse est rarement impartiale, qu’elle choisit ce qui l’intéresse dans le procès c’est-à-dire souvent les choses les plus voyantes. Il indique que son association a fait des propositions destinées à diminuer les peines punissant les agressions sexuelles notamment quand il s’agit des parents. Si cela peut paraître curieux, il rappelle que la législation est déjà très lourde en France sur ce point. Certaines dispositions peuvent aboutir à la destruction d’une famille dont le père n’est pas forcément un pervers incurable ; dans le cas où les agresseurs ne sont pas les parents, le fait d’alourdir les peines peut conduire le coupable à se débarrasser des preuves : il y a plus incitation au meurtre qu’effet dissuasif.

M. Jean-Pierre Cochard récuse d’une manière générale l’expression " traîner devant les tribunaux " : ou bien il y a recours au juge, ou bien il y a une société sans obligations ni sanctions et c’est le désordre et l’anarchie. Il pense au contraire qu’il faut renforcer l’action du juge judiciaire pour la protection de la personne et suppléer son inaction.

Il indique que la suppléance est le quotidien de leur association, qui se bat pour la protection des personnes contre l’exploitation et ne se borne pas à assurer une aide à la répression. Il regrette l’absence de justice de proximité et souhaite que soit reconnu le rôle des associations pour la protection de la jeunesse. Il se dit en désaccord avec l’intervention de M. Arnaud Gruselle sur le traitement de la pédophilie et ne pense pas que dépénaliser les agressions sexuelles sur les enfants soit la meilleure façon de les protéger contre un assassinat. Enfin, il dénonce le rôle de certains journalistes qui harcèlent son association pour avoir des adresses d’anciennes prostituées en vue de réaliser des émissions de " reality show ".

M. Arnaud Gruselle précise qu’il ne faut pas caricaturer ses propos : il n’est pas question de dépénalisation, mais il faut faire en sorte que la législation n’aille pas seulement dans le sens des médias. Il est peut-être de bon ton aujourd’hui de dire que l’on va punir encore davantage. Mais une expérience de vingt ans a permis à sa fondation de faire des constatations et il lui semble important que fondations et associations puissent être consultées dans le cadre de l’élaboration des lois.

M. Jean Carrier estime que le Comité national de lutte contre le tabagisme travaille aussi dans le domaine de la protection de l’enfance. Il appelle l’attention sur le fait que l’on ne peut condamner la presse de manière globale.

M. Lucien Bouis indique que si son association agit tous les jours, elle estime de sa responsabilité de ne pas mettre sur la place publique un certain nombre d’affaires dans lesquelles elle intervient, de façon à éviter que certaines situations ne soit reprises de façon dramatique, au détriment des personnes concernées.

M. René Bucco-Riboulat tient à préciser que la Fondation n’est pas laxiste, comme en témoigne le fait qu’elle se porte partie civile dans certains cas et pousse à la condamnation. Mais il fait valoir que, dans le cadre de la famille, les choses sont toujours plus compliquées car si l’amour d’un enfant pour un père n’excuse rien, le juge doit néanmoins tenir compte de situations particulières et des conséquences des décisions prises.

M. Jean Carrier déclare que vouloir unifier le mode de recours des associations ne serait pas une bonne idée. Il souligne qu’il faut considérer les choses de manière globale en ne tenant pas uniquement compte des interventions juridiques ou de l’action dans les prétoires.

Mme Françoise Rudetzki souligne qu’elle a toujours eu l’écoute des magistrats chargés des enquêtes et qu’ils n’ont jamais répugné à informer les victimes : leur porte est d’ailleurs plus facilement ouverte à un avocat " collectif " qu’à plusieurs représentant chacun une victime. Dans certaines affaires, l’association a également aidé les greffiers à convoquer les victimes et à mettre à jour leurs adresses. Cette collaboration permet ainsi, dans les procès par contumace, comme le sera celui du D.C. 10, d’obtenir deux jours d’audience pour que les 170 victimes puissent être évoquées par leurs familles, au lieu d’une séance de deux heures avec lecture de l’acte d’accusation et énoncé de la sentence. Ces conditions particulières s’expliquent par la centralisation de la lutte contre le terrorisme à la 14ème section, ce qui évite la dispersion des contacts avec l’ensemble des parquets.

M. Pierre Albertini fait observer que la plupart des associations représentées ici sont reconnues d’utilité publique et qu’il est facile d’identifier la mission de service public qu’elles remplissent, chacune dans leur domaine. Pourtant, il souligne que dans le champ des 700 000 associations existantes, toutes n’ont pas pour vocation d’exprimer un intérêt général et que l’on ne peut occulter cet aspect.

Il remercie les intervenants pour leurs témoignages qui ont permis un échange de vues fructueux et les assure qu’il leur fera part de ses conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INSTITUT DE CRIMINOLOGIE DE PARIS

Sous la direction du Professeur Jacques-Henri ROBERT,

Directeur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

 

A l’occasion d’une étude sur l’exercice de l’action civile des personnes morales en France, une analyse de droit comparé a été réalisée afin de confronter la situation française aux autres procédures pénales pratiquées en Europe.

Dans cette perspective, l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas nous ont semblé être les pays les plus représentatifs.

Conformément aux directives qui nous étaient soumises, nous nous sommes attachés à l’examen des grands systèmes juridiques qui conditionnent l’action civile des victimes et parfois des associations.

La présente étude s’articule autour de deux axes : un exposé des différents systèmes nationaux et une synthèse mettant en évidence les traits qui leur sont dominants.

Cette synthèse nous a conduits à proposer certaines réformes relatives à l’action des associations en France.

 

RAPPORTS NATIONAUX

 

 

 

 

 

ALLEMAGNE

 

 

La tradition procédurale allemande s'incarne dans le principe de légalité des poursuites. L'opportunité des poursuites, exception légale depuis 1924 (), devient néanmoins une pratique majeure. C'est pourquoi, et selon l'expression du Professeur Engelhard, le système allemand est passé de la légalité à l'opportunité réglementée des poursuites : " le principe de légalité ne signifie plus une obligation absolue de poursuivre ; il connaît tant de dérogations légales appliquées en pratique qu'il s'apparente plutôt à un principe d'opportunité réglementé " ().

 

De la théorie de la légalité à la pratique
réglementée d'opportunité des poursuites

La tradition de la légalité des poursuites

Deux principes méritent d'être évoqués ici : celui du monopole d'Etat, par l'intermédiaire du ministère public pour les poursuites pénales, et son corollaire, celui de la légalité des poursuites. Les fondements avancés par la doctrine allemande sont d'une part les nécessités de l'intérêt public (toute infraction portant atteinte à l'ordre social doit être réprimée), et d'autre part le principe d'égalité des citoyens devant la loi pénale.

Face au monopole du ministère public dans le déclenchement de la poursuite, l'attitude de la victime, qu'elle dépose plainte ou non, sera dénuée de conséquence. Le procès pénal allemand ne confronte que deux acteurs : le ministère public et l'accusé. La victime est reléguée au rang de simple témoin, et certainement pas de partie au procès. La conception allemande ne fait pas pour autant du ministère public une partie au procès pénal opposée à l'accusé. Le ministère public est un organe autonome de l'administration de la justice : le procureur doit rechercher les éléments de preuve tant à charge qu'à décharge. Il pourra d'ailleurs exercer des voies de recours au profit du prévenu ou demander la réouverture d'un procès pour que son innocence soit reconnue.

Ce monopole d'Etat établi au XIXe s'est accompagné d'un système de légalité des poursuites alors jugé indispensable. Selon les dispositions du paragraphe 152 alinéa 2 du Code de procédure pénale allemand (StPO), " le ministère public doit, dès lors qu'une loi n'en dispose pas autrement, mettre l'action publique en mouvement à l'encontre des infractions susceptibles de poursuite si les éléments de fait sont suffisamment établis " ().

Avec l'accroissement de la petite et moyenne délinquance (délits de bagatelle) suscitant l'engorgement des tribunaux, le système légaliste se présente comme inadapté aux nécessités conjoncturelles et marqué d'un certain anachronisme. Dans ce contexte, l'opportunité des poursuites apparaît comme une solution bien commode. C'est pourquoi la tradition de la légalité des poursuites compose dorénavant avec l'exception d'opportunité ().

L'exception d'opportunité

Cette exception signifie que dans divers cas il est permis au ministère public de renoncer à la poursuite de sa propre initiative ou avec l'accord du tribunal. Le Code de procédure pénale allemand envisage ainsi plusieurs cas de classements sans suite en opportunité. Ces derniers sont à distinguer des abandons de poursuite pour des raisons procédurales (par exemple, prescription de l'action publique) ou pour des raisons de fond (les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas tous réunis). Ainsi, à titre d'illustration (), le paragraphe 153 alinéa 1 StPO prévoit une possibilité de classement en opportunité lorsque la faute est minime et qu'il n'existe pas d'intérêt public à la poursuite. De même, le paragraphe 153 a alinéa 1 vise le classement sous condition : malgré l'existence d'un intérêt public au prononcé d'une condamnation, le ministère public s'abstient de poursuivre l'auteur d'un délit à la condition que ce délinquant, ayant préalablement donné son accord, accomplisse une prestation positive (telle que cure de désintoxication, ou versement d'une somme d'argent pour un organisme d'intérêt public).

Cette émergence de l'exception d'opportunité s'est accompagnée de critiques de la part de certains auteurs allemands. Ainsi, le Professeur Jung s'inquiète du risque que le ministère public ne constitue " une sphère de pouvoir sans contrôle suffisant " (). Cet auteur remarque en effet que si l'Allemagne et la France ont dans l'institution du ministère public une base commune (l'Allemagne en a hérité de la France), une différence cruciale se manifeste concernant la sécurité juridique. En droit français, l'action publique est en effet doublée et contrôlée par l'action civile de la victime
– personne physique ou morale – tandis que le droit allemand n'en a pas l'équivalent. Face au déclin du principe de légalité, la question du contrôle de l'action du ministère public, pourtant toujours détenteur du monopole des poursuites, devient primordiale. Tout observateur étranger pourrait s'attendre, mais en vain, à trouver dans l'action de la victime un sérieux contrepoids.

Le statut de la victime dans
le procès pénal

La victime occupe dans le procès pénal allemand un rôle marginal. Aux études de victimologie répond une nouvelle perception de la victime. Aussi le législateur allemand en a-t-il pris acte, tentant de renforcer la participation de la victime dans le procès pénal et d'améliorer sa condition par la loi du 18 décembre 1986 entrée en vigueur le 1er avril 1987 (Opferschutzgesetz, loi sur la protection juridique de la victime). La doctrine considère majoritairement ces avancées comme insuffisantes.

On relève toutefois quatre voies par lesquelles la victime peut timidement s'immiscer dans la procédure. Il convient de remarquer que les personnes morales victimes, c'est-à-dire, au sens du droit allemand, celles qui peuvent invoquer un préjudice issu de l'infraction les ayant atteint directement dans leurs droits, peuvent agir en justice en utilisant les mêmes procédures que les victimes personnes physiques, et ce par l'intermédiaire de leurs représentants légaux.

 

Les Antragsdelikte

Il s'agit des délits pour lesquels la poursuite est subordonnée à une plainte de la victime. Prévus aux paragraphes 77 et 158 alinéa 2 StPO, ces délits particuliers correspondent à des infractions de faible gravité ou touchant à l'intimité de la personne victime : délit d'injure, violation de domicile, vol entre membres de la même famille, violation du secret de la correspondance.

