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Annexe III :
Compte rendu de l'audition publique
« MITCH : QUELLES LEÇONS
POUR LA FRANCE ? »

Jeudi 10 décembre 1998

Participants (par ordre d'intervention)

Dr Roger FERNANDEZ, ONG RHEA - Terre d'échanges

Dr Dominique SASSOON, ONG RHEA - Terre d'échanges

Lieutenant-Colonel Daniel MOINE, chef d'Etat-major de la Sécurité civile

Capitaine de frégate JOLY, Etat-major des Armées, ministère de la Défense

M. Juan MENDOZA, Ministre conseiller à l'Ambassade du Guatemala

Mme Catherine GÉNISSON, Députée, Présidente du Groupe d'amitié France Guatemala

Docteur Michel BONNOT, directeur de la Cellule d'Urgence et de Veille au MAE

Dr Alain MARGENET, directeur du SAMU 94

M. Jean-Claude HEYRAUD, responsable de l'évaluation au sein d'ECHO

M. Renaud VIGNAL, Directeur d'Amérique, ministère des Affaires étrangères

Capitaine de vaisseau Philippe SAUTTER, Chef adjoint du Cabinet militaire du ministre de la Défense

M. Jean-Louis RAVARD, directeur délégué pour l'outre-mer à Météo-France

M. Charly VIGNAL, sous-direction de la prévention des risques majeurs

M. Antoine LASSERRE-BIGORRY, responsable de la cellule recherche cyclonique au centre météorologique régional spécialisé de Météo-France à Saint-Denis de la Réunion

Mme Pascale DELÉCLUZE, responsable de l'équipe de modélisation au Laboratoire d'océanographie dynamique et de climatologie du CNRS-IRD-Paris VI

M. Jacques MERLE, directeur de l'Unité de recherche « Climat » à l'Institut de Recherche pour le Développement

M. Michel DESBOIS, directeur adjoint du Laboratoire de météorologie dynamique de l'Ecole Polytechnique

M. Jean-Marie FRITSCH, directeur de l'Unité de recherche « Usages de l'eau » à l'IRD

M. André MANGIN, directeur Risques naturels au CNES

M. Jean-Claude CAZAUX, Président de SCOT CONSEIL

M. Michel POUSSE, responsable projet SPOT à SPOT IMAGE

M. Jean-Claude NAPIAS, ancien directeur du CIFEG

M. Pierre CALVAS, Action d'Urgence Internationale

M. Pascal DOUARD, adjoint au Délégué aux risques majeurs

M. Marc WECKSTEIN, directeur de la cellule prospective du CSTB

M. Eric LEROI, directeur Risques naturels au BRGM

M. Pierre MOUROUX, conseiller à la direction Risques naturels du BRGM

M. Philippe MASURE, chargé de mission Risques et Aménagement du territoire au BRGM, vice-président du Comité français de la DIPCN

La séance est ouverte à 14 heures 30 sous la présidence de Monsieur Christian KERT, député, rapporteur de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. le Président - Merci d'être présents ; merci de vous être déplacés. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une séance sur un thème très précis. Le terme « publique » ne signifie pas que c'est ouvert à tous les publics puisque c'est une audition qui doit se trouver très ordonnée entre des experts des représentants de la presse et des parlementaires qui se joignent à nous.

Avant de vous faire une présentation rapide des deux tables rondes, je souhaite passer la parole à mon collègue le Sénateur Henri REVOL, qui est non seulement sénateur, mais président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour le compte duquel le rapport sur la prévention des risques naturels est actuellement élaboré.

Monsieur le Président, c'est donc l'une de vos premières prestations publiques en tant que président de l'Office parlementaire, puisque vous êtes devenu président il y a quelques semaines, et ce pour trois ans.

Je vous remercie de bien vouloir nous faire une brève présentation.

M. le Président Henri REVOL - Merci.

Chers collègues, Mesdames, Messieurs, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été créé par une loi du 8 juillet 1983, qui a précisé que son rôle était d'informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin notamment d'éclairer ses décisions.

A cet effet, il est chargé de recueillir des informations et de mettre en _uvre des programmes d'étude et de procéder à des évaluations. Il ne se saisit pas lui-même des sujets, mais c'est l'une ou l'autre des assemblées, par ses commissions ou ses groupes politiques et par le bureau de ses assemblées, qui effectue des saisines de l'Office parlementaire.

Au cours des dernières années, différents rapports importants ont été étudiés et publiés dans le domaine du nucléaire, qui fait parler beaucoup, dans le domaine de l'espace, des biotechnologies, de l'éthique médicale et, il y a un peu plus d'un an et demi, l'Office a été saisi sur le sujet des techniques de prévision et de prévention des catastrophes naturelles. Il a désigné Christian KERT comme rapporteur de cette étude et, depuis lors, Christian KERT s'emploie à conduire la mission qui est celle de l'Office parlementaire.

Au nom de l'Office parlementaire, je tiens à vous remercier d'avoir bien voulu vous prêter à l'organisation de cette audition d'aujourd'hui, très nombreux et tous très éminents dans le sujet qui préoccupe Christian KERT à l'occasion, malheureusement, d'une catastrophe survenue et que nous avons pu suivre sur nos petits écrans si je puis dire, dont vous avez été les uns et les autres les témoins et les acteurs des secours.

Au-delà de l'étude qui est faite aujourd'hui et de ce qui pourra en être tiré, je tiens à vous remercier, toutes et tous, de la contribution que vous avez apportée au nom de la France dans le traitement des effets de cette catastrophe, et je vous souhaite d'excellents travaux.

Vous me pardonnerez, cher Ami, de ne pouvoir rester cet après-midi. J'ai participé ce matin à un colloque sur la politique spatiale où ont été évoqués les moyens que peuvent apporter les techniques spatiales à la prévision et aussi à l'évaluation des conséquences de désastres comme celui-ci ; je pense que c'est également un élément important dans ce domaine.

Bons travaux à toutes et à tous et félicitations au rapporteur qui, je le sais, a déjà beaucoup travaillé sur le sujet.

M. le Président - Merci Monsieur le Président.

Mesdames, Messieurs, nous allons fractionner l'après-midi de travail en deux tables rondes.

La première porte sur le constat de ce que furent la catastrophe et l'organisation des secours et, dans la seconde, nous évoquerons les améliorations possibles que nous pourrions préconiser en France pour lutter contre ce type de catastrophe.

J'ajoute qu'il s'agit d'une audition publique, qu'un certain nombre d'intervenants ont préparé leurs exposés, leurs interventions ; n'hésitez pas à lever la main pour intervenir en cours de débat. Il est bien évident que ce n'est pas une longue suite d'exposés magistraux mais qu'au contraire, au fur et à mesure que progressera le débat, un certain nombre de choses étant dites, il suffira à certains intervenants de seulement compléter.

Nous ne sommes pas obligés, ici, de devoir tenir dix ou quinze minutes d'exposé. Ce doit être très vivant pour que toutes celles et tous ceux d'entre vous qui le souhaitent puissent s'exprimer, même s'ils ne sont pas inscrits à la table ronde.

Pour ouvrir le débat, nous avons demandé à deux médecins provençaux, les docteurs FERNANDEZ et SASSOON, qui sont les responsables d'une organisation non gouvernementale, appelée RHEA Terre d'échanges, de venir nous faire part de leur expérience puisque, pour de tout autres raisons, ils se trouvaient en terre d'Amérique centrale au moment de la catastrophe, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas intervenus après ; ils étaient présents.

Le Docteur Roger FERNANDEZ est originaire de cette région du monde ; ils ont à la fois la vision de ce qui s'est passé, la vision de l'organisation de secours et ils peuvent déjà nous faire part de leurs réflexions sur ce que l'on pourrait améliorer en termes de prévention, puisqu'ils ont non seulement la connaissance de l'événement mais ils ont une connaissance antérieure du pays où ils vont l'un et l'autre exercer bénévolement, dans le cadre de l'activité de leur association, leurs talents de médecins.

Je passe donc la parole aux Docteurs FERNANDEZ et SASSOON qui vont se présenter et vous apporter leurs témoignages.

1. LE CONSTAT

    LES TEMOINS LORS DU CYCLONE MITCH AU NICARAGUA

Dr Dominique SASSOON (ONG RHEA - Terres d'échanges) - Nous étions dans le cadre d'une mission prévue du 17 au 31 octobre à Managua ; nos missions étaient surtout centrées sur l'enseignement, la formation et la démonstration en chirurgie de la main et en chirurgie urologique dans les différents hôpitaux de la capitale.

Cette collaboration avec le Nicaragua a commencé en 1981. En 1993, a commencé un centre d'urologie à l'hôpital Lenine Fonseca de Managua et, en 1997, nous avons signé une convention avec le ministère de la Santé pour établir les bases d'un échange et de perfectionnements en chirurgie. Cette mission très spécialisée ne nous a pas empêchés de voyager dans le pays, de visiter tous les hôpitaux de Managua (pour ceux qui connaissent l'hôpital Karl Marx ou Lénine, l'hôpital allemand nicaraguayen, l'hôpital Lénine-Fonseca, etc.

Au cours de nos séjours, nous avons également visité toute la région, avec en particulier les hôpitaux de Rivas de Granada ; nous sommes allés voir les dispensaires de San Juan del Sur, de l'île d'Ometepe, et de Corn Island. Nous avons donc des éléments de l'état sanitaire et géographique du Nicaragua avant cette catastrophe.

En règle générale, nous avons constaté que le sous-équipement hospitalier était absolument dramatique. Pour prendre quelques données générales, le Nicaragua compte à peu près quatre millions d'habitants, un peu plus d'un million dans la capitale, et la population est surtout concentrée sur la côte Pacifique.

Il faut savoir qu'en temps normal, pour faire quatre-vingts kilomètres pour monter au Nord, jusqu'à Leon, la deuxième ville du pays -nous y sommes allés le 18 octobre- il fallait déjà trois heures. Cinq ou six ponts étaient démolis ou peut-être en reconstruction, ce qui posait des problèmes très importants et, avec les précipitations diluviennes, il n'est pas du tout étonnant que les routes aient été coupées puisque, déjà en temps normal, la circulation se fait très mal.

Il faut savoir également que sur cette côte Pacifique, qui est la plus peuplée, on peut à peu près circuler jusqu'au Nord et jusqu'au Sud avec de grandes difficultés, mais qu'il n'y a aucun autre moyen de communication, ni terrestre, ni fluvial, entre la côte Ouest Pacifique et la côte Est Caraïbe. D'autre part, les moyens aériens dont dispose le Nicaragua sont relativement restreints puisqu'une compagnie privée fait la liaison entre la côte Pacifique et la côte Atlantique.

Ce pays compte donc quatre millions d'habitants. Il est actuellement dirigé par le Président Aleman ; nous avons constaté que c'était une démocratie libérale, résolument tournée vers une économie de marché, avec une relative liberté de la presse et de la radio.

Sur le plan du rapport du développement humain, le Nicaragua se situe à la cent vingt-sixième place, selon l'indicateur du développement humain, juste entre le Maroc et l'Irak. Les données économiques de ce pays sont relativement bonnes, d'après le FMI de la Banque Mondiale et, manifestement, le développement humain y est à peu près parallèle par rapport au produit intérieur brut, ce qui signifie que les richesses qui s'accroissent au niveau du pays profitent de manière à peu près satisfaisante à la population.

En revanche, nous avons constaté une misère très importante, car ces chiffres qui sont peut-être satisfaisants ne se traduisent pas au niveau de la population par une amélioration de ses conditions de vie.

Nous avons constaté environ 70 % de chômage ; sur le plan sanitaire, ceux qui ne travaillent pas ne sont pas couverts par un régime de sécurité sociale. Environ 20 % de salariés sont donc couverts et ont accès aux soins.

Pour vous donner un ordre d'idée, un médecin y gagne 100 dollars. Le pays sort d'une dure grève médicale pour des revendications salariales, et les médecins sont en général employés par l'Etat ; c'est l'héritage sandiniste, et les indications de la Banque Mondiale font état d'un nombre trop important de médecins. Il est donc prévu de supprimer des postes de médecin.

D'autre part, ces médecins ne veulent pas quitter la capitale ; une grande partie du pays est donc sous-médicalisée parce que les médecins payés par l'Etat ne veulent pas aller, soit sur la côte Caraïbe, soit dans les régions reculées.

Un médecin gagne donc environ 100 dollars par mois, une infirmière 60 dollars ; le SMIG est à peu près à 50 dollars ; lorsque l'on a une otite et que l'on veut acheter douze comprimés d'antibiotiques, cela coûte 40 dollars. Cela vous explique que la majorité de la population n'a pas accès aux soins.

Le système d'organisation médicale est tel que le diagnostic est bien fait. Le niveau médical est relativement bon, et il y a un système d'accès aux soins primaires qui fonctionne à peu près bien. Le problème est que, si le diagnostic est fait, le traitement ne peut être réalisé, faute de moyens, dans la grande majorité des cas.

Comme toujours dans les pays en voie de développement et dans les zones défavorisées, pour la majorité de la population, l'habitat est constitué avec du matériel local, c'est-à-dire des bois, des branches d'arbre, des tôles, et se situe évidemment dans des zones éco-sensibles, en bordure de rivière ou près de la lagune.

Le Nicaragua étant un pays de lacs et de volcans, à peu près dans le même temps, à la suite de deux années de sécheresse liées à El Nino, il y a eu des tremblements de terre assez violents, une éruption volcanique et des précipitations très importantes. De ce fait, toutes les conditions étaient réunies pour qu'il y ait des glissements de terrain, des débordements et probablement de nombreux disparus.

Dans nos conclusions, nous voudrions insister sur le fait suivant : avant le cyclone, il y avait déjà dans la population de nombreux cas de choléra ; en visitant les hôpitaux, nous avions déjà détecté que des salles étaient réservées au choléra et que ces salles étaient pleines de patients. Il existait déjà, à l'état endémique, la malaria, la dengue, et aussi la leptospirose. Nous voudrions donc insister sur le fait que plusieurs facteurs expliquent probablement la morbidité extraordinaire de ce cyclone.

En premier lieu, il s'agit de l'état antérieur de la population, qui était relativement affaiblie, un peu dénutrie même si nous n'avons pas dénoté de famine importante, avec des sources potentielles d'épidémies très importantes et déjà existantes avant l'apparition de ces précipitations. Malgré les campagnes de vaccination organisées par le Gouvernement, en particulier contre la tuberculose, beaucoup de gens n'ont pas accès à ces vaccinations ; l'état de la population était donc déjà relativement affaibli.

En second lieu, l'habitat est de mauvaise qualité, et il y a absence complète de reconstruction du pays après le tremblement de terre de 1972, avec des infrastructures inexistantes, qu'elles soient routières, fluviales ou aériennes, très peu de moyens concernant les secours, et aussi probablement une mésestimation très importante de l'intensité du cyclone par les autorités.

Ce cyclone était prévu depuis de nombreuses semaines et nous n'avons pas constaté dans la presse ou à la radio des avertissements importants ; nous n'avons pas non plus constaté des systèmes de prévention, des systèmes de réserves alimentaires par exemple, pour garantir d'une famine la population potentiellement à risques.

Il était donc prévisible que, du fait de tous ces éléments et du sous-équipement des hôpitaux, cette catastrophe ait eu beaucoup de mal à être gérée, et probablement que les associations humanitaires et les secours sur place aient rencontré d'énormes problèmes pour accéder aux zones qui en avaient le plus besoin.

Pour notre part, nous souhaitons continuer notre action de développement au Nicaragua en travaillant essentiellement dans les hôpitaux, en développant un centre d'urologie et un centre de chirurgie de la main. Nous sommes également tout à fait prêts à participer à une mission d'évaluation sur l'état sanitaire global, pour donner notre avis sur les meilleurs moyens d'investir et d'équiper, que ce soit en technologie ou en consommable, les hôpitaux de Managua.

Je cède la parole à Roger Fernandez.

Dr Roger FERNANDEZ (ONG RHEA -Terres d'échanges) - Soyez indulgents pour mon accent, mais une diapositive vaut mille mots. Je confirme ce que vient de dire Dominique SASSOON.

(Projection de diapositives)

Il y a des hôpitaux « riches » comme par exemple l'hôpital allemand, connu également sous le nom de Karl Marx.

Voici l'entrée des urgences de ce même hôpital, la façon dont sont transportés et arrivent les patients ; il s'agit dans ce cas d'un accouchement ; les infirmières sont prêtes à donner les premiers soins. Tout cela bien se passe bien sûr avant MITCH.

Voici un tableau de consultations, toujours dans un hôpital « riche ».

Tout ceci montre comment se trouvait l'état sanitaire ; tous ces hôpitaux et ces centres de santé se situent principalement au niveau du Pacifique. Ce cyclone ou ce déluge -le terme reste encore en discussion- a touché cette partie des Caraïbes, où il n'y a que deux hôpitaux, très peu de centres de santé. Cet endroit était le plus touché ; il y avait un besoin d'équipements sanitaires ; les eaux étaient très contaminées, etc.

Vous voyez que les gants sont récupérés, séchés puis réutilisés, parce qu'il faut faire des économies, se débrouiller.

Voici un exemple de lit ; Tous les hôpitaux n'ont pas de draps ; c'est exceptionnel. Il fait chaud. Dans ce cas, c'est le luxe, parce qu'il y a des ventilateurs. Ce n'est pas le cas partout. Tous les hôpitaux ne sont pas équipés de cette manière.

Voici la table de radio dans l'hôpital le plus important de la capitale.

Voici un patient sous traction ; avec la chaleur, les escarres peuvent se développer.

Voici un bidonville d'un quartier de Managua, où nous effectuons des consultations, où il manque de tout. Pour nous, chirurgiens, c'est difficile. Il pleut, ils n'ont pas de médicaments, il y a la diarrhée, l'eau est contaminée, etc.

Voici d'autres exemples de quartiers misérables.

Voici un « hôpital de luxe », parce que c'est l'hôpital des enfants adoptés par la communauté internationale.

Vous voyez des prothèses fabriquées localement avec du bois, parce qu'il y a beaucoup de traumatologie (bagarres, accidents de la route, mines, machettes).

Voici un autre type de prothèse digne de figurer dans un musée de médecine en France.

Voici un autre moyen d'action dans un autre lieu que dans la capitale, avec les moyens du bord. Il n'y a pas de radio.

Voici une intervention chirurgicale lors d'une panne d'électricité. Il s'agit d'une opération de la prostate par voie haute. Il faut finir parce qu'il y a hémorragie. On a terminé à la torche.

Merci.

M. le Président - Merci.

Après ce premier témoignage, le premier pôle de préoccupation est la sécurité civile.

Je vous rappelle notre souci est de savoir ce qui s'est réellement passé et ce que cette expérience peut nous apporter.

Si vous êtes d'accord, je vais passer la parole au Lieutenant Colonel Daniel MOINE, chef d'Etat-major, qui était présent là-bas et qui revient d'abord avec un sentiment personnel, puis avec le sentiment professionnel de celui qui a étudié la façon dont on pouvait réagir puis améliorer.

Lieutenant-Colonel Daniel MOINE - Monsieur le Député, Mesdames, Messieurs, je suis le Lieutenant Colonel MOINE ; j'ai commandé les éléments français de sécurité civile en Amérique centrale pendant l'opération MITCH.

Si vous le permettez, je vous ferai d'abord un historique, et je vous expliquerai l'opération MITCH telle qu'elle s'est déroulée dans l'espace et dans le temps, pour intervenir à la suite des conditions de ce cyclone. A l'issue, je me soumettrai à vos questions de façon à répondre à des points précis de cette opération.

Dès la connaissance de la catastrophe ayant frappé l'Amérique centrale, dans le cadre de la solidarité nationale, la France a décidé, dès le 1er novembre, à la demande des gouvernements des pays touchés, l'envoi d'éléments de reconnaissance et d'évaluation qui, après contact avec les représentations diplomatiques françaises, ont reconnu les zones sinistrées avec les autorités locales et ont évalué les besoins des populations.

Au vu de leurs renseignements transmis, la France a mis en _uvre la projection d'une force significative en mesure de lutter aux côtés des secours locaux contre les conséquences de ce cataclysme.

Renforcé d'un détachement de trente hommes et d'un hôpital de campagne, le dispositif français comptait dans ses rangs 221 personnels, représentant le coté interministériel de la réponse aux catastrophes naturelles. En effet, sous le commandement de la sécurité civile, on trouvait :

- 148 hommes des unités d'instruction et d'intervention à la sécurité civile appartenant au ministère de l'Intérieur,

- 29 sapeurs-pompiers territoriaux d'Ile-de-France,

- 21 docteurs et infirmiers urgentistes dont deux pédiatres du service d'Aide Médicale Urgente du SAMU mondial,

- 4 spécialistes en épidémiologie du réseau national de la santé publique,

- 6 officiers et sous-officiers du Génie, spécialistes du déminage du ministère de la Défense ; je laisserai la parole à mes camarades du ministère de la Défense pour expliciter leur mission,

- 13 experts industriels,

- 13 experts en eau, électricité, et construction de ponts.

Afin de remplir ces missions qui m'ont été données par le Gouvernement avant de partir, le détachement possédait du matériel adapté :

- des lots « cyclone » groupant tous les outils permettant à nos personnels de construire des abris, de tronçonner, de dégager des obstacles,

- des lots médicaux comprenant médicaments et petit appareillage médical, capables de faire face aux premières nécessités,

- des postes médicaux avancés, permettant de créer des dispensaires,

- un hôpital de campagne,

- des appareils de traitement de l'eau donnant une capacité de cinq mille litres par heure et par appareil, susceptibles de soutenir sept mille personnes,

- des embarcations pneumatiques de type « Zodiac » pour faire face aux problèmes d'inondation.

Dès le 6 novembre, le détachement a exécuté les missions qui lui avaient été confiées :

- participer au rétablissement des voies de communication. Dans l'intervention précédente, les médecins vous ont expliqué toutes les difficultés de déplacements, déjà avant la catastrophe, et donc, de plus, pendant la catastrophe ;

- réceptionner, gérer, organiser la distribution de l'aide humanitaire française ;

- apporter une aide médicale aux populations ;

- participer au retour à des conditions de vie minimum de cette population ;

- renseigner, favoriser les missions d'expertise dépêchées par la France.

La zone d'action du dispositif français de sécurité civile s'étendait sur les zones les plus touchées par le cyclone : le Guatemala dans la région de Puerto Barrios, le Honduras à Tegucigalpa et à Choluteca, le Nicaragua dans la région de Chinandega ; au Nicaragua, l'effectif prend en compte le commandement des éléments français de la sécurité civile en Amérique centrale et la base logistique de l'opération à Managua.

Au terme de cette mission, le bilan de notre action peut se résumer en trois grands chapitres :

- l'humanitaire, avec la mise à l'abri de 2 000 personnes par nos soins, mais aussi par les 95 tonnes de vêtements et de bâches, les cinquante tonnes de denrées alimentaires et les huit tonnes de produits d'hygiène élémentaires distribuées par les hommes des sections d'intervention des formations militaires et les sapeurs pompiers d'Ile de France.

- la santé, avec à ce jour, 7 000 consultations données par les médecins civils et militaires, sans compter le temps passé en aide technique au sein des hôpitaux locaux, la distribution de vingt tonnes de médicaments et la fourniture d'eau potable aux hôpitaux de Tegucigalpa et au dispensaire de Posoltega.

- la logistique, avec 230 tonnes d'aide humanitaire réceptionnées de France, reconditionnées et livrées par les hommes de la base logistique.

L'ensemble de notre mission a permis de redonner le sourire, un semblant de sourire à cette population durement éprouvée.

M. le Président - Merci, mon Colonel.

Si vous permettez, puisque nous avons trois colonels, nous pouvons écouter leurs interventions puis passer à un petit module de réflexions avec la salle.

Le Capitaine de frégate JOLY, Etat-major des Armées, ministère de la Défense, veut-il bien intervenir ?

Capitaine de frégate JOLY (Etat-major des Armées, ministère de la Défense) - Merci, Monsieur le Député.

Je suis chef de l'un des théâtres au sein du centre opérationnel interarmées qui coordonne les actions militaires commandées par le Chef d'Etat-major des Armées.

C'est à ce titre que se place mon intervention, que je vais essayer d'orienter sur un bilan de l'action des armées, de la contribution des armées à l'action humanitaire conduite au profit des pays de l'Amérique centrale ; puis, sur un développement chronologique, je ferai quelques commentaires sur ces actions conduites.

L'opération qui couvrait les aspects militaires de l'action humanitaire entreprise en Amérique centrale a pris le nom de « Cormoran » et a été assez significative puisqu'elle a rassemblé plus d'un millier d'hommes au plus fort de sa participation. Elle comportait quatre volets :

- un volet de transport aérien, fourni par des C 160, des Transall ;

- un volet maritime avec la « Jeanne d'Arc », le « Duguay-Trouin » et le « Francis Garnier », volet qui peut être décliné en transport, soutien, capacité héliportée, ainsi que capacité médicale avec les équipes médicales des bateaux ;

- un volet terrestre, avec une capacité de génie, projetée depuis Fort-de-France, sous la forme d'un détachement composé d'éléments du service militaire adapté des Antilles, qui avait une capacité génie qu'il ne faut pas surestimer, mais qui était malgré tout capable de rétablir la viabilité des routes en bouchant les trous et en écartant les obstacles. Mais elle n'était pas en mesure de reconstruire des ponts ou des chemins de fer, car c'était au-delà de ses moyens ;

- le volet de la santé, avec l'envoi de deux médecins épidémiologistes de la BIOFORCE et la mise en alerte d'un élément qui s'appelle « l'élément médical militaire d'intervention rapide », resté en alerte jusqu'à ce que le besoin ne soit plus confirmé sur place par justement les conseillers santé militaire qui avaient été dépêchés sur place, en relation bien sûr avec les autorités locales.

Pour dresser un rapide bilan des travaux effectués par les forces militaires, le transport aérien a acheminé sur place plus de 235 tonnes de fret en provenance de métropole et mis en place à Managua ; depuis Managua, il y a donc eu acheminement de ce fret vers des aéroports n'étant pas capables de recevoir de gros porteurs.