La Privatklage

Dans un souci de protection des victimes contre un refus arbitraire de poursuivre du ministère public, une procédure de Privatklage – ou d'accusation privée – a été créée. Par ce biais, la victime peut elle-même prendre l'initiative et exercer la poursuite, jouant le même rôle que le ministère public sans pour autant avoir tous ses pouvoirs de contrainte. Les infractions concernées sont limitativement visées au paragraphe 374 alinéa 1 StPO : elles sont de faible gravité et sont calquées pour l'essentiel sur les Antragsdelikte. Toute personne morale, telle qu'une association victime d'une infraction susceptible de Privatklage (diffamation, infraction aux règles de la protection des œuvres ...) pourra exercer cette procédure. Toutefois, lorsqu'un intérêt collectif défendu par une association est atteint par la commission d'une infraction, aucune possibilité d'intervention dans le procès pénal allemand n'est conférée à cette association. L'équivalent de la constitution française de partie civile par des associations pour des faits portant atteinte aux intérêts collectifs qu'elles défendent n'existe pas en Allemagne. Une exception mérite cependant d'être mentionnée. Il s'agit de la loi sur la concurrence déloyale du 7 juin 1909 qui en son paragraphe 22 alinéa 2 modifié par la loi du 13 août 1997 prévoit qu'" à côté de la victime et en raison d'un fait pénal réprimé aux articles 4 et 6 c de la loi sur la concurrence déloyale, tout commerçant, industriel ou artisan, tout groupement pour la promotion d'intérêts industriels ou commerciaux (groupements économiques), la chambre des métiers et la chambre du commerce et de l'industrie peuvent intenter une Privatklage. Ces personnes sont désignées au paragraphe 13 al. 2 n°1, 2 et 4 de la loi sur la concurrence déloyale " (). L'article 4 de cette loi réprime la publicité mensongère et l'article 6 c la vente à la boule de neige. Il convient d'observer que les associations de consommateurs ne figurant pas au paragraphe 13 alinéa 2 de la loi, elles ne peuvent intenter une Privatklage en cas d'atteinte à la concurrence.

La Nebenklage

Cette procédure permet à la victime de se constituer " plaignant accessoire " (Nebenkläger) lorsque le ministère public a décidé d'engager des poursuites pénales pour certaines infractions graves. Ces infractions sont limitativement énumérées par la loi (par exemple, la tentative de meurtre, les coups et blessures volontaires, les infractions sexuelles ...). La victime entend ainsi contrôler le ministère public et influencer activement le résultat de la procédure. Il ne s'agit pas pour la victime de contribuer à la recherche de la vérité mais le plus souvent d'exploiter lors d'un procès civil en réparation les preuves obtenues.

La Klageerzwingungsverfahren

Cette procédure prévue aux articles 172 et suivants StPO présente un intérêt en cas de carence du ministère public. En vue de contraindre le ministère public à poursuivre, elle permet à la victime d'exercer contre une décision de classement un recours devant le procureur général, voire en cas d'échec devant la Cour d'appel. Si elle obtient satisfaction, la victime devient Nebenkläger. Cette procédure de contrainte n'est toutefois pas applicable aux classements sans suite d'opportunité, ni aux infractions susceptibles de Privatklage. L'intérêt pratique de cette procédure semble donc minime.

La victime, malgré certains efforts du législateur et l'existence d'une opinion publique favorable, conserve une place effacée et désuète dans le procès. Les prérogatives du ministère public demeurent considérables dans toutes les étapes de la procédure. Cela se vérifie en particulier par l'attachement du droit allemand à la procédure accusatoire.

 

Le respect de la procédure accusatoire

Le droit allemand relève du système accusatoire. Les fonctionnaires du ministère public poursuivent et enquêtent tandis que les magistrats du siège rendent leur jugement. Le parquet et le siège, beaucoup plus séparés qu'en France, représentent des corps professionnels distincts. Nulle instance pénale ne peut intervenir sans poursuite. L'accusation par le ministère public - et exceptionnellement par la victime en cas de Privatklage - est donc indispensable pour saisir un juge. Le ministère public assure notamment la constatation des infractions et la recherche de leurs auteurs. Après avoir rassemblé les preuves, il les présente au juge lors d'une instance contradictoire, publique et orale.

 

L'indemnisation de la victime

La conception allemande exige que la procédure pénale et la procédure civile soient hermétiquement séparées. L'indemnisation du dontmage causé à la victime d'une infraction relève par conséquent du seul juge civil. Toutefois, subsiste une procédure permettant l'indemnisation devant le juge répressif. Cette procédure d'adhésion (Adhäsionsverfahren) n'est cependant applicable qu'en cas de préjudice matériel. Mais les juges répressifs se montrent très réticents à appliquer des règles civiles. Ils peuvent rejeter l'application de cette procédure sans recours possible, ce qui nuit considérablement à la portée de cette réforme.

La victime, tant personne physique que morale, semble donc effacée dans la procédure pénale allemande. Avant même de se soucier des prérogatives des associations, la doctrine allemande cherche à promouvoir la victime comme partie au procès pénal. Les associations peuvent néanmoins s'avérer utiles en matière de conseil et d'aide (morale, financière, ou juridique) aux victimes ().

ANGLETERRE  ()

 

Les principes de la procédure
pénale anglaise

Un système à dominante accusatoire

Traditionnellement, on oppose le système français inquisitoire au système anglais accusatoire (). Toutefois à l'heure actuelle, un tel contraste n'existe plus entre les deux organisations judiciaires. Si l'Angleterre conserve des traits caractéristiques de la procédure accusatoire, il ne s'agit plus d'un système pur.

Si, les caractères fondamentaux du système accusatoires sont bel et bien présents dans la procédure anglaise, il convient de relever certaines atténuations () dans leur application.

Le rôle du juge

L'un des traits caractéristiques de la procédure accusatoire est la séparation entre l'exercice des poursuites et le jugement. Le juge reste passif, tel un arbitre et ne statue qu'au regard des preuves réunies par les parties. Il n'a aucun rôle dans l'administration de la preuve.

En Angleterre, toute la procédure d'information est de l'unique ressort de la police, et ne dépend pas du contrôle d'un juge d’instruction.

Seulement arbitre, le juge ne mène l'interrogatoire ni des témoins ni de l'accusé, ce rôle est dévolu lors de l'audience, aux parties.

Mais il faut nuancer. En effet le juge anglais se voit reconnaître des droits certes moins étendus qu'en France, en vue de la manifestation de la vérité. Ainsi, il dispose du pouvoir discrétionnaire de citer des témoins ou encore de prendre l'initiative d'expertise médicale ou psychiatrique.

La place de la personne poursuivie

Classiquement, l'opposition entre les deux systèmes est illustrée par la place de la personne poursuivie, pendant le procès pénal.

Dans le cadre inquisitoire, elle doit concourir à la manifestation de la vérité, alors que dans la procédure accusatoire, " la preuve de la culpabilité doit être rapportée de manière objective et extérieure " à la personne mise en cause (). Or l'évolution en Angleterre du droit au silence accordé à l'accusé vient nuancer l'affirmation précédente.

Tout d'abord depuis 1984, il est permis à la police de mettre en détention un suspect afin de l'interroger ().

Ensuite, une loi de 1994 permet de déduire du silence du suspect des présomptions quant à son éventuelle culpabilité ().

L’atténuation des caractères traditionnels
de l’oralité et du contradictoire.

Pour certains, ces deux caractères ne doivent être exagérés dans le droit anglais: ce n'est que si l'accusé plaide non coupable que l'oralité joue. Par contre s'il plaide coupable, l'affaire sera jugée au vu des procès verbaux dressés par la police.

De plus la publicité paraît bien mise à mal, lors de " plea-bargaining ", proche de la conciliation.

Schéma de l'organisation judiciaire anglaise

Comparer le système anglais à nos conceptions françaises de la procédure pénale est très artificiel.

Protagonistes fondamentaux de notre justice répressive, le procureur et le ministère public français n'ont pas à proprement parler d'équivalent en droit anglais. Traduire " Director of Public Prosecution " par procureur et " Crown Prosecution Service " par ministère public se révèle être un abus de langage, tant les fondements historiques et juridiques gouvernant les deux pays sont inconciliables.

La création tardive du CPS

Longtemps, les anglais sont restés farouches à l'idée d'un procureur et d'un ministère public, préférant confier la décision de poursuite des affaires à la seule police.

Cependant, cette organisation montra ses lacunes suite à des erreurs judiciaires et de graves dysfonctionnements: une coordination devenait nécessaire. C'est pourquoi en 1879 () fût créé le DPP.

La meilleure qualification concernant ce personnage est directeur des poursuites, cousin éloigné de notre procureur. Eloigné, car ses attributions étaient moins larges que celles du procureur français. Son rôle était limité à donner un avis sur la poursuite de telle ou telle affaire, si bien que malgré cette innovation les mêmes difficultés subsistaient.

Dès lors la véritable naissance d'un procureur proche de l'idée que nous nous en faisons, date seulement du " Prosecution of Offences Act " de 1985 ().

Cette réforme législative a une double importance. D'une part, un ministère public est créé avec à sa tête l'ancien DPP (). D'autre part, les pouvoirs de ce dernier sont considérablement élargis.

Alors qu'en France, la police est dirigée par le procureur, un tel lien de subordination n'existe pas directement en Angleterre entre le CPS conduit par le DPP, et la police.

 

Les relations limitées entre le DPP et la police

Dans l'hexagone la police doit transmettre au procureur toute plainte, toute dénonciation, tout résultat concernant la recherche d'une infraction ou de son coupable ().

Au contraire la police anglaise n'a aucun compte à rendre au DPP.

En effet, la décision d'ouvrir l'enquête et la manière de la conduire ne relèvent que de son propre chef, mais surtout, elle n'est aucunement tenue d'avertir le ministère public de tous les résultats de ses investigations.

Tout se passe comme si la police détenait un pouvoir d'opportunité de décision de faire poursuivre. C'est elle qui décidera seule, de porter à la connaissance du CPS, un dossier qu'elle jugera digne de faire l'objet d'une poursuite.

Opportunité des poursuites

A ce stade néanmoins, le CPS, retrouve un pouvoir que nous connaissons bien en France: l'opportunité des poursuites. En aucun cas, il n'est obligé, de déclencher les poursuites à partir du dossier que la police a choisi de lui transmettre.

Pour autant, pour prendre sa décision, il ne peut demander à la police un supplément d'enquête. Sa marge de manœuvre reste dès lors très étroite: décider de poursuivre ou de ne pas poursuivre, au vu des seuls éléments réunis par la police. Cette décision de poursuivre est souveraine. En effet la jurisprudence a toujours refusé que la responsabilité du CPS soit engagée sur ce fondement ().

 

La situation de la victime

Le statut de la victime en génÉral

La victime agissant seule

La situation de la victime anglaise au procès pénal est beaucoup moins enviable que celle de son homologue français ().

En principe la victime comme tout citoyen a le droit de saisir directement les tribunaux, par une " private prosecution " (). Cette possibilité constitue un contre pouvoir face à l'inaction de la police qui ne souhaite pas voir l'affaire poursuivie (). Ceci rappelle quelque peu la constitution de partie civile en France. Mais là s'arrête la comparaison. En effet si la victime anglaise agit seule, elle n'obligera pas le DPP à poursuivre, elle ne disposera pas d'un dossier préconstitué par les autorités judiciaires, puisque par hypothèse la police n'aura pas jugé les faits dignes de faire l'objet d'une poursuite.