Le transport aérien a également acheminé environ 900 personnes sur place, depuis Managua, d'un point à un autre. Il s'agissait de personnes de toutes origines, de personnes de la sécurité civile naturellement, également de militaires, mais aussi de membres des organisations non gouvernementales, de membres de sociétés privées, d'équipes de santé, de journalistes.

Pour les activités d'origine maritime, le groupe école d'applications des officiers de marine, articulé autour de la « Jeanne d'Arc » a fait bénéficier les sinistrés de sa capacité de transport héliporté en portant plus de cinquante tonnes de fret dans des endroits d'accès très difficile, finalement seulement accessibles à des hélicoptères, et a conduit ses équipes médicales sur le terrain où elles ont procédé à plus de 3 000 consultations, également dans des endroits tout à fait inaccessibles.

Le « Francis Garnier », bâtiment de transport léger et qui venait de Fort-de-France a livré 200 tonnes de fret humanitaire, réparti entre Puerto Barrios au Guatemala et Puerto Cortes au Honduras.

Le service militaire adapté des Antilles, avec sa petite capacité génie, a quand même rétabli une route principale d'une commune à l'intérieur du Guatemala, sur une distance de douze kilomètres ; il a effectué dans le même temps des travaux de déblaiement, de couverture de certaines habitations et enfin la remise en état des réseaux de distribution d'eau dans des communes de cet arrière pays.

Je vais maintenant passer à une brève chronologie qui sera pour moi un prétexte à quelques commentaires dont le facteur temps est justement l'un déterminant le plus important.

La première réunion de la cellule d'urgence des affaires étrangères, à laquelle avait été convoqué le centre opérationnel interarmées, s'est passée le dimanche matin ; le même jour, le dimanche soir, un Transall était dépêché depuis Evreux jusqu'à Fort-de-France, de manière à se positionner et à être capable d'acheminer les éléments de reconnaissance et d'évaluation de la sécurité civile qui s'était déjà portés à Fort-de-France.

Un commentaire sur ce premier événement : le premier besoin exprimé auprès de la défense est celui, comme pratiquement toujours, du transport aérien. Si la réactivité des armées s'est montrée élevée comme en témoigne cet exemple, elle ne peut pas toujours être systématique du fait du plan de charge du transport aérien militaire, qui est affecté à des opérations militaires de manière assez dense, comme par exemple actuellement le pont aérien avec la Macédoine.

Le lendemain, lundi 2 novembre, le Transall dont je viens de vous parler embarquait les équipes de la sécurité civile pour les acheminer sur les capitales des pays sinistrés par le cyclone MITCH. Les équipes de la sécurité civile auraient pu se rendre directement en Amérique centrale par voie aérienne civile, mais elles auraient probablement rencontré de grandes difficultés à se faire acheminer sur des capitales dont les pistes n'étaient plus ouvertes aux avions longs courriers.

Le mercredi 4 novembre, la décision politique d'engagement des forces armées était prise, trois jours après la première réunion de la cellule de crise ; le premier ordre d'opération était rédigé ; le soir même, un avion du transport stratégique, en l'occurrence un AIRBUS, embarquait 134 personnes de la sécurité civile ainsi que six cadres du déminage du sixième régiment du génie, chargés d'une mission d'expertise au Nicaragua.

Je ferai trois commentaires sur cette journée. Si le délai de trois jours paraît long en regard des besoins d'urgence, entre le premier besoin exprimé par la cellule d'urgence des affaires étrangères et la prise de décision, il est minimal et incompressible pour obtenir les garanties d'une bonne adéquation entre les moyens et les besoins, et par ailleurs pour obtenir les garanties de la viabilité d'un dispositif surtout lorsque ce dispositif doit s'inscrire dans la durée car tel était le cas.

En effet, pour s'inscrire dans la durée, il y a le besoin d'un volet soutien. Le volet soutien peut se décliner de plusieurs manières :

- un soutien technique pour pouvoir entretenir les matériels -les armées en ont mis beaucoup en place- soumis à des conditions d'emploi assez sévères.

- un soutien santé, car des accidents peuvent se produire au sein des armées, et je crois qu'il serait insupportable de surcharger des médecins qui se consacrent par ailleurs à une catastrophe.

- des éléments de base arrière, pour la mise en _uvre des hélicoptères avec, dans ce cas particulier, la plate-forme que constitue la « Jeanne d'Arc », ainsi que les bâtiments qui l'accompagnaient ou, dans le cas du détachement du génie, le bâtiment « Francis Garnier » qui constituait la base arrière du détachement projeté à quatre-vingt kilomètres à l'intérieur du Guatemala.

Ces garanties ne peuvent être obtenues que par la reconnaissance préalable conduite par des missionnaires à laquelle ont participé de manière déterminante, dans ce cas, les éléments de la sécurité civile, mais également conduite par le réseau de nos attachés de défense déjà sur place.

Les aspects diplomatiques et juridiques de l'action de nos forces à l'étranger, sont également des aspects à prendre en compte dans ce contexte.

Le jeudi 5 novembre, la « Jeanne d'Arc » et son bâtiment accompagnateur recevaient l'ordre de rallier le large du Guatemala. Elle est capable de fournir une capacité héliportée ainsi que ses équipes médicales. Je relève que le déroutement de la « Jeanne d'Arc » et l'emploi de ses deux capacités, dont la partie hélicoptère, la plus difficile à obtenir sur zone, est une capacité très intéressante, ne sont dans ce cas liées qu'aux circonstances de sa proximité toute relative de la zone sinistrée. Elle était quand même à dix jours de ralliement de cette zone.

Le samedi 7 novembre, le « Francis Garnier », dont je vous ai déjà parlé, appareillait de Fort-de-France, avec à son bord le détachement du génie et 200 tonnes de fret, trois jours après la décision de son engagement. Cela me permet de relever trois points :

- les délais incompressibles de chargement qui, dans ce cas, étaient de quarante huit heures, avec si possible un plan de chargement pour pouvoir organiser ce chargement de manière rationnelle, dans les meilleures conditions pour l'embarquement, mais également dans les meilleures conditions en perspectives du déchargement sur place, où les facilités matérielles ne sont pas toujours optimales ;

- les capacités mesurées mais réelles des forces stationnées sur les départements et territoires d'Outre-Mer qui sont pratiquement tous dans des zones à risques ;

- la fausse impression de proximité des Antilles, tout de même séparées de l'Amérique centrale par 3 000 kilomètres de mer, c'est-à-dire la distance Paris-Moscou, ce qui se traduit par six jours de transit pour un bateau et un fret limité pour les avions de transport tactiques.

Le mercredi 18 novembre, la « Jeanne d'Arc » et le « Francis Garnier » appareillaient de Puerto Barrios au Guatemala pour Puerto Cortes au Honduras.

Un commentaire à propos de cet événement : après quatre jours d'intervention au Guatemala, la « Jeanne d'Arc » se rendait au Honduras, non seulement pour équilibrer son aide entre deux pays sinistrés, mais également parce qu'elle se rendait compte que, bien qu'elles soient tout à fait utiles, ses interventions n'étaient plus liées à la situation de catastrophe.

Le samedi 21 novembre, le désengagement du dispositif militaire débutait avec le départ de l'un des trois Transall qui avaient été mis en place à Managua.

Un commentaire sur ce point du désengagement : le désengagement progressif du dispositif militaire a débuté le 21 novembre pour s'achever seulement le 26 novembre, une fois, en effet, tous les engagements contractés auprès des autorités locales, achevés.

Le succès d'une phase de désengagement est tout aussi délicat que la mise en place, et soumis en amont à une coordination soignée entre les différentes chaînes de commandement. Cela me conduit à souligner cet aspect du commandement, qui est essentiel et qui conclura mon intervention.

Le succès au niveau national d'une opération de ce type étendue à quatre pays, repose sur une chaîne de commandement parfaitement structurée, parfaitement identifiée et également dimensionnée. En effet, des renforts ont été envoyés à Managua depuis la métropole et depuis Fort-de-France.

Tous ces critères ont été respectés ; des chaînes de commandement indépendantes mais dont les points de contact aussi bien en métropole que localement ont parfaitement fonctionné et ont permis de fédérer l'élan général de l'action humanitaire, chacun dans son domaine de compétences.

M. le Président - Merci pour ce rappel chronologique. Monsieur PERROT, souhaitez-vous intervenir pour compléter ?

M. PERROT - Merci, Monsieur Le Député.

J'étais l'adjoint direct du capitaine de frégate JOLY, au centre opérationnel interarmées ; je n'ai pas d'intervention particulière à faire, si ce n'est pour répondre éventuellement à des questions supplémentaires.

M. le Président - Merci.

Sur ce module secours, timing de l'opération, y a-t-il une question ? Les pays concernés ont-ils une observation à formuler ?

M. Juan MENDOZA (Ministre conseiller à l'ambassade du Guatemala) - Je ferai une observation de type très général. Tout d'abord, au nom de mon pays et de mon peuple, je remercie la France pour son aide très importante et sa capacité de réaction.

Ce que je viens d'entendre est très intéressant. Comme vous l'avez dit, l'Amérique centrale est composée de plusieurs pays avec des liens interministériels, etc.

Notre difficulté, importante à souligner, est qu'en Amérique centrale, MITCH a affecté la région de manière inégale, mais, après avoir entendu ce qui se passait au Nicaragua par exemple, il est également important de souligner que les pays ont aussi des situations structurelles, historiques et socio-économiques différentes, donc également des capacités de réactions, des situations préexistantes différentes.

Nous avons très souvent l'impression, et c'est normal, qu'en France on a une vision trop globalisante de la région, qui nous souligne parfois beaucoup trop la dimension des sinistres structurels, parce que ce n'est pas uniquement ponctuel, comme vous l'avez bien souligné sur le Nicaragua.

Je pense qu'il faut aussi porter un regard sur les processus qui sont en cours dans la région. Il est vrai que toute la région a des déficits socio-économiques, très structurels, qui datent, qui sont bien sûr différents selon les pays, mais il y a également des processus en cours du fait desquels l'Amérique centrale, si ce n'est pas identique dans tous les pays, a tout de même des capacités de réactions importantes.

Je le dis particulièrement pour mon pays, où je crois que, dans le domaine de la prévention du désastre, nous avons tout de même été capables d'évacuer selon le rapport de mon Gouvernement, près de trente mille personnes avant que le désastre arrive vraiment dans le pays, ce qui a évité d'avoir un nombre de victimes beaucoup plus important que celui que nous avons connu.

Mon message consiste à vous dire :

- que nous avons souffert énormément, mais que nous étions dans une phase de progrès, avec un élan national particulièrement au Guatemala, initié par les accords de paix du 29 décembre 1996,

- que nous avons une capacité réelle de réaction face à ce type de désastre -nous l'avons montré-,

- que nous avons besoin de transmettre le message à l'opinion publique et aux gouvernements de l'Europe et du monde, que même si nous avons besoin d'aide, nous avons aussi besoin surtout qu'on nous ouvre les portes pour pouvoir réactiver nos économies.

Nous avons besoin bien sûr de crédits, et surtout d'argent frais pour reconstruire le pays, pour reconstruire l'infrastructure, non seulement de chaque pays individuellement, mais de l'ensemble des liens de la région. Actuellement, notre commerce interrégional représente environ 20 % de nos relations commerciales.

M. le Président - Merci. Quelqu'un souhaite-t-il intervenir ?

M. Hubert SEILLAN (représentant de la revue « Préventique ») - Après vous avoir écoutés, Messieurs, j'ai le sentiment -pardonnez-moi de vous dire cela d'une manière un peu impertinente- que la question posée n'a pas reçu une réponse parfaite. En effet, il s'agissait de savoir ce que vous aviez constaté, ce que vous aviez vu. Or, après avoir écouté Monsieur le représentant de l'Ambassade du Guatemala, j'observe qu'une certaine réponse des pays eux-mêmes a eu lieu ; je n'en doutais pas. Mais en même temps, l'aide de la France n'a pas été la seule aide, même si nous sommes arrivés assez tôt, ce qui est tout à l'honneur de notre pays.

Quel était l'état des lieux ? Qu'avez-vous observé en termes de besoins sanitaires, en termes de besoins de secours ? Quelles étaient vos difficultés ? Vous nous avez parlé plutôt du processus d'intervention en termes d'hommes et de moyens.

Pourrait-on aller plus loin ? Au-delà même des chiffres que vous nous offrez, pouvez-vous nous dire votre sentiment sur ces besoins sanitaires et de secours ?

M. le Président - Merci de votre intervention.

Sur le secours, cela se passera sur la gauche ; sur le sanitaire, cela se passera sur la droite et, si vous le voulez bien, cela permettra de faire la transition.

Avant que l'on apporte une réponse, ma collègue Catherine GENISSON, qui est la Présidente du Groupe d'Amitié France-Guatemala, souhaite intervenir, j'imagine à la suite de l'intervention du représentant de l'Ambassade.

Mme Catherine GENISSON - J'interviens en tant que Présidente du groupe d'Amitié France-Guatemala, ayant participé au voyage du Président de la République lorsqu'il s'est rendu en Amérique centrale.

A la suite de l'intervention de Monsieur le représentant de l'ambassade, je voudrais dire que le constat qui a pu être fait -en ce qui me concerne, je ne suis pas allée sur les zones sinistrées- est très hétérogène par rapport aux quatre pays concernés de l'Amérique centrale.

Je parlerai plus particulièrement évidemment du Guatemala en indiquant, comme l'a dit Monsieur le représentant de l'ambassade, que dans ce pays, l'anticipation des effets du cyclone MITCH a été prise en compte puisqu'il y a eu une évacuation massive des populations en danger, ce qui a engendré un nombre de morts beaucoup moins important que dans les autres pays, donc, une situation moins dramatique.

En fait, lorsque nous avons rencontré les Guatémaltèques, nous avons constaté que la demande n'était pas tant dans la prise en compte de la situation d'urgence que dans une prise en compte de l'impact de cet ouragan, mais pour la suite des événements et pour aider ce pays à continuer à pouvoir se développer sur le plan économique, sur le plan touristique, sur tous les aspects. En fait, il n'y a pas eu une très grande demande dans l'urgence.

C'est le constat que nous avons pu faire au Guatemala, qui n'est pas du tout similaire à celui concernant les autres pays. A ce point de la discussion, je pense que nous reviendrons peut-être sur les autres points par la suite.

M. le Président - Merci.

Sur les secours, je pense que vous avez bien compris la question posée, tout comme les médecins.

Je cède la parole aux médecins, puis vous pourrez intervenir, mon Colonel, si vous voulez compléter votre propos.

M. Dominique SASSOON - Je pense que, sur le plan de la réflexion concernant la comparaison entre les différents pays, votre réflexion est tout à fait justifiée. Le Nicaragua que nous connaissons se situe à peu près au niveau d'Haïti, ce qui n'est pas du tout le cas du Costa Rica, ni probablement du Guatemala.

Sur le problème des besoins, un point m'a frappé dans l'intervention de l'un des colonels : « la « Jeanne d'Arc » est partie car les interventions utiles et nécessaires n'étaient plus liées à la catastrophe réelle ».

Notre intervention a eu pour but de vous faire constater qu'avec ou sans cyclone, avec ou sans précipitations terribles, parce qu'il reste encore à déterminer s'il y a eu un cyclone réel au Nicaragua ou si ce sont plutôt des pluies tropicales qui sont survenues de manière très intense après deux ans de sécheresse sur une région déforestée, le besoin est urgent, chronique et permanent.

Nous étions sur place du 17 au 31 octobre ; ces précipitations ont été dramatiques. A Managua, des voitures ont été renversées, on n'arrivait plus à circuler, etc., mais la mortalité immédiate due à ces précipitations a été à notre avis relativement faible. Les conséquences de ces précipitations catastrophiques seront probablement très importantes dans les mois et les années à venir, d'une part parce que la population est déjà affaiblie, d'autre part parce qu'elle ne se nourrit qu'avec une alimentation de proximité, un élevage de proximité qui ont disparu en grande partie. En fait, c'est une goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

Par exemple, entre les tremblements de terre, l'éruption volcanique, les glissements de terrain, la sécheresse, puis les précipitations énormes, plus une population qui n'est pas vaccinée, qui est relativement dénutrie en certains produits de première nécessité, qui mange du riz et des haricots rouges de proximité, et qui n'a pas de secours pendant plusieurs jours, parce qu'il n'y a pas de moyens de l'atteindre, on peut se demander si le besoin est directement lié à la catastrophe ou s'il était déjà très important auparavant.

M. Roger FERNANDEZ - Je souhaite faire une autre réflexion à propos des déplacements de populations. N'oubliez pas que dans toute l'Amérique centrale, depuis des années, ce sont des zones de combat où la population indienne a été déplacée.

Je signale cela parce que je peux témoigner que la population à l'heure actuelle a beaucoup de difficultés à se « déplacer », du fait de ce passé, où elle a été contrainte à se déplacer. Cela s'est produit au Guatemala, au Nicaragua.

Lors de cette montée d'eau en bordure des rivières, des lacs, ces populations refusaient de partir. Je peux en témoigner, au moins au Nicaragua. Il y a eu des bagarres entre l'armée, la police, les associations, etc. Elles refusaient de partir parce qu'elles avaient peur ; elles revivaient tous les combats de cette zone. Trente mille personnes déplacées, excusez-moi, mais bravo !

En second lieu, quel était le besoin urgent à cette époque ? N'oubliez pas que l'eau était contaminée. Or, au Nicaragua, les enfants sont rarement allaités, ils boivent de l'eau. Nous avons vu des accouchements, où les enfants mouraient en même pas quatre heures car l'eau des biberons était contaminée. Il aurait alors fallu utiliser du chlore.

Lieutenant Colonel MOINE - Je souhaite tout d'abord redéfinir le cadre des actions d'urgence dans ce type de catastrophe. Ensuite, je répondrai aux deux interventions, sur les constations plus détaillées de ce que nous avons vu et surtout ce que nous avons pu essayer de faire.

C'est toujours avec les moyens de secours de chaque pays dans lequel nous intervenons, que nous pouvons nous insérer dans cette politique des secours.

Quel est le cadre de notre emploi ? Comme l'indique notre nom, nous intervenons dans l'urgence, c'est-à-dire que nous ne ferons pas basculer une situation qui perdure depuis un temps certain, comme le disaient les médecins qui ont travaillé au Nicaragua, par le simple fait d'arriver à 220 personnes et de rester une vingtaine de jours sur un territoire.

Quel est notre cadre d'action ? Nous agissons dans l'urgence, c'est-à-dire le plus rapidement possible. Nous souhaiterions être instantanément sur les lieux de la catastrophe de façon à donner aux secours locaux, aux populations qui ont vécu la catastrophe en direct, un apport de personnels formés, entraînés, qui leur permettent de reprendre à leur compte les secours et la vie normale à l'issue de la catastrophe.

C'est la raison de notre durée moyenne d'intervention ; elle a été plus longue cette fois-ci puisque nous sommes restés un peu plus de vingt jours sur le terrain, contre dix à quinze jours habituellement. C'est un délai que nous avons constaté de façon statistique, que ce soit d'ailleurs en France sur certaines catastrophes -je parle de Vaison-la-Romaine ou autres-, ou sur d'autres catastrophes dans le monde. Ce nombre de jours est nécessaire aux populations locales qui ont vécu la catastrophe, aux secours pour se réorganiser, aux médecins pour remonter leurs hôpitaux ou leurs dispensaires, ou aux ONG qui agissent dans le temps, ou aux moyens locaux pour reprendre la direction des opérations.

Nous ne sommes présents que pour passer d'une phase de catastrophe à une phase de reconstruction. Tout à l'heure, le Commandant de la Défense l'a très bien dit : on s'était aperçu que l'on n'était plus dans le cadre de l'urgence. Dès l'instant où l'on sort du cadre de l'urgence et où l'on entre dans la phase de reconstruction, ce n'est plus dans notre domaine d'action au niveau de la sécurité civile.

Je voulais ainsi refixer le cadre de notre action. Il serait effectivement prétentieux de croire qu'avec 220 personnes sur quatre pays, nous allions refaire tout ce qui est engagé depuis des années, ce qui ne peut être que des travaux de longue haleine. Organiser des secours, se préparer à des catastrophes cela ne peut être fait qu'à l'issue d'un très long travail.

Et il est bien évident que si, au Guatemala, des personnes n'avaient pas été évacuées dans la région de Puerto Barrios, le bilan aurait été beaucoup plus lourd et nous aurions dû être plus nombreux pour répondre à la question posée.

Ce cadre me ramène également un peu aux constatations. Les médecins qui étaient au Nicaragua ont dit être sur place du début octobre jusqu'au 31 octobre et avoir assisté à des précipitations d'eau assez exceptionnelles. On annonçait sur trois jours 1 500 millimètres d'eau tombés dans la région de Chinandega au Nicaragua.

En arrivant, j'ai constaté que les inondations, en termes de montées d'eau assez importantes et de ruptures des voies de communication avec isolement des populations ne pouvant plus être ni ravitaillées ni soignées, existaient sur pratiquement les quatre pays de la zone, que ce soient le Guatemala, San Salvador, le Nicaragua ou le Honduras.

En revanche, on a constaté deux épiphénomènes, deux catastrophes à l'intérieur de la même catastrophe.

Le premier phénomène a été la lame d'eau qui a été vécue par la capitale Tegucigalpa du Honduras (toutes proportions gardées, je ferais un comparatif avec ce que nous avons connu à Vaison-la-Romaine), lame d'eau d'une vingtaine de mètres de haut qui traverse une ville qui, de plus, était la capitale du pays, donc avec toutes les infrastructures du commandement, toutes les infrastructures de direction, dans des types d'habitations qui ne sont pas les mêmes que celles que l'on peut voir en Europe, donc avec une fragilisation du système constructif et avec une population beaucoup plus nombreuse dans le lit de la rivière.

Ce premier phénomène a engendré une disproportion du nombre de victimes dans les quatre pays. Je pense personnellement qu'au Honduras, il a engendré une augmentation du nombre de victimes par rapport à celui que l'on a pu trouver dans les autres pays inondés n'ayant pas connu ce type de phénomène.

Le deuxième phénomène rencontré au Nicaragua, a été une coulée de boue sur les pentes du volcan Cassita, qui a provoqué la disparition complète de cinq villages et, sur les 2 000 ou 2 500 victimes -chiffres qui restent à confirmer au fur et à mesure de l'état d'avancement de la catastrophe-, pratiquement 2 000 sont uniquement sur cette zone de Posoltega et des cinq villages qui ont disparu.

On a donc trouvé deux phénomènes à l'intérieur d'un grand phénomène qui couvrait les quatre pays, phénomènes qui ont été générateurs de grandes destructions. D'ailleurs, à la télévision, hormis quelques images montrant des personnes sur les toits (ce qui était réel parce que, pour l'avoir survolé avec le premier Transall arrivé, nous avons vu que l'inondation faisait abstraction des frontières, qu'il y avait de l'eau partout), nous avons trouvé deux phénomènes plus générateurs de victimes et de destructions plus importantes, qui étaient sur Tegucigalpa et sur le Nicaragua.

Il est vrai que, dans les quatre pays, nous ne sommes pas arrivés pour ne rien découvrir ; nous avons découvert des services de secours qui existaient ; le Guatemala évacuait les personnes ; l'armée nicaraguayenne était intervenue, ce qui lui avait permis de faire un film qui nous a donné quelques images sur ce qui s'était produit avant que nous arrivions.

Les quelques hélicoptères en fonctionnement dans l'Armée de l'Air nicaraguayenne ont fait des évacuations ; je crois que les gouvernements des pays ont pris des mesures qui correspondaient à des mesures d'urgence dans ce cas ; on ne peut donc pas dire que nous sommes arrivés, que nous n'avons rien trouvé, que rien n'existait et que nous sommes arrivés tels des sauveurs du monde. Nous sommes venus nous insérer comme nous le faisons traditionnellement dans ce type d'opérations que monte la France, dans un système de secours qui vient de subir une catastrophe tout de même exceptionnelle, et nous avons trouvé un certain nombre de choses.

Bien sûr, au niveau des troupes au sol, le particularisme de l'intervention française étant qu'en dehors de moyens maritimes ou aériens, nous fournissons de nombreux moyens (que d'autres pays fournissent également). Je crois qu'avec le Mexique, nous représentions un détachement qui est intervenu non seulement avec des moyens, mais aussi avec des hommes.

D'ailleurs, l'une des images qui ont marqué notre Président lorsqu'il est passé est le fait que les secours ont essayé d'agir sur toutes les dimensions : transporter des personnels, transporter des matériels, mais également avoir des personnels allant au plus près vers la population, allant se renseigner, remettre des bâches, actions qui paraissent anodines mais qui sont importantes pour la population qui a subi une catastrophe ; aller revérifier la pompe du village, remettre de l'eau dans les dispensaires.

Comparativement aux médecins qui sont sur place chaque jour, nous n'avions pas d'idée orientée. Nous analysions donc la situation uniquement sur l'urgence.

Un particularisme du secours français qui fait notre réputation, c'est d'essayer de couvrir toutes les phases du secours, et pas seulement une phase de matériel ou uniquement médicale, peut-être parfois plus visible.

M. le Président - Merci mon Colonel.

M. Guy DENEUFBOURG - Je souhaite poser une question pour resituer l'aide française par rapport à l'ensemble des aides internationales qui ont été apportées. Qu'est-ce que cela représente ? Est-ce 10 %, 20 % ? Vous qui êtes allés sur place et qui avez constaté l'aide des Américains, l'aide du Mexique ou autres, qu'est-ce que l'aide française représente ?

Lieutenant Colonel MOINE - Je n'ai pas de chiffre, je ne serais pas en mesure de vous donner un pourcentage dans l'absolu.

Lorsque nous sommes arrivés au Nicaragua, en débarquant avec le premier gros porteur qui nous amenait le 5 au matin, nous avons constaté que, sur l'aéroport, nous croisions plutôt des équipes d'évaluation qui arrivaient que des équipes qui venaient pour s'intégrer dans le système, hormis les Américains déjà présents et les Mexicains qui sont arrivés très vite sur au moins trois pays sur quatre (je ne suis pas sur que les Mexicains soient allés au Salvador, mais je reste très prudent, parce que je n'ai pas pu le constater).

On a trouvé des Américains qui étaient en force mais avec des moyens aériens, c'est-à-dire qui ont participé à la partie réapprovisionnement par moyens aériens sur un certain nombre de systèmes, mais pas de troupes au sol. Mon commandant, qui était plus particulièrement au Honduras, peut dire que nous y avons constaté à peu près la même chose. On a davantage trouvé une base de logistique, d'aide au transport avec des moyens plus modernes que ceux que pouvait apporter la flotte nicaraguayenne, sachant qu'elle était elle aussi complètement employée avant la catastrophe, avant la mobilisation internationale.

Le Guatemala avait déjà pris un certain nombre d'éléments en compte et lorsque nous sommes arrivés, c'était pour nous intégrer dans le système, mais de façon moins marquante que dans d'autres endroits.

Je ne peux pas vous donner de pourcentages parce que cela a été assez difficile à voir. Dans la majorité des pays où s'est faite directement l'aide internationale, cela a été directement coordonné par les pays ; ce sont davantage les ambassadeurs qui pourraient vous donner la proportion exacte des secours. J'ai constaté des personnes, nous avons travaillé, nous avons eu d'excellents contacts avec beaucoup de personnes sur le terrain. Au Nicaragua, neuf nationalités sont intervenues, dont Panama, le Costa Rica, les Etats Unis, l'Angleterre, la France, le Mexique, mais je n'ai une vue que partielle, je n'ai pas de vue globale sur l'aide extérieure.

M. le Président - Merci, mon Colonel.

Pour répondre à la préoccupation de Guy DENEUFBOURG, je vais passer aux responsables médicaux qui me paraissent avoir peut être des chiffrages plus distincts. Je donne la parole au docteur Michel BONNOT, Directeur de la cellule d'urgence, puis au docteur Alain MARGENET, Directeur du SAMU 94. Je demanderai ensuite à Jean-Claude HEYRAUD, responsable de l'évaluation au sein d'ECHO, de prendre le relais sur l'aide européenne au niveau médical.

Dr Michel BONNOT (Directeur de la Cellule d'Urgence et de Veille au ministère des Affaires étrangères) - Je dirige en effet un service au ministère des affaires étrangères, un service à vocation interministérielle, qui est chargé en cas de crises, de catastrophes naturelles ou en cas de crises politiques, malheureusement assez fréquentes, de réunir tous les ministères concernés pour pouvoir imaginer une intervention dimensionnée à la hauteur des événements.

Dans un premier temps en général, les premières informations dont nous disposons sont de multiples sources ; elles proviennent de nos ambassadeurs, en lien avec les autorités du pays ; nous essayons également de recouper les informations avec les informations de la presse ; nous avons nos attachés de défense ; nous avons certaines ambassades avec des attachés humanitaires ; nous essayons tant bien que mal d'imaginer l'ampleur de la catastrophe.

La deuxième étape consiste à voir quels sont les moyens dont on dispose, disponibles pour être projetés, en termes de faisabilité, à 8 000 kilomètres de notre pays, sans pour autant dégarnir la sécurité de nos citoyens français. Il s'agit ensuite de recueillir une volonté politique -et dans ce type d'opération, c'est une volonté politique de très haut niveau- de déclenchement d'une opération.

Je suis dans l'humanitaire depuis vingt ans, et j'ai monté de nombreuses opérations d'urgence (l'Arménie, le Kurdistan, etc.). C'est la première fois que nous avons un déroulé aussi cohérent. Nous sommes partis des SAMU, des sapeurs-pompiers, de l'évaluation, jusqu'à une aide à la reconstruction, un effacement de la dette, un voyage présidentiel qui a apporté une chaleur humaine, la convocation d'une conférence sur la reconstruction ; de mémoire humanitaire, je n'ai jamais connu une opération aussi construite.

Sur la spécificité de l'aide française, je voudrais tirer les trois points forts en termes de bilan sur l'opération française.

L'originalité de cette intervention est d'avoir été une aide directe ; il y avait l'Espagne, le Mexique, une frégate anglaise, une frégate hollandaise ; nous sommes en tous les cas le seul pays européen à avoir projeté des moyens si importants si loin de nos bases.

L'aide a été importante puisqu'au total, avec toutes les prestations, les SAMU, l'effacement de la dette, etc., on doit approcher le milliard. Rien que la dette représente 750 millions de francs.

L'intervention a été rapide ; à huit mille kilomètres de nos bases nous sommes arrivés à J + 3. On peut peut-être faire encore mieux, on est toujours en remise en question, mais nous pouvions difficilement aller plus vite. Nous avons rapidement ciblé l'essentiel de notre effort sur le Honduras et Nicaragua, qui étaient plus particulièrement touchés en termes humains ; nous avons répondu par une action diversifiée, qui a mêlé nos SAMU à nos sapeurs-pompiers, à notre génie militaire, tout ceci dans un humanitaire de proximité.

Cela signifie savoir travailler dans la boue, avec les gens, déblayer les maisons comme à Pompéi. Je pense que Monsieur JOSSELIN, Monsieur GAYSSOT et le Président de la République ont apprécié cette spécificité très française, qui est un humanitaire de proximité.

Tout cela n'aurait pas pu être possible si :

1° - il n'y avait pas eu une décision de très haut niveau ; comme vous le savez, la décision a été prise par le Premier Ministre et le Président de la République, de déclencher une opération de solidarité d'envergure sur l'Amérique centrale, ce qui pose le problème de l'après MITCH ou des petits MITCH.

2° - si elle n'avait pas été menée en « interministérialité » ; la vocation de mon service est donc de pouvoir réunir autour de la même table tous les ministères français qui peuvent apporter une contribution. Aucun ministère français seul n'aurait pu effectuer une telle prestation.

Il a fallu utiliser cette enceinte permettant de mettre côte à côte, pour monter un plan cohérent, le ministère de la Santé, le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère des Finances, le ministère de l'Agriculture, puisque nous avons une aide alimentaire programmée importante en termes de produits immédiatement consommables et de semences pour la reconstruction.

Les leçons à en tirer sont la décision à haut niveau nécessaire pour mener une opération humanitaire en termes internationaux, et l'interministérialité qu'il faut absolument préserver pour pouvoir répondre de façon cohérente.

Merci.

M. le Président - Merci à vous, pour cet éclairage. Je donne la parole au Docteur Alain MARGENET, Directeur du SAMU 94.

Dr Alain MARGENET (directeur du SAMU 94)

(Projection de diapositives)

J'ai entendu une question sur le pourcentage de l'aide médicale française par rapport à l'aide médicale internationale et les médecins sur le terrain ; on peut dire que cela représente environ 90 % de l'aide médicale étrangère, celle des SAMU et de la sécurité civile.

Pour reprendre ce qui a été dit tout à l'heure, il est important de souligner que nous avons apporté une nouvelle culture médicale sur le terrain, puisque ce n'était pas seulement le traitement des pathologies qui était en cause lors de cette inondation, mais également la culture médicale française de la médicalisation de l'avant et de l'apport de l'hôpital vers le malade. Cela n'existe pas en Amérique du Nord ; cela existe peu en Amérique centrale et cela commence à se développer avec des accords de coopération avec l'Amérique du Sud.

Les météorologistes vous expliqueront que c'est probablement un cyclone qui est passé au niveau de MITCH puisque, sur la carte de l'Amérique centrale, on voit ce trou de cyclone.

Si on suit le trajet de ce cyclone, les choix d'implantation de l'aide médicale française ont été judicieusement choisis par la sécurité civile qui était partie en reconnaissance, puisque nous nous sommes installés au Honduras principalement, dans la ville de Tegucigalpa qui a reçu cette vague assez gigantesque détruisant une partie de la ville.

Sur Choluteca, une ville du sud Honduras, située par contre au niveau de la plaine Pacifique, avec notamment un dispensaire très important dans une zone dont on évalue la population à 80 000 habitants, des consultations ont été faites avec les moyens du bord dans les villages, par les personnels médicaux et infirmiers ; à chaque fois que nous installions une table pour faire une consultation dans un village, il y avait immédiatement une file d'attente de 300 à 400 personnes.

Il y a eu également d'énormes dégâts au Nicaragua, dans la ville de Chinandega.

Dans la plaine Pacifique, nous avons trouvé des moyens de communication coupés, mais cette opération ne correspond pas à la notion que l'on a habituellement des aides humanitaires d'urgence sur le terrain. Après un tremblement de terre, les survivants de la catastrophe sont encore à soigner alors que, dans cette catastrophe, on peut penser que les disparus et les morts étaient déjà comptés dès la fin de l'inondation et qu'il fallait par contre mettre en place la médecine de terrain pour subvenir aux besoins de la population restante.

C'est la raison pour laquelle cette opération où, en tant que médecins hospitaliers, nous arrivons un plus tard sur le terrain, a eu un succès important, parce que nous avons continué à soigner des populations qui n'avaient vu personne depuis une quinzaine de jours.

La principale des caractéristiques est qu'en se retirant, cette inondation laissait des montagnes de boue, d'alluvions, de sable, parmi lesquelles se trouvaient des cadavres humains et d'animaux.

Pour vous montrer l'importance de cette aide dans les dispensaires de tout le sud Honduras, où les conditions de vie pour les médecins et pour les personnes de la sécurité civile n'étaient pas simples (bêtes toxiques, difficultés d'adaptation à la vie subtropicale), nous avons fait quatre postes de consultation, un poste de soins infirmiers et même une salle de réanimation.

Nous avons sauvé quelques personnes avec des critères qui, pour nos administrateurs hospitaliers, seraient simples puisque c'est une hospitalisation même pas d'un jour mais de quelques heures ; il s'agissait par exemple de personnes arrivant en déshydratation aiguë, que l'on perfusait et qui, après deux litres et demi, repartaient sur leurs pieds vers ce qui restait de leur maison. Cela ferait la joie de nos budgets hospitaliers.

Au niveau des villages, nous avons couvert une zone très étendue dans cette plaine pacifique, où nous avons eu l'impression non pas d'une inondation mais d'un « blast », d'une vague, comme un raz-de-marée d'eau douce qui serait passé. Dans la mesure où, par exemple, un bras de la rivière s'est créé au niveau d'un méandre, le rio de Choluteca a complètement quitté son lit, a traversé une plaine où il n'y avait rien hormis des villages. Des villages entiers ont été dévastés, et entraînés vers le Pacifique.

Nous avons également fait de nombreux actes de consultations à Choluteca Hôpital. D'après les décomptes faits avec Bernard VIALA, il ressort qu'avec les médecins de la « Jeanne d'Arc », nous avons fait plus de 10 000 consultations sur une période d'une douzaine de jours, ce qui représente une activité très importante.

Au niveau de l'hôpital, nous avons installé une tente comme celle que voyez sur cette diapositive ; nous y avons mis un poste sanitaire mobile de deuxième génération qui correspond à un hôpital en caisses situé dans une vingtaine de SAMU français et permettant d'intervenir en France métropolitaine. C'est la première fois que nous sortions de l'hexagone pour renforcer les hôpitaux.

Cela a été par exemple utilisé pour la catastrophe de Furiani, pour renforcer l'hôpital de Bastia, et pour l'inondation de la ville de Nîmes où l'hôpital avait été envahi par les eaux sur deux ou trois niveaux.

Dans ce cas, cela a été adapté au niveau de l'hôpital de Choluteca, pas l'intégralité, mais nous avons distribué tous les jours des médicaments, du matériel matin et soir, en collaboration avec la santé publique locale et le directeur de l'hôpital.

Dans cette mission, il s'agissait d'une opération SAMU, parce que nous sommes habitués à nous déplacer, mais il faut bien comprendre que c'est l'hôpital français qui s'est déplacé vers le Honduras et le Nicaragua. Avant de partir, nous avions pensé qu'il serait intéressant d'avoir des pédiatres ; du fait que nous avons vu 60 % d'enfants et des tout petits même, l'apport de la pédiatrie et de ses deux médecins pédiatres a été important, comme celui des médecins anesthésistes, des infirmiers anesthésistes, qui a permis d'avoir une vision « réanimatoire » sur ces patients.

Nous avons laissé une partie du matériel sur place, sur ordre de la cellule d'urgence, et cela fait partie du milliard dont parlait Michel BONNOT.

Nous avions vingt-deux personnels, huit tonnes de matériel ; nous avons fait des évacuations sanitaires, c'est-à-dire que nous avons repris notre rôle de médecins de SAMU à l'occasion d'une explosion de mine sur des Honduriens qui défrichaient un champ ; il y a eu deux morts et trois blessés graves, qui ont été évacués par Transall sur la capitale de Tegucigalpa, parce que nous n'avions pas les moyens, en tout cas sur l'aéroport, de traiter ces patients.

Le lot PSM, c'est quatre lots polyvalents, deux lots principaux, que j'avais laissés sur place en fonction des difficultés que nous pourrions rencontrer, notamment avec le volcan. Un lot principal et un lot polyvalent étaient restés à Managua ; un lot principal était à Tegucigalpa et les deux autres étaient dans la plaine sud Hondurienne.

A mon sens, les points intéressants de cette affaire sont les suivants :

- C'est une action immédiate dans le cadre d'une catastrophe par inondation, où il y a intérêt à arriver même trois jours après pour traiter les patients. Nous avons eu une pathologie d'inondation et de boue, des mycoses, etc., spécifiques à ce type de catastrophe.

- Nous avons apporté une aide matérielle dans la culture française de la médicalisation du terrain, et nous avons essayé de parler de perspective à plus long terme en présentant le bilan aux organisations non gouvernementales sur place au moment où nous sommes partis le samedi ou le vendredi, je ne me souviens plus.

- Nous avons instauré une série d'échanges, notamment avec l'hôpital de Choluteca. Il y avait une lettre du Directeur de Choluteca pour mon directeur à Mondor à Créteil. Nous avons déjà reçu des demandes notamment dans la formation, parce que c'est principalement ce que nous avons fait à l'hôpital de Choluteca : de la formation pour essayer de préparer l'avenir sur ce qui a été dit Monsieur le représentant de l'Ambassade du Guatemala, c'est-à-dire en ayant une vision plus prospective que la simple aide ponctuelle qui a été nécessaire. Parlons un peu de l'avenir.

M. le Président - Merci, Docteur.

Je pense que vous avez un éclaircissement plus complet.

M. Hubert SEILLAN - Je souhaite poser deux questions.

La première est en rapport avec les difficultés que vous avez rencontrées et, pour simplifier, je vous demande la difficulté majeure à laquelle vous avez été confrontés lorsque vous êtes arrivés.

La deuxième question, que j'ai en suspens depuis le début de cet entretien, consiste à savoir si vous avez ressenti un phénomène dominant, c'est-à-dire un effet de dégradation successive de l'ensemble du système, lorsque vous êtes arrivés.

Dr Michel BONNOT - Il faut éviter de tomber dans l'autosatisfaction ; il faut toujours se remettre en cause et se dire que l'on peut faire plus, faire mieux.

Bien sûr, nous avons rencontré des difficultés. Je vais vous en citer une un peu technique. J'ai dirigé la cellule d'urgence il y a dix ans, et j'ai repris du service le jour du MITCH. Dans le temps, nous pouvions affréter des avions, appelés des « Combi », c'est-à-dire à moitié passagers et à moitié cargos, ce qui permettait de faire partir les sauveteurs avec leur matériel. C'est essentiel, c'est une règle majeure, fondamentale du secourisme ou même des militaires ; les militaires partent avec leur matériel. En termes de secours civil, c'est également le cas : on part assis sur son matériel.

Ces « Combi » ont disparu du marché civil. J'en ai parlé avec Monsieur GAYSSOT ; j'ai revu ses services, mais je ne sais pas si cela va se débloquer. Il n'en existe plus, parce que la réglementation de l'aviation est tellement féroce que, maintenant, les compagnies civiles n'en disposent plus. Seul Air France en possède un, mais il est complètement « surbooké ».

J'ai donc dû faire partir les sauveteurs d'un coté et le matériel de l'autre, à coeur contraint. Malheureusement, ce qui devait arriver arriva : les sauveteurs étaient à pied d'_uvre à Managua, sur site, et le matériel était bloqué à Miami. J'ai mis quarante-huit heures pour faire rallier le matériel aux sauveteurs. C'est une honte pour moi, c'est inadmissible et, si l'on ne règle pas ce problème technique, qui relève d'un règlement de l'aviation civile, nous ne pourrons pas répondre à ce type d'intervention, quelle soit à l'étranger ou dans nos territoires d'Outre-Mer, parce que les sauveteurs doivent arriver avec leur matériel.

Nous étudions actuellement la deuxième amélioration ; je l'ai lue dans les recommandations du rapport de Monsieur KERT. Nous allons étudier avec la sécurité civile l'idée de prépositionner des stocks dans les zones à risques ; c'est une idée que j'ai soumise à Monsieur JOSSELIN et au Président de la République française. Nous verrons ce point lors la réunion de Nouvelle Calédonie, dans les Antilles ou en Guyane.

J'ai quelques chiffres. Rien qu'en affrètement d'avions pour du matériel d'assistance, du matériel de premiers secours qui n'a pas beaucoup de valeur (bâches, couvertures, etc.), les avions cargo nous ont coûté plus cher que le matériel transporté (7 millions de francs pour 300 tonnes de matériel).

A 25 francs le kilo pour Managua, alors que l'on achète les biscuits protéinés pour les enfants, etc., à 8 000 francs la tonne, cela coûte très cher la tonne transportée.

C'est l'une des améliorations que nous sommes entrain d'étudier. Si elle est réalisable, nous le ferons. Dans ce cas, on fait davantage avec cette même somme.

M. le Président - Voulez-vous compléter, Docteur MARGENET ?

Dr MARGENET - Pour les médicaments, le fait de prépositionner pose un problème. En effet, le système du PSM2 qui, en France, se trouve habituellement dans des hôpitaux de volume suffisamment important, permet de tourner sur les stocks pour les dates de péremption ; cela représente une économie importante ; cela donne un petit surcoût de trésorerie mais, en fait, aucun consommable n'est jeté.

A mon avis, il est tout à fait intelligent de prépositionner du matériel en Guyane, mais les médicaments devront tourner sur place. Nous sommes obligés de jeter tout ce qui est périmé, et c'est un petit problème. Cela étant dit, s'il n'y a plus que les médicaments à transporter, ce sera déjà un avantage très important.

Vous demandiez également ce qui nous a frappés le plus sur place : il s'agit du désir des gens d'apprendre, et leurs connaissances intellectuelles par rapport à leurs capacités purement techniques ou financières. Tous les médicaments que nous leur apportions même les plus « sophistiqués », les plus européens, étaient parfaitement connus dans leur maniement, leur emploi. Ils n'avaient jamais vu la couleur de certains médicaments, mais ils les connaissaient et ils avaient une envie de formation tout à fait importante. Je pense qu'une piste importante est à suivre pour améliorer, même avec l'argent que nous avons, la façon de traiter les patients, notamment à l'hôpital au Honduras, où j'étais présent.

M. le Président - Merci d'avoir confirmé le bien fondé d'une base là-bas.

Dr MARGENET - Nous sommes en train de l'étudier. Cela peut représenter des économies, puisque ce matériel est acheminé par bateau, calmement, avec des appels d'offres au calme et au meilleur prix. C'est la théorie.

Le stockage est sur place et, en second lieu, cela gagne du temps. Nous avons fait un avion direct, un gros porteur, un Antonoff, Paris-Managua, dix-huit heures avec un équipage de relève, alors que nous aurions mis trois heures à partir des Antilles ou de Guyane.

Mais il y a ensuite la reprise du matériel par des avions qui ne sont pas basés en Guyane, qu'il faut faire venir de Miami. Tout cela n'est pas aussi simple. Nous l'étudions de façon « notariée ».

M. le Président - Merci, si vous êtes d'accord, nous pouvons poursuivre sur l'aide européenne et l'aide internationale, avec Monsieur HEYRAUD, Monsieur l'Ambassadeur VIGNAL et ma collègue.

Je crois que le Capitaine de Vaisseau SAUTTER est arrivé, il peut nous rejoindre ici.

M. Jean-Claude HEYRAUD (Responsable de la prévention et de la préparation aux catastrophes au sein d'ECHO) - Merci, Monsieur Le Député.

Avant de vous donner quelques chiffres sur ce qu'a fait l'Union européenne au niveau Commissions et globalement avec les Etats membres, je voudrais vous préciser ce qu'est notre politique de prévention et de préparation aux catastrophes, qui est relativement nouvelle à la Commission.

Evidemment, l'ouragan MITCH questionne : sommes-nous bien en adéquation avec ce qui peut se passer dans ces différentes régions du monde particulièrement exposées ? Excusez le fait que les quelques transparents qui accompagnent la présentation sont en anglais ; pour le détail de ma présentation, je vous laisserai toute une documentation à votre disposition, Monsieur le député.

(présentation de transparents)

L'ouragan MITCH et ses conséquences sont un grand sujet de réflexion pour ECHO, l'Office humanitaire de la Commission européenne.

Ce graphique nous indique le montant estimé de l'ensemble des aides humanitaires pour le monde entier en 1997. Pour vous situer ECHO et la Communauté européenne, la contribution de l'Union européenne représente 44 % du total mondial, et ECHO contribue pour environ 40 % du total de l'aide européenne en 1998 (environ 500 millions d'écus). Avec un tel apport d'aide humanitaire, ECHO s'intéresse bien sûr également à la prévention et à la préparation aux catastrophes, que notre règlement humanitaire intègre d'ailleurs dans le concept d'aide humanitaire.

L'ouragan MITCH nous interpelle bien sûr sur la pertinence du travail que nous menons actuellement dans ce domaine de la prévention et de la préparation aux catastrophes ; les premiers éléments de cette réflexion nous confirment dans les orientations que nous avons données à notre programme depuis quelques années, en fait depuis deux ans, et nous incitent à l'étendre et à l'approfondir.

Je rappellerai d'abord très brièvement, voire schématiquement, que les catastrophes naturelles sont le résultat de la rencontre de l'avènement d'un phénomène naturel d'une violence et d'une nocivité particulières et d'autre part, de populations et de leurs biens vulnérables à ce phénomène.

Il est évident que les conséquences de certaines catastrophes sont amplifiées par l'intervention ou la négligence de l'homme lorsqu'elles ne sont pas entièrement de sa responsabilité, mais ce n'est pas le lieu pour développer cela. Je vous le dis tout de même parce qu'avec notre spécificité de l'humanitaire, ECHO se consacre davantage à l'aspect vulnérabilité, alors que la responsabilité sur l'ensemble des aspects prévention des phénomènes ou réduction en général de la vulnérabilité est un domaine qui relève davantage des autres services de la Commission européenne (notamment la DG12, et le Centre Commun de Recherches pour la recherche), de nos politiques de développement (DG1A, DG1B, DG8 pour l'aide au développement) et, pour l'Union européenne, de la DG11 et du secrétariat général.

Nous distinguons essentiellement deux aspects que recouvre le concept de prévention : la prévention proprement dite et l'atténuation des conséquences des catastrophes d'une part, et la préparation aux catastrophes d'autre part ; il s'agit surtout de la mise en place de systèmes d'alertes les plus précoces possible et de la préparation des secours.

Le message que je souhaite faire passer sur ce transparent est le suivant : la prévention et la préparation aux catastrophes relèvent d'abord des politiques de développement et de nos politiques de coopération au développement.

A l'intérieur de l'Union, il s'agit d'abord de nos politiques d'aménagement des territoires. Pour ce qui concerne les pays tiers, nous travaillons actuellement, à la Commission, sur un document qui définira les responsabilités des différents services de la Commission dans ce domaine. En fait, comme responsables de la prévention et de la préparation aux catastrophes, nous travaillons d'abord sur la promotion de la prise en compte systématique de ce domaine dans nos politiques de coopération au développement. La prévention doit constituer une dimension incontournable de ces politiques, ce qui est encore loin d'être le cas.

Nous pensons que ce qui s'est passé en Amérique centrale renforce encore cette conviction de l'importance de cette prise en compte dans les politiques de développement, et il faudra certainement en tenir compte d'une façon plus globale et systématique dans l'avenir.

Avant de poursuivre sur le travail de prévention, je souhaiterais vous indiquer les objectifs de la politique de la Commission dans ce domaine.

ECHO étant humanitaire, son principal objectif, son rôle est d'abord de s'occuper de ceux qui souffrent des catastrophes, à savoir les populations concernées, les communautés affectées. Le principal objectif est donc de chercher à réduire la vulnérabilité des populations, à protéger leurs biens et leurs moyens de subsistances. On peut ainsi espérer réduire le nombre de victimes, réduire les coûts socio-économiques et tout autre effet négatif.

Dans ce premier objectif, nous prenons donc d'abord soin de ceux qui souffrent et qui payent d'une manière ou d'une autre. D'autre part, il y a ceux qui, par solidarité, doivent payer : les gouvernements, les bailleurs de fonds, les assurances.

Pour les gouvernements et les bailleurs de fonds, les actions de prévention et de préparation aux catastrophes devraient aboutir à une réduction des besoins et des coûts des aides humanitaires ; elles devraient limiter ou éviter les à-coups dans le processus de développement. Nous devrions ainsi pouvoir arriver à un rééquilibrage entre les aides humanitaires et les aides au développement, avec un plus grand retour de fonds en faveur du développement.

Pour les assurances, les actions de prévention et de préparation aux catastrophes devraient permettre de réduire les charges des compagnies d'assurances, ce qui aboutirait à une réduction des primes d'assurances, donc à une augmentation du nombre des assurés.

Pour atteindre tout ou partie de ces objectifs, ECHO ne se contente pas de ce travail de promotion que je viens de mentionner. Depuis deux ans, dans le cadre d'une coordination avec les Etats membres et particulièrement la France, nous avons pris une nouvelle approche. Le programme qui lui correspond est ce que nous avons appelé le programme DIPECHO (« Disaster Prepareness ECHO »).

Il s'agit pour ECHO d'aborder les problèmes à une échelle régionale en prenant un certain nombre d'initiatives afin d'assurer une plus grande cohérence des actions que nous finançons. Il s'agit également d'assurer une meilleure coopération et, par suite, une meilleure cohérence avec les activités menées par les autres services de la Commission, par les Etats membres et par les autres intervenants, notamment les différentes agences des Nations Unies.