Dès lors la victime informe le tribunal de sa volonté de poursuivre et va déposer un dossier ou bien expose son cas oralement. Elle devient une partie au procès. Mais il est important de remarquer que tous les frais sont à sa charge.

La position de la victime en cas de poursuites du CPS

Au contraire si le CPS décide de reprendre le dossier, la victime n'est plus partie au procès. Elle ne peut bénéficier d'une quelconque aide judiciaire.

De plus ses prérogatives sont quasi-inexistantes ().

Elle n'aura aucun droit d'accès au dossier. Le CPS peut soit prendre la direction de la poursuite jusqu'à son terme, soit l'arrêter pour des raisons d'opportunité ou encore accepter une négociation, sans que l'obligation ne lui soit faite d'en informer la victime.

Ainsi, la victime a un statut comparable à celui d'un simple citoyen. En effet ce dernier sans être une victime directe et personnelle de l'infraction peut déclencher une " private prosecution ". Dès lors son extériorité au délit justifie le peu de droits qui lui sont reconnus pendant le procès pénal. Cependant il paraît critiquable de ne pas distinguer la réelle victime, du citoyen. Sa qualité de victime devant à notre avis justifier que lui soient reconnus des droits plus importants.

Dès lors on comprend la relative rareté des " private prosecution "(). Puisque de deux choses l'une : soit la victime est partie au procès mais mène seule les poursuites, sans bénéficier des moyens de l'institution judiciaire ; soit la poursuite est dirigée par les autorités et la victime perd alors tout droit sur l'affaire en cours.

 

La position de la personne morale au procès pénal

la personne morale de droit privé

A la différence du droit français, le droit anglais ne connaît pas d'équivalent de nos articles 2-1 et suivants du code de procédure pénale.

Aucune procédure relative à une action de la personne morale de droit privé en général, et de l'association en particulier, n'est prévue en droit anglais, de sorte qu'aucune distinction n'est à faire selon que la victime est une personne physique ou morale.

Dire que des actions privées sont engagées par des personnes morales de droit privé semble abusif pour le droit anglais. En effet il n'existe pas de possibilité pour ces dernières d'agir directement en leur propre nom. L'action ne pourra être intentée que par une personne physique membre de cette personne morale, et ce que l'association soit elle-même victime ou qu'elle aide une victime directe de l'infraction. Comme le dit un auteur " elle ne peut pas intervenir en tant qu'entité autonome pour engager les poursuites " ().

Toutefois malgré cette absence d'organisation de l'action intentée par la personne privée, on remarque que le grand nombre des actions privées est intentée par des associations ou des syndicats. La raison tient certainement au fait que si la victime peut engager les poursuites et devenir partie au procès, elle n'est pas secondée par les autorités judiciaires. Dès lors, on peut penser que seules des structures organisées telles des associations ou des syndicats ont les moyens financiers et humains de réunir des pièces suffisantes pour déposer un dossier devant le juge.

Il en est ainsi que la personne morale de droit privé agisse pour elle-même, ou pour une personne physique victime d'une infraction contre les intérêts collectifs que l'association entend défendre.

" Les personnes morales de droit public "

Tout comme en France, l'action publique n’est pas le monopole parfait du ministère public.

Des administrations détiennent le pouvoir de déclencher les poursuites. Il convient de distinguer les actions selon les prérogatives conférées.

Les administrations telles () que le " Customs and Excise " (les douanes et les contributions indirectes), l'" Inland Revenu " (le fisc), et le " Departement of Social Security " (les services sociaux) peuvent agir mais de manière tout à fait classique. Le CPS pourra les dépouiller de leur action puis choisir de la continuer ou de l'arrêter.

Un autre organisme, à la différence des précédents, se présente comme un réel concurrent du CPS. Le " Serious Fraud Office " () est chargé de la recherche et de la poursuite des fraudes commerciales graves.

Le problème de l'indemnisation

On distingue en droit anglais deux types d'indemnisation de la victime.

L'indemnisation limitée par l'accusé ()

Avant les années 1972-1973 les juridictions répressives n’intervenaient pas dans l'indemnisation du préjudice subi par la victime.

Aujourd'hui le juge pénal s'est vu reconnaître le droit d'octroyer un " compensation order ".

Le " compensation order " est très encadré. Il doit être calculé en fonction des capacités financières de l'accusé. La loi elle-même limite le montant de la compensation octroyée par la magistrates' court à £ 5 000 soit environ 50 000 F. De plus la législation exclut la possibilité d'indemnisation pour le grand nombre des dommages dus aux infractions routières, la victime devant alors négocier avec l'assureur.

L'indemnisation discrétionnaire par l'État ()

La situation des victimes d'infractions de violences personnelles n'est pas des plus enviables. En 1964, fut créé le " Criminal Injuries Compensation Board " (CICB) organe officieux destiné à indemniser les victimes. Il s'agit d'une compensation dont le gouvernement décide discrétionnairement de l'octroi et du montant.

En 1988 et 1993 le gouvernement avait songé, pour accorder à la victime un vrai droit au dédommagement, officialiser le CICB ; cette idée n'a toujours pas aujourd'hui été concrétisée.

Conclusion :

La position de la victime pénale est assez précaire, d'autant plus qu'il semble qu'elle ne dispose pas d'une possibilité de recours sur la question de son dédommagement.

Cette situation fait l'objet d’importantes critiques de la part notamment de la part d'associations telles que " Victim Support ". Ces structures ont pour objectif d'aider les victimes et de faire pression sur les institutions en vue d'une réforme permettant une meilleure indemnisation de la victime d'une infraction pénale.

BELGIQUE

 

 

Le système juridique belge est de type mixte, comme en France, puisque la phase de l’instruction est inquisitoire et la phase de jugement accusatoire.

 

La place de la victime dans le procès
pénal belge

La phase de la poursuite est fondée sur le principe de l’opportunité des poursuites. Le ministère public qui est dépositaire de l’action publique peut donc classer sans suite la plainte ou le procès verbal qu’il a reçu. Ce principe ne régit que le déclenchement des poursuites et dès lors que l’action publique est mise en mouvement, le ministère public ne peut plus dessaisir le juge d’instruction ou la juridiction de jugement.

La victime peut également mettre en mouvement l’action publique, soit en se constituant partie civile devant le juge d’instruction (article 63 du CIC), soit par citation directe devant la juridiction de jugement (articles 145 et 182 du CIC).

En principe, l’action civile est ouverte à toute personne lésée par une infraction. Cette personne peut être une personne physique ou morale, de droit privé ou de droit public. La recevabilité de cette action civile est cependant soumise à certaines conditions:

Elle est en premier lieu conditionnée à la capacité d’agir en justice de son auteur. Les personnes morales de droit privé et de droit public sont susceptibles, comme en France, d’être dotées de la personnalité juridique et, partant, de la capacité d’agir en justice.

La recevabilité de l’action civile est ensuite subordonnée à la qualité à agir de son auteur. L’action civile appartient en effet à la seule victime d’une infraction et, exceptionnellement, à des tiers exerçant l’action civile aux lieu et place de la victime en leur qualité de tiers subrogés dans les droits de la victime.

La dernière condition de la recevabilité de l’action civile réside dans l’intérêt pour agir de son auteur. Il repose sur l’existence d’un dommage pénal, direct, personnel, légitime, né et actuel.

 

L’action civile des personnes morales

C’est à propos du préjudice personnel que se pose la question de l’action civile des personnes morales avec plus d’acuité. Si le préjudice personnel existe lorsqu’une infraction porte atteinte aux droits patrimoniaux ou aux attributs moraux de la personne morale, il disparaît en revanche dans l’hypothèse d’une infraction atteignant l’ensemble de ses membres. La jurisprudence refuse d’admettre l’action civile des personnes morales lorsque l’infraction porte atteinte aux intérêts de leurs membres ou à l’intérêt collectif qu’elles représentent, sans atteindre leurs intérêts propres.

Parfois cependant, le législateur a reconnu à certains groupements la faculté d’exercer l’action civile.

  • Ainsi, la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie dispose, dans son article 5 alinéa premier, que lorsqu’un préjudice est porté aux fins statutaires qu’ils se sont donné pour mission de poursuivre, tout établissement d’utilité publique et toute association jouissant de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits et se proposant par leurs statuts de défendre les droits de l’homme ou de combattre la discrimination raciale, peuvent ester en justice dans tous les litiges auxquels l’application de cette loi donne lieu. L’alinéa 2 du même article pose cependant une condition à cette action civile lorsque l’infraction a été commise contre des personnes physiques en exigeant que le groupement justifie de l’accord de la victime.

  • Parfois, le législateur n’a pas expressément résolu la question mais la solution peut cependant être trouvée dans les termes de la loi : la loi du 31 mars 1898 relative aux unions professionnelles prévoit dans son article 10 qu’elles peuvent ester en justice, soit en demandant, soit en défendant, pour la défense des droits individuels que leurs membres tiennent de leur qualité d’associés, sans préjudice du droit de ces membres d’agir directement, de se joindre à l’action ou d’intervenir dans l’instance. Ainsi, les unions professionnelles peuvent se constituer partie civile devant les juridictions répressives pour demander réparation du préjudice causé par l’atteinte portée aux intérêts professionnels en vue desquels elles ont été constituées. En 1964, la deuxième chambre de la Cour de cassation belge a admis la recevabilité de l’action civile du Collège des médecins de l’agglomération bruxelloise, union professionnelle constituée conformément à la loi du 31 mars 1898, pour obtenir réparation du préjudice causé aux intérêts professionnels de ses membres par un prévenu poursuivi du chef d’infraction à la loi du 12 mars 1818 sur l’exercice de l’art de guérir ().

En dehors de ces habilitations législatives, la jurisprudence refuse d’admettre la recevabilité de l’action civile d’autres groupements.

La Cour de cassation a ainsi affirmé l’irrecevabilité de l’action civile de la Ligue belge pour la défense du cheval de mine pour défaut d’intérêt personnel (). Elle a, en effet estimé d’une part que pour être reçu dans sa constitution de partie civile, il est nécessaire de justifier être victime directe de l’infraction, et d’autre part que l’intérêt à la répression pénale est insuffisant car il se confond avec l’intérêt social dont la sauvegarde est exclusivement dans l’exercice de l’action publique.

La Haute juridiction a de même déclaré irrecevable l’action civile de la ligue belge pour la défense des droits de l’homme, faute de préjudice personnel causé par les délits de création de milice privée mis à charge des prévenus (). Elle s’est fondée sur les articles 3 et 4 de la loi du 17 avril 1878 selon lesquels " l’action pour la réparation du dommage causé par une infraction appartient à ceux qui ont souffert de ce dommage " et sur l’article 63 du Code d’instruction criminelle selon lequel " toute personne qui se prétendra lésée par un crime ou un délit pourra en rendre plainte et se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent ". La deuxième chambre de la Cour de cassation a en effet affirmé que la ligue belge pour la défense des droits de l’homme n’apportait la preuve " d’aucun droit ni d’aucun intérêt personnel qui aurait pu être lésé par les délits mis à la charge des prévenus " et estime que " le fait d’être constituée en établissement d’utilité publique ayant pour objectif la défense de valeurs morales ne suffit pas à rendre la défenderesse recevable à exercer cette action civile et qu’en décider autrement permettrait toutes les intrusions dans le domaine de la répression par l’intentement d’actions civiles en réalité factices, ayant pour effet, sinon pour but de faire sortir le ministère public de l’abstention (ou) ...de lui forcer la main ".

En conclusion, en l’absence d’une habilitation législative expresse ou implicite (semblable à celle accordée aux unions professionnelles) l’action civile des personnes morales n’est pas recevable, faute de préjudice direct et personnel. Par ailleurs une seule habilitation législative a accordé à certains groupements la faculté de se constituer partie civile devant la juridiction répressive. Le législateur belge semble en effet réticent à instituer d’autres habilitations. En 1982, la Chambre des Représentants a, en effet, refusé d’habiliter des associations et des établissements d’utilité publique à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions aux dispositions relatives au viol ().

ESPAGNE

 

 

Le régime procédural espagnol est gouverné par des principes qui diffèrent non seulement du droit français mais aussi de l’ensemble de l’Europe : le déclenchement des poursuites est régi par des règles particulières.

En effet, il existe d’une part un équivalent de notre ministère public et d’autre part la possibilité pour les citoyens d’agir par eux-mêmes.

Le ministère public (Ministerio Fiscal) trouve sa base dans la Constitution (art.124), dans la loi organique du pouvoir judiciaire (art.435) et dans son statut fondamental (L.50-81).

Il est gouverné par les principes de légalité et d’impartialité.

Les citoyens, quant à eux, peuvent agir par le biais de deux actions distinctes que nous étudierons successivement :

d’une part, l’action particulière, ouverte à tout citoyen et d’autre part, l’action privée ouverte à la victime.

Nous sommes donc face à un système mixte dans l’engagement des poursuites dont l’efficacité est liée au caractère accusatoire de la procédure qui suit.

C’est dans ce cadre, qu’il conviendra, dans une seconde partie, de s’intéresser aux possibilités d’actions offertes aux groupements.

 

LES DIFFÉRENTES FORMES D’ACCUSATION

L’action particulière

Cette action trouve son fondement dans l’article 270 de la LECRIM (la Ley de enjuiciamiento criminal), elle est aussi reconnue par la constitution qui admet le " droit au juge " pour tout citoyen.

L’action particulière a connu un développement en trois phases :

  • avant 1978 : elle existait théoriquement mais n’était jamais utilisée,
  • de 1978 à 1985 : de l’avènement de la Constitution à la loi fondamentale du pouvoir judiciaire : l’exercice de ce droit était très difficile, en particulier à cause des montants exigés pour les cautions ;
  • depuis 1985 : le pouvoir judiciaire ne s’oppose plus à cette action qui se développe raisonnablement. Il s’agit d’un type d’action ouverte à tout citoyen espagnol qu’il soit ou non victime d’une infraction de type " délit public ou semi-public ".
  • L’accusateur n’est pas la victime : l’accusation est dite populaire. Il doit être de nationalité espagnole, cette action n’est pas ouverte aux étrangers. L’action débutera par le dépôt d’une plainte qui peut intervenir à tout moment du procès. L’accusateur peut aussi se désister à tout moment. Il devra s’acquitter du dépôt d’une caution et n’aura pas droit à l’aide juridictionnelle. L’action peut trouver un terme lorsque l’intervention de la victime est nécessaire et que celle-ci se désiste.
  • L’accusateur est la victime : l’action est alors ouverte aux étrangers. L’accusateur est dispensé du dépôt de la caution et il pourra obtenir l’aide d’un avocat. Si le procès a lieu selon les règles de la procédure rapide alors la victime accusatrice bénéfice d’une procédure particulière. Que l’accusateur soit victime ou non ,il doit avoir la même capacité à agir que dans le cadre d’une instance civile mais ne peuvent pas agir ceux qui ont déjà fait l’objet de deux condamnations pour dénonciation ou pour plainte calomnieuse, ni les magistrats. Dans le déroulement du procès, l’accusateur particulier dispose de prérogatives très semblables à celles du ministère public, à ceci près qu’il ne peut diligenter d’investigations. Si líEtat est victime, des faits qui donnent lieu aux poursuites, celles-ci seront diligentÈes par un avocat de líEtat.

 

L’action privée

Cette action est ouverte à toute victime d’une infraction qu’elle soit de nationalité espagnole ou non.

Pour certaines infractions, elle représente le seul mode d’action possible (injures), le ministère public ne pouvant pas intervenir.

Cette action naît par le dépôt d’une plainte et d’une caution (dont certaines victimes sont dispensées).

Si la victime n’a pas elle-même la capacité à agir, elle peut le faire par l’intermédiaire de son représentant légal.

Cette action va de pair avec celle du ministère public et la victime peut retirer sa plainte à tout moment.

Le droit espagnol reconnaît, tout comme le droit français, la possibilité pour la victime d’obtenir la réparation civile du dommage qu’elle a subi ; nous allons maintenant voir dans quelles conditions.

 

L’action civile de la victime

La règle générale veut que la réparation civile (restitution de l’objet, indemnisation du préjudice) soit présentée devant la juridiction répressive .

Cependant, la victime peut préférer agir ultérieurement devant une juridiction civile .

Dans l’un et l’autre cas elle peut renoncer à son action à tout moment selon les principes de la procédure civile.

Dans les cas où le ministère public doit intervenir, il doit intenter les deux actions conjointement, qu’il y ait ou non d’autres accusateurs.

La victime de faits constitutifs d’un délit " public ou semi-public " demanderesse à l’action civile qui se joint au procès seulement pour obtenir réparation doit laisser au ministère public ou à l’accusateur le soin de mener le procès pénal.

C’est seulement dans les cas précités que l’on peut parler d’action civile, qu’elle soit intentée par le ministère public ou par la victime : est donc demandeur à l’action civile toute personne qui dans un procès pénal forme une demande pécuniaire en réparation d’un préjudice subi.

Ce sont les règles de la procédure civile qui gouvernent la capacité à agir devant la juridiction répressive.

L’action est ouverte par une " offre d’action ", le dépôt d’une plainte n’est pas nécessaire.

Elle s’achève par une renonciation à la demande, par la manifestation expresse du choix d’une action devant une juridiction civile ou lorsque l’obligation est éteinte.

Durant le procès pénal, les interventions du demandeur à l’action civile ne peuvent avoir lieu que dans le cadre de sa demande, ce qui est laissé à la libre appréciation du juge.

Dès l’ouverture du procès, le ministère public, l’accusateur privé et l’accusateur particulier (lorsqu’il agit comme victime) doivent présenter dans leur demande le montant auquel ils estiment la réparation civile.

Le demandeur à l’action civile peut intervenir dans le cours du procès lorsque sa demande ne porte que sur la réparation.

Toutes les voies de recours sont ouvertes au demandeur à l’action civile qui n’obtient pas satisfaction.

Quant à la question de l’indemnisation des victimes, elle ne présente pas de spécificité par rapport au système français et ne semble pas faire l’objet de critiques particulières.

 

LES ACTIONS DES PERSONNES MORALES ET PLUS
SPÉCIFIQUEMENT DES ASSOCIATIONS

Les personnes morales, victimes d’une infraction

Comme en droit français, les groupements n’ont la personnalité juridique que si certaines formalités sont remplies. Plus particulièrement pour les associations, il est nécessaire que les statuts soient remis au Gouvernement civil de la province dans laquelle l’association est située. Cette autorité, ou encore le Ministère de la Justice et de l’Intérieur, se charge par la suite d’inscrire l’association considérée sur le Registre national ou provincial des associations. Ces formalités ne sont, pas plus que celles applicables en France, un frein au droit d’association qui, par ailleurs, a une valeur constitutionnelle. Une fois ces formalités remplies, les groupements ont acquis la personnalité morale qui leur donne une pleine capacité juridique.

Partant, lorsqu'une personne morale est victime d’une infraction, qu’elle soit association, fondation ou société, elle dispose du pouvoir d’exercer toutes les actions reconnues aux personnes physiques dans les mêmes circonstances : elle peut être accusateur particulier, privé et civil.

La jurisprudence fut réticente à admettre cette règle, notamment pour les associations. Elle exigeait ainsi que la capacité d’ester en justice, y compris en qualité de victime directe de l’infraction, soit expressément envisagée dans les statuts de l’association. Cette jurisprudence ne fut pas maintenue et l’action au pénal, des personnes morales victimes d’une infraction, est désormais admise sans difficulté.

 

Les personnes morales, victimes indirectes
de l’infraction

Dans cette hypothèse, la spécificité du droit espagnol est flagrante. Le débat ne se place pas, du moins pas encore, sur la question de l’intérêt à agir pour la personne morale. En effet, ce n’est pas tant l’action particulière que veulent exercer les personnes morales ainsi indirectement atteintes par l’infraction, mais l’action populaire qui permet de déclencher l’accusation alors que, par définition, il n’est pas nécessaire d’être victime de cette infraction.

Ce sont en tout premier lieu, les associations qui ont revendiqué le droit d’exercer l’accusation populaire. Cette revendication s’est, dans un premier temps, heurtée à un refus catégorique des juridictions de l’ordre judiciaire, fondé sur un argument de texte. En effet, les articles 101 et 270 de la Ley de enjuiciamiento criminal (Lecrim), loi qui constitue le Code de procédure pénale espagnol, prévoient expressément que cette action populaire n’appartient qu’aux citoyens espagnols. Surtout, l’article 125 de la Constitution de 1978 déclare que "Les citoyens pourront exercer l’action publique". Les juridictions de l’ordre judiciaire en déduisaient que l’action populaire ne pouvait être exercée que par des personnes physiques. Il est vrai que seules les personnes physiques peuvent exercer l’intégralité des droits propres au citoyen, notamment celui de voter.

Cette jurisprudence fut fortement critiquée comme étant une interprétation restrictive et par la même infidèle à l’esprit du texte, du terme de "citoyen". Le tribunal constitutionnel, saisi par une association condamna cette jurisprudence. Dans une décision du 21 décembre 1992, elle a admis que l’action populaire pouvait être, en application de l’article 125 de la Constitution, exercée par une personne morale.

Cette jurisprudence a une portée très importante car elle peut entraîner la multiplication des actions exercées par les personnes morales. Elle est toutefois conforme à la tradition qui veut que chaque citoyen peut exercer l’action publique car il participe ainsi activement à la vie de la cité.

Suite à cette jurisprudence, un engorgement des tribunaux est bien sûr à craindre quoique limité, sans aucun doute, par l’obligation, pour l’accusateur populaire, de verser une caution qui servira au paiement de tous les frais si jamais cette action s’avérait téméraire.

Mais surtout, la pratique, qui ne peut par hypothèse s’analyser que sur un petit nombre d’années, révèle que cette forme d’accusation est parfois détournée de sa finalité première (la participation du citoyen à la vie publique). En effet, on a pu en constater une utilisation politique permettant à un parti d’exercer l’action populaire contre un parti adverse pour obtenir, au cours de la procédure, des informations confidentielles. D’autre part, l’Espagne est une jeune démocratie, qui connaît à l’instar de toutes les démocraties occidentales, un fort développement du mouvement associatif notamment dans les domaines de la santé publique et de la protection de l’environnement. Logiquement, il apparaît que ces associations ne manqueront pas d’utiliser la procédure de l’accusation populaire pour faire respecter les intérêts qu’elles défendent.

En conséquence, il semble que, bien que fort ancienne, la procédure de l’accusation populaire connaît un renouveau avec le retour de la démocratie, et, utilisée par les personnes morales et notamment par les associations, elle ne semble pas pouvoir être maintenue telle quelle du fait des abus précités. Doctrine et praticiens avancent déjà l’idée d’une modification de cette procédure pour exiger, au moins des personnes morales qu’elles démontrent l’existence d’un intérêt légitime à agir. Cette réforme, si elle intervenait, transformerait fondamentalement l’esprit de cette forme d’accusation pour se rapprocher des systèmes français et belge même si, pour s’en distinguer, l’accusation populaire est exclusivement tournée vers la sanction pénale et non vers la réparation civile.