Il a été décidé de nous concentrer d'abord sur trois régions du monde parmi les plus exposées aux catastrophes naturelles : l'Asie du Sud Est et le Bangladesh, les Caraïbes et l'Amérique centrale. Depuis la décision prise en juillet 1996, des études diagnostiques ont été menées sur chacune de ces régions. Elles ont considéré les aléas, les vulnérabilités, les systèmes de réponses existants et les appuis extérieurs.

A la suite de ces études, des consultations régionales ont été menées afin de tester leurs conclusions. Elles ont abouti pour chaque région à une réunion des représentants des Etats et des organisations locales, les autres services de la Commission et les Etats membres y ayant participé. Celle pour l'Amérique centrale s'est tenue à San José en décembre 1997.

Tout ce travail a finalement abouti à la préparation d'un plan d'action pour chacune des trois régions, dont l'Amérique centrale, plan d'action dont le financement a été approuvé en juillet dernier après avoir reçu l'avis unanimement favorable des Etats membres. Les projets commencent actuellement, mais ils n'ont bien sûr pas été mis en place avant la venue de l'ouragan MITCH. Nous ne pouvons donc pas mesurer leur impact.

La Commission a bien sûr répondu à l'ouragan par une aide humanitaire. J'y reviendrai. Actuellement, nous examinons les éventuelles réorientations à donner au plan d'actions compte tenu de la situation nouvelle laissée par l'ouragan. Nous étendons le programme DIPECHO à trois autres régions : la communauté Andine, l'Asie du Sud et l'Afrique avec, pour ce continent, une concentration sur l'épidémiologie.

Avec le DIPECHO, nous couvrirons ainsi en 1999 six régions du monde parmi les plus exposées, pour chacune desquelles sera préparé un plan d'action. Ces plans d'action sont préparés et mis en _uvre en coopération aussi étroite que possible avec les Etats membres, donc avec la France.

L'action d'ECHO porte essentiellement sur la préparation aux catastrophes, c'est-à-dire la mise en place et le renforcement des systèmes d'alerte, et l'organisation des secours ; nous ne négligeons pas la prévention proprement dite mais uniquement sous forme de micro-projets pilotes ou à effet démonstratif. Il revient alors aux populations locales et aux gouvernements d'abord, puis bailleurs de fonds, de reprendre ces projets à plus grande échelle dans le cadre des politiques de développement.

En conclusion, les conséquences de l'ouragan MITCH nous semblent confirmer la justesse de l'orientation prise par la Commission au cours de ces dernières années, même si ces orientations relativement récentes doivent encore porter leurs fruits.

D'une part, il s'agit de l'approche régionale du DIPECHO, consistant à préparer les plans d'action par régions, portant en premier lieu sur la réponse à donner aux besoins identifiés, avec priorité aux lacunes à combler, et en deuxième lieu sur une meilleure cohérence des réponses à tous les niveaux, y compris externes, en commençant par les services de la Commission et par les Etats membres. Nous allons poursuivre et étendre la préparation et la mise en _uvre de tels plans d'action.

D'autre part, il s'agit de poursuivre et d'intensifier ce travail de promotion de la prévention des catastrophes dans nos politiques de développement et de coopération au développement. Bien sûr, nous n'en resterons pas là ; avec beaucoup d'autres qui ont manifesté leur intérêt, nous examinerons certainement plus en détails ce qui aurait pu être mieux fait en Amérique centrale, et nous en tiendrons compte dans le développement de notre politique.

PAHO, la partie de l'Organisation Mondiale de la Santé qui couvre les Amériques, a prévu une réunion dont l'importance explique son report actuel à février 1999, à laquelle nous participerons bien sûr.

Nous apprécions d'avoir été invités à cette audition, et espérons que cette rencontre nous permettra de renforcer encore la coopération entre la France et les services de la Commission européenne, afin de rendre plus cohérente l'action de l'ensemble de l'Union européenne.

Je souhaite compléter avec quelques chiffres sur ce que nous avons fait. Dans la semaine qui a suivi, ECHO a mobilisé 10 millions d'écus, qui ont été attribués à treize organisations, essentiellement la Croix Rouge espagnole et la Croix Rouge allemande, ainsi qu'à onze autres ONG européennes. Il s'est essentiellement agi d'aide alimentaire, d'aide en matière de produits d'urgence et d'aide médicale.

En plus de ces 10 millions d'écus, 9 millions d'écus seront votés dans les prochains jours pour compléter cette première aide. Avec les autres services de la Commission, nous arrivons ainsi à un montant de près de 40 millions d'écus, et avec les Etats membres qui, selon les chiffres que nous avons obtenus le 26 novembre, ont attribué 130 millions d'écus, nous obtenons globalement 170 millions d'écus au niveau de l'Union européenne. A la suite du conseil ECHOFINE du 23 novembre, un chiffre de 418 millions d'écus a été atteint, chiffre qui inclut l'effort pour la réduction de la dette.

Toutes ces aides sont supposées être en rapport direct avec les plans d'urgence mis en place dans chaque pays.

Notre politique, qui est celle de l'Union européenne en général, correspond à celle déclarée par les présidents des pays d'Amérique centrale : priorité à la préparation de projets de réhabilitation. La priorité devrait être donnée à des projets contribuant à la prévention ou à l'atténuation des conséquences des désastres futurs, et à la réduction de la vulnérabilité des plus pauvres.

Mais l'objectif n'est pas la reconstruction. Il s'agit plutôt d'utiliser cette occasion pour un nouveau début dans le développement de ces pays afin que le risque de ces aléas soit mieux pris en compte dans l'avenir.

Merci, Monsieur le Député.

M. le Président - Merci, Monsieur HEYRAUD.

Monsieur le Ministre plénipotentiaire Renaud VIGNAL, que j'ai connu ambassadeur en d'autres régions du monde, quel est le thème de conclusion de cette première table ronde ? Est-ce de demander si la France peut faire davantage et mieux que ce qu'elle vient de faire ?

M. Renaud VIGNAL (Directeur d'Amérique, ministère des affaires étrangères) - Merci, Monsieur le Président.

Je ne voudrais pas faire de l'autosatisfaction, d'autant que le thème de mon intervention concerne l'irruption de l'irrationnel en politique étrangère.

Personne n'avait prévu MITCH ; comment gérer une catastrophe comme MITCH lorsqu'on est dans l'appareil d'Etat, avec Monsieur Michel BONNOT, avec plusieurs collègues, tous ceux ici présents ? De plus, comment la gérer lorsque la coïncidence de MITCH se produit avec l'imminence d'une visite du Président de la République ?

Il se trouvait en effet que le Président de la République devait visiter le Mexique, visite prévue depuis longtemps, et qu'il devait ensuite faire une étape au Guatemala en visite d'état. En effet, il y a au Guatemala un processus de paix qu'il faut encourager, qui va dans le bon sens, et il y a aussi Madame MENCHU, prix Nobel de la Paix, amie personnelle du Président.

Et puis MITCH a commencé à se produire, et l'on s'est demandé chaque jour ce qui se passait et ce que nous pouvions faire. Nous étions impliqués d'abord comme personnes humaines. On sentait la population française impliquée ; on le voyait chaque soir à la télévision.

De plus, nous avions une réunion prévu à Guatemala avec les trois autres présidents des trois malheureux pays touchés par MITCH (Honduras, Guatemala et Salvador), qui devaient faire une réunion de leur organisation des pays d'Amérique centrale, mais se réunir d'abord le lundi 23 novembre avec le Président CHIRAC.

Avec l'équipe de l'Elysée, nous avons pensé que nous n'allions tout de même pas demander aux trois présidents en question de se déplacer à un moment où leur présence était plus nécessaire que jamais dans leur pays.

Nous avons pensé que nous devions donc probablement proposer que le Président CHIRAC se rende sur place, au Guatemala, pour faire sa visite d'état officielle, puis qu'il propose à ses collègues de ne pas les déranger en les faisant sortir de leur pays et de venir manifester auprès d'eux la solidarité naturelle du peuple français face au drame.

Une semaine à l'avance, nous nous trouvions donc avec un Président allant au Guatemala mais faisant ensuite trois visites rapides au Honduras, au Nicaragua et au Salvador, où jamais un président français ne s'était rendu. Il devait avoir en main tout ce que nous vous avons décrit ; il pouvait rencontrer sur place toutes les équipes prévues dans le cadre de tout ce que nous vous avons décrit.

Pour être allé moi-même sur les traces du Président et avoir rencontré les équipes, je suis fier, à titre de citoyen français, des gens que j'ai rencontrés, des personnes qui ont manié la pelle et qui ont été au contact complet des populations.

Cette aide était formidable, immédiate, mais cela ne suffisait pas. Le problème pour nous est que cette zone d'Amérique centrale n'est pas l'une des zones de concentration de notre aide. Dans l'ancien système, actuellement révolu, du ministère de la Coopération et du ministère des Affaires étrangères, nous avions une zone que nous appelions le « champ » et une zone que nous appelions le « hors-champ » ; l'Amérique centrale était vraiment dans le « hors-champ ».

Or, tout à coup, il fallait faire face à une situation de dévastation complète, comme lorsque nos pays avaient été ravagés par la guerre. J'ai eu le sentiment de me trouver comme après la guerre : 70 % des ponts détruits, les routes détruites à moitié, 20 à 50 % des cultures détruites, etc.

Nous étions en novembre et nous devions trouver quelque chose qui soit à la mesure de l'événement. Nous avons donc trouvé l'aide d'urgence, mais nous avons trouvé une autre formule qui été l'annulation de la dette ; à un moment où ces pays étaient ravagés, nous ne pouvions pas leur demander de continuer à consacrer le peu de leurs ressources, à supposer qu'ils parviennent encore à en exporter, à rembourser la dette.

Dans le cas des deux pays les plus ravagés, le Honduras et le Nicaragua, le coût de la dette en termes de remboursement était d'environ 35 % du montant des exportations annuelles consacré au remboursement de la dette. Sans que cela fasse un plaisir fou à nos amis de Bercy, comme vous l'imaginez, cela a donc supposé des arbitrages douloureux, mais nous étions dans une situation où le Président se rendait sur place.

Nous pouvions dire aux amis de Bercy : « ou vous avez des sommes considérables à mettre sur la table (Mesdames et Messieurs les Députés, vous savez bien qu'en novembre nous n'avons plus de situation budgétaire, à supposer que nous en ayons eu), ou il faut trouver quelque chose qui fasse masse ».

Qu'est-ce qui faisait masse ? L'annulation de la dette permettait d'apporter un chiffre de 650 millions de francs. Le Président est arrivé et a pu dire : « pour vous permettre de consacrer le peu de moyens que vous conservez à la reconstruction, nous qui sommes présidents du Club de Paris proposons de consacrer notre prochaine réunion à un examen de votre dette (cela s'est fait hier). Nous ferons le nécessaire pour que tous nos collègues vous aident à obtenir des annulations de dettes prévues par les textes internationaux. D'entrée de jeu, nous vous disons que, sur l'aide publique au développement, celle qui dépend du Gouvernement français et de la représentation nationale (pas l'aide commerciale), nous annulons la dette ».

Cela permettait donc d'arriver avec un chiffre considérable, et cela a été la manière pour nous de faire une annonce importante. Nous entrions dans notre « cuisine » de fonctionnaires préparant une visite, et nous avons trouvé cela.

Nous sommes également au niveau de ce que demandaient les pays de l'Amérique centrale. Ces pays s'étaient réunis le 16 novembre à Salvador, et avaient demandé une aide qui portait sur :

- l'aide d'urgence,

- la dette,

- l'aide à la reconstruction,

- l'accès au marché,

qu'ils souhaitaient voir plus larges de la part des pays développés vers lesquels ils exportaient.

Le Président CHIRAC se rendant sur place, il a repris cette demande des pays d'Amérique centrale à son compte. Une conférence se tient aujourd'hui et demain (elle a commencé ce matin, à Washington), sous l'égide de la banque interaméricaine de développement, dont c'est tout à fait la fonction. Le Président CHIRAC a d'ailleurs demandé que la conférence qu'il appelait de ses v_ux se tienne sous l'égide, soit de la Banque Mondiale, soit de la banque interaméricaine de développement.

A cette conférence, seront abordés les quatre thèmes que je viens d'aborder, l'aide d'urgence plutôt à titre rétrospectif, l'aide à la reconstruction, la dette, l'accès au marché, qui sera probablement pour nous le sujet le plus difficile. Les Français peuvent arriver à cette conférence en mettant sur la table environ 200 millions de dollars, représentant une grosse partie de la dette.

Nous avons été parmi les premiers qui ont lancé l'idée de l'annulation de la dette. La Conférence Internationale pour la Reconstruction de l'Amérique centrale forment le sigle "CIRAC", est-ce une coïncidence? Merci, Monsieur le Président.

M. le Président - Merci, Monsieur VIGNAL, de ce trait final.

Monsieur SAUTTER, malgré la qualité des propos des officiers supérieurs, souhaitez-vous apporter un complément d'informations ?

Capitaine de vaisseau Philippe SAUTTER (Chef adjoint du Cabinet Militaire du ministre de la Défense) - Peut-on faire mieux et plus ? Pour la défense, il est difficile de faire plus, sauf circonstances exceptionnellement favorables, mais nous pouvons certainement faire mieux comme le disait Monsieur BONNOT tout à l'heure.

L'irrationnel a joué pour nous puisque la « Jeanne d'Arc » n'était pas là par hasard ; elle était dans l'Atlantique parce que c'était sa croisière normale de formation. C'est le ministre Alain RICHARD qui a personnellement pris la décision d'envoyer la JEANNE quelques jours au large de l'Amérique centrale pour utiliser ses hélicoptères, plutôt que de faire escale aux Etats-Unis.

Nos amis américains l'ont bien compris, mais nous ne pouvions pas envisager que ce bateau, qui a une centaine d'officiers élèves, un programme « hors-champ » de formation, un programme de visites préparé un an à l'avance dans des différents pays de la planète, annule tout cela pour avoir quelques hélicoptères sur place. Il était donc opportun qu'elle se trouve sur place à cette occasion.

Il était également opportun qu'à cette époque, la Défense ne soit pas engagée dans des opérations nécessitant ces avions de transport, les Transall. Actuellement, ils sont tous utilisés pour la Macédoine.

En troisième lieu, on voit souvent dans la défense la possibilité d'avoir une capacité de transport très rapide immédiatement mobilisable. L'Armée de l'Air a certes deux Airbus ; l'un d'entre eux a été utilisé pour transporter très rapidement le personnel de la sécurité civile. Là aussi, ce n'est pas toujours possible, mais il faut savoir que nous n'avons pas non plus de gros porteurs, et que, de même que la cellule d'urgence a du affréter des Antonoff, nous avons affrété nous-mêmes un Antonoff, avant hier, pour transporter notre matériel vers la Macédoine.

De même, la Défense n'a pas de bâtiments, de Ro-Ro, de cargos qui puissent transporter du matériel assez facilement. Nous avons aussi affrété un Ro-Ro pour transporter notre matériel vers Thessalonique ; il est en route en ce moment même.

En revanche, nous pouvons certainement améliorer l'efficacité, et je rejoins les propos du docteur BONNOT concernant la rapidité de la prise de la décision. Le cas de MITCH est exemplaire et il faut s'en souvenir, en particulier également en termes de consultation interministérielle.

Si l'on veut utilisons les atouts de l'outil de la défense, le principal est cette capacité à nous projeter, puisque c'est tout de même notre mission principale, donc de partir « assis sur notre caisse », comme cela a été dit tout à l'heure. Nous sommes capables -en particulier l'Armée de Terre y est particulièrement bien adaptée- d'aller n'importe où dans le monde, voire dans un endroit où le chaos règne, de nous organiser, de vivre sur place, de travailler et de transmettre les informations.

Le deuxième atout de la Défense est ce réseau mondial de commandements de transmissions, nos commandements dans tous les territoires et départements d'Outre-Mer. Dans le cas présent, ce sont les Antilles qui ont assuré une partie du commandement, ainsi que les détachés de Défense, qui dépendent des affaires étrangères et des ambassadeurs mais qui, sur place, ont une bonne relation avec les armées locales, lesquelles ont normalement une bonne connaissance du terrain.

Nous démultiplions donc bien la capacité d'alerte et d'investigation en utilisant les attachés de défense sur place, ce qui a été fait pour MITCH.

Quant au prépositionnement, nous avons vu ce qu'a fait le Service militaire adapté. Ce sont de jeunes Antillais qui font un service militaire dans lequel ils apprennent un métier et, dans ce cas, ce sont les métiers du bâtiment ou des travaux publics, ce qui était opportun. Nous les avons utilisés pour refaire des routes à Puerto Barrios.

C'est l'avantage d'avoir déjà aux Antilles du matériel, un bateau et ce personnel qui est allé directement sur place. Il y aura peut-être à discuter, mais comme le disait le docteur BONNOT, on travaille actuellement sur tout cela. Nous ne savons pas comment nous allons procéder. Y a-t-il moyen d'associer les armées au prépositionnement du matériel ? Ce n'est pas forcément évident ; cela dépend du type de matériel (probablement pas les médicaments, qui sont l'affaire du ministère de la Santé), mais ces points seront sûrement à discuter par la suite.

Enfin, l'essentiel est de savoir préparer le relais aux autres acteurs, les acteurs normaux ; les armées n'ont pas vocation à faire l'humanitaire ; ce n'est pas leur travail ; d'autres le font beaucoup mieux qu'elles.

Deux exemples sont venus à l'esprit pour MITCH. Nous avons pensé que les armées pourraient envoyer des unités de traitement de l'eau. Nous avons des petites unités qui permettent à une section de vingt personnes de vivre sur le terrain. Nous n'avons pas de quoi réapprovisionner une grande ville ; c'est l'affaire de la Générale des Eaux. On ne l'a pas encore dit jusqu'à présent, mais je voudrais témoigner de l'excellent travail fait par la cellule d'urgence et par l'Elysée dans la mobilisation des grandes entreprises de ce pays, pour la deuxième phase.

En second lieu, nous avions également pensé que les armées avaient certainement de quoi fournir des groupes électrogènes. Elles possèdent de petits groupes électrogènes, qui fonctionnent en 220 volts 50 périodes alors que, sur place, on est dans le modèle américain, c'est-à-dire du 115-60. C'était à l'EDF d'intervenir, et elle l'a très bien fait.

Le passage de flambeau de ceux qui font de l'urgence à ceux qui font de la reconstruction est très important.

M. le Président - Merci, avant de clore cette table ronde, Philippe MASURE, vice-président du Comité français de la Décennie Internationale de Prévention aux Catastrophes Naturelles, qui rentre d'une mission à Cuba où il était question de ce type de problèmes, pourrait brièvement nous en parler.

M. Philippe MASURE (Chargé de mission Risques et Aménagement du Territoire au BRGM, Vice-Président du Comité français de la DIPCN) - Merci.

Dans le cadre des actions du Comité français pour cette décennie internationale des Nations Unies, nous avons créé il y a deux ans un réseau de villes dans le bassin Caraïbe, qui rassemble des villes des îles Caraïbes, des pays d'Amérique centrale et du nord de l'Amérique du Sud.

Nous avions notre deuxième séminaire à La Havane la semaine dernière, et nous avons parlé en particulier des aides nécessaires pour la reconstruction et pour le redéploiement des pays affectés. Malheureusement, ces phénomènes de catastrophes se reproduisent très souvent et ils sont assez prévisibles.

Nous avons profité de la réunion, près de notre salle à la Havane, des ministres des Affaires Etrangères du système économique latino-américain, pour leur faire parvenir une lettre au nom de ce séminaire GÉMITIS, conduit par la France mais auquel participaient dix pays de la région, dans laquelle nous avons fait un certain nombre de suggestions. Je vous les évoque rapidement.

En premier lieu, nous avons mis l'accent sur la croissance de la vulnérabilité des établissements humains dans la région d'Amérique centrale et plus généralement latino-américaine. Les causes ne sont pas liées à une croissance des phénomènes naturels dangereux mais ce sont des causes politiques, économiques, sociales et institutionnelles.

En deuxième lieu, nous avons souligné le fait que les modèles de développement mis en _uvre dans la région au cours des dernières décennies sont certainement inadaptés compte tenu de l'existence de phénomènes de type cyclonique, tremblements de terre, inondations, glissements de terrain, etc. Ces modèles doivent donc prendre en compte, dans le cadre de projets d'aménagements, de constructions et de développements, l'existence de ces phénomènes dangereux.

En troisième lieu, nous avons souligné que la responsabilité de cette vulnérabilité croissante était partagée par les responsables nationaux mais également par les organisations internationales, tout particulièrement celles qui aident aux développements de ces pays pour mettre en _uvre des schémas de développement inadaptés.

Cette réunion était organisée par la France, avec l'aide des autorités cubaines, et les deux pays avaient décidé de supprimer la dette extérieure des pays affectés en Amérique centrale. En quatrième lieu, nous avons suggéré que la suppression de cette dette soit accompagnée d'exigence de programmes de prévention dans ces pays.

Monsieur l'Ambassadeur, nous vous faisons part de ce souhait qui est ressorti de nos discussions ; nous sommes même allés jusqu'à faire référence au rachat de dettes se plaçant dans le cadre de la protection de l'environnement, de la biodiversité, du WWF. Sans aller jusqu'à ce stade, il serait intéressant d'exiger un certain nombre de choses de la part des pays auxquels nous apportons de nombreuses aides financières.

En cinquième lieu, nous avons mis à la disposition de la SELA (Système Economique Latino-Américain), l'expertise de ce groupe GÉMITIS, qui a l'originalité de rassembler des compétences françaises et des compétences latino-américaines locales. C'est certainement un élément très important. Nous ne venons pas avec des schémas tous faits, établis dans nos pays développés, mais nous adaptons des modèles à la réalité locale, qui est variée comme on a pu le dire jusqu'à présent.

M. le Président - Merci, y a-t-il une question à formuler à propos de ces interventions ?

(Pas d'intervention)

Pour clore cette première table ronde, Catherine GENISSON, Présidente du groupe d'amitié France-Guatemala, qui a accompagné le Président de la République, pourrait peut-être nous dire si les officiels qu'elle a rencontrés avaient une attente différente de ce que nous avons exposé ici. Y a-t-il eu des surprises dans les attentes formulées par les officiels sur place ?

Mme Catherine GENISSON (Députée, Présidente du Groupe d'Amitié France-Guatemala) - L'impact de la visite du Président de la République au Guatemala a été remarquable. Il faut le souligner ; c'était d'ailleurs le premier président français à se rendre dans ce pays. Sa présence était d'autant plus remarquable qu'au-delà de l'ouragan MITCH, c'est un pays qui commence seulement à connaître un début de démocratie. En effet, les accords de paix ont été signés en décembre 1996, et ils font suite à quarante ans de dictature et de chaos politique.

Nous avons constaté -cela a été exprimé très clairement par les officiels- que tout incident, que ce soit un accident naturel ou un accident politique, est capable de déstabiliser très vite ces pays ; en fait, ils sont très attentifs au soutien que l'on peut leur apporter dans l'urgence mais aussi dans le cadre de leur développement. C'est un message très fort qu'ils nous ont fait passer, c'est-à-dire que comptent beaucoup pour eux tous les accords de coopération, toutes les ouvertures de marché, tout le soutien que l'on peut apporter à leur développement social, économique, politique et, notamment pour le Guatemala, leur développement touristique.

L'accueil du Président de la République française a été très chaleureux au Guatemala par sa personnalité et aussi parce qu'il représentait le peuple français et que, pour eux, cela représentait un soutien très important d'un pays démocratique pour ce qu'ils vont vivre dans les années à venir.

M. le Président - Merci, Catherine GENISSON.

S'il n'y a pas de questions, nous passons maintenant à la table ronde numéro°2 que, comme la première, nous fractionnons en deux parties.

Viendront à cette tribune les personnalités qui sont dans les trois premiers thèmes. Les trois autres thèmes seront étudiés dans la seconde partie de la table ronde.

Merci aux intervenants de la première table ronde.

Que s'est-il passé ? Qu'a-t-on vu venir ? Que n'a-t-on pas vu venir ? Comment cela s'est-il traduit en termes d'informations ?

2. LES AMELIORATIONS POSSIBLES POUR LA FRANCE

- L'ALEA CYCLONIQUE

M. Jean-Louis RAVARD (Directeur délégué pour l'Outremer à Météo-France) - (Projection de transparents)

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Ces quelques transparents, qui ont été transmis, vous montrent des images du cyclone MITCH et de sa trajectoire.

Du point de vue météorologique, MITCH était un phénomène cyclonique de fin de saison, dans l'ouest de la mer des Caraïbes, qui a été classé dépression tropicale dès le 21 octobre, c'est-à-dire plus d'une semaine avant qu'il ne se transforme en catastrophe dans les pays touchés. Il s'est progressivement renforcé en remontant vers le nord, pour devenir un ouragan le 24 octobre, puis un développement brutal dans une trajectoire d'ouest nord-ouest l'a mené au stade 4 sur l'échelle de Saffir Sympson le 25 octobre, puis au stade 5 le 26 octobre à 18 heures.

Il était alors à égale distance (environ 200 kilomètres) du Honduras et du Nicaragua. Le stade 5 est le plus violent dans l'échelle de Saffir Sympson, échelle de cinq graduations utilisée dans les Caraïbes. Ce cyclone était donc placé au quatrième rang du siècle en intensité.

Voici l'image de MITCH à son paroxysme, avec une pression centrale de 905 millibars. Les vents étaient alors estimés à plus de 300 kilomètres par heure en rafale dans le mur de l'_il. Ce cyclone a d'abord poursuivi une trajectoire vers l'ouest, puis il s'est incliné vers le sud à partir du 27 octobre ; il est entré sur le continent américain par la côte nord du Honduras dans la nuit du 29 au 30 octobre.

Lorsqu'il a frappé les côtes, il n'avait pas la puissance qu'il avait à ce moment-là. On se réfère donc souvent à une intensité comparable aux plus grands cyclones du siècle. C'est vraiment lorsqu'il était en mer qu'il était le plus fort. Le paroxysme se situe dans le mur de l'_il, entre 40 et 80 kilomètres de son centre. A ce moment, il ne pouvait pas avoir une influence sur les pays avec des vents de 300 kilomètres à l'heure.

Lorsqu'il est entré dans la nuit du 29 au 30, il avait perdu de son intensité ; il était alors classé 3 sur l'échelle de Saffir Sympson, c'est-à-dire que les vents étaient estimés à 150 kilomètres à l'heure en moyenne et à 200 kilomètres à l'heure en rafales.