ITALIE

 

 

Le concours de la victime au procès
pénal italien

La politique du procès pénal italien donne une fonction particulière à la victime de l’infraction. Son intervention est limitée lorsqu’il s’agit d’exercer l’action pénale. Cette faculté est essentiellement confiée au ministère public en application des principes fondamentaux de la procédure pénale italienne (A). Toutefois, la victime, lorsque l’action publique est exercée, a véritablement le rôle de partie dans le procès (B).

 

Les principes directeurs de la procédure
pénale italienne

Deux principes fondamentaux gouvernent la structure de la procédure pénale italienne. Il s’agit, d’une part, de la mise en place d’un système accusatoire (1). D’autre part, la procédure italienne, plus que d’autres procédures étrangères, est régie par le principe de la légalité des poursuites (2).

 

Le système accusatoire

Avant l’entrée en vigueur en 1989 du nouveau code de procédure pénale italien, le système s’inspirait du modèle inquisitoire qui remontait au code d’instruction criminelle français de 1808. En réalité, l’ancien code de procédure pénale italien était de type mixte. La phase d’instruction, de rassemblement des preuves, était qualifiée d’inquisitoire alors que la phase de jugement, confiée à un juge, était de type accusatoire, dominée par un débat oral, public et contradictoire. La réforme de 1989 a décidé d’appliquer le seul système accusatoire à la procédure pénale italienne.

Toutefois, la procédure pénale demeure dualiste. La phase d’enquête est dédiée à la recherche des sources de preuves et non des preuves elles-mêmes. L’article 326 du code de procédure pénale précise la finalité de l’enquête préliminaire en disposant que " le ministère public et la police judiciaire enquêtent, dans le cadre de leurs attributions respectives, afin de déterminer le déclenchement de la poursuite ". Ce nouveau système a pour corollaire la disparition du juge d’instruction et le renforcement du rôle du ministère public. Cependant, pour prévenir les dérives et l’abus des pouvoirs du ministère public, il a été créé un organe juridictionnel impartial, le juge de l’enquête préliminaire ou GIP (giudice per l’indagine preliminare).

La phase de jugement est totalement accusatoire. Le juge du jugement ne connaît pas le dossier du parquet. Toute la preuve et la conviction du juge résulte du débat public, oral et contradictoire notamment par l’emploi de la " cross-examination ".

 

Le principe de légalité des poursuites

La Constitution italienne de 1948 a inscrit le principe de légalité parmi ceux destinés à fonder l’Etat de droit. L’article 112 de la Constitution énonce que " Le ministère public a l’obligation d’exercer l’action pénale ". Le ministère public ne peut donc, de façon discrétionnaire, se refuser de soumettre les faits dont il acquiert connaissance, dès lors qu’ils entrent dans une qualification légale, à l’appréciation du juge compétent.

Toutefois, le système n’est pas aussi rigide que l’on peut le penser. En effet, un certain nombre de techniques procédurales ont été mises en place afin d’éviter un encombrement des juridictions. D’une part, dans le système italien, il existe des infractions dites privées, considérées comme mettant en cause des intérêts essentiellement privés, et dont les poursuites sont subordonnées à une plainte préalable de la personne offensée (par exemple, en matière d’injures, de diffamation ou d’infractions contre l’honneur des personnes).

D’autre part, le droit italien a recours à la justice négociée. L’accord ne portera pas sur la décision de poursuivre mais sur la mesure de la peine. Il s’agit notamment de la procédure de " patteggiamento ", qui concerne les infractions qui sont susceptibles d’une peine maximum de deux ans de détention, par laquelle le ministère public et l’accusé demandent au juge d’appliquer la peine sur laquelle ils se sont mis d’accord.

Enfin, le ministère public peut opérer un classement sans suite. Cependant, cette possibilité de classer sans suite est strictement limitée par le code de procédure pénale. A la fin de l’enquête de police, le ministère public peut requérir le classement de l’affaire auprès du juge de l’enquête préliminaire (GIP) mais uniquement pour les cas d’empêchements légaux à la poursuite. C’est le cas lorsqu’il y a inconsistance des faits (article 408 du code de procédure pénale) , en cas d’obstacle procédural ou d’absence de qualification légale (article 411 du code de procédure pénale). Il revient au GIP de s’assurer de l’existence de ces motifs et sanctionner tout opportunisme dans le classement sans suite.

Bien que le ministère public détienne tous les pouvoirs en matière de mise en mouvement de l’action publique, la victime n’en est pas pour autant écartée du procès pénal italien.

 

L’intervention de la victime

Le statut de la victime

Le droit italien applique de façon assez stricte le principe de légalité. Dès lors, en dehors de l’action publique ouverte par le ministère public, point de salut pour la victime. Elle ne peut, par une action civile, provoquer le déclenchement de l’action publique.

Par contre, si le ministère public décide de classer sans suite une affaire, la victime peut faire un recours devant le GIP pour qu’il se prononce, non par la voie d’un décret mais par une décision juridictionnelle, sur la légalité de la décision du ministère public. L’opposition de la victime a pour effet de provoquer une audience contradictoire sur les résultats de l’enquête. Le juge décide alors s’il y a lieu de renvoyer en jugement.

 

Les qualités de la victime

La victime d’une infraction peut cumuler deux qualités. Elle peut être " persona offesa dal reato " (a) ou se constituer partie civile (b).

La " persona offesa dal reato "

C’est le premier niveau d’intervention de toute victime d’une infraction. L’article 90 du code de procédure pénale, accorde le droit et la faculté pour toute personne offensée par une infraction (" persona offesa dal reato ") de présenter un mémoire et d’indiquer les moyens de preuve.

Cette solution est une originalité du droit italien qui n’impose pas la constitution de partie civile pour que la victime de l’infraction soit un intervenant actif dans le procès pénal. Cette situation peut paraître paradoxale, car dans ce cas la victime n’intervient pas pour réclamer une réparation mais pour faire un acte de citoyenneté en participant à l’œuvre de Justice.

Parmi les droits de la victime, on peut notamment citer le droit d’avoir un défenseur (article 101 du code de procédure pénale), le droit de solliciter du ministère public un incident probatoire (article 394), le droit de demander au Président de poser des questions aux témoins, etc...

 

La constitution de partie civile

La " persona offesa dal reato " peut, si elle le désire, se constituer partie civile par intervention. Cette action est une démarche différente de la plainte, elle tend exclusivement à la sauvegarde des intérêts de nature civile à l’intérieure d’une procédure déjà existante. La possibilité de se constituer partie civile est accordée par les articles 74 et suivants du code de procédure pénale. Ils autorisent l’action civile destinée à la restitution ou à la réparation du dommage causé par l’infraction (article 74 du code de procédure pénale). La victime peut se constituer partie civile à tous les stades de la procédure (article 76 alinéa 2 du code de procédure pénale).

Cette action civile peut indistinctement être présentée devant la juridiction civile ou la juridiction pénale. Il s’agit d’une procédure totalement distincte de la procédure pénale en cours devant une juridiction répressive. L’action civile peut être transférée vers la juridiction pénale si la juridiction civile ne s’est pas encore prononcée. Dans ce cas, la juridiction pénale statuera par ordonnance civile (article 75 du code de procédure pénale).

 

La place des personnes morales dans
le procès pénal italien

Le droit italien ne réserve pas aux seules victimes, personnes physiques ou morales, le droit d’être une partie au procès. Cette faculté est également ouverte à divers groupements et associations qui défendent des intérêts particuliers ou collectifs (A). Toutefois, le code de procédure pénale italien a enfermé leur action dans de strictes limites tant en ce qui concerne les personnes morales qui peuvent agir que les conditions de leur intervention (B).

 

La nature de la personne morale

Les droits attribués à la personne morale (2) dépendent de la qualité juridique de la personne morale (1).

La personne morale

L’article 91 du code de procédure pénale italien précise les conditions quant à la nature de la personne morale qui désire agir pour le compte de la victime.

D’une part, il doit s’agir d’un groupement (" ente ") ou d’une association (" associazioni "). Si la personne morale est une association, elle ne doit pas avoir de but lucratif. La précision n’a pas lieu d’être en ce qui concerne les groupements, car ils sont par nature dénués de but lucratif.

D’autre part, le groupement ou l’association doit avoir été constitué avant la commission de l’infraction et leur statut être reconnu par la loi.

Enfin, la finalité du groupement ou de l’association doit être la sauvegarde des intérêts lésés par l’infraction.

 

Les droits de la personne morale

Les personnes morales qui peuvent intervenir pour représenter les intérêts de la personne offensée par l’infraction ont les mêmes droits et facultés que la victime elle-même (article 91 du code de procédure pénale). Elles peuvent, dès lors, présenter un mémoire et indiquer des éléments de preuve. Elles ont également la faculté de se porter partie civile.

 

Les conditions de l’intervention de
la personne morale

Originalité du système pénal italien, les groupements ou les associations sans but lucratif ne peuvent intervenir au côté de la victime que si cette dernière y consent (article 92 alinéa 1 du code de procédure pénale).

L’article 92 alinéa 2 du code de procédure pénale précise que le consentement donné au groupement ou à l’association doit résulter d’un acte public ou d’un acte privé authentique. Cet acte devra être présenté au tribunal sous peine d’irrecevabilité de la demande (article 93 du code de procédure pénale). De même, le groupement ou l’association doit indiquer au tribunal sa dénomination, le nom de son défenseur, les raisons qui motivent son intervention, ...

Toutefois, il semble que la jurisprudence ait atténué cette obligation d’obtenir le consentement de la personne offensée par l’infraction. En effet, elle décide que les groupements ou les associations sans but lucratif peuvent intervenir en justice sans le consentement de la victime dès lors qu’il s’agit de la sauvegarde d’un intérêt collectif.

PAYS-BAS

 

 

La procédure pénale hollandaise s’est essentiellement inspirée des principes du code d’instruction criminelle français de 1808 avant d’élaborer un code national en 1838.

 

La victime dans le procès pénal hollandais

Les Pays-Bas connaissent le principe de l’opportunité des poursuites aux termes duquel le procureur de la Reine peut décider de classer sans suite l’affaire. Ce principe est expressément énoncé à l’article 167 du code de procédure pénale qui dispose : " Il peut être renoncé aux poursuites pour des raisons d’intérêt général ".

En complément du principe d’opportunité des poursuites, le droit hollandais applique le monopole de la poursuite. La victime ne peut agir que par la voie de l’intervention, c’est-à-dire en accompagnant l’action du procureur de la Reine par la constitution de partie civile (civiele partij).

Dès lors, en cas de classement sans suite, la victime ne peut par la voie de l’action civile déclencher l’action publique. Toutefois, la victime a la possibilité de faire appel de la décision de classement devant la Cour d’Appel (article 12 du code de procédure pénale). La Cour entend le ministère public et le plaignant en chambre du conseil et décide s’il y a lieu de maintenir le classement ou d’ordonner au procureur de la Reine de poursuivre.

D’une façon plus générale, en droit hollandais, la victime n’occupe pas une position prééminente. Cependant, depuis quelques années, quelques tentatives ont été menées afin de renforcer la position de la victime notamment par la création d’un fond spécial d’indemnisation des victimes qui ne peuvent obtenir réparation auprès de l’auteur de l’infraction.