En revanche, les pluies diluviennes associées à la masse nuageuse ont provoqué des catastrophes à ce moment. En effet, en s'affaiblissant, le cyclone a ralenti sur sa trajectoire et, de ce fait, il s'est traîné quatre à cinq jours sur le Honduras et le Guatemala, en provoquant des pluies de l'ordre de 1 000 à 1 500 millimètres sur cette durée d'environ quatre jours.

Ensuite, MITCH a continué à s'affaiblir sur les côtes du Pacifique au Guatemala, a redressé sa trajectoire vers le nord et a continué à s'affaiblir jusqu'au 4 novembre, où il est passé en Floride.

Ce phénomène a été suivi par les services météorologiques nationaux dans le cadre du programme des cyclones tropicaux d'organisation météorologique mondiale, qui organise la prévision cyclonique autour de cinq centres régionaux, en l'occurrence le centre régional et national Hurricane Center de Miami, qui a une responsabilité sur l'ensemble de l'Atlantique Nord pour le suivi de toutes les dépressions et phénomènes tropicaux évoluant dans cette zone.

Il a été dit que les prévisions de Miami n'avaient pas été de très bonne qualité ; ce transparent fait apparaître la trajectoire du cyclone, en rouge pour l'ouragan, en sépia pour la tempête, en vert pour la dépression tropicale. Ce qui est intéressant, ce sont les positions prévues à trente-six heures d'échéance par pas de douze heures, transmises par le centre de Miami, qui apparaissent en bleu.

On voit que, pendant toute la trajectoire du cyclone, les modèles numériques ont systématiquement tiré la trajectoire vers le nord-ouest, alors qu'elle persistait dans un déplacement sud sud-ouest. Ces prévisions ont donc été plutôt en dessous de la moyenne.

L'erreur moyenne sur la prévision du déplacement du centre d'un cyclone est de l'ordre de 150 kilomètres à vingt-quatre heures et de plus 500 kilomètres à trois jours d'échéance. C'est peu lorsque l'on sait que les effets cataclysmiques du mur de l'_il sont circonscrits autour de cinquante kilomètres de son centre.

C'est toutefois suffisant pour donner des informations pertinentes sur l'arrivée des masses nuageuses puisqu'en l'occurrence, la masse nuageuse associée à MITCH et à l'origine des pluies diluviennes faisait environ 1 000 kilomètres de diamètre. C'est également suffisant pour donner des informations pertinentes sur les trains de houle qui précèdent le cyclone.

Les progrès de la science depuis une vingtaine d'années sont sensibles, mais il faut rester modeste et bien prendre en compte les limites de la prévision dans l'information donnée à ceux qui ont en charge la sécurité des populations. Continuons de progresser car tout porte à croire que l'échelle de travail est désormais accessible aux modèles numériques. Mon collègue LASSERRE-BIGORRY, responsable du centre de recherche cyclonique au Centre météorologique régional spécialisé de la Réunion, nous parlera des axes de recherche actuels.

Si Miami a une responsabilité régionale dans l'Atlantique Nord et les Caraïbes, Saint-Denis de la Réunion a une responsabilité régionale pour le sud-ouest de l'océan indien dans le suivi de tous les cyclones évoluant dans cette zone.

M. le Président - Merci. Monsieur VIGNAL, ajoutez-vous des éléments de réflexion ?

M. Charly VIGNAL (Sous-direction de la prévention des risques majeurs) - Avec plaisir, Monsieur le Député.

Monsieur RAVARD ayant décrit de manière très exhaustive le phénomène MITCH, je n'ai plus rien à ajouter. Je me permettrai de vous présenter trois transparents d'ordre plus général sur l'aléa cyclonique et le risque cyclonique.

(Projection de transparents)

Le premier transparent identifie les zones au niveau mondial où le phénomène est observé. C'est un phénomène essentiellement intertropical, bien que les cyclones puissent évoluer au-delà des tropiques, à l'exception notable de la zone strictement équatoriale (la Guyane française, par exemple, est protégée du phénomène cyclonique) et également à l'exception de l'Atlantique sud.

Les départements et les territoires d'outre-mer sont donc concernés, avec une période cyclonique principale de juillet à octobre pour les Antilles et de janvier à mars pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et la Réunion.

Le deuxième transparent concerne plus particulièrement le risque. Il présente les événements catastrophiques ayant affecté spécifiquement les départements d'outre-mer de 1982 à 1998. Deux zones ont été identifiées : la zone Antilles et la zone de la Réunion. Depuis 1982, vingt événements ont été identifiés.

- 40 % concernent des phénomènes cycloniques avec des caractéristiques classiques de cyclone, c'est-à-dire des vents soutenus, supérieurs à 118 kilomètres à l'heure. Ces événements sont identifiés en grisé, il s'agit d'HUGO, LUIS, MARYLIN, BERTA pour les Antilles, CLOTHILDA, FIRINGA, COLINA et HOLLANDA pour l'île de la Réunion.

- 25 % concernent des événements cycloniques qui n'ont pas atteint le niveau de cyclone proprement dit, c'est-à-dire qui n'ont pas atteint la vitesse de 118 kilomètres à l'heure. Il s'agit donc de dépressions et de tempêtes tropicales, qui peuvent être très meurtrières et très dommageables. On pense en particulier au phénomène de KLAUS, en octobre 1990, qui n'est pas sans rappeler ce qui s'est passé en Amérique centrale, bien sûr à un degré moindre dans le caractère dommageable. Il s'agit de GILBERT, KLAUS, CINDY, IRIS et FINALA pour l'île de la Réunion.

Dans ces zones tropicales, il y a 35 % de phénomènes très dommageables non associés à des phénomènes cycloniques. Je pense en particulier aux événements récents qui ont durement frappé l'île de la Réunion en février 1998.

Le dernier transparent concerne plus particulièrement un risque très important associé au cyclone : le risque littoral, c'est-à-dire les phénomènes de sursaute, donc l'élévation du niveau de la mer associée à la baisse de pression de l'_il du cyclone et au vent à la côte.

Ce transparent vous présente les résultats d'une étude conduite par Météo-France, que nous avons cofinancée au ministère de l'Environnement. Elle identifie, pour la Guadeloupe, des zones particulièrement exposées à ces types de risques, notamment la zone de Lamentin, de Baie-Mahault et de Petit-Bourg. Les valeurs de surcote, c'est-à-dire les valeurs de l'élévation de la mer peuvent atteindre plus de trois mètres dans certaines conditions, avec des vents très forts de l'ordre de 250 kilomètres à l'heure.

Je conclurai en disant qu'au ministère de l'Environnement, nous souhaitons continuer à soutenir ce type d'étude en intégrant, en ce qui concerne les risques littoraux, le phénomène de houle. Nous espérons donc pouvoir aboutir prochainement à une carte complète dès 1999, où seraient identifiés pour les Antilles, les risques de surcotes et les risques de houles.

M. le Président - Merci, Monsieur VIGNAL.

Monsieur LASSERRE-BIGORRY, vous êtes loin puisque vous êtes à Saint-Denis de la Réunion, et vous voyez haut puisque vous êtes dans les satellites. Qu'a-t-on vu et comment peut-on servir des améliorations éventuelles ?

M. Antoine LASSERRE-BIGORRY (responsable de la cellule recherche cyclonique au centre météorologique régional spécialisé de Météo-France à Saint-Denis de la Réunion)

Mon intervention ne se bornera pas uniquement à l'apport des satellites. En effet, ils ont une couverture globale mais ils ont un petit problème : ils font ce que l'on appelle de la télémesure et ils ont un problème de recalibrage. Pour ce faire, il faut avoir des mesures in situ.

Je vais vous présenter les axes de recherche qui portent aujourd'hui sur une meilleure connaissance du phénomène cyclonique (on le décrit bien avec les satellites, mais on ne le connaît pas très bien) afin d'avoir une meilleure prévision des trajectoires des cyclones. On a vu l'exemple américain sur MITCH, où les prévisions de trajectoire n'étaient pas fameuses.

La qualité des prévisions de trajectoire se fait pour l'instant en mesurant l'erreur faite entre la trajectoire du centre observée a posteriori et la prévision. Comme le disait Jean-Louis RAVARD, nous avons dans nos prévisions à vingt-quatre heures une erreur de l'ordre de 150 kilomètres, mais nous avons déjà une erreur d'environ 50 kilomètres sur la position initiale du cyclone, rien qu'en analyse, pour savoir où il se trouve.

On ne part donc pas de zéro. Il y a eu des améliorations sur les prévisions de trajectoire puisqu'en vingt ans, nous avons diminué de 40 kilomètres l'erreur moyenne sur les prévisions à vingt-quatre heures, et de 100 kilomètres sur les prévisions de trois jours.

Il semble qu'en faisant uniquement de la modélisation des représentations de trajectoires, nous atteignions un palier sur la qualité des prévisions. Maintenant, pour améliorer les trajectoires des cyclones, il faut travailler essentiellement sur les prévisions d'intensité. C'est un peu la position qui ressort actuellement de la Communauté scientifique.

Ces prévisions d'intensité impliquent donc une meilleure connaissance des cyclones tropicaux. L'océan est un des moteurs des cyclones tropicaux. Le cyclone tropical est un phénomène essentiellement maritime, et il faut donc parvenir à bien comprendre ce qui se passe dans les interactions océan atmosphère, et spécialement en cas de vents forts.

Généralement, en météorologie, lorsque l'on veut bien connaître un phénomène, on fait des campagnes de mesures. Je ne voudrais pas être la personne qui ira faire des campagnes de mesures en mer, au passage d'un cyclone tropical. Cela pose des problèmes fondamentaux de connaissance de ce qui se passe à l'intérieur d'un cyclone tropical, non seulement de visu mais aussi avec des mesures fiables et de qualité.

Un phénomène est relativement peu connu mais a, semble-t-il, un impact assez important dans les échanges entre l'océan et la basse atmosphère : les effets de « spray » de l'eau par les vents très forts. On ne connaît pas très bien ce phénomène, et je pense qu'il est assez difficile d'arriver à voir les impacts sur les échanges entre le haut du cyclone et l'océan.

Il y a d'autres impacts entre l'océan et le cyclone. Un cas très intéressant a été le cyclone OPAL, en 1995, qui est passé sur une bulle d'eau chaude dans le golfe du Mexique. A ce moment, le cyclone s'est réintensifié et est arrivé sur les côtes des Etats-Unis.

Pour des mesures in situ dans les océans, nous avons tout de même des moyens, qui sont des moyens de bouées et des avions. Malgré la qualité que l'on peut déplorer sur le cyclone MITCH, les Américains envoient systématiquement des avions à l'intérieur des cyclones pour faire des mesures, et lâcher des « drop sonds », sondes permettant de mesurer les profils verticaux de vent et de température à l'intérieur du cyclone, selon des trajectoires prédéterminées. Ceci est un complément des mesures satellitales.

Sur l'océan indien, nous sommes un peu dépourvus en mesures, essentiellement en mesures satellitales. Nous avons actuellement un satellite géostationnaire provisoire à 36 000 kilomètres et qui bouge avec la terre, donc qui a l'impression de ne pas bouger. Il est envoyé provisoirement au-dessus de l'océan indien ; nous pouvons donc travailler mais, dans un an ou deux, il mourra de sa belle mort et nous n'aurons plus d'observations satellitales, qui nous paraissent importantes sur l'océan indien.

J'ai parlé de ce qui se passait en mer, mais ce qui nous intéresse dans le cas qui nous occupe, ce sont les prévisions d'atterrage des cyclones pour pouvoir faire la mise en alerte des populations et faire des prévisions en termes de vents forts et de précipitations.

Pour ce faire, nous utilisons :

- les modèles de prévisions numériques,

- les radars météorologiques permettant d'avoir une portée de 400 kilomètres, donc de bien positionner l'_il du cyclone et les zones de vents forts,

- les bouées ancrées,

- un nouveau moyen de mesure relativement léger, en cours de développement en Australie : un système d'avion sans pilote.

Enfin, pour reprendre ce que disait Charly VIGNAL, il faut avoir des outils d'impact à priori. Il a présenté les modèles de marées de tempête avec les risques sur les Antilles ; il existe aussi des projets de cartographie de vents forts sur l'île de la Réunion, qui est une île volcanique de cinquante kilomètres de diamètre avec un sommet de 3 000 mètres.

Un dernier point concerne les prévisions de crues liées à l'impact des fortes précipitations. Pour l'anecdote, la Réunion a les records de précipitations pour les périodes de douze heures à quinze jours, avec un maximum de 1 800 millimètres de précipitations en vingt-quatre heures sur un bassin bien particulier. On peut imaginer ce que cela peut représenter vis-à-vis du bassin versant et de la rivière qui déverse en aval.

M. le Président - Merci. Je donne la parole à Madame Pascale DELECLUZE, qui va nous parler de la recherche fondamentale dans ce domaine, nous dire où elle en est et comment elle peut servir une cause comme MITCH.

Mme Pascale DELECLUZE (Responsable de l'équipe de modélisation au laboratoire d'Océanographie dynamique et de Climatologie du CNRS-IRD-Paris VI) - Je tiens tout d'abord à préciser que mon domaine d'expertise concerne la recherche climatique. Je travaille sur des échelles de temps et d'espace plus larges que l'échelle cyclonique.

Cela étant dit, on peut considérer que l'échelle cyclonique est un processus de sous-maille et va donc dépendre de l'échelle du climat, de la grande échelle qui va conditionner l'occurrence des cyclones. En particulier, dans le cadre des anomalies climatiques à l'échelle de la planète, les anomalies de plus grande amplitude observées actuellement à l'échelle interannuelle sont celles liées au processus « El Nino », qui couvre l'océan Pacifique, très important en 1997-1998 et suivi par un refroidissement du Pacifique appelé « La Nina ».

Lorsque ces anomalies climatiques se produisent dans l'océan Pacifique, elles ont des conséquences à l'échelle globale parce qu'elles modifient les frontières, les déplacements des masses d'eau chaude à l'échelle globale. Du fait des déplacements à l'échelle globale que créent ces anomalies, on peut penser qu'elles vont déplacer les zones où il y aura davantage de risques cycloniques.

En ce qui concerne les territoires d'outre-mer, par exemple, la Polynésie française est souvent atteinte par une occurrence accrue de cyclones lorsque se passe un « El Nino ». En l'occurrence, nous étions dans une situation « La Nina », et il y a eu au contraire des occurrences plus fréquentes de cyclones dans l'Atlantique Equatorial.

On ne peut donc pas dissocier les événements de grande échelle climatique de ce qui se passera à plus courte fréquence.

Le domaine de la prévision saisonnière, c'est-à-dire de la prévision du climat de trois à six mois est actuellement un enjeu majeur. La semaine dernière a été lancé officiellement un programme de recherche, le programme CLIVA, lancé par le programme mondial de la recherche sur le climat. Ce programme s'occupera de la variabilité climatique et de sa prévision, et il s'intéressera notamment à détecter les modes lents du climat qui sont prévisibles.

Bien sur, le premier mode sera consacré à la variabilité climatique dans les tropiques, avec l'exemple de « El Nino » et toutes ses conséquences dans la bande tropicale. Ensuite, il examinera les bandes de variabilité beaucoup plus lentes, la variabilité décennale par exemple, et l'impact des effets anthropiques sur ces variabilités lentes du climat.

La prévision de ces modes lents de variabilité saisonnière est un domaine qui a fait beaucoup de progrès depuis dix ans, mais où l'on a encore besoin de beaucoup de recherches fondamentales. On peut dire qu'actuellement, certains centres sont même passés du mode recherche au mode opérationnel, sur ces modes lents de variabilité.

En particulier, au niveau européen, cet effort est concrétisé par exemple par le Centre Européen de Prévisions à moyen terme, qui a maintenant aussi dans ses axes de recherches la variabilité saisonnière. Aux Etats-Unis, par exemple, un Institut de Recherches qui s'est créé au Lamont s'occupe de la prévision du climat et de sa prédiction.

Les événements extrêmes du climat peuvent maintenant anticiper avec des progrès remarquables sur leur amplitude et leur durée. On n'en est pas encore à des scores de réussite extraordinaires ; la recherche avance progressivement et, du fait d'un réseau de plus en plus dense, nous avons une confiance de plus en plus grande dans la prévision climatique, mais ces domaines évoluant très rapidement et il faut continuer à les encourager.

M. le Président - Merci, Madame DELECLUZE. Je donne la parole à Monsieur Jacques MERLE.

M. Jacques MERLE (Directeur de l'Unité de Recherche « CLIMAT » à l'Institut de Recherche pour le Développement) - Je peux compléter les propos de Pascale DELECLUZE sur la recherche amont, principalement dans le domaine océanique, puisque nous sommes des océanographes.

Pour qu'il y ait cyclogenèse, c'est-à-dire formation de cyclone sur l'océan, la température de surface de l'océan doit être supérieure à 27 ou 28 degrés, et il doit y avoir un réservoir thermique, c'est-à-dire une couche relativement homogène et chaude à cette température de l'ordre d'une cinquantaine de mètres.

Dans les océans tropicaux, ces conditions sont remplies dans les zones montrées où se produisent habituellement ces phénomènes cycloniques. Cela étant dit, la variabilité saisonnière et interannuelle du climat engendre des mouvements océaniques qui conduisent à des déplacements de ces réservoirs d'eau chaude. Notamment le phénomène « El Nino », bien connu et dont on a beaucoup fait état dans les médias ces dernières années, amène des eaux chaudes normalement concentrées sur le Pacifique Ouest à traverser le Pacifique Central et le Pacifique Est et à générer des cyclones dans des régions où, habituellement, on n'en a pas, comme la Polynésie française.

Quant à l'Atlantique, il est un peu en opposition de phase avec l'océan Pacifique.

J'ai un document qui montre la situation thermique de l'océan Atlantique en novembre 1998. En ce moment, après le « El Nino » qui a atteint son maximum au cours de l'hiver dernier, nous entrons dans une phase « La Nina », c'est-à-dire dans une phase froide ; le Pacifique Oriental et Central devient plus froid que la normale.

L'Atlantique, au contraire, est affecté en ce moment d'une anomalie chaude, notamment dans les Tropiques et dans les régions extra tropicales. Cette anomalie chaude favorise évidemment le développement de cyclones, et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles nous avons eu une cyclogenèse particulièrement active cette année, après une période « El Nino ».

En ce moment, nous mettons en place des observatoires des océans pour justement suivre et si possible prévoir l'évolution thermique des océans, donc prévenir en quelque sorte les conditions favorables à une cyclogenèse.

Ces observations sont de trois types :

- Nous utilisons d'abord les navires marchands, les navires de commerce, auxquels nous demandons de faire des observations routinières, en lâchant des sondes thermiques perdables dont on enregistre les données, qui sont transmises en temps réel à des centres de données.

- Nous utilisons aussi des bouées ancrées dans la zone équatoriale et extra-équatoriale ; un tel réseau a été développé dans le Pacifique ; en ce moment, un réseau semblable se développe dans l'océan Atlantique.

- Nous utilisons enfin les données satellitales dont on a parlé antérieurement. Ces données permettent notamment d'obtenir une mesure globale de la température de surface, de la température « de peau » de l'océan, donc de suivre d'éventuels déplacements d'eau chaude risquant de générer des cyclones.

Toutes ces données sont également assimilées dans des modèles et, à l'avenir, ces modèles seront associés à ces observations systématiques et à leur assimilation dans ces modèles, qui permettront de suivre en temps quasi réel l'évolution des conditions thermiques océaniques, et qui pourront peut-être permettre, non pas de prévoir les trajectoires des cyclones, mais au moins de déterminer les zones où il y a des conditions nécessaires à l'apparition de ces cyclones.

M. le Président - S'il n'y a pas d'observations, je donne la parole à Monsieur DESBOIS.

M. Michel DESBOIS (Directeur adjoint du laboratoire de Météorologie dynamique de l'Ecole Polytechnique) - Je représente Monsieur SADOURNY, qui n'a pas pu venir.

J'interviendrai surtout sur l'aspect observations satellitales car, à mon avis, les possibilités d'amélioration de la prévision des cyclones tropicaux reposent essentiellement sur deux éléments fondamentaux : l'amélioration de l'observation des phénomènes par satellites et l'amélioration de l'assimilation des données issues de ces satellites dans les modèles de prévisions météorologiques, modèles devant avoir une résolution spatiale appropriée à la description du phénomène cyclone.

Pourquoi amélioration de l'observation des phénomènes par satellites ? Nous avons vu toute l'importance des mesures par bateaux, par avions, qui peuvent être faites par ailleurs pour valider les mesures satellitaires mais, les cyclones tropicaux se formant sur les océans, les moyens d'observations par satellites sont indispensables ; il n'y a pas de possibilité d'avoir recours à des stations météorologiques permanentes au sol.

Les paramètres essentiels à observer sont :

- la position, l'étendue et la structure des masses nuageuses,

- les vents à la surface de la mer mais également en altitude,

- les températures de surface de la mer,

- les précipitations,

- une condition nécessaire à la formation des cyclones : la distribution de la vapeur d'eau atmosphérique.

Ces paramètres doivent être observés avec une répétitivité temporelle suffisante, qui dépend du paramètre observé et de l'échéance de la prévision recherchée. Pour fixer les idées, une observation toutes les trois heures serait souhaitable pour la plupart des paramètres.

Quels sont les moyens satellitaires existant à l'heure actuelle ? Nous avons vu tout à l'heure de magnifiques images du cyclone MITCH, qui sont obtenues par le satellite géostationnaire Américain « GOES ». Ce sont essentiellement ces satellites géostationnaires qui permettent de suivre en temps réel le déplacement des cyclones.

Nous avons une série de satellites qui dépendent de différents pays : METEOSAT pour l'Europe, GOES pour les deux cotés de l'Amérique, GMS opéré par le Japon. Il y a un trou au-dessus de l'océan indien ; il y a un satellite indien, INSAT, qui devrait couvrir cette zone, mais ses données ne sont pas accessibles aux différentes météorologies intéressées.

Actuellement, en raison d'une expérience scientifique, appelée INDOEX, qui aura lieu sur l'océan indien, l'hiver prochain, nous avons obtenu le déplacement d'un METEOSAT sur l'océan indien. Ceci est très utile mais il faudrait chercher à pérenniser cette situation ou du moins avoir accès aux données du satellite indien, trouver un moyen pour couvrir cette région. C'est important pour tous les cyclones qui affectent en particulier la Réunion.

Ces satellites géostationnaires, qui permettent le suivi des cyclones, permettent également de restituer des vents par suivi des nuages dans certaines régions et à certains niveaux, aux endroits où des nuages appropriés existent, mais pas au coeur du cyclone.

Il y a également divers instruments sur des satellites à orbite basse, notamment :

- Des radiomètres micro-ondes, dont un a fait faire beaucoup de progrès dans l'observation des phénomènes tropicaux : SSMI, qui est sur un satellite météorologique de défense militaire américaine,

Cela permet une certaine estimation de l'intensité des vents sur la surface de la mer et des précipitations.

- Des diffusiomètres, instruments très utiles mis en place sur des satellites européens de la série ERS. Ces diffusiomètres permettent la restitution des vents à la surface de la mer, paramètre que nous pouvons assimiler assez facilement dans les modèles de prévisions météorologiques.

J'insisterai maintenant sur les améliorations à apporter. J'en ai déjà signalé une : combler le trou au-dessus de l'océan indien. Dans les années à venir, les satellites géostationnaires seront dotés, s'ils ne le sont pas déjà, de nouveaux canaux d'observation qui permettront une meilleure identification des zones précipitantes et une amélioration des vents déduits des mouvements des nuages.

D'autre part, la résolution temporelle de ces satellites augmente ; actuellement ils fournissent des images toutes les demi-heures (du moins METEOSAT), et ils pourront en fournir tous les quarts d'heures et même sur commande, voire plus fréquemment. Puis il y a la nouvelle génération de satellites opérationnels à orbite basse, qu'ils soient américains ou européens, qui comporteront des sondeurs atmosphériques améliorés permettant notamment de restituer les profils verticaux de vapeur d'eau.

Il y aura également des diffusiomètres permettant de mesurer le vent à la surface de la mer.

Les principaux manques existants, pour lesquels nous avons des espoirs d'amélioration pour les régions tropicales, concernent l'observation des éléments du cycle de l'eau (vapeur d'eau, eau liquide nuageuse, précipitations) et la répétitivité des mesures dans les Tropiques.

Des solutions faisant appel à davantage d'observations dans le domaine des hyperfréquences (que l'on appelle aussi micro-ondes) et à des orbites tropicales ont été envisagées.

Il existe actuellement un satellite mis en place par les Américains et les Japonais, appelé TRMM (« Tropical Rainfall Measurement Mission »), qui a fourni des observations absolument saisissantes sur les cyclones qu'il a survolés. C'est un satellite expérimental et il n'est pas question pour le moment d'utiliser ses données pour de la prévision, mais cela montre une voie très intéressante, parce que ce satellite avait un radar pluie et un radiomètre micro-ondes tout à fait adaptés à l'observation des précipitations données par ces cyclones. En particulier, on obtient des coupes verticales remarquables au travers des cyclones.

Le défaut de ce satellite est le fait qu'il est isolé et à orbite très basse, ce qui lui donne une répétitivité temporelle d'observation très faible. Actuellement, sur ce type de satellite, des projets existent pour les années 2004/2005.

Il existe un projet national que je mentionne puisque j'en suis le responsable : un projet entre le CNES et l'agence spatiale indienne, l'ISRO, d'un satellite appelé MEGA TROPIC, « MEGA » signifiant « nuage » en indien. Il s'agit d'un satellite à orbite peu inclinée sur l'équateur, porteur notamment d'instruments micro-ondes passifs qui permettraient d'observer l'ensemble de la zone intertropicale avec une répétitivité supérieure à quatre fois par jour, ce qui n'est pas le cas pour les satellites actuels.

C'est un projet relativement modeste mais, plus globalement, il existe la même volonté d'augmenter l'échantillonnage des systèmes précipitants, en particulier des systèmes précipitants tropicaux. la NASA prépare un projet auquel elle souhaite associer les autres agences spatiales, qu'elles soient européennes, japonaises ou autres.