De même, le juge pénal peut accorder une réparation à la victime. Dans un premier temps plafonnée, cette réparation n’a aujourd’hui plus de limite dans le montant que le plaignant peut réclamer.

Néanmoins, dans la pratique, la victime apparaît rarement dans la procédure criminelle. En effet, le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil ne joue pas en droit hollandais. De plus, l’article 1955 du code civil néerlandais dispose que le fait reconnu par le juge pénal est également censé être prononcé devant le juge civil.

 

La participation d’une personne morale
à la procédure pénale

Le droit hollandais n’accorde pas une place importante aux associations dans le procès pénal. Elles peuvent, comme tout citoyen, dénoncer une infraction (article 161 du code de procédure pénale).

Cependant, leur position est différente des victimes personnes morales ou physiques. Ainsi, il semble qu’une association de défense ne puisse pas faire appel de la décision du procureur de la Reine de classer sans suite une infraction. En effet, l’article 12 du code de procédure pénale prévoit que seul " l’intéressé direct " peut faire appel de la décision. Or, une association de défense n’a pas un intérêt direct dans la poursuite de l’infraction.

Par contre, le droit civil a sensiblement amélioré la situation des associations de défense en modifiant le code civil dans le sens d’un élargissement du droit des associations dans la défense d’un intérêt collectif.

Dans un premier temps, les tribunaux avaient rejeté l’action d’intérêt collectif des associations. Puis, la loi est intervenue afin d’autoriser certaines associations à agir, mais uniquement dans certains domaines précis (publicité mensongère et enregistrement de données personnelles, égalité des hommes et des femmes, ...).

Dans un second temps, la jurisprudence, à partir d’un arrêt du 27 juin 1986, a également étendu le domaine d’application de la défense d’un intérêt collectif aux associations de défense de l’environnement et aux associations de lutte contre le racisme.

En dernier lieu, le code civil, dans un article 3.11.8.a, est venu autoriser toute association à agir pour la défense d’un intérêt collectif dès lors que trois conditions sont réunies. D’une part, l’association doit avoir la pleine capacité juridique, son acte constitutif doit avoir été rédigé par acte authentique. D’autre part, l’association doit avoir pour finalité la promotion des intérêts d’autrui. Enfin, son action n’est possible que s’il s’agit du seul moyen de faire cesser l’atteinte.

 

RAPPORT DE SYNTHÈSE

 

 

 

 

 

THÈME 1 : COHÉRENCE ET DIVERSITÉ DES SYSTÈMES PROCÉDURAUX EN EUROPE

Au terme de cette analyse, force est de constater qu’il existe autant de pays parmi ceux étudiés qui ont opté pour le principe de légalité des poursuites que pour celui de leur opportunité. En revanche, les adaptations que chacun y apporte transforment considérablement l’importance de la participation du représentant de la société (désigné ici sous le nom générique de ministère public même si parfois il ne s’agit pas exactement de la même institution) et de celle de la victime.

 

L’application du principe de légalité des poursuites (Italie, Allemagne, Espagne)

 

Application concurrente des principes de légalité et de monopole des poursuites appartenant au ministère public (Italie et Allemagne)

L’Italie et l’Allemagne appliquent de manière concurrente le principe de légalité des poursuites (il y a donc déclenchement des poursuites dès qu’une infraction est dénoncée aux autorités compétentes) et le principe du monopole des poursuites par le ministère public (qui est dès lors le seul ‡ pouvoir déclencher et exercer l’équivalent de notre action publique). Dans cette hypothèse, le ministère public joue un rôle dominant dans l’exercice des poursuites. Il faut néanmoins constater que, en Italie comme en Allemagne, le principe de légalité connaît deux séries de limites ayant des finalités distinctes : soit elles tendent vers un renforcement des prérogatives du ministère public, soit elles profitent au contraire aux victimes. En toute hypothèse, elles donnent un éclairage plus précis sur l’équilibre des pouvoirs des parties, en principe, accusatrices au procès pénal.

 

Les limites du principe de légalité des poursuites renforçant les prérogatives du ministère public

- La possibilité pour le ministère public de décider d’un classement sans suite de l’affaire : elle est prévue de manière restreinte en Italie où le classement sans suite ne peut être envisagé que dans des cas strictement prévus par la loi, laissant peu de place à l’opportunité. En revanche, en Allemagne, il existe de nombreuses hypothèses, exclusivement prévues par la loi, où une infraction ne sera pas poursuivie soit pour des raisons de fond ou de forme (défaut de poursuites pour irrégularité de la procédure, délai de prescription écoulé, défaut de l’un des éléments constitutifs de l’infraction), soit par application du principe réglementé d’opportunité des poursuites.

- L’usage d’une justice négociée : en Italie, ministère public et personnes poursuivies peuvent demander au juge d’appliquer la peine sur laquelle ils se sont mis d’accord.

 

Les limites au principe de légalité des poursuites favorables à la victime

- La poursuite des "infractions privées" subordonnée à la plainte préalable de la victime : l’Italie et l’Allemagne prévoient que dans l’hypothèse où l’infraction n’a atteint que des intérêts strictement privés (atteinte à l’honneur ou à la considération, vie privée) les poursuites ne pourront être engagées que si préalablement la victime a porté plainte devant l’autorité compétente. Ici, la victime peut disposer indirectement de l’action publique.

- Le recours contre une décision de classement sans suite : ce recours est ouvert aux victimes, en Allemagne et en Italie, mais il n’a pas pour résultat direct de déclencher l’action publique. La juridiction saisie de ce recours se prononce sur la régularité du classement sans suite et le confirme ou l’infirme.

- La procédure d’accusation privée : l’Allemagne prévoit que, pour un nombre limité d’infractions, la victime a l’initiative des poursuites et les exerce sans pour autant avoir les mêmes pouvoirs de contrainte que le ministère public.

Conclusion : les systèmes procéduraux qui appliquent simultanément les principes de légalité et de monopole des poursuites donnent une place dominante au ministère public. La victime n’a qu’exceptionnellement un rôle actif dans le déclenchement des poursuites. Il faut noter que lors de la phase de jugement, cet effet devient relatif en Italie où la victime peut avoir une participation au procès plus déterminante.

 

Application du principe de légalité des poursuites sans monopole des poursuites au profit du ministère public (Espagne)

- Le principe de légalité appliqué en Espagne ne prive pas le ministère public du pouvoir de classer sans suite, mais cette décision peut être aisément remise en cause :

- soit par la victime : elle dénonce alors l’infraction au juge d’instruction sans avoir à satisfaire à la formalité de la plainte ou au versement d’une caution ;

- soit par n’importe quel citoyen : il procède à la même dénonciation mais doit porter plainte et verser une caution dans l’hypothèse où son action s’avérerait téméraire.

Dans ce cas, n’importe quel citoyen, et a fortiori la victime, peuvent agir par voie d’action et par voie d’intervention au travers de la procédure d’accusation particulière.

- En outre, le principe de légalité des poursuites en Espagne se décline suivant deux aspects : le ministère public poursuit d’office les infractions qui portent atteinte à l’intérêt général et qui sont qualifiées de publiques ou semi-publiques. En revanche, pour les infractions dites privées, seule la victime, par une procédure d’accusation privée, dispose de l’initiative des poursuites.

Conclusion : pour établir l’équilibre des parties au procès pénal en Espagne, il faut distinguer suivant l’étape du procès considérée. Le principe de légalité des poursuites est en quelque sorte le corollaire du droit au juge reconnu constitutionnellement. En application du principe de légalité, le ministère public doit poursuivre toutes les infractions publiques ou semi-publiques qui sont portées à sa connaissance. En toute hypothèse, s’il ne le fait pas, tout citoyen qu’il soit victime ou non, peut l’obliger à poursuivre. Lors de l’enquête, le ministère public dispose de pouvoirs d’investigation et de contrainte que l’accusateur particulier n’a pas (en revanche, il a un droit d’information sur le déroulement de l’enquête). Au cours de la phase de jugement, le ministère public est une partie au procès pénal comme les autres : représentant la société, il peut requérir la condamnation de la personne poursuivie comme la déclaration de son innocence mais il n’a pas plus de pouvoirs quant au déroulement du procès que les autres accusateurs dont l’action tend aussi à obtenir la déclaration de culpabilité et le prononcé d’une peine. L’intervention de la victime n’est donc pas fondée exclusivement sur l’obtention d’une réparation pour le préjudice occasionné par l’infraction.

 

L’application du principe d’opportunité des poursuites (Pays-Bas, Belgique et France, Grande-Bretagne)

 

Une opportunité limitée (Belgique et France).

En Belgique comme en France, le déclenchement des poursuites est dominé par le principe d’opportunité qui laisse au ministère public le choix de décider s’il poursuit l’infraction qui a été portée à sa connaissance ou s’il classe l’affaire. Cette décision de classement sans suite ne peut faire l’objet d’un recours. Néanmoins, cette mesure est largement atténuée par la possibilité pour la victime de se constituer partie civile et, par l‡ même, de déclencher l’action publique. Ici, la victime a la possibilité de jouer un rôle moteur dans la poursuite des infractions.

 

Une opportunité renforcée (Pays-Bas et Angleterre)

 

Opportunité et monopole des poursuites (Pays-Bas)

- Cette opportunité est renforcée, aux Pays-Bas, par le monopole des poursuites détenu par le procureur de la Reine. Ce pouvoir est faiblement atténué par la possibilité pour la victime d’exercer un recours contre la décision de classement sans suite (en bénéficiant d’un double degré de juridiction). La juridiction qui se prononce sur le recours peut infirmer comme confirmer le classement sans suite. La victime ne peut alors agir par voie d’intervention, que si le procureur de la Reine a déclenché les poursuites, par voie d’intervention.

- Le système procédural néerlandais ne privilégie donc nullement la victime au cours du procès, la place dominante est réservée au représentant de la société, les Pays-Bas suivant jusqu’au bout la logique du principe de l’opportunité des poursuites.

 

Le double degré d’opportunité (Angleterre)

- Le système procédural anglais connaît effectivement un double degré d’opportunité : les services de police décident dans un premier temps s’il y a lieu de procéder à une enquête sur les faits qui ont été portés à leur connaissance. Une fois les résultats de l’enquête transmis à l’autorité qui représente la société au procès pénal, celle-ci apprécie à son tour si les faits considérés sont dignes d’entraîner une procédure judiciaire. La victime ne dispose d’aucun recours contre ces deux décisions.

- Elle peut néanmoins intervenir de sa propre initiative (private prosecution) mais dans des conditions telles qu’il est possible d’affirmer que la victime n’est pas la bienvenue au procès pénal. En ce sens, la procédure anglaise se distingue très nettement des autres procédures européennes puisqu’elle restreint considérablement les prérogatives de la victime au procès pénal, y compris pour la réparation du préjudice résultant de l’infraction.

 

Conclusion :

- Le choix du principe de légalité ou d’opportunité des poursuites n’est pas significatif à lui seul de la place réservée à la victime. D’une manière générale, sauf en France et en Belgique (où les deux procédures sont à peu de chose près identiques) et en Espagne, la victime joue un rôle secondaire voire inexistant en matière de déclenchement des poursuites. Le plus souvent, ce n’est seulement qu’au cours de la phase de jugement que la victime peut être plus active.