Ce projet, appelé « GLOBAL PRECIPITATIONS MISSION » serait un réseau de neuf satellites, huit d'entre eux étant équipés de simples radiomètres micro-ondes et l'un d'entre eux, le satellite-mère, d'un radar précipitations qui servirait à étalonner les autres satellites. Je viens d'en entendre parler dans un discours d'un responsable de la NASA, le professeur MOREL, d'origine française, que beaucoup connaissent dans notre milieu. Ce projet prend corps et je pense qu'il sera très utile dans l'observation des zones tropicales.

La fin de mon intervention porte sur le moyen d'entrer ces données satellitaires dans les modèles, de les assimiler dans les modèles de prévisions.

Actuellement, certaines données satellitaires sont assimilées dans les modèles ; ce sont essentiellement les vents déduits des géostationnaires, ou les profils de températures et d'humidité déduits de certains sondeurs sur certains satellites, ainsi que parfois les vents de surface de mer donnés par les diffusiomètres.

Mais beaucoup de produits, notamment tous ceux qui concernent l'observation des systèmes eux-mêmes, comme les cyclones, ne sont pas introduit comme une donnée de base dans le modèle de prévision. Des essais ont été faits pour introduire ce genre d'informations dans les modèles.

Notamment, à l'université de Floride, un professeur très connu, Monsieur KRISHNA MOURKI, a montré que l'assimilation de données de satellites relatives à la pluie ou au dégagement de chaleur latente associé à cette pluie (la condensation de l'eau libère de la chaleur qui intensifie le cyclone) permettait d'améliorer la prévision des trajectoires des cyclones. Mais ceci n'est pas encore utilisé de manière opérationnelle.

On peut penser qu'il faut absolument développer ces études sur l'assimilation de données satellitaires, puisque beaucoup d'entre elles, même des satellites existants à l'heure actuelle, ne sont pas utilisées complètement, et c'est le deuxième axe de recherches que je voulais mentionner ici, en dehors du développement des satellites eux-mêmes.

M. le Président  - Merci, Monsieur DESBOIS.

Monsieur FRITSCH, que répondez-vous à ces sollicitations sur l'eau ?

M. Jean-Marie FRITSCH (Directeur de l'Unité de Recherche « Usages de l'eau » à l'IRD) - A la suite de mes collègues océanographes et atmosphériciens, je dirai qu'étant moi-même hydrologue, je représente un peu « l'armée de terre de la recherche » ici ce soir.

La communauté des hydrologues que je représente a pour objectif scientifique de transformer des informations de pluies, qui sont anticipées et déterminées par ceux qui viennent de parler, en débits dans les rivières. C'est une opération hasardeuse, comme toute prévision, et qui pose un certain nombre de problèmes dont je vais vous parler.

Le principal problème en termes d'application pour la gestion des risques est la prévision de la vitesse des courants. En effet, il faut faire une différence entre l'inondation, qui n'est pas très agréable, avec de l'eau qui monte lentement et envahit les maisons, et un courant qui traverse une ville ou une route.

A titre d'exemple, avec un courant d'un mètre par seconde, soit 3,5 kilomètres par heure, lorsque l'on a de l'eau à la taille, si on lève une jambe on est emporté. On n'imagine pas vraiment à quel point c'est sensible. J'ai constaté qu'avec un courant de 3 mètres par seconde sur un fond de petits cailloux, avec de l'eau en dessous du genou, on ne tenait pas. C'est très sensible.

On comprend bien que l'on touche à un domaine complètement local par rapport aux études atmosphériques ou océanographiques. Chaque prévision, chaque modélisation de comportement de rivière doivent être faites en tenant compte des conditions locales.

En pratique, la difficulté de la méthode est la suivante : on peut toujours construire des modèles (beaucoup en font et ils fonctionnent assez bien) dans les domaines où l'on peut les valider. Lorsque l'on a des crues observées ou des chroniques de débits observées avec des pluies observées, on peut voir si le modèle est bon, si ce que l'on prédit a posteriori correspond à peu près à ce que l'on a observé.

Mais, pour les grandes crues, c'est très difficile parce que l'on n'a souvent pas d'informations car les crues sont rares. Lorsque, par chance, on a une telle crue sur la rivière sur laquelle on veut faire des prévisions, les appareils de mesure ont en général été emportés et l'on n'a pas d'informations. Il y a donc une difficulté en soi à faire des modèles précis.

La deuxième difficulté est la suivante : lorsque l'on a transformé une prévision de pluies, un scénario de pluies donné par le météorologue, qui dit qu'il va pleuvoir 1 800 millimètres en trois jours, qu'à la première heure il tombera tant, à la deuxième heure tant, on peut transformer cela en chronique de débit, mais il faut ensuite faire passer cela dans une rivière en chronique de hauteur, parce que c'est la hauteur d'eau qui détermine ce qui se passera au niveau des dégâts.

Pour un même scénario donné par le météorologue, on se trouve très vite à prévoir des choses très différentes. S'il y a un pont, il y a deux solutions : le débit que l'on a prédit passe sous le pont ou il ne passe pas parce que des caravanes, des troncs d'arbres ou autres bloquent le pont. Il y a alors de nouveau deux solutions :

- ou le niveau monte sans cesse, le pont cède, et l'on a une vague comme celle de 20 mètres dans le lit de la rivière à Vaison-la-Romaine,

- ou le pont tient et cela craque en amont et une rivière se déverse dans des endroits où il n'y a jamais eu de rivière, qui creuse un lit, et c'est encore pire.

En matière de recherche, il y a donc une sorte de dichotomie entre une recherche fondamentale sur les processus, la modélisation des débits à partir des pluies, et une mise en conformité locale qui ne relève pas véritablement de la recherche, qui relève d'un service de protection civile, mais qui doit être faite.

Tout ceci a pour objet de planifier, de discuter de scénarios, d'imaginer ; lorsque la pluie est tombée ou pendant qu'elle tombe, il y a encore deux cas, qui dépendent essentiellement de la taille du bassin versant :

- sur les très grands bassins versants, on peut installer au fil de l'eau des systèmes qui enregistrent la hauteur de l'eau et qui, entrés dans un modèle, affinent la prévision. Le cas extrême sur lequel nous avons travaillé est celui des crues de l'Amazone à Manaus, où l'Amazone et le Rio Negro se rencontrent.

On peut faire des prévisions deux mois avant, uniquement avec l'eau qui est déjà dans la rivière, sans s'occuper de la pluie, puis on affine. Mais pratiquement un mois avant, toute l'eau qui va déborder est déjà dans la rivière.

- Le ruissellement urbain (comme pour la ville de Marseille, qui a un système de prévision des crues très performant, avec des scénarios d'intervention), où finalement il faut avoir un radar météo pour prévoir la pluie qui tombe et avoir un modèle qui réagit en quelques dizaines de minutes, pour décider à l'avance du scénario dans lequel on se situe, et si l'on évacue les gens ou si on les prévient simplement d'un risque moyen.

En fait, les recherches en hydrologie consistent à améliorer la prévision et la qualité des modèles dans des circonstances exceptionnelles.

M. le Président - Merci.

M. André MANGIN (Directeur Risques Naturels au CNES) - On a beaucoup évoqué l'observation de la terre à divers titres cet après-midi, mais le spatial, c'est bien sûr l'observation de la terre, mais c'est aussi d'autres outils, comme des outils permettant de faire de la collecte de données, de la navigation, des radiocommunications.

Si l'on songe à l'apport du spatial pour les risques, il faut avoir une vision système : l'ensemble de ces outils auxquels il faut songer de façon cohérente et coordonnée.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit, notamment sur l'apport du spatial pour la météorologie, la climatologie, l'océanographie, l'eau. Je rappellerai simplement que, lors de la table ronde précédente, en citant les dégâts occasionnés par le cyclone MITCH en Amérique centrale, on a parlé de développement.

Le spatial est aussi un outil permettant de surveiller. Puisque les satellites de type SPOT ou de type ERS passent régulièrement sur les mêmes zones, ils permettent de cartographier avant la crise les situations affectées par la crise. Des efforts peuvent être faits pour essayer de les programmer au plus près du déroulement de l'événement pour avoir des états à ces instants, mais les satellites peuvent encore être programmés pour fournir des informations après la crise et contribuer aux opérations de réparations.

Il est donc important que les ressources satellitaires soient également sollicitées dans cet esprit, pour apporter une connaissance sur les zones sinistrées. Le CNES a pris cela en considération et nous avons adopté un plan à cet effet. Bien sûr, si l'on ne peut pas prévoir les crises, on peut savoir que des crises interviennent régulièrement sur le globe, et l'on peut donc avoir des schémas d'actions pour nous préparer à cela.

Il s'agit tout d'abord de programmer les satellites disponibles ; nous devons donc nous doter de capacités à cet effet.

En second lieu, nous devons mobiliser les ressources scientifiques et techniques indispensables à l'accomplissement des tâches d'observation dès l'instant où nous avons ces informations satellitaires.

En troisième lieu, nous devons coordonner les travaux et livrer en temps utile, le plus vite possible, les résultats attendus par tous les acteurs concernés par la crise, notamment les acteurs locaux.

Pour revenir au cas du cyclone MITCH, c'est ce que nous avons entrepris. Avec le soutien de nos collègues de l'Agence Spatiale Européenne, nous avons commencé une campagne d'acquisition d'images SPOT et ERS ; mon collègue Michel POUSSE de SPOT IMAGE en parlera plus longuement.

Nous avons également sélectionné les images antérieures disponibles sur la région et nous allons faire procéder à la réalisation de cartes.

Enfin, une assistance sur site sera fournie pour que les acteurs concernés dans les régions puissent interpréter les cartes produites et également réaliser eux-mêmes leurs propres produits d'informations.

Tel est donc le plan que nous avons mis en _uvre. Avant de céder la parole à mes collègues qui décriront plus en détails ce que nous faisons dans ce secteur d'activités, je voudrais faire état, puisque j'ai évoqué l'action que nous avons menée en commun avec l'Agence Spatiale Européenne, d'un accord très récent puisqu'il date de la semaine passée, avec cette agence.

Le CNES et l'Agence Spatiale Européenne ont décidé de créer une sorte de club pour répondre aux besoins dans des situations de crise. Nous voulons donc créer une sorte de partenariat permanent entre nous, afin de favoriser l'apport du spatial dans ces situations de catastrophes.

Ce club sera conçu sur une base de volontariat, sans principes d'échanges de fonds a priori entre les agences concernées. Dans un premier temps, il faudra donner corps à cet accord. Nous prendrons l'exemple de MITCH pour le mettre en route et il sera tout d'abord limité aux agences spatiales en Europe mais, dès qu'il commencera à fonctionner, nous offrirons l'ouverture de ce club aux autres pays et aux autres agences dans le monde. Nous pensons notamment immédiatement à l'Agence Spatiale Japonaise.

Ce club n'est pas une nouveauté du point de vue de son principe puisque un organisme similaire existe déjà dans le domaine des secours, je fais référence à l'activité SARSAT recherche et sauvegarde, où nous avons une coopération avec les Etats-Unis et la Russie.

M. le Président - Merci, Monsieur MANGIN. Je donne la parole à Monsieur CAZAUX.

M. Jean-Claude CAZAUX (Président de SCOT CONSEIL) - Mon intervention complète ce que vient de dire mon collègue du CNES.

(Projection de diapositives)

Depuis plusieurs années, nous avons travaillé les uns et les autres sur des expériences pilotes en utilisant le spatial. MITCH n'est pas une expérience pilote et il serait dommage que cela ne le devienne pas. Nous avons travaillé sur les digues de Camargue, chacun de son côté, en utilisant dans sa propre spécialité l'imagerie spatiale.

Dans un premier temps, nous avons essayé de recenser toutes les expériences parce qu'elles apportent toutes quelque chose. Lorsque je dis « expériences », cela signifie avant la crise, pendant la crise et après la crise.

En second lieu, nous avons essayé de conforter, grâce à des études des acteurs que je viens de donner (CNES, Agence Spatiale Européenne, ou même le Conseil de l'Europe au sein « d'Europe à Risques Majeurs », puisque nous avons travaillé avec des collègues russes), essayé de comprendre les mécanismes du client, c'est-à-dire d'essayer de continuer en techno push à partir du satellite et de voir ce qu'on peut en faire.

Nous avons donc beaucoup de contacts avec les protections civiles, très différentes d'un pays à l'autre (puisque, dans certains cas, c'est le ministère de l'Environnement qui intervient bien avant, puis les protections ; sur l'évaluation des risques, ce sont d'autres schémas), donc une compréhension d'abord utilisateurs.

Actuellement, depuis le 1er septembre et pour une durée de deux ans, nous avons commencé à faire, indépendamment de l'événementiel, une maquette d'un système d'informations sur les risques naturels. Elle est financée par l'Union européenne et nous allons commencer par travailler chez nous, en prenant quatre pays qui ont des crues de types différents, océaniques ou torrentielles : l'Espagne, l'Italie, la France et l'Allemagne.

Ce partenariat au sein de l'Union européenne a donc été tissé. Il se trouve que notre société filiale du CNES est PRIME, coordonnateur de cet ensemble. Quelle est la problématique ? Préparons et identifions les zones à risques. Qu'apporte le spatial dans les zones à risques ? Essayons d'étendre ce que nous avons déjà fait dans le Var (l'occupation du sol, la dimension géographique de l'information, la probabilité sur un bassin d'avoir des zones d'absorption, la nature des sols, etc.).

Nous avons des utilisateurs avec nous. Pour la France (nous n'avons pas fait toute la France), c'est le CERCOS de Bordeaux ; pour l'Espagne, c'est un autre bassin qui est surveillé, etc.

Nous avons alors constaté qu'il fallait peut-être s'organiser, parce que l'accès au spatial n'est pas aussi facile qu'il n'y paraît. Lorsque l'on est utilisateur d'une protection civile, soit avant, soit pendant, soit après, accéder à un satellite est déjà compliqué, même si nous avons l'adresse de SPOT IMAGES. De plus, il n'y a pas que SPOT IMAGES ; il y a ERS ; je parle de la haute résolution.

Nous devons donc sûrement organiser une centrale d'achats, non pas en termes d'achats mais en termes d'accessibilité. Il faut donc trouver une boîte, qui figure ici en jaune, qui soit la structure d'interface ; « il y a un problème, je sais où je vais ». Je pourrai brièvement parler de la Chine tout à l'heure.

En second lieu, la donnée satellite étant complexe, difficile à travailler (il faudrait une carte par rapport à une vérité de terrain, etc.), nous devons préparer l'applicatif pour l'utilisateur. C'est l'utilisateur qui doit décider, qui doit utiliser, mais il y a une préparation.

Pour l'accès à la donnée, il y a le satellite indien, le satellite russe, le satellite canadien ; il faut choisir en fonction de l'orbite au bon moment et, suivant les bandes spectrales, déterminer ce qu'il faut. C'est le service que nous devons rendre à l'utilisateur.

D'autre part, nous devons travailler la donnée parce que, si on lui envoie une image, on ne sait pas où c'est, parce que l'on n'a pas de carte locale. Si l'on ne coopère pas avec la Chine, par exemple, pour avoir la base de donnée cartographique pour mettre l'évolution de la nappe, cela lui sert, mais pas comme cela pourrait lui servir.

C'est donc le projet SIRENE, financé par l'Union européenne.

Tout cela doit communiquer. Vous savez mieux que quiconque que cela va très vite. Avant, on se prépare mais, lorsque c'est parti, cela va très vite. Il faut donc que ces lignes, figurées par des traits, soient très dynamiques.

Sur ce transparent, ce projet est financé par l'Agence Spatiale Européenne et il touche les télécommunications. Pour l'utilisateur, quand on demande la programmation du satellite, cela doit être instantané. Lorsque l'image arrive, elle ne doit pas prendre la poste. Je vais plus loin, parce qu'un troisième projet est en cours : c'est même jusqu'au PC d'intervention. En cas de feu de forêt, où est la citerne ? Où est l'eau des pompiers ?

Pour le moment, nous restons à deux couches, c'est-à-dire que nous faisons tout communiquer grâce aux satellites de télécommunications, aux satellites de collecte de données (ARGOS, collecte de systèmes sur METEOSAT, GPS). Nous avons mis tout cela en phase par rapport à la couche précédente.

Le programme européen SIRENE, le programme Agence spatiale sont donc cohérents, avec les mêmes partenaires. En France, c'est toujours le CIRCOS qui nous servira de témoin. En Espagne, c'est la protection civile espagnole. Cela démarre ensemble et c'est un programme à deux ans.

Nous essaierons peut-être de quitter l'événementiel lié à la télévision ou à des voyages politiquement importants.

Je termine sur la Chine, où il y avait aussi un autre voyage important. On nous a demandé de voir si nous pouvions intervenir dans ce pays, ce qui était très compliqué. Nous ne savions pas où était l'inondation. Nous avons donc utilisé un nouveau programme satellitaire sur SPOT 4 VEGETATION, pour faire une macro-analyse de la Chine.

Nous avons identifié l'eau et, heureusement, ayant sur le même satellite la haute résolution, nous avons pu identifier quelque chose. Mais si l'on n'a pas de carte, on ne rend pas service aux Chinois. A la phase suivante, il a donc fallu discuter avec eux. Nous avons vu l'impact du YEGA sur une ville précise puisque nous avons pu corréler l'observation macro, une grande évaluation, une analyse plus fine grâce aux capacités de SPOT, d'ERS ou autres.

Nous avons surtout pu leur dire que la prochaine était la dernière. Voici toutes les analyses le plus possible en temps réel -nous avons les dates ici-, et la dernière, c'est que nous avons pu leur dire leur périmètre inondé dans la ville-même, c'est-à-dire tout ce qui était coupé en accès et tout ce qui était hélas touché.

Cet événementiel est certes important, mais si nous pouvions nous préparer à ne pas intervenir uniquement lorsque l'événement est arrivé, mais à être organisés, c'est l'enjeu que nous relevons. Vous pouvez y être associés, puisque c'est un club financier, avec 30 à 40 millions de francs pour l'équipement de cette affaire.

Nous proposons donc de nous arrêter pour rassembler les expériences.

M. le Président - Merci, et merci de ce souci de ne pas servir que l'événementiel. Monsieur Michel POUSSE, voulez-vous compléter ?

M. CAZAUX - Je souhaite faire une remarque que je n'ai pas osé faire à la table ronde précédente. Nos amis militaires étaient là. Ils ont un satellite militaire très performant. Sur MITCH, avons-nous utilisé la capacité de notre satellite de défense HELIOS ?

M. le Président - Je peux poser la question. Je donne la parole à Monsieur POUSSE.

M. Michel POUSSE (Responsable projet SPOT à SPOT IMAGE) - Je vous remercie, Monsieur le Député. Je vous laisse un poster illustrant mon propos. Si certains participants souhaitent en avoir, j'ai ici quelques exemples disponibles.

Je tiens d'abord à apporter une précision. Je suis comme mes collègues, du domaine spatial, de l'observation de la terre, mais j'appartiens également à une société privée. Notre actionnaire principal est le CNES, mais nous intervenons au titre du cyclone MITCH au titre de la solidarité. Du fait que nous sommes une PME, même si nous sommes leader mondial dans notre activité, nous ne pouvons pas le faire seul et nous le faisons grâce à un partenariat que nous avons établi avec notre actionnaire, le CNES, ainsi qu'avec l'Agence Spatiale Européenne et d'autres.

Cela pose le problème de l'intervention des sociétés privées, comme évoqué lors de la première table ronde, à l'intérieur des mécanismes de solidarité.

(Projection de transparents)

Je rappelle que l'utilisation de SPOT dans le cadre des catastrophes naturelles est ancienne. J'ai retrouvé dans mes archives une image de mars 1988 montrant une utilisation faite en Nouvelle Zélande lors du passage d'un cyclone, avant et après, de façon à déterminer l'aide internationale, l'aide nationale en l'occurrence puisqu'il s'agit d'un pays très développé, lors du passage du cyclone sur cette rivière dans le nord du pays.

On voit qu'à l'époque, on avait déjà pu estimer, en comparant avant et après, précisément au niveau des hectares, les zones qui avaient connu des glissements de terrain et celles qui, au niveau de l'utilisation des sols, avaient connu des déforestations ou l'abandon de l'agriculture ; nous avions pu quantifier cela de façon à indemniser les agriculteurs de cette région.

Nous sommes dans une situation similaire. Le principe est toujours très simple avec des satellites d'observations de la terre, donc à finalité terrestre ; on compare avant, on compare après. C'est possible parce que nos satellites sont anciens ; je rappelle que le premier satellite SPOT a été lancé par le Centre National d'Etudes Spatiales en 1986 ; nous en sommes au quatrième et il y a une archive de 4 millions d'images.

Il est également possible de programmer ces satellites, c'est-à-dire de réaliser des prises de vue régulièrement, en fonction des événements, de façon à faire le bilan après.

Le principe est le même dans le cas de MITCH. Lorsque nous avons été sollicités au niveau des entreprises françaises pour intervenir dans ce cyclone, avec les réserves financières que j'ai émises tout à l'heure, nous ne pouvions pas le faire seuls, et comme l'ont dit André MANGIN du CNES et Jean-Claude CAZAUX, un seul satellite ne peut pas prétendre tout faire toujours.

Nous sommes obligés de combiner les ressources disponibles de façon à obtenir des images après le cyclone. Le cas du Nicaragua est un peu particulier puisque nous y sommes présents depuis deux ans, dans le cadre d'appels d'offres internationaux que nous avons gagnés au Nicaragua, de façon à réaliser un projet de réformes agraire qui utilise déjà SPOT.

Nous avons un partenariat avec un centre qui est l'équivalent de l'Institut Cartographique National au Nicaragua, qui s'appelle l'INETER. Cette coopération est originale et intéressante parce que nous avons au Nicaragua une structure qui a vocation également à intervenir de manière régionale, qui fait partie de la cellule de crise nicaraguayenne en coordination avec ce qui se passe également au Honduras, et qui sait utiliser les images des satellites.

Cela signifie donc que ces techniciens pourront recevoir des images de nos satellites ; ils en ont déjà d'avant et ils pourront comparer les images d'avant avec les images d'après, mais pas seulement celles de SPOT parce que nous sommes dans l'une des régions qui connaît le taux de couverture nuageuse le plus important au monde.

Cela signifie que les satellites optiques que SPOT IMAGE distribue sont bien sûr, pour ce type d'application, beaucoup plus performants d'un point de vue technique que les satellites radar, mais sont assujettis à la couverture nuageuse. Plutôt qu'avoir des images optiques avec des nuages, il faut donc combiner les images que vous voyez dans ce sens, qui sont les images de SPOT d'avant, et quelques images radar récentes qui cette fois sont des images ERS sur cette zone.

Sur ce transparent, on peut voir que, pour couvrir le Nicaragua en situation de crise, il faudra mettre des ressources considérables de façon à obtenir des images sans nuages, comme le disait André MANGIN. Il faudra réaliser de très nombreuses prises de vue ; nous voyons ici l'une des régions prioritaires que nous avons couvertes, celle de Chinandega dans l'ouest du Nicaragua, l'une des régions les plus développées et peuplées du pays, en particulier au niveau agricole.

La région Est est moins développée. On voit la région de Bluefields, où Puerto Cabezas a été frappé de plein fouet par le cyclone.

On voit également le Honduras, qui a subi ces événements de plein fouet.

Voici maintenant les transparents montrant les images.

J'en profite pour dire que nous avons actuellement réussi à couvrir au Nicaragua plusieurs sites parmi les sites prioritaires. Lorsque c'est possible, nous utilisons les images de SPOT.

Voici l'image du mois de juillet. Nous étions donc présents avant. Nous avons la chance de disposer d'images sur la région de Chinandega et de Leon, qui est une région de volcans. Sur les images originales, on voit très bien le volcan et les coulées de boue.

Nous avons eu la chance d'obtenir une image en novembre. Novembre, décembre, janvier et février sont les mois les plus favorables, dans ce cas concret, pour obtenir des images optiques, parce que c'est la période avec la couverture nuageuse la plus faible. On peut apercevoir quelques nuages, en blanc, le cadre, et une trace bleue qui correspond à une coulée de boue, à un glissement de terrain qui a emporté des cultures, des villages.

Vous comprendrez immédiatement l'intérêt de genre de données. Cela donne une vision réelle et non pas subjective, ni sujette à interprétation, de l'état de l'occupation des sols après. On le fait avec des images optiques ainsi qu'avec des images radar.

On voit une image radar, où il n'y a pas les images ERS de l'Agence Spatiale Européenne. Il n'y a pas de nuages et l'information est un peu dégradée au niveau occupation du sol, par rapport à l'image des satellites optiques, mais elle existe. On voit bien les volcans au milieu.

Nous arrivons à l'interprétation des zones de la région de Chinandega. Sur la gauche, on voit une trace bleue entourée, et l'on voit deux cercles, l'un sur la gauche, l'autre sur la droite de l'écran. Ce sont des interprétations que nous avons faites, au niveau de l'Europe, des dégâts occasionnés par le cyclone MITCH.

Comme vous pouvez l'observer, tout n'est pas touché ; d'autres zones ont été affectées, mais nous avons été capables de délimiter environ 16 kilomètres carrés de surfaces emportées, avec une occupation du sol complètement bouleversée, des villages dont des quartiers entiers ont été affectés par les coulées de boue. Directement sur ces images, on peut donc quantifier les surfaces touchées, faire une première estimation du type de dégâts, et surtout planifier la reconstruction.

Actuellement, même si les satellites d'observations de la terre, français ou autres, offrent un niveau de précision supérieur à d'autres, on ne peut pas dire qu'ils soient vraiment capables de réagir de manière absolue en situation de crise. En effet, nos satellites ne sont pas faits pour intervenir sur un champ d'action précis le jour donné.

Cela signifie que nous les utilisons au mieux. Nous avons souvent de la chance pour obtenir des images peu de temps après les crues ou les inondations, mais nous devons combiner des données, pour planifier la reconstruction et les utiliser dans un autre cadre.

Je termine par un autre message qui me semble important : celui d'exemples classiques de projets de prévention qui ont utilisé des satellites d'observation de la terre.

Le premier exemple concerne un problème de désastre naturel régulier, récurrent, qui se produit en Asie, au Bangladesh. Très souvent, le pays en entier, à l'exception de Chittagong, passe complètement sous les eaux des trois grands fleuves, dont le Brahmapoutre. En fait, dans le cadre d'un programme de coordination et de planification de travaux coordonné à l'époque par la Banque Mondiale avec l'aide bilatérale de nombreux pays dont le nôtre, nous avions déjà utilisé les images des satellites SPOT pour planifier, année après année, l'effet des crues, qui ne sont jamais les mêmes d'une année sur l'autre.

Sur cette image, on voit l'été d'une année sur l'autre. Sur l'image précédente, on voyait que le grand fleuve était relativement à l'étiage ; l'année suivante il y a pratiquement dix kilomètres de large de crue sur ce pays. Lorsque l'on veut planifier des travaux pour éviter l'inondation, ce genre de données est indispensable.

Sur cette image, on voit l'année suivante, pendant la même saison, avec des phénomènes de crues toujours différents d'une année sur l'autre et pour lesquels les satellites sont absolument indispensables, pour planifier, mesurer, faire l'état des lieux, et intervenir dans ces grands travaux.

Le dernier exemple se produit également en Asie. Il s'agit de Sumatra, exemple lié à l'industrie puisqu'il s'agit de la prospection pétrolière. Presque partout dans le monde actuellement, les pétroliers ont besoin, pour obtenir des concessions, de « contingency plans », plans d'actions et de contraintes en cas de problème environnemental.

On voit que ce sont des infrastructures pétrolières de prospection et de bases vie dans un environnement très sensible puisqu'il s'agit du littoral du Nil à Sumatra, avec des problèmes de mangroves, donc beaucoup de sensibilité environnementale.

On voit sur cette diapositive le type de document qui peut être produit, dans ce cas par Total, à partir de l'image satellitale, avant. Cela veut dire aussi que, avant, on peut, très simplement, par des systèmes d'interprétation d'images et de systèmes d'informations géographiques comme l'ont dit mes prédécesseurs, exploiter ces données et préparer des crises futures.

M. le Président  - Merci.

Y a-t-il des remarques, des observations ?

(Pas d'intervention)

Merci, Madame et Messieurs, de votre participation à cette table ronde.

Nous passons maintenant au second volet de cette table ronde, consacré à la science et bien sûr au problème d'aménagement du territoire, avec les programmes GÉMITIS.

Dans le cadre des actions scientifiques et techniques, Monsieur NAPIAS s'exprime au nom de Messieurs d'ERCOLE et COLLEAU. Si nécessaire, Monsieur COLLEAU complétera son propos.

Auparavant, je souhaite saluer Monsieur BOURRELIER, qui a été le Président de l'instance d'évaluation des politiques publiques de prévention en matière de catastrophes naturelles, qui lui avait été confiée par le Premier Ministre, et le remercier de sa présence.

M. Jean-Claude NAPIAS (Ancien directeur du CIFEG) - Merci, Monsieur le député.

Je représente ici une petite fondation qui a travaillé beaucoup dans le domaine des risques naturels depuis une dizaine d'années. Elle a pour principal objet de favoriser les relations entre la France et les pays moins industrialisés ou en développement. On le réalise d'une manière générale au travers de trois types d'actions :

- des actions d'informations,

- des actions de formation,

- des actions de coopérations scientifiques.

Ces trois thèmes sont importants dans les travaux de coopération et de recherche dans le domaine qui nous intéresse ce soir.

Nous travaillons la plupart du temps avec des équipes pluridisciplinaires, parce que le domaine dans lequel nous opérons demande des spécialistes très variés.

(Projection de transparents)

Sur ce transparent, nous avons représenté les pays dans lesquels nous avons contribué à des actions relatives à la réduction des risques naturels. Nous l'avons séparé en trois couleurs :

- une couleur représente les pays dans lesquels les actions sont relatives à la réduction ou à la bonne connaissance des aléas,

- une couleur pour ce qui est relatif aux vulnérabilités,

- une couleur pour les pays sur lesquels nous avons travaillé dans les deux domaines.

Nous avons travaillé dans tous les pays d'Amérique centrale, sur la plupart des pays de la cordillère Andine, ainsi que dans le Sud-Est Asiatique, notamment dans les pays touchés par des ouragans ou des cyclones.

Plutôt que développer toutes les actions que nous avons conduites, je souhaiterais en aborder deux ou trois de manière à vous montrer comment nous travaillons et quels sont les résultats que l'on peut en attendre.

L'une des actions que nous avons lancées me paraît particulièrement intéressante. Elle touchait le Nicaragua, le Costa Rica et le Guatemala. Une personne dans cette salle la connaît bien également puisqu'au titre du ministère des Affaires étrangères, il a géré ce programme.

Ce programme était la mise en place d'un réseau sismique mobile et d'un réseau de mesures des fluides sur les volcans. Il a été développé avec un certain nombre de spécialistes. Pour ce qui concerne la sismique, il a été développé avec essentiellement l'Université de Chambéry et le département géophysique. Pour les fluides et les températures, cela a été développé avec le CNRS de Gif-sur-Yvette.

Nous avons fait venir ce réseau dans un pays et nous nous en sommes servis pour mesurer les évolutions de volcans, d'abord au Costa Rica, ensuite au Nicaragua, notamment à proximité de Managua, ainsi qu'au Guatemala. Ce réseau a bien fonctionné.

Après deux ou trois ans, du fait qu'il était fonctionnel, nous nous sommes retirés et il y a eu des accords entre des universités françaises et des organismes nationaux, notamment l'INSEE, l'ICE et l'INET. Ces organismes ont continué à travailler à la prédiction ou à la mesure de l'évolution du volcanisme sur les sites les plus dangereux du pays.

De la même manière, le réseau de mesure des fluides par des capteurs a fonctionné. Nous avions mis en place, payé par le ministère des Affaires étrangères français, un laboratoire d'analyses pour avoir les résultats des mesures qui étaient faites au niveau des capteurs.

Ce projet a correspondu à de l'instrumentation, à de l'analyse des résultats, mais il a eu une conséquence que nous nous attachons toujours à développer, qui a été la formation de jeunes ingénieurs du pays au travers d'un « workshop » que nous avions organisé au Costa Rica après deux années de fonctionnement. C'est un type de projet qui, à mon avis, a fait faire des progrès à la caractérisation de l'aléa volcanique dans ces pays.

Nous avons également participé à des actions communes avec un organisme régional, le CEPREDENA, qui existe encore et qui fait beaucoup de formation pour les techniciens et les ingénieurs locaux.

Un second projet est tout à fait différent. Il est peut-être plus technologique que scientifique. C'est un projet que nous avons développé avec le laboratoire central des Ponts et Chaussées français et avec divers organismes du Venezuela. Il correspondait à la prévention de glissements de terrain dans la ville de Caracas, où avaient été construits des HLM sur des sites peu stables.

Ce projet a un intérêt : nous avons essayé de mettre en place des méthodes bon marché et fiables. Cela a fonctionné assez bien, à tel point que les Vénézuéliens ont ensuite souhaité mesurer, avec notre système, les variations d'un grand viaduc montant de la côte jusqu'à Caracas, qui bougeait beaucoup. Les Ponts et Chaussées français qui travaillaient avec nous ont été très réservés parce que ce système était en cours de développement et que ce n'était pas encore le moment de s'en servir à ce niveau.

Un troisième projet a été lancé avec un organisme existant dans la ville de Manizales en Colombie, qui correspondait à la planification préventive de la ville.

Il a mis en jeu des domaines relativement variés. Il y a eu des géologues, des techniciens, des géophysiciens, des géotechniciens ainsi que des géographes, parce que ce projet dépassait l'étude de l'aléa mais s'intéressait aux différents types de vulnérabilité (vulnérabilité de type social, de type économique du bâti, des usines, vulnérabilité des moyens de communication, de l'organisation, et bien sûr vulnérabilité institutionnelle qui, en définitive, est peut-être l'élément prépondérant dans ces caractérisations.)

Ce projet a duré quatre ans et il a donné lieu à des travaux de recherche très importants puisque plusieurs thèses ont été réalisées par des « thésards » aussi bien français que colombiens. A la suite de ce projet, qui s'intégrait dans un ensemble d'autres projets réalisés dans tous les autres pays andins, nous avons organisé un « workshop » auquel ont participé plusieurs personnes, en particulier dans cette assistance.

Ces trois projets correspondent à la caractérisation de l'aléa. Petit à petit, nous nous sommes aperçus que la caractérisation de l'aléa était très importante mais qu'en définitive, au niveau de la réduction des risques, ce qui comptait le plus, c'était les études de vulnérabilité. Avec une équipe d'universitaires maintenant assez complète, les uns basés à Chambéry, les autres aux Antilles françaises, nous avons commencé par travailler en Colombie.

Puis il se trouve que le projet dont nous a parlé Jean-Claude HEYRAUD pour ECHO, c'est-à-dire le diagnostic de trois zones pilotes, la Caraïbe, l'Amérique centrale et le Sud Est asiatique, nous a été confié. A ce titre, nous avons donc établi tout ce diagnostic.

Nous étions notamment arrivés à une conclusion : sur un graphique en deux coordonnées, celle des indicateurs de développement humain et celle du taux de croissance de la population urbaine, nous avions caractérisé la vulnérabilité des différents pays. Or, les deux pays que nous avions définis comme étant les plus vulnérables étaient le Nicaragua et le Honduras. C'est triste, mais c'est ainsi.

Tels sont les quelques éléments que je souhaitais vous présenter. Je n'ai pas parlé comme un spécialiste ; je ne suis d'ailleurs plus un spécialiste, sinon un spécialiste polyvalent, qui a l'avantage de rassembler des équipes composées de spécialistes qui, durant ces dix dernières années, ont beaucoup fait avancer les choses, notamment en France, tant à l'université qu'à l'ORSTOM, au BRGM, à l'IFEA, aux Ponts et Chaussées. Ces personnes sont très compétentes.

J'ajoute qu'au niveau de la recherche, le développement de moyens de mesures ou d'observations est très important dans ce domaine, en particulier pour les problèmes hydrauliques. Nous travaillons très souvent dans des zones où il n'y a pas l'historique des mesures. Toujours avec le laboratoire des Ponts et Chaussées, nous avons pu développer des mesures relativement simples faisant appel à l'histoire d'un bassin versant, et s'appuyant sur la morphologie.

Ces mesures ont donné des résultats aussi bien en Nouvelle Calédonie, qu'à Arequipa au Pérou où nous travaillons actuellement. Ce sont des moyens qui se rapprochent un peu des moyens de mesure de variations des terrains que nous avions développés à Caracas.

Un autre domaine où il y aurait beaucoup à faire est le micro-zonage. En matière de micro-zonage, des masses d'argent importantes doivent être mises en jeu. Des jeunes travaillent actuellement sur le développement de méthodes qui seraient plus rapides donc moins coûteuses. Il s'agit de recherche pure à l'instant où je vous parle.

M. le Président  - Merci pour la clarté du propos.

Y a-t-il des questions à poser ?

M. Hubert SEILLAN - Au sujet de vos deux critères d'analyses prévisionnelles, le taux de croissance et le développement humain, vous dites qu'à partir de ces études, vous avez débouché sur le Nicaragua et le Honduras. Ce n'est pas un hasard. Que mettez-vous dans ces deux critères du taux de croissance et du développement ?

M. Jean-Claude NAPIAS - Le taux de croissance est bien connu. En revanche, l'autre paramètre est plus récent. C'est le CNUD qui a inventé cela. C'est un indicateur de développement qui intègre des données concernant la richesse moyenne par habitant. C'est le PIB réel corrigé, mais on y intègre la santé, c'est-à-dire l'espérance de vie, ainsi qu'un troisième élément qui est l'éducation, l'alphabétisation des adultes.

Il y a dans Le Monde d'hier un article relatif à cela, écrit par un économiste.

M. Hubert SEILLAN - Appliqué à la France, qu'est-ce que cela pourrait donner ?

M. Jean-Claude NAPIAS - Nous n'avons pas d'idée. Si on l'appliquait à la Martinique ou à la Guadeloupe, pays riches, on s'apercevrait que les problèmes posés au Nicaragua ou au Honduras ne peuvent pas se poser dans les mêmes termes à la Martinique et à la Guadeloupe.

M. Hubert SEILLAN - Moi qui suis béotien, je me permettrai d'introduire un troisième critère, un troisième indice qui serait celui des équipements. J'évoquais tout à l'heure la question DOMINO ; on n'y a pas répondu... Je parle toujours pour la vulnérabilité.

M. Jean-Claude NAPIAS - Il y a un autre critère : les moyens de communication au sens large du terme, y compris les moyens d'annonces, mais il y a aussi le téléphone et les programmes d'évacuation. Tout cela représente de la communication, et cela va même plus loin.

Dans les pays pauvres, la communication, c'est simplement la préparation de documents qui sensibilisent les populations aux risques. Cela a déjà été fait en Colombie, dans d'autres pays d'Amérique latine et en Equateur, mais le problème est de les réaliser pour qu'ils soient accessibles aux individus.

Or, pour qu'ils soient accessibles, il faut trouver les vraies personnes qui sont le relais entre le Gouvernement et les populations. Ces personnes ne sont pas toujours les personnes réellement en place ; il peut s'agir d'un prêtre, d'un infirmier bien connus, etc.

M. Hubert SEILLAN - Selon ce que j'ai compris, les recherches dans ce domaine sont peu importantes.

M. Jean-Claude NAPIAS - Des personnes y travaillent et, au niveau français, il y a notamment une équipe à Chambéry. Je parle pour Robert d'ERCOLE.

M. Hubert SEILLAN - Si l'on convainquait des organisations internationales comme l'OMC de l'importance de ces questions, peut-être y aurait-il davantage de fonds pour des recherches de ce type. Nous situons ces recherches dans des perspectives sociales solidaristes, mais pas du tout économiques. Or, elles pourraient avoir un intérêt formidable au plan du développement économique.

M. Jean-Claude NAPIAS - Je le pense.

M. le Président - Les personnes du BRGM souhaitent intervenir dans ce débat.

M. Philippe MASURE - Pour répondre aux questions et aux suggestions du Directeur de « Préventique », je signale que le prix Nobel de l'économie remis ces jours-ci à un Indien, porte justement sur l'élaboration de cet indice de développement humain qu'il a mis au point.

Dans les critères qu'il a proposé d'utiliser, qui sortent de ceux qui étaient auparavant utilisés dans le cadre de l'évaluation des richesses (PNB et PIB), il a ajouté d'autres critères comme la santé, l'éducation, etc.

C'est un prix Nobel d'économie ; on peut regretter que l'on n'aille pas plus loin, que l'on n'y inscrive pas d'autres critères, dans le sens de ce que j'ai cru comprendre, à savoir des critères prenant d'autres critères de vulnérabilité aux catastrophes, qu'elles soient naturelles, sociales ou technologiques. C'est probablement l'une des propositions que nous ferons dans le cadre des conférences finales pour la décennie internationale de prévention des catastrophes naturelles.

Certains facteurs sont très importants pour assurer la durabilité du développement économique et social. C'est par exemple le cas de la cohésion sociale ; le problème est de savoir comment la mesurer. C'est un Aménagement du Territoire adapté aux réalités physiques.

Nous réfléchissons à tout cela dans le cadre de cette décennie des Nations-Unies. Peut-être y apportera-t-on quelques idées lors de la conférence qui se tiendra à Paris du 17 au 19 juin 1999, sur le thème de la prévention des catastrophes naturelles, de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Pour terminer, j'ajoute que dans le sens de cette réflexion sur des indices plus adaptés pour évaluer la vulnérabilité aux catastrophes naturelles, il y a en ce moment, dans le cadre d'un programme qui se développe dans cette décennie, le programme RADIUS, l'application d'un indice de susceptibilité à des catastrophes sismiques, appelé « Ufpreag Desaster Riscs Index », mis au point par des Américains. On calcule en ce moment cet indice sur une soixantaine de villes dans le monde, et ce sera probablement présenté à Paris au mois de juin ; peut-être cela fera-t-il réagir beaucoup de personnes.

M. Pierre MOUROUX - Je me méfie des micro-zonages à coût faible. En fait, le micro-zonage dépend des enjeux auxquels on s'intéresse. Il peut y avoir trois niveaux d'évaluation des micro-zonages sismiques, comme définis dans un guide méthodologique de l'AFPS, par exemple, avec un niveau de degré A. Je pense que cela doit correspondre au coût le plus faible. Ces micro-zonages, qui sont évalués pour définir l'aléa sismique ou d'autres types d'aléas en un point donné, en fonction des enjeux, doivent faire l'objet d'études beaucoup plus poussées. Il faut savoir à quoi c'est destiné.

M. le Président - Merci.

Monsieur Pierre CALVAS, que fait une ONG au milieu de la science ?

M. Pierre CALVAS (Action d'Urgence Internationale) - Nous assumons. Nous sommes flattés d'être autour de la table scientifique et technique. Nous aurions pu nous retrouver dans la première table ronde parce que nous intervenons ponctuellement à la suite de situations d'urgence. Cette fois, nous n'étions pas à MITCH ou après MITCH, alors que beaucoup pourront dire qu'ils y étaient (sans faire de provocation...).

La deuxième provocation, c'est que je participe à un certain nombre de réunions avec les officiels de l'urgence et qu'il est assez habituel, lorsque l'on commence à parler de prévention, de préparation, que les responsables de l'urgence quittent la salle ou ne soient pas présents, ce qui est dommage.

Je retiens la remarque de Monsieur le représentant de l'Ambassade du Guatemala, qui a attiré l'attention sur un point souvent relevé par l'organisation panaméricaine de la santé, le PAHO, sur ce qu'il ne faut pas faire en cas d'intervention d'urgence, notamment dans la profusion d'une aide humanitaire arrivant un peu désordonnée, et pas assez coordonnée.

Je pense que nous n'avons pas assez parlé de coordination avec des acteurs qui existent, comme le PAHO, qui explique bien souvent qu'il ne faut pas oublier l'action des secours locaux des Etats qui font ce qu'ils peuvent. Ils ont assez souvent besoin d'une aide internationale complémentaire, mais -troisième provocation- elle peut parfois devenir une seconde catastrophe.

Je tenais à préciser ce point. J'ai suivi un peu l'évolution des communiqués de presse du PAHO à la suite de l'évolution du cyclone MITCH, qui attiraient sans arrêt l'attention sur un rappel de différents points des principes pour une aide efficace après désastre, qui attiraient l'attention des différents responsables de l'urgence des pays pouvant intervenir dans la zone sur le fait qu'il fallait être prudent et mesuré.

Cela étant dit, cela n'enlève rien à la complémentarité et à la nécessité d'une aide internationale. A Action d'Urgence Internationale, depuis le milieu des années 1980, nous travaillons beaucoup plus sur les aspects appuis à des communautés locales sur la diffusion d'outils d'informations, de formations à l'habitat paracyclonique, aux aspects de reboisement, à la protection de l'environnement.

L'importance du document fait sous la coordination du CIFEG et de Monsieur Robert d'ERCOLE pour le DIPECHO, montre qu'il faut vraiment développer de plus en plus des moyens en matière de préparation aux catastrophes pour éviter que des moyens soient débloqués de manière très importante au moment de l'urgence. C'est le message que je souhaite faire passer au nom d'Action d'Urgence Internationale. Si des outils scientifiques et techniques existent en amont, il y a des problèmes de coordination, d'échange d'informations entre les différents acteurs.

En France, on peut également citer une insuffisance des relations entre ONG et universités. Le rapport en question montre qu'il y a de nombreuses études et rapports existants dans différents lieux d'information et de savoir, et il faudrait travailler à améliorer les choses dans ce domaine.

Quant à nous, nous continuerons à travailler au plus près du terrain, des communautés, des ONG locales. Nous appuyons leur travail. Actuellement, un programme est lié dans le cadre du DIPECHO aux Philippines. Depuis plus d'un an, nous aidons à diffuser auprès de communautés un peu oubliées des secours et du Gouvernement, des documents d'information préventifs, sans oublier la préparation à l'urgence.

Par exemple, il peut s'agir de soutenir l'installation d'un camion d'évacuation permettant de transporter de l'aide alimentaire ou autre. La liaison entre urgence et développement est donc à poursuivre. C'est ce que nous essayons de faire.

Enfin, nous avons pris une initiative entre ONG  françaises, à la suite de MITCH : dans la phase de reconstruction réhabilitation, nous essayons avec plusieurs ONG de développement, d'expliquer aux ONG ayant des projets de développement dans les différents pays, qu'elles peuvent y intégrer, peut-être pour la première fois, des aspects préparation et prévention. Jusqu'à présent, ce n'était pas assez développé et intégré. Nous travaillons à essayer de développer cela. C'est une façon pour nous de proposer ou d'améliorer les choses.

M. le Président - Merci.

Vous acceptez de dire que vous n'étiez pas à MITCH, mais vous réfléchissez sur MITCH. C'est bien votre philosophie.

M. Pascal DOUARD (Adjoint au Délégué aux Risques Majeurs) - Je parlerai surtout de la situation française et de la prévention.

Tout d'abord, le cyclone est bien identifié comme l'un des risques très importants à la Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe.

Le second point qui me paraît important est le fait que nous ayons fait beaucoup de progrès au cours de ce siècle. J'ai deux chiffres pour illustrer ces progrès.

Le premier est le nombre de victimes d'un cyclone survenu à la Guadeloupe en septembre 1928 : 1 200 morts. Le deuxième est le nombre de victimes d'un cyclone de même importance, le cyclone HUGO, survenu en 1989 dans la même île : 4 morts. Parallèlement à ces 4 morts, il y a eu 1,5 milliard de francs de dégâts et 25.000 sans-abri.

On ne peut donc pas dire que la situation était complètement bonne mais, en termes de victimes humaines, on a tout de même fait des progrès considérables en un siècle. Je pense que c'est parce que nous avons tout de même réussi à développer un certain nombre d'actions de prévention, que l'on a essayé de développer selon quatre axes :

1° - Tout ce qui concerne l'alerte, la surveillance. Ces points ont été largement évoqués au cours des interventions précédentes. C'est la base pour arriver à diminuer le nombre de victimes. Il s'agit de perfectionner l'alerte et la surveillance, de maintenir un haut niveau dans ce domaine. J'ai bien noté le problème de l'observation satellitaire au niveau de l'océan indien.

2° - Tout ce qui concerne l'information préventive ; j'ai apporté des illustrations.

(Projection de diapositives)

La première illustration est la page de garde du dossier départemental des risques majeurs à la Réunion. Cela montre bien que l'on se préoccupe du phénomène cyclonique, puisqu'il y a un magnifique cyclone en première page.

Sur ce transparent, on voit l'île de la Réunion, avec les zones plus ou moins exposées, qui ont été concernées par les différents cyclones qui se sont abattus sur l'île pendant un certain nombre d'années.

Nous avons détaillé cette vision départementale, au niveau des dossiers communaux synthétiques et des atlas de risques par commune, que nous avons réalisés à la fois à la Réunion, à la Martinique, à la Guadeloupe.

Voici un exemple de la Guadeloupe ; c'est l'exemple de la commune de Capesterre. C'est la page de garde et, à l'intérieur, on décrit les conséquences d'un cyclone qui peuvent se situer au niveau du vent, des précipitations très importantes, des phénomènes d'inondation, des mouvements de terrain, des houles cycloniques, et des surcotes.

La dernière illustration tirée de ce document est une cartographie qui montre, sur le littoral, les zones particulièrement exposées.

En plus de ces documents administratifs qui sont l'application de la loi de 1987, qui stipule dans son article 21 : « Tout citoyen a droit à l'information sur les risques qui le concernent », nous avons essayé de faire une information grand public. J'ai ici quelques exemples de ce qui s'est fait à la Réunion.

L'exemple suivant est une plaquette, qui a été distribuée en 400 000 exemplaires à la Réunion (un exemplaire à chaque foyer). Elle a également été distribuée abondamment dans les écoles. C'est en quelque sorte une fiche-réflexe qui indique ce qu'il faut faire pour se préparer aux cyclones avant la saison cyclonique, et qui décrit le comportement à avoir lorsque le cyclone frappe.

Nous avons également l'exemple d'un disque cyclonique, qui a été réalisé en 30 000 exemplaires. Je cite ces chiffres pour montrer que c'est vraiment une information grand public. Il indique également aux élèves de quatrième et de cinquième les comportements à avoir en cas de cyclone. Cela se présente comme un disque de stationnement, mais à la place des heures, il y a les types d'événements et le comportement à avoir en face.

Dans toutes ces îles, une journée cyclonique est organisée avant la saison cyclonique, au cours de laquelle on rappelle les réflexes à avoir.

3° - L'action sur les constructions ; il existe des codes, élaborés en 1987, qui actualisent le code neiges et vents de 1965 ; c'est bien pris en compte pour toutes les constructions qui font appel à un architecte, c'est-à-dire les constructions de plus de 170 mètres carrés.

Le problème est le suivant : beaucoup d'autres constructions ne font pas appel à un architecte, pour lesquelles il ne faut même pas forcément un permis de construire. Dans ce cas, je pense que nous devons avoir une approche un peu différente, une approche davantage de formation, de démonstration, complétée éventuellement par une approche réglementaire qui étende les réglementations du document technique unifié à toutes les constructions.

Nous n'avons pas vraiment développé cette action car nous avons privilégié la construction parasismique. Dans ces îles Martinique et Guadeloupe, on rencontre aussi le phénomène de tremblement de terre, et nous avons donc privilégié le parasismique par rapport au paracyclonique, ce qui explique que nous avons du retard dans le cadre de cette action.

4° - Le dernier type d'actions que je voudrais évoquer concerne tout ce qui concerne les plans de développement, les documents d'urbanisme, la prise en compte dans les Plans d'Occupation des Sols, dans les plans de prévention des risques majeurs. Cette action se développe, notamment sur la base de toutes les études que Charly VIGNAL a citées, des atlas de risques dont on a vu quelques illustrations.

Ce n'est pas forcément l'action la plus facile à faire entrer dans la pratique, du fait des constructions sans permis de construire ; conceptuellement, c'est peut-être un peu plus difficile à faire passer dans les m_urs, surtout lorsque l'on prend en compte des événements qui surviennent par ricochet (les mouvements de terrain dus aux inondations à la suite des cyclones).