- Il est important de noter que, sauf aux Pays-Bas, toutes les fois où la victime ne peut déclencher directement la poursuite d’une infraction, elle peut le faire indirectement par un recours (qui peut ne pas lui donner satisfaction) contre la décision de classement sans suite. Il faut cependant noter que, en Angleterre, la possibilité pour la victime de déclencher directement le procès est peu encouragée et sans que la victime ait pour autant une possibilité de recours contre les décisions de classement.

- Enfin, certains pays envisagent l’action de particuliers comme un acte de citoyenneté, une manifestation de la participation active à l’œuvre de justice. La procédure espagnole est significative puisqu’elle autorise n’importe quel citoyen à déclencher les poursuites et à agir, au cours du procès pour l’obtention d’une peine. L’Italie autorise également le particulier, mais à condition qu’il soit victime (ce qui est plus restrictif) à conforter en quelque sorte l’accusation essentiellement dirigée par le ministère public. Enfin, la Grande-Bretagne ne donnant pas plus de droit à la victime qu’à n’importe quel citoyen, permet dans la même mesure à celui-ci de dénoncer une infraction et de constituer personnellement un dossier d’enquête.

THÈME 2 : la place de la victime, Prise en considération croissante mais inégale.

 

la victime dans le procès pénal

Malgré l'attention portée à la victimologie, la place de la victime reste très limitée en droit allemand. Son statut est celui de témoin et non de partie au procès. Face au juge répressif se placent le ministère public et l'accusé, la victime paraissant négligée. Ce n'est que lors d'une audience civile, et devant une juridiction civile, que la victime et les associations sont reconnues comme parties afin d'obtenir réparation. Les mécanismes prévus par le droit allemand pour intégrer la victime au procès pénal n'ont donc qu'une portée réduite, la " Privatklage " se présentant néanmoins comme une exception notable au monopole des poursuites conféré au ministère public.

La victime dans la procédure pénale anglaise bénéficie d'un droit d'action par le biais de la "private prosecution". Toutefois, cette possibilité d'agir connaît des insuffisances. Lorsque la victime intervient seule, elle dispose de peu de moyen d'actions, ce qui explique le grand nombre de " private prosecution " exercée par des personnes morales de droit privé. En effet, seules ces dernières semblent financièrement aptes à supporter le poids d'un procès pénal. Il faut noter néanmoins que ces personnes morales n'interviennent pas en leur nom propre, mais agissent par l’intermédiaire de l’un de leurs membres, soit pour aider une victime personne physique soit pour défendre son intérêt propre. La critique la plus vive concernant la situation des victimes dans cette procédure, est relative à l'étendue, au montant et à la décision d'octroi de l'indemnisation. Des projets, non aboutis à ce jour, prévoient une meilleure indemnisation des victimes, par ailleurs réclamée par de nombreuses associations de défense de victimes.

En France et en Belgique le sort des victimes d’infractions pénales est devenu une préoccupation considérable des juristes puis du législateur depuis les années 1970, comme l’illustrent différentes initiatives prises en faveur des victimes.

Sensibilisée par les travaux de l’Association Internationale de Droit Pénal, de la Société Mondiale de Victimologie ainsi que du Comité européen, la Société belge de Criminologie organisa en 1984, à l’occasion de son Assemblée générale, une conférence sur le sujet : " de l’indemnisation publique des victimes d’infractions à l’approche victimologique de la justice pénale ".

Dès 1982, en France, la Chancellerie publia un " Guide des droits des victimes " destiné à informer celles-ci des démarches à suivre afin d’obtenir réparation. En 1986, le Ministère de la Justice créa un réseau associatif coordonné par l’Institut National d’Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM) et destiné à apporter son concours aux victimes d’infractions.

En France comme en Belgique, la participation de la victime au procès pénal n’est pas récente. Le courant de prise en considération de la victime s’est donc essentiellement traduit par des améliorations dans les domaines de l’indemnisation des victimes.

En Belgique, dès 1982, fut décidée la rédaction d’un Livre Blanc sur l’indemnisation des victimes d’infractions destiné à recenser les obstacles auxquels se heurtaient les victimes dans leurs démarches aux fins d’indemnisation. La loi du 1er août 1985 a comblé la lacune observée dans ce rapport s’agissant de l’indemnisation publique des victimes d’infractions. Elle organise en effet l’indemnisation publique des victimes d’actes intentionnels de violence.

En France, depuis 1977, six lois se sont succédé afin d’organiser l’indemnisation étatique des victimes. La loi du 6 juillet 1990 relative aux victimes d’infractions violentes a partiellement uniformisé les systèmes d’indemnisation des victimes d’attentats et d’infractions pénales en posant le principe de l’indemnisation intégrale pour les infractions violentes sous réserve de la prise en compte des sommes versées par d’autres organismes.

En droit espagnol, la victime peut agir comme partie accusatrice au procès pénal. Selon le type d’infraction commise, la victime sera une partie accessoire ou indispensable au procès pénal et ce, dès le déclenchement des poursuites. Dans le premier cas, elle agira en tant qu’accusateur particulier : cette voie lui est ouverte chaque fois qu’elle aura subi une atteinte relevant de la qualification de délit " public ou semi-public ". Concernant certaines infractions (calomnie ou injures) la participation de la victime est nécessaire au déclenchement des poursuites. Son intervention sera parallèle à celle du ministère public, sans qu’elle dispose des mêmes prérogatives que lui. Dans le second cas, la victime agira comme accusateur privé : cette action est réservée aux victimes de délits " privés " (injures privées) :le ministère public ne peut pas intervenir dans cette catégorie de procédure. Dans l’une et l’autre hypothèse, la victime peut engager l’action civile devant la juridiction de son choix : civile ou pénale, afin de voir son préjudice réparé.

La procédure pénale italienne, d’inspiration légaliste, donne une place importante à la victime dans le procès pénal. Ainsi, toute personne victime d’une infraction peut, à l’occasion du procès, bénéficier de l’assistance d’un avocat, présenter un mémoire, apporter des moyens de preuve, demander au Président de poser des questions aux témoins.

La tradition hollandaise n’accorde pas une place importante à la victime. En dehors du droit de faire appel de la décision de classement sans suite du Procureur, elle ne peut agir en justice que par la voie de l’intervention. Néanmoins, un mouvement de réforme en faveur des droits de la victime d’une infraction apparaît aux Pays-Bas. Ainsi, un fond spécial d’indemnisation a été instauré.

Les efforts du législateur pour améliorer le sort des victimes d’infractions ont eu pour corollaire de permettre aux associations de victimes de prendre part au procès pénal.

 

Les personnes morales en particulier

En Allemagne, les personnes morales peuvent évidemment agir lorsqu'elles sont directement victimes d'une infraction, comme le ferait une victime individuelle. Mais elles ne peuvent intervenir pour représenter lors d'un procès pénal un intérêt collectif visé par leurs statuts, excepté, et pour certaines personnes morales seulement, en matière de concurrence déloyale. La personne morale doit donc, comme les particuliers, s'adresser aux juridictions civiles ou administratives. Actuellement, la controverse en Allemagne porte bien plus sur le statut de la victime dans le procès pénal que sur d'éventuelles prérogatives pour les personnes morales.

En procédure pénale espagnole, il est nécessaire de rappeler que pour agir l’association doit avoir la personnalité juridique et qu’elle l’acquiert en se soumettant à certaines formalités. Si l’association est la victime directe d’une infraction : elle pourra agir, comme tout citoyen selon les modalités de l’accusation particulière ou de l’action privée, selon le type d’infraction dont elle aura été victime.

Si l’association est la victime d’une infraction qui a atteint les intérêts qu’elle se propose de défendre, elle aura alors tout intérêt à agir par la voie de l’action populaire. En effet, cette action est ouverte à tout citoyen même s’il n’est pas victime de l’infraction.

Le tribunal constitutionnel ayant reconnu cette voie ouverte aux associations, c’est pour elles le meilleur moyen de défendre leurs intérêts, même atteints de manière indirecte. Il en va de même lorsque la victime ne veut ou ne peut agir, ou encore lorsqu’elle est inconnue : une association peut alors agir par la voie de l’accusation populaire. Cette situation ne va pas sans risques : en effet, si aujourd’hui les associations sont encore peu actives, il est à craindre que cette possibilité qui leur est offerte donne lieu à un engorgement des tribunaux si aucune condition n’est requise pour les laisser intervenir.

Les groupements ou les associations sans but lucratif peuvent également avoir un rôle actif dans le procès pénal italien. Le code de procédure pénale italien pose les conditions de cette intervention. Outre la nécessaire constitution avant l’infraction et la reconnaissance de leur statut par la loi, les groupements ou les associations qui entendent défendre les intérêts de la victime, doivent préalablement en recueillir le consentement.

En droit hollandais, l’action des associations devant les juridictions répressives est assez restreinte. Par contre, leurs droits ont été plus largement reconnus devant les juridictions civiles.

Le système procédural belge comme le système français pose, parmi les conditions de recevabilité de l’action civile, l’exigence d’un préjudice personnel. Faute de préjudice personnel, les associations de défense d’intérêts collectifs ne sont en principe donc pas recevables à exercer l’action civile lorsque l’infraction porte atteinte à l’intérêt de leurs membres ou à l’intérêt collectif qu’elles représentent. Cependant les législateurs belge et français a prévu des dérogations à cette irrecevabilité de principe.

Ainsi, la loi belge du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie dispose, dans son article 5 alinéa premier, que lorsqu’un préjudice est porté aux fins statutaires qu’ils se sont donné pour mission de poursuivre, tout établissement d’utilité publique et toute association jouissant de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits et se proposant par leurs statuts de défendre les droits de l’homme ou de combattre la discrimination raciale, peuvent ester en justice dans tous les litiges auxquels l’application de cette loi donne lieu. L’alinéa 2 du même article pose cependant une condition à cette action civile lorsque l’infraction a été commise contre des personnes physiques en exigeant que le groupement justifie de l’accord de la victime.

Le droit français laisse en revanche apparaître une multitude de dérogations légales à l’irrecevabilité de l’action civile des associations s’agissant d’infractions atteignant l’ensemble de leurs membres. Le Code de procédure pénale, dans ses articles 2-1 et suivants a donné à un nombre sans cesse croissant d’associations la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile (associations de lutte contre le racisme et d’assistance aux victimes de discrimination nationale, ethnique, raciale ou religieuse, associations de lutte contre les violences sexuelles, associations de défense ou d’assistance à l’enfance martyrisée, associations de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et de défense des intérêts moraux de la Résistance et des déportés, associations de protection des animaux...). D’autres dérogations sont contenues dans d’autres codes. Ainsi, l’article L. 421-1 du Code de la Consommation admet l’action civile des associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs relativement à des faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs. De même, le Code rural, dans son article L. 252-3, admet la recevabilité de l’action civile des associations de protection de la nature, de pêche et de pisciculture en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air....

Une plus vaste énumération n’est pas utile pour caractériser les abus commis par le législateur français qui, par la prolifération des textes dérogatoires, a privé de toute portée le principe de l’irrecevabilité de l’action civile des associations pour la défense d’un intérêt collectif. Le système actuel a notamment pour conséquence la multiplication de constitutions de partie civile d’associations dans une même espèce, parfois dans l’unique but d’assurer à ces associations une couverture médiatique et sans que celles-ci ne servent particulièrement les droits des victimes.

Ce constat nous amène à formuler des propositions tendant à l’amélioration du système français actuel.