Mais c'est important et cela réussira d'autant mieux que l'on arrivera à bien faire prendre conscience aux autorités locales que c'est une voie de progrès très significative.

M. le Président - Merci Pascal DOUARD. Je donne la parole à Monsieur Marc WECKSTEIN.

M. Marc WECKSTEIN (Directeur de la cellule prospective du CSTB) - Mon propos sera à la fois complémentaire et rapide. Je vais me placer du point de vue de l'homme du bâtiment et des mesures qui sont prises ou qui peuvent être prises pour assurer un meilleur comportement du bâti vis-à-vis de l'action aérodynamique du vent.

Je ne parlerai pas ici de conception parasismique, parce que j'ai le sentiment que l'on est axé essentiellement sur les problèmes cycloniques.

Je rappellerai d'abord quelque chose qui peut paraître un peu comme une tautologie : le cyclone est une action des zones tropicales, et qui dit « zones tropicales » dit « climat chaud et humide ». Cela signifie que, pour le bâtiment, nous avons une difficulté particulière : assurer à la fois un bon comportement vis-à-vis des actions cycloniques mais également, ce qui peut être parfois antinomique, une ventilation souvent très large du bâti pour assurer le confort, puisqu'un bâtiment est fait pour être occupé.

Cela étant, il y a une deuxième caractéristique : si l'on considère la distribution des zones géographiques habitées dans la partie tropicale de notre sphère, on rencontre une majorité de pays qui sont dans des conditions économiques difficiles. Même si on a pu dire, à juste raison, que les départements d'Outre-Mer étaient des pays riches par rapport à d'autres pays de la zone cyclonique, la contrainte économique sur le coût de la construction se pose dans des conditions plus difficiles qu'en métropole.

Il y a donc un enjeu consistant à trouver des dispositions constructives à la fois sûres et économiques. Comme le disait mon prédécesseur, on sait aujourd'hui -la pratique l'atteste- construire des bâtiments paracycloniques à un niveau de sécurité satisfaisante. Les chiffres cités attestent du fait que la sécurité des personnes est assurée dans des conditions satisfaisantes dans ce type d'habitat.

Cela étant, nous travaillons actuellement, et nous disposons déjà de solutions qui permettent, par une meilleure prise en compte des possibilités, de « faire du judo » avec les cyclones, de diminuer, à vitesse de vent donnée, les contraintes qui pèsent sur la structure du bâtiment, par un certain nombre d'astuces.

Je n'en citerai qu'une seule : l'une des causes les plus fréquentes de ruine de la construction est l'envol de la toiture par des phénomènes de dépression. Si, par une mise en communication, on arrive à équilibrer les pressions en sous-faces des toitures et en parties extérieures, on diminue parfois par quatre la contrainte qui pèse sur la construction. Cela a évidemment un impact positif sur le coût de la construction, et c'est un élément important.

Des avancées viendront sur le plan réglementaire par la mise en _uvre, à échéance visible maintenant, de nouvelles modalités de prise en compte de l'effort du vent via l'Eurocote, norme européenne qui va s'appliquer et qui permettra une prise en compte plus optimisée que la version précédente neige et vents.

Je souhaite aborder brièvement les voies d'amélioration, les enjeux auxquels nous sommes confrontés et les voies de progrès possibles.

Des améliorations sont possibles en termes de sécurité et de meilleure prise en compte du risque cyclonique :

- par une utilisation plus astucieuse des possibilités de réduction de l'effet des cyclones,

- par une meilleure installation des bâtiments dans leur environnement proche, pour éviter les effets de venturi qui accélèrent le vent à des situations climatiques données,

- par l'utilisation de protections naturelles liées à la forme du terrain,

- par un meilleur dessin du plan masse.

Tout cela se calcule actuellement ; on dispose d'éléments qui permettent, par un aménagement du territoire, un aménagement local plus étudié, de réduire la contrainte cyclonique sur les bâtiments.

Les enjeux les plus importants portent, en termes de sécurité, sur l'autoconstruction dans le champ de la construction neuve, où il n'y a pas de mobilisation de savoir-faire ou de savoir-calculer.

Dans le cadre de travaux qui nous ont été confiés par les pouvoirs publics, nous travaillons, pour réfléchir sur l'élaboration de règles techniques spécifiques, d'une façon générale pour les départements d'Outre-Mer, donc pour les aspects de risques, sur des concepts d'autoconstruction de bungalows cycloniques qui permettent, à partir d'un noyau structurel, de réduire le risque d'effondrement tout en laissant la possibilité, ce qui est absolument indispensable dans ces régions, qu'une partie de l'aménagement soit fait par l'acquéreur ou le futur habitant. C'est un premier enjeu sur la construction neuve.

Il y a un deuxième enjeu majeur qui est, à la fois sur le collectif et l'individuel, l'analyse du parc existant, des logements et des bâtiments anciens, notamment ceux en autoconstruction.

Certaines dispositions actuellement utilisées dans les règles de construction pour les bâtiments neufs peuvent ou pourraient, sous réserve de quelques adaptations, être transposées au parc existant, et alors limiter les risques vitaux liés aux effets du vent, mais aussi probablement limiter assez significativement le nombre de sans-abri qui résultent du passage d'un cyclone.

M. le Président - Merci.

M. Pierre MOUROUX (Conseiller à la direction Risques naturels du BRGM) - Je me focaliserai sur l'une des conséquences du cyclone MITCH, qui concerne les mouvements de terrain puisque, comme cela a été dit dans la première table ronde, un seul mouvement de terrain en Amérique Centrale a provoqué environ 2 000 victimes par la destruction de cinq villages.

(Projection de transparents)

On a déjà montré quelles étaient les zones du territoire français au sens large exposées à des risques de cyclones : les Antilles, la Réunion, la Polynésie et la Nouvelle Calédonie.

Le problème posé est le suivant : un phénomène analogue à celui qui s'est produit sur l'Amérique centrale est-il susceptible de se produire sur le territoire français au sens large ?

Avant de répondre à cette question, il faut faire un peu d'histoire sur ce qui s'est passé sur nos propres territoires. Ce transparent montre les dommages consécutifs au cyclone IRIS qui s'est produit en Martinique en 1995, qui n'a fait que deux victimes mais qui a provoqué des centaines de mouvements de terrain de faible ampleur.

Aujourd'hui, nous n'avons pas encore parlé du cyclone ALLAN, en Polynésie, mais il a tout de même provoqué quinze victimes sur les îles de Tahaa et de Raiatea. C'est certes beaucoup moins que ce que l'on a pu observer en Amérique centrale, mais ce n'est tout de même pas négligeable. On voit sur les deux îles des dizaines de glissements de terrain consécutifs au cyclone ALLAN.

Je n'ai pas de photos sur la Réunion, mais il est évident qu'à la suite de certains cyclones tels que HYACINTHE, en 1980, pour lequel il est tombé six mètres d'eau en onze jours, il y a eu des mouvements de terrain de grande ampleur, notamment sur le centre des villes, à l'intérieur des trois cirques, et principalement dans le cirque de Salazie.

Le problème posé est le suivant : que doit-on connaître pour éviter qu'il y ait des victimes à la suite de tels phénomènes ?

Voici une carte de Raiatea représentant les mouvements de terrain qui se sont produits en début d'année.

Pour essayer de réduire les effets de ces mouvements de terrain en termes de victimes, la première composante à connaître, ce sont les secteurs susceptibles d'être le siège de ces mouvements de terrain.

Ce transparent représente la carte de la Réunion avec tous les mouvements de terrain potentiels et déclarés qui se sont produits sur l'île et qui ont été recensés, avec une précision dans le cirque de Salazie, qui est l'un des plus touchés par des mouvements de terrain d'ampleur variable et de types relativement différents.

Voici un exemple en Martinique, sur la commune du Precheur ; le problème est de savoir laquelle de ces parties va potentiellement glisser.

La deuxième composante qu'il convient de connaître pour essayer de diminuer les risques, c'est non seulement le lieu de départ, mais également la trajectoire de ces phénomènes.

Voici un exemple qui s'est produit dans le nord de la Martinique, qui fait suite à la coulée du Precheur. On voit toute la zone de propagation dans le lit d'un glissement de terrain qui a dégénéré en coulée de boue, avec toute la zone d'épandage qui se retrouve à l'aval.

La dernière composante qu'il convient d'analyser est la date d'occurrence potentielle de ces phénomènes (d'où ils partent, jusqu'où ils vont et quand cela se produira).

A ce jour, où en est-on sur l'état de la connaissance des ces trois composantes ?

Concernant la localisation des zones susceptibles d'être le siège des mouvements de terrain -Pascal DOUARD en a parlé dans sa présentation-, beaucoup de cartes ont été réalisées, qu'il s'agisse de cartes réglementaires issues du programme PPR mis en place par le ministère de l'Environnement ou d'autres cartes.

Beaucoup de cartes ont été réalisées et, tout particulièrement sur les Antilles, il y a eu couverture systématique des deux îles Martinique et Guadeloupe, ce qui a conduit à la réalisation d'atlas communaux des risques, sur lesquels on dispose d'un zonage total des deux îles, permettant de localiser au 25 millième toutes les zones potentiellement exposées à des mouvements de terrain.

Voici un exemple de cartographie réalisée dans le cadre d'un atlas communal sur la Martinique, avec une synthèse systématique de toutes les zones potentiellement instables, et un zonage au 25 millième pour chacune des communes.

Sur la localisation des zones potentiellement instables, nous avons actuellement une bonne connaissance. Différentes techniques peuvent être utilisées pour avoir des localisations relativement précises. En ce qui concerne les deux autres composantes, la première étant la trajectoire, actuellement on dispose de quelques modèles de propagation en grande masse, mais développés dans le cadre d'une analyse en retour de phénomènes qui se sont produits. En aucun cas, les modèles qui ont été développés n'ont actuellement un caractère prédictif. Pour faire de la prévision et de la prévention, ces modèles ne sont pas actuellement opérationnels ; ils ne peuvent pas être utilisés comme tels, à part dans deux domaines : les laves torrentielles, sur lesquelles le CEMAGREF travaille beaucoup et a des résultats intéressants, et quelques logiciels qui concernent les chutes de bloc. En revanche, pour la propagation en grande masse, aucun logiciel opérationnel ne permet une localisation précise.

Sur la dernière composante, c'est-à-dire la date d'occurrence des mouvements de terrain, nous sommes encore beaucoup plus démunis ; nous sommes incapables actuellement de prévoir de façon précise l'occurrence d'un mouvement de terrain. Naturellement, lorsque l'on associe les mouvements de terrain à des cyclones, la probabilité d'avoir un glissement de terrain est plus forte en période cyclonique, mais c'est tout ce que l'on est capable de dire à l'heure actuelle.

Et encore, ce n'est pas aussi évident, puisque si l'on compare deux cyclones, le cyclone HUGO, très important puisqu'il avait un indice quatre sur l'échelle des cyclones, n'a pratiquement pas généré de mouvement de terrain, tout simplement parce qu'il était relativement sec.

Au-delà de la force même du cyclone, ce qui est important dans la composante mouvements de terrain, c'est la quantité d'eau qui tombe. La force seule du cyclone n'est donc pas un paramètre suffisant pour pouvoir prévoir l'occurrence d'un mouvement de terrain.

Naturellement, les cyclones ne sont pas les seuls à pouvoir générer des mouvements de terrain en grande quantité et sur des couvertures relativement larges, puisque les séismes sont également des déclencheurs qui peuvent provoquer des mouvements de terrain sur de grandes superficies ; cela a été le cas en Guadeloupe en 1843, puisque toute la Basse Terre a été complètement décapée par le séisme.

Pour conclure, je dirai qu'au-delà des cyclones et des analyses sectorielles par risque qui peuvent être réalisées, il convient, dans le domaine de la prévention des risques, d'avoir une analyse globale, c'est-à-dire de ne pas analyser uniquement les cyclones d'un côté, les séismes et les mouvements de terrain, mais d'intégrer tous les phénomènes ensemble, pour avoir une véritable politique de prévention des risques naturels, que ce soit pour l'aménagement du territoire ou pour la gestion de crise.

Beaucoup d'actions ont déjà été menées dans le domaine scientifique et technique sur les mouvements de terrain et plus largement sur les différents aléas, mais beaucoup reste à faire.

Le message que je souhaite faire passer est le suivant : nous devons continuer à aller de l'avant dans le domaine de la prévention, mais en conservant un équilibre entre les opérations qui peuvent avoir un caractère purement opérationnel sur le terrain, et les actions de recherche, qu'il est fondamental de continuer pour améliorer la connaissance relativement à l'amont, si l'on souhaite que les actions opérationnelles soient efficaces.

M. le Président  - Merci.

M. Eric LEROI (Directeur des Risques Naturels au BRGM) - J'insisterai essentiellement sur les différences entre le risque cyclonique et le risque sismique.

Dans l'aménagement du territoire, nous devons être multirisques. Pour les Antilles, le paracyclonique doit être étudié en conjonction avec le parasismique.

Le risque sismique est très élevé aux Antilles, d'abord parce que l'aléa régional est très élevé, tout comme l'aléa local. Beaucoup de problèmes sont posés par le déclenchement de mouvements de terrain, par les phénomènes de liquéfaction, par des problèmes d'apparition de ruptures de failles en surface.

Pour toutes ces raisons, au niveau de l'aléa d'une part, et aussi au niveau de la vulnérabilité, parce que le contexte du milieu construit est particulièrement défavorable, on observe des autoconstructions qui ne sont ni paracycloniques, ni parasismiques, et qui tiennent tout juste en statique. Il faut donc certainement revoir complètement le problème concernant la construction.

Il y a une autre différence entre le cyclone et le séisme : un cyclone peut se prévoir plus ou moins facilement alors qu'il n'en est pas absolument question pour un séisme ; il faut « tordre le cou » à la prévision sismique à court terme, à moins de découverte sensationnelle dans les dix, vingt ou trente prochaines années (je m'avance peut-être un peu...). Scientifiquement d'une part, et socialement, il n'est donc pas opérationnel de faire une prévision à court terme en matière sismique, alors que c'est davantage possible en matière cyclonique.

D'une manière générale, j'ai quatre grandes conclusions sur les problèmes de risques :

1° - Il faut poursuivre l'effort fait aux Antilles concernant la connaissance en général des aléas. On a déjà parlé des atlas, etc. Il faut faire des plans de prévention aux risques ; il faut mieux connaître la vulnérabilité de tous les enjeux, et il est très possible de réaliser des scénarios de risques, alors que ça l'est moins pour les cyclones. Des scénarios de risques ont été réalisés pour les deux villes de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France ; les résultats sont plus ou moins diffusés mais cela existe.

Il faut certainement les prendre en compte au niveau des décisions, déterminer quels sont les dysfonctionnements locaux, les dysfonctionnements au niveau des institutions, et quels sont les points faibles au niveau d'une ville, afin d'orienter la démarche pour reprendre certains bâtiments existants, en particulier les bâtiments publics, stratégiques, et scolaires en général.

2° - Connaissant le mieux possible le risque, nous devons agir au niveau des décideurs locaux, ce qui est plus facile à faire en paracyclonique qu'en parasismique. En effet, le dernier séisme en Guadeloupe date de 1897, en Martinique de 1946, et cela n'a pas été très destructeur. On ne veut pas faire trop de « vagues » concernant l'occurrence possible de séismes sur une zone donnée, notamment aux Antilles (tourisme...). Il y a donc une action très particulière à engager au niveau des décideurs locaux.

3° - Il faut intervenir auprès des acteurs locaux de l'aménagement et de la construction, donc envisager des formations très développées pour les urbanistes, les architectes, les ingénieurs béton armé et les entrepreneurs.

4° - Il faut transférer nos connaissances et nos méthodologies, qui sont bien au point dans le domaine français, vers les différents pays de la Caraïbe (Amérique centrale, Saint-Domingue, Cuba, Haïti, Colombie, Venezuela). Le plus bel hommage qui a été fait lors de ce séminaire de la Havane la semaine dernière est celui fait par les Colombiens.

Après le séisme POPAYAN du 31 mars 1983, nous étions intervenus avec les Grecs dans le cadre de financements européens pour réaliser un micro-zonage et des études de vulnérabilité ; à la suite d'ARMERO, il y a eu LONAD, dont le patron était Camillo CARDENAS, et c'est lui qui a dit que, grâce à l'étude faite sur POPAYAN après le séisme du 31 mars 1983, des études de micro-zonages et de vulnérabilité avaient été réalisées sur Bogota et Manizales.

Comme cela a été bien noté pendant ce séminaire, notre rôle en matière de transfert est fondamental ; il existe une énorme demande des méthodologies françaises développées au cours de ces quinze dernières années en ce qui concerne l'évaluation d'aléas vulnérabilité et du risque.

M. le Président - Merci. Monsieur Philippe MASURE, quelle est votre conclusion ?

M. Philippe MASURE (Chargé de mission Risques et Aménagement du Territoire au BRGM, Vice-Président du Comité français de la DIPCN)

(Projection de transparents)

Je vais brièvement aborder un programme qui mériterait de plus amples détails, mais un programme de coopération régionale dans le bassin Caraïbe, qui englobe toutes les îles caraïbes, les pays d'Amérique centrale et les pays du nord de l'Amérique du Sud, que nous avons appelé « Gémitis-ville Caraïbes ».

Les bases de ce programme sont la constitution de réseaux de villes, en général des capitales, des pays de la région qui s'unissent pour agir dans le développement urbain, dans le cadre des objectifs de prévention des catastrophes naturelles. Il s'agit de tous les types de catastrophes dont les catastrophes sismiques et cycloniques, où les effets induits évoqués sont très importants.

Pourquoi des grandes villes ? Tout d'abord parce que ce sont des lieux de concentration de personnes, de biens, de moyens de productions, de structures institutionnelles, fondamentales pour ces pays. En second lieu, c'est parce qu'à partir de l'exemple des études ou des programmes réalisés dans les capitales, nous pensons ensuite à diffuser progressivement, dans l'ensemble de chacun des pays concernés, ces références de prévention des catastrophes.

Ce transparent évoque la liste des villes du réseau. Actuellement, une dizaine de villes participent, des villes colombiennes (Costa Rica, Panama, Nicaragua, République Dominicaine, Cuba) et les villes de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, bien entendu, pour représenter le cadre français dans ce réseau.

Ce réseau s'ouvre d'ailleurs actuellement à d'autres villes, aux autres pays d'Amérique centrale notamment, qui ont été particulièrement touchés (Guatemala, Honduras, Salvador). De plus, lors du séminaire de La Havane de la semaine dernière, qui rassemblait une trentaine de délégués, nous avons également décidé d'ouvrir ce réseau à un parrainage de villes françaises et européennes de manière à ce qu'il y ait un nouveau renforcement de ce cadre de solidarité entre les villes.

Ce programme est donc centré sur les municipalités, bien entendu avec l'aide des services chargés des secours et des principaux services publics qui agissent notamment au niveau de ces capitales.

Les objectifs de ce réseau sont multiples :

- d'abord l'échange d'expérience en matière de gestion des risques entre les villes ; nous apportons un savoir-faire, une coordination, mais c'est fondamentalement l'expérience des villes de la région qui est diffusée et que nous complétons simplement, de manière à ce que nous respections les caractéristiques locales culturelles, techniques, institutionnelles, etc.

- la sensibilisation des pouvoirs publics et la création de structures de gestion des risques dans les villes où elles n'existent pas encore, ce qui nous paraît fondamental. Cette sensibilisation des pouvoirs publics passe notamment par l'organisation de réunions périodiques des maires des villes du réseau, de manière à ce qu'on leur expose l'avancement des travaux et que l'on puisse soulever un certain nombre de problèmes en matière de réglementations, de normes, de structures municipales qui pourraient rendre plus efficace la lutte contre la vulnérabilité.

- Notre objectif -et je vous ai évoqué, en début de réunion, une lettre que nous avions envoyée au système latino-Américain la semaine dernière- consiste également à sensibiliser des organisations internationales et de l'aide internationale en général à la nécessité d'intégrer la prévention dans les plans d'aménagement et de développement, et à ne pas se limiter à l'aide d'urgence qui, comme on l'a vu tout à l'heure, est ponctuelle à la fois dans l'espace et le temps, alors que les problèmes de vulnérabilité sont inhérents à la structure sociale et économique institutionnelle des pays.

C'est sur cela qu'il faut jouer, notamment lorsque l'on apporte des aides à la reconstruction. Il ne faut pas se contenter de simples programmes de reconstruction qui vont reproduire les mêmes schémas qu'auparavant ; il faut arrêter la poursuite de ce cercle infernal de passage de catastrophe en catastrophe.

En 1972, Managua a été détruite par un tremblement de terre qui a représenté 49 % du PNB du pays ; actuellement, la situation après MITCH au Nicaragua est un peu moins grave, mais elle n'en est pas loin.

- Un autre objectif est la mise en _uvre de programmes communs à toutes les villes, avec des financements internationaux. Dans ce domaine, nous avons une action fondamentale de recherche de moyens, de financements internationaux, que ce soit au niveau de la Commission de Bruxelles, de Washington, de la Banque Mondiale, de la Banque interaméricaine de développement. Cela nous permet d'insister sur cette nécessité d'intégrer la prévention dans tous les plans et les projets de développement.

- Un autre objectif consiste à diffuser les enseignements tirés de l'expérience de chacune des villes. Il faut les diffuser assez largement, au travers d'un site Internet en cours de création, permettant de centraliser et de redéployer, en dehors même des seuls membres du réseau, l'expérience en matière de prévention dans le développement urbain.

- On a parlé de formation technique ; c'est également l'un des objectifs très importants, puisque nous nous appuyons sur la compétence locale, mais nous devons aussi apporter des compléments sur les points les plus faibles des expériences locales.

- L'information des populations exposées est également très importante. On l'a évoqué pour les Antilles et c'est valable pour l'ensemble des pays.

D'autre part, nous mettons en place un cadre d'entraide et de moyens communs. Ce n'est pas pour l'intervention à la suite immédiate de catastrophes comme MITCH ou le cyclone GEORGES, qui a assez fortement touché la République Dominicaine ; c'est la communauté internationale qui intervient, mais pour l'aide à une récupération rapide et au retour à une économie des collectivités touchées. Nous nous préparons donc à intervenir à ce niveau.

Nous avons défini un plan d'action à l'occasion du deuxième séminaire de La Havane (le premier avait eu lieu à Manizales il y a deux ans).

Je vous évoque rapidement ce plan d'action ; il s'agit de :

- fixer un cadre de références pour la réduction des risques dans les villes ; nous avons déjà fixé ce cadre, notamment au travers d'expériences faites dans les villes françaises de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, cadre également adapté aux réalités locales ;

- réduire les risques sismiques et cycloniques et les risques induits dans toutes les villes ; ce sont les programmes communs que j'évoquais ;

- créer un groupe d'expertises pour ce réseau GÉMITIS et des groupes de travail exerçant depuis deux ans. J'ai évoqué ce groupe d'expertises dans la lettre à la SELA (Système Economique latino-Américain), et nous l'avons mis à disposition des pays touchés ;

- développer la formation et la recherche appliquée ; les pays de la zone sont peut-être moins évolués sur certains plans de sciences dures concernant la connaissance des risques ou la manière de les prévenir ou de les réduire, mais nous avons à apprendre de leur part toute une série d'aspects plus opérationnels et pratiques, parce qu'ils vivent beaucoup plus fréquemment que nous des situations de catastrophes ou de crises.

Ces programmes de recherche appliquée peuvent donc être intéressants de part et d'autre, pour les pays de la région et pour la France, voire l'Europe.

Pour revenir au cas qui nous réunit cet après-midi, c'est-à-dire les cyclones, je ne reviens pas sur la lettre que nous avons fait parvenir à la SELA, dans laquelle nous insistions sur la nécessité de conditionner la suppression de la dette extérieure française, en particulier dans les pays affectés, à une mise en _uvre de programmes de prévention, et au déploiement des programmes de développement durable qui intègrent ce souci de prévention.

Je peux indiquer plus globalement ce que nous proposons à la suite de ces dommages dus aux cyclones MITCH et GEORGES, à savoir une action française qui serait construite autour de trois grands volets :

1° - un volet basé sur l'amélioration des connaissances ; nous l'avons déjà évoqué au travers de l'exploitation des images satellites, de la cartographie ou des atlas de risques ; la connaissance des aléas, de leurs zonages géographiques, des points faibles d'un système qu'il soit au niveau urbain des grandes villes ou d'une île tout entière (c'est le cas des petits pays des îles caraïbes ou même des pays d'Amérique Centrale qui ne sont pas très grands) est une connaissance fondamentale pour l'action et le développement de plans de développement économique et social durable.

2° - un volet concernant la récupération, la reconstruction et l'aménagement durable. Nous avons parlé de la construction parasismique, paracyclonique, d'ouvrages de protection, mais c'est également tout ce qui concerne l'organisation rationnelle de l'espace, c'est-à-dire une planification physique des territoires et une vision de planification territoriale intégrant les réalités physiques, et pas seulement les risques mais également les caractéristiques physiques des milieux et des sites.

3° - un volet concernant les aspects institutionnels, sociaux, et éducatifs ; là aussi, l'un des grands caractères de vulnérabilité de tous ces pays est l'absence de cohésion sociale. L'exemple que nous avons vécu la semaine dernière à la Havane était très représentatif. Nous étions invités par les Cubains ; le système cubain présente de nombreux aspects particuliers, dont tous ne sont pas parfaitement remarquables mais, en termes de cohésion sociale, d'intégration depuis le sommet jusqu'au citoyen de base, il y a une répartition des responsabilités.

Nous avons pu constater qu'à chaque niveau, les individus étaient conscients de leurs responsabilités, de leurs rôles, jusqu'au citoyen de base. C'est également un exemple pour la France, que nous devrions méditer et suivre. L'action au niveau de l'organisation et de la cohésion sociale est donc certainement très importante. Elle passe certainement par de la formation, par de l'éducation, par la préparation des cadres administratifs et des populations exposées.

M. le Président - Merci, Philippe MASURE.

Merci, Madame, d'avoir tenu pendant cinq heures ; merci à chacun d'entre vous pour votre participation.

Je vous informe que les actes de cette audition figureront à l'annexe du rapport, et qu'un compte-rendu analytique de chacune de vos interventions y figurera.

Merci.