 

THÈME 3 : PROPOSITIONS

 

Nos propositions ne tendent pas à remettre en cause la possibilité d’ouvrir à certaines associations la faculté d’exercer l’action civile. L’étude des inconvénients des systèmes voisins ainsi que des aspirations doctrinales qui s’y rapportent permet en effet de constater que le système français assure aux victimes une situation sinon satisfaisante, au moins plus favorable que dans la plupart des pays voisins. Nos propositions tendent plutôt à aménager tant les conditions que les modalités de l’exercice de l’action civile par les associations.

 

 

Proposition relative aux conditions de l’action civile des associations

L’examen plus poussé des dérogations législatives laisse apparaître des divergences injustifiées dans les conditions de l’admission de l’action civile des associations :

—  Les unes doivent en effet être reconnues d’utilité publique (associations de lutte contre le proxénétisme : loi du 9 avril 1975), les autres doivent avoir reçu un agrément (associations de défense de la langue française : article 2-14 du C.P.P.). Certaines enfin doivent faire l’objet d’une inscription administrative (association des anciens combattants et victimes de guerre doivent faire l’objet d’une inscription auprès de l’Office National des anciens combattants et victimes de guerre : article 2-11 du C.P.P.) ;

—  La condition de durée d’existence n’est pas toujours posée pour chaque association. Le plus souvent, il est exigé que les associations habilitées à exercer l’action civile soient déclarées depuis cinq ans au moins. Cependant, certains textes dérogatoires ne comportent pas cette exigence. Ainsi, l’article 2-14 du Code de procédure pénale n’exige aucune condition de durée pour les associations de défense de la langue française dotées de la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions aux dispositions des textes pris pour l’application de la loi du 4 août 1994.

Compte tenu des incohérences, il paraît nécessaire d’harmoniser les conditions d’admission de l’action civile des associations.

Par ailleurs, des critères jusque-là ignorés du droit français peuvent être proposés. Ces derniers pourraient se rattacher d’une part au nombre de membres qui composent l’association. D’autre part, ils pourraient porter sur un contrôle opéré par les autorités judiciaires sur la réalité et la constance des activités de l’association.

Ces conditions plus restrictives permettraient de limiter quantitativement le recours des associations tout en leur conférant une légitimité accrue.

 

Proposition relative aux modalités de l’action civile

Une autre approche consisterait à limiter l’intervention des associations au travers des cas d’ouverture de leur action civile.

S’agissant des modalités de l’action civile, certaines associations ne sont dotées de la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile que sous la condition que l’action publique ait été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée (associations de défense ou d’assistance de l’enfance martyrisée : article 2-3 du C.P.P.). D’autres ne peuvent se constituer partie civile que si elles justifient avoir reçu l’accord de la victime (association de défense ou d’assistance aux personnes malades ou handicapées : article 2-8 du C.P.P.).

Dans le domaine des modalités comme celui des conditions de l’action civile, il semblerait indispensable d’uniformiser le régime d’admission de l’action civile des associations.

Atteinte seulement de façon indirecte par l’infraction, il nous semble que l’association ne doit pouvoir prétendre à aucune réparation à l’occasion du procès pénal. En revanche, elle peut avoir un rôle de soutien financier et moral lorsque la victime le désire. L’action de l’association a donc deux fondements distincts : la répression de l’infraction de la victime directe et l’indemnisation de la victime. En l’absence d’action du ministère public, l’action civile des associations serait alors motivée par la défense d’un intérêt uniquement répressif. Ainsi en déclenchant les poursuites, l’action des associations permettrait de remédier au défaut de poursuite du ministère public. A l’instar de l’Espagne de l’Italie et de la Grande-Bretagne, l’action de l’association serait alors envisagée comme la participation à l’œuvre de justice c’est-à-dire uniquement tournée vers la répression et non axée sur la réparation de son préjudice ; elle serait un acte de " citoyenneté ". En revanche, lorsque le ministère public décide de déclencher les poursuites, la finalité répressive de l’action civile de l’association disparaît. Selon nous, son action tournée vers la répression n’aurait plus lieu d’être car l’intérêt collectif qu’elle représente est englobé dans l’intérêt général que défend le ministère public. L’association ne pourrait agir qu’avec le consentement de la victime et dans l’intérêt exclusif de celle-ci.

A cet égard, il convient de rappeler que le système italien exige le consentement de la victime lorsqu’une association décide de défendre les intérêts qui ont été lésés par l’infraction.. Cependant, dans certaines hypothèses cette condition de l’accord de victime n’est pas pertinente. En effet, certaines associations sont déjà tenues d’obtenir le consentement de la victime mais sont dégagées de cette obligation toutes les fois où ces victimes sont indéterminables. Ainsi, les associations se proposant de combattre les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre, dotées de la faculté d’exercer l’action civile pour ces infractions, ne peuvent pas justifier de l’accord des victimes de ces crimes. La multiplicité de ces dernières ne permet en effet pas de les déterminer. Il en est de même pour l’infraction de diffamation raciale ou religieuse visant une communauté dans sa totalité. Parfois également, les victimes des infractions poursuivies ne sont plus en vie pour donner leur accord.

annexe

l’action civile des personnes morales
(Tableau)

 

1. Syndicats professionnels

Origine jurisprudentielle : Cassation, chambres réunies, 5 avril 1913

Codification : art. L. 411-11 du code du travail

art L. 127-6 du code du travail

art. L. 97 du code des débits de boissons

art. L. 375 du code de la santé publique

art. L. 217-8 du code de la consommation

Unions de syndicats

Codification : art. L. 411-23 du code du travail

art L. 341-6-2 du code du travail

2. Ordres professionnels et organismes assimilés

Médecins

Article L. 375 du code de la santé publique

Pharmaciens

Article L. 538 du code de la santé publique

Avocats

Loi du 3 avril 1942

Loi du 31 décembre 1971

Loi du 31 décembre 1970

Notaires

Loi du 25 ventôse an IX

Ordonnance 45-2590 du 2 novembre 1945

 

Huissiers

Ordonnance 45-2592 du 2 novembre 1945

Experts-comptables

Ordonnance du 19 septembre 1945

Architectes

Loi du 31 décembre 1940

Loi du 3 janvier 1977

Géomètres Experts

Loi n° 46-942 du 7 mai 1946

Vétérinaires

Article L. 309 du code rural

Chirurgiens-dentistes

Article L. 375 du code de la santé publique

Sages-femmes

Article L. 375 du code de la santé publique

Masseurs kinésithérapeutes

Article L. 491-1 du code de la santé publique

Infirmiers

Article L. 484 du code de la santé publique

Commissaires-priseurs

Ordonnance du 27 juin 1816

Ordonnance du 2 novembre 1945

Organisations professionnelles de pêcheurs – Prud’hommes pêcheurs

Décret-loi du 9 janvier 1852

Loi du 3 janvier 1986

 

3. Personnes morales de droit public

Incendie volontaire de forêt :

Personnes morales de droit public

Article 2-7 du code de procédure pénale

Environnement :

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
(ADEME)

Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres

Agence financière de bassin

Article L. 253-1 du code rural

Patrimoine :

Caisse nationale des monuments historiques et des sites

Article L. 253-1 du code rural

4. Associations

a) Associations privilégiées (art. 2-1 à 2-16 du code de procédure pénale)

 

Ancienneté

Répression de
certaines infractions

Accord de la victime
(ou du titulaire de l’autorité parentale ou
du représentant légal)

Mise en œuvre
préalable de
l’action publique

Racisme et discrimination fondée sur l’origine

Art. 2-1

X
5 ans

X

   

Violences, violences sexuelles

Art. 2-2

X
5 ans

X

X

 

Enfance martyrisée

Art. 2-3

X
5 ans

X

 

X

Crimes contre l’humanité, crimes de guerre

Art. 2-4

X
5 ans

     
         

Apologie des crimes contre de guerre ou de collaboration, destruction de monuments, violation de sépultures, diffamation ou injures

Art. 2-5


X
5 ans

     

Discrimination fondée sur le sexe ou les mœurs

Art. 2-6

X
5 ans

X

X
pour certaines infractions

 

Discrimination en raison de l’état de santé ou du handicap

Art. 2-8

X
5 ans

X

X

 

Terrorisme

Art. 2-9

X
5 ans

X

 

X

Lutte contre l’exclusion sociale ou culturelle

Art. 2-10

X
5 ans

X

X

 

Anciens combattants, victimes de guerre, morts pour la France

Art. 2-11

X
5 ans
inscription auprès
de l’ONAC

     

Délinquance routière

Art. 2-12

X
5 ans

X

X

X

Protection des animaux

Art. 2-13

X
5 ans

X

   

Défense de la langue française

Art. 2-14


Aucune nécessité
d’un agrément

X

   

Accident dans les transports collectifs ou les locaux ouverts au public

Art. 2-15


Aucune nécessité
d’un agrément

   

X

Toxicomanie et trafic de stupéfiants

Art. 2-16

X
5 ans

X

 

X

 

b) Associations privilégiées (hors code de procédure pénale)

 

Ancienneté

Agrément

Reconnaissance
d’utilité publique

Accord de la victime
(ou du titulaire de l’autorité parentale ou
du représentant légal)

Mise en œuvre
préalable de
l’action publique

Protection des appellations d’origine

Art. L. 115-17 du code de la consommation


X
6 mois

       

Protection de la famille, défense de la moralité

– Art. 3 du code de la famille et de l’aide sociale (UNAF et UDAF)

– Loi du 30 juillet 1987 (associations de parents d’élèves)




X

       

Lutte contre l’alcoolisme

– Art. L. 96 du code des débits de boissons

– Art. L. 97 du code des débits de boissons (ligues)



X

 



X

   

Tabagisme

Art. L. 355-32 du code de la santé publique

X
5 ans

       

Proxénétisme

Loi du 9 avril 1975

   

X

   

Sport

– Dopage

Loi du 28 juin 1989

– Prévention de la violence

Loi du 13 juillet 1992




X
3 ans

X
Fédérations sportives

X

     

Consommateurs

Art. L. 421-1 et s. du code de la consommation

 


X

     

Auteurs

Art. 331-1 du code de la propriété intellectuelle

         
           

Protection de la nature

Art. L. 252-1 du code rural : cadre de vie, eau, air, sols, sites, paysages, urbanisme, pollution, nuisances ...

X
3 ans

X

     

Installations classées

Loi du 19 juillet 1976

X
5 ans

       

Pêche

Art L. 238-9 du code rural

 

X
Fédérations
départementales
associations agréées

     

Patrimoine archéologique

– Art. 322-2 du nouveau code pénal

Code pénal

– Loi du 18 décembre 1989



X
3 ans



X

     

Urbanisme

Art L. 160-1 et L. 480-1 du code de l’urbanisme

X
3 ans

X

     

Fraude fiscale

– Art. 1741 et 1743 du code général des impôts

– Art. L. 233 du livre des procédures fiscales

 



Syndicats et
organismes
professionnels

   



X

Entraves à l’I.V.G.

Art L. 162-15-1 du code de la santé publique

X
5 ans

       

Publicité

– Art. L. 252-1 à L. 252-4 du code rural

– Art. L. 160-1 et L. 121-8 du code de l’urbanisme



X



X
(Associations locales
d’usagers)

     
 

 

 

 

 

       

Presse

– Racisme, discrimination, apologie de certains crimes ou délits, " révisionnisme "

Loi du 1er juillet 1972

Loi du 13 juillet 1990

– Jeunesse

Loi du 16 juillet 1949

– Moralité

– Jeunesse et éducation populaire


X
5 ans











X

X











X

   

Investisseurs

– Loi du 5 janvier 1988

– Loi du 23 juin 1989

– Loi du 8 août 1994